cadre géographique : la plaine languedocienne

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L'adaptation de l'architecture rurale aux mutations agricoles en Languedoc du XVIIe au XXe siècle S a v o i r s P a r t a g é s Jean-Michel Sauget, service régional de l’inventaire Languedoc-Roussillon, octobre 2006

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L'adaptation de l'architecture rurale aux mutations agricoles en Languedoc du XVIIe au XXe siècle. S a v o i r s P a r t a g é s Jean-Michel Sauget, service régional de l’inventaire Languedoc-Roussillon, octobre 2006. Cadre géographique : la plaine languedocienne. - PowerPoint PPT Presentation

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L'adaptation de l'architecture rurale aux mutations agricoles en Languedoc du XVIIe au XXe siècle

S a v o i r s P a r t a g é s Jean-Michel Sauget, service régional de l’inventaire Languedoc-Roussillon, octobre 2006

Cadre géographique : la plaine languedocienne

Carte en relief de l’Hérault

La plaine est le domaine quasi exclusif de la vigne. Cette monoculture a fait du Languedoc le premier vignoble au monde en quelques décennies. Dans le passé, la situation était très différente...

Au Moyen Age et sous l’Ancien Régime, l’économie rurale languedocienne repose sur le trinôme traditionnel

céréales-olivier-vigne, souvent complantés.D’autres cultures sont pratiquées :

•légumineuses, •maraîchages,•arbres fruitiers.

L’élévage (ovins-caprins) demeure une activité connexe qui se pratique dans les zones périphériques (collines, garrigue).

Le cadre monumental : 3 Languedociens sur 4 viventdans un village de 2000 habitants. Les villages de plaine surprennent par leur taille : de 1000 à 5000 habitants.

Par sa morphologie et son développement topographique, avec son enceinte défensive, ses institutions municipales (qui apparaissent dès le XIIe siècle), son histoire, le village se comporte comme une petite ville.

Cessenon (34)

NORDNORD

Un premier village se regroupe autour du château dès le XIe siècle et se dote d’une enceinte auXIIe siècle (?).

Des faubourgs s’installent à partir du XIIe siècle

Au XIIIe siècle, une nouvelle enceinte est construite et des lotissements sont créés : le sol est découpé en parcelles lanièrées (étroites

et allongées), régulières et perpendiculaires aux rues

Le châteauprend sa

forme définitiveentre le

XVIe s. etle XVIIe s.

La formation du village de Murviel-lès-Béziers (Hérault) éclaire la genèse du village languedocien et de son habitat.

NORDNORDNORD

4

1ère moitié XVIIIe s. 2e moitié XVIIIe s. limite XVIIIe XIXe s.

A cette époque,une première série de bâtiments s’installe dans les fossés, contre le rempart.

L’architecture du village se caractérise par un bâti dense aligné sur les rues étroites avec de rares placettes ; peu de cours, pas de jardins potagers… Mais des vides sont notés au cœur des îlots.

Au XIVe siècle, le village a atteint son extension maximale et ne sortira pas de ses murs avant la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Les nouveaux faubourgs prennent forme après 1850. Après avoir occupé les fossés de l’ancien « castrum », les constructions se développent sur sa bordure avant de se concentrer le long des principaux axes de circulation...

Ces quartiers conservent pour l’essentiel les habitudes antérieures : forte densité de constructions, fronts bâtis homogènes, maisons mitoyennes, parcelles étroites et parfois lanièrées dans les nouveaux îlots.

A l’époque moderne, le village ne reflète pas vraiment la hiérarchie sociale très marquée en Languedoc :

Petits et moyens propriétaires, brassiers, notables « s’entassent » dans les villages avec les nombreux métiers et artisans (construction, alimentation…) qui prennent une place importante…

Tandis que les grands propriétaires(nobles, bourgeois…) habitentsoit leurs domaines isolés, soit

demeurent en ville.Murviel-lès-Béziers (34)

Cessenon (34), Viranel

Les grandes propriétés forment un semis de domaines dispersés autour des villages, les métairies. Leur origine est souvent très ancienne.

Beaucoup de métairies, éloignées de la ville et de ses propriétaires, sont en très mauvais état à la fin du XVIIIe siècle et bien peu nous sont parvenues intactes.

Ils occupent les meilleures terres et utilisent une abondante main d’œuvre de brassiers qui habitent au village. Loin de l’influence de Montpellier, on pratique sur ces domaines unepolyculture vivrière traditionnelle etroutinière, ainsi qu’un peu d’élevage, qui génèrent peu de revenus. Capestang (34) Extrait de la carte de Cassini (XVIIIe s.)

