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Rentrée française août 2011 ACTES SUD

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Page 1: Brochure Rentree fse 2011 - Actes Sud...Sommaire Metin Arditi, Le Turquetto 3Véronique Bizot, Un avenir 9Sylvain Coher, Carénage 15Régine Detambel, Son corps extrême 21Hélène

HORS COMMERCE - ISBN 978-2-330-00071-4

Metin ArditiVéronique BizotSylvain CoherRégine DetambelHélène FrappatKaoutar HarchiDenis LachaudCaroline LunoirMarc TrillardLyonel Trouillot

Le TurquettoUn avenirCarénage

Son corps extrêmeInverno

L’Ampleur du saccageJ’apprends l’hébreu

La Faute de goûtLes Mamiwatas

La Belle Amour humaine

Rentréefrançaise

août 2011

ACTES SUD

RentreeFse2011_couv_NBindd.indd 1 06/05/11 11:30

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Sommaire

Metin Arditi, Le Turquetto 3Véronique Bizot, Un avenir 9Sylvain Coher, Carénage 15Régine Detambel, Son corps extrême 21Hélène Frappat, INVERNO 27Kaoutar Harchi, L’Ampleur du saccage 33Denis Lachaud, J’apprends l’hébreu 39Caroline Lunoir, La Faute de goût 45Marc Trillard, Les Mamiwatas 51Lyonel Trouillot, La Belle Amour humaine 57

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Metin ArditiLe Turquetto

Roman

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Se pourrait-il qu’un tableau célèbre – dont la signature présente une discrète anomalie – soit l’unique œuvre qui nous reste d’un des plus grands peintres de la Renaissance vénitienne ? Un égal de Titien ou de Véronèse ?

Né à Constantinople en 1519, Elie Soriano a émigré très jeune à Venise, masqué son identité, troqué son nom pour celui d’Elias Troyanos, fréquenté les ateliers du Titien, et fait une carrière ex-ceptionnelle sous le nom de Turquetto : le “Petit Turc”, comme l’a surnommé Le Titien lui-même.

Metin Arditi retrace le destin mouvementé de cet artiste, né juif en terre musulmane, nourri de foi chrétienne, qui fut traîné en justice pour hérésie…

Né en 1945 à Ankara, Metin Arditi vit à Genève. Il préside l’Orchestre de la Suisse romande et la fondation Les Instruments de la Paix-Genève. Son œuvre est publiée chez Actes Sud : Dernière lettre à Th éo (2005), La Pension Marguerite (2006 ; Babel n° 823, prix Lipp Suisse 2006), L’Imprévisible (2006, prix de la Radio suisse romande 2007 ; Babel n° 910), Victoria-Hall (Babel n° 726), La Fille des Louganis (2007 ; Babel n° 967) et Loin des bras (2009).

• A noter : la parution simultanée de Loin des bras dans la collection de poche Babel (Babel n° 1068).

Août 2011 / 11,5 x 21,7 / 288 pages / isbn 978-2-7427-9919-0

RELATIONS PRESSE : Nathalie Giquel (01 55 42 63 05)

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DR

Metin Arditi

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Ce livre est l’histoire d’une passion. Celle d’Elie Soriano dit Le Turquetto, enfant de Constantinople, juif né en terre

musulmane, et qui ne pouvait concevoir de vivre sans dessiner. A la mine de plomb ou au pinceau, il devait saisir l’autre. Pénétrer

son âme, la comprendre et la révéler, dans toute sa vérité.Mais les lois sacrées des Juifs et des Musulmans interdisaient la

représentation. Alors, pour assouvir sa passion, Elie Soriano a menti, trahi, triché, tourné le dos à son père, renié ses origines. Il a fui. Et s’est fondu dans autant de personnages que cela s’avérait nécessaire.

Au fi l d’une vie mouvementée, il a chaque fois tout saisi du monde qui l’entourait, les passions, le fond et la forme. Il s’est senti aussi juif que musulman, grec orthodoxe ou catholique ro-main… Il a vécu ces identités multiples avec fureur et sincérité, au risque de sa vie. Il s’est imbibé des histoires de la Bible, de calligraphie ottomane et d’art sacré byzantin. Il a embelli ses ta-bleaux de tout ce que les hommes – tous les hommes – avaient jusque-là produit de plus profond et de plus raffi né. La calligraphie lui a permis d’atteindre la précision du disegno, que seuls maîtri-saient les peintres de Florence. Il lui a ajouté la science du colorito des Vénitiens, dont la sensualité l’avait bouleversé. Il a éclairé ses tableaux de la spiritualité byzantine, comme personne depuis Giotto n’avait réussi à le faire. Et l’alliage inspiré de ces infl uences profondes et contradictoires a fait de lui le plus grand, le plus consolant des peintres, de la même façon que celui qui fonderait dans son cœur toutes les croyances serait le meilleur des hommes.

M. A.

Le Turquetto

5

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Selon son habitude, Elie remonta la rue des Marchands-d’or aussi lentement que possible. Il l’appelait la rue des Visages-Immobiles, tant ses commerçants ressemblaient à des oiseaux de proie. A l’aff ût, impénétrables, maîtrisés… Attentifs à la moindre émotion qui pour-rait apparaître sur le visage de leur client.

— Prezzo pazzo ! Prezzo pazzo ! 1C’était un marin dont Elie avait fait le portrait deux jours plus tôt,

à la taverne. L’homme était en conversation animée devant une bou-tique. Le commerçant approuvait en souriant tout ce que disait le marin, et Elie se dit que le marché serait conclu dans les trois minutes, tant le vendeur semblait sûr de son fait.

Le marin lui avait dit qu’il était de Zena2. A la taverne, la plupart des marins venaient d’une ville qui avait pour nom Venetsia. Ceux-là, lorsqu’il leur remettait leur portrait, se lançaient tous dans des com-mentaires animés où revenaient sans cesse deux mots : bravissimo et bottega.

Elie avait fi ni par comprendre que, à Venetsia, des enfants de son âge travaillaient dans des ateliers appelés boutiques, et qu’ils y appre-naient tout ce qui touchait au métier de peintre.

Pourquoi n’était-il pas né à Venetsia ?Perdu dans ses pensées, il remonta la Divan Djaddesi sans prêter

attention au tintamarre des eskidji, des soudjou ou des iskemledji 3 qui criaient le nom de leur métier pour annoncer leur passage.

A la taverne, la table de cuisine était couverte des tepsis4 qu’avait

1. “Prix fou !”2. Gênes (en dialecte génois). 3. Vendeurs de vieilleries ; d’eau ; de chaises. 4. Grands plats en étain ou en cuivre. 6

Le Turquetto (extrait)

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préparés Sofi a, surtout des choux farcis à la viande et des feuilles de vigne farcies au riz et aux pignons. Elie n’y prêta pas attention et se dirigea vers le garde-manger d’où il retira une mine de plomb ainsi qu’une mince liasse de feuillets beiges.

Il s’assit à la longue table, poussa avec précaution les plateaux de mets cuisinés, plaça la petite liasse devant lui et ferma les yeux.

La scène du matin lui revint en mémoire avec précision. Lorsque Roza s’était retrouvée seins nus, ses traits s’étaient relâchés d’un coup. Elle avait croisé les bras sur la poitrine, et, les yeux baissés, elle de-meurait fi gée dans une expression de douleur.

Il resta quelques instants dans son souvenir, puis ouvrit les yeux et traça l’ovale de la tête, d’une main très sûre et d’un seul trait, comme s’il calligraphiait une volute. Il donna aux joues leur arrondi exact, rendit l’amertume de Roza en marquant le relâchement de la lèvre inférieure, et approfondit le noir du regard par un hachuré de plomb sur les paupières.

Il dessina ainsi durant un quart d’heure, très vite, observa le résul-tat et eut un sentiment de dépit. Avec de la couleur, le portrait aurait eu une tout autre allure.

Arsinée l’accueillit avec un “D’où viens-tu ?” qui en disait long.Sans attendre de réponse, elle se lança dans une succession de me-

naces : Ses encres et son crayon, elle allait les jeter à la mer ! Quant à son Djelal Baba, ce baba de rien du tout, elle allait lui dire deux mots, par saint Grégoire ! Et son église Saint-Sauveur, il pouvait l’oublier, et même oublier jusqu’à son existence !

— Je suis arménienne, Sofi a est orthodoxe et Djelal Bey est mu-sulman. Chacun reste chez soi ! Il n’y a que toi pour vouloir te mé-langer aux autres ! Tu devrais avoir honte !

Elle secoua la tête avec dédain :— Ton père est au lit ! Il souff re ! Et toi, pendant ce temps, tu vas

traîner… Allez, il t’attend !Il n’en pouvait plus, d’Arsinée. Une grosse vieille qui changeait

d’avis sans cesse, voilà ce qu’elle était. Et méchante, en plus ! Ou alors elle était gentille, puis d’un coup elle devenait méchante, et, à la fi n, c’était comme si elle n’avait jamais été gentille. Certains jours, elle

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Le Turquetto (extrait)

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lui lançait : “Tu as encore été dessiner à la taverne ! Tu n’as pas honte !” Mais, d’autres jours, c’était : “Allez, montre ! Mais montre vite !” et une fois le dessin en main, elle secouait la tête de gauche à droite, comme une cloche :

“Mashallah5 ! C’est ma-gni-fi que ! Vraiment magnifi que !”Lorsqu’il lui demandait de lui parler de sa mère, c’était aussi selon

son humeur. Certaines fois, elle le rabrouait :— Ta mère était la plus belle femme au monde ! Voilà ! Et main-

tenant, fi che-moi la paix !D’autres fois, elle se perdait dans des descriptions sans fi n :— Que veux-tu que je te dise, mon Elie ? Des yeux verts… immenses !

Vallahi billahi immenses… Un nez long, mais si fi n, si délicat… Un nez de reine ! Et sa bouche… Un fruit rouge, mon Elie ! Un fruit du paradis ! Et ses cheveux ! De l’or fi n, mon Elie, de l’or fi n ! Et toujours gracieuse ! Toujours toujours toujours… Quoi qu’elle mît sur elle, la pauvre ! Et comme elle marchait… Une reine, je te dis !

Elle faisait alors un geste du plat de la main, plusieurs fois, comme pour dire : “Tu ne peux pas t’imaginer !”

Deux jours plus tôt, alors qu’ils marchaient vers le Han, il lui avait demandé :

— Comment était ton visage, lorsque tu étais jeune ?— Mon visage, tu dis ? Mon visage ? Tu sais combien j’étais jolie ?Elle s’était alors lancée dans une description volubile d’elle-même,

en joignant pour chaque trait le geste à la parole :— Mes joues étaient comme ça… (Elle les avait étirées.) Et mon

cou, Elie… Un cou de cygne ! Et mes yeux… Deux amandes vertes, je te dis !

Au retour, il avait fait d’elle un portrait en jeune fi lle. Le soir même, elle l’avait découvert, les yeux ébahis. Durant plusieurs secondes, elle était restée silencieuse. Puis elle avait éclaté en sanglots.

5. “Par la grâce de Dieu.”

