carlo suares krishnamurti

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  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    CARLO SUARS

    KRISHNAMURTI

    ET

    L'UNIT HUMAINE

    Nouvelle dition revue et augmente

    1962

    ADYAR PARIS

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    4edeCouverture

    Krishnamurti et son message sont prsents ici comme un fait nouveau et unique, concernant

    directementlesrapportsdelaconsciencehumaineetdel'Univers.

    Ceux qui sentent que nous entrons dans une re nouvelle ne s'tonneront pas du caractre

    immesurabled'unetelleaffirmation.

    Directement branch sur la vie, Krishnamurti passe travers les barrires psychiques qui

    emprisonnent,dans l'humain, cephnomneextraordinairequ'est laConscience,aussivaste,aussi

    profondquel'Universluimme.Enunraccourcifoudroyantetinstantan,laconscienced'tre,avec

    lui, chappe ses conditionnements. Aussi bien, il est temps d'affirmer qu'il est le messager de

    l'poque,l'espritdevritquiclaireralessiclesvenir.

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    PREFACEAL'EDITIONDE1962

    PrsenterKrishnamurtic'estseheurter,audpart, ladifficultde lesituerauxyeuxd'unpublic

    qui,

    juste

    raison,

    dsire

    savoir

    de

    quoi

    il

    s'agit

    .

    Une

    difficult

    plus

    grande

    encore

    consiste

    le

    dlivrerdescatgoriesolesituentcertainscommentateursqui, leconnaissant,s'imaginentbienfaire

    en comparant ce qu'il dit des enseignements psychologiques ou religieux. Enfin, pour certains

    journalistes,lenom Krishnamurtitantindien,ilneleurenfautpaspluspourqueceluiquileporte

    soit,priori,unpropagandistedesVedantas,duBouddhismesimpleouZen,duGandhisme,voirede

    LaoTseu, bref, un philosophe, un mystique, faisant partie du flot de Sagesse qui se dverse

    d'ExtrmeOrient,aumomentos'croulentlessystmessociauxfondssurelle.

    Voyant ces erreurs et ces contrevrits, laquestion seposede savoir s'il estpossibledeprsenter

    Krishnamurtipositivement,endisant :ilestceci,ous'iln'estpossiblequededire :sonorigine,sa

    couleurdepeau, son ducation, sonpasseport,n'ont aucun rledans cequ'ildit ; iln'appartient

    aucune tradition,n'a luaucun livredit saintou sacr,n'est tributairedepersonne,d'aucune culture,

    d'aucun pays; bref, il est l'essence mme de ce qui ne se situe dans aucune frontire, dans aucun

    systmedepense,dansaucunedes reprsentationsde l'Hommeetde l'Universque lesmythes, les

    religions, lesphilosophies, lespsychologies, les sagesses acquisesou soidisant rvles aientjamais

    formules.

    Celadit,ngativement, voildjKrishnamurtiet sonmessageprsents commeun faitnouveauet

    unique,concernantdirectementlesrapportsdelaconsciencehumaineetdel'Univers.

    Ceux qui sentent que nous entrons dans une re nouvelle ne s'tonneront pas du caractre

    immesurabled'une

    telle

    affirmation.

    Directementbranch sur la vie,dans son acception laplus simple, immdiate et totale, tellequ'elle

    s'exprime partout autour de nous, Krishnamurti passe travers les barrires psychiques qui

    emprisonnent,dans cequ'ilestcommund'appeler l'humain (avec sanotiondudivin) cephnomne

    extraordinairequ'est laConscience,aussivaste,aussiprofondque l'Univers luimme.Enunraccourci

    foudroyantet instantan, laconscienced'tre,avec lui,chappesesconditionnements.Aussibien, il

    esttempsqueceuxquileconnaissentqui,pourraitondire,l'ontreconnun'hsitentplusaffirmer

    qu'ilestlemessagerdel'poque,l'espritdevritquiclaireralessiclesvenir.

    **

    Cevolumeestune rditionde l'ouvrageparu sous lemme titreen1950,maisdont le texteat

    entirement revu et, en quelques uns de ses chapitres, sensiblement modifi, et, nous sembletil,

    clarifi.Unchapitreluiatajout,contenantlatraductiond'unecauseriefaiteBruxelles,en1956.En

    outre,etencorequelesconfrencesdeParis,enseptembre1961aientclairlepublicsurl'volution

    de lapensedeKrishnamurti, ilatjugutiledeprsenter,danscetteprface, l'hommetelqu'ilest

    aujourd'huidanssaviequotidienneettelqu'ilservle,pourlapremirefois,danssescrits.

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    Dans latroisimesriedesesCommentairessur lavie, ilnoteavecsoinsesmditations,oupluttses

    tatsdeconscienceaucoursdevoyages,derencontres,depromenadessolitaires.Detellesdescriptions

    peuvent surprendre.Ellesont lemritede situer leurauteuretd'allger l'espritdu lecteurde toute

    image qui rsulterait de la seule lecture d'un enseignement. On ne peut pas sparer ce qu'est

    Krishnamurtidecequ'ildit.Etcequ'ilest,apudrouterdespersonnesquis'imaginaientcomprendrece

    qu'ildit.

    C'est

    pourquoi

    rien

    n'est

    plus

    important,

    pour

    une

    nouvelle

    prsentation,

    que

    de

    mettre

    le

    publicencontactdirectavecl'homme,telqu'ilestdevenusoixantecinqans,telenfinqu'ilacceptede

    selaisservoir.

    Cen'estpas leSageassis, lesjambescroises,dansunashrampaisible, l'abridumonde,etqui

    dispenseunenseignement. Ilparcourt lescontinents,et l'onestsurprisde levoir sonaisedansun

    train,aumilieud'unefoulebruyante.Paradoxalement,ilsembleinvulnrableparexcsdevulnrabilit.

    Vouloirtreouvouloirnepastre,ditil,est lammeprojectiondesoi.Surunregistreplusmodeste il

    rpondaitquelqu'unquiseplaignaitdenepaspouvoirseprotgerdubruit,que lebruitnedrange

    que si l'on cherche s'en protger. Et parce qu'une telle rponse est difficile comprendre, on

    s'aperoitque

    l'essentiel

    n'est

    pas

    compris.

    L'essentiel,

    en

    ce

    qui

    concerne

    Krishnamurti,

    est

    l'tat

    de

    conscienceauquelildonnelieu.Consciencelargie?Dpersonnalise?Ilestd'autantplusdifficiledela

    qualifierquetoutmotnepeut,aumieux,quelatrahirensuscitantdescomparaisons.Toutefois,ceque

    l'onpeutendire,coupsr,estque,sicettatn'estpastrangerd'autresexprienceshumaines,

    nous l'avonsvuapparatre,dansdesviesde saints,de sagesoudemystiques, soitune foisoudeux,

    fugitivement,aucoursd'uneexistence(quecettefoisoudeuxasuffi illuminer),soitartificiellement,

    provoqupardesdisciplinessouventcruelles,etsiemptrdeprojectionsreligieuses,qu'vraidire il

    s'agitalorsd'unautrephnomne.

    EnKrishnamurti,lavien'estjamaisvampiriseparuneimagesainte.Lanotiondesaintetest,chezlui,

    quotidienne

    et

    totale.

    Elle

    est

    laque

    en

    ce

    sens

    qu'elle

    est

    indpendante

    de

    toute

    confession

    religieuse.

    Vide de toute notion d'ascse, d'volution, de but atteindre, elle est permanente et rsulte de

    l'observationlaplusbanalementquotidienne.

    Cettatdeconsciencequi,jusqu'lui,nes'estprsentquecommeunsommetauroldemythes,de

    surnaturel,ou,pourlemoins,d'motionsintraduisiblesetbouleversantes,esticiaussisimpleetnormal

    quetouteautreperceptiondelavie.Maisquelleintensitencetteperception!

    Voici,glansaucoursd'une lecturedesCommentaries3rdSeries,desnotesoKrishnamurtiexamine

    ces largissements de la conscience. Ils sont remarquables, non seulement en ce qu'ils ont de

    constant,depermanent,desolide,maisaussiparl'honntetcritiquedecettepenseaigu,laquelle,

    chaqueinstant,

    vrifie

    qu'ils

    ne

    sont

    pas

    simple

    imagination,

    projection

    de

    soi,

    transferts,

    ce

    qui

    serait

    affreusementlaidnotetilquelquepart.

    Onnesauraitassezinsistersurlecaractrervolutionnairedecettelucidit.

    **

    Levoiciaubordd'unlac.Aufond,debellescollines,etplusloinencore,descimesneigeuses.

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    Ilavaitplu toute lajourne,maismaintenant, telunmiracle inattendu, les cieux s'taient soudain

    dgagsettouttaitdevenuvivant,joyeux,serein...

    Ilnotelestonsdesfleurs,lesgouttesdepluiesemblablesdespierresprcieuseset,enfin,lesfoulesqui

    sedversentl, avecleurscris,leurconfusion.

    A traverstoutcemouvementetcesbousculades, ilyavaitunebeaut,unenchantement,unepaix

    trangequipntraitpartout.Noustionsquelquesuns,assissurunlongbancfaceaulac.Unhomme

    parlaitd'unevoixassezhauteetiltaitimpossibledenepasentendrecequ'ildisaitsonvoisin:Par

    unesoirecommecelleci,quej'aimeraistre loindecebruitetdecetteconfusion!Maismontravail

    meretienticietjel'excreLespromeneursnourrissaientlescygnes,lescanards...

    LaplupartdecesscnessepassentenInde,encorequeleslieuxnesoientpasnomms.

    ... Aprs une longue suite dejournes chaudes et poussireuses, une pluie bienfaisante parfume laterre,etleshommesserjouissent:Ilyauraitplusdetravail,plusdenourritureetlafamineseraitunechosedupass

    .

    Des

    ouvriers

    descendent

    de

    leur

    bicyclette,

    l'un

    d'eux

    achte

    une

    cigarette,

    une

    seule...

    Degrandsaiglesbrunsplanenten largescerclesdans leciel.Unjeunegaronportantunbidonsur lattepasse,trsfierdetravaillercommeunhomme.Ilchante.Savoixestvulgaire,maisrythme.Ilneserend pas compte que quelqu'un marche derrire lui. Encore moins estil conscient du changementcurieuxquis'estproduitdansl'atmosphre. Il y avait une bndiction dans l'air, un amour qui recouvrait tout, une gentillesse simple et sanscalculs,unebontqui fleurissait.Brusquement legaroncessadechanter, ilentradansunehutteenruinesquelquedistancedelaroute.Bienttlapluierecommencerait...... Unjolijardin, clos par des rideaux d'arbres. Une pelouse bien arrose. Des oiseaux affairs larecherchedevers.Ilyenadeuxauplumagevertetor,dontlespectateurimmobilesuitlongtempslesbats.C'taitunravissantspectaclepleindelibertetdebeaut.Unefamilledemangoustesapparatetdisparat.Puis,auclairde lune, lejardindevientun lieuenchant.Voici lesombres, lesilence.Au loin,

    quelquesbruits

    sur

    la

    route,

    un

    air

    de

    flte.

    Le

    jardin

    murmure

    doucement.

    Plus

    une

    feuille

    ne

    bouge

    et

    lesarbreslaissentapparatrelabrumeargenteduciel.Iln'yapasdeplacepourl'imaginationdanslamditation;elledoittrecompltementmisedect,carelleengendredesillusions.L'espritdoittreclairetsansmouvement.Alalumiredecettelucidit,l'intemporelservle....Lesrangesdemaisonsneuves,verslesuddelaville,semblentinterminables.Enfinlavoituredposeses voyageurs sur une petite route au milieu des champs. Le soleil, norme boule dore, descendderrirelescollines.Despaysannespassentenchantant.Unetonnantebeautrecouvraitlepaysage;elletaittoutautourdenous,emplissantchaquecoinetrecoinde la terre,et les replisobscursdenos consciences. Iln'yaqu'amour,nonamourdeDieuetamourdeshommes:celanepeutsediviser.Ungroshibouvolesilencieusement,desvillageoisagressifsoccupentlamoitidelaroute...

    ...Une

    plantation

    de

    tabac.

    Krishnamurti

    ne

    se

    contente

    pas

    de

    noter

    le

    paysage.

