bourdieu et al propositions pour l'enseignement de l'avenir

Upload: pep-zamor

Post on 19-Feb-2018

251 views

Category:

Documents


5 download

TRANSCRIPT

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    1/22

    Le rapport du Collge de France (1985)

    Vote 5 Note

    Catgorie : Diaphora

    Cration : mercredi 27 mars 1985Publication : samedi 4 janvier 2003crit par P. BourdieuAffichages : 2406

    Ce texte, rclam par le Prsident de la Rpublique d'alors (F. Mitterrand), au Collge deFrance, fut remis par Pierre Bourdieu, au nom de cette institution, celui-l, le 27 mars1985. Texte remarquablement prospectif - et par l-mme quelque peu chimrique - quidemande "une profonde transformation de l'organisation scolaire et des mentalits", il doitbeaucoup, semble-t-il, la plume de Bourdieu soi-mme. Mais le clbre sociologue n'avait- hlas - rien invent : des ides visionnaires de Malraux, en particulier sur le rle ducatifdes mass media ("La tlvision pourrait tre utilise, notamment le samedi et le dimanche,

    comme base d'une vritable ducation permanente" - ide qui, rappelons-le, avait reu,dans les annes septante, un intressant dbut d'application, mais c'tait sous la mchanteDroite au pouvoir) celles d'Ivan Illich ("L'cole ne peut pas et ne doit tre le seul lieu deformation"), en passant par celle de l'ducation rcurrente, tout avait t dit, et bien dit,avant le Rapport. Lequel offre cependant une synthse vritablement remarquable. On nepourra qu'approuver la remarque du Collge affirmant tranquillement : "Enseigner n'est pasune activit comme les autres : peu de mtiers peuvent tre causes de risques plus gravesque ceux que les mauvais matres font encourir aux lves qui leur sont confis ; peu demtiers supposent autant de vertus, de gnrosit, de dvouement, et surtout peut-tred'enthousiasme et de dsintressement". Mais il a l'outrecuidance de faire allusion un"comit arme-universit" pour l'organisation de la formation (et de parler du servicenational, ce qui date sa rdaction), aux corporatismes de tous poils, et surtout au fait que

    les "communauts ducatives unissant dans un change d'informations ou de services lesparents et les ducateurs" sont souvent l'apanage des tablissements privs. Mon Dieu, il ya des choses qui ne sont pas dire, voyons... Aussi, on peut sans risque parodier unclbre sketch de Coluche, et dire que ce texte sera appliqu "quand on prendra les Arabesen stop". Ce qui laisse une marge certaine, et de beaux jours encore pour les soubresautsd'agonie du systme. Bon, tout a pour dire, en conclusion, que si on aurait envie dediscuter telle ou telle de leurs propositions, il faut bien reconnatre que ces gusses sont(taient) de sacrs Collgiens. Et pour cette raison tellement en avance sur l'air de leurtemps, qu'ils connaissaient parfaitement : car n'ont-ils pas crit, in fine, "l'institution estcapable de neutraliser ou de dtourner toutes les mesures destines la transformer" ? S'ils'agit de transformer l'institution, inutile de chercher bien loin : ces Propositionsn'ont pas

    pris une ride. Mais qui veut transformer l'institution ? Lors de la dissolution, en 1977, del'association Dfense de la jeunesse scolaire(DJS), l'un de ses fondateurs, Franois Walter,crivait, entre autres, pour expliquer les raisons de cette dissolution : "L'cole, en France,cimente par un mlange d'habitudes, de prjugs, de vanits, est, depuis longtemps, unnorme conglomrat d'intrts catgoriels et de compromis sociaux qui ne satisfont pastrop mal la partie la plus influente de la population, les cadres de tous grades, en

    privilgiant des degrs divers leur progniture. C'est, sous une agitation de surface, unlieu d'immobilisme administratif, de stagnation". Rien de bien nouveau sous le soleil... Saufqu'aujourd'hui, on parlerait plus volontiers de la dfoncede la jeunesse scolaire...labores la demande de Monsieur le Prsident de la Rpublique par les Professeurs duCollge de France, ces propositions furent primitivement diffuses en 1985 par les ditionsde Minuit (7, rue Bernard-Palissy, 75006, Paris) sous forme d'une plaquette de 48 pages.

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    1 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    2/22

    EXPOS DES MOTIFS

    La question des contenus et des fins de l'enseignement ne peut se satisfaire de rponses gnrales

    mais vagues, et propres faire l'unanimit trop bon compte : nul ne saurait, en effet, contester que tout

    enseignement doit former des esprits ouverts, dots des dispositions et des savoirs ncessaires pour

    acqurir sans cesse de nouveaux savoirs et s'adapter des situations toujours renouveles. Cette

    intention universelle appelle, chaque moment, des dterminations particulires : en fonction, aujourd'hui,

    des changements de la science, qui ne cesse de redfinir la reprsentation du monde naturel et du monde

    social ; en fonction aussi des transformations de l'environnement conomique et social, notamment des

    changements qui ont affect le march du travail du fait des innovations technologiques et des

    restructurations des entreprises industrielles, commerciales ou agricoles. De toutes ces transformations,

    celles qui touchent le plus directement le systme d'enseignement sont sans doute le dveloppement des

    moyens de communication modernes (en particulier la tlvision), capables de concurrencer ou de

    contrecarrer l'action scolaire, et aussi les modifications profondes du rle qui incombait, surtout dans l'ordre

    thique, des instances pdagogiques comme la famille, l'atelier, les communauts de village ou de

    quartier et les glises.

    Il faut aussi prendre acte des transformations du systme d'enseignement lui-mme, en vitant

    d'adopter, pour les voquer, le langage apocalyptique de la crise ou, pis, le ton de la condamnation

    prophtique qui cherche ses boucs missaires dans le corps enseignant ou ses organes reprsentatifs.

    des degrs diffrents selon les secteurs et les niveaux, les rapports sociaux qui sont constitutifs de

    l'institution ducative - rapport entre les matres et les lves, rapport entre les parents et les matres,

    rapport entre les matres de gnrations diffrentes - se sont profondment transforms sous l'effet de

    facteurs sociaux tels que l'urbanisation, l'allongement gnral de la scolarit et la transformation de la

    relation entre le systme scolaire et le march du travail, en mme temps que se dvaluaient les titres

    scolaires, avec pour consquence une vritable dception collective propos de l'cole.

    Le sentiment de dsarroi ou de rvolte que suscitent ces changements rsulte, pour une part, du faitqu'ils n'ont t ni penss ni voulus comme tels : la mise en question, plus ou moins consciente, du contrat

    tacite de dlgation qui unit une socit son cole, laisse, au fondement mme du systme

    d'enseignement, une sorte de vide, gnrateur d'angoisse. Pour conjurer les tentations rgressives que le

    sentiment de la crise renforce tant chez les matres que chez les lves et les parents, il faut tenter de

    repenser les principes sur lesquels peut tre difi un systme d'enseignement aussi dmocratique que

    possible en mme temps qu'adapt aux exigences du prsent et capable de rpondre aux dfis de l'avenir.

    Une rflexion sur les fins de l'cole ne peut ignorer les contradictions qui sont inscrites dans une

    institution voue servir des intrts diffrents, voire antagonistes. Ces contradictions, que les limites de

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    2 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    3/22

    l'action proprement scolaire font apparatre souvent comme des antinomies indpassables

    ("dmocratisation" / "slection", "quantitatif" / "qualitatif", "public"/ "priv", etc.), disponibles pour toutes les

    exploitations polmiques et politiques, resteront prsentes ici dans l'effort mme pour surmonter les

    tensions entre des exigences opposes ou entre les fins proposes et les moyens indispensables pour les

    atteindre.

    On peut contester un individu ou un groupe, quels qu'ils soient, le droit de lgifrer en ces

    matires, et de se substituer ainsi l'ensemble des groupes qui entendent peser sur les orientations du

    systme d'enseignement pour y faire valoir leurs intrts. Et il est peu probable qu'un programme ducatif

    puisse obtenir l'assentiment gnral. Il reste que, dans l'tat actuel des institutions d'enseignement, il est

    rpondu en fait ces questions ultimes. Ds lors, l'nonc explicite d'un ensemble cohrent de principes

    directeurs a au moins pour vertu de contraindre mettre en question et en discussion les prsupposs, ou

    les prjugs, qui sont le fondement incertain, parce que indiscut, des politiques scolaires. Il apparat, en

    outre, qu'il y a bien souvent accord entre les impratifs techniques visant assurer le progrs de la science

    et de l'enseignement de la science et les impratifs thiques inclus dans l'ide mme d'une socit

    dmocratique.