Le Turquetto (extrait)

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Véronique BizotUn avenir

Roman

Paul reçoit une lettre de son frère Odd qui lui annonce qu’il “disparaît pour un temps indéterminé” et lui demande en post-scriptum s’il peut passer chez lui pour vérifi er que le robinet d’un lavabo du deuxième étage de la maison familiale a bien été purgé. Malgré “un rhume colossal”, Paul, ni une ni deux, prend sa voi-ture et parcourt les trois cents kilomètres qui le séparent dudit robinet. Un avenir est une histoire de famille.

Après Mon couronnement, on retrouve le style irrésistible de Vé-ronique Bizot, où la noirceur est délicieuse parce que toujours saturée d’incongruité drolatique, de lucidité étonnée et de méta-physique légèrement récalcitrante.

Auteur de deux recueils de nouvelles (Les Sangliers, Stock, 2005, prix Renais-sance de la nouvelle 2006, et Les Jardiniers, Actes Sud, 2008) et d’un roman (Mon couronnement, Actes Sud, 2010, Grand Prix du roman 2010 de la SGDL, prix Lilas 2010), Véronique Bizot est, de son propre aveu, une “gentille personne affl igée de la conscience du pire”.

• A noter : la parution simultanée de Mon couronnement dans la collection de poche Babel (Babel n° 1070).

Août 2011 / 11,5 x 21,7 / 112 pages / isbn 978-2-7427-9951-0

RELATIONS PRESSE : Aurélie Serfaty-Bercoff (01 55 42 14 45)

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Véronique Bizot

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Un avenir

Au départ, c’est-à-dire et comme chaque fois en l’absence de projet particulier, j’avais à l’esprit un téléphérique avec, dans

un village de montagne, un homme, un Ecossais, qui en aurait commandité la construction à des fi ns personnelles, je voyais assez bien la chute de ce téléphérique, je commencerais d’ailleurs par la chute. J’avais aussi la vague idée d’un autre homme assez âgé qui, le jour de la mort de sa femme, se serait presque machinalement rendu dans un garage où il aurait acheté une voiture avec quoi il aurait aussitôt pris la route sans repasser par chez lui. Je tournais encore autour d’une ambiance entre deux frères, ou entre des frères et des sœurs, adultes mais avec en toile de fond le désastre de l’enfance qui peut unir ou bien diviser, la ruine de cette famille. Je pensais également à une vieille actrice autrefois célèbre. Tous ces personnages sont fi nalement dans le livre, sollicités par la pen-sée d’un narrateur qui attend, bloqué dans une maison, que la neige cesse de tomber. Ils ont tous quelque chose en commun, une façon de disparaître, un isolement, choisi, subi (ou les deux), quelques insomnies et, alors que tout semble achevé, probablement encore quelque chose à vivre.

V. B.

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Le mercredi notre frère m’écrivit qu’il disparaissait pour un temps in-déterminé, un bref courrier posté d’une gare que j’ai reçu le jeudi, dont j’ai aussitôt transmis copie aux autres, qu’ils n’aillent pas se lancer dans d’inutiles recherches, et j’ai ensuite parcouru sous la neige, le cerveau embrouillé par un rhume colossal, les trois cents kilomètres qui séparent mon domicile du sien afi n de vérifi er, comme il me le demandait en post-scriptum, que le robinet d’un lavabo du second étage, à propos duquel il conservait un doute, avait bien été purgé par lui avant son départ. Une fois sur place et trouvant une maison glaciale, j’ai poussé la conscience jusqu’à contrôler la totalité des robinets, après quoi j’ai allumé un feu dans la cheminée de la bibliothèque et passé là deux ou trois heures, assis avec une boîte de Kleenex dans le canapé, face au fauteuil de vieux velours jaune qui avait gardé l’empreinte du corps de notre frère et dans lequel il avait probablement médité son projet de disparition, à moins qu’il n’ait été pris d’une subite impulsion, comme autrefois notre père, que nous avons connu assis en pyjama dans ce même fauteuil jusqu’à ce qu’un matin on ne l’y voie plus, ni là ni nulle part, et qu’il nous ait fallu recevoir, cinq ans plus tard, un avis de décès en provenance d’un gouvernement de Malaisie pour cesser de l’attendre. Cet avis de décès avait à l’époque révolté nos sœurs, qui les a fait toutes les trois se ruer sur un atlas afi n de localiser l’endroit précis et, soup-çonnaient-elles, paradisiaque pour lequel notre père non seulement nous avait tous les six abandonnés après avoir vidé ses comptes bancaires, mais où, comme elles l’ont dit en martelant la péninsule malaise de leurs index, il n’avait vraisemblablement fait que couler cinq idylliques et indignes années, après quoi, refermant défi nitivement l’atlas, elles ont déclaré qu’il était hors de question de faire rapatrier son corps. Et si notre frère Odd, que je n’avais pas vu depuis longtemps, laissait maintenant entendre dans son courrier qu’il n’était pas certain de re-venir un jour, je n’en ai pas pour autant conclu qu’il s’installait là-bas

Un avenir (extrait)

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en Malaisie, bien que l’idée m’ait naturellement effl euré. Ce que j’en ai conclu, c’est qu’il nous incombait désormais d’assurer les frais d’en-tretien de la maison, lesquels, comme je venais de le constater en parcourant les étages, avaient à ce stade occasionné la vente d’un assez grand nombre de meubles et de tableaux. Assis face à la cheminée et voyant par les fenêtres la neige qui continuait de tomber, compromet-tant mon retour, je me faisais la réfl exion qu’il aurait mieux valu vendre la maison au lieu d’y laisser notre frère, qui avait mené là une existence certainement eff arante, bien qu’il fût le seul d’entre nous, après le mariage de deux de nos sœurs et l’internement de la troisième, à avoir déclaré vouloir y vivre. Nous savions cependant tous qu’il n’avait, à ce stade de sa vie, d’autre solution que de rester dans cette maison, laquelle ne pourrait maintenant être légalement vendue sans son accord, nous l’avions sur les bras avec ses quelque vingt pièces et le double de fenêtres, ses murs lézardés, sa toiture instable et son parc qui ne ressemblait plus qu’à un vague pâturage cerné par les orties. Sans doute notre frère n’avait-il fi nalement pas supporté l’idée d’un hiver supplémentaire dans cet endroit, bien qu’il eût à l’époque prétendu avoir à son égard quan-tité de projets, tous appuyés par les banques locales, comme il nous l’avait affi rmé avec un enthousiasme suspect. L’un de nos deux récents beaux-frères, un Suisse qui faisait commerce international de l’acier, s’était alors posément enquis de savoir à quel type de projet songeait notre frère, qui avait répondu songer notamment à un genre de maison d’hôtes, ainsi qu’à la réunion de deux salons du rez-de-chaussée, laquelle formerait une salle pour séminaires ou banquets, et nous avions tous vigoureusement hoché la tête, à l’exception de notre beau-frère qui n’avait fait que produire l’un de ses opaques sourires suisses. Malgré notre conscience que celui qui resterait vivre là était à plus ou moins brève échéance condamné au dépérissement, nous avons feint de croire que notre frère saurait s’en tirer avec cette salle de séminaires et de banquets et, après lui avoir concédé le droit d’occuper le lieu comme s’il s’agissait d’une faveur, nous l’avons laissé livré à lui-même. Et alors que le feu s’éteignait dans la cheminée et qu’étant allé rebrancher le compteur électrique j’allumais quelques lampes (et tu n’as même pas remplacé les ampoules grillées), j’en venais peu à peu à envisager qu’il soit en réalité parti se tuer quelque part. Si bien que sortant de mon portefeuille sa lettre, je l’ai relue sans y voir soudain autre chose que

Un avenir (extrait)

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l’indication de son imminent suicide, en dépit de son post-scriptum prétendument préoccupé de ce robinet pour lequel il m’avait fait faire un trajet de trois cents kilomètres. Repliant la lettre, j’ai tout à coup ressenti l’aberration qu’il y avait eu à faire ce trajet au cours duquel je n’avais pratiquement pensé qu’à ce robinet du second étage qui, s’il se mettait à geler et si notre frère ne l’avait pas purgé, pouvait à tout moment provoquer une rupture des canalisations, comme il me l’avait écrit. Mais j’avais tout trouvé en ordre, et j’étais maintenant sur le point de penser que cette histoire de robinet n’avait été qu’un stratagème de notre frère pour me faire venir et, une fois là, appréhender l’accablement mental et physique qui avait été le sien dans ce décor.

Un avenir (extrait)

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Sylvain CoherCarénage

Roman

15

Rien de plus important pour Anton qu’une virée à 220 kilo-mètres-heure aux petites heures, arqué sur l’Elégante, sa Triumph nerveuse comme une hirondelle. En dépit de l’amour et des pos-sibles, c’est bien là que se joue son existence, dans ces instants de liberté absolue. Sur l’obsession et les rendez-vous fatidiques, sur les fantômes des bords de route, un roman envoûtant porté par une langue sonore, précise et onirique.

Né en 1971, Sylvain Coher vit à Paris et à Nantes, selon le vent et l’état de la mer. Après des études de lettres modernes, il a successivement été moniteur de voile, surveillant d’internat, libraire, éditeur, maçon et chômeur. Depuis 2001, il intervient lors de rencontres ou de lectures publiques et anime régulièrement des ateliers d’écriture. Il a été pensionnaire à la Villa Médicis en 2005-2006. Romancier – Hors saison (Joca Seria, 2002), La Recette de Stein (Joca Seria, 2004), Facing (Joca Seria, 2005), Fidéicommis (Naïve, 2006), Les Eff acés (Argol, 2008) –, il écrit également pour le théâtre et l’opéra.

• A noter : la parution simultanée de Hors saison dans la collection de poche Babel (Babel n° 1071).

Août 2011 / 11,5 x 21,7 / 160 pages / isbn 978-2-7427-9953-4

RELATIONS PRESSE : Aurélie Serfaty-Bercoff (01 55 42 14 45)

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DR

Sylvain Coher

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17

Carénage

Je ne suis pas motard mais de mes vingt ans je garde un parfum d’essence et d’ennui, le bruit des moteurs et le silence des après-

midi vides. Des années où l’amour et la mécanique vinrent ensemble occuper les jours et bousculer les nuits.

Un séjour de quelques mois dans l’Est de la France aura suffi pour raviver le souvenir de ces années perdues à rouler vite pour aller nulle part. Presque chaque soir j’y ai entendu comme autre-fois les hurlements des moteurs déchirer la petite ville en deux, dans l’axe de sa route nationale. Et quoi faire d’autre quand on a vingt ans, pour jouer à ne pas devenir vieux ?

Les motards ressemblent bien souvent à leurs motos. Il y a ceux qui se déplacent pour travailler en semaine, ceux qui se promènent le week-end et ceux qui vont chercher la nuit les sensations qu’ils n’auront jamais le jour.

Anton compte parmi ces derniers. Anton est cette silhouette couchée sur sa machine, telle qu’on

en aperçoit parfois dans un éclair depuis la vitre arrière des voitures familiales. Un garçon dont la vie est un pari sur elle-même. Un oiseau de nuit à la recherche du danger, d’un ultime défi mécanique. L’imaginer n’était pas diffi cile, tant son visage me semblait familier.

Et puis il y a Leen, dont l’amour peine à supplanter sa rivale et à modifi er l’inéluctable trajectoire de ce motard suspendu entre le pont et l’eau. Car c’est une histoire d’amour à trois : un garçon, une fi lle, une moto. Et comme souvent dans ces cas-là les rivalités s’accumulent et s’entrechoquent.

