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    Bruges-la-Morte

    Georges Rodenbach

    Dossier pdagogique

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    La collection Espace Nord rassemble des titres du patrimoine littraire

    belge francophone. Elle offre un catalogue dauteurs remarquables et

    veille la rdition duvres devenues indisponibles.

    Proprit de la Fdration Wallonie-Bruxelles, la collection est gre

    par Les Impressions Nouvelles et Cairn.info, qui ont ralis le prsent

    dossier.

    www.espacenord.com

    2012 Communaut franaise de Belgique

    Illustration de la couverture : orffo - Fotolia.com

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    Dossier pdagogique

    Bruges-la-MorteGeorges Rodenbach

    roman

    (Espace Nord, n 37, 2012)

    ralis par Charline Lambert

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    1. Lauteur

    Portrait de Georges Rodenbach, par Nadar, s.d. Doc. AML

    a)

    Un fils de notables belges

    Georges Rodenbach nat le 16 juillet 1855 Tournai, au sein dune famille de la bourgeoisie.Quand il a quatre mois, ses parents sinstallent Gand, au bord du canal de la Coupure. Ce

    paysage exercera plus tard une influence sur limaginaire littraire de lcrivain. Son pre,Constantin Rodenbach, travaille comme vrificateur des poids et des mesures. Aprs deshumanits dans un collge jsuite, le Collge Sainte-Barbe de Gand, o il rencontrenotamment mile Verhaeren, Georges fait des tudes de droit lUniversit de Gand.

    Bien que flamand, Georges Rodenbach reoit une ducation franaise et francophone, comptetenu de son statut social1, ce qui ne lempchera pas de plaider en faveur de la langueflamande. En 1877, il publie son premier recueil de pomes crits en franais, intitul Le

    Foyer et les Champs, dans lequel il loue la Flandre.

    1En effet, la bourgeoisie gantoise de cette poque tait bilingue mais donnait la prfrence au franais au seinmme du territoire linguistique nerlandophone ; les couches suprieures de la population bannissaient lusage

    du flamand, alors rserv aux domestiques. La supriorit de la langue et de la culture franaises telle quelletait affirme cette poque dans les hautes sphres de la socit est importante mentionner, tant donn que lecontexte littraire de lpoque est insparable de cette configuration linguistique.

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    b) Journaliste, avocat et homme de lettres

    Doctobre 1878 juillet 1879, afin de complter sa formation, il effectue son premier sjour Paris o il fait ses dbuts en journalisme. Il est immerg dans la vie littraire de lpoque etest notamment influenc par Franois Coppe. De retour Gand en juillet 1879, il concilie sa

    carrire davocat et dhomme de lettres, prend part la naissance de La Jeune Belgique

    2

    (delaquelle, lass des querelles au sein du comit de lecture, il se dtache vers 1886-1887).

    Il retourne Paris et sy installe dfinitivement en janvier 1888 en tant que correspondant duJournal de Bruxelles. Il se lie entre autres avec Mallarm et des artistes comme Odilon Redonet Auguste Rodin. Il frquente le salon des Daudet et plus largement le milieu littraire delpoque. En aot 1888, il pouse Anna-Maria Urbain, avec laquelle il aura un fils, Constantin(n en 1892). Georges Rodenbach est fait chevalier de la Lgion dhonneur en 1894.

    Il dcde le 25 dcembre 1898, atteint dune typhlite. Sa tombe se trouve au cimetire duPre-Lachaise Paris. Elle est orne dune sculpture reprsentant Rodenbach sortant de latombe en tenant une rose dans la main.

    La tombe de Rodenbach au cimetire du Pre-Lachaise Wikipdia3

    2LaJeune Belgique est une revue littraire et artistique qui se donnait pour mission de crer un renouveaulittraire en Belgique, afin de rsister au courant qui mergeait en France et commenait sloigner de ladoctrine de lart pour lart. Cette revue entendait librer lart de toute prtention moralisatrice et politique. Elle

    paratra de 1881 1897 Bruxelles, et rassemblera tant des crivains naturalistes comme Camille Lemonnier etGeorges Eekhoud que des potes du Parnasse.3

    Disponible sur :http://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Rodenbach#mediaviewer/File:Tombeau_Georges_Rodenbach.jpg (pageconsulte le 10 dcembre 2014).

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    c) uvres principales, thmes de prdilection

    Luvre de Rodenbach est varie : elle est constitue de romans, de nouvelles, de posies, depices de thtre, de contes, darticles de revue. Bruges-la-Morte, roman publi pour lapremire fois en 1892, est certainement son uvre majeure et la plus connue. Parmi les

    romans et les nouvelles, citons galementLArt en exil(1889) etLe Carillonneur(1897), quia fait lobjet dune rdition par Jacques Antoine. Il a galement crit de nombreux recueilsde pomes comme Le Foyer et les Champs (1877), Le Rgne du silence (1891), Les Viesencloses (1896). Aujourdhui tombes dans loubli, ses uvres potiques tmoignent dunerecherche constante dun style personnel et dune maturation progressive tandis que sesromans obissent des aspects esthtiques dj fixs son poque.

    Ses thmes de prdilection sont lvocation de vieilles villes flamandes, de leurs lmentscomme les canaux et les bguinages, chargs de mlancolie et dun certain mysticisme.Dabord catholique, Rodenbach sest dtach de cette religion tout en en gardant le culte dumystre et du sacr. Le silence, le deuil et la mort, empreints dune certaine religiosit, sont

    prgnants dans latmosphre des crits de Rodenbach. Cest particulirement frappant dans lerecueil de contes intitul Le Rouet des brumes (o il crit propos du Collge Sainte-Barbeque frquentrent aussi Maeterlinck, Van Lerberghe et Hellens) :

    La Mort ! C'est elle que les prtres qui furent nos matres installaient parmi nous ds larentre. Nous arrivions de la maison paternelle avec nos jolis trousseaux de linge neuf et frais.On y mla le pole des catafalques, son velours noir aux ganses jaunes. Nous ne pensions qu'tout fait grandir, apprendre pour enfin marcher seul, aimer, conqurir le monde, vivre ! Onnous enseigna nous prparer bien mourir4.

