black ops - tome 7 - impétueuse (j'ai lu romantic suspense)...
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CINDYGERARD
BLACKOPS–7
Impétueuse
Traduitdel’anglais(États-Unis)parZeynepDiker
CindyGerard
Impétueuse
BLACKOPS–7
Collection:RomanticSuspenseMaisond’édition:J’ailu
Traduitdel’anglais(États-Unis)parZeynepDiker
©CindyGerard,2012Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2015Dépôtlégal:Dépôtlégal:septembre2015
ISBNnumérique:9782290119440ISBNdupdfweb:9782290119464
Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290117712
CompositionnumériqueréaliséeparFacompo
Présentationdel’éditeur:Si l’agentJoeGreennes’est jamais remisdudécèsdesoncoéquipier, ilest fermementdécidéàdémasquer lecoupablede l’embuscadequi luiacoûté lavie.Pouryparvenir,uneseulesolution:coupertoutlienavecsesplusprochesamis.Cequ’ilafait.YcomprisavecStephanie,lasoeurdudéfunt,lafemmequ’ilatoujoursaimée.Maisalorsqu’ilseretrouveaccuséàtortd’uncrime,JoeestenvoyédansuneprisonsordidedeSierraLeone.Or,quinevoit-ilpasveniràsarescoussepourlefaireévader?Stephanieenpersonne!Àprésentfugitifs,ilsnepourrontpluscompterquel’unsurl’autre.Stephaniearisquésaviepourlui,Joeferatoutpourlaprotégeràsontour…
Biographiedel’auteur:Saluéeunanimementparlacritique,elleexcelledanslesuspensesentimental.AvecsasérieBlackOPS,ellenousentraînedansunmondeoùlaromancecôtoieledangeretunebonnedosed’action.
Créationdecouverture:ClaireFauvainPhotographie:©Altafulla/Shutterstock
©CindyGerard,2012
Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2015
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
BLACKOPS
1–ImpitoyableN°10203
2–CaptiveN°10424
3–PoursuivieN°10505
4–CompliceN°10710
5–TroubléeN°10882
6–ImprudenteN°11076
Sommaire
TitreCopyright
Biographiedel’auteur
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
Remerciements
PrologueFreetown,SierraLeone
Chapitre1Unesemaineplustôt,FortMeade,Maryland
Chapitre2
Chapitre3
Chapitre4
Chapitre5
Chapitre6
Chapitre7
Chapitre8
Chapitre9
Chapitre10
Chapitre11
Chapitre12
Chapitre13
Chapitre14
Chapitre15
Chapitre16
Chapitre17
Chapitre18
Chapitre19
Chapitre20
Chapitre21
Chapitre22
Chapitre23
Chapitre24
Chapitre25
Chapitre26
Chapitre27
Épilogue
Lespersonnagesdemesromanssontfictifs,cependantchacund’euxestlefruitdel’admiration,delafiertéetdelagratitudequem’inspirentceshommesetfemmesquiserventauseindel’arméedesÉtats-Unisd’Amérique.Celivre,enparticulier,estdédiéauxsoldatstombésaucombatainsiqu’auxoubliés.
«Lavieestéternelle,etl’amourimmortel,Etlamort,simplehorizon;
Etunhorizonn’estrienquelalimitedenotrevision.»
RossiterWorthingtonRAYMOND
Remerciements
J’aitellementdepersonnesàremercierchezPocketBookspouravoirdéfenduetpubliécettesérieavecautantd’enthousiasme.Mabrillanteéditrice,LouiseBurke;masubtilecorrectrice,MickiNuding,l’incroyabledépartementpublicitédirigéparJeanAnnRoseassistéed’AyeletGruenspecht,etlesgéniescréatifsdudépartementartistique,enparticulierLisaLitwack.Merciàvousetàtousceuxquitravaillentsidurencoulissedansmonintérêt.
«Siunhommefaitdesonmieux,qu’attendredeplus?»
GeorgeS.PATTON
Prologue
Freetown,SierraLeone
JoeGreenavait signé sonarrêtdemort. Il l’avait comprisdès lemomentoù il avait commencéàchercherdesréponsesauxquestionsquepersonnenesouhaitaitaborder.
Cequ’iln’auraitjamaisimaginé,enrevanche,c’étaitquesapoursuiteengendreraituntelchaos.Cequ’iln’avaitpasvoulu,c’étaitqueleprêtremeure.—Non,vieux.Oh,non!Tu…—Silence,l’interrompitJoequandlemurmuredeSuahrésonnadanslanefsombredelacathédrale
duSacré-Cœur.Lejeunegarçonàcôtédeluiétaitenétatdechoc,paralysé.Surlesolfroidenpierre,lesangformait
unemaresouslatêtedusainthommeetruisselaitlelongdelaclôturedechœurpours’écoulerjusqu’àl’autel.
Joeposaungenouàterreetappuyalesdoigtscontrelecoudel’hommed’Église.Aucunpouls.Etaucuneviedanssesyeuxvidesrivéssurlesvitraux.
Ildéglutitavecpeine.—Est-cequ’ilest…—Ouais.Ilestmort.Le regret, le dégoût envers lui-même ainsi qu’un amer sentiment de défaite déferlèrent dans ses
veines,luirappelantquecequ’ilavaitcommencénesauraitbienseterminer.Bienseterminer?Seigneur!Leprêtreétaitmort.Difficiledefairepirecommefin.Il porta le regard par-delà les cierges dorés de l’autel, au-dessus de plusieursmètres de velours
bordeaux qui tombaient en cascade d’une alcôve abritant la statue grandeur nature d’un Christbienveillant.Lalueurpâledesbougiesvacillaitsinistrementdansl’église,projetantlesombresallongéesetmouvantesdeSuahetluisurlemurdufond,telsdesspectresvenusréclamerl’âmeduprêtre.
Ilbaissalatêteetlapritdanssamain.QueDieuluivienneenaide…qu’avait-ilfait?Lesportesenboismassifdelacathédrales’ouvrirentàlavoléedansunfracasquiretentitdanstout
l’édifice.Joe tournabrusquement la têtepourvoirplusieurspoliciersentreren trombedans lanef ; lebastion des forces de l’ordre corrompues de Freetown était arrivé en force. À présent, plus aucunechancedefouillerenvitesselecorpsduprêtre.
—Mets-toiàl’abriavantqu’ilsterepèrent,murmura-t-ilsuruntond’urgenceàunSuahlittéralementpétrifié.Dépêche-toi!Cache-toisousl’autel.
Il se redressaetpoussa legarçonducoude tandisque les typesarméscouraient le longde l’alléecentraleentrelesbancsenboisusé.Unefoisassuréquel’adolescentétaitbiendissimulésouslanappe
d’autel,Joeveillaàsefaireremarquerparleursassaillants,puisfonçaverslasacristie,lesmenantloindeSuah.
Ilparvintàatteindrelaporteetl’ouvritàlavolée.Ilfutaccueilliparlecliquettementdescarabinesqu’onépaulaitetdescransdesûretéqu’onôtait.Leslumièresd’autantdelampestorchesl’aveuglèrent.
Ilétaitcerné.—Mainsenl’air!ordonnaunevoixdanssondos.Lentement,ils’exécuta.Encorepluslentement,ilseretournaetobservalesvisagessombres,furieux,
deshommesquiavaientlaisséderrièreeuxlecadavreduprêtrepouravancerjusqu’àlui.Sanspréambule,lacrossed’unfusild’assautdécrivitunarcdecercleetlefrappaàlatempe.Il tomba à quatre pattes, luttant contre la douleur aiguë et l’irrésistible attrait de l’inconscience.
Ouais,songea-t-ilànouveau, justeavantque les ténèbresne l’engloutissent, ilavaitsignésonarrêtdemort.
1
Unesemaineplustôt,FortMeade,Maryland
LadernièrechosedontStephanieTompkinsavaitbesoin,c’étaitqu’ilsurgisseànouveaudanssavie.Joe lesavait.Etpourtant, ilétait là,attiréparcettefemmecommeunbateaudans la tourmentepar leseauxaccueillantesetpaisiblesd’unportfamilier.
Seigneur,cen’étaitvraimentpasjustepourelle!Maispartirsanslarevoirunedernièrefoisétaitau-dessusdesesforces.Probablementpourlatoutedernièrefoissicettemissionsolos’achevaitcommeillecraignait.
Il longea à pas lents le couloir faiblement éclairé et s’arrêta devant la porte de son appartement.Toutesavie,ilavaitluttépourlebien.Ils’étaitbattucontrelemal.Orladécisionqu’ilavaitprisepouraccomplirceprojetbrouillait les lignesàun telpointqu’ildevenaitdifficilededétermineroù l’unseterminaitetl’autrecommençait.
Pourlapremièrefoisdesavie,ilavaitpeur.Pasducombat,non.IlavaitpeurqueStephanien’aitraison.Quesonbesoinderéglersescomptesn’entraînesapropreperte.Etplusquetout,ilavaitpeurdelaperdre,elle.
Ilyatantàperdre,songea-t-ilavecgravité.Peuimportelafaçondontilprocéderait.Cen’étaitpascommes’ilavaitlechoix.Ravalant la culpabilité logéedans sagorge telungroscaillou, ilbaissa lesyeux sur sesbotteset
s’efforça de rassembler son courage. La neige fondue collée à ses semelles avait laissé des traînéeshumidessurlecouloircarrelédutroisièmeétage.Augurantcellesdontilallaitmaculersoncœur.
Ilregardasamontre,retardantl’inévitable.Ilseraitbientôtminuit.Elleseraitsûrementendormie.Etilallaitlaréveillerpourluiannoncerunenouvellequil’anéantirait.Bonsang,celaletuaitrienqued’ypenser.Maisilnepouvaitpaslaquittersansluidireadieu.Enluimentanteffrontément.
Samainétaitglacéelorsqu’illalevaenfin,etaprèsquelquessecondesd’hésitation,lecœurbattant,ilfrappadélicatementàlaporte.Peut-êtreneserait-ellepasàlamaison.Peut-êtrepassait-elleleweek-end chez ses parents en Virginie et échapperait-elle au monceau de conneries qu’il s’apprêtait à luibalancerenpleinefigure.Peut-êtreferait-ilmieuxdetournerlestalonsetdisparaître.
Trop tard.Un légerbruissementdepas luiparvintde l’intérieurde l’appartement,puis lapoignéetournalentementsurelle-mêmeavantquelajeunefemmeentrouvrelaporte,autantquelepermettait lachaînedesécurité,etjetteuncoupd’œildanslecouloir.
—Salut,fit-ilavecunhochementdetêtecrispélorsqu’illutlasurprisedanssesdouxyeuxmarron.
ToutétaitdouxchezStephanie.Soncorpssensueletplantureux.Sonsouriregénéreux.Sagentillessequi poussait un dur à cuire de sa trempe à jouer les chevaliers blancs et à la sauver des dragons quirisquaientdelablesser.
Orcettenuit,ceseraitlui,ledragon.Undragoncracheurdefeu,voleurdesouffleetdévoreurd’âme.Etilallaitlablesserd’unemanièreatroce.
SiBryan était en vie, il le chasserait de là à grands coups de pied au cul. Le frère de Stephanierefusaitqu’ils’approchedesapetitesœur.
MaisBryn’étaitpaslà.Unebouleenfladanssagorge.Mêmeauboutdequinzeans,lamortdeBryempêchait Joe de trouver le sommeil la plupart des nuits.C’était également la raison pour laquelle ildevaitrenonceràStephanie.
—Joe.(Soulagement,bonheuretinquiétudesemêlaientdanssavoix.)Uneseconde.Ellerefermaetdécoinçalachaîneavantderouvrirlaporte.Ses longs cheveux étaient en bataille et retombaient sur ses épaules. Elle s’était hâtivement
enveloppéedansunerobedechambrecourte.Lespansdesoiebleupâles’ouvraient,exposantsapeauchaude et rougie par le sommeil et l’arrondi opulent d’un sein. Elle était sublime, sexy, envoûtante.Pourtant,même si elle était belle comme le jour, c’étaient ses yeuxqui le bouleversaient le plus.Cesprunellesexpressives,d’unbrunprofond,étaientlesrefletsdesoncœur.
Tellementd’émotions.Tantdecandeur.Etpaslamoindredéfensecontreladouleurqu’ilétaitsurlepointdeluiinfliger.
—Entre.(Ellerecula,ouvrantunpeupluslaporteafinqu’ilpuissepasser.)Ongèledehors.Une autre femme l’aurait réprimandé. Une autre femme l’aurait giflé violemment, aurait exigé de
savoiroùilétaitpassécesquatredernièressemaines,puisl’auraitaccabléd’injuresavantdeluiclaquerlaporteaunez.
Maisellen’étaitpasn’importequellefemme.ElleétaitSteph.Généreuse.Indulgente.Vulnérable.—Tudoisêtrefrigorifié.(Piedsnus,ellepivotaetsedirigeaverslacuisine.)Jevaispréparerdu
café.—Non,dit-ilavecunetellecrispationdanslavoixqu’elles’arrêtanet.Elleneseretournapas.Ilsavaitqu’endépitducouragequ’elles’efforçaitd’afficherelleétaitsurle
pointdecraquer.Fallait-ils’enétonner?UnhommequiaimaitunefemmenelatraitaitpascommeilavaittraitéSteph
aucoursduderniermois.Ilnesefermaitpascommeunehuître,nerefusaitpasdeluiparlerautéléphoneoudes’expliquer.Etilnedébarquaitpasàl’improvisteenpleinenuit,espérantboireunpetitcaféavantdelafrapperenpleincœur.
Ellesetenaitdevantlui,sonsilenceetlaraideurdesesépaulestrahissantsonincertitude,etc’estluiquifaillitcraquer.
—Tun’aspasàpréparerducafépourmoi,ajouta-t-ilbêtement.Lesépaulesdelajeunefemmes’affaissèrent,sonmentonretomba.Ah,putain!Endeuxenjambées,illarejoignitetl’attiracontresontorse,enroulantunbrasautourdesatailleet
l’autreautourdesapoitrine.Coinçantl’avant-brasentresesseins,illuicaressalagorgeetluirenversadélicatementlatêteenarrière.
—Jesuisdésolé,chuchota-t-il,abaissantleslèvresverssescheveux.Steph…Jesuis…Bonsang!Ellesetournaverslui,passalesbrasautourdesoncou,etavecundésespoiraussitranchantquela
peinedanssesyeux,fitdescendresatêteverslasienne.—Neparlepas,murmura-t-ellecontresabouche.Tum’asmanqué.J’aieusipeur.
Ilgoûtalasaveursaléedeseslarmesetelleseurentraisondelui.Iln’étaitpasprémunicontreça.Iln’étaitpasenmesuredesedéfendreniderésister.
Dès que la chaleur de son corps pénétra le sien, il réagit, comme chaque fois que la présence etl’arômedecettefemmel’enveloppaient.Elleétaitcellequ’ilavaitattenduetoutesavie,etilnel’avaitpasétreintedepuisbientroplongtemps.
Ilcouvritsabouchedelasienneetpritcedontils’étaittantlangui,maisqu’iln’avaitplusledroitderéclamer.
—Joe,murmura-t-elle.Sans lemoindre reproche. Elle se donnait à lui. Tout simplement. Elle le comblait de son amour
tandisqu’illasoulevaitetlaportaitjusquedanslachambreàcoucher,baignéed’unedoucelumière.Abîmédanscemoment,ill’embrassaavecpassionavantdelareposersurlelitencoreimprégnéde
sonodeuretdesachaleur.Puisilcommençaàsedéshabiller.Le regard de Stephanie suivit le moindre de ses gestes et fit galoper son cœur lorsqu’il jeta
sonblousonparterre,puisôtad’uncoupsecsonsweat-shirtnoiravantd’arriveràlabraguettedesonjean.
La faim lui embrasa lespupilles lorsqu’il enleva sesbottes, sonpantalon, et, enfinnu, enfonçaungenoudanslematelasàcôtédesahanche.
—Tum’asmanqué,murmura-t-elleànouveau,faisantlentementcourirlesdoigtssursacuisse,puisdessinant un cercle sur son flanc avant de tracer un chemin sur les muscles tendus de son abdomen.Terriblementmanqué, répéta-t-elledansunsouffle rauque,effleurantdélicatement l’érectionquibattaitcontresonventre.
—Steph…,fit-ild’unevoixgutturaleetsaccadée.—Chut…Laisse-moifaire.Ilplongealesdoigtsdanssachevelureetlaramenaverslui.Leregardrivéausien,elleseredressa.Sarobedechambreglissasuruneépaule,révélantlarondeur
laiteused’unseinnutandisqu’avecuneinfinieattentionelleappuyaitleslèvressurtouslesendroitsquesesdoigtsavaientfrôlés,laissantuneligneenflamméesursonpassage.
Iln’étaitplusqu’uneterminaisonnerveuseàvif,unbesoinsexuelimpérieuxetdéchaînélorsqu’ellegratifiaenfinsazoneérogènelaplussensibled’unlangoureuxcoupdelangue…l’aveuglantpresquesousl’intensitédesapassion.
Ilinspira,lesoufflecoupéparlasurprise,laissasatêteretomberenarrièreetenfouitdavantagelesmainsdanssescheveux,s’abandonnantauxmouvementsdesuccionsucrésetmouillésdesabouche.
Celasepassaittoujoursainsiavecelle.Safaçondetoutdonnersansjamaispenseràelleluifaisaitperdre la raison. L’ardeur de ses soupirs et le sentiment d’urgence que renfermait son toucherl’emplissaient d’humilité et l’excitaient, jusqu’à ce que ce plaisir insensé se dissipe graduellement etqu’ilserendecomptequesaferveurs’étaitmuéeendésespoir.Quesondésirétaitdevenuunesupplique.
Neparspas.Jet’enprie,nemequittepas.De toute évidence, elle savait qu’il était venu lui dire adieu.Avec chaque baiser, chaque caresse
sauvageetaudacieuse,elle le lui faisaitcomprendreet l’imploraitdenepass’enaller,négociaitpourqu’ilreste.
—Steph,murmura-t-il,etellesefigea.(Ilnepouvaitpaslalaisserfaireça.)Steph,arrête.Il lui inclina la têtevers l’arrière etvit les larmesqui ruisselaient sur sonvisage, sesbeauxyeux
pleinsdedouleur.Etilsehaïtàcetinstant,ilsehaïtdel’avoirobligéeàl’implorer.Ilétaittellementloindelemériter.—Jesuisdésolé.
Ill’étenditdélicatementsurlelitavantdeluieffleurerlajoueaveclereversdesesdoigts.—Stop. (Elleprit sonvisagedanssesmains, l’abaissaversses lèvres.)Neparlepas.Aime-moi,
c’esttout.Jet’enprie…aime-moi,icietmaintenant.Unhommemeilleurauraitrésisté.Unhommemeilleurauraitfaitcequis’imposait.Maisilavaitcesséd’êtreunhommemeilleurquandilavaitchoisilavoiequil’éloigneraitdecette
femmeetquirisquaitdedétruiretoutcepourquoiils’étaitbattu.IncapabledeluttercontreStephanie,ilsepenchaverselleetcapturasabouche.Etquandellecroisa
leschevillesautourdeseshanchesets’ouvritàlui,ilplongeaenelle.Etcontinuad’alleretvenir,animéparunbesoinirrépressible,s’autorisantunedernièrefoisàprofiterdelaseulebonnechosequiluisoitjamaisarrivée.
2
Stephanieétaitallongéesurlelit,sonattentionrivéesurl’hommenuquibroyaitdunoiràl’autreboutdelapièce.Illuitournaitledos;lespaumesappuyéesau-dessusdesatêtesurlecadredelafenêtre,ilobservaitensilencelanuithivernale.
Demoelleuxflocons,d’uneblancheurvirginale,voltigeaientdevantlafenêtredutroisièmeétage.Sielleavaitétéd’humeurà rêvasser,elleauraitpuse laisserbercerpar lesouvenird’unebouleàneigequ’elle chérissait étant enfant.Mais l’heuren’étaitpas à la rêverie.Pourêtrehonnête, ellen’étaitpassûredevouloirsavoirpourquoiJoeétaitvenu.Pourlemoment,elleétaitsimplementsoulagéequ’ilsoitlà.
Levoirsiperturbélatourmentait.Àl’instardutatouagequicouraitlelongdesondosnu.Lemotifserpentinalambiquéquis’étendaitsurseslargesépaulesetsesdorsauxmusclésnemanquaitjamaisdel’émouvoir, tout comme son imposante stature et sa force brute qui contrastaient tant avec sa douceurinnée.
Elle étudia le dessin aussi complexe que l’était cet homme. Prenant naissance sur sa nuque, ildescendaitlelongdesacolonnevertébralepourseterminerquelquescentimètresendessousdupointoùilauraitdisparusouslaceinturedesonjean.
Bleudecobaltetécarlate,blancpoudréetorrouillé,ilsedéroulaittelunrubanlelongdesonépinedorsale,formantunbandeauabstraitrouge,blancetbleu,entrelacéd’uncordondorésur lequelétaientgravéslesnomsdesesfrèresd’armestombésaucombatainsiqueladatedeleurdécès.
Parmilesquelsfiguraitlenomdesonfrère.EllesavaitqueJoepleuraitencoreBryancommesicedernieravaitsuccombélaveillesurlechamp
debataille.LamortdeBryle tracassait-ellecesoir?Ouétait-ceplusqueça?Unhommenepouvaitfairecequ’ilfaisaitpourvivresansêtrehantépardenombreuxfantômes.
—Joe?Elleavaitbesoindeluiplusprèsd’elle.Etilavaitbesoind’elle.Ilsetournalentementpourluifaireface.Lesombresvoilaientsestraitsvolontaires,maisseshautes
pommettesetsonfrontétaientbienvisibles. Ilvoulait lui résister :celaseremarquaitàsesmâchoirescrispéesetàlafinelignequedessinaientseslèvrespincées.
Ilétaithorsdequestionqu’ellelelaissefaire.Ilyavaittropdechagrin,tropdeconflitdanssesyeux.Celaluibrisaitlecœur.
Elletapotaledrapàcôtéd’elle.—Reviensdanslelit.
Oùellepourraitleserrerdanssesbras.Oùellepourraitsentirsaforcechaudeetbrute,etsebercerdel’illusionquesielleessayaitsuffisamment,siellel’aimaitdetoutsoncœur,iltrouveraitunsemblantdepaixdanssonétreinte.
—Jet’enprie,murmura-t-elle,éprouvantunlégersoulagementlorsqu’iltraversaenfinlapiècepourserallongeràcôtéd’elle.
»Tespiedssontgelés,ajouta-t-elletoutbasenseblottissantcontrelui.Ellen’étaitjamaisplusconscientedelasouplessedesonproprecorpsquelorsqu’elleétaitétendue
nuele longdeceluideJoe,durcommel’acier.Ellen’avaitpas lamoindre idéedecequ’ellepouvaitdirepourapaiserlatensionquiplanaitentreeux.
—Tudevraisêtreentraindedormir,fitJoed’untonbourru.Elleposa la tête sur son épaule, puis, aprèsune seconded’hésitation, il la serra contre son flanc.
C’étaitl’hommequ’elleaimait,l’hommequiluimanquaittant.Attentionné,aimant,tendre.JoeGreen«leTerrible».Ellesouriaitchaquefoisqu’ellerepensaitausurnomquesescoéquipiers
desBlackOPSluiavaientdonné.Enmission,aucombat,ildevaitêtreunféroceetimpitoyableguerrier,ellen’endoutaitpas.
Maisquandellesetrouvaitdanssesbras,iln’existaitpasd’hommeplusdouxaumonde.C’étaituntaiseux,maiselles’yétaithabituée.Pourautant,cesoir-là,sonsilenceluiétaitdifficileà
supporter.Ellen’avaitpassouhaitéparlerauparavant,bientroptenailléeparsondésirpourlui.Maisàprésent,
elledevait se jeter à l’eau.Elledevait savoir cequi lepréoccupait.Avantmêmequ’ilnedisparaissequatresemainesplustôt,ilétaitdevenudistant.
Elleauraitaimépenserqu’ilétaitrevenuparcequ’ilétait incapablededemeurer loind’elle.Maisles ondes qui émanaient de lui, la nervosité, l’agitation, sa façon de détourner les yeux au lieu de laregarderenface,racontaientunetoutautrehistoire.Quilaterrifiait.
Elleseredressasuruncoude.Danslafaiblelueur,sesirisnoisettetiraientsurlegrisanthracite.—Jet’enprie,dis-moicequitetravaille.Ellesentitcettedistanceémotionnelles’accroîtrejusqu’àouvrirunabîmelorsqu’illevalebrasqui
étreignaitStephanieetcroisalesmainsderrièrelatête.Il fixa le plafond. Elle fixa son visage. Son visage fascinant et mystérieux. Son nez puissant et
proéminent.Sonmentonrasédeprès.Sesyeuxenfoncéseténigmatiques.Elleadoraitl’observer.Elleaimaittoutchezlui,jusqu’àsescheveuxcouleursablequ’ilcoupaiten
brosse,àlamodemilitaire,etsapaisibleassurancequilafaisaittoujourssesentiràl’aiseetensécurité.Elleleluiavaitditlorsdel’unedeleurspremièresconversations.
— Je me repose. Je suis au calme. Dans l’obscurité. Avec toi. Je me sens détendue en tacompagnie. (Il sembla en douter,mais s’abstint de tout commentaire.) Je vois.Alors je vais le direautrement:jemesensensécuritéavectoi.C’estmieux?
Àcela,ilsourit.—Enquoiest-ceamusant?demanda-t-elle.—Jesourisparcequ’engénéraljerendslesgensnerveux.—Ah,lapersonnalitédeJoeGreenleTerrible.—Sûrementça.—Maistuentretienscetteimage,tunecroispas?Ilhaussalesépaules.—Cen’estpasnécessaire.Tumevois,non?Jen’aipasvraimentunvisagedegentilpetitchiot.Ellesourit.
—Oui,jetevois.Etnon,tunem’évoquespasungentilpetitchiot.Etalors?—Plutôtunrottweiler,jepense,ajouta-t-ilensouriant,cequilacharma.—Tupréfèresdonnercetteimagedetoi?— La plupart du temps. Sûrement. Et la plupart des gens ne s’embêtent pas à dépasser leur
premièreimpression.—Jenesuispaslaplupartdesgens.Lehurlementd’unesirèneauloinlaramenabrusquementau
présent.Une éternité lui semblait s’être écoulée depuis qu’elle l’avait rencontré.Qu’elle avait appris à le
connaître autant qu’il le lui avait permis.Une éternité depuis qu’elle avait découvert qu’elle l’aimait,bienquecelanefassemêmepasdeuxans.
Elleregardasonpoulsbattreàunrythmefortetréguliersursagorge.Avait-ellepusetromper?Était-ilpossiblequesessentimentsnesoientpasréciproques?Non.Non,ill’aimait.Ellen’endoutaitplusdepuisleurpremièrenuitensemble.Cependant,quelque
chosenetournaitvraimentpasrond.C’étaitsadernièremission,elleenétaitsûre.Ils’étaitpasséquelquechoselorsdel’opérationqui,
contretouteattente,avaitànouveauentraînél’équipedesBlackOPSenSierraLeonelemoisdernier.SierraLeone,deuxmotsquiétaientdevenussynonymesdedouleur.Bryanavaitperdulavielà-bas,
prisdansuneembuscadetenduepardessoldatsduFrontrévolutionnaireunidontlerègnedeterreuravaitdécimélepeuplesierra-léonaispendantprèsdedixans.
DelamêmemanièrequelamortdeBryanavaitanéantisafamille.Elle comprenait que Joe se sente responsable. Tous les gars partageaient ce sentiment, mais Joe
semblaitsupporterunfardeauencorepluslourdquesescamarades.Àl’époque,ilsfaisaienttouspartiedel’arméeaméricaine;ilsavaientétédébauchésdesOpérations
Spéciales pour former une unité issue de plusieurs contingents. Bry, Gabe Jones et Sam Langappartenaient à la Delta, Rafe Mendoza était un Ranger. Luke Colter venait de la marine de guerreaméricaine,JohnnyReedétaitunancienmarine,etWyattSavageetJoeavaientétédesagentsdelaCIA.Ensemble,ilsétaientdevenusleGrouped’InterventionMercy,uneéliteultrasecrètedecombattantstriéssurlevoletsouslecommandementdirectduprésidentetdel’état-major.Ilsavaientmenédesopérationssecrètesdanscertaineszonessensiblesdu tiers-mondesous ladirectionducapitaineNathanBlack,ducorpsdesmarinesdesÉtats-Unis.
Bry avait été si fier d’appartenir à cette unité. Dans ses lettres, il avait toujours parlé de « sesfrères».Stephanienelesavaitjamaisrencontrésavantledrame,maiselleavaitdécouvertpourquoiilsétaientsispéciauxquandilss’étaientretrouvésenVirginiepourprésenterleurshommagesàsafamillelorsdesfunéraillesdeBryan.
À cette époque, ils étaient déjà bien plus que des coéquipiers. Et à présent, ils étaient plus quelesBlackOPS,uneorganisationparamilitaireprivéeettopsecret,baséedanslarégiondeBuenosAires,enArgentine,toujourssousladirectiondeNateBlack.
Ilsétaientdesfrères.CommeBryanl’avaitétépoureux.EllepoussaunprofondsoupiretposalamainsurletorsedeJoe.—Jet’enprie,parle-moi.Ilnes’étaitouvertàellequ’uneseulefois,luilaissantentrapercevoirleshorreursquihantaientses
souvenirs.SoninstinctcommesaraisonluidisaitquelamortdeBryansetrouvaitàlaracineduconflitquilerongeait,maisc’étaitàluid’exposercetteblessure,pasàelle.
—Raconte-moicequinevapas,Joe.Ilrestasilencieuxencoreunmoment.
—Çanepeutplusdurer,dit-ilsanslaregarder.Pendant quelques instants, elle garda simplement les yeux fixés sur lui, hébétée.Elle avait dûmal
l’entendre.MaislemutismedeJoeaffirmaitlecontraire.EtlecerveaudeStephaniel’acceptaenfin.Elle avait les doigts engourdis. Et l’impression d’avoir un ballon de baudruche, léger, instable et
flottant,àlaplacedelatête.—Qu…qu’est-cequinepeutplusdurer?Ellesedemandaitcommentelleavaitréussiàarticulercesmots,etencoreplusàlesassembleren
unequestioncohérente.LesmusclesdelamâchoiredeJoesecrispèrent.—Ça.Toi.Moi.Nous,déclara-t-ild’untonlasetsansappelquifitrefluerlesangdeStephaniede
soncerveau, laprivantde sesdernières facultésd’élocution. Jepensaisyarriver,poursuivit-il, fuyanttoujourssonregard.Jetiensàtoi,Steph,maisl’engagement,cen’estpasmontruc.
—Ilyauneautrefemme?parvint-elleàluidemander,passantoutreàlastupeurquiluinouait lagorge.
—Non,s’empressa-t-ilderépondre.Seigneur,non!Jeneteferaisjamaisça.—Alors,quoi?(Elleavaitenviedevomir.)Çaveutdirequoi:«L’engagement,cen’estpasmon
truc»?Quandt’ai-jedemandédet’engageravecmoi?Ellecomprenaitquevusontravail,illuiétaitdifficiledeplanifiersonfuturpuisque«demain»était
synonyme d’incertitude. Elle savait qu’il leur faudrait franchir encore bien des étapes avant qu’il nel’autoriseàaccéderàtouteslesexpériencesquil’avaientmodeléaucoursdesavie,quicontinuaientdelehanter,etquiavaientfaitdeluil’hommequ’ilétaitdevenu.Maiselleétaitprêteàpatienter,persuadéequ’ils étaient sur la même longueur d’onde. Persuadée que l’évolution naturelle de leur relationimpliqueraitunengagementunjouroul’autre.
Lesangquibattaitàsesoreillesl’empêchaitderéfléchir.—Jenet’aijamaismislapression,Joe.Jamais.Elleentenditledésespoirdanssavoix,etsehaït,maisilluiarrachaitlittéralementlecœur.—C’estpourtant ceque tu souhaites,non?Que jem’engage?Crois-tuque j’ignorequec’est ce
que tumérites ? (Il se passa unemain sur le visage, l’air aussimalheureux qu’elle se sentait.)Ça nerisquepasd’arriveravecmoi.Jenesuispastaillépourlelongterme.Jepensaisréussir.Jelevoulais.Mais j’en suis incapable. (Il se leva rapidement du lit, puis se pencha pour ramasser ses vêtements.)Écoute. Je n’aurai pas dû venir. Je suis désolé. (Il se glissa dans son pantalon, enfila son pull, puisenfonçalespiedsdanssesbottes.)Jen’aijamaiseul’intentiondetefairesouffrir.
Ilattrapasonblousonetsedirigeaverslaporte.—Attends!(Ellesesaisitdudrapetsecouvritlapoitrine.)Tumebalancesunebombepareilleettu
ficheslecamp?Onnepourraitpasendiscuter,aumoins?Ilneseretournapas.—Iln’yaplusrienàajouter.Unerageaveuglanteécrasaalorslechagrinetlaconfusion.— Alors pourquoi es-tu venu ? explosa-t-elle. Bon sang, Joe, tu aurais pu m’annoncer ça au
téléphone!Ils’arrêta,lamainsurlapoignéedelaporte.—Jesuisdésolé,répéta-t-ilsansmêmesedéfendre.Elle s’empressadedescendredu lit, tirant sur le drapd’un coup secpour se l’enrouler autourdu
corpstandisqu’elletraversaitlapièceentrombe.—«Désolé».Cemotcommenceàmesortirparlesoreilles.
Ilnedittoujoursrien.—Alorsquoi?Tuespasséencoupdeventpourmesauterunedernièrefois?Laculpabilitéquitransparutsursonvisageladévasta.—Oh,Seigneur!C’estça.(Incapabled’ycroire,ellesefrappalapaumecontresonfront.)Waouh.
Ças’estbiengoupillépourtoi.Tudébouleschezmoienpleinenuitpourteconfesserettureparsenayanttiréuncoupenprime.
—Tun’yespasdutout,répliqua-t-il,l’airmisérable.Quelquechosedansl’expressiondeJoe–plusqueleregret,plusquelaculpabilité–luidonnaune
lueurd’espoir.—Tusaisquoi?(Elleluitouchalebras.)Jenetecroispas.Jenecroisriendetoutça.Dis-moice
qu’ilyavraiment,tumedoisbiença.Regarde-moidanslesyeuxetdis-moicequisepasse.Ilcroisaenfinsonregard.—Cequisepasse,répondit-ild’unevoixdépourvued’émotion,c’estquejenet’aimepas.Lastupéfactionluicoupalesouffle.— Pas assez, ajouta-t-il, confus. (Il enfonça lesmains dans ses poches, inclina la tête en arrière
et observa le plafond.) Je pensais t’aimer. Je pensais en être capable. Mais ce n’est pas le cas. Jesuisdé…
—Arrête!(Ellelevalamain.Soncœursemblaitêtretropgrospoursacagethoracique;legarderàl’intérieurlafaisaitphysiquementsouffrir.)Jet’interdisdeprononcercemotunenouvellefois.
Elleclignalesyeuxpourchasserleslarmesquimenaçaientdedétruirelepeud’amour-proprequ’illuirestait.
Elleavaitvouluuneréponse?Ehbien,illuienavaitdonnéune.Ellesedétournadeluietconsidéralesdrapsfroissés,sachantqu’ilsavaientgardélachaleurdeleurs
corpsentrelacés,conscientequ’ellenesentiraitplusjamaiscelledeJoedanssonlitnidanssoncœur.«Jenet’aimepas.Pasassez.»—Alors,va-t’en.Tun’asqu’à…t’enaller.De longuessecondess’écoulèrent.Elleétaitcertainequ’il luidiraitqu’ilavaitcommisuneerreur,
qu’ilnepensaitriendetoutcela,qu’ill’aimaitetqu’ilnelaquitteraitplusjamais.C’estalorsquelaportedel’appartements’ouvritdanssondos.Uncourantd’airglacéprovenantdu
couloirluibalayalespiedsetluienveloppalecœur.PuiselleserefermasilencieusementderrièreJoe,etilsortitdesavie.
3
—Steph,jecroisquetudevraisjeterunœilàça.Stephanie leva la tête lorsque Rhonda Burns se faufila derrière son bureau. Comme Stephanie,
Rhonda était cryptologue au service des transmissions de la NSA. Contrairement à Stephanie, quiprivilégiaitlestailleurs-pantalonsaustères,leschemisiersimmaculésetleschaussuresàtalonsdecinqcentimètres pratiques et confortables, les tenues de Rhonda repoussaient les limites de ce qu’il étaitconvenabledeportersursonlieudetravail.Cejour-là,l’expressiondesonanticonformismeconsistaitenunejuperougeultracourte,desescarpinsultrahautsetunpulllongblancultramoulant.
Endépitdesonstyleextravagantetdel’énormeplaisirqu’elleprenaitàfairetournerlestêtessursonpassageenaffichantunesexualitéassumée,Rhondaétaitunecryptologuesacrémentdouée.Stephanielaconsidéraitégalementcommeunebonneamie.Etdebiendesmanières,Rhondaétaitsonhéroïne.
La jolieblondeapportaitde lacouleuretde laviedans leservice.Laplupartdu temps,elleétaitl’uniqueétincelledansl’espaceouvertoùs’affairaientdesrobotsdévouésàleurtâche.Rhondaétaitunflambeauquibrillaitparmilesmursgrisindustrielsetlesrangéesdeboximpersonnelsquis’alignaientparcentainessousdeslumièresfluorescentessuspenduesauxdallesdeplafondblanchesetdéfraîchies.
RejoinslaNSA.DeviensuneEspionne.Deviensunrobot,ouais,songeaStephanieavecaigreur.C’étaitprécisémentcequ’elleavaitl’impressiond’êtrecesderniersjours.Etc’étaitprécisémentce
queRhondas’échinaitànepasdevenir.—Unœilàquoi?fit-ellesansgrandenthousiasme.RhondaappuyaseshanchesrondescontrelereborddubureaudeStephanieetluitenditundossier.—Nemedisrien.Stephanielejetasursonbureausanssedonnerlapeinedel’ouvrir.Commeonétaitvendredimatinet
quelasemainetouchaitàsafin,ellepensaitdevinercequ’ilcontenait.—Randolphaunprojetquinesauraitattendrelundi.RandolphBrowneétaitleursuperviseur,quiprenaitrégulièrementplaisiràsemerlazizaniedanssa
vie.Bienentendu,depuisqueJoel’avaitquittéecinqsemainesplustôt,savieserésumaitàsontravail.
C’étaitsonchoix.Etpourl’heure,celaluiconvenaitparfaitement.Elledevraitsansdouteêtrefurieuse,etledétester.Ouaumoins,chercheràsevenger.Maiscen’était
pasdanssontempérament.Ellesesentaitsurtouttriste.Etstupide.—Steph?
ChassantJoedesonesprit,ellelançaunregardàRhonda.Lesyeuxbleusdecelle-ciétaientplissésd’inquiétude;lajeunefemmesavaittrèsbienquelledirectionavaientpriselespenséesvagabondesdesonamie.Peudechosesluiéchappaient.
—Cen’estpasunprojet.(Rhondaposaunemainsursonbras.)C’estarrivépartélégrammeilyaunmoment.Jen’aipasfaitlelientoutdesuite.Etpuisjel’aicomplètementoubliéjusqu’àcequejetombedessuscematinalorsquejefignolaislesderniersdétails.
—Faitlelienavecquoi?Rhondaluidésignaledossierdumenton.—Jettes-yunœil,d’accord?Stephanie regarda Rhonda s’éloigner avant de considérer le document d’un air perplexe. Son
sentimentdedésillusionl’emportaitsurl’étincelledecuriositéqueRhondaavaitréussiàéveiller.Enserait-ilàjamaisainsi?sedemanda-t-elle,lorgnantlapetitependulequipartageaitl’étagèreavec
unephotodesesparents.Iln’étaitque9heures,etelleavaitl’impressiond’avoirpassétoutelajournéeaubureau.UneautrejournéesansJoe.
Mesurerait-elletoujoursletempsécouléentermesd’avantJoeetd’aprèsJoe?Elleespéraitbienquenon,parcequel’après-Joecraignaitunmax.
«Jenet’aimepas.Pasassez.»Bien, il voulait sortir de sa vie. Parfait.Mais personne au sein desBlackOPS n’avait eu de ses
nouvelles depuis. Et ça, elle ne le comprenait pas. Les Black OPS étaient ses frères. Pourquoi leslâcherait-ildelasorte?
—Cen’estpastonproblème,grommela-t-ellepourelle-même.Si unmembre des BlackOPS décidait de disparaître, il disparaissait. Point. Et s’il s’agissait de
JoeGreen,iln’existaitaucunearmée–ouespionnedelaNSA–capabledeleretrouver.Illuirestaitaumoinslafiertédenepasavoiressayé.Par chance, sa carrière requérait son attention exclusive.Ses journées étaient bien remplies : jour
après jour,ellepassaitaucribleducyberbla-blacryptéà la recherchedecertainsschémas,certainesphrasesou répétitionsde terminologie,den’importequeldétail anormalou simplement incongru.Ellemaniait le logicielavecsubtilité,compilaitsesrapportset restaitconcentréeetvigilantedanssaquêted’informationssusceptiblesdemettreaujourunemenacepourlasécuriténationale.
Seull’intérêtgénéralimportait.Leparticulier,àsavoirsavie,s’étaitestompéenlugubresnuancesdegris.
Seigneur,cequ’elleétaitpathétique!Ellejetauncoupd’œilàsonporte-bonheursuruncoindesonbureau.Elleôtaitrarementlabague
queluiavaitofferteBrylorsd’unNoël.«L’anneaumagique»censédéchiffrern’importequellelanguereprésentait le plus inestimable des trésors aux yeux d’une fillette de neuf ans qui rêvait d’un avenirexaltantetdangereuxentantqu’espionne.
Espionne,elle l’étaitdésormais.Uneespionnequinedécollaitpasdesonsiège,rivéeàsonécrand’ordinateur,etquieffectuaituntravailcomplexeetchronophageenessayantdenepasselamentersurlefaitqu’ellen’avaitriendelaJamesBondaufémininqu’elles’imaginaitdevenirenfant.
Toutcommeelle tâchaitdenepas songeravecmélancolieaumomentoù JoeGreenavaitdéboulédans sa vie, deux ans auparavant, pour l’arracher à son existence ordinaire et lui faire croire auxchevaliersblancs,auxromansàsuspenseetauxfinsheureuses.
Arrêtedepenseràlui,àlafin!Pluspardevoirqueparcuriosité,ellefinitparsaisirlemystérieuxdossierdeRhonda.
Lorsqu’elleretiralaphotoattachéeàl’intérieurdurabatavecuntrombone,soncœurcessadebattre.Etsespoumonsderespirer.
Lebrouhahaprovenantdesboxvoisins,levrombissementdecentainesd’unitéscentralesetmêmelesnotionsdetempsetd’espaces’effacèrentlorsquesonuniversentierfutréduitàunefeuilledepapierdeformatA4.
UnephotographiedeJoe.Unevaguede nausée la frappa.Elle s’agrippa aux rebords de sonbureaupour se reprendre, puis
regardafixementlaphoto.Elle était en noir et blanc, granuleuse et de fort mauvaise qualité, mais l’identité de l’homme ne
faisaitaucundouteauxyeuxdeStephanie.Ils’agissaitbiendeJoe:têtebaissée,lespoignetsmenottésdansledos,dusangluidégoulinantsurlatempe.
Ellelascrutaavecattention,horrifiée.Ilétaitencerclépardesgardesarmésdefusilsd’assautquiledirigeaient,semblait-il,versunimmeublegouvernemental.Unefoulefurieuses’étaitresserréeautourdelui.
Laphotoprovenaitd’unarticledejournaldatéde…Oh,Seigneur!Deprèsd’unmois.Lescaractèresétaientsipetitsqu’elleavaitdumalàleslire.Sansquitterl’imagedesyeux,elletâtonnadanssontiroirsupérieuràlarecherchedesaloupe.
Lorsqu’elle l’eut enfin trouvée, samain tremblait si fortqu’elledut inspirerprofondémentpour secalmertandisqu’elleposaitlaloupesurletexteimprimé.
Lorsqu’elleparvintàdéchiffrerlalégende,laloupetombadesamainsoudainengourdie.«Freetown,SierraLeone…unindividunonidentifiéarrêtélorsdumassacred’unprêtreestiméde
l’égliseduSacré-Cœur.»
—C’estuneeffroyableerreur,ditStephanieàRafaelMendozalorsqu’ellelejoignitautéléphoneauquartiergénéraldesBlackOPS,àBuenosAires.
Prétextant quelque maladie, elle avait quitté le travail, enregistrant son heure de départ sur lapointeuse,pourfoncerchezelledèsqu’elleavaitvulaphoto.ElledevaitparleràRafe,etce,leplusloinpossibledesyeuxetdesoreillesindiscrètes.
—Joen’apasputuerceprêtre.—Évidemmentqu’ilnel’apastué,réponditRafaelaprèsqu’ellel’eutmisaucourantdupeuqu’elle
savait.Tuescertainequec’estluisurlaphoto?—C’estlui.Tuleconstaterastoi-même.J’aiscannél’articleettel’aienvoyé.Ildevraitapparaître
danstaboîtederéceptiond’unesecondeàl’autre.Ellefit lescentpasdanssonsalon,sonportablecolléà l’oreille, lesyeuxrivéssur laphoto.Elle
n’arrêtaitpasdeserépéterqu’ellenedevraitpassesoucierdecequipouvaitbienarriveràJoe.Envain.Elles’ensouciaiténormément.
Alors qu’elle traversait la ville en toute hâte pour rentrer à lamaison, fouillant samémoire à larecherched’undétailqui luipermettraitd’yvoirplusclair,uneobsédanteconversationnocturneavaitsurgidanssonesprit.
Elles’étaitréveilléedanssonlitlorsd’unenuitfroideetpluvieuse,quelquesmoisplustôt.Joeétaitallongédanslenoir,leregardfixéauplafond.Ilétaittrempédesueuretelleavaittoutdesuitecomprisqu’ilavaitencorefaituncauchemar.
Elleavaitposélamainsursonvisageetsentilatraînéedelarmessursajoue.Dévastéeparlechagrin,ellel’avaitenveloppédesesbrasetsuppliédeluiracontercequilehantait.
Ellenes’étaitpasattendueàcequ’il lui réponde.Maisau lieude luiassurerqu’iln’yavait rien,commetouteslesfoisprécédentes,ils’étaitmisàparler.Etlesparolesqu’ilavaitprononcéescettenuit-làluiglaçaientencorelesos.
—Certainsnevoient rienvenir.» (Son intonationétaitdépourvued’émotion,mais le cœurquibattaitàserompresoussapaumeindiquaitqueJoeétait toutsaufdétaché.)Certainsmeregardentdroitdanslesyeuxencomprenantparfaitement.Ilssaventquejesuisladernièrechosequ’ilsverront.Pasleurfemme.Pasleurmère.Pasleursgosses.Moi.
»Maintenant,c’estmoiquilesvois.Danslenoir.Danslanuit…—Uneseconde,fitRafe,laramenantaumomentprésent.(Ellel’entenditpianotersurunclavier.)Je
croisqu’ilvientd’arriver.Elle se laissa tomber sur le canapé et attendit queRafe ouvre lemessage avec la photo en pièce
jointe. Elle n’eut aucun mal à imaginer le beau visage ténébreux de Rafe contracté par l’inquiétudelorsqu’iljuratoutbas.
Etquandilgrommelasévèrement:«BonDieu!Dansquelpétrins’est-ilencorefourré?»Stephaniecompritqu’ilcraignaitpourlaviedeJoeautantqu’elle.
—Quandl’équipepourra-t-elleserendrelà-bas?luidemanda-t-elle,percevantlapaniquedanssonintonation.
Lorsqu’unlourdsilenceluiparvintdel’autreboutdufil,ellesentitunevagued’anxiétélasubmerger.—Jen’ensaisrien,Steph,réponditRafesuruntonquin’auguraitriendebon.Pourlemoment,onne
peutstrictementrienfaire.Illuifallutquelquessecondespourretrouversavoix.—Parcequ’ilaquittél’équipe?—Biensûrquenon!Et iln’apasquitté l’équipe.Il…Ah,bonsang!J’ignorecequi lerongeait,
mais il avait besoin d’une pause. Alors, Nate lui a dit de s’octroyer le temps qu’il fallait, de sedébarrasserunefoispourtoutesduproblèmequiletracassetant.
Ainsi,ellen’étaitpaslaseuleàavoirperçuunchangementchezlui.—Tusavaisqu’ilpartaitpourlaSierraLeone?—Non.(Cesimplemotsuffitàcommuniquerlaconfusionetl’inquiétudedeRafe.)Etceretourlà-
basn’aaucunsens.Àmoinsque…—ÀmoinsqueçaaitunrapportavecBryan,conclutStephanie.Quelqu’undoitl’aider,Rafe.—Sionpouvait,onfoncerait.Maislesgarssontdéployés.MêmeNatefaitpartiedel’opération.Il
n’yaqueB.J.etmoipourgarderlefort.—Alors,contacte-les.Tropnerveusepourresterenplace,elles’avançaverslafenêtre.Leurpriorité,c’étaitdeveillerles
unssurlesautres,non?—Dis-leurqueJoeadesennuis,ajouta-t-elle.—Cen’estpassisimple.Leurstatut,c’estleblack-outtotal,cara.—Leblack-out?—Ilseffectuentunemissiond’infiltrationsisecrèteque,mêmemoi,jen’aipaslamoindreidéed’où
ilssetrouvent.Çafaitseptjoursqu’ilssonthorsduréseau.Possiblequ’ils’enécouleseptdeplus,sicen’estdavantage,avantqu’ilsnerefassentsurface.
—Maistupeuxquandmêmelescontacter,non?Tuastoujoursunmoyendelescontacter.Sonaffolementdevaitcommenceràs’entendre,ellelesavait.—Pascettefois.Cetteopérationeststrictementsanscommunication,répondit-ilaveclassitude,etle
cœurdeStephanies’abîmadanssapoitrine.Jen’aiaucunmoyendelesjoindre.Etquandbienmêmejele
pourrais,jeneleferaispas.Ilsuffitquelamauvaisepersonnesurveilleuneliaisonsatelliteetcapteleurlocalisation,etlesgarssontmorts.
Elleregardaparlafenêtre,sansrienvoir.—ToutcommeJoeseramortsipersonnenel’aide.—Steph, je serais sur place depuis hier si je pouvais, lui assura-t-il d’une voix aussi lourde de
frustrationquelasienne.Tulesais.Oui,ellelesavait.Rafeseremettaitd’unesévèremalariapourlaquelleilavaitdûêtrehospitalisé
pendantprèsdedeuxsemaines.Ilétaitsortidel’hôpitallaveille.Stephanieétaitaucourant,carelleenavaitdiscutéavecsafemmeetpartenaireauseindesBlackOPS,B.J.Chase-Mendoza,aucoursdel’undeleurscoupsdefilhebdomadairesinitiésparB.J.peuaprèsladisparitiondeJoe.B.J.ladureàcuire,quinedevaitpastarderàaccoucher,avaitsurprisStephanieparsonempathieetsonsoutien.
—Qu’enest-ild’Ann?Tamèrepourrait-elleintervenir?Tirerquelquesficelles?s’enquitRafe,àlarecherche d’une solution. Peut-être mettre la pression à l’ambassade des États-Unis pour qu’un desemployésaillevérifiersurplace?
—Impossibledefaireappelàl’ambassade.L’articleneciteaucunnom,nin’affirmequeleprévenuestuncitoyenaméricain. Il leprésentecommeunassassin«anonyme».De touteévidence, le journalévitedel’associerauxÉtats-Unispournepasdéclencherunetempêtemédiatique.
»Deplus,poursuivit-ellealorsquesonsentimentd’impuissancecroissait,jenepeuxpasdemanderl’aidedemamanoupapa.Pasavantdeconnaîtretouslesfaits.
Elle avait été tentée de téléphoner à sa mère, mais tant qu’elle ignorait de quoi il retournaitexactement,ellen’osaitpasimpliquerl’unoul’autredesesparents.Tousdeuxétaientdespersonnalitésinfluentes àWashington, samère enparticulier.AnnTompkinsoccupait unposte àpouvoir au seindudépartementdelaJustice.
—Jedoutede réussir à les joindre,de toute façon, ajouta-t-elle. Ils sontpartishier, quelquepartdanslenordduMinnesota.D’aprèspapa,c’estuncoinsireculéquelesignaldetéléphoniemobileestinstable,aumieux.
Sonpères’étaitmontréexcitécommeungosse.Samère,elle,n’étaitpasaussiemballéeàl’idéedepasserleurspremièresvacancesdepuisdesannéesrecluseenpleinenature.
«Lechaletesttoutdroitsortid’unmagazine»,luiavaitditsonpèreenluimontrantlaphotodelamagnifique demeure isolée nichée sur la rive du lacKabetogama, dans leMinnesota, un endroit dontRobertTompkinsétaittombéamoureuxétantenfant.
« C’est un lieu féerique, Steph, un paradis hivernal », avait-il poursuivi, à l’évidence foud’impatience. « On va faire de la motoneige, du ski de fond, s’asseoir près du feu et profiter del’atmosphèreromantique.»
Il avait décoché un clin d’œil à sa femme, qui avait levé les yeux au ciel, bien qu’elle eût paruextrêmementheureuse.
Alors,non,pourbiendesraisons,sesparentsnepouvaientpas intervenir. Il restaitdonc…Quoi?Quellesautrespossibilitéss’offraientàJoe?
Aucune,comprit-elleavecabattement.—OK,écoute-moi,ditRafe,interrompantlefildesessinistrespensées.Onvaattendre,d’accord?
Joeestpleinderessources.Ilestcoriace.Ilpeutsedébrouillerseulquelquetemps.—Rafe,çafaitdéjàunmois.—Dansunesemaine,dixjoursmax,poursuivit-il,essayantdelarassurer,lesgarsserontderetour.
Etsinon,audiablelesrecommandationsdumédecin.J’iraiàsarecherche.—Non,tun’enferasrien,protesta-t-elledansunprofondsoupir.
