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Introduction à la physique de l’environnement (ENVT0869-1) Prof. Jean-Jacques Boreux ULg, DSGE (Arlon) 19 septembre 2012

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Page 1: Buckingham Note Du Cours

Introduction à la physique del’environnement (ENVT0869-1)

Prof. Jean-Jacques BoreuxULg, DSGE (Arlon)

19 septembre 2012

Page 2: Buckingham Note Du Cours

Résumé

L’homme de l’Antiquité observait un oiseau et rêvait de l’imiter mais Icares’est brûlé les ailes. Pour réussir à voler de manière sure, il a fallu comprendrequ’une poussée sur l’aile devait compenser le poids de l’objet volant. Dansles circonstances précisées par le théorème Π de Vaschy-Buckingham (1914),l’analyse dimensionnelle permet de dégager des lois de la physique. Par exemple,l’analyse dimensionnelle permet d’établir une relation entre le poids d’un ob-jet volant et la sixième puissance de sa vitesse de croisière. Cette relation vautaussi bien pour une libellule que pour un Boeing 747. Ainsi, sans être Ingénieuren aéronautique, la connaissance des unités de base de la physique alliée à unpeu de bon sens et à quelques notions algébriques permet d’obtenir une loi fon-damentale du vol en palier. C’est à ce genre d’entraînement qu’il faut soumettresa pensée pour progresser dans le domaine des sciences.

Page 3: Buckingham Note Du Cours

Chapitre 1 L’analyse dimensionnelle

1.1 IntroductionLe système international d’unités (S.I.) repose sur sept unités de base : le

mètre (m) pour la grandeur physique ou dimension fondamentale nomméelongueur (L), le kilogramme (kg) pour la masse (M), la seconde (s) pour le temps(T), l’ampère (A) pour l’intensité d’un courant électrique, le degré Kelvin (K) pourla température, la candela (cd) pour l’intensité lumineuse et la mole (mol) pourla quantité de matière. Les trois premières constituent le système d’unités mé-caniques (MKS).

Toutes les autres grandeurs physiques peuvent s’exprimer comme des pro-duits de ces sept dimensions fondamentales indépendantes ce qui signifie queleur unité est aussi un produit des sept unités de base.

Exemple 1 Le travail mécanique est le produit scalaire d’une force (vecteur) par undéplacement (vecteur) :

w = F× d = Fd cos θ

En notant [w] la dimension du travail w on a :

[w] = M× L2 × T−2

L’analyse dimensionnelle est fondamentale. D’une part, elle permet de contrô-ler la cohérence d’une identité physique ; une formule aberrante du point devue dimensionnel est une faute grave ! D’autre part, elle permet de modélisercorrectement certains phénomènes physiques, essentiellement à partir du sys-tème MKS.

1.2 Le théorème Π de Vaschy-BuckinghamEdgar Buckingham (1867 − 1940) est un physicien américain di-plômé de Harvard (bachelier, 1887) et de l’université de Leipzig(1893) où sa thèse de doctorat fut réalisée sous la direction du chi-miste Wilhelm Ostwald, prix Nobel en 1909. Ses travaux impliquantl’analyse dimensionnelle reçurent la consécration avec le fameuxthéorème Π (Buckingham, E. 1914. On physically similar systems ; illus-trations of the use of dimensional equation. Phys. Rev. 4 :345).Vaschy est un physicien français du XIX siècle.

Ce théorème fondamental de l’analyse dimensionnelle peut être énoncé commesuit (Snieder, 2006).

Theorème 2 (de Vaschy-Buckingham) Si une loi physique peut s’exprimer sous laforme d’un produit de N grandeurs physiques impliquant P dimensions fondamentalesalors on peut exprimer cette loi sous la forme de N − P nombres sans dimension.

Une illustration simple est la pomme qui tombe de l’arbre. Quelle est savitesse au moment de l’impact ?

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Page 4: Buckingham Note Du Cours

1.2.1 Solution par la physique élémentaire

Faisons l’hypothèse que la pomme tombe verticalement sans rencontrer d’obs-tacle. Si on néglige la friction de l’air, quand la pomme atteint le sol toute sonénergie potentielle a été transformée en énergie cinétique :

mgh =12

mv2

Sa vitesse au moment de l’impact suit :

v =√

2gh (1.1)

Ainsi, la vitesse de la pomme au moment de l’impact ne dépend pas de samasse, mais seulement de sa hauteur initiale et de l’accélération locale de lapesanteur1.

