carl schmitt: aux confins de la politique ou l'âge de la neutralité

7/23/2019 Carl Schmitt: Aux confins de la politique ou l'âge de la neutralité

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Aux confins de ta politique

ou iàge de !a neutrahté~

Peuples de l'Europe centrale nous vivons sous t'œil des

Russes. Leur regard subti) a perce l e secret des maximes et desinstitutions du xix" sieete. Doués d'une énorme vitalité, ils par-

viennent a s'emparer de nos connaissances et de noire techni-

que et s'eti font des armes. Leur courage fondé sur un goût

aveugie pour le rationalisme, leur force constituée par leur

attachement a l'orthodoxie, sans distinction entre les choses

bonnes et mauvaises, sont leurs vertus dominantes. Ils ont

su accommoder le socialisme aux besoins de l'âme slave et cet

événement, comme l'a écrit prophétiquement Donoso Cartes

en 1848. devait être te fait décisif de notre siecte.En K)29, nous avons laisse voir par mille symptômes que

1. Nous sonnnes convaincus de répondre auxdcsirsdc nos tectcurs enleur donnant ht primeur [te <;uc!([Ucs p.it{es détachées d'un livre de M. Carl

Schnutt, prn)\:s.sL'ur H ['UniversiH de Uer)in. sur les « C"ns!dur.)tions poli-t~[ues~~LSchi~~p~~p~r~~d~iS~r~h'~[t~~]~gr~~mmLrcflotL'tisct~nemcut~hidrnItdL'H~ens.ï~chvTc.fxcc'ttcmtnrDttt'nduit

p:)r tes soins de M. Cne\'dan<ei!oussc],v;t paraître prochninctncnt a

Paris.Cette t~tudcnnus

paraît ~urtnutcurieuse car tout a fait

sytDptonutliquedel'cspr!ta~einnnd:ie'.t<\Vt'itf)nst:))au[]ngcn))–iescu!)('t'pt.i()nspt]i]()so-

phnj[uc';tQuc!u)r.l!'()rdt'c)mt\'e]'m']apht]csop!nGd(;Ihjsto))'G–dcniL'Lircnt]ecL'nt.rc()L' prc<)ccup:tt!f))],!epoii]tdemiredeJ'ame!i)k'ni:H]d(.SI)f'inque nous soyons de contester ic haut intérêt de ces vastes syn)i)c.'ies doetri-na)cs. il n~us 'i~m!)!c fjut:, dctuurnaHt.asscx souvent les esprits so'fuaniquesdt't'!in.dysp<)t)jL'ctn'ùetd!)'cctedL".faits,ei)esncso]~tpas'U)spr['sfnter ['f'rtau]dHn~er.Nnuscrait;))oni..aussif[Uûtctc'n]pcrnm('nt«ron)ant!<p)e)),ausc'nsa]!cniat]ddumot.dont c'Hc-stL'!Hoi~)]cnt,t~c rendent parfois!acom-

prci]ens!on de la pensée germanique difficitc aux peupjes d'esprit i~tit! quenous sommes–et eeet ne manque pas d'avoir parfois sa répercussionfâcheuse dans les relations internationajes.

Mais ces reHevio~s ne peuvent qu'ajouter !i t'interet des pages qu'on vatire.–N.U.L.R.



AUX CONFINS DE LA POLITIQUE

nous nous trouvions encore dans une de ces périodes de lassi-

tude qui accompagnent généra)ement les grandes guerres et

se caractérisent par d'infructueux rappels au passé. L'Europedu x!X° siècle, bouleversée par une formidable coalition di-

rigée vingt, ans durant contre la France, vit surgir, peu après

1815, une génération d'hommes semblables qui, à peu d'excep-tions près, se laissaient définir par cette simple formule légi-

~m!~ du N/nht <yuo.Dans ces circonstances-tà, il importe bien peu, en réalité,

de faire renailre un mode de vie disparu si l'on se cram-

ponne avec désespoir aux anciennes traditions, tant en poli-

tique intérieure qu'en politique extérieure, c'est simplement

parce qu'on se dit après le s/cf~u ryuo, mais que nous reste-t-il

donc Or bienLût. sous le couvert de la restauration du passé,les choses ne tardent pas à se transformer avec rapidité et,sans attirer l'attention, sans qu'il soit permis d'en fixer ni

le sens, ni la portée, de nouvelles situations prennent nais-

sance, de nouveaux rapports s'établissent. Et, le moment venu,la soi-disant légitimité s'etl'ace comme un pâle fantôme.

Les Russes ont pris au mot notre xix" siècle, ils en ont étu-

dié tout le fonctionnement jusqu'en ses moindres détails et,les

prémisses une fois

posées, ils en

ont tiré, eux, les dernières

conclusions. Celui qui ose le plus impose toujours ses concep-tions à son semblable il ie tient prisonnier sous son regardet le force à réaliser ses vues. Loin de vouloir traiter de la

situation politique de la Russie, je me bornerai à rappeler ici

un fail de toute première importance en terre russe, la lutte

contre le christianisme, par le prodigieux dévelop- pement de la technique, a été solennellement érigée en sym- bo)e dans ce vaste empire, un Etat est né qui surpasse en

raffinement et en puissance de réalisation tout ce que des princes absolus tels que Philippe H, Louis XIV ou Frédéricle Grand ont jamai essayé de forger. Or il n'est pas permis,

pour quiconque cherche a expliquer ce phcnon)éne, de perdrede vue l'histoire européenne de ces derniers siècles. Le spec-tacle de la Russie marque le dernier degré d'une évolution

qui a débuté en Europe occidentale il symbolise le couron-nement d'une idée en lui, il nous est permis d'analyser,comme à travers un verre grossissant, ce germe vivant de

l'histoire moderne de notre continent.



