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Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n° 2, 2014 © (EDUCI), 2014 3 Les marches ruraux de la rive droite du fleuve Congo : cadre d’echanges transfrontaliers DAMASE NGOUMA - Université Marien NGOUABI (département de géographie) RÉSUMÉ L’article porte sur la zone d’échanges transfronta- lière informelle et dynamique qui s’est formalisée sur une portion du couloir du fleuve Congo (du Stanley-Pool à Makotipoko) et dont l’aire de chalandise s’étend entre la République du Congo et la République Démocratique du Congo. Il cherche à cerner les conditions d’émer- gence et les traits caractéristiques d’un commerce atypique. Les résultats indiquent que : 1. L’éclosion des marchés a été favorisé par l’exis- tence de services de transport permettant l’arrivée de plus en plus massive des commerçants-collecteurs de produits vivriers à la campagne et l’évacuation des marchandises vers la ville, l’abondance de la produc- tion locale, la situation de carrefours frontaliers des localités abritant les marchés et l’attrait du différentiel entre le franc CFA et le franc congolais. 2. Les acteurs impliqués dans les échanges sont en majorité des adultes hommes et femmes dont l’âge varie entre 25 et 44 ans qui représentent 62% de l’effectif total. On note parmi eux la présence des Congolais de la RDC (21,4% de l’effectif total). 3. Les produits vivriers vendus sont essentielle- ment d’origine agricole, de la pêche, de la chasse et du ramassage dont la vente n’est soumise à aucune mercuriale officielle. 4. Les échanges procurent aux acteurs des reve- nus non négligeables qui varient en fonction du type d’activité et des circonstances. Les marchés ruraux de la rive droite du fleuve Congo contribuent à l’approvisionnement vivrier de Brazzaville. Mots-clés : Commerce inter-états, fleuve Congo, villages, marchés informels, échanges, vivriers, Répu- blique Démocratique du Congo, République du Congo. ABSTRACT The article concerns the informal and dynamic cross-border zone of exchanges which took offence on a portion of the corridor of the river Congo (from Stan- ley-Pool to Makotipoko) and the area of catchment of which extends between the Republic of the Congo and Democratic Republic of the Congo. It tries to encircle the conditions of emergence and the characteristic lines of an atypical trade. The results indicate that : 1. The hatching of markets was favored by the existence of services of transport allowing the more and more massive arrival of the storekeepers-collector of food-producing products to the countryside and the evacuation of the goods towards the city, the abundance of the local production, the situation of border crossroads of localities sheltering markets and attraction of the diffe- rence between the CFA franc and the Congolese franc 2. The actors implied(involved) in the exchanges are for the greater part adults men and women whose age varies between 25 and 44 years which represent 62 % of the total staff(size). We note among them the presence of the Democratic Republic of Congo’s people (21, 4 % of the total number). 3. The sold food-producing products are essen- tially of agricultural origin, the peach, the hunting and the collection the sale of which is subjected to no official reprimand. 4. The exchanges get for the actors of income not insignificant who vary according to the type of activity and circumstances. The rural markets of the right bank of the river Congo contribute to the food-producing supply of Brazzaville. Key words : Trade inter-states, river Congo, villages, informal markets, exchange, food-producing, Demo- cratic Republic of the Congo, Republic of the Congo.

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Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n° 2, 2014

© (EDUCI), 20143

Les marches ruraux de la rive droite du fleuve Congo : cadre d’echanges transfrontaliers

DAMASE NGOUMA

- Université Marien NGOUABI (département de géographie)

RÉSUMÉ

L’article porte sur la zone d’échanges transfronta-lière informelle et dynamique qui s’est formalisée sur une portion du couloir du fleuve Congo (du Stanley-Pool à Makotipoko) et dont l’aire de chalandise s’étend entre la République du Congo et la République Démocratique du Congo. Il cherche à cerner les conditions d’émer-gence et les traits caractéristiques d’un commerce atypique. Les résultats indiquent que :

1. L’éclosion des marchés a été favorisé par l’exis-tence de services de transport permettant l’arrivée de plus en plus massive des commerçants-collecteurs de produits vivriers à la campagne et l’évacuation des marchandises vers la ville, l’abondance de la produc-tion locale, la situation de carrefours frontaliers des localités abritant les marchés et l’attrait du différentiel entre le franc CFA et le franc congolais.

2. Les acteurs impliqués dans les échanges sont en majorité des adultes hommes et femmes dont l’âge varie entre 25 et 44 ans qui représentent 62% de l’effectif total. On note parmi eux la présence des Congolais de la RDC (21,4% de l’effectif total).

3. Les produits vivriers vendus sont essentielle-ment d’origine agricole, de la pêche, de la chasse et du ramassage dont la vente n’est soumise à aucune mercuriale officielle.