    Dans le chapitre Le monde vu comme une uvre dart de louvrage Lesthtique deGeorges Rodenbach, Anny Bodson-Thomas souligne que ce qui lintresse dans les choses,ce nest pas leurs contours matriels, mais la somme de spiritualit quelles renferment, lasignification quelles ont pour lui. Il les noie dans une sorte de bue do merge lme du

    paysage5 . Ces caractristiques concourent demble situer Rodenbach comme crivainsymboliste.

    2. !e contexte de rdaction

    d) Rodenbach, un crivain flamand ?

    Il est important de rappeler que Georges Rodenbach est issu dune famille bourgeoise de laFlandre, o, lpoque, il convenait de pratiquer la langue franaise au dtriment du

    nerlandais et davoir une ducation franaise. Rodenbach a ceci de paradoxal que, dunepart, il plaide en faveur de la langue flamande (notamment dans Le Carillonneur) bien quilcrive en franais, et, dautre part, il manifeste son fort attachement la Flandre, comme entmoignent les dcors de ses rcits, mais sinstalle Paris.

    Sa dfense de la langue flamande, malgr son ducation franaise, nest pas tellementtonnante : Rodenbach sinscrit dans un contexte qui voit merger le mythe de lme belge.On trouve notamment des rflexions sur ce mythe dans le Cahier bleude Maeterlinck6, o ce

    4 RODENBACH G., Le Rouet des brumes, Paris, Sguier, 1997, pp. 129-135 (1re d. : Paris, Librairie PaulOllendorf, 1901).5

    BODSON-THOMAS A., Lesthtique de Georges Rodenbach, Lige, Vaillant-Carmanne/Acadmie royale delangues et de littratures franaises de Belgique (collection de mmoires), 1942, p. 101.6Ce Cahier bleuest constitu de rflexions et de notes consignes entre 1888 et 1889.

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    dernier oppose lesprit latin et lesprit germanique. Entre autres, Maeterlinck y critique lalangue franaise : il souligne limproprit potique de cette langue ainsi que lide dun cran quelle met entre lhomme et lunivers, que la langue germanique peut rconcilier.La Belgique avait et a encore cette spcificit de porter, en son territoire, la culture romane etla culture germanique qui sy rencontrent ; les auteurs belges de lpoque, comme Rodenbach,

    vont tenter de renouer avec un folklore flamand et une tradition populaire que la Francenexploitait que peu.

    Au sein de la littrature belge, Rodenbach sinscrit bien dans une ligne dcrivains flamands.Ccomme lcrit mile Verhaeren (que lon situe gnralement aux antipodes de Rodenbachdu point de vue de lesthtique littraire) : Sil fallait assigner une place GeorgesRodenbach dans la littrature belge, elle serait facile dlimiter. Il prendrait rang parmi ceuxdont la tristesse, la douceur, le sentiment subtil et le talent nourri de souvenirs de tendresse etde silence, tressent une couronne de violettes ples au front de la Flandre : Maeterlinck, VanLerberghe, Grgoire Le Roy, Max Elskamp7.

    Cependant, Rodenbach est lun des premiers crivains belges choisir de sinstaller Paris

    alors quil tait justement question, en Belgique, ddifier une littrature nationale quismancipe de la France. Sa posture est donc pour le moins singulire : il se distancie de laBelgique mais saffirme et est reconnu Paris en tant qu crivain belge .

    e) Un crivain symboliste ?

    Dans ce contexte fin de sicle , le ralisme, le naturalisme, le dcadentisme et lesymbolisme cohabitent et leurs rgles esthtiques sont fixes. Pourtant, Rodenbach manifesteson refus de sinscrire dans une tradition littraire ou lautre. Il multiplie galement sesactivits dcriture : il est romancier aussi bien que pote ou critique littraire.

    Toutefois, les caractristiques de son criture le rattachent plus volontiers au courantsymboliste, comme en tmoignent ses propres propos :

    Cest limpossible lui-mme que nous aimons. Cest le rve, les nuances, lau-del, lart quivoyage avec les nuages, qui apprivoise les reflets, pour qui le rel nest quun point de dpartet le papier lui-mme une frle certitude blanche do slancer dans des gouffres de mystrequi sont en haut et qui attirent8.

    Il ne sest donc pas rellement inscrit lui-mme au sein de la tradition symboliste, mais lesymbolisme convient son temprament.

    b) Bruges-la-Morte: un roman flamand et symboliste ?

    Tout dabord, la coloration flamande du roman est prgnante, par le choix de la ville deBruges comme dcor et personnage de lhistoire et par des dtails comme lvocation desartistes primitifs ou de Van Eyck.

    Le texte de Bruges-la-Morte tmoigne dune instabilit gnrique : il se situe la frontireentre genre potique et genre romanesque et mle en son sein diffrents lments du roman

    psychologique9, du roman raliste, du rcit dun crime passionnel, du fantastique (par la mise

    7VERHAERENE., Revue encyclopdique , 28 janvier 1899, in BODSON-THOMAS A.,Lesthtique de GeorgesRodenbach, op. cit., p. 11.8

    Ibid., p. 12.9Cf. mention tude passionnelle dans lavertissement (RODENBACHG.,Bruges-la-Morte, Bruxelles, EspaceNord, n 37, 2012, p. 15).

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    en place du surnaturel), et du symbolisme10. Paul Gorceix souligne que lon pourraitgalement lire ce livre comme un roman raliste, o on peut saisir linfluence du milieu surlindividu (selon les critres du positivisme). Les spcialistes de Rodenbach saccordent pourne pas figer ce texte dans une catgorie gnrique ou lautre : Bruges-la-Morte est une uvre ouverte11.