L'ANNÉE POLITtQUE FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRE

CJMMEXT OfAQf'H DOMAINEDE LA CONNAISSANCEHUMAINE PEUT

DE\'HN!K SU(:C)';SSIVHMEXTLE CENTRE n'ATTKACDON INTELLEC-

TUEL D'U~'); EPOQUE.

Happeions )es étapes parcourues par l'esprit humain pen-dant ces quatre (terniers siccies, les diffctcnts domaines d'où

il s'est plu a contempler tour à tour l'humanité. Ces chapessont :)t) notnhre de quatre ciïes apparaissent: d'une manière

frappante. !~tcs partent. les noms suivants Théologie, Méta-

physique, Mor:)h' et Ecnnonnc. D'illustres interprètes de ['his-

toire univcrse!)c. Vico et Comte, ont transforme ceUe obser-

vntio!~ propre :) L!nc (''poaDe déterminée de notre histoireconiinen~k', en une régie genenue présidant aux destinées

de !'hunu)nite, et i)t'n es).sof'ti la trop fameuse «toi des trois

stades x thcf'togie. métaphysique, sciences ou positivisme.

AhtveritL'.LoL~cequ'Dcs! permis d'affirmer, c'est que

i'Europe, parti!' du xv; siccip, a gravite successivement au-

tour de chacun de ces différents domaines et que toute notre

civi)isu!!on a été influencée pur ccHe évolution. Au cours des

qnaire siecies ecouiÉs. l'activité intei)ech)ei)e de nos ancêtres

nconm] quatre terrains de ralliement distincts et, de son côte,l'eiite active, qui formait autrefois l'opinion avancée, a consa-

cré tour à tour ses pensées a des domaines différents, à mesure

que les siècles se succédaient.

Ces variations servent: de clef f celui qui désire comprendre

)'esprit des générations successives. Il n'est pas question tou-tefois de con.sidL'rer ce depiacement de valeurs qui conduit

de ia th(''nio~ie :) la métaphysique, de la métaphysique à la

morale puis a l'économie, comme une théorie des dominantes.appiicahie a l'histoire générale de la pensée et de la société,ni comme une bi philosophique dans le genre de la « loi des

[rois stades~. Que nous importe ici t'histoire des civilisations

étrangères et les rythmes de l'histoire universelle ? Nous ne

nous soucions pas non plus de savoir s'il s'agit )a d'un progrèsou d'un retour en arrière. Eniin.ii serait vain de s'imaginer qu'a cote des préoccupations dominantes de chaque époque,on se dispensa de penser. Tout au contraire, il n'est pas rare

que différents stades se rencontrent à une même époque, que




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des contemporains, des compatriotes, des frères même se ré-

partissent sur les différents degrés de l'échelle. Bornons nousà retenir les faits tels que nous les livre l'observation: aucours des quatre derniers siècles de notre histoire, n mesure

que les élites se succédaient, leurs convictions et leurs moyensde preuve se sont continuellement modifiés, leur intérêt s'est

porté sur de nouveaux objets, leur manière de raisonner s'est

transformée, enfin les grandes lignes occultes de leur politiqueet les moyens de persuader les masses ont reçu chaque foisdes formules nouvelles.

Tout particulièrement manifeste est la première phase decette évolution qui évoque le passage de ta théologie duxvi" siècle à ta métaphysique du xvn", période de gloire non

seulement pour la métaphysique mais encore pour la science,ou l'on voit apparaitre l'âge héroïque du rationalisme occi-dental et ou brillent des noms tels que Suarez et Bacon, Ga-

lilée, Képler, Descartes, Grotius, Hobbes, Spinoza, Pascal,Leibniz et Newton. Toutes les connaissances mathématiques,astronomiques et scientifiques, qui ont rendu ce siècle à

jamais célèbre, n'étaient, que les pièces détachées d'un vaste

système métaphysique ou < naturel » qui les englobait tout

penseur était un grand mathématicien et la superstition elle-

même empruntait alors la forme du rationalisme cosmique ets'appelait l'astrologie. Le xvtu" siècle, reposant tout entier sur une philosophie déiste, parut oubtier la métaphysique pour se consacrer a la grande oeuvre de divulgation, aux applica-tions scieutinques, aux travaux littéraires relatant les grandsévénements du xvn" siècle, a l'humanisme et au rationalisme.Suarez continue à exercer son influence à travers les écrits

populaires du temps Put'endorM', lorsqu'il traite de la moraleou de

l'Etat, est tout

simplement l'héritier

de Suarez et leCo7t/ra/ .Soc~ n'est à son tour qu'une vulgarisation de Put'en-dorff. Le véritable « pathos du xvni" siècle réside dans son

appréciation mystique de la vertu, en allemand « Tugend« Pflicht ». Même le romantisme de Rousseau n'est pas encore

parvenu il bannir ouverL'ment la morale. L'une des mani-festations les plus caractéristiques de ce siècle se trouve danscette définition du dieu de Kant « un parasite de la moralecomme on l'appelle peu révéï't.'ncieuscment. Dans cette expres-

sion « critique de la raison pure », chacun des termes.



