brochure bibliotheques doucet

31
LES BIBLIOTHèQUES DE L’ODéON EXILS SCèNES IMAGINAIRES L’AMITIé DANGEREUSE LES DIX-HUIT HEURES DE L’ODéON 12/13 Odéon – Théâtre de l’Europe Direction Luc Bondy

Upload: letture-critiche

Post on 28-Nov-2015

23 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Brochure Bibliotheques Doucet

TRANSCRIPT

1

Les BiBLiothèques de L’odéon

eXiLs

sCènes iMAGinAiRes

L’AMitié dAnGeReuse

Les diX-huit heuRes de L’odéon

12/13

odéon – théâtre de l’europe direction Luc Bondy

2 3

L’odéon-théâtre de l’europe a souhaité inscrire dans son programme

un important cycle de lectures, rencontres et entretiens dédié à la

littérature, à la philosophie et bien sûr au théâtre, réunis sous le titre

générique des Bibliothèques de l’Odéon.

Ce programme, mené d’octobre à juin, a été conçu en coproduction avec France inter (Exils) et France Culture (Scènes imaginaires et L’Amitié dangereuse) ainsi qu’en partenariat avec de grandes maisons d’édition, Flammarion, Le seuil, Gallimard (Les Dix-huit Heures de l’Odéon).

Les Bibliothèques de l’Odéon présentées en grande salle feront l’objet de rediffusions radiophoniques.

Les BiBLiothèques de L’odéon

eXiLs en coproduction avec France inter

Rencontres littéraires Animées par Paula Jacques

sCènes iMAGinAiRes en coproduction avec France Culture

Portraits de metteurs en scène européensRéalisés par Blandine Masson Animés par Arnaud Laporte

L’AMitié dAnGeReuse en coproduction avec France Culture

Rencontres philosophiquesAnimées par Raphaël Enthoven Préparées par Julien Tricard

Les diX-huit heuRes de L’odéonen partenariat avec Flammarion, Le seuil, Gallimard

Rendez-vous philosophiquesAnimés par Jean-Marie Durand

Pourquoi aimez-vous ?Animé par Daniel Loayza

Vingt ans de lectures avec Folio théâtreAnimé par Jean-Yves Tadié

Photo de couverture (détail) © david hurn / Magnum Photos

p. 4 à 25

p. 26 à 33

p. 34 à 39

p. 40 à 56

p. 42 à 47

p. 48 à 53

p. 54 à 56

Calendrier

informations pratiques

p. 57

p. 58

4 5

Paula Jacques est née au Caire dans une famille juive obligée de quitter l’égypte en 1957. elle passe son enfance en israël dans un kibboutz, avant de venir en France. à Paris, elle exerce toutes sortes de «petits métiers», puis elle fait de l'animation culturelle à la Comédie de saint-étienne. depuis 1975, elle est jour-naliste dans la presse écrite et productrice à Radio France. elle anime depuis 1999 le magazine culturel «Cosmopolitaine» sur France inter.elle est aussi romancière et membre du prix Femina. elle a publié entre autres au Mercure de France, Déborah et les anges dissipés (1991, Prix Femina), La descente au paradis (1995), Les femmes avec leur amour (1997), Gilda Stambouli souffre et se plaint (2002, Prix europe1), Rachel-Rose et l’officier arabe (2006), Kayro Jacobi, juste avant l’oubli (2010).

Rencontres littéraires Animées par Paula Jacques

en présence d’écrivains ou de personnalités du monde artistique, Paula Jacques abordera l’œuvre d’auteurs – vivants ou disparus – pour lesquels l’exil aura tenu une place singulière et fondatrice. Ponctuées par des lectures confiées à de grands comédiens et des documents sonores, ces rencontres mettront en lumière des proximités de pen-sée et de sensibilité qui, au-delà des contingences du temps, peuvent se tisser entre écrivains – même s'ils ne se sont pour la plupart jamais rencontrés.

eXiLs en coproduction avec France inter

stefan Zweig lundi 12 novembre

en présence de Laurent seksiktextes lus par André Marcon

sigmund Freud lundi 26 novembre

en présence de tobie nathantextes lus par didier sandre

Joseph Roth lundi 10 décembre

en présence de Florence noivilletextes lus par Michel Vuillermoz

Bertolt Brecht lundi 14 janvier

en présence de Gérard Mordillattextes lus par evelyne didi

samuel Beckett lundi 4 février

en présence de nancy hustontextes lus par denis Podalydès

Marguerite duras lundi 15 avril

en présence de Philippe djiantextes lus par Anne Alvaro

Marina tsvetaeva lundi 22 avril

en présence de tzvetan todorovtextes lus par Anouk Grinberg

nina Berberova lundi 29 avril

en présence d’Andreï Makinetextes lus par dominique Reymond

Vladimir nabokov lundi 27 mai

en présence de Lila Azam Zanganehtextes lus par nada strancar

emil Cioran lundi 24 juin

en présence de stéphane Barsacqtextes lus par André Marcon

p. 6-7

p. 8-9

p. 22-23

p. 20-21

p. 18-19

p. 16-17

p. 10-11

p. 12-13

p. 14-15

p. 24-25

Grande salle

6 7© DR

Stefan Zweigen présence de Laurent seksiktextes lus par André Marcon

Ma petite intelligence m’a fait quitter l’Autriche aussi bien que l’Angleterre, laissant derrière moi tout ce qui était possession, et même le manuscrit d’un livre à moitié achevé depuis des années. Accueilli et chassé aussitôt, j’erre maintenant avec un visa de transit en Amérique du Sud pour des tournées de conférences, ce que je n’aime pas. Est-ce que je pourrai revenir ? Y serai-je autorisé, le voudrai-je ? Mais je ne me pose plus la question, je me laisse entraîner, animé par la seule pensée de ne pas tomber entre les mains de ces canailles brunes – c’est la seule peur que j’ai encore dans ma vie, les autres ont disparu. Il y a longtemps que je me tenais à l’écart, renonçant à toute fréquentation, heureux du seul commerce de mes livres et de mon jardin, maintenant il faut continuer à vagabonder, et pour tout travail je me raconte (et plus tard à d’autres) ma vie, celle d’un Européen et d’un Juif dans cette époque.

stefan Zweig est né en 1881 à Vienne, en Autriche. Fils d’un riche indus-triel israélite, il peut mener ses études en toute liberté, et développe son goût pour la littérature, la philosophie et l’histoire. L’atmosphère cosmopolite de la Vienne impériale favorise chez lui la curiosité du vaste monde. il excelle dans les genres littéraires les plus divers : nou-velles, récits, essais, biographies. La Confusion des sentiments, Amok, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, Le Joueur d’échecs, l’ont rendu célèbre dans le monde entier. Profondément marqué par la mon-tée et les victoires du nazisme, effondré par l’anéantissement de ses rêves pacifistes et humanistes d’union des peuples, stefan Zweig se sui-cide avec sa femme à Petrópolis au Brésil en 1942 où ils s’étaient exilés.

né en 1962, Laurent seksik est médecin et écrivain. il est l’auteur de plusieurs romans, parmi lesquels La folle histoire (Lattès, 2002), La consultation (Lattès, 2005), Les derniers jours de Stefan Zweig (Flammarion, 2010) et La Légende des fils (Flammarion, 2011). il signe également l’adaptation théâtrale des Derniers jours de Stefan Zweig (Flammarion, 2012), créée au théâtre Antoine en 2012.

eXiLs Lundi 12 novembre / 20h

stefan Zweig, Lettre à Richard Beer-hoffmann, 11 juillet 1940

diffusion sur France inter le dimanche 25 novembre à 14h dans Cosmopolitaine

8 9 1939-Maresfield Gardens © DR

Sigmund Freuden présence de tobie nathantextes lus par didier sandre

Je suis né le 6 mai 1856 à Freiberg en Moravie, une petite bourgade de l’actuelle Tchécoslovaquie. Mes parents étaient juifs, je suis également resté juif. Pour ce qui est de ma famille paternelle, je crois savoir qu’elle a longtemps vécu au bord du Rhin (à Cologne), qu’à la suite d’une persécution des juifs elle s’est enfuie vers l’est au XIVe ou au XVe siècle et qu’au cours du XIXe siècle, elle a entrepris de réintégrer progressivement la partie allemande de l’Autriche à partir de la Lituanie, via la Galicie.

D’étranges nostalgies secrètes montent en moi, peut-être l’héritage de mes aïeux, pour l’Orient et la Méditerranée, et pour une vie d’une toute autre sorte. [...]

sigmund Freud est né en 1856 en Moravie (Autriche à l’époque, République tchèque aujourd’hui). Médecin, il s’est d’abord spécialisé dans l’anatomie et la physiologie du système nerveux. Après son stage à Paris dans le service de Charcot, il s’oriente davantage vers la psychopathologie et l’étude des névroses et notamment de l’hystérie. C’est en 1896 qu’apparaît pour la première fois dans un article en français le mot «psycho-analyse». Bien plus tard, en 1930, Freud reçoit le prix Goethe et la reconnaissance de l’Allemagne. Mais hitler se profile à l’horizon et en 1934, les nazis brûlent ses livres à Berlin. Freud est alors contraint à l’exil. il quitte Vienne en 1938 pour s’installer en Angleterre où il continue à traiter de rares patients. il meurt à Londres en 1939 d’un cancer de la mâchoire.

tobie nathan est né en égypte, au Caire, en 1948. il fait ses études en France et devient professeur de psychologie clinique et pathologique à l’université de Paris Viii. il crée la première consultation d’ethnopsy-chiatrie en France, en 1979, dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Avicenne de Bobigny. il fonde le Centre Georges-devereux en 1993, centre universitaire d’aide psychologique aux familles migrantes. il a fondé la première revue francophone d’ethno- psychiatrie, Ethnopsychiatrica. de 2004 à 2009, il a été conseiller de coo-pération et d’action culturelle auprès de l’ambassade de France en israël à tel Aviv puis en Guinée à Conakry jusqu’en 2011. il est aussi romancier.

eXiLs Lundi 26 novembre / 20h

sigmund Freud présenté par lui-même

sigmund Freud, Lettre à Ferenczi, 30 mars 1922

diffusion sur France inter le dimanche 30 décembre à 14h dans Cosmopolitaine

10 11© Sammlung Senta Lughofer

Joseph Rothen présence de Florence noivilletextes lus par Michel Vuillermoz, sociétaire de la Comédie-Française

Les auberges juives de la Hirtenstrasse à Berlin sont tristes, froides et silencieuses. Les restaurateurs juifs parisiens sont gais, chaleureux et bruyants. Il font tous de bonnes affaires. J’ai parfois mangé chez M. Weingrod. Il propose d’excellentes oies rôties. Il fait un bon schnaps, très fort. Il amuse les clients. Il dit à sa femme : «Donne-moi le livre de comptes, s’il vous plaît.» Et sa femme lui répond : «Allez le prendre sur le buffet, si vous voulez.» Ils parlent un charabia vraiment réjouissant.J’ai demandé à M. Weingrod : «Pourquoi êtes-vous venu à Paris ?» Et M. Weingrod de répondre : «Excusez-moi, monsieur, pourquoi pas à Paris ? En Russie on m’expulse ; en Pologne, on me met en prison et on ne me donne pas de visa pour l’Allemagne. Pourquoi ne serais-je pas venu à Paris ?» Monsieur Weingrod est un homme plein de courage, il a perdu une jambe, il a une prothèse et il est toujours de bonne humeur.

