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Viviane Rouiller Page 1 sur 18 Octobre 2013 A la croisée de deux cultures, nationale et étrangère. Histoire de la discipline scolaire de l’allemand en Suisse romande (1830-1990) Canevas de thèse Viviane Rouiller Commission : R.Hofstetter et B. Extermann (co-dir.), UNIGE, FPSE I.Herrmann, UNIGE, Lettres M.Mombert, Université de Strasbourg, dép. des études allemandes B. Schneuwly, UNIGE, FPSE Nous approuvons ce canevas de thèse par rapport aux dimensions éthiques : R.H. & B.E. Caractères: 50’304.

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 Octobre 2013

 

 

A la croisée de deux cultures, nationale et étrangère. Histoire de la discipline scolaire de l’allemand en Suisse romande (1830-1990)

Canevas de thèse

Viviane Rouiller                  

Commission :

R.Hofstetter et B. Extermann (co-dir.), UNIGE, FPSE I.Herrmann, UNIGE, Lettres M.Mombert, Université de Strasbourg, dép. des études allemandes B. Schneuwly, UNIGE, FPSE

Nous approuvons ce canevas de thèse par rapport aux dimensions éthiques : R.H. & B.E. Caractères: 50’304.

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1. Introduction

La présente recherche porte sur l’évolution de la discipline scolaire de l’allemand dans trois cantons de Suisse romande (Genève, Vaud et Fribourg) entre 1830 et 1990. S’inscrivant dans un cadre plus large, celui du projet collectif FNS Sinergia1 qui étudie l’évolution du savoir et de la culture scolaire en Suisse au cours des deux derniers siècles, ce travail s’ancre dans un double contexte : une comparaison avec deux autres disciplines scolaires, l’histoire et le français langue maternelle2 ainsi qu’une approche contrastant trois cultures scolaires par le biais de recherches similaires menées en Suisse alémanique et au Tessin.

L’enseignement de l’allemand en Suisse romande découle d’un processus long et complexe, son apprentissage relevant jusque vers les années 1840 principalement du domaine privé. En outre, les remaniements des plans d’études au début du XIXe siècle engendrèrent de nombreux débats entre partisans des humanités classiques et ceux prônant l’enseignement des langues vivantes. Enfin, si, entre 1850 et 1870, l’allemand devint une discipline obligatoire dans toute la Romandie, sa place acquise au sein de l’Instruction publique lui sera encore régulièrement contestée (Extermann, 2009).

L’étude de l’enseignement de l’allemand en Suisse romande présente un intérêt spécifique, notamment au vu de son profil singulier : une langue nationale enseignée en tant que langue seconde. La période choisie pour cette recherche commence dans un contexte bien précis : alors que les révolutions libérales des années 1830, prônant l’éducation pour tous, entraînèrent un large remaniement des systèmes éducatifs, la première constitution de 1848 cristallisa l’existence de l’Etat fédéral. Dès lors, il s’agissait pour la Suisse, à l’instar des autres nations européennes du XIXe siècle, d’œuvrer à la construction et à la promotion d’une identité nationale (Thiesse, 2000). Un processus au sein duquel l’école joua un rôle, celle-ci étant utilisée comme un moyen privilégié afin d’éveiller chez la jeune génération aussi bien la conscience que l’appartenance nationales. Parmi les branches scolaires mobilisées à cette fin-là, les disciplines de l’histoire, de l’instruction civique, de la géographie, de la langue maternelle ainsi que de la gymnastique3 sont régulièrement citées. Toutefois, sur le territoire romand, l’enseignement de l’allemand, langue de la majorité des Confédérés, s’accompagna également à plusieurs reprises d’un argument national. Dès lors, il nous paraît intéressant d’évaluer l’apport de l’allemand scolaire en Suisse romande dans la perspective d’un rapprochement patriotique et d’une identité nationale commune. En se basant prioritairement sur les contenus des manuels scolaires d’allemand, il conviendra de s’interroger sur le profil, la nature, la fréquence et l’évolution des différentes représentations ayant trait à la patrie, l’histoire suisse, les héros helvétiques, la Suisse alémanique, etc., cela au regard du profil multiculturel et fédéraliste du territoire suisse.

L’enseignement de l’allemand en Suisse romande en tant que langue étrangère sous-entend également une certaine image véhiculée de l’Allemagne et de sa culture. Là encore, les

                                                                                                                         1 Projet « Transformation schulischen Wissens seit 1830 » : http://blogs.unige.ch/fapse/SSE/erhise/?q=node/56 2 De Mestral, A. (2013). Enseigner l’histoire et construire la Nation : transformation du savoir scolaire dans les manuels et les programmes en Suisse romande aux XIXe et XXe siècles. et Darme, A. (2013). Transformation des savoirs scolaires en Suisse romande (1830-1990) : le cas de la grammaire au travers de l’analyse des ressources et prescriptions. Canevas de thèse, UNIGE 3  Czaka (en préparation) aborde en filigrane cet aspect

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contenus des manuels nous renseignent quant aux représentations du voisin germanique présentes dans le cadre de l’allemand scolaire en Romandie. Il conviendra de s’interroger sur la teneur de celles-ci, sur leur évolution au cours de la période étudiée - notamment ponctuée de deux conflits mondiaux au sein desquels l’Allemagne joua un rôle majeur – ainsi que sur le rôle des enseignants en tant que « médiateur culturel » ou « passeur de civilisation » (Brethomé, 2005, p. 42-43) et qui publièrent de nombreux manuels d’allemand.