L'AX\ËE POLITIQUE FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRE

critique, raison et. pure, – s'oppose d'une façon rigoureuse

aux mois dogme, ontologie et métaphysique.Le xix' siecie s'est voue a une tache évidemment irréali-

sable, eu prétendant concilier les tendances esthétique et

romantique avec l 'économie et la technique.Le romantisme du xix'' siècle, – si l'on s'en tienl purement

a sa signification historique, – constitue une sorte de trait

d'union, une liaison esthétique, entre la morale du xvm° .siècle

et l'économie du x)x*' il a réussi sans peine a acquérir les

faveurs de son époque par la transposition sur le plan esthé-

tique de toutes les conquêtes de l'esprit. L'esthétique se trouve

eu cu'et sur )c chemin qui tuerie de la métaphysique et de la

monde a t'economie toute dépense

et jouissance esthétiques,k's(juc!!es touchent encore au sublime par quelque côte. ont.

nécessairement pour conséquence de soumettre l'activité iu-

telIectucHe aux lois de l 'économie et de réduire notre être à

ses deux fonctions de production eL de consommation. L'éco-

nomie est née pour ainsi dire de l'esthétique romantique.Quant a ):) technique, etk' se montre nu xfx" sieete etroitement

lice a t'economie. sous la forme de t'indusirhiiisnte. Hieu n'est

plus typique a cet ei;ard que les théories historiques et sociales

de ).t doctrine marxiste l'économie y apparait partout comme)a base fondamentale de toute, construction idéaliste. La

technique y fait sa première apparition.. Cette doctrine en effet.

distingue tes grandes époques économiques de l'humanité

d'après la méthode technique. Mais le système n'en demeure

pas moins un système économique dont l'avenir s'est chargede vulgariser les éléments techniques. En un mot, le marxisme,en tout point coni'orme à l'esprit économique, appartient bien

au X)x' siècle, lui-même essentiellement économique.

Le développement de la technique est déjà si prononce auXtx" siec!e, il a pour eti'ets une si rapide évolution des rapportssociaux, et économiques, que toutes les questions morales, so-

ciales et économiques s'en ressentent. Sous la l'ormidahie im-

pulsion de découvertes et de réalisations sans cesse perfec-tionnées et toujours ptus merveilleuses a surgi une « religiondu progrès technique tout se résout en dernier ressort par le progrès. Pour les grandes agglomérations industrielles, il

n'y avait rien de plus nature) et de plus élémentaire que cc

dogme-la.



AUX CONFINS DE LA rOD't'IQL'E

Les masses n'ont pas d'égard'. pour tout le long travail

pretiminaire nécessaire a ta formation des eHtes. Reniant subi-

tement une retit~iou qui repose sur des mystères cl la croyancedans

t'au-detu, ette.s ont

j)u, sans

transition, se créer une reli-

gion du mystère technique, une religion terrestre de Fet'fort

humain et de la supériorité de t 'homme sur les ctemcnts. Du

sentiment religieux, elles ont t'ait un sentiment, technique et,

connue son prédécesseur, ce dernier procède du mystère. Le

xx° siecte est sorti de cette foi religieuse en ht technique. On

se contente ~eneratement de t'appeier le siee!e de la tech-

nique en réalité, cette expression est mcomp)ete. Lorsquenous disons « foi reti~ieuse en la technique nous entendons

designer non seulement une situation

apparente, tuais le ré-

suHat d'une tente progression, dont seul t'henreux aboutisse-men! pouvait donner naissance a une ren~ion.

Il n'y a pas d'unité du spirituel: l'esprit d'tme époque est

hu-meme ti~' aux eu'constances politiques de fait qui ont déter-

mine cette époque. Et. de même que chaque nation fixe a son

gré et sans avoir recours a autrui ce qu'e))e entend sons ce

terme de « nation s-, ainsi chaque époque possède une notionde la cuiturc qui lui appartient en propre. Toute pensée ori-

gina!e ayant trait au

développement spirituel de t'htnnanite

doit tenir compte des circonstances déterminantes ce sontles sentes )ois qui vntent dans ce domaine-ta. A mesure quete centre d'aHraction de ta vie spu'ituctte se dcptacc, ainsi que

je t'a) t'ai) observer, au cours des quatre siectes précédents.