4. Les échanges procurent aux acteurs des reve-nus non négligeables qui varient en fonction du type d’activité et des circonstances.

Les marchés ruraux de la rive droite du fleuve Congo contribuent à l’approvisionnement vivrier de Brazzaville.

Mots-clés : Commerce inter-états, fleuve Congo, villages, marchés informels, échanges, vivriers, Répu-blique Démocratique du Congo, République du Congo.

ABSTRACT

The article concerns the informal and dynamic cross-border zone of exchanges which took offence on a portion of the corridor of the river Congo (from Stan-ley-Pool to Makotipoko) and the area of catchment of which extends between the Republic of the Congo and Democratic Republic of the Congo. It tries to encircle the conditions of emergence and the characteristic lines of an atypical trade. The results indicate that :

1. The hatching of markets was favored by the existence of services of transport allowing the more and more massive arrival of the storekeepers-collector of food-producing products to the countryside and the evacuation of the goods towards the city, the abundance of the local production, the situation of border crossroads of localities sheltering markets and attraction of the diffe-rence between the CFA franc and the Congolese franc

2. The actors implied(involved) in the exchanges are for the greater part adults men and women whose age varies between 25 and 44 years which represent 62 % of the total staff(size). We note among them the presence of the Democratic Republic of Congo’s people (21, 4 % of the total number).

3. The sold food-producing products are essen-tially of agricultural origin, the peach, the hunting and the collection the sale of which is subjected to no official reprimand.

4. The exchanges get for the actors of income not insignificant who vary according to the type of activity and circumstances.

The rural markets of the right bank of the river Congo contribute to the food-producing supply of Brazzaville.

Key words : Trade inter-states, river Congo, villages, informal markets, exchange, food-producing, Demo-cratic Republic of the Congo, Republic of the Congo.

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4 DAMASE NGOUMA et al : Les marches ruraux de la rive droite du fleuve Congo : ...

INTRODUCTION

Sur la rive droite du fleuve Congo, frontière natu-relle séparant la République du Congo et la Répu-blique Démocratique du Congo (RDC), on rencontre de nombreux villages de tailles différentes. Ceux situés dans le couloir du fleuve, du Stanley-Pool à Makoti-poko (294 km environ), constituent depuis quelques décennies une zone animée par des flux commerciaux transversaux organisés autour des marchés riverains. On en compte actuellement neuf, où commerçants-transporteurs et grossistes collecteurs de produits vivriers venus de la ville vont à la rencontre des pro-ducteurs locaux et des producteurs et commerçants en provenance des localités de la RDC.

Les « villages-marchés » (BENNAFLA, 1998, p. 54) sont un aspect des mutations du milieu rural congolais qui a jusqu’à présent fait l’objet de peu d’études spécifiques et approfondies. Les travaux qui en font allusion indiquent, pour certains, que le besoin de commercialisation des produits vivriers et la présence dans certains villages d’une production abondante ont poussé les ruraux à créer des mar-chés forains hebdomadaires. Ils revêtent tantôt un caractère « régional » (NDZIO ONDIALA, 2008), tantôt un caractère local, rassemblant les acteurs provenant des villages d’une même zone (EBAMA, 2004 ; NGONA, 2007). D’autres travaux lient l’appari-tion des marchés ruraux à la dynamique des relations ville-campagne, avec la présence dans les lieux de regroupement des acteurs de commerçants gros-sistes assurant l’approvisionnement vivrier de la ville (LINGUIONO, 2009 ; NGOUMA, 2012).

L’objectif de cette étude est d’analyser les mar-chés ruraux développés dans les villages bâtis sur la rive droite du fleuve Congo. Elle a la particularité d’aborder un aspect du commerce transfrontalier entre la République du Congo et la République Dé-mocratique du Congo (RDC) sur la voie fluviale. Dans la mesure où des villages existent sur la rive gauche du fleuve Congo, avec une production vivrière en quantité importante, l’apparition de ces marchés et la venue des acteurs en provenance de la RDC suscitent de nombreuses interrogations. Qu’est-ce qui a favorisé la naissance des marchés dans ces villages ? Quels sont les traits caractéristiques de ces marchés et comment s’organisent-ils ? Quels en sont les principaux acteurs et les produits commercialisés ? Et enfin, quel en est l’impact socio-économique ?

Notre étude est une analyse micro-géographique qui prend en compte les aspects des approches sociologique (ou anthropologique) et économique de la question relative au commerce frontalier. Elle est structurée en trois parties : présentation et causes de l’éclosion des marchés, organisation des marchés, acteurs et produits commercialisés, et impact socio-économique des marchés.