Au regard de l’analyse de l’enseignement de l’allemand dans les trois cantons romands, à travers sa fonction nationale ainsi qu’en tant que moyen de transmission d’une culture étrangère, un questionnement quant à une possible prédominance de l’un de ces deux aspects sur l’autre au fil de la période étudiée sera posé afin de mettre en évidence la structuration de l’allemand scolaire où la dimension nationale semble progressivement s’atténuer aux profits de valeurs davantage internationales. Dans la même optique, un regard sur les différents livres de lecture successivement utilisés dans les trois cantons nous permettra de définir la place attribuée à la littérature alémanique ainsi qu’à la littérature allemande dans le cursus de l’allemand scolaire. En filigrane de cette recherche, un regard sur la finalité pratique de la langue sera également posé afin de juger de la place qui fut la sienne dans l’évolution de la discipline.

Etudier la discipline de l’allemand sur une longue période, c’est également travailler sur l’émergence et la transformation d’un savoir scolaire. Par ce terme, nous entendons un objet s’apparentant à une construction puisqu’il découle d’un passage du savoir à partir de son contexte initial (scientifique, pratique ou expert) à un nouveau milieu, celui de l’école. Dès lors, il conviendra également de prendre en compte que les contenus scolaires, et de ce fait les représentations idéologiques, n’échappent pas à la transposition didactique propre à l’école.

Enfin, l’échelle spatiale choisie dans le cadre de cette recherche inclut trois cantons qui présentent des caractéristiques parfois différentes, notamment au niveau confessionnel, en matière d’urbanisation ou encore en ce qui concerne la proximité avec une frontière linguistique. Ainsi, il conviendra également d’évaluer l’incidence des facteurs locaux sur notre objet de recherche et de prendre en compte les différentes échelles d’analyse allant du cantonal à l’international.

2. Etat de la question. Revue de littérature Histoire de l’enseignement des langues

La recherche la plus proche de notre objet d’étude est celle d’Extermann (2011) qui porte sur l’enseignement de l’allemand en Suisse romande entre 1790 et 1940 sous plusieurs dimensions : didactique, politique, culturelle et sociologique. L’auteur s’intéresse à la disciplinarisation de l’allemand en soulignant la difficulté de didactiser une pratique sociale et en montrant que c’est par le biais de la grammaire que l’allemand se structure progressivement comme une discipline scolaire, sans toutefois suivre une évolution uniforme et sans encombre. Ainsi, il est démontré que la proximité de la frontière linguistique ne constitue souvent pas un facteur propice à l’enseignement de l’allemand dans le milieu

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scolaire. L’autre axe central de cette recherche se penche sur la lente professionnalisation des professeurs d’allemand : si au milieu du XIXe siècle la plupart d’entre eux sont des réfugiés ou enseignent l’allemand comme activité complémentaire, ils bénéficient dès 1890 d’un statut plus stable. La grande richesse de ce travail nous permet ainsi d’extraire bon nombre de repères chronologiques et de réflexions didactiques qu’il conviendra d’éprouver au-delà de 1940. L’ambivalence entre la participation à une culture européenne et l’affirmation d’une identité helvétique, des rapports triangulaires et des échanges multiples entre la Suisse romande, la Suisse Alémanique et l’Allemagne, le rejet du bilinguisme, les enseignants d’allemand en tant que passeurs entre cultures : autant d’enjeux mis en évidence par cet ouvrage et qui sont d’un intérêt primordial pour notre étude se positionnant au travers d’une triangulation entre la Suisse romande, la Suisse allemande et l’Allemagne. En ce sens, nous entendons apporter un éclairage nouveau en nous centrant sur les représentations culturelles présentes dans les manuels d’allemand pour les degrés primaire et secondaire.

D’autres recherches permettent de clarifier certains aspects liés à l’évolution de l’allemand scolaire en Suisse romande. Jordi (2003) apporte des précisions complémentaires sur les objectifs de l’enseignement de l’allemand entre 1848 et 1923 pour le contexte spécifiquement genevois. Nous retenons également l’ouvrage de von Flüe-Fleck (1994) pour son analyse de sept manuels d’allemand utilisés dans les classes romandes au cours du XXe siècle ainsi que pour l’attention qu’il porte sur les différentes tentatives d’harmonisation entre les cantons aboutissant à la période de coordination romande au cours des années 1970.

En matière de littérature française, le numéro spécial de la revue Histoire de l’éducation (Mombert, 2005) s’attache à mettre en lumière l’évolution de l’allemand scolaire en France durant le XIXe et le XXe siècle, au regard notamment des relations franco-allemandes. Celles-ci octroient à cette discipline une dimension interculturelle singulière au cours d’une période marquée par plusieurs conflits impliquant la France et son voisin germanique. A travers une analyse des programmes, des contenus d’enseignement ainsi que des manuels, les études contenues dans ce volume apportent des éclairages sur l’évolution des représentations de la discipline, de l’image de l’Allemagne et de sa culture transmise aux élèves. Un développement particulier est également consacré à la carrière des enseignants d’allemand ainsi qu’à leur rôle de médiateurs culturels au sein de la société française. Au vu de ces différents aspects, cette recherche sera à exploiter pour en confronter les résultats au contexte suisse romand, notamment en matière de transmission d’une culture étrangère par la langue.  

En ce qui concerne l’histoire des méthodologies des langues étrangères, Puren (1988) fait figure de référence. Ses réflexions sur la dimension culturelle de l’apprentissage d’une langue étrangère seront particulièrement utiles dans le cadre de notre analyse quant à la transmission de la culture germanophone en Suisse romande.

Manuels scolaires

La majeure partie de notre analyse résidant sur celle des manuels scolaires, ces outils didactiques occupent par conséquent une place centrale dans notre étude. Pour la Suisse romande, nous pouvons nous appuyer sur l’inventaire genevois élaboré par Farquet (1991-1992, et 1993) ainsi que sur celui d’Extermann (2011) qui recense les principaux manuels

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d’allemand en usage dans l’enseignement secondaire à Genève, Lausanne, Fribourg, Neuchâtel, Sion et Porrentruy entre 1840 et 1940 (33 manuels et 16 livres de lecture).

