bonte 2004 (bétail afrique de lest)

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    Techniques & Culture43-44 (2004)Mythes. L'origine des manires de faire

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    Pierre Bonte

    Des peuples du btail Origines mythiques et pratiques rituelles dellevage en Afrique de lEst

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    Rfrence lectroniquePierre Bonte, Des peuples du btail , Techniques & Culture[En ligne], 43-44 | 2004, mis en ligne le 15 avril2007, consult le 02 septembre 2015. URL : http://tc.revues.org/1116

    diteur : Les ditions de la Maison des sciences de lHommehttp://tc.revues.orghttp://www.revues.org

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    Pierre Bonte

    Des peuples du btail Origines mythiques et pratiques rituelles de llevage en Afrique de lEst

    1 Les Nuer sont sans nul doute lune des populations au monde les mieux connues des

    anthropologues grce la remarquable somme monographique, disperse travers un certainnombre douvrages, que leur a consacre Edward E. Evans-Pritchard. Dans le principal etle mieux connu de ses ouvrages (1968), il les dfinit comme un peuple du btail (cattlepeople). Dfinition curieuse car, si les Nuer sont effectivement des leveurs de bovins etdautres sortes de btail, leur mode de vie dpend tout autant de lagriculture et de la pcheque de llevage.

    2 La notation ne prend sens que si lon rapproche le statut symbolique et social du btail plus particulirement des bovins dans la socit nuer de celui quil occupe dans la majoritdes socits est-africaines, quelles soient spcialises lexemple le plus connu est celuides Masai ou non dans les tches pastorales. Moins de deux dcennies avant quEvans-Pritchard ne rdige son premier ouvrage sur les Nuer, dautres anthropologues avaient relev

    ce trait culturel propre aux socits est-africaines, et parl dun complexe du btail (cattlecomplex)pour dsigner la relation particulire que ces populations entretiennent avec leursbovins (Herskovits 1926), voire de boomanie ou de booltrie pour souligner que cerapport a moins voir avec la dimension matrielle de llevage, qui parfois ne joue quun rlesecond dans leurs modes de production et de vie, quavec la manire dont le btail sinscritdans les reprsentations symboliques et religieuses.

    Techniques et cultures pastorales

    3 Les donnes archologiques attestent dune spcialisation pastorale de ces populations est-africaines depuis le IIIme millnaire av. J.-C. Lvolution des pratiques dlevage, du faitde la diffusion ultrieure du zbu en particulier, relve ainsi dune histoire commune, faite

    de migrations de peuples dleveurs , de la construction dhgmonies locales, de laspcialisation des degrs divers de ces populations dans llevage en fonction de conjonctureshistoriques et cologiques (Galaty & Bonte 1991), etc., histoire qui se manifeste aussi par unerelative permanence des techniques dlevage que lon retrouve sans grandes diffrencesdans toute laire concerne1.

    4 Il serait donc difficile dintroduire, en se rfrant ces techniques pastorales largementidentiques, un ordre qui permette de classer les diverses populations de cette aire culturelle enfonction de leurs pratiques de llevage. Les diffrences que lon peut relever tiennent la placede llevage2en tant quensemble de croyances, de savoirs et de pratiques, dordre techniquecertes, mais aussi rituel, social, conomique..., associs exclusivement la possession et lutilisation des bovins3.

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    En fait, peu de socits est-africaines sont spcialises dans llevage des bovins; les Masaidu Kenya et de la Tanzanie reprsentent lune des rares exceptions. Il nen est que plusremarquable de constater que mme dans ces socits, llevage est une activit rserve auxhommes, les femmes tant exclues de la possession du btail et de la majorit des tchesle concernant. Chez les Masai comme dans les socits agro-pastorales voisines, elles sontassocies lAgriculture la majuscule souligne l aussi que sous ce terme qui renvoie une organisation technique de la production, se rvlent des croyances, des savoirs et des

    pratiques qui ne peuvent tre apprcis en fonction des seuls rfrents matriels4. Mais surle plan de lorganisation rgionale de la production, laffaire apparat plus complexe encore.Entre pasteurs spcialiss et agro-pasteurs voisins, cette distinction inspire des valeurs degenre le masculin pastoral et le fminin agricole contribue aussi ltablissement dehirarchies qui prennent alors un tour ethnique . De mme, les relations entre les leveurs etles chasseurs-collecteurs (Torrobo) qui vivent dans linterstice des socits pastorales et agro-pastorales locales, stablissent en termes de hirarchies qui renvoient aux valeurs dominantes

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    masculines de ceux qui, pratiquant llevage, se trouvent en position dincarner la socitdans son ensemble. Pour comprendre ces hirarchies, et lorganisation, qui en dcoule, destechniques de production pastorale, il faut nous pencher sur les reprsentations que se fontlensemble de ces populations des origines du btail et des fondements de llevage.

    Lorigine cosmique du btail

    6 Dans diverses socits, les rcits qui rendent compte des origines du monde (cosmogense) etde lhumanit (anthropogense) ont pour trait commun dassocier le btail au monde surnaturelet de justifier ainsi la relation quil entretient depuis ce temps des origines avec les groupesqui pratiquent llevage.

    7 Des mythes de cet ordre ont t recueillis chez les Masai par divers auteurs. Lun des plusrpandus est celui de Lescalade de la falaise (Galaty 1977). Lhumanit vivait initialementdans un cratre dsol et sec, entour de hautes falaises. Il nexistait cette poque aucunediffrence dge, de parent ou de langue entre les hommes, et tous possdaient du btail.Un jour, lun deux dcouvrit des pturages verdoyants au-del des falaises et ils dcidrentdy mener leurs vaches. Ils construisirent un pont pour pouvoir franchir la falaise avec leurbtail. Une fois travers par les vaches et une partie des hommes, le pont scroula. Les Masaisont les leveurs qui purent sortir du cratre avec le btail; ceux qui y restrent sans btail

    sont les anctres des Il Meek, des Agri-culteurs. Ce mythe, comme dautres rcits, souventorganiss autour du thme de lascension, de la mise distance, justifie la distinction, dordrehirarchique dans les reprsentations propres aux uns et aux autres, entre les Masai, qui viventen priorit de llevage, et leurs voisins. Un autre mythe rapporte que le btail fut donn auxhommes par la divinit suprme aprs quils eurent t chasss dune sorte de paradis originel,galement caractris par lindiffrenciation des genres, des tats et des statuts. Les vachesdescendirent du ciel le long dune corde, mais celle-ci cassa avant que tous les hommes naientreu une part de btail. Il en rsulta deux catgories dhumains : ceux qui soccupent dlevage

    et ceux qui pratiquent lAgriculture5.8 La distance entre levage et Agriculture est parfois souligne en termes moins topiques

    quthiques. Cest le thme dun autre mythe dorigine masai. Lanctre commun des hommes,

    appel Le-eyo, terme gnrique pour lhomme, avait reu le btail dune divinit. Il avaitdeux fils auxquels il proposa de choisir leur part dhritage. Lan, qui sera lanctre desagriculteurs Il Meek, lui demanda une part de tous les biens quil possdait. Le cadet, anctredes Masai, se contenta de rclamer le chasse-mouche de son pre, emblme de lautoritmasculine et du prestige des Anciens dans une socit organise au sein dun systme rigide declasses dge. Il reut la bndiction de son pre et la totalit du btail, ainsi associ aux valeursmasculines incarnant lautorit et lordre social. Car le btail est masculin et les femmes enfurent exclues ds les origines. Dautres rcits dorigine le rappellent de manire insistante.