1.2.2 Solution par l’analyse dimensionnelle

Un étudiant en sciences et gestion de l’environnement se repose sous unpommier et pense que si une pomme lui tombait sur la tête il n’échapperaitpas à une céphalée. En réfléchissant un peu il se dit que plus la pomme seragrosse et plus elle sera haute, plus il aura mal la tête. Puis il se rappelle que lepoids d’un astronaute sur la Lune et six fois moindre que sur la Terre, donc ilest certain que la pesanteur doit jouer un rôle.

La table liste les grandeurs physiques identifiées par l’étudiant.

Grandeur physique Symbole Unités fondamentalesVitesse au sol vsol LT−1

Hauteur h LPoids F = mg M× LT−2

L’analyse dimensionnelle de la chute d’une pomme se déroule en cinq étapes.

1. On écrit que le produit de la grandeur cible (ici vsol) par tous les facteursqui l’expliquent (ici h, m et g), chacun d’entre eux étant élevé à une puis-sance inconnue, est une grandeur sans dimension, notée [·] :

vsol × hα ×mβ × gγ ∼ [·] (1.2)

2. On substitue les unités fondamentales aux facteurs impliqués :

LT−1 × Lα ×Mβ ×(

LT−2)γ∼ [·] (1.3)

3. La grandeur sans dimension, [·], peut aussi être exprimée comme le pro-duit des facteurs impliqués élevé à la puissance zéro :

[·]⇐⇒ (LMT)0 = L0M0T0 (1.4)

1Selon ce modèle (chute libre dans le vide), une enclume et une plume jetées d’un pontauraient la même vitesse au sol ! Bien sûr, toute vérification expérimentale (à proscrire) estvouée à l’échec. La raison est qu’on ne peut pas négliger la résistance de l’air pour la plume.

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Par identification des relations (1.3) et (1.4), on obtient :

L1+α+γ = L0, Mβ = M0, T−1−2γ = T0

ce qui conduit à résoudre un système d’équations du premier degré à troisinconnues :

L : α+ γ = −1M : β = 0T : −2γ = 1

dont la solution est

α = −1/2, β = 0, γ = −1/2 (1.5)

4. En injectant la solution (1.5) dans la relation (1.2) on obtient :

vsol × h−1/2 × g−1/2 ∼ [·]⇐⇒ vsol ∼√

gh (1.6)

5. Le théorème Π de Vaschy-Buckingham nous dit qu’il y a N − P nombressans dimension qui spécifient la physique du problème. Dans le cas pré-sent, N = 3 et P = 2 (1.6). Dès lors :

vsol = C√

gh (1.7)

L’analyse dimensionnelle ne nous dit rien sur la valeur numérique du nombresans dimension C. Il faut connaître le modèle de la chute des corps dans le vide(1.1) pour obtenir C =

√2. En revanche, l’analyse dimensionnelle et le théo-

rème Π de Vaschy-Buckingham produisent l’essentiel du résultat (1.7).

1.3 Le pendule simpleLe pendule consiste en une masse m attachée à un fil de masse négligeable

et de longueur invariable l. Il est placé dans le champ de la pesanteur d’accé-lération constante et uniforme g (bien sûr la valeur de g varie avec l’endroit).L’instant t = 0 est celui où on lâche cette masse, sans vitesse initiale, alors quele fil fait une angle θ0 avec la verticale (Fig. 1).

1.3.1 Solution par la physique et les mathématiques

Proposition 3 La période du pendule simple est

T = 2π

√lg

Preuve. Si on décompose le poids dans le repère orthonormé (en noir gras) on obtientla composante normale qui annulle la tension dans le fil

FN = −τ = mg cos θ

3

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FIG. 1: de quoi dépend la période du pendule simple ?

et la composante tangentielle qui rappelle la masse vers sa position d’équilibre

FT = mg sin θ

Soit x (t) la position de la masse m à l’instant t mesurée par son écart à la verticale (enpointillé). On a :

x (t) = l × θ (t)

La vitesse de la masse à l’instant t est la dérivée première de sa position au mêmeinstant :

x =dx (t)

dt= l

dθ (t)dt

= lθ

L’accélération de la masse à l’instant t est la dérivée seconde de sa position au mêmeinstant (c’est-à-dire la dérivée première de sa vitesse) :

x =d2x (t)

dt2 = ld2θ (t)

dt2 = lθ (1.8)

A tout instant, la première loi de Newton nous dit que la force de rappel exercée sur lamasse est égale à la composante tangentielle de son poids

mx = −mg sin θ (1.9)

Si l’angle d’écartement du pendule n’excède une vingtaine de degrés, on a (quand onexprime l’angle en radians) :

sin θ ∼= θ (1.10)

L’approximation (éq. 1.10), l’égalité x = Lθ (éq. 1.8) et la loi de Newton (éq. 1.9)entraînent

mLθ +mgθ = 0⇐⇒ θ +gl

θ = 0 (1.11)