Iln’étaitpasencorerétabli.Etpuis,ilyavaitB.J.etlebébéàprendreenconsidération.Ilavaitdûpercevoirquelquechosedanssavoix,uneidéequiavaitgermédanssonespritsansmême
qu’elles’enrendecompte.—Stephanie,àquoitupenses?Elleneréponditpas.—Écoute-moibien.Netenteriendestupide,OK?Jetelerépète,Joeestcapabledesedébrouiller.
Laisse-lefaire.Attendsleretourdel’équipe.—Jen’aipastellementlechoix,si?Elles’avançaverssonbureau,ouvritsonordinateurportableetseconnectasurExpedia.—Steph,tuestoujoursenligne?Lecœurbattantlachamade,ellerecherchalesvolspourFreetown.C’étaitdément.Elleétaitfolledesongeràpartirlà-bas.—Stephanie?—Ouais,jesuislà,répondit-elledistraitement.—Jet’enprie,promets-moiquetuneferasriendestupide.—Jenesuispasuncommando,Rafe.Jeconnaismeslimites.Etellesétaientdetaille.Ellen’avaitrienàfaireenAfrique.Ladureréalité,c’étaitqu’ellen’avait
rienàfairedanslaviedeJoe.Plusmaintenant.—Préviens-moiquandl’équipeseraderetour,d’accord?Ousitudécouvresquoiquecesoit.—Comptesurmoi.Enattendant,onferajouernoscontactssurplace.Siquelqu’un,àFreetown,est
susceptibledenousaider,B.J.etmoiletrouverons.Tiensbon.—OK.Écoute,ilfautquejefile,dit-ellebrusquement.Etelleraccrochaavantqu’ilaitpuluidonnerunautreavertissement.Elle s’assit et regarda fixement les détails des vols à destination de Freetown, Sierra Leone, via
l’aéroportinternationaldeLungi.IlrestaitplusieurssiègessurunvolquidécollaitdeDullesà20heureslesoirmême.Sonpasseportétaitàjour.Sesvaccins,non.Etellen’avaitpasdevisa.Ellepouvaitpeut-êtreenrecevoirunsurplace.Àmoinsque…
Ellebaissalesyeuxsurlaphotoposéesursonbureauàcôtéduportable.ArrêtéenSierraLeone.Cettevilleabritait tellementdefantômes.CeluideBryan,enparticulier.Elleyrevenaitsanscesse
tandisquesondoigts’attardaitau-dessusdelatouche«ÉCHAP».L’adrénalineaffluasoudaindanssesveinestandisqu’elleenvisageaitl’inimaginable.Puis,elleprit
uneprofondeinspiration,etunsentimentdecalmeetderésignationl’envahit.Etelleréservalevol,parcequ’auboutducompteellen’avaitvraimentpasd’autrechoix.
4
Joes’adossaàl’uniquemurducachotquin’étaitpasconstituédebarreauxdefer.Laparoidebétoncroulanteétaitmoiteàcausedelasueuretdelamoisissure.Peut-êtreavait-elleétépeinteengrisjadis,maistoutcequilarecouvraitàprésent,c’étaitlapuanteurdelacrasseetdumalheur.
LeblocdanslequelsetrouvaitlacelluledeJoeencomptaitunedouzainededeuxmètressurdeux,alignéesparrangéedesixdechaquecôtédelazoned’incarcérationcentrale.Uneseuleétaitmunied’unefenêtre:lanuméro3,lapluséloignéedelasienne,del’autrecôtéducouloir.
Il pouvait voir la fenêtre et une tranche de ciel bleu à condition de se tenir au bon endroit etd’appuyerlevisagecontrelesbarreaux.Cettefenêtrefournissaitl’uniquesourcedelumièreextérieure,l’uniquesourced’airfrais.Etlemalheureuxquil’occupaitn’avaitd’autrechoixquedesupportercequemèrenaturedéversaitàtraversl’ouvertureaugrédesesenvies.Laplupartdutemps,elleoptaitpourlachaleur, la pestilence et le vacarme de la ville, sans la moindre considération pour les misérablesenfermésdanscetrouauméprisdesdroitshumainsfondamentaux.
Iln’yavaitpasd’eaucourante.Sasalledebainsconsistaitenunseau.Ildormaitàmêmelesolenterrebattue,encompagniedes rats,descafards,des lézardsetd’unemultitudedebestioles rampantestoutaussisympathiques.Àdeuxreprises,ilavaiteuleplaisirdepartager«sonlit»avecunevipère.Lesdeux fois, il avaitdû la tuerou se faire tuerpar elle.Lesdeux serpentsmorts avaient été remisà sesgeôliers,quilesavaientcuisinéssur-le-champetservisàl’Américain«frappadingue»qu’ilscraignaientautantqu’ilsrespectaientpoursonhabilitéàsurvivreauxattaquesmortellesdesreptiles.
C’était là les seules protéines qu’il avait mangées en trente jours depuis qu’il avait été arrêté etinculpépourlemeurtreduprêtre.Iln’avaitpasencoreétéjugé,maisavaiteudroitàunpassageàtabacquotidien.Ils’attendaitàd’autresséancesdenunchakusavantd’obteniruneaudienceavecunjuge.
Comme plusieurs fois par jour, il comptait les barreaux de la cage qui le retenait prisonnier.Compter luipermettaitdegarder la tête froide.Compter l’empêchaitdes’emmurerdanssonesprit,oùl’absolue solitude et le sentiment d’impuissance que lui inspirait son isolement jouaient avec sa santémentale.Compter lesbarreaux l’aidait à s’accrocherà la réalité.Lesmathématiquesnementaientpas.Àl’occasion,sonesprit,si.
Environ deuxmètres au-dessus de lui, un grillage de deuxmètres sur deux, composé de soixante-quatre barres de fer de deux centimètres d’épaisseur, constituait son plafond. Chacun des murs à sagaucheetàsadroiteétaitcomposédetrente-sixbarreauxdelamêmeépaisseurcoupésparquatrebarrestransversales. Il y avait quarante-huit barreaux supplémentaires dans le mur face au couloir dont dix
formaientlaportequiétaitsuspendueàquatrecharnièressoudéesetsécuriséeparundoubleverrouenhautetenbas.
Centquatre-vingt-quatrebarresdefer.Désormais,savieserésumaitàcompter,àconcevoirunpland’évasionet,bienentendu,auxnunchakus.L’uniquerépitàlapersistanteréalitédesonemprisonnementarrivaitauxpremièresheuresdel’aube,justeavantqu’ilneseréveillecomplètement.
Pendantquelquesprécieusessecondes,Stephsetrouvaitlà,aveclui.EtSeigneur,c’étaitleparadisd’êtreétenduàcôtéd’elle.De la regarder respirerdanssonsommeil.Desentirsachaleurblottie toutcontrelui.
Jusqu’à ce qu’une clé cliquette dans la pièce la plus éloignée, qu’un prisonnier gémisse, qu’unecrampemusculaireoutoutsimplementlafaimleramèneaussisecàlaréalité.
StephanieétaitchezelledansleMaryland,ensécurité,etc’étaitprécisémentl’endroitoùilvoulaitqu’ellesoit.
Àprésent,cescléscliquetaientau loin.Deuxgardesdétenaientdes jeuxséparésqu’ilsportaientàdesanneauxattachésauxceinturestresséesdeleursuniformesverts.Lorsqu’ilsarrivaient,ilspénétraientleblocpardeuxportesverrouillées,chacuneouverteparungardedifférentavecunjeudeclésdifférent.
Dans l’ensemble, des mesures de sécurité relativement importantes pour un établissementmoyenâgeux.C’étaitpresqueexcessifdanslamesureoùilsaffamaientlesprisonniersjusqu’àlesrendreincapablesdelamoindremutinerie.
Lesdeuxmêmesgardeseffectuaientunerondedanslebloctroisfoisparjour.Pourlapremière,ilsétaientmunisdemaigresportionsd’eaucroupie.Pourladeuxième,d’unseaudegruauquifaisaitofficederepas.Latroisième,c’étaitpourpermettreauxdétenusdedisposerdeleursdéchets.
Leluxecinqétoiles.Joepassaunemainsursonvisagerecouvertdebarbe,sentitlapertedemassemusculairedansson
bras. Ilpensait avoirperduprèsdedixkilosdepuis ledébutde son séjourdans l’hôtelde l’enfer.Etencore, ilavaiteude lachance.Laplaieouvertesursa tempecauséepar lefusild’assaut lorsdesonarrestationétaitpresquecicatrisée.Etmêmes’ilétaitpratiquementsûrd’avoirunecommotioncérébrale,la nausée et la diplopie avaient diminué au bout d’une semaine. La raclée quotidienne consistaitprincipalementendescoupsaucorps.Ilsavaitcommentdétournerlesplusviolentstoutendonnantl’aird’avoirétésuffisammentbattupourfairereculersesgeôliers.
Avec sa barbe, ses cheveux en bataille, ses pieds nus, ses vêtements crasseux et en lambeaux, ildevaitressembleràRobinsonCrusoé.Ilsouffraitdemalnutritionetdedéshydratation,maisàpartça,ilneseportaitpassimal.Ilétaitunpeuamoché,maisçapouvaitaller.Onnepouvaitpasendireautantdecertainsdesprisonniersarrêtésdepuissonarrivée.
Aumoins trois détenus, dont l’un était à peine adulte, étaient décédés.À en juger par l’arrêt desgémissementsdanslacellulenuméro3,ilyavaitdecelaquelquesheures,Joeprésumaitqu’uncadavresupplémentairen’allaitpastarderàveniraccroîtrelenombredemorts.
Telleétaitlaviequandonsetrouvaitdumauvaiscôtédelaloisierra-léonaise.Il ferma les yeux de frustration et appuya à nouveau la tête contre les barreaux. Il ne pouvait
qu’attendreàprésent.Attendrequ’uneoccasionseprésente.Attendrequequelqu’uncommetteuneerreur.Attendredemourirdanscetrou.Seul.
Il n’aurait jamais fini comme ça s’il n’avait pas tourné le dos à son équipe. « On n’abandonnepersonne»n’étaitpassimplementunecitationinventéepourlesmédias.Pourleshommesetlesfemmesqui combattaient pour leur pays et les leurs, c’était un code d’honneur. Qui régissait leur vie. Onn’abandonnaitpersonne.Jamais.Aucunmembred’uneéquipen’étaitlaissépourmort.
S’ils’étaitagid’uneopérationmilitaireofficielleoud’unemissiondesBlackOPS,Joen’auraitpaséprouvé un sentiment de solitude aussi accablant, car il aurait eu la certitude qu’une farouchedéterminationpousseraitsonéquipeàlesortirdelà.
Peuimportecequidevaitêtrefait,peuimportelenombredepersonnesàtuer,peuimportelenombredeBlackOPSquimourraient lors de lamission, son équipe serait venue le chercher.Le risque qu’ilmeuren’auraitpasétéécartépourautant,maisiln’auraitpasétéseul.
Comme il l’était àprésent, carpersonnene savaitqu’il était là.Exactementcommeceladevait sepasser.
Ilavaitcompris,quandils’étaitmisenchasse,quesileresponsabledelamortdeBryans’avéraitêtre celui qu’il soupçonnait, ses révélations au sujet de ce traître/meurtrier entraîneraient desrépercussions aussi graves que s’il avait associé le pape à Satan.Et à cause du pouvoir que détenaitl’individu en question, Joe savait qu’en rendant ses allégations publiques il deviendrait la cibled’assassinatsetquelavériténeseraitjamaisdévoilée.
Ilgrognaetconsidérasonenvironnement.Parfois,avoirraison,c’étaitl’enfer.Ilavaitàpeinegrattélasurfacedesmensongesetdesduperies,etilallaitsefairetueravantd’avoirpudémasquerletraître.
Ravalant le désespoir quimenaçait constamment de l’anéantir, il se résigna à se lever. Ses forcess’amenuisaient,maisilrassemblacellesquiluirestaientencore,balançalesmainsau-dessusdesatêteetsauta.Ilarrivatoutjusteassezhautpours’agripperauxbarreauxduplafond.
Unevivedouleurenflammasesmusclesaffaiblislorsqu’ilsehissa,puisselaissadescendre.Ilrépétace processus éreintant vingt-cinq insoutenables fois avant que la brûlure dans ses muscles et sesarticulationsnel’obligeàlâcherpriseetqu’iltombe,exténué,ausol.Lasueursuintaitdetoussesporesalorsqu’ilrestaitétendu,luttantpourrespirer,sentantqu’ilfaiblissaitd’heureenheure.
Seigneur!Aumeilleurdesaforme,ilpouvaitfairequatre-vingtstractionssansverserunegouttedetranspiration.Ilpouvaitmêmepousserjusqu’àcents’ilyavaitunparienjeu.Àprésentquesavieétaitenjeu,lemieuxdontilétaitcapable,c’étaitvingt-cinq.
Putain!Ildevaitsortirdelàauplusvite.Ilespéraitseulementqueceneseraitpasdansunsacmortuaire.Ilfermalespaupières.PensaàStephanie.Àlapeinedanssesyeuxquandilluiavaitditaurevoir.
Auxmensongessursalanguequandilavaitprétenduqu’ilnel’aimaitpas.Voilàpourquoiilavaitmenti.Voilàpourquoiils’étaitséparéd’elle,desaproprefamille,desparents
deBryanetdesBlackOPS.Ilsavaitqu’ilrisquaitdeseretrouverdansunemerdenoire,etilvalaitmieuxpourtoutlemondequ’ilsignorentpourquoi.
StephanietravaillaitpourlaNSA,nomdeDieu!Samère,àforcedetravailetd’acharnement,s’étaithisséeàunposteàresponsabilitéauseindudépartementdelaJustice;sonpèreavaitétéconseillerdel’ancienprésidentBillingsetilpoursuivaitdésormaisunecarrièred’avocatdanslesecteurprivé.Aucund’euxnepouvaitsepermettred’êtreassociéàJoesileschosespartaientenvrille.
Ilnevoulaitpasquelesretombéesdesesactionsaientunimpactsureuxentantqu’individus,entantqueprofessionnels,ouentantquemembredesafamille.AnnetRobertétaientaussiimportantspourluiquesespropresparents. Il refusaitde lesentraînerdans lebourbierdemensongesetde trahisonqu’ilallaitdécouvriràcoupsûr,carlaprobabilitéqu’ilparvienneunjouràprouvercequ’ilpensaitsavoirouà sedisculperdes accusations résultantdes crimesqu’il commettrait aunomde la justice était faible,voirenulle.
IlavaitfaitpleurerStephanie.Iln’arriveraitjamaisàchassercetteimagedesamémoire.Nesepardonneraitjamaisdes’êtremisà
lafréquenter,pourcommencer.Ellen’avaitpasbesoinqu’ilviennesemerlechaosdanssavie.Ellese
seraitbienpasséedesbagagesqu’ilavaittraînésaveclui.Etseseraitvolontierspasséedelasouffrancequ’illuiavaitinfligéequandill’avaitabandonnée.
Ilroulasurledos.Écoutalesgardestriturerbruyammentleursclés.L’heurededîner.Sonestomacsenouaàl’idéedelapâtéequ’ilsallaientluiapporter.
Ill’avaitfaitpleurer.C’étaitpourlemieux.Ilvalaitmieuxpourellequ’ellenesachepasqu’ils’étaitlancéàlapoursuite
de l’homme qui était responsable de lamort de Bryan… et qu’il risquait demourir à cause de cettedécouverte.
Huit heures après s’être entretenue avecRafe, Stephanie était assise dans le hall de l’aéroport, àDulles, et attendait impatiemment qu’on l’appelle à embarquer, luttant contre le sinistre pressentimentd’une catastrophe imminente. S’acquitter du prix du billet pour l’Afrique de l’Ouest au départ deWashingtonDCl’avaitsacrémentendettéeauprèsdesabanque,sanscompterqu’elleavaitpuisédansseséconomies pour obtenir les papiers l’identifiant comme diplomate américaine ainsi que le visa et lesrapportsdevaccinationfalsifiésàlahâteetglissésdanssonportefeuille.DeuxmilledollarsenliquidepourunfauxbadgequipouvaitluipermettredevoirJoeenprisonoulafairearrêter.Cinqmillepourlevol,quidurerait toutdemêmevingt-quatreheures.C’étaitsuffisamment longpourqu’ellese ravise,etd’ailleurs,elleavaitdéjàfaillifairemarchearrièreàplusieursreprises.
Elleallaitdevoiragirseule,sansavoirlamoindreidéedecequ’elleallaitfaireunefoissurplace.Au moins savait-elle pourquoi elle risquait sa vie, sa carrière, et probablement sa santé mentale envoulantretrouverJoe.
Deuxansplustôt,illuiavaitlittéralementsauvélavie.S’iln’avaitpasétélà,letypequiavaitétéenvoyépour la tuerséviraitencore,elleseraitmorte,etsesparentspleureraient lapertedeleursdeuxenfants.
B.J.avaitdéjouélatentativeinitialedutueuràgages,maisc’étaitJoequiavaitéliminélasecondevagued’assassins,puisl’avaitprotégéependantleursquelquesjoursdefollecavaletandisquelerestedel’équipetraquaitlecerveaudecetteopérationainsiqueducomplotvisantàattaquerlesÉtats-Unisetameneruneéconomiedéjàvacillanteàs’écrouler.
Ellesemassalepoignetdroitd’unairabsent,repensantàlaviolenceaveclaquelleilavaitétécassé.La fracture était guérie depuis longtemps, mais son poignet enflait de temps à autre, lui rappelant laterrible épreuve qu’elle avait traversée, et la douceur dont Joe avait fait preuve à son égard. Il avaitveilléàsasécurité,maisaussiàlasatisfactiondebesoinsqu’ellenesoupçonnaitmêmepas,jusqu’àcequ’ellelerencontre.
Avantlui,elles’étaitcontentéedesuivrelefildesonexistence.AvecJoe,elleavaitsaisilavieàbras-le-corpsau lieudegraviterautoursansbut. Il luiavait faitgoûterà lapassion.Unepetitesaveursucréequiluiavaitfaitcomprendrequelavieneserésumaitpasautravail,etavecunpeudechance,qu’unjourelleneserésumeraitplusàladouleurdel’avoirperdu.
Personne ne meurt d’un cœur brisé. Elle s’en remettrait. Elle irait de l’avant, mais elle neparviendraitjamaisàselibérerdesonsouvenirsiellelelaissaitmourirlà-bas.
—C’esttonhistoire.Tupeuxlaracontercommeçatechante,luiavaitditRhondad’unairmaussadeetinquietquandellel’avaitdéposéeàl’aéroportaprèsqu’elleseurentrécupérélesdocumentsfalsifiéschezla«connaissance»onnepeutpluslouchedecettedernière.Maisnousconnaissonstouteslesdeuxla véritable raison qui te pousse à risquer ta vie, sans même parler de ta carrière. Tu es toujoursamoureusedelui.
Ça ne payait jamais de partager une bouteille de rouge avec Rhonda. Par une longue nuit, alorsqu’elleétaitunbrinpompette,elleavaitvidésonsacetsoncœur.
Àprésent,elle regardaitdroitdevantelle,sansvoir lesalléesetvenues incessantesdespassagersfonçantd’uneported’embarquementàl’autre.Oui.Ellel’aimaittoujours.
Ill’aimaittoujours,aussi,bonsang!Ellesefichaitpasmaldecequ’illuiavaitdit.Elleétaitsûrequ’il avait disparu dans la nature parce qu’il essayait de la protéger de quelque chose qui, il en étaitcertain,luiferaitdumal.QuelquechosequileferaitatterrirenprisonetentraîneraitStephanieaucœurd’unincidentinternational.QuelquechosequidevaitavoirunrapportavecBryan.
Il auraitdûs’ouvriràelle. Il auraitdû lui faireconfiance.Au lieudequoi, il étaitparti.Sid’unefaçonoud’uneautreelleparvenaitàletirerdecepétrinetqu’ilsenressortaienttouslesdeuxindemnes,ellenesefaisaitaucuneillusionquantàleuravenircommun.
S’iln’étaitpascapabledelavoircommesonégale,commeunepartenaireàpartentièredanssavie,s’il comptait l’exclure chaque fois qu’il était question de problèmes qui le rongeaient, s’il éprouvaitconstammentlebesoindejouerlesprotecteursetpersistaitàlaconsidérercommesaresponsabilité,ehbien,leurrelationétaitdetoutefaçonvouéeàl’échec.
Nepensepasàçamaintenant.Elle luttapourempêchersonaffreusepeinedecœurd’ébranlersarésolution.Concentre-toi.
Elledevaitconsacrertoutesonénergieàmettreaupointunplanpourlefairesortirdecetteprison.Elle était méthodique, organisée et réfléchie. Elle s’était débrouillée pour obtenir le faux badge del’ambassade américaine qui, espérait-elle, lui permettrait d’entrer dans la prison pour voir Joe,maisautrementellen’avaitpaslamoindreidéedecommentprocéder.
Bon,j’aivingt-quatreheuresdevoyagepourtrouverquelquechose,songea-t-elleavecunesinistredétermination.Pourarrêterdepenseràcequ’ellenesavaitpas,elle reportasonattentionsur l’undesécransdetélévisionsuspendusau-dessusdesrangéesdesièges.
Lejournaldusoirdiffusaitdesimagesdel’attachéedepresseduprésident,KarenCramer,quiavaittenu une séance d’information plus tôt dans la journée afin de confirmer la rumeur selon laquelle lesecrétaired’Étatprévoyaitdequittersonposteàlafindumois.
Cramer lut ensuite la courte listedes candidats en licepour remplacer le secrétaired’État bientôtretraité.Stephanieretintàpeinelaplupartdesnoms.Elleavaitcesséd’écouterlorsqu’elleentenditceluide Greer Dalmage et que le journaliste souligna que Dalmage, général à la retraite et ancien élu del’Arizona,étaitl’intermédiaireactuelentrel’Uniondesnationsd’Afriquedel’OuestetlesÉtats-Unis.
Soncœurs’affola.LaSierraLeonefaisaitpartiedel’Unao.Elleseredressasursonsiège,lesyeuxrivéssurlatélé.Dalmageétaitunepersonnalitéomniprésente
dans lesmédias, et Stephanie fouilla samémoire pour se rappeler ce qu’elle savait d’autre sur lui. Ilavait lasoixantaine,étaitconnupoursonalluremartiale,sescheveuxpoivreetselcoupéscourtetsescostumeshorsdeprix.
Puis le reportagepassaàune imagedeDalmage.Plusieurs journalistes l’avaient interceptésur lesmarches du Capitole plus tôt dans la journée et, électrisés par les rumeurs, avaient braqué leursmicrophonesdevantsonvisage.
—MonsieurDalmage,accepterez-vouslepostedesecrétaired’Étatsionvouslepropose?—Montravailatoujoursétédeservirmonpays,réponditDalmageavecunpatriotismesincère.Si
onmeledemande,bienévidemment,j’accepterai.—Un dernier point urgent,monsieur. (Un journaliste duCatholic Press s’avança.) Pourriez-vous
commentercettehistoirequiarécemmentfaitsurfaceenSierraLeoneausujetd’uncitoyenaméricainquiseraitemprisonnédepuisprèsd’unmoispourlemeurtred’unprêtre?
LecœurdeStephaniefaillits’arrêter.Pourlapremièrefois,elleentendaitqueJoeavaitétéidentifiéentantqu’Américain,etçanepouvaitqu’êtreunebonnenouvelle.Celasignifiaitquel’ambassade,voireDalmage,pouvaitintervenirensafaveur.Peut-êtrequ’ellen’étaitpasseule,aprèstout.
Ragaillardie par cet espoir, elle s’empressa de se lever de son siège et s’approcha plus près del’écranafind’entendrechaquemotqueDalmageavaitàdire.
Il avait vite arboré une mine plus sombre. Stephanie n’aurait su dire si c’était dû au choc ousimplementàlagravitédelasituation.
—Jesuisaucourantdecettefâcheusesituation.Cependant,nimoiniaucunmembredemoncabinetn’avons reçu la confirmation que l’homme détenu pour meurtre était bien américain. Aux dernièresnouvelles, son identité n’a pas été déterminée. Vérifiez vos sources avant de vous livrer à de tellesconjectures, ajouta-t-il en leur lançant un regard désapprobateur avant de tourner les talons pours’éloigner.
—Vousaffirmezdonc,monsieur,quel’accusén’estpasunAméricain?insistalejournaliste.Stephanieattendit,sonsoufflecoincédanssapoitrine.LesépaulesdeDalmageseraidirentsoussavestenoiretailléesurmesureetilsetournaànouveau
verslejournaliste.Leventhivernalrougissaitsesjoues.Ilsemblaitmécontent.— Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que la citoyenneté américaine du détenu n’avait pas été
corroborée.S’ils’avèrequec’estunAméricain,nousluioffrironstoutel’assistancedontnousdisposons.Àprésent,sivousvoulezbienm’excuser,j’aidesaffairesurgentesquirequièrentmonattention.
Laséquencepritfin,maisleprésentateurpoursuivitavecl’histoire.—Nossourcesnousontconfirmédepuisquelesaffairesurgentesévoquéesparl’officierdeliaison
DalmageimpliquaientunvolpourFreetown,enSierraLeone,oùl’onsupposequ’ilchercheraàensavoirplussurlacitoyennetédususpect,détenudansuneprisondelacapitaledansl’attentedesonprocès.Pourcequiestdesautresnouvelles…
Oh,Seigneur!songeaStephanietandisquelepremierappelàembarquerpoursonvolétaitannoncé.Dalmages’étaitenvolépourlaSierraLeone.Maisquand?Elleseglissadanslafiled’attenteaveclesautrespassagers.
Peut-être Dalmage se trouverait-il à Freetown lorsqu’elle atterrirait, et ainsi aurait-elle un alliépotentielsurplace.Àprésent,Joeavaitréellementunechancedesurvivreàcedrame.
Pourlapremièrefoisdepuisqu’elleavaitdécouvertcetteeffroyablephoto,elleentrevoyaitunelueurd’espoir.
5
SuahKoramaavaitquinzeansetnesesouvenaitpasd’avoireuun jourunfoyerà lui.Pourautantqu’ilsache,iln’avaitpasdefamilleenvie.Ilavaithuitansquandlevieilhommequiétaitresponsabledugarde-mangeràlamissionKissy,situéedansunbidonvillerongéparlacriminalitéàl’extrêmeestdela ville, lui avait dit qu’il avait connu samère. Suah avait accueilli cette information avec un regardvide;leconceptd’amourmaternelluiétaitaussipeufamilierquelasatiété.
IlvivaitdanslesruesdeFreetownetsedébrouillaitseuldepuisaussilongtempsqu’ilselerappelait.Trois ans plus tôt, quand il était devenu assez grand et assez fort pour manier un fusil, il avait étékidnappéenpleinjourettraînéjusqu’àuncamiondetransportmilitairesouslamenaced’unearmeàfeu.Personne n’avait osé défier les soldats rebelles qui l’avaient enlevé.Avantmême d’être conduit à uncampisoléendehorsdelaville,Suahavaitdevinélesortquil’attendait.Ilallaitdevenirl’undesenfantssoldatsqu’AugustineSesayavaitrecrutésparcentainespourleFrontrévolutionnaireuniressuscitéparsessoins.Suahavaitdouzeansàl’époque.
Depuis ce jour-là, son existence s’était composée d’exercices militaires, de passages à tabacréguliers, et d’un repas par jour. Il porterait les cicatrices laissées par le fouet de Sesay sur son dosjusqu’àlafindesesjours.Pourautant,lavieauseinducampavaittoutdemêmeétémeilleurequedanslarue.EnrôlédeforcedanslesrangsduRUF,ilétaitpersuadéqu’ilmourraitaucombatoudesmainsdeSesay.Maisledestinenavaitvouluautrement.Auboutducompte,ilavaitsurvécuàSesaygrâceàunseulhomme.L’Américain,JoeGreen.
C’étaitpourGreenqueSuahfaisaitleguetdevantlaprisonmunicipaledepuisvingt-neufjours.Appuyant une épaule contre le flanc d’un immeuble situé en face de la prison, de l’autre côté du
carrefour animé, ilmontait la garde et luttait contre l’envie d’entrer.Dans quel but ? Il n’aurait su ledire. Il savait seulement que Joe Green se trouvait à l’intérieur et qu’une fois de plus il devait àl’Américain savie.SiGreenn’avait pas été là,Suah croupirait lui aussi derrière cesbarreaux.Ou ilseraitdéjàmort.
Ilplissalesyeuxpourseprotégerdesrayonsbrûlantsdusoleiletdelachaleurdeplombquiémanaitdutrottoirenbétoncraquelésoussespiedsnus.Iln’aimaitguèresesentirredevable.Etiln’aimaitpasnonplus ladésagréable sensationqui envahissait sapoitrinequand il pensait à l’imposantguerrier auvisage sévèrequi l’avait épargné,puis lui avait sauvé lavie.Laconfianceétaitunconceptdifficile àappréhenderpourlui.Ils’enméfiait,commeilauraitdûseméfierdel’aidedel’Américain.Illesavait.Et pourtant, il lui faisait confiance. L’amitié était également un privilège qu’il n’accordait qu’à une
poignéed’élus.Ainsi,iln’avaitpaschoisidedeveniramiavecl’Américain,mêmes’ils’étaitsurprisàlesouhaiter…Raisondepluspourdouterdesonproprejugement.
Bienquephysiquement,ilfûtencoreunadolescent,Suahseconsidéraitcommeunhommed’honneur.Un homme qui avait une dette à payer. Il restait donc là, à surveiller la prison et à attendre.Quoi, ill’ignorait…jusqu’àcequ’untaxipoussiéreuxs’arrêtedevantlamaisond’arrêtetqu’unefemmeàlapeaublancheetauxcheveuxfoncésendescende.
Il se redressa et la regarda observer la bâtisse d’un air hésitant. Puis elle prit une profondeinspiration, passa lamain sur ses longs cheveux attachésderrière sa nuquepar une tresse, puismontalentementlesmarchesetenfranchitlaporte.
Elleétaitaméricaine.Suahenétaitaussicertainquedufaitqu’iln’avaitrienmangédepuislaveilleau soir. Et il était certain qu’il n’existait qu’une seule raison pour qu’uneAméricaine entre dans uneprisondeFreetowndesonpleingré.
ElleétaitlàpourJoeGreen.Lemomentqu’ilattendaitdepuisunmoisétaitenfinarrivé.
—Cequevousdemandezestimpossible.Lepolicier ventripotent au regard sévère considéraStephanie avec l’air d’unhomme imbude son
autoritéetunedéterminationfaroucheàl’empêcherdevoirsonprisonnier.— Écoutez, nous pouvons procéder simplement, lieutenant, ou nous pouvons compliquer les
choses.Pluspourvousquepourmoi.(Elletintbon,mêmesisesjambesétaientdevenuesaussimollesque du caoutchouc.) Soit vousm’autorisez l’accès au prisonnier américain, soit je serai contrainte dedemanderàl’officierdeliaisonDalmaged’intervenir,justeaprèsquej’auraicontactémesamisdeCNN.
Elleespéraitdetoutsoncœurquesonattitudeinflexible(«Commesij’allaislaisserunsous-fifremelafaireàl’envers!»)n’étaitpasaussitransparentequelepanneauenverrerayéquirecouvraitlebureauusédufonctionnaire.
Cedernierl’observadesesyeuxfixesprofondémentenfoncésdanssongrosvisagenoir.Comment,dansunpaysravagéparlafamine,pouvait-ons’empiffrerjusqu’àdevenirobèse?
Iltouchaitprobablementdespots-de-vin,sefaisaitgraisserlapatteparquelquepoliticien.L’argentetlacorruptionneconnaissaientaucunebarrièrelinguistique.
S’ilnemordaitpasà l’hameçon, elle était fichueet Joeaussi.ElleneconnaissaitpasDalmageetn’avaitpaseuletempsdelepisteraucoursdesdeuxheuresquiavaientsuivisonatterrissage.Elleavaitpasséladouane,avaitréussiàhéleruntaxietavaitbondidansunferryqui l’avaitconduitedel’autrecôté de la baie, deLungi à Freetown. Pendant son escale àLondres, son avion avait été retardé (uneexpérienceparticulièrementfrustrante),cequiavaitrallongésonvoyagedeprèsdedixheureséreintantesetdécuplésonsentimentd’urgencequilasommaitderetrouverJoeauplusvite.Elles’étaitdirigéeverslaprisonaussitôtqu’elleavaitfranchiladouane.
Àprésentqu’elleétait à l’intérieurde l’établissementvétusteetqu’elleavait assisté,horrifiée, autraitement infligé à un homme fraîchement arrêté, l’urgence s’était muée en une peur viscérale etprimitive.
Joesetrouvaitdansunecellule,danscebâtiment.Etellecraignaitterriblementpoursavie.Elle exprima son impatience en jetant un coup d’œil à sa montre. Du visage de Stephanie, le
lieutenant (Saidu Bangura, d’après la plaque sur son bureau) reporta son implacable regard sur lesdocumentscontrefaitsqu’elleluiavaittenduslorsqu’elles’étaitprésentée.
Ilneluirestaitqu’àprierpourquelenomdeDalmagefassesoneffet,puisquelespapiersd’identitéqui la désignaient comme vice-consule auprès de l’ambassade américaine de Freetown n’avaient rien
donné.Bangura continua d’examiner le faux document en silence, tout en passant la pulpe de son pouce
d’avantenarrièresuruncoindupapier.— Lieutenant Bangura, dit-elle avec exaspération. J’ai M. Dalmage et Lou Dobbs de CNN en
numérosabrégésdansmontéléphone.Pendantunlongetpéniblemoment,ellecrutqu’ilallaitvoirclairdanssonjeu.— Vous avez cinq minutes avec le prisonnier, répondit-il sur un ton mécontent, mais résolu à
échapperàtouteattentionpolitiquesusceptibledelerévélersousunjourpeuglorieux.Ilse levaet luirendit lesdocumentsfalsifiés.Elleéprouvaunsentimentdegratitudelorsqu’ilalla
chercheruncollèguepour l’assister.LamaindeStephanie tremblaitcommesielles’apprêtaitàsauterd’unavionsansparachute,cequidécrivaitparfaitementl’étatdanslequelellesetrouvait.
—Parici,s’ilvousplaît,mademoiselle,ditleplusjeunedesdeuxhommes.—Cinqminutes,répétaBanguratandisquelaporteserefermaitderrièreelle.Elle suivit le policier hors du bureau de Bangura, le long d’un couloir, et attendit pendant qu’il
déverrouillaituneportequimenaitàundeuxièmecouloir.Ilsn’enavaientpasparcourulamoitiéquelasuffocantepuanteurdesexcréments,delacrasse,dumalheuretdudésespoirmanquadelafairetomberàgenoux.Sesyeuxluibrûlaient.Elleluttacontrelanauséequiluiremuaitl’estomac.Pendantuneffroyablemoment,ellecrutqu’elleallaitrendreleplatqu’onluiavaitservidansl’avionquelquesheuresplustôt.
Elle plaça sa main en coupe au-dessus de son nez, inspira plusieurs fois par la bouche, et seconcentrasurlaraisondesaprésence.
Joevivaitdanscetenferdepuisunmois.Ellepouvaitbienlesupportercinqminutes.Elles’armadecouragelorsquel’odeurs’intensifiacommeilsapprochaientd’uneportefortifiée.Une
fenêtrebarréed’environquarante-cinqcentimètresde longsurquarante-cinqcentimètresde largeavaitété découpée dans le centre de la porte, à hauteur d’yeux. Le policier s’arrêta, frappa, et au bout dequelquessecondes,levisaged’unhommeapparutàtraverslesbarreaux.Legeôliersalualepolicierd’unhochementdetête,puislescléscliquetèrentdanslaserrure,etlaportes’ouvrit.
Choquée par ces conditions de détention affligeantes, Stephanie attendit pendant que les deuxcollègues échangeaient quelquesmots. Le gardien examina Stephanie de la tête aux pieds tandis qu’iltiraitsurunjeudeclésaccrochéàlachaînerétractablefixéeàsaceinture.
Sans faire lemoindre commentaire, il déverrouilla une seconde porte composée intégralement debarresdeferetl’ouvritd’unepoussée.
—Numéro6,dit-illorsqueStephanieentradanslebloc.Elle tressauta involontairement quand la porte se referma violemment derrière elle dans un fracas
métallique.—Nevousapprochezpasdesbarreaux.Nousnesommespassûrsd’arriveràtempssijamaisl’un
d’euxvousagrippe,ajouta-t-ildederrièrelaporte.Sonintonationindiquaitclairementquepersonnen’accourraitpourl’aider.Luttanttoujourscontrelanausée,ellesetournaànouveauverslebloc,s’efforçantdenepasentendre
les gémissements qui provenaient des recoins obscurs des minuscules cachots de part et d’autre ducouloir.Soncœurbattaità touteallurelorsque,passantoutreà lapeur,elles’avançad’unpashésitantverslacelluleavecunchiffre6défraîchiimprimésurlesolenbétontâchédevantlaporte.
Sessensétaienttellementsaturésparlarévulsionqueluiinspiraientcesconditionsdedétentionetlalumièreétaitsifaiblequ’audébutellenevitpaslasilhouetteramasséesurelle-mêmedansuncoindelacage.
Lorsqu’ellel’aperçut,ellecrutsuffoquer.Satêteétaitbaisséeetreposaitlourdementsursesgenouxqu’il avait ramenés vers sa poitrine et encerclés de ses bras. Il était pieds et torse nus. Et couvertdecrasse.Ellesesurpritmêmeàprierpourquecenesoitpaslui.
—Joe?dit-elled’unevoixindéciseducentreducouloir,respectantlesconsignesdugardien.Aucuneréponse.—JoeGreen?répéta-t-elleavecplusdefermeté.Elleattendit,retenantsonsouffle.Denouveau,iln’yeutaucuneréponse.Puis,trèslentement,latête
del’hommeseredressa.Sespaupièress’ouvrirentetilcroisasonregard…etsoncœurgalopantsemitàbattreencoreplusvite.
DouxJésus!C’étaitlui.Oucequ’ilrestaitdelui.Seigneur,oh,Seigneur,queluiavaient-ilsfait?Les yeux de Stephanie s’étaient suffisamment habitués à l’obscurité pour déceler les signes de
l’horreurqueJoeavaitendurée.Malgrélasaletéquimaculaitsoncorps,elledistinguaunemultitudedecontusions sur son torse, ses bras et ses jambes qu’elle apercevait sous les guenilles qui lui faisaientofficedepantalon.Unevilaineblessureluibarraitlefront.
Mais la pleinemesure du calvaire qu’il avait subi semanifestait dans le regard froid et vide quisoutintceluideStephanied’abordavecdéni,puisavecunereconnaissanceperplexe,etenfinavecunepaniquebrutequiluibrisalecœurenmillemorceaux.
ElleavaitvulesyeuxdeJoequandilaffichaitsonvisagedeguerrier.Ellelesavaitvusempreintsdetendresseàlasuited’ébatspassionnésouvoilésparlaterreuraprèsuncauchemar.
Maisellenelesavaitjamaisvusainsi.Torturés,éteints,etmêmehantésparlafolie.Elleportasesdoigtstremblantsàseslèvres,sesentantnauséeuse,eteffrayée,et…Non!Elledevait
seressaisir!—Joe,murmura-t-elle,passantoutreaunœudquiluiobstruaitlagorge.Joe.C’estStephanie.Cessantdejouerlesemployéesconsulairesdétachées,elleseprécipitaversluiets’appuyacontrela
cage.—Joe?—Qu’est-cequetufousici?lâcha-t-ildansungrognementétouffé.Elles’étaitattendueàcequ’ilsoitsouslechocetréagissedefaçonvirulente.—Es-tugravementblessé?(Elleserraunbarreaurouillédanschaquemaintandisquedeslarmes
brûlantesperlaientsursesjoues.)Tupeuxtemettredebout?Tupeuxmarcher?—Recule,gronda-t-il d’unevoixéraillée avantde se redresserpéniblement. (Par-dessus l’épaule
deStephanie,iljetauncoupd’œilfaroucheverslaporteverrouillée,commes’ilcraignaitquelegarden’arriveàtoutmoment.)Tunepeuxpasêtreici.
S’ilesthostile,c’estparcequ’ilapeurpourmoi.Etparcequ’ilestblesséetprisaupiègecommeunanimal.
—Jevaistesortird’ici.Unelueursauvages’allumadanslesyeuxdeJoe.—Non!Ilst’enfermeront,toiaussi,prévint-ild’unevoixâpredesupplicié.—Ilsn’oseraientpasemprisonnerunmembredel’ambassadeaméricaine,répliqua-t-elle.Siseulementellepouvaitcroireàsespropresparoles.Laconfusion traversabrièvement sonvisageavantqu’ilnecomprennequ’elleétaitentréeavecde
fauxpapiers.
—Tu ignores cedont ils sont capables, siffla-t-il dans sabarbe avec colère.Maintenant, fiche lecampavantqu’ilspigentqu’onseconnaît.
—Joe…écoute-moi.Lesgarsnepeuventpasvenir.Ilssontenmissionultrasecrète.Personnenesaitquandilsserontderetour.Alors,tun’asquemoi.C’estmoi,lacavalerie.Dis-moicommentt’aideravantqu’ilsmeforcentàpartir,insista-t-elle,neselaissantpasdécouragerparsesavertissements.
—Tunecomprendspas!gronda-t-ilentresesdentsensejetantmaladroitementcontrelaportedelacellule. (Ses doigts tremblaient, des blessures fraîches faisaient saigner ses phalanges tandis qu’ils’agrippaitauxbarreauxdepartetd’autredesmainsdeStephanie.)Iln’yarienquetupuissesfaire.Va-t’en!Toutdesuite.
Illuifendaitlecœur.Deprès,lessignesdespassagesàtabacréguliersétaientencoreplusvisibles.Il ne lui restait plus que la peau sur les os. À l’évidence, les rations servies étaientmisérables. Sescheveuxmesuraientplusdedeuxcentimètres,sabarbeétaitemmêléeethirsute,sespiedsnusmaculésdeDieusaitquoi.
Ilsetrouvaitenenfer,véritablement.Elledevaitl’arracheràcetrouavantqu’ilsneletuent.EllecouvritlesmainsdeJoeaveclessiennes.—Aide-moi à t’aider. Je t’enprie, dis-moiquoi faire.Quipuis-je contacter ? Il doit forcémenty
avoirquelqu’unàsoudoyerpourtefairelibérer.L’espaced’uninstant,leJoequ’elleconnaissaitrepritvie.Ellelevitdanssesyeux.Ellecrutqu’elle
l’avaitconvaincu.Puisilretiraviolemmentlesmainsdesouslessiennesetlescognacontrelesbarreauxau-dessusdesatête.
—Garde!Garde!Faites-lasortird’ici!rugit-ildansuncrirauqueetfurieux,sesirisd’ungrisfroidetterneseparantd’étincellescendrées.
Sarageétaittellementinattendue,tellementimpétueuse,qu’ellebonditenarrièreavantdereveniràelleetdecomprendrecequ’ilfaisait.Illaprotégeait.Unefoisdeplus.
—Arrête,l’implora-t-elledansunmurmuremêléd’inquiétude.(Elleregardadésespérémentderrièreelle.)Nefaispasça.
—Garde!hurla-t-ilànouveau, frappantdesdeuxmains lesbarreauxavecuneforcebrutequ’ellen’auraitjamaissoupçonnée.
—Reculez,mademoiselle.Elletournabrusquementlatêteetvitlegeôlierentrerdanslebloc.EllecroisalesyeuxdeJoeetsoncœursombradanssapoitrinelorsqu’elleperçutsadétermination
implacableàsedébarrasserd’elle.—Fichez-ladehors!exigeaJoeenreportantsonattentionsurlegarde.Jeneveuxpasêtreconseillé
parl’ambassadeaméricainedemesdeux.Etjeneveuxplusqu’onautorisecettefemmeàentrerici.IltournaledosàStephanie,neluilaissantd’autrechoixquedes’enaller.Lorsqu’ilsatteignirent laporteverrouilléequimenaitauxcellules,soncerveauétaitembrumésous
l’effetduchoc,deladéceptionetdelacraintepourlaviedeJoe.—Qu’adviendra-t-ildelui?—Jen’ensaisrien,mademoiselle.Àcompterdedemain,ceneseraplusmonproblème.Elles’arrêtabrusquement,posa lamainsur lebrasdugardien tandisqu’ilglissaituneclédans la
serrure.—Quesepassera-t-ildemain?—Demain,ilseraconduitdansuneprisondehautesécuritépouryattendreladatedesonprocès.LesgenouxdeStephaniemenacèrentànouveaudecéder.—Dehautesécurité?Oùça?
Legeôlierouvritlaportemuniedebarreauxd’uneseulepoussée,etd’ungestedelamain,illuifitsignedepasserdevant.
Ilnel’écoutaitdéjàplus.Elleneluisoutireraitaucuneinformationsupplémentaire.Elleserenditcomptequ’elleavaitéchouéalorsqu’onlamenaitlelongducouloirjusqu’aubureau,
puisqu’onl’escortaitjusqu’àlasortie.Souslachaleurdeplombmatinale,ellesetintsur laplushautemarchedubâtiment,rongéeparun
sentimentd’impuissanceetdégoûtéeparsonincapacitéàopérerdanslemondedeJoe.Elleétaitvenuel’aider,ets’étaitavéréetotalementinutile.
Cependant,ellenepouvaitpasbaisserlesbras.L’urgencedelasituations’imposaàelle,plusfortequejamais.ElledevaitcontacterDalmage.C’étaitl’hommeinfluentdanslecoin.D’unefaçonoud’uneautre,elleleconvaincraitdel’aideretemploieraitdesmesuresdrastiquespours’enassurer.
6
Avec une détermination renouvelée, Stephanie descendit la volée de marches à toute allure pourrejoindreletrottoiretbalayaduregardlarueanimée.Sontéléphoneportableneluiétaitd’aucuneutilité,carellen’avaitpaseuletempsd’acheterunecarteSIMinternationale,maissielleparvenaitàlocaliseruncybercaféouuneconnexionwi-fipouraccéderàsoncompteSkype,ellepourraitappelerRhondaetluidemandersielleavaitdécouvertl’endroitoùsetrouvaitDalmage.
Elleavaitavancédeplusieurspaslorsqu’ellesentitundésagréablepicotementsursanuque.Cessantaussitôtdemarcher,elleregardaderrièreelle,soninstinctluisoufflantqu’elleétaitsuivie.
Lespiétonsétaientaussinombreuxquelesvoitures,quiroulaientàtombeauouvertavecunméprisabsolu pour tout ce qui s’apparentait à une limitation de vitesse. Chacun se frayait un chemin avecempressementaumilieudesklaxonsquirésonnaient,delapoussièrequitournoyaitetdescyclistesquisefaufilaientdanslamêléeouensurgissaientàleursrisquesetpérils.
Personnenesemblaitluiprêterattention.Ellepoursuivitsaroute,s’efforçantdechasserl’impressionpersistante qu’on l’épiait. Mais ce sentiment s’accrochait à elle comme une toile d’araignée, et elles’arrêtaànouveau,fitvolte-faceetvitunadolescentquil’observaitintensémentàtroismètresdelà.
Génial.Elleallaitsefaireagresser.Ellecommençaàs’éloignerdeluiaussivitequepossible.—Mademoiselle?Vousêtesaméricaine?OK.Lesvoleursneparlaientpasavantdesévir.Peut-êtreétait-ceunmendiant.Ellepressa lepas
sansseretourner,espérantqu’illalaisseraittranquillepoursechercheruneautreproie.—Mademoiselle,s’ilvousplaît.VousêteslàpourvoirJoeGreen?Àcettephrase,ellesefigeacommesielleavaitreçuunseaud’eauglacéesurlatête.Ellesetourna
verslui.Legarçon(ilnepouvaitavoirplusde treizeouquatorzeans)étaitpiedsnusetportaitun tee-shirt
blancéliméquin’avaitpasétélavédepuisunmomentetunshortbaggycouleursable.—VousêtesuneamiedeJoe?luidemanda-t-ild’unevoixpleined’espoir.Elleregardaautourd’ellepours’assurerquepersonnenelesobservait.Satisfaite,ellereportason
attentionsurl’adolescentetétudiasonvisage.—TuconnaisJoe?Ilhochalatêteetrépétasaquestion.—Vousêtesuneamie?
— Oui, répondit-elle alors que son cœur s’était mis à battre plus vite avec une impatiencecomplètementirrationnelle.Jesuisl’amiedeJoe.
Illajaugeaavecdesyeuxquinereflétaientpassonjeuneâge.—Et toi?Es-tuaussiunamide Joe? s’enquit-elle, ledétaillantà son touravec lemême regard
inquisiteur.Ilhésita,puisfinitparacquiescer.—Oui,dit-ilàcontrecœur.Un ami qui ne voulait pas en être un. C’était évident.Et c’est encore un gosse, songea-t-elle à
nouveau.Pourtant,ellevoyaitàsonallurequ’ilavaitenduréplusd’épreuvesquelaplupartdeshommesayanttroisfoissonâge.
—Iladegrosennuis,ajoutalegarçon.C’étaitpeudeledire.—Commentt’appelles-tu?—Suah,répondit-ilenredressantlesépaules.Ungarçontrèsfier.—Commentconnais-tuJoe?Iléludasaquestion.—Jepeuxvousaider.—Àfairequoi?—Lefairesortir.Ildésignalaprisondumenton.Ellesecoualatête.—Jen’aipaspul’aider.Commentlepourrais-tu?Pourquoileferais-tu?Quepouvaitbienfairecegamin?—Jel’aiderai,répéta-t-ild’unevoixsolennelleetdéterminéequiluidonnaenviedelecroire.—Écoute.Joeade lachancede t’avoircommeami.Mais tunepeuxpas l’aiderpour lemoment.
Jesuisdésolée.Jedoisallerparleràquelqu’unquilepeut,déclara-t-elled’untonnavré.ElledevaitcontacterRhondaetRafe.—Parler,çaprenddutemps.Etçaneserviraàrien.(L’avertissementquerenfermaitsonintonation
glaçalessangsdeStephaniemalgrélachaleurétouffante.)JesaiscequiarriveauxhommesquisefontarrêteràFreetown.Ilsmeurent.Vousdevezveniravecmoi,insista-t-il.J’aiunplan.
Elle le dévisagea. Le bon sens lui disait de s’éloigner, parce que ce n’était qu’un enfant. Parcequ’elle ne le connaissait ni d’Ève ni d’Adam. Parce que le plus logique serait de trouver la piste deDalmage.
Maiscegarçonavaitunplan.Etelle,non.Elle fonctionnaità l’instinctdepuisqu’elleavaitvu laphotodeJoeescortévers laprisonpardes
soldats armés. C’était son instinct qui l’avait poussée à violer la loi pour obtenir de faux papiersd’identité.ÀsauterdanslepremieravionpourlaSierraLeone.Etàserendredanscetteprison.
—Ondoitfairevite,mademoiselle,lapressa-t-il.Quandilseretournaetluifitsignedelesuivre,elles’enremitunefoisdeplusàsoninstinctetlui
emboîtalepas,priantpouravoirfaitlebonchoix.
—MadredeDios!Stephanie,oùavais-tulatête,bonsang!EllesavaitavantmêmedecontacterleQGdesBlackOPSqueRafeneseraitguèreravid’apprendre
qu’ellesetrouvaitenSierraLeone.Heureusement,desmilliersdekilomètreslesséparaient.
Ellejetauncoupd’œilàSuah,quisetenaitensentinellederrièrelacabinetéléphoniqueoùelleavaitutilisélacartepourcommunicationsinternationalesqu’ellevenaitd’acheter.
—Écoute,Rafe,letempspresse.Peux-tutransférerl’argentsurmoncompteaujourd’huioupas?—Biensûrquejetransférerail’argent!Làn’estpasleproblème!—Jesaisoùestleproblème.—Seigneur,Steph!Commentsais-tuquetupeuxfaireconfianceàcegossepourêtreàlahauteur?ElleneconnaissaitSuahKoramaquedepuisdeuxheuresetellepariaitlaviedeJoesursonintuition,
etdemandaitàRafed’enfairedemême.—Jenelesaispas,avoua-t-elle.Maiscen’estpascommesij’avaisunmilliarddechoix.Joeest
dansunsaleétat.Le souvenir de son corpsmeurtri et affamé lui noua la gorge. L’expression dans ses yeux l’avait
terrifiée,l’amenantàsedemanders’iln’étaitpasdéjàtroptard.—Sijen’agispasrapidement,ilvamouriravantmêmequenedébutesonprocès.Etmêmes’iltient
jusque-là,celanelesempêcherapasdeletuer.—Jemerépète,maisessaiedecontacterl’ambassade,insistaRafe.—Tunem’écoutespas!s’écriasoudainStephanieavantdeseressaisir.Rafeétait inquiet.Poureux. IlvoulaitqueStephanieoptepour lavoie laplus sûre, alorsque lui-
mêmeoublieraittouteprudences’ilétaitenpositiond’aiderJoe.— L’ambassade n’a pas reçu la confirmation officielle que le détenu était un citoyen américain.
Commelapolicen’apasdivulguésonnom,l’ambassaden’estmêmepasenmesured’engageruneactionsusceptibledel’aider.Sij’aipuvoirJoeenprison,c’estuniquementparcequejelesaiprisparsurpriseenconnaissantl’identitéduprisonnieretenmenaçantd’appelermes«contacts»àCNN.
