budget de la défense

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un certain nombre de chefs d’États et de gouvernements sont venus s’associer. Chacun sait désormais qu’à travers ces actes symboliques, c’est tout l’Occident qui est menacé. Son mode de vie et ses valeurs qui sont visés Les hommages rendus aux forces de l’ordre, qu’elles fussent civiles ou militaires, par ceux-là même qui les vili- pendaient –et c’était bien le cas des journalistes de Char- lie Hebdo et de leurs lecteurs – nous ont rassurés. Cette prise de conscience salutaire était sans doute nécessaire pour que ceux qui assurent notre sécurité au péril de leur vie se sentent définitivement soutenus par la nation tout entière. Cette marche, et les élans qui l’ont accompagnée dans une aspiration de concorde nationale inédite depuis la Li- bération, exprimaient une demande : celle de garantir à chacune et à chacun la liberté d’aller et venir, de penser et de s’exprimer comme bon lui semble. Les Français exigent la vérité, la fermeté. Ils deman- dent à être protégés. C’est leur droit. C’est notre devoir d’y veiller. Nous devons nous donner les moyens politiques, diplomatiques, juridiques, policiers et militaires, de gagner cette guerre. Devant la menace qui se précise, nous devons réévaluer notre arsenal législatif, notre organisation poli- cière et pénitentiaire, sans doute aussi adapter notre système de défense et de renseignement à cette nouvelle donne. Sur toutes ces questions, je souhaite que le Sénat puisse faire des propositions au gouvernement. UN BUDGET DE LA DÉFENSE EN TROMPE L’ŒIL Dans ce contexte, celui-ci a logiquement pris la déci- sion de sanctuariser le budget de la Défense, et renoncé à la réductions des effectifs militaires prévus, en maintenant 7 500 postes sur les 25 000 qui devaient être supprimés. Si, en décembre dernier, le groupe UMP du Sénat s’est refusé à voter les crédits de la mission Défense pour l’an- née 2015, ce n’est évidemment pas pour s’opposer à ces mesures, mais pour dénoncer un budget en trompe-l’œil, in- sincère, tablant sur des recettes dont le ministre a reconnu lui-même le caractère improbable. C’est donc pour soute- nir l’armée que nous nous sommes exprimés, en demandant au chef de l’État d’avoir le courage politique et écono- mique de doter la Défense de moyens à la hauteur des am- bitions qu’il affiche. On ne peut demander à notre armée de se déployer pour défendre nos valeurs sans lui en don- ner les moyens. Nous sommes tous conscients que la réponse à cette forme de terrorisme ne peut être que globale. C’est dans cette logique que le groupe UMP du sénat a répondu po- sitivement à la demande du gouvernement de prolonger l’engagement français en Irak. Il serait en effet irresponsable de ne pas mettre en perspective notre engagement inter- national avec ces attentats perpétrés sur le sol français. À l’impérieuse nécessité d’un tel investissement, il est aussi urgent de renforcer notre action humanitaire. Dans quelques semaines, les agences onusiennes n’auront pas les moyens de soutenir les 2 millions de personnes dépla- cées, au moment où le froid va sévir en Irak. Ayant été l’un des premier parlementaires français à me rendre en Irak au mois d’août dernier, j’y ai vu, dans la plaine de la Nivine conquise par Daech, à Mossoul, à Karacoch, grande ville chrétienne, à Erbil, au Kurdistan irakien, s’entasser, par milliers, des enfants, des vieillards, des femmes et des hommes dans des appartements en construction, sur des terrains vagues ou dans des églises, la peur au ventre et l’effroi dans les yeux, et mesuré ce qu’était l’islamo-fas- cisme, cette forme de totalitarisme irrigué par la haine de l’autre. Nous sommes devant un impératif de salut public. La France a besoin d’un sursaut national qui rassemble toutes celles et ceux qui, toutes opinions confondues, veulent ser- vir l’intérêt supérieur du pays, à commencer par celui de ses enfants. La permissivité, la complaisance dont nous avons fait preuve à l’endroit de certaines dérives communautaires n’est plus de mise. Cette tragédie a fait aussi apparaître la faiblesse d’un système éducatif inapte à absorber les mu- 29 MARINE&OCÉANS N° 246 - JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015 L es tragiques événements qui ont endeuillé la na- tion française le 7 jan- vier dernier, nous ont rap- pelé, avec autant de sou- daineté que de brutalité, l’importance des missions régaliennes dont la repré- sentation nationale assure la charge. À travers la série de meurtres perpétrée au cours de cette terrible journée, les piliers de la démocratie ont été ébranlés : la Défense, la police, la justice ont été mises à l’épreuve pour ré- pondre à une situation d’une ampleur inédite sur notre territoire. Il semble opportun de dire que la France vient de vivre son 11 septembre. Inscrire dans le marbre cette date du 7 janvier 2015 revient à affirmer qu’il y aura un « avant » et un « après ». L’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, de ceux qui les entouraient et les protégeaient, relayé, quelques heures plus tard, par un autre attentat au mobile avéré d’antisémitisme, a montré, s’il en était besoin, que dans l’esprit des islamo-fascistes qui ont agi au cours de cette funeste journée, divers mobiles étaient autant de prétextes à exprimer par la terreur la volonté de domination d’un Islam dévoyé de ses intentions religieuses, mais répondant à un objectif clairement affiché de conquête. La revendi- cation de Daech l’a d’ailleurs confirmé. Il s’agit bien d’une guerre. Qui s’apparente à une guerre froide, dans la mesure où celle-ci n’est précédée d’aucune déclaration officielle – et pour cause : c’est une guerre idéo- logique, affranchie de la notion traditionnelle de souve- raineté des peuples qui a structuré l’humanité moderne, et de la territorialité à laquelle elle était, jusqu’ici, indissocia- blement attachée. Nous sommes entrés, avec le XXI e siècle, dans l’ère de la communication. En quelques années seulement, nous avons assisté, avec l’avène- ment d’Internet, à l’instau- ration de ce que les obser- vateurs ont appelé le « village global ». La mon- dialisation qui, contraire- ment à certaines idées re- çues, n’est pas une idéologie mais un fait qui s’impose à nous, notamment par le dé- veloppement des nouvelles technologies de l’informa- tion, a dessiné une autre carte du monde. Ou plutôt, la carte d’un autre monde. On a vu apparaître une pla- nète connectée en réseaux et, avec elle, la prolifération des sources d’information. L’ubiquité n’est plus l’apa- nage des dieux de l’anti- quité, elle est aussi, désormais, celle du terrorisme. Nos en- nemis sont aussi parmi nous, invisibles. Ils sont Irakiens, Pakistanais, Syriens… , mais aussi français, même s’ils sont islamistes avant d’être français. Apatrides, en quelque sorte. Comme toujours, le mal s’est emparé du progrès, pre- nant quelques longueurs d’avance sur les forces qui pro- tègent nos sociétés. Pour faire face à une guerre qui ne dit pas son nom, les nations désorientées, engoncées dans des structures institutionnelles pluriséculaires, peinent à s’adap- ter à ces évolutions rapides pour répondre à la soudaineté de nouvelles menaces. En quelques années à peine, on a vu apparaître la faculté, pour une poignée d’individus, de défier une armée, et de se jouer des systèmes de défense les plus sophistiqués. Ainsi n’avons nous pas été en mesure d’empêcher cette tragédie de se produire, alors même que nous étions en mesure de l’éviter. L’immense réaction populaire qui a rassemblé dans la rue plus de 4 millions de Français a montré une nation unie, digne et déterminée, exprimant clairement son refus de su- bordonner la liberté d’expression à quelque principe que ce soit qui lui serait supérieur. Nous, responsables poli- tiques, avons pris acte de cette réaction populaire à laquelle NUMÉRO SPÉCIAL DÉFENSE ET SÉCURITÉ 28 MARINE&OCÉANS N° 246 - JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015 Les Français exigent la vérité, la fermeté. Ils demandent à être protégés Par BRUNO RETAILLEAU Sénateur de la Vendée, président du groupe UMP au Sénat “On ne peut demander à notre armée de se déployer pour défendre nos valeurs sans lui en donner les moyens.” tations sociologiques qui ont considérablement changé le visage de la France au cours de ces cinquante dernières années. Notre société est aujourd’hui aux prises avec une nou- velle forme de radicalité. Une radicalité qui infuse et en- doctrine sous nos yeux, sur notre territoire, souvent à notre insu. Qui utilise les réseaux sociaux pour convaincre et abu- ser les esprits en cours de formation d’une jeunesse par es- sence avide de sensations forte et d’excès, dont on sait la fra- gilité et la crédulité. Des enfants scolarisés ont refusé d’observer une minute de silence en hommage aux vic- times de ces actes intolérables. Devant une telle défaite de notre système d’intégration, on ne peut s’empêcher de son- ger au temps où le service militaire unissait dans un même amour du drapeau les jeunes gens d’une même génération, à cette France que l’on croyait oubliée, et à laquelle il fau- drait peut-être, songer à nouveau. PHOTO : DR