    Si bien que l'on peut aller trs loin dans la dfinition d'un enseignement la fois plus rationnel et

    plus juste sans rencontrer les problmes qui divisent souvent les utilisateurs de l'cole ou leurs porte-

    parole.

    Ce texte ne veut tre ni un plan ni un projet de rforme. II est le produit, modeste et provisoire, d'une

    rflexion. Ses auteurs, engags dans la recherche et l'enseignement de la recherche, ont bien conscience

    d'tre loigns des ralits les plus ingrates de l'enseignement ; mais peut-tre sont-ils, par l mme,

    librs des enjeux et des objectifs court terme.

    PRINCIPES

    I. L'UNIT DE LA SCIENCE ET LA PLURALIT DES CULTURES

    Un enseignement harmonieux doit pouvoir concilier l'universalisme inhrent la pense

    scientifique et le relativisme qu'enseignent les sciences humaines, attentives la pluralit des

    modes de vie, des sagesses et des sensibilits culturelles.

    Tout en s'interdisant de se dfinir par rapport telle ou telle orientation morale, l'cole ne peut se

    drober aux responsabilits thiques qui lui incombent invitablement. C'est pourquoi l'un de ses objets

    majeurs pourrait tre d'inculquer les dispositions critiques qu'enseignent les sciences de la nature et les

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    3 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    4/22

    sciences de l'homme. Dans cette perspective, l'histoire des sciences et des uvres culturelles, enseigne

    dans les formes appropries chaque niveau, devrait fournir des antidotes contre les formes anciennes ou

    nouvelles d'irrationalisme ou de fanatisme de la raison. De mme, les sciences sociales devraient

    introduire un jugement clair sur le monde social et offrir des armes contre les manipulations de toute

    nature. Trs formateurs seraient, par exemple, l'examen critique du fonctionnement et des fonctions des

    sondages d'opinion ou le dmontage des mcanismes de dlgation, appuy sur l'histoire des institutions

    politiques.

    Parmi les fonctions imparties la culture, l'une des plus importantes est sans doute le rle de

    technique de dfense contre toutes les formes de pression idologique, politique ou religieuse : cet

    instrument de pense libre, la faon des arts martiaux sur d'autres terrains, peut permettre au citoyen

    d'aujourd'hui de se protger contre les abus de pouvoir symbolique dont il est l'objet, ceux de la publicit,

    ceux de la propagande et du fanatisme politique ou religieux.

    Cette orientation pdagogique aurait pour fin de dvelopper un respect sans ftichisme de la

    science comme forme accomplie de l'activit rationnelle, en mme temps qu'une vigilance arme contre

    certains usages de l'activit scientifique et de ses produits. Il ne s'agit pas de fonder une morale sur la

    science, relle ou idalise, mais de transmettre une attitude critique l'gard de la science et de ses

    usages, qui se dgage de la science elle-mme ou de la connaissance des usages sociaux qui en sont

    faits.

    Le seul fondement universel que l'on puisse donner une culture rside dans la reconnaissance de

    la part d'arbitraire qu'elle doit son historicit : il s'agirait donc de mettre en vidence cet arbitraire et

    d'laborer les instruments ncessaires (ceux que fournissent la philosophie, la philologie, l'ethnologie,

    l'histoire ou la sociologie) pour comprendre et accepter d'autres formes de culture ; de l, la ncessit de

    rappeler l'enracinement historique de toutes les uvres culturelles, y compris les uvres scientifiques.

    Parmi les fonctions possibles de la culture historique (intgration nationale, comprhension du monde

    prsent, rappropriation de la gense de la science), l'une des plus importantes, de ce point de vue, est la

    contribution qu'elle peut apporter l'apprentissage de la tolrance travers la dcouverte de la diffrence,

    mais aussi de la solidarit entre les civilisations.

    Les raisons proprement scientifiques, notamment les progrs assurs par la mthode comparative,se conjuguent avec les raisons sociales - en particulier les transformations d'un monde social o des

    hommes appartenant des traditions diffrentes se trouvent de plus en plus souvent amens

    communiquer ou cohabiter du fait de l'extension des mouvements migratoires - pour imposer d'ouvrir

    l'ensemble des civilisations historiques et des grandes religions, considres la fois dans leur cohrence

    interne et dans les conditions sociales de leur mergence et de leur dveloppement. Mais pour le faire

    sans alourdir l'excs les programmes, il importe avant tout de rompre avec la vision ethnocentrique de

    l'histoire de l'humanit qui fait de l'Europe l'origine de toutes les dcouvertes et de tous les progrs ;

    d'introduire, ds l'cole primaire, des lments de culture gographique et ethnographique propres

    habituer l'enfant admettre la diversit des usages (en matire de techniques du corps, de vtement,

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    4 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    5/22

    d'habitation, d'alimentation...) et des systmes de pense ; de faire apparatre, notamment dans

    l'enseignement de l'histoire, des langues et de la gographie, le mlange de ncessit cologique ou

    conomique et d'arbitraire social qui caractrise les choix propres aux diffrentes civilisations ; cela tout en

    rappelant les innombrables emprunts de techniques et d'instruments travers lesquels les diffrentes

    civilisations, commencer par la ntre, se sont constitues.

    L'enseignement devrait ainsi runir l'universalisme de la raison qui est inhrent l'intention

    scientifique et le relativisme qu'enseignent les sciences historiques, attentives la pluralit des sagesses

    et des sensibilits culturelles. On ne peut concilier la confiance dans l'unit de la raison scientifique et la

    conscience de la pluralit des raisons culturelles qu' condition de renforcer la souplesse et l'adaptabilit

    cognitives qui s'acquirent dans la confrontation constante de la pense avec les univers indfiniment

    varis et sans cesse renouvels de la nature et de l'histoire.

    II. LA DIVERSIFICATION DES FORMES D'EXCELLENCE

    L'enseignement devrait tout mettre en uvre pour combattre la vision moniste de

    "l'intelligence" qui porte hirarchiser les formes d'accomplissement par rapport l'une d'entre

    elles, et devrait multiplier les formes d'excellence culturelle socialement reconnues.

    Si le systme scolaire n'a pas la matrise complte de la hirarchie des comptences qu'il garantit,

    puisque la valeur des diffrentes formations dpend fortement de la valeur des postes auxquels elles

    ouvrent, il reste que l'effet de conscration qu'il exerce n'est pas ngligeable : travailler affaiblir ou

    abolir les hirarchies entre les diffrentes formes d'aptitude, cela tant dans le fonctionnement institutionnel

    (les coefficients, par exemple) que dans l'esprit des matres et des lves, serait un des moyens les plus

    efficaces (dans les limites du systme d'enseignement) de contribuer l'affaiblissement des hirarchies

    purement sociales. Un des vices les plus criants du systme actuel rside dans le fait qu'il tend de plus en

    plus ne connatre et ne reconnatre qu'une seule forme d'excellence intellectuelle, celle que reprsente

    la section C (ou S) des lyces et son prolongement dans les grandes coles scientifiques. Par le privilge

    de plus en plus absolu qu'il confre une certaine technique mathmatique, traite comme un instrumentde slection ou d'limination, il tend faire apparatre toutes les autres formes de comptences comme

    infrieures ; les dtenteurs de ces comptences mutiles sont ainsi vous une exprience plus ou moins

    malheureuse et de la culture qu'ils ont reue et de la culture scolairement dominante (c'est l, sans doute,

    une des origines de l'irrationalisme qui fleurit actuellement). Quant aux dtenteurs de la culture socialement

    considre comme suprieure, ils sont de plus en plus souvent vous, sauf effort exceptionnel et

    conditions sociales trs favorables, la spcialisation prmature, avec toutes les mutilations qui

    l'accompagnent.

    Pour des raisons insparablement scientifiques et sociales, il faudrait combattre toutes les formes,

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    5 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    6/22

    mme les plus subtiles, de hirarchisation des pratiques et des savoirs - notamment celles qui s'tablissent

    entre le "pur" et "l'appliqu", entre le "thorique" et le "pratique" ou le "technique", et qui revtent une force

    particulire dans la tradition scolaire franaise, - en mme temps qu'imposer la reconnaissance sociale

    d'une multiplicit de hirarchies de comptence distinctes et irrductibles.

    Le systme d'enseignement et la recherche sont victimes, tous les niveaux, des effets de cettedivision hirarchique entre le "pur" et "l'appliqu" qui s'tablit entre les disciplines et au sein de chaque

    discipline, et qui est une forme transforme de la hirarchie sociale de "l'intellectuel" et du "manuel". Il en

    rsulte deux perversions qu'il s'agit de combattre mthodiquement, par une action sur les institutions et sur

    les esprits : premirement, la tendance au formalisme qui dcourage certains esprits ; deuximement, la

    dvalorisation des savoirs concrets, des manipulations pratiques et de l'intelligence pratique qui leur est

    associe. Un enseignement harmonieux devrait raliser un juste quilibre entre l'exercice de la logique

    rationnelle par l'apprentissage d'un instrument de pense comme les mathmatiques et la pratique de la

    mthode exprimentale, sans oublier toutes les formes de l'adresse manuelle et de l'habilet corporelle.