Ellemarquaunepauseetpoussaunsoupirdefrustration.—Ilmefautcetargentdansdeuxheuresouleplantomberaàl’eau.Tuyarriveras?—Tuaurasl’argent,promit-ild’untonlas.Maisdis-moicequetoietcegaminprévoyezdefaire.Iln’étaitpasquestionqu’elleluirévèlequoiquecesoit.Rafepéteraitdenouveaulesplombsetils
n’avaientpasbesoind’undramesupplémentaire.Elleavaitassezdechosesàgérercommeça.—Jen’aiplusd’unitéssurmacartetéléphonique,mentit-elle.Fautquej’yaille!—Stephanie!l’avertit-ildansungrognement.—Tuveuxquejeteredonnemonnumérodecomptebancaireetlesinformationspourletransfert?
l’interrompit-elle.—Non,jelesai.Mais…—Ilfautquej’yaille,répéta-t-elle.Résigné,ilfinitpargrommeler:—Tiens-moiaucourant,OK?—Jen’ymanqueraipas.Merci,Rafe.Elleraccrocha,lesyeuxrivéssurlecombiné.—Ondoitsedépêcher,ditSuahàvoixbasse.Ellesetournaetdévisagealegarçon.Untsunamid’indécisiondéferlaenelle.C’étaittout?C’étaitlà
toutcequ’elleavaittrouvépourtirerJoed’affaire?Commentsavait-ellequ’ellepouvaitluifaireconfiance?Elleavaiteubeauessayer,ellen’avaitpas
réussiàluisoutirerlemoindredétailsursonlienavecJoe.Illuiavaitsimplementracontéqu’illuiétaitredevableetsesentaitobligéd’honorersadette.EllefaisaitdoncreposerlaviedeJoesurlesépaulesd’unjeunevagabondfarouchequinecachaitpassonméprispourelle.
Auboutducompte,ellen’avaitpaslechoix.Bienqu’ellefûtparvenueàjoindreRhonda,quiétudiaitàprésentlesmoyensdecontacterDalmage,iln’yavaitaucunegarantiequeStephanieletrouveàtempspourleconvaincred’intervenirenfaveurdeJoe.
Manœuvrerdanslesméandresdelapolitiqueinternationalerevenaitàavancerlesyeuxbandéssurunchampdemines.Dalmageauraitforcémentdesréserves.Etmêmes’ilvoulaitbienlesaider,letempsqu’ilaccepte,ilseraitpeut-êtretroptardpoursauverJoe.
Elle ne pouvait se permettre de tergiverser davantage. Elle emboîta le pas à Suah tandis qu’ildisparaissait dans une ruelle. Ils avaient rendez-vous avec un chef de gang local dont l’activitésecondaireconsistait–etçatombaitàpointnommé–àfairedutraficd’armes.
Seigneurtout-puissant!
Cessalopardss’amélioraientaununchaku.C’étaitsoitça,soitJoesevidaitdesesforces.Chacundesesmuscleshurlaitdedouleur.Chacunedesescôtesluiélançaitquandilinspiraitprofondément.
Allongé sur le flanc dans un coin de sa cellule, il ravala un gémissement et, prudemment, serecroquevillaunpeuplussurlui-même.Ilignoraits’ildevaitseréjouirquesesgeôliersenaientterminéavecluipourlajournéeouêtrefurieuxqu’ilsl’aientépargnéseulementpourreprendrelamêmeséancedetorturelelendemain.
Ilessayadeseterrerdansunezonedesonespritoùleprésentn’existaitpas,oùsoncorpscommesapsyché étaient imperméables à la douleur. Mais le cliquetis de la clé dans la serrure le renvoyabrusquementàlacrasse,àlapuanteuretàlaréalitédesonsort:ilétaitunhommemort,dontl’heureetlejourdel’exécutionrestaientàdéterminerparcestrousdeballe.
—Debout.Ilreçutunseaud’eautièdeenpleinvisage.Ilsecouvritlatêteaveclamain,réprimantdeshaut-le-
cœurlorsquel’eauputride,saumâtre,mêléeausangprovenantdel’entaillequ’ils luiavaientfaiteà lalèvres’insinuadanssabouche.
—Debout!Unpiedbottélecognafortdanslescôtesetunedouleurcuisantelefoudroyacommeunéclair.—Enfoirés,répondit-ilàboutdesouffle,luttantpourrespirer.Étreignantsacagethoraciquemeurtrie,ilsemitsursesgenoux,puisempoignaàl’aveuglettel’undes
barreaux.Ilparvintàs’yagripper,etserrant lesdentspoursupporter ladouleur, ilsehissa jusqu’àseredresser.Pascomplètement,maisaumoinsilétaitdebout.
—Lesmainsderrièreledos.Ilsavaitcequiarriveraits’iltentaitdegagnerdutempsets’exécutaaussivitequesoncorpsendolori
leluipermettait.Pasassezvite,apparemment,carlegeôlierlepoussacontrelemurdelacellule,luitiralesdeuxbrasenarrièreetluipassadesmenottesenmétal.
—Dehors.— Deux rendez-vous en un jour ? (Il se traîna péniblement hors du cachot.) Les gars, je vais
commenceràpenserque…vousm’appréciez.Soninsolenceluivalutunnouveaucoupetils’écrasacontrelemur.Seremettantduchoc,ilaperçut
l’horloge au-dessusde laportedans le couloir extérieur.Savision était floue,maismêmeun aveugleauraitpulirelesnombresquis’affichaient:11h07.C’étaitencorelematin.
Ciel!Etmaintenant?Àpeinedeuxheuresavaientpassédepuisqu’ilsenavaientfiniaveclui.Cettefois,cessalaudss’étaientmontrésparticulièrementcruels.
Etuneéternitésemblaits’êtreécouléedepuislaveille.Laveille,quandStephanieétaitvenuelevoir.
Iln’arrivait toujourspasàse faireàcette idée.Parfois, il sedisaitqu’ilavait rêvé.Puissoudain,avecuneluciditéquiprivaitd’airsespoumons,ilvoyaitsonvisage.Lapeine,lapeur,ladéterminationfarouche.Etilrecommençaitàpaniquerquandilpensaitaudangerauquelelles’étaitexposée.
Non,cen’avaitpasétéuntourdesonimagination.Stephanieétaitbienvenueici.Ilavaitsentisonodeur, ensoleillée, fraîche, et exhalant toutes les belles choses qui manquaient au cloaque qu’étaitdevenuesavie.
Ilarpentalecouloird’unpaslourd.Ilauraitvoulu…bonsang!Peuimportecequ’ilauraitvoulu.Ilavaitdûlachasserparcequ’ilrefusaitqu’elles’enlisedanscebourbieraveclui.Alors,ilavaitveilléàcequ’ellepartepourdebon.
Mais que le ciel lui en soit témoin, il n’avait pas souhaité qu’elle l’abandonne. Il aurait voulu seblottirdanssesbras.S’abîmerdanssapureetdivinedouceur,telunenfantendormiperdudansunrêvedenuagescotonneux,deseinsuaveetdechampsdefleursdansantes.
Ouais,voilààquelpointilétaitfaible.Legarde lepoussaviolemmentquand ilnemarchapasassezvite à songoût. Joepréféraitmourir
plutôtqueseprendreunenouvelledérouillée.Pathétique, hein ? Joe Green le Terrible exténué après trente et un misérables jours à l’hôtel de
l’enfer.Cetteignoblevéritél’accablaitautantquelaperspectivedelaracléequ’ilétaitsurlepointdeprendre.
Ehben,c’esttout?C’esttoutcequet’asdanslestripes,Green?Ildevaitpuiserdavantageau fondde lui-même. Ilnepouvaitpas laisserces salauds lemanipuler
avecleursnunchakusetleurspromesses.«Avouelemeurtreduprêtreetlescoupscesseront.»Ouais.Cen’étaitpasprèsd’arriver.Iltrébuchaànouveauetfaillittomberalorsquelegardecontinuaitdelepousserlelongducouloir.Il
avaitmémorisélechemindelasalled’interrogatoire;àl’intersection,iltournaàdroite.Legardienlesaisitparlebrasetledirigeasansménagementdel’autrecôté,cequinepouvaitrien
augurerdebon. Il s’étaitdoutéqueses tortionnairesnesecontenteraientpas longtempsde le rouerdecoups.Pasquandunemyriaded’optionsfollementamusantess’offraientàeux.L’eau.L’électricité.Lespinces.L’acide.
Ilsentitsesentraillessenoueràl’idéedusortqu’ilsluiréservaientàprésent.C’estalorsqu’uneportes’ouvritsurunelumièreaveuglante,unechaleurdeplombetuneodeurqui
luiétaitsiétrangèrequ’illuifallutunmomentpourserendrecomptequ’ils’agissaitduparfumdel’airfrais. Il inspira à pleins poumons, passant outre à l’élancement de ses côtes endolories, et se laissapénétrerpar lespremiers rayonsdirectsdu soleilqui lui caressaient levisagedepuisqu’il s’était faitarrêter.
—Monte.Lecanond’unfusils’enfonçadanssondos,l’obligeantàavancerversl’ouverturebéanteàl’arrière
d’uncamiondetransport.
7
Joes’avançad’unpastraînantverslehayonducamion,etplissantlesyeux,regardaàl’intérieur.Descerceauxdefersurdesarcsd’unmètrecinquantedehautavaientétésoudésàlastructureduvéhicule.Uneépaissetoiles’étiraitau-dessus,àlafaçond’unchariotConestoga1.
Joeparvintenfinàdiscerner lessilhouettesvoûtéesdeplusieurshommesassis lesunsenfacedesautres.D’autresprisonniers,qu’ilvoyaitpourlapremièrefois.Toussetrouvaientdanslemêmeétatquelui,voirepire.Tousétaientmenottésetenchaînés.
Ilgravitlesparpaingsqu’ilsavaientutiliséspourconstruiredesmarchestemporairesetdisparutdansle compartiment. Le garde sauta derrière lui et déverrouilla la serrure des menottes tandis que soncollèguepointaitunfusild’assautAK-47sursontorse.
—Lesmainsdevant!ordonna-t-ilavantderefermerlesmenottesetd’attraperunelourdechaînequipendaitdel’undescerceaux.Illafitglisserdanslemaillonentrelesdeuxbracelets,fittenirletoutenplaceàl’aided’uncadenasetlevalesbrasdeJoeau-dessusdesatête.
Il avait l’impressiond’êtreunboutdeviande suspenduàun crochet, et ses entraves lui laissaientseulementassezdelibertépours’asseoirsurlebanclelongdelaparoi.
Ilétudiasonenvironnementetlesissuess’offrantàlui.Lecamionconsistaitenunpetitvéhiculedetransport, sans doute militaire, à peine plus grand qu’un pick-up. Le banc sur lequel il était assisn’étaitqu’unblocdeboisbrut.Etpuis,ilyavaitleschaînes.Àlavuedetousceséléments,ilenconclutqu’ilnepartaitpasensimplevirée.
Ilscrutalevisagedescinqautresprisonniersenchaînésaveclui.Aucunn’étaitblanc.Tousétaientenpiteuxétat.Touss’étaientrésignésausortqueleurréservaientlesgardiens.
—Oùnousconduisent-ils?Silence.—Quelqu’unsaitoùilsnousemmènent?demanda-t-ilànouveau.—Pademba,réponditenfinl’hommeassisenfacedelui,d’unevoixdénuéed’émotion.Malgrélachaleurétouffante,unfrissonleparcourut.L’heurefatidiqueétaitvenue.Joeavaitentendu
parlerdel’établissementdePadembaRoad.Laprisondehautesécuritéétaitsituéeenpleincœurdelaville.Lesdétenusyétaientenvoyéspourmourir.Ilserappelal’articlequ’ilavaitluausujetd’uncitoyenaméricainmortlà-basilyadecelaplusieursannéesaprèsquedespreuvesfallacieusesl’eurentaccusédeconspiration.Joes’ensouvenaitparcequ’aprèssamortl’hommeavaitétédisculpé.
EnSierraLeone,lajustice–quandilyenavaitune–fonctionnaitauralenti.Etlaviehumaineavaitautantdevaleurqu’unmouchoirjetable.
Legardesoulevalehayon,s’assuraqu’ilétaitbienfixéettapadessusavecleplatdelamainpourindiquerauconducteurqu’ilpouvaitdémarrer.Laboîtedevitessess’enclencha,lemoteurronronna,etilscommencèrentàrouler.
Le trajet à travers la ville fut rude et étouffant. Le camion cahotait sur les routes poussiéreuses,cribléesdetrous.Lehayonnemontaitpasjusqu’autoitbâché,cequilaissaitunespaceenformede«U»de quatre-vingt-dix centimètres de haut sur quatre-vingt-dix centimètres de large. Par l’ouverture, Joeobservalesbâtimentsdélabrésquidéfilaienttelleslesimagesd’undocumentairetélévisésurlapauvretéetladégradationurbaine.
Puisilessayadesepréparermentalementàl’issueinévitabledelaprochainephasedesacaptivité.Maisilnepouvaitpenserqu’àStephanie.
Àladéceptionqu’illuiavaitcausée.Àsonexpressionhorrifiéequandill’avaitchassée.Auxregretsqu’iléprouvaitpournepasavoirmenéuneviedontelleauraitpufairepartiesanscourir
lemoindrerisque.Ilsheurtèrentuneprofondeornièrequi l’arrachaàsesrêverieset lefitbrièvementdécollerdeson
siège.Iln’avaitpasretrouvésonéquilibrequelevéhiculevirabrusquementàgauche.Plantantlestalonsdans le sol pour ne pas glisser du banc, il se servit des chaînes l’attachant aux cerceaux comme deleviers,maisfaillittoutdemêmetomberlorsquelecamiondérapaavantdefreinerbrutalement.
Pestant contre la douleur, il s’agrippa à la chaîne pour éviter que les menottes ne lui lacèrentdavantagelespoignets,puis,par-dessussesbraslevés, il jetaencoreuncoupd’œilparl’ouvertureaumomentoùlechauffeurfaisaitmarchearrièreetessayaitdemanœuvrerpourchangerdedirection.
Aumilieu du croisement, une collisionmassive entre voitures, fourgons et camionnettes délabrésempêchaitlacirculation.Etlaruedontilsvenaientdedévierétaitbloquée.Enpleinjour,alorsqu’iln’yavaitmêmepasd’embouteillage.
Cequinefaisaitaucunsens.Quelquechoseclochaitdanscetableau.Joeavaittoujourseuuneconscienceaiguëdesonenvironnement,unequalitéqu’ilavaitaffûtéeavec
soindurantdesannéesdecombatsetd’opérationssecrètes.Etàprésent,ilsentaitqu’elleseréveillait.Lemomentlepluspropicepourorganiserunetentatived’évasion,c’étaitpendantletransport.
Unelueurd’espoirlesaturad’adrénaline.Voilàexactementlegenredeplanqu’échafauderaientlesBlackOPS.
Orlesgarssetrouvaientàl’autreboutdumonde.Ilétaittoujourslivréàlui-même.D’unregardaiguisé,ilobservalesvisagesdesprisonniers,sedemandantlequeld’entreeuxpouvait
avoirunamiàl’extérieurrésoluàlelibérer.Toussemblaientaussisurprisquelui.Quand le camion recommença à rouler sans que rien de plus se passe, il comprit qu’il avait pris
sesdésirspourdesréalitésetqu’iln’étaitpasprèsdes’échapper.Lamontéed’adrénalineretombaetsoncorpsmaltraitécédaàl’épuisement.Il laissasatêtependre
entresesbrastendusetfermalesyeux,acceptantsonsort.Etsonéchec.Ilavaittoutfaitfoirer.IlavaitréussiàfairetuerunprêtreetàmettreStephanieendanger,cequ’il
avaitprécisémentcherchéàéviter.Seigneur ! Il n’arrivait toujours pas à croire qu’elle était venue. La culpabilité et l’inquiétude le
rongeaientàl’idéequ’elleessaiedelerevoir.Enfindecompte,cetransfertétaitunebonnenouvelle.Stephaniedevraitd’abordretrouversatrace,
et ilavait le fortsentimentquepersonneà laprisonmunicipalenefourniraitd’informationsquantàsanouvellelocalisationdesitôt.
Le camion freina violemment à nouveau.Cette fois, Joe atterrit à quatre pattes, les bras entraînésdouloureusementversl’avantsouslepoidsdeschaînes.
Il se redressa péniblement, jetant un coup d’œil par l’ouverture pour avoir un aperçu de la rue.Quelqu’un avait mis le feu à un énorme tas de pneus au centre de l’intersection. De la fumée noires’élevaitdesflammesenépaissesvolutes,brûlantl’air,masquantlepaysage.
Tic, tic, tic. Les potentielles explications faisaient carburer le cerveau de Joe à plein régime.Uncarrefourbloqué,celapouvaitêtreunecoïncidence.Deux?Impossible.Ilsetramaitquelquechose,celanefaisaitaucundoute.
Son pouls s’affola sous l’effet de l’excitation. Quelqu’un dehors voulait faire évader l’un desprisonniers.EtJoeétaitsuspenduàcesarcscommeunmorceaudebœuf,incapabledefairequoiquecesoitpourtirerpartidelasituation.
Pourladeuxièmefois,levéhiculemanœuvrapoursedétournerd’uncroisement,puispoursuivittoutdroit avecune légère secousseaudémarrageavantque Joeneparvienneà remonter sur lebanc. Il entombaànouveau,jurantavectouslesautresdétenus,quirebondissaientausoltelsdesballonsfixésàunecourtecorde.
Uncraquementdeprotestations’élevaduboîtierdevitesseslorsqueleconducteurenchangeapouraccélérer.Joeestimaqu’ilsroulaientàplusdecinquantekilomètresàl’heure,cequiétaitbeaucouptroprapidepourlaconduiteencentre-ville.C’estalorsquelechauffeurappuyadenouveausurlefrein.
Lecamionsemitàzigzaguer,fituneembardéeverslagauche,puistoutpartitenvrille.Horsdecontrôle,levéhiculepenchadeplusenplussurlecôtétandisquelechauffeurs’échinaità
stopperl’inévitable.Mais le principe d’inertie avait pris le dessus. Le camion bascula sur le flanc, puis dérapa sur
plusieurs mètres, l’acier rayant l’asphalte. Des jurons enflammés ponctués par des cris de douleurs’élevèrentdesprisonniersballottésdedroiteàgauche,victimesdelagravité.
QuelquechosevintcognerledosdeJoe–unpied,sansdoute–,maisilparvintmalgrétoutànepassedisloquerl’épaulelorsqu’ilseredressasurlesgenoux.Ilpritappuisurleschaînes,entraction,alorsque lecamions’arrêtaitenfindansunsoubresaut,que leshommescessaientdehurleretque lemoteurrendaitsonderniersouffle.
Puislepremiercoupdefeuretentit.Oh,merde.Letchouk-tchouk-tchoukdesmitrailleusessemêlaitautic-tacdumoteur,augrincementduchâssiset
aux cris des hommes. Les balles ricochaient sur le ventre du camion retourné, rebondissaient surl’asphalteettransperçaientlabâcheàmoitiéarrachéedesarceauxdefer.
Il eut à peine le temps de songer qu’il avait survécu à l’accident seulement pour crever sous desrafalesd’AK-47quelestirscessèrentaussibrusquementqu’ilsavaientcommencé.
L’odeurdepneus,d’huiledemoteuretdepoudreàcanonlefitsuffoquertandisqu’avecuneinfinieprécautionilregardaità traversletissulacéré.Unedizainedetypesarmésetmasquésfondirentsurlecamionrenversé,mitraillettesàl’épaule,viseurspointéssurleconducteuretlesdeuxgardesàl’avant.
Lestroispolicierslevèrentlesmainsenl’airetfurentvitemenottésetenchaînésaupare-chocsavantduvéhicule.
Aussirapidesquedessinges,sixdesbanditssedirigèrentverslehayon,s’empressèrentdecouperleschaînesàl’aidedecisaillesetlibérèrentlesprisonniers.Cesdernierssedispersèrentdanstouteslesdirections.Danslaconfusion,Joepercutalaroue,vitdesétoilesetréprimaunviolenthaut-le-cœur.
Il devait… ildevait ficher le camp…fissa. Il nepouvait sepermettrede traînerdans lesparagespourleurexprimersagratitude.
Latêteluitournait,maisils’obligeaàseredresser.Levertiges’emparadeluietiltombafacecontreterre, goûta la poussière et le sang, et comprit qu’il s’était rouvert la lèvre. Il rassembla ses ultimesforces et semit à quatre pattes, combattant la douleur qui lui élançait de la tête aux pieds ainsi quel’agaçantefaiblessedesesmuscles.Ilparvintàsereleveretcommençaàcourir,chancelantetclopinant,mais quelqu’un l’attrapa par-derrière et le poussa sans ménagement vers la porte latérale d’unecamionnettedélabrée.
Avantqu’ilaitpudécollersonvisagedelamoquettemiteuse,levéhiculedémarrasurleschapeauxderoueetfilacommesileschiensdel’enferétaientàsestrousses.
Putain. Ça ne pouvait pas se passer comme ça. Il ne pouvait pas avoir survécu à la prison, àl’accidentetàunerafaledeballespourfinircaptifunefoisdeplus.
Illuttapourresterconscient.S’efforçadeseredresser…etfutànouveaufrappéd’unvertigequilefitbasculerenarrière.
—Nebougepas.Lavoixquivenaitdeprononcercesmotsleclouasurplace.Stephanie.
Stephanie faisait les centpasdans lapetitepièce situéeaupremier étagedu refugeque leur avaittrouvéSuah.Unepluiediluvienneavaitcommencéàtomberetlaviolencedel’averselarendaitnerveuseet fébrile. Elle s’obligea à laisser le médecin faire son travail, même si elle avait un milliard dequestions.Joesemblaitmalenpoint.Vraimentmalenpoint.Lemédecinsemblaitjeune.Vraimentjeune.Etvraiment inexpérimenté.Impuissante,elle leregardaexaminerJoe,sedemandants’ilsavaitcequ’ilfaisait.
Suahétaitassisdansuncoinsurl’unedeschaisesenbois,lacrossed’unAK-47enéquilibresursacuisse,ets’efforçaitd’avoirl’airimpassible.Ellevoyaitbienqu’ils’inquiétait,luiaussi,mêmes’illuiavaitassuréque leDrBalaSankohétaitun faiseurdemiracles,etqu’ilspouvaient lui faireconfiancepournedivulgueràpersonneleurexistenceetleurcachette.
Deuxheuress’étaientécouléesdepuisqu’ilsavaientorganisésonévasionetJoen’avaittoujourspasreprisconnaissance.Quand,étendusurl’uniquematelasposéausol,ilgémitetremualesjambes,elleneputgarderlesilencepluslongtemps.
— Pourquoi ne s’est-il toujours pas réveillé ? le pressa-t-elle. Est-ce qu’il a une commotioncérébrale?Est-cequ’ilsouffre?
LeDrSankoh, un frêle jeunehommenoir à l’attitudedétendue et rassurante lui sourit, révélant unécartentresesdentsd’uneblancheurimmaculée.
—Aucune commotion apparente,mademoiselle. Je ne crois pas que ses blessures à la tête soientsuffisammentgravespour en causerune.Cegenredeplaies saignebeaucoup, c’est pourquoi ellesontsouvent l’air plus sérieuses qu’elles ne le sont en réalité. Et il dort parce que je lui ai administré untranquillisantetparcequesonorganismeabesoinderécupérer.Jevousdonneraidesinstructionspourlesdosagesaucoursdesprochainsjours.Quantàladouleur,aumoinsdeuxdesescôtessontfêléesoucontusionnées.Alors,oui,jesuiscertainqu’elleslefontsouffrir.Lesédatifdevraitlesoulager.
—Ilestsimaigre,dit-elle,pluspourelle-mêmequ’àl’intentiondumédecin.—Sous-alimenté,sansdoute.Ilserafaciled’yremédier.Ladéshydratationestsonprincipalsoucià
présent.Làencore,lessolutionsintraveineusesyparerontrapidement.Jeluifaiségalementuneinjectiond’antibiotiquesafinde traiter toute infectionqu’il auraitpucontracter enprison. Jevous laisseraidesinstructionssupplémentaires.
»C’estunhommerobuste,ajouta-t-il, luioffrantunsourirepleindebonté.Uneforcede lanature.Celajoueensafaveur.D’iciquelquesjours,sonétatseserabeaucoupamélioré.Laissez-luiunmoisetilserasurpied.
À le regarder à cet instant, levisageémacié, le teintblafardet lapeaupâle làoùellen’étaitpascouvertedebleusoudeplaies,Stephaniedemeuraitsceptique.
—Vousverrez.(Lemédecincommençaàrassemblersesinstruments.)Demain,déjà,ilaural’airunpeuplusvaillant.Jepenseque lessédatifsserontnécessairespour l’obligeràsereposer,pourdonnerunechanceàsescôtesdeguérir.
Ellepaniqualorsqu’ilsedirigeaverslaporte.—Vouspartez?—Illefaut,répondit-ilavecunsourirenavré.—Maisvousreviendrezvérifiersonétat?Ilsecoualatête.—Jesuisdésolé.C’est impossible.J’ai fait toutceque jepouvaispour lui.Le tempssechargera
du reste. Et j’ai de nombreux patients qui ont bien plus besoin de mon attention. Il s’en remettra,lui promit-il à nouveau avant de lui confier ses instructions pour l’administration du sérum, desantibiotiquesetducalmant.
—Merci infiniment.(Elle lui tenditplusieursbillets.)Çameparaît insuffisantétantdonnétouslesrisquesquevousavezpris.
Ilcomptal’argent.—Vousêtestrèsgénéreuse.J’enferaidonàlaclinique.Ungrandnombredemaladesenprofiteront,
alorslesrisquesenvalaientlapeine.Suahselevaetouvritlaporte,puis,lamitraillettepointéedevantlui,ils’assuraquelecouloirétait
biendésert.—Onnet’apasbeaucoupvuàlamission,Suah.LeDrSankohs’arrêtasurlepasdelaporte.—J’aiétéoccupé,réponditl’intéressésuruntonévasif.—Tonabsencesefaitsentir.(Ilposaunemainsurl’épauleosseusedel’adolescent.)Netefaispas
désirer,d’accord?Suahhochalatêtecommepouréluderlaquestion.—Jevoussuisredevable.—Danscecas,reviensàlamission.Tonsourirenousmanque.Le médecin gloussa lorsque Suah afficha un visage totalement dénué d’émotion. Ce masque
impassibleétaittypiquedeSuah,commeStephaniecommençaitàs’enrendrecompte.Rienqu’unefois,ellesouhaiteraitlevoirsourire.Réagiràlabonté,montrerqu’unjeunegarçonse
cachaitencoreà l’intérieurdececorpsbien tropmince.Ungarçonavecdesespoirs,des rêvesetdesprojetspourl’avenir.
OrSuahsemblaitdéjàsavoircequesavaitcepaysquiavaitabandonnétantd’enfants.Quechaquejour il devrait se battre pour survivre, et quemême s’il voulait plus que tout croire endes personnestellesquelebonDrSankoh,ilnepouvaitcompterquesurlui-même.
Savoir que ce prétendu détachement découlait de tant de difficiles leçons brisait le cœur deStephanie.Ellesesentaitimpuissante,cariln’yavaitrienqu’ellepuissefairepourl’aider,ellenonplus.Si son plan fonctionnait, Joe et elle quitteraient bientôt la Sierra Leone. Suah, lui, serait toujours là,toujours orphelin, toujours livré à lui-même. Ce serait toujours – et à jamais – lui contre le reste dumonde.
Quand l’adolescentquitta lapièceavec lemédecin,elle se tournadenouveauvers Joe,quelqu’unqu’ellepouvaitaider,etl’examinad’unœilcritique.Ilsemblaitsereposerconfortablement.Ellechoisitdecroirequelemédecinpouvaitavoirraison,queJoeretrouveraitsouspeusonétatnormal.
Pourlapremièrefoisdepuisuneéternité,elleparvintàinspirersanssuffoquersousl’effetdustress.Ilsavaientréussi.IlsavaientsortiJoedecetteinfâmesituation.AucundesamisdeSuahn’avaitété
blessé,heureusement,etpersonne,pasmêmelesgardes,n’étaitmortdurantl’évasion.Joeétaitlibre.Ilguérirait.IlstrouveraientunmoyendefuirlaSierraLeone,etalors…Alorsquoi?Elle s’agenouilla à côté du matelas, rapprocha le seau d’eau de pluie récoltée par Suah un peu
plustôtetyrécupéralelingequ’avaitutiliséleDrSankohpournettoyerlesplaiesdeJoe.Qu’adviendrait-ildeJoeetelle?Laréponseétaitsimple:rien.Quellesqu’aientétésesraisons,qu’ilnel’aitvraimentpasaiméeouqu’ilaitmaladroitementcherché
àlaprotéger, il l’avaitquittée.C’étaitunfait.Ilétaitrésoluàlarayerdesavie,confirmantunevéritéqu’elleniaitdepuis trop longtemps.AvecJoe, ilyaurait toujoursquelquechosedeplus importantqueleurcouple. Ildemeurerait toujours loyalenversson travailetsonéquipeetsoncoded’honneurselonlequeliln’étaitpasjusted’exposerStephanieaudanger.Ilseraittoujourshantéparlesfantômesdesonpasséetrefuseraitde luienfairesubir lesrépercussions.Etàprésent,àcausedel’horreurqu’ilavaitvécueenprison,denouveauxcauchemarsviendraients’ajouteràlalisteetrendraientlasituationencoreplusconfuse.
Ellecontemplasonvisagemeurtri,lecœurserré.Elleavaitbeausavoirqu’ilsnepouvaientpasêtreensemble,queJoeétaitincapabled’arrêterdejouerlesprotecteurspours’engagerdansunerelationoùelle serait son égale, elle l’aimait toujours.Elle aimait un hommequi n’avait pas la faculté de croirequ’ensembleilsfranchiraientn’importequelobstaclequisedresseraitsurleurroute.
Mueparunedéterminationtoutenouvelle,elles’imaginavivresanslui.Ellel’aimaittoujours.Maisdèsqu’ilsauraientquittécetendroit,ellelelaisseraitpartir.
—Tantpispourtoi,JoeGreen,murmura-t-elledanslachambreplongéedanslesilence.Ettantpispourelleaussi.Avec une attention bienveillante et le plus froidement possible, elle se mit à le laver. L’odeur
nauséabondedelaprisonl’avaitimprégné.Ellesavaitàquelpointildevaitdétestercelaetveilleraitàcequ’iln’aitpasàsupportercettepuanteurunesecondedeplusàsonréveil.
Alorsqu’elles’occupaitdeluiavecdouceur,elles’efforçadenepasserappelercequeçafaisaitd’êtreallongéesouscecorps.S’efforçadeletouchersansrienéprouver.S’efforçadefairecommesileslarmesquiruisselaientàprésentsursesjouesétaientuniquementduesauspectacledesblessurescruellesinfligéesàcecorpspuissantetrésistant.Elles’efforçamêmedeseconvaincrequequelques-unesétaientpourSuahetsonenfancevolée.Quec’étaientlàdeslarmesdesoulagement,parcequelepiresetrouvaitderrièreeux.Qu’ellesn’avaientabsolumentaucunrapportaveclavéritéqu’elleavaitenfinacceptée.
Ellenetoucheraitplusjamaiscethommecommeunamant.Ellenedonneraitplusjamaisduplaisiràce corps ni n’en retirerait. Elle ne plongerait plus jamais le regard dans ces yeux en sachant qu’ilsappartenaientàl’hommeaveclequelelleespéraitfinirsesjours.
Elle essuya ses pleurs d’un revers de poignet et rinça le linge. Puis elle termina ce qu’elle avaitcommencé.
1.LeConestogaestunmodèledechariotàgrandesroues,recouvertd’unebâche,quiétaitutilisépourletransportdepassagersetdemarchandisesaumilieuduXIXesiècleauxÉtats-UnisetauCanada.(N.d.T.)
8
—Dois-jevousrappelercequivousarrivera,àvousainsiqu’àvotrefamille,sil’Américainn’estpasretrouvésur-le-champ?
Ladouleurluiétreignitlapoitrinelorsqu’ilsepenchaverslebureaudeSaiduBangura.Tuasraisond’avoirpeur,songea-t-ilsinistrement,satisfaitdevoirlelieutenantdepoliceobèseserecroquevillersurlui-même.
—Est-ceque…toutvabien?s’enquitBanguraavecprudence.Vousn’avezpasl’airbien.—Jevaistrèsbien,grommela-t-ilentresesdents,mêmes’ilavaitl’impressionqu’unferchaufféà
blancluienflammaitlacagethoracique.Lasueur ruissela sur sonvisage lorsqu’il tâtonnadans lapochedesaveste.Lesdoigts tremblants
de rageetde faiblesse, ilen tiraun flacondecomprimésqu’ilouvritd’ungestehésitant. Il fit tomberdeuxtablettesdetrinitrinedanssapaumeets’empressadelesglissersoussalangue.
Le soulagement fut quasi immédiat. La douleur et la nausée s’estompèrent tandis que les cachetsdilataientsesvaisseauxsanguinsetdiminuaientsapressionartérielle.
Putaind’anginedepoitrine.Putaindecrétinincompétentdontl’incurieavecl’Américainrisquaitdeluifaireperdreabsolumenttout.
—Peut-êtredevriez-vousvousasseoir,suggéraBanguraquiposa lesmainsàplatsur lebureauetattenditquel’invectivedesoninterlocuteurprennefin.
— Et peut-être pourriez-vous m’expliquer comment un Américain isolé qui a été affamé et battupendantunmoisaréussiàs’évaderdevotrevéhiculedetransport?
—Leshommesquil’ontlaisséfuirontétépunis.—Çanerépondpasàmaquestion.—J’ignoreencorecequis’estpassé.Toutcequejesais,c’estqu’ilareçuuneaidedel’extérieur.—Uneaide?Pasdel’employeurdeGreennidesescollègues.IlavaitfaitensortequelesBlackOPSsetrouvent
aufinfonddel’Amazonieàcouriraprèsleurqueueetpoursuivrelapistebidond’unefactiondissidented’Al-Qaida censée y établir une base d’opérations. Dès que ses informateurs sur le terrain l’avaientavertiqu’ilyavaitunAméricainàFreetownquifourraitsonnezpartout,puisqu’ilsl’avaientidentifiécommeun ancienmembred’un commando spécial de l’armée américaine qui lui avaitmis des bâtonsdanslesrouesaudébutdesonimplantationdanslarégion,ilavaitveilléàcequelerestedel’équipesoitoccupéàautrechose.Avantcela,ils’étaitarrangépourqu’ilss’envolentpourlaColombieafindeparer à une authentiquemenace pour la sécurité desÉtats-Unis.QuandGreen avait été arrêté lemois
dernier, ils étaient fort commodément indisponibles à Bogota, où il n’y avait aucune chance que lanouvelleleurparvienne.LesMCB–MonstrueuxCrétinsdeBlack–nefaisaientpluspartiedel’équation.Greennerecevraitaucuneaidedeleurpart.
Voilà le degré de pouvoir qu’il détenait.Lepouvoir qui lui revenait de droit. Il avait l’oreille dusecrétairedelaDéfense.Laconfiancedeschefsd’état-major.Etilavaitétéremarquéparleprésident.
Riendetoutcelan’étaitarrivéparaccident.Depuis le début, il avait soigneusement comploté et placé tous ses pions avec adresse. Tout était
questiondesubtilitéetd’intellect,ils’agissaitdegagneretderécolterlesrécompenses.Etavanttout,c’étaitunequestiondepouvoir.Onleluiavaitenseignédèssonplusjeuneâge,etce
qu’il n’avait pas appris assez vite, on le lui avait inculqué par la force.La défaite n’avait jamais étéenvisageable.Pasauseindelaligue«poussin»debase-ball.Nilorsduconcoursd’orthographe.Nisurunterraindefootballaméricain.
La faiblessemenait à la défaite.Et elle lui avait été interdite.L’angine de poitrine constituait uneimpardonnablefaiblesse,maisellenegagneraitpas.Etilneperdraitpas.
Auboutdeplusieurslonguesannées,iln’étaitplusqu’àunpasdefaireéchecetmat.Unseulhommesedressaitsursaroute:JoeGreen.
Aveclerecul,ilauraitdûsedébarrasserdeluitoutdesuite.Lelaisservivreaussilongtempsavaitétél’unedesesrareserreurs.MaisilavaitvouluobtenirdesinformationsavantdefaireéliminerGreen.Un séjour dans les geôles deBangura avait semblé lemeilleurmoyen d’affaiblir sa volonté et de luidélierlalangue.UntransfertdanslaprisondePadembaRoad,unultimeinterrogatoirepourdéterminercequeGreensavaitdesesopérationsenSierraLeone,etl’indésirableseraitrapidementvenus’ajouteràlalistedesvictimesd’unsystèmepénitentiaireréputépoursontauxdemortalitéélevéparmilesdétenus.
—Jevousl’assure,nousleretrouverons.(Banguraessayades’affirmerdanslesilencequ’ilavaitprispourunemenace,àraison.)L’intégralitédemeshommesestàsarechercheaumomentoùjevousparle.J’aiquadrillélavilleet…
—Procédezcommevousvoulez,jem’encontrefous!Àprésentquelacriseétaitpasséeetqu’ilavaitretrouvésonsang-froid,ilpoursuivitd’untoncalme
àvousglacerlesos,unetactiquedelaterreurqu’ilavaittoujoursjugéebienplusefficacequelasimplevocifération.
—Etjeneveuxpasdevotreassurance.Jeveuxdesrésultats.Lasueurperlasurlefrontdel’hommecorpulent.Bangura avait reçu lemessage : sa famille serait en danger tant que ce problème n’aurait pas été
réglé.— J’exige un rapport toutes les heures, cria-t-il par-dessus son épaule en quittant le bureau du
lieutenant.Àl’intérieurdubâtiment,lachaleurétaitétouffante.Dehors,lesoleilétaitinsupportable.Ildétestait
cetignoblepaysbarbare.Pourtantilyresteraitjusqu’àcequeBanguraaittenuparole.Lefliccorrompuétaitnuldanssonboulot,mais ilaimaitsagrosseetplantureusefemmeainsique
leurstroispetitssauvageons.Ilavaitmisunpointd’honneuràconnaîtreabsolumenttoutsurBangura.Ilsavait précisément que ses méthodes d’interrogation seraient violentes. Bangura n’hésiterait pas àtrancherundoigt,voireunmembre,pourobtenirl’informationqu’ildésirait.C’étaitentreautrespoursabrutalitésansvergognequ’ilavaitrecrutél’ancienofficierduRUF.
SiGreensefaisaitaider,Banguraretrouveraitlesresponsables.Etillesélimineraittous.
Joeseréveilladanslenoir.Dansunlit,oubienunenatteposéeàmêmelesol.Ilnepataugeaitpasdans la crasse. Ilne respiraitpasunairnauséabond.Aucungémissementdedésespoiroud’agonieneformaitunbruitblanccontinuenarrière-fond.
Iln’avaitpaslamoindreidéedel’endroitoùilsetrouvait;seulementqu’iln’étaitpasenprison.Enrevanche,ilsavaitavecuneabsoluecertitudequ’iln’étaitpasseul.
Ilrestaimmobilepourdéterminersil’autrepersonneprésentedanslapiècereprésentaitunemenaceou une promesse. Mais il avait l’esprit trop embrumé. Ses pensées étaient troubles, vagues etincohérentes;soncerveaufonctionnaitauralenti.Seulsoncorpsluienvoyaitdessignauxlimpides.S’ilprenaituneprofondeinspiration,unedouleuratrocel’envahissait.
Ladoucetorpeurdel’inconscienceétaitunappâtpuissant,etilselaissadériverànouveau,flottantentresommeiletéveil.
Soudain,ilflairauneodeur.Chaude.Parfumée.Propre.Familière.Stephanie.Encoreunmauvaistourdesonesprit?N’avait-ilpasfaitlenécessairepourlachasser?Unemainvintseposerdoucementsursonfront.—Joe.Ilfutfrappéaucœur,commeparlereculd’unfusil.L’incrédulitésuccédaàl’espoir lorsqu’il leva
unemain,refermalesdoigtsautourd’unfinpoignet,ets’yagrippafort.—Seigneur,murmura-t-ilavecunsoulagementabsoluetégoïstequil’emportasurtoutregret.—Toutvabien,chuchota-t-elle,calmantsoncœuraffoléd’unecaressedesplus tendres.Tuesen
sécuritéàprésent.Tudoissimplementtereposer.Cela faisait si longtemps qu’il ne s’était pas reposé. Si longtemps qu’il ne s’était pas senti en
sécurité. Elle lui offrait les deux. Et il voulait les deux. Il ne s’était jamais senti aussi faible.Physiquement.Mentalement.Ilenavaithonte.
—Toutvabien,répéta-t-elleenôtantlesdoigtsdeJoedesonpoignetavecuneinfiniedélicatesse.Repose-toi.
Etpuis,merde!Ilnevoulaitpluslutter.Alors,illacrut.«Tuesensécuritéàprésent.»Etilobéit.«Repose-toi.»Etdansunsoufflelentettremblotant,illaissalatensionquittersoncorps.Cettefois,lorsquelesténèbresleréclamèrent,illesaccueillitàbrasouverts.
—Jecommençaisàmedirequetun’allaisjamaisouvrirlesyeux.Stephanie. À côté de lui. Si douce et parfumée. Elle partageait son lit, par terre. L’unique lit,
soupçonnait-il.DouxJésus.Joeavaitencoredumalàenreveniretàacceptercequis’étaitpassé.Il était réveillé depuis plusieursminutes,mais il n’avait pas encore parlé. Il évaluait la situation.
Essayaitdereprendresesespritsetdedevinerl’heurequ’ilétait.Àenjugerparl’angledesrayonsdusoleilquientraientparunefenêtreouverte,ilfinitparconclurequec’étaitlafindelamatinée.
Il était nu sous un fin drap et n’était pas sûr que cela lui plaise. Il était propre.Voilà qui lui pluténormément,jusqu’àcequ’ilimagineStephaniecontrainteàluifairelatoilette.Ilauraitdûserappeleruntrucpareil,maisilétaitdanslenoirtotal.
La seule chose dont il était certain, c’était de l’endroit où ils se trouvaient. Aucun lieu sur terrenesentaitcommecetendroit:l’odeurlégèremaisomniprésented’orduresendécomposition,lafuméedecentainesdebarbecuesaucharbondebois, l’effluvesaléde l’océan,celui,amer,dumaniocetdu riz.Sansoublierl’intensechaleur.IlsétaienttoujoursàFreetown.Celanefaisaitaucundoute.
Il avait un million de questions à lui poser, mais elles pouvaient attendre. Il souhaitait savourerencoreunpeucemoment.Savourersalibertéetlaproximitédelafemmedouceetsoupleblottiecontrelui.
C’étaitlaréalité.Pasunrêve.Etc’étaitmal.Unevaguedepaniqueréduisitenmorceauxsonfugacesentimentdecontentement.Stephanien’était
pasensécurité.—Jecroyaist’avoirchassée.Ilavaitlagorgesècheetirritée.Elleseredressasuruncoude.—Tuasessayé.Elleesquissaunsourirepleind’inquiétude,deconjecturesetdegêne.Cependant,c’étaitunsourire
d’unebeautésidéchirantequ’ill’emplitd’humilité.Elleavaittouteslesraisonsdeledétester,pourtantelleétaitlà.Tantdequestionssebousculaientsur
saprésence.—La dernière chose dont jeme souvienne…c’est d’être enchaîné dans un camion.Et puis, d’un
coup,jenel’étaisplus.C’esttoiquiasfaitça?Tum’asfaitsortirdelà?—Ont’afaitsortir.—On?Elleseredressa,replialesjambessouslesfesses,etétiralesbrasau-dessusdelatête.Lesrayonsdu
soleilquisedéversaientparlafenêtredonnantsurl’estinondèrentlacheveluresombreetemmêléequiretombaitsursesépaulesetluibalayaitledos.Sursajoue,unemarquebarraitl’endroitoùelles’étaitcouchée sur son bras. Ses yeux trahissaient un poids dans son cœur qui étreignit douloureusement lapoitrinedeJoe.
—Voyonsd’abordcommenttuvas,ensuitetupourrasmebombarderdequestions.Ellevérifiauntubequi,ilneleremarquaqu’àcetinstant,étaitreliéaucathéterfixéàsonbras.—Dusérumetdesantibiotiques,luiexpliqua-t-ellelorsquesonregardseportadutubeàsonvisage.LesantibiotiquesétaientaussidursàtrouveràFreetownquel’eaucourante.Ilnevoulaitmêmepas
imaginercommentelleselesétaitprocurés.Quelqu’unl’avaitrafistolé.Ilserenditcomptequ’unbandagecouvraitl’entaillesursonfrontaprès
l’avoirpalpédélicatementduboutdesdoigts.Ilsoulevalatête,lasentittourner,etlalaissaretomberenarrière.Ilétaitaussifaiblequ’unnouveau-
né. Il dut rester allongé, tandis qu’elle se levait, s’étirait encore un peu pour chasser les courbaturesmatinales,ettraversaitlaminusculechambre,piedsnus.
—Combiendetempssuis-jerestéinconscient?Ellerevintavecunebouteilled’eau,s’agenouillaàcôtédeluietluisoutintlatêteafinqu’ilpuisse
boire. Comparée à l’espèce de saumure qu’on lui servait en prison, on aurait dit de l’ambroisie. Il
s’accrochaàsonpoignetetbutgoulûmentsanssesoucierquele liquides’échappedesaboucheet luidégoulinesurlementonetlecou,ouquelegoulotenplastiqueirritesalèvreentaillée.
—Doucement,Joe.Tonorganismenepeutpasabsorberuntelvolumed’eauensipeudetemps.Tuvasterendremalade.
Illarelâchaàcontrecœur,laissasatêteretombersurlematelasetfermalespaupières.—Combiendetempssuis-jerestéinconscient?demanda-t-ilànouveau,contrantlatentativedeson
estomacderejeterleliquide.—Presquequarante-huitheures.Seigneur.Ilavaitperdudeuxjours!—Commentest-cearrivé?—Déshydratation,malnutrition,tesblessures…Àtoidechoisir.—Cen’estpasnormalquejesoisrestédanslesvapespendantdeuxjours.—Lemédecinaditquetuavaisbesoinderepos.Ilrouvritbrusquementlesyeux.—Tum’asmissoustranquillisants?Lacolèrecontenuedanssonintonationsemblalasurprendre.—Surlesordresdumédecin,oui.—Ilssontdanscetruc?Iljetauncoupd’œilméfiantaucathéter.Ill’arracheraitdesonbrassilesédatifs’écoulaitencontinu
delapochedeperfusion.—Non.Jet’injecteunedosetouteslessixheures.—Plusmaintenant,dit-ild’unevoixmonocorde.—Maissiçatepermetdeguérir…— Plus de tranquillisants, insista-t-il avec rudesse, regrettant aussitôt d’avoir fait apparaître ce
regardmeurtridanssesyeux.Cen’estpasgrave;tuasfaitcequetupensaisêtrelemieux.Maisjenepeuxpasêtresoussédatifs,Stephanie.
Pass’ilvoulaitrecouvrersesforces.—OK.Plusdetranquillisants,répéta-t-elle,visiblementvexée.Il détourna le regard, submergé par un flot d’émotions allant de la culpabilité à l’humilité, à la
gratitude,àlastupéfaction,pourfinirparunfrustrantsentimentd’échec.C’étaitàluidelaprotéger.Deveillersurelle.Àcetinstant,iln’étaitmêmepascapabledeveillersuruntrombone.
—Joe.Regarde-moi.Ladouceurdanssesyeuxluiditqu’elleavaitludanssespensées.—Cen’estpastoujoursàtoid’êtrelehéros.Nousautres,lesgensordinaires,avonsbesoinqu’on
nouslaissecettechancedetempsàautre,d’accord?Non,pasd’accord.Etriendecequilaconstituaitnetombaitdanslacatégorie«ordinaire».—Commentas-turéussicetexploit?Ellesemblasoulagéequ’ilsesoitcalmé,cequiluirappelaavecunenouvellevaguedeculpabilité
quejusqu’àprésentils’étaitcomportéenparfaitconnard.—Onm’aaidée.TupeuxremercierSuah.—Suah?—Unjeunegarçonpleinderessources.Celan’avaitjamaisfaitaucundoute.—Raconte-moi.
— Il a réuni quelques-uns de ses amis, répondit-elle avec un haussement d’épaules. Ils ont toutplanifié.Lelieu.L’heure.Lesdiversions.
—Lespneusenfeuquibloquaientlesroutes.Ilserappelalesvolutesdefuméenoireetlesflammesrougevif.—Entreautreschoses.Leseul trucqu’onn’avaitpasprévu,c’étaitque lecamionde transport se
renverse.Àcemoment-là,j’aicruqu’ont’avaitperdu.Luiaussi.Davantaged’imagesetdesonsluirevinrentenmémoire.—Lesgarçonsdétenaientunesacréepuissancedefeu.Stephaniesemblaunbrinmalàl’aise.—Ouais…euh…Onadûconclureunpetitaccordaveclesautochtones.SeigneurDieu!Entrerencontactavecpareilscriminelsauraitpuluicoûterlavie.Cequin’auraitpuêtreplusredondant.Leseulfaitdefoulerlesolsierra-léonaispouvaitluicoûterla
vie.Etluiquicomataitsoussédatif!—Oùsommes-nous?Dansquellepartiedelaville?—Aunord.Danslescollines.Suahnousatrouvécettemaison.Ainsiquelemédecinquit’asoigné.Illajaugeabrièvement.—Etilsontfaittoutçaparpuramourdeleurprochain?Commeelledétournalatête,ilcompritqu’elleavaitfinancénonseulementsonévasion,maisaussila
cachetteetsontraitement.—Sij’enavaislaforce,jet’engueulerais.—Justement,essayonsdetefairereprendredesforces.Tutesenscapabled’avalerdubouillon?—Ouais.Aide-moiàm’asseoir.Letempsqu’ilsparviennentàleredresseretàlepousserverslemurpourqu’ilpuisses’yadosser,il
étaitàboutdesouffleetennage.Levertigelefrappaànouveauetilduts’accrocheraubrasdeStephaniepournepastombersurle
flanc.—Cen’étaitpeut-êtrepasunesibonneidée.Elleparaissaitinquiète.—Jevaisbien,insista-t-il.Iliraitbien.Ildevaitallerbien.Carsinon,niluiniellenesortiraientdeceguêpiervivant.
9
Joebalayalapièceduregard,considérantsesnouveauxquartiers.Cen’étaitpasgrand-chose,maisc’étaitcentfoismieuxquesacelluledeprison.Lachambreétaitpetiteetspartiate,lesmursd’uneteintebleu pastel s’écaillaient. Une fenêtre toute simple (sans vitre, sansmoustiquaire, sans volets) donnaitdirectement sur la rue. À en juger par le bruit provenant de l’extérieur, ils n’étaient pas au rez-de-chaussée,maisprobablementaupremierouaudeuxièmeétage.L’uniqueportesetrouvaitenfacedelui,avecd’uncôté,descrochetsauxquelsétaientsuspendusdiversvêtements.
De l’autre côté trônait un petit réfrigérateur cabossé, rayé et rouillé aux bords dont le sifflements’ajoutaitaubrouhahaquimontaitdelarue.Unetablebasseoccupaitunautrecoindelapièce,avecdeuxvieilleschaisesenboisdontl’unefaisaitfaceàlaporte.Surlatable,plusieursboîtesdemunitions.
Celui qui avait organisé tout ça jouait de prudence. Si une personne qui n’était pas la bienvenuepassaitlaporte,ellen’iraitpasbienloin.UnAK-47ancienmodèleétaitposé,canonverslehaut,contrelemuràcôtédelatablebasse.PlusprèsdeJoe,uneautrekalachnikovsetrouvaitàportéedemain.Ausol,prèsdulit,unGlock17ayantdéjàbienservi,uneautreboîtedecartouches,etuncouteauKA-Bar.
Joejetauncoupd’œilàStephanie.Ils’envoulutunefoisdeplusdelavoirdansuntelpétrinalorsmêmequ’ill’avaitquittéeprécisémentpouréviterdel’entraînerdansseshistoires.
Elle lui tendit une brosse à dents qu’elle avait chargée de dentifrice. Il n’avait jamais été aussireconnaissantdetoutesavie,etprévoyaitdesebrosserlesdentsjusqu’às’enfairesaignerlesgencives.Iln’étaitpasallébienloinquel’épuisementl’obligeaàs’arrêter.
—OùestSuahmaintenant?s’enquit-ilaprèss’êtrerincélabouche.—Jen’ensaisrien.Ils’envaparfois.Un soupçon de frustration dans la voix de Stephanie indiqua à Joe que les absences de Suah
lapréoccupaient.—Mais les garçons montent la garde. On ne manquera pas d’être avertis si un individu louche
s’approcheunpeutrop.Ses pensées étaient toujours incohérentes et embrumées, mais il lui vint enfin à l’esprit de lui
demander:—Commentvousêtes-voustrouvés,aufait?Ellesortitunetassedebouillonfroiddufrigo,s’agenouillaàcôtédelui,etluientenditunepleine
cuillerée.Encoreuncoupportéàsonego,maislesimplefaitdesebrosserlesdentsl’avaitépuisé,alorsillalaissalenourrir.Lebouillonétaitclairetunpeusalé,avecunlégergoûtdebœuf.Ilpeinaànepaslerégurgiter.
—C’estSuahquim’a trouvée, répondit-elle.Le jouroù jemesuis rendueà laprison, ilattendaitdehors.Àcequej’aipucomprendre,ilmontaitlagardedepuisunmois,cherchantunmoyendetetirerdelà.
Ilgrogna,leregrettantaussitôtlorsqueladouleurluienflammalescôtes.Illeseffleuradélicatementdudoigt.
— Le médecin dit qu’elles sont meurtries. Probablement fêlées, mais pas cassées, ajouta-t-elle,interprétantcorrectementsonregardinterrogateur.Suahprétendt’êtreredevable.Àquoifait-ilallusion?demanda-t-elleaprèsluiavoirdonnéuneautrecuillerée,qu’ilavalaplusfacilement.
—Longuehistoire.—Puisquetun’espasprèsdebougerd’ici,jepensequenousavonsletemps.Àmoinsquetun’aies
pasenviedeparler.—Non,çava, répondit-il, s’efforçantde rassembler ses forces.Tu te rappelles, l’annéedernière,
quandonamisuntermeauxopérationsdevented’armesduNord-Coréen?Ellehochalatête,parfaitementaucourantdelamissiondesMCBquiavaitpermisdedébusquerun
réseaudetraficd’armesinternationaldirigéparJeongRyang,etquiavaitégalementdétruit lesespoirsd’AugustineSesayderessusciterenSierraLeoneleFrontrévolutionnaireuni,connupoursabrutalité.
—SesayaenvoyéSuahetplusieursautresenfantssoldatsrécupérerlacargaisond’armes.Nouslesavonsconfisquées,etcapturéSuahetlesautres.Onagardélematos,maisonarelâchélesgamins.