Les villageois se partagent des terres de moindre valeur, généralement éloignées du bourg.

Les troupeaux de moutons et de chèvres sont rarement hébergés dans les villages...

On trouve les bergeries (jas) dans les secteurs isolés, les collines, notamment dans les garrigues.

Aucune n’a survécu à la révolution viticole.

Peu de petites métairies isolées...

Dans les secteurs éloignés, de nombreux édicules en pierre sèche, les capitelles, témoignent d’activités agricoles sur les parcelles aménagées en terrasses aujourd’hui abandonnées.

Construites entre le XVIIe et le XIXe siècle, ces capitelles servaient de remises à outils et d’abris temporaires.

Dans le village, l’architecture présente un faciès ambigu car « rien ne rappelle explicitement le travail agricole, la

sociabilité y prend un tour quasi-urbain.» (Monique BOURIN)

La ferme agricole n’existe pas en Languedoc et le terme choque, encore aujourd’hui, le Languedocien qui n’y voit qu’une maison.

L’habitat villageois se conçoit donc comme une maison, pourvue, ou non, de dépendances à usage agricole, artisanal ou commercial.

Compoix de 1765, Laurens

Le Pouget (34)

« Quitter son toit, c'est nécessairement aller dans la rue ou sur les places, d'où des relations de voisinage particuliè-rement actives » (Monique BOURIN), tant au moyen âge qu’à l’Epoque Moderne, ce qui a fortement contribué à développer la personnalité de ces villages.

La maison paysanne moderne se caractérise donc par une façade dissymétrique et la présence de deux portes en rez-de-chaussée : la porte du logis (la plus haute) et la porte bâtarde qui dessert le magasin.

Elle ne possède pas d’autres dépendanceset ce local est souvent polyvalent.

pailher

logis

magasin

Fanjeaux (11), XVIIe s.

Ce sont des maisons polyvalentesmaisons polyvalentes dont le modèle remonte au moyen âge (maison élémentairemaison élémentaire). Toutes les activités se superposent sous le même toit, c’est donc une maison-bloc en hauteurmaison-bloc en hauteur, qui se subdivise de bas en haut en :- un magasin (selliersellier ou jarrierjarrier), ou atelier ou boutique,- le logislogis àl ’étage,- un pailher dans le comble, éclairé par une « portalière »,

Les productions agricoles prennentpeu de place, tout comme lesanimaux de trait qui sont tolérésdans l’enceinte villageoise.

La morphologie des parcelles est héritée du moyen âge : l’habitat serré se développe en profondeur. Les maisons sont étroitesétroites et profondesprofondes, les pièces arrières sont rarement éclairées par des baies.

Plans : GUIBAL et

RAULIN 1994

Une maison de Poussan (34),

datable desXVIe-XVIIe

siècles, remaniée au

XIXe s. illustre le modèle :

c’est la « maisonmaison

élémentaireélémentaire » étudiée à

Montpellieret présente dans

tout le Languedoc.

Ses fonctions polyva-lentes

permettent d’abriter des

métierstrès différents.

Thézan-lès-Béziers (34) Cessenon (34)

Cette forme de maison paysanne n’évolue pratiquement pas jusqu’au début du XIXe siècle. Les agrandissements se font par l’achat de

membres de maisons voisines. D’autres maisons sont simplement transformées en « magasins » avec « pailhers ».

Cessenon

Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, le développement de la culture de la vigne va modifier la vie économique de la plaine avec l’abandon progressif de la polyculture traditionnelle et de l’élevage.

La création du port de Sète et le creusement du canal des Deux Mers (XVIIe siècle) sont les facteurs principaux de ce développement.

Le vin est d ’abord distillé. A partir du

milieu du XIXe siècle, la

consommation augmente.

Le vignoble connaît dès lors un développement fulgurant, une vraie « révolution »… favorisée par la construction de voies ferrées. Les crises de la fin du siècle mettront un coup d ’arrêt à cet essor.

Pour Le Roy Ladurie, « c’est le moment où  les agriculteurs cessent d’être des paysans, vivant de la polyculture, pour

devenir des viticulteurs qui achètent leur nourriture et travaillent pour le

marché ».

Plaine d ’Argeliers (11)

La révolution viticole du XIXe s.