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L'avis sans concession des parlementaires Gwendall Rouillard, Bruno Retailleau, Philippe Vitel, Gilbert Le Bris et Aymeric Chauprade.

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Page 1: Budget de la défense

un certain nombre de chefs d’États et de gouvernementssont venus s’associer. Chacun sait désormais qu’à traversces actes symboliques, c’est tout l’Occident qui est menacé.Son mode de vie et ses valeurs qui sont visés

Les hommages rendus aux forces de l’ordre, qu’ellesfussent civiles ou militaires, par ceux-là même qui les vili-pendaient –et c’était bien le cas des journalistes de Char-lie Hebdo et de leurs lecteurs – nous ont rassurés. Cetteprise de conscience salutaire était sans doute nécessairepour que ceux qui assurent notre sécurité au péril de leurvie se sentent définitivement soutenus par la nation toutentière.

Cette marche, et les élans qui l’ont accompagnée dansune aspiration de concorde nationale inédite depuis la Li-bération, exprimaient une demande : celle de garantir àchacune et à chacun la liberté d’aller et venir, de penser etde s’exprimer comme bon lui semble.

Les Français exigent la vérité, la fermeté. Ils deman-dent à être protégés. C’est leur droit. C’est notre devoir d’yveiller. Nous devons nous donner les moyens politiques,diplomatiques, juridiques, policiers et militaires, de gagnercette guerre. Devant la menace qui se précise, nous devonsréévaluer notre arsenal législatif, notre organisation poli-cière et pénitentiaire, sans doute aussi adapter notre systèmede défense et de renseignement à cette nouvelle donne.Sur toutes ces questions, je souhaite que le Sénat puissefaire des propositions au gouvernement.

UN BUDGET DE LA DÉFENSE EN TROMPE L’ŒILDans ce contexte, celui-ci a logiquement pris la déci-

sion de sanctuariser le budget de la Défense, et renoncé àla réductions des effectifs militaires prévus, en maintenant7 500 postes sur les 25 000 qui devaient être supprimés.

Si, en décembre dernier, le groupe UMP du Sénat s’estrefusé à voter les crédits de la mission Défense pour l’an-née 2015, ce n’est évidemment pas pour s’opposer à cesmesures, mais pour dénoncer un budget en trompe-l’œil, in-sincère, tablant sur des recettes dont le ministre a reconnului-même le caractère improbable. C’est donc pour soute-nir l’armée que nous nous sommes exprimés, en demandantau chef de l’État d’avoir le courage politique et écono-mique de doter la Défense de moyens à la hauteur des am-bitions qu’il affiche. On ne peut demander à notre arméede se déployer pour défendre nos valeurs sans lui en don-ner les moyens.

Nous sommes tous conscients que la réponse à cetteforme de terrorisme ne peut être que globale. C’est danscette logique que le groupe UMP du sénat a répondu po-sitivement à la demande du gouvernement de prolongerl’engagement français en Irak. Il serait en effet irresponsablede ne pas mettre en perspective notre engagement inter-national avec ces attentats perpétrés sur le sol français.

À l’impérieuse nécessité d’un tel investissement, il estaussi urgent de renforcer notre action humanitaire. Dansquelques semaines, les agences onusiennes n’auront pasles moyens de soutenir les 2 millions de personnes dépla-cées, au moment où le froid va sévir en Irak. Ayant été l’undes premier parlementaires français à me rendre en Irak au

mois d’août dernier, j’y ai vu, dans la plaine de la Nivineconquise par Daech, à Mossoul, à Karacoch, grande villechrétienne, à Erbil, au Kurdistan irakien, s’entasser, parmilliers, des enfants, des vieillards, des femmes et deshommes dans des appartements en construction, sur desterrains vagues ou dans des églises, la peur au ventre etl’effroi dans les yeux, et mesuré ce qu’était l’islamo-fas-cisme, cette forme de totalitarisme irrigué par la haine del’autre.

Nous sommes devant un impératif de salut public. LaFrance a besoin d’un sursaut national qui rassemble toutescelles et ceux qui, toutes opinions confondues, veulent ser-vir l’intérêt supérieur du pays, à commencer par celui de sesenfants.

La permissivité, la complaisance dont nous avons faitpreuve à l’endroit de certaines dérives communautairesn’est plus de mise. Cette tragédie a fait aussi apparaître lafaiblesse d’un système éducatif inapte à absorber les mu-

29MARINE&OCÉANS N° 246 - JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

Les tragiques événementsqui ont endeuillé la na-tion française le 7 jan-

vier dernier, nous ont rap-pelé, avec autant de sou-daineté que de brutalité,l’importance des missionsrégaliennes dont la repré-sentation nationale assurela charge.

À travers la série demeurtres perpétrée au coursde cette terrible journée, lespiliers de la démocratie ontété ébranlés : la Défense, lapolice, la justice ont étémises à l’épreuve pour ré-pondre à une situationd’une ampleur inédite surnotre territoire. Il sembleopportun de dire que laFrance vient de vivre son 11 septembre. Inscrire dans lemarbre cette date du 7 janvier 2015 revient à affirmer qu’ily aura un « avant » et un « après ».

L’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, de ceuxqui les entouraient et les protégeaient, relayé, quelquesheures plus tard, par un autre attentat au mobile avéréd’antisémitisme, a montré, s’il en était besoin, que dansl’esprit des islamo-fascistes qui ont agi au cours de cettefuneste journée, divers mobiles étaient autant de prétextesà exprimer par la terreur la volonté de domination d’unIslam dévoyé de ses intentions religieuses, mais répondantà un objectif clairement affiché de conquête. La revendi-cation de Daech l’a d’ailleurs confirmé.

Il s’agit bien d’une guerre. Qui s’apparente à une guerrefroide, dans la mesure où celle-ci n’est précédée d’aucunedéclaration officielle – et pour cause : c’est une guerre idéo-logique, affranchie de la notion traditionnelle de souve-raineté des peuples qui a structuré l’humanité moderne, etde la territorialité à laquelle elle était, jusqu’ici, indissocia-blement attachée.

Nous sommes entrés, avec le XXIe siècle, dans l’ère dela communication. En quelques années seulement, nous

avons assisté, avec l’avène-ment d’Internet, à l’instau-ration de ce que les obser-vateurs ont appelé le« village global ». La mon-dialisation qui, contraire-ment à certaines idées re-çues, n’est pas une idéologiemais un fait qui s’impose ànous, notamment par le dé-veloppement des nouvellestechnologies de l’informa-tion, a dessiné une autrecarte du monde. Ou plutôt,la carte d’un autre monde.On a vu apparaître une pla-nète connectée en réseauxet, avec elle, la proliférationdes sources d’information.L’ubiquité n’est plus l’apa-nage des dieux de l’anti-

quité, elle est aussi, désormais, celle du terrorisme. Nos en-nemis sont aussi parmi nous, invisibles. Ils sont Irakiens,Pakistanais, Syriens… , mais aussi français, même s’ils sontislamistes avant d’être français. Apatrides, en quelque sorte.