Nous retenons également ici l’ouvrage collectif coordonné par Verdehlan-Bourgade et al. (2007) qui prend comme fil conducteur principal le thème de la nation au sein des manuels scolaires de France et d’ailleurs. Les différentes contributions montent que ces ouvrages d’enseignement, en parallèle à des savoirs et des connaissances, véhiculent également toute une série de valeurs morales et nationales ainsi que de pratiques sociales et de représentations étrangères. La diversité de ces textes et des réflexions qu’ils apportent nous donneront quelques pistes intéressantes, notamment sur le caractère transnational des manuels de langues étrangères, ceux-ci étant à cheval entre deux nations.

Histoire de l’enseignement

L’ouvrage de Hofstetter (1998) qui s’intéresse à l’émergence de l’Etat enseignant à Genève et qui met en évidence les enjeux politiques, religieux, sociaux, culturels, économiques et pédagogiques ayant accompagné ce processus constitue pour nous une référence importante. Il nous permet en effet de mieux comprendre le contexte au cours duquel l’instruction publique se met véritablement en place. Mützenberg (1974) qui traite de l’instruction à Genève dans les années 1830, l’étude historique sur le Collège de Genève de Farquet (1993 et 1994) ainsi que celle de Müller (2007) sur l’enseignement obligatoire à Genève au XXe siècle seront également utiles pour appréhender le contexte scolaire genevois pour la période étudiée.

Concernant les systèmes scolaires vaudois et fribourgeois, nous disposons, à ce jour, d’un nombre plus restreint de recherches historiques sur lesquelles nous baser. Si certains éléments tirés de Heller (1988) pour le canton de Vaud ainsi que de Praz (2005) et de Forster (2008) apportent déjà quelques informations utiles, nous poursuivons néanmoins l’enquête afin de découvrir d’autres travaux susceptibles de nous éclairer à ce sujet.

Certains travaux en histoire de l’éducation offrent également des éclairages sur les différents systèmes éducatifs cantonaux. Ainsi, Hofstetter, Magnin, Criblez & Jenzer (1999) se penchent sur le développement de l’école primaire en Suisse au XIXe siècle à travers l’application des trois principes de la laïcité, l’obligation et la gratuité. Incluant des réflexions thématiques qui englobent plusieurs cantons et contrastant également le cas helvétique à d’autres contrées, cet ouvrage nous intéresse tout particulièrement.

Identité nationale

Concernant la question de l’identité nationale, nous retenons comme l’une de nos références majeures les travaux de Thiesse (1999 et 2000) qui traitent de la création des identités nationales dans l’Europe des nations du XIXe siècle et qui soulignent leur historicité, de même que leur aspect collectif et construit.

A travers la question de l’identité nationale, le caractère fédéraliste de la Suisse se doit d’être pris en considération. Pour ce faire, nous nous basons sur Herrmann (2003) qui, sous la forme d’une étude de cas sur l’intégration de la société genevoise à l’entité nationale, met en évidence la double perception de la nationalité : cantonale, confessionnelle et helvétique. Cet

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ouvrage ainsi que l’étude de Windisch (2002) soulignant la coexistence en Suisse de quatre communautés culturelles et linguistiques distinctes constitueront ainsi pour nous un bon recours quant à la problématique identitaire au niveau spécifiquement suisse, celle-ci se déclinant sous des appartenances multiples.

3. Cadre théorique

Histoire culturelle

Notre recherche s’inscrit premièrement dans le champ de l’histoire culturelle. Par ce courant, nous nous référons notamment à Ory (2008) qui en propose la définition suivante : « L’histoire culturelle est donc une modalité d’histoire sociale mais, à l’inverse du projet, plus ou moins explicite, de l’histoire sociale classique – histoire de classes, qui visait à la reconstitution de tous les modes de fonctionnement du groupe étudié – elle circonscrit son enquête aux phénomènes symboliques. On peut la définir à son tour comme une histoire sociale des représentations » (p.13). Selon Humm (2010), le terme de « représentations » désigne les formes d’expressions collectives de groupes sociaux plus ou moins étendus. De ce fait, l’histoire culturelle permet d’appréhender et de comprendre une société par ses modes de représentation qu’ils soient artistiques, idéologiques ou qu’ils aient trait aux comportements sociaux. En ce sens, l’histoire culturelle s’apparente donc bien à une histoire sociale comme le suggère également Prost (1997) qui lie indissociablement les deux. Toutefois, elle consiste en une histoire sociale renouvelée car, au-delà du revenu et du travail, le groupe social est également considéré comme parole et représentation. Dès lors, nous pouvons nous intéresser aux discours que celui-ci tient en tant que production symbolique, en mettant en lumière non seulement ce qui est dit mais également la manière d’être dit, les termes utilisés ainsi que le sens de ceux-ci, tous ces éléments n’étant pas innocents. Si une approche linguistique des textes pour l’histoire culturelle apparaît pertinente, il convient néanmoins de ne pas s’y limiter. Ainsi, Walter (1997) souligne l’importance d’une contextualisation rigoureuse : « pour éviter d’enfermer les représentations dans le discours, pour s’empêcher de feindre que les représentations sont réductibles à du discours, il est nécessaire de leur donner un arrimage solide dans une réalité sociale. Ainsi au lieu d’opposer facticement subjectivité et déterminations objectives, la recherche récente tend à montrer que les représentations sont toujours activées dans des situations historiques concrètes » (p.65). De même, Chartier et Fabre (2006) insistent sur le fait qu’une représentation, qu’elle soit littéraire ou de manière plus large mentale, ne constitue pas uniquement le reflet mécanique d’une réalité donnée mais qu’elle résulte également d’une action par laquelle la représentation est construite et par laquelle l’agent de cette construction, qu’il soit singulier ou collectif, se donne à voir dans cet acte. Par conséquent, il requiert d’aller au-delà des simples représentations et de lier celles-ci à des pratiques.