Cette pratique explique les transformations profondes que connaissent les villages. Selon les communes, entre 75 et 90 % des bâtiments sont construits ou reconstruits. Un gros village comme CapestangCapestang (3000 hab.)se transforme en chantier de construction entre 1860 et 1914.

La culture de la vigne génère des profits profits considérablesconsidérables dont presque toutes les couches sociales bénéficient. Ils sont immédiatement immédiatement investis dans la investis dans la pierrepierre, quelle que soit le milieu considéré.

Constructions réaliséesentre 1860 et 1930

Cette pratique contribue fortement à diffuser un modèle de maison, adopté dans tous les villages de la plaine par les différentes catégories de propriétaires. Il devient une véritable marque régionale de l’architecture viticole languedocienne.

De nombreux entrepreneurs s’installent et proposent de véritables catalogues de bâtiments « clés en main ».

Cessenon (34)

Laurens (34)

La maison viticole du XIXe siècle s’inspire directement des modèles antérieurs. C ’est toujours une maison

-bloc en hauteur qui conserve la faveur des bâtisseurs : 40

à 50 % du corpus architectural.

Capestang XIIIe s.

Cessenon fin XIXe s.

Les activités viticolesse concentrent dans un même local, la cave, qui se substitue au magasin, le pailher occupe toujours le comble.

St-Chinian (34) XVIIe s.

Ce modèle est utilisé par toutes les classes sociales du village,du petit au grand propriétaire qui le décline en fonction de ses

ressources...

Murviel-lès-Béziers

Cessenon

Cessenon

Murviel-les-Béziers

Pour devenir de véritables domaines urbains où la

fonction viticole s’estompe au profit de l’affirmation du

rang social.

Cessenon

Ils se font construire une cavecave (cellier)dans le faubourgfaubourg (barri) pour abriter

le matériel et la récolte.Thézan

Thézan

Le paysage villageois se diversifie un peu plus : les petits propriétaires habitent toujours les vieilles demeures, dans le semis de ruelles du

village intra-muros. Les dépendances sont vite insuffisantes, surtout quand une double

activité s’exerce dans le même local.

Capestang

D’autres formes apparaissent mais elles demeurent très

minoritaires. Comme le modèle précédent, le choix du type

reflète rarement la hiérarchie sociale du village. Celle-ci s’exprime dans le décor

architectural

Les maisons-blocs à maisons-blocs à terreterre sont

assez nombreuses. Les parties

constituantes sont juxtaposées

latéralement ou en profondeur.

Capestang

Quelques domaines viticoles, grandsconsommateurs d’espace et gros producteurs de vin, se développent en périphérie du village.

Ce domaine de Laurens appartenait à Valentin Duc, chanteur d’opéra, connu nationalement… dans tout le Biterrois !

Disséminés au milieu de leurs terres, les grands domaines, dont certains ont une origine médiévale, constituent un catalogue de formes atypiques où la simplicité architecturale de certaines « campagnes »...

Murviel, Coujan

Murviel, Saint-Martin

… tranche avec la richesse de quelques châteaux viticolesqui pratiquent une viticulture de type capitaliste et affichent la réussite de leurs propriétaires. Le domaine de Grézan, à Laurens,en est une bonne illustration.

Ancienne commanderie,la métairie est transformée en vaste domaine viticole à la fin du XIXe siècle. Son propriétaire, avocat à Béziers, confia à l’architecte bordelais Louis Garros, la reconstruction de l’ancienne demeure en un château d’inspiration «néo-gothique anglais», dans les années 1890.

La société rurale languedocienne demeure très inégalitaire. Les couches moyennes demeurent très sous représentées.

% population

superficies cultivées

% surfaces cultivées

lieu d'habitation

journaliers, brassiers 85% < 5 ha 35%

vieux village

petits et moyens

propriétaires12%

6 à 20 ha

28% faubourgs

grands propriétaires 3% > 20 ha 37%

domaines, ville

nombre habitants

production communale

300 hl500 / 1000

hl1000 / 5000

hl5000 /

10000 hl10000 /

20000 hl

LAURENS 1100 25 000 hl 13 / 3 1 /

MURVIEL-lès-

BEZIERS2000

100 000 hl

/ 29 7 / 2

nombre de producteurs

L’Indicateur Gervais des vignobles méridionauxIndicateur Gervais des vignobles méridionaux, publié en 1896, souligne ces inégalités et confirme la suprématie écrasante de la viticulture de type capitaliste.