    9 Certes, une relative indiffrenciation est gnralement pose dans les temps primordiaux. Dansun mythe rapport par Merker (1971), aux origines, les hommes possdaient les vaches etles femmes taient propritaires des animaux sauvages qui vivaient en symbiose avec les

    humains. Mais un jour, une femme tua lun de ces animaux et ceux-ci dcidrent alors degagner seuls dsormais les pturages. Les hommes restrent ainsi les possesseurs exclusifs desanimaux domestiques. Un autre mythe, rapport par le mme auteur, explique aussi lexclusiondes femmes et il nous fournit simultanment une clef de lorigine du sacrifice.

    10 Les hommes, chasss du paradis primordial, reurent le btail de Dieu dans les conditionsprcdemment exposes. Dieu saperut que les hommes ne pouvaient se nourrir uniquementdu lait des vaches quil leur avait accordes; il leur permit alors de prlever le sang des animaux

    vivants et leur fournit cette fin larc et la flche6, leur interdisant cependant formellement demettre mort les animaux. Mais un jour, un homme, si pauvre quil ne possdait que quelquesvaches et vivait des produits de la cueillette, vit son fils tomber malade. Pour gurir lenfant,son pouse lui demanda de prlever du sang sur lune de ses vaches. Il le fit, mais la quantit desang ne fut pas suffisante et ltat de lenfant empira. Sa femme lui demanda alors de tuer lunede ses btes pour gurir lenfant en lui donnant de la viande. Lhomme refusa, mais durant sonabsence, la mre, pour sauver son fils, tua lune des btes du troupeau. Dieu chassa alors tous

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    les habitants du campement quil brla; la femme et lenfant, qui staient attards, prirentdans lincendie. Depuis, seules les femmes travaillent , cest--dire pratiquent lAgriculture

    conue, contrairement llevage, comme une peine7. Conscient des difficults des hommes,Dieu les autorisa consommer la chair de leurs animaux condition quils soient sacrifisrituellement. Les femmes, leon ultime du mythe, ne peuvent pratiquer llevage ni possder lebtail8parce quelles ont manifest leur incapacit en faire un bon usage , en loccurrenceen tuant les animaux qui leur taient confis des fins personnelles, celles du bien-tre de leurs

    enfants, et non selon les rgles surnaturelles qui avaient prsid leur attribution lhumanit.

    Spcialisation pastorale et place de lagriculture

    11 Les Masai, dont nous venons de rapporter les mythes dorigine, font partie des rares socitsqui prsentent, en Afrique de lEst, une forte spcialisation pastorale impliquant des relationssuivies avec les socits agricoles voisines pour obtenir des complments de nourriturecralire; on pourrait en trouver lquivalent chez certains Peuls dAfrique occidentale.Ces socits de cultivateurs partagent pour une part les valeurs pastorales masculines quenous venons dvoquer, et qui sont largement rpandues sur tout le continent africain. Ilnen est que plus intressant danalyser les variations de cette idologie pastorale observesdans les socits agro-pastorales proches, qui sont amenes concilier les valeurs pastorales

    masculines dominantes avec limplication, fortement affirme, des valeurs fminines danslAgriculture. Nous examinerons dans cette perspective un mythe dorigine des Gogo deTanzanie, voisins des Masai, chez lesquels lagriculture est incontestablement lactivitprincipale; ils se rfrent pourtant aux mmes valeurs pastorales et leurs mythes nousrapportent dans des termes comparables, mais aussi profondment divergents de par la placequils accordent aux mdiations fminines, lorigine de leur btail (Rigby 1971).

    12 Un jour, les hommes rejetrent hors de la socit des origines une femme divorce avec sesenfants. Protge par le lion, elle se rfugia dans la nature o elle put lever ses enfants,mais trompe par la hyne, elle se trouva aussi rejete du monde sauvage. Seul le zbre animal sauvage considr comme tant le plus proche de lhomme accepta de la protgeret il finit par lemporter sur le lion. La femme et les enfants purent alors rintgrer lhumanit

    en amenant avec eux les bovins, jusque l sauvages.13 Ce sont donc les femmes ici qui apportent le btail aux hommes et qui jouent un rle de

    mdiation non sans ambigut, comme lattestent les rles assums dans le mythe : la femmeest divorce, la hyne est un animal hermaphrodite dans les mythes africains, le zbre se situeentre le monde sauvage et le monde humain. On retrouve la mme ambigut dans un autremythe dorigine du btail et de la vie sociale, recueilli cette fois chez les Atuot, voisins etproches des Nuer dont ils partagent les valeurs pastorales (Burton 1981).

    14 Aux temps primordiaux, les hommes vivaient dans la fort avec des buffles sauvages, sanscontact avec les femmes qui demeuraient prs de la rivire, dans un autre campement,pchant, cultivant et dtenant les vaches. Les vagins des femmes taient alors ferms etelles concevaient des filles exclusivement en se baignant dans les eaux de la rivire.

    Un buffle disparut un jour du campement des hommes et lun dentre eux suivit sa tracejusquau campement des femmes. Elles ne purent linformer du sort de lanimal, mais ellesdcouvrirent le pnis, et lhomme le vagin. Les femmes se prcipitrent sur lhomme, qui enmourut, mais hommes et femmes se rapprochrent. Les hommes saperurent alors que lesfemmes sintressaient surtout lagriculture et ils leur volrent les vaches aprs avoir chassles buffles dans la fort. Chaque femme choisit alors un homme et les hommes exigrent dese marier. Lane des femmes demanda quils donnent des vaches en change, sous formede prestation matrimoniale.

    15 Ce sont encore les femmes qui apportent les vaches lhumanit, mais elles sendsintressent, et les hommes se les approprient pour se marier et pour contrler la vie sociale.Si les valeurs pastorales restent dominantes, sesquissent cependant, dans ces socits du suddu Soudan dont font partie les Nuer, un ensemble de valeurs complmentaires associes aumonde fminin, lagriculture, leau et la pche, ainsi qu la fcondit. Ces reprsentationsjouent un rle dcisif pour comprendre les diffrences que prsentent ces socits, atuot, dinka,

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    nuer, partageant un pass commun qui remonte quatre ou cinq sicles, non seulement en cequi concerne les valeurs auxquelles elles se rfrent, mais dans leur organisation sociale9.

