cappella mediterranea

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Les concerts du dimanche Traverser les murs Selon que l’on souhaite un monde ouvert aux échanges et délimité par des frontières poreuses ou un monde découpé par des frontières imperméables, on voit la musique d’un bon ou d’un mauvais œil. Car l’une des caracté- ristiques de la musique, en effet, est sa liberté vis-à-vis de toute sorte de frontières. Petit tour d’horizon. Emmanuel Kant reléguait la musique à la dernière place des beaux-arts, entre autres pour son « manque d’urbanité » : pour le dire simplement, la musique traverse les murs des maisons, se soucie peu du cadastre, et peut ainsi atteindre un voisinage qui ne le souhaite pas. Béla Bartók, dans un bel article de 1942, montrait que « les mêmes prototypes mélodiques circulent entre différentes régions et s’influencent les uns les autres, sans qu’on puisse forcément en déterminer l’origine » (Philippe Albèra), soulignant la relative indifférence de la musique aux frontières culturelles ou ethniques. De nombreuses occasions nous ont été données de constater le manque de prise des idéologies sur la musique : même les plus ardents défenseurs de certaines positions théoriques, lorsqu’ils se font musiciens, peinent à s’y tenir dans leurs œuvres. Pour terminer, certaines frontières anthropologiques deviennent poreuses au regard des évolutions musicales : en particulier celle censée délimiter le sacré et le profane. Entremêlement du profane et du sacré Certains genres, comme la messe ou le motet, sont exclusivement sacrés, quand d’autres peuvent parfois le devenir, comme la cantate qui prend la forme d’une « cantate d’église » lorsqu’elle est destinée à l’office. De même, certains styles sont rattachés à la musique sacrée et y font immédiatement référence lorsqu’ils sont évoqués dans un environnement musical profane. Mais, dans le détail des œuvres, la délimitation est bien plus floue : il arrive, par exemple, que des mélodies issues de chansons profanes s’immiscent, subrepticement ou non, dans des messes – on parle alors de messe paraphrase ou de messe parodie, pratiques courantes à la Renaissance. Et même les efforts de l’Eglise catholique pour renforcer la démarcation du sacré n’y feront rien. En effet, le concile de Trente qui se déroule entre 1545 et 1563 aura beau condamner l’usage d’éléments profanes dans les œuvres sacrées et ainsi redéfinir ce qui a lieu d’être à l’intérieur des églises, il ne pourra rien contre l’influence de ses idées à l’extérieur de celles-ci. L’une des conclusions prin- cipales du concile concernant la musique prend la forme d’un sérieux doute à l’égard de la polyphonie et d’une injonction à simplifier le tissu musical pour rendre le texte plus compréhensible. Mais, ironie du sort, si cela aura des retombées limitées du côté de la musique sacrée (Palestrina, par 21 03 2021 17h Cappella Mediterranea Leonardo García Alarcón direction Solistes Valerio Contaldo ténor, Nabucco Mariana Flores soprano, Azaria/Idolatria Lucia Martin Carton soprano, Misaele Ana Quintans soprano, Anania Capucine Keller soprano, Superbia Filippo Mineccia contre-ténor, Arioco Alejandro Meerapfel basse, Daniele Matteo Bellotto basse, Eufrate CONCERT EN STREAMING ! Ce concert est filmé par Léman Bleu et diffusé sur victoriahall.geneve.ch Chœur de Chambre de Namur Gwendoline Blondeel, Alice Borciani Julie Calbete, Estelle Lefort Amélie Renglet* soprano Renata Dubinskaite, Josquin Gest* Jérôme Vavasseur alto/contre-ténor Matthieu Montagne, Eric François Thibaut Lenaerts*, Frederico Projecto ténor Etienne Debaisieux, Philippe Favette Sergio Ladu*, Jean-Marie Marchal basse * Solistes du Chœur de Chambre de Namur NABUCCO de Michelangelo Falvetti (1683) Il Dialogo del Nabucco - livret de Vincenzo Giattini Le Chœur de Chambre de Namur et Millénium Orchestra bénéficient du soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles (service de la musique et de la danse), de la Loterie nationale, de la province de Namur et de la Ville de Namur.

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Page 1: Cappella Mediterranea

Les concerts du dimanche

Traverser les murs

Selon que l’on souhaite un monde ouvert aux échanges et délimité par des frontières poreuses ou un monde découpé par des frontières imperméables, on voit la musique d’un bon ou d’un mauvais œil. Car l’une des caracté-ristiques de la musique, en effet, est sa liberté vis-à-vis de toute sorte de frontières.