Joseph Roth est né à Brody en Galicie en 1894 dans une famille juive modeste de langue allemande. il mène une carrière de journaliste à Vienne, Berlin, Francfort, Paris, et une carrière de romancier. ses textes, nombreux et divers, sont marqués par un regard particulièrement lucide sur son époque et ses contemporains et la nostalgie d’un monde qui dis-paraît. opposant de la première heure au national-socialisme, il quitte l’Allemagne dès janvier 1933 pour s’exiler à Paris en 1934, où il meurt malade, alcoolique et sans argent en 1939.

Après un début de carrière dans la finance, Florence noiville se réoriente vers ce qui l’a toujours attirée, l’écriture et la littérature.elle devient journaliste, critique littéraire au Monde où elle travaille depuis 1994. Parallèlement, elle écrit. elle publie entre autres une bio-graphie : Isaac Bashevis Singer (stock, 2003) qui reçoit le Prix du récit biographique 2004. depuis 2007, elle anime «Le Monde des livres», une émission littéraire sur la chaîne de télévision LCi, et tient une chronique sur les livres de poche sur LCiRadio.

eXiLs Lundi 10 décembre / 20h

Joseph Roth, Juifs en errance(éd. du seuil, 2009)

diffusion sur France inter le dimanche 27 janvier à 14h dans Cosmopolitaine

12 13© DR

Bertolt Brechten présence de Gérard Mordillattextes lus par evelyne didi

Sur le sens du mot ÉmigrantJ’ai toujours trouvé faux le nom qu’on nous donnait : émigrantsLe mot veut dire expatriés ; mais nousNe sommes pas partis de notre gréPour librement choisir une autre terre ;Nous n’avons pas quitté notre pays pour vivre ailleurs, toujours s’il se pouvait.Au contraire nous avons fui. Nous sommes expulsés, nous sommes des proscritsEt le pays qui nous reçut ne sera pas un foyer mais l’exil.Ainsi nous sommes là, inquiets, au plus près des frontières,Attendant le jour du retour, guettant le moindre changementDe l’autre côté, pressant de questionsChaque nouveau venu, sans rien oublier, rien céder,Sans rien pardonner de ce qu’on a fait, sans rien pardonner. […]

Bertolt Brecht est né en 1898, fils d’un père catholique, dirigeant d’une fabrique de papier, et d’une mère protestante. il commence à écrire très tôt et en 1918 il rédige sa première pièce, Baal. La montée du nazisme le force à quitter l’Allemagne en 1933, où son œuvre est interdite et brûlée. il parcourt l’europe (danemark, Finlande, puis Russie), et après une tra-versée en bateau au départ de Vladivostok, il s’installe en Californie en 1941. Chassé des états-unis en 1947 en raison du maccarthysme, il se rend alors en suisse et s’installe définitivement à Berlin-est en 1948. en 1949, il fonde avec sa femme le Berliner ensemble. il meurt à Berlin d’un infarctus en 1956.

Gérard Mordillat est écrivain et cinéaste. il a publié de nombreux romans, parmi lesquels L’Attraction universelle, Les Vivants et les Morts, Notre part des ténèbres et tout dernièrement Ce que savait Jennie (éditions Calmann-Lévy). il a tourné une vingtaine de films : La Voix de son maître, Vive La Sociale !, En compagnie d’Antonin Artaud... Avec Jérôme Prieur, il est l’auteur de la trilogie documentaire sur les origines du christianisme Corpus Christi. Pour France 2 et Arte, il a écrit et réalisé l’adaptation de son roman Les Vivants et les Morts.

eXiLs Lundi 14 janvier / 20h

Bertolt Brecht, Poèmes de Svendborg, 1939 (éd. L’Arche, 1966)

diffusion sur France inter le dimanche 24 février à 14h dans Cosmopolitaine

14 15© Long Wharf Theatre

Samuel Becketten présence de nancy hustontextes lus par denis Podalydès, sociétaire de la Comédie-Française

[…] Plus qu’à repartir. Où changer encore. D’où trop tôt revenus. Changés pas assez. Étrangers pas assez. à tout le mal vu mal dit. Puis revenir encore. Faibles de ce qu’il faut pour en finir enfin. Avec elle ses cieux et lieux. Et si encore trop tôt repartir encore. Changer encore. Revenir encore. Sauf empêchement. Ah. Ainsi de suite. Jusqu’à pouvoir en finir enfin. Avec tout le fatras. Dans la nuit continue. La pierre partout. Donc d’abord partir [...]Absence meilleur des biens et cependant. Illumination donc repar-tir cette fois pour toujours et au retour plus trace. à la surface. De l’illusion. Et si par malheur encore repartir pour toujours encore. Ainsi de suite. Jusqu’à plus trace. à la surface. Au lieu de s’acharner sur place. Sur telle et telle trace. Encore faut-il le pouvoir. Pouvoir s’arracher aux traces. De l’illusion. Vite des fois que soudain oui adieu à tout hasard. Au visage tout au moins. D’elle tenace trace.

samuel Beckett est né en 1906 dans la banlieue de dublin. il s’installe à Paris en 1928 et devient lecteur d’anglais à l’école normale supérieure. il fait la connaissance de James Joyce avec qui il se lie d’amitié. il séjourne à Londres et écrit ses premiers romans qui sont refusés par les éditeurs britanniques. Pendant la seconde Guerre mondiale, Beckett participe à la Résistance en France. Après la guerre, il se consacre entièrement au théâtre et accède à la notoriété. il obtient le prix nobel de littérature en 1969. Beckett meurt à Paris en décembre 1989.

nancy huston est née en 1953 à Calgary en Alberta (Canada). Après le départ de sa mère, elle est élevée par son père aux états-unis. à vingt ans, elle arrive à Paris pour poursuivre ses études puis décide de s’y installer. Après avoir écrit un roman en anglais refusé par les éditeurs anglophones, elle décide d’écrire ses romans en anglais et français selon un principe de double écriture. elle est l’auteur de nombreux romans et essais publiés chez Actes sud, parmi lesquels Instruments des ténèbres (1996), L’Empreinte de l’ange (1998), Lignes de faille (2006, prix Femina), et Reflets dans un œil d’homme (2012).

eXiLs Lundi 4 février / 20h

samuel Beckett Mal vu mal dit (Les éditions de Minuit, 1981)

diffusion sur France inter le dimanche 31 mars à 14h dans Cosmopolitaine

16 17photo Roger Parry / © Gallimard

Marguerite Durasen présence de Philippe djiantextes lus par Anne Alvaro

La mère. Elle leur rappelait aussi que ce pays d’Indochine était leur patrie à eux, ces enfants-là, les siens. Que c’était là qu’ils étaient nés, que c’était là aussi qu’elle avait rencontré leur père, le seul homme qu’elle avait aimé. Cet homme qu’ils n’avaient pas connu parce qu’ils étaient trop jeunes quand il était mort, qu’elle ne leur en avait que très peu parlé pour ne pas assombrir leur enfance. Et aussi que le temps avait passé et que l’amour pour ses enfants avait envahi sa vie. Et puis la mère pleurait. Et puis Thanh chantait dans un langage inconnu l’histoire de son enfance à la frontière du Siam lorsque la mère l’avait trouvé et qu’elle l’avait ramené au bungalow avec ses autres enfants. Pour lui apprendre le français, elle disait, et être lavé, et bien manger, et ça chaque jour.Elle aussi, l’enfant, elle se souvenait, elle pleurait avec Thanh lorsqu’il chantait cette chanson qu’il appelait celle de «L’enfance lointaine» qui racontait tout ça qu’on vient de dire sur l’air de la Valse désespérée.

Marguerite donnadieu est née en 1914 dans la banlieue de saïgon. en 1923, sa mère, veuve, s’installe avec ses trois enfants dans le delta du Mékong. en 1932, alors qu’elle vient d’obtenir son baccalauréat, elle quitte saïgon et vient s’installer en France pour poursuivre ses études. en 1939, elle épouse Robert Antelme, avec qui elle s’engage dans la Résistance. elle publie Les Impudents, son premier roman, sous le pseudonyme de Marguerite duras en 1943 . son œuvre est considérable (cinéma, théâtre, articles de presse, romans et récits). elle obtient le prix Goncourt en 1984 avec L’Amant. elle meurt à Paris en mars 1996.

Philippe djian est né en 1949 à Paris d’un père d’origine juive et d’une mère issue d’une famille catholique. il a exercé de nombreux métiers : pigiste pour des journaux, employé dans un péage, magasinier, vendeur... son premier livre, 50 contre 1, paraît en 1981. Bleu comme l’enfer a été adapté au cinéma par Yves Boisset, et 37°2 le matin par Jean-Jacques Beineix. il a publié chez Gallimard en 2012 «OH...» ainsi qu’une nouvelle traduction du Retour de harold Pinter, créée par Luc Bondy à l’odéon-théâtre de l’europe.

eXiLs Lundi 15 avril / 20h

Marguerite duras, L’Amant de la Chine du Nord (éd. Gallimard, 1991)

diffusion sur France inter le dimanche 28 avril à 14h dans Cosmopolitaine

18 19© DR

Marina Tsvetaevaen présence de tzvetan todorov textes lus par Anouk Grinberg

Dis-tance : des verstes, des milliers...On nous a dis-persés, dé-liés,Pour qu’on se tienne bien : trans-plantésSur la terre à deux extrémités.

Dis-tance : des verstes, des espaces...On nous a dessoudés, déplacés,Disjoint les bras — deux crucifixions,Ne sachant que c’était la fusion

De talents et de tendons noués...Non désaccordés : déshonorés,Désordonnés...

née en 1892 à Moscou , fille d’un professeur d’université, Marina tsvetaeva commence à écrire dès l’âge de six ans. C’est en 1922 qu’elle part à l’étran-ger, afin de rejoindre son mari, ancien officier de l’armée blanche. ils vivent d’abord à Berlin, puis à Prague, avant de s’installer à Paris. ses rapports avec les écrivains russes en exil se détériorent et la pauvreté l’oppresse  ; elle écrit beaucoup mais n’est pas ou peu publiée. Après s’être dressée contre le fascisme, elle rentre en Russie en 1939 mais l’union des écrivains lui refuse son aide. évacuée avec son fils à elabuga, en République tatare, elle s’y suicide par pendaison en août 1941.

né en 1939 à sofia en Bulgarie, tzvetan todorov est à la fois philosophe, sémiologue, linguiste et historien. il obtient en 1963 un visa pour étudier en France et vit depuis à Paris. en 1968, il intègre le Centre de recherches sur les arts et le langage du CnRs, dont il deviendra directeur en 1987. dans L’homme dépaysé (éditions du seuil, 1998), il livre ses réflexions d’homme «arraché» à son milieu, déraciné, et interroge cet espace sin-gulier à la fois dedans et dehors.

Mur et trou de glaise.Écartés on nous a, tels deux aigles —

Conjurés : des verstes, des espaces...Non décomposés : dépaysés.Aux gîtes perdus de la planèteDéposés — deux orphelins qu’on jette !

Quel mois de mars, non mais quelle date ?!Nous a défaits, tel un jeu de cartes !

