c. bories l’i christel boriesndustrie l’industrie racontée ... · savez-vous qu’une chaîne...
TRANSCRIPT
Christel BORIES
C.
BO
RIE
S
L’industrieracontée à mes ados
L’industrieracontée à mes ados
raco
ntée
à m
es a
dos
L’in
dust
rie
… qui s’en f ichent
6934996ISBN 978-2-10-059612-6
9:HSMBKA=Z^[VW[:
Pour beaucoup, l’industrie, c’est encore des cheminées qui
fument, des produits chimiques qui se déversent dans les fleuves, le travail à la
chaîne et les cadences infernales… Ces images désuètes n’ont plus grand-chose
à voir avec la réalité. Savez-vous qu’une chaîne de fast-food, c’est
aussi de l’industrie ? Que 75% des biens exportés restent des produits manufacturés ? Que
l’innovation est tirée par l’industrie ? Qu’elle offre de meilleurs salaires que bien d’autres secteurs d’activités ? Qu’elle a baissé de 40% ses émissions de gaz à effet de serre en France? Qu’elle est au
cœur des activités d’avenir comme la santé, la transition énergétique ou la
connectivité numérique ?Dans un langage
accessible à des lycéens, cet ouvrage n’occulte pas les
difficultés, parfois les contradictions, de ce secteur de l’économie française.
Mais il démonte idées reçues et clichés, afin de donner de l’industrie
contemporaine une juste représentation, celle d’une activité infiniment plus riche et diversifiée que les images
que nous nous en faisons collectivement.
CHRISTEL BORIESDiplômée d’HEC, nommée à 30 ans responsable de la stratégie du groupe Pechiney, Christel Bories
dirigera ensuite les branches emballages et transformation de
l’aluminium du groupe Alcan. Elle détonne alors dans un monde d’ingénieurs, quasi
exclusivement masculin. Faisant renaitre une partie de l’ancien Pechiney, elle devient
en 2010 PDG de Constellium, où elle dirige près de 10 000 salariés.
Elle est aujourd’hui vice-présidente de La Fabrique
de l’industrie, think tank indépendant dédié aux enjeux industriels.
12,90 e Prix France TTC
… qui s’en fichent
L’industrie ? Mais de quoi tu nous parles ? 19
1
– Y’avait pas de Royal Bacon ?
– Non, il n’y avait pas de Royal Bacon.
– C’est dingue !
– Non, ce n’est pas « dingue ». Cela s’appelle une rupture de
stock au sein d’un système industriel et logistique complexe,
ce que tu pourrais comprendre si tu t’intéressais une minute
L’industrie ? Mais de quoi tu nous parles ?
20 L’industrie racontée à mes ados (qui s’en fichent) L’industrie ? Mais de quoi tu nous parles ? 21
– Ouhla… On se calme. On connaît la chanson. Depuis
quand le fast-food, c’est de l’industrie d’abord ? La restau-
ration, c’est du service.
– Distinction intéressante. D’accord, vos manuels sco-
laires distinguent généralement trois secteurs d’activi-
tés : le primaire, l’agriculture ; le secondaire, l’industrie ;
et le tertiaire, les services, par exemple la banque, le com-
merce ou le tourisme. Ce découpage traduit une progres-
sion du développement économique dans l’histoire, et il
correspond surtout à la grille utilisée par la comptabilité
nationale et les principales organisations qui fournissent
des statistiques pour mesurer la richesse nationale. Mais
il rend de moins en moins compte de la réalité de la plu-
part des activités économiques. Parce que les secteurs
sont fortement interdépendants : par exemple, l’agricul-
ture a besoin des débouchés des industries de transforma-
tion que sont les industries agro-alimentaires ; l’industrie
a besoin d’infrastructures, d’énergie et d’une multitude
de services ; enfin, le commerce a besoin de produits phy-
siques à vendre.
à comment ton hamburger préféré se matérialise dans ton
assiette, au lieu de considérer qu’il s’agit d’une opération
miraculeuse ne méritant pas ta considération.
Vous êtes entourés d’objets industriels – vos
portables, vos ordis, votre télé, votre console
de jeu, votre sac à dos, vos fringues, ton vélo,
ta trottinette, la palette de maquillage de
Camille, ton gel cheveux dont tu
ne peux pas te passer, ma voi-
ture qui te transporte pour faire
100 mètres et tout ce qui t’envi-
ronne ; et pourtant pas une fois, je
ne vous ai entendus vous interroger
sur où, comment et par qui c’est fabri-
qué, sans même parler de comment
ça marche. Tout ce que j’entends,
c’est : « c’est quelle marque ? »
et « combien ça coûte ? ».