    L'accent pourrait tre mis sur les formes gnrales de pense par lesquelles se sont constitues, au long

    des sicles, sciences et techniques. Si les mathmatiques sont nes de la Grce, notre science n'a pu se

    constituer vraiment que deux mille ans plus tard, en un tissu dont la chane serait la thorie, souvent de

    type mathmatique, et la trame l'exprimentation, grce un va-et-vient constant de l'hypothse thorique

    l'exprience qui l'infirme ou la confirme. En enserrant le rel dans un rseau d'observations ou

    d'exprimentations privilgies, la science a permis la conqute d'espaces de vrit approche, dont le

    degr d'approximation de plus en plus grand peut lui-mme tre valu grce au calcul des erreurs ou au

    calcul des probabilits appliqus la notion mme de mesure. La vigilance critique sur les limites de

    validit des oprations et des rsultats de la science s'impose particulirement dans un monde o

    interviennent sans cesse pourcentages et probabilits : rares sont les citoyens qui conoivent clairement

    ce que sont les consquences, au bout de dix ans, d'une lvation (ou d'un abaissement) de 1 % d'un

    indice conomique et qui ont conscience du caractre artificiel, mais utile, d'un tel indice, fond sur des

    bases statistiques. Pourtant, nombre de nos dcisions courantes reposent, le plus souvent notre insu, sur

    de telles bases : par exemple, une voiture dtermine n'est pas en soi suprieure telle concurrente

    comparable, mais, dans la centaine de milliers de voitures de ce modle, nous pouvons trouver des

    lments pour valuer les chances qu'elle le soit ; la mtorologie, localement, ne peut qu'valuer des

    chances de pluie, et c'est bien ainsi que la presse dcrit, aux tats-Unis, ses pronostics. Il semble doncimportant qu' travers une initiation qui peut tre entreprise ds la scolarit obligatoire, chacun apprenne,

    au moins intuitivement, peser des risques.

    Tout en faisant sa juste place la thorie qui, dans sa dfinition exacte, ne s'identifie ni au

    formalisme ni au verbalisme, et aux mthodes logiques de raisonnement qui, dans leur rigueur mme,

    enferment une extraordinaire efficacit heuristique, l'enseignement doit se donner pour fin, dans tous les

    domaines, de faire faire des produits et de mettre l'apprenti en position de dcouvrir par lui-mme. On peut

    produire une "manipulation" de chimie ou de physique au lieu de la recevoir toute monte et d'enregistrer

    les rsultats ; on peut produire une pice de thtre, un film, un opra, mais aussi un discours, une critique

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    6 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    7/22

    de film, un compte-rendu d'ouvrage (de prfrence l'intention d'un vrai journal d'lves ou d'tudiants) ou

    encore une lettre la Scurit sociale, un mode d'emploi ou un constat d'accident, au lieu de seulement

    disserter ; cela sans oublier qu'il y a place pour la dcouverte active dans les activits les plus thoriques,

    comme la logique ou les mathmatiques. Dans cet esprit, l'enseignement artistique conu comme

    enseignement approfondi de l'une des pratiques artistiques (musique, ou peinture, ou cinma, etc.),

    librement et volontairement choisie (au lieu d'tre, comme aujourd'hui, indirectement impose), retrouverait

    une place minente. En ce domaine, plus que partout ailleurs, il faudrait subordonner le discours la

    pratique (celle d'un instrument, voire de la composition, du dessin ou de la peinture, de l'amnagement du

    cadre de vie, etc.). La rvocation des hirarchies devrait ici encore conduire, surtout aux niveaux

    lmentaires, enseigner, autant que les beaux-arts, les arts appliqus, de grande utilit dans l'existence

    quotidienne, comme les arts graphiques, les arts de l'dition ou de la publicit, l'esthtique industrielle, les

    arts audiovisuels, la photographie.

    III. LA MULTIPLICATION DES CHANCES

    Il importerait d'attnuer autant que possible les consquences du verdict scolaire et

    d'empcher que les russites n'aient un effet de conscration ou les checs un effet de

    condamnation vie, en multipliant les filires et les passages entre les filires et en affaiblissant

    toutes les coupures irrversibles.

    Tous les moyens devraient tre mis en uvre pour attnuer les effets ngatifs des verdicts scolaires

    agissant en tant que prophties auto-confirmatrices : il s'agirait de minimiser l'effet de conscration lorsqu'il

    encourage une assurance statutaire et surtout l'effet de stigmatisation qui enferme les victimes socialement

    dsignes des verdicts scolaires dans le cercle vicieux de l'chec. Les sanctions ngatives, surtout

    lorsqu'elles s'appliquent des adolescents qui, plus que tout autre ge, sont confronts la question de

    leur identit et sont spcialement exposs des crises plus ou moins dramatiques, peuvent condamner au

    dcouragement, la dmission, voire au dsespoir. Veiller rduire les effets incontrls de tous lesverdicts contribuerait sans doute rduire l'anxit l'gard de l'cole qui ne cesse de se dvelopper, tant

    chez les parents que chez les enfants, avec toutes sortes de consquences psychologiques, voire

    psychopathologiques, et sociales.

    Ce qui ne signifie pas que l'on doive rsoudre le problme de la "slection par l'chec", comme on

    dit parfois, par un refus de slection qui conduit repousser toujours le moment de vrit, avec toutes

    sortes de consquences funestes, tant pour les individus concerns que pour l'institution. Accorder un droit

    d'entre fictif, c'est s'exposer faire payer trs cher aux individus et toute l'institution les consquences

    d'un mauvais dpart. On ne peut pas tricher avec la logique relle de l'apprentissage et l'on doit seulement

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    7 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    8/22

    assurer tous, ft-ce au prix d'un effort spcial, un bon dpart. Il s'agit de prendre toutes les mesures

    propres donner aux plus dmunis de bonnes conditions de formation et de contrecarrer tous les

    mcanismes qui conduisent les placer dans les pires conditions (comme l'trange logique qui voue aux

    classes difficiles les matres dbutants ou les matres auxiliaires mal forms, sous-pays, surchargs de

    cours). Il est clair, en effet, qu'on ne saurait attendre d'une sorte de traitement psychosociologique qu'il

    fasse disparatre comme par miracle des checs qu'on ne peut esprer rduire rellement qu'au prix d'une

    augmentation du nombre des matres et surtout d'une amlioration de leurs conditions de formation et de

    travail : on sait, en effet, les carences extrmes dont souffre l'enseignement franais, particulirement au

    niveau suprieur, pour tout ce qui touche l'infrastructure spcifique de la vie intellectuelle - bibliothques

    (dont on ne redira pas ici les insuffisances criantes), instruments de travail tels que manuels, recueils

    textes de qualit, traductions scientifiques, banques de donnes, etc.

    Cela dit, des matres plus conscients de la pluralit des formes d'excellence, donc des limites de

    validit de leurs jugements et des effets traumatisants qu'ils peuvent exercer, devraient tre conduits

    viter tous les verdicts sans appel sur les capacits de leurs lves globalement caractrises, et avoir

    sans cesse l'esprit que, dans tous les cas, ils jugent un accomplissement ponctuel et partiel, et non une

    personne saisie dans son essence ou sa nature. La pluralit des formes de russite reconnues, qui

    librerait les matres de l'obligation de faonner et d'valuer tous les esprits selon un seul modle, jointe

    la pluralit des pdagogies qui permettrait de valoriser et d'exiger des performances diffrentes (dans les

    limites du minimum culturel commun exigible chaque niveau), pourrait faire de l'cole non un lieu d'chec

    et de stigmatisation pour les plus dfavoriss socialement, mais un lieu o tous pourraient et devraient

    trouver leur faon propre de russir.