Marina tsvetaeva, Vivre dans le feu – Confessions, 24 mars 1925 (éd. Robert Laffont, 2005)

eXiLs Lundi 22 avril / 20h

diffusion sur France inter le dimanche 26 mai à 14h dans Cosmopolitaine

20 21

Nina Berberova en présence d’Andreï Makinetextes lus par dominique Reymond

Je suis libre de vivre où et comme je veux, de lire, de penser ce que je veux, d’écouter qui je veux. Je suis libre dans les rues des grandes villes lorsque, perdue dans la foule, je déambule sans but sous une pluie battante en marmonnant des vers, quand je me promène en forêt ou au bord de la mer dans une solitude bienheureuse, ber-cée par ma musique intérieure, quand je referme derrière moi la porte de ma chambre. Je choisis mes amis. Je suis heureuse que les énigmes de ma jeunesse aient été élucidées. Je ne fais jamais sem-blant d’être plus intelligente, plus belle, plus jeune, ni meilleure que je ne suis. Je vis au milieu d’un invraisemblable et indescriptible foisonnement de questions et de réponses et pour être tout à fait franche, les malheurs de mon siècle m’ont plutôt servi : la révolu-tion m’a libérée, l’exil m’a trempée, la guerre m’a projetée dans un autre monde.

née en 1901 d’un père arménien et d’une mère russe, nina Berberova gran-dit à saint-Pétersbourg dans le milieu de la bourgeoisie libérale. dès son enfance, elle écrit des poèmes. en raison des répressions systématiques contre l’intelligentsia russe, elle quitte la Russie en 1922 pour rejoindre son compagnon, le poète Khodassevitch. Le couple vit dans plusieurs villes européennes dont Berlin, avant de s’installer à Paris en 1925. La précarité due à son passeport d’apatride mais aussi la perte de «nourriture intel-lectuelle» la pousse à émigrer aux états-unis en 1950. elle y demeurera jusqu’à sa mort, survenue à Philadelphie en septembre 1993. son œuvre est publiée en France par Actes sud.

né à Krasnoïarsk en sibérie en 1957 de parents disparus probablement déportés, Andreï Makine passe son enfance et son adolescence dans un orphelinat sibérien. Boursier, il rédige une thèse sur la littérature française contemporaine à l’université de Moscou et à trente ans il s’installe à Paris. il obtient le prix Goncourt et le prix Médicis ex æquo pour son roman Le testament français (Mercure de France) en 1995. Le Goncourt lui vaut la nationalité française préalablement refusée.© DR

eXiLs Lundi 29 avril / 20h

nina Berberova, C’est moi qui souligne (éd. Actes sud, 1993)

diffusion sur France inter le dimanche 30 juin à 14h dans Cosmopolitaine

22 23

eXiLs Lundi 27 mai / 20h

© The Estate of Yousuf Karsh. All Rights Reserved.

Vladimir nabokov,L’exploit, 1931 (éd. Julliard 1981)

Vladimir Nabokoven présence de Lila Azam Zanganehtextes lus par nada strancar

[…] Il se dit que la vie lui avait réservé un drôle, bien drôle de sort ; il lui semblait n’avoir jamais quitté ce rapide, n’avoir fait que traîner de wagon en wagon.[…] Là, dans ce wagon-lit, son enfance a dû voyager, a dû frissonner en défaisant le bouton du rideau de cuir ; et, en s’aven-turant un peu plus loin le long du couloir bleu, on arrivait au wagon-restaurant où ses parents prenaient leur souper, et il y avait toujours sur la table la même fausse tablette de chocolat dans son enveloppe de papier violet, et au-dessus de la porte un ventilateur à hélice chatoyait au mieux d’un jardin de réclames. Juste à ce moment-là, comme en réponse à ses souvenirs, Martin aperçut à travers la fenêtre ce qu’il avait vu quand il était enfant : un collier de lumière dans le lointain, parmi les collines obscures. Il lui sembla que quelqu’un les faisait passer d’une main dans l’autre et les empochait.

né en 1899 dans une famille aristocratique, cultivée et libérale, Vladimir nabokov apprend très jeune les langues étrangères. La révolution russe met un terme à son adolescence dorée et sa famille doit quitter saint-Pétersbourg et se réfugier à Londres. diplômé de Cambridge en 1923, Vladimir nabokov s’installe à Berlin. Poussé par la montée du nazisme, il quitte l’Allemagne en 1936 pour Paris, Londres puis les états-unis, où il enseigne la littérature russe dans les meilleures universités. il est natu-ralisé américain en 1945. sa notoriété devient mondiale en 1958 avec la publication de Lolita. en 1959, il s’installe en suisse, dans un hôtel de Montreux, où il demeure jusqu’à sa mort en 1977.

enfant d’immigrés iraniens, fuyant la révolution de 1979, Lila Azam Zanganeh a grandi à Paris. normalienne, elle est envoyée à harvard, où elle enseigne la littérature, le cinéma et les langues romanes. elle écrit et vit aujourd’hui à new York. Fascinée par Vladimir nabokov depuis son enfance, elle a publié L’enchanteur. Nabokov et le bonheur (éditions de l’olivier, 2011), une promenade littéraire dans l’imaginaire de nabokov, entre essai et fiction.

diffusion sur France inter le samedi 6 juillet à 14h dans Cosmopolitaine

24 25photo Jacques Sassier © Gallimard

Emil Cioranen présence de stéphane Barsacqtextes lus par André Marcon

C’est à tort que l’on se fait de l’exilé l’image de quelqu’un qui abdique, se retire et s’efface, résigné à ses misères, à sa condition de déchet. à l’observer, on découvre en lui un ambitieux, un déçu agressif, un aigri doublé d’un conquérant. Plus nous sommes dépossédés, plus s’exacerbent nos appétits et nos illusions. Je discerne même quelque relation entre le malheur et la mégalomanie. Celui qui a tout perdu conserve comme dernier recours l’espoir de la gloire, ou du scandale littéraire. Il consent à tout abandonner, sauf son nom. Mais son nom, comment l’imposera-t-il, alors qu’il écrit dans une langue que les civilisés ignorent ou méprisent ?Va-t-il s’essayer à un autre idiome ? Il ne lui sera pas aisé de renoncer aux mots où traîne son passé. Qui renie sa langue, pour en adopter une autre, change d’identité, voire de déceptions. Héroïquement traître, il rompt avec ses souvenirs et, jusqu’à un certain point, avec lui-même.

emil Cioran est né en 1911 en transylvanie (alors Autriche-hongrie) d’un père pope orthodoxe et d’une mère athée. il a sept ans lorsque la transylvanie rejoint la Roumanie. il fait des études de philosophie à l’uni-versité de Bucarest dès l’âge de 17 ans. il étudie deux ans à Berlin, rentre en Roumanie puis arrive en France à la fin de l’année 1937 comme boursier de l’institut français de Bucarest. il ne reviendra jamais en Roumanie, où ses livres sont interdits par le régime communiste au pouvoir. Après la guerre, il écrit toute une partie de son œuvre en français, abandonnant totalement sa langue maternelle. il meurt à Paris en 1995.

né en 1972, stéphane Barsacq grandit à Moscou, dans une famille aux ramifications russes et françaises. Après ses études secondaires au Lycée Condorcet à Paris puis à l’université Paris-iV, il travaille comme grand reporter pour la presse écrite et publie dans de nombreuses revues (Europe, L’Infini, Commentaire…). il devient directeur littéraire à partir de 2001. il a publié Cioran, éjaculations mystiques, au seuil (2011).

eXiLs Lundi 24 juin / 20h

emil Cioran, Avantages de l’exil in La tentation d’exister (coll. quarto, éd. Gallimard)

diffusion sur France inter le dimanche 7 juillet à 14h dans Cosmopolitaine

26 27

sCènes iMAGinAiRes en coproduction avec

Blandine Masson commence à réaliser des fictions radiophoniques pour France Culture en 1996. depuis 2004, elle est conseillère de programmes pour la fiction. elle continue à réaliser des fictions ou des lectures en public, en particulier pen-dant le Festival d'Avignon.

Arnaud Laporte entre à France Culture en 1987 et s’est formé à la double école des Nuits Magnétiques et du Pays d’Ici. depuis 2000, il a produit et animé plusieurs magazines d’actualité culturelle quotidiens, d’abord en soirée, avec Multipistes et Culture Plus, puis pendant cinq saisons à la mi-journée avec Tout Arrive ! il produit et anime depuis septembre 2011 La Dispute.

Portraits de metteurs en scène européensde quoi est fait l’imaginaire d’un metteur en scène ?C’est la question que nous poserons à tous les metteurs en scène invités pour cette série de portraits, des portraits composés comme un puzzle, mêlant entretien et lectures.«qu’est-ce qu’on a lu et qu’est-ce qui nous reste de ces lectures ?» se demandait un jour Luc Bondy, dans un entretien pour France Culture. C’est à partir de cette question que se sont organisées les Scènes imaginaires.que font-ils, ces metteurs en scène, des livres qu’ils ont lus ? Comment ces lectures les ont-ils changés, formés ou déformés ? de quelle manière ces livres ou la mémoire de ces livres ont-ils pu influencer leurs mises en scène ?à travers une conversation et des extraits de livres qui leur sont chers, lus par des comédiens complices et choisis par les metteurs en scène eux-mêmes, nous tenterons des portraits impressionnistes de chacun de ces artistes.

Réalisés par Blandine MassonPréparés par Baptiste GuitonAnimés par Arnaud Laporte

Luc Bondy lundi 22 octobre

Alain Françon lundi 28 janvier

Patrice Chéreau lundi 25 mars

Peter stein lundi 8 avril

Joël Pommerat (sous réserve) lundi 10 juin

p. 29

p. 30

p. 31

p. 32

p. 33

Grande salle

28 29

sCènes iMAGinAiResLundi 22 octobre / 20h

Luc Bondy

LECTuRES

Toronto, de Luc Bondy, recueil de poèmes, éd. Zsolnay, Vienne, 2012.Traduction de Daniel Loayza. Lu en allemand par Bruno Ganz.

De passage, de John Cheever, nouvelle tirée de L’homme de ses rêves, éd. Joëlle Losfeld. Traduction de Laetitia Devaux.Lue par Pascal Greggory, Micha Lescot, Dominique Reymond.

Joseph Anton une autobiographie, de Salman Rushdie, éd. Plon. Traduction de Gérard Meudal.Lu par Pascal Greggory.

Ma vie, d’Anton Tchekhov, nouvelle, éd. Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade». Traduction d’Édouard Parayre, révision de Lily Denis. Lue par Dominique Reymond.

directeur des Wiener Festwochen depuis 2001 et de l’odéon-théâtre de l’europe depuis mars 2012, Luc Bondy est né en 1948 à Zurich. Après avoir fréquenté à Paris l’école de pantomime de Jacques Lecoq, il fait ses débuts au théâtre universitaire international. il a signé à ce jour une soixantaine de spectacles, d’abord en Allemagne (Wietkiewicz, Genet, Büchner, Fassbinder, ionesco, Goethe, Bond, ibsen, Botho strauss, Beckett, shakespeare...) puis dans le monde entier. en 1984, il met en scène Terre étrangère d’Arthur schnitzler au théâtre des Amandiers, que dirige Patrice Chéreau. un an plus tard, il succède à Peter stein à la direction de la schaubühne de Berlin. il est également metteur en scène d’opéra et a réalisé trois films. il est l’auteur de plusieurs livres, dont le dernier, La Fête de l’instant (édition revisitée), vient d’être publié par Actes sud/Académie expérimentale des théâtres.

diffusion sur France Culture le dimanche 4 novembre à 21h dans Théâtre et Compagnie

© DR

30 31

Patrice Chéreau

C’est je crois la seule chose importante pour un metteur en scène : travailler avec des écrivains qui soient ses contemporains, être à l’écoute des auteurs, à l’affût si je puis dire, chercher à collaborer avec eux. J’ai débuté en mettant en scène des textes classiques ou des textes chinois – très beaux au demeurant – et j’ai mis beaucoup de temps pour rencon-trer des écrivains contemporains. Puis il y a eu la rencontre avec Koltès qui a changé ma vie en ceci que j’avais la possibilité de lire le monde à travers la perspective d’un auteur. C’est-à-dire de quelqu’un qui avait un univers, une réflexion bien à lui et qui n’étaient pas les miens mais au service desquels j’ai eu envie de me mettre. Quelqu’un qui disposait d’un point de vue absolument irréductible – souvent plus rebelle que moi ! – sur le monde et son cours, sur les gens qu’il regardait et auxquels il savait donner la parole.