chaque mot et chaque concept rfcoivent des significationsdiverses, conformes aux préoccupations dominantes de L'épo-

que il est nécessaire d'en tenir compte. La ptupart de.s ma-

tcntcndus, qui ont fait ta fortune d'un certain nombre d'im-

posteurs, proviennent d'un abus du vocahutaire on ne

peut pas transposer uniquement dans un autre domaine un terme

façonne pour )a métaphysique, la morale ou t'cconomie. Les

catastrophes et tes grands événements de t'histoire. qui ontle plus impressionne tes générations passées, ne sauraient êtreentièrement étrangers aux préoccupations dominantes du

temps ie tremblement de terre, qui provoqua )a destructionde Lisbonne au xvui" siecte, nt ~'enner toute une littérature

morate, alors que, de nos jours, un te) événement n'exercerait

aucune repercussion in[e))ectueHe dans te domaine eeono-



L'ANNÉE POUTIQUE FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRE

mi(;uc, par contre. une dévaluation ou une faillite ne se con-

tentent pas d'entraîner des conséquences pratiques, mais une

vaste partie c'e l'humanité se passionne pour les problèmes

théoriques qui en résultent.Un exemple bien simple permettra de montrer à quel point

!n signification d'un mot peut varier à mesure que le centre

de gravité d'une époque passe d'un domaine à l'autre. La no-

tion du ~T'o~rcA', de t'amélioration et du perfectionnement,

aujourd'hui rationalisation, n'a pas cessé de d'agiter le

xvm' siècle, tout préoccupe de morale humanitaire. Le pro-

grès s'entendait alors des sciences morales, du développementde la personnalité, de la maîtrise de soi-même, de l'éducation

et de l'avancement moral. Dans la suite, avec le développementde l'esprit économique et technique, le progrès devient lui-

même. sans s'en douter, économique et technique et le propres

moral, pour autant qu'il suscite encore quelque intérêt, vient

se ranger derrière le progrès économique. Des qu'un domaine

possède la priorité sur les autres, toutes les questions quiintéressent ces derniers deviennent secondaires, et leur solu-

lion est subordonnée a celte des grands problèmes du jour.Aux temps où régnait la théologie (1), on avait tout dit,

lorsque les questions d'ordre théologique avaient reçu unesolution satisfaisante les autres, celles qui ne relevaient pasde )a théologie, étaient abandonnées à l'initiative privée. Or

la même tendance caractérise les époques suivantes avan-

çons-nous vers l'ugc de la morale, on ne se préoccupe plus quede donner a l'homme une formation morale, tous les problèmesgravitent autour de l'éducation nous plaçons-nous au con-trau-e sous le règne de l'économie, ici on ne se soucie plus quede la production et de la distribution des richesses, les ques-tions morales et sociales n'ont plus de détenseurs pour

l'esprit proprement technique enfin, les découvertes de la

technique servent à trancher les questions économiques et les

progrés techniques dominent font le reste.

1..t. de Mftistre en trace le tableau suivant « Lorsque toute l'Europe futchrétienne, lorsque les prêtres turent les instituteurs universels, lorsquetous )c-tft;))')issemeuts de t'Europc furent christianises, lorsque ta théologieeut pr~ pt:K'c a la tête fie 1 cnsei~ucment, et que tes autres facultés sefurL'nt rangées aut )ur d'eUe comme, ftes fiâmes d'honneur autour de leur souvemme, le ~enr humiun. étant ninsi

prépare, les sciences naturelles lui

furent dnnuees. ~a/ ~e /j)o/ e'j'f~ A*n~t eo/ï~c~'cf/ef!) Soirées,t 1, p. 3St.



AUX COM'I'<S DE LA POLITIQUE

Prenons encore un exemple le représentant, par excellence

du niveau intellectuel à une époque déterminée, le clerc, n'est

que le porte-parole des préoccupations dominantes de cette

époque. A la suite du

théologien et

prédicateur du xv<" siècle

vient l'crudit du xvil" il vit, retiré dans une république de

savants, sans contact avec ies masses. Ensuite arrive, dans un

siecte'qm n'a pas cessé d'être aristocratique, la ptciadc des écri-

vains de la grande diffusion scientifique. Quant au xfx* siècle,

on commettrait une grave erreur en s'arrêtant a i'intermede

romantique et en considérant uniquement les grands pontifesde la religion uuuveUe. Le clerc du XtX" siècle (dont le pre-mier représentant, s'appelle Kart Marx) est avant tout un spé-

cialiste des questions économiques. On peut se demander sans

doute comment le type social du clerc s'accommode de cette

mentalité économique et comment les représentants de l'éco-

nomie nationale et les syndicats commerciaux parviendront

jamais a former une élite inteiiectueUe. Quant à la technique,elle fera délibérément abstraction du clerc, comme nous le

verrons plus loin.

Ces deux exemples sont suffisamment etairs pour permettred'énoncer maintenant la ioi générale, Tous les concepts de

l'esprit et toutes les images destinées à frapper t'imagination,dieu, liberté, progrès, homme, nature humaine, domaine

privé et domaine public, raison et rationalisation, enfin les

notions de nature et de culture, apparaissent à travers l'his-toire dénués de tout contenu et placés constamment sous fac-

tion déterminante, « sous le regarda, s'il est permis de s'ex-

primer ainsi, du centre d'attraction intellectuel de l'époque.Mais J'Etat est encore le principal tributaire de ce centre

d'attraction intellectuel il lui doit ses qualités et sa force

de lui dépend en effet l'orientation du couple ami-ennemi (1).Aussi longtemps que la théologie a occupé )a place dominante,!e principe cH/~x y'c~to e/u.! religio a revêtu une portée poli-tique, qu'i) a perdue dans )a suite. Mais. avec )a formation des

nations, cet axiome reapparut sous la forme du principe desnationalités (c~A' ;'f~o ej'7.< 7:ff/o), et il est possible, encore,

1. Le couple Hnn'-cftnt'n! est, selon tu doctrine de M. Cnr) Schmitt, lefondement: de !a politique, comme le ]j!un et te mal sont le fondement de

ta momie.