    Ils'est

    inform

    de

    la

    faondontlaterreestcultiveetlesfeuillestraites.Toutprsdel,unvergerpuisunbois...Ilyavaittoujoursdanscesbois,unesortedemouvementetcemouvementfaisaitpartiedel'immensesilence;ilnedrangeaitpas,ilsemblaitajouterl'immobilitdel'esprit...l'aboiementinsistantetpntrantd'unchiensemblaitaugmenterl'immobilit......Unefemmepassesurlaroute.Elleportesurlatteunnormepanier,certainementtrslourd.Maissadmarchesoupleetadmirablementquilibren'estpasaltre.D'habitude,ellepasseencompagnie

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    d'autresfemmesportantdespaniers.Aujourd'huielleestseule.Lesoleiln'estpasencoretropchaud.C'estunematinedlicieuseetpaisibleetcettefemmesolitairesembletrelepointcentraldupaysage.Toutesleschosessemblaientconvergerverselleet l'acceptercommefaisantpartiedeleurtre.Ellen'taitpasuneentitsparemaisunepartdevous,demoi,dutamarinier.Ellenemarchaitpasdevantmoimaisjemarchaisaveccepaniersur la tte.Cen'taitpasune illusion,une identificationpense,dsire, cultive : cela aurait t laid audel de toute mesure, mais une exprience naturelle etimmdiate.Lesquelquespasquinoussparaientn'taientplus ; letemps, lammoireet lesgrandesdistancesqu'engendrelapenseavaienttotalementdisparu.Iln'yavaitquecettefemme,nonpasmoien train de la regarder. Et la ville tait loin, oh elle vendrait le contenu de sonpanier. Le soir, ellereviendraitpar cette route,elle traverserait lepetitpontdebambousvers levillage,pour reparatreencorelelendemain,lepanierpleinsurlatte......Aucoursd'unvoyageencheminde fer,Krishnamurtise lvedesaplace,parcourt legrandwagonpleinde fumede tabac, traverse lewagonrestaurant, le fourgonbagages (iln'yapersonnepourl'arrter)etentredans la locomotivelectrique.Lesdeuxconducteurs lefontasseoir, luiposentmillequestionset,enchange,sefontlescicronesdupaysage,desvillesqu'ontraverse,dessignalisations...Onpeuttresrqu'ilssesouviendrontavecbonheurdecesdeuxheuresetdemieencompagnieduvoyageurinconnu...

    ...Dans

    une

    petite

    maison,

    avec

    son

    jardin

    bien

    soign...

    Mais

    ce

    matin,

    ilfaisait

    partie

    de

    toute

    l'existenceet lemurqui l'entouraitsemblaitsi inutile.Atravers lagrille,onvoitunchemin,unevieilleglisepeu frquente,desbois.Uncerfpasse tranquillement. Ilyavait lcecalmetrangedes lieuxdsertsparlhomme......Lagrandevillesainte, legrandfleuvesacrosebaigne lafouledesplerins.Unefamillebrlesonmort.Elleresteraltoutelanuit,jusqu'cequ'ilsoitcompltementconsum.Untamarinierestsacr,luiaussiainsique lesonttous lesarbres.Avant l'auroretout lemondes'enva.Uneoudeux lampeshuilesontencoreallumes.Alors l'arbretaitsuprme ; tout faisaitpartiede lui : la terre, le fleuve, leshommeset lestoiles.Bientt,ilseretireraitenluimmepoursommeillerjusqu'ceque letouchent lespremiersrayonsdusoleil...

    ...

    Bnars

    encore,

    la

    grande

    cit,

    apparat

    tout

    entire

    dans

    la

    splendeur

    d'un

    soleil

    couchant,

    dans

    sa

    saintetetsasalet,dans l'extraordinairetohubohudepitons,decharrettes,devlos,d'autobusaumilieuduqueldesplerins sont immobiles,encontemplation, lesyeux ferms,ouen reprsentation,entoursd'une fouleenthousiaste.Lpreux,mendiantsousannyasins immaculsdans leurrobepure,mresallaitant, cadavres sur leurbrasier : Ici toutallait son train, car c'tait laplus sainteet laplussacredesvilles...Cevoyageursilencieux, immobile,quise rvlenous,est,on lesent,nonpasunspectateur,maisunparticipant.Rienne luichappeet rienne luiesttranger,bienque tout soit sitrange.Ilcommunieaveclemonde...Labeautducourantimmobiledufleuvesemblaiteffacer,nettoyertoutlechaoshumain,cependantquelescieuxsepenchaientsurl'hommeavecamouretmerveillement......Surlequaidelagare,unefoulebruyante,agite,bigarre.Letrainpart.Levoyageseraassezlong.Ontraversedespetitsvillagesagricoles.Unjeunegaronmnedeuxou troisvaches. Ilsouritetsalue le

    trainqui

    file.

    Cematinl, le cieltait intensmentbleu, les arbres lavs, les champsbienarrosspar lespluiesrcentes,etlespaysansallaientleurtravail;maiscen'taitpascela,laraisonpourlaquellelecieltaitsiprsdelaterre.Ilyavaitdans l'aircommelasensationdequelquechosedesacr,quoirpondaittoutl'tre.Laqualitdecettebndictiontaittrangeetbienfaisante;l'hommesolitairequimarchaitsurlaroute,unabricouvert,vuenpassant,ybaignaient.Vousnelatrouveriezpasdansdesglises,destemples,desmosques,carilssontfaitsdelamaindel'homme,ainsiqueleursdieux.Maisl,enpleinecampagneetdanscetraindglingutaitl'inpuisablevie,unebndictionquinepeuttredemande

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    nioctroye.Elletaitlpourceuxquilaprendraient,toutcommecettepetitefleurjaunesurgiesiprsdesrails.Lesgensdans letrainbavardaient,riaientou lisaient leurjournaldumatin,maiselletait l,parmieux,ainsiquedans lestendresbourgeonsduprintemps. Iltait l, immenseetsimple, l'amourqu'aucun livrenepeut rvler,etque lapensenepeut toucher.Elletait l,en cettemerveilleusematine,laviemmedelavie......Unmatin,auborddelamer,quandlesoleilselve.L'eauesttale.Ilyatoutunmangedecrabeset,surletroncd'unarbreunegrandeagitationdefourmisnoires.Ilyavaituneintensitencetarbrenonlaterribleintensitdeparvenirquelquechose,derussirmaisl'intensitdecequiestcomplet,simple,seulet,pourtant,faitpartiedelaterre......Unsoir,dansunjardind'ol'onperoittoutunpaysage,etlabruyanteactivitdelavievillageoise.Lanuittombe.Ilyavaituneimmobilitsuspendue,ettoutconnutl'heurebnie.Laterreettoutcequ'elleportaitfutsanctifi.Cen'estpasque la consciencepercevait cettepaixcommeendehorsd'ellemme, commequelque chosedonton se souvientetque l'oncommunique,maisc'taituneabsence totalede toutmouvementdelapense.Iln'yavaitquel'immesurable......L'avionestsixmillepiedsd'altitude.Trsloin,l'immensemassifdemontsneigeuxapparatthr,irrelensonrefletrose...

    C'tait

    rellement

    incroyable

    :la

    couleur,

    l'immensit,

    la

    solitude.

    On

    oubliait

    tout

    le

    reste,

    les

    passagers, lecapitaineposantdesquestions, l'htessede l'air.Cen'taitpas l'absorptiond'unenfantavec sonjouet, ni d'un moine dans sa cellule, ni d'un sannyasi au bord d'un fleuve. C'tait un tatd'attention totale,sansdistraction. Iln'yavaitque labeautet lamajestde laTerre. Iln'yavaitpasd'observateur...

    Iln'yavaitpasd'observateur ...Cetobservateurminutieux, il faut l'avoirsuivipaspaspourvoir,

    pourcomprendrecommentilsefaitqu'uncertainmomentilconstatequ'iln'yapasd'observateur.

    Auprsd'unerizirequicommenceverdir...Ceverttaitincroyable,notetil:

    Cen'taitpaslevertdesflancsdecoteauxbienarross;nilevertdespelousessoignes;nilevertdu

    printemps ; ni le vert des tendres pousses parmi les vieilles feuilles d'un oranger. C'tait un vert

    entirementdiffrent;c'taitlevertduNil,del'olive,duvertdegris;unecombinaisondeceuxl,mais

    avecquelquechosedeplus.Ilyavaiten luiunepointed'artificiel,dechimique;et lematin, lorsque le

    soleilmergeaitdescollines,cevertavaitlasplendeuretlarichessedescoucheslesplusanciennesdela

    Terre.Iltaitdifficiledecroirequ'untelvertptexisterdanscettevalle...

    Etdelammefaonqu'ilcernecevert,ilcomprendlesensd'uneridesurunvisage,d'ungestecontenu,

    d'unvtement,delafaondeleporter,d'unmotqu'onneditpas,d'uneintentionsecrte.Riennelui

    chappe,mais comme il nejuge, n'approuve ni ne condamne, son observation ne pse pas sur ses

    interlocuteurs.Au

    contraire,

    elle

    les

    libre,

    car

    l'intensit

    mme

    de

    l'observation

    aprojet

    la

    conscience

    del'observateurhorsdesoncentre.

    Voiciunpassageo,avecsonsoinhabituel,ildcritcette intensit.Ellen'ariendepersonnel,cen'est

    pasunemotion.Elleapparaticiavecunebrisecharged'odeursetdeparfums,oilyal'airdesrues,

    lerepasdusoir,lejasmin,l'essencedesvoitures,unegrandefleurblanchesurlechemin...

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    Graduellement l'intensit augmenta. Ellen'taitpasprovoquepar le calmedu soir,nipar le ciel

    toil,niparlesombresdansantes,niparcechientenuenlaisse,niparleparfumdelabrise,maistout

    celataitencetteintensit.Iln'yavaitqu'intensitsimpleetclaire,sanscause,sansunedivinit,sansle

    murmured'unepromesse.Elletaitsi forteque lecorpstaitmomentanment incapabledebouger.

    Touslessensaugmentaientdesensibilit.Laconscience,cettechosetrangeetcomplexetaitdraine

    detoute

    pense,

    elle

    tait,

    par

    consquent,

    tout

    fait

    veille

    ;c'tait

    une

    lumire

    en

    laquelle

    iln'y

    avait pas d'ombre. L'tre entier brlait d'une intensit qui consumait le mouvement du temps. Le

    symboledutempsestlapense.Encetteflamme,lebruitdel'autobusquipassait,ainsiqueleparfum

    de la fleur blanche taient consums. Les sons et les parfums s'entremlaient mais taient deux

    flammesdistinctesetspares.Sansvacilleretsansobservateur,laconsciencepercevaitcetteintensit

    intemporelle;elletait,ellemme,laflammeclaire,intense,innocente.

    L'intensit de perception projette sa lucidit la fois l'extrieur et l'intrieur. La conscience

    consciented'treexercesursoimmelavigilancelaplusrigoureuse,afindenepasseduper.

    Lorsque la conscience entreprend son vol de dcouverte, l'imagination est dangereuse : elle n'a

    aucune place dans la comprhension, au contraire, elle la dtruit aussi srement que le fait la

    spculation.Mais la conscience s'en rendait compte (c'taitpendantun concert)et iln'yavaitaucun

    envold'o ilet fallu la rappeler. La consciencetaitparfaitement immobile,mais commeelletait

    rapide ! Elle tait allejusqu'aux confins dumonde et en tait revenue avant d'avoir entrepris son

    voyage.Elletaitplus rapideque la rapiditetpouvaittre,pourtant, si lentequ'aucundtailne lui

    chappait. La musique, le public, le lzard n'taient que de brefs mouvements en elle. Elle tait

    parfaitementimmobileet,ainsi,elletaitseule.Cen'taitpasl'immobilitdelamort,niunassemblage

    de chosespenses, forces,engendrespar lavanitde l'homme.C'taitunmouvementaudelde

    toutemesurehumaine,unmouvementquin'appartenaitpasladure,quin'taitpasunvaetvient,

    mais

    tait

    immobile

    en

    les

    profondeurs

    inconnues

    de

    la

    cration...

    ...Etailleurs.

    Soudain, l'observateur, l'auditeur disparut... Il n'y avait que le vaste espace qui est la conscience.