Après un passage au Piccolo teatro de Milan, Patrice Chéreau devient codirecteur du tnP de Villeurbanne en 1972. dix ans plus tard, il prend la direction du théâtre des Amandiers de nanterre, où il crée plusieurs pièces de Bernard-Marie Koltès. en 1983, L’Homme blessé le fait connaître des cinéphiles et obtient le César du meilleur scénario. Viennent ensuite La Reine Margot (prix du jury au Festival de Cannes de 1994) ou encore Intimité (ours d’or au Festival de Berlin 2001 et prix Louis-delluc) ; son dernier film, Persécution, est sorti en décembre 2009. Pour l’inauguration des Ateliers Berthier en 2003, Chéreau revient au théâtre en montant Phèdre, de Racine, avec dominique Blanc dans le rôle-titre. il la retrouve six ans plus tard pour La Douleur, de Marguerite duras ; la même année, il dirige Romain duris dans La Nuit juste avant les forêts, de Koltès. à l’opéra, Chéreau a notamment collaboré avec Pierre Boulez (Der Ring des Nibelungen, la tétralogie de Wagner à Bayreuth, De la maison des morts de Janácek) ou daniel Barenboim (Wozzeck de Berg, Don Giovanni de Mozart, Tristan et Isolde de Wagner) ; en juillet 2013, il mettra en scène Elektra, de strauss, au Festival d’Aix-en-Provence, sous la direction musi-cale d’esa-Pekka salonen.

sCènes iMAGinAiResLundi 25 mars / 20h

Patrice Chéreau, J’y arriverai un jour (Actes sud, coll. Le temps du théâtre, 2009)

1997-1998 LEXI/textes (théâtre national de la Colline/Les éditions de l’Amandier).

sCènes iMAGinAiResLundi 28 janvier / 20h

Alain Françon

Je continue de croire que toute représentation théâtrale est suscep-tible d’arracher un bout de sens au chaos du monde. Comment ne pas être déclaratif quand ce monde est devenu un immense abattoir et un égout à déverser du langage ? [...]Adorno a écrit que la poésie n’était plus possible après les bombes et les camps, elle l’est toujours, mais en enfer, avec les grands poètes qui sont nos guides parmi les ruines. J’entends les reproches de catastro-phisme, je lis que tout ça est noir, froid, sans générosité. Comme si le sens ne pouvait pas aller avec le plaisir et la jubilation !un des sophismes employés est de prétendre que les publics dépri-més ont besoin d’être divertis, doivent oublier. Je crois au contraire que le public a le droit d’accès à un théâtre ni simplifié, ni réduit, ni effroyablement réconfortant, à un théâtre qui produise des paradoxes et d’où l’on sorte en ayant «faim de changement».

Alain Françon est né à saint-étienne en 1945 où il découvre le théâtre grâce à Jean dasté. inscrit dans une école d’art lyonnaise, il y fait la connaissance d’André Marcon, Christiane Cohendy, evelyne didi, et fonde avec eux le théâtre éclaté en 1971 à Annecy. Françon y restera dix-huit ans, montant notamment Brecht, o’neill, ibsen, Kroetz, enzo Cormann, Michel Vinaver, Marie Redonnet... en 1989, il est nommé au Cdn de Lyon et un an plus tard, il prend la tête du Cdn de savoie. il y entame notamment sa longue explo-ration de l’œuvre d’edward Bond. à la Colline, qu’il dirige de 1996 à 2010, il met en scène une vingtaine de spectacles, essentiellement d’auteurs contemporains (Bond, danis, deutsch, durif, Mayenburg, Vinaver), mais aussi des textes d’ibsen, tchekhov, Gorki ou Feydeau. en 2010, il fonde sa propre compagnie, le théâtre des nuages de neige.

diffusion sur France Culture le dimanche 3 février à 21h dans Théâtre et Compagnie

diffusion sur France Culture le dimanche 31 mars à 21h dans Théâtre et Compagnie

32 33

sCènes iMAGinAiResLundi 10 juin / 20h

Joël Pommerat (sous réserve)

J’aime aussi que mes histoires soient improbables, tordues. Qu’elles ne tiennent pas vraiment debout comme on dit, au contraire qu’elles soient bancales et que ce soit un vrai tour de force ensuite qu’elles tiennent quand même debout sur le plateau. Rien n’est plus beau selon moi que l’équilibre précaire. J’aime que ça ne soit pas gagné d’avance, que ça ne tienne pas tout seul, que l’écriture des mots, l’écriture du texte ne révèlent pas tout, ne disent pas tout. Que tout ne soit pas joué d’avance. Parce que, dans le fond, mes histoires sont aussi des prétextes à révé-ler des instants, révéler de la présence, la présence qui est tout à la fois mystère et concret.

Joël Pommerat est né en 1963 à Roanne. il fonde en 1990 la compa-gnie Louis Brouillard et crée depuis ses propres textes parmi lesquels Au monde (créé en 2004 au tns avant de partir en tournée en France et à l’étranger), Les Marchands (tns, 2006 ; Grand prix de littérature dramatique, 2007). deux spectacles apportent à la compagnie Louis Brouillard deux Molières des compagnies consécutifs : Cercles / Fictions créé aux Bouffes du nord (2010) et Ma chambre froide créé aux Ateliers Berthier (ce dernier spectacle, qui vaut également à Pommerat le Molière 2011 de l’auteur francophone vivant et le prix europe nouvelles Réalités théâtrales, reçoit aussi le Grand prix du syndicat de la critique). Joël Pommerat est actuellement artiste associé à l’odéon-théâtre de l’europe et au théâtre national de Bruxelles. ses œuvres sont publiées chez Actes sud-Papiers.

Joël Pommerat, Théâtres en présence (Actes sud-Papiers, 2007)

Peter Stein

Il n’était pas dit que je devienne un homme de théâtre. Mais quand j’ai commencé à étudier la littérature et l’histoire de l’art à l’université, j’ai remarqué que je pouvais lire des textes de théâtre beaucoup plus facilement que mes collègues. Ils me demandaient toujours : qu’est-ce que cela veut dire ?Parallèlement, j’avais un certain talent pour imaginer les situations dans l’espace. C’est la base : il faut, si on lit une pièce, développer immé-diatement une vision spatiale en trois dimensions. D’une certaine manière, c’est très banal, le théâtre : c’est une action qui requiert au moins deux personnes – je déteste les monologues – qui agissent dans un moment coordonné du temps et de l’espace.Pour les comprendre, il faut avoir cette imagination. Quand on découvre qu’on l’a, on se sent unique dans un certain sens, ou au moins un peu spécial. Et on a envie d’explorer ce «talent».

né à Berlin en 1937, Peter stein a forgé sa réputation internationale au cours des années 1970 en prenant la direction artistique de la schaubühne am Lehninerplatz, à Berlin. Cofondateur de la schaubühne am halleschen ufer en 1970, il y travaille notamment avec Jutta Lampe, edith Clever, Bruno Ganz, signant des mises en scène d’ibsen, Kleist ou handke ainsi qu’une version historique de l’Orestie d’eschyle en 1980. en 1985, stein reprend sa liberté. de 1992 à 1997, il est responsable de la programmation théâtrale des salzburger Festspiele. à hanovre, pour l’expo 2000, il met en scène un Faust, en version intégrale, avec Bruno Ganz dans le rôle-titre. Parmi ses dernières mises en scène de théâtre : I Demoni, d’après dostoïevski (Ateliers Berthier, 2010) et Ödipus auf Kolonos de sophocle. il monte aussi des opéras. Peter stein vit aujourd’hui en italie.

sCènes iMAGinAiResLundi 8 avril / 20h

Propos recueillis par Brigitte salino, Le Monde (24 août 2005)

diffusion sur France Culture le dimanche 21 avril à 21h dans Théâtre et Compagnie

diffusion sur France Culture le dimanche 23 juin à 21h dans Théâtre et Compagnie

34 35

L’AMitié dAnGeReuse en coproduction avec

Raphaël enthoven enseigne la philosophie sur France Culture depuis neuf ans. Après avoir construit une bibliothèque orale de 2003 à 2006 dans le cadre de l’émission  Commentaires, il a produit et animé  les Nouveaux chemins de la connaissance de 2007 à 2011, tout en présentant l’émission Philosophie sur ARte. depuis septembre 2012, toujours sur France Culture, il anime Le Gai Savoir tous les dimanches. 

Par Raphaël enthovenAssisté de Julien tricard

Comment se fait-il que les philosophes aient si peu parlé d’amitié ? à quel malentendu doit-on un silence qui court, quasiment, de l’Antiquité jusqu’à Montaigne ? est-ce parce que l’amitié n’est pas une vertu chrétienne mais héritée du paganisme ? Parce que l’uni-versel n’est pas son affaire ? ou qu’une vertu sélective n’est pas une vertu ? et si l’amitié, cette évidence, ce communisme à deux, était plus dangereuse qu’on ne pense ? et si, loin d’être un amour pâle, elle délivrait la formule secrète d’un amour sans amour-propre ? C’est à ces questions, entre autres, que nous tenterons de ne pas répondre lors des six rencontres organisées au théâtre de l’odéon, en copro-duction avec France Culture selon le même dispositif que l’an der-nier : un invité spécialiste de l’auteur en question, deux lecteurs, un animateur, un public nombreux et une diffusion sur France Culture.

Rediffusions radiophoniques. dates communiquées ultérieurement sur theatre-odeon.eu

Montaigne / La Boétie samedi 19 janvier

avec Pierre Magnard lectures par Georges Claisse et Jean-Louis Jacopin

Platon samedi 9 février

avec dimitri el Murrlectures par Georges Claisse et Julie-Marie Parmentier

sartre / Aron samedi 23 mars

avec Frédéric Worms lectures par Georges Claisse et Jean-Louis Jacopin

Aristote samedi 23 février

avec Francis Wolfflectures par Julie-Marie Parmentier

diderot / Rousseau samedi 20 avril

avec Raymond troussonlectures par Georges Claisse et Guillaume Gallienne (sous réserve)

Camus / Char samedi 6 avril

avec Agnès spiquel et Franck Planeillelectures par Georges Claisse et Marion Richez

p. 36

p. 36

p. 37

p. 38

p. 38

p. 39

Grande salle

36 37

Montaigne / La Boétieavec Pierre Magnard lectures par Georges Claisse et Jean-Louis Jacopin

Montaigne, La Boétie et le deuil de soi«Parce que c’était lui, parce que c’était moi» : quelle définition de l’amitié recouvre le plus bel alexandrin de la pensée française ?

Pierre Magnard est un philosophe et Professeur de philosophie émérite à la Sorbonne, lauréat du Grand Prix de Philosophie de l’Académie Française. Très influencé par l’humanisme de la Renaissance et par la figure de Dieu dans la métaphysique classique, il a produit une œuvre reconnue d’élucidation de l’histoire de la pen-sée occidentale et française. Sa contribution essentielle aux lectures et compréhensions contemporaines de Montaigne, et son immense talent de pédagogie et de clarté, en font l’interlocuteur idéal pour évo-quer la relation d’une amitié si singulière entre Montaigne et La Boétie.

Platonavec dimitri el Murrlectures par Georges Claisse et Julie-Marie Parmentier

Platon, ou l’impossible amitiéL’amitié est-elle impossible si elle naît de la contrariété ?