Les techniques de vinification :Dans la plupart des vignobles français, le vin est élaboré dans des locaux distincts : il est fabriqué dans le cuvage (foulage, pressurage fermentation,) puis assemblé dans le cellier et enfin conservé dans le chai ou la cave.

Poussan (34) : GUIBAL et RAULIN 1994

En Languedoc, ces opérations sont regroupées dans un seul et même local : la cave. Le vin est stocké dans des foudres en bois puis en cuves béton à partir des années 1930, pour être vendu dans l’année à des négociants en vin.

Dans les maisons-blocs, la mixité des fonctions est la règle. L’activité viticole investit une partie seulement du rez-de-chaussée...

Ouveillan (11) : GUIBAL et RAULIN 1994

État actuel

Ouveillan (11) : GUIBAL et RAULIN 1994

On retrouve également un coin réservé à l’animal de trait. Les outils,peu nombreux, trouvent place dans les intervalles tandis que lacharrette occupe le centre de la cave.

Le foulage se fait au pailher ou au sol, en fonction de la configuration des lieux, le pressage se fait au sol, le jus étant transvasé manuellement ou pompé. Les cuves n’occupent qu’un espace limité.

Dans les grandes caves la vinification et le stockage occupent le rez-de-chaussée, l’étage (le pailher) est réservé au foulage, aux manœuvres de remplissage des foudres ou des cuves. Le pailher primitif se transforme en passerelle de circulation.

Thézan

Thézan

Capestang

cave

château

distillerie

chai

écuries

maison durégisseur

chapelle

ramonet

logements ouvriers

parc

Laurens, Grézan

Dans les grands domaines, les techniques de vinifications utilisent les mêmes recettes, sur une échelle démultipliée. Le rendement esttoujours privilégié : jusqu ’à 150 - 250 hectolitres/hectare… Les caves s’agrandissent démesurément jusqu’à former des bâtiments à plusieurs vaisseaux.

Matériels et installations sont plus élaborés. Beaucoup de bâtiments sont reconstruits pour répondre aux nouvelles fonctions viticoles. Les propriétaires n’hésitent pas à importer des modèles extérieurs. Les conseils des agronomes sont souvent suivis d’effets.

Logement du régisseur

Logements ouvriers

écuries+ pailher

remises-atelier

distillerie

cave

Le domaine de Lamarre (Thézan-lès-Béziers), géré

par un régisseur, illustre le cas : reconstruit vers 1875, il comporte deux bâtiments

parallèles, à deux corps, disposés de part et d’autre

d’une cours centrale.

Les fonctions se séparent plus nettement car la place ne manque pas : l’aile sud est réservée aux logements (hommes et bêtes) et au matériel. Seule la distillerie occupe l’extrémité du bâtiment.

L’aile nord abrite la cave avec :

- le pressoir,- les cuves de vinification,

- le fouloir à l’étage

- les cuves de stockage.

fouloir

Cette situation a perduré quelques décennies, sans grands changements, ponctuée par les nombreuses crises qui ont secoué le monde viticole : surproductions, méventes, vins algériens, fraudes, etc.

Le mouvement coopératif a initié une spirale qui aura des conséquences importantes pour les villages : la désaffection des caves particulières et la disparition de nombreux métiers liés à la viticulture. Saint-Chinian

Devant les problèmes économiques rencontrés, le développement de la coopération viticole (initié dès 1911) et la création des caves coopératives, dans les années 1930-1940, a relancé la filière.

Aujourd’hui, la viticulture a encore évolué. Les crises se succèdentet la plupart des bâtiments sont devenus obsolètes. Les domaines sont les principales victimes de cette reconversion. Le manque de moyens pour les entretenir est flagrant : les châteaux s’écroulent...

Puisserguier (34), château de Milhau

Les conséquences sur le patrimoine bâti des villages, notamment les caves, sont importantes : perte de leur fonction agricole, puis perte de leur utilité avec le développement du parc à matériel… Nombreuses sont celles qui sont transformées en logements locatifs !

ConclusionAvec la pression foncière et l’afflux massif de nouveaux habitants (3500 personnes/mois en Languedoc), les agglomérations languedociennes connaissent une érosion exceptionnelle de leur patrimoine architectural qui souffre des rénovations menées sans réflexion, au gré des ventes et des mises aux normes… A terme, le risque est grand de voir disparaître à la fois ce patrimoine viticole mais également le patrimoine historique des villages !