1- DONNÉES ET MÉTHODES

1.1- ECHANTILLONNAGE

Trois unités statistiques ont été utilisées, notam-ment le producteur, le commerçant-transporteur et le commerçant-grossiste collecteur de produits vivriers. Les enquêtes ont été réalisées au port de Yoro et dans deux des sept marchés concernés par les échanges transfrontaliers (Ngabé et Mboka-Léfini). Ces marchés ont été choisis en raison d’une part de la présence à la rive opposée d’un village d’où proviennent les producteurs et les commerçants de la R.D.C, et d’autre part du nombre d’acteurs et de la ré-gularité des moyens de transport et qui y vont chaque semaine. L’enquête à Yoro était nécessaire pour mesurer le nombre de personnes qui se déplacent chaque semaine vers les marchés ruraux du couloir et déterminer la nature des produits vivriers reçus au port. La technique d’échantillonnage retenue est l’échantillonnage par choix raisonné. Au total, 239 personnes ont été interviewées parmi lesquelles, 10 agents de l’Etat et 5 particuliers. La figure 1 présente la répartition de la population enquêtée en fonction des lieux d’enquête.

Fig. 1 : Répartition des enquêtés par lieu d’enquête Source : Données de terrain, 2008

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De la figure, il faut retenir que le marché riverain de Ngabé comporte la proportion d’enquêtés la plus élevée (42%) des lieux choisis. On note ensuite Mboka-Léfini (31%) et le port de Yoro (27%). Ces différences sont du fait d’un choix raisonné basé d’une part sur la taille de la population de chacune des deux localités et des activités menées sur place, et d’autre part sur le besoin de plus focaliser l’enquête sur les villages-marchés que sur Yoro qui n’est que le débouché des marchandises achetées dans le couloir.

1.2- DONNÉES COLLECTÉES ET MÉTHODES D’ANALYSE

La méthode utilisée pour la collecte des données est l’entretien individuel auprès des populations ciblées à l’aide d’un questionnaire et d’un guide d’entretien. Les données collectées concernent entre autres : la nature, la provenance et la destination des marchandises, les coûts à l’achat et à la revente, l’ori-gine et le profil socio-démographique des acteurs, les motifs de la venue des commerçants aux marchés, la nature et les traits caractéristiques des marchés ruraux, etc.

L’analyse des données a permis de catégoriser les commerçants en fonction du type de produit acheté ou vendu et d’apprécier leurs motivations et l’impact de ce commerce dans l’approvisionnement de Brazzaville. De même, la répartition des acteurs selon l’origine géographique a permis d’apprécier le rôle des producteurs et commerçants venant de la RDC et de mettre en relation le dynamisme et le nombre des acteurs avec la situation socio-écono-mique des deux pays. Les logiciels Excel et MapInfo ont été utilisées pour le traitement des données et la réalisation des illustrations.

2- RÉSULTATS

L’émergence des marchés frontaliers sur la rive droite du fleuve Congo est l’affirmation de dynamismes privés qui transcendent les limites territoriaux dans un contexte socio-économique marqué par la crise.

2.1- TRAITS CARACTÉRISTIQUES ET VIE DES MARCHÉS

2.1. 1- Des marchés localisés dans les villages riverains

Le couloir constitué par les cours du Congo vers l’amont compte neuf marchés riverains, sur une dis-tance de près de 294 km, à partir du Stanley-Pool. Ces marchés sont localisés à Maïpili, Mafamba, Ngabé, Mboka-Léfini, Bowando, Mpouya, Mongolo, Bwemba et Makotipoko (Fig. 2).

Fig. 2 : Localisation des marchés ruraux de la rive droite du fleuve Congo

Source : Fond de carte C.E.R.G.E.C, modifié par D. NGOUMA.

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Les marchés ruraux étudiés se tiennent tous au bord du fleuve, exceptés ceux de Mongolo et de Bwemba. Presque tous ne disposent pas d’un aménagement particulier indiquant l’emplacement du marché. Mais on remarque souvent le lendemain du jour du marché des débris de produits et des semis de feuilles d’emballage au bord du fleuve, à l’endroit où le marché s’est tenu la veille. La population de la plupart des villages-marchés dépasse les mille habitants, quelque soit la distance de Brazzaville. Le dynamisme et la taille de chaque marché sont en partie fonction de la densité de la population de la localité qui l’abrite. Ceci explique pourquoi les plus grands marchés sont ceux de Ngabé, Mboka-Léfini, et Mpouya (tableau 1). Tableau 1 : Distance de Brazzaville et population

des villages-marchés

Villages-marchés Distance de Brazzaville

(en Km)

Population en 2007

Maïpili 106 193Mafamba 137 480Ngabé 167 3 067Mboka-Léfini 194 1 032Bowando 212 304Mpouya 232 3 307Mongolo 254 1 533Bwemba 283 2 226Makotipoko 294 3 466

Source : Ministère du plan, RGPH (2007)

2.1.2- Vie et fréquence des marchés

L’organisation des marchés du couloir est iden-tique. Deux principaux moments entrainent une animation particulière dans les villages : l’arrivée des baleinières ou des camions et le jour du départ. Le premier est celui où les « collecteurs» s’empressent de contacter les producteurs pour obtenir la mar-chandise. Les ruraux s’activent alors pour apprêter les produits à vendre.