Dimitri El Murr est agrégé de philosophie et Maître de conférences en Histoire de la philosophie antique à la Sorbonne. Il est devenu en quelques années une référence incontournable des études platoni-ciennes et des lectures des dialogues du grand Platon. Son érudition et sa clarté rendront l’élucidation de la philia, ou l’amitié grecque, aussi passionnante que profonde.

Sartre / Aronavec Frédéric Worms lectures par Georges Claisse et Jean-Louis Jacopin

sartre et Aron : l’amitié à l’épreuve de l’opinion«Mon petit camarade, pourquoi as-tu si peur de déconner ?» La question, de sartre à Aron, résume peut-être le lien qui unit ces deux philosophes, suffisamment différents pour devenir amis dans les années 1920, mais trop pour le rester dans un monde bipolaire où chacun, après 1947, fut sommé de choisir entre l’est et l’ouest.

Frédéric Worms est philosophe et Professeur de philosophie à Lille. Il propose une vision originale de la philosophie française du XXe siècle, qui fait se rencontrer des thèmes généraux de philosophie (la vie, l’existence, la liberté) avec la particularité des configurations et des contextes historiques. Il viendra donc évoquer la façon dont la relation entre Sartre et Aron s’inscrit dans la guerre froide, et com-ment est tombé entre leur deux pensées ce rideau imperméable d’idées.

pho

to J

acq

ues

Ro

ber

t ©

Gal

limar

d

pho

to J

acq

ues

sas

sier

© G

allim

ard

samedi 9 février / 15h

samedi 23 mars / 15h

L’AMitié dAnGeReuse L’AMitié dAnGeReuse

samedi 19 janvier / 15h

38 39

Aristoteavec Francis Wolfflectures par Julie-Marie Parmentier

Aristote et Philiaun homme heureux a-t-il besoin d’amis ? L’amitié entre inégaux est-elle pensable ? Comment passe-t-on de l’amour de soi au bien-être d’autrui ?

Francis Wolff est philosophe et Professeur de philosophie à l’École Normale Supérieure, spécialiste de philosophie antique. Depuis des années, son engagement pour le renouvellement de la «philosophie générale» l’a conduit à ériger la simplicité des idées et la force des argu-ments en une méthode philosophique redoutablement efficace. Fin connaisseur de la métaphysique et de la politique d’Aristote, il saura reconstruire avec nous sa pensée et sa pratique de l’amitié.

samedi 23 février / 15h

Diderot / Rousseauavec Raymond troussonlectures par Georges Claisse et Guillaume Gallienne, sociétaire de la Comédie-Française (sous réserve)

diderot et Rousseau : touche pas à mon antipode !«il n’y a que le méchant qui soit seul» écrit un jour diderot en pensant à son ancien ami. Mais comment le plus joyeux et le plus mélancolique des hommes ont-ils pu, auparavant, être les meilleurs amis du monde ?

Raymond Trousson est Professeur à l’université libre de Bruxelles et membre de l’Académie royale de langue et de littérature fran-çaise de Belgique. Il est, depuis le début des années 1960, celui qui remit au goût du jour la thématologie, c’est-à-dire l’étude de la résur-gence des thèmes dans l’histoire littéraire et philosophique. Spécia-liste du Siècle des Lumières, il connaît comme ses amis les esprits de Rousseau et de Diderot, et nous expliquera comment leur his-toire au demeurant assez simple peut engager de lourds problèmes philosophiques.

samedi 20 avril / 15h

Camus / Charavec Agnès spiquel et Franck Planeille lectures par Georges Claisse et Marion Richez

Camus et Char : versions du soleilLe dernier chapitre de L’homme révolté d’Albert Camus ne se comprend vraiment qu’à la lumière de Fureur et mystère de René Char. et pour cause : il est normal «quoique merveilleux» que deux amis solaires finissent par s’éclairer l’un l’autre.

Agnès Spiquel est Professeur de littérature à l’université de Valen-ciennes et Présidente de la Société des études camusiennes. Ardente défenderesse de la singularité et de l’irréductibilité de Camus, elle dialoguera avec Franck Planeille, à qui l’on doit l’édition de la corres- pondance entre Camus et Char. Leur talent et leur complicité ren-dront vivante et fertile l’évocation de cette amitié poétique et poli-tique, empreinte de transformation mutuelle.

© C

olle

ctio

n G

allim

ard

pho

to J

acq

ues

Ro

ber

t ©

Gal

limar

d

samedi 6 avril / 15h

L’AMitié dAnGeReuse L’AMitié dAnGeReuse

40 41

Rendez-vous philosophiques

Animé par Jean-Marie durandà quoi peuvent donc servir la philosophie et de manière plus large les sciences humaines. dans nos sociétés et notre époque de plus en plus complexes, formuler les questions, penser et comprendre le monde, éclairer le sens de nos existences, est quelque chose d’essen-tiel. dans cette perspective, les Rendez-vous philosophiques donne-ront à entendre la parole d’auteurs engagés dans cette démarche avec comme promesse, selon la belle formule de sébastien Charbonnier : «que peut la philosophie ? être le plus nombreux possible à penser le plus possible».

Jean-Christophe Bailly / Le Dépaysement jeudi 25 octobre eva illouz / Pourquoi l’amour fait mal jeudi 15 novembre Michaël Fœssel / Après la fin du monde jeudi 20 décembre Gérard Genette / Apostille jeudi 24 janvier Fabrice Midal / Auschwitz, l’impossible regard jeudi 21 févrierBernard sève / L’instrument à l’œuvre jeudi 21 mars

Pourquoi aimez-vous ?

Animé par daniel LoayzaParce que la littérature d’aujourd’hui se nourrit de celle d’hier, la GF a interrogé des écrivains contemporains sur leur «classique préféré». à travers l’évocation intime de leurs souvenirs et de leur expérience de lecture, ils nous font partager leur amour des lettres, et nous laissent entrevoir ce que la littérature leur a apporté. Ce qu’elle peut apporter à chacun de nous, au quotidien.

Mathias énard / Joseph Conrad mardi 20 novembre Christian Garcin / honoré de Balzac mardi 18 décembrePhilippe Jaenada / denis diderot mardi 22 janvier Laurent seksik / stefan Zweig mardi 19 février Philippe Forest / Marcel Proust mercredi 27 mars olivier Rolin / homère mardi 23 avril

p. 42 à 47

p. 48 à 53

p. 54 à 56

salon Roger Blin

en partenariat avec

Vingt ans de lectures avec Folio théâtre

Animé par Jean-Yves tadiéné en 1993, «Folio théâtre» se voue à l’édition des plus grandes pièces classiques et contemporaines du répertoire français et étranger. Le catalogue compte aujourd’hui 134 titres avec une majorité d’auteurs du XXe siècle. si le théâtre français est très présent, la scène anglo-saxone, et les théâtres de langue allemande, italienne, espagnole et russe figurent en bonne place. Ces vingt ans d’édition seront célébrés à l’odéon avec six textes choisis pour leur lien avec l’exil.

sophocle / Antigone mardi 15 janvier James Joyce / Exils mardi 5 févrierPaul Claudel / L’échange mardi 2 avril William shakespeare / Le Marchand de Venise mardi 16 avrilAlbert Camus / Le Malentendu mardi 4 juin Luigi Pirandello / Henri IV mardi 25 juin

Les diX-huit heuResde L’odéon

Le salon Roger Blin, créé à la fin du XiXe siècle, à l'origine un petit foyer ouvert sur le grand foyer du théâtre, est aujourd'hui dédié aux lectures et aux discussions littéraires et philoso-phiques inscrites dans le cadre des Bibliothèques de l'Odéon. en 1967, Jean-Louis Barrault avait fait transformer cet espace en un «laboratoire pour textes inédits, un théâtre intime pour création d’œuvres nouvelles», baptisé pour l'occasion Petit odéon. C'est en 1984 qu'il prend le nom de salle Roger Blin, en hommage à celui qui fut à l'odéon un immense artisan du théâtre. C'est lors des derniers travaux de rénovation (2002-2006) que l'architecte a décidé la remise en l'état du foyer public. ses quatre-vingt places en font l’espace idéal pour accueillir l’actualité des maisons d’édition et des auteurs, dans un quartier où la littérature a toujours occupé une place essentielle.

42 43

© h

erm

ance

tri

hay

© s

usan

ne s

chle

yer

Jean-Christophe Bailly

Le Dépaysement Voyages en France

«Qu’est-ce qui, de la France, résonne en moi ? Qu’est-ce qui fait que, à ce pays, je me sens appartenir ?».Porteur de cette interrogation délicate et profonde qu’une récente actualité politique a malheureusement enlaidie, l’auteur a entrepris toutes sortes de petits voyages en France, dans des endroits où il sentait devoir aller, parfois historiques (Bibracte, Varenne, Verdun…), parfois poétiques (un fleuve, une rivière, la ferme où habita Rimbaud…), tantôt dans des villes (Nîmes, Arles, Beaugency, Lorient…), ou encore le long d’un parcours en train, ou d’une frontière. Ce peut être aussi une acti-vité industrielle, un lieu utopique, un jardin, la source de la Loue… Ce que Bailly cherche à dire, c’est une forme de bonheur dans une France qui ne s’enracine pas, mais qui produit les signes parfois anciens de sa mémoire collective et des plis ou replis de son territoire.C’est un livre de traces, de souvenirs personnels ou empruntés ; c’est un pays avec ses façons de faire, ses pénétrations étrangères qui parti-cipent elles aussi à une culture. C’est un vivre ensemble, qui accueille ou rejette. Non pas une nostalgie, mais un recueil de temps, de lieux, de parcours, de vies.

Eva Illouz

Pourquoi l’amour fait malL’expérience amoureuse dans la modernité

Qu’est-il arrivé à l’amour dans les sociétés modernes ? Tout le monde a fait dans sa vie l’expérience de la souffrance amou-reuse, s’identifiant parfois aux héros ou héroïnes de la littérature, de Madame Bovary aux personnages de Jane Austen. Pourtant, si le mal d’amour a toujours existé, il y a une manière spécifiquement moderne d’aimer et de souffrir de l’amour, que le livre d’Eva Illouz entend comprendre et éclairer.à partir de nombreux témoignages et d’exemples issus de la culture populaire, elle dresse le portrait de l’individu contemporain et de son rapport à l’amour, de son fantasme d’autonomie et d’épanouis-sement personnel, ainsi que des pathologies qui lui sont associées : narcissisme, incapacité à choisir, refus de s’engager, évaluation permanente de soi et du partenaire, psychologisation à l’extrême des rapports amoureux, tyrannie de l’industrie de la mode et de la beauté, marchandisation de la rencontre (internet, sites de rencontre), etc. Tout cela dessine une économie émotionnelle et sexuelle propre à la modernité qui laisse l’individu désemparé, pris entre une hyper-émotivité paralysante et un cadre social qui tend à standardiser, dépassionner et rationaliser les relations amoureuses.un grand livre de sciences sociales sur le destin de l’amour dans les sociétés modernes.

Jean-Christophe Bailly est un auteur indéfinissable, à la croisée de l’histoire, de l’histoire de l’art, de la philosophie et de la poésie. il est auteur entre autres de Le propre du lan-gage (1997), Basse continue (2000), Le champ mimétique (2005), L'instant et son ombre (2008) parus aux éditions du seuil.

eva illouz est profes-seur de sociologie à la hebrew university de Jérusalem. elle est l’auteur de nom-breux livres, parmi lesquels Les senti-ments du capita-lisme, paru au seuil en 2006.