Comme toujours, le mal s’est emparé du progrès, pre-nant quelques longueurs d’avance sur les forces qui pro-tègent nos sociétés. Pour faire face à une guerre qui ne ditpas son nom, les nations désorientées, engoncées dans desstructures institutionnelles pluriséculaires, peinent à s’adap-ter à ces évolutions rapides pour répondre à la soudainetéde nouvelles menaces. En quelques années à peine, on avu apparaître la faculté, pour une poignée d’individus, dedéfier une armée, et de se jouer des systèmes de défense lesplus sophistiqués. Ainsi n’avons nous pas été en mesured’empêcher cette tragédie de se produire, alors même quenous étions en mesure de l’éviter.

L’immense réaction populaire qui a rassemblé dans larue plus de 4 millions de Français a montré une nation unie,digne et déterminée, exprimant clairement son refus de su-bordonner la liberté d’expression à quelque principe quece soit qui lui serait supérieur. Nous, responsables poli-tiques, avons pris acte de cette réaction populaire à laquelle

NUMÉRO SPÉCIAL DÉFENSE ET SÉCURITÉ

28MARINE&OCÉANS N° 246 - JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

“Les Français exigent la vérité,la fermeté. Ils demandent

à être protégés”Par BRUNO RETAILLEAU

Sénateur de la Vendée, président du groupe UMP au Sénat

“On ne peut demander à notre armée de se déployer pour défendre nos valeurs sans lui en donner les moyens.”

tations sociologiques qui ont considérablement changé levisage de la France au cours de ces cinquante dernièresannées.

Notre société est aujourd’hui aux prises avec une nou-velle forme de radicalité. Une radicalité qui infuse et en-doctrine sous nos yeux, sur notre territoire, souvent à notreinsu. Qui utilise les réseaux sociaux pour convaincre et abu-ser les esprits en cours de formation d’une jeunesse par es-sence avide de sensations forte et d’excès, dont on sait la fra-gilité et la crédulité. Des enfants scolarisés ont refuséd’observer une minute de silence en hommage aux vic-times de ces actes intolérables. Devant une telle défaite denotre système d’intégration, on ne peut s’empêcher de son-ger au temps où le service militaire unissait dans un mêmeamour du drapeau les jeunes gens d’une même génération,à cette France que l’on croyait oubliée, et à laquelle il fau-drait peut-être, songer à nouveau. ■

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Page 2: Budget de la défense

financement des organisations terroristes. Il faut une ré-ponse globale face à une menace qui est à la fois globaleet protéiforme.

■ Le budget actuel donne-t-il à la France les moyens de sa

défense ?

Le président de la République a sanctuarisé le budget dela Défense à hauteur de 31,4 milliards d’euros par an. Mêmesi je reste lucide sur nos contraintes budgétaires, je consi-dère que ce choix garantit à la France de rester positionnéesur l’ensemble du spectre capacitaire. Notre ministre de laDéfense réaffirme régulièrement cet objectif qui doit per-mettre à notre pays d’assurer son autonomie stratégique.Nous en reparlerons au mois de juin, au Parlement, lors del’actualisation de la Loi de programmation militaire 2014-2019. D’autre part, nous sommes très attentifs à la ques-tion des effectifs, aux conditions opérationnelles et au mo-ral de nos femmes et de nos hommes.

■ En dépit de la pause annoncée, est-il finalement sérieux et

raisonnable de vouloir poursuivre la réduction des budget

et effectif de la défense ? Ne faudrait-il pas plutôt recon-

naître que la Défense n’est pas un service public comme un

autre, en réévaluer le budget et le sanctuariser constitu-

tionnellement ?

La Défense est l’assurance vie de la Nation. Je note d’ailleursque les Français sont très attachés à leurs forces de sécuritéet leur sentiment s’est renforcé depuis les attentats de Paris.C’est en ce sens que le président François Hollande a prisplusieurs décisions importantes en Conseil de Défense, no-tamment la préservation de 7 500 postes au sein de nos ar-mées, dont 1 500 dès 2015. Je relève aussi la création de 250postes affectés en priorité au renseignement et à la cybersé-curité au sein du ministère de la Défense. Plus globalement,je partage votre interrogation sur l’avenir des budgets de laDéfense en Europe. Je constate que les 28 États-membresde l’Otan se sont fixés comme objectif, en septembre der-nier, à Newport, de consacrer 2 % de leur PIB à leur effortde défense. Ils devront passer aux actes durant ces prochainesannées pour faire face à la diversité des menaces dans lemonde et pour soutenir leurs industries. En ce qui concernela France, nous atteignons 1,9 % du PIB en incluant les pen-sions (normes Otan). Le débat est donc ouvert …

■ Vous venez d’être nommé rapporteur du budget de la Ma-

rine nationale. La Marine participe avec ses Atlantique 2 et

ses sous-marins nucléaires d’attaque à cette course de fond

qu’est la collecte du renseignement. Elle participe également,

avec ses commandos et son groupe aéronaval, à l’action di-

recte contre les fondamentalistes islamiques qui ont déclaré

la guerre à la France. Quel est votre sentiment sur l’outil

qu’elle constitue aujourd’hui ?

Nous avons la Marine la plus performante d’Europe etune des meilleures du monde. Nous le devons à la forteimplication de l’amiral Rogel et de l’ensemble des per-sonnels de la Marine nationale. J’ai pu le constater ces der-niers mois lors de mes déplacements dans le cadre des opé-rations Chammal et Barkhane. J’ai pu l’apprécier également

à Dakar pour la surveillance maritime ou encore à Abid-jan et dans le golfe de Guinée pour la lutte contre la pira-terie. Je tiens aussi à rappeler combien la Marine contribueà la sécurité de notre territoire national, de la protection dessites sensibles à l’action de l’État en mer en métropole etdans les Outre-Mer, en passant par la surveillance perma-nente de nos approches littorales. Cette diversité de missionsimplique de la part du Politique une réelle prise en comptedu maritime pour assurer notre sécurité. Pour autant, jesuis bien conscient des tensions sur les effectifs et des risquesde «rupture capacitaire» pour reprendre les mots du chefd’état-major de la Marine.

31MARINE&OCÉANS N° 246 - JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

■ Quelle analyse faites-vous des attentats

qui ont endeuillé la France début janvier

2015 ?

Nous savions la France prise pour ciblepar Al Qaeda, Daech et leurs ramificationsen Orient et en Afrique. Nos services ontd’ailleurs déjoué plusieurs tentatives d’at-tentats au cours de ces dernières années.Pourtant, nous venons de vivre dramati-quement cette réalité lors des attentats ter-roristes du mois de janvier qui ont coûté lavie à 17 de nos compatriotes. Ces actes sontd’autant plus choquants qu’ils ont été com-mis par des français. Ils révèlent brutale-ment les connexions qui se développent,d’année en année, entre les différentsgroupes djihadistes étrangers et certainsfrançais. Ils mettent en lumière les fracturesprofondes de notre société, la force d’at-traction de ces groupes, l’impact puissantdes réseaux sociaux et le dévoiement into-lérable de l’Islam. Les terroristes souhai-tent abattre la démocratie, la liberté et lesdroits humains. Nous répondons par notreunité nationale, la réaffirmation de la Na-tion comme valeur fondamentale et notre détermination àcombattre le terrorisme. La République s’est réveillée le 11janvier dernier mais elle doit rester éveillée durablement.Le combat sera long et très difficile. Il appelle de notre partune réponse globale avec pour priorités la sécurité et ladéfense. Il ne s’agit pas d’une guerre des civilisations. Ils’agit d’un combat de l’humanité contre l’inhumanité, de lalumière contre l’obscurantisme.