    Toutes leschosesde laTerreetdeshommestaienten lui,maisaffaiblieset lointainesensesfranges

    lesplus extrieures. En cet espaceo rienn'tait, il y avait unmouvement, et cemouvement tait

    immobilit. C'tait un mouvement profond, vaste, sans direction, sans motif, qui partait des bords

    extrieursetvenaitavecuneforceincroyableverslecentreuncentrequiestpartoutl'intrieurde

    l'immobilit, du mouvement qui est espace. Le centre est totale unicit, non contamine,

    inconnaissable,unesolitudequin'estpasisolement,quin'anicommencementnifin.Ilestcompleten

    soi,iln'est

    pas

    fabriqu,

    les

    bords

    extrieurs

    sont

    en

    lui

    mais

    ne

    sont

    pas

    lui.

    Ilest

    l,

    mais

    inaccessible

    l'esprithumain.C'estletout,latotalit,maisinapprochable...

    Etencore:

    ...Cetteunicitneconnaissaitnisparationnidivision.Lesarbres,leruisseau,levillageoisquiappelaitauloin,toutcelataitdanscetteunicit.Cen'taitpasune identificationavecl'homme,aveclaTerre,

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    9

    cartoute identificationavaitcompltementdisparu.Encetteunicit, laperceptiondutempsquipasseavaitcess......Suruneplage,aprsavoir remarquunjeunemendiant simulateur (iljouait trsbien la comdie,notetil,presqueavecsatisfaction),puislescrabes,unpcheur,lesable,despalmiers,unpaquebotauloin,levaetvientdesvagues:......laconsciencetaitvivante,maispasagitecommelamer,ellevivaitetallaitd'unhorizonl'autre.Ellen'avaitnihauteurniprofondeur;ellen'taitniprsniloin;iln'yavaitpasdecentred'omesurerouembrasserletout.Lamer,lecieletlesterrestaientl,maisiln'yavaitpasd'observateur.C'taientvasteespaceetlumireimmesurable.Lalumiredusoleilcouchanttaitsurlesarbres,ellebaignaitlevillage,elletaitvisibleaudeldufleuve,maiscelataitunelumirequines'teintjamais,quibrilletoujours.trangement,iln'yavaitpasd'ombreenelle;vousneprojetiezpasvotreombresurelle;vousnedormiezpas,vousn'aviezpasferm lesyeux,carmaintenant lestoilesdevenaientvisibles ;mais,soit que vous fermiez les yeux ou les teniez ouverts, la lumire tait toujours l. Elle n'tait passusceptibled'trecapteetmisedansunsanctuaire.

    L'emploi de ladeuxime personnen'est paspournous tonner : il est inhabituel Krishnamurti de

    penseren

    termes

    personnels.

    En

    voici

    un

    autre

    exemple

    qui

    se

    situe

    dans

    un

    beau

    paysage

    solitaire

    :

    Avecvosproccupationsetvosbavardagesintrieurs,avecvotreespritetvosyeuxexplorantpartout,

    etqui sedemandaient sans cesse si lapluie vous rattraperait survotre cheminde retour, vousvous

    preniezpourunintrus,indsirableencelieu;maisbienttvousfaisiezpartie,voustiezunepartiede

    cettesolitudeenchante.Iln'yavaitaucunoiseau,d'aucuneespce;l'airtaittoutimmobile,etlacime

    desarbressansmouvementcontrelecielbleu.Laluxurianteetverteprairietaitlecentredumondeet,

    assissurun rocher,vous faisiezpartiedececentre.Cen'taitpasde l'imagination : l'imaginationest

    stupide.Cen'taitpasquevousessayiezdevous identifier cequitait si splendidementouvertet

    beau : l'identificationest vanit.Cen'taitpasque vousvousefforciezd'oublieroude rejeter votre

    personneen

    cette

    solitude

    immacule

    de

    la

    nature

    l'oubli

    de

    soi,

    l'abngation

    est

    arrogance.

    Ce

    n'tait

    paslechocoulapressionsurvousdetantdepuret:toutstimulantestlangationdelavrit.Vousne

    pouviezrienfairepourtreoupourvousaidertrepartiedecettetotalit.Maisvousenfaisiezpartie,

    voustiezpartiedecetteverteprairie,decedurrocher,ducielbleuetdesarbresmajestueux.C'tait

    ainsi. Vous pourriez vous souvenir de cela, mais alors vous n'y appartiendriez plus, et si vous vous

    reportiezcela,vousneletrouveriezjamais...

    Il n'y a pas d'identification, il n'y a pas de mots, il n'y a pas de projection de soi dans cet tat de

    conscience.Noussommesicidanscettezonedesilencequisurgissaitdj,ilyaplusdedixannes,et

    quinousavaitsembldevoirconstituerundernierchapitredeprsentation.Maiscesilence,envrit,

    est leseuildecettemutation laquellenous inviteKrishnamurti. Ilne l'avaitjamaisencoreaussibien

    dcrit quedans ces Commentaires embrays dans le rel quotidien de sorte quenouspouvons

    mieuxlecomprendreaujourd'hui,etpeuttrerecommencernotreexamenpersonnelpartirdezro,

    enprenantpourdpartcesilencequipouvaitavoirl'apparenced'unearrive.

    Cesilenceestlacessationduprocessusdepensequivaduconnuauconnu.EnlisantKrishnamurti,

    en l'coutant,s'eston livrdescomparaisons,desrapprochements?Atonpensdesmotstels

    quemysticisme,contemplation,Dieu,Immanenceoud'autrestermesanalogues?Atonvoqudes

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    saints,dessagesoudesreligions,dessystmesdepense,christianisme,hindouisme,bouddhismeZen

    ouautre?Toutceladoitdisparatre,sansquoi lamutationest refuse.Avezvousjamais rencontr

    l'impensable?Voustesvousjamaistrouv face l'inconnu?demandesouventKrishnamurti. Ilest

    faciledeseleurrerenrpondantparl'affirmative.

    Ramassez

    un

    fragment

    de

    coquillage.

    Pouvez

    vous

    le

    regarder,

    vous

    merveiller

    de

    sa

    beaut

    dlicate

    sansvousdirequ'ilestjoliouvousdemanderquelanimalilappartenait?Pouvezvousregardersans

    qu'ilyaitunquelconquemouvementdepense?Pouvezvousvivreavec le sentimentqui se trouve

    derrire lemot,sansprouver lesentimentque fabrique lemot?Sivous lepouvez,vousdcouvrirez

    unechoseextraordinaire,unmouvementaudeldelamesuredutemps,unprintempsquineconnat

    pasd't.

    Lapense,quiest le temps,quiestceparquoi,dans l'tatdeconsciencehabituel,pralablecette

    mutation, l'hommesesentvivreentantquejesuis,lapensedonc,miseendroute,setrouve ici

    enpleinparadoxe.

    La

    mditation

    n'est

    pas

    pour

    le

    mditant.

    Le

    mditant

    peut

    penser,

    raisonner,

    construire

    ou

    dmolir,

    il

    neconnatrajamaislamditation;etsansmditationsavieseravidecommelecoquillageauborddela

    mer.Cevide,onpeutymettrequelquechosededans,maiscen'estpasdelamditation.Lamditation

    n'estpasuneactiondontlesmotspeuventtrepesssurlaplacedumarch;elleasonactionpropre

    quinepeuttremesure.Lemditantneconnatquel'activitdelaplacedumarch,aveclebruitde

    ses changes ; et au milieu de ce bruit, l'action silencieuse de la mditation ne peutjamais tre

    dcouverte. L'actionde la causequidevienteffet,etde l'effetquidevient cause,estune chanede

    dure interminablequienchane lemditant.Une telleaction,ayant lieu l'intrieurdesmursde sa

    propreprison,n'estpasmditation. Lemditantnepeutjamais connatre lamditation, laquelleest

    juste au del de ses murs. Ce ne sont que les murs que le mditant luimme a construits, qui le

    sparentde

    la

    mditation.

    Etplusloin:

    ...Lemditantsaitcommentmditer;ils'exerce,ildomine,ilfaonne,illutte,maiscetteactivitde

    l'espritn'estpas la lumirede lamditation.Lamditationn'estpasunassemblagefaitparlapense;

    c'estlesilencetotaldelaconscienceenlequellecentred'exprience,deconnaissance,depense,n'est

    pas.Lamditationestattentioncompltesansqu'ilyaitd'objetenlequellapenseseraitabsorbe.

    Lesmotsmutationhumaine se rpandentaujourd'huiunpeupartout. Lapense,causede ses

    dcouvertes,surtoutscientifiques,setrouveemporteparunmouvementvertigineux.Cequiestvrai

    unmatinnel'estpluslesoir.D'olancessitdebriserchaqueinstantcequisemblaitacquis.Maisce

    qu'on imagine en gnral n'estqu'une amplificationdes cerveaux l'chelle lectronique, dous de

    mmoires prodigieuses. Comme si l'on n'avait pas dj des machines des millions de fois plus

    dveloppesdanscesensqu'iln'estsouhaitablede l'trehumainement.Lamutationrelle,totale,est

    lecontrairedeceshypertrophiesdel'intellect.Elleestcaractriseparunenouvellepense,quin'estni

    raisonnement,nispculation,maisconstatationsimpleetdirecte.Cettepenseconstatation implique

    laconsciencedanssatotalit:

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    Votreconscienceestlatotalitdecequevouspensezetsentez,etbeaucoupplusencore.Vosmotifs

    etvosmobiles, cachsouapparents ;vosdsirs secrets ; la subtilitet la rusedevotrepense ; les

    pulsions obscures dans la profondeur de votre cur, tout cela est votre conscience. C'est votre

    caractre,cesontvostendances,votre temprament,vosrussitesetvos frustrations,vosespoirset

    vos craintes. Indpendammentdu faitquevous croyezounonDieu,ou l'meouAtman,ou

    quelqueentit

    sur

    spirituelle,

    le

    processus

    entier

    de

    votre

    pense

    est

    votre

    conscience.

    Etencore:

    Lavieesttout,n'estcepas?Jalousie,vanit,inspirationetdsespoir;lamoralesocialeetlavertuqui

    n'est pas dans le champ des cultures bienpensantes ; le savoir amass au cours des sicles ; le

    caractre,quiestlepointderencontredupassetduprsent;lescroyancesorganisesqu'onappelle

    religionsetlavritquiestaudeld'elles;lahaineetl'affection;l'amouretlacompassion,quinesont

    pasdanslecadredelapense;toutcela,etplusencore,estlavie,n'estcepas?Etvousvoulezenfaire

    quelquechose,vousvoulezluidonneruneforme,unedirection,unesignification.Maisquiestlevous

    quipeutfairecela?Etesvousautrechosequecelammequevousvoulezchanger?

    Demmequ'avantdenatre, lepoussindans sa coquillenepeut rverque coquille,mais se trouve

    ensuiteen contactavec lamouvante ralitd'unmondenouveauet insouponn, l'hommeenferm

    danslacoquilledesapensenepeutqueprojetercemoi,quandbienmmeil l'appelleDieu.Maisen

    tatdemutation,loind'avoirabandonnlemonde,ill'atrouv:

    Onentendaitlaconversationdespersonnesderriresoi,onvoyait lacharrettebufset lecamion

    quiapprochaientetpourtant laconsciencetaitparfaitement immobile ;et lemouvementdanscette

    immobilittait l'impulsiond'unnouveaucommencement,d'unenouvellenaissance.Mais lenouveau

    commencement ne vieillirait pas, il ne connatraitjamais hier et demain. La pense ne faisait pas

    l'expriencedu

    neuf

    ;elle

    tait

    le

    neuf

    ;elle

    n'avait

    pas

    de

    continuit,

    donc

    pas

    de

    mort

    ;elle

    tait

    neuve,onnel'avaitpasrefaiteneuve;lefeuneprovenaitpasdesbraisesdelaveille.

    Lesmots sontvidemment incapablesd'exprimer cemouvement immobile,ce silenceen lequel sont

    tous les bruits du monde. Car ce silence tait dans des profondeurs o la pense ne pouvait

    l'atteindre, et ce silence tait une pntrante flicit un tel mot a peu de sens mais sert

    communiquerquicontinuaitetcontinuait;cen'taitpasunmouvemententermesdetempsetde

    distance,maisiltaitsansfin.Etrangementmassif,etpourtantilpouvaittresoulevd'unsouffle.

    Cette flicit ne peut tre trouve ni par des recherches ni par la foi. Elle n'est reue que par une

    conscienceenlaquelletouteslescontradictionsontfusionnenuneseuleflammedelucidit.C'estun

    tatd'tre.

    Devenirettren'ontaucunrapport l'unavec l'autre, ilssemeuventdansdesdirectionstotalement

    diffrentes, l'unneconduitpas l'autre.Dans l'immobilitde l'tre, lepassen tantqu'observateur,

    qu'exprimentateur,n'estpas.Letempsn'yestpasactif.