Les véritables transactions se font le jour du mar-ché, le plus animé, car il est aussi celui du départ des moyens de transport vers Brazzaville. Très tôt le matin commence le transport des marchandises

vers les embarcations ou les camions et vers la place du marché. Certains produits sont chargés dans des pirogues pour être transportés vers les baleinières qui souvent n’accostent pas directement à l’embar-cadère du village (Photo 2). D’autres producteurs ou commerçants arrivent aussi le même jour à bord des pirogues remplies de marchandises, en provenance des villages frontaliers (Photo 1).

Photo 1 : Producteurs et commerçants arrivant à Mboka-Léfini en provenance de Biangala, un village frontalier (Cliché : D. NGOUMA, 2006).

Photo 2 : Place du marché à Mboka-Léfini : les mar-chandises y sont emmenées en pirogues (Cliché : D. NGOUMA, 2006).

Il faut attendre le soir pour voir les mouvements baisser d’intensité, tandis que les embarcations et les véhicules quittent le village, laissant à la place du marché toutes sortes de détritus (débits de denrées, feuilles d’emballage, etc.)

La situation ainsi décrite est analogue dans tous les marchés et se répète suivant la fréquence de leur tenue. Seule diffèrent la quantité et la nature des pro-duits vivriers vendus dans certains de ces marchés.

L’étude de la fréquence des marchés montre que la plupart se tient une fois par semaine. Il s’agit des

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Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n° 2, 2014

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marchés de Maïpili, Mafamba, Ngabé, Bowando et Mpouya qui sont organisés à l’intention des commer-çants qui y arrivent dans les baleinières1. Mongolo et Bwemba sont aussi des marchés hebdomadaires, mais leurs marchandises sont destinées aux com-merçants venant de Brazzaville par voie terrestre, à bord de camions.

Les villages-marchés de Mboka-Léfini et de Makotipoko revêtent un caractère particulier.

A Mboka-Léfini se tiennent trois marchés diffé-rents. Le premier, destiné aux baleinières, est orga-nisé deux fois par mois (les vendredis). Le deuxième se tient tous les lundis et approvisionnent les petites baleinières appelées « Essendé ». Le troisième enfin, destiné aux camions, a lieu deux fois par mois, les vendredis où les baleinières n’arrivent pas au village.

Le marché de Makotipoko se tient deux fois par mois. Il dessert à la fois les baleinières et les camions venant de Brazzaville par une piste carrossable reliée à la Route Nationale n°2. Contrairement aux autres marchés où les marchandises sont vendues à même le sol, à Makotipoko la place du marché est aménagée et bien organisée, avec la présence des tables, des étals et des secteurs de vente répartis par catégorie de produits commercialisés.

2.2- LES CAUSES DE L’ÉCLOSION DES MARCHÉS

La naissance et le développement des marchés riverains transfrontaliers dans les villages de la rive droite du fleuve Congo découlent de la conjugaison de plusieurs facteurs.

La présence de la desserte fluviale par baleinières a eu un rôle primordial dans la constitution de ces marchés. En effet, éloignés des centres urbains et inaccessibles par voie routière, les localités concernées (à l’exception de ceux de Mboka-Léfini, Mongolo et Bouemba) n’ont pour seule voie d’accès que le fleuve. Cette desserte fluviale permet réguliè-rement aux commerçants-grossistes collecteurs de produits vivriers d’accéder aux marchés ruraux. La

1- Nom donné aux embarcations de fabrication artisanale, entièrement en bois, avec une proue pointue et une poupe capable de recevoir au moins deux moteurs marins pour leur propulsion. Elles sont généralement surmontées par une toiture bâchée qui, dans certains cas comporte une cabine aménagée pour le conducteur et son équipage.

présence de ces acheteurs potentiels constitue pour les producteurs ruraux une opportunité de liquidation des stocks de marchandises et d’obtention de reve-nus substantiels.

En plus, la situation de carrefour frontalier des villages riverains du fleuve Congo et la circulation monétaire locale relativement considérable, du fait des échanges quasi réguliers avec les voyageurs de passage, ont aussi joué un rôle important dans l’éclosion des marchés.