Le carénage ne protège que du vent. Et la Ligne bleue des Vosges est, de l’avis de beaucoup, la plus

belle route du monde.S. C.

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Carénage (extrait)

C’est toujours la même image, vue d’une visière profi lée surteinte contre laquelle toute la lumière imaginable serait venue s’éteindre. Et l’intérieur noir comme vide, les yeux tout au fond du creux. Vifs mais pas assez pour recomposer autre chose que cet incorrigible fl ou dans un paysage irréel. C’est le plus beau rêve d’Anton, celui qu’il fait presque toutes les nuits depuis son enfance. Un véritable cauche-mar pour à peu près n’importe qui. Et la vitesse pure, fl oue, contra-riée. La vitesse comme un gouff re, une brèche temporelle entre le pont et l’eau.

Une immédiate éternité.Dans ce rêve, Anton ferme les yeux. Il prend appui sur le rebord

d’un toboggan huilé comme il faut par de petites mains invisibles. D’un seul coup de feu quelque part on vient de lancer le départ ; on vient d’ouvrir une vanne et le débit est puissant, la sueur immédiate. Pas de paroi sur les côtés, rien où planter les griff es d’un chat. C’est une chute sans fi n, on tombe dans le sommeil comme une bille en fer lâchée depuis le fond du ciel : la tension diminue, les pulsations cardiaques ralentissent et on tressaille parce qu’un muscle se relâche plus rapidement qu’un autre.

Quelque part un moteur s’arrête lorsqu’un autre redémarre.A cent vingt déjà il n’entend plus que le vent dans le casque. Le

frou-frou d’un tissu invisible entre par la visière, chatouille le nez mieux qu’une plume et fait monter des larmes aussitôt chassées sur les tempes pour rejoindre les cheveux plaqués sous la mousse des garnitures. Dehors le bruit et dedans les vibrations. Il roule, roule.

Du côté gauche de la cornée, Anton suit le défi lement continuel et largement hypnotique d’une glissière-guillotine dont l’ondulation reste de faible amplitude. Les zébras font stroboscopes et Anton re-construit la belle continuité d’une ligne blanche principalement composée de petits segments rectangulaires.

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Carénage (extrait)

Une chute peut être mortelle à n’importe quelle vitesse.La probabilité d’une chute mortelle reste néanmoins liée à la vitesse. Une main invisible le repousse en arrière tandis qu’une autre plus

large et plus ferme appuie dans son dos et lui donne l’élan que donne la main d’un père la première fois qu’il vous apprend à faire du vélo. Alors Anton empoigne sa couette comme s’il s’agissait de poignées en caoutchouc. Ses doigts se crispent, le pouce cherche les commodos et il essore malgré lui plein gaz à en décoller le matelas du canapé de son minuscule studio.

A cent quarante, Anton perd la sensation physique du sol sur lequel les deux rubans de caoutchouc des pneus Supercorsa gonfl és à bloc le maintenaient jusqu’alors. Il doit se reprendre pour ne pas se re-dresser brusquement en criant à pleine gorge les bras grands ouverts le slogan du constructeur anglais : Go Your Own Way ! Au lieu de cela Anton relâche les épaules et derrière la visière dans les refl ets irisés on peut le voir sourire avec cette incroyable légèreté qui fait de lui l’hi-rondelle des jours de pluie. L’âme vagabonde, un trait noir évanescent qui dessine hâtivement le contour des champs et la périphérie enru-bannée de la ville. Une hirondelle voltant et piquant d’une abatée sur l’aile ou sur la queue. Spirale, vrille, boucle et retournement.

La vitesse vous manque.La vitesse vous fait perdre du poids. Le corps libéré de toute entrave

et l’euphorie de l’oxygène bu sans mesure à grandes lampées au gou-lot d’une bouteille gigantesque. Anton roule vite. Il roule, roule. La moto qui l’entraîne n’a rien d’un cheval de Troie, rien d’une Oural aux pneus de 4x4 ; ce n’est pas la Poderosa du Che dans la poussière des pistes chiliennes ni l’une de ces Royal Enfi eld dont le sillage est formé par la fumée d’un millier de bâtonnets d’encens. La moto qui l’entraîne n’a rien des chromes d’une Norton 500 ni les crampons ni la boue d’un trail haut perché pour les buttes sablonneuses du Sinaï. L’Elégante est un oiseau de proie dont le puissant siffl ement rappelle simultanément celui du serpent furieux, du chat échaudé et de la chouette eff raie.

Un corps noir qui absorbe tout et ne rend rien. Si le sol vous brûle les pneus c’est que vous ne roulez pas assez vite.

Vous sentez bientôt les remontées de chaleur du trois cylindres le long de vos jambes dont les muscles se tendent à mesure que vous vous

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Carénage (extrait)

élevez dans les tours. Le beau bruit court le long de la partition, il y a des routes dont on ne voudrait pas voir la fi n.

Anton est partout à la fois. Sur les lacets du Snake de Mulholland Drive, sur la Rainbow Ride africaine et sur le Wangan périphérique de Tokyo. Mother Road et Garden Road. Anton dévale le terrifi ant Russian Highway from Hell et la Great Ocean Road australienne. Il va vers Leh, vers Frisco, et l’entrelacs des virages forme une frise in-terminable.

Il ne semble vivre que par le haut du corps, à partir des hanches. Quelques mouvements des pieds mis à part – sur le levier du frein

d’un côté et sur le sélecteur de l’autre –, les genoux restent bien pla-qués de part et d’autre contre les fl ancs de la machine. Anton pleure sur la Passo Gardena des Dolomites, sur la Dixie et l’Enfer vert du Nürburgring Nordschleife desquels il revient bientôt pour refaire le tracé idéal, entre les courtes portions de voie express, les nationales et le ballon d’Alsace. Jusqu’à la route des Crêtes chargée des senteurs boisées d’un automne vosgien qui le rapproche kilomètre après kilo-mètre d’un lit puant l’essence, le caoutchouc brûlé et le goudron frais.

Lorsqu’il entre dans la zone rouge à près de quatorze mille tours par minute la surface se dérobe sans eff ort. Il est devenu cet objet propulsé dans le vide pénétrant l’air par l’eff raction continue d’un empilement de murs et de fenêtres qui se referme avec fracas loin derrière lui.

Anton roule. Il roule. Un simple mouvement dans l’espace, la tra-jectoire d’une balle privée de cible. Le monde n’a pas bougé d’un cheveu et pourtant il s’en trouve diff érent. Ici chaque seconde est un univers et rien dans la conduite ne peut être renouvelé à l’identique. Anton vient de rendre à l’air son immobilité et un vieux vers scolaire lui revient en mémoire : Ce ne peut être que la fi n du monde, en avançant.

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Régine DetambelSon corps extrême

Roman

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Ebranlée dans sa chair par un accident de voiture, Alice vit heure par heure les mutations de son corps à travers l’expérience de la cicatrisation, de la consolidation, de la musculation. Prélude à une renaissance dans un corps diff érent, rejoué, renégocié, ce voyage dans le chantier organique et le monde clos qu’est l’hôpi-tal est aussi un roman puissamment initiatique sur les séductions exercées par la mort et la maladie à certaines étapes de l’existence, quand s’instaure un rapport inédit à la vérité, voire à une forme de spiritualité.

Née en 1963, Régine Detambel, kinésithérapeute de formation, vit aujourd’hui dans la région de Montpellier et est l’auteur depuis 1990 d’une œuvre littéraire de tout premier plan, publiée pour l’essentiel chez Julliard, au Seuil et chez Gallimard. Chevalier des Arts et des Lettres, Régine Detambel a également été lauréate du prix Anna de Noailles de l’Académie française. Chez Actes Sud, elle est l’auteur du Syndrome de Diogène (essai, 2008). Dernières publications : 50 histoires fraîches (Gallimard, 2010 ; sélection prix Goncourt de la Nou-velle), Sur l’aile (Mercure de France, 2010).

Août 2011 / 11,5 x 21,7 / 160 pages / isbn 978-2-7427-9921-3RELATIONS PRESSE : Régine Le Meur (05 62 66 94 63)

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DR

Régine Detambel

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Son corps extrême

J’ai longtemps fréquenté les hôpitaux comme auxiliaire médicale. J’y suis souvent retournée par l’écriture. Un hôpital

est une grosse machine cliquetant comme un Tinguely, une entre-prise pleine de mouvements et de bruits, de circuits électriques, de pompes, de lumières, de matériaux radioactifs, avec du plâtre, et des clous, des vis… L’hôpital est aussi vivant et bruyant qu’un chantier d’autoroute.

Aux yeux d’Alice – que j’ai choisi de nommer ainsi pour Lewis Carroll et les folles modifi cations du corps de son héroïne au cours de ses aventures –, l’hôpital est surtout un chantier organique. Le corps comme acteur et comme œuvre ne devrait pas être exclusi-vement réservé aux plasticiens et aux performeurs. La patiente, se remodelant, s’exhibe en pleine performance, dans un authentique art du corps.

Il m’a également semblé essentiel de montrer quelle peut être la résonance politique des soins hospitaliers, depuis le service de réanimation, sans doute le plus haut lieu de surveillance techno-cratique, jusqu’au centre de rééducation, où se côtoient, démocra-tiquement, des bancroches et des manchots de milieux divers, avec des philosophies et des approches de la vie extrêmement variées.

L’hôpital, comme le monastère ou la prison, est par excellence le lieu de la métamorphose physique et morale, de la crise, de la prise de conscience : telle est la mission de l’alitement forcé, faire qu’on s’arrête et qu’on regarde mieux en soi-même. Pour l’écrivain comme pour son personnage, il arrive qu’un tel séjour apparaisse soudain comme une nécessité inévitable, absolument pas au sens médical mais dans un sens existentiel.

R. D.

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Les œuvres électroacoustiques du moniteur cardiaque. Un beau jour on coupe les machines. Aussitôt qu’on débranche les moniteurs, le bruit intérieur cesse et Alice ne s’entend plus vivre. Elle n’entend plus le ré majeur pointu du cœur qui était le sien propre. Eff roi de n’être pas. Dans ce cri horrifi é, retour de la voix d’Alice. Sa voix lui paraît étrange, sinistre, elle la sent comme quelque chose qu’elle aurait avalé, de trop gros pour elle. Puis clarté : le choc minime d’un bouton de blouse contre le pied métallique du lit. Un petit coup de xylophone qui requinque. Alice comprend alors qu’elle respire seule, elle vit seule. Adieu, fantasmes rétrogrades, ce bonheur aux yeux clos ne pouvait pas durer.

Elle était si bien depuis des semaines, elle était un vase de céramique avec çà et là de grossières empreintes de pouce. Elle sonnait délicieu-sement le creux, elle était modelée par des doigts de latex, elle était un contenant incontinent, et soudain les lettres reviennent, la ronde des voyelles et les actes de magie dont elles sont capables. Qui cassent la baraque. Les lettres maintenant lui dansent dans la bouche et le golem en elle ressuscite, l’homoncule au teint brouillé reprend vie, désormais en état de balbutier des choses particulièrement utiles, comme je m’appelle Alice et je ne me souviens pas du tout de ce qui s’est passé. Or la mémoire fonctionne aux vibrations. Ce sont les vibrations de la voix qui entraînent ses courroies. Aux premiers mots d’Alice, l’usine rouvre ses portes. Sirènes de l’usine qui rappelle ses acteurs. Ça cogne et tonne en elle, c’est le grondement du temps qui se remet en route. Retour en fanfare du souvenir.