    L'nergiequis'ydploieestcelledelaviemme,intemporelle,neuveternellement.

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    **

    CesdescriptionsoccupentenvironlequartdeCommentariesonliving,3rdSeries.Lestroisautresquarts

    sontdesnotes,critesaujour lejour,osont relates lesentrevues,ouplutt lesconsultationsque

    sontvenuesdemanderdespersonnesauxprisesaveclesdifficultsdelavie.Ellessontvenuesseulesou

    enpetits

    groupes.

    Ilyades

    hommes

    gs

    qui

    ont

    cess

    de

    travailler,

    et,

    dans

    la

    dernire

    phase

    de

    leur

    vie,cherchentDieuetneletrouventpas;desfonctionnaires,desemploysdebureaux,deshommesen

    place,despoliticiens,desavocats,despeintres,quivoudraientfuirlamdiocritdeleurexistence;des

    tudiantstrsjeunesquihsitents'aventurerdansunmondedont ilsperoivent les limitations ;un

    jeunecoupledontlefilsuniquevientdemourir;unvieillardquiapassquaranteannesdesaviedans

    desmonastresetquitoutescesdisciplinesn'ontrienapport;unefemmedumondequiinsistepour

    queKrishnamurtis'inscriveuneSocitpourlaprotectiondesanimaux,dontelleestprsidente;des

    hommes politiques trs importants qui veulent savoir si l'on peut spiritualiser la politique ; des

    hommes d'affaires qui, retirs, ne savent plus quoi employer leur temps ; unjeune professeur

    d'universit qui cherche une source permanente de bonheur; des brahmanes, des catholiques, des

    bouddhistesqui

    ont

    entendu

    dire

    par

    Krishnamurti

    que

    les

    religions

    ne

    sont

    pas

    la

    vrit...

    Engnral,cesontdesgensdebonnevolont,sincres,dsireuxdesemettreauservicedelasocit,

    etquiontvuquelpointlesorganisationssociales,politiquesoureligieuses,sedtriorentjusqu'agir

    danslesenscontrairedel'idaloriginel.

    Lelecteur,lui,s'ilestrflchiets'ilabienvoulu,audbutdechaquechapitre,suivreKrishnamurtidans

    ses voyages, ses promenades solitaires ou ses contacts avec les foules grouillantes, animes et si

    vivantes;s'ils'estlaisspntrerdecetextraordinairetatdemditationintenseolavietoutentire

    estrassembleenun foyerardent ;s'ilaperu,senti,ousimplementdevincettesynthseoaucun

    problmeneseprsenteplussursonplanparticulier,maisoseconjuguent,serejoignent,fusionnent

    lesmille

    facettes

    que

    viennent

    apporter

    les

    interlocuteurs

    ;ce

    lecteur

    adj

    compris.

    Ilvoit

    arriver

    ces

    personnes conditionnes, emprisonnes l'intrieur de leurs contradictions dont chacune a pris un

    aspectparticulier.L'gosme,lapense,l'amour,larichesseetlapauvret,lasolitude,laconnaissance,

    lavertu, les relationshumaines, lescroyances, leconscientet l'inconscient, labeautet la laideur, la

    peuretlascurit,letemps,lasouffranceetl'ambition,letravail...Etatsdeconsciencemorcels,dont

    chacunassume l'aspectd'uneentit,maisquin'estqu'identification.Etces fragmentsd'individusque

    nous sommes, alors qu'ils s'imaginent regarder le monde, ne le voient qu' travers leurs rves et

    n'atteignentpaslerel.Ilsn'ontpasvulafeuilledel'arbre,ladouleurduvoisin,l'extasedel'enfant.La

    bndictionde laviemmede lavieest lpourquiveut laprendre,etnousnesavonspasqu'elle

    est l. Et, par des raccourcis inattendus, par quelques questions trs simples, les interlocuteurs se

    trouvent ramens,non sans surpriseparfois, lavisiondirectede leur condition, l'examende leur

    tat,lancessitdesetransformerradicalement.Ilarrivequelquesunsdenepascomprendre,

    denerienapprendre,deseretirerplusancrsquejamaisdans leurs ides.Maisetcen'estpas le

    moindremritedecelivretonnantlelecteurs'enaperoit...Ilnenousrestequ'unpasfaire:nous

    voirnousmmes,telsquenoussommes...

    Paris,mars1962.

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    LACONNAISSANCEDESOI

    Peudepersonnescontestentquenotremondesoitunchaos.Lesdifficultsonousnousdbattonsse

    multiplient un rythme acclr. Les instruments de destruction sont tels, que nous voyons la

    possibilit de transformer la Terre en une plante morte. Aucune valeur n'est capable d'clairer

    l'ensembledeshommessur lesensde leursvies.Seulest total lindividu,seuleest totale l'humanit.

    Maischacunappartientungroupequiproclamesavritcontre lesautresgroupes,etcesreligions

    ontleurexplicationdel'hommeetdel'Univers,enfonctiond'unDieuoud'unsystmeconomique,de

    l'individuoud'unecollectivit,de l'espritoude lamatire,d'o lechaos.Chaque individu,ougroupe,

    veutavoirraisoncontre lesautres,d'o ledsastre.Nousnepossdonspasuneseulevaleurefficace,

    pasuneseulevritagissante,quisoientpurementhumaines,puisquechaqueprtention l'Universel

    impliqueuneconformationparticuliredel'esprit.C'estcelalefaitrelqu'ilfautd'abordconstater,en

    vue de comprendre l'issue unique, simple et directe dont parle Krishnamurti. Totale et instantane,

    inattendue,

    intgrant

    l'individu

    et

    le

    social,

    elle

    n'est

    perue

    qu'

    l'instant

    o

    on

    la

    vit.

    Il

    n'est

    donc

    pas

    possible priori de connatre sa nature, ni mme de savoir si elle existe. Toutefois, on peut dj

    comprendrequesielleexiste,celanepeuttrequedansl'affranchissementdetoutefaondepenseret

    de sentir conditionne par un point de vue quel qu'il soit, dont la nature puisse se prter la

    contradiction.Prtendrel'UniverseltraversuneparticularitlacroyanceenDieu,oulascience,

    ouaunationalisme,ouaucommunisme,etc.,etc...c'estncessairementseheurterauxparticularits

    opposes. Il est vrai que des esprits clairs ont souvent cherch concilier les contraires dans

    l'affirmationquetoutes lesvoiessontbonnesquimnentaubut.Cestentativesonttoujourseupour

    postulatque l'inconditionnpeuttreatteintpar leconditionn,laperfectionpar l'imperfection,l'tre

    par le devenir. C'est l qu'clate avec le plus de vigueur l'irrductible, l'inbranlable ngation de

    Krishnamurti,fidle

    elle

    mme

    depuis

    le

    jour

    o

    ilacommenc

    s'exprimer

    :toutes

    les

    voies

    sont

    fausses, iln'yapasdevoies.Cellesqu'imaginent lesconsciences limites,envuede trouver l'illimit,

    sontd'illusoiresprojections.Iln'yadelimiteslaconsciencehumainequecellesqu'ellesedonne.Etde

    mmequ'ellea lafacultdeseconditionner,ellea lepouvoirdebriser lescoquesdans lesquelleselle

    s'estenfermeetauxquelleselles'identifiait.Sessoidisantascses,sesdevenirsn'ontpourbutquede

    consolideretdefairedurerseslimites.

    Lesfaitsdonnentraisoncerenversementdevaleurs,carexaminerleschosestellesqu'ellessont,et

    non tellesqu'on voudraitqu'elles soient,onnepeutmanquerde constaterque l'idal, ledogme, la

    croyance,lesystme,engendrentl'ajustement,lereniement,l'hrsie,l'interprtation,etqu'ensomme

    toutbut sedoubled'unennemi.Un chemin impliqueun guide, leguideuneautorit.AuMatre,au

    pontife,auchef, l'exploiteur,s'opposeront lasoumissionou larvoltedesdisciples,desouailles,des

    gouverns,desexploits. Si,au coursde l'Histoire, certainshommesontpeuttreexprim lavaleur

    essentielledel'unithumaine,ainsiquel'affirmentdesrcitsditsrvls,estilncessairededcrirele

    rsultat sanglant de ces dispensations, tel que nous l'avons sous les yeux ? Consquence fatale, dit

    Krishnamurti,cartoutevritrpteestmensonge.

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    Paruneerreurconstantetravers lesges,cequ'onacrutre lavrit,endevenant loioufoi,afait

    obstacle laconnaissance.Lesmthodes, faitesde lasubstancemmede l'ignorance, l'ontenferme

    dansun cercle vicieux. Iln'etpas fallu chercher la connaissance,mais les causesde l'ignorance. La

    vritsurvientlorsquetombentlesmuraillesintrieuresquinousprotgeaientcontreelle.Cesmurailles

    sontnosprojections, lavritestnousmmes.Elleesttoujours l,auxaguetspourainsidire,prte

    nousenvahir

    de

    sa

    transparence.

    Nous

    ne

    pouvons

    pas

    aller

    vers

    elle

    :par

    quelle

    perversion

    de

    l'esprit

    pensetonconnatrelecheminquimneversunpointinconnu?NecherchonspasDieu.Sinousle

    trouvions,ceneseraitpas lavrit.Connatre l'inconnaissable?Cestermessontcontradictoires.Mais

    connatre le connaissable, c'estdire les origines profondes, en action, de nos penses et de nos

    motions,c'estnousouvrirl'inconnaissable.

    Danscemondebouleversetconfus, les idologiescollectivesproposentdes remdesd'urgenceaux

    maux dont elles sont les seules causes, et pensent que remettre en question toute notre faon de

    pense,etjusqu'auxstructuresdenospsychismes,tellesqu'ellessontfaonnesdepuisdessicles,est

    unefaontroprestreinteettroplentedeprocderunredressementdelaconditionhumaine.Chacun,

    sentantplus

    ou

    moins

    clairement

    la

    catastrophe,

    demande

    une

    action

    immdiate

    et

    des

    hommes

    de

    bonnevolont.Onveutrsoudrelesconflitsentrenations,entresystmesconomiques,entreclasses

    sociales,entreraces,sanscesser,pourautant,d'appartenirdesgroupes,desEglises.Chacun,tant

    tropengagpourselibrerdesesappartenances,selancedansuneactionpouroucontrececioucela

    et,decefait,alimenteleconflitqu'ilprtendapaiser,etpoursuitl'illusiond'unepaixqu'ilobtiendrapar

    unevictoireetmaintiendraparlaviolence,cequiestlepropredetoutcombattant.

    Face ces prodigieuses mobilisations, Krishnamurti dclare vouloir tre seul, sans disciples, sans

    adeptes,sansorganisation.Armd'uneseulevaleur,laconnaissancedesoi,valableselonlui,etefficace,

    la foispour les individuset la socit, il s'entendbien souvent traiterde rveur.Sonarme semble

    absurdement

    inadquate.

    Elle

    n'a

    pas

    arrt

    la

    deuxime

    guerre

    mondiale

    et

    n'empchera

    pas

    la

    troisime.Acela ilrpondquecelleciadj lieu,puisquechacuncombat,etquesic'est lapaixqu'on

    veut,iln'estquedecesserimmdiatementdecombattre.Chacunysouscrirait,conditionquel'ennemi

    soitdfinitivementdsarm.Etc'estainsi quenousarrivonsauborddel'abme.Maisnotremalheurest

    denepastoutfaitcroirecetabme.Endpitdel'vidence,ilestpluscommoded'esprerquetout

    s'arrangera.Dumoinsjusqu'uneprochainegnration.Etdesedirequel'onn'ypeutrien.Quemieux

    vautvivreaujourlejour,sanstantypenser.

    Krishnamurtiestd'unesvritextrmecontreces inconscients.Ilsesent,lui,totalementresponsable

    ettotalementdsespr.C'est l'trehumaindanssonensemblequiestenpril.Acela iln'yapasde

    remdepartiel,puisqu'aucontrairelacatastrophen'estquel'ensembledetouslesremdes.