    Les Nuer, un peuple du btail ?

    16 Quest-ce donc qui justifie le fait quEvans-Pritchard rserve cette appellation aux seuls Nuer,dont le mode de vie est en partie le mme que celui de leurs voisins atuot et dinka, qui associent

    llevage lagriculture et la pche, et reconnaissent par ailleurs les mmes valeurs pastorales ?Paralllement ces valeurs pastorales, propres aux hommes, se dessine un autre ensemble derepr-sentations, lies leau, aux rivires et aux lacs, la pche plus encore qu lagriculture,qui apparaissent comme des valeurs fminines. Nous les avons dj repres dans le mytheatuot. Selon un autre mythe des Atuot, leur territoire ancestral tait initialement sec et dsol.Un seul puits tait disponible mais il ne fournissait que du sang. On y noya une belle jeune filleet ce puits devint le lac Nyirol o les Atuot trouvrent une pirogue, un harpon et les diffrentesespces de poissons. Si lon examine lorganisation sociale de ces peuples les Nuer excepts, on saperoit que de telles reprsentations dfinissent des valeurs fminines mais aussi desvaleurs dautorit.

    17 Chez les Atuot et chez les Dinka, les offices politico-rituels sont exercs dans un contexte defiliation cognatique, par les matres du harpon qui transmettent hrditairement un pouvoirdorigine divine. Ils assument une fonction assez semblable celle des prtres de la terre chez les Nuer, plus souvent appels chefs la peau de lopard 10. Cette similitude met envidence une opposition valorise entre le harpon, la pche et la parent cognatique dune part,et dautre part, entre la lance, la guerre et la parent agnatique, ainsi que la montr Evans-Pritchard dans le long chapitre deNuer religion(1956) consacr au symbolisme de la lance.

    18 On a longtemps pens que les particularits des Nuer, qui les distinguaient de leur voisins,tenaient la mise en place du systme lignager patrilinaire et segmentaire quEvans-Pritcharda dcrit comme la forme paradigmatique des socits acphales , systme qui aurait facilitlexpansion de ces Nuer aux dpens des autres (Sahlins 1961). Il est vrai que les valeurspatrilinaires, masculines (lance) et pastorales, sinscrivent au cur des reprsentations nuer.Cependant, les distinguent-elles significativement des Dinka, par exemple ? Peu peu, cette

    ide a t remise en question par les anthropologues. Constatant que les groupes de parentsont souvent organiss selon une filiation agnatique, certains dentre eux ont parl d illusionagnatique (Southall 1985) et reconsidr la nature de lorganisation lignagre segmentairedcrite par Evans-Pritchard. Do sont venus tous ces lignages ? , sinterroge pour sapart Verdon (1984), qui souligne que lultime cohrence de lordre patrilinaire, masculin etpastoral de la socit nuer relve dune lecture de la structure sociale mettant en vidence lesvaleurs hirarchiques de llevage et les reprsentations qui les fondent sur le bon usage desvaches. Les lignages sont des groupes constitus des fins rituelles et le bon usage rituel dubtail est de nature sacrificielle, nous y reviendrons plus longuement. Les lignages dsignscomme minimaux par Evans-Pritchard sont en fait, selon Verdon, des groupes rituelspatrifiliaux rassembls pour lutilisation sacrificielle des bovins. Les relations agnatiques

    plus larges sexpliquent non plus par lusage sacrificiel du btail vivant mais par lide duntroupeau dtenu en commun aux origines, qui cre entre les hommes des liens ancestraux.

    19 En dfinitive, et l Evans-Pritchard ne sy tait pas tromp, cest en tant que peuple du btail que les Nuer ont cr leur identit et produit lordre social original qui a retenu lattention desanthropologues. Les Nuer ne sont Nuer que lorsquils se runissent pour garder du btailnuer (Burton 1981 : 570). Cest en dveloppant certaines valeurs lies au btail, telles que lesrvlent les mythes dorigine et quelles se traduisent dans les rituels, sacrificiels en particulier,que sest forge et tendue territorialement cette socit, et que les Nuer ont t amens, par lamme occasion, sans que leur mode de vie ne sen distingue radicalement sur le plan matriel, produire plus de btail que leurs voisins dinka. Je me suis attach montrer ailleurs que laspcialisation pastorale de certaines de ces socits dAfrique de lEst sexpliquait moins par

    des raisons tenant laridit des milieux o des contraintes techniques que par les effets deces valeurs pastorales11.

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    20 Il est noter que les Dinka vivent aussi dans un univers de reprsentations structurpar ces valeurs pastorales dans ce que jappellerai dsormais un univers du btail .Lanthropologue britannique qui a men les premiers travaux sur les Dinka, GodfreyLienhardt, relve ainsi que le terme quils emploient pour dsigner lunit territoriale la tribu , wut dnote initialement le campement de btail. Il observe que larrangement,lorganisation et la segmentation de ces campements de btail constituent le paradigme selonlequel sorganise la rpartition des membres de la tribu en groupes de filiation commune. Les

    structures sociales des Nuer et des Dinka ne sont pas foncirement diffrentes. Certes, lesDinka sorganisent en lignages et en tribus rattachs par des liens maternels, mais chez lesNuer, de nombreux lignages ont des anctres fminines et sinscrivent dans la lecture agnatiquede lordre social comme des enfants des filles des lignages localement dominants.

    21 Lincise, sans doute bien trop rapide, que nous venons de consacrer aux socits nilotiquessoudanaises sur lesquelles luvre pionnire dEvans-Pritchard a, juste titre, attir lattentionsuscitant une abondante littrature dont nous avons pu bnficier, fait apparatre leslogiques classificatoires qui sont mises en jeu dans le cadre de cet univers du btail ,command par les valeurs dominantes de llevage et lide dune origine surnaturelle desbovins. Le btail, les bovins plus prcisment car le petit btail, ovins et caprins, qui sontdtenus aussi en grand nombre dans ces socits est-africaines, nest pas porteur des mmes

    valeurs, joue un rle dcisif pour distinguer, pour classer les hommes et les femmes, lesleveurs et les agriculteurs, comme les peuples en gnral. Plus globalement, la rfrenceaux valeurs dominantes du btail intervient pour dfinir la place de lensemble des activitstechniques. Revenant aux socits masai, nous allons le mettre en vidence propos de laplace quoccupent en leur sein un certain nombre de populations qui vivent de la chasse etde la collecte.