[He ho, j’ai rien dit moi]
22 L’industrie racontée à mes ados (qui s’en fichent) L’industrie ? Mais de quoi tu nous parles ? 23
vendre l’abonnement d’un opérateur de téléphonie, et enfin
un transporteur aérien…
– Et ?
– Et bien c’est marrant… parce que ce sont évidemment des
services, mais ils mettent en valeur ou ils incluent un produit,
ce que le consommateur peut voir et toucher… le téléphone,
la voiture, le film, ou l’avion.
– CQFD. Il existe une imbrication croissante entre offre de
biens et de services. La dernière fois que j’ai acheté une
voiture, j’ai acheté certes un produit, mais aussi une solu-
tion de financement et un contrat de maintenance, donc
des services. Inversement, les services de mobilité urbaine
restent basés sur des bicyclettes ou des voitures électriques.
Aujourd’hui, même le dentiste s’appuie sur des équipe-
ments sophistiqués en matière d’instruments ou d’image-
rie médicale. On pourrait ainsi multiplier les exemples à
l’infini. Vous voyez donc que la plupart des services ont une
base matérielle, c’est-à-dire industrielle.
Faisons d’ailleurs un petit exercice pratique… C’est justement
l’heure de la pub… Où est la télécommande ? La voici…
Regardez, notez les types de produits et dites-moi à quel sec-
teur vous les rattachez…
[Et voilà… merci Pierre. Ce débile lui a donné prise et main-
tenant on est parti pour toute la soirée Ça dure des plombes,
ces pubs…]
– Alors ? Qu’avons-nous ?
– Parfums de luxe ; produits capillaires ; fromages et produits
chocolatés ; un appareil photo numérique ; des appareils élec-
tro-ménagers « fabriqués en France » (tiens, c’est nouveau ça
dans la pub) ; et deux voitures… Je suppose qu’on peut dire
que tout ça, c’est de l’industrie…
Et aussi… deux services bancaires dont l’un inclut une offre
de téléphonie mobile ; un bouquet de chaînes de télévision ;
une assurance automobile ; un parc d’attractions avec zoom
sur un dessin animé récent ; un smartphone mais c’est pour
Il existe une imbrication croissante entre offre de biens et de services
24 L’industrie racontée à mes ados (qui s’en fichent) L’industrie ? Mais de quoi tu nous parles ? 25
réaliser le concentré de parfum sur la base du cahier des
charges fourni par la marque. Pour ce faire, ils vont bien
entendu utiliser des matières premières naturelles comme
les fleurs, les plantes, les agrumes, les écorces de fruits,
issus de l’agriculture, dont ils vont extraire l’essence grâce
à différentes techniques. Mais ils vont aussi fabriquer de
nombreuses molécules de synthèse issues de la chimie.
Aujourd’hui, les parfumeurs disposent de 400 ingrédients
naturels et d’environ 3 000 molécules de synthèse. Avec
son orgue à parfums, le parfumeur réalise alors un savant
mélange – le concentré – auquel seront rajoutés de l’alcool,
des solvants et d’autres fixateurs, afin de le stabiliser et de
pouvoir le fabriquer en grande quantité.
En parallèle, la marque aura fait travailler quelques desi-
gners sur le look de son flacon ; ses acheteurs auront mis en
concurrence des fabricants de flacons en verre et bouchons,
des fabricants d’étiquettes et de boîtes en cartons, puis des
sociétés d’embouteillage et de conditionnement. La marque
n’aura plus alors qu’à s’occuper de mettre le produit sur le
marché à travers son réseau de distribution et de concevoir des
– Mais alors, de quoi tu nous parles exactement quand tu dis
« industrie » ? D’usines, de technologies, de biens de consom-
mation de masse ?
– De tout cela en même temps, et c’est ce qui rend l’indus-
trie si passionnante. Prenons un produit apparemment simple
comme un parfum. Ce produit nous permet de faire appa-
raître la notion de chaîne de valeur ou de filière, c’est-à-dire
l’imbrication de produits issus de différentes entreprises, et
d’actions de création et de production qui participent à la
réalisation d’un produit fini, puis à sa mise en marché.