    Nos dirigeants, hommes d'affaires et politiciens, dont l'action quotidienne contribue sans arrt au

    dsastre, n'ont aucun dsir de comprendre la valeur essentielle qui les condamne. Et, se sentant

    infinimentpetitsaumilieudel'normeappareiladministratif,policier,conomiqueetguerrierdesEtats,

    les victimes, les mcontents, les rvolts ne peuvent pas imaginer que la simple Connaissance soit

    efficace contre lui. Ils veulent une action collective, comme si celleci pouvait tre autre chose que

    partielle,etdmontrentpar lqu'ilsneperoiventpas lemal rel,quiestun tout.Un groupen'est

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    15

    jamaistotal,iln'yad'universelquel'individuetl'ensembledeshommes.Ungroupenepensepas,ilest

    endede laConnaissance, ilest l'organisationde l'ignoranceetde l'irresponsabilit, sonactionest

    toujoursrgressive.Parcontre, l'hommepleinementconscientestcrateur.Crerc'estvoir leschoses

    tellesqu'ellessont,d'unespritneufetclair.Lorsqu'unecivilisationestenvoiedesedtruire,ellemet

    tout enuvrepour touffer cette rnovationdes esprits.A cemomentl ilnepeut resterqu' lui

    tournerle

    dos.

    Au coursde l'Histoire, ila toujourstadmisque lesmythescollectifsenvigueurdans telleou telle

    civilisationtaientdesvoiesvers latranscendance,quis'ouvraientceuxdont lavocationtaitdes'y

    consacrer. La plupart de ceux qui vivaient au sein d'une civilisation particulire, brahmaniste,

    bouddhiste,chrtienne,etc,sesentaientrelativementleuraisedansleurconditionnementmentalet

    psychique.Leshommesnes'ysentaientpasdtruitsdansleurfonctioncratrice,niemportsladrive

    dansl'ignorancedeleurraisond'tre,ainsiquecelaseproduitpartoutdanslemondenotrepoque.

    De ce fait, ceux qui prouvaient le besoin de briser le conditionnement de cet inconscient collectif

    spcifiqueetde se retrouverau contactdu rel telqu'ilest,etnond'unmonde imaginaire,taient

    rares.Mais

    aujourd'hui,

    ce

    qui

    n'tait

    perceptible

    qu'

    ces

    quelques

    tres

    d'lite,

    c'est

    dire

    la

    destructiondelalibertcratriceetincreparleconditionnement,estdevenuunfaitconstant,

    La situation de l'tre humain s'est aggrave. La technique anonyme et irresponsable de la btise

    administrative et policire mondiale nous entoure d'un rseau de catgories qui nous touffe, qui,

    littralement,assassinel'hommeentantqu'trecrateurd'abord,quil'assassinetoutcourtensuite.Ce

    fait est vident. Percevoir la libert, comprendre de quoi elle est faite, n'est plus une question de

    vocation,maisdevieoudemort.Quelquesoitlesortdel'humanit,qu'ellesurviveousesuicide,notre

    premiereffortdoitlogiquementtendreverscettencessitimmdiate,verscetteprisedeconscience.Il

    s'agit,toutdesuite,debriserlesconditionnementsdontnoustouffeunmondeolesvaleursditesde

    civilisationsesontretournescontreellesmmes.

    Nousverrons,avecKrishnamurti,quebrisercesbarriresesttrsdifficile,carnotrepenseesthabitue

    fonctionner de telle faon qu'elle se conditionne ellemme. Notre raison, telle qu'elle se peroit

    identifieunmoiapparemmentpermanenttravers laduredenotreexistence,estleproduitd'un

    automatisme.Cefonctionnement,usurpantune identit,acherchpartous lesmoyens,enparticulier

    pardesthologies,sejustifier.Or,commeceviceduredepuisquel'hommeaccumulelesarchivesde

    sessoliloques,ilnousfaudradblayernotreespritunpointinimaginable,sinousvoulonsnousvoirtels

    quenoussommesenralit.Nousvoirexactementtelsquenoussommes,c'estcela,pourKrishnamurti,

    la vrit. N'allons pas plus loin. N'allons pas ailleurs. Se rendre compte de ce qu'il y a, en notre

    conscience,unmomentdonn,dans laviequotidienne,sous lecoupd'unequelconqueprovocation

    dela

    vie,

    c'est

    cela

    la

    connaissance,

    totale,

    infinie,

    intemporelle.

    Lavritestsimple,maistragiquementcomplexe.AuConnaistoideKrishnamurti,peutonrpondre

    que l'on n'est pas d'accord ? Que la connaissance de soi n'est pas dsirable ? Mais c'est en cette

    premireadhsionquersidelapremirequivoque.LeConnaistoiatprononcmaintesfoisau

    cours des sicles. Il n'y a apparemment rien de nouveau en cet impratif, de sorte que par un

    automatismedelapense,laplupartdesinterlocuteursdeKrishnamurti(onlevoitpeuprschaque

    questionqui luiestpose)ontbeaucoupdemalconsidrerquelaconnaissancedesoipuissetre la

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    cldetousnosproblmes.C'est lqu'est l'quivoque,carKrishnamurtineditpasqu'ilseraitbonque

    l'on se connaisse, que la connaissance est dsirable. Il n'ajoute pas au monde tel qu'il est une

    philosophiequiembellirait,pacifierait,consoleraitnosexistences.Selon lui, laconnaissancedesoiest

    une action immdiate, puissante, concrte : la seule qui puisse nous faire sortir de notre tat de

    confusion.Elleestaussiurgente,relleetpratiquequesauterdansuncanotdesauvetageaumoment

    d'unnaufrage.

    On

    voit

    par

    l

    combien

    grave

    peut

    tre

    le

    malentendu.

    Ceux qui ont le sentiment d'une crise humaine totale nemanqueront pas de voir que la porte du

    ConnaistoideKrishnamurtiestaussitotale.Aceteffet,ilscommencerontparnepasl'accepter,par

    suspendreleurjugement,etviderleurpensedesoncontenu.Applaudird'avanceunConnaistoi

    philosophique,lafaondeceuxquisepiquentd'treclairsetcultivs;seraitunefataleerreur.Carsi

    cette valeurestabsolue,elleprovoqueennousunedvastation.Ellenous feraperdrenotrepropre

    entit.Nousnesauronsplusquinous sommes,nimme sinous sommesquoiquece soit.Parlerde

    totalit,d'absolu,c'estparlerd'unemortpsychologique.Cesmotsextrmesqu'ilarriveKrishnamurti

    d'avancerdoiventtreprispourcequ'ilssont,avectoutcequ'ilsimpliquent.

    Ces implications sontvastesetprofondes. Il faut lesaborderdans lecalmed'unepenseenquelque

    sortesuspendueenlacontemplationsereinedesonpropreprocessus.LeConnaistois'clairealors

    d'une intimit secrte.Toutd'abord, ilnous rvlequenulnepeutnous connatre si cen'estnous

    mmes.Etque,puisquenoussommes,chacundenous,lersultatdupass,ennouscomprenantnous

    mmes,nousdcouvrons toute la connaissance, toute la sagesse. Si cesdeux constatationsnenous

    pouvantentpas,sinous lespensonsjusqu'auboutennous faisant recrerparelles,nouspercevons

    quenotreconscienceest,detoutevidence,leseulinstrumentquipuisseexaminer,del'intrieur,l'tre

    vivant que nous sommes. Si nous voulons dcouvrir lemystre de notre vie d'homme, il nous faut

    l'explorer l'intrieur de nousmmes. Notre conscience ne pourrajamais se pencher sur un tre

    humain

    de

    faon

    comprendre

    ce

    qu'il

    est

    dans

    ses

    rapports

    avec

    sa

    propre

    conscience

    et

    avec

    la

    nature.Chacundenousn'estilpasl'aboutissementdetoutel'volutiontraverslatotalitdeladure

    ?Etneportonsnouspasennousl'origine,lacause?Noussommeslafoisnotrecauseetnotreeffet.

    La vie en nous est actuelle, prsente et agissante. Elle est la cause de tout son pass. Et celuici

    insondableaccumulationde luttes,deractions,d'inconscience,deprisesdeconscience,demorts,de

    naissances, d'affirmations, de dfaites, de pertes d'quilibre, de conqutes est, s'il se peroit dans

    l'instant,lacauseduprsent.Et,dsqu'ilagitdansleprsent,ilcessed'trelepassetdevientainsison

    propre effet et sa propre cause. Quelmobile secret, quel dsirmystrieux, amen l'tre que nous

    sommes,jusqu' l'identificationd'unjesuis?Si l'identificationestprsente,c'estquesacauseest

    prsente,etnonseslments,quisontdupass.C'estcettecausequiestvivante.Mieux:elleestlavie

    mme.C'est

    elle

    qui,

    rappelant

    les

    souvenirs,

    leur

    donne

    une

    apparence

    de

    vie

    et,

    les

    rejetant,

    les

    anantit. Cette cause estelle devenir ou tre ?... Ou les deux ?... Et quelles secrtes et honteuses

    complicits se partagent le devenir et l'tre pour garer la consciencejusqu' lui faire perdre son

    orientation?

    Ces rflexions; ou d'autres, se prsentant au gr de nos mditations, au fur et mesure que

    Krishnamurtinousentranedansdesexplorationsprofondes,nousrvlentquecequ'ilentendparse

    connatreest le contrairede l'affirmationjeme connais.Eneffet, cetteaffirmation implique la

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    notionjesuisuneentitdontjeconnaislecaractre,lestendances;lesractions,leshabitudes,etc.

    cequiestuneidentificationdelaconscienced'treavecunpersonnagestatique,figdanssastructure.

    Mais s'il n'y a pas d'observateur, si la conscience, sans cesse en veil, peut s'observer dans ses

    mouvements,sessoubresauts,sesractions,elleneconnatpas,elleapprend.Onnepeutpas

    la fois savoir et dcouvrir. Et la dcouverte est sans limite. Elle met la conscience face

    l'impensable,o

    la

    pense,

    accule,

    ne

    sait

    plus

    que

    rpondre

    et

    se

    voit

    contrainte

    de

    se

    suspendre.

    Ainsi lavoiede laconnaissanceestdans lesensd'unapprofondissementennousmmes,condition

    que nous n'en fassions pas une simple opration de l'esprit. Notre conscience, en effet, n'est pas

    seulement de la pense. Peuttre mme ne tarderonsnous pas comprendre que, de tous les

    lments de la conscience, la pense est le plus extrieur. Nos motions, nos sentiments, nos

    sensations,nosperceptions,nosrves,nossymbolesvcusettoutcequecontiennent lesubconscient

    et l'inconscient,sontplusauthentiquementnotresubstancequetemaniementd'idesetdeconcepts

    ou d'opinions qu'il nous plat en gnral d'appeler pense. Krishnamurti, en fonction de la

    connaissancedesoi,nousmnedansunezoneo,ayantabandonnlesmots,lapensedevientsilence.

    Toutefois,paralllement

    elle,

    ilest

    ncessaire

    d'intensifier

    une

    forme

    de

    pense

    qui

    est

    constatation

    aiguetvigilante,maisimpartiale,dsintresseetignorante,lafaond'unsimplemagasiniercharg

    d'enregistreraveczleunintensevaetvientd'objets.Sonzleseramisendfauts'ilperdsontemps

    s'intresserauxobjetsentantquetels,lescritiquer,bavarderleurpropos.Cequidoitl'intresser

    suprmement,c'estsontravaild'enregistreur.S'ilestdistrait,levaetvientluichappe.Or,aucoursde

    notrejourne,ilsepassequelquechosetouslesinstantsennous.Aucoursdechaquesecondenous

    agissonsetragissonssurtous lesregistresdenotretre.Mais,parunecurieusedistraction,cettre,

    aboutissement de la vie sur cette plante, ne nous intresse pas. S'il nous intressait, nous le

    connatrions.

    L'acte

    de

    connaissance

    est

    immdiat,

    tant

    constatation,

    mais

    extrmement

    difficile

    exercer,

    du

    fait

    que,cherchantl'individu,onseheurtepartoutsurtouslesregistres ducollectif.Nosproblmes

    lesplusangoissants,nosdrameslesplusdouloureux,nesontilspasceuxd'unecertainefaondesentir,

    depenser,desecomporter,communeungroupenational,confessionneloudeclasse?Laplupartde

    nos tragdies familiales ne sontelles pas dues ce que nous nous identifions certaines faons

    traditionnelles, collectives, de se comporter ?Cela est si vraique des tragdiesprovoques par des

    murs et des coutumes qui nous sont trangres nous semblent monstrueuses. Et si, domins par

    notrereligion,nouscherchons lasolutionduproblmequeposepournouscettereligion,auprsd'un

    directeur de conscience, nous prtendons gurir lemal par lemai. Si, au contraire, nous acceptons

    comme valeur la connaissancede soi,doncquenulnepeutnous connatre si cen'estnousmmes,

    nousrejetterons

    toute

    croyance,

    toute

    tradition,

    tous

    les

    textes

    saints

    et

    sacrs,

    d'Orient

    et

    d'Occident,

    toute reprsentation de l'homme et dumonde, toute conception philosophique, toute idologie, et

    jusqu'toutefaondepenser.Eneffet,seulunespritfrais,neuf,simpledanslevraisensdumot,peut

    voircequiest.Toutcequel'onenseigneempchecettevision.