Notre intérêt de recherche portant sur l’émergence et l’évolution d’une discipline scolaire, nous nous positionnons encore plus précisément dans le domaine de l’histoire de l’éducation qui, en étudiant l’histoire des champs éducatifs en lien avec les sociétés et cultures dans lesquelles ils s’insèrent, est nécessairement culturel. En ce sens, nous nous inscrivons dans la

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lignée des travaux d’ERHISE, dirigée par Rita Hofstetter avec la collaboration de Joëlle Droux, et qui privilégie une approche sociale et culturelle des phénomènes éducatifs en variant les échelles d’observation.  

L’histoire des disciplines et la culture scolaire

L’étude historique sur les contenus d’enseignement s’est véritablement développée lorsque les disciplines scolaires sont devenues un objet d’histoire (Vinao, 2010) – du moins en ce qui concerne le cadre français. Un tel champ de recherche réside permet d’appréhender des domaines plutôt méconnus de l’histoire de l’éducation, tels que les fonctionnements internes propres à l’école, les pratiques réelles ou encore les résultats véritablement atteints. Julia (1995) parle ainsi de « boite noire de l’école » qui tente de saisir ce qui se déroule dans cet espace singulier.

Définie comme telle, l’histoire des disciplines scolaires met en lumière la culture scolaire. Cette dernière s’apparente, toujours selon Julia (1995, p. 354), à « un ensemble de normes qui définissent des savoirs à enseigner et des conduites à inculquer et un ensemble de pratiques qui permettent la transmission de ces savoirs et l’incorporation de ces comportements, normes et pratiques étant ordonnées à des finalités qui peuvent varier selon les époques (finalités religieuses, sociopolitiques, ou tout simplement de socialisation) ». Il y a donc là la référence d’une culture qui s’acquiert dans le cadre scolaire. La position de Chervel (1998) diffère quelque peu dans la mesure où il considère qu’il s’agit d’une culture spécifiquement scolaire et dotée d’un pouvoir hautement créatif qui, en plus de former les individus, « vient à son tour pénétrer, modeler, modifier la culture de la société globale » (p.71). Si nous ne considérons pas le système scolaire comme simple intermédiaire et transmetteur de savoirs et de règles produits à l’extérieur et que nous lui reconnaissons une capacité constitutive d’une forme de savoirs, nous n’allons cependant pas jusqu’à le couper de la culture globale et de la société en général. De ce fait, nous nous rapprochons de la position de Müller (2007, p. 21) qui, en ce qui concerne la culture scolaire, parle d’un « ensemble des représentations, valeurs et connaissances véhiculées par l’institution scolaire », une culture pas complètement autonome de la société mais qui présente néanmoins un caractère qui lui est propre, de par les éléments constitutifs qu’elle élabore (des disciplines et du travail scolaires) et les contraintes pédagogiques et didactiques auxquelles elle est soumise.

La construction et la diffusion des identités nationales

Le terme d’identité nationale nous ramène préalablement à celui de nation, une notion qu’Hobsbawm (1990) ne considère pas comme une entité sociale fondamentale, ni immuable : « Elle appartient exclusivement à une période particulière, et historiquement récente. Ce n’est une entité sociale que pour autant qu’elle est liée à un certain type d’Etat territorial moderne, l’ "Etat-nation", et parler de nation ou de nationalité sans rattacher ces deux notions à cette réalité historique n’a pas de sens » (p. 27). Phénomène relativement jeune donc - du moins dans son sens politique - puisque l’idée moderne de nation s’amorça en Europe de l’Ouest au milieu du XVIIIe siècle et allait être l’un des enjeux majeurs du siècle suivant.

Ce processus ne découle pas d’un déterminisme mystique mais bien d’une intervention sociale et présente de ce fait un caractère « fabriqué ». Ainsi, Herrmann (2003) parle « d’un

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"bricolage politique", dont l’impact sera d’autant plus fort que la population aura été mobilisée ; un édifice d’autant plus stable qu’il aura été consolidé par un effort guerrier ou démocratique » (p. 12). De ce fait, si la formation d’une nation implique incontestablement un territoire, marquant le lieu de l’unité politique et de l’existence physique de l’entité étatique, celle-ci nécessite également l’élaboration d’un système d’identités collectives par une minorité dans le but de le faire adopter par la majorité. Ce fut justement pour répondre à ce vaste ouvrage qu’intervint la création des identités nationales. Selon Thiesse (2000, p. 52), ces dernières consistent en un héritage collectif et inaliénable, un patrimoine commun à transmettre à travers les âges aux membres d’une même nation et qui englobe des éléments tels que : des ancêtres fondateurs, une histoire établissant la continuité de la nation à travers les vicissitudes de l’histoire, des héros, une langue, des monuments culturels et historiques, des lieux de mémoire, un paysage typique, un folklore et quelques identifications pittoresques (gastronomie, costumes, etc.).

Toutefois, toujours selon Thiesse (2000), l’élaboration d’identités collectives ne constitue qu’une partie du processus : « elle s’accompagne d’un gigantesque travail pédagogique pour que des parties de plus en plus larges de la population les connaissent, et s’y reconnaissent » (p.52). Comme le montre le modèle temporel élaboré par Hroch (1985), la conscience nationale au sein d’un pays s’illustra et se propagea de manière inégale selon les régions et les groupes sociaux. Toutefois, il apparaît que, de manière générale, l’idée nationale fut en premier lieu l’affaire des élites et de petites minorités actives dans ce sens avant de s’étendre à l’ensemble de la population. Cette promotion d’un sentiment patriotique chez les masses s’opéra principalement par le biais des institutions étatiques et parmi celles-ci, l’école, fondée juridiquement, à l’instar de la nation, par les démocraties qui voient le jour dans l’Europe du XIXe siècle. L’école constitue effectivement un puissant moteur de valorisation de la patrie puisque, comme le souligne encore Thiesse (1999), c’est le lieu où sont enseignées non seulement la langue, l’histoire ou la géographie de la nation mais également la manière d’être et de penser nationalement.