    Considrant la singularit de Rodenbach et son refus sinscrire dans une tradition littraire,il convient de maintenirBruges-la-Mortedans une pluralit de lectures possibles, mme si denombreuses caractristiques concourent lestampiller roman symboliste .

    2. Le contexte de publication

    10Voir ce titre GORCEIXP.,Georges Rodenbach (1855-1898), Paris, Honor Champion, 2006, pp. 129-131.11Ibid., p. 131.

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    Couverture et premire page du manuscrit de Bruges-la-Morte, 1891 Doc. AML

    Rodenbach crit Bruges-la-Morte en 1891. En fvrier 1892, Bruges-la-Morte est dabordpubli dans Le Figaro durant dix jours, avant de paratre en volume illustr de 35photographies en juin 1892, chez Marpon-Flammarion. Le frontispice de Bruges-la-Morte,ralis par Fernand Khnopff, inscrit le roman au sein du mouvement symboliste : en effet, la

    morte reprsente par Khnopff dans ce frontispice rappelle le mythe dOphlie, sujet typiquedes prraphalites et des symbolistes. Il est par ailleurs clairement fait allusion ce mythedans Bruges-la-Morte12. Plus largement, le roman de Rodenbach se situe dans un contexteartistique fin de sicle qui regroupe des artistes exploitant notamment le thme de lafemme vapore, pure et sensuelle. Citons les uvres plastiques de Khnopff et des

    prraphalites mais galement les dclinaisons littraires du mythe dOphlie autour du motifde la chevelure : la suite de Baudelaire, pensons par exemple la scne du balcon dePellaset Mlisande de Maeterlinck, la nouvelle fantastiqueLa chevelurede Maupassant, VradeVilliers de l'Isle-Adam et au pome Ophlie de Rimbaud.

    12Cf. infra, lanalyse du roman.

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    Frontispice de Fernand Khnopff pour ldition de Bruges-la-Mortechez Flammarion, s.d. Doc. AML

    Dans son mmoire consacr la gense du roman Bruges-la-Morte13, Stphanie Crteurrappelle que lvolution de luvre connat trois tapes : une publication sous la forme dunfeuilleton dansLe Figaro, une publication en roman en juin 1892 et un remaniement en une

    pice de thtre, intitule Le Mirage, publie en 1901 titre posthume. la suite de lapublication du roman, si lenthousiasme a t fulgurant Paris et la rputation de Rodenbachassure (elle ltait dj depuis la publication duRgne du silence), la rception du roman enBelgique a t plus dlicate : il est reproch Rodenbach davoir trop sacralis la ville deBruges, den avoir montr des facettes quelle navait pas (notamment cette caractristique deville morte ) afin de plaire lesprit franais. Par ailleurs, cette uvre na connu quun

    tirage limit, le grand public ayant t peu rceptif, pour trois raisons (invoques par Jean-Pierre Bertrand et Daniel Grojnowski, spcialistes de Rodenbach) : le prix lev du livre (daux clichs photographiques insrs dans le roman) ; l iconographie touristique induite parla prsence des photographies qui dirige et subvertit limaginaire du lecteur ; la prpublicationen feuilleton dans Le Figaro, qui relgue le roman au rang des crits populaires, moins bienconsidrs.

    Par la suite,Bruges-la-Mortea connu un immense succs et fait dsormais partie des romansincontournables de la littrature belge.

    13

    CRTEUR S., Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach. tude dune gense romanesque , mmoire prsentpour lobtention du grade de Master en langues et littratures romanes, sous la direction dErica Durante,Louvain-la-Neuve, Universit catholique de Louvain, juin 2014.

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    3. Le rsum du livre

    Hugues Viane, un jeune veuf de 40 ans, cultive son veuvage au sein de la ville de Bruges

    depuis cinq ans. Il a choisi de sy installer pour sa silencieuse mlancolie et son caractreteint, afin de vivre avec dvotion la douleur cause par la perte de sa femme. Il habite avecune vieille domestique, Barbe. Ensemble, ils mnent une vie retire : lui, vouant un culte son pouse dfunte (en conservant notamment sa chevelure mise sous verre, des

    photographies delle et des bibelots comme autant de reliques) ; elle, nourrissant lespoir definir sa vie au Bguinage. Un jour, Hugues rencontre Jane Scott, une femme de thtre qui, de

    prime abord, ressemble trangement feu son pouse. Un rseau danalogies se tisse tout aulong du rcit, entre Bruges et la morte, Bruges et ltat dme dHugues, Jane et la morte. Laville, elle-mme rythme par le silence et le son des cloches, agit comme un personnage,oprant par lente et insidieuse contagion. Elle envote Hugues et, aprs que ce dernier aitralis combien Jane ne correspondait absolument pas limage de son pouse dfunte, le

    pousse donner cette histoire une issue tragique.

    4. Lanalyse

    c) Bruges

    o La ville comme personnage

    Lavertissement de Rodenbach donne le ton. Les termes du contrat de lecture y sontclairement stipuls, et ce ds la premire phrase : Dans cette tude passionnelle, nous avonsvoulu aussi et principalement voquer une Ville, la Ville comme un personnage essentiel,associ aux tats dme, qui conseille, dissuade, dtermine agir14. Lenjeu essentiel duroman est affirm : la ville de Bruges est considre non plus seulement comme le cadrespatial du rcit mais comme un personnage central, qui apparat presque humaine . Defait, ce personnage possde des caractristiques discernables et est en relation avec le

    personnage principal, Hugues :

    Or la Ville a surtout un visage de Croyante. Ce sont des conseils de foi et de renoncementqui manent delle, de ses murs dhospices et de couvents, de ses frquentes glises genouxdans les rochets de pierre. Elle recommena gouverner Hugues et imposer son obdience.Elle redevint un Personnage, le principal interlocuteur de sa vie, qui impressionne, dissuade,

    commande, daprs lequel on soriente et do lon tire toutes les raisons dagir15

    . En loccurrence, la ville comme personnage a un visage , elle donne des conseils etacquiert une puissance humaine, tout en entrant en dialogue avec Hugues. Les indices de

    personnification de la ville sont nombreux tout au long du roman, comme dans cet exemple :

    [I]ls avaient atteint maintenant les rues marchandes, le centre de la ville, la GrandPlace ola Tour des Halles, immense et noire, se dfendait contre la nuit envahissante avec le bouclierdor de son cadran16.