La constitution des marchés de la rive droite du fleuve Congo découle aussi de l’abondance de la production locale qui, elle même, dépend en partie de la densité de la population localités concernées. C’est la raison pour laquelle les plus grands mar-chés (Ngabé, Mboka-Léfini, Bowando, Mpouya) se concentrent sur une distance d’environ 68 km seulement, zone où la densité de peuplement est importante. Ngabé par exemple compte environ 3 067 habitants (RGPH, 2007) dont une majorité de cultivateurs. Ces derniers sont incités à produire des quantités importantes de marchandises voyant affluer les clients potentiels.

2.3- ACTEURS IMPLIQUÉS DANS LES ÉCHANGES

Trois agents économiques constituent les prin-cipaux acteurs qui animent les échanges frontaliers dans les villages-marchés du couloir : les produc-teurs, les commerçants-grossistes ou grossistes-collecteurs et les commerçants-transporteurs.

2.3.1- Un profil démographique dominé par les hommes adultes

L’étude de la situation matrimoniale des acteurs intervenant dans le trafic vivrier du couloir montre que les commerçants sont en majorité des personnes mariées ou vivant en union libre. Elles représentent 77,5% de l’effectif total.

L’analyse de la structure par âge et par sexe donne des renseignements intéressants. Chez les commerçants, l’activité est dominée par les adultes hommes et femmes dont l’âge varie entre 25 et 44 ans. Ils représentent environ 62% de l’effectif total (32,2% chez les femmes et 29,8% chez les hommes). La proportion de jeunes de moins de 25 ans (18,3%) et celle des adultes de plus de 45 ans (19,7%) est

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moins importante. Dans l’ensemble, les hommes sont plus nombreux que les femmes (53,4% contre 46,6%).

La différence entre les sexes est plus remar-quable chez les transporteurs où les hommes

représentent 66,7% de l’effectif total, tandis que chez les grossistes-collecteurs, elle est minime : 51% pour les hommes contre 49% pour les femmes (tableau 2).

Tableau 2 : Structure par sexe et par âge des commerçants du couloir

Ages

Grossistes-collecteurs Transporteurs Total

Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes

Eff. % Eff. % Eff. % Eff. % Eff. % Eff. %

19-24 11 23 13 26 / / / / 11 8,4 13 9,9

25-34 22 45,8 22 44 4 18,1 2 18,2 26 20 24 18,3

35-44 9 18,7 10 2 7 32 5 45,4 16 12,2 15 11,5

45-54 6 12,5 5 1 8 36,3 3 27,3 14 10,6 8 6,1

55 et + / / / / 3 13,6 1 9,1 3 2.2 1 0,8

Total 48 100 50 100 22 100 11 100 70 53,4 61 46,6

Source : Enquête personnelle (2006)

2.3.2- Des acteurs d’origines diverses

L’étude des acteurs impliqués dans le commerce du couloir selon la nationalité et l’origine géogra-phique montre que les Congolais (Congo-Brazza-ville) représentent environ 78,6% de l’effectif total des enquêtés contre 21,4% des Congolais de la RDC provenant principalement de Kwamouth à la confluence du Congo avec le Kassaï, de Biangala en face de Mboka-Léfini de Bolobo et de Mandouka. Quant aux acteurs nationaux, les producteurs résident dans les villages-marchés ou dans les villages environnants, tandis que les commerçants grossistes vivent pour la plupart à Brazzaville (93,6% contre 6,4% résidant au village).

2.4- PRODUITS VENDUS ET MODE DE VENTE

Les marchés riverains du couloir proposent essentiellement les produits vivriers et la vente se fait suivant un circuit simple qui met généralement aux prises le producteur et le commerçant grossiste.

2.4.1- Des produits en majorité agricoles

Les produits vivriers vendus aux villages-marchés du couloir proviennent en majorité de l’agriculture. Parmi ces produits, les dérivés du manioc sont les plus rencontrés, si l’on tient compte de l’ensemble des marchés.

Il y a d’abord le manioc roui, « Kwanga ». Il est conditionné soit dans des sacs de fibres synthé-tiques appelés « Kimpouka » ou « Ntouka », soit dans de petites corbeilles appelées « Ntsanga », soit encore emballés dans des feuilles marantha-cées reliées par quelques lianes (« Thermomètre ou Thermo »). Le poids d’un sac de manioc roui varie entre 100 et 150 kg, celui du « Ntsanga » entre 10 et 20 kg et celui du « thermo » entre 8 et 10 kg. Il y a ensuite les cossettes de manioc, « foufou », qui sont conditionnées dans des sacs de jute ou de fibres synthétiques pesant en moyenne 50 ou 60 kg, et les chicouangues regroupées dans les sacs dont le poids varient entre 60 et 80 kg.