—Aulieudeleslivrerauxautorités?—Aulieudelestuer.Elleblêmit.—Vousaurieztuédesenfants?— On aurait tué des soldats, répondit-il d’une voix dénuée d’émotion, munis de mitraillettes
automatiqueset sachant s’en servir.Maisnon,ajouta-t-il, lesyeuxperdusdans levaguealorsqu’il serappelaitqu’ilavaitétéàdeuxdoigtsd’appuyersurlagâchette.(Cejour-là,ilavaitéprouvéetpensédeschosesdontiln’étaitpasfier.)Auboutducompte,nousn’aurionspaspulestuer.
Carc’était là ladifférenceentre lesbonset lesmauvais.S’ilavait tiréce jour-là, iln’auraitvaluguèremieuxquelesSesayetlesRyangdecemonde.
—Apparemment,Suahaestiméqu’ilm’enétaitredevable.Elleneditrien,etpritunenouvellecuilleréedebouillonqu’elleapprochadesabouche.Ilcontempla
sonvisagetandisqu’illalaissaitlenourrircommeunenfant.Maissoncorpsneréagitpascommeceluid’unenfantlorsqu’ildétournalesyeuxdesonvisagepourlespromenerlentementsurelle.
Dieuqu’elleétaitbelle!Chacunedesescourbessouplesetgénéreusessedevinaitsoussonpantalonkakimoulantetsondébardeurbrunclair.Sessandalesétaientmarron,etsemblaientavoirétéachetéessurplace.Elleportaitdepetitescréolesenorauxoreilles,unefinechaîneenorautourducou.Entrel’eauetle bouillon, elle avait rassemblé ses cheveux sur sa nuque avec une large barrette dorée. Quelquesmèchess’enéchappaient,luiencadrantlevisageetretombantsursoncouenboucleshumides.Elleétaitéclatantedefraîcheur,agréablementparfuméeetéblouissante.Elleétaitaussilafemmelaplussexyqu’ilaitjamaisconnue,endépitdecettetenueetdecettecoiffuredestinéesàcassercettesensualité.
Seul le vernis rouge sur ses orteils suggérait qu’elle s’autorisait parfois un brin de fantaisie, ous’abandonnait totalement à cette envoûtante sirène qui perdait toutes ses inhibitions quand elle sedébarrassaitdesesvêtementsetleprenaitdanssonlit.Serappelersesmainssurlui,sabouchecontrelasienne,jetaànouveauunenappedebrouillardsurlespenséesdeJoe.
Celle-cisedissipalorsqu’ilbraquasonattentionsurleGlock19compactglisséderrièrelaceinturedeStephanie,danssondos.
—Tunedevraispasêtreici,déclara-t-ild’unevoixrauqued’émotion.Elleabaissalescils,puisleregardadroitdanslesyeux.—Jeneleseraispas,situn’étaispasparti.Ses paroles avaient été prononcées avec douceur,mais son expression lui fournit un indice sur le
chagrinetlacolèrequ’elleéprouvait.Àjustetitre.—Pourquoinepasm’avoirlaissécroupirenprison?Ilnepritpaslapeinedeluidemandercommentelleavaitretrouvésatrace.Elleavaitlesressources
delaNSAàsadisposition.Laquestionétaitdesavoirpourquoielles’étaitdonnétoutcemal.Unlongsilenceluiditqu’elleseposaitpeut-êtrelamêmequestion.—Parcequej’étaislaseuledisponiblepourveilleràcequecelan’arrivepas,répondit-elleenfin.Ilvoulaitdel’honnêteté?Ilétaitservi.Àquois’attendait-il?Àcequ’elleluiexpliquequ’elleétait
venueparcequ’ellel’aimait?Aprèscequ’illuiavaitfait?Aucunechance.—Etparcequejesaisquetun’aspastuéceprêtre,malgrécequeracontentlesinfos.Laconfiancequ’elleluitémoignaitl’emplitànouveaud’humilité.—Non.Jenel’aipastué.Iln’empêchequ’ilestmort.Etquec’estmafaute.Ellefronçalessourcils.—Jenecomprendspas.—Jeposaisdesquestions,Steph.Desquestionsquidérangeaient.Ilperçutlaméfiancedanssesyeux.—Quelgenredequestions?—Çanevapasteplaire.—Alorsjecroisquej’aitoutintérêtàlesentendre.Ilpinçaleslèvresavantdepousserunlongsoupir.—DesquestionssurlamortdeBryan,dit-ilsimplementavantd’attendrelesretombéesdecetaveu.Elle lui parut soudain exténuée. Il s’agissait là d’un ancien et douloureux sujet. Et en dépit de
ladouceurquiconstituaitsanaturepremière,secondaireettertiaire,lacolèrequicouvaitsouslasurfacefinitparexploser.
—J’avaisespéréque tu laisserais tomber.Bryestmort aucombat,dansuneembuscade.C’est cequ’aconclul’enquête.Encequimeconcerne,iln’yapasd’autresinterrogationssursamort.
—Détrompe-toi. Il y enaunpaquet.Àcommencerpar :Pourquoi sommes-nous tombésdansuneembuscade?répliqua-t-ilavecplusdevéhémencequ’ilnel’avaitsouhaité.
— Ce qui s’est passé n’a jamais été remis en cause. (La frustration dans la voix de Stephanieindiquaitclairementqu’elles’efforçaitdetrouverunsensàcequ’illuiracontait.)Quelqu’unauservicedescommunicationsamerdé.Quelqu’unafoirélatransmissionsatellite.Vousavezfoncédansunpiège.Parfois,lesgensprennentdemauvaisesdécisions.
— C’était plus qu’une mauvaise décision. Quelqu’un voulait que nous y restions tous ce soir-là.Aucun d’entre nous n’était censé quitter la Sierra Leone vivant. L’attaque du RUF était seulement lemoyend’yparvenir.Leurerreuraétédecroirequ’ilspourraienttousnoustuer.
—Joe,dit-elleavecpatience,jesaisàquelpointç’aétédifficiledeleperdre.Pourtoicommepournous tous.Mais tout ça est insensé. Pour l’amour du ciel, tu as atterri en prison !Tu auraismêmepumourir,parcequetuveuxfairedelamortdeBry…quoi?Unmeurtreprémédité?
—C’estprécisémentcequec’était.Etleresponsableaorganisél’assassinatduprêtreetm’apiégé.—Maispourquois’enprendreàunprêtre?Sice typeenavaitaprès toi,pourquoines’est-ilpas
contentédet’éliminer?
—Parcequeleprêtrepouvaitconfirmercequej’avaisfinipardécouvrir.Etm’abattrepurementetsimplementauraitquelquepeuéveillélessoupçons,tunecroispas?
Ellesecoualatête,toujourssceptique.Illacomprenait.LapossibilitéqueledramequiavaitcoûtélavieàBryann’aitpasdutoutétéfortuitmaisbeletbiendélibéré,c’étaitbeaucouptropduràencaisser.
LesyeuxdeStephanies’emplirentdelarmes.—Écoute,répondit-elleavecprudence,ne…neparlonspasdeçamaintenant,d’accord?Quoique
tu en penses, tu as besoin de récupérer. Ta fièvre a baissé, mais tu souffres toujours d’une infectionmineure.
Elleserassitsursestalons,lespaumesserréesl’unecontrel’autresurlesgenoux.—Laisse-toiunpeudetemps,d’accord?Attendsqu’onteremettesurpiedettuyverrasplusclair.—J’yvoistrèsclair!(Pourautant,ilnepouvaitl’obligeràaccepterunevéritéàlaquelleellen’était
paspréparée.)Maisd’accord.Jelaissetomberlesujet.Pourlemoment.LesépaulesdeStephanies’affaissèrentsousl’effetdusoulagement.Ni lui ni elle ne parlèrent pendant qu’elle lui faisait terminer le reste du bouillon. Et quand elle
l’encourageaàs’allongerànouveau,ilneprotestapas.Sesforcesl’avaientdéserté;unvraidésastre.Mais plus pour longtemps. Avec un peu de repos, beaucoup de liquides de perfusion et
d’antibiotiques,etdesprotéinesdèsquesesintestinspourraientlesupporter,ilseraitvitesurpied.Pourl’heure,ilflottaitdenouveauendirectiondupaysdessonges.Mauditefaiblesse.Mauditeprison.Mauditsalopardquil’yavaitenvoyé,quiavaitmisStephendanger,etsurtout,quiavaitôtélavie
d’unfrèred’armes,mortbienavantsonheure.—Stephanie.(Illuisaisitlepoignetavantdesombrer.)Merci.
Stephanie longeaitd’unpas rapide la rueanimée, la têtebaisséeet couverteparuneétoleorange.Bekah–l’undesgarçonsdelapetitearméedeSuah–marchaitderrièreelletandisqu’ellesefrayaitunchemindanslafoule,lesbraschargésdeprovisions.Siquelqu’unl’observait,ilenauraitdéduitqu’elleétaitseule,rienqu’unefemmerentrantdumarché.OrBekahétaitlàpourlaprotéger.Commel’adolescentquiavançaitdeuxmètresdevantelle.
TousdeuxétaientdesacolytesdeSuah.Et tousn’étaientquedesgamins.Desorphelins.Savoircequ’ilsavaientvudèsleurplusjeuneâge,cequ’ilsavaientétéobligésdefaireluiserraitlecœur.Aucund’euxn’avaitgrand-choseàdire,maisàl’évidence,ilsétaientsoudésparunliencommun.Tousavaientétéenlevésenpleinerueetcontraintsàdevenirdessoldatsdans l’arméed’unpsychopathe. Ilsétaientlibresàprésentetlivrésàeux-mêmes,menantuneexistencedesplusimpitoyables.Sansstabilité.Sanssoutien.Sansamour.
Ilsn’avaientaucuneraisondel’aider,pourtantcesgarçonsavaientétélàpourelle,etpourJoe,quandellen’arrivaitmêmepasàobtenirunrendez-vousavecleseulAméricainsusceptibledelessortirdecepétrin.
Celalamettaitdansuneragefolle.Surlecheminduretour,avantdes’arrêteraumarché,elleavaitcontactéRhondaquiluiavaitdonnél’adressequ’occupaitDalmagequandilétaitdepassageàFreetown.LebureauquelesÉtats-Unislouaientàcederniercommeàtoutdignitairequiavaitbesoind’unquartiergénéral ne se trouvait qu’à quelques rues de leur cachette. Ironique, non ? Stephanie avait localisé lebâtiment quelques heures plus tôt, et avait été accueillie avec condescendance par la réceptionnistecinquantenaire imbuede sapersonnequi, assisederrièreunbureauenacajoupoli,gardait laportedusanctuairedeDalmageaveclaférocitéd’unpitbull.
—Jevousenprie,sivousnepouvezpasmelaisserlevoir,transmettezceciàl’officierdeliaisonDalmage, l’avait imploréeStephanie, lui tendant l’enveloppescelléequicontenait lanotequ’elleavaitrédigée.Desviessontenjeu,avait-elleinsistédevantlemutismedelasecrétairequiétaitrestéevisséesursonsiège,leslèvrespincées.Desviesaméricaines.
— Comme je vous l’ai dit, mademoiselle, c’est du ressort de l’ambassade américaine. LesresponsabilitésdeM.Dalmagenesontpas…
—L’ambassadenepeutpasm’aider,l’avait-elleinterrompued’untonsec,lassededevoirrépéterlamêmechosepourlaénièmefois.
Elle avait déjà essayé. Il fallait remplir de la paperasse et attendre plusieurs jours, voire unesemaine,avantd’obtenirunduplicatadepasseportpouruncitoyenaméricainquin’étaitpasenmesuredejustifierdesonidentité.Etmêmesionleurfournissaitlepasseport,Joenepasseraitjamaislescontrôlesdesécurité.Ilseraitimmédiatementreconduitenprison.
Elleavaitbesoindequelqu’unquipourraitcontourner,voirevioler,certainesloispourvenirenaideà un compatriote. D’après tout ce qu’elle avait entendu au sujet de Dalmage, elle pariait qu’il étaitl’hommedelasituation.
Devant lamineperpétuellementrenfrognéedeson interlocutrice,Stephanieavaitprisuneprofondeinspirationettâchéderetrouversonsang-froid.
— Écoutez, madame… Foster, reprit-elle après un coup d’œil à la plaque de bureau gravée, jeregrettesijevousaimanquéderespect.Jecomprendsquevotretravail,c’estdepréserverletempsetlepostedeM.Dalmage.Maiscomme jevous l’aiexpliqué, il s’agitd’unequestioncruciale. Jevousensupplie,remettez-luisimplementcetteenveloppe.
Unefoisdeplus,MmeFosterl’avaitfusilléeduregardpendantunlongmomentavantdesoupirer.— Donnez-moi ça, avait-elle répondu avec raideur. Je vais voir ce que je peux faire. Quel est
l’expéditeur?—Toutestlà-dedans,avaitditStephanie,éprouvantunlégersoulagement.Jevousremercie.Elleétaitpartieavantquelasecrétairechanged’avis,oupuisseposerdavantagedequestions.Elle
nedévoilerait jamais son identité ni le nomde Joe.Pas avant de savoir si sonmessage formulé avecprudence, qui comprenait le numéro du téléphone jetable qu’elle venait d’acheter afin que Dalmagepuisselarappeler,leurapporteraitl’aidedecedernier.Ilpouvaitserévélerêtreundiplomate«réglo»etleslivrerauxautorités.
Tantqu’ellen’enauraitpaslecœurnet,elleassureraitsesarrières.Elles’étaitentretenueavecRafe,justeaprèsavoirquittélebureaudeDalmage.Iltâchaitdeleurtrouverunmoyendetransportpourleurpermettredefuirlepays.Uneoptionrisquée,aumieux,maissiDalmageneselaissaitpasconvaincre…Ellenepouvaitpenseràçapourlemoment.
Demêmequ’elle nepouvait penser à l’état de santéde Joe, physiqueoumental, pour lemoment.L’entendreparlerdelamortdeBryancommes’ils’agissaitd’unassassinatlarendaitmalade.
L’insoutenablepoidsdelaculpabilitéinfondéequ’ilnourrissaitdepuisdesannéesavait-ilfiniparlebriser ? Ses histoires de meurtre, sa rupture soudaine avec elle, son abandon desMCB…Tout celan’était-ilquedesvariationssurlemêmethème?Joecherchait-ilainsiàexorcisersesdémons?
Ellen’ensavaitrien.Maisàprésent,certainesquestionslataraudaient,elleaussi.Pourquoileprêtreavait-ilété tué?PourquoiJoeavait-ilétépiégéet jetéenprison?Sa théorieducomplotpouvait-ellereceleruneoncedevérité?
—Mademoiselle.Ilfautsedépêcher.Ellen’avaitmêmepasremarquéqueBekahl’avaitrejointeetmarchaitdésormaisàsoncôté.—Cen’estpaslebonmomentpoursetrouverdanscecoindelaville.
Absorbéeparsespensées,elleavaitcessédefaireattention.Elleregardaautourd’elleetressentituncertainmalaise.Lesyeuxhagards,lesvisageshâvesquisemblaientlacernerluirappelèrentquedesgensmouraienttouslesjoursdanscepayspourmoinsqueleprixd’unemichedepain,etquelessacsqu’elleportaitétaientpleinsdenourriture.
Ellebaissadenouveaulatêteetpressalepas,regrettantquelesMCBnesoientpaslàpourl’aideràramenerJoeà lamaison.Etsedemandantsielleavait lesnerfsassezsolidespouryparvenirseulesiDalmageouRafeéchouait.
10
LorsqueJoeseréveilla,Suahétaitassisentailleurdanslecoindelapièceetnettoyaitsonfusil.L’après-miditouchaitàsafin;lachaleurapportéeparlabriseétouffantequisoufflaitparlafenêtre
annonçaitlecrépuscule.Joen’avaitaucunmoyendesavoirsic’étaitlemêmejour.Ilespéraitnepasenavoir perdu un de plus. Quand on était un homme pourchassé, mieux valait ne pas demeurer troplongtempsaumêmeendroit.
Ildevaitsesecouers’ilvoulaits’enfuirdupaysavecStephanie.Etcen’étaitsûrementpasenrestantallongésurcesatanématelasqu’ilallaitretrouversesforces.
Nonseulementilétaitàprésentl’individuleplusrecherchédeFreetown,maisceluiquil’avaitpiégéenlui imputantlemeurtreduprêtreavaitdûlancerunebattuequiferaitpasserlatraquedeBenLadenpourunepartiedecache-cache.
Avecune infinieprudence, il roulauneépaule.Elleétaitendolorie,maisc’était supportable. Idempoursoncou. Il lutta tantbienquemalpoursemettreenpositionassise,dégoûtépar l’effortqu’ildutdéployerpouryparveniretpar ladouleurqui lui transperça lacage thoracique. Iln’empêchequ’il sesentaitunpeuplusfort.Ilavaitlesidéesplusclairesàprésentquel’élixirdeMorphéeavaitétééliminédesonorganisme.Lesperfusionsd’antibiotiquesetdesolutionsfaisaientleurtravail.Etàenjugerparlesgargouillisdesonestomac,soncorpsétaitprêtàabsorberunpeudeprotéines.
—OùestStephanie?demanda-t-ilàSuahquicontinuaitdenettoyersonarme.—Elleestpartiechercheràmanger,répondit-il,frottantunetachesurlecanonàl’aided’unchiffon
huilé.Sonalarmeinternesedéclenchaaussitôt.—Touteseule?—Bekahl’accompagne.Joeserappelalegrandetmincegarçonauvisagemarquépardescicatricesdevaricelleetauventre
creusé par la faim. Comme Suah, il faisait partie des enfants soldats qu’ils avaient libérés l’annéedernière.C’étaitungamincoriace,aguerriethabituéàsedébrouillerseul.
Unsentimentd’urgenceluinoualesentrailles.—Est-cebiensage?D’envoyerStephanieaveclui?Bordel, Bekah pouvait décider de la vendre à desmarchands d’esclaves locaux plutôt que de la
protéger.UneOccidentale de la beautédeStephanie rapporterait une fortunedans ce coindépravédumonde.
Suahposalecanondecôtéetcommençaàastiquerlacrosse.
—Bekahfaitcequejeluidis.Ilveilleraàsasécuritéetillaramènera.Enplus,j’aienvoyéEdwardavecluipourm’enassurer.
Il était devenu très clair, très vite, que Suah dirigeait cette petite bande hétéroclite. Et puisqu’ilsavaientsurvécuencomptantlesunssurlesautres,lerespectdel’autoritéétaitunenécessité.
«Illaramènera.»Unanplustôt,Joen’auraitjamaisfaitconfianceàSuahpourattaquerlecamionquileconduisaitàla
prisondePadembaRoad.Maistoutavaitchangédepuisqu’ilavaitrevulegaminlemoisdernier.Allezsavoir pourquoi, un lien inexplicable s’était tissé entre Suah et lui, dénué d’engagement et teintéd’hostilité.Ilssemblaientêtreparvenusàunaccordtacite:SuahfaisaitminedenepasaimerJoe,etJoeacceptaitleslimitesimposéesparlegosse.
Il comprenait.C’était une question de fierté, et de peur. Suah n’osait s’attacher à qui que ce soit.L’expérienceluiavaitapprisqueriennedurait,quetoutlemondefinissaitparvousquitter,quepersonnen’étaitdignedeconfiance,etqueriensurcetteterren’étaitgratuit.JoesoupçonnaitqueSuahnesortaitjamais sans tee-shirt, comme ses amis, pour cacher les cicatrices qui luimarbraient le dos.Le gaminignoraitquelefintissublancnepouvaitdissimulerlesmarquesboursoufléesetleszébruresinfligéesparlefouetdequelquesalopard.
Joe comprenait également qu’une part de l’adolescent, aussi déterminé et intransigeant qu’il soit,désiraitcroirequeJoepouvaitêtrel’exceptionauxrèglesqueluiavaientinculquéeslavieetlaRUF.
—TuasunplanBaucasoùondevraitsetirerd’icivitefait?s’enquitJoe.—Unmeilleurplanquetoiquandtuaslaissélapolicet’attraper.IlsouritdevantlapiqueàpeinevoiléedeSuah,nonpasparcequecedernierenavaitdécidémentune
sacréepaire,maisparcequ’ilavaitraison.Joeétaittellementobnubiléparl’enviedetrouverunepistesolidequ’iln’avaitpasflairélepiège.
—Donc…tum’as sauvé lesmiches.Une foisdeplus.Pourquoi? insista-t-ilbienqu’il connût laréponse.
Il étaitprimordialpourSuahdepréciserquec’était l’honneur, riendeplus,qui lui avaitvalu sonaide.
—Jepaiemesdettes.Situn’avaispasétélà,jemeseraisfaitarrêterdanslacathédrale.Maintenant,onestquittes.Denouveau.
Dans lemondedeSuah, l’important,c’étaitde régler sescomptes. Joe luiavait simplement fournil’occasiondeclarifiercepoint.
Il commençait à s’interroger sur l’influence du destin.Après avoir quitté la Sierra Leone l’annéedernière,iln’auraitjamaisimaginérevoirSuahunjour.Ilneconnaissaitmêmepasleprénomdugosse,c’est dire ! C’est pourquoi il était tombé des nues en recroisant le gamin, alors qu’il était revenu àFreetownpour poser des questions et trouver de quoi prouver sa théorie.La nuit suivant son arrivée,SuahétaitapparudansuneruellesombredeKissy.
—Tu tentes le diable, gamin, dit Joe alors qu’ils se faisaient face. (Il s’attendait à ce que legarçon le défie en représailles de la vented’armesque lesMCBavaient empêchée l’anpassé et iln’avait guère besoin de cette contrariété supplémentaire.) Je t’ai laissé partir la dernière fois. Cecoup-ci,ilsepourraitquejememontremoinsgénéreux.Dégagedelà,ceseraitplusmalin.
—Tucherchesdesinformations,réponditl’adolescent,bravantlamenacedeJoe.Jepeuxt’aider.Àl’évidence,lanouvellequ’unAméricainsillonnaitlavilleenposantdesquestionscirculaitvite.
Joen’enfutguèresurpris.Cequilesurprit,enrevanche,c’estquecegosseproposedel’assister.—Comment tu t’appelles ? lui demanda-t-il, évaluant la probabilité qu’un gang entier de ces
petitsvaurienssurgissedesruesdélabréesetluisautedessus.
—SuahKorama.—Etpourquoivoudrais-tum’aider?—Jeneveuxpast’aider.Maisjesuisunhommed’honneur.Jetesuisredevable.Jedoisremettre
lescompteursàzéro.Joeconsidéralatournureinattenduequ’avaientpriselesévénements.Ilconsidéralegarçonqui
avaitpoussédequelquescentimètres,maisquiétaittoujoursaussisecetnerveux,etquiavaitgardésonvisagepoupinainsiquesestalentspourmanierunfusild’assaut,unlance-roquettes,desgrenadesàfragmentationettoutautreoutilquelaguerrejetteraitdanssadirection.LegaminétaitsansdoutecapablededresseruneembuscadeenXcommeunproetd’abattretoutcequilatraverseraitsanslamoindrehésitation.
—Quelâgeas-tu?Ilredressalesépaules,segrandit.—Quinzeans.Quinze ans, songea Joe tandis qu’il regardait Suah s’affairer en silence sur le fusil. Il pensa à sa
propreenfance,àl’amouretàl’attentionaveclesquelsilavaitétéélevédansunefermeduSudprofond.Ilobservacegosseàlasilhouetteélancéeetsedemandaàquoisonpetitfrère,Bobby,auraitressembléaumêmeâge.Quelgenred’hommeserait-ildevenu?
Il s’arracha violemment à ces pensées. Arpenter ce chemin n’apportait jamais rien de bon. Toutcommeserappelerqu’àl’âgedequinzeans,luietBobby,decinqanssoncadet,passaientleursétésaubordd’unlacàpêcher,etquelaseulearmequ’ilpossédaitàl’époqueétaitunfusildechassepourtirersurlesoiseauxoffertparsongrand-père.
Suah,lui,démontaitunAK-47aveclaprécisiond’unprofessionnelchevronné.C’étaitcontrenature.Suahluiavaitfaitfacedanscetteruellealorsqu’ilsavaitqueJoepouvaitaisémentdéciderdefinirle
boulotqu’ilavaitcommencél’andernier,etauxyeuxdeJoe,celafaisaitdeluiunhomme.Ilrespectaitlecranqu’ilavaitfalluàSuahpourl’approcher.Etilavaitcomprisqu’ils’agissaitd’unequestiondefiertépourlegamin.
Auboutducompte, ilavaitacceptél’aidedeSuah.Celui-ciavait localisé laparoisseduprêtre lejoursuivantetarrangél’entrevue.Etvoilàqu’ilsétaientderetouràlacasedépartpourcequiétaitderemboursersesdettesàprésentqueSuahavaitaidéStephanieàorchestrersonévasion.
Une simple transaction commerciale, à une petite exception près. Joe commençait à apprécier legosse.EtmêmesiSuahne le reconnaîtrait jamais, iln’étaitpasaussidétachéqu’ilvoulait le lui fairecroire.
—Ça doit te faire chier de devoirm’aider à nouveau. (Il ne put s’empêcher de ricaner quand legarçonpoussaungrognementdemépris.)Àmoinsquetusoisentraindet’attacheràmoi?
—Autantqu’àuneverruesurlepif.Jenevisquepourmedébarrasserdetoi.C’étaitbondesourire.Celafaisaitbientroplongtempsqu’iln’avaitpaseuderaisondesourire.Alorsqu’ilréfléchissaitàsaprochaineremarquepouragacerlemôme,laportes’ouvritetStephanie
entradanslapièce,lesbraschargésdeprovisions.
—Tuasl’aird’allerunpeumieux,déclara-t-elleaprèsl’avoirobservédelatêteauxpieds.—Jevaisbien,réponditJoe,passantoutreàl’énormebouledanssagorge.Ilavaittaillésoncœurenlambeauxetelleétaitquandmêmevenuelechercher.Quelgenredefemme
faisaitça?—«Bien»,c’estpeut-êtreuntantinetexagéré.
Elleposalescoursessurlapetitetableenboisdanslecoindelapièce,puissetournaversSuah.Elleluidésignalaportedumenton,unerequêteimplicitepourquelquesminutesd’intimité.Prenant
sonfusil,Suahselevaetsedirigeaverslaporte.—Attends. (Elleplongea lamaindans les sachetsetensortitquelquesarticlesavantde tendre le
resteàSuah.)Pourtoietlesgarçons.Suahsecoualatête.—Onpeutsedébrouillerseuls.Elleluilançaunregardlourddesensetluifourralessacsdanslesbras.— Je te suis redevable. Neme refuse pas l’occasion de te remercier. Toi, entre tous, tu devrais
comprendreça.Joeadmiraitl’intelligenceetlacompassiondeStephanie.Ellesavaitexactementcommentparvenirà
ses fins avec Suah.Elle nourrirait ces garçons coûte que coûte, et à en juger par l’expression de sonvisage,ellenetransigeraitpas.
Safiertéapaisée,Suahcédaavecunhochementdetêteetquittalapiècelesbraschargés.Stephanieobservaunmomentlaporteferméeavantdesetournerenfinverslatable.SonlangagecorporeldonnaitàJoeuneindicationsursonétatd’anxiété.Sesépaulesétaientrigides.
Sesmouvementsétaientsaccadésetprécistandisqu’elleversaitdansunplatdurizetdumaniocavecunetranchedepaindemanioc,lesdeuxdenréesdebasedurégimesierra-léonais.
—Vas-ydoucement.(Elleluitenditl’assietteainsiqu’unebouteilled’eau.)Situgardesletout,onessaieraavecdupoulet.
Elles’appuyacontrelemur,croisalesbrasetleregardamanger,sonvisagereflétantsanervosité.Parcequ’ilétaitaffaméetqu’ellenesemblaittoujourspasdécidéeàluidirecequilapréoccupait,il
s’attaquaàsonplatensilence.Ilnefallutguèrelongtempspourqu’ilsoitcalé.Apparemment,sonestomacavaitrétrécietnefaisait
plusquelatailled’uneballedetennis.Etlenœuddanssapoitrines’étaitresserrécommeunpoing.—J’aiétéunvraicontoutàl’heure.Elleparutsurprise.—Tuétaisencolère,répondit-ellesanss’attardersurlesujet.—Cen’estpasuneraison.Jesuisdésolé.—Excusesacceptées.Safaçondebalayerl’incidentd’unreversdemaincommesicelan’avaitaucuneimportancelefitse
sentirencoreplusméprisable.Maisc’étaitsonproblème,sonfardeauàporter.Pourl’heure,ilsavaientdeschosesplusgravesàgérer.
Illuitenditl’assietteàmoitiévide.—Onnepeutpasseréfugiericilongtemps.Ilsvontcommenceràquestionnerleshabitants,àfairedu
porte-à-porte.Quelqu’unnousauravus.Quelqu’unparlera.Elleposal’assiettedecôté.—Lesgarçonssontauxaguets.Leurréseaudecommunicationestd’uneimpressionnanteefficacité.
Aupremiersignequelesautoritéssedirigentversnous,onbougera.Sionn’estpasdéjàpartis.Devoir dépendre de Stephanie pour le tirer de cemauvais pas lui restait en travers de la gorge.
C’étaitluiquiétaitcenséendosserlerôledusauveur.—Tuescapabledemanierça?Il jeta un coup d’œil à sa ceinture, derrière laquelle il savait que se trouvait son arme à feu,
dissimuléesoussondébardeur.
—Sij’ysuiscontrainte,répondit-elle.C’étaitbienlàtoutleproblème.Ellenedevraitpasyêtrecontrainte.Concentre-toi,s’admonesta-t-il.— Dis-moi si je me rappelle bien. Les MCB sont en mission top secret, c’est ça ? Ils sont
injoignables?Elleacquiesça.—Tous?—RafeetB.J.tiennentlefort,maisilssonttouslesdeuxhorsservice.Elledoitaccoucherd’unjour
àl’autre,etRafeseremetdoucementdelamalaria.Ilestsortidel’hôpital,maisNatel’obligeàleverlepied.
—Nousdevonslecontacter.Voirs’ilpeutnousdégotterunmoyendetransportpourfuirlepays.Dès qu’il aurait ramenéStephanie saine et sauve auxÉtats-Unis, il reviendrait finir ce qu’il avait
commencé.—Ilytravaille.Jeluiaiparléilyauneheure.—Dis-moiquetun’aspasutiliséuntéléphoneportable.Ces derniers transmettaient toujours des signaux aux relais les plus proches, par conséquent, ils
pouvaientsefairegéolocaliserpartriangulationdesdonnées.Ellesecoualatête.—Jen’aipaseuletempsdemeprocureruntéléphoneintraçableavantmondépart.Par«procurer»elleentendait«voler»,etpuisqu’ilétaitplusfaciled’enfoncerunmelondansune
serrurequedesubtiliserquelquechosedesbureauxdelaNSA,ilétaitheureuxqu’ellen’aitpasessayé.Elleavaitdéjàprisbeaucouptropderisques.
—J’utiliseunecartetéléphonique.J’appelled’unecabinedifférenteàchaquefois.Ilserralesmâchoires.—Chaquefoisquetusors,tudeviensunecible.— Suah connaît la ville. Bekah et les autres garçons aussi. Ils ne me laisseront pas prendre le
moindrerisque.—Bonsang,Steph,tuprendsdesrisquesrienqu’enétantici!Elleneditrienpendantunlongmoment.—N’allonspassurceterrain-làmaintenant,d’accord?Elleavaitraison.Inutiledegaspillerleurénergie.Surtoutquandilenavaitsipeu.—J’aiachetéunrasoir,dit-elle.J’aipenséquetuaimeraispeut-êtreteraser.Sisonbutétaitdedétournersonattention,elleavaitréussi.—Me raser me ferait du bien, oui. En fait, ce serait carrément le pied. Me débarrasser de ma
tignasseaussi.Àmoins d’être en pleinemission, il ne passait pas un jour sans se raser et coupait toujours ses
cheveuxtrèscourts,àlamodemilitaire,quandilnesetondaitpastotalementlecrâne.Ellesedirigeaversunpetitplacardfixéaumur,ensortitunboletunesavonnette.—Ilvafalloirsedébrouilleravecçaetdel’eauàtempératureambiante.—Jem’enaccommoderai.Elleseprécipitaversluilorsqu’ilessayadeselever.—Laisse-moit’aider.Commes’ilavaitlechoix.Ilsnefurentpastropdedeuxpourlemettresursespiedstoutenreplaçant
le cathéter de sorte qu’il ne l’arrachepas. Ilmaintint le fin drap autour de ses hanches d’unemain et
passal’autrebrasautourdesépaulesdeStephanie.Àpeineeut-ilavancédedeuxpasqu’unevaguedenauséelesubmergea.
—Uneseconde,fit-il,déterminéàsoutenirsonproprepoids.Quandilluisemblaenfinavoirretrouvésonéquilibre,ilfitdeuxpasdepluspourrejoindrelatable
ets’écroulasurlachaiseenbois.Trempécommes’ilvenaitdecourirhuitkilomètreschargédetoutsonattirail,illaregardamarcher
jusqu’aumurdufondetreveniravecunpantalondetreilliskaki.—J’espèrequ’il t’ira.Suaharassembléquelquesaffaires, ilyaaussiun tee-shirtetunepairede
sandales.Satêteavaitenfincessédetourner.Çafaisaitdubiendequitterenfinlelit.—Cegarçon,c’estvraimentunsacrénuméro.—C’estvrai,convint-elled’unairdistrait.Quandillevalesyeux,ilcompritpourquoi.Ellesetenaitenfacedelui,leregardrivésursontorse
nu.Etilserenditcomptequ’elleétaitmalàl’aisedesetrouversiprèsdelui.Lapièceétaitpetite,ellefaisaitneufmètrescarréstoutauplus.Etàprésentqu’iln’étaitplusallongé,
ladynamiqueavaitchangé.Àl’instardudegréd’aisancedeStephanie.Quandilétaitétendusurlanatteparterre,c’étaitdifférent.Ilétaitenbas,elleétaitenhaut,cequilemettaitenpositiondedépendance.
Ildépendait toujoursd’elle,bienplusqu’ellene le saurait jamais.Pourautant,malgré sonétatdefaiblesse,ilcomprenaitqu’ellesoitintimidéeparsastature.
Seigneur!Elleétaitsiprèsqu’ilpouvaithumersonparfum,unefragranceuniquedont leseffluvesflorauxmêlésdemuscetdecitrusembaumaient,mêmeparcettechaleur.
—Tuasbesoind’aide?luidemanda-t-elleavechésitation.Lepantalon.Ouais.Ilavaitbesoind’aide.Ilnepouvaitsepenchersansqu’unedouleurcinglantelui
transpercelapoitrine.Ilhaïssaitça.Acquiesçant,illeluitendit.Elles’agenouilladevantlui.Ilsecramponnaaudrapenrouléautourdesatailleetsoulevalajambe
gaucheafinqu’ellepuisseluienfilerletreillis.Pendantcetemps,ils’efforçadenepaspenseràlaproximitédesonvisageavecsonentrejambe.Dans un silence absolu, il leva l’autre pied lorsqu’elle se baissa vers lui, si près que son souffle
chaudluicaressalacuisse.Siprèsqu’ill’imaginaleprendredanssesmains,danssabouche.—Jepeuxmedébrouilleràpartirdelà,dit-ilbrusquementquandilsesentitdurcirsousledrap.Illuiarrachalepantalondesmainssivitequ’ellebasculaversl’arrièreets’agrippaparréflexeàson
molletpourserattraper,empoignantparinadvertanceledrapquiluirecouvraitlebasducorps.Merde.Aucunmoyendemasquersonérection.—Pardon,firent-ilsenchœur,seconfondantchacunenexcusesetluttantpournepasprêterattention
àcequ’ilétaitpourtantimpossiblederater.—Cen’estrien.Ilsesentaittellementidiot.Ilsavaientnaguèreétéaussiintimesquepeuventl’êtreunhommeetune
femme,maisàlasuitedesonéloquent«jenet’aimepasassez»,cetteréactionphysiqueétaitonnepeutplusdéplacée.
—Cen’estrien,répondit-elleenécho,l’airembarrassée.Ellese redressaà lahâteet lui tourna ledos,davantagepourelle-même,soupçonna-t-il,quepour
respectersapudeur.
Ilselevaàsontour,remontasonpantalonetlaissaledrapretomberausol.Dèsqu’ileutfermésabraguette,ils’effondraànouveausurlachaise,sesentantridiculed’éludercequivenaitdeseproduire.
—Jesuisvraimentdésolé,Steph.Cen’étaitpasprémédité.—Cen’estpasgrave,luiassura-t-elle,esquissantuntimidesourirequiluiretroussaleslèvres.C’est
bonsigne,non?Çaveutdirequeturetrouvestesforces.—Ouais,fit-il,affichantunsourirecrispé.Çadoitêtrebonsigne.Etilsn’avaientmêmepascommencélerasage.
11
Ilpouvaityarriver.JoeportalalameàsoncouetfusilladuregardlepetitmiroirtachéetonduléqueStephanie tenait face à lui. Il avait déjà taillé une bonne longueur de sa barbe à l’aide de ciseaux,unetâchequiavaitsuffiàl’épuiser.
Alors,oui,ilpouvaityarriver…sisamainnetremblaitpas,ets’ilnevoyaitaucunproblèmeàsetrancherlacarotide,etcefaisant,àseviderdesonsang.
—Merde, grommela-t-il, jetant le rasoir dans le bol d’eau. Faut croire que ce ne sera pas pouraujourd’hui.
Ilattrapauneserviettequisemblaitavoirenduréunmillierdecyclesdelavage.LamaindeStephaniesursonpoignetlestoppaavantqu’ilaitpuessuyerlesavondesonvisageetdesoncou.
—Jepeuxm’encharger,situveux.Ilgrogna.—Aprèsl’incidentaveclepantalon,serait-cebienjudicieux?—Jepeuxm’encharger, affirma-t-elledenouveau,plus fermementcette fois.Cen’estpasgrand-
chose.Allez,finissons-en!Elleposalemiroirsurlatableetrécupéralerasoirdanslebol.Puiselles’avança,mitunemainsur
sajoueetluiinclinalatêteenarrière.—Nebougepas.Lefildelalameremontalentementsurlecôtégauchedesoncou,jusqu’àsamâchoire.L’eaudéborda
durécipientquandelleyrinçalerasoiravantderéitérerlamêmeopérationsurunautresegment.Lesbruitsde la ruene formaientplusqu’un fond sonore étouffé tandisque le raclement répétéde
l’aciercontresapeauetlebruissementdeleursouffleaccentuaientl’inévitablesensationd’intimité.Latensionressuscitalesouvenirsensorield’unmomentpasséoùilavaitaussiétéquestionderasage.
Stephanieseprélassaitnuedanssabaignoire,l’eauclapotantautourdesesépaules,lamoussejouantà cache-cache avec ses seinspalpitants.Lui était à genoux sur le carrelage, vêtude la tête auxpieds,savourant l’expérience à fond. Il tenait le rasoir dans unemain et lemollet gauche deStephanie dansl’autre;l’eausavonneuseavaitruisselésursajambelorsqu’ill’avaitsoulevéepourfairecourirlalamed’ungestelentetsensuelsursapeausoyeuseetparfumée.
Dedouxsoupirs.Delascifssourires.Ladélicateéclaboussuredel’eaucontrelachair.Iln’étaitpasrestéhabilléousectrèslongtemps.Cen’estpaslemomentdepenseràça.PasquandStephanieétaitsiprèsdelui.Pasquandsesseins
setrouvaientjusteenfacedesaboucheetquelachaleurémanantdesoncorpsrivalisaitaveccelledu
jourouest-africain.—Tuvasbien?s’enquit-ellealorsqu’elles’affairaitsursalèvresupérieure.Ilgrommelaquelquechosequipassa,espérait-il,pourun«oui»,et ferma lesyeux.Cequine fut
d’aucun secours. Il lavoyait toujoursdans sonesprit. Il savait que s’il bougeait ne serait-cequed’uncentimètre sa bouche appuierait contre cette tendre chair féminine. Son visage serait blotti contrel’endroitleplusdouxetleplusincroyableaumonde.
Ledésirluienflammalesentrailles,sesabdominauxsecontractèrent.—Jet’aifaitmal?Bonsang!Ilavaitdûgémir.Ilrouvritlesyeux.Croisalessiens.Etvitdanssonregardqu’elleavait
devinéquecetexerciceluiposaitautantdedifficultésquel’épisodedésastreuxaveclepantalon.Ilyvitautrechoseavantqu’elleneledétourne.Stephanien’étaitpasaussiinsensibleàlasituation
qu’elle essayait de le lui faire croire. La tension sexuelle latente qui couvait entre eux l’affectait toutautantquelui.Etmanifestement,Stephanies’envoulaitderéagirainsi.
Ilpourraitl’embrassersur-le-champ.Mêmesiellerésistait,ilpourraitl’empoignerparlataille,laguidersursesgenouxetl’embrasser.Ellenevoudraitpasluicéder,maisellelelaisseraitluidonnerunlentetprofondbaiser,etsaintemèredeDieu,ilenbrûlaitd’envie!
Pourautant,peuimportel’intensitédesondésir,ilneprofiteraitpasd’elle.Elleétaitvulnérablepourlemoment.Elleétaitindéciseettroubléeetperdue.Iln’avaitpaslamoindreidéedecequ’ellepouvaitressentir pour lui,mais elle, en revanche, était persuadée désormais que Joe ne l’aimait pas. Il avaitbesoinqu’ellecontinueàlecroire,car tantqu’iln’auraitpascoincélesalopardquiavait tuéBryanetl’avaitfaitmettreautrou,cettehistoireseraitloind’êtrefinie.
—Onvadirequec’estbon,dit-ilpourromprel’intimitédecemoment.Mercipourtonaide.—Ettescheveux?Autants’enchargertantqu’onenal’occasion.Ilpoussaunprofondsoupir.—Bon.Tun’asqu’àtoutraser.Alors,elles’exécuta.Ilrestaassissurlachaise,lespoingsserréscontresescuisses,lesyeuxfermés,
l’esprit occupé à compter des tables demultiplication, à dessinermentalement un plan des rues de laville, à récapituler le mode d’assemblage et de désassemblage d’un AK-47… N’importe quoi pours’empêcher de penser à Stephanie. Au désir qu’il éprouvait pour elle. Pour éviter de lui demanders’ilavaitdéfinitivementtoutfaitfoirerentreeux.
—Çadevraitlefaire.Ils’extirpadecetétatdetranseauto-induite,rouvritlesyeux,ets’aperçutqu’elleavaitfini.Ellelui
tendituneserviettequ’ilfitaussitôttomber,etqu’ilfutincapablederamasseràcausedesescôtesetdelaperfusiontoujoursreliéeàsonbras.
— Putain, ce que j’en ai marre d’être invalide ! grommela-t-il lorsqu’elle ramassa la serviettepourlui.
—Lemédecinaditqu’iltefaudraitplusieursjoursavantderecommenceràtesentirhumain.Ilpassalaserviettesursoncrâne.—Iladitaussiquelessalestypesattendraientjusque-làavantdefrapper?répliqua-t-il,regrettant
immédiatementsesparoles.Merde!Pardonne-moi.Cen’étaitpasunecritiquecontretoi.Tuasréussiàorganisermonévasion,sansmêmeparlerdureste…(Illevalamainpourluidésignerl’ensembledelapièce.)J’ignorecommenttut’yesprise.Etçanemeplaîtpasdutoutquetuteretrouvesempêtréedanscettegalère.
Ellelevalementon.
—Commejetel’aidit,cen’estpastoujoursàtoidejouerleshéros.Etjesaisàquelpointçaterendfoudenepaspouvoirincarnercerôle,cecoup-ci.
—Ouais,avoua-t-ild’untonempreintd’excuses.Çamerenddingue.Etçamerendstupide.Jesuisdésolé.Unefoisdeplus.
Leschosesallaientcommenceràchanger.Àcompterdecetinstant.Conquierstonesprit,etlecorpssuivra.Samaximedepuissonpremierjourdeservice.Lorsqu’illevalesyeux,elleavaitcroisélesbrassouslapoitrineets’étaitadosséecontrelemur.—Ilestpeut-êtretempsquetumeracontestout.Ilpoussaunsoupirdesoulagement;l’expressionsinistredeStephanieluiindiquaitqu’elleétaitprête
à l’écouter. Ses yeux bruns étaient hyperattentifs. Ses nerfs, à l’évidence à fleur de peau. Il n’y avaitabsolumentaucunmoyend’enjoliverletableau,maisilétaitdéterminéàallerjusqu’aubout.
—C’estcomplexe,dit-il.Elleémitunreniflementdedérision,puisluitenditunebouteilled’eau.—Commed’habitude,quoi.Commence…commencesimplementparlecommencement.Lanuitoù
Bryanestmort.Ilinclinalabouteille,grimaçalorsquelegoulotheurtasalèvrefendue,puiscrachalemorceau.—Tusaisqu’ilm’atoujoursparususpectqueleRUFsesoittrouvécommeparhasarddanslazone
où on patrouillait. Cette histoire de simple coup du sort me semblait louche. Surtout alors que nosrenseignements– tous filtréspar le commandement central–ne signalaient aucuncombattant ennemiàseizekilomètresdenotreposition.
»Mêmeaprèsquelecompterenduofficielaétépubliéetqu’onnousaexpliquéqu’ilyavaiteuunmégacouacdanslatransmissiond’infos,j’avaisdumalàycroire.
—Mêmesitoutlemondes’accordaitàdirequec’étaitlaseuleexplicationplausible?—Oui, affirma-t-il d’un ton monocorde. Je comprends que les gens avaient besoin d’imputer la
responsabilitédel’accidentàquelquechose.Cen’étaitpasfaciled’accepterquenospropresdirigeantsavaientmerdé,maisaumoinsçanousdonnaituneréponse.C’estimportant,lesréponses.Çanouspermetdeclorelechapitre.D’allerdel’avant.
—Maistunel’asjamaisfait.Ilseconcentrasurletubeenplastiquequireliaitsonbrasàlapochedeperfusion.—C’étaittropsimpliste.Çapuaitl’explicationmontéedetoutespièces.Alors,çaavaitcommencéàl’obséder.IlsupportaittellementmallapertedeBryqu’ils’étaitmisà
échafauder lui aussi des théories, à chercher des sales types qui n’existaient pas.C’est ce que tout lemondeavaitpensé.
Parfois,ils’étaitlui-mêmedemandépourquoiiln’arrivaitpasàtireruntraitsurtoutecettehistoire.Maisjouraprèsjour,annéeaprèsannée,ellel’avaitconsumé.EtpuislamortdeBryans’étaitmêléeàlahontequ’iléprouvaitdepuiscelledesonpetitfrère.IlauraitdûêtrecapabledefairequelquechosepoursauverBobby,toutcommeilauraitdûêtrecapabledesauverBry.
—J’aiessayédelâcherl’affaire,Steph.Jetelejure,dit-ilencroisantsonregard.J’avaiscessédechercher.J’avaistournélapage.
Parce qu’il l’avait rencontrée. Parce qu’il était tombé amoureux d’elle. Parce qu’il avait comprisqu’ildevaitlaisserlepasséderrièreluiafind’avoirunfuturetd’êtrepleinementavecStephanie,commeelleméritait.
—Mais… l’année dernière, il est arrivé quelque chose, n’est-ce pas ? s’enquit-elle.Quand tu esretournéenSierraLeone.
—Çaconcernaitlamission,oui.(Ilsecalacontreledossierdelachaise,maudissantsesforcesdeledélaisser.)Maisçaavaitcommencéavantmêmequ’ons’envolepourl’Afrique.ÇaavaitcommencéàWashington,avecMarcusChamberlin.
Ellefronçalessourcils.—Chamberlin?Ellenedemandaitpasquic’était;toutlemondeconnaissaitlasensationnellehistoiredeladisgrâce
dusénateurMarcusChamberlin.Ilétaitdécédél’andernierenSierraLeonelorsdel’opérationdesMCBquiavaitfaittomberlecampdeSesay.
—J’étaisàWashingtonàsurveillerChamberlinpourl’équipependantqu’ilsétaientauQGàBuenosAires,àessayerd’assemblertouteslespiècesdupuzzle.
On l’avait chargé de soutirer la vérité à Chamberlin, qui était lourdement impliqué dans le traficd’armes international orchestré parRyang.Cedernier avait fait chanterChamberlin pour qu’il facilitel’expédition de la marchandise, utilisant l’ex-épouse du sénateur comme pion et les cargos d’aidehumanitaireàdestinationdelaSierraLeonecommecouverture.
—Jusque-là,nousnesavionsmêmepasquelaSierraLeoneconstituaitlaphasefinale.J’étaisdansle bureau de Chamberlin, à lui mettre la pression pour qu’il me donne de quoi relier les différentsélémentsdontnousdisposions,quandj’airemarquéunephotoencadréeaccrochéeaumur.Ilm’aditqu’ils’agissait de l’équipe de bénévoles sur le terrain en Sierra Leone où les cargos humanitaires étaientenvoyés.
—Lescargosquiservaientdecouverture?—Oui.J’aireconnul’undeshommessurlecliché.Ettouteslesalarmesquej’avaisfaittairedans
ma têteconcernant lamortdeBrysesontdéclenchées,hurlantcommedessirènesannonçantdes raidsaériens.Àcetinstantprécis,j’aisuquejeregardaisl’hommequi,bienqu’iln’aitpasappuyélui-mêmesurlagâchette,étaittoutautantresponsabledelamortdeBryanqueletireur.
Stephanieparaissaitsceptiqueetperdue.—Donc,voirunhommesurunephotodegroupet’adonnécettecertitude?— Pas n’importe quel homme. Un colonel qui se trouvait sur le terrain quand le Groupe
d’InterventionMercymenait des opérations en SierraLeone. Lemême colonel qui nous avait assignénotredernièremission.
À lamention de ce détail, la jeune femme le considéra différemment. Bryan étaitmort lors de ladernièremissionduGIM.
— Quand je l’ai vu sur cette photo, c’était comme si une bombe explosait. Une bombe pleined’imagesetdesouvenirs.Commesamaniedesepointerparfoissurlechampdebataille,parexemple.Ouencoresafaçoncondescendantedetraiterlestroufions.J’aitoujoursperçudemauvaisesondesvenantdelui.Ilyavaitquelquechosechezlui…debizarre.Jen’arrivaispasàmettreledoigtdessus.Maisçan’avaitaucuneimportance.Dansl’armée,onsuitlesordres,onfaitcequ’onnousdit,quelquesoitceluiquidécide.
Ilmarquaunepause,lessouvenirssefaisantdeplusenplusprécis.—Joe?Il ne s’était pas renducomptequ’il s’était tu jusqu’à ceque ladoucevoixdeStephanie l’incite à
reprendrelefildesonrécit.—Quelquechoseausujetd’uneentrevuequej’avaiseueavec luiplanaitdans lesconfinsdemon
espritsanssedessinerclairement.Enobservantcettephoto,çam’estfinalementrevenu.»Unenuit,jepassaisàcôtédelatentedesopérationsetj’aisurprisunediscussionaniméeentrele
colonelet legénéralresponsabledel’offensive.Jusque-là,onavaitenchaînémissionsurmission.Que
descombatsdeterrain.Rapprochés.Touslesmembresdel’équipeétaientsurlesrotules.Maiscetypeavaitinsistépourqu’oninfiltrecettezoneprécisecettenuit-là,soutenantquemêmesic’étaitdangereux,des hommes mouraient au combat tous les jours et qu’il ne fallait pas perdre de vue la perspectiveglobale.
Ilbutunelampéed’eau.— Je continuais de regarder cette photo sur le mur de Chamberlin et d’entendre ces paroles
prononcéesdesannéesplustôt,et…jesavaisquequelquechoseclochait.Jesavaisqu’ilétaitimpliquédanslesexpéditionsd’armes.Ets’iltrempaitlà-dedans,ilétaitfortprobablequ’iltrempedansd’autresmagouilles.Ilacontribuéàpréparercetteembuscade,j’enétaispersuadé.J’ignoraisseulementpourquoiilvoulaitnotremort,oucommentleprouver.
Stephaniel’écoutaitensilence.—Alors,j’aifouillésesétatsdeservice.Etj’yaitrouvéquelquechosed’intéressant.Ils’avèreque
c’est lui qui a fait pression pour obtenir le démantèlement du Groupe d’Intervention Mercy. C’étaitl’informationqu’ilmemanquaitpourreconstituerlepuzzle.
Àprésent,elleavaitl’aircomplètementperdue.—J’aidumalàsaisir.EnquoiledémantèlementduGIMaurait-ilunrapportaveclamortdeBryan?—C’estétroitementlié.(Illevalamain,l’implorantdecomprendre.)Commejetel’aidit,ilvoulait
qu’ondégagedutableau.D’unefaçonoud’uneautre,ilvoulaitqueleGIMquittelaSierraLeone.Peuluiimportait que des gensmeurent pour qu’il parvienne à ses fins. Il ne nous a pas tous tués, mais il aaccomplisamissionmalgrétout:ons’estfaitattaquerlejoursuivant.L’équipeaétédissoutepeuaprès.Tout le travail qu’on avait effectué sur place a pris fin. Le RUF a repris les territoires qu’on avaitconquis.
Digérantcesinformations,ellepoussaunlourdsoupir,puisouvritunebouteilled’eau.Aprèsavoirbuunelonguegorgée,elleluirépondit,mesurantsoigneusementsesparoles.
—Tutefondessurunsacrépaquetdeconjectures,là.Etsurtaseuleintuition.—J’aiapprisàmefieràmoninstinctilyalongtemps.Maistuasraison.Àcemoment-là,toutça
n’étaitquepuressuppositions.Ilmefallaitdespreuves,alorsj’aidécidédelestrouver.Etlaseulefaçond’yarriver,c’étaitderevenirenSierraLeoneetdecommenceràcreuser.