On ne s’éveille pas vierge d’un coma. Même si on a l’impression, un temps, que tout est blanc, il y a eu les cauchemars. Les démons hantent le silence et s’en nourrissent, ils sont la face vénéneuse des choses dont on avait si peur dans la chambre d’enfant, ils sont l’ombre

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Son corps extrême (extrait)

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de l’armoire, ils sont la tache de moisi sur la toile de Jouy qui, dans la presque obscurité, avait l’air d’une tête de mort, ils sont des âmes en peine et des spectres condamnés à une course désordonnée et éternelle.

On ne s’éveillera plus jamais vierge. Les plis sont marqués partout. La preuve, c’est qu’on n’a pas toute la vie à retraverser quand on rouvre les yeux, un beau matin, dans un lit surélevé et muni de manivelles commodes. On n’a pas grand-chose à passer en revue, excepté ses abattis peut-être. Mais le fait d’être femme, le fait d’être mère, le fait de se demander si on est folle ou saine, tout revient aussitôt, le fardeau, le fagot, le paquet de souvenirs mouillés comme du linge lourd lui reviennent en pleine poire. Alice sait déjà tout, les scandales sont restés des scandales, les bonheurs sont toujours lumineux. Rien de changé. Rouvrir les yeux sur un matelas à eau de quarante centimètres d’épaisseur n’a créé aucun court-circuit déroutant. Et bien que son existence ait été largement éventrée et retournée par l’événement, Alice appartient toujours au même règne, à l’embranchement sou-haité, pointe dans la classe idoine, évolue dans l’ordre, la famille, le genre et l’espèce ad hoc. Elle n’a pas eu droit à du neuf. Elle a remis sa vieille vie, d’occase, et replantera ses pieds dans les mêmes ornières. Rien n’a fait surgir de son être psychique des combinaisons fantastiques ou subtiles, elle se retrouve comme devant, déjà bouleversée, déjà infi niment angoissée, avec la peur et la rage au ventre, qui déploient leurs fastes et hissent leurs drapeaux.

Elle s’éveille donc seule, David a disparu. Pour les diff érends, du moins, ils se sont toujours bien entendus et Alice ne perd rien à émerger dans cette réalité-là, avec pour seul nuage une poche de glucose au-dessus de sa tête et pour tout roulement de tonnerre le rire bête et bienfaisant de la famille banale qui visite sa voisine de chambre. Elle a la tête eff royablement lourde, gourde, elle est toujours en retard d’une réplique et son intelligence traîne derrière elle, égarée quelque part dans l’épave de la voiture ou sous le lit ou dans le tiroir de la table de chevet avec les protège-slips, un miroir inutile et des sucrettes. Elle somnole dans ce monde complet, ouaté et glougloutant. Ses pensées forment une matière légère, alvéolée. Et le vide apparent dans son crâne tient à l’allongement inouï des temps de pose entre deux réfl exions, si bien que chacune de ses journées se love dans une

Son corps extrême (extrait)

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seule image qui suffi t à la condenser. Les heures se remplissent d’elles-mêmes d’une sorte de matière sans valeur, de billes de polystyrène, de bulles de plastique qui n’ont ni goût ni couleur. L’extrême de l’allègement. Alice jouit du bonheur de se fondre dans la masse, de n’avoir plus à décider du bien et du mal. Aubaine que d’être dépouillée de la pénible tâche de penser, libre du carcan des conventions et des manières, ne répondant rien quand on lui parle, n’ouvrant pas la bouche quand on lui donne à manger. Le vide est un baume aux tourments de soi. Une terrible et merveilleuse dispense d’humanité.

Portée par la morphine, Alice goûte une paix royale. Il faut atteindre parfois la très grande vieillesse pour la trouver enfi n. Des femmes de quatre-vingt-seize ans ne se souviennent pas de leurs enfants, même pas d’en avoir eu, elles disent : C’est si loin maintenant, et elles sont vraiment tout à fait tranquilles.

Des idées qu’elle a hébergées jusque-là sans raison la quittent tandis que d’autres, à l’apparence neuve, viennent s’installer dans cette carcasse paisible qui paresse toute la journée. La fi èvre travaille à l’engourdir, Alice souhaiterait que ça dure jusqu’à la mort, mais elle sent déjà que viendra la douloureuse guérison, qui gratte, qui pique, qui démange, qui lance, qui recolle, qui retape. Cette espèce de grosse paysanne inusable qu’est la vie, bouffi e de forces, gaie et quasiment aveugle, est en train de la sarcler au plus profond.

Son corps extrême (extrait)

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Hélène FrappatINVERNO

Roman

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Dans l’enfance, Emmanuelle a été la meilleure amie de L. Vingt ans plus tard, elle resurgit dans sa vie, l’invitant à lui rendre visite quelque part en Bretagne. Dans le train qui, machine à remonter le temps, emmène L. et son fi ls vers les brumes du passé, les sou-venirs et les destins prennent corps.

Avec une délicatesse et une justesse rares, Hélène Frappat explore la position du témoin qui surprend chacun à la lisière de soi, au bord des autres. Cinégénique et musical, INVERNO eff euille les mys-tères de la mémoire et fredonne la dissonance des émotions, sur l’air d’une fugue où la nostalgie n’est jamais dénuée de violence.

Hélène Frappat est née en 1969 à Paris. Traductrice de l’anglais et de l’ita-lien, elle est l’auteur de trois romans : Sous réserve (Allia, 2004), L’Agent de liaison (Allia, 2007) et Par eff raction (Allia, 2009 ; mention spéciale du jury, prix Wepler 2009).

Août 2011 / 10 x 19 / 144 pages / ISBN 978-2-7427-9909-1

RELATIONS PRESSE : Nelly Mladenov (01 55 42 63 06)

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Hélène Frappat

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INVERNO

J’ai voulu écrire un roman comme un train qui fi lerait dans la nuit. Le train avance, mais peu à peu le lecteur qui s’y embarque

regarde défi ler, sur l’écran des vitres transformées par l’obscurité en miroir, sa propre vie, et des souvenirs : les siens, et ceux des compa-gnons d’une vie – amis, amants, parents, disparus, fantômes bien-veillants ou menaçants.

Mon train est une machine à remonter le temps. Il part de la gare Montparnasse et se dirige vers la Bretagne. A bord, une mère et son fi ls. L. part retrouver son amie d’enfance Emmanuelle qu’elle n’a pas revue depuis vingt ans.

Durant cette parenthèse suspendue entre deux gares, dans cet espace-temps parallèle qui semble ne se dérouler nulle part, d’autres voyages en train refont surface.

Une femme quitte son pays pour retrouver son amant. Elle s’installe aux abords d’une gare romaine. Plus tard, elle fera le trajet en sens inverse. Une autre femme s’off re à des inconnus de passage dans le compartiment d’un train de banlieue. A la fi n des années 1960, dans une brasserie proche de la gare Saint-Lazare, un homme se découvre jaloux.

De l’incertitude et des pièges de la mémoire émergent par instants des indices glaçants. Dans le noir des tunnels, les lambeaux d’une enfance engloutie, d’un amour défunt, resurgissent par fl ashes. La saveur ambiguë et douceâtre de la nostalgie empoisonne peu à peu le lecteur.

Sur l’écran des vitres du tunnel, les nuages et les saisons défi lent, aussi changeants que dans un ciel de Bretagne : printemps versatile, été caniculaire, ombres roses automnales des bruyères, et l’hiver, INVERNO, qui commande les saisons du souvenir.

H. F.

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A l’âge de sept ans, à son arrivée au mois d’octobre dans sa nouvelle école primaire (un bâtiment en brique identique aux résidences hlm de cette rue paisible de Saint-Ouen), L. avait été adoptée par une petite fi lle au troisième rang qui avait désigné la place vide à côté d’elle. Sans paraître remarquer la gêne de la nouvelle (que tous ses camarades de classe prirent pour de la hauteur), Emmanuelle lui adressa un sourire qui fendit son visage triangulaire d’une ligne im-mense parallèle à la fente hilare de ses yeux. Depuis, les petites fi lles étaient inséparables, dormant chez la mère de l’une ou les parents de l’autre, passant les longs mercredis pluvieux d’automne ensemble.

Emmanuelle habitait au neuvième étage d’une tour résidentielle. Un tapis en fourrure blanche, un canapé et une table basse en plastique remplissaient à peine l’espace symétrique du salon. Contre les baies vitrées envahies de ciel (s’il fait beau, on aperçoit le Sacré-Cœur), la silhouette de Bérangère passe comme une ombre. Un matin, à travers la salle de bains ouverte, L. a aperçu son corps nu gracile incliné vers la baignoire.

Tout change à l’arrivée du père. Mère et fi lle répriment leurs fous rires complices ; le tapis blanc du salon étouff e les sons ; l’horizon, par-delà les baies vitrées, prend une teinte grise. Bientôt, si elle ne s’enfuit pas à temps, L. devra s’asseoir autour de la table ronde et observer discrètement le rituel du dîner en famille, pour ne pas com-mettre d’impair.

Dans sa mémoire, la silhouette massive du père d’Emmanuelle se détache sur fond d’un ciel incolore où les traits du visage de l’homme en contre-jour paraissent fi gés, tandis que le défi lé des nuages sales de l’Ile-de-France tourbillonne.

Certains dimanches, L. accompagne Emmanuelle à l’aéroport du Bourget où son père – détendu soudain, heureux presque, au milieu d’une troupe bruyante d’hommes – saute en parachute. Elle s’ennuie

INVERNO (extrait)

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pendant que le petit visage d’Emmanuelle, le menton pointé avec intensité vers le ciel, scrute l’horizon à la recherche de la tache mi-nuscule du parachute de son père. Lorsqu’il tombe à terre avec un bruit sourd et se dégage en riant de l’écheveau de cordes et de toiles, L. s’éloigne en direction des baraquements pour ne pas assister aux retrouvailles de la fi lle et du père.

Un été, peut-être au mois de juillet (durant ces vacances dans la presqu’île de Crozon ?), le père d’Emmanuelle est venu chercher les petites fi lles en voiture. (Ses souvenirs émergent du passé, vacillants. L. est incapable d’identifi er l’époque du divorce des parents d’Em-manuelle, tant le mari et sa jeune femme ont toujours formé dans son esprit deux entités distinctes.)

Ils parcoururent des kilomètres dans la Mercedes silencieuse qui lui donnait mal au cœur. Derrière les vitres, le ciel bas sentait l’hiver, comme si, à proximité du père d’Emmanuelle, il régnait une autre saison, plus venteuse, plus froide. Sur le siège arrière, à côté d’Em-manuelle qui faisait semblant de dormir, elle avait écouté l’homme se livrer à de violentes diatribes contre les étrangers, ses ennemis. Il n’avait même pas réagi – L. devinait son regard dans le miroir rec-tangulaire du rétroviseur – lorsque l’amie de sa fi lle l’avait inter-rompu avec insolence. (L’homme semblait enfermé dans un lieu où aucune parole, même brutale, ne pouvait l’atteindre.)