Petit tour d’horizon. Emmanuel Kant reléguait la musique à la dernière place des beaux-arts, entre autres pour son « manque d’urbanité » : pour le dire simplement, la musique traverse les murs des maisons, se soucie peu du cadastre, et peut ainsi atteindre un voisinage qui ne le souhaite pas. Béla Bartók, dans un bel article de 1942, montrait que « les mêmes prototypes mélodiques circulent entre différentes régions et s’influencent les uns les autres, sans qu’on puisse forcément en déterminer l’origine » (Philippe Albèra), soulignant la relative indifférence de la musique aux frontières culturelles ou ethniques. De nombreuses occasions nous ont été données de constater le manque de prise des idéologies sur la musique : même les plus ardents défenseurs de certaines positions théoriques, lorsqu’ils se font musiciens, peinent à s’y tenir dans leurs œuvres. Pour terminer, certaines frontières anthropologiques deviennent poreuses au regard des évolutions musicales : en particulier celle censée délimiter le sacré et le profane.

Entremêlement du profane et du sacré

Certains genres, comme la messe ou le motet, sont exclusivement sacrés, quand d’autres peuvent parfois le devenir, comme la cantate qui prend la forme d’une « cantate d’église » lorsqu’elle est destinée à l’office. De même, certains styles sont rattachés à la musique sacrée et y font immédiatement référence lorsqu’ils sont évoqués dans un environnement musical profane. Mais, dans le détail des œuvres, la délimitation est bien plus floue : il arrive, par exemple, que des mélodies issues de chansons profanes s’immiscent, subrepticement ou non, dans des messes – on parle alors de messe paraphrase ou de messe parodie, pratiques courantes à la Renaissance. Et même les efforts de l’Eglise catholique pour renforcer la démarcation du sacré n’y feront rien.

En effet, le concile de Trente qui se déroule entre 1545 et 1563 aura beau condamner l’usage d’éléments profanes dans les œuvres sacrées et ainsi redéfinir ce qui a lieu d’être à l’intérieur des églises, il ne pourra rien contre l’influence de ses idées à l’extérieur de celles-ci. L’une des conclusions prin-cipales du concile concernant la musique prend la forme d’un sérieux doute à l’égard de la polyphonie et d’une injonction à simplifier le tissu musical pour rendre le texte plus compréhensible. Mais, ironie du sort, si cela aura des retombées limitées du côté de la musique sacrée (Palestrina, par

21 03 202117h

Cappella MediterraneaLeonardo García Alarcón direction

Solistes

Valerio Contaldo ténor, NabuccoMariana Flores soprano, Azaria/IdolatriaLucia Martin Carton soprano, MisaeleAna Quintans soprano, AnaniaCapucine Keller soprano, SuperbiaFilippo Mineccia contre-ténor, AriocoAlejandro Meerapfel basse, DanieleMatteo Bellotto basse, Eufrate

CONCERT EN STREAMING !Ce concert est filmé par Léman Bleu et diffusé sur victoriahall.geneve.ch

Chœur de Chambre de Namur

Gwendoline Blondeel, Alice Borciani Julie Calbete, Estelle LefortAmélie Renglet* sopranoRenata Dubinskaite, Josquin Gest*Jérôme Vavasseur alto/contre-ténorMatthieu Montagne, Eric FrançoisThibaut Lenaerts*, Frederico Projecto ténorEtienne Debaisieux, Philippe FavetteSergio Ladu*, Jean-Marie Marchal basse

* Solistes du Chœur de Chambre de Namur

NABUCCO

de Michelangelo Falvetti (1683)Il Dialogo del Nabucco - livret de Vincenzo Giattini

Le Chœur de Chambre de Namur et Millénium Orchestra bénéficient du soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles (service de la musique et de la danse), de la Loterie nationale, de la province de Namur et de la Ville de Namur.

Page 2: Cappella Mediterranea

exemple, redoublant d’effort pour rendre le texte compréhensible malgré la polyphonie), c’est dans ce qui va devenir le genre profane par excellence, l’opéra, que l’idée va trouver son plus fort écho. C’est même directement autour de cette conception que la révolution musicale que constitue l’opéra va s’articuler : la musique doit être mise au service du récit raconté. Ainsi, c’est à l’opéra que la polyphonie va abandonner sa place prépondérante au profit de la monodie accompagnée qui permet mieux l’expression des émotions et rend plus aisée la compréhension du texte chanté.