■ Quelles conclusions en tirez-vous en matière de sécurité

et de défense ?

Premièrement, je constate que l’analyse du Livre blancde la Défense nationale et de la Sécurité sur les « menacesde la force » et, sur les « risques de la faiblesse », commeen Centrafrique, était pertinente. Deuxièmement, je consi-

dère que nous devons approfondir le continuum sécu-rité/défense puisque les menaces intérieures sont intime-ment liées aux menaces extérieures. C’est le sens de l’opé-ration Sentinelle sur notre territoire qui mobilise 10 500militaires. Troisièmement, je partage les choix du gouver-nement de renforcer significativement les effectifs de nosforces de sécurité et nos moyens en matière de rensei-gnement, de cybersécurité et de contre-propagande. Qua-trièmement, j’estime que nos partenaires doivent s’impli-quer davantage afin que nous luttions plus efficacementcontre le terrorisme.

Je pense, en premier lieu, à l’Union européenne et auxÉtats-membres. Enfin, je souhaite que cette mobilisationgénérale implique l’ensemble des acteurs politiques etéconomiques afin d’assécher au maximum les sources de

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NUMÉRO SPÉCIAL DÉFENSE ET SÉCURITÉ

30MARINE&OCÉANS N° 246 - JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

“La Loi de programmation militairedevra être intégralement respectée,

il en va de la sécuritéet de la crédibilité de notre pays”

Entretien avec GWENDAL ROUILLARDDéputé (PS) du Morbihan, rapporteur du budget de la Marine nationale

L’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la Marine, avec Gwendal Rouillard, député du Morbihan, à l’occasion de l’annonce de la nomination de ce derniercomme rapporteur du budget de la Marine nationale.

“Je suis bien conscient des tensions sur les effectifs et des risques de rupture capacitaire.”

■ Les engagements sur tous les programmes de renouvel-

lement de la Marine seront-ils tenus ?

La Loi de programmation militaire 2014-2019 devra êtreintégralement respectée car il en va de la sécurité et de lacrédibilité de notre pays. Je sais combien les contraintesbudgétaires sont fortes mais je constate que l’ensemble descrédits a été consommé depuis 2012 grâce à l’engagementde notre ministre de la Défense. Pour 2015, Jean-Yves LeDrian s’implique, à juste titre, en faveur de la création desociétés de projets qui concernent potentiellement desmoyens opérationnels de la Marine. Je pense, dans l’im-médiat, aux frégates multi-missions (Fremm), et à moyenterme, aux frégates de taille intermédiaire (FTI) destinéesà la Marine et potentiellement à l’exportation. Je suis éga-lement très attentif à l’action de l’État en mer conformé-ment au Livre blanc qui prévoit une quinzaine de pa-trouilleurs. Je me mobilise afin que les programmes BSAH(bâtiment de soutien et d’assistance hauturiers) et Batsimar(bâtiment de surveillance et d’intervention maritime) soientmis en œuvre dans les meilleurs délais et je fais touteconfiance à notre ministre afin qu’il prenne les bons arbi-trages. Il en va de la réussite du projet Horizon Marine2025, de notre souveraineté sur les mers et les océans, et denotre capacité à faire en sorte que la France préserve sonrang de grande nation maritime.

Propos recueillis par Erwan Sterenn

Page 3: Budget de la défense

temps de reprendre l’initiative en matière de Défense eu-ropéenne. On ne peut attendre le prochain Conseil euro-péen de juin 2015 face à l’urgence de la menace que nousconnaissons aujourd’hui.

Au-delà des moyens militaires le combat contre le ter-rorisme passe par un effort majeur sur le renseignement.Ce sont des moyens supplémentaires humains, techniquesmais aussi juridiques qui doivent être donnés à nos forcesde l’ordre. Il conviendra bien sûr de renforcer leurs équi-pements. La coordination internationale, et en particulier eu-ropéenne, des services de renseignement doit être amélio-rée. En ce sens, la mise en place du Passenger Name Record(PNR) qui permettra de mieux suivre les trajets des passa-gers des compagnies aériennes doit être autorisée par leParlement européen. Bien sûr nous devrons adapter nosinstitutions pénitentiaires au péril du fanatisme et réfléchir

à un plan d’action anti-radicalisation islamiste en prison.Enfin, nous devrons réaffirmer les valeurs de l’école ré-publicaine qui doit redevenir le lieu d’acquisition des va-leurs de la République. Un débat est en train de naître dansle pays sur un illusoire retour au Service national d’antan.

La question centrale est de savoir quoi proposer à uneclasse d’âge de 760 000 jeunes filles et jeunes garçons afinde leur donner un bagage utile au développement de leurcitoyenneté et de leur sentiment d’appartenance à une na-tion démocratique et souveraine.

Le service civique pourrait être utilement complétéd’une version militaire mais resterait dans le domaine duvolontariat car il faut bien prendre conscience que nousn’aurons jamais la capacité de le rendre obligatoire. Consi-dérant le peu d’utilité de la Journée défense et citoyen-neté, je proposerai de lui substituer une semaine obliga-

toire durant laquelle chaque jeunepourra s’imprégner des valeurs ré-galiennes de la République dansle domaine de la défense, de la sé-curité, de la justice, de la mémoiremais aussi de la sécurité civile et dela solidarité. Nous avons assisté,dans les jours suivants ces terriblesassassinats, à un sursaut national.

Les Françaises et les Françaisont compris que nous étions enga-gés dans une guerre contre des ter-roristes islamistes fanatisés, très ar-més et ayant une réelle expériencedu combat. Il faut maintenant, sanspréjugé et sans faux semblant, fairevivre et donner du sens à cette belleunité nationale retrouvée, et ac-cepter l’effort qui nous sera collec-tivement demandé. C’est à ce prixque nous pourrons continuer àvivre libre, à vivre en paix, à vivre entotale sécurité après avoir terrasséceux qui n’aspirent qu’à l’anéan-tissement de notre civilisation.

Ensemble, unis et déterminés,nous sauront relever ce challengecomme la France a toujours su sesurpasser dans les moments tra-giques de son histoire. ■

33MARINE&OCÉANS N° 246 - JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

Notre nation a été meur-trie et endeuillée en cedébut d’année 2015 par

les ignobles et sanglants as-sassinats terroristes qui ont étéperpétrés les 7, 8 et 9 janvier.Nous ne tolérerons jamais au-cun compromis sur notremode de vie, sur nos traditionset sur nos libertés. Au momentoù le terrorisme djihadiste etson idéologie barbare ont dé-claré la guerre à notre Répu-blique, à notre démocratiemais aussi à notre civilisation,notre détermination à le com-battre doit être entière. Aussiface à l’évolution de cette me-nace, notre dispositif de protection et de défense doit évo-luer vers plus de vigilance, d’efficacité , de réactivité et defermeté.

À cet effet, il convient donc sans tarder de redéfinirquels moyens humains et financiers sont indispensable auxfonctions régaliennes de l’État afin de garantir la sécuritédes Françaises et des Français. Concernant nos armées, ilserait inacceptable et impardonnable de poursuivre la po-litique de déflation des effectifs et de réduction des res-sources financières qu’exprime une Loi de programma-tion militaire (LPM) déjà insincère dès la seconde annéede sa déclinaison. D’ailleurs, le président de la Républiquene s’y est pas trompé annonçant dans ses vœux aux armées,le 14 janvier, sur le porte-avions Charles de Gaulle, une ré-duction du rythme des diminutions de postes, annonceconfirmée à l’occasion du Conseil de Défense du 21 janvieroù a été évoqué une actualisation, avant l’été, de la LPM2014 - 2019. La nation est unanime à soutenir l’engage-ment de nos soldats partout où cela est nécessaire. Elle estfière de leur action au Mali, en RCA et en Irak.