A l’issue du voyage, les portes de la voiture s’étaient ouvertes sur la pointe du Raz. Les deux petites fi lles s’étaient tenues par la main pour résister à la menace du vent. On entendait au loin, dans la baie des Trépassés, le hurlement des galets qu’entrechoquent les rouleaux de l’Océan.

INVERNO (extrait)

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Kaoutar HarchiL’Ampleur du saccage

Roman

Héritiers maudits d’une féroce répression sexuelle qui s’est exercée trente ans plus tôt et a marqué leurs destins respectifs du sceau de la désespérance, quatre hommes liés par la fatalité du sang traversent la Méditerranée où s’écrit, sous le ciel algérien, l’ultime épisode de leur inconsolable désastre.

Née à Strasbourg en 1987, de parents marocains, Kaoutar Harchi, titulaire d’une licence de lettres modernes, d’un master de socio-anthropologie et d’un master de socio-critique est, depuis 2010, doctorante-monitrice à la Sorbonne, où elle assure des enseignements en littérature et sociologie. Elle vit aujourd’hui dans la région parisienne. Zone cinglée, son premier roman, a été publié en 2009 aux éditions Sarbacane.

Août 2011 / 11,5 x 21,7 / 128 pages / isbn 978-2-7427-9952-7RELATIONS PRESSE : Nelly Mladenov (01 55 42 63 06)

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L’Ampleur du saccage

L’AMPLEUR DU SACCAGE est un texte que j’ai écrit en résonance aux nombreux romans d’auteurs algériens que j’ai découverts

à l’âge de vingt ans. Je pense à Nedjma de Kateb Yacine, à La Répudiation de Rachid Boudjedra, à L’Amour, la fantasia d’Assia Djebar et à bien d’autres encore. Ces œuvres qui me hantent ont contribué à confi gurer l’espace de ma propre création littéraire.

La misère aff ective et sexuelle, le fantasme de fusion avec la fi gure maternelle entretenu par les jeunes garçons, le spectre de l’inceste, le tabou qui pèse sur le désir féminin, les rapports familiaux do-minés par la rivalité intergénérationnelle, sont autant de thèmes qui constituent le cœur battant de mon roman et ont nourri ma volonté d’aborder, dans sa radicalité la plus totale, la problématique de la fi liation.

Est-il possible d’entretenir avec ses parents – et tout particuliè-rement avec sa mère – une relation délivrée du “pathologique” ? Non, semblent répondre les hommes de mon récit, incapables de se déprendre de la douloureuse ambiguïté qui les lie à Nour, fi gure maternelle autour de laquelle tous, fatalement, gravitent.

Ils forment le carré d’une malédiction au centre duquel se trouve cette femme-mère vers qui l’amour et le désir convergent conti-nuellement alors même que l’omniprésence de la parole masculine l’écrase, la réduit au cri puis au silence. Il m’importait que cette confi guration, ce cernement, puissent faire écho à la réalité de certaines sociétés arabo-musulmanes qui, parce qu’elles maintien-nent les femmes dans une certaine dimension symbolique, nient ce qu’elles ont de chair et de sang. De réalité.

K. H.

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Avec la fi n de mes hallucinations viennent les bruits de la ville, les aboie-ments des chiens et sa voix qui m’appelle. Homme menteur, routier à tout faire, Si Larbi, mon étrange tuteur, s’absente des semaines et des mois mais revient toujours à la maison. Il est ce corps boomerang qui provoque ma colère tant il retient de secrets.

Attablé comme s’il allait s’endormir, sa mâchoire dessine dans l’air des cercles immenses ponctués par le claquement bestial des dents. Si Larbi, la cinquantaine grise, ingurgite et recrache. Noyaux et osselets. Il préfère la graisse à la chair. Apprécie peu le poisson et ignore le rythme des repas. Son dos ploie sous le poids. De sa carcasse hagarde, seuls ses yeux sont demeurés vifs. Si Larbi, continuellement aff alé, rêve d’un ailleurs folklo-rique béni d’insouciance, bordé par une mer bleue tranquille. Il est pourtant assis là-bas, dans le salon, débordant de sa chaise, malodorant, prisonnier d’un univers étroit : son grand camion retapé à neuf, ses cartes routières, sa besace en cuir, son briquet, ses mouchoirs en papier. Ma cohabitation avec lui est une lutte sans violence où la présence de l’un provoque l’absence de l’autre. Au fi l des jours, j’invente une danse mira-culeuse qui off re à chacun de ses gestes son exact contraire. Mes mouve-ments forment un ballet fait d’évitements, de déviations ultimes, d’arrangements et de volte-face. Croiser Si Larbi, c’est me risquer à lui poser mille questions et cela ne servirait à rien. L’homme est symbole de silence. Alors, je guette. Les pas dans le couloir, les fenêtres que l’on re-ferme, les tiroirs que l’on ouvre. Je me retiens d’aller aux toilettes, je patiente contre le chambranle de la porte, je rebrousse chemin, je sors, je rentre. Ces bruits esquissent dans mon esprit la géographie incertaine de lieux momentanément infréquentables.

Mon amour vacille au fi l des départs. Lorsque Si Larbi s’en va vers de nouvelles destinations, je crains qu’il ne revienne plus jamais. Un accident de la route, une bagarre… J’y pense des heures durant et ma gorge se

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L’Ampleur du saccage (extrait)

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noue. Je me demande alors qui me dira, qui me racontera, qui acceptera d’aiguiller la quête d’un môme sans passé. Je n’appartiens à aucune terre, je ne descends d’aucune lignée, je suis là, simplement. Cause abandonnée au bon vouloir des mystères mutiques, je dérive le long des impostures, épuisé, car tous les ports d’accueil ont disparu : j’ignore d’où je viens.

Je pense peu à mon géniteur, seule ma génitrice m’obsède. Je suis en quête perpétuelle du ventre qui m’a porté et nourri, d’où j’ai froidement été expulsé. Jeté au monde. Depuis, j’erre sans avoir personne vers qui me retourner. Mais à qui me plaindre ? Mon sang est orphelin. Mon corps, sans autre corps. Il me faut connaître cette préhistoire de ma vie, essentielle à sa poursuite. J’ai dans la tête des voix muettes, des yeux fermés, le portrait d’une femme qui me tourne éternellement le dos. Mais je n’abandonne pas. Je fonde ma propre légende, récit de mon enfance, conte du présent, où les éléments imaginés se mêlent à ceux vécus. J’avance ainsi, traquant photos et cartes postales, lettres et billets de train. Je col-lectionne tout ce qui pourrait m’aider à comprendre. J’accumule des indices insignifi ants, miettes d’informations, débris incohérents chipés des cartons, soustraits à la poussière des vieux classeurs, pistes de misère à travers lesquelles je recherche un fi l conducteur. Logique interne de ma vie. Je voudrais savoir quel est mon peuple, quelle est ma lutte, moi qui suis issu d’un trou douloureux, aussitôt ouvert aussitôt refermé.

*

Mon nom est Arezki et d’ordinaire, on ne m’appelle pas. J’ai trente ans et vis au sommet d’une tour claire noyée dans le ciel. J’ai cessé de fréquen-ter les cages d’escaliers aux odeurs d’urine tenaces, désormais je reste posté à la fenêtre de ma chambre mais partout mon air est irrespirable, je suf-foque. La tête penchée dans le vide, les yeux fermés, je tente de comprendre le pourquoi d’une existence dénuée de sens, sans plaisir, menée à huis-clos comme si le monde autour de moi avait disparu. Ma mère la première. Figure inconnue qui me hante, je l’imagine et me demande ce qui en moi vient d’elle ; je demeure sans réponse, abruti par la cruauté des énigmes et l’entêtement de Si Larbi à se taire. Avec le temps, j’ai fi ni par accepter son comportement. Ne disposant d’aucune ressource, je dépends entiè-rement de lui. Mon quotidien est fait d’ennui, de trafi cs, de questions. C’est le désœuvrement mêlé à ce sentiment de n’être rien.

L’Ampleur du saccage (extrait)

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A Paris, le travail n’existe plus. Nostalgique, je continue de fréquenter les usines et traîne sur les grands boulevards. Je squatte les dépotoirs pour observer, à travers les carreaux grossissants, les couples violents qui se déchirent et se recollent. Voyeur depuis mes quinze ans, je me nourris de l’aff ection des autres et rêve d’être séquestré par des bras amoureux m’as-surant l’asile une nuit sur deux.

Les femmes me sont inconnues. D’elles, je ne sais que les formes animales et pornographiques. Le manque de confi ance m’a toujours empêché de partir à leur rencontre et mes doigts ne font que parcourir les pages glacées des magazines. Durant de longues heures, la main glissée dans mon pantalon, je malmène et torture des corps qui ne m’ont rien fait. Auxquels je n’aurai peut-être jamais droit. Les fi lles sont chères aujourd’hui. Pénétrer c’est payer. Je ne suis plus un homme mais un sexe nomade en quête d’un refuge humide. Un sexe obsédé par lui-même, malade sous la pression du manque, prêt à se casser, un sexe courbaturé, pris de vomissements mais qui ne peut vomir. Pourtant, je sais que je ne suis pas seul. Alignés le long des trottoirs, réunis à l’entrée des immeubles, les autres puceaux surveillent les fi lles comme des vigiles amoureux. Ils parient sur celles qui se retourneront jusqu’à ce que l’un d’entre eux reconnaisse sa sœur, passante inconnue devenue cible des railleries. Il faut le dire : les mères peinent à tenir leurs fi lles qui, apportant le linge sale à la laverie, se donnent en spectacle. Actrices méditerranéennes prises au jeu des regards, inconscientes des risques encourus à l’idée de provoquer des mâles aussi beaux que dangereux. Dans les rues, on siffl e et on crache.

Chaque semaine, les habitants de la ville se trouvent une nouvelle fi gure expiatoire. Ils vivent des vengeances plein la tête, rejouent des guerres ancestrales autour d’une partie de cartes. Tous cultivent une haine innée si bien que les fi ls deviennent les héritiers forcés des grandes violences. Ces fi ls se connaissent entre eux. Ils ont mordu le même sein, partagé la même couche et dans la nuit éprouvé les mêmes plaisirs. Les secrets n’existent pas dans ce genre de clan. Les hommes sont des transparences en blouson de cuir qui se laissent pénétrer par la curiosité familiale. Le partage est une règle proche de l’inceste.

L’Ampleur du saccage (extrait)

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Denis LachaudJ’apprends l’hébreu

Roman

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Frédéric, dix-sept ans, suit ses parents à travers l’Europe, d’un dé-racinement à l’autre, profondément menacé dans son équilibre. Mais après Paris, Oslo et Berlin, la famille débarque à Tel-Aviv et le jeune homme découvre la singularité d’Israël – un pays et une langue qu’il pourrait peut-être enfi n faire siens, parce que si proches de lui dans leurs rapports complexes à l’identité, au terri-toire et à l’appartenance.

Après J’apprends l’allemand (1998 ; Babel n° 406), La Forme profonde (2000 ; Babel n° 568), Comme personne (2003 ; Babel n° 641), Le vrai est au coff re (2005 ; Babel n° 934) et Prenez l’avion (2009), J’apprends l’hébreu est le sixième roman de Denis Lachaud publié aux éditions Actes Sud. Acteur, auteur, metteur en scène, il travaille pour le théâtre. Ses pièces sont publiées chez Actes Sud-Papiers.