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Outre les dérivés du manioc, le menu bétail est aussi présent sur les marchés du couloir, mais en quantité réduite. Il s’agit généralement des chèvres, moutons, cabris et plus rarement, des porcs vendus pour l’essentiel à Makotipoko et Mpouya. Certains animaux proviennent des localités riveraines de la RDC, notamment Bolobo et Kwamouth.

Divers autres produits d’origine agricole et de ramassage sont commercialisés. Il s’agit en particulier du maïs (décortiqué et en spathe), de la banane (plantain et douce), des ignames, des noix de palme et des fruits sauvages. Le maïs est conditionné dans des sacs en fibres synthétiques pesant entre de 40 à 60 kg et commercialisé aux marchés de Ngabé, Makotipoko et Mpouya. Les bananes plantains regroupées par bottes et les ignames vendues en vrac sont présentes sur le marché de Makotipoko.

Les marchés riverains du couloir offrent aussi la viande de chasse et le poisson en quantité impor-tante. On distingue le poisson fumé, commercialisé dans des paniers à claires-voies de tailles variable dont le plus petit est appelé « mallette », et le poisson frais (encore vivant) conservé dans des vivriers pe-sant environ 50 kg. Les espèces les plus fréquentes sont le silure ou « Ngolo » (Clarias), le « Nsinga » ou « Mongusu » (Ophiocéphalus) et l’anguille ou « Ndzombo » (Protoptérus). Makotipoko est le prin-cipal marché de vente, qui reçoit une grande part des villages voisins ou parfois éloignés.

Les approvisionnements en viande de chasse sont très sporadiques et insignifiants. Le gibier est vendu aux marchés de Mpouya et Makotipoko, les-quels sont pour une large part approvisionnés par Bolobo et Mbandaka en RDC.

En définitive, la nature des produits vivriers ven-dus sur les marchés riverains du couloir est fonction de la zone de production dans laquelle chaque marché se situe. Ainsi, il apparait une certaine spé-cialisation dans le commerce (Fig.3).

Fig. 3 : Les zones de production approvisionnant les marchés du couloir

Source : Fond de carte C.E.R.G.E.C, modifié par D. NGOUMA

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2.4.2- Un mode de vente simple

L’achat et la vente des produits vivriers dans les villages-marchés se font généralement suivant un schéma assez simple qui met le producteur aux prises avec le grossiste-collecteur. L’intervention d’un intermédiaire entre les deux est une pratique moins courante qui concerne souvent les produits vivriers provenant des localités éloignées du village-marché ou celles de la rive gauche (RDC).

A la base de la transaction entre le producteur et le commerçant, il y a souvent une commande passée pour la production de quantités biens définies. Les grossistes-collecteurs passent les commandes dès leur arrivée au village (s’ils ne l’avaient pas fait lors du voyage précédent). Et les discussions et les arrange-ments se font jusqu’au soir. Mais, il est toujours pos-sible de trouver le jour du marché des marchandises à acheter car l’offre est généralement abondante.

En l’absence d’une mercuriale officielle, les produc-teurs fixent eux-mêmes les prix de vente des marchan-dises en tenant compte des charges de production et des fluctuations de l’offre et de la demande. Ces prix ne sont généralement pas fixes (tableau 3).Tableau 3 : Prix de quelques produits vivriers sur les

marchés du couloir

Produits

vivriersSpécificité (poids)

Prix d’achat

(en F CFA)

Manioc roui

« Thermo » (8 à 10 kg) 1 800 à 2 000« Tsanga » (10 à 20 kg) 3 000 à 4 000Sac (100 à 150 kg) 8 000 à 13 000

Cossettes de manioc

Sac (50 à 60 kg) 12 000 à 14 000

Chicouan-gues

Sac (60 à 80 kg) 9 000 à 12 000

Banane plantain

« Botte » (8 à 10 kg) 6 000

Maïs Sac (40 à 60 kg) 18 000 à 20 000

Poissons fumés

« Malette » (6 000 à 12 000 kg)

10 000 à 25 000

Panier 35 000 à 70 000

Poissons frais

Bassine (40 à 50 kg) 14 000 à 20 000

Igname Tas (6 à 8 kg) 5 000 à 6 000

Source : Enquête personnelle (2006).

Dans toutes les opérations de vente, le marchan-dage demeure la règle et seule la dextérité acquise dans les transactions par l’expérience permet à l’une des parties d’obtenir le prix avantageux. Les marchandises achetées dans les villages-marchés sont acheminées à Brazzaville, soit par voie fluviale à bord des baleinières, soit par voie terrestre dans des camions de taille variables.