    Quipourraitnousclairer sur le sens secretd'une raction, sur tellemotion fugitive, surdesdemi

    pensesnon formulesqui, touteheuredujour sous laprovocationde lavie,constituent la fois

    notresubstanceetlacldenousmmes?Quisauraitdchiffrernotrelivreintrieur,dontlessignesse

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    prcipitent lapoursuitedu temps, si cen'estnousmmes?Etestilncessaired'aller consulter la

    sagessedesgespoursavoirsinoscurssontsecsousinousaimons?

    Ainsi,vitantdenouslaisseremporterparlesprojectionsabstraitesdenotreignorance,appeles,selon

    lescas,Dieu, leBien, l'Espritou leMatrialisme, laPatrieou l'Internationale,nousconstatonsque la

    connaissancede

    nous

    mmes

    est

    celle

    des

    rapports

    que

    nous

    entretenons

    avec

    le

    monde

    et

    les

    hommes,desortequeleproblmeindividuelestsocialet,qu'inversement,lesocialestindividuel.

    Ilest impossibledenousconnatre,sicen'estdansnosrapportsavec lemondeet leshommes.Cette

    propositiondeKrishnamurtiestfondamentaleet,mieuxquetoutautre,exprimelecaractreralistede

    sapense.Nousnesaurionsconcevoiruntre l'tatd'isolement.Touttreexisteenfonctiondeses

    rapportsavec cequi l'entoure.Donc, sinous voulonsnous connatre telsquenous sommes, celane

    pourratrequ'aumoyendenoscontacts,denoschanges,denosconflits.Sinousnousisolonsdansle

    butdemditersurnousmmes,nousnousmettonsenfaitl'abridecequi,provoquantnosractions,

    nous rvlerait notre vritable nature. L'isolement serait d'ailleurs illusoire nos rapports extrieurs,

    fussentilsrduitsl'extrme,selonlegotdesanachortesetdessanyasis,existeraienttoujours.Mais

    ilsseraientfiltrstraverslacoquedeprotectionquenousaurionsorganiseautourdenous,l'image

    de notre ignorance. Nous pourrions ainsi parvenir l'quilibre, la srnit, la contemplation et

    mmel'unionmystique,maiscettatneseraitpaslaconnaissance,etleDieuquenousdcouvririons

    seraitfactice.Sinoussommesnousmmes instrumentdeconnaissance, ilnousfautsansarrtnous

    mettre l'preuve, nous voir tels que nous ragissons aux coups du sort. La vie est imprvisible,

    incertaineettendbriserlescertitudesdontonconstruitlesquilibrespsychologiques.Dieuestlaplus

    grandescuritpossible,celle laquelleonattribuelepouvoirdenousfairedurerindfiniment,dans

    untatdebatitude.Maisplusnousnousapprochonsd'unescuritpsychologique,moinsnousnous

    connaissons.ChercherDieu,ou lavrit,c'estcherchernepasseconnatre.Sinousn'allionsqu' la

    recherche

    de

    scurits

    matrielles,

    celles

    ci,

    s'croulant

    fatalement,

    nous

    permettraient

    de

    retrouver,

    unjour, la fois l'inscuritet lavie.Nuln'estmoinsvivantque l'hommedrapdans les certitudes

    spirituelles,danssafoi,danslesentimentdesonquit.Lepcheuradumoinsnotiondel'actionqu'il

    mneenfaveurdesesbutsparticuliers,contrelesautreshommes.Cettenotionlemnerapeuttreun

    jour la connaissance.Mais ilarriveque ledfenseurdsintressd'unebonne cause, croyantque

    sincrit est vertu, agisse pour les uns, contre les autres, s'efforce de faire triompher ceci, par

    oppositioncela,et,semblabledelasorteaumilitantleplusstupide,quinemanquejamaisdejustifier

    sesviolences,soitunartisanduchaos.Nesaisissantpas,danssesrapportshumains,lesoccasionsqu'il

    auraitdeseconnatre,maiss'identifiant,individu,unecausecollective,etpassantsontempsjuger,

    approuveret rprouver, ilse trouvequ'endernireanalyse,plus sonactionestvive,moins ilse sent

    responsablede

    la

    confusion.

    Et

    l'on

    peut

    se

    demander

    pourquoi

    nous

    alinons

    notre

    responsabilit,

    notrematuritmentale,aupointd'oublierquenotrepremierdevoirn'estpasd'agirenaveuglesmaisde

    nousconnatre.Considrerquelaconnaissancedesoiestunebrancheabstraitedelaphilosophie,sans

    utilit pratique, c'est s'avouer irresponsable. Un quelconque tcheron, manipulant un outil ou un

    instrumentqu'iln'auraitpasprislapeinedeconnatre,sesentiraitresponsabledesonchec.Mais,par

    unesorted'aberration,nousagissonsdanslemondeaumoyendel'instrumentlepluspuissantquisoit,

    etleplusprochedenotreobservationnousmmesenadmettantaprioriqu'ilestimpossibledele

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    connatre.Lamassehumaineplongeencoresiprofondmentdansl'ignoranceetl'inconscience queles

    personnes lesmieuxdoues se laissenthypnotiserpar leprjug selon lequel l'tatde connaissance

    absolueestinaccessiblel'hommenormal.Oncroitquel'onpossdeunemeimmortelleouqu'elle

    n'existepas.OncroitunCrateurou l'volutiond'unUniversquise trouvetre lonne sait

    comment.Comme sicroireavaitune signification.Comme sinier la croyanced'unautreavaitun

    sens.En

    fin

    de

    compte,

    chacun

    s'tablit,

    au

    sein

    du

    mystre,

    dans

    une

    enceinte

    fortifie,

    limite,

    but

    et

    raisond'tred'uneresponsabilitparticulire,troiteetmeurtrire.

    Sesentirresponsableentotalit,etnonenpartie,estuneraisonncessaireetsuffisante pouradopter

    la connaissance de soi comme valeur unique, individuelle et collective. Cette fusion nous permet

    d'tablirqu'aucunproblmen'ade solution sur sonplanparticulier, car cette solutionn'estqu'en la

    causeduproblme :elleesten lui,du faitqu'ilestparticulier.Maisenconsidrant leshommesdans

    leurunit,etl'hommedanssonintgralit,onagitaudeletaudessusdesproblmes.

    L'extrmecomplexitdumondemoderne,compartimenteentrelesmainsdesspcialistes,chappeau

    contrle de l'homme ordinaire. La production et la distribution par exemple (qui touchent chacun

    directement), comportent une quantit incalculable d'lments. Ceuxci, appartenant chacun une

    branched'tudes,mettentenjeulessciencesconomiques,socialesetpolitiques,laquestiondutravail

    etducapital, l'organisationde l'industrie,ducommerce,de l'agriculture, l'histoire, lagographie, les

    mathmatiques, laphilosophie,bref, l'ensembledesconnaissanceshumaines,dont l'applicationrelve

    de thories contradictoires, soutenuespardesexpertsquine s'accordententreeux suraucunpoint,

    saufsurl'impossibilitdeproduireetdedistribuerlesbiensdecemondesansconflits,desortequela

    basecommunede leurssystmesest laviolence.Or, ilestvidentque leshommesquelconques, les

    noninitis toutes ces sciences, ne possderontjamais la totalit des connaissances de tous ces

    experts.Estcedirequelasituationnousachapppourtoujours?Qu'elledpasselechampdenotre

    comprhension

    ?

    Regardons

    la

    dans

    son

    ensemble,

    d'un

    point

    de

    vue

    direct,

    simple,

    humain.

    Nous

    constatons tout d'abord qu'il est facile de beaucoup produire. Si l'humanit travaillait plein

    rendement, nous aurions, en quelques semaines, un amoncellement inimaginable de biens de

    consommation. Par ailleurs, des centaines de millions de personnes, ayant besoin de ces biens, les

    absorberaientimmdiatement.Odoncestleproblme?Laproductionn'estpasunproblme,car

    sionlalaissaitsedvelopperselonsesmoyens,elletendraitversl'illimit.Pourlaconsommation,ilen

    est de mme. Mais, entre les deux, se situe, disent les spcialistes, une muraille mystrieuse et

    infranchissable. Ilsnevoientpasqueceproblmenepeuttre rsolu,du faitqu'humainement il

    n'existe pas. Les spcialistes ne mettent pas son existence en doute. Ils s'efforcent donc de le

    rsoudre, sur son plan particulier. S'ils examinaient la situation du point de vue qu'auraient des

    rfugissur

    une

    plante,

    qui,

    n'attendant

    de

    secours

    d'aucun

    ciel,

    dcideraient

    de

    se

    partager,

    de

    mettre en commun ce qu'ils obtiendraient de la nature, les mots prix, achats, vente,

    sembleraient stupides. Et ils le sont, mme techniquement. En effet, ds qu'une guerre clate, ils

    disparaissent, sont inexistants, se volatilisent,dans l'incr.C'est lque se trouve letproblme : en

    dpitdesdmonstrationsdestechniciens,iln'estpasmatriel,ilestpsychologique.

    Nous voici revenus la connaissancede soi,et lancessitde sortirdes cadreso les spcialistes

    enferment arbitrairement les questions qui nous concernent. Ce formidable appareil technique, ces

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    difficults conomiques et financires, ces rouages innombrables et inextricables, sont les trucages

    grceauxquelsnosdirigeantsnousinterdisentl'accsdeleursconciliabules.Ilsseparentdeleursvaines

    comptences pour nous signifier des tabous. Et nous, la fois crdules et dsabuss, rsigns et

    rvolts,nesachantonicommentagir,nousnouslaissonsentranermenernotrecombatlonous

    nesommesquelacontrepartie,lapartieoppose,danscejeudedestructions.Quenoussoyonspourla

    droiteou

    la

    gauche,

    pour

    l'Occident

    ou

    l'Orient,

    pour

    l'esprit

    ou

    la

    matire,

    Krishnamurti

    nous

    montre

    quecesontldesractionsdictesparnotrepropreconditionnementetquenosarmesnevalentgure

    mieuxquecellesdenosennemis.Mais,aussittquenousacceptonsdefairedelaconnaissancedesoi

    unevaleur,unmondenouveau s'ouvrenous, car,cessantdenouscompartimenteretde subirnos

    difficultsrpartiesencatgories,nousnousintgronsennousmmesetenl'unithumaine.

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    L'HUMAIN

    Laconnaissancedesoirsultespontanmentd'unintrtpassionnpourlemondetelqu'ilest,pourles

    personnes,

    pour

    tout

    ce

    qui

    vit.

    C'est

    une

    intensit,

    une

    communion

    qui

    est

    amour.

    Le

    psychisme,

    dans

    ses prises de conscience sans cesse renouveles, se trouve projet au del de la coquillequi l'avait

    enfermdansuneautoperceptionfaitedesespropreslimites.Etcettemtamorphose,cettemutation

    n'aplus aucune relation avecdes valeursdites spirituelles, tellesque le salutpersonnel, l'injonction

    d'aimerlesautrescommesoimme,lanotionquel'onestunemeimmortelle,unetincelledivine,

    outouteautrevaleurditereligieuse,fondesurledsirdes'identifierunedureindfinie.