Août 2011 / 11,5 x 21,7 / 240 pages / isbn 978-2-7427-9943-5

RELATIONS PRESSE : Nathalie Baravian (01 55 42 63 08)

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Denis Lachaud

DR

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J’apprends l’hébreu

Je vais en Israël. De nombreuses fois. Quelques semaines. Je m’y sens chez moi, parmi ceux que j’aime. Je décide d’y séjour-

ner plusieurs mois pour écrire. Commencer un nouveau roman, c’est apprendre une nouvelle

langue. Le premier jour, les premiers mots apparaissent et derrière eux, l’édifi ce lentement se dessine. Tout obéit à certaines règles, un peu mystérieuses, qu’il s’agit d’identifi er et de suivre pour avancer, grammaire de la nouvelle langue, architecture de la fi ction.

Je m’installe à Tel-Aviv. J’apprends l’hébreu et j’écris J’apprends l’hébreu. Car j’ai envie d’écrire sur ce que je vois, entends et ressens ; sur tout ce que j’ignorais avant de venir. J’entre dans la langue et me vient l’histoire qui va traduire en mots ce qui se rassemble en moi.

J’écris sur Tel-Aviv : c’est de là que je pars. Et Frédéric apparaît. Il quitte Berlin pour Tel-Aviv, avec sa famille. Apprendre l’hébreu, c’est pour lui tenter d’échapper à l’eff ondrement, à la folie.

Un homme s’assied à côté de moi. Il voit que j’écris. Il me ques-tionne sur le sujet.

– Tel-Aviv, c’est Israël, dit-il. Quand je sors de Tel-Aviv, je prends l’avion et je quitte le pays.

Je pars. J’explore. Haïfa, Saint-Jean-d’Acre, Tibériade. Le Néguev. Jérusalem. Puis Bethléem et Ramallah.

A chaque fois, je pars de Tel-Aviv et je porte en moi Frédéric qui tente de se sauver, avec toute l’énergie du désespoir.

J’apprends l’hébreu est un roman israélien.D. L.

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Mon père trouve que les Israéliens sont mal élevés, même en matière de business, dit-il, tu tends le pied, ils marchent dessus. Mon père est trop suisse pour Tel-Aviv. Genève fait obstacle. Genève n’est pas un avantage ici, Genève est un avantage quand on évolue au sein de la civilisation suisse et de ses trottoirs impeccables, mais pas ici, oh non, pas ici. Par chance pour le couple parental, ma mère est française. Elle sait marcher sur le pied, elle aussi.

Pour aller dans le sens de mon père, il est vrai qu’ici les voitures s’ar-rêtent constamment sur les passages cloutés, au mépris des piétons. Moi je pense que c’est la langue qui change les données. En hébreu, il n’y a ni conditionnel ni subjonctif qui poussent à la politesse et à la retenue. En hébreu, tout est à l’indicatif. On ne voudrait pas, on veut. You wouldn’t like to, you want to. Oui, dit Mme Lev qui parle l’hébreu, l’allemand et comprend l’anglais, je suis d’accord avec toi. On manque de temps. C’est l’Orient ici, dit M. Masri qui parle l’hébreu, l’arabe, le français et comprend l’anglais. N’écoute pas Mme Lev, elle se croit encore en Europe. L’Orient fonctionne diff éremment. Les nuances sont ailleurs. Observe, écoute et ne juge pas trop vite.Pour ne rien arranger, les autorités ont placé le feu tricolore de l’autre côté de la rue traversante. Alors évidemment, les automobilistes, qui sont des loups aff amés tout autour de la planète, veulent s’approcher le plus près possible de l’ampoule pour l’avaler au moment où elle va passer au vert. L’automobile a été inventée pour accélérer le déplacement. Chaque arrêt forcé insulte le conducteur.

J’apprends l’hébreu (extrait)

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Le conducteur n’accepte de s’arrêter au rouge que par crainte du chaos généralisé. Mais son pare-chocs grignote le passage piétons.Je suis debout devant le passage piétons du carrefour Gordon-Dizengoff et je veux traverser pour rentrer chez moi. Le conducteur de la grosse Mercedes me barre la route. Il y a tout simplement confl it d’intérêts.

Le feu tricolore est une limite. Je pense que c’est idiot de ne pas le placer là où se trouve en réalité la limite. Je dis que ça complique tout de créer un décalage entre la limite et l’image de la limite. Peut-être les automobilistes israéliens ne veulent-ils pas sentir qu’ils s’arrêtent au carrefour pour la bonne et simple raison qu’ils veulent ignorer la limite. Mais je n’ai pas encore trouvé dans la langue hé-braïque quelle est l’explication de ce dépassement. Or, il y a une limite à tout. Je me le répète souvent.

Mme Lev, je voudrais vous demander, vous êtes, je voudrais vous de-mander quelque chose.Mais oui mon garçon, demande-moi.Vous êtes arrivée quand en Israël ? Si vous voulez bien me répondre.Je suis arrivée en 1945, je ne te l’ai pas déjà dit ?Vous ne m’avez pas dit quand, non, 1945, oui, ah.Ce n’était pas encore Israël. Les Anglais étaient encore là.Vous habitiez déjà ici ?J’ai habité tout de suite à Tel-Aviv, mais pas ici.Pas ici, mais alors où ?Plus au sud, route de Jaffa.Ah oui, je vois où. Route de Jaffa, derrière la rue Florentine. Et vous aviez acheté un appartement ?Olà non, je n’avais rien.Vous habitiez chez une connaissance, quelqu’un que vous connaissiez ?

J’apprends l’hébreu (extrait)

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Non, je louais une pièce à un Arabe.Ah oui, à un Arabe.Oui. Mon propriétaire était un Arabe de Jaffa. Il venait me voir tous les mois pour collecter le loyer. Quand je n’avais pas d’argent, il attendait. Ce n’était pas un mauvais bougre.Vous êtes restée longtemps dans la pièce de l’Arabe ?Plusieurs années. Il a disparu en 1948. Du jour au lendemain. Je ne sais pas s’il est parti, s’il a été chassé ou tué. Plus personne n’est venu col-lecter le loyer. Je ne savais pas à qui payer. J’ai rencontré mon mari en 1950 et j’ai déménagé.Vous avez quitté la pièce de l’Arabe.Oui.Mais cette pièce, l’Arabe a disparu, vous avez déménagé, il n’y avait plus personne ?Toute la maison lui appartenait. Elle a été récupérée. Il y a eu une loi sur ce qu’on a appelé les “biens abandonnés”. Ce n’est pas très glorieux, cette époque, mon petit Frédéric.Comme en Amérique, quand les colons européens ont volé leurs terres aux Indiens, c’est ce que je comprends.Voilà, quelque chose comme ça. Ils n’en sont pas très fi ers non plus. Même aujourd’hui. Les Américains n’aiment pas parler des Indiens. Les Canadiens non plus. Si tu veux les énerver, parle-leur des Indiens. Ach, tu sais, faire naître un pays nouveau, ça n’a rien du conte de fées. Ça n’est jamais très propre.(Au soleil couchant, en allemand, sur le banc dans la rue Gordon.)

Tout n’a rien du conte de fées. Chaque jour de la vie de chaque enfant qui a grandi se charge de le lui rappeler. Au cas où il tenterait de l’oublier.

J’apprends l’hébreu (extrait)

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Caroline LunoirLa Faute de goût

Roman

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Fresque miniature d’un 15 août dans une demeure familiale de la bourgeoisie traditionnelle, où transparaît – d’extérieurs en inté-rieurs, de plein jour en contre-jour – le portrait d’une génération qu’aucun feu ne soutient, qu’aucune révolte ne consume et qui pose sur le monde un regard lucide et désabusé.

Caroline Lunoir est née en 1981. Elle a grandi à Castres puis à Toulouse. La Faute de goût est son premier roman, écrit à Boston en 2009. Avocate péna-liste, elle vit et travaille à Paris.

Août 2011 / 10 x 19 / 128 pages / isbn 978-2-7427-9950-3 RELATIONS PRESSE : Aurélie Serfaty-Bercoff (01 55 42 14 45)

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Caroline Lunoir

DR

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La Faute de goût

C’est l’été, le rendez-vous immanquable des vacances, les vraies, les buissonnières, celles qui donnent un sens à une

année de travail. C’est l’été et le temps de l’éternel dilemme, l’es-capade ou le retour aux sources. Cette année, le choix est fait, la valise entrouverte sur les tomettes de la maison de famille, et les souvenirs entassés pêle-mêle, déballés.

C’est l’été et ces quelques jours entre soi scellent le sceau d’un certifi cat d’origine. Chacun retrouve son rang, ses sujétions, ses alliances et ses neutralités. Revenir est décidément régressif. L’enfance est écrite sur les érafl ures des murs, les branches basses des arbres du jardin, les photographies désuètes et dans les yeux des aînés. Les repas de retrouvailles sont animés par l’exégèse des anecdotes communes qui forgent l’historiographie familiale et atténuent ce que l’on est devenu.

Dans la chaleur du mois d’août, poser sa serviette de bain au milieu de celles de ses tantes, c’est laisser bruisser le chœur des ragots et entamer la nouvelle saison de la saga familiale ; partager l’apéritif avec ses grands-oncles, c’est prendre le pouls du vieux corps électoral ; regarder ses cousins, c’est comparer les choix que l’on a faits. Entre deux plongeons dans la piscine, un barbecue et une promenade digestive, les conversations alanguies s’aventurent jusqu’à la ligne des non-dits. L’équilibre tient à la bonhomie des convives qui, d’une plaisanterie ou d’un silence, fuient les éclats et préservent les prochains étés à passer ensemble.

Mais derrière cette galerie de portraits et les esquisses de scènes de vie sourdent la dilution du modèle transmis, la lutte feutrée pour le haut de la pyramide et l’attentisme oisif de la nouvelle génération.

Allongé sur un transat, ou dans les éclaboussures de brasses coulées énergiques, chacun sait diluer dans l’eau chlorée de la piscine de la copropriété l’angoisse du retour aux conventions familiales, la grâce des fous rires partagés, le contrôle social des proches, avec pour socle, l’impératif de solidarité.

La Faute de goût est le chant du cygne d’un clan qui passe et un hommage aux bouts de terre qui nous ont façonnés.

C. L.

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Le soleil est timide mais c’est l’heure précieuse où la maison dort encore. Seule ma grand-mère laisse fumer son thé dans la cuisine et enchante les couloirs de l’odeur des tartines. L’hiver, quand je me lève au petit matin, les champs sont enrhumés de brume. Hier, j’ai en-terré ma soirée dans un policier truculent, une poire et une tisane. Dès mon arrivée, mon grand-père m’en avait vanté les mérites. S’embusquer dans un fauteuil pour se plonger dans un polar est une sauvagerie tout à fait acceptée. La piscine m’attend, après elle sera trop mondaine.