    Masai et Torrobo: ltablissement des hirarchies

    22 Les Torrobo sont des chasseurs-collecteurs qui vivent en bandes disperses parmi les Masai.Leurs contacts avec ceux-ci sont assez troits pour quils partagent certaines de leurs valeurspastorales, en fonction desquelles vont sorganiser leurs relations conomiques et sociales12.

    En tmoigne le rcit mythique qui explique lorigine de la distinction entre les Masai et lesTorrobo.

    23 En crant le monde, Dieu trouva trois tres : un Torrobo, un lphant et un serpent. Il donnaune vache au Torrobo. Celui-ci tua le serpent qui le menaait, puis llphant qui troublaitlabreuvoir de la vache. Le fils de llphant partit dans un autre pays o il rencontra unMasai qui, ayant appris lhistoire, partit la recherche du Torrobo. Entre-temps, Dieu avaitdemand au Torrobo de construire un campement et de sacrifier un veau pour quil lui accordesa bndiction et du btail. Par ruse, le Masai russit recevoir de Dieu le btail destin auTorrobo et il en devint ds lors le propritaire exclusif.

    24 Dautres mythes (Galaty 1977) se construisent sur un schma identique. Les Torrobo sontles premiers dtenteurs du btail et bnficient de la bndiction divine, quils perdent par

    suite dune ngligence ou en raison de dfauts qui leur sont propres : il sagit souvent de lagloutonnerie qui leur est attribue de manire strotype. John Galaty rapproche certains deces rcits de ceux qui justifient lexclusion des femmes de la possession du btail parce quellesnont pas hsit tuer un animal pour nourrir leur enfant, par exemple. De manire gnrale,ces mythes dorigine du monde, de lhumanit et du btail sorganisent selon des principescomparables.

    25 Ils se rfrent trs gnralement une entit surnaturelle toute-puissante et cratrice, maisquon ne peut voquer qu travers ses crations, y compris celle de multiples tres surnaturelsplus proches des hommes, et le mode de communication qui stablit entre elle et leshommes par lintermdiaire du btail, don et bndiction de cette entit. Une indiffrenciationprimordiale sinscrit dans lordre de la cration, et parat mme parfois la prcder tant lesreprsentations sont floues en ce domaine. Il ne sagit pas dun univers chaotique mais dunmonde quordonnent dautres rgles que celles qui gouvernent la socit actuelle et dontelles constituent parfois une inversion, sinon une transgression. Les femmes et les chasseurs-

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    collecteurs torrobo peuvent dtenir le btail, ou encore celui-ci est attribu lensemble delhumanit; les animaux sauvages et domestiques ne sont pas distingus; les peuples, leslangues, les groupes de parent ou dge ne sont pas diffrencis; la distinction des sexes mmepeut rester virtuelle, etc. Bref, les activits humaines ne sont pas dotes dun caractre socialmais portent en elles tous les traits de la socit qui va natre de cet tat des origines.

    26 Loprateur des diffrenciations est le btail, en loccurrence les bovins qui font partie dela cration divine, qui tablissent, et rtabliront tout moment travers le sacrifice, un lien

    fondamental entre transcendance et immanence. La gloutonnerie ou tout simplement la faimdistinguent les hommes des femmes, les Masai des agriculteurs Il Meek. Le btail est appropripar ruse, quelquefois aux dpens de la divinit, trompe dans ses intentions premires. Le cadetse rvle plus intelligent que lan. Les hommes drobent le btail aux femmes, etc. Alorsmme que les catgorisations sociales fondes dans les rcits mythiques peuvent apparatrefiges, le foisonnement de ces rcits rvle les possibilits de leur manipulation, que lonobserve par ailleurs travers lhistoire propre de ces socits : en dveloppant les valeurspastorales et en sidentifiant comme un peuple du btail , les Nuer se distinguent des Dinkapuis les refoulent hors dun vaste territoire. En acqurant du btail, les Torrobo deviennentdes Masai, et en le perdant ceux-ci se font Torrobo. Certaines socits se spcialisent dansllevage des bovins. Des hgmonies locales stablissent puis seffondrent.

    27 Ainsi entendu, llevage doit tre conu comme un ensemble de pratiques, de savoirset de reprsentations concernant les bovins, dans le contexte desquels il est impossiblede distinguer des dterminations purement techniques, pas plus que des dterminationsstrictement cologiques, car la mise en uvre des pratiques ou des savoirs techniques(Bonte 1985) ou encore les contraintes du milieu (Bonte 1981), ne peuvent tre analysesindpendamment des reprsentations qui commandent lexercice de cet levage. Ce sontmme au contraire celles-ci qui donnent sa signification premire lorganisation matrielle etsociale de ces populations. Elles justifient la rpartition des activits techniques entre hommeset femmes, chasseurs, agriculteurs et leveurs, mais aussi entre leveurs, forgerons quijouent un rle essentiel dans ces socits et spcialistes des services rituels13qui contribuentimprativement au bien-tre du btail et des hommes (Becquemont & Bonte 2004, s/presse).

    28 On pourrait tre tent de reprendre, pour dsigner, dans ces socits est-africaines, les relationsentre les diffrents groupes dfinis comme engags dans llevage, lAgriculture, la Chasse-cueillette, la Forge et la Spcialisation rituelle, la notion de hirarchie introduite par LouisDumont (1983). Dans un esprit proche de celui qui prside la prsente tude, Dumontenvisage cette notion de hirarchie comme expression de linscription des activits socialesdans une totalit qui leur donne sens. Au sein des socits holistes que Dumont opposeaux formes modernes de lindividualisme, pareilles activits obissent laffirmation devaleurs qui organisent le social comme une totalit, un cosmos, et justifient, sur la basede lhtrognit de telles activits, les relations quelles entretiennent mutuellement. Onpourrait dans cette mesure comprendre le statut des bovins dans les socits est-africaines demanire analogue au statut des porcs dans les socits mlansiennes quont tudies plusieursdisciples de Dumont.

    29 Je me dmarquerai cependant de cette analyse sur deux points. La notion dumontiennede hirarchie, dune part, se dfinit exclusivement en fonction de la rfrence la totalitcosmique, telle que lexprime le mythe, et exclut la traduction de ces hirarchies en termessociaux. Or, il est clair que la distinction entre levage et Agriculture en Afrique se traduitaussi par des hirarchies sociales : entre hommes et femmes, entre agriculteurs spcialisset agriculteurs, et mme, en Afrique centrale, entre aristocraties pastorales et agriculteurs

    domins14. En sintressant exclusivement, dautre part, aux modes de clture transcendantaledune culture, et non dune socit donne, Dumont et son cole sinterdisent de comprendreles capacits de changement que rvlent les socits concrtes, et qui tiennent au fait quellevage, par exemple, quil sagisse de celui des bovins en Afrique ou de celui des porcsen Mlansie, est certes dtermin par les reprsentations hirarchiques que nous avons

    identifies, mais reste une activit sexerant par lintermdiaire de pratiques et de savoirs

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    techniques, dans des milieux naturels et humains particuliers, qui sollicitent le changement,inscrivent ces socits dans le temps, dans lhistoire.