Ces considérations sur la construction et la diffusion des identités nationales dans l’Europe du XIXe siècle nous amènent à les nuancer et les discuter en ce qui concerne la Suisse. Premièrement, comme le rappelle Herrmann (2006), la diffusion d’une conscience identitaire - qui ne soit plus seulement locale ou cantonale mais également nationale - à tous les échelons de la société se distingua sensiblement de celles ayant cours chez ses voisins européens, à l’image de l’Allemagne, de l’Italie ou encore de la France. Si ces dernières construisirent et justifièrent effectivement leur entité nationale sur la base de critères tels que la langue ou la religion, force est de constater que la Confédération, multilingue et multiconfessionnelle, ne pouvait prétendre à ce mode d’identification. Ce fut alors un mythe au profil hautement unificateur basé sur une conception héritée des Lumières et qui circulait déjà sur le territoire helvétique qui permit d’alimenter une conscience nationale : une Suisse alpestre, pastorale et libre. Deuxièmement, le vaste processus d’intégration quant à son territoire, sa population et son autorité politique aboutira certes à la création en 1848 de l’Etat fédéral moderne mais avec une centralisation toute relative, les cantons restant souverains dans tous les domaines où leurs pouvoirs ne sont pas limités par la Constitution. Dès lors, si toute la seconde moitié du XIXe siècle va effectivement s’atteler à façonner l’identité helvétique (Walter, 2010) –

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processus qui avait certes déjà été initié avant 1848 – la configuration fédéraliste de même que la multiculturalité qui caractérisaient la Suisse moderne tendent à montrer qu’à côté d’une appartenance nationale, subsista également une appartenance cantonale, voire régionale. De même, l’école, devenue publique, gratuite et laïque au cours de la même période, resta en grande partie sous la compétence des cantons. Certes, cela ne l’empêcha pas de participer activement à la promotion d’une culture nationale (Hofstetter, 1998). Criblez et Hofstetter (1998) parlent ainsi de « nationalisation mentale à travers et par l’école » (p. 167) où cette dernière serait le moyen pour éveiller le « sens national » chez la jeune génération afin que celle-ci développe une mentalité nationale. En formant de bons citoyens éclairés quant à leurs droits et devoirs politiques par le biais d’une éducation nationale, il était ainsi également question de promouvoir et de consolider le jeune régime démocratique. Par le biais d’un « messianisme républicain » (p. 183) et dans le cadre d’une instruction de moins en moins religieuse et davantage teintée de patriotisme, était transmise à tous les enfants toute une série de vertus républicaines, telles que le progrès, la liberté, l’égalité ou encore la solidarité. Le partage de telles valeurs devait ensuite amener la jeune génération à se considérer comme faisant partie d’une seule et même patrie. Ainsi, si l’instruction publique en Suisse a bien servi elle aussi à la promotion d’une forme d’éducation nationale, il conviendra, dans le cadre de notre recherche, de prendre également en compte la diversité des systèmes scolaires cantonaux, des situations politiques, socio-économiques et culturelles ainsi que les différents degrés d’appartenance soulevés plus haut – tous ces éléments ayant assurément une incidence – afin d’évaluer dans le cas de la Suisse romande le lien entre l’Ecole et la Nation, tel qu’il a souvent été défini, en particulier en ce qui concerne les Etats centralisés.

Le manuel scolaire comme objet culturel historique

Si les manuels scolaires ont longtemps été considérés uniquement comme des produits pédagogiques et des objets utilitaires rapidement obsolètes, il est aujourd’hui reconnu qu’ils possèdent une valeur patrimoniale. De ce fait, comme le note Lebrun (2007), « le manuel est certes l'illustration d'un discours clos, achevé et a-historique, mais l'analyse permet d'en voir les implicites, de juger de ses fondements scientifiques et de le comprendre en fonction de son époque » (p.3).

En tant qu’objet historique, le manuel, de par ses nombreuses facettes, présente un caractère d’une grande complexité. Selon Choppin (1980), celui-ci contient ainsi plusieurs dimensions. Il constitue tout d’abord un objet qui évolue, tant dans son élaboration que dans sa commercialisation et sa distribution, avec les progrès techniques et les transformations du monde de l’édition ainsi que des contextes économique, social, politique et législatif. En outre, il s’agit du support longtemps privilégié du contenu éducatif et qui englobe les connaissances que la société juge nécessaire à acquérir. Par conséquent, il est « le reflet déformé, incomplet ou décalé, mais toujours révélateur dans sa schématisation, de l’état des connaissances d’une époque, et des principaux aspects et stéréotypes de la société ». Egalement instrument pédagogique, le livre scolaire met en lumière les structures, les méthodes et les conditions de l’enseignement de son temps. Enfin, il convient aussi de le considérer comme le véhicule transmettant des valeurs, une idéologie ainsi qu’une culture (p.1). Si c’est cette dernière fonction qui a présidé à l’élaboration de notre problématique, les

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autres dimensions seront bien évidemment prises en compte lors de notre analyse, le manuel scolaire étant la résultante de tous ces facteurs.