Tiens, le grincement de la porte du potager ne m’a pas érafl é l’oreille. António a dû huiler les gonds. Je le vois très bien, à la fraîche, un soir à dix-sept heures, penché sur les montants, dans le halo de sa cigarette, et la grâce de ses mains écornées. Avant, seuls les enfants poussaient cette porte et en sautaient le pas. Elle leur promettait une orgie au-torisée de framboises puis de groseilles et de cassis dans un bourdon-nement terrible d’abeilles. Il fallait singer la délicatesse pour serrer une poignée de baies et non une bouillie sanguine. Belle réhabilitation pour ces planches élimées que d’être le sésame de la piscine. Un el-dorado, en cet été caniculaire. Caniculaire, c’est ce mot rabâché qui a dû décider mon grand-père. De nos jours, la chaleur tue sournoi-sement nos têtes blanches qui ont cru trouver dans le Sud un refuge clément. La canicule, l’ennui et le besoin d’entreprendre. Voilà trois raisons pour construire une piscine. Mon grand-père tenait à réfl échir, mesurer, calculer. Il s’est aff airé tout le printemps. Il s’est lancé dans l’audition des pisciniers du coin pour choisir le gars qui partagerait son souci de la technique et comprendrait les contraintes du sol. Il a envoyé ma grand-mère en mission de renseignement chez leurs connaissances déjà pourvues. Il a creusé le potager pour y enfouir le vide de sa retraite, créer et diriger. Il a noyé dans le chlore le sentiment que personne n’attend plus rien d’autre de lui qu’une gestion soignée

La Faute de goût (extrait)

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de son patrimoine, en bon père de famille. Mais parce que j’aime à croire que l’amusement de ses yeux se fend d’ironie, je vois dans cette piscine l’un de ces défi s dérisoires qu’il aff ectionne. A la regarder, rien ne le laisserait penser. Elle coule, bleue, limpide, des jours heureux. Tranquillement laide avec sa margelle en pierres reconstituées et son liner bleu turquoise.

Mais peu importe, planter une piscine dans une indivision reste hardi. Pharaonique. Une mainmise sur les aff aires de la copropriété. J’imagine ce qui se dit, hors les murs. Paul a une insatiable soif de contrôle, de puissance. Et ce plaisir à étaler son fric ! Peut-être un résidu de ses origines modestes. Il a fait un beau mariage, avec Madeleine. Il vient d’une famille d’horlogers. La générosité de mon grand-père est pourtant irrésistible. Je ne sais pas comment il a dit aux sœurs de sa femme qu’il leur off rait la piscine. Un mystère plane sur la répartition des frais d’entretien. C’est une pudeur inhabituelle. Et moi, à peine arrivée ici, penchée sur l’eau claire, je ne puis m’em-pêcher d’y réfl échir. Je suis déjà acteur des confl its de cet été.

La chaleur a emporté les réticences. Le sérieux de la charge de grands-parents aussi. Et la peur que cette année peut-être, les parents et les enfants passeraient leurs vacances ailleurs. Ils ont pensé aux cris de joie des enfants, aux premiers bains des plus petits, à l’approbation lascive des adolescentes sur les pierres chaudes, au crawl énergique des parents. Les puces de canard ont fait le reste. Avant, nous partions en tribu nous égayer sur les plages privées de la rivière. Nous sautions du ponton dans la vase, débusquions les écrevisses cachées sous les cailloux. Grandir signifi ait parvenir à traverser sans bouée jusqu’à l’autre rive. Depuis deux ans, nous avions déserté ces berges, découragés par les démangeaisons dues à ces parasites. Mon grand-père a gagné.

Le grand parasol crème off re une ombre distinguée. Un crocodile lubrique est tapi dans l’eau. Les transats admirent la vue de la vallée, splendide. Je jette mon tee-shirt, dénoue ma serviette et plonge dans l’eau bleue. Désormais, sur les cartes postales vendues au village, la vue aérienne du château sera sertie d’un saphir, gage incontestable du bonheur opulent de la famille.

La Faute de goût (extrait)

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Marc TrillardLes Mamiwatas

Roman

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Alors qu’un climat d’insurrection s’étend sur le Cameroun, le directeur de l’Alliance française de Buea, cloîtré chez lui, face à la mer et ses créatures délétères (les mamiwatas), boit la coupe de deux ans de désenchantements  : sa scabreuse addiction de quinquagénaire aux charmes d’une trop jolie menteuse locale  ; l’illusion d’échapper au passif des amours / haines coloniales ; et l’agonie (programmée en haut lieu) de l’Alliance française qu’il di-rige – fruit pourrissant de siècles de présence française en Afrique.

Marc Trillard est né en 1955. Il est l’auteur d’une douzaine de romans ou récits de voyages, dont Eldorado 51 (Phébus, 1994 ; prix Interallié 1994), Coup de lame (Phébus, 1998 ; prix Louis-Guilloux) et Le Maître et la Mort (Gallimard, 2003).

Août 2011 / 14,5 x 24 / 256 pages / isbn 978-2-7427-9918-3

RELATIONS PRESSE : Régine Le Meur (05 62 66 94 63)

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Marc Trillard

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Les Mamiwatas

Confiné dans sa villa par les émeutes de la faim qui secouent le pays, ce “Cameroun déréglé”où il travaille pour la coopé-

ration française, le personnage principal de cette histoire fait le bilan des dix-huit mois qu’il vient d’y passer. Bien que largement quinquagénaire, il lui faut reconnaître qu’il vient, durant cette année et demie, d’en apprendre sur l’homme plus qu’il ne l’a fait durant toute sa vie, ceci au prix de pas mal de coups et blessures infl igés à son ego, sinon à son âme.

Les Mamiwatas peut être lu comme un roman d’apprentissage, celui de l’Occidental confronté à l’autre, à son système de pensée, à ses priorités imprescriptibles, et voyant, à ce contact, ses propres certitudes voler en éclats. Ou, plus que de certitudes, lorsqu’on s’attache aux pas de mister Mike dans la rouerie de la ville ou la brutalité de la brousse, devrait-on parler de naïveté. Cette candeur telle qu’il la retrouve chez la plupart de ses compatriotes – et jusque chez l’ambassadeur –, et qui est source de tous les malentendus entre les deux sociétés. Car il y a loin entre ce que l’on sait ou croit savoir d’un pays et de ses mœurs et la réalité du quotidien, comme il y a infi niment loin entre une décision dans un bureau présidentiel à Paris (ici, la dévaluation du franc CFA) et ses répercussions en Afrique.

J’ai voulu dans ce livre parler de la violence en temps de paix sur le continent africain, celle qui, au Cameroun comme ailleurs, régit les rapports humains de tous les jours. Celle que mister Mike expérimente dans ses relations avec les femmes (personne ne lui a demandé d’y aller, comme dirait son conseiller culturel), avec les membres du co-mité de gestion de son Alliance, avec les envoyés du monarque local.

Celle qui sous-tend le pouvoir des autorités, qu’elles soient traditionnelles, civiles ou militaires. Celle que l’on retrouve jusque dans l’emprise et l’expression de la superstition, chez les âmes frustes comme les “esprits constitués”.

M. T.

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Il y avait eu aussi les expéditions purement ludiques, toute “péda-gogie” abandonnée à une autre fois. Seules l’insouciance et la gaieté (y avait-il jamais eu de l’insouciance et de la gaieté, avec Gloria ?). La pirogue qu’il avait louée ce dimanche matin éclatant de lumière. Ça ne pourrait que lui plaire, la visite d’une île. C’était nouveau, non ? Avait-elle jamais posé le pied sur une île ? Elle raconterait ça à ses copines avec ses mots à elle et ses poses quand elle ne trouverait pas les mots. Mondoni Island, qu’il passerait des heures à méditer depuis la terrasse de la villa. Ils avaient foulé les galets noirs de la grève et jeté des regards empreints de circonspection vers le centre de l’île inhabitée, la sombre forêt qui la recouvrait entièrement et sur laquelle tournoyaient loin au-dessus de criards oiseaux marins. Mais avant ça, avant d’accoster l’île en naufragés pour de rire, il avait voulu lui montrer ce qu’il valait encore à cinquante ans. La question de son âge ne s’était jamais présentée, n’avait jamais été évoquée en aucune occasion, ni de près, ni de loin, mais il imaginait qu’il était bien ce qu’il était. Ce quinquagénaire. Ce quinquagénaire encore solidement charpenté mais ce quinquagénaire quand même. Alors il avait mon-tré qu’il n’y avait pas seulement la charpente mais aussi l’audace et l’énergie. L’homme en lui-même, intemporellement. A mi-chemin de la côte et du rivage de l’île, il avait plongé sans crier gare dans les eaux de la baie. On se retrouve là-bas ! avait-il lancé à Gloria, enjoi-gnant avec force gestes au pilote de poursuivre sa route. Il s’était vite rendu compte qu’il ne serait pas au rendez-vous. Qu’il n’avait pas les bras pour le faire. Qu’il ne les avait plus. La distance qui le séparait de l’île lui paraissait à présent bien plus importante qu’il ne l’avait cru depuis le banc de la pirogue. Et il y avait cet insoupçonnable courant par le travers contre lequel ses frénétiques battements de jambes restaient vains. Il s’épuisait trop vite. Il buvait trop des courtes vagues que l’aimable houle venait briser sur son nez. Il se noyait, par

Les Mamiwatas (extrait)

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ce beau dimanche sans nuage. Là-bas, debout dans la pirogue, Gloria s’était aperçue de la détresse de son nageur. Ils étaient revenus le chercher et il avait dû accepter l’aide de leurs bras pour le hisser à bord. Le courant, avait-il souffl é. Le courant, oui, avait confi rmé le pilote. C’était bien trop loin, de toute façon, avait ajouté Gloria. Il avait essayé de lire dans son regard. Tout allait bien. Il n’avait pas ruiné son image et elle ne lui en voulait pas de l’avoir ridiculisée devant le pilote, son Blanc buvant la tasse, son Blanc à l’agonie dans la vague. Il s’était recomposé une fi gure, plus vite qu’il ne l’espérait. Sur l’île, il avait retrouvé tous ses moyens, sa décision. “Nous allons rentrer par un autre chemin. Au lieu de tout droit, un petit détour par ce croissant de côte.” Ils avaient longé un rivage de rochers aux arêtes meurtrières entre lesquels il lui avait montré, comme s’il en était l’observateur coutumier, les carcasses déchiquetées de thoniers naufragés là depuis des années et des décennies. Plus tard, il avait plaisanté le pilote sur la croyance locale, les redoutées mamiwatas. Ce n’était pas au pilote qu’il s’adressait, mais à Gloria, lui faisant savoir par la bande sa familiarité des superstitions natives ainsi que le condescendant dédain qu’elles lui inspiraient. Alors ils sont où, ces esprits tracassiers ? Ici, avait répondu leur navigateur. Ici où ça, je ne vois rien. Là même, en dessous. Ah ah, mais vous les avez déjà vus alors ? ! Oh, monsieur, plusieurs fois. Et à quoi ressemblent-ils ? Monsieur, ce n’est pas le moment, pas ici. Ça ne l’était pas, non. Ce n’était pas le bon sujet. La conversation déplaisait à Gloria. Son visage s’était fermé, s’était éloigné, si un visage pouvait s’éloigner. La super-stition. La superstition touchait tous les esprits et en priorité les esprits que la connaissance n’avait pas préparés à rejeter l’irrationnel. Celui de leur pêcheur à sa barre. Celui de Gloria, sœur du pêcheur dans son inculture.