C’est donc à l’opéra qu’une idée d’abord présente dans les cercles religieux va s’épanouir et donner lieu à d’innombrables trouvailles orches-trales, vocales et dramaturgiques. Trouvailles qui ne resteront d’ailleurs pas cantonnées à la musique profane. En effet, en parallèle de l’essor de l’opéra, des réunions lors desquelles on fait entendre des sermons entrecoupés de parties musicales deviennent de plus en plus populaires. Imaginées par Filippo Neri, qui avait pressenti, plus d’un quart de siècle avant l’avènement de l’opéra aux alentours de 1600, que l’alternance de textes, de musique et de textes mis en musique remporterait un grand succès, ces réunions vont adopter, à partir de 1625, une forme en deux parties : une première avant le sermon, une seconde après. L’oratoire, d’abord lieu de ces réunions, devient vite un genre d’opéra sacré sans mise en scène : l’oratorio.

C’est dans ce cadre que les découvertes de la musique profane vont inté-grer un espace sacré. Pendant la période de carême, la fréquentation des opéras étant interdite, ce sont des oratorios écrits par les compositeurs d’opéra eux-mêmes qui seront joués. Riches orchestrations, arias virtuoses, récitatifs menant l’action, puissantes parties chorales, effets dramatiques saisissants, rien n’est alors interdit pour raconter les innombrables histoires de l’Ancien Testament, des Evangiles et de l’hagiographie. Comme souvent, la musique s’est jouée d’une frontière, en l’occurrence de celle située entre le profane et le sacré, rendant les deux univers perméables l’un à l’autre, et finalement enrichis de leurs échanges.

Il Dialogo del Nabucco de Falvetti

Avec le Nabucco de Falvetti, les échanges entre le profane et le sacré se révèlent sous un autre jour encore : « même si le sujet est religieux, on peut y voir quelque chose qui parle de la situation réelle : Falvetti vit à Messine et est donc sous le joug de l’Espagne », affirme Leonardo García Alarcón. Avec cet oratorio, une histoire issue de l’Ancien Testament – des chapitres 2 et 3 du livre de Daniel – va se transformer en « un outil politique de résistance des Siciliens à l’oppression espagnole » (Nicolò Maccavino).

L’histoire est la suivante, et on comprendra qu’elle raisonne avec la situation que vivaient les Siciliens de l’époque : Nabucco, roi de Babylone, fait ériger une statue à son effigie et ordonne « que l’Asie révère et Babylone adore de [s]on effigie la splendeur ! » Mais trois enfants rient de lui plutôt que de se prosterner, provoquant la colère du souverain qui ordonne qu’on les brûle vivants. Or, dans la fournaise, les flammes ne font que caresser les enfants, protégés par l’arrivée d’un ange. Le parallèle avec la situation réelle de Falvetti est frappant. Comme le rappelle Leonardo García Alarcón, en l’année 1683 qui voit la création de cet oratorio, « les compatriotes de Falvetti faisaient face à un royaume d’Espagne qui menaçait leurs repères en boule-versant gouvernement, coutumes et même dialecte. Fabrizio Longo indique ainsi que “l’oratorio fut conçu […] en même temps que l’érection d’une statue de bronze à l’effigie du roi d’Espagne sur les cendres du palais sénatorial en face du Duomo de Messine et coulée avec le métal des anciennes cloches du Duomo”. […] La statue du roi que Falvetti voit tous les jours en traversant la ville, c’est la statue de Nabucco dans notre oratorio. »

Et pourtant Falvetti, doté d’un sens psychologique certain, est loin de peindre une caricature du souverain auquel il s’oppose. Au contraire, il « crée musicalement des personnages nuancés […] et n’hésite pas à doter Nabucco de multiples facettes. Si celui-ci est influencé dans le prologue par les personnages allégoriques que sont Superbia (Orgueil) et Idolatria (Idolâtrie) avec la complicité du fleuve Euphrate, s’il est habité par un moment de folie (la Sinfonia per l’adorazione della statua), il est néanmoins saisi de doutes au moment de précipiter les enfants dans la fournaise. La majorité silencieuse est représentée par Arioco, le préfet des milices, qui incarne l’hésitation entre la nécessité de remplir son devoir et le sentiment qui le porte à défendre les enfants. A Messine non plus, il n’était pas facile de se positionner vis-à-vis de la couronne d’Espagne. »