    Cettelibrationdupsychismenielesautresvaleurs,dufaitqu'ellelesaccomplit.Ellesdoiventmouriren

    elle, la faond'ungraindans labonne terre,afindedonner leur fruit.L'ensembledesexpriences

    humainesqu'elles interprtent,dfinissentetprtendentguider,doitse rsoudreenelle,enunacte

    crateurd'autorvlation.Ceque l'onappelle lamarchede l'humanitversunavenirappuy sur le

    pass,setrouve,avecKrishnamurti,projetaudeldelancessitdel'exprience,danslangationde

    ladure.C'estlanotionmmedudevenirquisetrouvecondamneparlaconsciencehumaine,dontles

    couchesstratifies,transpercesd'uncouppar laperceptionaigudecequ'ellessont,disparaissent

    ellesmmes. Les voies dites de la connaissance proposent un but, une ascse, une imitation, une

    discipline, et sont, par consquent, susceptibles d'tre exposes et dcrites. Mais la perception

    immdiateetdirectede cequiestn'estpasunevoie,n'estrienque l'onpuissedcrire.Decefait,

    cetteconnaissanceestdifficileexpliquer.Ladifficultn'estpasenellemaisentouslesobstaclesque

    nous luiopposons.D'o l'aspectngatifde la faondepenserdeKrishnamurti,par lequel les fausses

    valeursseretournentcontreellesmmes.Maiscettedestructionn'estque ladmolitiondebarrires,

    encorequ'elleaitlecaractred'uneinvitationunemortpsychologique.Elleleseraitsionsel'imposait.

    Uncroyant,profondmentidentifisafoi,supposequel'oncommettraitunvritableassassinatsion

    l'amenaitneplus croire. Ilprotgeavecacharnement,avecangoisse, sa conscience chrtienne,ou

    brahmanique ou de toute autre appartenance, tant persuad que si elle venait s'apercevoir de

    l'erreurquesontces limitations(par lesquelleselleseperoittant)ellesombreraitdansunabmede

    nantetmourraitdemalemort.Cette ide l'pouvante tort. Il yauraitmort,bien sr,maisaussi

    quelle rsurrection !S'ilyacomprhension, ilyasimultanment rsurrectionetmortet l'onensort

    invulnrabledanslamesureol'onatatteint.Ilesttoutefoisinutiled'encourirunemortenvue

    d'unersurrection.Unemortd'unesortenousattendentouslescas,etl'onnevoitpaspourquoionla

    fait tantattendre,sicen'estpourchercher la tromper,en faireunpassagetravers lequel le

    pass,

    qui,

    lui,

    est

    mort,

    parviendrait

    se

    prolonger

    en

    un

    futur

    qui

    ne

    serait

    que

    sa

    projection.

    Tout

    ce

    quoinouspouvonspensern'estencorequedupass,devientpassensoimmedsqu'onserepense.

    Et cette rptition, de concepts, de reprsentations, de croyances, de disciplines, de mditations,

    mesurenotre fuitedevant l'invitable.S'ilenestainsi,pourquoitantnousdrober?Pourquoinepas

    mourir,aufuretmesure,endeperptuellesrsurrections?Pourquel'espritsoitfraisetneuf,n'estil

    pasnormaldefairemourirchaqueexpriencequipasse?Ouestonsiincertain,sipeusrdes'entre

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    22

    nourri qu'on l'emmagasine, qu'on l'entrepose, qu'on s'en encombre jusqu' n'tre qu'une

    personnificationd'habitudes?

    Iln'yapasdediffrenceentres'ouvrir lamortets'ouvrir lavie.Demme,refuserdemourirc'est

    refuserdevivre.Lamortetlaviesontledoubleaspectdecequin'anipassnifutur,del'intemporel.

    Lescroyants

    en

    la

    matire

    ou

    en

    l'esprit

    enseignent

    que

    la

    privation

    du

    prsent

    prpare

    une

    vie

    meilleure sur cette terre ou dans l'audel. Pour les uns, le salut sera collectif ; pour les autres,

    individuel. Selon nos gots, notre plaisir, notre ducation, nos tendances et, en gnral, notre

    conditionnement,nousaccordonsune valeurde ralitaux systmesquientreprennent le salutdes

    corpsoudesmes,commes'ilsexistaientobjectivementendehorsdenotrecroyanceeneux!

    L'tatdeconfusiondesspcialistesencedomaineestplussubtilqueceluideshommesd'affairesetdes

    politiciens, et les raisons que nous avons de nous faire exploiter par eux sont plus profondes, plus

    secrtes.Celuiquimanquedepainimagineunfuturparadis,surterreoudansl'audel,olepainsera

    enabondance.Ainsi,chacunsecomposeun tableaudubien,selon l'image renversed'uneexistence

    qui luiparaitmauvaise.Cettengationdecequiest,de laprivationdans leprsent,estrelleentant

    quengation,nonentantquemonde:lefaitestl'vasion,nonleparadis.Elleexistedansleprsent,il

    estremisplustard.Donc,cequiestorganisparlesystmeconomiqueoulafoi,c'estl'vasion,non

    leparadis,caronnepeutpasorganisercequin'existepas,maisnotrecrdulitenvued'tablirunbien

    imaginaire se prte toutes les exploitations. Ceux qui subissent une certaine dictature veulent

    imposer la leur. Ceux qui refusent de se laisser faonner l'esprit d'une certaine faon prtendent

    imposerunfaonnementquiressembleaupremiercommelengatifd'unephotographiesonpositif.

    L'ensembledespoursuitesdecesbuts imaginaires,que l'onappelle ledevenir,nousprcipitevers la

    destructionde l'humanit.Parquelssortilges,envertudequelstaboussacrosaints,confionsnous la

    cldecesparadisillusoiresdesautorits?

    Nousavons

    tort

    d'tudier

    leurs

    systmes

    et

    leurs

    thologies,

    leurs

    dmonstrations

    et

    leurs

    rvlations,

    puisqu'il est vident qu'ils se contredisent tous, et que, dans un camp ou dans l'autre, les seuls

    convaincus sont ceuxquiveulentbien se laisser convaincre.Noustudieronsavecbeaucoupplusde

    profit les raisons qui nous font adopter tel systme, embrasser telle foi. Elles nous rvleraient le

    conditionnement de notre pense et de notre champ affectif. Les philosophes et les thologiens

    construisentdes reprsentationsde l'homme etde l'Univers,et se laissent ensuite faonnerpar ces

    systmes,commesiceuxcin'taientpas,d'abord,faonnspareux.Lapenseestcapabledetoutesles

    abstractions. Elle exprime des concepts qu'elle intitule Etre, Absolu, Eternit, etc... et le penseur

    s'imagineensuitequecesprojectionsrenversesdesonignorancesontdesralits.Maislavritn'est

    pas lecontrairede l'ignorance.L'ignoranceconsisteenceci,quecepenseur,pluttqued'explorer les

    dsirssecretsetlesmobilesinavousquilepoussentcroiresonsystme,prfredemeurerdanssa

    croyance,sacertitude,safoi,quinesontpasconnaissance.Celleci,tantl'autorvlationduprocessus

    totaldenotreconscience,necomporteniconcept,nidogmes,nireprsentationdumonde.Ainsi,toute

    philosophienuitlaconnaissance.

    Connatre,c'est,danslefluxsanscesserenouveldelavie,constaterchaqueinstantcequiest.C'est

    doncadhrer tous les changements,auxmodifications lesplus subtilesdenotremondeetdenos

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    relations avec ce monde. C'est avoir un psychisme en mouvement. Voil pourquoi tout bagage est

    nuisible.Toutlmentprtabliennotre conscience l'empchedebouger.Une conscience, richede

    facults mais vide de points de repre, discerne les cristallisations de la mmoire qui tendent

    l'encombrer. La perception d'un obstacle le volatilise, et c'est dans le dgagement instantan, dans

    l'clatement de la force Vitale qu'il emprisonnait que rside la flicit de la connaissance. La

    connaissanceest

    cette

    flicit,

    cette

    libration.

    Iln'y

    arien

    l

    qui

    ressemble

    une

    encyclopdie

    ou

    une

    doctrine.Toutcequiestconnaissancedoittre l'objetd'uneconstatation,afinque lavie, inconnue

    ellemmedanscequ'elleseratoutlheure,puissetrevcue.Ilenrsultequechercherconnatre

    l'inconnaissable,ainsiquenousyinvitentlesthologies,estabsurde.

    Direquesilemondeexistec'estparcequeDieulacrouparcequeBrahmanlerve,c'estpulvriser

    le mystre de l'existant au regard de l'intellect par l'adjonction de deux ou trois concepts

    inconcevables, dont le pouvoird'envotement est d leur caractre anthropomorphique. Sijeme

    dfinis crature, ou tincelle divine, ou rve dans l'Atman,je provoque en moi une ide, vague et

    motionnelle,demarelationavecleSuprme.MaisjenepeuxpensernilemotSuprme,nicequ'il

    estcens

    dsigner.

    Envrit,ilesttrsdifficiledeparvenirrencontrerl'Impensablefaceface.C'estuneexprienceque

    peudepersonnesaffrontent,carlesurgissementdel'Intemporelincrestunabmeaubordduquella

    penseestmuette.

    L'tat intemporeldecration spontanen'anipassni futur.Maispouvonsnous connatrecettevie

    libre si nous nous enfermons dans des forteresses psychologiques ? Nous nions que, l'on puisse

    connatreleconnaissable,etpartonslarecherchedel'inconnaissable.Ainsi,l'inconnuennous,qu'est

    notre gouffre d'ignorance, prtend s'unir l'inconnu qu'est la vie cratrice ! L'ignorance consiste

    ignorersescauses,etcellescisontconnaissables.Dsqu'on lesperoit, l'ignorancen'estplus,et l'on

    permetl'inconnaissable

    d'tre.

    En

    vrit,

    on

    le

    met

    en

    existence,

    on

    le

    cre.

    L'ignoranceestsynonymededure.S'veillercetteperceptionestunacted'adulte.Depuis l'enfance

    jusqu' cette grande maturit, nous avons parcouru toutes les tapes du dveloppement de la

    consciencedel'humanit.Al'veil,nousconstatonsquenoussommes,chacundenous,l'aboutissement

    de latotalitde laduredumonde.Ainsinotreconscienceestunabmeellemme,puisqu'elleest

    prise dans un devenir auquel elle est incapable d'attribuer un commencement ou un non

    commencement.Nanmoins,nousnousidentifionscettedurependantlesannesquenousexistons,

    de lanaissance lamort. Le longde l'norme,de l'indfinie chaneduTemps,entirementplonge

    dans lestnbres,nousdblayons lesquelquesmisrablesmaillonsdenosannes,et lesrigeonsen

    entitsdont

    nous

    imaginons

    qu'elles

    sont

    le

    fil

    unique

    et

    permanent

    de

    nos

    jours

    enfils

    en

    collier.

    Nous

    voulons bien accorder ce moi la facult de se modifier, voire de se transformer. L'enfance,

    l'adolescence,l'geadulte,lavieillesse,accumulentdesexpriencesheureusesoumalheureuses,lavie

    nous frappedemille faons,nousmodifionsnosopinions,nospointsde vue,nousallonsjusqu' la

    conversion,jusqu'n'trepluscequenoustions,maisnousavonstoujours lesentimentquec'est la

    mmeentitquiest l, lafaond'unvoyageurquidesaventuressontarrives.Or,cettedure

    cette illusion est la personnification mme de l'ignorance, puisqu'elle ne peut se constater que

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    commeunetrveinsignifianteentrelesmystrieuxabmesdupassetdufutur.Cesdeuxmystressont

    absurdes,puisqu'aucunede leurssolutionsn'estpensable :ni leurcommencementet leur fin,ni leur

    noncommencement et leurnonfin.Ainsi lemoi est lapersonnificationd'un impensable. En vuede

    s'attribuer laRalit, l'Etre, ilne luirestequ'tricher.S'vadantdans l'abstraction, ilsepersuadeque

    l'Eternitestunedureinfinie,cequin'aaucunsens.

    Lavritestquelemoi,incertainettroubl,ignorantsonorigine,safin,sonbutetsaraisond'tre,est

    la recherched'unapaisement sous formededistractionsoude scurit.Au trfondsde luimme, le

    videqu'estsonessencesetraduitenunmlangecrueletcontradictoired'aviditetdepeur.Sicevide

    estrelativementfaciledcouvrirloilprenddesaspectsquenousrprouvons,ilsait,sedguiser

    notreusage,defaon,attirernotrerespectetnotredvotion.Ilseparedesplusgrandsmotsetdes

    idals lesplusexalts, imperturbabledevant le faitquenosennemismettentnos valeursenpices,

    commenous les leurs.Unevertuquiseconoit l'opposd'unmals'appuiencessairementsurune

    image,unethique,unjugement,c'estdire surunecertitudedont l'tablissementestunescurit

    psychologique,mmepour lehrosquiva samort.L'abngation, le renoncement, le sacrifice, font

    partiedes

    stratagmes

    qu'utilise

    le

    moi

    pour

    s'affirmer.