C’était durant la demi-heure du trajet de retour que l’événement s’était produit. Evénement invisible aux yeux de Gloria, et plus encore à ceux du pilote. Il la contemplait assise devant lui, immobile et si-lencieuse, le regard capturé par le mouvement des vagues, lorsque l’idée, non, l’envie, le profond désir, la résolution, l’avait traversé. L’avait saisi, l’avait happé. Il pourrait rester avec elle. Il pourrait rester avec elle plus longtemps que les quelques jours ou semaines qu’il avait pensé que durerait leur liaison. Construire avec elle quelque chose

Les Mamiwatas (extrait)

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de plus solide et de plus légitime, comme il avait modestement com-mencé à le faire. Emmener la relation de leur couple fortuit vers une union au plein sens du terme, sanctionnée ou non, mais vraie, et constante. Il la sortirait de ce qu’elle était, la tirerait progressivement des profondeurs de son inculture, l’éloignerait de la toxique société de ses copines de fi esta. Consacrerait de son temps, consacrerait de sa personne, pour en faire la personne qu’elle aurait pu être si elle n’était pas née dans ce village frontalier de l’ignorance absolue ; si elle n’avait pas, ensuite, périclité sous la loi du Nord musulman paternel ; si elle n’était pas en train de se débattre dans un programme scolaire où l’incurie des professeurs décourageait les plus volontaires de leurs élèves. Il était en mesure de l’aider. Il pouvait faire œuvre utile et il en avait le désir. Et ce n’était plus une idée mais une décision.

Les Mamiwatas (extrait)

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Lyonel TrouillotLa Belle Amour humaine

Roman

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Dans un petit village côtier d’une île des Caraïbes, une jeune Occidentale est venue, sur les traces de son père, éclaircir l’énigme aux allures de règlement de comptes qui fonde son roman familial. Au fi l de récits qu’elle recueille et qui, chacun à leur manière, posent une question essentielle – “Quel usage faut-il faire de sa présence au monde ?” –, se déploie, de la confrontation au partage, une cartographie de la fraternité né-cessaire des vivants face aux appétits féroces de ceux qui tien-nent pour acquis que le monde leur appartient.

Romancier et poète, intellectuel engagé, acteur passionné de la scène franco-phone mondiale, Lyonel Trouillot est né en 1956 dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince, où il vit toujours aujourd’hui. Son œuvre est publiée chez Actes Sud : Rue des Pas-Perdus (1998 ; Babel n° 517), Th érèse en mille morceaux (2000), Les Enfants des héros (2002 ; Babel n° 824), Bicentenaire (2004 ; Babel n° 731), L’Amour avant que j’oublie (2007 ; Babel n° 969) et Yanva-lou pour Charlie (2009 ; prix Wepler 2009).

• A noter : la parution simultanée de Yanvalou pour Charlie dans la collection de poche Babel (Babel n° 1069).

Août 2011 / 11,5 x 21,7 / 176 pages / isbn 978-2-7427-9920-6

RELATIONS PRESSE : Aurélie Serfaty-Bercoff (01 55 42 14 45)

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La Belle Amour humaine

J’emprunte l’expression “la belle amour humaine” au romancier haïtien Jacques Stephen Alexis, théoricien du “réalisme mer-

veilleux”. L’idée étant de dire à la fois le factuel et le perçu, le réel qu’on se fait débordant toujours la réalité, en pour ou en contre.

Dans le hasard des destinées qui nous font naître ici ou ailleurs, dans l’inégale distribution sociogéographique de la richesse et de la pauvreté, avec quel autre construire son vivre ensemble ? Avec qui, quoi, et comment habiter la sublime et dérisoire promesse d’une “belle amour humaine” qui lierait les habitants d’un village haïtien ? Entre une jeune Occidentale partie à la recherche du père qu’elle n’a pas connu et qui est peut-être lui-même coupable d’un parricide, un homme qui fait métier de guide pour touristes et un peintre ayant renoncé au portrait pour privilégier le paysage, se tisse une histoire placée sous le signe de cette seule question : “Quel usage faut-il faire de sa présence au monde ?”

J’ai voulu succomber à la tentation de croire que le langage de l’Autre (tous les langages : la peinture, le mot, le chant, la danse…) détient le pouvoir de nous révéler à nous-mêmes, qu’il existait en toute personne humaine qui ne se serait pas encore convertie en monstre une dimension de “bienfaisance” susceptible de rendre cette personne, d’où qu’elle vienne, indispensable.

A l’opposé de ceux qui passent leur vie à voler aux autres leur part de fête, il y a celles et ceux qui invitent chacun à amener sa part de chant. C’est à leur geste et à leur rêve (pour fou qu’il puisse être) que j’ai voulu rendre hommage.

L. T.

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L’autre chose qu’il faut que tu saches : il y a sept heures de route entre le bruit et le silence. Entre ici et Anse-à-Fôleur. J’imagine que chez toi aussi les villes se suivent et ne se ressemblent pas. Il est des villes qui aboient et d’autres qui chuchotent. Il est des villes qui sourient et d’autres qui font la gueule. Des qui se peinturlurent comme une fi lle condamnée à faire le trottoir se déguise chaque soir pour partir au combat. Et d’autres qui ne montrent rien, ne vendent rien, ne font pas dans le show off ni dans la devanture, mais sourient sans forcer quand passe un visiteur. Ma ville sur mer, elle est comme ça. Ma vraie ville, c’est ici. J’y suis né et je connais ses bruits par cœur. Ses recoins. Ses désastres. Mais là-bas, c’est ma ville aussi. Enfi n, mon village. J’y ai planté mes rêves. Et la terre qui t’appartient, c’est celle où tu plantes tes rêves. Celle que tu aimerais léguer à tes enfants. Lorsque nous arriverons là-bas tu pourras faire la diff érence. Ici, il y a ici et là-bas. Ici, c’est ville ouverte, scandale à profusion. Chaque jour il arrive par la route assez de familles nombreuses pour peupler une autre ville. Là-bas, dans le lieudit d’Anse-à-Fôleur où tu souhaites que je te conduise, c’est peu de monde, quelques copains, une poignée de vivants qui s’appellent par leurs prénoms et ne cultivent pas le vacarme. Les enfants y ramassent encore des coquillages, les portent à leurs oreilles, et la mer leur y chante quelque chanson secrète, sans déranger les autres. Les adultes n’élèvent pas la voix pour un oui pour un non. Ils se fâchent rarement, et quand ça leur arrive, les enfants sourient dans leur dos, sachant que c’est un jeu de rôle, un faux orage, qui passera vite. Même les bêtes ne crient que chacune à son tour, quand besoin est, d’herbe ou de soin. Là-bas, les gens, ils braient pas comme ici. Quand ils optent pour le silence, même le rire leur passe par les yeux. Et lorsqu’ils parlent, y a encore du silence caché derrière leurs mots. Quand tu arriveras avec tes questions, ils te feront en guise de réponse des phrases enroulées comme des vagues dont le sens

La Belle Amour humaine (extrait)

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t’échappera si tu fais ta paresseuse ou ta fi lle de la raison pure et les interprètes à la lettre. S’ils te sortent des lapalissades comme quoi les dés ont six faces et la nuit est parfois plus longue que le jour, ne va pas croire qu’ils sont débiles et te parlent pour ne rien dire, c’est un conseil d’ami qui t’invite à voir en toute chose l’avers et le revers. S’ils te demandent à quoi cela sert de découvrir l’astuce par laquelle le lait qui n’a pas de jambes s’arrange pour grimper jusqu’au cœur de la noix de coco, c’est qu’ils souhaitent que tu comprennes que peu de choses méritent qu’on en saisisse les origines, les pourquoi et les conséquences. Qu’il est des faits sans importance qui ne valent pas le bavardage, et d’autres dont les causes sont d’une telle profondeur qu’elles échappent à toute analyse, et qu’il convient pour être heureux de les laisser à leur mystère. “Laissez les choses à leur mystère.” Voilà ce qu’ils te répondront. C’est ce que mon oncle a dit à l’enquêteur venu de la capitale “s’informer des origines de l’incendie ayant détruit les maisons sœurs de l’homme d’aff aires Robert Montès et du colonel à la retraite Pierre André Pierre et causé la mort des deux illustres citoyens à une heure indéterminée entre le soir et l’aube dans le lieudit d’Anse-à-Fôleur”. Mon oncle, lui-même, comme les gens du village, appartient au mystère. Pourtant il n’est pas né là-bas. Pendant longtemps, il a vécu ici, enfermé dans son atelier, en plein cœur du vacarme, et gagné son pain à peindre des visages sur commande, se construisant au fi l des ans une belle réputation de portraitiste. Ministres, dames du monde, notables, militaires, vieux mariés, jeunes mariés… il a mis sur ses toiles tous les visages solvables, indépendamment de la pro-fession, de l’âge, du sexe, de la couleur. Le visage humain est, dit-il, la plus petite unité de la beauté et de la laideur des espèces vivantes, le plus petit territoire sur lequel s’aff rontent la bonté et la cruauté, la bêtise et l’intelligence. Lorsque les médecins lui ont annoncé que nul traitement ne pouvait le guérir de la cécité annoncée, il a gardé le secret sur sa maladie et décidé de se retirer dans une petite ville, de préférence au bord de la mer. Etrangement, du temps où il voyait, la mer ne l’attirait pas. Mais depuis qu’il habite l’ombre, sa maison sur la côte, c’est un peu comme sa barque. Il prétend qu’il suffi t de quelques pas, de quelques brasses, d’un geste, pour lier sa vie à celle de l’eau. Que, surtout quand on n’y est pas né, on a l’impression qu’un village côtier, c’est une porte, que ce qu’il y a derrière, les terres

La Belle Amour humaine (extrait)

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intérieures, est moins grand, moins présent que ce qu’il y a devant : toute la largeur de l’océan. Chaque matin il se lève de son lit avec l’aide de Solène, elle lui ouvre la fenêtre et il s’installe dans son fauteuil pour regarder la mer. C’est là, devant sa fenêtre, aveugle et voyant, qu’il a reçu il y a vingt ans l’enquêteur venu de la capitale qui le dé-visageait sans comprendre. “Laissez les choses à leur mystère. Maintenant que je ne vois plus, je ne trouve pas meilleur usage de ma présence au monde que de regarder par la fenêtre. Oui, deux hommes sont morts, deux maisons ont brûlé. Mais est-ce là le plus important ! Un jour, vous aussi vous mourrez. Quand viendra l’heure, posez-vous la question qui compte : «Ai-je fait un bel usage de ma présence au monde ?» Si la réponse est non, ce sera trop tard, pour vous plaindre comme pour changer. Alors, n’attendez pas. Les cir-constances de la mort n’off rent pas de clé pour comprendre. La mort demeure pour le vivant la plus banale des occurrences, la seule qui soit inévitable. La mort ne nous appartient pas, puisqu’elle nous précède. Mais la vie…”

La Belle Amour humaine (extrait)

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HORS COMMERCE - ISBN 978-2-330-00071-4

Metin ArditiVéronique BizotSylvain CoherRégine DetambelHélène FrappatKaoutar HarchiDenis LachaudCaroline LunoirMarc TrillardLyonel Trouillot

Le TurquettoUn avenirCarénage

Son corps extrêmeInverno

L’Ampleur du saccageJ’apprends l’hébreu

La Faute de goûtLes Mamiwatas

La Belle Amour humaine

Rentréefrançaise

août 2011

ACTES SUD

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