    14

    RODENBACHG.,Bruges-la-Morte, op. cit., p. 15.15Ibid., p. 93.16Ibid., p. 37.

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    La contagion de la ville annonce dans lavertissement est explicite dans le rcit : Hugues sentait son me de plus en plus sous cette influence grise [couleur des rues deBruges]. Il subissait la contagion de ce silence pars, de ce vide sans passants []17. Lesindices de personnification de Bruges renforcent cette criture de la contagion dun homme

    par une ville.

    o Au fil de leau

    Si lallusion aux clbres canaux de Bruges est frquente et explicite dans Bruges-la-Morte,une mtaphore de leautraverse le roman et se dcline dans les champs smantiques de la pluie , des cours deau , des larmes . La ville de Bruges est non seulement

    personnifie mais galement associe la mtaphore de leau ; cette dernire participe autravail de lvocation de la ville annonce dans lavertissement, comme en tmoigne cetextrait :

    [I]l se dcida son ordinaire promenade du crpuscule, bien quil ne cesst pas de pluviner,

    bruine frquente des fins dautomne, petite pluie verticale qui larmoie, tisse de leau, faufilelair, hrisse daiguilles les canaux planes, capture et transit lme comme un oiseau dans unfilet mouill, aux mailles interminables18!

    En loccurrence, la mtaphore file de leau, conjointe la mtaphore du tissage ( tisse , faufile , hrisse daiguilles , filet , mailles ), est appuye par un travail sur lesassonances avec la rptition de consonnes liquides qui confre au texte un caractreminemment potique. On retrouve par ailleurs ces mmes mtaphores files plus loin dans lercit. Le roman rsonne par la mise en place de ce systme dchos potiques:

    pas rapides, il marchait dans la direction oppose, enfilant des quartiers vieux, dambulantsans savoir o, vague, lamentable, dans la boue. La pluie se htait, dvidant ses fils,

    embrouillant sa toile, mailles de plus en plus troites, filet impalpable et mouill o peu peuHugues se sentait amollir19.

    propos de Bruges-la-Morte, Gaston Bachelard parle d ophlisation dune villeentire20, notamment par ce travail avec la mtaphore de leau, mais galement par lcho aumythe dOphlie que lon trouve dans le roman (soit simplement allusif ou explicitementcrit, soit avec le motif de la chevelure). On trouve au tout dbut du roman une allusion aumythe dOphlie :

    Puis la jeune femme tait morte, au seuil de la trentaine, seulement alite quelques semaines,vite tendue sur ce lit du dernier jour, o il la revoyait jamais : fane et blanche comme lacire lclairant, celle quil avait adore si belle avec son teint de fleur, ses yeux de prunelle

    dilate et noire dans de la nacre, dont lobscurit contrastait avec ses cheveux, dun jauneambre, des cheveux qui, dploys, lui couvraient tout le dos, longs et onduls21.

    Cette allusion Ophlie est explicitement confirme deux reprises :

    Dans latmosphre muette des eaux et des rues inanimes, Hugues avait moins senti lasouffrance de son cur, il avait pens plus doucement la morte. Il lavait mieux revue, mieux

    17Ibid., p. 85.18Ibid., pp. 22-23.19

    Ibid., p. 86.20Expression de Bachelard reprise par GORCEIX P., Georges Rodenbach (1855-1898), op. cit., p. 142.21RODENBACHG.,Bruges-la-Morte, op. cit., p. 18.

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    entendue, retrouvant au fil des canaux son visage dOphlie en alle, coutant sa voix dans lachanson grle et lointaine des carillons22.

    Dans cette solitude du soir et de lautomne, o le vent balayait les dernires feuilles, ilprouva plus que jamais le dsir davoir fini sa vie et limpatience du tombeau. Il semblaitquune ombre sallonget des tours sur son me ; quun conseil vnt des vieux murs jusqu

    loin ; quune voix chuchotante montt de leau leau sen venant au-devant de lui, commeelle vint au-devant dOphlie []23.

    Lallusion ce mythe dans Bruges-la-Morteet son traitement par Rodenbach concourent inscrire le roman dans une tradition artistique plus large: celle dcrivains dits symbolistes , dont certains se sont appropris ce mythe (pensons par exemple au pome Ophlie de Rimbaud), et celle dartistes peintres (comme Fernand Khnopff, John EverettMillais, Cabanel).

    o Rythme et temporalit

    Le roman est encadr par deux ftes religieuses que Barbe prpare avec la plus grandeprvoyance. Il dbute par la prparation de la fte de la prsentation de la Vierge (qui a lieu ennovembre) et se clt le jour de la fte de la procession du Saint-Sang (qui a lieu le jour delAscension). La temporalit du rcit, relativement courte, est donc marque par unecertaine religiosit, elle-mme appuye par le son des cloches, frappant comme dunecrosse le silence24 et rythmant les vnements. Ailleurs, il est fait mention d un dimanchede mars25 o Barbe rend visite sur Rosalie au Bguinage. Cette date amorce unmouvement qui mnera le rcit vers sa fin : au mme titre que les deux ftes susmentionnes,elle correspond un moment critique du roman, o la ressemblance entre Jane et la mortesestompe aux yeux dHugues.