2.5- REVENUS DES ACTEURS

Les échanges réalisés dans les villages-marchés du couloir permettent aux différents acteurs d’obtenir des revenus non négligeables. Les recettes men-suelles des acteurs varient aussi bien en fonction de la nature et de la quantité des produits vendus que du type d’acteur et des circonstances de vente.

Les revenus des grossistes-collecteurs sont très variables et les bénéfices qu’ils tirent de la revente des produits achetés ne sont pas souvent très importants : 30 à 60% du capital. Ils peuvent aussi être très faibles et ne représenter que moins de 20% du capital.

Les revenus des transporteurs varient en fonction du type d’embarcation exploitée et divers autres aléas liés à l’activité exercée. Nous avons pu déter-miner, à la lumière des données reconstituées à partir des cahiers journaux des armateurs, que les recettes mensuelles moyennes d’un commerçant transportant à la fois le bois de chauffe et les produits vivriers divers peuvent s’élever à près de 1 147 000 F CFA, pour un bénéfice de 340 000 F CFA environ.

De façon générale, les dérivés du manioc sont les premiers produits à partir desquels les paysans peuvent obtenir des recettes plus ou moins impor-tantes. Il s’agit surtout des cossettes de manioc et du poisson fumé (tableau 4). Tableau 4 : Revenus mensuels des producteurs

selon les produits commercialisés

Produits commercialisés

Classe de revenus(en F CFA)

Pourcentage des producteurs

3 000 à 5 000 6,5Chicouangues 5 000 à 7 500 3,3 8 000 à 10 000 9,7

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Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n° 2, 2014

© (EDUCI), 201411

11 000 à 13 000

4,8

13 500 à 18 000

8

Manioc roui5 000 à 8 000 17,710 000 à 18 000

4,1

20 000 à 45 000

2,4

40 000 à 50 000

11,3

Cossettes de manioc

50 000 à 65 000

8

70 000 à 160 000

6,5

Poissons fumés 15 000 à 35 000

8

40 000 à 65 000

3,2

Banane plantain 25 000 à 60 000

6,5

Source : Enquête personnelle (2006)

Ce tableau montre que 19,3% des producteurs de cossettes de manioc gagnent entre 40 et 65 000 FCFA à la fin du mois et 11,2% de ceux qui vendent les poissons entre 15 et 65 000 F CFA.

3. DISCUSSION

L’étude des marchés ruraux de la rive droite du fleuve Congo a montré que ceux-ci sont pour l’essentiel hebdomadaires, et que leur taille et leur dynamisme sont fonction du nombre d’habitants des localités qui les abritent. La nature de la population locale (agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, etc.) et sa capacité à produire ont donc une influence détermi-nante, plutôt que la distance qui les sépare de la ville.

C’est pourquoi, Makotipoko, éloignée de Braz-zaville de 294 Km, abrite un marché plus grand que celui de Ngabé, plus proche de la ville (167 Km). Chaque mois, plus de 350 commerçants se rencontrent à Makotipoko, tandis qu’environ 200 se rendent à Ngabé. Ceci confirme nos premières obser-vations de terrain (NGOUMA, 2013). GRIJOL (1996) par contre indique que la densité de peuplement est un facteur qui influence la périodicité des marchés ruraux ; car, dit-il, plus une région est peuplée, plus

grande est la fréquence avec laquelle fonctionne le marché, et moins elle est peuplée, les marchés sont périodiques et non permanents. Pour lui, c’est plutôt la richesse de la production locale et la présence d’un axe de communication permettant le désenclavement et d’une clientèle solvable qui déterminent l’éclosion et la prospérité d’un marché rural.

BENNAFLA (1998), sans négliger la nécessité d’une quantité suffisante de marchandises dans la zone du marché, montre quant à lui l’importance de la situation géographique (relief, hydrographie, des-serte par voie routière et intersection des frontières) qui fait d’un lieu un carrefour propice à l’établissement d’un marché. Il ajoute aussi l’influence de l’héritage historique qui fait d’une zone un lieu de convergence des peuples et le faible niveau des contrôles de police. Pour le cas des marchés du couloir du fleuve Congo, la densité de peuplement remarquable sur les deux rives a eu un effet positif sur l’éclosion des marchés ruraux. C’est d’ailleurs ce qui leur confère un caractère frontalier, lequel rime avec la diversité des acteurs impliqués dans les échanges.