Nombreuses sont les valeurs sociales et culturelles transmises par le matériel scolaire à travers son contenu. Parmi ces dernières, celles touchant au sentiment national et patriotique occupèrent une place prépondérante. En outre, il convient de souligner que, si les influences étrangères ne doivent pas être négligées, le monde de l’édition scolaire comporte incontestablement une dimension nationale. Ainsi, si nous remontons au XIXe siècle, au cours duquel la création d’Etats-nations s’assortit de la mise en place de systèmes éducatifs ambitionnant à généraliser un enseignement populaire et harmonisé, l’élaboration de manuels scolaires répondait à un besoin particulier comme le suggère Choppin (1993) : « La plupart des Etats cherchèrent alors à se constituer – non sans recourir à des modèles étrangers – une production scolaire nationale, conforme aux options politiques, aux valeurs idéologiques et à la langue que le pouvoir entendait promouvoir » (p. 5). Sur cette valorisation du national par le biais scolaire lors de l’avènement des Etats-nations, Pingel (2009) souligne le procédé courant visant à un contenu qui, à la fois, glorifie le pays dont le manuel est originaire et tend à déprécier les autres nations. Dès lors, il convient d’être conscient que les contenus des manuels scolaires sont empreints de jugements de valeurs et d’idéologies et qu’ils nécessitent d’être soumis à un examen critique et replacés dans leur contexte historique, scolaire, politique et social. Jouissant d’une large diffusion à l’adresse de la jeunesse et véhiculant une représentation de la nation, et de manière plus large du monde, partielle et partiale, le manuel scolaire prend part à un processus de socialisation, voire d’endoctrinement, des jeunes générations à l’esprit encore malléable (Müller, 2007).

Appréhender l’étude de l’objet manuel scolaire - quand bien même nous nous focalisons principalement sur son contenu, c’est également le replacer dans un contexte plus large comme le suggère Rocher (2006) : « Ce qui donne vie à un manuel scolaire, c’est quand il devient l’objet d’actions et d’interactions sociales, qu’il entre en service entre les mains de différents acteurs, poursuivant des intérêts divers et qu’il devient le centre d’un ensemble d’interventions individuelles ou collectives et d’un réseau de communication […] D’inerte, le manuel scolaire devient vivant et animé dans la mesure où il est saisi par les acteurs d’un système social et devient à la fois prétexte, objet et parfois but des actions et intentions humaines formant un système social » (p.1-2). Dans cette optique, une recherche historique prenant pour base l’analyse de manuels scolaires doit s’accompagner de considérations plus larges, notamment sur l’histoire de l’édition scolaire ainsi que sur les acteurs et les contextes politiques et socio-économiques en lien avec cette production.

Langue nationale et langue étrangère

Si la formation des nations est un processus récent du point de vue historique, alors il ne peut en être que de même en ce qui concerne celle des langues nationales dont le but était d’en faire « des supports de communication aux nouvelles communautés nationales » (Thiesse, 2009, p.24).

Si, dans bon nombre de pays, la langue nationale est enseignée à l’école en tant que langue maternelle, il n’en est pas toujours ainsi : tel est le cas de la Suisse caractérisée notamment par son plurilinguisme. Ainsi, si l’allemand constitue bien une langue nationale – statut qu’elle

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partage avec le français, l’italien et le romanche – son enseignement se fixa à partir des années 1880 en Suisse romande comme celui de langue seconde et étrangère (Extermann, 2013). Selon Verdelhan-Bourgade (2007), il est commun de considérer que l’apprentissage d’une langue étrangère sous-entend la rencontre de deux cultures à travers les deux langues. Ainsi, l’un des objectifs est « d’initier un apprenant à la langue et à la culture du pays considéré, culture qu’il faut entendre à la fois au sens classique du terme (histoire, littérature, arts…) et au sens anthropologique (pratiques de la vie quotidienne…) » (p.103). Dès lors, une telle communication interculturelle et la transmission de représentions de l’Autre par le biais de l’enseignement scolaire des langues étrangères ne peuvent être détachées d’un contexte plus large. Mombert (2005, p. 9) a ainsi montré, pour le cas de la France, que cette discipline restait marquée par la présence du « pays derrière la langue » et que la nature particulière des relations franco-allemandes n’était jamais absente de l’enseignement, qui semblait conditionné par les alternances de conflits et d’apaisements entre les deux pays. Pour la Suisse, Extermann (2011) a également souligné que l’évolution politique et la montée du nationalisme avaient eu des répercussions importantes sur la question linguistique et sur la discipline de l’allemand, celle-ci se modifiant « non plus par son inscription dans le système scolaire, mais par son objet même » (p. 146).

L’enseignement d’une langue étrangère accorde également un statut particulier à ceux qui le mettent en œuvre, à savoir les enseignants. En parlant des professeurs d’allemand en France à la fin du XIXe siècle, Brethomé (2005) leur assigne le rôle de « médiateur culturel »4 ou encore de « passeur de civilisation » (p.42-43). Si nous adhérons à cette idée, nous ajoutons que, dans le cas de l’enseignement de l’allemand en Suisse romande, cette médiation culturelle est double : il s’agit en effet non seulement de transmettre une culture étrangère, celle de l’Allemagne, mais également la culture nationale et helvétique. Ceci illustre bien à notre sens le caractère particulier de l’allemand scolaire en Romandie qui, bien que langue nationale, est enseigné en tant que langue étrangère.

Périodisation

Sur la base des travaux d’Extermann (2009, 2011) et des périodisations élaborées respectivement par Criblez (2012) et Hofstetter et Schneuwly (2012) pour le projet Sinergia, nous proposons un premier découpage chronologique qu’il nous faudra ensuite mettre à l’épreuve de notre analyse.

1830-1870 : D’abord entravés par des questions structurelles, les cours d’allemand se généralisent progressivement au sein des grands établissements romands. Les premiers manuels d’allemand destinés à l’enseignement public sont souvent élaborés par les enseignants et se centrent sur le caractère « national ».

1870-1910 : l’enseignement de l’allemand est répandu dans toutes les écoles et les auteurs locaux sont privilégiés. Au tournant du siècle, a lieu l’introduction de la « méthode directe » afin d’améliorer l’efficacité pratique de l’enseignement de l’allemand. En parallèle à cette évolution pédagogique, un fort courant social atteint la discipline scolaire, la langue

                                                                                                                         4 Au ce sujet, voir également Fontaine (2013) sur la circulation des savoirs pédagogiques dans l’espace franco-romand

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allemande étant dès lors perçue comme fait culturel. Les enseignants s’attèlent alors à la promotion d’une littérature nationale, l’école étant utilisée comme une partie du processus de construction de la nation.