Les diX-huit heuRes de L’odéonRendeZ-Vous PhiLosoPhiquesJeudi 25 octobre / 18h

Les diX-huit heuRes de L’odéonRendeZ-Vous PhiLosoPhiquesJeudi 15 novembre / 18h

44 45

©  u

lf A

nder

sen

Gérard Genette

«Apostille. Si j’en crois mon dictionnaire habituel, ce nom provient, par dérivation à rebours, du (plus ancien) verbe apostiller, qui signifie «ajouter par après (postea)». une apostille c’est donc simplement, comme le savent au moins depuis 1983 les lecteurs d’umberto Eco, ce qu’il arrive qu’on fasse quand on apostille. Étymologiquement, donc, la poste n’y est pour rien, ni les postillons de tous acabits, quoi qu’en puisse suggérer l’homophonie...»

Après Bardadrac et Codicille, l’auteur livre avec Apostille le troisième volume de son abécédaire personnel. une succession de souvenirs et de pensées qui se bousculent entre un point de vue politique, une rêverie musicale ou un avis littéraire – Flaubert, Stendhal, Proust ont une place de choix et viennent scander ce récit à tiroirs.Tout est servi avec délicatesse et élégance quand il s’agit des autres et avec dérision ou pudeur quand il s’agit de soi-même. L’humour n’est pas en reste et s’inscrit comme un des dénominateurs communs de ces petites chroniques parfois nostalgiques et souvent incisives.

Gérard Genette est né à Paris en 1930. Visiting profes-sor à la new York university, ancien directeur d’études de l’école des hautes études en sciences sociales, il dirige la collection «Poétique» aux éditions du seuil. il est l’auteur de Bardadrac (2006) et Codicille (2009), publiés au seuil.

© e

mm

anue

lle M

arch

ado

ur

Michaël Fœssel

Comment résister au catastrophisme ?

Notre temps est, dit-on, celui des catastrophes. Sur les nouveaux fronts de l’écologie, du changement climatique ou de la menace nucléaire, les idéologies du progrès ont cédé la place à l’angoisse.Michaël Fœssel interprète les peurs apocalyptiques actuelles à partir des expériences contemporaines où les sujets se sentent dépossédés du monde : triomphe de la technique sur l’action, du capital sur le travail, du besoin sur le désir. Pour cela, il propose une généalogie de l’idée de «fin du monde» qui distingue deux voies de la modernité : celle qui privilégie la vie et sa conservation, aujourd’hui à l’œuvre dans la plupart des conceptions écologiques et précautionneuses du réel ; celle qui fait du monde le thème principal de la philosophie en même temps qu’un enjeu politique de premier ordre.Nous sommes désormais face à une alternative : perpétuer la vie ou édifier un monde. Les théories de la catastrophe ne se soucient plus de savoir quel monde mérite d’être défendu. En ce sens, le fait que la fin du monde a déjà eu lieu est une bonne nouvelle : cela nous invite à inventer des espaces pour l’action et à fonder un nouveau cosmopolitisme.

Michaël Fœssel, né en 1974, est philosophe, maître de conférences à l’université de Bourgogne et membre de l’institut universitaire de France. il est notam-ment l’auteur de Kant et l’équivoque du monde (CnRs éditions, 2008), de La privation de l’intime (seuil, 2008) et d’état de vigilance. Critique de la banalité sécu-ritaire (Le Bord de l’eau, 2010).

Les diX-huit heuRes de L’odéonRendeZ-Vous PhiLosoPhiquesJeudi 20 décembre / 18h

Les diX-huit heuRes de L’odéonRendeZ-Vous PhiLosoPhiquesJeudi 24 janvier / 18h

Critique de la raison apocalyptiqueAprès la fin du monde Apostille

textes lus par david Botbol

46 47

© A

stri

d d

i Cro

llala

nza

© d

R

Fabrice Midal

Auschwitz,l’impossible regard

«Auschwitz n’est pas figurable, il n’y a aucune leçon à en tirer. Je crois que seule la poésie peut nous l’apprendre.»Auschwitz est comme un trou dans notre histoire, au-delà même d’une tragédie, si l’on donne à ce terme les connotations nobles et élevées qu’on lui associe d’ordinaire. Dès lors, la question, pour nous tous, est de savoir dans quel espace nous pouvons vivre si nous acceptons d’ «habi-ter cette catastrophe», si, au lieu de vouloir l’intégrer dans un ordre quelconque en tentant d’en tirer des leçons, nous la vivons comme indépassable.Ce livre passe en revue les catégories devenues classiques pour analyser la Shoah : génocide, banalité du mal, devoir de mémoire... Il les critique toutes. Il ne les refuse pas, mais s’efforce, respectueusement, d’en mon-trer les limites. Par sa seule existence, la Shoah récuse d’une manière abyssale nombre de présupposés de la tradition philosophique et poli-tique occidentale : par exemple la représentation de l’homme comme «animal raisonnable» et l’opposition entre cette rationalité et des pas-sions qu’il faudrait dompter. Elle nous oblige à reconsidérer l’histoire de l’Occident, et à repenser l’homme.Si le sol de nos certitudes est ainsi ébranlé d’une manière décisive, dans quelle «maison» pouvons-nous vivre désormais ? Fabrice Midal nous fait entendre la parole de Nelly Sachs et de Paul Celan : la «cabane» dans laquelle nous séjournerons ne pourra plus annuler notre exil.

Bernard Sève

L’instrument à l’œuvre

à quelques exceptions près (Hegel, K. Levinson, St. Davies), l’instru-ment de musique est le grand oublié des philosophies de la musique (qui privilégient, pour des raisons complexes, la voix humaine). Or l’instrument de musique présente une originalité unique : il ne doit être confondu ni avec l’accessoire de théâtre ni avec un outil artistique (comme le pinceau du peintre), ni avec une machine (la caméra), lesquels n’ont plus à être utilisés quand l’œuvre est ache-vée. L’usage de l’instrument de musique est coextensif à l’existence actuelle et complète de l’œuvre musicale (écrite ou improvisée). La musique est, en ce sens, le seul art qui use d’instruments. C’est à la lumière de cette thèse que j’entends penser l’instrument, la musique, et, d’une certaine façon, les autres arts (qui ne se servent pas d’instruments à la façon de la musique). Mais c’est bien la musique et ses instruments qui sont au cœur du livre. L’humanité dispose, dans les milliers d’instruments de musique qu’elle a inventés, d’un extraordinaire archivage matériel de ses techniques, des formes de sa sensibilité, de ses croyances et de ses rêves. Le livre entend faire droit à cette richesse, qu’il entend penser philosophiquement. C’est-à-dire penser le statut ontologique et esthétique de l’instrument de musique, dans son lien notamment avec la question de l’écriture, du temps musical, de la technique, de l’histoire, de l’interprétation, de l’ontologie de l’œuvre musicale.

docteur en philoso-phie, Fabrice Midal est le fondateur de l’école occidentale de méditation.il est par ailleurs éditeur, dirigeant deux collections aux éditions Belfond et Pocket. il est l’auteur de plusieurs ouvrages marquants dont Risquer la liberté (seuil, 2009) et Pourquoi la poé-sie ? (Pocket, 2010).

Bernard sève est professeur d’esthétique et de philosophie de l’art à l’université Lille-3. il a, entre autres, publié La Question philosophique de l’existence de Dieu (PuF, 1994, 2ème édition revue, 2000) ; L’Altération musicale, ou ce que la musique apprend au philosophe (seuil, collection Poétique, nouvelle édition 2013) ; Montaigne. Des règles pour l’esprit (PuF, col-lection Philosophie d’aujourd’hui, 2007).  

Les diX-huit heuRes de L’odéonRendeZ-Vous PhiLosoPhiquesJeudi 21 février / 18h

Les diX-huit heuRes de L’odéonRendeZ-Vous PhiLosoPhiquesJeudi 21 mars / 18h

48 49

© M

elan

ia A

vanz

ato

/ o

pal

e /

Flam

mar

ion

© W

iti d

e te

ra /

op

ale

/ Fl

amm

ario

n

Mathias Énard

Au cœur des ténèbres

La destinée. Ma destinée ! C’est une drôle de chose que la vie – ce mysté-rieux arrangement d’une logique sans merci pour un dessein futile. Le plus qu’on puisse en espérer, c’est quelque connaissance de soi-même – qui vient trop tard –, une moisson de regrets inextinguibles. J’ai lutté contre la mort. C’est le combat le plus terne qu’on puisse imaginer. Il se déroule dans une grisaille impalpable, sans rien sous les pieds, rien alentour, pas de spectateurs, pas de clameurs, pas de gloire, sans grand désir de victoire, sans grande peur de la défaite, sans beaucoup croire à son droit, encore moins à celui de l’adversaire – dans une atmosphère écœurante de scepticisme tiède. Si telle est la forme de l’ultime sagesse, alors la vie est une plus grande énigme que ne pensent certains d’entre nous.J’étais à deux doigts de la dernière occasion de me prononcer, et je découvris, déconfit, que probablement je n’aurais rien à dire. C’est pour cela que j’atteste que Kurtz fut un homme remarquable. Il avait quelque chose à dire. Il le dit. Depuis que j’avais moi-même risqué un œil par-dessus le bord, j’ai mieux compris le sens de ce regard fixe, qui ne voyait pas la flamme de la bougie, mais qui était assez ample pour embrasser tout l’univers, assez perçant pour pénétrer tous les cœurs qui battent dans les ténèbres. Il avait résumé – il avait jugé. « L’Horreur !»

Au cœur des ténèbres

Christian Garcin

Le Colonel Chabert

Savez-vous, mon cher, reprit Derville après une pause, qu’il existe dans notre société trois hommes, le Prêtre, le Médecin et l’Homme de justice, qui ne peuvent pas estimer le monde ? Ils ont des robes noires, peut-être parce qu’ils portent le deuil de toutes les vertus, de toutes les illusions. Le plus malheureux des trois est l’avoué. (...)Nous autres avoués, nous voyons se répéter les mêmes sentiments mauvais, rien ne les corrige, nos études sont des égouts qu’on ne peut pas curer. Combien de choses n’ai-je pas apprises en exerçant ma charge ! J’ai vu mourir un père dans un grenier, sans sou ni maille, abandonné par deux filles auxquelles il avait donné quarante mille livres de rente ! J’ai vu brûler des testaments ; j’ai vu des mères dépouil-lant leurs enfants, des maris volant leurs femmes, des femmes tuant leurs maris en se servant de l’amour qu’elles leur inspiraient pour les rendre fous ou imbéciles, afin de vivre en paix avec un amant. J’ai vu des femmes donnant à l’enfant d’un premier lit des goûts qui devaient amener sa mort, afin d’enrichir l’enfant de l’amour. Je ne puis vous dire tout ce que j’ai vu, car j’ai vu des crimes contre lesquels la justice est impuissante. Enfin, toutes les horreurs que les romanciers croient inventer sont toujours au-dessous de la vérité.

Le Colonel Chabert

né en 1972, Mathias énard a étudié le persan et l’arabe et fait de longs séjours au Moyen-orient. il vit à Barcelone. il est notamment l’auteur de cinq romans parus chez Actes sud : La Perfection du tir (2003), Remonter l’Oré-noque (2005), Zone (2008), Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants (2010), et Rue des voleurs (2012).

né en 1959, Christian Garcin est l’auteur de plusieurs romans, parmi lesquels Le Vol du pigeon voyageur (Gallimard, 2000), La Jubilation des hasards (Gallimard, 2005), La Piste mongole (Verdier, 2009) et Des femmes dis-paraissent (Verdier, 2011), de récits de vies (Vidas et Vies volées, Gallimard, «Folio», 2007), de nouvelles, de poèmes, de récits de voyages et d’es-sais sur la peinture et la littérature.