Elle doit aussi être consciente que le budget que nousconsacrons aujourd’hui à ces indispensables opérationsextérieures n’est à la hauteur ni de leur durée ni de leur

intensité et donc tout simple-ment de nos ambitions ! Le ni-veau de notre exigence doitêtre majeur en ce qui concernela sécurité de nos troupes etl’efficacité des opérations quenous menons sur les théâtresde crise. Cela nécessite un ef-fort important sur l’entretienprogrammé des matériels uti-lisés très intensément dans unenvironnement très agressif,comme cela nécessite un sou-tien sans faille à nos soldatsimmergés dans un contextephysiquement et moralementtrès hostile. C’est justement ceback office contraint dans la

loi de finance à sa juste suffisance qui devient, chaque jourun peu plus, le maillon faible de notre défense. Nous devonssans tarder y consacrer toute notre attention et dégagerrapidement les moyens nécessaires.

Nous devrons continuer l’effort réalisé sur la cyber sé-curité et développer les moyens destinés à nos Forces Spé-ciales. Nous devrons renforcer nos forces pré-positionnéeset notre présence militaire dans nos départements et col-lectivités d’Outre- Mer. Une accélération de certains pro-grammes d’équipement doit aussi être très rapidement dé-crétée. Je pense particulièrement à l’acquisition de droneset d’avions ravitailleurs mais aussi de moyens navals et aé-riens de surveillance maritime. Le président a par ailleursinsisté, lors de ses vœux, sur le rôle majeur que jouait leGroupe aéronaval dans la guerre que nous menons contrele terrorisme. Or, une Interruption périodique pour entre-tien et réparation (IPER) de notre porte-avions est pré-vue en septembre 2016 et va l’immobiliser pendant dix-huit mois. Nos capacités opérationnelles seront alorsgravement altérées.

N’est-il pas temps, à l’aune du retour d’expérience denotre Force aéronavale, de remettre sur le feu l’opportu-nité de nous doter d’un second porte-avions ? Il est bien sûr

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32MARINE&OCÉANS N° 246 - JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

“Notre dispositif de protectionet de défense doit évoluer

vers plus de vigilance, d’efficacité,de réactivité et de fermeté”

Par PHILIPPE VITELDéputé (UMP) du Var

“N’est-il pas temps, à l’aune du retour d’expérience de notre Force aéronavale, de remettre sur le feu l’opportunité de nous doter d’un second porte-avions?”

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Le porte-avions Charle de Gaulle.

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tends, comme responsable de l’interface entre membresde l’Otan et pays du Maghreb et Moyen-Orient, les appelsà l’aide pour intervenir sur des problèmes de sécurité dontpersonne ne peut prétendre s’extraire.

■ Quels sont les secteurs à privilégier pour garantir l'effi-

cience de notre outil de défense ?

La crise ukrainienne nous a récemment rappelé quenotre défense ne devait pas non plus négliger les menacesconventionnelles venues de l’est ou d’ailleurs. Le plus pe-tit dénominateur communpour répondre à ces crises,c’est évidemment le main-tien d’investissements sou-tenus dans le renseigne-ment. Mais si nous voulonscontinuer à peser sur lesgrandes crises mondiales, ilnous faut un outil de dé-fense crédible y compris endissuasion. De plus, l’appli-cation de « Vigipirate » nousrappelle l’intérêt desmoyens du ministère de laDéfense sur le territoire na-tional, comme à chaque ca-tastrophe naturelle ou nond’ailleurs, et cela supposede ne pas trop « ponction-ner » en personnels de l’ar-mée de Terre. Et puis il faut être capable de préserver nosterritoires maritimes ou terrestres, dans le monde entier,par des capacités de souveraineté opérationnelles. Écoutonsles chefs de nos armées qui nous mettent en garde contreune troupe mal équipée et échantillonnée au plus juste, surle modèle de nos voisins européens. Nous avons réussi, auprix d’efforts budgétaires importants, à maintenir une cré-dibilité relative, il serait paradoxal d’y renoncer aujourd’hui.Je pense que nous devons assumer notre rang et mainte-nir le spectre des capacités dont nous disposons aujourd’hui.

■ Est-il finalement sérieux et raisonnable de vouloir pour-

suivre la réduction des effectifs de la Défense ? Ne faudrait-

il pas plutôt reconnaître que la Défense n'est pas un service

public comme un autre, en réévaluer le budget et le sanc-

tuariser constitutionnellement ?

Nous sommes face à un choix. Nous ne pouvons pasassurer notre protection actuelle en la faisant payer à nosdescendants, et il serait suicidaire de désarmer à une époqueaussi incertaine et violente. Plutôt que de rogner sur nos li-bertés pour combattre les liberticides, il serait plus judi-cieux d’investir pour donner aux gardiens de notre paix lesmoyens de leurs missions. À ce titre, il faut un débat surnotre Défense, où il sera question d’autre chose que de «sparadraps budgétaires » comme les « sociétés de projet »ou les « recettes exceptionnelles ». C’est en terme de pour-centage du PIB qu’il faut se situer et je dis que l’objectif de-vrait être de 2 % à la fin de la LPM. Il faut également mettre

nos alliés face à leurs responsabilités, la France ne peut passeule assumer le poids de la protection des intérêts euro-péens au-delà des mers. Je suis favorable aux discussions surla contribution des Opex françaises au bien collectif euro-péen et sur le niveau d’effort militaire de chaque État. Il neme semble pas déraisonnable d’exclure ces dépenses ducalcul des 3 % de déficit. De même, les contributions na-tionales engagées dans l’intérêt collectif, comme la pro-tection des frontières face aux flux migratoires et aux tra-fics illicites pourraient parfaitement constituer des motifs

d’exclusion du seuil des 3 %. Il s’agit d’un débat européendont nous ne pourrons plus faire l’économie.

■ Vous suivez de près les questions de cyberdéfense. Est-on,

là encore, dans le bon « tempo » ?

Chaque milieu est rapidement occupé par l’être humain,bon ou mauvais : la terre puis la mer puis l’air puis l’espaceet maintenant le cyberespace. Comme la problématiqueterroriste, les questions de cyberdéfense sortent du prismehabituel avec lequel nous appréhendons les questions deDéfense. Il s’agit là de faire face à des menaces qui sont pardéfinition internes et externes dans le même temps. Dansces domaines, les termes de défense et de sécurité se confon-dent. En France, c’est le secrétariat général à la Défense età la sécurité nationale (SGDSN) qui coordonne les actionspubliques dans le domaine de la cyber sécurité. L’Agencenationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI)est le fer de lance de notre action. Elle est engagée, au mêmetitre que les services de renseignement en matière de ter-rorisme, dans une bataille perpétuelle contre les agressionsélectroniques visant nos infrastructures essentielles. Il s’agitd’un combat de longue haleine pour lequel les budgets né-cessaires vont sûrement augmenter de manière exponen-tielle. Il faut, dès à présent, prendre en compte cette réa-lité. Et même si je juge aujourd’hui les moyens déployéssuffisants, il faudra élever les digues proportionnellement àla menace pour maintenir leur efficacité.

Propos recueillis par Erwan Sterenn

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■ Quelle analyse faites-vous

des attentats qui ont endeuil -

lé la France début janvier?

Ce massacre est devenuun symbole des forces quis’attaquent aux fondementsde notre société, qui nousrappellent que nous nesommes pas en dehors dumonde. Nous avons étéfrappés en plein cœur, là oùétaient ces valeurs natio-nales et républicaines quinous ont immédiatementfait sortir de chez nous etdire « je suis Charlie ». Pourmoi, ils ont touché notre li-berté d’expression et notretype de société. « La puni-tion sera plus de générosité,plus de tolérance, plus de dé-mocratie » avait dit le maired’Oslo à l’époque des at-tentats d’Anders Breivik. Jetrouve que ces deux tueriesont beaucoup plus de simi-litudes qu’on ne l’a dit. Mais on ne peut pas non plus igno-rer les obscurantismes de tous bords, qui s’enflamment sou-vent sur commande, aux quatre points de la planète, prêtsà nous imposer des restrictions puritaines et des interditscommunautaires. Face à ces ennemis, il nous faut être forts,et continuer à faire rayonner notre socle de valeurs issuesdes Lumières.