    Pour que l'valuation ncessaire des aptitudes prenne la forme d'un conseil d'orientation plutt que

    d'un verdict d'exclusion, il faudrait multiplier les filires socialement quivalentes (par opposition aux

    carrires hirarchises d'aujourd'hui). Toutes les facilits institutionnelles devraient tre donnes ceux qui

    voudraient passer d'une filire une autre ou combiner des apprentissages associs des filires

    diffrentes. La rigidit des trajectoires obliges, des cursus irrversibles, qui donne un poids quasi fatal aux

    choix initiaux et aux verdicts scolaires d'exclusion, devrait tre combattue par tous les moyens. La prise en

    compte ncessaire des diffrences (dans les capacits et les rythmes d'acquisition ou les formes d'esprit)

    et l'orientation des lves vers des filires diffrentes devraient s'accompagner de mesures visant

    concrtement - en leur fournissant, par exemple, de bons enseignants et des quipements de qualit -

    revaloriser les filires que les hirarchies en vigueur (dans les esprits et dans l'environnement social)

    portent tenir pour infrieures. Le cursus prendrait la forme d'une spcialisation progressive par

    l'orientation vers des tablissements pluridisciplinaires ouvrant l'accs des tablissements plus

    spcialiss. Il faudrait qu'avant de dcider du choix de leur spcialit, les jeunes gens puissent faire des

    stages dans des tablissements diversifis.

    Il faudrait aussi travailler dtruire ou rduire la tendance sacraliser le titre scolaire, sorte

    d'essence sociale scolairement garantie qui remplit dans nos socits une fonction tout fait semblable

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    8 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    9/22

    celle du titre nobiliaire en d'autres temps, interdisant aux uns de droger en accomplissant certaines tches

    juges indignes, aux autres d'aspirer des avenirs interdits. Il importerait pour cela de revaloriser les

    accomplissements effectifs : par exemple en introduisant dans tous les recrutements un contingent

    d'lections et de promotions sur travaux effectus et accomplissements rels (comme, dans le cas

    particulier des professeurs, l'introduction d'innovations pdagogiques exemplaires ou un dvouement

    exceptionnel). Une des tares les plus graves du systme bureaucratique franais rside dans le fait qu'un

    incapable scolairement garanti et un comptent scolairement dmuni sont spars vie, tels le roturier et

    le noble, tous les points de vue socialement pertinents. La slection par le diplme n'est dommageable

    que dans la mesure o elle continue d'agir, bien au-del de son but, pendant toute la dure d'une carrire,

    l'valuation relle du travail accompli tant injustement sacrifie aux intrts corporatistes et une dfense

    mal comprise des salaris. Il faudrait travailler une transformation des rglements et des mentalits

    propre faire que, tout en conservant leur fonction de garantie ultime contre l'arbitraire, les titres scolaires

    soient pris en compte pour une dure limite et jamais de manire exclusive, c'est--dire comme une

    information parmi d'autres.

    Parmi les facteurs propres minimiser l'effet de stigmatisation, un des plus efficaces serait sans

    doute l'instauration de nouvelles formes de comptition. La comptition entre communauts scolaires

    associant matres et lves dans des projets communs - telle qu'elle se ralise aujourd'hui en matire de

    sport entre classes ou entre tablissements - aurait pour effet de susciter une mulation et, par l, une

    incitation l'effort et la discipline qui n'aurait pas pour contrepartie, comme la comptition entre les

    individus (lves ou professeurs), l'atomisation du groupe et l'humiliation ou le dcouragement de

    quelques-uns.

    IV. L'UNIT DANS ET PAR LE PLURALISME

    L'enseignement devrait dpasser l'opposition entre le libralisme et l'tatisme en crant les

    conditions d'une mulation relle entre des institutions autonomes et diversifies, tout enprotgeant les individus et les institutions les plus dfavoriss contre la sgrgation scolaire

    pouvant rsulter d'une concurrence sauvage.

    L'existence d'une offre scolaire diversifie, propose tous les niveaux par des institutions

    d'enseignement autonomes et concurrentes (au moins au niveau de l'enseignement suprieur), pourrait

    tre le principe de toute une srie d'effets convergents propres accrotre l'efficacit et l'quit du systme

    d'enseignement en renforant l'mulation entre les tablissements, les quipes pdagogiques et les

    communauts scolaires, et, par l, favoriser l'innovation et affaiblir les effets funestes de la

    condamnation scolaire.

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    9 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    10/22

    Les organismes d'enseignement doivent tre placs l'abri de toutes les pressions extrieures et

    dots d'une autonomie relle, c'est--dire dans le cas surtout des tablissements de recherche, du pouvoir

    de dterminer eux-mmes leurs objectifs. Parmi les conditions ncessaires pour assurer aux

    tablissements d'enseignement suprieur l'autonomie, la spcificit et la responsabilit qui dfinissent une

    vritable Universit runissant l'enseignement fondamental et l'enseignement professionnel, et dote des

    ressources diversifies correspondant ces fonctions diverses, la plus importante est sans doute la

    matrise d'un budget global qui pourrait tre assur par une pluralit de sources de financement :

    subventions de l'tat, des rgions, des municipalits, de fondations prives, contrats avec l'tat ou les

    entreprises publiques ou prives et peut-tre mme participation financire des tudiants ou des anciens

    lves. Des tablissements d'enseignement suprieur et de recherche financement priv ou semi-public

    pourraient ainsi coexister avec des tablissements financement exclusivement public. L'autonomie

    devrait tre aussi entire en matire de cration d'enseignements, de collation des grades et de rgulation

    des flux d'tudiants, l'tat se devant de soutenir des enseignements conomiquement non rentables mais

    culturellement importants.

    D'application relativement facile en ce qui concerne l'enseignement suprieur, o le processus est

    dj engag - sans qu'aient t prvues les mesures capables de contrecarrer les effets de la concurrence

    sauvage, - ce principe pourrait trouver une application progressive, travers des expriences volontaires

    peu peu gnralises, ds l'enseignement secondaire (dont il faudrait sans doute tendre aujourd'hui la

    dfinition jusqu'au niveau du DEUG inclus). Il s'agirait de crer des tablissements offrant, ct des

    savoirs fondamentaux universellement exigibles, des enseignements spciaux option qui constitueraient

    leur spcialit et, par l, un de leurs points forts dans la concurrence. Cela supposerait que les chefs

    d'tablissement ou les collectifs d'enseignants disposent d'une plus grande autonomie dans le recrutement

    des matres (par l'introduction de critres multiples, au nombre desquels des critres proprement

    pdagogiques, et par la prise en compte de la relation entre le profil des enseignants ainsi valus et le

    profil des postes). On tendrait ainsi substituer la concurrence larve une mulation ouverte, mais

    contrle et corrige grce une redfinition profonde du rle de l'tat. Pour contrecarrer le renforcement

    que la slection par les cots de scolarit ou la distance gographique pourrait apporter la sgrgation

    scolaire, le pouvoir central devrait confrer aux individus et aux institutions les plus dmunis des garanties

    explicites, efficaces et sans cesse repenses contre les effets de la concurrence sauvage. Il lui faudrait

    assurer tous les conditions institutionnelles de l'acquisition du minimum culturel commun en donnant desbourses d'tat, valables dans tous les tablissements, aux tudiants dpourvus des moyens conomiques

    de faire valoir leurs capacits scolaires et en donnant aux tablissements (universits ou lyces ou

    collges) les moyens de leur assurer des formes individuelles ou collectives de tutorat ; en accordant des

    subventions et des avantages institutionnels (par exemple des primes pour les matres) aux tablissements

    accueillant les plus dfavoriss, qui seraient ainsi non des dpotoirs pour des adolescents vous la

    dgradation, mais de vritables zones d'ducation prioritaire.

    Tout en respectant les particularismes culturels, linguistiques et religieux, l'tat doit assurer tous le

    minimum culturel commun qui est la condition de l'exercice d'une activit professionnelle russie et du

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    10 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    11/22

    maintien du minimum de communication indispensable l'exercice clair des droits de l'homme et du

    citoyen. En consquence, il appartiendrait aux pouvoirs publics de veiller la qualit pdagogique de

    l'ensemble des institutions d'enseignement fondamental (de la maternelle la troisime actuelle incluse).

    L'tat devrait ainsi contribuer directement ou indirectement la formation des matres, la dfinition

    et l'valuation de leurs pratiques pdagogiques, notamment travers la rvision priodique desprogrammes, l'octroi d'instruments pdagogiques de qualit (manuels), la dfinition du minimum culturel

    commun, mais aussi travers des actions incitatives d'orientation, comme l'offre universelle et gratuite de

    messages ducatifs de haute qualit que permettrait la cration d'une chane de tlvision culturelle.

    Des programmes nationaux devraient dfinir le minimum culturel commun, c'est--dire le noyau de

    savoirs et de savoir-faire fondamentaux et obligatoires que tous les citoyens doivent possder. Cette

    formation lmentaire ne devrait pas tre conue comme une sorte de formation acheve et terminale

    mais comme le point de dpart d'une formation permanente. Elle devrait donc mettre l'accent sur les

    savoirs fondamentaux qui sont la condition de l'acquisition de tous les autres savoirs et sur la disposition

    acqurir des savoirs (adaptabilit intellectuelle, ouverture de l'esprit, etc.). Elle devrait mettre aussi l'accent

    sur les formes de pense et les mthodes les plus gnrales et les plus largement transposables, comme

    la matrise de la proportion ou du raisonnement exprimental. Tout devrait tre mis en uvre pour donner

    tous une matrise relle de la langue commune, crite et parle - surtout en situation publique. Sur ce

    dernier point il convient de ne pas oublier que pour ceux qui n'ont pas le franais pour langue maternelle,

    cette acquisition suppose sans doute aussi l'accs une matrise relle de leur premire langue, qui

    conditionne le contrle des diffrences phontiques, grammaticales et stylistiques. Il serait trs souhaitable

    que soit enseigne aussi le plus tt possible une langue trangre.