Pourlapremièrefoisdepuisledébutdeleurconversation,desflammesjaillirentdanssesyeux.—Tun’auraispaspumedirequec’étaittonplan?Tun’auraispaspuêtrehonnêteavecmoisurce
quetucomptaisfaire?Ouenparlerauxgars?—Pourt’entendremedirequej’étaisfou?Quejedevaistournerlapage?LesilencedeStephanieendisaitlong.C’estprécisémentcequ’elleauraitfait.—Steph, ce type joue désormais dans la cour des grands àWashington. Et il est impitoyable. Je
devaismemontrerprudentjusqu’àcequejedécouvrecequiétaitsiimportantpourluiici,aupointqu’ilcommanditecetteattaquesurnotreéquipe.S’ilavaiteuventquej’étaisaprèslui,j’auraisétéunhommemortavantd’avoireulachancedel’exposersoussonvraijour.
»Jen’ensuisd’ailleurspaspasséloin,ajouta-t-il,désignantd’unlargegestedelamainsoncorpsetsapiètreconditionphysique.J’auraisfiniparyrester,enprison.Ilyauraitveillé.C’estpourquoiilmefallait des preuves concrètes. Sans quoi, je n’ai aucune crédibilité.Nada. C’est ma parole contre lasienne,tucomprends?Iladesrelations.Iln’auraitaucunmalàconvaincrelesinstancesdirigeantesquelaparoled’unancienespiondelaCIAestsuspecte.Lemondeentierpensequelestypescommemoisonttousdespsychopathes,non?Alorss’ilm’accusaitd’êtreunagentrenégat,toutlemonden’yverraitquedufeu…
Ilmarquaunepausepourobserversaréaction.Ellerestasilencieuse,l’écoutanttoujours.Ildécidadeluidiretoutcequ’ilavaitsurlecœur.
—Cene serait pas loinde la vérité, d’ailleurs…Si jamais je neparvenais pas à l’épingler, nonseulementjeseraisestampillé«élémentimprévisible»enproieàundélireparanoïaqueengendréparle«côtéobscur»desaprofession,maiscelaauraitégalementunimpactsurlesMCB.Ilsperdraientleurscontrats.Nateseraitobligédefermerboutique.
Stephaniefronçadavantagelessourcils.— Je sais que ça fait beaucoup à avaler, Stephanie.Mais je connais les règles de ce jeu. C’est
pourquoijesavaisquesi jemelançaisàsapoursuite, jedevaisprendremesdistancesavectouteslespersonnesquim’étaientchères.Jenevoulaispasqu’uninnocentsouffredesretombées.
—Etsituétaismortenprison?Àquoiauraitservitoutçasinonàtefairetuer?Etpersonnen’auraitjamaissupourquoi.
—Natel’auraitsu,répondit-ilavecgravité.Sijamaisjemeurs,monavocatestchargédedélivrerunelettrerévélanttoutelavérité.
DeslarmesdecolèreemplirentlesyeuxdeStephanie.—Maisonn’étaitpasobligésd’enarriverlà.Onauraitput’aider.Ilsecoualatête.—Non.Vousn’auriezrienpufaire.Ilesttroprusé.Pourrésumer,quejepuisseleprouverounon,il
paiera.Etjen’entraîneraipersonne–enparticuliertoi–dansmachute.Ellerestasilencieuseunlongmoment.—Donc,tasoudainedisparition,c’étaitjustepourmeprotéger.Ah,putain.Ilsutoùellevoulaitenveniravantmêmequ’elleluiposelaquestion.Etilsavaitàquel
pointilluiencoûtait.—Etcettefameusenuit…M’as-tumentisurtoutcettenuit-là?Quandtum’asditquetunem’aimais
pas?Leslarmesqu’elleétaitdéterminéeànepasverserfaisaientbrillersesyeux.Çaletuaitdeluimentirànouveau,maisjusqu’àcequecettehistoiresoitfinie…Untéléphonesonna,rompantlatensionpalpable.—Qu’est-ceque…(Illafusilladuregard.)Tun’avaispasditquetun’utilisaispastonportable?—Si.Cen’estpasmonportable.C’estuntéléphonejetable.Elleplongealamaindanssapoche.—Attends.(Illasaisitparlepoignet,l’empêchantderépondre.)Quiacenuméro?—Uneseulepersonne.(Onauraitditqu’onvenaitdeluiôterunénormepoidsdesépaules.)L’homme
quivanoustirerd’affaire.Elles’empressaderépondre.—MonsieurDalmage!fit-ellevivement.Dieumerci!Merciinfinimentd’avoirrappelé.—Putain!Joebonditsursespieds,luiarrachal’appareildesmainsetinterrompitlacommunication.LesyeuxdeStephanies’écarquillèrent,etmalgrélapaniquequiassaillaitJoe,ilperçutsapeur.—Qu’est-cequetufais?J’essaiedelecontacterdepuisquej’aiatterri!—Dalmage?—Oui.GreerDalmage.C’estl’officierdeliaisonaméricainavecl’Unao.—Jesaisquic’est.—Ehbien,ilestici,àFreetown,répondit-elle,haussantlavoixsousl’effetdelaconfusion.Ilpeut
nousaideràfuir.Jet’enprie,rends-moiletéléphone.
—Dalmageestici?Putain!Dalmagen’aaucuneenviedenousaider,ilveutnouséliminer.Il jeta l’appareilpar terre, souleva lachaise,etavec la forcegénéréepar l’affluxd’adrénaline, le
frappaaveclepieddelachaiseplusieursfoisdesuitejusqu’àcequ’ilsecasseenmorceaux.Avecunpeudechance,toutepossibilitédegéolocalisationétaitdétruite.
Essouffléparceteffortphysique,illevalesyeux.CeuxdeStephanieétaientemplisd’horreur.—Tunepigesdoncpas?DalmageestresponsabledelamortdeBryan.Ilarrachalecathéterdesonbrastandisqu’elleregardait,sonnée,sonvisageetlesanggouttantsurle
sol.Ellepensaitqu’ilavaitperdularaison.—Emportelestrictnécessaire.Ons’enva.Ilpassapéniblementdevantelleetouvritlaported’ungestebrusque.—Suah!hurla-t-il,sachantqu’ildevaitmonterlagardedanslecouloir.Onaunproblème.Legarçonfonçadanslachambre,unairinterrogateurdanssesyeuxélargis.—OnpasseauplanB.Joeattrapaletee-shirtsuspenduaucrochetsurlemuretl’enfila,l’adrénalinebloquantenpartiela
douleuralorsqu’ilchaussaitlessandales.—Prendstouteslesréservesdemunitionsquetupeuxporter.Suahs’exécutatandisqueJoeregagnaitlematelasenboitantpourrécupérerleGlocketleKA-Bar
ainsi que plusieurs chargeurs qu’il fourra dans ses poches. Puis il passa le fusil sur son épaule, pritStephanieparlebrasetsedirigeaverslaporte.
Ellerestaclouéesurplace,lesyeuxécarquillésdeterreuretdeconfusion.—Écoute,dit-ilensetournantverselleàlavitessedel’éclair.Onn’apasletempsd’attendrequetu
digères l’infoouque tudécides si je suisunpsychopatheounon.On fiche le camp. Illico.AvantqueDalmageneparvienneànouslocalisergrâceàcetappeltéléphonique.
12
Lasueur ruisselaitentresesomoplateset luipiquait lesyeux.Les lourdesboucleshumidesdesescheveux collaient à sa nuque. La chaleur suffocante, l’épuisement, et la peur se mêlaient, lui faisanttourner la tête.Ce qui lui pesait le plus, cependant, c’était le regard qu’elle vit dans les yeux de Joelorsqu’elles’aplatitàcôtédeluicontreunebâtissedélabréeàdeuxétages.
Il ne supporterait pas de courir ainsi bien longtemps. Il n’était pas encore assez fort. Le soleilécrasantdardaitsureuxsesrayonsverticaux;mêmeàl’ombre,elleavaitl’impressiondesetrouverdansunefournaise.
—PourquoiSuahmet-ilaussilongtemps?maugréa-t-elle.Joetenaitpeut-êtredebout,maisilétaitàpeineconscient.Suahlesavaitquittésquelquesminutesplustôt.Accompagnédesesamis,ilétaitpartiexplorerles
ruespours’assurerqu’ilsnetomberaientpassurunepatrouilledelapolicemunicipale.Ou,commeilsl’avaientdécouvertàleursdépensalorsqu’ilss’apprêtaientàtournerl’anglequelquespâtésdemaisonsplus tôt, sur une unité militaire. Apparemment, la chasse au prisonnier américain évadé s’étendaitdésormaisàtoutelarégion,sicen’estaupaysentier.
Alors, ils attendaient, leurs armes tirées, le cœur battant. Elle ne savait plus combien de ruelles,d’alléesetdebâtimentsilsavaienttraversés.ElleavaitcessédecompterlenombredefoisoùJoeavaittrébuché,faillis’écrouler,etpuisémiraculeusementdanssesdernièresressourcespourrepartir.
Dalmage.Unmeurtrier.Untraître.Commentpouvait-elleycroire?Etpourtant,quandellevoyaitladéterminationbrutedanslesyeuxdeJoe,commentpouvait-elleendouter?
Ellesepassal’ourletdesontee-shirtsurlevisagepourenessuyerlasueur,puisellelaissasatêteretombercontrelemuretrepritsonsouffle.Ellen’étaitcertainequed’unechose.SiJoerestaitdeboutpluslongtempssouscesoleildeplomb,ilsseraientcontraintsdeleconduireàl’hôpital.
La bande de gaze qu’elle avait enroulée autour de son bras, là où s’était trouvé le cathéter, étaittrempéeautantdetranspirationquedesang.Ellenepouvaitsepermettredes’inquiéterd’uneéventuellehémorragie,oud’une infection,oud’unmillierd’autreschosessusceptiblesde lemettresur la touche,alorselleseconcentrasurlespointspositifs.Toutbienconsidéré,iln’avaitpassimauvaisemine.Etàpeinequelquesminutesplustôt,quandilavaitplaquéledoscontrelemur,ilétaittoujourslucide.
Elleluijetauncoupd’œiloblique.Ilavaitlesyeuxfermés,satêteretombaitsurlecôté.—Tuestoujoursavecmoi?chuchota-t-elle.Ilgrogna.—Àmoinsquejenesoisentraindevivreuneexpérienceextracorporelle,ouais,jesuislà.
Sisavoixn’avaitpasétéaussi faible,elleseseraitsentiemieux.Etsi lasituationn’avaitpasétéaussi désespérée, elle l’aurait sommé de la convaincre qu’ils ne venaient pas de gâcher leur uniquechancederentreràlamaison.Maisilsnepouvaientpasrevenirenarrière,iln’yavaitdoncaucunintérêtàinsister.
Suahlesrejoignitàl’angleàcemoment-là.—Venez.Illeurfitsignedelesuivre.CommeJoemettaitdutempsàserepousserdumur,Stephanieluisoulevalebraspourlepasserpar-
dessussonépauleetenroulalesienautourdesataille.Puiselleledélestadesakalachnikovetsemitàmarcher.
—Voilàqueturecommences,fitJoed’unevoixessoufflée,àjouerleshéros.Ellegrognasoussonpoidstandisqu’ilsavançaientpéniblementversSuah.—Çaterestevraimententraversdelagorge,hein?Ilémitunsonàmi-cheminentrelegeignementetlegloussement.—Tun’aspasidée.—Net’inquiètepas,dit-elle,soulagéequeSuahreviennesursespasetseplacedel’autrecôtéde
Joe,ladéchargeantd’unepartiedupoids.Jen’aipasl’intentiond’intégrerçaàmestâchesquotidiennes.Maintenant,économisetonsouffle.Neparleplus.
Cinqminutes,unpâtédemaisonsetune laborieusemontéededeuxétagesplus tard, ilsétaientdenouveauà l’abridansunappartement,beaucoupmoinspetitmais toutaussi spartiateetvétuste.EtJoes’étaitassoupi.
Stephanies’assitdansunvieuxfauteuilenrotinenfaceduminuscule lit, lesdoigts jointsentre lesgenoux,lescoudesappuyéssurlescuisses,etleregardadormir.
Justeavantdesombrerdanslesommeil,illuiavaitattrapélamain.—Pasdemédocs.PasdeDalmage.Promets-le-moi.Commeelleavaithésité,illuiavaitserrélesdoigtsjusqu’àluifairemal.—Promets-le-moi.SurlatombedeBryan…promets-le.Elleavaitfiniparhocherlatête.—Jetelepromets.SurlatombedeBryan.Elleavaitfaitconfianceàcethomme,jadis.Pourquoiluiétait-cesidifficileàprésent?Simplement parce que si elle croyait queDalmage était unmeurtrier, alors elle acceptait la folle
théoriedeJoeselonlaquelleledécèsdeBryétaitlerésultatd’uneespècedeconspiration.Etl’idéequesonfrèreétaitmortàcausedeladuplicitéd’untraîtreluiétaitinsoutenable.
Ilyavaituneautreraisonàsonmanquedeconfiance,carelleavaitcruenJoe,aveuglément,parlepassé.Endépitde toussessecrets,etdesapropensionà luicacherdespartiesde lui-même,estimantqu’ellen’étaitpasassezfortepourlessupporter,ellel’avaitcru.Ill’avaitquittéemalgrétout,etdetouteévidence,iln’avaitpasl’intentionderevenir.
Elleenavaiteulapreuvepeudetempsauparavant,danslapremièremaison.Unesecondeavantquele téléphone sonne, elle avait pris son courage à deuxmains et lui avait demandé de but en blanc :«M’as-tumentisurtoutcettenuit-là?Quandtum’asditquetunem’aimaispas?»
Elleavaitvudanssesyeuxqu’ilétait sur lepointde répondre«non».Non, iln’avaitpasmenti.Non,ilnel’aimaitpas.
Exténuée,elleselaissaretombercontreledossierdufauteuil.Et,lentementgagnéeparlesprémicesd’uneprisedeconscience,elleseditquesi,illuiavaitmentisurtoutelaligne.
Cethommel’aimait.Ill’avaittoujoursaimée.
Ça,elleenétaitcertaine.OK,maispourquoi?Pourquoienétait-elleaussicertaineàprésent?Unedeuxièmerévélation luivint.Elleenétaitcertaineparcequ’elleavait toujoursétécapablede
deviner quand Joe mentait. Que ce soit un parfait mensonge, comme ce « je ne t’aime pas », ouun mensonge par omission, comme lorsqu’il gardait sous silence les ténèbres de son âme pour lapréserver,ellesavaitquandilmentait.
ParcequeJoeétaitunpiètrementeur.Lamalhonnêteténefaisaitsimplementpaspartiedesanature.Etc’estlàquelatroisièmerévélationlafrappa.Et,oh,Seigneur,cequ’elleavaitpuêtrestupide!Ellebonditdesonsiège,revigoréeparunsursautd’énergie.Il luidisait lavéritésurDalmage.Ce
n’étaitpasseulementvraidanssa tête,maisaussidans les faits. Iln’étaitpasdevenufou,commeellel’avaitprésumépendantuntempsparcequ’elleétaitpeinéeetqu’elleavaitdumalàencaissersonrejet,quienréalitén’enétaitpasun,puisqu’ils’étaitefforcédenepasl’impliquerdansseshistoirespourlaprotégerdudanger.
Bon,soit.Celan’avaitriend’unscoop.Ellel’avaitdevinédepuisunmoment.Maisellen’avaitpasassezcreusélaquestion.Sinonelleauraitcomprisqu’unhommequiaimaitautantunefemmecherchaitàluiépargnertoutfardeauqu’elleétait,d’aprèslui,incapabledeporter.EtJoenelacroyaitpascapabledesupporterunetellepression.
Etpourquoipenserait-illecontraire?Qu’avait-ellefaitpourleconvaincrequ’elleétaitassezfortepourendurerlesproblèmesqu’ilaffrontaitquotidiennement?
Elles’avançaversunefenêtre,secouantlatêtedevantsabêtise.Etsalâcheté.Onreçoitcequ’ondonne.Onrécoltecequ’onsème.Toutcequ’elleluiavaitdonné,c’étaitsacompréhensionsilencieuse.Ellenel’avaitjamaisdéfiéou
harcelépourqu’illuiouvresoncœur.Biensûr,elleluiavaitdemandédeluiparler,maisquandils’étaitabstenu,ellel’avaitaccepté.Ellen’avaitjamaisinsisté.N’avaitjamaisfourrésonnezdanssesaffaires.Ne l’avait jamais exhorté à se confier ni n’avait jamais essayé de lui prouver qu’elle était bien plusqu’unefemmequiavaitbesoind’unhommepourprendresoind’elle.
La colère envers elle-même et l’humiliation enflammèrent davantage ses joues déjà rougies par lachaleur. Évidemment qu’il lui avait menti ! Elle l’y avait incité jour après jour avec sa stratégiemalaviséedelelaisserveniràelle,delelaisserdécidersielleétaitàmêmedegérersonlourdpassif.
Ehbien,toutça,c’étaitfini!Àcompterdecetinstant.Elleavaitdécouvertplusd’unechosesurelle-mêmedepuisqu’elleavaitdécollédeDullesquatre
joursplus tôt et atterri àLungi.Toutd’abord,qu’elle était capablede sedébrouiller seule.Elle avaitmentiàlapolice,manipulélesystèmegrâceàdefauxpapiersd’identité,pénétrélesentraillesdecetrouinfernalqu’étaitlaprison,ets’étaitprocurédesarmesenpassantunmarchéavecungangderuenotoire.
Sansoublierqu’elleavaitaidéàorganiseretexécuteruneopérationd’évasion.Elleavaitabritéuncriminel.L’avaitmaintenuenvie.Etellecontinuaitdelemaintenirenvie.
Tuparlesd’un tournantdécisif !Tuparlesd’une révélation !Maintenantqu’elleavait le tempsdes’asseoiretréfléchiràtoutça,ellesevoyaitsousunjournouveau,ausensproprecommeaufiguré,alorsqu’elleapercevaitsonrefletdanslavitreonduléeetstriéedepoussière.
Elleportalamainàsagorgeetsepenchaenavantpouryregarderdeplusprès.C’étaitbienelle,oui,maisenversiondétonnante.Sesvêtementsétaientfroissésetmoites.Sescheveux,ouplutôtsacrinière,s’épandaientenboucleshumidessursesépaules.Etsonvisage…Ilsemblaitégalementchangé.Sestraitsdouxs’étaienttransformés.Elleparaissait…àcran.Déterminée.Expérimentéeetathlétique.
Jedéchire,songea-t-elleavecunpetitsourireridicule,embrassantpleinementcetteidée.
Elleressemblaitnonpasàunefemmequiavaitbesoind’unhommetelqueJoeGreenpourcomblerunvidedanssavie,maisàunefemmequipouvaitcomblerceluiquirégnaitdanslasienne.
Àcetinstantprécis,elledécidaqu’ellenelelaisseraitplusjamaislarepousserdelasorte.Oubliéel’aspirante espionne introvertie et réservée qui restait assise en silence dans un coin et laissait la viesuivresoncours.Elleavaitenfingagnésonanneaumagiqueetellel’arboreraitavecfierté.
Ellejetauncoupd’œilàl’hommeendormiquiavaitbouleversésavie.Ellerefusaitqu’ilcontinueàl’exclureainsietàjouerlesprotecteurs.Cetempsétaitrévolu.Etcettefois,iln’iraitnullepart.
Ils s’échapperaient de ce trou. Elle en faisait son affaire. Et alors, Joe Green découvrirait queStephanieTompkinsétaituneforcedontilfallaittenircompte.
Ilnel’aimaitpas?Untissudeconneries,ouais!Stimuléeparunélandedétermination,elletraversalapièceetouvritlaporte.—Suah!appela-t-elleenseglissantdanslecouloir.Veillesurlui.Jedoissortir.Mêmelegarçonsemblapercevoirenellecetteténacitéfraîchementgagnée,carilneluiditpasde
faireattention.—Turentresquand?—Quandj’enauraifini.Etelledévalalesescaliersenquatrièmevitesse.
Joe se réveilla à la lueur d’une lampe et au son de douces voix.Celle de Stephanie.DeSuah. Ilbalayadu regard lapièce et ravalaun juron. Il en avait vraiment ras lebolde revenir à lui dansdesendroitsqu’ilnereconnaissaitpas.S’ildevaitperdreconnaissanceetnepasserappelercommentilavaitéchouélà,autantquecesoitparcequ’ils’étaitdonnédubontemps.Ceneseraitquejustice.
—Oùsommes-nous?Ilparvintàseredresser.Cene futpas aussidifficilequ’il l’avait prévu. Il avait unpeu le tournis,mais il avait reprisdes
forces.Illesentait.—Kissy,réponditSuahsansleverlesyeuxdelatableoùStephanieetluiétaientassis,discutantà
voixbasse,leurtêtecolléel’unecontrel’autre.Apparuunedizained’annéesplustôt,leghettodeKissyàl’extrêmeestdeFreetownavaitservide
campderéfugiéssouslerégimesanguinairemisenplaceparleRUF.Àprésent,c’étaitunezonedenon-droitgangrenéeparlacriminalité,infestéeparlesgangs.Aprèsréflexion,ilsongeaquec’étaitaussilelieuidéalpourseplanquer.Toutebrigades’aventurantdanscettepartiedelavillelefaisaitàsesrisquesetpérils.
Ilseredressaprudemment,attenditquesonlégervertigepasse,etsedirigead’unpastraînantverslafenêtre.Ilfaisaitnoirdehors,àl’exceptiondel’uniquelampadairequin’avaitpasencoreétééteint.Lesombresopaquesn’adoucissaientguèrelepaysagelugubrequ’offraientlesruesjonchéesdedétritusetlesbâtimentsdélabrésauxvitresbriséesetbarbouillésdegraffitis.
—Tupensesquec’estlemeilleuritinéraire?LesmotsdeStephanielefirentsetournerverslatable.Suahacquiesça.—Moinsdecirculation.Joe s’avança vers eux pour voir ce qu’ils faisaient. Sur un plan de la ville, Stephanie traçait des
routesaucrayon.
—C’estquoi?demanda-t-il.—Unplan,réponditSuahsanschercheràdissimulersonsarcasme.Joetiraunechaiseenboisets’yécroula.—Jevoisbienquec’estunplan,grosmalin.Qu’est-cequevousdessinez?Stephanieseradossaàsonsiègeetcroisaenfinsonregard.—Commenttesens-tu?—Commesij’avaispercutéunsemi-remorque.Qu’est-cequevousdessinez?répéta-t-il.—Unevoiedesecourspotentielle.—Ouais,àcepropos.(Ilappuyauncoudesurlatable,laissatomberlatêtedanssamainetfermales
yeux.)Jedoistrouveruntéléphone.ParleràRafe.Préparerunpland’action.—J’aidéjàparléàRafe,ditStephanie,etjem’enoccupe.Onfichelecampd’icidèsdemain.Àsesparoles,Joerouvritbrusquementlesyeuxetrelevalatête.— Tu veux manger quelque chose ? lui demanda-t-elle soudain. Il y a une glacière pleine de
nourriturelà-bas.Outupréfèresquej’ailletelachercher?—Non,jepeuxlefaire,répondit-ilsurladéfensive,mêmes’ilnecomprenaitpaspourquoiilétait
surladéfensive.Ni pourquoi il était quelque peu déstabilisé par l’intonation deStephanie.Ou l’expression de son
visage.Ill’étudiaalorsqu’elleseremettaitàl’œuvre.Ill’avaittoujoursvuecommeladouceurincarnée.La
douceursensuelle.Ladouceurréconfortante.Cesoir-là,iln’yavaitriendedouxdanssonapparence.Nidanssavoix,d’ailleurs.Elleavaitl’air
sérieuse.Et…distraite,s’aperçut-il.Voireunbrinlasse.Parcequ’elledevaits’occuperdelui?—OK, récapitulons, dit-il, ressentant soudain l’obligation de s’affirmer dans cette arène qui était
censéeluiappartenir.Tuasunplan?Pourfuird’icidemain?Ellesecalacontreledossierdelachaiseetlevalesyeuxverslui.—Commelesgarssonttoujoursinjoignables,RafeacontactéMikeBrown.Ilvientnouschercherà
borddujetprivédesMCB.Mike«Primetime»Brownétaitunancienpilotedelamarine.Autrefois,c’étaitàluiques’adressait
en priorité le Groupe d’Intervention Mercy quand il était question d’infiltrer un lieu ou d’exfiltrerquelqu’un.Browntravaillaitàsoncomptedésormais.ÉtabliquelquepartenArgentine, ildirigeaituneaffairedefretaérien.Etsurtout,ilexcellaitdanssondomaine.
—Brownnousatirésd’unpaquetdesituationsrisquées.—C’estpourquoiNatel’achoisipourlamissionenSierraLeonel’annéedernière,n’est-cepas?Joehochalatête.—Brownnousafaitquitterlazonedeconflitsàborddesonhélicoaprèsqu’onafaitexploserle
campdeSesay.—Ehbien,espéronsnepasêtrelacibledecoupsdefeuquandonatteindral’aéroportdemain.Illadévisagea.—Revenonsunchouïaenarrière.Commentallons-nousnousrendreàl’aéroportexactement?C’est
untrajetdecinqheuresenvoiture,etcessalopardsaurontsûrementbarrétouteslessortiesderoute.Onneparviendrajamaisàlesfranchir.
—C’estpourçaqu’onvaprendreleferry.Onmettradeuxfoismoinsdetemps.—Leferry?Tuasdéjàétésurlesdocks?répliqua-t-il,conscientdesonintonationcondescendante.—Oui,j’aiprisleferrydeLungiàFreetown.
—Danscecas,tusaisquelesquaissontunvasteespaceouvert.Pasd’arbres,pasd’immeubles,pasderuellespourseplanquer.
—Onnevapassecacher.Onn’enaurapasbesoin.Lesdocksgrouillerontdemonde.—Ettunecroispasqueçaposeraunlégerproblèmequandondétonneracommedeuxgrainsderiz
dansunecassolettedeharicotsnoirs?Elleesquissaunsourirecrispé.—Jem’occupedetout,d’accord?L’assurancedanssavoix l’ébranlaaupointqu’il sedemandaun instantquipouvaitbienêtrecette
femme.—Tudoisretrouvertesforces,Joe.Concentre-toilà-dessusetlaisse-moimechargerdesdétails.Etvoilàdenouveaucetonimpatient,quiluiindiquaitclairementqu’elleétaitauxcommandesetqu’il
n’avaitpasàs’enmêler.Venantd’elle,c’étaitunepremière.Stephanien’étaitpasunecarpette,loindelà.Ellen’hésitaitpasàexprimersonopinionetavaitdesidéespertinentes.Etillaconsidéraitcommesonégale.Maisc’étaitjusteque…Putain!Ilnel’avaitjamaisvueaussisûred’elle.
Çaavaitbeaulesecouer,çaluiplaisait.Nonpasqu’elleenaitquelquechoseàfaireétantdonnétoutcequis’étaitpasséentreeux,maisiln’empêchequeçaluiplaisait.
— Il y a une minuscule salle de bains de l’autre côté de la porte, ajouta-t-elle. Et quand je dis«minuscule»,jen’exagèrepas.Quandj’aivérifiétoutàl’heure,ladouchefonctionnait.L’eauestfroide,maisaumoinsonal’eaucourante.
Un luxe dans cette ville qui était pourtant l’une des capitalesmondiales les plus humides.Mêmequand il pleuvait des cordes, les robinets étaient à sec. La municipalité n’avait pas eu la présenced’espritdeprévoirlesbesoinsd’unepopulationcroissante.
—Etj’aiachetédushampoing.Tupeuxyallerlepremier.Ensuite,jechangerailespansementssurtatêteettonbras.Ilyadesvêtementspropresdanslapetitevaliseaupieddulit.
Iljetauncoupd’œilendirectiondecelui-cietremarquapourlapremièrefoislesdeuxbagagesencuiràroulettesd’apparenceonéreuse.Ilseretournapourluidemanderquandelleétaitsortiefairedescourses,maiselleneluiprêtaitdéjàplusattention.Elleluiavaittournéledoset,penchéesurleplandelavilleavecSuah,ellel’avaitpurementetsimplementexclu.
Bordel!Ilouvritlabouchepourdirequelquechose,maisn’ayantpaslamoindreidéedecequ’ilvoulaitdire,
illareferma.Pensif,ils’avançaverslelitetfouilladanslavaliseensilencejusqu’àcequ’iltrouveunbermuda
pour homme couleur bronze. Pas de sous-vêtements. Il s’en accommoderait. Ne rien porter sous seshabits,cen’étaitpassongenre,maisparcettechaleuretcettehumiditéinfernales,çaluiallaittrèsbien.
Ilsedirigeaversladouche,incapabledesedéfairedusentimenttroublantetétrangementsatisfaisantdelaisserlesadultessecreuserlesméningespourlestirerdelà.
13
SaiduBanguraétaitassisseuldanssonbureauplongédansl’obscurité.Unpetitventilateurbruyanttrônaitaucoindela table,nefaisantguèreplusquebrasser l’airétouffantdelapièce.Ilétaitpresque22heures;lajournéeavaitétéaffreusementlongueetn’étaitpasprèsdes’achever.
Avecunepatiencelasse,iltintletéléphonecontresonoreilleetécoutaDalmagefulminer,serendantcompte qu’il haïssait tous les Américains qu’il avait été amené à fréquenter. Ils prenaient de grandsairs, exigeaient ci ou ça, dédaignaient la culture de son pays qu’ils qualifiaient de « sauvage », de«barbare»,«d’arriérée»pourrenforcerleursentimentdesupérioritéetdénigrerlestraditionssierra-léonaisesséculaires.
Ils glosaient sur la justice et les droits de l’homme. Puis ils envoyaient un type comme GreerDalmage, qui prétendait éduquer et éclairer les masses, et instaurer l’égalité, alors qu’en secret ilpoursuivaitsonvéritableobjectifquiconsistaitàexploiterlaSierraLeoneàdesfinspersonnelles.
C’était Dalmage, le vrai barbare. Saidu n’avait jamais été aussi conscient de ce fait pendantque Dalmage hurlait dans le combiné, lancé dans une diatribe si furieuse que Saidu pensa quel’Américainallaitavoiruneautredecescrisesquilefaisaientdevenirtoutrouge,suercommeunporc,etrisquaient chaque foisde lui faireperdre connaissance.Si celadevait arriver,Saidun’en serait guèreattristé.Non,ilnepleureraitpassil’Américainbeuglaitjusqu’àenfaireuninfarctus,s’écroulaitausoletmourait.
Cependant,ledécèsdeDalmageluiferaitperdredesrevenusréguliers,cequirendraitMmeBangurafortmalheureuse.Alors, il était contraint par des chaînes dorées à exécuter les ordres deDalmage. Ils’étaitalliéaudiable,etpoursapénitence,ildevaitsupporterl’iredeDalmageainsiqu’uneépousetropgâtée.Ils’étaitjadisenorgueillidepouvoirluioffrirleluxedontlaplupartdesfemmesdanssapositionnepouvaientquerêver.Àprésent,illeregrettait.Ellen’accepteraitjamaisderetourneràuneexistencespartiate.Elleaimait sesbabioles, sesbeauxvêtements, la fillequivenaitchaquematinpourcuisiner,faireleménageets’occuperdesenfants,aussipourrisgâtésqueleurmère.Etildevaitbienl’admettre,Saidu s’était habitué aux splendides et onéreuses jeunes femmes qui veillaient à ses propres besoinsparticuliers.
Ilétaitcoincédansunesituationqu’ilavaitlui-mêmeprovoquée,songea-t-ilavecunprofondsoupir.IlenduralaragedeDalmagejusqu’àcequelesoudainsilenceluiindiquequec’étaitàsontourdeparler.
—Ilsnefuirontpaslaville,répéta-t-ilavantdeluienénumérerdenouveautouteslesraisons.Lapolice est sur lequi-vive.Nousavonsmis enplacedespatrouilles àpied,despatrouillesmotoriséesainsiqu’unsystèmedeporte-à-porte.L’arméeaenvoyétroisunitéséquipéesjusqu’auxdentsratisserles
ruesdansdesRangeRoversurarmésdepuisqu’onatrouvévidel’appartementdanslequelilss’étaientréfugiés.
IlsavaientratélesAméricainsdequelquesminutes.Saiduconsidéraitqu’ilavaitjouédemalchance,maisDalmagelejugeaitresponsabledecetéchec,etiln’avaitpasmanquédeleluifairesavoir.Ilestvrai qu’il leur avait fourni une localisation précise basée sur une brève communication téléphonique,maisaucundeshommesdeSaidun’étaitdisponibledansunrayondequinzekilomètresdel’adresseàcemoment-là.Franchement,commentaurait-ilpulesattraper?
— Ils se terrent quelque part, dit-il, expliquant pourquoi le prisonnier américain et la femme nonidentifiéequiavaitorchestrésonévasionn’avaientpasétécapturés.Cequisignifiequ’ilssontàl’arrêtpourlemoment.Sionnelesdébusquepasavantqu’ilsrecommencentàbouger,onlestrouveradèsqu’ilsréapparaîtrontenpublic.
LarépliquedeDalmagefutlapidaire.—Retrouve-les.Outuretrouverastafamillemortedemainmatin.Surce,ilraccrocha.LesdoigtsdeSaiduserrèrent lecombinési fortqu’il se fitmal.Lorsqu’ileutànouveau les idées
clairesetunrythmecardiaquerégulier,ilfitcequ’ilauraitdûfairelematinmêmequandavaitdébutécecauchemar.
—Monamour,dit-illorsquesafemmedécrocha.Ilsembleraitquejedoivetravaillertoutelanuit.Embrasselesgarçonspourmoi.Ettransmetsmesrespectsàtatantequandellearrivera.
Lesilenceàl’autreboutdufilluiindiquaqu’elleavaitcompris.UnhommecommeSaidunenageaitpaseneauxtroublesaussilongtempssanss’attendreàcequesaduplicitépuisselerattraperunjour.Ilsavaitquesesconversationsrisquaientd’êtreenregistrées.Ilyalongtemps,enprévisiond’unéventueldanger, son épouse et lui avaient convenu d’unmessage codé. « Transmetsmes respects à ta tante »signifiait«prendslesgarçonsetquittelavilleimmédiatement».
—Jeluitransmettraitessalutations,dit-elled’unevoixlugubreettremblanteavantderaccrocher.Saiduinspiraprofondément,sonsentimentdesoulagementémousséparl’incertitudedesonavenir.Il
passaunemaindégoulinantedesueursursamâchoire,sedemandants’ilreverraitsafemmeetsesfilsunjour.
Joesesentitpresqueànouveauhumainaprèssadouche.Malgréleurpetitecourseàtraverslaville,il se sentait plus fort. Il était temps ! Tout comme il était temps de raconter à Stephanie le reste del’histoireàproposdeDalmage.Lafoiaveugleneluisuffiraitpaslongtemps.
Simplementvêtudushortqu’elleluiavaitacheté,illarejoignitàtable.—Oùesttoncomplice?Elle leva les yeux. Elle parut surprise qu’il soit là, et torse nu. Elle s’empressa de reporter son
attentionsursonvisage.—Suahs’estéclipsépourtâterleterrain.Ilnedevraitpastarderàrevenir.Tuasmeilleuremine,au
fait.—Jevaisbien.Ettoi?Tutienslecoup?—Net’inquiètepaspourmoi.—Ouaisenfin,cen’estpascommesionvenaitdefaireunebaladedansunparc.—Sebalader,c’estsurfait,répondit-elle.Lesondesqu’elleémettaitdisaient:«Laissetomber.»Cequ’ilfitdonc,etalladroitaubut.
—Tunem’aspasquestionnésurDalmage.Elletripotauncoinduplandépliésurlatable.—Jen’enaipasvraiment eu l’occasion.Maisonn’estpasobligésd’enparlermaintenant.Tuas
besoindetereposer.—Alors,tumecrois.Justecommeça.—Àl’évidence,pas«justecommeça».(Elles’appuyacontreledossierdelachaiseetcroisales
bras.)Maisoui,àprésent,jetecrois.—Qu’est-cequiachangé?Ellesouritpresque.—Ilnerestepasassezd’heuresdanscettejournéepourfaireletourdetoutcequiachangé.Iln’arrivaitpasàdevinersonhumeur.Peut-êtreétait-ellesimplementfatiguée.Peut-êtreenavait-elle
assezdesedisputeravecluiàcesujet.Entoutehonnêteté,ilenavaitassez,luiaussi.—J’aimeraisqu’onenfinisse.
Celaneluiplaisaitmanifestementpas,maisellerépondit:—Bien.Maiss’ilteplaît,dis-moiquetuasplusquecettephotoettoninstinctpourétayertathéorie.—J’aibienplus.Mais c’est laphotoquim’aouvert lesyeux.Mapremièrenuit àFreetown, j’ai
commencéàmontrerautourdemoileclichéquej’avaispiquédanslebureaudeChamberlin.J’aitoutdesuite euunepiste.Unhommequi avait été contraint de servir au seinde lamilice duRUFa reconnuDalmage.
Elleremualesépaules,s’installaconfortablement.—D’où?—Il l’avaitvuenchair et enosdansuncampduRUFà lamêmepériodeoù leGIMmenaitdes
opérationsdanslecoin.L’expressiondeStephanieluiindiquaqu’ilavaittoutesonattention.—Cetypeétaitl’undesassistantsparticuliersdugénéralduRUFauxcommandesàl’époque,alors
iln’yapaspluscrédible.D’aprèslui,lesvisitesdeDalmageétaientfréquentes.Legénéraletluiétaientcopains comme cochons. Il a entendu des conversations qui traitaient systématiquement d’échangesd’argent.
Ellefronçalessourcils.—Dalmagetouchaitdespots-de-vin?Ilsecoualatête.—Dalmage,non.Legénéral,oui.Dalmagelesoudoyaitpourqu’ilprotègeunterrainparticulierqui
étaittoujoursaucentredeleursdiscussions.Ellesemblait légèrementébranlée,commesielleavaitdevinéoù ilvoulaitenvenir.Elle luiposa
quandmêmelaquestion.—Etceterrain…oùsesitue-t-ilexactement?—Àmoinsdedeuxkilomètresdel’endroitoùnousavonsétépiégés.Ellefermalesyeuxalorsqu’uneexpressiondedégoûtsepeignaitsursonvisage.—DoncDalmageprotégeaitceterrain.IlaordonnéauRUFdesetenirenembuscadepours’assurer
queleGIMnes’enapprochepas.—C’estça.Etils’estarrangépourqu’onquittelepayslelendemainetafaitensortequel’unitésoit
démanteléepeuaprès.—Qu’yavait-ilsurcettepropriétéqu’ilnevoulaitpasquevousvoyiez?Desminesdediamant?
Cherchait-ilàseplacerdansletraficdepierresprécieuses?
Le sinistre héritage du trafic des diamants de sang de la Sierra Leone était l’hypothèse la pluslogique.Toutefois,ilnes’agissaitpasdecela.
—Aucuneminedediamantsdansunrayondecentsoixantekilomètres.—Alorsquoi?—C’estcequej’essayaisdedécouvrirlanuitoùj’aiétéarrêté.LetypequiaidentifiéDalmagem’a
adresséàunefemmequiavécudanslarégionjusqu’àilyaquelquesannées.Ellenem’apasétéd’unegrandeaide,maisellem’aparléd’unprêtrequiétaitaucourantd’unetransactionfoncièreplutôtlouchequiavaitaffectésaparoisse.
—Celuiquiaétéassassiné?—Ouais.Apparemment,ilavaiteuunaccrochageavecquelqu’undesannéesauparavantparcequ’il
avaitposé lesmauvaisesquestionsausujetdesbonnespersonnes.Ils l’ontpresquetué.Ils l’ont laissépourmort,d’ailleurs,maisundesesparoissiensl’atrouvé,l’arafistolédesortequ’ilsoittransportable,etl’aaidéàsecacher.Ilachangédenom,deparoisse,etapoursuivisavie.
—Alorscommentl’as-turetrouvé?— C’est là que Suah est entré en scène. Cette nuit-là, quand il m’a suivi et m’a proposé son
concours?Jemesuisdit:«pourquoipas?»,etjeluiairacontécequejesavais,cequej’ignorais.Illuiafallumoinsd’uneheurepourretrouverleprêtre.Ilétaitici,àFreetown.
—Cegarçonpossèdedessourcesàfairebaverd’envielaNSA.—Etcomment !Bref, leprêtre étaitnerveux. Iln’apasvoulumeparlerdeprimeabord, et jene
pouvaispasl’enblâmer.Aprèstout,j’auraispuêtrevenupourletuer.(Ilgrommela.)Ironique,non?—Tunepeuxpastereprochersamort,Joe.—Sousquelsystèmejudiciairepourrait-onsoutenirquejesuisirréprochable?Lacolèrequibouillonnaitenluicommechaquefoisqu’ils’autorisaitàpenseraudéfuntprêtrelefit
bondirdesachaise.Avoirentraînéuninnocentdanssavengeancepersonnelleluirongeraitlesentraillesàjamais.—J’aiouvertlaboîtedePandore.J’ignorecommentDalmagel’adécouvert,maislefaitestqu’ill’a
découvert.Etilafaitassassinerceprêtrepourl’empêcherdeparler.—Exactement.Dalmagel’afaittuer.Pastoi.—Mêmerésultat.Ettoutçapourrien.—Tun’aspasréussiàt’entreteniraveclui?—Non.Onserendaità l’entrevuearrangéeparSuah.Onsetrouvaitàunpâtédemaisonslorsque
j’ai entendu les coups de feu.Deuxhommes sont sortis en tirant quandon a atteint la cathédrale. J’airiposté,maisilsontdisparudanslanuit.Quandonestentrés,leprêtreétaitmort.
—C’estlàquelapoliceestarrivée?—Commode,hein?Voilà,tusaistout.Ellerestasilencieuseunlongmoment.—LeprésidentachoisiDalmagepourfigurersurlalistedescandidatsaupostedesecrétaired’État.LesyeuxdeJoes’étrécirent.—Tupeuxrépéter?—Jel’aientenduauxinfosàDullesjusteavantd’embarquer.—Seigneur!Ilfautempêcherça.—Oui.Àtoutprix.Ondoitdécouvrircequ’ilyasurcettepropriété,ajouta-t-ellebrusquement.On
doitdécouvrircequiaincitéDalmageàmettreenpériltoutcepourquoiilatravaillé;saréputation,sonstatut,etmêmeunepotentiellenominationprésidentielle.
C’était exactement ce que Joe avait pensé jusque-là. Mais alors qu’il retournait les paroles deStephaniedanssatête,ileutunerévélation.
—Àmoinsqu’il failleprocéderà l’envers.Peut-êtrequenousdevonsdécouvrir cequi, surcettepropriété,luigarantiraitcettenomination.C’étaitpeut-êtresonobjectifdepuisledébut.
—Jenetesuispas.—Etsiceterrainrenfermaitquelquechosequiluiconfèreunavantage?Nemedemandepasdequel
ordre.Jen’aipasencoreréfléchiaussiloin.Maisdisonsqueçaluipermetted’occuperunepositiondepouvoir.
Ilpoursuivit,considérantcetteidée.—Lespaysdutiers-monden’ontpaslemonopoledesdespoteségocentriquesquiprennentleurpied
àimaginerqu’ilssontdestinésàdominerlemonde.Leslivresd’histoireregorgentdetyranssanguinairesquisesouciaientde laviehumainecommed’uneguigne.Dalmageadémontréqu’ilappartenaitàcettecatégorie-là.
Ilsedirigeaverslecoindelapièce,intimementconvaincudetenirlàunepiste.—Voilàl’énigmeàrésoudre.Cefilsdeputenetirerapasprofitd’uneautremort.Etmêmes’ilsneparvenaientpasàleprouver,JoedemeuraitdéterminéàfairepayerDalmage.Rien
qu’àcet instant ilpassaitenrevuediversscénariosdefaçonàl’abattreetenfinirunebonnefoispourtoutes.
—Tusaisquetunepeuxpasletuer,hein?Ils’arrêtaenpleinefouléeetsetournaànouveauverselle.Vitdanssesyeuxqu’elleleconnaissait
parcœur.—Letuernesuffitpas,Joe,dit-ellesuruntonfroidementrésoluquiluiglaçalessangs.Jeveuxplus
quelamortpourlui.Jeveuxqueletraîtresoitdémasqué.Jeveuxqu’ilsoithumiliésurlaplacepublique.Jeveuxqu’ilsoittraduitenjusticepourlemeurtredemonfrère.Pouravoirbrisélecœurdemamèreetavoirpresqueanéantimonpère.
C’étaitaussicequ’ilvoulait.Maisplusquetout,ilvoulaitlamortdeDalmage.— On doit s’enfuir de la Sierra Leone, poursuivit-elle avec empressement, bien décidée à le
persuaderdeprocéderàsamanière.Ondoitrentreràlamaisonetexploitertouteslesressourcesdontondispose, puis fouiller dans son passé pour déterrer toutes les transactions commerciales, toutes lesdonations, toutes les connaissances, et tous les détails de sa vie jusqu’à ce qu’on ait le fin motdel’histoire.
S’appuyantcontrelatable,elleserelevaetallalerejoindre.—Letuernerésoudrarien,Joe.ÇaferaseulementdeDalmageunmacchabéeetdetoiunmeurtrier
de sang-froid.Même si on parvenait à prouver plus tard sa complicité dans lamort deBry, tu seraistoujoursenprison,etDalmagesixpiedssousterre.Cen’estpassuffisant.
Elle avait raison. Il savait qu’elle avait raison. Pourtant, le besoin de vengeance lui brûlait lesentraillescommeuncharbonardent.
—Pasde tourdepasse-passedemain,ajouta-t-ellesurun tonqui tenaitplusde la requêtequedel’ordre.Onquittecepaysensembleetonfait leschosescommeil faut.Faisons lepayeravecquelquechosequicompteencorepluspourluiquesaproprevie:safierté.Montrons-leaumondeentiersoussonvraijour,celuid’untraîtreetd’unassassin,et ilmourrad’humiliationunmillierdefoisavantquesoncœurnecessedebattre.
Il plongea son regard dans les yeux de Stephanie et sut qu’il ne pouvait lui donner qu’une seuleréponse.
—Bien.Onquittecepaysdèsdemain.
Àcesmots,ellesedétenditvisiblement.Illevalamainetlaportaàsescheveux,mûparlebesoinderéconforterlafemmequ’ilaimait,aussiprimordialetimpérieuxqueceluiderespirer.
Une impulsion instinctive le sommade l’embrasser. Il n’en avait pas le droit.Mais lorsqu’elle sepenchaverslui,ildevinaqu’elleétaitaniméeparunenécessitéaussiurgenteetfortequelasienne.
UndésirardenttransparutdanslesprunellesdeStephanielorsqu’ilpritsatêteencoupeetinclinasonvisagevers lesien.Dieuque la facilitéavec laquelleelle l’avait toujoursaccueilli luiavaitmanqué!Toutcommesaredditiontotalementdénuéederemords,quimarquaitsontriomphe.
Ilbaissalatêtejusqu’àcequesabouchenesetrouvequ’àunsouffledelasienne,et…Suahdébouladanslapièce.Stephaniefitunbondenarrière,troubléeetembarrassée.—Toutvabien?Suahhochalatête,regardantd’unairstoïque(etunpoilpossessif)lajeunefemmepuisJoe.—Est-cequetoutvabien,ici?Lepetitlascarsavaittrèsbiencequ’ilavaitinterrompu.EtJoeremarquasoudainqueSuahavaitun
énormebéguinpourStephanie.Intéressant.—Oui,répondirent-ilsàl’unisson,commes’ilnes’étaitrienpassé.EtgrâceàSuah,songeaJoe,morose,ilnes’étaitrienpassé.
14
Legarçonétaitsimince.Stephanieavaitbiendumalàtempérersoninstinctmaternelensaprésence.Mais elle comprenait qu’elle devait prendre Suah avec des gants au risque de froisser sa natureindépendante. Il refusait de manger par pur esprit de contradiction, pour prouver qu’il pouvait s’enpasser.
Cependant, le maternage fonctionna ce soir-là. Elle les nourrit tous les deux, évitant tout contactvisuelavecJoetandisqueSuahleurdressaituncompterendudelasituationàl’extérieur.
LesforcesdepolicedeFreetownaucompletsemblaientprendrepartàlachasseàl’homme.L’arméesierra-léonaise, également mise à contribution, multipliait le facteur d’intimidation en patrouillant lesruesàborddevéhiculestout-terrainéquipésdemitrailleusessurlecapot.
—Etlesgarçons?Ilsvontbien?Ilsavaientprisd’énormesrisquespourJoeetelle.—Ilssaventsedébrouiller,réponditSuah.Joe,quiétait restémuetpendant tout l’exposé,serepoussade la tableetmarcha jusqu’au lit.Sans
prononcerunmot,ils’allongeaetsecouvritlesyeuxavecsonavant-bras.Elleconnaissaitcesilence.Laculpabilitéledévoraitànouveau.Etcommeiln’yavaitabsolument
rienàfaireouàdirepourl’apaiser,Stephanielelaissaseul.Elleespéraitqu’ils’endormirait;ilavaitencorebesoinderepos.Ilauraitbesoindetoutessesforcespoursupporterlajournéequilesattendait.
Etelleaussi.—Tudevraispasserlanuitici,proposa-t-elleàSuahquandilseleva,fourrantunmorceaudepain
danssapoche.Iln’yavaitaucuneraisondecroirequeDalmageoulapolicesavaientqueSuahlesaidait,mais il
n’empêchequ’elles’inquiétait.—J’aiprisd’autresdispositions.(Ilsedirigeaitdéjàverslaporte.)Soyezprêtsà9heuresdemain
matin.—Suah.(Ellel’arrêtaavantqu’ilaitpupartir.)Jenesaispascommentteremercier.L’espace d’un instant, les yeux de l’adolescent trahirent son embarras. Il connaissait ces rues
dangereusescommesapoche,ilétaitcapabledesurvivredanslesbas-fondsdelavillesanslesecoursdepersonne,maisilignoraitcommentrépondreàdesimplesremerciements.
Alors,ildétournalatêted’unairdétaché,commed’habitude,etpivotapourquitterlapièce.Ellen’avaitaucuneintentiondelelaisserfaire.Ellelerejoignitdevantlaporte,plaçalesdeuxmains
sursesmaigresépaulesosseusesetl’obligeaàluifaireface.
—Passûrqu’onaitletempsdemain,alorsjetiensàtelediremaintenant.Tuesunhommebien.Unhommebon.
À l’évidence gêné par le compliment et l’affection dans sa voix, il hocha la tête avec raideur ets’apprêtaàpartir.Cettefois,ellel’enempêchaenenroulantlesbrasautourdeluipourleserrercontreelle.Ellecontinuadel’étreindre,mêmesi,danssesbras,ils’étaitfigécommeunmincetroncd’arbre.
Quandelles’écartaetluieffleuratendrementlajoueduboutdesdoigts,ellevitquecetteapparenteimpassibilitén’étaitqu’unefaçade.L’espaced’unbrefetdéchirantinstant,cesimmensesyeuxbrunsluiparlèrentdedésiretdedeuil,etd’unchagrinquiluitransperçal’âme.
—JedemanderaiàBekahetquelquesautresdemonterlagardecettenuit,dit-il,roulantlesépaulesenarrière.Personnen’approcherasansqu’onensoitavertis.
Puis il disparut. Laissant Stephanie regarder fixement la porte fermée. Si seulement ils pouvaientl’emmenerquandilsfuiraientlepays!
C’étaituneidéeridicule,ellelesavait.Letempspressait,etilsn’étaientpasenpositiondesolliciteruneautorisationdiplomatiquepourSuah.IlnequitteraitjamaislaSierraLeone,etmêmesiparquelquemiracle,quelqu’unrendaitcelapossible,ilyavaitpeudechancesqu’iloublielesatrocitésetlesabusdesonenfance.Ouqu’ilsouhaitepartir.
Lecœurlourd,elleverrouillalaporteetseretournapourvoirqueJoes’étaitrendormi.Ellerepensaaubaiserqu’ilsavaientfailliéchanger.Sageounon,ellel’auraitlaissél’embrassersiSuahn’étaitpasrentréàcemoment-là.
Elle regarda Joe dormir avec satisfaction, carmême s’il était toujours en piètre état et bien tropmaigre, ilétaitpropre,etsesblessurespansées.Etpour lapremièrefoisdepuisqu’ils l’avaient traînédanslacamionnette,ilsemblaitpleinementsereposer.
Ellefouilladiscrètementdanslavalisequ’elleavaitrapportéedesonexpéditionetentiraunejolierobed’étéentoiledecotonbleuequ’elleavaitachetéeaumarchéquandelleavaitchoisilesvêtementspourleurgrandemascaradedulendemain.Puisellesedirigeaversladouche,savourantlaperspectivedelaverlesmultiplescouchesdecrasse,desueuretdetension.
Propre et plutôt redynamisée, même si elle se contentait de quelques heures de sommeil à peinedepuisplusieursjours,Stephaniesortitdelaminusculesalled’eauvêtuedesanouvellerobetoutenseséchant les cheveux avec une serviette élimée – une autre trouvaille dumarché. Joe dormait toujoursmêmesil’ampoulequipendaitauplafondétaitencoreallumée.
Qu’ilsaientl’électricitéétaitexceptionnelensoi.Elles’étaitviterenducomptequeleslumièresàFreetownavaientgénéralementtendanceàdéfaillirauxpremierssignesd’averses.
Elles’avançaverslafenêtreethumal’odeurdel’ondéequiavaitlégèrementrafraîchil’airetchassélesécœurantsrelentsurbainsquialternaiententreagressionolfactiveetfestinexotiquepourlessens.
Elleinclinalatêtesurlecôtéetsefrottalescheveuxaveclaserviettetoutenpensantàlamaison.LefroidpiquantduMaryland,l’hiver,luimanquait,toutcommelesruesenneigéesquirendaientparfoislaconduitepérilleuse,etlespare-brisegivrésdontelleseplaignaitquand,aupetitmatin,elledevaitalleraubureau.
Elle n’avait presque pas pensé à son travail depuis son arrivée. En aurait-elle toujours un à sonretour ? Elle s’aperçut, sans vraiment s’en étonner, que si la NSA décidait de la renvoyer, elle s’enaccommoderait. Cette « aventure » l’avait transformée. En profondeur. Elle doutait de pouvoir sesatisfaired’unemploidebureaudorénavant.Rhonda luienvoudraitpeut-êtrede la laissergérer toute
seule les répercussions,mais elle serait également fière, songeaStephanieavecunpetit sourire secrettandisquelapluiemartelaitletoitentôle.