Le profil démographique des acteurs est dominé par les personnes mariées ou vivant en union libre, hommes et femmes dont l’âge varie entre 25 et 44 ans. L’engouement des chefs de famille pour cette activité plus ou moins rémunératrice est motivé par l’obtention de revenus suffisants permettant de prendre en charge la progéniture. Par contre, la faible présence des jeunes de moins de 25 ans s’explique par le manque de moyens financiers qui ne permet pas à nombreux d’entre eux de se lancer dans l’activité, tandis que celle des adultes de plus de 54 ans peut être due au poids de l’âge, le com-merce sur le fleuve à bord de baleinière ayant un caractère périlleux.

L’autre fait important à noter au sujet des acteurs impliqués dans le trafic du couloir concerne la pré-sence aux lieux de marchés des producteurs et commerçants en provenance des localités riveraines de la RDC. Qu’est-ce qui motive leur arrivée dans les villages-marchés ?

La circulation de la monnaie dans les localités de la rive droite du fleuve est la raison principale. Pour ces acteurs, le différentiel entre le franc CFA et le franc congolais constitue un atout favorisant l’aug-mentation des marges bénéficiaires. La dépréciation répétée du franc congolais par rapport au franc CFA,

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12 DAMASE NGOUMA et al : Les marches ruraux de la rive droite du fleuve Congo : ...

stable et bénéficiant d’une libre convertibilité, contri-bue à l’expédition régulière des produits vivriers des villages de la R.D.C vers les villages-marchés de la rive droite du Congo. BENNAFLA (1998) parvient au même constat concernant l’arrivée massive des ven-deurs nigérians au marché frontalier de Mbaiboum installé dans une région caractérisée par l’importance des monnaies flottantes et l’inflation, où le franc CFA fait figure de monnaie forte et la plus recherchée.

L’absence ou le faible niveau des contraintes liées au contrôle des services administratifs (police, douane, phytosanitaires, etc.), signe d’un relâche-ment de l’autorité de 1’Etat sur les confins, a aussi été un facteur expliquant la présence des vendeurs venus de la RDC aux marchés frontaliers du couloir.

La présence des Congolais de la RDC permet à la fois de mesurer l’aire de marché du commerce exercé dans les villages du couloir, mais aussi d’en apprécier le rôle dans les relations ville-campagne.

• Un premier aspect de ces relations concerne les migrations humaines entre les villages-marchés et Brazzaville, grand centre de consommation. Nous pouvons estimer que 1700 personnes arrivent dans les villages du couloir chaque jour de marché (NGOUMA, 2013).

• Le deuxième aspect est relatif au rôle des villages-marchés comme lieux d’échanges entre paysans et citadins, et d’approvi-sionnement de la ville en produits vivriers, notamment ceux d’origine agricole, de la pêche, de la chasse et de la cueillette. Ces produits entrent à Brazzaville en passant par Yoro, port traditionnel de pêche, et par la Route Nationale n°2 (NGOUMA, 2013). KABAMBA et NTUMBA (1999) sont parve-nus aux mêmes constats à travers l’étude de quatre marchés ruraux situés sur la route nationale Mbujimayi-Kananga-Tsikapa. LIN-GUIONO (2009) a aussi montré le rôle des marchés ruraux dans le ravitaillement vivrier de la ville dans son étude consacrée à la route nationale n°2. Notre étude récente sur l’axe routier Brazzaville-Gamboma a également mis en exergue ce fait (NGOUMA, 2012). Ainsi, contrairement à ce qu’avaient constaté AUGER (1972) et LOMBA (1983), désormais les ruraux vont rarement vendre eux-mêmes

leurs produits en ville, mais les vendent sur place aux commerçants-collecteurs.

CONCLUSION

Au terme de notre analyse, il ressort que la pré-sence de la desserte fluviale par les baleinières pour les localités du couloir, l’abondance des produits vivriers de natures diverses dans ces localités et leur situation de carrefour ont suscité la naissance et le développement des échanges frontaliers à partir des villages-marchés. Ces échanges sont animés par les producteurs ruraux et les commerçants en majorité des hommes adultes dont la plupart sont mariés ou vivent en union libre. Si les Brazzavillois dominent parmi les commerçants, on note cependant la pré-sence remarquables des Congolais de la R.D.C en provenance des villages frontaliers de la rive gauche du fleuve Congo. Les commerçants constituent une catégorie sociale très dynamique. Leurs recettes sont certes irrégulières et parfois très faibles, mais elles leur permettent de vivre et de prendre soin de leur progéniture.

La présence des marchés ruraux dans le couloir du fleuve Congo a entraîné d’importantes migrations humaines entre les villages-marchés et Brazzaville. Elle a favorisé la circulation de l’argent liquide dans la campagne, influencé l’économie rurale, avec l’orien-tation d’une part importante de la production vers la commercialisation. Mais les agents économiques rencontrent des difficultés qui placent l’avenir de ces marchés sous le sceau de l’incertitude.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n° 2, 2014

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