Alors que les oratorios tendent souvent à renforcer la foi des fidèles, celui-ci s’adresse à une situation particulière qui concerne ses auditeurs, non en tant que croyants, mais en tant que Siciliens. Le propos de son œuvre est donc finalement éthique plus que religieux. C’est ainsi que le comprend

Leonardo García Alarcón : « Selon moi, le rôle du prophète Daniele représente Falvetti lui-même, le berger de sa paroisse qui, avec cet oratorio, demande à ses fidèles d’adopter, vis-à-vis du pouvoir, la même attitude que les trois enfants. »

Sassoun Arapianpour HorsPortée

Cappella Mediterranea

L’ensemble Cappella Mediterranea a été fondé en 2005 par le chef suisse-argentin Leonardo García Alarcón. Comme son nom l’indique, l’ensemble se passionne à l’origine pour les musiques du bassin méditerranéen et entend proposer une autre approche de la musique baroque latine. Dix ans plus tard, le répertoire de Cappella Mediterranea s’est diversifié. Avec plus de quarante-cinq concerts par an, l’ensemble explore le madrigal, le motet polyphonique et l’opéra. Un mélange des genres qui a modelé un style unique, imprégné par une grande complicité entre le chef et ses musiciens.

En quelques années, l’ensemble s’est fait connaître à travers la redécou-verte d’œuvres inédites, telles que Il Diluvio universale et Nabucco de Michelangelo Falvetti, mais aussi en proposant de nouvelles versions d’œuvres du répertoire, telles que les Vespro della Beata Vergine et Orfeo de Monteverdi, ou encore la Messe en si mineur de Bach.

Après le succès recueilli par la recréation de l’opéra Elena de Cavalli au Festival d’Aix-en-Provence en 2013, l’ensemble est l’invité des scènes lyriques les plus prestigieuses au monde : le Grand Théâtre de Genève, l’Opéra national de Paris, l’Opéra d’Amsterdam et l’Opéra royal de Versailles, entre autres.

L’entrée en résidence de l’ensemble à l’Opéra de Dijon depuis 2018 a permis la production d’une série d’œuvres inédites comme El Prometeo de Draghi, La Finta Pazza de Francesco Sacrati en 2019 et Il Palazzo incantato de Luigi Rossi en 2020.

L’ensemble participe au triomphe des Indes galantes de Rameau à l’Opéra Bastille à l’occasion des 30 ans du bâtiment et des 350 ans de l’Acadé-mie royale de musique, reconnue meilleure production 2019 au Palmarès Forum Opéra et par le New York Times. Depuis 2020, Cappella Mediterranea adapte sa programmation au contexte et accompagne les festivals virtuels de ses partenaires : Grand Théâtre de Genève, Opéra de Dijon, Festival de Namur, Festival d’Ambronay, Versailles Spectacles, etc. et renoue avec son public dès que cela est possible.

La discographie de Cappella Mediterranea compte plus de trente disques très remarqués par la critique, enregistrés notamment chez Ambronay Editions, Naïve, Ricercar ou Alpha Classics. Le CD d’El Prometeo de Draghi est sorti début mars 2020 et quatre enregistrements paraîtront en 2021.

Orchestre Cappella Mediterranea

Flavio Losco, Stéphanie de Failly Anne Millischer, Jorlen Vega Garcia Sue-Ying Koang, Jeanne Mathieu violonLola Fernandez altoMargaux Blanchard violeDiana Vinagre violoncelleEric Mathot contrebasseRodrigo Calveyra flûte à bec, cornetJosué Melendez cornetSimen Van Mechelen, Fabien Cherrier Jean-Noël Gamet saquebouteBéatrice Zawodnik hautboisMarie Bournisien harpeFrancisco Juan GatoCharles-Edouard Fantin luthAriel Rychter orgueLionel Desmeules clavecinKeyvan Chemirani percussions

L’ensemble Cappella Mediterranea est soutenu par le ministère de la Culture – DRAC Auvergne Rhône Alpes, la Région Auvergne-Rhône-Alpes, la Ville de Genève, une fonda-tion familiale suisse, une fondation privée genevoise, et par son cercle d’Amis et son cercle des Entrepreneurs avec Siaci Saint Honoré, Synapsys, Chatillon Architectes, Quinten et 400 partenaires.