■ Quelles conclusions en tirez-vous en matière de sécurité

et de défense ?

La réponse à ces violences est multiple certes, mais ils’agirait d’une grave négligence si nous n’en profitions paspour nous questionner et réévaluer les moyens dont nousavons besoin pour notre sécurité. Instinctivement, quandnous nous sentons menacés, nous nous retournons versnotre Défense, intérieure ou extérieure. Et là, on se rap-

pelle qu’il y a eu 10 000postes en moins dans la po-lice et la gendarmerie lorsdu précédent quinquennat.On se souvient que nos ar-mées subissent la pluslourde déflation d’effectifsinfligée à une institution ré-galienne (- 54 000 entre2009 et 2014 et - 26 000 pré-vus d’ici 2019 !), même s’ilest bien que le gouverne-ment ait décidé de « limiterla casse ». On constatequ’avec nos 1,3 % du PIBpour la Défense à la fin dela LPM on serait loin des2 % demandés par l’Otan àses membres. Alors il fautréagir et réactualiser lesmoyens consacrés à notrepuissance militaire. Celasuppose de faire les effortsbudgétaires nécessaires. Ilest indispensable que nospersonnels soient parfaite-

ment équipés et cela ne doit pas se faire en envisageant deprocéder à d’hasardeux programmes de financement par« société de projet ». On ne peut pas faire payer les acqui-sitions actuelles de sécurité à nos descendants ! Je pense quenotre position sur la scène internationale, membre duConseil de sécurité de l’Onu, forte représentation diplo-matique, impact de la francophonie et deuxième territoiremondial, est constitutive de notre universalisme. La Franceest un pays qui a des valeurs à protéger et une histoirequ’elle doit assumer. Ne soyons pas naïfs des luttes de pou-voir qui secouent la planète en ce début de XXIe siècle !J’observe, en tant que président de la délégation françaiseà l’Assemblée parlementaire de l’Otan, combien nombrede nos partenaires européens ne font pas les efforts mili-taires nécessaires et se reposent souvent sur nos soldatspour garantir une sécurité qui est pourtant commune ! J’en-

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“Il faut réagir et réactualiserles moyens consacrés

à notre puissance militaire”Entretien avec GILBERT LE BRIS

Député (PS) du Finistère Président de la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’Otan “Il faut un débat sur

notre défense où il sera question d’autre chose que de « sparadraps budgétaires » comme les « sociétés de projet » ou les « recettes exceptionnelles ».”

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– La fermeté de position avec le Qatar : les intérêts fran-çais (et pas seulement économiques et financiers) comman-dent à Paris de ne pas rompre, comme certains le voudraientde manière immature, avec ce pays, mais de renégocier fer-mement les accords bilatéraux (fiscaux, d’investissements, etc.)dans l’optique d’amener Doha à cesser tout soutien au terro-risme islamiste. La France ne veut plus voir de C-130 (aux cou-leurs de l’armée de l’air qatarie) sur les aéroports libyens dé-poser des armes aux terroristes comme elle ne veut pas definancement religieux en France.

– L’affermissement et la clarification des relations avecl’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis : cet objectif peutparaître contradictoire avec le chemin nécessaire vers Téhéran,mais la diplomatie exige de parler à tout le monde au lieu deprendre des postures intenables, alignées ou mouvantes. LesSaoudiens, par leur poids pétrolier et au sein du Conseil decoopération du Golfe (politiquement, militairement), ont cer-tains objectifs communs avec la France : soutien à l’Égypte,guerre contre Al-Qaeda. À la diplomatie française de leur fairecomprendre également que la chute d’Assad n’est non seule-ment pas pour demain, mais qu’elle n’est pas souhaitable ; que,si Téhéran est l’ennemi abhorré, il vaut encore mieux un régimeraisonnable qu’un chaos frontalier permanent que les mursédifiés en Arabie ne contiendront pas longtemps. Les EAU

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Les attentats du débutd’année ont rappelé augouvernement et d’une

manière plus générale auxFrançais que leur pays étaiten guerre depuis des années(en Afghanistan puis enAfrique) contre le terro-risme islamique. Cette vé-rité, souvent occultée par undiscours où toute référenceà l’islamisme était et de-meure banni mais dont laréalité quotidienne n’aéchappé ni aux agents derenseignement ni aux mili-taires français déployés enopérations extérieures, écla -te enfin après des années dedérives diplomatiques et de désarmement de notre sys-tème de défense. Le principe de réalité s’est matérialisétragiquement en janvier. La réponse au Djihad qui em-brase l’Europe, le Maghreb et le Proche-Orient, sans ou-blier certaines parties de l’Asie, ne peut être que globaledans une cohérence d’ensemble : « une diplomatie sans ar-mée est une musique sans instruments », disait Frédéric II dePrusse. On pourrait ajouter qu’«une armée sans diploma-tie est un instrument sans musique».

FACE AUX DÉRIVES DIPLOMATIQUES, LA REALPOLITIK S’IMPOSE

L’abandon progressif de la doctrine d’indépendance na-tionale, pourtant un héritage de notre longue et sanglantehistoire (des frontières naturelles de Richelieu et de LouisXIV à la puissance de l’atome et au retrait de l’Otan sousle général de Gaulle), a conduit la France à négliger ses in-térêts propres pour suivre, à la manière d’un « chien crevéau fil de l’eau », les errements diplomatiques américainsdont la faillite s’étale partout, et la pusillanimité européenne.Alors que la realpolitik exigeait de s’appuyer sur Tripoli etDamas pour juguler le terrorisme islamiste, tout a été en-trepris méthodiquement pour détruire les fondements de cesrégimes laïcs. Cet ordre, imparfait certes, avait cependantle double mérite de garantir les libertés religieuses et l’in-

tégrité des nations, mais laFrance, reniant sa positionde 2003, ultime chant ducygne gaullien, a préféré dé-truire elle-même le régimede Kadhafi pour laisser laplace à la nouvelle Mecquedu terrorisme islamiste, ar-mer de douteux rebelles sy-riens modérés, et planifierune opération de bombar-dement (qui n’aura pas lieu)contre Bachar Al Assad…Cette attitude est d’autantplus incompréhensible qu’aumoment où tous ces événe-ments se déroulaient, l’ar-mée française était engagéemassivement en Afghanis-

tan puis lançait ses raids éclairs en Centrafrique et au Malicontre le terrorisme islamiste. Cette diplomatie des bonssentiments est une faute politique grave. Elle doit être aban-donnée au profit d’un réalisme froid qui commande d’ur-gence une batterie de contre-mesures :

– Le soutien massif et coordonné au gouvernement duprésident Sissi : l’Égypte n’est pas seulement dans cet es-prit un rempart contre l’islamisme (dans le Sinaï, parexemple), mais une base avancée pour reconquérir la Li-bye. Les militaires égyptiens sont prêts à soutenir le ré-gime légitime de Tobrouk mais demandent l’aide militairefrançaise. Il est nécessaire de réparer la faute historique deM. Sarkozy et d’envoyer un signal clair à ceux qui continuenten Libye à soutenir le terrorisme islamiste.

– L’arrêt de toute ingérence européenne et françaiseen Syrie : la guerre de Syrie est une guerre civile où laFrance n’a pas à prendre parti pour renverser une auto-rité légale. La leçon de Tripoli doit être retenue.

– La reprise du dialogue avec Téhéran qui, qu’on leveuille ou non, contrôle quatre capitale arabes avec ses sup-plétifs chiites : Damas via les Pasdarans, Beyrouth via leHezbollah, Sanaa via les Houtthis, Bagdad via la factionchiite. La France a certes de nombreux contentieux (Liban,nucléaire civile, etc.), mais elle ne peut pas se payer le luxede négliger une telle influence régionale incontournable.