1910-1930 : de nouveaux manuels apparaissent, sous la forme d’un compromis entre la méthode directe et une approche plus théorique. La Première Guerre mondiale provoque une grave crise entre les régions linguistiques du pays. La question de la spécificité culturelle et linguistique prend encore plus d’ampleur après la Guerre, période au cours de laquelle l’enseignement de l’allemand disparaît du primaire pour des raisons institutionnelles. Les tensions sociales et la montée nationaliste provoquent un rejet du bilinguisme et une préoccupation accrue pour la langue maternelle, ce qui n’est pas sans effet sur l’enseignement des langues étrangères.

1930-1960 : La politique hitlérienne et des tentatives visant à introduire des cours de dialecte alémanique ébranlent l’allemand scolaire qui essaie dès lors de prendre congé de l’actualité. En outre, la crise économique des années 1930 crée un fossé marqué entre l’enseignement de l’allemand et son usage social.

1960-1990 : à travers une plus grande focalisation sur la pédagogie et une intégration des médias, de nouvelles méthodes d’enseignement des langues apparaissent (le courant audio-visuel fondé sur l’approche linguistique structuraliste et le béhaviorisme puis, en réaction à celui-ci, une approche communicative basée sur une linguistique textuelle). En outre, le début de l’enseignement des langues vivantes est avancé au primaire et une coordination scolaire s’amorce.

4. Hypothèses et questions de recherche

A partir de nos trois axes de recherche, le fil conducteur de notre travail reposera sur les questions suivantes :

a) De par son statut de langue nationale, l’enseignement de l’allemand a participé

au niveau des cantons, à l’instar d’autres disciplines scolaires, à la construction d’une appartenance nationale. - Tout au long de la période donnée, quelle est la nature, l’ampleur et l’évolution des représentations de la patrie suisse, de son histoire et du citoyen helvétique véhiculées par l’enseignement de l’allemand dans les trois cantons ? - Dans quelle mesure des particularités cantonales influent-elles sur ces contenus ? - L’allemand étant la langue de la majorité des Confédérés, de quelle manière les manuels de la discipline portent-ils la trace de la finalité pratique, dans le but d’un rapprochement avec la Suisse alémanique par le biais linguistique ou pour des raisons économiques ?

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b) Enseigné en tant que langue étrangère, l’allemand scolaire a également œuvré à la transmission d’une culture étrangère. - Quelle image de l’Allemagne et de sa culture est-elle transmise à travers

l’enseignement de l’allemand ? - Dans quelle mesure cette perception du voisin germanique évolue-t-elle au cours

de la période étudiée, cela notamment au gré des événements politiques ? - En confrontant la perspective identitaire à celle de la transmission d’une culture

étrangère, laquelle prédomine sur l’autre et comment ce rapport évolue-t-il dans le temps ?

c) En considérant l’allemand en tant que discipline scolaire, les contenus culturels véhiculés par son enseignement, notamment par les manuels scolaires, sont définis par des facteurs d’ordre politique et culturels mais également par des contraintes d’ordre didactique. - De quelle manière les contenus culturels sont-ils sélectionnés, mis en texte et

agencés pour répondre à des fins didactiques ? - Quel écart pouvons-nous mesurer entre ces représentations culturelles véhiculées

par les manuels d’allemand et les représentations ambiantes que diffusent la presse et les discours politiques ?

5. Démarche méthodologique

Ambitionnant de faire une histoire de la construction d’une discipline scolaire et par là même des représentations identitaires transmises par le biais de l’allemand scolaire en Suisse romande, cela principalement à travers son matériel d’enseignement, nous optons pour une démarche d’analyse de contenu.

Le principal corpus sur lequel notre analyse s’appuiera se constitue des manuels scolaires d’allemand successivement en vigueur dans les cantons de Genève, Vaud et Fribourg entre 1830 et 1990 (une quarantaine de manuels). Dès lors, les unités d’analyse à partir desquelles nous allons travailler consisteront en les textes supports, les exercices ainsi que les illustrations se rapportant premièrement à la perspective nationale et dont la thématique s’insère dans l’une des catégories suivantes :

□ Mythes, paysage, histoire

□ Valeurs, modes de vie, coutumes, mentalité

□ Formes d’organisation (institutions)

□ Patrimoine intellectuel et artistique

□ Langue

L’examen des contenus thématiques sera mené selon une double approche. Premièrement, une analyse quantitative qui permettra de calculer la fréquence de ces différents éléments et de les hiérarchiser. Ensuite, une analyse d’ordre qualitatif sera également effectuée sur les mêmes

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objets afin d’évaluer leur profil, leur nature, leur signification, leur énonciation, et leur évolution au sein de notre corpus de manuels. Afin de mettre en exergue leur contenu aussi bien latent que manifeste, nous nous inspirerons de différents modes d’analyse, tels que l’analyse logico-esthétique et l’analyse sémantique et structurale.5 S’agissant du matériel non verbal, à savoir les illustrations, une analyse de type sémiologique sera réalisée et, une fois ce travail accompli, la mise en relation de ces images avec les discours écrits nous semble pertinente, comme le suggère Gaulupeau (1993, p. 135) : « Dresser l’inventaire des formes d’expression ainsi mises en œuvre, dégager l’articulation de ce discours avec celui, littéral et implicites, des énoncés, contribuerait utilement à caractériser le langage propre aux manuels scolaires ». L’axe de notre recherche ne résidant pas uniquement en une perspective nationale mais également à travers un regard croisé entre les représentations helvétiques et les références à l’Allemagne, le même travail d’analyse du contenu sera mené en transposant les catégories définies ci-dessus au cas des représentations germaniques.