    Le roman est divis en 15 chapitres relativement courts. Il convient dattirer lattention sur lenombre impair de chapitres, considration qui prend son sens si elle est mise en rsonanceavec la lecture de Christian Berg en postface. Ce dernier insiste sur lune des premires

    phrases du livre : Mot impair [le mot veuf ] et qui dsigne bien ltre dpareill26. Ilsouligne que la dernire phrase a galement une forme impaire. Ces deux phrases impairestmoignent de l accord impossible27 avec son deuil quHugues Viane a tent de raliser etde limpossibilit dun ddoublement exact entre la morte et Jane.

    d) Une potique de lanalogie

    o Ressemblance, correspondances et analogie

    Le cur de lintrigue de Bruges-la-Morteest la ressemblanceentre la ville de Bruges et ledeuil dHugues, entre lpouse morte et Jane. Autour de cette ressemblance, Rodenbach atiss un rseau de correspondances. Au dpart, la ville de Bruges correspond la fois au deuildHugues et la morte :

    22Ibid., p. 26.23Ibid., p. 27.24Ibid., p. 119.25

    Ibid., p. 69.26Ibid., p. 17.27Ibid., p. 152.

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    Bruges tait sa morte. Et sa morte tait Bruges. Tout sunifiait en une destine pareille.Ctait Bruges-la-Morte, elle-mme mise au tombeau de ses quais de pierre, avec les artresrefroidies de ses canaux, quand avait cess dy battre la grande pulsation de la mer28.

    Lorsque quHugues rencontre Jane Scott, il est dans un premier temps stupfait par le pouvoir indfinissable de la ressemblance29 , qui est pour lui la ligne dhorizon delhabitude et de la nouveaut30. Cette rencontre annonce le deuxime temps du rcit31 olintrigue se met en place : Hugues sloigne de lharmonie quil tente de raliser avec la villede Bruges et son deuil pour vivre son obsession envers Jane, mais sans sloigner de lamorte :

    Lorsquil allait, en de muettes dvotions, baiser la relique de la chevelure conserve ousattendrir devant quelque portrait, ce nest plus avec la morte quil confrontait limage, maisavec la vivante qui lui ressemblait32.

    Cette ressemblance entre Jane et la morte prend racine dans un dsir de totalisation delexprience du deuil :

    Tandis quil cherchait son visage, voici que cette femme, brusquement surgie, le lui avaitoffert, trop conforme et trop jumeau. Trouble dune telle apparition ! Miracle presqueeffrayant dune ressemblance qui allait jusqu lidentit33.

    Cest sur cette notion didentit que sappuie lcriture de cette ressemblance. En effet,Hugues tente dinstaller un ddoublement total entre Jane et la morte, consistant en unechevelure indivise, une seule chair, un seul corps auquel il demeurait fidle34. Ce qui faitprouver le sens de la ressemblance35 entre Jane et la morte (et dabord entre la ville etltat dme dHugues) est la fonction de lanalogie:

    Il avait ce quon pourrait appeler le sens de la ressemblance, un sens supplmentaire, frleet souffreteux, qui rattachait par mille liens tnus les choses entre elles, apparentait les arbres

    par des fils de la Vierge, crait une tlgraphie immatrielle entre son me et les toursinconsolables36.

    Lanalogie est un procd typique de la dmarche symboliste : elle opre un glissement durel vers le surnaturel ; elle donne prouver, au-del des lments visibles, un invisible luvre. Lanalogie est une quation mystrieuse sur laquelle se fondent la ressemblanceet les correspondances :

    Mais plus tard, rest seul, il [Hugues Viane] stait ressouvenu de Bruges et avait eulintuition instantane quil fallait sy fixer dsormais. Une quation mystrieuse stablissait. lpouse morte devait correspondre une ville morte37.

    28Ibid., pp. 26-27.29Ibid., p. 57.30Ibid., p. 58.31 Paul Gorceix distingue trois temps forts au sein du roman : le premier temps est celui de lharmoniequHugues Viane ralise avec la ville de Bruges et son deuil. Le second temps est le temps o Viane, aprs avoirrencontr Jane, sloigne de cette harmonie quil tente de raliser avec la ville et son deuil pour prouver sonobsession envers la ressemblance entre la morte et Jane. Le troisime temps est celui du retour lharmonie entrela ville et son tat dme (GORCEIX P., Georges Rodenbach (1855-1898), op. cit., pp. 140-141).32RODENBACHG.,Bruges-la-Morte, op. cit., p. 33.33Ibid., p. 31.34Ibid., p. 46.35

    Ibid., p. 58.36Ibid., p. 58.37Ibid., pp. 25-26.

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    Hugues cherche totaliser lexprience du deuil, afin de pouvoir se donner lui-mmelillusion de la prsence de son pouse dfunte :

    Son il avait emmagasin le cher visage une nouvelle fois ; la rcente empreinte staitfusionne avec lancienne, se fortifiant lune par lautre, en une ressemblance qui maintenantdonnait presque lillusion dune prsence relle38.