    Dans cette perspective, l'cole maternelle, qui devrait recevoir partout les moyens d'accueillir les

    enfants ds l'ge de trois ans, pourrait, au moins dans sa phase finale, associer l'enseignement

    d'expression un enseignement de formation visant transmettre les savoirs fondamentaux dont l'cole

    primaire prsuppose tacitement la matrise, commencer par la comprhension et l'usage de la langue

    commune et de diverses techniques verbales et graphiques.

    En vue de renforcer ou de restaurer la motivation des matres et de contrecarrer la dissolution des

    responsabilits qu'encourage le recours la seule anciennet comme talon de toutes les formes decomptence, le pouvoir de tutelle devrait instituer des instances d'valuation de l'activit pdagogique et

    scientifique des matres. Ces instances, dsignes pour une dure limite (cinq ans au maximum),

    composes au moins pour partie de personnes trangres au corps considr et choisies pour leurs

    contributions cratrices aux activits les plus diverses, auraient valuer la qualit des individus et des

    institutions (quipes ducatives, tablissements, etc.) en fonction de critres multiples et nuancs ; le poids

    des titres devrait tre par exemple contrebalanc ou supplant par la prise en compte de l'efficacit

    pdagogique, qui, tant donnes les disparits du recrutement social des lves selon l'tablissement, ne

    peut se mesurer au seul taux de russite aux examens. Elles pourraient ainsi orienter l'attribution aux

    institutions et aux matres d'avantages matriels et symboliques (subventions, promotions, primes, stages

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    11 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    12/22

    de formation l'tranger, voyages d'tude, etc.).

    Ces instances d'valuation pourraient remplir les mmes fonctions au niveau de l'enseignement

    secondaire. Une fois rellement instaures les conditions de la concurrence entre les tablissements, ainsi

    incits s'attacher les meilleurs, leurs valuations pourraient guider les choix des parents et des lves.

    ces instances permanentes pourraient s'ajouter des missions temporaires confies des spcialistes(franais et trangers) et destines dcrire de la manire la plus prcise, par rfrence ce qui existe et

    ce qui change en France et l'tranger, l'tat scientifique et pdagogique des personnels et des

    tablissements des diffrents niveaux dans la spcialit considre. L'attribution d'une aide publique

    tendrait en fait tre subordonne l'acceptation de se soumettre ces contrles incitatifs, propres

    assurer aux tablissements concerns des attestations de qualit et, par l, un avantage dans la

    concurrence.

    Tout devrait tre fait pour augmenter la part d'autonomie et de responsabilit des enseignants ou

    des quipes pdagogiques dans l'exercice de leur mtier, en associant les enseignants la production des

    instruments de grande diffusion (vido-cassettes, manuels, etc.), l'laboration des techniques

    pdagogiques, la rvision des contenus. Ce qui supposerait la cration d'quipes d'animateurs itinrants

    chargs de recueillir les critiques et les suggestions propos des instruments et des mthodes en usage,

    d'assister techniquement et financirement ceux qui innovent et de faire circuler l'information sur toutes les

    initiatives de progrs, bref, de dcouvrir, d'encourager et d'aider de toutes les manires possibles les

    matres les plus inventifs. Ces animateurs auraient aussi pour fonction d'organiser priodiquement

    l'chelle rgionale, c'est--dire en liaison avec les universits locales, des runions de travail o les

    matres pourraient poser les problmes pratiques de leur enseignement devant des spcialistes agissantnon comme une instance de contrle et d'inspection, mais comme institution de conseil et d'assistance.

    V. LA RVISION PRIODIQUE DES SAVOIRS ENSEIGNS

    Le contenu de l'enseignement devrait tre soumis une rvision priodique visant

    moderniser les savoirs enseigns en laguant les connaissances primes ou secondaires et en

    introduisant le plus rapidement possible, mais sans cder au modernisme tout prix, les acquis

    nouveaux.

    L'inertie structurale du systme d'enseignement qui se traduit par un retard, plus ou moins grand

    selon les moments et selon les domaines, des contenus enseigns par rapport aux acquis de la recherche

    et aux demandes de la socit, devrait tre mthodiquement corrige par des interventions rglementaires

    ou des incitations indirectes visant favoriser la rvision des programmes, des manuels, des mthodes et

    instruments pdagogiques. Pour tre acceptables et applicables, ces rvisions devraient videmment

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    12 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    13/22

    prendre en compte de la manire la plus raliste les contraintes et les limites propres l'institution scolaire.

    L'accroissement continu des savoirs imposs tient pour une part aux effets de l'inertie institutionnelle

    et mentale qui porte reconduire indfiniment ce qui a une fois exist. C'est ainsi que le corporatisme de

    discipline porte perptuer des savoirs prims ou dpasss, et des divisions, qui peuvent persister

    l'organigramme scolaire, travers des examens, des concours, des diplmes, des exercices, des manuelset des enseignements alors qu'elles n'ont plus cours dans l'ordre de la recherche. Autre facteur de

    conservation, la tendance l'encyclopdisme, la prtention l'exhaustivit ou l'institution de pralables

    donns pour prrquisits absolus ("on ne peut pas ignorer a"). Pour combler ces tendances, et les

    corporatismes qui les fondent, il faudrait runir un comit de rvision des programme (des enseignements

    fondamental et secondaire) charg d'laguer les programmes de toutes les exigences vestigiales et

    d'introduire le plus rapidement possible les innovations utiles. Cela sans cder au modernisme tout prix

    surtout lorsque, comme c'est le cas par exemple en histoire, o elle ne correspond aucun changement

    dcisif, la modification considre des programmes a effet d'introduire des rptition et des lacunes dans le

    cursus des lves. Il faut certes initier les lves aux grandes rvolutions conceptuelles sur lesquelles

    repose la science moderne, mais il faut viter de faire trop tt et surtout au dtriment d'une science

    classique, souvent plus formatrice, sur laquelle repose tout l'difice : prtendre enseigner la relativit

    restreinte des dbutants qui ne savent pas comment marche un transformateur n'a gure de sens. Pareil

    comit de rvision devrait avoir le pouvoir d'orienter la politique d'investissements publics en matire

    d'ducation, en dfinissant les secteurs rduire ou augmenter, en orientant l'laboration et la mise en

    uvre d'instruments pdagogiques nouveaux.

    VI. L'UNIFICATION DES SAVOIRS TRANSMIS

    Tous les tablissements scolaires devraient proposer un ensemble de connaissances

    considres comme ncessaires chaque niveau, dont le principe unificateur pourrait tre l'unit

    historique.

    Pour compenser les effets de la spcialisation croissante, qui voue la plupart des individus dessavoirs parcellaires, et notamment la scission, de plus en plus marque, entre les "littraires" et les

    "scientifiques", il faut lutter contre l'insularisation des savoirs lie la division en disciplines juxtaposes ; il

    s'agit pour cela d'laborer et de diffuser, tout au long de l'enseignement secondaire, une culture intgrant la

    culture scientifique et la culture historique, c'est--dire non seulement l'histoire de la littrature ou mme

    des arts et de la philosophie, mais aussi l'histoire des sciences et des techniques ; la mme tendance

    l'insularisation s'observe au sein d'un mme secteur de la culture et il faut encourager par exemple la

    progression coordonne des enseignements scientifiques, notamment des mathmatiques et de la

    physique.

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    13 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    14/22

    Un des principes unificateurs de la culture et de l'enseignement pourrait ainsi tre l'histoire sociale

    des uvres culturelles (des sciences, de la philosophie, du droit, des arts, de la littrature, etc.) liant de

    manire la fois logique et historique l'ensemble des acquis culturels et scientifiques (par exemple

    l'histoire de la peinture de la Renaissance et le dveloppement de la perspective mathmatique). La

    rintgration de la science et de son histoire dans la culture d'o elle est en fait exclue aurait pour effet de

    favoriser la fois une meilleure comprhension scientifique du mouvement historique et une meilleure

    comprhension de la science qui, pour se comprendre compltement elle-mme, a besoin d'une

    connaissance rationnelle de son histoire, et qui livre sans doute mieux la vrit de sa dmarche et de ses

    principes lorsqu'elle est apprhende dans les incertitudes et les difficults des commencements.