Les diX-huit heuRes de L’odéon Les diX-huit heuRes de L’odéonPouRquoi AiMeZ-Vous ? PouRquoi AiMeZ-Vous ?Mardi 20 novembre / 18h Mardi 18 décembre / 18 h

Joseph Conrad Honoré de Balzac

50 51

© h

anna

h A

sso

ulin

e /

op

ale

/ Fl

amm

ario

n

Gér

ard

ufé

ras

© F

lam

mar

ion

Philippe Jaenada

Jacques le Fataliste

Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe. D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.LE MAÎTRE : C’est un grand mot que cela.JACQuES : Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d’un fusil avait son billet.LE MAÎTRE : Et il avait raison...Après une courte pause, Jacques s’écria : «Que le diable emporte le cabaretier et son cabaret !»LE MAÎTRE : Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n’est pas chrétien.JACQuES : C’est que, tandis que je m’enivre de son mauvais vin, j’oublie de mener nos chevaux à l’abreuvoir. Mon père s’en aperçoit ; il se fâche. Je hoche de la tête ; il prend un bâton et m’en frotte un peu durement les épaules. un régiment passait pour aller au camp devant Fontenoy ; de dépit je m’enrôle. Nous arrivons ; la bataille se donne.LE MAÎTRE : Et tu reçois la balle à ton adresse.

Jacques le Fataliste et son maître

Laurent Seksik

Vingt-quatre heures de la vie d’une femme

Il n’y a que le premier pas qui coûte. Voilà deux jours que je me pré-pare à être parfaitement claire et franche : j’espère y parvenir. Vous ne concevez toujours pas, peut-être, que je vous raconte tout cela à vous qui ne m’êtes rien, mais il ne se passe pas un jour, pas une heure sans que je pense à cet événement précis et, croyez-en une vieille dame, c’est insupportable de rester toute sa vie figée dans le souvenir d’un unique épisode, d’une unique journée. Tout ce que je vais vous raconter, en effet, tient sur à peine vingt-quatre heures de mes soixante-sept années, et, je me le suis dit et redit je ne sais combien de fois, qu’est-ce qu’un seul instant d’égarement dans toute une vie ? Mais la «conscience», selon le terme si contestable dont nous la désignons, est une chose dont on ne se débarrasse pas, et en vous entendant parler sans préventions du cas Henriette, j’ai pensé que ce ressassement absurde, cette autofla-gellation permanente prendraient peut-être fin si j’arrivais à évoquer librement cette journée de ma vie devant quelqu’un. Si je n’étais pas anglicane mais catholique, il y a longtemps que la confession m’aurait donné l’occasion de me soulager en mots ; mais cette consolation nous est refusée, d’où l’étrange tentative à laquelle je me livre aujourd’hui : m’absoudre moi-même, en vous prenant pour confident. Oui, tout cela est très étrange, je sais, mais vous avez accepté ma proposition sans hésiter et je vous en remercie.

Vingt-quatre heures de la vie d’une femme

né en 1964, Philippe Jaenada est romancier. il est notamment l’auteur, chez Julliard, du Chameau sau-vage (1997), et, chez Grasset, du Cosmonaute (2002), de Vie et mort de la jeune fille blonde (2004), de Plage de Manaccora, 16h30 (2009), et de La femme et l’ours (2011).

né en 1962, Laurent seksik est médecin et écrivain. il est l’auteur de plusieurs romans, parmi les-quels La folle histoire (Lattès, 2002), La consulta-tion (Lattès, 2005), Les derniers jours de Stefan Zweig (Flammarion, 2010) et La Légende des fils (Flammarion, 2011). il a également signé l’adapta-tion théâtrale des Derniers jours de Stefan Zweig (Flammarion, 2012), mise en scène par Gérard Gelas au théâtre Antoine en 2012.

Les diX-huit heuRes de L’odéon Les diX-huit heuRes de L’odéonPouRquoi AiMeZ-Vous ? PouRquoi AiMeZ-Vous ?Mardi 22 janvier / 18h Mardi 19 février / 18h

Denis DiderotStefan Zweig

52 53

© B

asso

Can

nars

a /

op

ale

/ Fl

amm

ario

n

© B

eow

ulf

she

ehan

/ P

en

/ o

pal

e /

Flam

mar

ion

Philippe Forest

un amour de Swann

Mais tandis que, une heure après son réveil, il donnait des indications au coiffeur pour que sa brosse ne se dérangeât pas en wagon, il repensa à son rêve ; il revit comme il les avait sentis tout près de lui, le teint pâle d’Odette, les joues trop maigres, les traits tirés, les yeux battus, tout ce que – au cours des tendresses successives qui avaient fait de son durable amour pour Odette un long oubli de l’image première qu’il avait reçue d’elle – il avait cessé de remarquer depuis les premiers temps de leur liaison dans lesquels sans doute, pendant qu’il dormait, sa mémoire en avait été chercher la sensation exacte. Et avec cette muflerie intermit-tente qui reparaissait chez lui dès qu’il n’était plus malheureux et que baissait du même coup le niveau de sa moralité, il s’écria en lui-même : «Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre! »

Un amour de Swann

Olivier Rolin

L’Iliade

Chante la colère, déesse, du fils de Pelée, Achille, colère funeste, qui causa mille douleurs aux Achéens, précipita chez Hadès mainte âme forte de héros, et fit de leurs corps la proie des chiens et des oiseaux innombrables : la volonté de Zeus s’accomplissait. Commence à la querelle qui divisa l’Atride, roi de guerriers, et le divin Achille. Quel dieu, en cette querelle, les lança l’un contre l’autre ? Le fils de Latone et de Zeus. Irrité contre le roi, il suscita dans l’armée un mal pernicieux, et les troupes périssaient, parce que Chrysès avait été outragé, lui, le prêtre, par l’Atride. Chrysès était venu aux vaisseaux fins des Achéens pour délivrer sa fille, apportant une rançon immense […] mais l’Atride Agamemnon en eut du déplaisir au cœur. Méchamment, il renvoya Chrysès, sur cet ordre rude : «Ne te trouve pas devant moi, vieillard, près de nos vaisseaux creux, ni aujourd’hui, en t’y attardant, ni plus tard, en revenant ici ! Ou crains que te soient inutiles le sceptre et les bandelettes du dieu. Ta fille, je ne la délivrerai pas.» L’Iliade

né en 1962, Philippe Forest est roman-cier, essayiste et professeur de litté-rature à l’université de nantes. il est l’auteur de plusieurs romans parus chez Gallimard : L’Enfant éternel (1997), Toute la nuit (1999), Sarinagara (2004), Le Nouvel Amour (2007) et Le Siècle des nuages (2010), et de différents essais consacrés notam-ment à la littérature et à l’histoire des avant-gardes.

né en 1947, olivier Rolin est écrivain. il est notamment l’auteur, aux édi-tions du seuil, de Port-Soudan (1994, Prix Fémina), Tigre en papier (2002, Prix France Culture 2003), Suite à l’hôtel Crystal (2004), Un chasseur de lions (2008) et Bakou, derniers jours (2010). ses romans, récits et articles ont récemment été rassemblés dans Circus (seuil, 2 vol., 2011 et 2012).

Les diX-huit heuRes de L’odéon Les diX-huit heuRes de L’odéonPouRquoi AiMeZ-Vous ? PouRquoi AiMeZ-Vous ?Mercredi 27 mars / 18h Mardi 23 avril / 18h

Marcel Proust Homère

54 55

Sophocle / Antigoneen présence de Jean-Louis Backèstraduction de Jean Grosjean

L’image d’Antigone exilée, qui court les routes pour guider son vieux père aveugle, apparaît dans d’autres pièces de Sophocle. Dans celle-ci, l’héroïne ne quitte pas sa ville. Mais le motif de la patrie, partout présent, se lie plus qu’ailleurs à la vision de l’exil. Étéocle et Polynice doivent régner en alternance. Polynice s’en va. Quand vient son tour, il se heurte à un refus ; son frère ne respecte pas le contrat. Polynice ne peut pas revenir dans sa ville. Il ne supporte pas de devoir vivre à l’étranger. Il organise l’expédition impie contre sa propre cité. Les deux frères se tuent réciproquement. Créon leur oncle, qui leur succède, fait enterrer l’un et refuse à l’autre, à l’exilé, toute sépulture. Les significa-tions de ce geste téméraire sont nombreuses et diverses ; il en est une qui compte : on refuse à Polynice le lieu auquel il a droit. Il lui faudra errer à jamais ; il n’entrera pas au pays des morts. Ce pays est une autre patrie ; on y retrouve le père et la mère. Pour Antigone, quitter la vie n’est pas un exil.

James Joyce / Exilsen présence de Jean-Michel Rabatétraduction de Jean-Michel déprats

Exils, seule pièce de Joyce qui ait survécu, recèle des trésors. Véritable laboratoire donnant accès au cœur de l’œuvre, elle explore hardiment la cruauté et la jalousie des amants. Jouant sur la structure du marivau-dage classique – deux hommes et deux femmes se trouvent pris dans un quadrille où la tromperie le dispute à la franchise la plus crue –, elle interroge sans relâche la nature de la relation amoureuse. Annonçant le théâtre de Beckett et de Pinter, la pièce ne conclut jamais. une verti-gineuse spirale d’introspection et de questionnements de plus en plus angoissés amène à poser la question ultime : que veut dire se donner à quelqu’un ? Jean-Michel Rabaté

Les diX-huit heuRes de L’odéon Les diX-huit heuRes de L’odéonVinGt Ans de LeCtuRes AVeC FoLio théâtRe VinGt Ans de LeCtuRes AVeC FoLio théâtRe

Mardi 15 janvier / 18h

Mardi 5 février / 18h

Paul Claudel / L’Échange(première version)

en présence de Michel Lioure

L’exil est une constante de la vie de Paul Claudel et l’un des leitmotive de son œuvre. L’exil, écrira-t-il dans son Journal, est sa «vraie patrie». Claudel passa l’essentiel de son existence à l’étranger : «L’exil où il est entré le suit», écrit-il dans un poème de Connaissance de l’Est. Composé lors de son premier poste à New York et à Boston en 1893-1894, et situé sur les lieux mêmes où il exerçait ses fonctions, L’Échange est le reflet des sentiments du jeune homme éloigné pour la première fois du pays natal et partagé entre des impressions et des tentations contradictoires : la dou-leur de la nostalgie et le bonheur de la liberté, le poids de la solitude et le plaisir de la découverte. Tandis que Marthe, une fille de France, incarne le regret du sol natal et le dépaysement dans cette «terre d’exil», les autres personnages illustrent les divers aspects de la vie et de la civilisation américaines. L’Échange est bien «le drame de l’exil». Michel Lioure

William ShakespeareLe Marchand de Veniseen présence de Gisèle Venet et Jean-Michel déprats (sous réserve)traduction de Jean-Michel déprats

Sous ce titre énigmatique, Le Marchand de Venise, quelle identité se pro-file, à la fois appropriée et inappropriée ? S’agit-il d’un personnage de tragédie en exil dans une comédie ? [...] En fait, ce marchand de Venise en exil hors de soi dès le début de la pièce, en déficit d’être, indifférent à ses biens autant qu’à lui-même, semble là en contrepoint du Juif de Venise, Shylock, frappé, lui, par la tragédie de l’exil dans son être et dans ses biens – «vous prenez ma vie quand vous me prenez les moyens de vivre» –, mais qui, sur ce «théâtre du monde» qu’est la scène shakespea-rienne, s’affirme comme le seul à pouvoir dire «Je» en disant «Je suis Juif», au nom de l’universelle identité, celle de l’homme qui dit «nous » et se connaît dans la souffrance comme dans le rire. Gisèle Venet

Mardi 2 avril / 18h

Mardi 16 avril / 18h Jean-Louis Backès

56 57

Les diX-huit heuRes de L’odéonVinGt Ans de LeCtuRes AVeC FoLio théâtRe

Albert CamusLe Malentenduen présence de Pierre-Louis Reytextes lus par Corine Juresco