    Cependant, le sens de la ressemblance est un leurre. LorsquHugues se rend compte ducaractre illusoire de son dsir de totalisation, la fusion entre la ville de Bruges et son tatdme reprend : Maintenant que Jane cessait de lui apparatre toute pareille la morte, lui-mme recommena dtre semblable la ville39. Ce dsir de correspondance totale entreJane et la morte est donc illusoire et mis mal par le fait que Jane se teint les cheveux oumme cause de sa voix40, qui ne correspond pas tout fait celle de la morte bien quil aittent de le nier : Pour sillusionner aussi avec sa voix, il baissait parfois les paupires, illcoutait parler, il buvait ce son, presque identique sy mprendre, sauf par instant un peude sourdine, un peu douate sur les mots. Ctait comme si lancienne et parl derrire unetenture41.

    o Une tension entre visible et invisible

    Puisquelle induit un mouvement de dralisation, dansBruges-la-Morte, cette potique delanalogie joue sur une tension entre le visible et linvisible. Une grande importance estdonne dans le roman au champ smantique du voir (par la rcurrence des termes voir , ressembler , contempler , apparition , leurre , mirage , reflet , glaces , vitre , invisible , miroitants ) confrant un effet de tension entre la vue (voir desfaits et lments rels) et la vision (de lordre du ressenti, du surnaturel, de linvisible). Letravail de lanalogie est de maintenir cette tension entre le visible et linvisible en tablissant

    les correspondances.Limportance du voir se traduit dans le rcit par la recherche dune ressemblance physiqueexacte entre Jane et la morte (pensons la premire fois quHugues voit Jane ou lpisodede la robe) mais aussi par la conservation et la sacralisation de photographies de la morte.Cette conservation de photographies a pour effet de se maintenir dans le deuil et de conjurerloubli: Mais la figure des morts, que la mmoire nous conserve un temps, sy altre peu

    peu, y dprit, comme dun pastel sans verre dont la poussire svapore. Et, dans nous, nosmorts meurent une seconde fois42!

    linstar du dsir de totalisation de lexprience, il rsulte de cette volont de conjuration deloubli un dsir de permanence et dternit: Hugues voulait parfois les revoir [les robes

    38Ibid., p. 34.39Ibid., p. 89.40Des indices de cette ressemblance mise mal se dclent dj dans lcriture dune opposition entre sacr et

    profane, entre Dieu et le Malin (p. 90). Au dbut du roman, la morte est prsente comme idale et puretandis que Jane est une femme de thtre qui danse sur Robert le Diable . Les adjectifs qui lui sont accols parla suite sont du registre de l impur , du pollu , du trivial , de la mascarade et de l avilissement .Il est galement question de diabolique ressemblance (p. 41), de dmon de lAnalogie (p. 43). Quand sondeuil semblait exemplaire et sacr aux yeux des habitants de la ville, ces personnes qualifient ensuite Huguesd ensorcel par une coquine (p. 53). La ville de Bruges elle-mme apparat tantt comme la villeextrmement catholique et rigoureusement pieuse et tantt [sa] cathdrale rit et nargue le diable avec les

    masques et les gargouilles (p. 52).41RODENBACHG.,Bruges-la-Morte, op. cit., p. 45.42Ibid., p. 30.

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    de la morte], jaloux de ne rien oublier, dterniser son regret []43. Le mot ternit estpar ailleurs frquent dans le roman : Hugues revivait ces soires-l Oubli total !Recommencements ! Le temps coule en pente, sur un lit sans pierres Et il semble que,vivant, on vive dj dternit44, Tout ce quil dsirait, ctait pouvoir terniser le leurre dece mirage45 , Voil pourquoi Hugues avait voulu se retirer l, pour sentir ses dernires

    nergies imperceptiblement et srement sensabler, senliser sous cette petite poussiredternit qui lui ferait aussi une me grise de la couleur de la ville46! . Dans ce roman, laphotographieest le motif par excellence qui condense cette importance du voir et ce dsirdternit.

    e) La tentation photographique 47

    o Prsence des photographies

    La singularit du roman rside galement dans la prsence de photographies au sein du rcit.Rodenbach explique les raisons de ce choix dinsrer des photographies dans lavertissement :

    Voil ce que nous avons souhait de suggrer : la Ville orientant une action ; ses paysagesurbains, non plus seulement comme des toiles de fond, comme des thmes descriptifs un peuarbitrairement choisis, mais lis lvnement mme du livre. Cest pourquoi il impose,

    puisque ces dcors de Bruges collaborent aux pripties, de les reproduire galement ici,intercals entre les pages [] afin que ceux qui nous liront subissent aussi la prsence etlinfluence de la Ville []48.

    Il ne sagit donc pas d illustrer le roman, mais, toujours dans la dmarche symboliste, de suggrer et d imprimer une atmosphre dans lesprit du lecteur qui, grce aux

    photographies, se laissera lui aussi contaminer par le personnage et la ville de Bruges.

    o Installer une atmosphre

    Le mot photographie est manifeste dans le roman, mais il apparat en filigrane ds ledpart : Le jour dclinait, assombrissant les corridors de la grande demeure silencieuse,mettant des crans de crpe aux vitres49. Le terme cran prfigure ici un lien avec la

    photographie qui ne se limite pas, au sein du roman, linsertion de clichs photographiques.Une tentation photographique50 se dploie tout au long du roman.

    Tout dabord, les photographies, envisages comme reliques, permettent Hugues de se

    maintenir dans le deuil, de sy fixer

    51

    . Paralllement aux champs smantiques de la vue etde la vision, un vocabulaire photographique traverse le roman : sa vue, il sarrta net,

    43Ibid., p. 63.44Ibid., p. 47.45Ibid., p. 49.46Ibid., p. 60.47 Nous reprenons ici le titre dun article de Pierre Piret : P IRETP., Tentations photographiques : GeorgesRodenbach, Dominique Rolin, Guy Vaes , in Textyles, n 43, La littrature au prisme de la photographie ,2013, pp. 13-25.48RODENBACHG.,Bruges-la-Morte, op. cit., p. 15.49

    Ibid., p. 25.50Cf. infra, note n 47.51RODENBACHG.,Bruges-la-Morte, op. cit., p. 25.

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    comme fig52 ; saisissante apparition, toute fugitive, sur laquelle bientt le rideautomba53. Ce vocabulaire indique que la suggestion et linstallation dune atmosphredans limaginaire du lecteur ne se limitent pas au fait dintercaler des photographies deBruges : celles-ci contaminent l vnement mme du livre54.