    L'enseignement d'une vision plus historique de la science aurait pour effet de favoriser une reprsentation

    moins dogmatique et de la science et de son enseignement et de porter les matres de tous les niveaux

    mettre au premier plan les problmes autant que les solutions et rappeler ce qu'ont t, en chaque cas,

    les programmes de recherche concurrents.

    L'histoire des uvres culturelles (science, art, littrature, etc.) devrait tre enseigne dans sa

    dimension internationale, notamment europenne ; en consquence, les enseignants de la langue et de la

    littrature nationales et des langues et littratures trangres devraient tre troitement associs, sans

    privilge hirarchique. Pour concilier les impratifs d'universalisme et les fonctions d'intgration culturelle

    de tout enseignement de culture, il importerait d'encourager et de favoriser la rdaction de manuels

    d'histoire de la civilisation et des uvres culturelles du monde europen, ainsi que d'autres grands

    ensembles culturels, en rassemblant des reprsentants minents, franais et trangers, des diffrentes

    disciplines et de traduire le rsultat de ces travaux dans des moyens de transmission comme la vido-

    cassette.

    Une vritable Universit ouverte vocation europenne, conue sur un modle inspir de l'Open

    Universityanglaise, pourrait offrir un enseignement tlvis assorti de documents d'accompagnement et

    d'un encadrement (corrections d'exercices, claircissements complmentaires, etc.) qui pourrait tre

    assur, dans le cadre rgional, par une antenne d'universit ; une des fonctions de cette institution serait

    de procurer aux enseignants de tous les niveaux un instrument commode de formation continue et, le cas

    chant, de promotion, ce qui aurait pour effet d'encourager des investissements propres favoriser

    l'entretien ou l'amlioration de la comptence des matres. On pourrait mme concevoir qu'en s'appuyant

    sur le satellite europen et au prix d'une ferme simplification des quivalences, cette Universit ouverte

    vienne diffuser l'chelle de l'Europe des enseignements multilingues de haut niveau et offrir une

    prparation aux examens ordinaires de l'enseignement suprieur, contribuant ainsi une unification

    europenne des enseignements et des titres.

    VII. UNE DUCATION ININTERROMPUE ET ALTERNE

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    14 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    15/22

    L'ducation devrait se poursuivre tout au long de la vie, et tout devrait tre fait pour rduire

    la coupure entre la fin de l'enseignement et l'entre dans la vie active.

    L'institution scolaire est un des facteurs de la diffrenciation en classes d'ge. Il faudrait travailler

    faire qu'il n'y ait pas d'ge pour aller l'cole, pas de limites suprieures d'ge en tout cas. Ce qui

    supposerait que soit ouverte la possibilit de scolarisation tous les niveaux pour tous les ges au prixd'une transformation des reprsentations qui portent associer un certain niveau de comptence un

    certain ge. Si l'on sait que les diffrences sociales se retraduisent trs rapidement en diffrences d'ge

    scolaire (avance, "prcocit" ou retard, etc.), on voit qu'un accroissement de l'lasticit de l'ge scolaire

    pourrait avoir des effets sociaux importants.

    Si l'on observe en fait l'apparition d'une classe d'ge de travailleurs-tudiants et d'tudiants-

    travailleurs, la combinaison du travail et des tudes n'a pas vraiment trouv sa sanction dans les

    institutions. Sans doute parce que cela supposerait que soient repenses compltement la notion mme

    de travail et l'opposition entre l'inactivit et le travail, l'intrieur duquel il faudrait inclure activit

    professionnelle et formation. Pour des raisons insparablement techniques et sociologiques, la formation

    devrait tre considre, notamment dans le cas des enseignants, comme un travail part entire,

    confrant un vritable statut social et arrachant du mme coup les tudiants-travailleurs l'tat

    d'indtermination sociale o ils sont aujourd'hui, ce qui serait d'autant plus facile que la coupure entre

    thorie et pratique aurait t plus affaiblie. L'exercice d'une activit professionnelle pourrait souvent tre

    men de pair avec la poursuite d'tudes suprieures au lieu d'tre renvoy au-del de la fin des tudes.

    Dans cette perspective, on pourrait concevoir l'enseignement suprieur comme une institution d'ducation

    permanente mettant en uvre tous les moyens disponibles, scolaires et extra scolaires (radio, tlvision,vido, etc.) et propre faire disparatre la coupure, d'autant plus brutale et irrversible qu'elle est plus

    prcoce, entre les tudes et la vie professionnelle. Plus largement, toutes les occasions, et notamment le

    service national, devraient tre saisies pour donner une nouvelle chance de formation ceux qui sont dj

    au travail.

    Pareil objectif ne peut tre atteint qu'au prix d'une profonde transformation de l'organisation scolaire

    et des mentalits. En effet, pour que le droit de recevoir une formation tout ge devienne rel, il faudrait

    cesser d'identifier formation et scolarisation, en crant par exemple des institutions de formation appuyes

    sur la tlvision, en sanctionnant la formation acquise sur le tas ou par le travail personnel, etc. Il faudrait

    aussi repenser profondment l'organisation scolaire de manire permettre que les retours priodiques

    l'cole puissent avoir des dures multiples (pour une anne, avec le modle de l'anne sabbatique, mais

    aussi pour six mois, ou trois mois, ou une semaine, ou pour deux heures par jour - avec les cours du soir

    par exemple) et prendre des formes trs diverses : cycles de formation, stages intensifs, etc. Des formules

    d'change entre les institutions scolaires et les entreprises publiques ou prives pourraient tre institues,

    en particulier sous la forme de stages de formation ou de perfectionnement (aux niveaux levs du cursus,

    ces changes seraient sans doute extrmement profitables aux deux parties), et rciproquement, par des

    priodes de formation ou de recyclage, dans l'Universit. Les formules d'alternance de l'tude l'cole et

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    15 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    16/22

    du travail dans l'entreprise ou le laboratoire devraient tre gnralises, donnant ainsi son plein sens

    l'ducation permanente.

    VIII. L'USAGE DES TECHNIQUES MODERNES DE DIFFUSION

    L'action d'incitation, d'orientation et d'assistance de l'tat devrait s'exercer par un usage

    intensif et mthodique des techniques modernes de diffusion de la culture et notamment de la

    tlvision et de la tlmatique, qui permettraient d'offrir tous et partout un enseignement

    exemplaire.

    L'utilisation claire des instruments modernes de communication, et notamment de la

    vidocassette, permet aujourd'hui de confier la production d'instruments de transmission des savoirs et dessavoir-faire lmentaires, c'est--dire fondamentaux, des quipes associant des spcialistes de la

    communication audio-visuelle, capables d'employer au mieux les capacits spcifiques de l'instrument, et

    des enseignants dsigns par leurs comptences pdagogiques particulires qui auraient videmment

    intrt s'entourer des avis de la communaut scientifique. la diffrence de l'enseignement tlvis qui,

    du fait de la rigidit de la programmation, s'intgre souvent mal dans la progression, ncessairement

    diverse, de l'enseignement dans les tablissements scolaires, la vido permet d'offrir des enseignements

    courts, denses et pdagogiquement efficaces : d'un quart d'heure ou d'une demi-heure au maximum, ils

    laissent la place au commentaire, la discussion et l'exercice. Portant sur des savoirs et des points de

    programme o l'image (photographie, animation, etc.) est irremplaable, ces enseignements devraient tre

    dfinis, pour chaque niveau d'enseignement et chaque domaine du savoir, dans des cahiers des charges

    destins aux producteurs, publics ou privs, de vidocassettes susceptibles d'tre utilises dans les

    tablissements scolaires. La vidocassette, qui permet de combiner la souplesse de l'utilisation, chaque

    matre de chaque tablissement pouvant choisir son moment pour l'utiliser, et l'unit de conception et de

    ralisation, pourrait contribuer runir la libert et la diversit des usages pdagogiques et l'unit et la

    qualit de la culture enseigne. L'usage raisonn et gnralis d'enseignements enregistrs de haut

    niveau contribuerait par surcrot rduire l'effet des variations de la qualit des enseignements selon les

    tablissements, les rgions, etc. Il n'est pas douteux, par exemple, qu'en matire d'art et de littrature, et

    tout spcialement de thtre, et aussi de gographie ou de langues vivantes, l'image pourrait contribuer

    ter l'enseignement le caractre assez irrel qu'il revt pour les enfants ou les adolescents dpourvus de

    l'exprience directe du spectacle ou du voyage l'tranger. Pour favoriser la production de ces nouveaux

    instruments pdagogiques, il faudrait fournir aux enseignants intresss les moyens d'acqurir les

    nouvelles techniques de transmission du savoir et, ceux qui les auraient parfaitement matrises, les

    moyens de les mettre en uvre.