L'AXXÉE POLITIQCE FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRE

de te distinguer très nettement sous le règne de l'économie lors-

(ju'on vient nous dire que, dans un seut et ineme Etat, il ne

peut pas y avoir deux systèmes économiques conlraires. Ainsi

le capitaiisme et le communisme s'excluent. Apres que t'Etat

soviétique a réussi a tirer un parti si avantageux du principe<'t;N. /'<'<o e/f; f;r~no7)t< it est bien permis, je crois, d'y voir

l'expression d'une loi ~(.ncm]e dont l'application varie évidem-

ment selon !a nature du L'entre d'attraction inieHectuel donne,mais dont ta p'rtëe dépasse de loin les guerres de religion du

xvr sicete. et l'hisloire des petits Etats de l'Europe eentraie.

Le sociaH.sine d'Etat cherche à instituer un EtaL conforme a

l'esprit économique. L'Etat interventionniste veu) être m~

derne.e'est-a-dire pénètre de l'esprit du siecte. Toute son am-

bition <ioi) s'attacher a bien connaitre la tendance d'esprit en

vigueur: sa souveraineté est a ta merci de cette condition.

L Kta'. qui, dans une ère économique, hésite a prendre les de-

vants et a régir les rapports <)e cette espèce, doit se résigner a

adopter uue position neutre a i'egard des problèmes et des

décisions j)o)itiques et renoncer parte fait même a ses pré-teuii'ons5oL]\'eraines.

Que) étrange phénomène que ce! Etat libéra) du xtx''siec)c

<!ui s'intitule

tui-!r!eme.f'f~j/crf/ff~f!0.<'f)

et s'ohstine

a voir dans sa neutr.dite un droit a t'existencc'Ce fait inat-

tendu ne se laisse pas expliquer en quelques lignes. La doc-trine de t'Etat neutre du xix" siècle es! t'exptessh.'n d'unetendance generaie <{ui se dégage de i'etr.de de )'ins!oire curo-

peenne des derniers siècles et qui atjoutit a ta neutraiite intei-

tectueHe. Ce ([U'on a nomme i'age de ta technique pourrait bien

trouver ici son expucation. Voyons comment:.

Li~ nÉVKI.OPPFMENT PROGnnSSH'' BE LA 'EUTRAHTË

ET LE SORT [~ LA POLITIQUE.

L'évolution qui a l'ait robjct du chapitre précèdent et dontle centre de gravite se trouve successivement (jans ]a theo]ogic,la métaphysique, !a morale et t'economie, a pour efTet une

ncutraiisation toujours croissante des domaines parcourus.Aucune révolution iuteUcctueue n'a eu de plus grandes réper-

cussions que ce)te c;ui s'accompiit au Kvn" sieeie. avec le pas-



AUX COKFtXSDE LA l'OU'HQUE

sage de la théologie a l'esprit scienlinque. Nous en suhissons

encore tes conséquences de nos jours. On y retrouve le pointde départ de toutes les grandes )ois générales sur lesquelleson s'est cfl'orce de construire l'histoire, que ce soit la « lot des

trois stades }) de Comte, la théorie de Spencer qui voit dansle développement de l'industrie moderne la disparition né-

cessaire de !'esprit militaire. ou toute autre conslruction

analogue. Or lu cause profonde de cette première granderévolution s 'explique simplement par la préoccupation bien

caractéristique de fournir a l'esprit humain un [errain d'en-

fente commun et neutre après tontes les polémique; et les

luttes du xvi" siècle, on ne saurait s'étonner d'un te! besoin.

Laissant a ta bataille tontes les questions controversées de la

théologie chrétienne, on élabora un système « nature) de la

théologie, de la métaphysique, de la morate et du droit. Dans

un ouvrage jusLcment ceicbre, Dilthey a dépeint ce! état d'es-

prit, tout en attirant principalement l'attention sur le rôle de

la tradition stoïcienne. Pour ma part, je reste toutefois con-

vaincu que, si ~ff y/tcu/o~tc r< c/~ f/t'/ywcf, c'< /(.-<' ~tf'e~e<'X/ /C/f/) (fc /;t//C f'/ ~tt'O)) ;'<'('7!('7'<?/M;/au r07!/t'~t'7'e «7!

/'<vt/ t~' fo/)ct~/f07!. En conséquence, on a neutratise la theo-

togie qui

a cesse d'être te centre d'attraction iniellectuei. Ht le

centre d'attraction tut transporte dans un autre domaine, où

l'on se flattait déjà de reunir simultanément et a bon comptela sécurité, l'évidence, t'entente et la paix. Ainsi sonn.) l'heure

de ta neutralité et du moindre eH'ort intellectuel trois siècles

avant ic triomphe définitif' de la technique. Notre société euro-

péenne n'avait plus des fors (fu'a suivre ie courant et a per-fectionner sn nouvelle image de la vérité.