    Dans un article consacr au paradigme entre littrature et photographie, Pierre Piret souligneque Rodenbach sapproprie le paradigme photographique en en faisant une incarnation dusymbole55 , puisquil sagit, en induisant une atmosphre, de ddoubler le rcit et [de]conduire le lecteur dun registre lautre ; [la photographie] vise, autrement dit, la productiondu symbole, cest--dire la mise en uvre dun mode de signification alternatif56. Reliques,

    photos et chevelure mise sous verre contribuent a fortiori impressionner le lecteur, silaccepte dy consentir. Cette appropriation de ce paradigme nest pas incompatible avec ladmarche symboliste, o il ne sagit pas de reprsenter ni dillustrer, mais de suggrer .

    f) Suggrer et impressionner

    Lcriture de Rodenbach est une subtile adquationentre les thmes de son esthtique et laforme mme de lcriture : une atmosphre mlancolique et toute en nuances correspondentdes phrases potiques et une grande synesthsie. DansBruges-la-Mortese retrouve le rythmede lcoulement de leau au sein mme de la musicalit des phrases, dans un rseaudassonances et dallitrations. De longs paragraphes o les mtaphores sont files alternentavec de courtes phrases de forme plus aphoristique. Par exemple, deux thmes prgnants danslimaginaire de Rodenbach et dans Bruges-la-Morte, leau et le silence (on retrouve defrquentes vocations implicites ou explicites du silence, du muet, du son des cloches), sontcrits dans une criture dlicate et subtile o sons et mtaphores senchevtrent: Et cetteeau elle-mme, malgr tant de reflets : coin de ciel bleu, tuiles des toits, neige des cygnesvoguant, verdure des peupliers du bord, sunifie en chemins de silence incolores57. Ce type

    de phrase alterne avec des phrases plus courtes, comme Aux souffrances morales, le bruitaussi fait mal58, confrant un certain rythme dans la prose de Rodenbach.

    Les allitrations participent galement ce rythme confr par le style singulier deRodenbach. Elles sont prsentes tant au sein des phrases courtes que dans les paragraphes pluslongs :

    Ah ! toujours ce gris des rues de Bruges59!

    Mais Jane, tandis quil slanait, se retrancha derrire la table, comme par jeu, le dfiant, deloin suspendant la tresse, lamenant vers son visage et sa bouche comme un serpent charm,lenroulant son cou, boa dun oiseau dor60

    Dans ce deuxime exemple, trois groupes dallitrations [s, ress, ser, s] ; [ge, che, se] ; [ou,oa, o] vont dans le sens dun resserrement des syllabes, en lien avec lpisode dcrit (Huguesserre peu peu sur la chevelure qui resserrera la gorge de Jane et ltranglera), acheminant leroman vers sa fin. Le travail de la suggestion et de l impression est galement

    52Ibid., p. 30.53Ibid., p. 42.54Avertissement, ibid., p. 15.55PIRETP., Tentations photographiques : Georges Rodenbach, Dominique Rolin, Guy Vaes , op. cit., p. 14.56Id.57RODENBACHG.,Bruges-la-Morte, op. cit., p. 59.58

    Ibid., p. 26.59Ibid., p. 85.60Ibid., p. 133.

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    luvre dans lesjeux de sonsdu dernier paragraphe qui clt le roman. En effet, on y retrouvenotamment des assonances de consonnes liquides [l] et du son [f], qui font retour sur unecaractristique de la ville de Bruges, silencieuse et associe la mtaphore de leau :

    Et Hugues continment rptait : Morte morte Bruges-la-Morte dun air machinal,dune voix dtendue, essayant de saccorder : Morte morte Bruges-la-Morte avec la

    cadence des dernires cloches, lasses, lentes, petites vieilles extnues qui avaient lair est-cesur la ville, est-ce sur une tombe ? deffeuiller languissamment des fleurs de fer61!

    5. La squence de cours

    Tche raliser :

    Proposer aux tudiants un projet de rcriture : une courte nouvelle (environ cinq ou sixpages) du mme type que Bruges-la-Morte, en gardant les personnages du roman (Bruges,Hugues, la morte et Jane) et en choisissant une ville de leur choix, par exemple celle de leurcole. Demander aux tudiants dapporter des photographies et/ou des cartes postales de la

    ville choisie, de les observer, de sen imprgner.

    Mise en situation :

    A) En classe, identifier dans lavertissement de Bruges-la-Mortequatre lments du contratde lecture propos par Rodenbach : 1) suggrer ; 2) la Ville comme personnage essentiel qui

    pousse agir ; 3) lanalogie (la ville associe ltat dme) ; 4) la fonction desphotographies.

    B) Observer la manire dont les lments de lavertissement prcdemment mis en lumiresont dploys dans le rcit.

    C) Inviter les tudiants distinguer les trois temps forts du rcit et dcouper le roman entrois parties selon ces temps forts. Faire trois groupes en classe, qui rcriront chacun une

    partie du livre en travaillant un des quatre lments de lavertissement. Dans chaque groupe,un rapporteur sera dsign et charg de communiquer avec les autres rapporteurs pour veiller la cohrence de la nouvelle. Pralablement, des balises seront poses quant auxcaractristiques de la ville choisie et des personnages, pour que les donnes soient les mmes

    pour les trois groupes.

    Proposition de parcours :

    Le groupe 1 rcrira la premire partie du livre : Hugues sinstalle dans une ville pourcultiver son veuvage et son tat desprit saccorde lambiance de la ville. Choisir un desquatre lments de lavertissement pour le dployer au mieux :

    ! Suggrer: il sagira de suggrer lambiance de la ville sans description de typejournalistique, de donner ressentir latmosphre (par exemple, si la ville choisie estparticulirement bruyante, voir comment ces bruits peuvent se retrouver dans lesallitrations, dans les champs smantiques, dans la rptition de termes vocateurs) ;

    ! La Ville commepersonnage: donner la ville choisie un aspect humain et des actionshumaines (par des indices de personnification ou de dialogue avec un autre

    personnage, par le choix de certains verbes daction) ;

    61Ibid., p. 135.