    La tlvision pourrait tre utilise, notamment le samedi et le dimanche, comme base d'une

    vritable ducation permanente ( diffrents niveaux) qui satisferait une demande actuellement exploite

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    16 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    17/22

    par les marchands de cours par correspondance, d'encyclopdies et autres ouvrages ou revues de

    vulgarisation et qui crerait, autour de l'cole, un environnement culturel indispensable la russite

    gnralise de l'entreprise ducative.

    Une combinaison raisonne de la vidocassette et de la tlmatique pourrait permettre des

    tablissements d'enseignement quips de terminaux d'ordinateur de proposer une ducationpersonnalise de haut niveau. On voit comment, par ce moyen, l'aide de l'tat, bien distribue, pourrait

    compenser les dsavantages gographiques et sociaux. Il s'agirait, dans un premier temps, de lancer un

    petit nombre d'expriences la fois sociologiquement valides (c'est--dire assures de toutes les

    conditions ncessaires pour avoir des chances de succs) et susceptibles d'tre reproduites plus grande

    chelle aprs que les conclusions en seront tires et les moyens trouvs.

    Pour viter les illusions et surtout les dsillusions, il faut toutefois rappeler que les instruments

    modernes d'enseignement ne peuvent tre efficaces qu' condition qu'on ne leur demande pas de se

    substituer aux matres mais de les assister dans une tche renouvele par leur utilisation : ils ne sont

    jamais qu'un outil supplmentaire la disposition des matres dont la comptence, le rayonnement et

    l'enthousiasme restent les facteurs principaux du succs pdagogique. En outre, ils ne peuvent recevoir

    toute leur efficacit qu'au prix d'normes investissements conomiques et culturels. L'accs la

    "consommation individuelle" de l'ducation que permet le recours la tlmatique a pour effet d'augmenter

    les cots de l'ducation et non de les rduire comme on avait pu le croire. Non seulement parce qu'elle

    exige des dpenses importantes en quipements (tlviseurs, magntophones, micro-ordinateurs ou

    terminaux d'ordinateur, vidothques, etc.) qui, en favorisant une pdagogie active, et un travail individuel

    ou collectif de recherche, sont eux-mmes gnrateurs de nouveaux besoins (bibliothques de recherche,banques de donnes, etc.) ; mais aussi parce qu'elle demande des matres trs comptents et trs investis

    dans une entreprise pdagogique propre rvler de nouveaux besoins pdagogiques - l'utilisation

    imparfaite tant propre, au contraire, dterminer des rgressions par rapport ce que les moyens

    traditionnels permettaient d'atteindre. L'effet d'homognisation et de centralisation que produirait l'usage

    systmatique (mais ncessairement limits une fraction restreinte de l'horaire) d'enseignements

    fabriqus au niveau des instances centrales aurait pour contrepartie l'action diversifie des matres : loin de

    se trouver rduits au rle de simples rptiteurs, ceux-ci auraient remplir une fonction compltement

    nouvelle, dbarrasse des tches purement rptitives et combinant l'action continue et personnalise qui

    est celle du tuteur, charg d'accompagner l'apprenti dans son travail, et l'action pdagogique du matre et

    de l'animateur, attachs transmettre les modes de pense les plus fondamentaux et organiser le travail

    individuel ou collectif.

    Le changement de vhicule appelle des changements dans le message. Les moyens de

    communication modernes ne peuvent obtenir leur plein rendement qu' condition que soit opre une

    profonde transformation des contenus enseigns et des manires d'enseigner : il s'agit en chaque cas de

    faire un effort mthodique pour maximiser le rendement de la communication (par un travail sur le langage

    employ, sur les documents prsents, les expriences proposes) en prenant en compte explicitement

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    17 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    18/22

    les caractristiques sociales et scolaires des destinataires. Pour rpondre la demande de formation et

    d'information que l'utilisation de ces nouveaux moyens ne pourrait manquer de faire surgir, l'autorit

    centrale devrait s'appuyer sur des quipes d'animateurs qui devraient permettre de trouver, dans une

    connaissance critique des meilleures solutions apportes par quelques-uns aux problmes rencontrs par

    tous, les bases d'une gnralisation progressive et volontaire des expriences russies.

    IX. L'OUVERTURE DANS ET PAR L'AUTONOMIE

    Les tablissements scolaires devraient associer des personnes extrieures leurs

    dlibrations et leurs activits, coordonner leur action avec celle des autres institutions de

    diffusion culturelle et devenir le foyer d'une nouvelle vie associative, lieu de l'exercice pratique

    d'une vritable instruction civique ; paralllement, il faudrait renforcer l'autonomie du corps

    enseignant en revalorisant la fonction professorale et en renforant la comptence des matres.

    Sans sacrifier au mythe de "l'ouverture sur la vie", qui peut conduire des aberrations, et sans

    compromettre l'autonomie indispensable de l'institution scolaire l'gard de la demande sociale, il faut

    viter que le systme scolaire ne se constitue en univers spar, sacr, proposant une culture elle-mme

    sacre et coupe de l'existence ordinaire. Pour cela, il serait indispensable que toutes les institutions de

    transmission culturelle (coles, muses, bibliothques, etc.) associent leurs conseils, de manire

    beaucoup plus relle et plus efficace qu'aujourd'hui, des personnalits extrieures (ce qui ne veut pas dire

    notables), non dans la logique d'un contrle qui ne peut que susciter des ractions de fermeture et de

    dfense corporatiste, mais dans la logique de la participation aux responsabilits, mme financires,

    l'inspiration et l'incitation.

    L'cole ne peut pas et ne doit tre le seul lieu de formation ; elle ne peut pas et ne doit pas viser

    tout enseigner. La transmission des savoirs ne pouvant, ni en fait ni en droit, tre monopoliss par une

    institution, il faut prendre en compte le rseau de lieux de formation complmentaires l'intrieur duquel

    doit se dfinir la fonction spcifique de l'cole. Du fait de l'importance grandissante des actions de diffusion

    culturelle qui s'exercent en dehors de l'institution scolaire - par la tlvision sans doute, mais aussi par lethtre, le cinma, les maisons des jeunes et de la culture, etc., - l'action scolaire pourrait avoir son

    rendement intensifi si elle s'intgrait consciemment et mthodiquement dans l'univers des actions

    culturelles exerces par les autres moyens de diffusion. Il faudrait rechercher, aussi bien l'chelle

    nationale qu' l'chelle des petites units locales, l'articulation de toutes les formes de diffusion culturelle,

    et favoriser, au moins l'chelle des petites villes, la coordination de l'action scolaire avec celle des

    diffrentes institutions de diffusion culturelle, bibliothques, muses, orchestres, etc., et aussi des diffrents

    agents de production et de diffusion culturelles, professeurs, artistes, crivains, chercheurs... Il importerait

    pour cela de lever les obstacles techniques, financiers, et surtout bureaucratiques ou juridiques

    (notamment en matire de responsabilit civile), sans parler des rsistances psychologiques, qui freinent

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    18 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    19/22

    aujourd'hui ces changes, empchant notamment la participation, bnvole ou rmunre,

    l'enseignement de personnalits des mondes artistique, scientifique ou professionnel. Ncessaire au

    niveau de la production des uvres culturelles, la coupure institutionnelle, mais aussi mentale, entre

    producteurs de culture - chercheurs, artistes, crivains - et transmetteurs de culture - professeurs,

    journalistes, diteurs, directeurs de galerie, etc., - devrait tre rduite au niveau pdagogique. L'entre

    dans l'univers scolaire de vritables crateurs de culture, toujours appels et accueillis par les enseignants

    agissant en mdiateurs chargs de prparer et de prolonger leurs interventions ponctuelles, aurait pour

    effet de rappeler la distinction, sans doute partiellement irrductible, entre la culture et la culture scolaire.

    La fonction propre de l'action scolaire et le choix des contenus enseigns doivent tre repenss par

    rfrence l'ensemble des institutions de diffusion complmentaires et concurrentes : cela afin d'viter les

    doubles emplois et pour concentrer l'effort pdagogique sur les terrains o l'action de l'cole est

    irremplaable. En fait, l'cole doit porter prioritairement son effort sur l'inculcation des dispositions

    gnrales et transposables, qui ne peuvent tre acquises que par la rptition et l'exercice. Elle seule peut

    en effet transmettre les outils de pense qui conditionnent la comprhension de tous les messages et

    l'intgration rationnelle de toutes les connaissances en mme temps que la synthse critique des savoirs

    susceptibles d'tre acquis par d'autres voies, savoirs ou demi-savoirs souvent disperss, voire clats,

    comme les conditions, plus ou moins alatoires, de leur acquisition.