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“Réalisme diplomatique,renseignement et réarmement,

les trois réponses aux attentats”Par AYMERIC CHAUPRADE

Député français au Parlement européen (non-inscrit)

“Jamais l’armée française n’a été autant employée sur les théâtres d’opérations extérieures et jamais le désarmement n’aura été aussi massif.”

Aymeric Chauprade, en décembre 2014, à Pékin,dans les locaux du China Institute of International Studies.

Octobre 2011. Combattants anti-Kadhafi à Misrata. « Alors que la realpolitik exigeait de s’appuyer sur Tripoli et Damas pour juguler le terrorisme islamiste, tout a été entrepris méthodiquement pour détruire les fondements de ces régimes laïcs. Cette diplomatie des bons sentiments doit être abandonnée au profit d’un réalisme froid. » AYMERIC CHAUPRADE

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avec qui les accords de défense vont très (trop ?) loin, sontdes alliés en Égypte aujourd’hui et pour la Libye, demain.Il serait bon de rappeler cependant à Abu Dhabi que laFrance participe de la défense des EAU (base aéro-ter-restre et engagement régional contre Daech) mais attend,en échange, un retour sous forme de contrats (Rafale, parexemple), preuves de réciprocité diplomatique…

– Un rapprochement avec Oman ; ce petit sultanat,en pleine succession actuellement en raison de la santé

– Comment enfin oublier le Liban, terre si chère à laFrance ? L’effort français doit se porter sur le renforcementde l’appareil d’Etat de manière concrète : le paquet arme-ment en cours d’exécution1, y contribue, mais il doit se pour-suivre. L’armée française dispose de matériel en surplus, detechnologies intéressant directement Beyrouth (guerre élec-tronique, vision nocturne, etc.) : la France ne peut laisserles États-Unis, l’Allemagne et l’Italie et d’autres pays, prendrela place que les Libanais souhaitent lui donner.

Au-delà du Golfe, la realpolitik impose de se rapprocherd’acteurs majeurs, au premier rang desquels se trouve laRussie. Quelle que soit l’opinion que l’on se fasse des di-rigeants russes, leur politique étrangère est sans conces-

LE RENSEIGNEMENT, EN PREMIÈRE LIGNEStratégique tout autant que tactique, le renseignement

a des capacités clandestines et d’entrave essentielles. Il esten première ligne contre le terrorisme. La DGSE sort d’uncycle de réformes (2009-2014) durant lequel ses moyensont été renforcés mais, outre le fait que ces actions n’étaientqu’un rattrapage nécessaire, elle apparaît encore handica-pée dans ses missions par de nombreux freins sur lesquelsil est urgent d’agir.

La première réforme est d’agir sur le cadre diploma-tique. La realpolitik décrite ci-dessous a pour objectif derestaurer la confiance essentielle aux échanges d’informa-tions. Aux services de renseignement français d’en profitersans exclusive. Outre les relations avec les services amistraditionnels, les liens avec les services russes, syriens, égyp-tiens, iraniens, saoudiens, émiriens, marocains, omanais, jor-daniens sont absolument vitaux.

La seconde action urgente est d’augmenter le budget.Tous les DG de la DGSE insistent sur le fait que le servicea besoin d’accroître ses capacités. Or le budget – officiel –de la DGSE n’est que de 1,3 % de l’effort de Défense, soità peine le prix d’une Fremm… Le budget doit être aug-menté afin d’être en permanence capable de recruter lesmeilleurs Français, de s’adapter à la course technologique(cryptologie, par exemple) et de contrer le cyber-djiha-disme, canal de recrutement, de financement et de propa-gande.

La troisième priorité est d’améliorer le statut des agentsde la DGSE. Malgré de nombreux rapports, parlemen-taires ou confidentiels, les contraintes spécifiques à leurmétier – secret professionnel, restrictions familiales et pro-fessionnelles, etc. – ne sont toujours pas prises en compte.Il y a là un véritable problème de gestion des agents et deleur carrière qui nuit au recrutement de qualité et à laconservation des meilleurs. La protection de leur identitéest également un problème récurrent inacceptable dans la

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« Le renseignement est en première ligne contre le terrorisme. » AYMERIC CHAUPRADE

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Les drones sont une priorité pour la défense française. Ci-contre le démonstrateur Neuron conçu par Dassault Aviation, Ci-dessous, le Dixmude et sa conserve l’aviso escorteur Commandant L’Herminier, en 2012. Les deux visages d’une Marine en cours de renouvellement.

“La Loi de programmation militaire doit être sanctuarisée par un article de la Constitution prévoyant son exécution intégrale.”

1. Rééquipement de l’armée libanaise avec du matériel français financé parl’Arabie saoudite.

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du sultan Qaboos, est une pièce maîtresse dans l’échi-quier régional. Veillant jalousement à son indépendance,peuplé à 70 % d’Omanais, regroupé autour de la per-sonne du sultan, Mascate a toujours veillé à adopter, entoutes circonstances, une politique étrangère équilibréeentre les autres membres du Conseil de coopération duGolfe et l’Iran. C’est un pays négligé dans la situationrégionale actuelle or c’est un canal diplomatique de pre-mier plan.

sion pour le terrorisme, non seulement au Proche-Orientmais dans leur arrière-cour du Caucase, foyer d’un djiha-disme virulent. Le Maroc, ensuite, actuellement sacrifié auprofit unique de l’Algérie, allié douteux et peu maniable,et où il est urgent de renouer des liens de confiance afin dedisposer de son entregent diplomatique (sur l’Arabie et leMaghreb notamment). Cette realpolitik est une urgenceafin de restaurer des canaux diplomatiques qui font défautà la France.

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guerre secrète livrée contre le terrorisme, comme l’affairesomalienne l’a largement démontré…

Le déploiement géographique est une quatrième pistede réflexion. Traditionnellement forte en Afrique franco-phone, la DGSE reconnaît elle-même des lacunes en Asiedu Sud-Est. Qu’en est-il de l’Afrique anglophone, de l’Amé-rique latine et du Maghreb ?

Enfin, rien ne serait utile sans les deux valeurs ajoutéesd’un renseignement efficace : l’orientation du renseigne-ment, ce qui implique que le gouvernement doit fixer despriorités stratégiques à la DGSE, et la capacité d’analyse, quiexige des recrutements de qualité et diversifiés. Malgré lacompétence reconnue de la DGSE, le problème vient sou-vent d’un milieu gouvernemental et administratif incapabled’exploiter l’information obtenue. À cet égard, une culturedu renseignement est primordiale et doit être diffusée sys-tématiquement dans les grandes écoles françaises.

FACE AU DÉSARMEMENT BUDGÉTAIRE,HUMAIN ET INDUSTRIEL, LE RÉARMEMENT !

La situation actuelle est un tragique paradoxe : jamaisl’armée française n’a été autant employée sur les théâtresd’opérations extérieures et jamais le désarmement n’auraété aussi massif ! Étrillée par des décennies de restructu-rations, de réformes, de régulations budgétaires, l’armée

ensuite sur une exécution parfaite sans tenir aucun comptedes régulations budgétaires opérées par Bercy. Le constatest sans appel : cette LPM est ainsi livrée au hasard desressources extraordinaires et dépend des aléas des expor-tations. Le réarmement budgétaire devra donc être d’am-pleur : au moins 2 % du PIB, soit entre 40 et 45 milliardsd’euros annuels. Mais cet objectif n’est pas suffisant. Pouréviter de tomber dans le travers des LPM antérieures, laLPM post-2017 devra inclure des dispositions majeures etnovatrices :

– Elle devra être exactement calée sur le mandat dugouvernement : cinq ans. L’exercice d’un Livre blanc, quipermet de justifier a priori les coupes dans le budget, est in-utile pour trois raisons : les menaces sont connues ; les ca-pacités nécessaires pour les contrer sont toutes déjà plani-fiées par des états-majors compétents et il fait perdre un anà l’exécutif sur les cinq – courtes – années de son mandatpolitique.