    30 Ainsi les activits rituelles, que je situe comme Dumont au cur de la pratique des socits holistes , ne sont pas figes une fois pour toutes dans les reprsentations qui lescommandent; elles sont reformules constamment en fonction de la rorganisation de cesreprsentations : les Dinka deviennent des Nuer et cela a des consquences dcisives surleur vie matrielle et sociale. Les travaux pionniers de Dumont demandent tre complts

    par une analyse pralable des mcanismes qui sont lorigine de ces reprsentations. ClaudeLvi-Strauss sest pench sur ce problme dans une bonne partie de son uvre, qui pose laquestion de la nature des classifications (1962) ou dconstruit la structure du rcit mythique(1964-1971).

    31 Je me propose de jeter un pont entre ces deux auteurs, par ailleurs si profondment diffrents,en introduisant, avec la notion de ftichisme, une possibilit danalyser simultanment lesmcanismes gnraux qui prsident la constitution des socits holistes , toutes ltant vrai dire, sauf nos socits modernes je suis en accord sur ce point avec Dumont, et lesconditions particulires qui prsident la formation comme aux transformations de socitsparticulires. La tche est ambitieuse, jen suis conscient, et je ne peux prsenter ici quequelques lments danalyse, organiss justement autour de la notion de ftichisme du btail

    dans les socits est-africaines.

    Le ftichisme du btail et lordre social est-africain

    32 Jai dvelopp plusieurs reprises lanalyse de cette notion de ftichisme et la prsentation deson usage pour comprendre le fonctionnement des socits o les valeurs du btail sinscriventau centre des reprsentations et des pratiques sociales15. Minspirant plus particulirement deMarx et de son ide du ftichisme de la marchandise, jentends par ftichisme un mcanismede la pense qui procde par un dplacement, un transfert des significations attribues une

    activit, ou au produit dune activit humaine, qui dnie 16en quelque sorte celle-ci lafacult de se prsenter en tant que telle et en fait la cause initiale des relations de toutes sortesnoues entre les hommes17.

    33 Applique lunivers du btail qui structure les reprsentations et les pratiques des socitsest-africaines, cette notion de ftichisme permet dviter, me semble-t-il, un double cueil.Le premier consisterait assigner une ralit dordre essentialiste, ontologique, au travail, llevage des animaux domes-tiques en loccurrence, et la division du travail dans lequelil sinscrit, en la distinguant, comme une ralit positive, des reprsentations que sen fontles intresss18. Le second, quillustre la notion de hirarchie telle que lentend Dumont,serait la prise en compte prioritaire de ces reprsentations du point de vue de la totalitquelles constituent, et qui dtermine une fois pour toutes lefficacit symbolique des pratiqueset des savoirs de la socit. La notion de ftichisme du btail, dont nous allons rsumerici les principaux effets sur lorganisation matrielle et sociale permet de prolonger et desprciser les rflexions de Claude Lvi-Strauss sur lefficacit symbolique, quil aborde trop

    exclusivement, nos yeux, sur la base des savoirs (classificatoires) et des discours (mythiques)produits par les socits concernes, et non partir des pratiques (rituelles) qui en sontindissociables.

    34 Trs gnralement dfinie, la ftichisation du btail, dans ces socits, consiste en ce que lebtail (bovin) apparat non pas comme le rsultat des activits et connaissances dleveurs,collectivement organiss, mais comme lorigine de la vie sociale et la cause de ces activitsdont nous avons dj soulign quelles conjuguent ces reprsentations ftichises et lestechniques et connaissances pastorales en les rassemblant sous ltiquette dlevage. Voyonsmaintenant comment opre ce dplacement de sens, tout dabord pour organiser les rapportsquentretiennent entre eux les membres de ces socits. En un second temps, nous examineronsla manire dont ces reprsentations et pratiques grent les relations entre les hommes et lesurnaturel.

    35 Il est un domaine privilgi de la rflexion anthropologique : la parent et de lalliance demariage. Pour les socits est-africaines, la prise en compte des processus de ftichisation

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    du btail apporte des complments indispensables aux travaux classiques. On sait que danscertaines de ces socits, chez les Nuer en particulier, le mariage est scell par le transfert dunequantit importante de bovins de la famille de lpoux celle de lpouse. Dans la dernirepartie des Structures lmentaires de la parent(1949), Lvi-Strauss tudie un mariage de cetype, le mariage lobolapratiqu par les populations bantoues du sud de lAfrique; il interprtece mouvement du btail loccasion du mariage comme un lment de constitution de lafamille, lgitimant les droits du pre sur ses enfants dans un contexte de filiation unilinaire,

    ainsi que comme une manifestation de la loi universelle de lchange : en circulant en sensoppos des femmes, les bovins jouent un rle dquivalent gnralis; un homme se mariegrce aux bovins reus pour le mariage de sa sur.

    36 La thorie a sans doute sa part de vrit, mais nest-ce pas celle de lanthropologue ? Autrementdit, est-ce bien ainsi que les Nuer et autres populations africaines se reprsentent rellementles fonctions et les effets dune telle pratique sociale ? Evans-Pritchard nous fournit une autreclef pour interprter la prestation matrimoniale, qui claire sur son efficacit symbolique etsociale en la rapprochant de la rgle fondamentale dexogamie clanique et lignagre :

    Les Nuer expriment ces lois dexogamie en termes de btail, car l o le btail peut passerdun lignage un autre en vertu de la parent, les femmes ne peuvent passer par mariage. On nepeut pouser une femme si lon appartient un groupe de parents qui reoivent une partie de la

    prestation qui doit tre verse pour elle. (Evans-Pritchard 1937 : 211)37 Lexogamie est ainsi justifie par lide dun btail possd en commun aux origines, qui

    interdit le mariage et autorise, linverse, que du btail circule loccasion du mariage entreles groupes partenaires. Chez les Nuer, contrairement ce qui est en jeu dans le mariage lobola,on ne peut dire quun homme reoit pour se marier les bovins obtenus grce au mariage de sasur, puisque le btail runi pour la prestation, et la distribution de celui-ci dans le groupe de lafemme, impliquent le groupe dans son entier avec un barme de constitution et de redistributiontabli en fonction de la proximit parentale. Par ailleurs, et partir des mmes reprsentationsde lexogamie en termes de btail, un homme, dans cette socit polygynique, ne peut se marierdans un lignage qui a dj fourni une pouse lui-mme ou lun de ses proches parentsagnatiques. Dautres travaux anthropologiques mettent en vidence les mmes reprsentations

    et pratiques. Ainsi, chez les Jie dUganda : Les gens eux-mmes dfinissent et expliquent les interdits matrimoniaux en termes de droitsrciproques sur des troupeaux qui entreraient en contradiction avec les droits associs auxnouvelles relations qui stabliraient [par le mariage]. (Gulliver 1955)