    S'il

    se

    reconnaissait

    tel

    qu'il

    est,

    qu'aurait

    il

    sacrifier?Sacrifietonl'ignorance?

    Mais,sansallersi loindans l'examendesvaleurs lesplusexaltes,etpuisque lemonden'estmenni

    par des hros ni par des saints, peuttre seraitil profitable d'introduire la connaissance de soi par

    l'examendelascuritquenosdirigeantsspirituelsettemporelspoursuiventaudtrimentdelantre.

    Ilyalieudenousdemandersinousnesommespasvictimesdecemiragedanslamesureoils'loigne

    denous,jusqu'fabriquerlittralementcesdirigeantsl'imagedenotreterreurpanique.

    Lapoursuited'unescuritpsychologiqueanticecioucelanousmetdansuntatdepsychosequi

    dtruitlaseulescuritraisonnableetrelativelaquellenouspuissionstendre,celledelaviematrielle

    del'humanit.

    Les

    masses,

    affoles

    par

    la

    propagande,

    sont

    rduites

    ne

    plus

    penser.

    L'norme

    pte

    psychologique,dontellessontfaites,se laisseptrirpar lesmensonges lesplusgrossiersets'tourdt,

    commeellepeut,dans lesbruitset les lumiresdesgrandesvilles.Cesmassesontacquisune facult

    illimited'absorptionpsychologique,quin'estque le transfertdebesoinsphysiologiques frustrs,de

    sortequ'ellestransformentlesvaleursditesspirituellesenvaleurssensorielles,aprsquoil'ons'tonne

    ducynismegnral.

    Au milieu de ce chaos, il est ncessaire et urgent que chacun se situe et value la porte de son

    comportement. Si la scurit psychologique n'existe pas, si elle n'est qu'une image renverse de la

    ralit,silavieestinscurit,commentetsurquellesbasespsychologiquesvivonsnousenfait?Nous

    nousdonnons

    une

    raison

    d'tre

    et

    de

    devenir

    ,

    soit

    pour

    dgager

    de

    l'inconscient

    un

    but

    qui

    ne

    nous

    apparat pas clairement, soit en nous donnant une succession de buts conscients. Si nous nous

    fabriquonsdesbutspartiels,ilsnesontvidemmentpaslatotalitdenotreraisond'tre,etpeuventse

    situerdansundevenir.Maissinoussituonsnotreraisond'tredansundevenir,nouslanions.Alesbien

    examiner,aucunedesjustificationsdudevenirn'estvalable.Remettre l'espritdevritdemainc'est

    imaginerque,danslasuccessiondesnombres,ils'entrouveraunqui,brusquement,sauteral'infini.En

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    fait, l'hommeest lepointderencontredudevenir etde l'tre,ouplutt leurpointdedispute,car ils

    sontinconciliableset,pourquel'tresoit,ledevenirdoitcesser.

    L'tre humain isol dans sa conscience individuelle est la totalisation des affranchissements qui,

    travers les sicles ont abouti lui. Au cours de cette volution, il y a eu lutte constante, entre la

    ncessitde

    vivre

    dans

    le

    milieu

    et

    celle

    de

    survivre

    ses

    bouleversements.

    Le

    milieu

    est

    l'ensemble

    de

    lanatureetde la socit.Plus celleciest stable,plus l'individuest rduitunlment fonctionnel.

    Lorsqu'iln'yapasconflitentrelasocitetl'individu,celaveutdirequeceluiciestadaptjusqu'avoir

    perdu toutepossibilitdechangerde fonction.Celaestassezapparentdans lescasteset les classes

    sociales, lorsqu'elles sont rigides.Ds lors, en casdebouleversement, les individus tombentdans le

    dsordreetlaconfusion,etlasocit,dontlesfonctionssesonttropspcialises,meurt.

    Etpourtant,l'trehumainalafacultdetransformersonmilieuetd'entretransformsontour.Sa

    conditionn'estpas fixedansdes limites psychiques.En fait,ces limitesn'existentpas.L'hommeest

    capabledepassertravers lescouchesstratifiesde laconscienceconstitues,par l'accumulationdu

    pass. Il peut briser ses adaptations et se retrouver adaptable et neuf dans un monde boulevers.

    L'Humainestuneperptuellegestation,unepousse,parfoisviolente,quidmolit ttou tardcequi

    s'oppose elle, les organisations sociales, les cadres, les systmes, les impositions matrielles et

    morales.

    Mais, dit Krishnamurti, ce qu'il faut, c'est tout autre chose que des rvolutions sociales, des

    soulvementssanglants,desguerres,desmassacres,desdestructions,desviolencespours'emparerdu

    pouvoiretpourleconserver.Cestragdies,envrit,nefontquedonneraupassunecontinuitsous

    uneformemodifie.Cequ'ilfaut,c'estunervolutionprofondeetsilencieuseennousmmes,dansle

    processus mme de notre pense, dans la perception que nous avons d'tre. C'est une mutation

    brusque,unsautqueKrishnamurtinousinvite,lorsqu'ildclarequel'hommedanslevraisensdumot,

    l'hommenormal,

    n'a

    pas

    de

    moi.

    Les

    hommes

    isols

    dans

    leur

    conscience

    individuelle

    sont

    un

    tat

    critique,unpassage,ensommeunesousespceouuneprhumanitqui, l'examinersanspassion,

    n'estpasviable.Envisagainsi,Krishnamurtin'estpasuninstructeurmaisuneprsence.Ilcomposede

    manire indescriptible l'unique et le normal. Il est ce qu'il dit : on chercherait en vain en lui la

    manifestationd'unmoiquin'estplusl,etceprodigenoussurprenddenepasnoussurprendre.Cette

    prsenceestinvisible,impossibledfinir,elleest,parrapportnous,l'extrmesimplificationdenotre

    propre synthse. L'aboutissement de nos recherches est plus prs de nous que ne l'taient nos

    ttonnements.L'liminationdenosessaisprcdentsseproduitspontanmentennous,aussittque

    survientlaralisation.AuprsdeKrishnamurti,nousnesommesquedesprcurseursdel'humain.Nous

    leprcdonslafaond'uneespceantrieurelui.Nosluttes,nossouffrances,nosaspirationsenvue

    d'une dlivrance l'ont annonc, prpar, engendr. Mais, auprs de nous, Krishnamurti est dj un

    prcurseur de l'humain. Il nous prcde pour avoir dj franchi le seuil. En ce double sens du mot

    prcurseur,ledevenircesse.Ilyaconjonction.

    Riennepeutnousdmontrerlapossibilitdecetteunion,sicen'estl'examendeladistanceirrelleque

    nous avons cre entre nous et nousmmes. Cette perception ne peut tre l'objet d'aucun

    enseignement,puisque lesdoctrinesseproposentdenous faire franchirun intervallequin'existepas

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    ou,pluspernicieusesencore,leveulentinfranchissable,humainici,ldivin.Krishnamurti,aucontraire,

    depuislepremierjouroiladclarsaralisation,necessedenousdirequ'elleestlafoistotaleet

    laportedetout lemonde,soitqu'ilaffirmequetouthomme libratteint lavritcommeunChrist

    ou un Bouddha, que cet accomplissement n'est pas rserv un petit nombre d'initis ou de

    surhommes, mais qu'il peut tre atteint par chacun, soit que, plus tard, bousculant la logique

    rationnelle,ilrduise

    nant

    la

    loi

    de

    cause

    effet

    ou

    que,

    critiquant

    toute

    action

    sociale

    manant

    d'une ide, il qualifie de rgressives les rvolutions aussi bien que les rformes. En dpit de ses

    auditeursquiluidemandentdutempspourcomprendre,pourmrir,pouraccueillirunmessagequileur

    semblese situeraudelde leurdegrd'volution, il s'obstinenier l'volution, ladure, ledevenir.

    Cette insistancejamais relche, toujours constante ellemme est labase, l'essencede sa vrit.

    Quelles que soient les raisons que l'on puisse se donner pour concilier Krishnamurti et un but

    atteindre,une recherche,uneascse,uneffort versun idalhumainouuneperfectiondivine,elles

    n'exprimentquelerejetdesaralit.

    Ainsi,c'estunemutationpsychologiquequenous inviteKrishnamurti,et ilnousproposeceteffet

    unemthode

    qui

    consiste

    prendre

    conscience

    de

    nos

    conditionnements

    psychiques,

    lesquels

    nous

    rvlent leur signification, pour peu que nous leur accordions un intrt suffisant, et suffisamment

    dsintress, impartial,dans lecourantdenotrejourne, sous lecoupdesprovocationsde lavie.La

    difficult rsideen cequenous sommes identifis ces conditionnementsaupointqu'ils sontnous

    mmes,qu'ilssontnotremoi,desortequ'enfait,ilsnepeuventpasnousrvlerleursignification,

    maisselarvlereuxmmes,carnousnepouvonsgurenousrigerenspectateursdenousmmes

    sanscrerunsurspectateur,etainsidesuite,adunum,dans l'abstractionmtaphysique : leprcd

    estconnu.Cen'estpasainsiquel'onbriselecerclevicieuxdumoi,carl'analysenefaitquelerenforcer.

    Maissil'onveutbiens'emparerdecequeKrishnamurtinousoffredeplusncessaire,l'instantprsent,

    l'treintemporelsanspassniavenir,ons'aperoittoutdesuite,etpeuttrenonsanssurprise,quele

    moiet

    le

    prsent

    ne

    se

    rencontrent

    jamais.

    Le

    moi

    ramasse

    tous

    les

    lments

    du

    pass

    dont

    ilpeut

    se

    servir,etlesprojettedanslefutur,encomposantceteffetdesimages:lesobjetsdenosdsirs.Etnos

    rves, sensuels ou spirituels, nos poursuites, relles ou imaginaires, ne sont que des stratagmes

    destins nous donner le sentiment d'une permanence dans une dure. Mais ds que notre

    pntrationclairel'improviste,brusquement,enuninstantvcu,cetteextravagance,onlacherche,

    ellen'estplus let,enses lieuetplace,estune lgret,unedlivrance,uneflicitqueriennepeut

    dcrire.

    Certes, les rves, lespoursuites, lesdsirs inassouvis reviendront,armsdenoshabitudes,denotre

    paressed'esprit,denosvices.Uninstantvculesremettraenfuite.Ilsreviendrontencore,maisdjun

    peudiffrents.

    Ce

    flux

    et

    reflux

    peut

    durer

    longtemps,

    surtout

    si

    l'ge

    nous

    adj

    faonns

    et

    cristalliss. Nous pouvons changer intrieurement d'une minute l'autre, mais il faudra peuttre

    beaucoup de patience et de persvrance pour que l'ordre se rtablisse sur tous nos registres

    psychiquesetphysiques:Krishnamurtilesaitfortbien,etn'opreaucunmiracle.L'tatdeconnaissance

    est une rflexion soutenue, une mditation constante, un discernement attentif. L'tablir, c'est

    l'instaurertouslesinstants.

  • 8/8/2019 Carlo Suares Krishnamurti

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    La perception du prsent est efficace, du fait qu'elle agit sur toutes les couches stratifies de la

    conscience, en traversant lesdiffrents cloisonnementsqui les isolent lesunesdes autres, en zones

    superposes.Cesontcessparationsquiconstituent, lemoi.Ellestablissentdesbarragesentreune

    rgion et l'autre, et ce blocage se peroit luimme en tant qu'entit. A la faon d'un parasite, il

    s'empare de nos facults cratrices. Ce dispositif en cloisons est le processus invitable de notre

    croissance,et

    de

    notre

    maturation.

    Les

    psychologues

    le

    connaissent

    et,

    constatant

    que

    d'une

    couche

    l'autre de notre conscience les missions se transmettent mal et de faon souvent mystrieuse,

    cherchentdchiffrerleurscodesdesymbolesetderveset,parl'analyse,retracentdanslepassles

    causesdecesperturbations. Ilsnormalisentainsi lescommunicationstravers lescloisonnements

    quidemeurent:ilarrivealorsl'ensembledeceprocessusunifides'identifieruneimagetrsprcise

    deluimmeetdesonfonctionnement,etlemoiestconsolidparcesexplicationsetcesjustifications.

    Il se sentadapt.L'angoissede sacontradiction intrieure secalme.Ainsi l'analyseestun facteurde

    rgression.

    Mais selonKrishnamurti et l'expriencenous le prouve ces cloiso