    Les professeurs devraient tre prpars et encourags utiliser, de manire rflexive et critique, les

    messages culturels fournis par la tlvision, le thtre, le cinma, les journaux. Par exemple, ils devraient

    recevoir, un moment quelconque de leur formation, un enseignement sur la technique des nouveaux

    moyens de communication qui les rendrait aptes transmettre la conscience et la connaissance desprocds et des effets (de montage et de prises de vue notamment) qui, aussi longtemps qu'ils restent

    ignors, confrent des messages ou des images socialement construits, les apparences du naturel et de

    l'vidence.

    Tous les efforts propres favoriser la constitution d'une vritable communaut ducative unissant

    dans un change d'informations ou de services les parents et les ducateurs (ce qui est souvent le cas

    dans les tablissements privs) devraient tre encourags - en mme temps que serait clairement dlimit

    le domaine propre de la comptence professorale. L'cole ouverte devrait devenir une sorte de maison

    commune, foyer des rencontres entre les gnrations et entre les milieux, notamment entre les anciens

    rsidents et les nouveaux immigrs, la faveur par exemple de cours d'alphabtisation Ce serait un lieu o

    pourrait s'apprendre et s'exercer, surtout dans les petites agglomrations, l'occasion d'actions pratiques,

    d'entraide ou de secours, l'gard en particulier des personnes ges ou handicapes, ou travers des

    activits associatives unissant des gnrations diffrentes (activits artistiques, sportives, clubs de loisir,

    etc.), une morale de la responsabilit, de la solidarit et du respect d'autrui : l'ducation civique trouverait l

    ses travaux pratiques. Ces activits collectives seraient en effet l'occasion d'inculquer un certain nombre de

    principes de l'existence sociale : en particulier que la vie collective, et singulirement celle d'une classe

    active et oriente vers un projet commun, est impossible sans certaines restrictions que chacun doit

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    19 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    20/22

    s'imposer ; qu'on ne peut travailler en commun une mme activit sans une discipline minimale...

    Nombre d'activits d'intrt gnral qui ont t dlgues aux pouvoirs publics, qu'il s'agisse des

    activits proprement culturelles, comme les expositions, les spectacles, les concerts, etc., ou de celles qui

    ont trait par exemple la beaut des lieux publics, la sauvegarde de l'environnement naturel, au respect

    des animaux, etc., pourraient tre organises dans et par les institutions scolaires ou autour d'elles,redonnant aux ducateurs le rle social d'entraneurs exemplaires qui fut souvent le leur.

    Corrlativement cet effort pour offrir aux matres une fonction enrichie et largie et, par l, plus

    attrayante, et pour revaloriser socialement cette fonction en donnant l'cole les moyens de jouer un rle

    de foyer de la vie sociale, on pourrait aussi prvoir la formation permanente qui est ncessaire pour

    assurer l'entretien et le renouvellement de la comptence technique et pdagogique dans un univers o les

    savoirs voluent vite, du fait de la recherche scientifique et du dveloppement technologique, et o les

    spcialits se restructurent et se diversifient : le travail individuel de remise jour, qui devrait tre assorti

    d'avantages immdiats, pourrait tre favoris par une utilisation systmatique de l'enseignement tlvis

    (universit ouverte).

    Le mtier d'enseignant est un mtier difficile, parfois pnible et puisant, qui ne peut tre rellement

    exaltant et efficace que s'il est exerc avec passion et conviction. Les matres de tous les ordres

    d'enseignement ne peuvent chapper l'usure psychologique et technique qu' condition qu'ils puissent

    rompre priodiquement avec la routine scolaire en sortant de l'univers clos de l'cole pour faire des stages

    dans des laboratoires, des entreprises, etc.; ou pour reprendre leur formation soit par un travail personnel

    soit en suivant des enseignements, la faveur d'annes sabbatiques. Et sans doute serait-il ncessaire

    d'offrir aux matres d'un certain ge qui le souhaiteraient la possibilit d'achever leur carrire dans des

    fonctions d'administration, des tches d'encadrement culturel moins prouvantes (comme les activits de

    tuteur ou d'animateur itinrant), selon leurs prfrences et leurs aptitudes.

    Une forte comptence spcifique, tant en ce qui concerne la matire enseigne qu'en ce qui touche

    la manire de l'enseigner, constitue sans doute le meilleur, sinon le seul garant, de l'autonomie de l'cole

    et de l'indpendance des matres l'gard de tous les groupes de pression.

    DE L'APPLICATION DES PRINCIPES

    Ces propositions s'inspirent sans doute d'un parti pris d'optimisme qui se voit en particulier dans

    l'effort pour dpasser les contradictions entre les objectifs opposs que le systme scolaire doit poursuivre.

    Mais comment ne pas avoir l'esprit les contraintes avec lesquelles doit compter toute action sur le

    fonctionnement de l'cole ? Et comment oublier qu'un discours bien intentionn ne peut suffire produire

    le meilleur des mondes scolaires possibles ? Tant de fois dans le pass, des mesures inspires par les

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    20 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    21/22

    meilleures intentions ont abouti des rsultats qui allaient l'inverse des fins poursuivies. Et lorsqu'on est

    oblig de rappeler par exemple les vertus de l'apprentissage par l'exprience, inlassablement exaltes,

    depuis Rousseau et Pestalozzi, par tous les rformateurs, on ne peut chapper au sentiment que

    l'institution est capable de neutraliser ou de dtourner toutes les mesures destines la transformer. Ainsi,

    comment seront choisis ceux qui auront mission de choisir les innovations relles et de rcompenser les

    mrites vritables ? Comment seront dcouverts et encourags les responsables capables de mobiliser,

    par leur comptence et leur dynamisme, les immenses rserves d'imagination et de dvouement encore

    mal utilises ? Comment lever les rsistances innombrables qui pourront trouver des justifications dans les

    difficults techniques du mtier d'enseignant, souvent ignores du grand public, et dans les conditions

    matrielles souvent dplorables dans lesquelles il doit s'exercer ? Comment djouer les ruses du

    formalisme galitariste qui permet d'viter de reconnatre l'ingalit vidente des conditions de formation,

    et de confier les tches les plus difficiles, sans prparation particulire et sans contrepartie spciale, aux

    matres les plus jeunes et les plus dmunis ?

    L'importance des enjeux qui sont associs l'ducation impose de tout mettre en uvre pour

    surmonter ces obstacles sociaux. On ne peut pas diffrer plus longtemps l'effort qui est ncessaire pour

    amliorer les conditions d'existence, de formation et de travail des matres tous les niveaux, et

    l'instauration des mesures rglementaires indispensables pour rcompenser leurs russites. On ne peut

    pas faire plus longtemps l'conomie d'investissements importants dans l'infrastructure proprement

    culturelle ( commencer par les bibliothques).

    Il faudrait paralllement entreprendre sans attendre un certain nombre d'expriences limites mais

    dcisives : universit ouverte, comit de rvision et d'unification des programmes, instituts rgionaux deformation continue des matres (travaillant en liaison avec l'universit ouverte), units exprimentales

    d'enseignement personnalis utilisant la vidocassette et la tlmatique, corps d'animateurs, comit

    arme-universit pour l'organisation de la formation, chane de tlvision culturelle, etc. Afin d'viter

    qu'elles ne viennent renforcer par l'chec ou l'apparence de russite les mcanismes mmes qu'elles

    prtendaient combattre, ces expriences ne doivent tre entreprises qu' condition que se trouvent runies

    toutes les conditions matrielles et intellectuelles indispensables leur russite et qu'elles soient

    reproductibles et gnralisables.

    Enseigner n'est pas une activit comme les autres : peu de mtiers peuvent tre causes de risques

    plus graves que ceux que les mauvais matres font encourir aux lves qui leur sont confis ; peu de

    mtiers supposent autant de vertus, de gnrosit, de dvouement, et surtout peut-tre d'enthousiasme et

    de dsintressement. Seule une politique inspire par le souci d'attirer et de promouvoir les meilleurs, ces

    hommes et ces femmes de qualit que tous les systmes d'ducation ont toujours clbrs, pourra faire du

    mtier d'ducateur de la jeunesse ce qu'il devrait tre, le premier des mtiers.

    Collge de France &Le Monde de l'ducation,mai 1985, pp. 61-68

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...

    21 de 22 25/04/15 19:41

  • 7/23/2019 Bourdieu et al Propositions Pour l'Enseignement de l'Avenir

    22/22

    Texte soumis aux droits d'auteur - Rserv un usage priv ou ducatif.

    [Haut de page]

    Le rapport du Collge de France (1985) http://www.samuelhuet.com/paid/44-polemos/202-p-bourdieu-...