Ellejetalaserviettesurledossierd’unechaiseetentortillasalourdechevelurehumideautourd’unpic,savourantlanormalitédecetacteméthodique.Ellenepouvaitempêchersonespritdevagabondervers l’homme étendu sur le lit, et qui, s’aperçut-elle lorsqu’elle entendit un vieux ressort craquer, nedormaitplus.
Nonseulementilétaitéveillé,maisill’observait.EllelesentitauxpicotementsquiluiparcoururentsoudainlapeauetàlarespirationsaccadéedeJoequ’ellepercevaitavecuneconsciencesuraiguë.
Il était excité, lui aussi. Elle le savait comme elle avait toujours su le toucher, le combler, lepersuaderdeprendreetdedonnerduplaisirendesfaçonsdontelleavaitignorél’existencejusqu’àcequ’ellelerencontre.
C’étaitmal,s’admonesta-t-elle,deprofiterd’unhommedontlaconditionphysiqueneluipermettaitpasde luttercontre lapuissanteattirancesexuellequiavait toujoursexistéentreeux.Elleauraitdûsesentircoupabledefeindreainsil’innocence.Orelleneressentaitriend’autrequedelaconcupiscence.
Etdupouvoir.Lepouvoirqueluiconférait lalégèreétoffedesarobequinefaisaitrienpourcacherqu’elleétait
complètementnueendessous.Lepouvoirqu’elleexerçaitsurluiavecsasilhouettemiseenvaleurparleslumièrespâlesdesruesquifiltraientparlafenêtre.Lepouvoirdansl’assurancequesondésircroissantnourriraitceluideJoe.
Alors,elleenabusa.Sansvergogne.Parcequ’ellen’avaitpassimplementbesoindesesentirfortecettenuit-là.
Ellearqualedos,levalesbrasau-dessusdelatêteets’étiralentement,langoureusement,semettantvolontairementdeprofilafindeluioffrirunevueimmanquablesursesseinspleinsetfermes.
Ileneutlesoufflecoupé.Tout comme elle, devant la puissance viscérale de sa réaction. Elle ne pouvait rester loin de lui
davantage.Ellesetournaverslui,baissadoucementlesbras.—Jet’airéveillé?murmura-t-elle.Ildéglutitavecpeine,etelleputvoirsonpoulsquibattaitfortetvitesursoncou.Ellefrissonnadedésir.Labrutalitéetlaforcedecetélanladégrisèrent.Peut-êtren’était-cepasune
sibonneidée.Elleseforçaàreculerd’unpas.—Commenttesens-tu?luidemanda-t-elle,lesdétournantdufeudévorantquibrûlaitentreeux.Ilsemblasoulagédecerépit.—Fatiguéqu’onmeposetoutletempscettequestion.Sonimpatiencelasseendisaitlongsursafrustration.Etsanervositésous-jacenteluidisaitaussià
quelpointilétaitdifficilepourluidenepaspenserexactementàcequ’elleavaitentête.Davantagedesavoir.Davantagedepouvoir.Audiablelaprudence.Elledécidadenepasluifaciliterlatâche.Rassemblantsescheveuxd’unemain,ellelessoulevasur
sa nuque, laissant la brise rafraîchir sa peaumoite.Une autre pose impudique.Une autre provocationdélibérée.
Ilempoigna ledrapet le tirasursesgenoux,maiscelanedissimulaguèresa réactionfaceàcettetentativedeséductioncalculée.Ilétaitaussiperduqu’elledanscejeuqu’elleavaitentrepris.
Cen’étaitpassage. Il fallaitqu’ilsse reposent.Le lendemains’annonçait rudeetdangereux.Maiscelafaisaitsilongtemps.Etelleavaitétésibêtedenepasleretenir.
Ellelaissatomberlesmainsets’avançaversluid’unpasdécidé.Finidejouer.Une tension sexuelle qu’elle ne reconnut que trop bien s’empara du corps de Joe, crispant ses
muscles,échauffantsapeau,changeantlacouleurdesesirisnoisettequiseparèrentderefletscendrés.Lestendonsdesoncouseraidirentlorsqu’ildéglutitsansjamaislaquitterdesyeux.—Qu’est-cequetufais,Stephanie?Savoixrauqueluidonnadesfrissons.Elles’arrêtaprèsdulit,avecunsourire.—Situnel’aspasencoredeviné,alorstuesplusmalenpointquejenelepensais.Ilpoussaungrondementdefrustration.—Tupeuxmecroire.J’aipigé.Maisjenecomprendspaspourquoituvoudraisfaireça,après…—Chut.(Elleappuyaleboutdel’indexcontreseslèvres.)Iln’yapasd’après.Pasd’avant.Rien
queleprésent.Contentons-nousduprésent.Ellen’avaitnulleintentiondelelaisserpataugerdansceseauxtroubles.—Rienqueleprésent,murmura-t-elle.Puis,soutenantsonregard,ellefitglisserlesbretellesdesarobesursesépaules,lelongdesesbras,
etlaissalevêtementtomberausolautourdesespieds.—Respire,lesomma-t-elled’unevoixérailléeavantdetirersurledrappouratteindrelabraguette
desonbermuda.Joeposalesmainssurlessiennes.—Steph…—Chut.(Ellelesrepoussaavecdélicatesse,etd’ungesteprudentpleindetendressefitdescendrele
shortsursesjambes.)Jeprometsdenepastefairemal.Elleapprécialesonétranglé,prochedurire,quis’échappadesagorge.Suividel’inévitablesourire
delacapitulation.Ellesepenchaet,prenantgardeàsapauvrelèvrefendue,l’embrassa.Rienquedeuxbouches,doucesetsouples,quiserappelaientlasaveurdel’amour,lasensationqueprocuraitl’amour,etlasimplicitémêmedel’amourquandseull’instantcomptait.
Lorsque leurs souffles semêlèrent dans ungémissement, elle se penchadavantage, et sentit unvifcourantélectriquetraversersoncorpsalorsquelapointesensibledesesmamelonseffleuraitsontorsemusclé.
Ellel’embrassaavecfougue,s’abandonnantàcecontactetàceplaisiravantdefinalementleverlatête,decroisersonregardetd’accepterlavérité.Ildétenaitlepouvoir,paselle.Ilavaittoujourseulepouvoirsurelle.
—Dis-moiquetuneveuxpasetj’arrêterai,luisusurra-t-elle,unepromesseautantqu’unesupplique.Elleattendituneéternitépendantquesesyeuxsondaient lessiens.Puis ilplongea lamaindanssa
chevelure,attirantdenouveausabouchecontre la sienne,et semità l’embrasseravecune impatienceépoustouflantequimodifial’équilibredupouvoir,enfaveurdeStephanie.
Donner.Recevoir.Flux.Reflux.Celaavaittoujoursétéainsientreeuxquandilsétaientnusetrongésparunbesointorrideetperdusl’undansl’autre.Etilenseraittoujoursainsi.
Tremblanted’excitation,ellegrimpasurlelitets’installasurleshanchesdeJoeavantdeguidersamainverssonintimité,moiteetgonflée,etvibrantededésir.
—Touche-moi.Jet’enprie,touche-moi.Ilglissaundoigtenelle,etlefitalleretvenir,doucement,effleurantdupoucesonclitorisjusqu’àce
qu’ellesoupiresonnometluichevauchelamainavecpassionetabandon.Seigneur, que cette exquise pression quimontait et se décuplait, et la transportait au-delà d’elle-
mêmedansunroyaumedevoluptédévorante, luiavaitmanqué!Toutenelleexigeaitqu’ellese laissesubmerger,qu’elleselaisseplaner.Maiselledevaitfaireattentionàlui.
Alors même qu’il soulevait le bassin, lui faisant perdre la tête en appuyant contre elle toute lalongueur de sa puissante érection, alorsmême qu’il prenait ses seins en coupe et en titillait la pointejusqu’àcequeladouleurledisputeàunedélicieusesensibilité,ellesavaitqu’elledevaitsemaîtriser.
Ilpesaitdixkilosdemoinsquesonathlétiquepoidsdeforme.Ilseremettaitd’uneépreuvequiauraitanéanti un homme de moindre valeur. Il pensait peut-être qu’il avait suffisamment récupéré pours’adonneràunevigoureusepartiedejambesenl’air,maisellenepartageaitpascetavis.Etc’étaitellequiavaitbesoindereprendrelecontrôle.
—Doucement,murmura-t-ellepuis,empoignantsavirilitégonflée,leguidalàoùétaitsaplace.Ilposalespaumessurseshanchestandisqu’ilrestaitimmobile,profondémentenfoncéenelle.Elle
laissaéchapperunhalètementàsoncontact,duretlisse,etchaud,uncondensédeJoe.—Çava?luidemanda-t-elledansunsoupir,sepenchantversluietpressantleslèvrescontreson
oreille.Ilgrommelauneréponseaffirmative.Secalantsurlerythmequ’ilavaitimposé,ellesemitàremuer
lentementlebassin,dehautenbas,s’agrippantaumatelasdepartetd’autredesesépaules,veillantànepass’appuyersursescôtesfêlées.
—Jetefaismal?— Oh, non, répondit-il entre ses dents, cherchant de nouveau ses seins avec les mains, lui
enjoignantdesebaisserdavantagetandisqu’ilrapprochaitlabouchedesonmamelon.LeslèvresdeJoeétaientmagiques,salangueimplacabletandisqu’illéchait,mordait,etjouaitavec
sontétonsensiblejusqu’àcequelebesoindes’abîmerdansl’abandonultimelesenflammetouslesdeux.—Ondoitenfinir,dit-elled’unevoixhaletante,avantquel’undenousseblesse.Ilgloussa toutbas,passaunedernière fois la languesursonmamelon,et la laissase redresserde
sortequ’ellesoitassiseàcalifourchonsurlui.—Jet’enprie…fais-moimal.Elleritetlevalesbrasau-dessusdelatête,sachantqu’iladoraitl’admirerainsi.Qu’iladoraitfaire
glissersespaumessursonventre,lesemplirdupoidsdesesseins.Enfin,ellecommençaàbouger.Lentement,suivantunrythmerégulier,savourantchaqueseconde.—Non,chuchota-t-ellelorsqu’ilsoulevalebassinpouralleràsarencontre.Resteallongé.Laisse-
moifaireçapourtoi.—N’ycomptepas,murmura-t-ilenretouravantdeluiempoignerleshanchespourleurimprimerune
cadencerapideetenfiévréequiamenaStephanieàenfoncerlesgenouxdanslematelasetlesonglesdanssesépaulestandisquesarespirationpantelantes’échappaitdesagorgeenbrusquessaccades.
Tendantlebrasverselle,iltrouvadenouveausonclitoris,etlapropulsaauseptièmeciel.Ellehurlaalorsqu’ilseraidissait,s’arc-boutaitetsedéversaitenelle,prononçantsonnomdansun interminablegémissementd’abandonpendantqu’ilsjouissaientensemble.
Ilmitunmomentàreprendresonsouffle.Pendantplusieursangoissantesminutes,ellecraignitdeluiavoirréellementfaitmal.Lorsqu’elleeutrecouvréassezdeforcespourbouger,elleseredressasursesjambesflageolantesetsedirigeaverslasalledebains.Elleenrevintavecuneserviettemouilléefraîchequ’elle passa sur le visage en sueur de Joe, puis, délicatement, sur sa cage thoracique avant qu’il neprennelerelaisetfinissedesenettoyer.
—Çava?s’enquit-elle.Illuiattrapalepoignetetl’attirasurlelit,àcôtédelui.—Tudoisarrêterdemedemanderça.Mais,pourinfo,jevaisfantastiquementbien.Aprèsquoi,ilrestasilencieuxsilongtempsqu’elleenconclutqu’ils’étaitassoupi,jusqu’àcequ’elle
sentesonpouceluieffleurerl’intérieurdupoignet.Unedoucecaresseàl’endroitoùbattaitsonpouls.Un
prélude.—Steph…àproposdecequej’aidit…—Non.Reconnaissantcetteintonation,ellepritappuisursonbraspourseredresseretleregarder.Ilétaitsur
lepointdeluidemanderpardon,etellen’avaitaucuneenviedel’écouter.Pascesoir.—Jeneveuxpasdiscuterdeçamaintenant,déclara-t-elle.Jeneveuxpasparlerdecequetuasdit
oun’aspasdit.Decequetuvoulaisdireounepasdire.Pasmaintenant.»Maistiens-toiprêt,Joe.Quandtoutçaseraterminé,quandonficheralecampd’icietqueDalmage
paierapoursescrimes,tuvasavoiruntasdechosesàm’expliquer.OK?Untas.Ilscrutasesyeux,etfinitparhocherlatête.Ellenedoutaitpasqu’ilavaitcompris.Il se confierait enfin à elle. Sinon, peu importe combien elle l’aimait, peu importe combien
ellesouhaitaitl’avoiràsescôtés,ellelequitteraitpourdebon.
15
Le lendemain matin, Joe était assis sur le bord du lit et regardait d’un air renfrogné la veste decostumeen linblancsuspendueà son indexgaucheet lachemiseensoiebleuesuspendueà son indexdroit.
—C’estcequetuentendaispar«jemechargedetout»?Oùas-tudégottécesfringues,d’ailleurs?—T’occupe, réponditStephanied’unevoixenjouée tout en seglissantdansunpetit débardeur en
soie vermillon qu’elle coinça à l’intérieur d’une très courte jupe portefeuille à imprimé floral. (Ellesouritpar-dessussonépaule.)Suahconnaissaitungarsquiconnaissaitungars.
Suahconnaissaittoujoursungars.—Unbrintape-à-l’œil,tunecroispas?Elleaffichauneminehilare.— Carrément tape-à-l’œil. Ils sont à la recherche de fugitifs, pas de touristes américains
extravagants.Ilfutfascinéparlacourbesensuelledesonaffriolantpostérieurlorsqu’elleplaqualapaumecontre
lemurpourgarderl’équilibreetenfilaunepairedesandalesrougesàtalons.—Aucunindividudésirantsesoustraireàlajusticen’oseraitporterdescouleursaussicriardesde
peurd’attirerl’attention,poursuivit-elle.Ildétournalesyeuxavantdelesposerànouveausursesseins,toutaussiremarquablessouslasoie
quilamoulaitcommeunesecondepeau.—OK.Jevoisletopo.Desbagagesàmainhorsdeprix.Desvêtementsclinquants.Ons’exposepour
mieuxsecacher.Ilyajusteunpetitproblème.(Illuimontradudoigtlepansementsursatête.)Çarisquedenousfairerepérer.
—J’ailasolution.(Ellefouilladanslagrossevalise.)Essaie-lepourvoirs’ilteva.Elleluilançaunchapeaupanamacouleurpaillequ’ilattrapaauvoletposadélicatementsursatête,
l’inclinantsurlecôtéafindedissimulerlebandage.—Parfait ! (Elle luidécochaunsourireet filadans lasalledebains, s’emparantaupassaged’un
sachetdanslavaliseouverte.)Jedoism’occuperdecettetignasse.Il la regarda s’éloigner en silence, car il n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait dire. La nuit
dernière…Bontédivine.Lanuitdernièreavaitété…Paroùcommencer?Époustouflante?Incroyable?Sensationnelle?Toutcelaàlafois.Maissurtout,elleavaitétécomplètementinattendue.
Il se leva et enfila la chemise, fermant lentement les boutons tandis qu’il réfléchissait à lamétamorphose de Stephanie Tompkins. Elle avait toujours été cette femme follement sensuelle. Il se
figuraitl’eaucalmequandilpensaitàelle.Discrète.Jamaissoumise,mais…passive?Peut-être.Était-cel’adjectifqu’ilrecherchait?
Tout cela avait changédu jour au lendemain.À lamanièred’un réacteurnucléaire, fissionnant lesatomesetdéplaçantlamatière,cettenouvelleStephanieprenaitleschosesenmain,gardaitlecontrôleetnefaisaitpasdequartier.Ilenrestaitbaba.
Onpeutdirequ’ellel’avaitimpressionnélanuitdernière!Il aurait sans doute dû être un peu intimidé par cette situation,mais il ne l’était guère. En fait, à
présentquelebrouillardenveloppantsonesprits’étaitlevé,ilétaitfascinéetbienplusquelégèrementépris. Il était également curieux de découvrir ce qui avait précipité cette transformation et l’avait faitpasserdesensationnelleàexceptionnellementincroyable.
«Maistiens-toiprêt,Joe.Quandtoutçaseraterminé,quandonficheralecampd’icietqueDalmagepaierapoursescrimes,tuvasavoiruntasdechosesàm’expliquer.OK?Untas.»
OK.Lemessage implicite l’intimidait bel et bien.La veille, elle lui avait posé un ultimatum.Luiavait fait comprendre de façon limpide que leur relation était condamnée s’il persistait à lui refuserl’accèsàcettepartdesonâmedontilvoulaitquepersonnenes’occupe.Àdirevrai,ilnevoulaitmêmepass’enoccuperlui-même.
Celaimportaitpeuàprésent.Lemomentdevéritéapprochait.Etsursavie,ilignoraits’ilétaitàlahauteur.Enunclaquementdedoigts,ilétaitderetouràlacasedépart.Craignantdelaperdres’ilneluiavouaitpastout,craignantdeperdreunepartiedelui-mêmes’illefaisait.
Ilsepassaunemaindanslescheveux.Quandlasituations’était-ellerenversée?Etcommentyétait-elle parvenue en un tour de main ? Il l’avait abandonnée, pourtant. Il l’avait abandonnée afin de laprotéger.
—Onpeutdirequeçaafonctionné,crétin,grommela-t-il,coinçantlespansdesachemisedanslepantalonenlinassortiàlaveste.
Ilauraitsouhaiténepassesentiraussiuséquel’eaudevaisselledelaveille.Laportedelasalledebainss’ouvrit,écourtantsaréflexion.SaintemèredeDieu,regardez-la!La Stephanie brune, avec ses longues boucles lustrées voltigeant autour de son visage était d’une
beauté classique, sans chichis. La Stephanie blonde, avec sa perruque courte et provocante qui luiencadraitlevisageetfaisaitressortirsesimmensesyeuxbrunsétaitunfestinpourunhommeaffamé.
—Qu’endis-tu?Elle prit une pose de star avec sa coiffure sexy, ses courbes drapées de soie et son gloss rose
groseille.— J’en dis que j’aimerais bien que tu gardes cette perruque pour… euh… plus tard. Le rouge à
lèvresaussi.S’il avait ne serait-ce que lamoitié de son endurance habituelle il la plaquerait contre lemur et
verraitcombiendetempsilluifaudraitpourglisserlesmainssouscettejupe.Elle arbora un grand sourire, rougit avec coquetterie, puis changea de sujet en attrapant la
vesteenlin.—Voyonssielletesiedaussibienquelepanama.C’étaitlecas.Maisçaluifaisaitbizarredeporterànouveaudeschaussettesetdeschaussuresaprès
avoir vécupiedsnuspendant des semaines.Tout commeça lui fit bizarre de rester en retrait et de lalaisser s’occuper de tout quand elle lui annonça sans détour que le spectacle allait commencer. Lespectaclequ’elleavaitmisenscènetouteseule.Etjusqu’àprésent,ilnetrouvaitrienàyredire.
Une vieille limousine bien entretenue les attendait dans la rue. Les vitres teintées, d’un noir trèsfoncé,nepermirentpasàJoed’envoirl’intérieur.Bekahlesdébarrassadesbagagesencuiretlesrangea
dans le coffre. Les deux valises étaient pleines de vêtements et de souvenirs pour touristes, de sortequ’ellespèsentlourdetpassentpourauthentiquesaucasoùilsseferaientappréhenderetfouiller.
PuisBekahfitletourduvéhiculeetouvritlaportearrièrepourJoeetStephanie.La jeune femme était sur le point de monter lorsqu’une Range Rover remplie de soldats armés
traversalarueenvrombissantpours’arrêterdevantlalimousinedansuncrissementdepneus.—Merde,grommelaJoedanssabarbe.Ils étaient foutus. SonKA-Bar était attaché au-dessus de sa cheville, le Glock 17 coincé sous la
ceinturedesonpantalon,etStephanieavaitcachésonpropreGlockdanssonsacàmaintape-à-l’œil.Lapuissance de feu qu’ils détenaient face à cette flopée de militaires équivalait à David brandissantunlance-pierrecassédansuncombatcontreunGoliathsousstéroïdes.
—Tupeuxcourirvite?chuchotaStephanieàBekah.—Aussivitequelevent,réponditlegarçonavecl’assurancedeceluiquiconnaissaitsesforceset
savaitqu’ellesn’allaientpastarderàêtreéprouvées.—Alors,vas-y.Fonce.Bekahfilacommeunbolidedeformule1avantmêmequ’elleaitcommencéàhurler:«Auvoleur!
Auvoleur!Arrêtez-le!»,etdisparutavantqueStephanielanceunenouvellesalvedecris.—Ilm’avolée!Pourquoifaireunechosepareille?ElletournaversJoedegrandsyeuxtristes,jouantlaprincessehorrifiéeavantdebraquerunregard
accusateur sur la trouped’assaut qui venait dedescendredu4×4 et s’avançait vers eux, leurs fusilschargésetprêtsàtirer.
—Pourquoinelepoursuivez-vouspas?demanda-t-elleauxsoldatsaveclavoiximpérieused’unepétasseaméricainepleineauxasetpourriegâtée.Nerestezpasplantéslà!Vousnepouvezpaslelaissers’entirercommeça!Nousessayionsdel’aider.Nousnoussommesseulementarrêtésparcequ’ilavaitl’airdemourirdefaim,n’est-cepas,chéri?
ElletournaànouveaucesyeuxtristesversJoe.—Jet’enprie,calme-toi,monange,répondit-ilavecl’accenttraînantduSud,celuidesesorigines
géorgiennes.Soiscontentequ’iln’aitpassortiuncouteau.Oupire,unpistolet.Net’avais-jepasditques’arrêterétaitunemauvaiseidée?Cenesontquedepetitssauvages.N’ai-jepasraison,messieurs?
Ilgratifiad’unsourirefrancleshommesdontlaposturehostileetsuspicieuseàpeinedeuxminutesplustôtdénotaitàprésentleméprisàpeinedissimuléqueleurinspiraitcestupidecoupled’Américainsenquêted’exotismequis’étaitretrouvédanslepétrin.
—Monportefeuille,s’écriasoudainStephanie,indignée,enplongeantlamaindanssonsacqu’ellesemitàfouillerfrénétiquement.Ilavolémonportefeuille!geignit-elle.C’étaitunLouisVuitton!MonLouisVuittonpréféré!Lerose!
Elle laissa couler une larme et pressa le front contre le torse de Joe. Il enroula un bras rassurantautourdesesépaules.
—N’ya-t-ilrienquevouspuissiezfaire?leurdemanda-t-ilpar-dessuslatêtedeStephanie,commeunhommequisavaitl’enferquil’attendaitsilapetitedamen’obtenaitrienendédommagement.
—Pourcelui-là,c’esttroptard.Àpartirdemaintenant,vousdevrezfaireplusattentionauxendroitsoùvousallez.
L’intonation du chef de troupe indiquait distinctement le fond de sa pensée ; les deuxAméricainsn’avaienteuquecequ’ilsméritaientetneprésentaientplusaucunintérêtàsesyeux.
D’ungestedumenton,ilfitsigneàsessubalternesdelesuivrejusqu’au4×4,pourreprendreleurtraquedesfugitifsaméricains.
—Seigneur!
Joeluitapotaittoujoursledospourlaconsolertandisquelessoldatsquittaientlarueàtouteallure.—C’étaitmoinsune,dit-elle,grimpantsurlesiègearrière.Iljuratandisqu’ilmontaitaprèselle.Unpeuplus,etilsauraienteulecorpscriblédeballes.Il s’affala sur labanquetteencuir, le cœurbattant commeun tambourà l’idéedecequi auraitpu
arriveràStephanie,lorsquelavitredeséparations’abaissaetquelechauffeurluijetauncoupd’œilpar-dessusl’épauleetinclinasacasquette.
—C’estuneplaisanterie?—Àvotreservice,patron!claironnaSuahavantdeprendrelaroute.
—Surquoiest-ilassis?demandaJoetandisqu’ilsroulaienttranquillementàborddelavoituredeluxe.Legossen’est pas assezgrandpourvoir au-dessusduvolant sans aide.Etquanda-t-il appris àconduire?
Stephanietirasurl’encoluredesondébardeuretsepenchaverslagrilledeventilation,appréciantàl’évidencecesouffled’airfrais.
—Sérieusement?C’estcequit’inquièteleplus?Siseulement.—Ilneduperapersonnesionsefaitarrêter.—On ne se fera pas arrêter. (Elle se cala dans le siège douillet.) Il respecte les limitations de
vitesse.Ilnegrillepasdefeux.Iln’attirepas l’attention.Enplus,onvientd’avoirnotre«accrochagesurprise»aveclesméchants.Leschancessontdenotrecôtéàprésent.Maisaucasoù, j’ai inclusunepetiteassuranceàbord.
Commeilfronçaitlessourcils,elles’expliqua:—Souslefauteuilpassager.Jem’encharge,ajouta-t-ellelorsqu’ilcommençaàsepencherenavant.
Netefaispasmalauxcôtes.Elleavaitraison.Sepencherluifaisaitencoreunmaldechien.Celadit, laregarders’agenouiller,
puispointersonjolipetitculdanssadirectionneralentitpastoutàfaitlesbattementsdesoncœur.Elle tâtonna sous le siège, sortit deux grenades à fragmentation, une demi-douzaine de grenades
fumigènes et deux fusils d’assaut AK-47 à crosse pliante et canon court ainsi que trois chargeurssupplémentaires.Seigneur!Cettefemmeavait-elleunaccèsdirectà touslesrevendeursd’armesdelaville?
— Tu sais, fit-il abasourdi après qu’elle eut regagné sa place sur la banquette, je possède descontactsauxquatrecoinsdumonde.Descontactsquiévoluentsurleterraindepuisdesannéesetquisontloind’avoirlesrelationsquetuasnouéesenquatrejours.
—Peut-êtrequetudevraisdire«s’ilvousplaît»unpeuplussouvent.Elle ajusta la crosse comme une experte, mit un chargeur plein dans le magasin, chambra, et
verrouillalechien.—Oupas.(Iln’enfinissaitpasd’êtreimpressionnéparsadébrouillardiseetparsanouvellemaîtrise
desarmesàfeu.)Depuisquandmanies-tulesarmesavecunetelleaisance?Ildésignadelatêtelesfusilsqu’elleavaitposésàleurspieds.—Tuasbeaucoupdormi.Suahm’adonnédescours.Joejetauncoupd’œilverslavitredeséparationetl’adolescentquiavaitcontribuéàlesgarderen
vie,etquilesaidaitàprésentàfuirlepays.—Tutiensàlui,n’est-cepas?luidemanda-t-elletoutbas.Ilregardaparlavitrelavilledécrépitequidéfilaitdevanteux.
—Ouais,jemesuisprisd’affectionpourcettepetitecrapule.—Ilestenadorationdevanttoi.Ilsetournaverselleàcetinstantetlutdanssonexpressionqu’elles’étaitattachéeàSuahtoutautant
quelui.Cependant,ilsnepouvaientpasl’emmener.Etquandbienmêmeceseraitpossible,ilseraittroptêtu
pouraccepter.Suah,Bekah,lerestedesgarçons…comptaientparmicesmilliersd’enfantsdontledestinavaitétéscellélongtempsavantqueStephanieetluin’apparaissentdanslepaysage.
—Jedétestequ’onnepuisserienfairepourlui,déplora-t-elle,frustrée.Ilbaissalesyeuxsursesmainsserrées.Ouais.Ildétestaitçaaussi.
16
Les quais grouillaient de civils, hommes, femmes et enfants, sans oublier le fort contingent depoliciersmunicipaux et demilitaires, lorsqu’ils descendirent la rue devant la jetée vingtminutes plustard. La circulation était aussi dense que la foule et formait unemasse compacte telle une légion defourmis.
Bravantlesobstaclesavecmaestria,Suahdirigealagrosselimousineàtraversl’interminableconvoide voitures, camionnettes, camions et motos vers l’une des trois files d’attente devant la ramped’embarquementduferryquilesmèneraitàl’aéroport.
Desnuagesaussigrisquel’humeurdeJoeetchargésdepluiecouraientsurlachaînedemontagnesquientouraitlavilleetflottaientverslabaieoùilss’amoncelaient,semêlantàlafuméedesbarbecues,des pots d’échappement et des feux de poubelle. Des centaines de baraques de fortune et d’abrispréfabriquésentôleonduléebordaientleterrainpentu,s’empilantlesunssurlesautresendirectiondelacôtedansl’anarchielaplustotale.
Unéquipagedésorganiséorchestraitlechargementdesvéhiculesetdespassagers.Entredeuxprisesdebec,lepersonneldubateauœuvraitpourplacerlesnombreuxvéhiculesdansunespacebientroppetit.Lesretardatairesquiquittaientleferryajoutaientàlapagaillegénéraleetàlalenteurduprocessustandisqu’ilsapprochaientdelarampeetattendaientleurtourpourembarquer.
—Quellemerde !marmonnaJoedont la tensionartériellegrimpaen flèche lorsquedesmilitairesarmésjusqu’auxdentsvêtusd’uniformesdecamouflageetaffichantdesminessinistresparcoururentleslieux,cherchantàl’évidenceStephanieetJoedansledésordreambiant.
Lavitredeséparationteintées’abaissa.—Ilsvousferontbientôtsortir,leurannonçaSuah.Ouais.C’estbiencequ’ilredoutait.—Ettoi?—Contrairementauxautresconducteurs, jesuisautoriséàgarer lavoitureàbord.Les limousines
bénéficientd’untraitementdefaveur.Ilyaeutropd’incidentsparlepassé.Lesemployésdesdocksneveulentplusenassumerlaresponsabilité.
— Et tu penses être capable de garer cet énorme engin dans l’un de ces minuscules créneaux ?s’enquitJoe.
LeregardnoirqueluilançaSuahenréponseparvintàamuserJoe.—OK,tuenescapable.Paslapeinedetevexer.
—Dèsqu’on seraàbord,on semêleauxpassagers,ditStephanie,observant l’actionavecautantd’inquiétudequeJoe.Latraverséedelabaieduretrenteminutes,ensuiteonremontedanslalimousine,puisSuahnousfaitquitterleferryetnousconduitdirectementàl’aéroport.
C’étaitautantuneprièrequ’uneaffirmation.Àl’aéroport,BrownlesattendraitpourlesemmenerauxÉtats-Unis.Leplantenaitlaroute.EtJoesavaitqueRafeetB.J.neleslaisseraientpastomber.Ilsn’enétaient
pasàleurcoupd’essai.IlsenverraientBrownentièrementéquipépourpareràtouteéventualité.Iln’auraitpasprocédéautrement.Cependant,tandisqu’ilsroulaientverslaramped’embarquement,
s’approchantdumomentfatidiqueoùilsdevraientabandonnerl’anonymatdelalimousine,unviolentflotd’adrénalinepuredéferladanssesveines.Mêmelesmeilleursplanspouvaientmaltourner,surtoutquandils comprenaient autant de variables.Comme le fait que le ferry parte à l’heure.Ou que les autoritéscroient à leurs personnages de touristes. Ou encore que Brown atterrisse à Lungi, et parvienne àdistribuer assez de pots-de-vin pour convaincre les responsables de l’aéroport de fermer l’œil sur unplandevoltrafiquéetlesdeuxvoyageurssanspapiersensus,letoutsanséveillerlessoupçonsquelespassagersenquestionétaientlesfugitifsrecherchésparlapolice.
Ouais.Unsacrépaquetdevariables!S’il n’y avait que sa propre vie en jeu, ce serait différent.Mais si Stephanie ou Suah se faisait
attraper…Ilnepouvaitpaspenseràçapourlemoment.Toutcequiimportaitàcetinstantprécis,c’étaitdemettreleplanàexécutionetdegarderlatêtefroide.
—Tuferaismieuxderangerça,dit-ilendésignantdumentonlesfusils-mitrailleurs.Ellelesglissasouslesiègepileàtemps.Unmembredel’équipagefitsigneàSuahd’avanceretils
gagnèrentleferry.Àbord,quelqu’untapaàlavitre.—Allez,dehors,dehors!LeregarddeStephaniecroisalesien.Ilhochalatête.—C’estparti!Elleinspiraprofondément,s’armantdecourage.—Jetesuis.Joeouvritlaportièreetsortitdanslachaleur,lesodeursetlebruit.Ilsetournapourtendrelamainà
Stephaniesansprêterattentionauxquatresoldatsquimarchaientdansleurdirection.Quand,perchéesursestalonsdedixcentimètresetmouléedanssatenuedesoie,elleposaunpiedsurlepontetarboraunairroyal,ilneputs’empêcherdesourireetl’imita.
Ils se transformèrentaussitôt enDicket JaneAméricain–Dicket JaneAméricainpleinsauxas–souffrantdumalheurdedevoir semêlerà lapopulacecrasseuse,maisdéterminésà s’accommoderaumieux de cette sordide situation tandis qu’ils regardaient leur chauffeur conduire leur limousineclimatiséejusqu’àlasouteobscureetencombrée.
Cefutunsoulagementdeconstaterqu’ilsn’étaientpaslesseulspassagersblancsetparconséquentqu’ils ne juraient pas aussi radicalement que Joe l’avait craint parmi la flopée d’autochtones quiprenaientleferrytouslesjours.DepuisqueleRUFavaitétéécrasédixansplustôt,letourismes’étaitconsidérablementdéveloppé.LesEuropéensaffluaientverslaSierraLeonepourprofiterdesplagesdesablefinetdesprixattractifsqu’offraitl’Afriquedel’Ouest.
—Faiscommes’ilsn’étaientpaslà,soufflaJoeàl’oreilledeStephanietoutenl’entraînantàl’écartdessoldatsquiapprochaient,lamenantversunepasserelleenmétalécaillépeinteenorange.
—Ohregarde,chéri!fit-elleavecentrain.Ilsnevonttoutdemêmepassauterd’ici?
Lesang-froidincarné,elleseprotégealesyeuxdusoleild’unemaintoutenluidésignantlascènedel’autre.
Àvingtmètressurleurgauche,unvieuxdragueurrouilléflottaitdansleseauxpeuprofondes.Troisadolescentssetenaientàl’extrémitédelaproue,scrutantl’eaucommes’ilsessayaientdedéciders’ilsvoulaientplongerounon.
—C’est des gamins, répondit-il en la guidant à nouveau vers la passerelle, bien sûr qu’ils vontsauter.
Lapatrouilleserapprocha,etJoeduts’ôterdeleurcheminpouréviterdesefaireécraserlespiedslorsqu’ilspassèrentàcôtéd’eux.
—Bien joué, dit-il, puis sourit avec elle quand les trois gamins prirent leur élan et sautèrent dubateaudécrépit,heurtantlesflotsdansungrandploufetdeséclatsderire.
Ilsfurentbousculésparlesautrespassagersdanslafilequiconduisaitaupont.Àl’exceptiondelaprésencemilitaire,onauraitpu secroireàune fête.De lamusique jouait enarrière-fond ;un reggae-fusion africainqui semêlait aubrouhaha, aubruit desmoteurs et auxklaxons.Unebelle jeune femmeportant une robe blanche et une écharpe rouge autour du cou tenait en équilibre sur la tête un panierremplidebouteillesd’eau,ets’arrêtaitdetempsàautrepourenvendreune.Deshommesâgésainsiquedes garçons appuyés contre la rambarde observaient le processus d’embarquement, discutant et rianttandisquelesvoituresdepolicepatrouillaient.
—Sacréeparade,n’est-cepas?Joe se tourna en direction de la voix.Un corpulentBritannique d’âgemoyen arborant un costume
ridiculementsimilaireàceluideJoeluiadressaunfrancsouriretoutentamponnantlasueurquiperlaitsursoncrânedégarni.
—Uneculturehauteencouleur,poursûr,luiconcédaJoeenluitendantlamain.RichardWentworth.Monépouse,Jane,ajouta-t-il,incluantStephaniedanssaprésentation.
—AlbertPritchard.Ravidefairevotreconnaissance.Vousêtesaméricains,exact?—OriginairesduMississippi,réponditStephanied’unevoixenjouée.Celadit,mêmedansnotrebon
vieuxSud,jenemerappellepasavoirdûsupporterpareillechaleur.C’estépouvantable,non?Pritchardenconvintdetoutcœuretacceptaleurinvitationàlesrejoindre.Unenouvelleescouadede
soldatspassadevanteux,àlarecherchededeuxAméricainsdépenaillés,etneprêtantaucuneattentionautriotiréàquatreépinglesquibavardaitjoyeusement.
Unevoixdiscordanteannonçaaumicroledépartimminentduferry,puislegrincementdelarampequ’on remontait résonna sous leurs pieds. Le navire s’ébranla, puis s’éloigna du quai, laissant enfinFreetownderrièreeux.
—Bonvoyage,darling.StephaniesouritàJoe.Ilétait trop tôtpoursoupirerdesoulagement,mais l’airsalésentaitunpeuplusdoux,et la liberté
paraissaitunpeuplusprochetandisqu’ilsquittaientlabaieetgagnaientlelarge.
SuahregardaitfixementlaliassedebilletsqueStephanieluiavaitglisséedanslamain.—Jenepeuxpas…Ellerefermalesdeuxmainssurlasienne,serrafortets’efforçaderetenirseslarmes.—Accepte,s’ilteplaît.Sanstoi,nousneserionsplusenvie.Ilssetenaientàcôtédelalimousinedevantl’aéroportinternationaldeLungiaprèsuntrajetrapideet
fortheureusementsansencombre.
Elleavaitessayédes’armerdecouragepourcemomentredouté,maisellenes’étaitpaspréparéeauflotd’émotionsquilasubmergeasoudain.Àsoncôté,Joesemblaittoutaussimalheureuxqu’elle.
—Faisgaffeàtoi,dit-ilàSuahd’unevoixbourrueavantdeposerlamainsursonétroiteépaule.—Jedoisregagnerlesquaisoujerisquederaterleprochainferry.Suahfourral’argentdanssapoche.Sonexpressionétait aussi indéchiffrablequed’habitude,mais sesyeuxétaient troubles, bienqu’il
tentâtdelecacherenfuyantobstinémentleurregard.Incapable de se retenir, Stephanie jeta les bras autour de son cou et l’attira contre elle. Quand
son frêle corps se détendit, et qu’il lui tapotamaladroitement le dos, elle craqua.Laissa échapper unsanglot.
— Prends soin de toi, je t’en prie, murmura-t-elle, avant de se résigner à s’écarter pour ne pasl’embarrasserdavantage.
Semblantsecoué,Suahtenditlebrasverslaportièrecôtéconducteursansperdreuneminute.—Tuasnosnumérosdeportable,ajouta Joe, l’air sinistre tandisqu’ilobservait legarçon.Tuas
intérêtànousdonnerdesnouvelles.—Sivousnevousbougezpas,lapolicevavousrepérer,grommelaSuahenouvrantlaportière.Et
alors,àquoicesnumérospourront-ilsbienmeservir?Joeaffichauneminehilare.—Tuashâtedetedébarrasserdemoi,hein?—Autantquedecetteverrue,réponditSuah,esquissantunpâlesourire.Puisilgrimpadanslalimousine,enclenchalavitesseets’engageasurlaroute.Pendantunlongetsilencieuxmoment,ilsrestèrentsurplace,àleregarders’éloigner.—Qu’adviendra-t-ildelui?demandaStephanie.—Ils’ensortira.Net’inquiètepas.Ilsaitsedébrouiller.Stephanievoulaittantlecroire.—Ilvamemanquer.(Elleessuyadélicatementunelarmesursajoue.)Etjem’inquiéterai,quoiqu’il
arrive.—Ouais.(Joeattrapalapoignéedelaplusgrossevaliseetluifitsignedeprendrel’autre.)Jen’en
revienspasdedireça,maisàmoiaussi.Ilinspiraprofondément.Redressalesépaules.—AllonsretrouverBrown.Aprèsunderniercoupd’œildanslarue,Stephanieseretournaetluiemboîtalepas,conscienteque
cettedouleursourdecontinueraitdeluicreuserlapoitrinependanttrès,trèslongtemps.
Àl’intérieur,leterminalétaitaussibruyantetpeupléqueleferry.Etilyfaisaittoutaussichaud.Desrangées de ventilateurs suspendus brassaient à peine l’air étouffant, et les néons fluorescents sur leplafondblancdéfraîchiprojetaientunelumièrecruesurlecarrelagecrèmeetgris.
Le constant brouhaha des conversations, le grésillement statique de l’équipement de sonorisationdatantdeMathusalemetlevrombissementdesréacteursprovenantdutarmacaugmentaientleniveaudesdécibelsetdécuplaientleursentimentd’urgence.
Ilssetrouvaientdansl’aéroportdepuisdixminutesetn’avaienttoujourspasrepéréBrown.—Ilseralà,assuraJoeàStephanie,ainsiqu’àlui-même.Ils firent demi-tour et traversèrent à nouveau le terminal, longeant des portailsmétalliques où les
passagersétaientconduitscommedubétailpourpasserlecontrôledesécurité.
Ilsétaientàmi-parcours,Joemaudissantensilencesonmanqued’endurance,lorsqu’ilaperçutMikeBrownquimarchaittranquillementverseuxdanssonuniformedemarine,unecasquettevisséesurlatêteetdeschaussuresnoiresimmaculéesauxpieds.Ilavaitfièrealluredanssatenuedepiloteprofessionnel.
—Merdealors !s’exclamaBrownlorsqu’ilse renditcompteque l’hommequis’avançaitvers luiétaitJoe.Tufaislagrèvedelafaimouquoi?luidemanda-t-ilavecsonirrévérencehabituelle.
Joesefenditd’unsourirerayonnant,ravidelevoir.—Ilfautcroirequemonrégimefonctionne.Sous l’expression joviale du grand pilote bronzé et large d’épaules transparaissait une inquiétude
véritable.—Oùas-tudégottécetensemble?Dansuneboutiquepourmaques?—Tuosestemoquerdemesfringues?Alorsquetuportesundiamantàl’oreille?—Hé,unpeuderespectpourlesdiams.C’estsacré.Etavantquetuposeslaquestion,non,jen’ai
pas recommencé à fumer. (Il caressa du bout du doigt la cigarette coincée derrière son autre oreille.)C’estjuste…
—Unebéquille?Brownsouritdetoutessesdents.—Uneassurance.Dansnotrebranche,unejournéepeutvireraucauchemarenunriendetemps.—Ouais,ben,espéronsquetun’enaiespasbesoinaujourd’hui.Stephanie,ditJoeunefoisl’habituel
échanged’amabilitésterminé,jeteprésenteMikeBrown.Jusque-là, ilsn’avaient repéréaucununiformeà l’exceptiond’unepoignéed’agentsde sécuritéde
l’aéroport,etilyavaituntelvacarmedansleterminalqueJoenecraignaitpasd’êtreentendu.Stephanietenditlamain.—MonsieurBrown.Vousn’imaginezpasàquelpointjesuisheureusedevousrencontrerenfin.—Monpote,jet’arrêtetoutdesuite.Joe lut dans les pensées deBrown alors que le pilote parcourait Stephanie d’un regard égrillard,
seretenanttoutjustedelâcherunsifflementd’admiration.—Stephanie,réponditBrownd’untoncharmeur,sansprêterattentionàsonami.Appelez-moiMike.
Onm’avait dit de chercher une blonde,mais bon sang, vous êtes encore plus canon que ce à quoi jem’étaisattendu!
Bon, trèsbien.SiBrownparvenait à la faire rire, comme ilvenaitde le faire, ilpouvait racontertouteslesconneriesqu’ilvoulait.
—Laissez-moivousdébarrasser. (Mikelesdélestadeleursvalises.)Desparpaings?supposa-t-ilavecungrognementcommeilcommençaitàlestirer.
—Ilfallaitqueçafassevrai,fitJoe.—Àproposdetrucsquifontvrai,vospasseportssontdanslapochedemaveste.Ils’arrêtapourlesensortir,lestenditàJoe,etrecommençaàmarcher.C’étaient de véritables œuvres d’art. LesMCB payaient d’avance le meilleur imprimeur dans le
domainedesorteàlegardersouslecoude,aucasoù.Ilétaitcapabledereproduiredesdocumentsden’importequelpays,àn’importequelnom,enàpeinequelquesheures.Saufquecettefois-ci,ilyavaiteuunpetitproblèmedecommunication.
—RieneetGretchenGruenwalt?Joejetauncoupd’œilàMiketandisqu’iltendaitsonpasseportàStephanie.—Tuparlesallemand,non?Joesecoualatête.
—Bon,ben,heureusementquetun’auraspasàcauser,hein?Onpasseraparladernièreporte.J’airéglélesformalités.Ilvoussuffitdelaboucler,desourireaugentilmonsieurquim’asoulagéd’unpaquetde fric et d’avancer jusqu’à la rampe. L’avion est prêt à décoller. Les deux turboréacteurs tournent àpleinstubes.Tyestdanslecockpit,iln’attendplusquenous.
—Ty?C’esttonfrère,lecopilote?—Legaminabiengrandi,déclaraBrownavecunepointedefiertédanslavoix.—L’undevousledevait,letaquinaJoe.—J’aimemieuxquecesoitluiplutôtquemoi,reconnutBrownsanss’offusquer.Ildirigesapropre
entreprisedefretaérienàKeyWest.—Légale?ContrairementauPrimetimeAirCargodeBrownquiavaittendanceàbrouillerlafrontièreentrele
légaletledouteux.Lepilotesouritdenouveau.—Commejetel’aidit,j’aimemieuxquecesoitluiplutôtquemoi.(Puisilenrevintausujetquiles
préoccupait.)Legrandmanitoudanssatourdecontrôlevaavoirmalaudoscesoiràforced’êtreassissur la liasse de biffetons que j’ai glissée dans sa poche.Àmon signal, il fera dégager la piste, et onficheralecampd’ici.
—C’estvraimentaussisimplequeça?s’enquitStephanie,àl’évidencesidéréeparuntellaxismeenmatièredesécuritéetlesfaveursquel’argentachetait.
— On le découvrira bien assez tôt. (Brown se dirigea vers la porte.) Bien, madame, monsieur,essayezd’avoirl’airallemand,d’ac?
17
Stephaniemarchaendirectiondujetd’affairesquilesattendaitsurletarmac,soncœurbattantsivitequ’ellecraignitsincèrementdetournerdel’œil.Lachaleurdubétoncuitparlesoleilseréverbéraitsurson visage. Sans compter les gaz d’échappement des avions et son inquiétude pour Joe. Un mélangedétonnantquimenaçaitdelafaires’écrouler.
Joen’étaitpasrestédeboutaussilongtempsdepuisqu’ilsavaientcourujusqu’aunouveaurefugelaveille. Et cette journée-ci avait été éprouvante pour lui physiquement et mentalement. Elle devaitconcentrersonattentionàconduireJoe,ainsiqu’elle-même,jusqu’àl’avionquisetrouvaitàunetrentainede mètres et dont les doubles turbines propulsaient de la chaleur, produisant un effet de mirage surplusieursmètres.
—Seigneur, quelle vuemagnifique ! (Joe s’arrêta pour observer leG-550.)Mais ce n’est pas labonneplaqued’immatriculation.
— Eh non, répondit Brown. Je l’ai fait spécialement repeindre pour le voyage avant de quitterBuenosAires.Jenevoudraispasqueceluiquivouspourchassedécouvrequetonemployeuraenvoyéunavionpourrapatriertacarcasse.Çaluimettraitlapuceàl’oreille,tunecroispas?
» J’ai enregistré le plan de vol en utilisant ces chiffres bidons comme identifiant. La peinture estcensée s’effacer au bout de quarante-huit heures. Si mes calculs sont exacts, ça devrait se produireenvirontroisheuresavantd’atterriràWashington,oùilsattendentlejetd’affairesdesMCB.J’adorelessubterfuges,pastoi?
Joenepouvaitqu’êtred’accord.—Oh,quesi!Quandilrecommençaàmarcher,Stephanies’aperçuttoutdesuitequ’ilavaitdumal.Ellepassale
bras autour de sa taille pour le soutenir et comprit, quand il s’appuya contre elle, qu’il lui en étaitreconnaissant.
—Tuvasyarriveroujedoistraînertonculdefainéantjusqu’enhautdesmarches?Les sourcils de Brown étaient froncés avec inquiétude lorsqu’il fit halte au pied de l’escalier
escamotabledel’avion.—T’enfaispaspourmoi,réponditJoequirespiraitpéniblement.Jegère.Occupe-toiseulementde
fairedécollercetengin.—Àvosordres,commandant!Brownexécutaunsalutmilitaire,mais,remarquaStephanie,ilveillaàsetrouverjustederrièreJoe
tandisquecederniermontaitàgrand-peinelapetitevoléedemarches.
—Sonétatest-iltrèsgrave?s’enquitBrown,redescendantrécupérerlesbagagesenvitesse.IlfitsigneàStephaniedepasserdevantlui.—Moinsqu’hier.Elleentradanslaluxueusecabineclimatisée,rendantgrâceàl’airfraisquiluicaressalapeau.Joe
étaitdanslecockpit,saluantlefrèredeMikeetleremerciantd’avoirembarquépourcettemission.—Aujourd’hui,çaaétédifficile.Ilestcrevé.—M’estavisqu’iln’estpasleseulàavoireuunegrossejournée.DouxJésus!Quandilbraquasurellesesyeuxbleusperçantsetluidécochasonéblouissantsourire
demauvaisgarçon,Stephaniecompritpourquoilesgarsl’appelaient«Primetime».Beaucommeunestarhollywoodienne, il pouvait aisément tenir le rôle principal dans n’importe quelle émission téléviséediffuséeàuneheuredegrandeécoute.Leclouendiamantqu’ilportaitàl’oreilleluiconféraituneallurerebelle.Àlaquelleilfallaitajoutersacarrured’athlète,sahautestatureetsonairténébreux.Ohoui,plusd’unefemmedevaitsepâmerdevantcethomme-là!
EtquandJoeregagnalacabine,unejeuneversiondeMikesursestalons,elleneputs’empêcherderendregrâceaupatrimoinegénétiqueresponsabledelacréationdecesdeuxapollons.
—M’dame,ditTyenluitendantlamain.Bienvenueàbord.—On taillera le bout de gras une fois qu’on aura décollé. (Brown replia l’escalier escamotable,
referma la trappe, et le bruit diminua immédiatement.) Attachez vos ceintures, OK ? Dès qu’ils medonnerontl’autorisation,onfilerad’icisansdemandernotrereste.
Interprétantcorrectementl’expressiondeStephaniequis’attendaitaupire,ilajoutaavecdouceur:—Relax,trésor.Jevaisvousrameneraubercail.Tontravailestofficiellementterminé.Lasoudainebrûluredeslarmeslaprittotalementaudépourvu.—Tuenasbavé,pasvrai?Brownposaunemainréconfortantesursonépaule.Ellerit,nerveusementautantquedesoulagement,etsurtoutd’épuisement.—Oh,c’étaitdugâteau.—Bravefille.Turessemblesàtonfrère,aufait,dit-il,savoixgraves’emplissantdetendresse.Un
typeenor.Ilneluiétaitpasvenuàl’espritqueMikeavaitpuconnaîtreBryan.Celadit,sic’étaitluiquiavait
transportéleGrouped’InterventionMercy,ilavaitdûconnaîtretouslesgars,évidemment.—Ceinture!luirappela-t-ilavantdesedirigerverslecockpit.ElleseglissaàcôtédeJoequis’étaitdéjàécroulédansl’undessiègesmoelleux.Saceintureétait
bouclée.Sesyeuxétaientfermés.S’ilnes’étaitpasendormi,illeseraitbientôt,mêmesileronflementdumoteurétaitassezbruyantpourfairesortirunoursdel’hibernation.
Elle s’attacha à son tour, puis resta assise unmoment, se répétant avec incrédulité qu’ils avaientréussi,qu’ilsétaientenfinhorsdedanger.Avecunsoupirdesatisfaction,elleregardaparlehublot.
Etrecommençaaprèsuntempsd’arrêt,refusantd’acceptercequ’ellevoyait.QuatreRangeRoverfonçaientàtoutealluresurlaroutequicouraitlelongdel’aérogare.L’unaprès
l’autre,ilsfreinèrentetvirèrentbrusquementversleterminal.—Oh,Seigneur!marmonna-t-elle.Joesortitimmédiatementdesatorpeur.—Quoi?—Jecroisqu’onaunproblème.
—Nejamaissefieràuntypedisposéàaccepterunpot-de-vin,grommelaBrownàl’intentiondeJoeavantderallumersonmicro.
Ilsstationnaientenborduredutarmac,prêtsàroulerenpositiondedécollagejusqu’àlapiste.— Lungi, ici Gulfstream 174 GC. Je répète, demandons autorisation de rouler pour décollage.
Veuillezrépondre.Joesetenaitderrièrelaporteouverteducockpit,lesmainssurlacloisonau-dessusdesatête.—Maintenezvotreposition.Veuillezattendrel’autorisation,réponditlecontrôleuraérien.Mikejuradanssabarbe.—Lafêteestfinie,ondirait,fitTyavecunairsinistre.—Quelqu’unluiatirélesversdunez,poursûr,renchéritMike.Quelqu’unquil’effraiebienplusque
moietmapromessedesaccagersatouretdeluifaireundeuxièmetroudeballe.Joe scruta la piste. Il y avait très peu de circulation, voire pas du tout. Seuls deux avions
commerciaux et un avion d’affaires occupaient le tarmac, l’un se ravitaillant en carburant, l’autre quiroulaitsurl’aired’atterrissage,ledernier,toutdevant,s’apprêtantàdécoller.Leurdemanderd’attendrel’autorisationn’étaitqu’unprétextebidon.
—Dis-luiquetutepasserasdeleurfeuvertetqu’ilsontintérêtànousdégagerunevoies’ilstiennentàéviterunecatastropheconsidérable.