    38 De manire gnrale, les relations que les anthropologues identifient et analysent dansces socits comme des relations de parent, pour une part juste titre car elles grenteffectivement la reproduction dmographique sexue du groupe, se rfrent dans lesreprsentations et pratiques locales lappropriation initiale, au partage et la circulation desbovins. Nul mieux que lanthropologue isralien Uri Almagor na identifi et analys le faitdans toutes ses consquences loccasion de ses travaux sur une population pastorale du sudde lthiopie, les Dassanetch :

    La parent effective, crit-il, sexprime par des droits sur les troupeaux; le nombre de parentseffectifs dun individu, opposs aux parents loigns ou ceux simplement dsigns par unecatgorie de parent, est constamment redfini de cette manire, en accord avec des circonstancesfluctuantes. (Almagor 1978 : 198)

    39 Certes, ces considrations ninterdisent pas de dcrire et danalyser en tant que tel le systmede parent. Mais elles ouvrent sur de nouvelles interprtations qui permettent de dpasser lecadre formaliste pour comprendre le fonctionnement concret de la parent. Suivons encoreles travaux dAlmagor qui, partir dune fine analyse ethnographique, se rsout classerles relations de parent chez les Dassanetch dans le contexte plus large de la catgorie des partenaires pastoraux (pastoral partners), dont les relations se dfinissent par les diffrentsmodes de circulation du btail intervenant entre eux.

    40 En effet, la filiation est conue comme lappropriation dun troupeau commun aux originesancestrales, et le mariage comme la consquence de la circulation du btail entre des groupes

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    exogamiques; il existe de multiples manires dtablir entre les hommes, dans des contextesrituels ou leur seule initiative, des relations lil metchqui sont concrtement fondes sur lacirculation des bovins. Ds la naissance, le pre noue des relations de ce type en faveur deson fils, auprs dun homme de sa propre gnration mais dun clan diffrent, une sorte derelation de parrainage , si lon peut sexprimer ainsi sans cder trop dethnocentrisme.Au moment de la circoncision de son fils, il fera de mme, toujours avec un homme de sagnration, mais cette fois de son propre clan. En outre, un homme mari tablit, la naissance

    de son premier fils, des relations de partenaire pastoral avec quelquun dont il donnera lenom cet enfant. Recouvrant les relations consanguines et affinales, ces liens lil metchtissentprogressivement un rseau de rapports contractuels qui dterminent le comportement socialde celui qui les a nous, crent des solidarits, tendent les interdits matrimoniaux, oriententle choix des alliances de mariage, etc. Ce rseau se transmet pour une part aux enfants quilenrichissent de leurs propres choix relationnels.

    41 Les enjeux sont-ils matriels , autrement dit techno-conomiques dans notre langagecontemporain ? Sans ngliger les effets, qui vont en ce sens, des relations lil metch, contribuant la construction du troupeau familial et crant une sorte d assurance pour un leveur dontle troupeau serait frapp par une pidmie ou par la scheresse, il est clair quelles ne sont pasconstitues cette fin par les intresss. Il sagit dailleurs moins de transferts rels danimaux

    que de droits potentiels, qui ne sont activs quen certaines circonstances. On notera en outreque la prestation matrimoniale elle-mme est le plus souvent transfre trs progressivement,sans que cela ne remette en question les droits affrents. Ainsi, toujours chez les Dassanetch,elle nest remise que bien aprs le mariage, au moment o le chef de famille, la suite dunrite appel dimi, se retire de la vie active dleveur pour se consacrer au rle de mdiateurpolitique et de spcialiste rituel.

    42 En dfinitive, cette circulation des bovins, qui reste souvent virtuelle, constitue moins, selonlheureuse expression dAlmagor, lobjectif immdiat dune capitalisation du btail auxmains des leveurs que la trame invisible de la socit qui dfinit les relations entreses membres; une trame employe pour que chacun ralise son statut d leveur , cest--dire les valeurs dominantes de la socit, se traduisant en retour par une autorit politique etrituelle quincarneront en dfinitive non pas ceux qui apparaissent comme les propritaires immdiats du btail, mais ceux qui en matrisent lusage social.

    43 Les Dassanetch, qui ont us avec le maximum defficacit des droits virtuels quils dtiennentsur des bovins, ceux quils ont accumuls travers les relations lil metch, entre partenairespastoraux , en tireront, selon lexpression dAlmagor, un crdit quils traduiront enautorit sociale. Ce crdit ne peut se manifester quau moment o le troupeau familial quils ontconstitu, et entretenu par leurs activits matrielles et sociales, se disperse significativementau gr des changes et de sa transmission aux enfants. Si un Dassanetch tente dutiliser lesanimaux quil contrle des fins personnelles, pour accrotre son troupeau et renforcer sesrichesses, il risque la grave accusation de forgoginte, une sorte dostracisme qui le bannit dela vie sociale, politique et rituelle. Almagor conclut ainsi :

    Le crdit social dun homme ne provient pas tant des biens quil possde rellement [le nombrede ttes de btail] que de sa capacit manipuler des relations sociales et agir comme mdiateurpour accrotre son crdit social qui lui permettra en retour de raliser plus aisment ses propresintrts. (1978 : 131)

    44 Sans voquer la notion de ftichisme du btail, la magistrale description ethnographique dela socit pastorale dassanetch laquelle procde Almagor, en illustre certains des effetsles plus manifestes. Les relations sociales sont gnralement fondes sur la circulation dubtail au sein de la socit dassanetch; cette circulation a pour effet dassurer paralllementla constitution des troupeaux et des familles une constante quont souligne de nombreuxauteurs dans ces socits pastorales est-africaines, de rpartir entre celles-ci les moyens deproduction, de fournir le cadre de la division du travail, de satisfaire les besoins, alimentaires etautres, des units de production. Mais ce nest pas en ces termes que les Dassanetch conoivent

    leur socit : ces relations sociales ne sont que lexpression, temporelle et changeante, de la trame invisible qui lie les hommes et leurs vaches depuis le temps primordial dont rendent

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    compte les mythes des origines, travers dintenses pratiques rituelles. Cette trame, invisiblemais bien prsente dans les reprsentations et pratiques des leveurs, ne prend elle-mme sensquen se rfrant celle qui unit plus clairement encore, depuis les origines, les hommes et lesurnaturel par lintermdiaire du btail.