Tontes tes notions theofoginues conenes an cours des

s'!eck's sont devenues aifaire privée. Dieu lui-meuic. avecl'apparition du déisme au xvfft' siec!e. a cesse de faire parHc:de ce monde, ft s'est transforme en puissance neutre et a

assiste, étranger, aux combats et aux luttes journalières (]).1) a cesse d'être un être. pour devenir un concept. Au x)x° sicete.

le monarque d'abord, puis f'Etat deviendront a leur tour des

t. « Ln pttitosnj~uc moderne n'est anU'c chose (jue t'.u't de tout expt!~ucr,de t"ut r~k')' s.ms te conconrs (te )~ t)!\ [nitc)'. et tes ~tiif~.so~tK's dn

xv!tt'' sjcctc .'Uril)UL'))t'( t ~~c['!)jtc r<tenLtuc, s<m\'L'r:)i)lcLcau nnmbt'c etla pcnscc nu [Uftuvemfnt '). !)c Honutd, J/r~tof/cx. t'aris, ]S~2, p. 53 et 52.



L'A~'ËE POLITtQL'E FRAXÇAtSE ET ÉTRANGÈRE

organes neutres et la neutralité accomplira ainsi un cycle

devenu classique, sous le nom de théologie politique, grâce à

la doctrine libérale du /)o~M'r ~'Hfr< qui place le pouvoir

politique a sa merci. Toutefois, cette évolution suppose, aprèschaque étape, la création d'un nouveau terrain de lutte, et

c'est là précisément la raison du déplacement du centre d'at-

traction ink'Hectue). Le nouveau centr?, déclaré tout d'abord

neutre, ne tarde pas à devenir la proie des intérêts et des luttes

entre les hommes plus il exerce d'attraction, plus la lutte

est violente. L'humanité passe sans cesse d'un terrain de lutte

à un terrain neutre et chaque fois ce dernier se transforme

presque instantanément en terrain de lutte, obligeant les

hommes a a)ler chercher ia paix ailleurs. Le naturalisme n'a. pas réussi davantage à amener cette paix. Après les guerresde religion, ce furent les guerres nationales du xix° siècle, déjàà moitié économiques, et enfin les guerres purement écono-

miques..S/ l'on r/oHM' f7MyoM;'[f7]H; une si <(U!c/e co~/ifMtceC~n.S' ~'<?/)7!ffC, C'fA'/ /M~(.'e f/0'! A''tntf)f~'7!Cf;W enfin dé-

c6f!f;<'7'y /<'7'Mt' 7:f'<<; ~r<r p.rce~p~Ct'. Rien ne semble aussi

neutre en effet que la technique. Chacun a le droit d'en dis-

poser seton ses besoins La T. S. F. sert indistinctement à la

diffusion de toutes les nouvelles et In poste remplit son rôlede messagère sans se soucier du contenu de nos envois. Com-

parés aux questions théologique, métaphysiques, inorales et

même aux questions économiques, toujours sujettes à dis-

pute, les problèmes parement techniques possèdent certes une

objectivité assex consolante. Leurs solutions sont d'une évi-

dence éclatante et l'on comprend que l'homme, après avoir

connu les doutes et les incertitudes des antres domaines, soit

venu chercher un refuge dans la technique. Ici, lous les peuples S

et toutes tes nations, toutes les classes et toutes les confessions,tous les ai~es, sans distinction de sexes, se mettent instanta-

nément d'accord, parce que tous profitent dans la même me-

sure des avantages et des commodités de la technique. A ce

rom-la, toutes les rivalités d'origine religieuse, nationale ou

sociale s'aplanissent et ce domaine parfaitement neutre semble

prodiguer a tous les bienfaits de la paix, de l'entente et de lareconciliation.

Cependant

la neutralité de la technique présente quelquechose de nouveau. La technique, c'est un mstrumenL une




arme et, précisément parce qu'elle est au service de chacun,elle n'est pas neutre. La technique, par elle-même, ne peutexercer sur l'esprit une action déterminante, étions peut pasdavantage lui faire adopter une attitude neutre. Chaque ordre

de civilisation, chaque peuple, chaque religion, la guerre oula paix peuvent recourir à la technique pour se forger des

armes. Et, comme les instruments et les armes rendent desservices de plus en plus importants, tout prête à croire qu'ons'en servira de pins en plus fréquemment. Un progrès tech-

nique n'a nullement besoin d'être un progrès dans l'ordre

métaphysique, morat ou économique. Si beaucoup de nos sem-

blables, aujourd'hui encore, attendent de la perfection tech-

nique un avancement dans l'ordre moral, c'est parce qu'ils

confondent d'une façon mystique ta technique et la morale ets'imaginent assez naïvement que ce puissant moyen ne ser-

vira jamais d'autre but que le bien-être social, sa propre raison

d'être, qu'ils resteront eux-mêmes toujours maîtres des redou-tables moyens de combat qu'elle place entre leurs mains et que

la puissance qui en découle leur sera toujours favorable. Or maHieureusement la technique ne tourne jamais ses regardsdu côte de la civilisation. Réduite à elle-même, elle est stérileet c'est là ce qui la distingue des centres d'activité qui l'ont

précédée elle n'engendre ni cuHure, ni clerc, ni élite, ni sys-tème politique. Nous attendons toujours en vain une élite