—Déjàfait,monpote.Ilsmefonttoujourspoireauter.D’autresidées?—Ilsenvoientdespolicierssurl’airedetrafic!s’écriaStephanie.Joeseretournaetlavittorduesursonsiège,regardantparlehublotducôtéduterminal.—Pasmoinsdevingt,ajouta-t-elle,leurdétaillantlascèneaufuretàmesure.Tousarmésjusqu’aux
dents.Joetournaànouveaulatêteverslepare-briseetbalayaduregardl’aérodrome.—Qu’est-cequisepasseparlà-bas?Ildésignadumentonunezonedélimitéepardurubanjaune.—Nouvellepisteenconstruction.Ellesembleachevéeàquatre-vingtspourcent,précisaMikeavant
dedécocherunsourireàJoe.—Decombiendemètresas-tubesoin?Brownhaussalesépaules.—Onrouleléger,alorsjediraismillecinqcentsmètres.Voireunpeumoins.Joeobservalapisteenchantier.—Qu’enpenses-tu?Ya-t-ilsuffisammentdebétonpourqueçamarche?—Iln’yaqu’unseulmoyendelesavoir.—Vas-y,ditJoe.—Ty?Mikes’enréféraàsonfrère.—Jevaislàoùval’avion.—Bonneréponse.Puis,avecuncoupd’œilpar-dessusl’épaule,ilajoutaàl’intentiondeJoe:—Assure-toiqu’elleestbienattachée,puisboucletaceinture.Çarisquedesecouer.Joen’avaitpasencoreregagnésonsiègequel’avioncommençaàrouler.—Queva-t-ilfaire?lequestionnaStephanie,lesyeuxécarquillés.—Latourdecontrôlenousrefusel’autorisationdedécoller.Alors,onvainaugurerlanouvellepiste.Elleclignalesyeuxavecconfusion,puisregardaparlehublot.Lorsqu’ellevitlavoied’atterrissage
partiellementachevée,bordéed’équipementsdeconstructionetdélimitéepardurubanjaune,elleblêmit.
Joeluiattrapalamain.—C’estdugâteaupourungarscommeBrown;ilenavud’autres.Onseradanslesairsenunrien
detemps.ElleenlaçalesdoigtsdeJoeetsetournapourregarderànouveauparlehublot.— Ça tombe bien, on ne dispose pas de plus. Les Range Rover sont alignés derrière un portail
cadenassé.Ondiraitqu’ilsattendentquequelqu’unleurouvreetleslaisseentrersurl’airedetrafic.— Quatre bagnoles derrière nous ! hurla Joe, faisant savoir à Mike que la situation venait de
s’aggraver.LespuissantsmoteursdujetvrombirentlorsqueMikeaccéléra.StephanietressaillitetserralesdoigtsdeJoeplusfort.—Oh,monDieu!C’estbiencequejecrois?Siellepensaitquelesballestraçantesfilantlelongdufuselagesignifiaientqu’ilsétaientsouslefeu
del’ennemi,elleavaitraison.Nuldoutequelesmitrailleusesmontéessurles4×4étaientégalementdesortie.
Joemitlesmainsautourdelaboucheethurlaverslecockpit.—Onnoustiredessus!—Sansdéc,Sherlock!Brown vira brutalement à droite vers la piste inachevée, s’y aligna et fit tourner les turbines au
maximum.Joeregardaparsonhublottandisqu’ilsaccéléraientencore,etvitdeux4×4foncerverseuxàtoute
berzingue.—Ilsserapprochent!s’écriaStephanie.Il leur fallait une vitesse minimum de cent quarante nœuds pour décoller, ce qui leur prendrait
environquarante-cinqsecondes.—Ilsboufferontnotrepoussièresouspeu,luiassuraJoe.Il vit crépiter la bouche d’au moins quatre fusils en mode rafale automatique, et devina qu’il se
passaitlamêmechoseducôtédeStephanie.Lanouvellepisteétaitduremaisplane:lasurfaceneposaitdoncpasdeproblème.Enrevanche,ily
avaitdegrandeschancesquelalongueurenposeun.Ilavaitvoléàborddecetengindesdizainesdefoisetsedoutaitqu’ilsrisquaientd’arriverenbout
depisteavantquelemoteurbiturbineatteignelavitessededécollage.Sanscompterqu’ilssetrouvaientsouslefeunourridesmitrailleuses.Enrésumé,ilyavaitautantdeprobabilitésqu’ilsatteignentlavitessecritiqueavantquel’unedecesbrutesnetoucheunepiècevitalequeBrownrestecinqminutessansflirteravecunefemme.
Joe jetauncoupd’œilàStephanie.Sesyeuxétaient fermés,sa têteappuyéecontre ledossier, soncorpsentiertenducommeunarc.Elleavaitenlevélaperruqueetsescheveuxretombaientjolimentsursesépaules.Ellerespiraitfortetvite,sapoitrines’élevaitets’abaissaitsouslasoiemoulante.Sajupeportefeuilleétaitremontéesursescuissesets’ouvraitsurladroite,laissantpresquevoirsaculotte.
Elleétaiteffrayéemaiscalme,etdeloinlafemmelaplussexyqu’ilaitjamaisvue.Bonsang!Alorsmêmequ’ils fonçaientversundésastrequi risquaitde leurcoûter lavieà tous, ilnepensaitqu’àuneseulechose:ladéshabiller.
Etlarameneràlamaison,saineetsauve,oùilpourraitapprendreàl’aimercommeelleleméritait.Iljetauncoupd’œilenavant.Demoinsenmoinsdepiste,ettoujoursplusdepicsdemontagnes’étendantdroitdevanteux.L’undecesfusilsd’assautpouvaitpercerunréservoirdecarburant.Lesmitrailleuses
pouvaient crever un pneu. Ils pouvaient exploser d’un moment à l’autre, ou perdre la maîtrise del’appareiletfaireuntonneau.
—Stephanie.Ellerouvritlesyeuxetcroisasonregard.—Ilfautquetusachesque…—Non,l’interrompit-ellebrusquement.Pasdedernièresparoles.Jerefusedecroire…Elles’arrêtaaumilieudesaphrase,lesyeuxécarquillésd’espoir.—Tuassentiça?UngrandsouriresedessinasurlevisagedeJoeet ilpoussaunsoupirsiénormequesescôteslui
élancèrent.—Onadécollé.—Oh,monDieu!Ilaréussi!Joehochalatête,sourianttoujours.—Tupeuxledire!Brownhurlauncridejoiedepuislacabine.—Jenesaispasvous,maisj’engrilleraisbienune!Putain.C’étaitpresquemeilleurquelesexe.L’avion eut soudain un soubresaut, et une violente secousse les projeta vers l’avant. Puis il se
stabilisaànouveau.Lesmasquesàoxygène tombèrentduplafond,dansantauboutde leurs tubes.Unealarmesemit à
sonner,puislejetcommençaàdescendreenpiqué.StephaniebraquasesyeuxapeuréssurJoe.—Qu’est-cequisepasse?Joe regarda en direction du cockpit, vit Mike pousser frénétiquement des leviers, et eut le très
mauvaispressentimentqu’ilnevoulaitpaslesavoir.
18
GreerDalmage était assis à son bureau dans les locauxprofessionnels qu’il occupait àFreetown.D’unemain,ilagrippaitlebrasdesonfauteuil.Del’autre,ilserraitlepetitflacondetrinitrineachetésurordonnance,etattendaitquelescomprimésapaisentlesspasmesdel’anginedepoitrine.Sachemiseétaittrempéedesueursoussavestedecostume.Sacagethoraciqueluibrûlaitetluienserraitlecœurtelunpoingdefer.
Les crises étaient de plus en plus rapprochées. C’était sa faute. Il devait mieux les maîtriser. Ilparvintàprendreune inspirationcalmeet régulière. Ilnepouvait sepermettredepaniqueràcausedel’anginedepoitrine.Nidel’incompétencedeBangura.NidecequirisquaitdeluiarriversiJoeGreenfuyaitFreetownetdévoilaittoutelavérité.
Il serait détruit.Tout ce pour quoi il avait travaillé, tout ce qu’il avaitmis en place au cours desquinzedernièresannées…Iln’enresteraitplusrien.
Etilseraitmort.Ceuxàquiildevaitdel’argentetdesfaveursn’hésiteraientpasàlesluiarracherdeforce,quitteàlefairepayerdesonsang.
Tout ça à caused’un seulhomme.Sonerreur, sonuniqueerreur, avait étéde laisserGreenenviependanttroplongtemps.
Onfrappadoucementàsaporte,puisMmeFosterl’entrebâillaetpassalatêtedansl’embrasure.—Vousm’avezdemandédenevoustransmettreaucunappel,maisj’ailelieutenantBangurasurla
ligne1,monsieur.Ilaffirmequec’estdelaplushauteimportance.—Merci,madameFoster.Passez-le-moi.—Pardonnez-moi,monsieur.(Elles’arrêtasurleseuil,sonhabituelleexpressionrenfrognéeadoucie
parl’inquiétude.)Vousvoussentezbien?—Trèsbien.Refermezlaporteensortant,jevousprie.—Bien,monsieur.L’airsceptique,ellequittalapièce,etfermalaportederrièreelle.—Parlez,dit-ilaprèsavoirdécrochélecombiné.—C’estfait.LavoixdeBanguradébordaitd’uneconvictionjoviale.Greer s’affala dans son fauteuil. Il éprouva un soulagement si viscéral, si agréable, qu’un frisson
d’excitationquasisexuelleparcourut.—Comment?Où?
—Onlesaretrouvésàl’aéroportdeLungialorsqu’ilsessayaientdes’enfuir.Meshommesnelesontpaslaissésfaire.
—Ilssontmorts?
—Commevousl’avezspécifié,oui.Iln’avaitpasréussijusqu’àcejoursansassurersystématiquementsesarrières.—Jeveuxvoirlescorps.Bangurahésita,puisseraclalagorge.—Jesuisdésolé.C’estimpossible.L’avions’estécrasé.Lescorpsontbrûlé.Greer sedit que ledoute fugacequi surgissait dans sonesprit n’était qu’une séquellede labévue
antérieuredeBangura.— Vous pouvez dormir tranquille, poursuivit Bangura, il ne reste aucune trace du passage des
AméricainsenSierraLeone.
Saiduraccrocha,selevaavecraideurdesonfauteuilettraversalapièce.Iléteignitetfermalaportedesonbureauàcléderrièrelui.Puisilpritlechemindelamaison.Oùilresteraitassisseuldanslenoir.Àboire.
Ses actions du jour auraient des retombées. Il ignorait quand. Il ignorait lesquelles. Mais quandDalmageapprendraittoutelavérité,ilyauraitdesrépercussions.
—Stephanie.Réveille-toi.Tudois regagner ton siège et attacher ta ceinture.Onva se préparer àatterrir.
Stephaniebâilla,puisseredressa.Joeétaitassissurleborddufauteuilenfacedusien.Ellecompritàlavuedesestraitstirésqu’ildevaitêtreentraindesereposer,luiaussi.
—Tuasdormi?luidemanda-t-elleens’étirant.—Il fautcroire. (Il frottadesdeuxmains labarbenaissantequi lui assombrissait levisage.)Aux
dernièresnouvelles,onn’étaitmêmepasàmi-distancedelamaison.Lamaison.Cemotn’avaitjamaisétéaussidouxàsesoreilles.Surtoutaprèslafrayeurqu’ilsavaient
eue.—Détendez-vous ! avait hurléMike depuis le cockpit quelquesminutes après le décollage. Ces
enfoirésontdûperforer lefuselageauniveaudelasoute.Toutvabien.Lapressiondanslacabineestbonne.Leniveaud’oxygèneaussi.
Lesmoteurs n’avaient pas été touchés.Ni le circuit hydraulique. Et il n’avait pas besoin de fairedemi-touroud’effectuerunatterrissaged’urgencedansunautreaéroport,leuravait-ilassuréaprèsuneinspectionminutieusedetouslescircuits.
Seull’épuisementl’avaitemportésurleursoulagement.Etilsn’enavaientpasencorefini.Certes,letrajetdirectàbordduG-550duraithuitheuresdemoinsqu’unvolstandardet ilsétaientpresqueà lamaison,maisilleurrestaitbeaucoupàfaireavantd’achevercequeJoeavaitcommencé.
—Onpeutallerchezmoi,proposaStephanietandisqu’ellebouclaitsaceinturesurlesiègeàcôtédeJoe.
—Troploin,répondit-il.—Àl’hôtel,alors?
MikeetTyavaientprévuderéserverdeschambresdansunétablissementàproximitédel’aéroportletempsquelesréparationssurleG-550soientterminées.
Joesourit.—J’aiunemeilleureidée.
Joeparaissaitexténuéetcrispéderrièrelevolanttandisqu’ilstraversaientlacapitaleàtoutealluredans le véhicule utilitaire noir qui avait été mis à leur disposition dans le parking de longue durée.PendantqueMikes’occupaitdeprogrammer lesréparationsduG-550(unegageureàminuit,avecuneéquiperéduiteauminimum)etcommeilfaisaitmoinssixdegrésdehorsetqueStephanieetJoeétaientvêtus comme deux touristes de retour d’Afrique, Ty avait piqué un sprint jusqu’à la voiture pour laconduireàeux.
Stephanie était emmitouflée dans une chaude parka d’hiver (il y en avait une pour chacun dans lecoffre),cequinel’empêchaitpasdefrissonner.
—Rafeapenséàtout.Mêmeauxparkas.—Àmonavis,onlesdoitplutôtàB.J.,ditJoetandisqu’iljetaituncoupd’œildanslerétroviseur,
changeaitdevoieettournaitàdroite.Stephaniereconnutlequartier.—OnvachezGabeetJenna?Ilhochalatête.De tous lesMCB,c’étaitprobablementdeGabequeJoeétait leplusproche. Ilsétaient tousdeux
imposants, tous deux taciturnes. Et bien qu’ils aient tous affronté le pire, ces deux-là en portaient lesstigmatesplusquelesautres:physiquespourGabe(quiavaitperduunejambeàcaused’unshrapnelensauvantJennad’uneexplosionàBuenosAires),émotionnellespourJoe.
— J’ai parlé avec Jenna la semaine dernière, avant qu’elle parte pour le Wyoming. Elle allaitprendrelebébéetpasserunpeudetempsavecsesparents.
AliLynn,unepetiteboulecriardedetroiskilosdeuxcentslorsdesavenueaumondedeuxmoisplustôt,justeàtempspourNoël,avaitréduitl’undesplusférocesguerriersdetoutlecontinentaméricainengelée.Gabeavaitfonducommedelaguimauvedèsl’instantoùsonminusculepoingroses’étaitreferméautourdesonauriculaire.
Quoiqu’ilensoit,Jennaétaitdansl’Ouest,etpersonnenesavaitoùsetrouvaitGabe,sicen’estqu’ilétaitàl’étrangerettoujoursinjoignable.
—Jedois faireuncrochetpar là,expliquaJoeensegarant sur leparkingdusupermarchéouvertvingt-quatreheuressurvingt-quatre.
—Resteici.Réchauffe-toi.J’enaipouruneminute.Stephanie se pelotonna dans la parka bleu marine, se préparant à affronter le souffle glacé qui
s’engouffradansl’habitaclequandilouvritlaportièreetsortit.Soncerveaucarburaitàpleinrégimedepuisqu’ilsavaientatterri.Mikeavaitachetédestéléphones
jetablespourchacund’entreeuxetilsavaientéchangéleursnumérosavantdesequitter,maiselledevaittoutdemêmecontacterRhonda.Elleavaitbesoindesonordinateurportableetdeseslogicielsafindeprocéderàl’installationdesesprogrammesderecherches.Deplus,elleétaitinquièteausujetdeB.J.
PuisqueDalmagen’avaitaucunmoyendesavoirqu’elleétaitimpliquée(Dieumerci,elleavaitutiliséun pseudonyme dans son bureau de Freetown), ils avaient estimé qu’il n’y avait pas de risques à cequ’elle rallume son téléphone personnel. Quand elle écouta le message de Rafe lui demandant de lerappelerleplusvitepossible,ellesefélicitadel’avoirfait.
Rafeluiavaitparupréoccupé,maisilétaitimpatientdeluiparler.— On a trouvé divers éléments, mais sans lien apparent pour le moment, expliqua-t-il quand
StephanieluidemandaoùenétaientleursinvestigationssurlesantécédentsdeDalmage.Etonestàcourtdetemps.(Rafeluiavaitsemblénerveux.)B.J.aperduleseaux.Elleaattendutroplongtempspourmeprévenir,mêmesiellem’avaitpromislecontraire,ajouta-t-ild’unevoixoùsemêlaientlafrustrationetlafierté.Sérieusement,sionlalaissaitfaire,elleseraitentraindeserrerunmorceaudecuirentrelesdents,suspendueàunarbreaubordd’unerivière.Onestenroutepourl’hôpital.
C’était bien B.J. Une sacrée dure à cuire, capable de tenir tête à unemule. Stephanie n’avait pus’empêcherdesourire.
—Ellevabien?—Ellejurecommeuncharretier,maisellen’apasencoremenacédemetrancherlesparties.Alors
jepensequ’onpeutdirequeçanevapastropmal.Endépitdelasituation,elleavaitri.—Transmets-luitoutmonamour.Etdis-luidebiensetenir.—Jet’enprie,nem’obligepasàluidireça,lasupplia-t-il.Ellemefrapperait.Stephanieavaitriencore,imaginantlablondeimpétueusequiécoutaitlesconseilsàpeuprèsaussi
bienqu’unepierreflotte.LorsqueJoeluiavaitfaitsignequ’ilsdevaientreprendrelaroute,elleavaitviteretrouvésonsérieux.—Rafe.Jesuisdésoléede tedemanderçamaintenant,maisquandpourras-tum’envoyer les infos
quetuastrouvéessurDalmage?—Déjàfait.Ellessontcryptées,doncsécuriséesjusqu’àcequetulestélécharges.Fautquej’yaille,
cara.Jevoustiensaujus.Cetteconversations’étaitdérouléeilyaplusd’uneheure.Stephanienes’attendaitpasàavoirdeses
nouvelles de sitôt,mais elle était à la fois pressée et inquiète pourB.J. Et envieuse. Ce queRafe etelle partageaient – la réciprocité, la passion, l’excitation –, c’était le genre d’amour qui inspirait leschansons,lesromansetlesfilms.D’ailleurs,chacundesBlackOPSsemblaitavoirtrouvésonâmesœur.Gabe et Jenna, Sam etAbbie, JohnnyD et Crystal, et l’an dernierWyatt et Sophie avaient eux aussidécouvertlaformulemagique.MêmeDoc,ex-célibataireendurci,s’étaitrangéetsemblaitfilerleparfaitamouravecVal.EtcommentoublierNateetJuliana,l’illustrationmêmedecequel’amourétaitcapabled’endurerpourévoluermalgrétoutversunerelationsolideetdurable?
Laportièrecôtéconducteurs’ouvritetJoeseglissaderrièrelevolantdansunnouveausouffled’airfrais.Illuitenditunsacremplideprovisions.
—Çava?luidemanda-t-il,marquantunepausepourl’observersousl’éclairagedel’habitacle.Bonnequestion.Non.Çan’allaitpas.Ellevoulaitcequ’avaientsesamies.ElleignoraitsiJoeparviendraitunjourà
seconfieràelle,àposerlesjalonsd’unerelationpérenne.—Jevaisbien.Elle s’efforça de ne pas laisser ce banal acte domestique (Joe allant faire les commissions et lui
tendantlesachetcommes’ilsétaientencouple)ladémoraliser.Elles’étaitsuffisammentapitoyéesursonsort.
Horsdequestionqu’ellecontinue.Ellerefusaitd’êtrecegenredefemme.Comme il restait à la regarder fixement, son puissant visage durci par l’inquiétude, elle répondit
d’unevoixenjouée:—J’espèrequ’ilyaunepizzasurgeléelà-dedans.
—Auxpepperoni,fit-ilavecunsourire,parcequ’ilsavaitquec’étaitsapréférée.J’aiaussiprisdulait,desœufs,dubacon,dupain,dujusd’orange,desbarresdecrèmeglacéeetduCoca.
—Tuesl’asdescourses!Jemangeraisbienunpeudetout.Quelquesminutesplus tard, ils segarèrentdans leparking souterrainde l’immeubleultrasécurisé.
Joe entra une série de codes, leur donnant accès au hall d’entrée, puis à l’ascenseur et enfin àl’appartementdeGabeetJennasituéaudixièmeétage.
Stephanie connaissait bien l’appartement 10 C. Jenna et elle y avaient passé beaucoup de tempsensemble,àattendreavecangoisse(engénéral jusqu’auxpremièresheuresdumatin,commecettenuit)d’êtreprévenuequelesgarsétaientrentréssainsetsaufsdemission.
EllesedirigeaverslacuisineetposalesacsurlecomptoirtandisqueJoeallumaitleslumièresetmontait le chauffage.Le vaste appartement de type loft se composait d’un espace de vie spacieux quidonnaitsurlasalleàmangeravecàl’anglegaucheunegrandecuisinetoutenlongueuraménagéeavecdesplacardscontemporainscouleurcerise,desappareilsélectroménagerseninoxrutilantetdesplansdetravailnoirgranit.
Àgauchedelacuisine,unebaievitréesituéederrièrelatables’ouvraitsuruneterrassequicouraitsur toute la largeurde l’appartement.Auprintemps, Jennaengarnissait lesmoindres recoinsavecdesplantesetfleursenpot.Cetteannée,supposaStephanie,elleabriteraitégalementunparcpourbébé.
Maispourl’heure,lescarreauxd’ardoiseétaientrecouvertsparplusieurscentimètresdeneigeetledouillet mobilier avait été remisé pour l’hiver. Stephanie rangea les denrées périssables dans leréfrigérateur, puis, étreignant sesbrasnuspour seprotégerdu froid, s’avançavers labaievitrée.Dixétagesplusbas, seuleunepoignéedevoituresbravait les rues, roulant à un rythmed’escargot sur lesroutes fraîchement déneigées alors que s’abattait une nouvelle pluie de flocons blancs cotonneuxdéterminéeàsapertousleseffortsduchasse-neige.
C’étaitlorsd’unenuitcommecelle-ciqueJoeavaitdébarquéchezelle,luiavaitlâchésabombeetl’avaitquittée.Seigneur.Celaneremontait-ilqu’àunpeumoinsdesixsemaines?Elleavaitl’impressionqu’uneéternités’étaitécouléedepuis.
Elle sentit la présence de Joe derrière elle, regarda par-dessus son épaule et comprit à sonexpressionqu’ilvoulaitparler.
Paselle.Pasencore.—Jevaismechercherunpull,dit-elleavecunfrissonexagéréavantdesedirigervers lecouloir
menantàlachambreàcoucher.TuveuxquejefouilledanslesaffairesdeGabepourtetrouverquelquechosedechaud?
Ilparutunpeuinquiet,maisaussiunpeusoulagé,etn’insistapas.— Non. Je garde quelques vêtements de rechange dans la chambre d’amis. Je vais me doucher,
ajouta-t-il.Jerêved’eaubrûlanteetd’unbonrasagedepuisqu’onaatterri.—Bonneidée.—Jepeuxtelaisserlaplace,luiproposa-t-il.—Onpeutsedoucherenmêmetemps.Jeprendrailagrandesalledebains.Tupeuxutilisercelledes
invités.Au bout du couloir, la douche à l’italienne deGabe et Jenna était assez grande pour contenir une
fanfare,maisStephanies’yrenditseule.Cen’étaitpasqu’ellenesouhaitaitpasêtreaveclui.Qu’ellenes’enflammaitpasdedésiràl’idéede
l’accueillirdanssonlit.Ellelevoulaitfarouchement.Cependant,l’épisodeaveclesacdecoursesl’avaitfaitparveniràunedécision.
Qu’importe combien elle brûlait pour lui ou combien il brûlait pour elle, elle se sentait bien tropvulnérablepourlemoment.Elleavaitbesoindelaisserlesexedecôtéjusqu’àcequ’ilsaientdévoilélesagissementsdeDalmageetmisuntermeàcecauchemar.
Était-elle capable de tracer cette ligne et de ne pas la franchir avant qu’il ne reste plus rien lesempêchantde régler leursdifférends–ou, ajouta-t-elle avecgravité, de tirer un trait définitif sur leurrelation?Ellen’ensavaitrien.
Ellen’ensavaitvraimentrien.Elletenditlebrasverslerobinet,l’ouvrit,puissedéshabillaenattendantquel’eausoitchaude.Elle
n’avaitaucuneenviedequitterJoe.Maiselles’yétait résignée.Elleentrasous ladoucheet tourna levisageverslejetbrûlant.
Elle partirait, et sans se retourner, s’il n’était pas enmesure de lui donner ce qu’elle voulait. Cequ’elleméritait.Cequ’ildevaitluidonners’ilsouhaitaitunjourtranscenderlesténèbrespourembrasserlalumière.
19
Joe mâchouillait une tranche de bacon croustillant et remuait une pleine poêle d’œufs brouilléslorsqu’ilentenditStephaniearriverdanslacuisine.
—Çaembaumeleparadisducholestérolparici,dit-elleavecunsourire.—Désolé,j’aicommencésanstoi.Illuitenditleplatdebacon.Elleensaisitunmorceaucommesic’étaitunefriandise.—Quicuisinemangelepremier.Etpuis,tuasbesoindecalories.Ouais.C’étaitpeude ledire.Certes, il ne flottaitpasdans son tee-shirtnoir,maisd’ordinaire, la
tailleXXLluiallaitcommeungant.Etmêmes’ilavaitresserrésaceinturedeplusieurscrans,sontreillistombaitlégèrementsurseshanches.Àprésentquesesintestinssupportaientdelanourritureconsistante,ilcomptaitbieningurgiterunmaximumdecaloriesenuntempsrecordpourretrouversonpoidsdeforme.
Ildevraitcependantattendrequesescôtessesoientressoudéesavantderetourneràlasalledesport.—Oh,monDieu,c’estdel’ambroisie!s’exclamaStephanieensavourantsonbaconlespaupières
ferméesparl’extase.Ilrisquedes’écoulerunlongmomentavantquej’aieànouveauenviederiz,ajouta-t-elleenouvrantunplacardpourensortirdeuxassiettes.Quepuis-jefaire?
Deuxtranchesdepaindemiejaillirentdugrille-pain.—Tupeuxbeurrerlepainsituveux.—J’espèrequetul’aimesbienimbibé.Jesuisd’humeuràmefaireplaisir.Elle trouva un couteau et s’attela à la tâche tandis qu’il versait lesœufs dans les assiettes et les
portaitjusqu’àlatableoùilavaitdéjàdisposélescouverts,lejusd’orangeetlelait.—Tuesunvéritablemodèled’efficacité,dis-moi!Elles’assitenfacedeluietdépliauneserviettesursesgenoux.—C’estsurtoutquejemeursdefaim.Tupeuxmepasserlesel?Puis, il se jeta sur sonassiette, s’efforçantdenepaspenser auxchosesqui lemettraient enpéril.
Commeleparfumqu’elleexhalait,propre,fraisetfleuri.Ousonapparence,avecsonpullbleulayettequiluimoulaitlapoitrineetlejeanusédeJennaépousantsesformescommeunesecondepeau.
Sescheveuxétaientencorehumidesetellelesavait tressésenunelourdenattequitombaitsursonépaulegaucheetdontlapointecaressaitlehautdesonsein.Ellesemblaitenpleinesantéetgaiecommeunpinsontandisqu’elledévoraitsonplatsansuneoncederetenue,etàcetinstantilcompritàquelpointilavaitétéprèsdelaperdre.Laviolencedecetteprisedeconscienceluitransperçaleplexussolaire.
Unevaguedevertigelesubmergea.Ilselevabrusquement,s’écartadelatableetsedirigeaverslabaievitrée.Ilrestalà,lefrontappuyécontreleverrefroid,lecœurtambourinant,lesintestinstellementnouésqu’ilavaitdumalàrespirer.
Il ferma les yeux, s’efforça de se ressaisir…mais les images jaillissaient derrière ses paupièrescommeleslumièresd’unstroboscope.
Unpiedbotté lecognantdans lescôtesalorsqu’ilétait recroquevilléausoldans lapuanteuret lacrasse.Centquatre-vingt-quatrebarreauxde fer.Se réveiller enpleinenuit au sifflementd’unevipèrese lovantàquelquescentimètresdesonvisage.Lecamionse renversantalorsqu’ils’y trouvaitpiégé.Unemaredesangsouslatêted’unhommed’Église.
Etau-dessusde toutça, lesouvenirdeStephaniedans laprison…et lessévicesqueces types luiauraientinfligés.Oh,bonDieu!
—Joe.Sonmurmureleramenasubitementaumomentprésent.—Joe.Lecontactdesapaumesursondosletranquillisa.—Toutvabien.Tuvasbien.Onvabien.Viens t’asseoir, luidit-elleavecdouceur.Tesœufsvont
refroidir.Ilapprochalamaindelasienne;attenditqu’ellecroisesonregard.—Jesaisque tun’asaucuneenviede l’entendre.Mais jesuisdésolé,Steph.Tun’imaginespasà
quel point je suis désolé de t’avoir entraînée dans ce cauchemar. Bon sang ! Si… s’il t’était arrivéquelquechose…
—Ilnem’estrienarrivé.Etilnem’arriverarien.Maintenant,suis-moi.Tuasbesoindemanger.Etmoiaussi.
Ellemêlalesdoigtsauxsiensetlesserrafort.—On vamanger, s’octroyer quelques heures de sommeil véritable, et ensuite on réfléchira à un
moyendemettreDalmageàgenoux.
—J’étaismorted’inquiétude!Rhondaentraentrombedansl’appartementà7heurescematin-làetétreignitStephaniedetoutesses
forcesavantdelarepousseretdeluijeterunregardnoir.—Net’aviseplusjamaisdemefaireunefrayeurpareille!Etavantquetumeposeslaquestion,non,
jen’aipasétésuivie.Cetteambiancederomand’espionnagecommenceàmefilerleschocottes.Quesepasse-t-il,àlafin?
—Toutd’abord,moiaussi, je t’aime,mapoulette.Je teremercied’êtrevenueaupiedlevé.Etdet’êtremise…encongés?
—Arrêtmaladie,précisaRhonda,faisantminedetousserdemanièrethéâtrale.Stephaniepressal’épauledesonamietandisqu’ellel’aidaitàretirersaveste.—Ohlavache!Pourunefoisquejen’aipasl’airinsipideàcôtédetoi!Il était rarequeStephanievoieRhondaquandellen’était pas tirée àquatre épingles.Pour autant,
mêmevêtued’unsurvêtementrose,coifféed’unequeue-de-chevaletsanslamoindretracedemaquillage,elleétaitadorable.
—C’estcequ’onrécoltequandonm’appelleàl’aube.Situveuxmevoirdanstoutemasplendeur,ilfautmelaisseraumoinsdeuxheurespourmepomponner.
—Quenousn’avonspas,ditStephanieens’emparantdesdeuxordinateursapportésparRhonda.
L’instinct de Stephanie lui avait soufflé de confier son portable à Rhonda jusqu’à son retour deSierraLeone,décisionquis’étaitavéréedesplusperspicaces.
—Oh,merci,monDieu,c’estbienl’odeurducaféquejesens?—Etd’unepizzaimproviséeenguisedepetitdéj.(Stephaniesedirigeaverslacuisineetenversa
une tasseàsonamie.)Joeapréparéune tonned’œufsbrouilléset fait frireunkilodebaconhiersoiravantqu’onaillesecoucher.J’aimislesrestessurunepizzaauxpepperoniquidevraitêtreprêted’uneminuteàl’autre.
Laminuteriedufoursonnapileàcetinstant.—T’asvuça!Ellearboraunemineenjouéeetenfilaunepairedemaniques.—Donc,fitRhondaenappuyantleshanchescontreleplandetravailetenseréchauffantlesmains
sursatassetandisqu’elleregardaitStephaniedécouperlapizza.OùestlegrandvilainJoe?Stephanieluijetauncoupd’œilpar-dessusl’épaule.—Soisgentille.Etessaiedenepastedécrocherlamâchoirequandtuleverras.—Pourquoi?Est-cequ’ilauntroubéantàlaplaceducœuraprèsquetuleluiasarrachépourle
piétiner?Etjen’airienquedel’espoirdansmonpetitcœuràmoientedemandantça.—Soisgentille,j’aidit.(Stephaniesetournaverssonamie.)Iln’étaitpasdansunsuperétatquand
onl’asortidecetteprison.Illuifaudraunmomentpourserétablir.—Oh.(Rhondaeutl’airsincèrementcontrite.)Est-cequ’ilvabien?— Il s’en remettra, oui. (Elle l’espérait.) Combien de tranches ? demanda-t-elle, détournant la
conversationdeJoe.Laveille,aprèsavoirmangéetnettoyélacuisineensembledansunsilenceprudent,Stephanies’était
empressédeluisouhaiterbonnenuitavantdedisparaîtredanslachambreàcoucher.Elleétaitrestéeallongéesurlematelasàmettreendoutesadécisionjusqu’àcequ’ellefinissepar
s’endormir.Elleavaitététentéeunebonnecentainedefoisdelerejoindredanssonlitpoursimplementleserrerdanssesbras.Siquelqu’unavaitbesoind’uncâlin,c’étaitbienJoe.Maislecâlinauraitconduitauxcaresses,puisauxbaisers,puisàfairel’amour.Etendépitduplaisirqu’ilsenauraienttiré,endépitdu réconfort, du contentement, de la libération dont ils avaient tous deux besoin, cela aurait été lamauvaisechoseàfairesurlelongterme.
—Steph?Elleserenditcompteavecunhaut-le-corpsqu’elles’étaitperduedanssespensées.—Excuse-moi.Tudisais?—Oùest-il?Rhondaavaitapportésoncaféainsiqu’uneassiettegarnied’unetranchedepizzaàlatabledelasalle
àmangeretétaitentraindedémarrersonordinateur.—Ildortencore.Ellen’avaitpasentenduunbruitdepuisqu’elles’étaitlevée.Ilétaitplusde3heuresdumatinquand
ilsétaientenfinalléssecoucher.Elleespéraitquecelasignifiaitsimplementqu’ilrattrapaitlesommeildontilavaitcruellementmanquéetnonpasqu’ilétaitrestéétendusursonlit,éveilléjusqu’àpasd’heure,commeelle.
—Çadéchire,fitRhondaenenfournantlapizzadanssabouche.Ilvafalloirsebougerpourbrûlertoutcegras!Aufait,pourquoisuis-jeici?Quesepasse-t-il?
—Accroche-toi,l’avertitStephanie.C’esténorme.—OK…(Rhondasondasonvisageduregard.)Tuveuxbienmedonnerunpointderepère?—GreerDalmage.
LecœurdeStephanies’emballarienqu’enprononçantsonnomàhautevoix.—L’officierdeliaisonaméricainavecl’Unao,ditRhonda,lesyeuxplissés,tirantl’informationdesa
mémoire. Et je viens d’apprendre qu’il figure sur la liste restreinte des candidats sélectionnés par leprésidentpourlepostedesecrétaired’État.Etalors?
Stephanieentrecroisalesdoigtssurlatable.—DalmageestresponsabledelamortdeBryan.Rhondainclinalatêtecommesiellel’avaitmalentendue.Apparemment,l’expressiondeStephanie
laconvainquitducontraire.—Responsable?Tuveuxdirequec’estluiquiafaitfoirerlamission?—Jeveuxdirequelamissionn’apasfoiré.Dalmageofficiaitcommecolonelsurleterrainquandle
Grouped’InterventionMercyse trouvaitsurplace.Ilaordonnél’attaqueduRUFsur lesMCB.Aucunmembredel’équipen’étaitcensésurvivreàcettenuit-là.
Rhondablêmit.Elles’adossaàsachaise,lesyeuxécarquillésetpleinsdeméfiance.—Waouh.Minute.Uncoloneldel’arméeaméricaineaordonnéuneattaquesursesproprestroupes?
Tut’esentendue?Unquartd’heureplustard,aprèsqueStephanieluieuttoutexpliquéaussiclairementquepossibleet
queRhondal’eutmitrailléedequestions, la jeunefemmeensavait toutautantquesonamie.Etsurtout,ellelacroyait.
—Oh,machérie. (Rhonda tendit lesbrasen traversde la tableet couvrit lesmainsdeStephanieaveclessiennes.)Quelfilsdepute!Onnepeutpaslelaissers’entirercommeça,affirma-t-elled’untonrésolu.Dequoias-tubesoin?
— De tout ce que tu pourras trouver sur Dalmage. La moindre de ses activités sur les marchésinternationaux, particulièrement en Sierra Leone. Ses partenaires commerciaux. Ses liens avec lesgouvernementsétrangers.Lesfinanciers.Toutcequetupourrasdénicher.N’importequoi.
—Enremontantjusqu’àquand?Stephanieavaitdéjàdémarrésonordinateuretouvertsaboîtee-mail.Elleattenditpendantqueles
centainesdemessagesarrivaientdanssaboîtederéception.Ellen’encherchaitqu’un:celuideRafe.—Jusqu’àilyaquinzeans.ÇanousconduiraàlafenêtreoùleGrouped’InterventionMercyétait
déployéenSierraLeone.—C’estcommesic’étaitfait.ElletransféralemessagedeRafeàRhonda.—Sers-toideçacommepointdedépart.—Ehben!Ilsn’ontpaschômé,déclaraRhondaaprèsavoirlul’e-mail.Dalmagefinirasurlachaise
électrique.Onvas’enassurer.Au bout d’une heure passée à creuser, à compulser leurs logiciels et à sonder les moteurs de
recherche,ellessavaientqu’ellestenaientunepiste.
SonvieuxsurvêtementgrisluiparaissaitbienampleettombaitsurseshancheslorsqueJoeentradansla cuisine pieds nus, bâillant et se frottant la tête d’une main pour se réveiller. Il avait le cerveausérieusementengourdi;ilexulteraitlejouroùunecourtesiesteluipermettraitànouveaud’êtreautaquet.
—OK,cen’estpasque je soisgênéepar lavued’unhommeàmoitiéàpoildebonmatin,mais,commentdire?…tuasvraimentunesalemine.
Ils’arrêta,clignalesyeuxetseconcentrasurlablondeenjoggingrosebonbon.
—Rhonda,dit-ilavecunhochementdetêteavantdesedirigerd’unpastraînantverslacafetière.Ettuasl’air…
—Nedisrien.Onnes’enporteraquemieux,toicommemoi.Ellesecaladanssachaiseetledétaillaànouveaudelatêteauxpieds,commeunmorceaudeviande
qu’ellenetrouvaitpasparticulièrementappétissant.Il n’aurait sans doute pas dû le reconnaître, mais Rhonda l’intimidait. Un chouïa. Elle était trop
belle, trop sûre d’elle, et selon lui, bien trop rentre-dedans. Néanmoins, c’était une bonne amie deStephanie, alors il l’appréciait malgré tout. Il aurait simplement souhaité qu’elle arrête de le jaugercommesi elle était ladirectriced’uncomitéd’embaucheet lui, ledernier sur la listedescandidatsàrappeler.
—OùestStephanie?—Jesuislà.Ilsetournaetlavitentrerdanslacuisine.Elleportaitlepullbleupasteletlejeandelaveille,mais
elleavaitdéfaitsescheveux,quiondoyaientdélicatementsursesépaules.Pulldoux,cheveuxdoux.Ladouceur, cependant, était absente de son expression ce matin. Elle était focalisée sur son objectif,sérieuseetexcitée.
—Quoideneuf?—Prendstoncafé.Puissers-toiunepartdepizzaetassieds-toi.Onletient,Joe.OntientDalmage.LecœurdeJoeeutunsoubresautetilsedirigeadroitverslatable.—Dis-moitout.Stephanieluiversaunetassedecaféetmittroistranchesdepizzadansuneassiette,puisposaletout
devantlui,visiblementdéterminéeànerienluirévélertantqu’iln’auraitpasmangéquelquechose.Ilsaisitunepartetenmorditunebouchéepourlasatisfaire.—Maintenant,parle.—Tuvasdevoirfairepreuvedepatience,d’accord?Ilhochaànouveaulatêteet,presséparsonregardd’avertissement,repritsatranchedepizza.—Vas-y.—Nousavonsdécouvertqu’unesociétédunomd’EXnergyaprocédéàuneimportanteacquisition
deterrainenSierraLeoneilyadecelaplusieursannées.—Del’ordredeplusieurscentainesd’hectaresdanslaconcessiondelavalléedufleuvePampana,
ajoutaRhondad’unevoixanimée.Joedéglutit,puiss’essuyalaboucheavecuneservietteenpapier.—Ilyacombiend’années?Stephaniecroisasonregard,lesoutint.—Quinze.Bingo.—Àl’époqueoùl’équipesetrouvaitenmissionlà-bas.Stephanies’assitettournasonportableversluiafinqu’ilpuissevoirl’écran.—Ilyajusteunhic.EXnergyn’existepasvraiment.Celanelesurpritguère.—C’estdoncunesociétéfictive?—Pastoutàfait,réponditRhonda.Unesociétéfictiveestmiseenplacepourservirdecouvertureà
uneouplusieursautresentreprises.Ellesembleréellesurlepapier,maisn’estpasàmêmedefonctionnerindépendamment,carsonuniquebutestdecamouflersonvéritablepropriétaireetd’éviterdepayerdesimpôts.
—Techniquement, expliquaStephanie,EXnergyestuneorganisationparavent.Elle a été crééedesorteàpasserpourindépendantealorsqu’enréalitéelleestauxmainsd’unevéritableentreprisequineveutpasqu’onpuisse remonter jusqu’àelle.Celle-cipeututiliser l’organisationparaventpourqu’elleagisseensonnomsansquecesactionssoientimputablesauxpropriétairesréels.
—VousêtesentraindemedirequelaCIAestimpliquée?LaCIAmontaitdesorganisationsparaventstoutletemps.L’agencevoulaitêtreprésentedanscertains
endroitsdumondetelsquelaLibyeoulePakistan,alorsellefondaitdesassociationscaritativeslégalessurplaceetyplaçaitdesagentsenlesdotantd’unehistoireplausible,d’occupations,etc.
—SemblableàlaCIA,précisaStephanieenjetantuncoupd’œilàRhonda.MaispaslaCIA.ElleregardaJoe,dansl’expectative.—Dalmage,dit-il,lisantentreleslignes.DalmageestEXnergy?—Onenestpratiquementsûres.Ondoitencorecreuserunpeuavantdepouvoir leclamerhautet
fort,maisouais,DalmageestEXnergy.Joeenoubliacomplètementsapizza.—Ilyaquoisurceterrain?Vousavezréussiàledécouvrir?—Ohqueoui,fitRhonda.(Onauraitditunchatquivenaitd’avalerlecontenudubocald’unpoisson
rougeenintégralité.)D’énormesgisementsdeTRenabondance.—De terres rares, clarifia Stephanie. Lanthane, scandium, thulium, cérium, dysprosium, hafnium,
lutécium, niobium, néodyme, praséodyme, tantale et zircon. Dix-sept au total. Et toutes exploitablescommercialement.
—Exploitableàquellesfins?demanda-t-il,senourrissantdeleurexcitation.—Lesterresraressontessentiellespourdévelopperlestechnologiesvertes,commelesbatteriesdes
voitureshybrides,leséoliennesrespectueusesdel’environnement,lesampoulesbasseconsommation,etmêmelafibreoptiqueetlessystèmesdeguidagedemissiles,etbiend’autrestechnologiesénergétiques,expliquaStephanie.
—CequirendlesgisementsdelavalléeduPampanasiprécieux,poursuivitRhonda,c’estquelaChineproduitquatre-vingt-dix-septpourcentdesréservesmondialesdeterresrares…etdevinezquoi?Ilsn’envendentàpersonne.Ilsenutilisentl’intégralité.
—Cequiprived’approvisionnementunmondefriandd’énergieverte,renchéritStephanie.—Donc,repritJoe,réfléchissantàvoixhaute, laprévoyancedeDalmage,faceaumonopoledela
Chine,confèreauxterrainsdelaSierraLeoneunevaleurillimitée.—Del’ordredeplusieursmilliersdemilliardsdedollars,aubasmot.Dalmagetientlapouleaux
œufsd’orentresesmains,convintRhonda.—Leseulhicpourlui,ajoutaStephanie,c’estqued’unpointdevueéthique,moraletlégal,puisque
Dalmage était un représentant du gouvernement américain à l’époque de l’acquisition et qu’il estmaintenantundiplomateaméricain,illuiestformellementinterditdetirerprofitdesaposition.
—Cequiveutdirequ’iladûcachersonimplication,résumaRhonda.—EtEXnergyestnée.(JoecroisaleregarddeStephanie,lefeudelavengeanceluiconsumantles
entrailles.)EtBryanestmort.
20
Stephanie regarda Joe s’écarter de la table et se diriger vers la baie vitrée. Il était devenu biensilencieux. Comme à chaque fois, le tatouage qui courait le long de son dos l’émut. Plus encore, lesecchymosespersistantesquitémoignaientdutraitementbarbarequiluiavaitétéinfligéluiélancèrentlapoitrine.IlavaittoutrisquépourvengerlamortdeBryanetavaitfaillitoutperdre.Etpendantbientroplongtemps,ellenel’avaitpascru.
—Jesuisdésolée,Joe.J’auraisdûtecroireilyadesannées.—Tun’étaispaslaseuleàavoirdesdoutes,dit-ilensetournantlentementversellepourcroiserson
regard.Jedoutaisaussi.Elle lut le pardon dans ses yeux.Et la compréhension, et d’autres émotions qu’elle ne pouvait se
permettred’exploreravantd’êtreelle-mêmeenterrainsûr.—Tuastoujourssuquec’étaitDalmage?s’enquitRhonda.—Non.(Joeluijetauncoupd’œil.)Pasavantl’annéedernière,quandj’aivusaphotosurlemur
danslebureaudeMarcusChamberlin.—Etàpartirdelà,tuasassemblélepuzzle?— Quelque chose dans ce goût-là. Où Dalmage a-t-il déniché les fonds pour financer son
acquisition?—C’estcequ’onsedemandait.(Lesjouesrouges,Rhondasepenchaenavantsursachaise.)Cefric-
làm’excite,déclara-t-elleavecunlargesourire.Etonparled’unesacréefortune.Dalmageadûraquerdesmillionspourl’apportdefondsinitial.Safamilleestriche,maispasaupointdelesoutenirsuruntelprojet.Etriendanssesextraitsdecomptesn’indiquequ’ilaitpuamassertoutcepognon.
—Ilsembleraitqu’ilaittrouvédesinvestisseurs,continuaStephanie.Onn’apasencoremisledoigtdessus,maisonestentrainderemonterplusieurspistesd’argentsalequidébouchentsurdesindividuspeufréquentablesauseindenationspeurecommandables.DestypescommeKadhafi.OuKimJong-il.
—Etcen’estpastout.Onapuaccéderauxdonnéessatellitesurlesited’exploitationminière.Ilsessaientdelecacher,maislesminessontactives.Ellessontprêtesàlancerlaproductionenmassedesterresraresprobablementd’iciunan.
—DoncDalmage s’est lourdement endetté auprèsde cespays.Despaysqui, entre autres choses,soutiennentlesactivitésterroristesdesgroupesislamistes.(Joeretournalaquestiondanssatêteàvoixhaute tandis qu’il se redirigeait vers la cafetière.) Reste à savoir comment il compte rembourser sescréanciers.
Joesongeaitqu’ilauraitdûêtresoulagé.Iln’étaitpasfou.Ilavaitraisondepuisledébut.Or il se sentait simplementengourdi lorsqu’il s’éloigna sansmotdiredeStephanieetRhonda, les
laissantpianotersurleursportables.Touts’arrêtait-ilici?Quinzeansdurant,ilavaitportélepoidsdelamortdeBrysursesépaules.Quinzeansdurant,ilavait
remisenquestionsesactions,sesdécisions,seséchecs.Iln’avaitpassauvéBryan.Iln’avaitpassauvésonpetitfrère,Bobby.
Iln’étaitmêmepassûrdes’êtresauvélui-même.IlavaitvujusteausujetdeDalmage,pourtantiln’éprouvaitriensicen’étaituneimmensesensation
devide.Il sedéshabilla et alladenouveau sous ladouche. Il tourna le robinetd’eauchaudeaumaximum,
animé par le besoin irrésistible de laver l’ignoble trahison de Dalmage qui lui avait sapé le moralpendantlamajeurepartiedesavied’adulte.
Ilvoulaitressentirunecolèrejustifiée,cathartique.Ilvoulaitjureretrugiretenfoncersonpoingdansquelque chose de délicieusement solide et destructible… mais il ne ressentait rien d’autre qu’uneprofondelassitude.
Seigneur,ilsesentaitsifatigué.Ilplaqualespaumescontrelescarreaux,laissasatêteretomberentresesbrasetpriapourquel’eau
bouillanteruisselantsursoncorpslepurifie.Leguérisse.Luifassesentirqu’ilétaitplusqu’unecoquilled’hommeusé,exténué.
Il resta sous la douche jusqu’à ce que l’eau devienne froide, jusqu’à ce qu’il grelotte sous le jetglacé.Têtebaissée.Yeuxfermés.Yeuxbrûlants.Yeuxmouillés.
Ilnel’entenditpasentrerdanslasalledebains.Ilneréagitpasquandellefermalerobinet.Etbienentendu,ilnelaregardapas.Ilneputlaregarderdavantagelorsqu’elleenroulauneserviette
autourdesesépaulesetleguidadélicatementhorsdeladouche,puissansriendirelefitasseoirsurlereborddelabaignoire.
Ilnepouvaitrienfairedutoutsicen’estaccepterqu’ellesetienneentresescuisses,poselajouesurledessusdesatêtebaisséeetleserreforttandisqu’iltremblait.Tandisqu’ilpleuraitàchaudeslarmessursonfrèrequ’iln’avaitpusauver,sursonfrèreàellequeDalmageavaittué,surlesannéesqu’ilavaitperdues,surlesviesqu’ilavaitprises.Surl’amourqu’iln’avaitaucundroitd’attendredecettefemme,qui lui permettait de ne pas s’écrouler quand toutes les forces de l’univers tentaient de le tailler enpièces.
Rhondas’étiraenbâillantetmassasanuquenouéeaprèsêtrerestéede longuesheuresvoûtéessursonordinateur.Stephanieavaitsentilescoupsd’œilintriguésdesonamietoutdulong.
—Alors,oùestpassénotrehéros?s’enquitRhonda.Stephanie fit lentement défiler plusieurs communiqués de presse concernant la nomination
présidentielle imminente pour le poste de secrétaire d’État, que Dalmage semblait destiné à obtenir.Quelquechosetournaitenronddanslestréfondsdesonesprit,quelquechoseayantunrapportaveccettenomination,quelquechosed’assezconfuspourlemoment.
—Ildort,répondit-elled’unairabsent.Rhondaseraclalagorge.—Àquelpointest-ilmalade?
LesépaulesdeStephanies’affaissèrenttandisqu’ellesoupiraitetsecalaitcontresachaise.—Iln’estpasmalade,dit-elle.Pasphysiquement.Mais son cœur et son âmenécessitaient des soins intensifs.Être témoinde son
afflictionluiavaitétépénible,maisellesavaitquec’étaitpourluilapremièreétapedelaguérison.—Onl’aaffaméetbattutouslesjours.Letraitementquiluiaétéinfligédépasselabarbarie.Rhondan’insistapaspouravoirdesdétails.—Çan’apasnonplusétédetoutrepospourtoi,chérie,répliqua-t-elletoutbas.Stephanieappréciaitlasollicitudedesonamie.— Je ne suis restée là-bas que quelques jours. Il pensait qu’il allaitmourir dans cette prison.La
premièrefoisquejel’aivu,j’aiétéimpressionnéequ’ilrespireencore.Elle se perdit dans les souvenirs d’un Joe passé à tabac, dévasté, recroquevillé dans sa cellule
sordide.—Toutvarentrerdansl’ordreàprésent.Rhondaposalamainsurlasienneetlapressadélicatement.—Ouais,acquiesçaStephanie,gratifiantRhondad’unsourired’encouragement.Çavaaller. Il faut
justequ’onreconstituel’intégralitédupuzzle.Rhondapliaetdépliaexagérémentlesdoigtsau-dessusdesonclavier.—Avecl’aidedecespetitstrésors,Dalmagen’apaslamoindrechance.Àproposdepetitstrésors,Rafeavaittéléphoné.LescontractionsdeB.J.s’étaientarrêtées,ilsétaient
doncderetouràlamaison,àattendrel’arrivéedel’heureuxévénement.—Encoreunpeudecafé?Stephanies’écartadelatableavecsatassevideetsedirigeaverslacafetière.—Non,jeferaismieuxdeleverlepiedsurlacaféine.Waouh,ajoutaRhondaensepenchantversson
écran.Voilàquiestintéressant.Stephanieremplitsatasseetrejoignitsonamiepourregarderpar-dessussonépaule.Soncœursemit
àtambourinerdanssapoitrinependantqu’ellelisaitlanécrologiequeRhondaavaitdénichée,etl’idéenébuleusequitournoyaitdanssonespritpritsoudainforme.
—Uneseconde.Fautquetuvoiesça.Elle retourna en vitesse à son portable, cliqua sur sa souris jusqu’à ce qu’elle trouve ce qu’elle
cherchaitetoriental’écranpourlemontreràRhonda.—Merdealors!Coïncidence,Sherlock?Stephaniesecoualatête.—C’esttropénormepourêtreunecoïncidence.—Joevoudravoirça.—Pasencore.(Stephanielançaunerecherchesurtouslesnomsrécemmentcitéscommecandidats
potentielsaupostedesecrétaired’État.)Assurons-nousdetenirquelquechosedeconcret.—Onnepeutpasfaireplusconcret.—J’aimeraisunpeuplusdepreuves.—Despreuvesdequoi?demandaJoe.Stephaniesetournabrusquementverslui.Ilportaitlesurvêtementquiluitombaitsensuellementsur
leshanchesettiraituntee-shirtsursatête.Quandcelle-ciressortit,ilbraquaimmédiatementsonregardsurStephanie.Délicatementsomnolent.Unbrinindécis.Centpourcentviril.
Il paraissait reposé. Et sublime. Et peut-être se faisait-elle des idées, mais elle aurait juré quecertainsdesesfantômess’étaientenvolésversdescontréesinconnues.