Créé aux Mathurins en juin 1944, Le Malentendu se présente comme un fait divers tragique. Le client d’une sinistre auberge tchécoslovaque est tué et dépouillé par sa sœur Martha et sa mère, qui ne l’ont pas reconnu. Martha (Maria Casarès) cherche ainsi à réunir l’argent grâce auquel elle partira un jour habiter sur des rivages heureux. Quand il compose sa pièce, Camus est lui-même, en raison de la guerre, exilé du pays enso-leillé où il a grandi. L’exigence des beautés naturelles justifie-t-elle le meurtre ? Martha apparaît, pour le moins, comme une héroïne tragique, victime de sa condition, assez endurcie pour affronter son erreur et prête à mourir plutôt que de transiger sur son droit au bonheur. Pierre-Louis Rey

Luigi Pirandello / Henri IVen présence de Robert Abirachedtextes lus par Bruno Abraham-Kremertraduction de Michel Arnaud

Écrit pour ainsi dire dans la foulée de Six personnages en quête d’auteur, Henri IV reprend et approfondit la problématique proposée par Pirandello dans sa pièce précédente. Il ne s’agit plus ici du drame qui oppose la vie (vouée aux aléas et aux souffrances du temps) à la forme (figure accom-plie par l’art et close sur elle-même), mais d’un affrontement sans issue fomenté par l’individu devenu personnage et qui croit dès lors pouvoir maîtriser à sa guise les va-et-vient auxquels il se plaît : entre la vie de chaque jour, les figures figées d’une histoire qu’il a reconstruite à l’imita-tion du réel, et la tentation de revenir par effraction au cœur même de son vécu le plus intime, gardé intact par une mémoire dont aucun simulacre ne peut venir à bout. L’armure de cet homme abrité derrière l’hyper- personnage où il s’est enfermé devient ainsi sa prison et le lieu irrémé-diable de son exil dès qu’arrive le moment où sa conscience explose dans une confusion devenue intenable. Robert Abirached

Mardi 4 juin / 18h

Mardi 25 juin / 18h

CALendRieR 12/13

lun 22 scènes imaginaires / Luc Bondy 20hjeu 25 Rendez-vous philosophiques / Jean-Christophe Bailly 18h

lun 12 exils / stefan Zweig 20hjeu 15 Rendez-vous philosophiques / eva illouz 18hmar 20 Pourquoi aimez-vous ? / Mathias énard - Joseph Conrad 18hlun 26 exils / sigmund Freud 20h

lun 10 exils / Joseph Roth 20hmar 18 Pourquoi aimez-vous ? / Christian Garcin - honoré de Balzac 18hjeu 20 Rendez-vous philosophiques / Michaël Fœssel 18h

lun 14 exils / Bertolt Brecht 20hmar 15 Vingt ans de lectures... / sophocle - Antigone 18hsam 19 L’Amitié dangereuse / Montaigne - La Boétie 15hmar 22 Pourquoi aimez-vous ? / Philippe Jaenada - denis diderot 18hjeu 24 Rendez-vous philosophiques / Gérard Genette 18hlun 28 scènes imaginaires / Alain Françon 20h

lun 4 exils / samuel Beckett 20hmar 5 Vingt ans de lectures... / James Joyce - exils 18hsam 9 L’Amitié dangereuse / Platon 15hmar 19 Pourquoi aimez-vous ? / Laurent seksik - stefan Zweig 18hjeu 21 Rendez-vous philosophiques / Fabrice Midal 18hsam 23 L’Amitié dangereuse / Aristote 15h

jeu 21 Rendez-vous philosophiques / Bernard sève 18hsam 23 L’Amitié dangereuse / sartre - Aron 15hlun 25 scènes imaginaires / Patrice Chéreau 20hmer 27 Pourquoi aimez-vous ? / Philippe Forest - Marcel Proust 18h

mar 2 Vingt ans de lectures... / Paul Claudel - L’échange 18hsam 6 L’Amitié dangereuse / Camus - Char 15hlun 8 scènes imaginaires / Peter stein 20hlun 15 exils / Marguerite duras 20hmar 16 Vingt ans de lectures... / William shakespeare - Le Marchand de Venise 18hsam 20 L’Amitié dangereuse / diderot - Rousseau 15hlun 22 exils / Marina tsvetaeva 20hmar 23 Pourquoi aimez-vous ? / olivier Rolin - homère 18hlun 29 exils / nina Berberova 20h

lun 27 exils / Vladimir nabokov 20h

mar 4 Vingt ans de lectures... / Albert Camus - Le Malentendu 18hlun 10 scènes imaginaires / Joël Pommerat 20hlun 24 exils / emil Cioran 20hmar 25 Vingt ans de lectures... / Luigi Pirandello - henri iV 18h

novembre

octobre

décembre

janvier

février

juin

mai

avril

mars

• Grande salle • salon Roger Blin

58 59

Atiq Rahimi, pourquoi aimez-vous Le Procès ?

Philippe Jaenada, pourquoi aimez-vous Jacques Le FataListe ?

Hélène Frappat, pourquoi aimez-vous Manon Lescaut ?

Linda Lê, pourquoi aimez-vous BartLeBy ?

La des écrivains

Dans la même collection

Récemment parus

Alice au pays des merveilles avec Véronique Ovaldé, Au Bonheur des dames avec Philippe Claudel, Bouvard et Pécuchet avec éric Chevillard, Britannicus avec François Taillandier, La Chartreuse de Parme avec Vincent Delecroix, Le Colonel Chabert avec Christian Garcin, Crime et châtiment avec Jean-Philippe Toussaint, Le Dernier Jour d’un condamné avec Laurent Mauvignier, Du côté de chez Swann avec Daniel Mendelsohn, L’énéide avec Laurence Plazenet, La Femme de trente ans avec Mona Ozouf, Les Fleurs du Mal avec Jean-Michel Maulpoix, Le Grand Meaulnes avec Pierre Michon, Illusions perdues avec Catherine Cusset, Lettres à un jeune poète avec Arnaud Cathrine, Le Lys dans la vallée avec Catherine Millet, Maître et serviteur avec Tiphaine Samoyault, La Métamorphose avec Yannick Haenel, Moby Dick avec Camille de Toledo, L’Odyssée avec Pierre Bergounioux, Orgueil et préjugés avec Catherine Cusset, Phèdre avec éliette Abécassis, La Princesse de Clèves avec Marie Darrieussecq, Le Temps retrouvé avec Julie Wolkenstein, Les Travailleurs de la mer avec Patrick Grainville, Trois contes avec François Bégaudeau, Ubu roi avec Jean-Claude Grumberg, Une vie avec Annie Ernaux.

Ils sont romanciers, dramaturges ou poètes, et ont un point commun : ils ont été bouleversés par la lecture d’un classique. Tous ont accepté de nous parler de l’œuvre qui leur est chère, en se prêtant au jeu des questions et des réponses, au sein d’un questionnaire intime qui figure dans chacune de nos éditions. Où l’on découvrira que l’écriture est d’abord l’histoire d’une passion : celle de la lecture...

AP GF DES ECRIVAINS 135X200_2012_4.indd 1 08/10/12 12:12

tARiFs

Grande salleExils, Scènes imaginaires, L'Amitié dangereuse Plein tarif 10€tarif réduit 6€ (jeune -26 ans, abonnés, demandeur d’emploi)

salon Roger BlinLes Dix-huit Heures de l'Odéon tarif unique 6€

01 44 85 40 40 / theatre-odeon.eu

inFoRMAtions PRAtiques

PuBLiC en situAtion de hAndiCAP

Pour les personnes dont la mobilité est réduiteAu Théâtre de l’Odéon, passage des fauteuils par la place Paul Claudel (à l’arrière du théâtre) puis sous les arcades de la rue Corneille ; ascenseur pour l’accès à la salle, au vestiaire et au bar du foyer. Pour réserver avec une facilité d’accès 01 44 85 40 40

ouVeRtuRe de LA LoCAtion

La location est ouverte pour l’ensemble de la programmation des Bibliothèques de l’Odéon.

ACCès

Entrée du public :Place de l’Odéon Paris 6e

Métro Odéon (lignes 4 et 10) – RER B LuxembourgBus : 63, 87, 86, 70, 96, 58Vélib : 6 rue des Quatre Vents (station 6028) ;34 rue de Condé (station 6017) ; 11 rue Danton (station 6016)

[email protected] / 01 44 85 40 44

LiBRAiRie

La librairie du théâtre est tenue par L’échappée littéraire, une mai-son curieuse de littérature et de théâtre, attentive aux beaux-arts et aux publications jeunesse. installée au premier étage du théâtre de l’odéon (ainsi qu’aux Ateliers Berthier), la librairie offre un large choix d’ouvrages en lien avec la programmation de l’odéon et de ses Bibliothèques, tout en présentant par ailleurs ses «coups de cœur». elle est ouverte avant les spectacles, durant l’entracte et à l’issue des représentations. hors nos murs, L’échappée littéraire accueille ses lecteurs au 7 rue Crébillon, située à deux pas du théâtre.

60

théâtre de l’odéonPlace de l’odéon Paris 6e

Métro odéon ReR B Luxembourg

12 - 15 septembre / odéon 6e

die sChÖnen tAGe Von ARAnJueZLes Beaux Jours d’Aranjuezde Peter handkemise en scène Luc Bondy

14 - 21 septembre / Berthier 17 e

GLAuBe LieBe hoFFnunGFoi Amour espéranced’Ödön von horváthet Lukas Kristlmise en scène Christoph Marthaler

27 septembre - 3 novembre Berthier 17 e

LA BARque Le soiRde tarjei Vesaasmise en scène Claude Régy

18 octobre - 23 décembre odéon 6e

Le RetouRde harold Pintermise en scène Luc Bondy

16 - 23 novembre / Berthier 17 e

nosFeRAtud’après Dracula de Bram stokermise en scène Grzegorz Jarzyna

11 - 16 décembre / Berthier 17 e

Meine FAiRe dAMe. ein sPRAChLABoRMy Fair Lady. un laboratoirede languesmise en scèneChristoph Marthaler

10 janvier - 10 février / odéon 6e

Fin de PARtiede samuel Beckettmise en scène Alain Françon

17 janvier - 3 mars / Berthier 17 e

LA RéuniFiCAtiondes deuX CoRéesune création théâtrale de Joël Pommerat

20 - 23 février / odéon 6e

deR WeiBsteuFeLLe diable fait femmede Karl schönherrmise en scène Martin Kušej

19 mars - 14 avril / Berthier 17 e

JeuX de CARtes 1 : Piqued’ex Machinamise en scène Robert Lepage

22 mars - 5 mai / odéon 6e

Le PRiX MARtind’eugène Labichemise en scène Peter stein

23 - 27 avril / Berthier 17 e

FRAGMenteFragmentsun projet de Lars norénet sofia Jupither

22 mai - 29 juin / odéon 6e

Le MisAnthRoPede Molièremise en scèneJean-François sivadier

23 mai - 29 juin / Berthier 17 e

CendRiLLonune création théâtralede Joël Pommerat

octobre - juin / odéon 6e

Les BiBLiothèques de L’odéon

Monsieur Pierre Bergé, AXA France et dailymotion sont mécènes de la saison 2012-2013

12/1

3o

déo

n –

th

éâtr

e d

e l’e

uro

pe

thea

tre-

od

eon

.eu

01 4

4 85

40

40O

DO

N

Lice

nces

d’e

ntre

pre

neur

de

spec

tacl

es 1

0393

06

et 1

0393

07