politique composée d'ingénieurs et d'inventeurs. Le Saint-Simonisme et tous les autres systèmes qui ont envisage lacréation d'une société indus~riciie ne sont pas uniquement basés sur la technique, mais en partie sur la morale huma-

nitaire, en partie sur l'L'couomic. L'économie elle-même n'est

pas dirigée actuellement par des techniciens et, du reste, lors-

qu'une organisation sociale

possède à sa teLe

uniquement des

techniciens, elle n'est jamais qu'une société sans chef et sansdirection. Georges Sorel n'est pas demeure ingénieur i! estdevenu un clerc. Aucune invention dans Je domaine de )a

technique ne laisse prévoir sa portée politique. Les inventionsdes xv" et xvr siècles ont servi la liberté, l'individualisme etla révolte la découverte de l'imprimerie a conduit à la libertéde la presse. Aujourd'hui le progrès technique se revoie commeun formidable moyen de domination il place entre les mains

du pouvoir le monopole de la T. S. F. et la censure des films.



L'ANNÉE POLITtQUE FRAKÇAISE ET ÉTRANGÈRE

C.o)nn]eontevoit,y<)/('c/)r)<~ffcc.s')f~rn'/c;?)t'~y!7!d;~rf'n~eci Mo//e ~)/rf/o7! .<<r~u'<' c~c ~c< e~'e rp~o~K/)c'7?7!af~'

on y'~<f?~'onnrH'~e. c~c .fc. /f<n~)/ la cfH!.<e cfc la ~c~e, /<'<n~

f'H/)OH;MN',fff~~i~f!('<J:f!SV~/()/n/<);i''(.<f<;<.)<!(.;n!t<

En un mol, ses d')])t(''t'.s(.')!em'sapp]icntiûns ne sont bonnesni a poser, ni ~t'ucidpri])it; question (rot'drepoliti(jue.

Ea Ationn~nt. in dcCHdoice dnnL la gcneration passée offrait.

iu s[)Cct:K'!c':) une origine pins ancienne que la guerre mon-

d~)!c:cNcn'!)Yf)itp:)sbcsoindei:tt'c~niutiondcl9)8etdn

Cff's'CH/c f~' ~'Oc<t</t'7)/ – de Spengter – pour se manifester.

E)!c se ()~\uic a h'~vprs les dcct~rations d'Ernst Trocttsch, de

Max W(.'))!r et de Waitcr Riithcnau. Ln t'orcc irrcsistihJc de ]a

!o('hnifjt!oic'Hr:ipp:u'nteonn)n' 1o triomphe de t'incptie sur

rcsp)'ii:('L't'u!!t')\nc<!einn)(''cnn)()uectl'onpeL)Lhi(.')t

:!f(!r'MPt'(~t(. si <'e!tt-dt']'))icrc n'est pas dénuée d'cspi'U,cHcest d~ moins !ot~))('fnf'ntp!'i~'(_c d'âme.

AveL-ht technique, )anctn)':)))iespi)']tue!!cab0i)!it:)snp)us

shnp)e expression te ne;)nt. Apres qu'on eut réduit n des

n)'str;n;ti(!ns la refigiol et la ttieo!ogie, puis. dans ]a suite, la

métaphysique et l'Etat, notre patrimoine inicuectue) et moral

sendtte être devenu toL~t entier une abstraction et ]ancutra)tte

ahsoiue annonça

enfin sa dilapidation complète. Cependant.a)ors qu'une reHgion. grossière s'eu'orcait de pincer )es joies de

son jia)'adis()ansrai)p:!rente.neutrahte()e]a technique, quel-

ques soeioto~ues de renom pressentirent (jue cette \ague de

neut)'a)ue,<juiYen.)!tdedet'er)ersurtous]esd()mamesdeia])ensee. menaçait d'engloutir finalement toute noh'e culture.On t'u! saisi d'épouvanté en voyant de nouveHes couches so-

cinfessnr~ir de ce désert tnor:d et h~teiicciue] appelé la tech-

nique. De ce néant affluaient en eft'cf sans cesse des masses

d'êtres hu'nains complètement étrangères sinon hostiles at']ierita.L;e du passe. Et ceUe angoisse, qui se trahissait de mi))e

manières, n'avait d'autre fondement, (jue la crainte qu'on

ep''(~uvai! de ne pouvoir se rendre maitre de l'instrument dela technique, qui était ce])cndant):'t uniquement pour servir.I.a technique était i'afjoutissement d'un travaif considernbtede l'esprit hutnain, )e ju'oduit d'une disciphne ce fut un non-

sens d'en former un motidc a part, sépare de ses facteurs spi-rituels et vitaux et d'y favoriser rce)osion d'une mystique

in(]ependanic. Le génie de la technique, qui a conduit tes




masses populaires au déisme, n'en demeure pas moins un

esprit, esprit malfaisant: et: sa.tajuque si l'on veut, mais il ne

se laisse en aucune façon reunire a un pur organisme tech-

nique. On peut t'avoir en horreur, mais on ne saurait le

confondre avec le « machinisme et la technique. Il procèdede la métaphysique et: place sa foi dans la puissance sans li-

mite et la maîtrise absolue de l 'homme sur la nature, y com-

pris la nature humaine, dans le reçu! des frontières naturelles

qui a atteint aujourd'hui son maximum, dans des sources

intarissables de distractions, de luxe et de jouissance des-

tinées à l'usage des mortels. Tout ce déploiement de forces

tient du prodige il est digne de l'intervention (tes puissancesinfernales jamais on ne pourra le considérer comme un phé-

nomène mécanique, dépourvu d'âme, dépourvu d'esprit et sortidu néant.