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    ! Lanalogie : insister sur la ressemblance entre un lment particulier de la ville etltat dme dHugues ou la personnalit dun personnage (par exemple, si la ville estcosmopolite et trs colore, tenter de retrouver une mixit dans les sentimentsquHugues ressent ou dans lexubrance du caractre dun personnage) ;

    ! La fonction des photographies: simprgner des photographies et/ou des cartespostales pour lcriture et choisir une photographie qui sera insre dans le rcit.

    Le groupe 2 rcrira la deuxime partie du livre : Hugues rencontre Jane Scott et laccordentre la ville et son me sestompe au profit dune obsession pour elle, car elle correspond limage de lpouse dfunte. Choisir un des quatre lments de lavertissement pour ledployer au mieux :

    ! Suggrer: il sagira de suggrer le fait quHugues ne fait plus attention lambiancede la ville mais concentre son attention sur Jane (il faudra donc avoir conscience de

    bien suggrer la ressemblance entre Jane et la morte plutt que la ressemblance entrela ville et ltat dme dHugues) ;

    !

    La Ville comme personnage: crire la faon dont la ville va rpondre cette obsessiondHugues pour Jane (si la ville choisie est bruyante, envisager par exemple celle-cicomme un porte-voix qui amplifie les rumeurs) ;

    ! Lanalogie: insister sur la ressemblance entre Jane et la morte (par des traits etcaractristiques physiques comme la chevelure (// Bruges-la-Morte) ou une autrecaractristique de leur choix) ;

    ! La fonction des photographies: simprgner des photographies et/ou des cartespostales pour lcriture et choisir une photographie qui sera insre dans le rcit.

    Le groupe 3 rcrira la troisime partie du livre : Jane ne correspond pas limage delpouse dfunte ; la ville et lme de lhomme se rejoignent nouveau et donnent lhistoireune issue tragique. Choisir un des quatre lments de lavertissement pour le dployer aumieux :

    ! Suggrer: il sagira de petit petit laisser entendre que Jane ne correspond pas lamorte (comme dansBruges-la-Morte, o Hugues se rend compte que Jane se teint lescheveux) et que lme dHugues correspond lme de la ville ;

    ! La Ville comme personnage: crire linfluence de la ville sur Hugues, en choisissantlissue du livre (tragique ou heureuse), voir comment la ville achemine le rcit vers ladernire action dHugues ;

    ! Lanalogie : insister sur la ressemblance entre un lment particulier de la ville et

    ltat dme dHugues (par exemple, si la ville est cosmopolite et trs colore, tenterde retrouver une mixit dans les sentiments quHugues ressent ou crire lexubrancedu caractre dun personnage) ;

    ! La fonction des photographies: simprgner des photographies et/ou des cartespostales pour lcriture et choisir une photographie qui sera insre dans le rcit.

    la fin de ce travail, lexercice donnera lieu une lecture en classe de la nouvelle entire etles tudiants sassureront de bien rendre les trois parties cohrentes entre elles. Il sagira ausside pouvoir justifier les choix dcriture en lien avec les photographies choisies. Suite cettelecture, proposer une publication de la nouvelle dans laquelle les photographies choisiesseront insres.

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    *)

    Pour aller plus loin, proposer une sortie scolaire :

    "visiter le Fonds Georges Rodenbach aux Archives et Muse de la Littrature (BibliothqueRoyale Albert 1er) pour observer tous les manuscrits deBruges-la-Morteet attirer lattentiondes tudiants sur le travail de lanalyse gntique dun texte (montrer combien le produit

    fini du livre passe par de multiples tapes) ;"visiter le Muse Fin-de-Sicle (Bruxelles) o des parcours thmatiques sont organiss lintention des professeurs et de leurs tudiants, afin de replacer Rodenbach dans un contexteartistique et historique plus large.

    Savoirs, savoir-faire et comptences enseigner :

    - Lire et comprendre les enjeux dun avertissement dun auteur, reprer des thmes etdes traits esthtiques caractristiques dans un avertissement et dans un roman, pouvoir lesrattacher un courant littraire ;

    - Mesurer les enjeux de linsertion de photographies ou de lcriture dun vocabulairephotographique dans un roman, distinguer lcriture dun roman avec photographiesinsres dun roman photographique ou dun roman illustr ;

    - Sensibiliser lcriture potique (allitrations et assonances, mtaphores files, etc.)et inviter une expression crite de ce type.

    6. La documentation

    BODSON-THOMAS A., Lesthtique de Georges Rodenbach, Lige, Vaillant-Carmanne/Acadmie royale de langues et de littratures franaises de Belgique (collection de

    mmoires), 1942.

    CRTEUR S., Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach. tude dune gense romanesque,mmoire prsent pour lobtention du grade de Master en langues et littratures romanes, sousla direction dErica Durante, Louvain-la-Neuve, Universit catholique de Louvain, juin 2014.

    DRAGUETM.,Le Symbolisme en Belgique, Bruxelles, Fonds Mercator, 2010.

    GORCEIX P., Georges Rodenbach (1855-1898), Paris, Honor Champion, 2006.

    GORCEIXP. (dir.),La Belgique fin de sicle. Georges Eekhoud, Camille Lemonnier, MauriceMaeterlinck, Georges Rodenbach, Charles Van Lerberghe, mile Verhaeren, Bruxelles,ditions Complexe, 1997.

    PIRETP., Tentations photographiques : Georges Rodenbach, Dominique Rolin, Guy Vaes ,in Textyles, n 43, La littrature au prisme de la photographie , 2013, pp. 13-25.

    7. Annexe

    Pour en savoir plus sur les secrets de Bruges-la-Morte, consulter le site de Jol Goffin :http://bruges-la-morte.net/.

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