L’équation 1.11 est une équation différentielle du deuxième ordre à coefficient constant.En posant ω2 = g/l (ω a donc la dimension d’une fréquence) son équation caractéris-tique est du second degré et les solutions sont triviales :

λ2 +ω2 = 0⇒ λ = iω

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La solution générale estθ (t) = A cos ωt+ B sin ωt

Mais on a deux conditions initiales. En t = 0, l’angle du pendule avec la verticale vautθ0 et la vitesse du pendule est nulle

θ0 = A cos 0+ B sin 0 = A (1.12)

θ (t) = −Aω sin ωt+ Bω cos ωt =⇒ θ (t)∣∣t=0 = 0 = Bω ⇐⇒ B = 0

La solution particulière est donc l’équation 1.12 dans laquelle on fait A = θ0 et B = 0 :

θ (t) = θ0 cos ωt (1.13)

La période est le temps T nécessaire pour vérifier l’identité

cos (ωt) = cos (ωt+ωT) (1.14)

Une relation bien connue de la trigonométrie élémentaire permet d’écrire

cos (ωt) = cos (ωt) cos (ωT)− sin (ωt) sin (ωT)

Cette identité est vérifiée si et seulement si

cos (ωT) = 1⇔ sin (ωT) = 0

Dès lors :

ωT = 2π ⇔ T =2π

ω= 2π

√lg

1.3.2 Solution par l’analyse dimensionnelle

Notation 4 Pour éviter les confusions avec la lettre T retenue pour l’unité fondamen-tale ’temps", nous noterons P la période du pendule.

Les variables physiques susceptibles d’entrer en ligne de compte sont lalongueur l du fil et le poids de la masse m suspendue, donc g intervient aussi.

1. La grandeur cible multipliée par trois facteurs est un nombre sans dimen-sion :

P× lα × gβ ×mγ ∝ [1] (1.15)

2. On substitue les unités fondamentales aux grandeurs physiques impli-quées

[T] [L]α[

LT−2]β[M]γ ∝ [1]

3. On résout un système d’équations linéairesT : 1− 2β = 0L : α+ β = 0

M : γ = 0⇒ α = −1

2 , β = 12 γ = 0

La masse de la boule n’intervient donc pas dans la période du pendule !

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4. On injecte la solution dans le produit initial

P× l−1/2 × g1/2 ∝ [1]

5. Par le théorème Π de Vaschy-Buckingham on a N − P = 3 − 2 = 1 etdonc la période du pendule s’écrit :

P = C

√lg

1.4 Application de l’analyse dimensionnelle aux "ob-jets" volants

FIG. 2: de quoi dépend la poussée sur l’aile ?

Considérons l’avion volant en palier (Fig. 2) à la vitesse constante v f (l’in-dice f réfère the flying object). Puisqu’il vole en palier, la poussée W f qui s’exercesur son aile est égale à son poids total G f . De quoi dépend cette poussée ? Elleest certainement proportionnelle à la surface S f de l’aile et à la vitesse de croi-sière de l’avion que nous avons déjà notée v f . En se rappelant le principe d’Ar-chimède, W f doit aussi dépendre de la masse volumique de l’air atmosphé-rique, ρa (essentiellement un mélange d’air sec et de vapeur d’eau).

On a :

Grandeur physique Symbole Unités fondamentalesPoussée (force) W f M× LT−2

Vitesse v f LT−1

Aire de la voilure A f L2

Masse volumique de l’air atmosphérique ρa M× L−3

Il suffit de répéter les cinq étapes du raisonnement.

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Page 9: Buckingham Note Du Cours

1.W f × vα

f × Aβf × ργ

a ∼ [·]

2.M× LT−2 ×

(LT−1

)α×(

L2)β×(

M× L−3)γ∼ [·]

3. L : 1+ α+ 2β− 3γ = 0M : 1+ γ = 0T : −2− α = 0

4.α = −2, β = −1, γ = −1

5.W f × v−2

f × A−1f × ρ−1

a ∼ [·] =⇒W f = CLv2f ρa A f (1.16)

Remarque 5 CL est le nombre sans dimension prévu par le théorème Π de Vaschy-Buckingham. En aéronautique, on l’appelle coefficient de sustentation (Lift coeffi-cient). Il dépend de la forme de l’aile et de son angle d’attaque et CL ' 0.3 pour lesavions de ligne.