L'idée d'un abîme culturel el social s'associa a la panique

provoquée par des attemtes successives au .y/H ~o, au lieu

de découler normalement d'un examen pondère du développe-ment iutcttectuet el de ses conséquences. Chaque choc créateur

de quelque envergure, chaque reforme, chaque élite sociale

nouvelle doivent )eur o['ii.;me a âne discipline de l'esprit e) a

un renoncement volontaire ou force, lequel est avant tout le

renoncement au .sMH r~uo. Le christianisme primitif et toutesles grandes reformes qu'i! suscita à travers les siècles, toutes

les renaissances qui ont amené un retour aux principes pri-mitifs, ce f;~o;)r(;' f</ ~u)c'~fo. mules les tentatives faites pour se rapprocher de ta nature pure et sans tacites apparaissentrégulièrement, torsqu'on les considère sous le jour du .ffftfif

~y/o en vigueur, comme la négation de ta CLdtm'e et de !a so-

ciété. D'abord tout se passe sans bruit et dans t'ombre rien

qui e\'ed)e t'attention de l'historien ou du

sociologue. Lors-

qu'arrive t'heure de la consécration otiicielle, on se trouve déjàen présence du moment critique où les tiens avec un passe

mystérieux et obscur menacent de se rompre.

En ouvrant !rc<ie)a technique, ]nneuh'.(]itc a atteint au-i~l (101-llièl-Cét~1J)c(le soii jom'(i'hui):)()p)'nio'ectapcdesondL'veh)ppcnicnt progressif.

La k'cbniq~L' a cesse d'oh-e le [err~in neutre :uinoncc par sps



L'ANNÉE POLITIQUE FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRE

T 1 1 TT prophètes et s'est mise au service de la potitique. Il serait par

conséquent imprudent d'employer l'expression « siècle de la

technique dans un sens absolu. Le dernier mot en cette ma-

tière sera prononce le jour où nous saurons quel genre de

poHtiquc aura réussi a se rendre maître de la technique et oùnous pourrons examiner les caractéristiques du couple ami-

ennemi, nouvellement l'orme.

Nombreuses sont encore a l'heure actuelle les phalangesouvrières des contrées industrielles qui adhèrent a In religionconfuse de la technique comme toutes les masses, elles

cherchent toujours à réaliser !es extrêmes et croient ferme-

ment, sans avoir du reste pris la peine d'y réfléchir attenti-

vement. qu'on a enfin trouve, après des siècles de recherches

infructueuses, le moyen d'abolir la politique et qu'ainsi [a

guerre prendra (in et que la paix régnera dans tout l'univers.

En rcalite, ta technique ne peut qu'accentuer la paix ou la

guerre et oifrir se.s services à )'une comme à l'autre tous les

noms destines a dissimuler ta guerre et toutes tes adjurations

pacifiques n'y changeront rien. On voit d'ici combien il est

aise de suggestionner les masses en voi)ant le sens des mots.

La toi secrète de ce vocabuhure magique, nous la connaissonson donne a )a p]us atroce des guerres le nom de paix, l'oppres-

sion s'appelle la liberté, et les pires horreurs contre le genrehumain s'exécutent sous le nom d'humanité, Nous entrevoyonsa présent t'etat d'esprit de cette génération qui, sous le règnede )a technique, ne savait apercevoir qu'une déchéance morale

et spiri'ueUe. Nous connaissons le pluralisme qui régit touteactivité spiritueiïc et nous savons qu'aucun centre d'attraction

intellectuel ne peut être un domaine neutre, et qu'il est faux

de chercher a résoudre un problème politique par des anli-thèses teih's que « mécanique s. et « organique x, « mort et

« vie x. L'ne vie, qui n'a plus en iace d'elle que la mort, n'est

p!us une vie, elle n'est qu'impuissance et désespoir. Getui quin'a plus pour ennemi que la mort et qui, dans cet ennemi, se

borne a reconnaitre un mécanisme sans consistance, est plus près de la mort que de la vie l'antithèse bien tacite, quiconsiste a opposer les notions d' «organiques et de «méca-

nique s, n'est en somme eHe-mëme qu'une construction mé-

canique. Mcttn l'esprit et la vie aux prises avec la mort et la

mécanique, c'est tout bonnement renoncer au combat, et cette



A~'XCOX~NS DE LA POLfTtQ~E

tactique ne peut engendrer que les soupirs du romantisme. Lavie en effet ne combat pas contre la mort et l'esprit n'a pas pour adversaire l'absence d'esprit. Mais l'esprit lutte contre

l'esprit, la vie contre ta vie et )'harmonic ici bas trouve sa puis-

s:uiGC dans une connaissance mtcgrate des choses humaines.< !'7!o nct.~c~ttr ordo.

Cart SCHMITT,

Professeur à ]'Universit!; de Berlin.

carl schmitt: aux confins de la politique ou l'âge de la neutralité

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