    Le rituel sacrificiel45 Les mythes dorigine soulignent la place tenue par lide de sacrifice dans la constitution de

    lunivers symbolique du btail. Donn par Dieu, le btail est destin lui revenir au moyen dusacrifice. Selon les Masai par exemple, cest parce que les femmes ont fait un mauvais usagedu btail ou des animaux sauvages quelles possdaient, en les mettant mort pour des raisonssculires et utilitaires, que la possession en revient aux hommes qui ont la permission divinede les employer pour des sacrifices, ces derniers apparaissant comme la finalit ultime de lapossession des bovins, de la pratique de llevage. Evans-Pritchard rend compte de cette idedans un texte bien connu :

    Un Nuer ne considre pas son btail comme le fait un leveur [occidental], pour la viande oule lait quil fournit. Sa relation avec les animaux est rendue plus complexe, en dehors de leurutilisation pour le mariage, par le fait quils sont destins tre sacrifis. Ce nest pas simplementquil ne doit pas tuer une tte de btail en dehors du sacrifice, parce que, sil utilisait ainsi sonbtail, il disposerait de moins de ressources pour se nourrir, se marier ou pour les rituels. Ce

    nest pas seulement une injonction ngative. Ce nest pas Tu ne dois pas tuer, mais : Tu doissacrifier. Ce nest pas quils ne puissent tuer que pour sacrifier, mais plutt quils doivent sacrifierpour tuer. (1956 : 269)

    46 Ces remarques dEvans-Pritchard peuvent sappliquer de manire gnrale aux leveurs est-africains et, notons-le au passage, nombre de socits qui pratiquent llevage danimauxdomestiques. Les bovins sont destins, prdestins serait mieux dire encore, tre sacrifis.En contrepoint, la victime du sacrifice sera appele buf ou vache, sagirait-il dun concombreque les Nuer sacrifient quand ils ne disposent pas de btail19. Cette prdestinationsacrificielle des bovins rappelle que sils sont associs initialement au surnaturel et permettentde restaurer lors de chaque sacrifice la relation entre les hommes et la divinit qui les leura attribus, ce sont aussi des initiatives humaines, dcidant du temps et du lieu des rituels,

    qui font passer la nature et la socit de lindiffrenciation primordiale leur tat actuel. Larptition de lacte sacrificiel, conu comme la finalit de llevage, a vocation voquerlordre cosmique aux diffrents moments de sa constitution. linitiative des hommes, lesacrifice rtablit dabord la relation originelle instaure entre les hommes et le surnaturel parlintermdiaire des bovins :

    Il [le btail] est le moyen par lequel les hommes entrent en communication avec Dieu [] Il est[] le lien entre le perceptible et le transcendantal. En remplissant ce rle, le btail protge unhomme et sa famille du malheur, et il le conoit ainsi dans son ensemble comme un troupeau qui,depuis les origines, a aid ses anctres en difficults, remplissant chaque gnration les mmesservices sacrificiels. (Evans-Pritchard 1956 : 271)

    47 Mais le sacrifice restaure aussi constamment lordre prsent qui sest tabli linitiative des

    hommes. En mme temps que la capacit de sacrifier lgitime lattribution du btail ceux quise consacrent llevage ainsi les femmes ne sacrifient-elles pas, lexercice programmdes rituels sacrificiels est, chez les Nuer, lultime raison du regroupement de ceux qui sont lispar une filiation commune : Verdon nous a rappel que la cause dernire de la constitution deslignages et des clans dans la socit nuer est la ralisation de ces rituels sacrificiels. Effectuerces rituels en des circonstances rgulires, reproduisant lorganisation lignagre de la socit(Nuer) ou celle des classes dge (Masai), ou encore en des circonstances exceptionnelles, encas de mort, de maladie, de scheresse, etc., restaure lordre social et naturel et rend comptede lefficacit symbolique des bovins telle quelle se manifeste dans le cadre du ftichismedu btail.

    Pour conclure48 Au btail est ainsi attribue la proprit dtre lorigine des rapports sociaux; il constitue

    la trame invisible qui tisse les relations entre les hommes et entre ceux-ci et le surnaturel,

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    inscrivant socit et nature dans lordre cosmique o ces notions perdent lessignifications que nous leur attribuons dans notre propre systme de pense. Ce que nousavons appel le ftichisme du btail nest pas la manifestation dune vision imaginaire,illusoire ou fantas-matique, et son efficacit, certes dordre symbolique, dtermine rellement,matriellement, la manire dont les leveurs organisent leurs activits pastorales travers unensemble de techniques et de savoirs, et grent aussi leurs relations sociales.

    49 La technologie compare ne peut se construire sur la seule base des reprsentations que nous

    nous faisons dans nos socits de ce qui est technique, action matrielle finalise en tant quetelle, et de ce qui ne lest pas, en distinguant activits rituelles et techniques par exemple (Bonte1999) l o elles apparaissent intimement lies dans lobservation. Dans cette perspective, lesreprsentations qui, sous forme de mythes, prsident dans nombre de socits la dfinition delactivit technique ne sont pas seulement des mythes dorigine , comme on les interprtesouvent. Ils fournissent les clefs de lefficacit symbolique de ces activits humaines que sontles activits techniques, fondant leur efficacit matrielle. Les mythes dorigine du btail dansles socits est-africaines apportent en dfinitive un clairage irremplaable, non seulementsur la nature des activits pastorales proprement dite, mais sur la manire dont ces socitsconoivent et organisent leur vie sociale.

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    Notes

    1 Elles ne distinguent pas en particulier, comme dans les zones plus septentrionales delAfrique, des populations qui pratiquent llevage dans le contexte dun pastoralisme nomadeet dautres populations agro-pastorales : les Masai ne sont pas des nomades, bien quleveurs

    spcialiss.

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    2 Nous emphatisons le terme par cette majuscule, comme nous lavons fait ds le titre delarticle.3 Les leveurs possdent aussi du petit btail, des moutons et des chvres, mais nont pas, son gard, la mme attitude que vis--vis de leurs vaches, bufs et taureaux.4 Le lecteur comprendra aisment, et nous y reviendrons de manire plus thorique, que nousne confondons pas lactivit technique avec sa dimension matrielle.5 Ce rcit, comme dautres cits par la suite, est emprunt louvrage dun auteur allemand dudbut du XXe sicle, M. Merker (1910). Prcisons immdiatement que lintrt du livre, quitient la priode o ont t recueillis ces mythes, doit tre nuanc en fonction de lidologiede lauteur : il pense identifier dans les socits pastorales est-africaines, en se fondant surlide rpandue dune puissance cratrice originelle dans leurs ides religieuses, les tracesdinfluences smites qui le conduisent une relecture inspire des mono-thismes de cesmythes dorigine.6 La technique de prlvement du sang des animaux vivants, des fins alimentaires, en utilisantun petit arc et une flche pour percer la veine jugulaire, est de fait assez gnralement rpandueen Afrique de lEst.7 La relecture chrtienne des mythes masai par Merker est ici assez vidente mais, rapprochedautres recueils de mythes ultrieurs, elle ne remet pas en question la signification premirede ceux-ci.8 La proprit des bovins est exclusivement masculine, mme si les femmes, chez les Masai,