1.4.1 Compléments

On peut aller un peu plus loin car la poussée W f équilibre le poids G f del’avion :

m f g = CL A f v2f ρa

La masse de l’avion est le produit de sa masse spécifique, ρ f , par son vo-lume, Vf :

m f = ρ f Vf

Si d f désigne la dimension caractéristique de l’avion, on a :

Vf ∼ d3f ∼

(d2

f

)3/2∼ A3/2

f

On est donc en droit de poser

Vf = C f × A3/2f

En substituant on obtient

ρ f C f × A3/2f g = CL A f v2

f ρa ⇒ A f =

(CL

C f

v2f ρa

ρ f g

)2

En introduisant cette valeur de A f dans la relation (1.16) on voit que la pous-sée sur l’aile est proportionnelle à la sixième puissance de la vitesse en palierde l’avion :

W f = G f =C3

LC2

f ρ2f

ρ3a

g2 v6f (1.17)

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Page 10: Buckingham Note Du Cours

En prenant le logarithme des deux membres de la relation (1.17) on obtient

ln G f = ln

(C3

LC2

f ρ2f

ρ3a

g2

)+ 6 ln v f (1.18)

c’est-à-dire l’équation d’une droite(ln G f = ln a+ bv f

)dont la pente b = 6 et

dont l’ordonnée à l’origine ln a = ln(

C3L

C2f ρ2

f

ρ3a

g2

).

Ce qui est remarquable, c’est que cette relation est bien vérifiée pour lesinsectes, les oiseaux et les avions comme le montre la figure 3 empruntée àSnieder (2006) qui l’a reproduite à partir de Tennekes (1997) avec la permissiondu MIT2.

1.4.1.1 Vérification

La figure 3 donne la vitesse de croisière et le poids d’un grand nombre d’ob-jets volants. Ainsi, la tipule (crane fly qui à aspect d’un moustique de grandetaille, mais qui ne pique pas) à une vitesse de croissière de l’ordre de 3 m/set son poids est de l’ordre de 4 × 10−4 N (en langage populaire, moins d’undixième de gramme). Le poids d’un Boeing 747 chargé est de l’ordre de 4×106N (en langage populaire, 400 tonnes) et sa vitesse de croisière est de l’ordrede 180 m/s.

Remarque 6 La lecture des ces données sur le graphique est évidemment assez ap-proximative. L’idéal serait de disposer des données réelles !

On peut donc estimer le coefficient ln a (1.18) et la pente b en résolvant lesystème suivant :{

Tipule(4× 10−4) = ln a+ b× ln (3)

Boeing ln(4× 106) = ln a+ b× ln (180)

On trouveln a ≈ −14, b ≈ 5.62

ce qui n’est pas si mal vu que l’on a établi ci-dessus que b = 6.

1.5 Energie libérée par la première bombe atomiqueA partir du film de la première explosion atomique (une succession de pho-

tos datées montrant l’expansion de la sphère nuageuse), le physicien britan-nique G.I. Taylor (1888-1975) parvint à estimer l’énergie libérée par la bombeinformation qui était alors classée top-secret.

On raconte que Taylor fit l’hypothèse que le rayon du nuage, r, dépend del’énergie dégagée par l’explosion de la bombe, E, du temps t où la photo estprise et de la masse volumique de l’air, ρ.

2Certes, il existe des corps volants pour lesquels le point(

ln v f , ln G f

)s’écarte de la droite

dont le pouvoir explicatif est donc imparfait.

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Page 11: Buckingham Note Du Cours

FIG. 3: poids de nombreux objects volants (axe vertical) contre leur vitesse decroisère (axe horizontal) en échelle log-log.

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Page 12: Buckingham Note Du Cours

1.r× Eα × tβ × ργ ∼ [·]

2.L×

(ML2T−2

)α× Tβ ×

(ML−3

)γ∼ [·]

3. L : 1+ 2α− 3γ = 0M : α+ γ = 0T : −2α+ β = 0

4.α = −1/5, β = −2/5, γ = 1/5

5.

N = 4, P = 3 =⇒ r = C(

Et2

ρ

)1/5

En d’autres mots :

r = A× t2/5 avec A = C(

)1/5

Taylor pouvait estimer le rayon du nuage en examinant la séquence desphotos qui indiquaient aussi l’instant de la prise de vue. Il avait 14 clichés luidonnant (ti, ri) . En reportant ces 14 points sur un graphique log-log, il put es-timer la valeur de A. En supposant que la constante inconnue C est de l’ordrede l’unité, connaissant la masse volumique de l’air, il put estimer E :

E ∼= ρA5 = ρr5

t2

Cette bombe atomique dégageait la même énergie que 20 000 tonnes deTNT. Or 1 gramme de TNT dégage une énergie de 4184 J !

E ∼= 8.4× 1013 J

équivalent à 23 millions de kwh !

1.6 Références– Snieder, R. (2006), A Guided Tour of Mathematical Methods for the Physical

Sciences. Cambridge.– Tennekes (1997), The simple Science of Flight from Insects to Jumbo Jets, MIT

Press, Cambridge MA.

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