Mettons qu’une grande marque de luxe décide de créer
et lancer un nouveau parfum. Ses services marketing vont
définir en amont le type de parfum souhaité en fonction de
leurs études et perceptions de la « demande ». À quelques
exceptions près, les marques du luxe ne disposent pas en
interne de parfumeurs qu’on appelle aussi des « nez ». La
plupart d’entre eux sont en fait employés par les grands
industriels de l’aromatique qui représentent une branche
de l’industrie chimique. Ces industriels – qui, pour les plus
importants, ne sont pas des entreprises françaises – vont
26 L’industrie racontée à mes ados (qui s’en fichent) L’industrie ? Mais de quoi tu nous parles ? 27
actions de communication à grande échelle avec l’aide d’une
agence de publicité. Au bout du compte, notre marque de luxe
n’aura strictement rien fabriqué, mais joué un rôle de maître
d’ouvrage, orchestrant la coordination de différentes entre-
prises industrielles et de services, et de différents métiers, tels
que créateurs, designers, marketeurs, chimistes, scientifiques,
responsables de procédés industriels, acheteurs, etc.
– Ouille, ouille, ouille, et tout ça, c’est juste pour un parfum…
– Oui, imagine alors pour un avion ou pour un satellite…
– Donc, l’industrie, c’est tout cela ?
– Le mot « industrie » a en fait plusieurs sens. Longtemps,
on a appelé industrie toute opération qui concourait à la créa-
tion et à la circulation de richesses. En ce sens, on parlait
d’industrie agricole, ce qui peut vous sembler une contradic-
tion dans les termes. Cette acception ancienne et dépassée
a été remise au goût du jour par l’influence de l’anglais et
du mot industry qui est un faux-ami et signifie simplement
Au bout du compte, notre marque de luxe
n’aura strictement rien fabriqué
Industry est un faux-ami et signifie simplement secteur
d’activités
28 L’industrie racontée à mes ados (qui s’en fichent) L’industrie ? Mais de quoi tu nous parles ? 29
les services à la personne ou tout ce qui supporte mal le
transport, comme les produits frais ou le ciment. Si l’on défi-
nit « industrie » comme cela, alors il faut y inclure la concep-
tion de jeux vidéo, l’édition de logiciels, toutes les formes de
téléassistance ou de télémaintenance, les services financiers
par Internet, le tourisme, etc. Mais en revanche, pas les coif-
feurs, ni les infirmières, les garagistes, ni les producteurs de
béton, les gestionnaires du réseau électrique, les agences ban-
caires, qui interagissent localement avec le consommateur et
sont donc protégées de la concurrence de l’ouvrier chinois.
D’autres experts4 distinguent aussi les métiers « globaux »
– ceux qui sont exposés à la concurrence mondiale – des
métiers « régionaux », protégés de celle-ci, mais conservent
une approche plus traditionnelle de l’industrie, vue comme
essentiellement manufacturière. Il n’y a donc pas encore de
consensus sur une nouvelle approche. Les pouvoirs publics
comme l’opinion continuent de raisonner avec des catégories
mentales anciennes. Au lieu d’un ministère de l’industrie, on
pourrait par exemple avoir un ministère de la compétitivité
ou de la performance économique !
« secteur d’activités ». On peut ainsi entendre
parler d’industrie financière ou d’industrie ciné-
matographique. Mais depuis la première révo-
lution industrielle, la définition la plus courante
et restrictive du mot est la suivante.
Cela correspond à ce que les Anglo-saxons
appellent manufacturing, faisant ainsi claire-
ment référence à la main, c’est-à-dire à l’acte
de fabrication d’un bien matériel.
– C’est drôlement limitatif par exemple, les logiciels, ce n’est
pas de l’industrie ?
– Je suis assez d’accord avec toi. Les évolutions des trente
dernières années et la dématérialisation des produits rendent
cette définition en partie obsolète. C’est pourquoi, certains
spécialistes3 proposent d’englober dans l’industrie l’en-
semble des secteurs exposés à la concurrence internationale,
c’est-à-dire ceux qui produisent des biens et services expor-
tables, par opposition à ceux qui nécessitent une production
locale proche du consommateur final, comme par exemple
industrie
Ensemble des activités ayant pour objet l’exploitation et la transfor-mation de matières premières, de sources d’énergie et de produits semi-finis en biens de production ou de consommation.
Des spécialistes proposent d’englober dans l’industrie l’ensemble des secteurs exposés à la concurrence internationale
Au lieu d’un ministère de l’industrie, on pourrait par exemple avoir un ministère de la compétitivité ou de la performance économique