    ont lusufruit (le lait) des ttes de btail que leur confie leur mari.9 On pense ainsi quune partie de la socit nuer actuelle est constitue de groupes dinka quiont t absorbs dans la socit nuer en expansion . Cette analyse a t plus particulirementdveloppe par R.C. Kelly (1985).10 Sur les fonctions de ce personnage dans la socit nuer, on pourra consulter, outre lestravaux dEvans-Pritchard, les articles de Grevel (1971) et dEvens (1978).11 Cest le cas notamment de certains pasteurs masai qui pratiquent llevage dans desrgions o les conditions climatiques, la pluviomtrie en particulier, permettraient la pratiquesimultane de lagriculture (Bonte 1981)12 On pourra consulter les travaux de Chang sur les Torrobo (1982). Il est vraisemblableque des mouvements rguliers de population se produisaient entre Masai et Torrobo. Ceux-cipeuvent acqurir du btail et se pastoraliser , se transformant ainsi en Masai. linverse,

    des Masai qui perdent leurs troupeaux pouvaient rejoindre les Torrobo, pratiquer comme euxla chasse et la cueillette, et devenir, de ce fait, des Torrobo (Spencer 1973).13 Faiseurs de mdecines, de pluie.14 Hirarchies qui sont au point de dpart des vnements tragiques qua connus le Centrede lAfrique ces dernires annes, au Rwanda et au Burundi en particulier. Jai dvelopp cepoint ailleurs (Bonte 1991).15 En particulier dans un premier article paru il y a une vingtaine dannes (1984). Dans unouvrage rcent (Becquemont & Bonte 2004), nous effectuons une synthse de ces travaux etde lusage anthropologique (comparatif) de cette notion de ftichisme. Rappelons quelle adabord t engage thoriquement par Auguste Comte avant dtre utilise par Karl Marxpour dcrire le ftichisme de la marchandise dans l Introduction au Capital, et dtre reprisedans un autre contexte par Sigmund Freud. Longtemps dlaiss et remis en question, cest

    rcemment que le terme a t nouveau employ par des anthropologues : en particulier parJean Pouillon (1975), auquel je me permets de rendre hommage, tout en suggrant de renverserla formule quil nonce ftiches sans ftichisme , par la formule inverse, ftichismesans ftiches , qui me semble mieux correspondre au statut de cette notion dans les sciencessociales16 Je prfre cette terminologie celle dalination quemploie souvent Marx, et qui peutimpliquer une perte de significations par rapport une ralit premire, essentielle, positive.Elle jette par ailleurs un pont vers lanalyse freudienne qui considre le ftichisme commeleffet du dni de labsence de phallus fminin, manifestation pathologique mais aussiexpression trs gnrale de linterrogation sur la distinction des sexes.17 Le ftichisme de la marchandise se manifeste ainsi par le fait que les relations dchangeentre les hommes dans la socit capitaliste apparaissent comme leffet de relations entre les

    choses : les marchandises qui circulent dans lchange.

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    18 Cest lide qui transparat travers lexpression le travail et ses reprsentations et quia inspir un ouvrage collectif par ailleurs dun grand intrt (Cartier 1983) ou encore, dans ladistinction opre par Maurice Godelier entre la part matrielle et la part idelle du rel (1984).19 Il en est de mme chez leurs voisins atuot : Dans le contexte spcifique du sacrifice, toutevictime est dsigne sous le nom deyang decan, la vache du Crateur. (Burton 1980 : 102).

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Pierre Bonte, Des peuples du btail , Techniques & Culture[En ligne], 43-44 | 2004, mis enligne le 15 avril 2007, consult le 02 septembre 2015. URL : http://tc.revues.org/1116

    propos de lauteur

    Pierre Bonte

    CNRS, LAS, 52 rue du Cardinal Lemoine, 75005 Paris

    Droits dauteurTous droits rservs

    Rsums

    E. E. Evans-Pritchard dfinissait les Nuer comme un peuple du btail (cattle people).Developpant cette notation, on montre ici que dans un certain nombre de populations dAfriquede lEst, le btail se voit attribuer dans les mythes la proprit dtre lorigine des rapportssociaux. Il constitue la trame invisible qui tisse les relations entre les hommes et entre ceux-ci et le surnaturel, travers les rituels sacrificiels en particulier. Ce que nous appellons

    ftichisme du btail, en attribuant une porte plus gnrale cette notion de ftichisme, nestpas la manisfestation dune vision illusoire et fantasmatique. Son efficacit, certes dordresymbolique, dtermine rellement, matriellement, la manire dont les leveurs organisentleurs activits pastorales travers un ensemble de techniques et de savoirs.

    Cattle people. Mythical origins and ritual practices in East Africa

    E. Evans Pritchard has defined the Nuer as a cattle people . Developing this idea, we can saythat in several East-african populations, the cattle is seen to be at the origin of social relations,weaving the invisible frame of relations between men and between men and the supernatural,specially through sacrificial rituals. What we call cattle fetichism without restricting themeaning of this notion is not an illusory and fantomatic vision. The efficiency of fetichism

    is of course on a symbolical level, but it really materially determines, the way cattle farmersorganize their pastoral activities, through a set of techniques and knowledges

    Los pueblos ganaderos . Orgenes mticos y prcticas rituales del pastoreo en Africa

    Oriental

    E. E. Evans-Pritchard sola definir a los Nuer como un pueblo ganadero (cattle people).Desarrollaremos esta cuestin, para mostrar cmo en los mitos de un cierto nmero depoblaciones de Africa Oriental, se atribuye al ganado la propiedad de ser el origen de lasrelaciones sociales. Es la trama invisible que teje las relaciones entre los hombres, y entre estosy lo sobrenatural, en particular a travs de los ritos de sacrificio. Aquello que denominamosfetichismo del ganado, atribuyendo una acepcin ms general a este concepto de fetichismo,

    no es la manifestacin de una visin ilusoria o fantasmal. Su eficacia, naturalmente dentro delorden simblico, determina realmente, materialmente, la manera en la que los criadores deganado organizan sus actividades de pastoreo a travs de un conjunto de tcnicas y saberes.

  • 7/24/2019 Bonte 2004 (Btail Afrique de Lest)

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    Des peuples du btail 16

    Techniques & Culture 43-44 | 2004

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    Mots-cls :rites, Afrique de lest, btail, ftichisme, mythes, sacrificeKeywords :East Africa, Cattle, myths, rituals, sacrifice, fetichism