– La LPM doit être sanctuarisée par un article de laConstitution prévoyant son exécution intégrale. Cette «règle d’or » est nécessaire pour contrer les efforts de Bercyet permettre un réarmement pluriannuel.

Possédant le deuxième domaine maritime mondial avec11 millions de km2, la France n’est plus en état de veiller àson intégrité territoriale face à la montée des trafics et de

la piraterie. La Marine françaisene possède que des moyensvieillissants et insuffisants pourdéfendre ce vaste domaine.Ainsi, si le programme B2M(B2M pour bâtiments multi-missions en remplacement desvieux Batral) a été lancé, il a étéamputé d’une unité ; si les deuxpatrouilleurs légers pour laGuyane (PLG) ont été octroyésau chantier boulonnais Socare-nam, leur capacité est inférieureà ce qui était imaginé par la Ma-rine et loin des performancesd’un véritable patrouilleur hau-turier (type OPV-75 de Kership,société commune de DCNS etPiriou, ou Vigilante 400 CL-52

des CMN). Enfin, ce programme si nécessaire à la luttecontre la contrebande a été décorrélé du programme Bat-simar (bâtiments de surveillance et d’intervention mari-time pour le remplacement des P-400 des CMN). Faute decrédits en effet, le programme Batsimar est reporté à laLPM suivante (2020-2025) : la Marine va donc êtrecontrainte de maintenir en activité pendant quarante ansdes unités destinées à être remplacées au bout de 25 ans…Le programme de frégates de surveillance nouvelle géné-ration est reporté en 2026. Or l’incendie du Nivôse (fin sep-tembre 2014) a démontré la grande fragilité de la flottevieillissante des frégates de surveillance à la merci d’un in-cident. Ses missions, comme son sistership, le Floréal, sontpourtant essentielles puisqu’elles englobent le contrôle des

Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et du ca-nal de Mozambique, zone stratégique pour les intérêts fran-çais. Enfin, le programme des avions de surveillance et d’in-tervention maritime (Avsimar) destiné à remplacer lesFalcon 50 et Falcon 200 (Gardian) n’est prévu qu’à la fin dela LPM avec des livraisons calées après 2020. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont ainsi sans réellesurveillance aérienne… Face à cet affligeant constat, il estimpératif de planifier le lancement ra-pidement de tous les programmes des-tinés à la défense de notre domainemaritime : Batsimar, frégates de sur-veillance NG et Avsimar. Les designsdes chantiers français (Kership, CMN,STX France, notamment) sont inno-vants et parfaitement adaptés aux be-soins de renouvellement de notre flotteoutre-mer.

VERS UN NOUVEAU MODÈLE D’ARMÉE

À bien des égards, il semble inutilede réinventer en permanence des mo-dèles d’armée : les état-majors s’épui-sent à formater un modèle X, Y voireZ. Sans esprit partisan, je considère quele modèle d’armée votée en 1996 etportant sur la période 1997-2015 ap-paraît pertinent encore de nos jours :les choix capacitaires effectués par lesétats-majors se sont en effet révélés parfaitement adaptésaux Opex de l’armée française. La polyvalence des plates-formes (BPC, Rafale et demain Fremm) et de leurs arme-ments (A2SM, Aster, Scalp, Meteor) a démontré toute sonefficacité. Les doctrines d’emploi sont, elles, pleinementvalidées à l’épreuve des guerres menées par l’armée fran-çaise. Des inflexions seront cependant nécessaires.

Sans prétendre à être exhaustif, et pour rester dans lariposte contre le terrorisme islamiste fortement armé, citonsles suivantes :

– le deuxième porte-avions s’impose afin de disposerd’une capacité aéronavale permanente. La guerre contreDaech le démontre ;

– la commande d’un 4e BPC pour accroître les capaci-tés de projection interarmées et d’évacuation de nos res-sortissants ;

– les drones de surveillance et les drones armés sontdevenus incontournables pour éclairer le champ de ba-taille et frapper ;

– la création d’une force de rivière sur le modèle des ri-verine forces du corps des Marines américains apparaît né-cessaire pour mieux contrôler nos estuaires (Guyane, mé-tropole) et en Opex pour frapper loin dans la profondeurles havres des terroristes comme les Marines l’ont démontréen Irak et, plus loin dans le passé, l’armée française en In-dochine.

Realpolitik, renseignement, réarmement sont les seulesréponses cohérentes au terrorisme islamiste. La France est

en guerre, dit-on, mais ses dirigeants successifs n’appor-tent aucune réponse globale et cohérente aux défis du ter-rorisme islamiste. Après avoir détruit la Libye, ils sont obli-gés d’en assumer les conséquences militaires au Mali et auNiger et n’auront pas d’autre choix que d’envisager unenouvelle opération, longue, aléatoire et sanglante pour bou-ter les islamistes hors de leur nouvelle Mecque. Après avoirlivré des armes aux islamistes modérés de Syrie et envi-

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“2% du PIB pour la Défense est un objectifad minima pour restaurer les capacités d’interventionde la France chez elle et dans les zones de conflit.”

française sort lessivée et démoralisée. Réalisant, avec leRoyaume Uni, l’essentiel des dépenses de défense del’Union européenne, et avec ses Opex, l’essentiel de sa dé-fense tout court, la France ne dépense péniblement que1,6 % de son PIB à la défense. En raison de l’emprise d’unÉtat social inefficace, les gouvernements de droite commede gauche n’arrivent plus à mobiliser pour la Défense lescrédits nécessaires. La loi de programmation militaire 2014-2019 est ainsi la première, depuis le général de Gaulle, àtabler sur des ressources mercenaires, aléatoires et extra-ordinaires pour financer les armées françaises ! Elle met lasécurité de la France à la merci d’exportations hasardeusescar politiques (Rafale en Inde, au Qatar ou en Égypte ;Fremm en Arabie saoudite ou au Qatar, etc.) ; elle repose

sagé de bombarder Damas, ils sont obligés de combattre lemême ennemi que leur ennemi : l’État islamique… Aprèsavoir désarmé l’armée française comme jamais depuis 1936mais l’avoir employée sur tous les fronts, ils gèlent les baissesd’effectifs, mais sans être capable de les financer ni de re-mettre en cause un modèle capacitaire exsangue et tragi-quement insuffisant… Un tel aveuglement est un cas d’écolerare dans notre Histoire pourtant longue.

La seule réponse efficace repose dans la conduite d’unerealpolitik, débarrassée de l’obsession anti-russe et du sui-visme américain et qui retrouve le chemin de Moscou, deTéhéran et de Damas sans oublier Mascate, Rabat et LeCaire. Cette nouvelle diplomatie, fondée sur une froideanalyse des soutiens et adversaires de l’islamisme terro-riste, ouvrira sans nul doute des canaux d’échanges pournotre renseignement dont la réforme n’est pas achevée.Enfin, la France n’aura pas d’autre choix que de réarmer :2 % du PIB pour la Défense est un objectif ad minimapour restaurer les capacités d’intervention de la Francechez elle (en métropole comme dans ses DOM-TOM) etdans les zones de conflit.

Dans une période également tragique, Jacques Bain-ville écrivait dans Histoire de deux peuples continuée jus-qu’à Hitler (1933) que « l’honneur de la nation française,à travers ses distractions et ses faiblesses, est d’avoir tou-jours gardé irréductibles l’idée de son indépendance et lesentiment de ses devoirs ». Espérons-le de nouveau. Il n’estque temps. ■

Hawkeye en phase de catapultage sur le porte-avions Charles de Gaulle. « Le deuxième porte-avions s’impose afin de disposer d’une capacité aéronavale permanente. » AYMERIC CHAUPRADE

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