Toujours dans la perspective de cette triangulation, un intérêt sera également porté sur les livres de lecture (une vingtaine d’ouvrages) et l’histoire littéraire mobilisés dans le cadre de l’allemand scolaire dans les trois cantons. Pour cela, nous nous baserons sur les titres recensés par Extermann (2011) en nous concentrant sur le profil des auteurs ainsi que sur les sujets de ces différents ouvrages. Cette démarche permettra de percevoir quels auteurs sont mis en avant au cours de la période étudiée et de compléter l’analyse portant sur les représentations helvétiques et allemandes véhiculées par l’enseignement de l’allemand.

En parallèle, une analyse sera menée quant à la didactisation des contenus au sein desquels apparaissent ces représentations. Il s’agira alors de déceler quels supports, quelles approches et quelles activités sont utilisés pour aborder ces faits culturels, quelle est leur sélection, leur hiérarchisation ainsi que leur progression dans le cursus scolaire au fil de la période étudiée. Dans un deuxième temps, nous effectuerons un croisement de ces éléments avec les images de la Suisse et de l’Allemagne véhiculées hors du cadre scolaire dans les trois cantons romands, plus particulièrement par le biais d’un autre moyen de communication de masse - outre les manuels scolaires - la presse. Pour ce faire et par souci de temps, une bonne partie de ce travail reposera sur la littérature secondaire abordant ces thématiques-là pour toute la période qui nous intéresse.

La construction de l’identité nationale avec en parallèle la transmission d’une culture étrangère étant le point central de ce travail, la mise en contexte et son évolution au cours de la période étudiée sera fondamentale. Dans cette optique, d’autres types de sources seront prises en compte dans l’analyse, telles que : les revues pédagogiques, les documents des instances politiques ainsi que les quotidiens romands. La confrontation de ces sources avec les représentations observées dans notre corpus servira à mettre en évidence des concordances ou à l’inverse des décalages entre les deux.

                                                                                                                         5 Selon Mucchielli (1998), l’analyse logico-esthétique est une technique recherchant la structure d’un texte dans ses rapports avec les effets de sens et s’en tenant au contenu manifeste. Les analyses sémantiques et structurales cherchent à dépasser le contenu explicite pour arriver à un sens latent et elles se situent de ce fait dans un domaine frontière avec l’herméneutique.

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6. Sources

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7. Calendrier

Bibliographie Brethomé, J. (2005). Le professeur d’allemand, 1850-1880. La longue marche d’intégration

dans le corps enseignant. In : M. Mombert (dir.), L’enseignement de l’allemand. XIXe-XXI e siècles. Histoire de l’éducation, 106, 15-40. Paris : INRP, 41-69

Chartier, R. & Fabre, P.-A. (2006). Histoire des représentations. In S. Mesure & P. Savidan (Ed.), Le dictionnaire des sciences humaines. Paris : PUF

Chervel, A. (1988). L’histoire des disciplines scolaires. Réflexions sur un domaine de recherche. Histoire de l’éducation, 38, 59-119

Choppin, A. (1980). L'histoire des manuels scolaires. Une approche globale. Histoire de l’éducation, 9, 1-25

Criblez, L. & Hofstetter, R. (1998). Erziehung zur Nation. Nationale Gesinnungsbildung in der Schule des 19. Jahrhunderts. In U. Altermatt, C. Bosshart-Pfluger & A. Tanner (Ed.), Die Konstruktion einer Nation. Nation und Nationalisierung in der Schweiz, 18.-20. Jahrhundert. (pp. 167-188). Zürich: Chronos

Criblez, L. (2012). Transformation schulischen Wissens seit 1830. UZH

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Czáka, V. (en préparation). Former les corps et les âmes : histoire sociale et genrée de l’éducation physique scolaire en Suisse romande (19e- début 20e s.). Doctorat, UNIL

Extermann, B. (2009). Le débat des langues dans l’enseignement secondaire en Suisse romande au XIXe. In N. Arregui (coord.) Les langues entre elles dans les usages et les contextes éducatifs en Europe (XVIe-XXe siècles). Documents SIHFLES, 43, 81-98

- (2011). Une langue étrangère et nationale. Histoire de l’enseignement de l’allemand en Suisse romande (1790-1940). Doctorat, UNIGE

Farquet, R. (1991-1992). Evolution du matériel d'enseignement au Cycle d'Orientation de 1962 à 1987. Archivage des livres et des brochures. Genève : DIP, CO

- (1993-1994). Le tremplin et l’obstacle (Vol. 1-2). Genève : DIP Forster, S. (2008). L'école et ses réformes. Lausanne : PPUR Fontaine, A. (2013). Transferts culturels et déclinaisons de la pédagogie européenne. Le cas

franco-romand au travers de l’itinéraire d’Alexandre Daguet (1816-1894). Doctorat, Universités de Fribourg & de Paris 8

Gaulupeau, Y. (1993). Les manuels scolaires par l’image : pour une approche sérielle des contenus. Histoire de l’éducation, 58, 103-135

Heller, G. (1988). « Tiens-toi droit ! » L’enfant à l’école primaire au 19e siècle. L’exemple vaudois. Lausanne : Ed. d’En Bas

Herrmann, I. (2003). Genève entre République et Canton. Les vicissitudes d'une intégration nationale. Presses de l'Université de Laval : Éd. Passé Présent

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Hofstetter, R. & Schneuwly, B. (2012). Transformation schulischen Wissens in den Schulfächern Französisch, Deutsch und Geschichte der Westschweiz (1830-2010). In L. Criblez (Ed.), Transformation schulischen Wissens seit 1830. UZH

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dans le primaire genevois : débats autour de son enseignement (de 1848 à 1923). Mémoire de licence, UNIGE

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Mombert, M. (2005, mai). L’enseignement de l’allemand. XIXe-XXIe siècles. Histoire de l’éducation, n°106

Mucchielli, R. (1998). L’analyse de contenu des documents et des communications. Paris : ESF

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Neuchâtel : Alphil