—Nousn’ensommespasencoresûres,réponditStephanietandisqu’ilsedirigeaitverslatableettiraitunechaiseàcôtéd’elle.
—Dis-moidequoivousn’êtespassûres.Il se pencha vers elle, embaumant le sommeil et le savon ainsi qu’une fragrance indéfinissable
qu’elle avait toujours qualifiée en secret de « Libi-Joe ». Cet homme était un véritable condensé delibido.Sonparfumsuffisaitàluidonnerdespalpitations.
Etquandillaissaretomberlebrassurledossierdesachaise,puisquandilposanonchalammentunemainsursestrapèzesendoloris,lesmassantdélicatement,ellefutbiencontented’êtreassise.
— Patience, insista-t-elle, s’efforçant de se concentrer sur sa recherche. Donne-nous dix petitesminutesetontiendrauneinfodutonnerre.
Ilsereleva.—Autantquejemerendeutiledanscecas.Quiafaim?Rhondaluidécochaunsourire.—Tuprendslescommandes?—Lemenuestunpeulimité,maissituasenviedebaconetd’uneomeletteaufromage,alorsoui.—Çameva!réponditRhonda.—Çatombebien,parcequemestalentsculinairesserésumentàpeuprèsàlapréparationdesœufs.—C’estlepointcommundesMCB,précisaStephanieàRhonda,remarquantquesonamiereluquait
avecintérêtlepostérieurdeJoetandisqu’ilsedirigeaittranquillementverslacuisine,piedsnus.—Dois-jeterappelerquec’estlemien?luisoufflaStephanie.Rhondapoussaunsoupirdramatiqueavantdemurmurer:—Jenefaisqueregarder.Dois-jeendéduirequevousvousêtesremisensemble?Stephaniepinçaleslèvres.—Lejuryn’apasfinidedélibérersurlaquestion.—Letien,peut-être.Paslesien.Ilesttotalementetinconditionnellementamoureuxdetoi.Rhondareportalesyeuxsursonécran.ElleavaitpiquélacuriositédeStephanie.—Etcommentlesais-tu?Rhondajetauncoupd’œilverslacuisine.—Tun’aspeut-êtrepasfaitattentionàlafaçondontilteregarde,maismoisi.Oh,si,elleavaitfaitattention.Àlafaçondontilluiavaittouchél’épaule.Àlavulnérabilitéqu’elle
voyaitdanssesyeuxquandilcroisait lessiens.Lessignesétaientpositifs,mais lavéritérestaitàêtredémontrée.
—Lisçaetpleure.Rhondamit la listedenomsqueStephanieet elleavaientdressée sous lenezde Joe lorsqu’il les
rejoignit à table avecune assiettepleined’unmélange fumant et aromatiqued’œufs, de fromage et debacon.
Il leuravaitdéjàservi leuromelette, leurs toastsbeurréset leur jusd’orange.Stephanie l’observaattentivementlorsqu’ilsoulevalafeuilledepapier,portaunefourchetéed’œufsàsaboucheavantdelareposersursonassiettesansyavoirgoûté.
—C’estquoi?demanda-t-ilsansôterlesyeuxdelaliste.—Tureconnaiscertainsdecesnoms?LepoulsdeStephanies’affolatandisqu’elleleregardait.
—Tous.Carson:sénateurdel’Ohio.Comitédel’armement.Krenshaw:ancienchefdelamajoritéauCongrès.Alberts…(Ilfermalespaupières,s’efforçantdeserappeler.)Suivibudgétaire,puisaffairesétrangères.Uneseconde…Carsonestmort,non?
—Dansunaccidentdevoiture,ilyaplusieursmois,confirmaStephanieavantdelâcherlabombe.KrenshawetAlbertsaussi.
Joesepenchaenavantsursachaise,latensiondesoncorpsmassifpalpable.—Quoi?—Krenshawest décédé lemois dernier.Une agressionqui a tourné aumeurtre.Alberts a euune
crisecardiaque…dumoins,c’estcequeditsanécro.Ilfronçalessourcilsetjetaànouveauuncoupd’œilàlaliste.—Etlesautres?— Mort. Mort. Et mort, répondit Rhonda d’une voix monocorde. À l’exception de Williams et
Jacobson.Tousdeuxontrécemmentétéadmisdansdesétablissementsdesoinsdelongueduréeauseindel’unité«légumes».
Ilplissalefront.—IlestécriticiqueWilliamsaquarante-septans.Jacobson,cinquante-huit.Etvousmeditesqu’ils
ontétéplacésdansunhospice?—Williams est resté paralysé à la suite d’un accident vasculaire cérébral. Jacobson a été frappé
d’unesoudaineattaquededémence.La température de l’appartement sembla chuter de plusieurs degrés, tandis queStephanie attendait
queJoefasselelienentretousceséléments.—Bon sang ! (Il passa unemain sur samâchoire.) Tous étaient candidats au poste de secrétaire
d’État,n’est-cepas?—Ouais,répondit-elleàvoixbasse.Etmaintenant,ilneresteplusqu’unfavori.Stephaniecompritquelaréponseàtoutesleursquestionsémergeaitenfinàlasurface.—VoilàcommentDalmagecompteremboursersesdettes,conclut-il.Iléliminedelacoursetousles
candidats sérieux,devient secrétaired’État,puisoctroiecertaines faveursà ses investisseurs : commefermerlesyeuxsurleursmassacresgénocidaires.Illaissesescréanciersdespotessaccagerlesintérêtsaméricainsàl’étranger,ettoutlemondes’enpaieunebonnetranche.
Stephanieselevapourarpenterlapièce,sacolèrel’emplissantd’uneénergienerveuse.—Ilplanifiesonavancementetplacesespionsdepuisdesannées.—Ilsepeutmêmequ’ilyaitbiend’autressénateursdécédésquiseraientencoreenviesiDalmage
nelesavaitpasprispourcible,ditJoe.—Etpersonnen’alamoindreraisondelesoupçonner,déploraStephanied’unairsinistre.Nin’est
capabledeprouverqu’ilestimpliquédanstouscesmeurtres.—Oumêmedechercheràprouverqueceshommesontétéassassinés,renchéritJoe.Illuisaisitlamainlorsqu’ellepassaàcôtédeluietlatranquillisad’unregard.— Il est doué, il faut le reconnaître. L’un des candidats est mort dans un « curieux » accident
domestique, ajouta Rhonda. La semaine dernière, un scandale a éclaté au sujet d’un autre candidatpotentiel,lereliantàunréseaudepornographiepédophile.Ilseseraitsuicidé.
—Unparun,Dalmagelesatoussupprimés,déclaracalmementStephanie.—Etcommentonleprouve?s’enquitRhonda.—Ondoit parler aux familles des victimes, annonça Joe d’une voix résolue.Découvrir ce qu’ils
savent.Quelqu’unauraforcémentvuouentenduquelquechose.Ilss’emparèrentchacund’untéléphoneetcommencèrentàpasserdescoupsdefil.
21
Dalmage vérifia sa montre alors que l’avion commercial approchait de l’aéroport de Dulles, àWashington.L’atterrissageétaitprévuà15h30.Deuxheuresplus tard, il feraitnuitnoire.Unemincecouche poudreuse couvrait la piste en contrebas que chasse-neige et tractopelles en miniaturesillonnaient,empilantlaneigeentas.
IlrepensaàSaiduBangura.Àlafaçondontlevisagedugroslardavaitenflé,dontsesyeuxétaientsortisdeleurorbite,dontsesdoigtsboudinéss’étaientagrippésàlacordequeDalmageluiavaitpasséeautourducoutandisquesonsous-fifremontaitlagarde,sonfusild’assautpointésurletorsedeBangura.
Ses nervis avaient trouvé la femme du lieutenant.Dalmage avait obligé ce dernier à les regarderl’exécuter la première, bien entendu. Il avait observé la scène sans ciller tandis qu’elle s’égosillait àimplorerpitié etqueBangura le suppliaitde lui laisser lavie sauve. Il avait éprouvéun sentimentderéparationdesplussatisfaisantsquandlaballeluiavaitfaitexploserlacervelle,redécorantlesalonaumobiliercriarddeBangura.Ilregrettaitquelesenfantsaientréussiàs’échapper.NuldoutequeBanguraauraitpromisdefairenombredechoseshumiliantespourlesépargner.
Ilsseporteraientmieuxàprésentqu’ilsétaientorphelins.Toutcommeluiseportaitmieuxàprésentquecetincapableétaitcrevé.Banguraavaitmenti.Uneerreurfatale. Ilavaitsignésonarrêtdemortdès l’instantoùGreenetsa
complice avaient fui le pays, mais mentir ? Lui affirmer que Green et consorts avaient péri dansl’accident?Cetteduperieexigeaitunepunition.Alors,forcément,lafemmeavaitdûmourir,elleaussi.
—MonsieurDalmage?Lavoixdustewardl’arrachaàsespensées.—Nousavonsatterri,monsieur.Avez-vousbesoind’aideavecvotrebagageàmain?—Çaira,répondit-ilsuruntonbourruavantdedébouclersaceintureetdeselever.Premierpointàl’ordredujour:localiserJosephGreen.Secondpoint:l’éliminer.«Toutestquestiond’ordre,n’est-cepas,fils?»Ilentendaitencorelavoixdesonpèredanssatête.Ill’entendraittoujours.Toutcommeilsentiraitsa
ceintureluicinglerledos.«Pasdeplacepourl’échec.Iln’yaqu’unseulaboutissementpossible:lavictoire.Alors,secoue-
toi.Cessedechialer.Unjour,tumeremercierasd’avoirfaitdetoiunhomme.Unhommedontjepuisseêtrefier.»
—Jeluimontrerai,àcesaloparddétraqué,grommela-t-ildanssabarbeenrécupérantsonattaché-casedanslecompartimentderangementsupérieur.
EtilenferaitdemêmeavecGreen,quilepoursuivaitcommeunemalédiction.Greennepouvaitavoirdécouvertqu’ilétaitderrièrel’embuscadeduGrouped’InterventionMercy.
Etsiparmiracleill’avaitcompris,ilnedétenaitabsolumentaucunmoyendeledémontrer.ImpossiblequeGreenlerelieàquelqueactivitécompromettante.Ilpouvaittoujourss’époumoner,iln’étaitpasenmesuredeprouverquoiquecesoit.
L’intégritédeGreenseraitaussicrédiblequeBernieMadoffquandDalmageauraitmenéàtermesacampagnedediffamationcontrel’ex-agentdelaCIArenégatquiavaitperdulaboule.
Alorsnon,ilnesetracassaitguèreàcausedeGreentandisqu’ildescendaitlapasserelleendirectionduterminal.
Le journal télévisé qui l’accueillit une fois rentré chez lui, dans sa demeure en grès brun deGeorgetown,àWashington,l’inquiétacependant.
—Non.Celanepeutseproduire.Ilrestalesyeuxrivéssurl’écran,paralysédestupeur.Il sentit son visage chauffer lorsque le bulletin d’informations toucha à sa fin. Sentit sesmuscles
cardiaques se contracter si vite qu’il n’eut pas le temps de gober un cachet de trinitrine.Une douleurépouvantableirradiadanssacagethoracique.
Sesgenouxployèrentet ils’affaladansunfauteuil.Sesdoigtstremblantstâtonnèrentdanslapocheintérieuredesavesteàlarechercheduflacon…etlerenversèrent.
—Putain!rugit-ildanslademeurevideetfroide.Il tombaàquatrepattes tandisque lesminusculescompriméss’éparpillaientsur leparquetciréen
boismassif. Il geignait quand il parvint à en retrouver un et à le glisser sous sa langue, et sanglotaitlorsquel’étaudel’angorquiluibroyaitlapoitrinesedesserraenfin.
—Putaindemerde!grommela-t-ilplusieursfoisdesuite,luttantcontrelesentimentdeplusenplusprégnantquesesprojetsméticuleusementélaborésnetenaientplusqu’àunfil.
Illuifallutunbonquartd’heurepourseressaisir,recouvrersadéterminationetéchafauderunplanpourgérercetultimecontretemps.
«Iln’yaqu’unseulaboutissementpossible.»IldevaittrouverAnnTompkins,etvite.IlrestaitquinzeminutesavantlafermeturedesbureauxaudépartementdelaJustice.Ildécrochason
téléphone.Uncoupdefildefélicitationss’imposait,aprèstout.Uncoupdefilprivé,provenantdeluienpersonne.
Aprèsavoirdûécouterunemyriadedemessagespréenregistrésl’invitantàappuyersurtelleoutelletouche,ilcrachaunjuronlorsqu’ilfutrenvoyédirectementsurlerépondeur.
«Vousêtessurlamessageried’AnnTompkins.Jeseraiabsentejusqu’aulundi28,maisnemanqueraipas de vous rappeler au plus vite. En cas d’urgence, veuillez composer le numéro de poste 5032 etdemandermonassistante,ErinClemons.»
Ilenfonçafurieusementlestouches.Unevoixjeune,guillerette,enquêtedepromotion,réponditdèsladeuxièmesonnerie.
—Bonsoir,madameClemons. Je cherche à joindreMme Tompkins et onm’a communiqué votrenuméro.J’espéraisquevouspourriezmedirecommentlacontacter.
—Puis-jeconnaîtrevotreidentité,monsieur?demandalajudicieuseMmeClemonsd’untonjovial.—Pardonnez-moi.MatthewBridgefield.Lemédecind’Ann.—Oh.Sonmédecin?
—Je ne veux pas vous brusquer,madameClemons,mais je dois vraiment lui parler. J’ai essayéd’appeler chez elle ainsi que sur le portable qu’elle m’a donné, mais je tombe directement sur samessagerie.J’espéraisquequelqu’unàsoncabinetpourraitm’aider.
— Docteur Bridgefield, je suis navrée. Je ne suis pas autorisée à fournir des informationspersonnellesconcernantMmeTompkins.
—Biensûr. (Il fitminedeparaîtrevaincu.)Jecomprends,eten toutesincérité, jemedoutaisquevous ne pourriez pasme venir en aide. Je suismoi-même soumis à la plus stricte confidentialité. (Ilmarquaunepausepourrenforcerl’effetdramatique.)Danslecasprésent,cependant,jemevoiscontraintdefaireuneexception.Ils’agitd’uneurgencemédicale.Jedoisvraimentm’entreteniravecAnnausujetdesesrésultatsd’examens.
—Oh.J’espère…MonDieu!Est-cequ’ellevabien?Ilsourit.Elleavaitmorduàl’hameçon.—Jenesuispasautoriséàdiscuterdesonétatdesanté,maisjedoislajoindredetouteurgence.Je
saisquevousnepouvezrienfaire,maisyaurait-ilquelqu’und’autre…quelqu’unquineseraitpasobligéderespecterlesmêmesrèglesdeconfidentialitéquevous?
—Avez-vousessayédecontactersafille?— Non, c’est vous que j’ai appelée en premier. Mais il est possible qu’Ann m’ait donné les
coordonnéesde sa fille.Uneminute, laissez-moivérifier…Jene suis pas trèsdouépourprendredesnotes,jelecrains.Ah.Levoilà.Indicatifdeuxzérodeux,n’est-cepas?
—Non.StephaniehabiteprèsdeNewCarrolton.L’indicatifesttroiscentun.—Mince,maugréa-t-il.Sicen’estpassonnuméro,alorsjedoisl’avoirquelquepartà lamaison.
J’espèrequemafemmenel’aurapasprispourungribouillisetmisàlapoubelle.Il y eut un silence au bout du fil. Un silence qui, espérait-il, signifiait que son interlocutrice
reconsidéraitsadécision.—Cen’estpasmoiquivousl’aidonné,d’accord?répondit-elle,finissantparcéder,conscienteque
c’étaitcontraireauxrègles,maisdésireusedeluivenirenaide.J’ailenumérodeportabledeStephanie.—Merci, Erin, dit-il après qu’elle lui eut communiqué le numéro.Vous avez fait ce qu’il fallait.
Bonnenuit.Ilraccrocha,puiss’octroyaunbrefmomentpourjubiler.Ilétaitderetour!—J’aiquelquechosepourtoi,dit-ilquandileutjointCarlWilsonsurl’undesnombreuxappareils
jetablesqu’ilgardaitsouslamainpourveilleràcequesesappelsnepuissentêtreretracés.StephanieTompkinsn’auraitquefairedetellesprécautions.Ilcomptaitsursonnumérodeportable
privépour lemener jusqu’à samère. Il était horsdequestionde lui téléphoner, bien entendu,mais latrouverétaitessentiel.
WilsonétaitemployéparDalmagedepuisledébut.Ilétaitloyal,efficace,obtenaitdesrésultatsetneposaitpasdequestions.WilsonétaitloyalparcequeDalmagelepayaitgrassementpoursonallégeance.Il était efficace parce qu’il avait été formé par les troupes d’élite de l’armée américaine pour être lemeilleurdanscequ’ilfaisait.Ilobtenaitdesrésultatsparcequ’ilprenaitplaisiràtuer.Etilneposaitpasde questions parce qu’il n’éprouvait nul besoin de se justifier.Wilson était unemachine.Brutal, sanscœuretsansconscience.
Dalmage lui donna le numéro de portable de Stephanie Tompkins, sachant que l’ancien agentdelaCIAn’auraitaucunmalàpisterl’appareiletàdéterminerl’emplacementprécisdelajeunefemme.
—Elleestlaclépourlocalisersamère.Etlamortmalencontreused’AnnTompkinsestdevenuelaclé pour parvenir à nos fins. Que ton équipe se tienne prête à intervenir. Vous devrez vous déployerimmédiatementunefoisquevousl’aurezlocalisée.
—C’estcommesic’étaitfait.—EtCarl, jeveuxquevousdirigiezvous-mêmecetteopération.Ne recrutezque lesmeilleurs…
C’estlemomentdécisif.Nivousnimoinepouvonsnouspermettrequecettemissioncafouille.—Compris.—Rappelez-moiquandvousaurezdesinfosquejeveuxentendre.
Stephanie, Rhonda et Joe passèrent de longues et bouleversantes heures à émettre de longs etbouleversantscoupsdefil.Àlafindelajournée,StephanieétaitabattueetàcentpourcentconvaincuequeDalmageétaitaussinocifquedesdéchetsradioactifs.
Leplusdéchirantfutsaconversationavecl’épousedeRickWagoner,représentantdel’Indianadontlenomavaitétécitédansunscandaledepornographiepédophile.Sa famillemaintenaitquec’étaituntissudemensongesetquesonsuicideinattendun’avaitabsolumentriend’unsuicide.Simplement,ellenepouvaitleprouver.
—Dalmagen’aaucune limite. (Unsordidemélangede stupeuretdedégoût retourna l’estomacdeStephanie.)Ilnereculeradevantrienpourgarantirsanomination.
Personnenepipamotpendantunlongmoment.PuisRhondafinitpar tambourinerdesdoigtssur latable.
—Etmaintenant?Stephanieregardalamontre.Ilétaitprèsdeminuit.—Maintenant,jepensequ’ondevraitdormir.Lanuitporteconseil.(Ilsétaienttousàboutdeforces.)
Ondécideracommentprocéderaumatin.Lamâchoire de Joe était crispée. De toute évidence, dormir était la dernière chose qu’il avait à
l’esprit.—Onva l’épingler, luiassuraStephanieavecconviction.Maisonvafaireçadans les règles.On
doitfaireçadanslesrègles,luirappela-t-elle.Ilinspiraprofondément,acquiesçad’unhochementdetêtesaccadé,puissedirigeaverslabaievitrée
etobserval’extérieurensilence.—Jevaisbouger.Rhondasemblaitaussiexténuéequel’étaitStephanie.—Tudevraisrestericicettenuit.Ilesttard.—C’estgentil,madouce,maismonlitetmoi…onentretientunerelationprivilégiée.Etpuisj’aime
monoreillerperso.Stephaniel’accompagnajusqu’àlaporteetlaserrafortdanssesbras.—Merci.Sanstoi,onenseraitencoreaudébut.—Est-cequeçavaaller?Rhondajetauncoupd’œilversJoetandisqu’elleenfilaitsonmanteau.—Jel’espère.
JoeregardaStephanieétreindrechaleureusementRhonda,puisfermeràcléderrièreelle.Elle paraissait lessivée et triste lorsqu’elle regagna la salle à manger. Cependant, son menton
redresséetsaposturedroiteindiquaientqu’ellenelaissaitpascettehistoirel’accabler.Commeellel’avaitaccablé,lui.
L’humiliationlesubmergea.Ilavaitchialécommeunbébé.Sonvisages’empourpraàcesouvenir.Iln’avaitpaschialécommeçadepuissesquinzeans,alorsqu’ilétaitassisdanscettechambred’hôpitalimmaculée,vêtud’uneblousemédicalestérile,desgantsenlatexauxmainsetunmasquesurlevisage,etavaitmentiàsonpetitfrère,luipromettantdenepaslelaissermourir.
IlfuyaitlefantômedeBobbydepuiscejour.IlfuyaitceluideBrydepuisbientroplongtempségalement.Bryallaitenfinêtrevengé.Bobby…Bobbyn’étaittoutsimplementplus.— Laisse, dit-il quand Stephanie commença à débarrasser la vaisselle sale. Je m’occuperai du
nettoyage.—Tuasdéjàfaitlacuisine,luifit-elleremarquer.—Etjepeuxrangermonbazar.—Etsionlefaisaitensemble?Àmoinsqu’ilne lui arrache lesassiettesdesmains (etvu la ragequ’il refoulait, iln’osaitpas la
toucheràcetinstant),elleauraitlederniermot.—Bien,céda-t-il.Jelave.Tuessuies.—D’ac!Aucoursdesminutessuivantes,seulslesbruitsdel’eauquicoulait,delavaissellequi tintait,des
tiroirsquis’ouvraientetdescasserolesquis’entrechoquaients’élevèrentde l’appartement.Lemalaisequi persistait entre eux avait envahi la pièce, tel un éléphant qui attendait dans un coin, se balançantd’avant en arrière, agitant sa trompe, indiquant clairement à Joe qu’en dépit de tous ses efforts pourl’ignorer,ilnes’eniraitpas.
Il leva la bonde, attrapa un torchon et se sécha lesmains. Tout du long, il observa Stephanie quiévitaitdeleregarder,lelaissaitrespirer,luioffraitlesilencedontelleavaitdécidéqu’ilavaitbesoin.
—Àproposde…cequis’estpasséavant…sousladouche,commença-t-ild’unevoixhésitante.Ellesecoualatête.—Net’excusepas,Joe.Paspourça.Jamaispourça.Ouais.Elleluidonnaittoujourscedontilavaitbesoin.Mêmequandcen’étaitpasdanssonintérêt.Et lorsqu’il posaunepaume sur ses cheveux, lesdégageade sonvisage, et la tournadélicatement
verslui,ilneputs’empêcherdeluiendemanderdavantage.Ellelevalatêtedoucement,presquetimidement.Etnel’obligeapasàdemander.Nel’obligeapasàquémanderousupplier,ouàépanchersoncœurousonsang,oucettepartiedelui-
mêmequ’ilignoraitcommentguérir.LabouchedeStephanieaccueillitlasiennedansunsoupirlorsqu’ilabaissalatête.Samainattrapala
sienneetleguidajusqu’àlachambreàcoucher.Oùellelelaissal’étendresurlelit.Oùellelelaissaladéshabillerlentementetappuyerleslèvressurchaquecentimètrecarrédepeau
satinéequ’ildévoila.Oùils’abîmadanslematelasavantdes’abîmerenelle.Etàaucunmomentelleneluifitéprouverde
laculpabilitéouduregretninelelaissas’émerveillerdeceprésentinestimablequ’elleluioffrait.Ellese contentade l’emporter làoù riend’autreque sa tendrepoitrine, sesmembresgracieuxet soncœurpalpitantn’existait.
Unecamionnettenoires’arrêtaàunpâtédemaisonsdel’immeublerésidentieldeWashingtonetsegaradansuneruelledéserte.Unhommeentièrementvêtudenoirensortit,passaunrouleaudecordesurson épaule, vérifia à deux fois qu’il nemanquait rien à sa ceinture à outils et s’engagea dans la rueenneigée.LesignalémisparletéléphoneportabledeStephanieavaitétécaptéparuneantenne-relaisetl’avaitconduittoutdroitàcetteadresse.
Lebâtimentenquestioncomptaitdixétages.L’appartementqu’ilciblaitsetrouvaitauneuvième.Sansperdreuneminute,ilescaladal’immeubledeterrasseenterrasse(cen’étaitpaspourrienqu’ilpassaitpour le deuxièmecambrioleur le plusdouéde la côte est) jusqu’à atterrir en silence sur le balconduneuvièmeétage.
Sansregarder,ilsaisitsesoutilsspécialisésetdésactivarapidementl’alarme.Surlaportevitrée,iltraçaaurubanadhésifuncerclenetprèsdelapoignée,décrochasonmailletencaoutchoucdupassantdesonuniformeetdonnauncoupsecsurlavitrequisebrisapresquesansunbruit.Ilglissaunemaingantéeàl’intérieur,ouvritleverrouetpénétradansl’appartement.
Une foisdans le logement9C, il attendit, laissant sesyeuxs’habituerà l’obscurité,queseuleuneveilleusesurlaporteduréfrigérateurperçait.C’étaitsuffisantpourleguiderjusqu’aucouloir.Letic-tacrégulier d’une horloge résonnait dans l’arrière-fond tandis qu’il avançait sur la moquette blanche etmoelleusejusqu’àuneportefermée.Lachambreàcoucher.
Celle-cis’ouvritdansunléger«clic».Unhommeronflaitbruyammentàladroited’ungrandlitdeuxplaces.Ilsecoulaàcôtédeluietluienfonçauneaiguilledanslecou.Laluttedudormeurfutbrèveetsilencieuse. Il roupillerait pendant vingt-quatre bonnes heures. Ou ne se réveillerait pas. Qu’importe.L’essentielétaitdes’octroyerquelquesminutesdetranquillité.
Ilmitmoinsdecinqminutespourfixerlesmicrophonesdecontactauplafonddechaquepièce.Ilscapteraientlamoindreconversationémanantdulogement10Cau-dessus.
Unefoisassuréquetoutfonctionnaitcorrectement,ilsortitdel’appartementparlaporteprincipaleetquittal’immeuble.Lesseulesimagesquiapparaîtraientsurlesvidéosdesurveillanceseraientcellesd’unindividuvêtudenoir,levisagedétournédelacaméra.
Toutel’opérationluipritentoutetpourtoutquinzeminutes.Quandilfutànouveauderrièrelevolant,ilcomposalenumérodeportable,allumalerécepteurdu
microphoneetcommençaàécouter.—C’estfait,ditl’hommelorsquesonemployeurdécrocha.—Ettunet’espasfaitrepérer?luidemandaWilson.Parcequ’ilétaitpayégrassementetrubissurl’ongle,ilpardonnacetteinsulteàsescompétences.—Jenemesuispasfaitrepérer.Jevousrecontacteraidèsquej’auraidesinformationsconcrètes.Wilsoncoupa la communication,puispoursuivit lenettoyagede sonKrinkov, sanouvellearmede
voyagedeprédilection.L’AK-74SUpossédaitunecrossepliableettiraitdepluspetitescartouchesquel’AK-47. Elle était compacte, facile à dissimuler et àmaîtriser. Tout comme le serait Ann Tompkinsquandsaproprefillelemèneraitàsoninsudirectementjusqu’àsaporte.
22
Stephanieseréveillaausonduventquihurlaitderrièrelafenêtreobscuredelachambre,lacuisseécraséesouslepoidsdecelledeJoedontlebicepsmassifl’emprisonnaitavecunetendrepossessivité.
Autempspoursalignededémarcation.Cependant, ce qu’ils avaient partagé dans ce lit allait bien au-delà du sexe. Il avait surtout été
question de communication. D’attention. De besoins qui transcendaient la dimension physique ettouchaientàdeschosesbienplusdifficiles,plusintimes.
LesblessuresdeJoeserefermeraient-ellesunjour?sedemanda-t-elle,inquiètepourlui.Éprouverait-elletoujourslebesoindelesoigner?songea-t-elle,inquiètepourelle-même.Elletournalatêtesurl’oreiller,encoresonnéeparl’intensitédumanquequilerongeait,mueparun
amoursiprofondetindéfectiblequ’elledoutaitd’avoirlecouragedesesconvictionslemomentvenu.Parce qu’elle l’aimait, elle devait semontrer forte. Parce qu’elle l’aimait, elle devait semontrer
ferme.Ilvalaitlapeinequ’ellesebatte.Etelleaussi.Elleespéraitseulementqu’ils’enrendraitcomptelorsqu’ilseraitl’heured’affronterlasituation.
Lesproblèmesquiseposeraientàeux le lendemainsupplanteraient tout lereste.Le lendemain, ilsdevraienttrouverunesolutionausujetdeDalmage.
L’épuisementlarefitplongerdanslesommeil…jusqu’àcequesonportablel’entireànouveau.Elleenfouitlevisagedanssonoreiller,décidéeàlelaissersonner.
Àcôtéd’elle,Joeremua.—C’estquoi,cetruc?grommela-t-il.—Montéléphone.(Elleseblottitcontrelui.)N’yfaispasattention.—Désolé,maisçanefigurepasdansmonmanuel.Avecungrognement,ilseredressaetquittalelit.Elle l’entendit sortir de la pièce. Y revenir. Le lit s’inclina lorsqu’il s’y rassit pour lui glisser
l’appareildanslamain.Stephanieserésignaàprendreappuisuruncoudetandisqu’ilallumaitunelampedechevet.—C’est une fille ! Enfin ! (C’était Rafe. Il semblait extatique, exténué et sous le choc.) Elle est
magnifique,Steph.Tuverraiscommeellebraille!Elleestsipure,sibelle.Ellesourit,gagnéeparlajoiecommunicativedeRafe.—Évidemmentqu’elleestbelle.Iln’yaqu’àvoirsesparents.CommentseporteB.J.?—Merveilleusementbien.C’estunedéesse.Uneguerrière.
—Etmaintenantunemère,ditStephavectendresseenlevantlepoucepourindiqueràJoequetoutallaitbien.Vousavezdéjàréfléchiàunprénom?
—Onveut attendrede la connaîtreunpeumieux.Mais ce seraunnomqui inspirera la force.Labeauté.
Ellerit.—Jecroisavoircomprisl’idéegénérale…Jesuissiheureusepourvous,Rafe.Embrasse-lestoutes
lesdeuxpourmoi.Ilyaquelqu’und’autrequiaimeraittecongratuler.Uneseconde.Elle tendit le téléphone à Joe, puis remonta la couverture jusqu’à son menton. B.J. était maman,
songea-t-elle en souriant pendant que Joe félicitait son ami. Elle mentirait si elle niait qu’elle avaittoujoursespérédevenirmèreunjour.Elleadoraitlesbébés.Lesenfants.Elleadoraitl’idéedecréeruneviesiuniqueetmagique.Unepetitefillequipourraitavoirsesyeux.OuungarçonquiauraitceuxdeJoe.
Elle s’arrêta là, comme chaque fois que ses pensées s’égaraient dans cette direction. Joe n’avaitjamaisparléd’enfants.Joen’avaitjamaisparlédel’avenir.
Elle lui jetauncoupd’œil et se rendit comptequ’aucoursde sa rêverie le sujetde ladiscussionavaitchangé.EllesesentitvictorieusepourJoependantqu’ilracontaitàRafel’implicationdeDalmagedans lamort de Bryan et lui expliquait leur théorie selon laquelle le politicien était l’instigateur desmeurtresdeplusieurscandidatspotentielsaupostedesecrétaired’État.
—Ouais, je sais, ça fait beaucoup à avaler, déclara Joe avec gravité.N’y pense plus,mon pote,ajouta-t-il,etStephaniecompritqueRafevenaitdeluidemanderpardonpouravoirdoutédelui.
Toutlemondeavaitdoutédelui.UnlongsilenceemplitlapiècetandisqueJoeécoutait,hochaitlatête,exprimaitsacompréhension.—Préviens-moiquandlesgarsaurontrefaitsurface,dit-ilpourterminer.Etdansl’intervalle,onala
situationenmain.Contente-toideprendresoindetafemmeetdetonbébé,d’accord?Encoreunsilence,puisJoetenditletéléphoneàStephanie.—Ilveutteparler.Ilcomptesûrementteprévenirdemeprévenirdemeteniràcarreau.—Ilestmalin,répondit-elleavantdesignaleràRafequ’elleétaitdenouveauauboutdufil.—Nelelaissepasagirdemanièrehâtiveetirréfléchie,cara.Maintenantqu’ilestensécurité,que
vousêtes touslesdeuxensécurité,ajouta-t-ilavecunebonnedosederéprobationafindeluirappelerqu’ilétaittoujoursencolèrecontreellepouravoirfaitcavalierseul,ildoitrestertranquilleetattendreleretour de l’équipe. Les gars devraient rentrer d’un jour à l’autre. On trouvera le moyen de coincerDalmagetousensemble.Nateauraforcémentdesidées.
—Exactementmonavis,enconvint-elle.Enplusd’êtreunfinstratège,NateBlackpossédaitdescontactshautplacés.Bienplushautplacés
quelamèredeStephanieaudépartementdelaJustice.—Et jepensequetun’aspasà t’inquiéterpourJoe, ilserasage,poursuivit-elle,croisant lamine
renfrognéedel’intéresséetsoutenantsonregard.IlsaitquevoussouhaiteztousrendrejusticeàBryan.Ilsaitquec’estunemissiond’équipe.
Elleluiprésentaànouveausesmeilleursvœux,puisraccrocha.—Messagereçu,fitJoe,serallongeantàcôtéd’elle.Onattend.—Merci…Avantqu’ilaitpurééteindrelalampe,leportabledeStephaniesonnaencore.—Steph,c’estRhonda.Allumelatélé.Sonintonationamenalajeunefemmeàseredresseraussitôt.—Quesepasse-t-il?—C’esttamère.Allumelatélé,répéta-t-elled’unevoixagitéeetnerveuse.
—Mamère?Oh,non!Ilestarrivéquelquechoseàmamère?Complètementpaniquée,ellebondithorsdulitetfonçadanslesalon,àpeineconscientequeJoela
suivait.Ellecherchafrénétiquementlatélécommande.—Non,non!Jenevoulaispast’affoler.Ilneluiestrienarrivé…pourl’instant.Allume.J’attends.Elle trouva la télécommande, appuya sur leboutond’undoigt fébrileet commençaàparcourir les
chaînes. Fourrant aveuglément le téléphone dans la main de Joe, elle mit une chaîne d’informationcontinueetrestaplantéedevantletéléviseur,lecorpssecouédetremblements.
—Quesepasse-t-il?— Je n’en sais rien. (Elle jeta un coup d’œil à Joe par-dessus son épaule. Il avait enfilé un
survêtement.)Rhondaditqu’onparledemamanauxinfos.Etcomment!— Oh, mon Dieu ! murmura-t-elle lorsqu’elle vit enfin l’image apparemment diffusée depuis la
veille,quandlanouvelleétaittombéeendébutdesoirée.Lesmainsmassives de Joe lui empoignèrent les épaules pour la soutenir tandis qu’ils regardaient
l’écran.« Bien qu’Ann Tompkins demeure relativement peu connue sur la scène politique deWashington,
annonçait depuis le plateau une présentatrice duweek-end aux longs cheveux blonds impeccablementcoiffésetàlaroberougeéléganteetéclatante,ellen’estétrangèreniàlabureaucratieniàlamachinepolitique.»
«Tompkins,dontl’époux,RobertTompkins,étaitmembreducabinetduprésidentBillings,occupeunposteàresponsabilitésaudépartementdelaJusticedepuissanominationquelquesannéesplustôt.Sonnomvientd’êtrecitépoursuccéderausecrétaired’ÉtatRydell,quiseretireraàlafindumois.LeseulautrecandidatsérieuxencoreenliceestGreerDalmage,actuelofficierdeliaisondel’Unao,quiafaitsavoiràmaintesreprisesques’ilétaitnomméilseraithonorédeservirsonpays.»
« Injoignable pour le moment, Mme Tompkins n’a pas pu faire de commentaire, mais selon dessources travaillant à ses côtés, elle serait tout à fait digne du poste et ferait une excellente secrétaired’État.»
—Dalmagevas’enprendreàelle.Stephaniearticulacesmotsavecpeine.Sesdoigtss’étaientengourdis,soncœursemblaitavoireuun
court-circuit.Ilsauraientdûallumerlatélélaveille,maisilsavaienttravaillétoutelajournée,tellementobsédésparlanécessitéd’exposerlelingesaledeDalmagequ’ellen’avaitmêmepaspenséàregarderlesinformations.
ElletournaversJoedesyeuxterrifiés.—Ondoitlaprévenir!—Téléphone-lui.—Jenepeuxpas.Papaetellesontinjoignables.Pasderéseautéléphonique,pasdelignefixe.Ils
voulaientunecomplèteintimité.Cequisignifiaituncompletisolement.Unetotalevulnérabilité.—Oùdiablesont-ils?ElleluiparladuchaletperdusurlesbergesdulacKabetogamadanslenordduMinnesota,etiljura
danssabarbe.Sonexpressionsinistrerésumaitassezbienlasituation.—Queva-t-onfaire?demanda-t-elle.—Appellelapoliceducomté.Explique-leurcequ’ilsepasse.
—Leurexpliquerquoi?s’écria-t-elle,paniquée.Qu’onn’aaucunmoyendeleprouver,maisqu’onpensequ’unhautfonctionnairefédéralpourraitordonneràuncommandod’assassinsdeserendredansleMinnesotapourtuermamère?Ilsmeprendrontpourunebargeetmeraccrocherontaunez.
—Dis-leurquec’estuneurgencemédicale.Dis-leurdetrouvertesparents,delesramenerenvilleetdenepasleslâcherd’unesemellejusqu’àcequ’onarrive.
—Ets’ilsnecroientpasàmonhistoire?—Montre-toipersuasive,Stephanie.J’appelleBrownetluidemandederemplirunplandevol.
Dalmage se cala dans son fauteuil derrière son bureau, ébahi après l’écoute des conversationsenregistréesqueluiavaitfourniesWilson.Ellesétaientstupéfiantes,etpasseulementparleurcontenu:c’étaituneopportunitéenorqueJoeGreensoitplanquéencompagniedelafilled’AnnTompkins.
La vie était pleine d’ironie. La fille d’Ann Tompkins était la complice de Green à Freetown.Absolument fascinant.Etvoilàqu’ilsétaientensembleàWashington.Lesenregistrementsque lui avaitprocurés Wilson s’étaient révélés fort instructifs. Green et Tompkins avaient tout découvert, depuisEXnergyjusqu’àl’éliminationsoigneusementorchestréeparDalmagedesesconcurrents,enpassantparsacollusionaveccertainsennemisd’État.Lefaitqu’ilssoientparvenusàrassemblertouteslespiècesdupuzzleforçaitsonadmiration,maisGreenmourraitquandmême.Etàprésent,lafilledevaitmouriraussi.
Il s’accouda au dossier de son fauteuil et frotta son index sur sa lèvre supérieure, réfléchissantlonguement. Tout ce pour quoi il avait travaillé, le pouvoir, l’argent, lamarque qu’il laisserait en cemonde,dépendaitdelafaçondontilgéreraitcenouveaurebondissement.
IlpouvaitordonneràWilsonetsonéquipedepasseràl’attaquetoutdesuite.DesupprimerGreenetla fille sur-le-champ, icimême, àWashington. Cependant, un assassinat aussi flagrant comportait desrisques.Desquestionsseraientsoulevées.Desconclusionspouvaientêtretirées.StephanieTompkinssetrouvaitàFreetownexactementaumêmemomentquelui.Greenetelleavaientcontactédenombreusespersonnes, fouillédanssonpassé.Cesenregistrementspouvaientêtre retracéssi leursdécèsdonnaientlieuàuneenquête.
Ilseleva,marchajusqu’àlafenêtreetregardal’épaismanteaudeneigerecouvrantlesbuissonsquibordaientsonperron.Unplancommençaàsedessinerdanssonesprit.Etpourquoinepasfrapperd’unepierredeuxcoups?PourquoinepaslaisserStephanieTompkinsetGreenserendredansleMinnesota,rejoindre ses parents et se débarrasser de tout lemonde enmême temps ?Quelle fin émouvante celaferait!
Ilimaginalestitresdesjournaux:«Lamorttragiqued’AnnetRobertTompkins,deleurfilleetd’unami de la famille dans les contrées sauvages duMinnesota, au cours d’un accident dû auxmauvaisesconditionsclimatiquesdelarégion,abouleversélacommunautédeWashington,DC.»
Oui, cela sonnait bien à son oreille. Après tout,Wilson était passémaître enmatière de «mortsaccidentelles », n’est-ce pas ? Peut-être la couche de glace se romprait-elle sous le poids de leursmotoneigeset la joyeusefamillesenoierait-elledans le lacgelé?Ouseperdraient-ilsaucoursd’unerandonnée à skis et mourraient-ils d’hypothermie ? Ou encore leur chalet isolé prendrait-il feu etpériraient-ilsdedans?
IlnedoutaitpasdelaréussitedeWilson.CommeilnedoutaitpasquelesdécouvertesdeGreenetdeStephanieTompkinslessuivraientdansleurstombes,etqu’ils’ensortiraitindemne.
Cependant, la situationétaiturgente.Wilsondevaitagir illico.Sonéquipedevait se rendresur leslieuxetmaîtriserAnnetRobertTompkinsavantquelestourtereauxnegagnentlenord.Ilfallaitdétourner
l’attentiondesforcesdel’ordre.AvecunmeurtreàDuluth,parexemple?IllaisseraitWilsonsechargerdesdétails;aprèstout,illepayaitunefortunepourqu’ilréfléchisseàceschoses-lààsaplace.
Iljetauncoupd’œilàsamontre.Iln’étaitmêmepas7heuresdumatin.Ilavaitamplementletemps.
23
— Je ne le répéterai qu’une seule fois. (Le visage de Mike Brown était cramoisi ; sa voixgrondante de colère résonna dans le petit bureau du hangar de maintenance.) Je ne vous demandepasd’allerjusqu’enMongolie,putain!C’estàquarantekilomètres.Alors,grimpezdansvotrecamionetrapportez-moicettepièce,fissa!Parceque,Dieum’enest témoin,si jedoismerendresurplaceet larécupérer moi-même, mon mode de paiement va grandement vous déplaire ! Me suis-je bien faitcomprendre?
Ilmarquaunebrèvepause.—Bien.Vousavezuneheure.Ilraccrochaviolemmentlecombiné.—Jesuiscontentquetuaiesdécidéd’opterpourladiplomatie,raillaJoe.—Oh,çafait longtempsqu’onadépassélestadedesamabilités.(Mikebasculaenarrièredansle
fauteuildugérantetcroisa les jambessur lebureau.)D’abord, ilsmedisentqu’ilsn’ontpas lapièce.Ensuite, qu’elle est en cours de livraison. Puis que la commande est en attente. Et là, ils viennent dedécouvrircommeparmiraclequ’ilsl’avaientfinalementenstock!L’avionauraitpuêtreopérationneletprêtàdécollerilyadesheures,s’ilsn’avaientpasmerdésurtoutelaligne!
StephanieentenditàpeinelatiradedeMike.Elleserralesbrasautourd’elleetfitlescentpasdansleminusculebureau,submergéeparunsentimentd’impuissanceetdefrayeur.
Ilsn’avaientpaspufaireréparerlejet,etàprésent,lesbulletinsmétéoannonçaientl’arrivéed’unetempêtemenaçantdefairefermertouslesaéroportsentreDenveretDC.Ettroisheuresaprèsqu’elleeutcontactélapoliced’InternationalFalls,unagentavaitfiniparlarappelerpourluiexpliquer,navré,quele lac au bord duquel séjournaient ses parents se situait dans le parc national des Voyageurs et nedépendaitdoncpasdeleurjuridiction,etqueparconséquent,ilsn’étaientpasenmesured’yenvoyerunevoiture.
—JevaisvousdonnerlenumérodubureaudushérifducomtédeSaintLouis,madame,luiavaitditlepolicier.Appelez-les.Voyezs’ilspeuventvousaider.
Alors, elle les avait appelés. Et oui, ils pouvaient l’aider. Mais comme le siège du comté deSaintLouissetrouvaitàDuluth,àdeuxheuresetdemieausuddulacKabetogamalorsquelesconditionsclimatiquesétaientbonnes,illeurfaudraitunmomentavantd’arriversurplace.Ilsétaientdésolés.Elleétaitdésolée.Etàmoitiéfolled’inquiétude.
Elle jeta un coup d’œil par la fenêtre du bureau à plusieurs petits avions à divers stades deréparation.LaqueuedufuselageduG-550étaitbéante,attendantlapiècemanquante.
—Leplandevolestremplietuninspecteurdel’Administrationdel’aviationfédéralesetientprêt,ditMike,s’efforçantdelarassurer.Dèsquelapièceseralà,ilfaudravingtminutesmaxpourl’installer,cinqdepluspourquel’inspecteurdonnesonavaletonpourradécoller.
—Tuoublieslatempêteimminente,dit-elle.Pourras-tuatterrirlà-bas?—Aucunproblème.L’aéroportd’InternationalFallspossèdedenombreusespistes,deuxkilomètres
et demi au total, et les procéduresd’approche aux instruments autorisent unehauteur dedécisiond’aumoinssoixantemètresavecunevisibilitéàhuitcentsmètres.Lejetestéquipéd’unSVA–unsystèmedevision amélioré, c’est comme des lunettes de vision nocturne. Il me permettra de descendre à trentemètressansquejevoielapiste.
Sefaisantl’avocatdudiable,Joedemanda:—Etilsvontnousdélivrerl’autorisationdedécollerd’icisachantqu’unegrossetempêteapproche?—Oui,monbiquet.Tantqu’unaérodromederepliavecunemétéofavorablesetrouvedanslerayon
denosréservesdecarburant–etaveccetengin,çacouvreunebonnepartiedupays,plusleCanada–,ilsnouslaisserontdécoller.
—Etsilesconditionssontmauvaiseslà-bas?Quefera-t-on?s’enquitJoe.—Lavache!Jenetesavaispasaussimèrepoule!maugréaBrown.Écoute…lepersonnelàterre
saitcommentgérerlaneigesurlespistes.C’estlacapitalemondialedelaglace,pourl’amourdeDieu!Tantquejevoislesfeuxdepiste,jepeuxatterrir.
»Biensûr,ajouta-t-ilavecsonsourirelégendaireestampillé“Primetime”,unepisteglissanteetdesventslatérauxrisquentdecompliquerunchouïalefreinage.Leplussympapourunpilote,c’estd’atterrirdansunvent latéralsoufflantàvingt-cinqnœudsavecdesrafalesà trente-cinqnœuds.Une tempêtedeneige?Pff,delagnognotte!
»Etavantmêmequetuposeslaquestion,notresystèmeantigivrepeutsupporteràpeuprèstoutencoursdevol.
Tyentradanslebureauàcetinstant,lesbraschargésdesacsdecourses.—Ilestencoreentraindeselapéter?—Jenefaisquedirelavérité,frangin.Tum’asapportéquoi?—Uneparka.Desgantsetdesbottesàgogo.J’aiessayédedevinervostailles.LebadinagedeMikeetlaprévoyancedeTyauraientpurassurerStephaniesicemanqued’actionne
larendaitpasfolle.Nepassavoirsisamèreetsonpèreétaientsainsetsaufslatuait.Joe,quiétaitadosséàunmur,s’enrepoussaetluiattrapalamainlorsqu’ellepassaàcôtédelui.—Steph,écoute,onignoresiDalmageestaucourantqu’Annfiguresurlaliste,dit-ilenl’arrêtant.—Tu n’y crois pas toi-même, lui rétorqua-t-elle d’un ton brusque. Pourquoi serait-il rentré aussi
précipitammentdeSierraLeonesinon?Rhondaleuravaitcommuniquél’informationlematinmême.DalmageétaitarrivéàDClaveille,aux
environsde16heures.—Parcequ’ilmecherche,proposaJoe.—Évidemmentqu’iltecherche!Maistusaisqu’ilestàtapoursuite.Tusaisdequoiilestcapable.
Mamanetpapanesedoutentpasqueleursviessontendanger.—Calme-toi,Steph.(Joeluifrottalebrasduplatdelapaumeafindel’apaiser.)Onnelaisserarien
leurarriver.—Tun’ensaisrien.Tunepeuxpaslepromettre!Elle s’interrompit lorsqu’elle se rendit compte à quel point elle avait haussé la voix. Confuse de
s’être comportéeengarce infecte, elle inspiraprofondément etdompta lapaniquequi avait forméunebouledanssapoitrine.
—Jesuisdésolée.C’estjuste…—Quetuaspeurpoureux,termina-t-il,lesyeuxassombrisparl’empathie.Elle acquiesça, jeta un coup d’œil à l’horloge murale et réprima avec peine un hurlement de
frustration.Ilétait13h35.—Onauraitdûréserverdesplacessurunvolcommercial,grommela-t-elle.—Etonauraitatterrià22heures,avecdelachance,luifitremarquerMike.InternationalFallsest
éloignédetouteslestrajectoiresdevol,iln’yenaqu’unseulparjouràcettepériodedel’année.IlfautfaireescaleàMinneapolisetattendrecinqheures.J’aivérifié.Etaveclatempêtedeneigequiapproche,cevolpourraitfacilementêtreannulé.
L’aéroportd’InternationalFallsdansleMinnesotaétaitleuruniqueoption.Lavilleétaitsituéesurlafrontièrecanadienne,etsonaéroportétaitleplusprochedulacKabetogamaoùsesparentsséjournaientdansunchaletisolé,ignorantqueleursjoursétaientpeut-êtreendanger.
—Regardeleschosessouscetangle,poursuivitMikesuruntonencourageant.Sionn’apasencoreréussiàlesrejoindre,personned’autren’yparviendra.
— Peut-être que les autres n’ont pas eu de problèmes techniques et qu’ils sont déjà sur place,répliqua-t-elled’unairmaussade.
—Calme-toi.(Joelapritdanssesbrasetl’attiracontresoncœur.)Toutvabiensepasser,luiassura-t-il.Enattendant,tudoisteressaisir,Steph.Jecomptesurtoi.
Ellelaissalachaleurdesoncorpsmassifopérersamagieetlatranquilliser.—Jesuisdésolée.C’estjuste…tellementfrustrant.—Etterrifiant,dit-ilaveccompréhension.Ouais.Çal’était.Cependant,elleavaitl’affreuxpressentimentqueleplusterrifiantrestaitàvenir.
—Pourmémoire,beuglaBrownquatreheuresplustard,rienqu’unefois,j’aimeraisparticiperàunemissiondesBlackOPSquin’aillepasdepairavecdescoupsdefeu,desexplosifsoudesépouvantablesconditionsdedécollageoud’atterrissage.
—C’estpasceque tunous racontaisau sol ! luihurla Joeen retourdepuis lacabine, serrant lesdentstandisquel’aviontraversaitunegrossezonedeturbulencesetqueBrowntentaitdelesaligneraveclapiste.
—C’estparcequej’ignoraisque«tempêtedeneige»signifiait«putaindeblizzardapocalyptique»,luirétorquaMike.
Le jet se faisait violemment secouer. À côté de Joe, dans la faible lueur de la cabine, Stephaniesemblaitlivide.
Il ne voulait pas qu’elle vienne. Il ne voulait pas qu’elle se trouve dans les parages lorsque leschosesrisqueraientdesecorser,etilleluiavaitdit.
Elle,biensûr,n’avaitrienvoulusavoir.—Ilestcapabledefaireatterrircetavion,hein?s’enquit-elle.Joesoupiraprofondément.—Ilenestcapable,répondit-il,puissecramponnaàsonfauteuilquandlesrouesheurtèrentletarmac
givréetqueBrownopérauneinversiondepousséeavecuneforced’accélérationquividatoutl’airdesespoumons.
Lesmoteursàréactionrugirent,l’inertieaffrontalavitesse.Laglaceetleventsemêlèrentàlafêtetandisquel’appareilpercutaitl’aired’atterrissageetdérapaitpours’arrêterenfinàcinquantemètresdelafindelapiste.
Pendantunlongmoment,lesilenceemplitlacabine.Brownseretournadanslesiègedupilote,unlargesouriresurlevisage.—J’aipasledroitàdesapplaudissements?Joefitundoigtd’honneuràsonami.Celui-cigloussa.—Jet’enprie,monpote.Toutleplaisirétaitpourmoi.
Pendantque lesgars terminaientde remplir lespapiersduvéhiculeàquatre rouesmotricesqu’ilsavaientréservéetqueMikeconsultaitlalistedesautresvolsprévusàl’atterrissage,StephanieappelalebureaudushérifducomtédeSaintLouis.
—Alors?Joelarejoignitàlacabinetéléphoniquequelquesminutesplustard.—Lesadjointsdushérifnesontpasarrivésauchalet.Ilsn’ontmêmepasquittéDuluth.Unétrange
meurtre-suicideestsurvenu,ainsiqu’uneséried’accidentsetd’urgencesliésàlaneige.Leniveaud’anxiétédeStephaniebattaittouslesrecords,maiselleparvintàseressaisir.—Tuasdécouvertquelquechose?—Brownacirélespompesducontrôleuraérien.Iln’yavaitaucunvolcommercialenprovenance
ouàdestinationd’InternationalFallsaujourd’hui.—Mais?Elleconnaissaitceregard;cen’étaitpastout.—Unpetitaviond’affairesaatterriilyadeuxheures.Unpiloteetquatrepassagers.Soncœureutunsoubresaut.—Oh,non.AlorsDalmagesaitquemamèresetrouveici.—N’entirepasdesconclusionshâtives,Stephanie.Onn’ensaitrienencore.—Etquesait-on?—D’aprèsceque la réceptionnistea répétéàBrown, ilsont louéunutilitairenoir. Ils luiontdit
qu’ils étaient ici pour affaires, avec Boise Cascade. Le plus gros employeur de la région, ajouta-t-ilenréponseàsonregardinterrogateur.Destypesencostardsarriventetrepartenttouslesjours.
—Tucroisquec’estlavérité?s’enquitStephanieavecespoir.Ilhaussalesépaules.—En tout cas, la réceptionniste a gobé leur histoire,même si undétail lui a paru inhabituel : ils
n’avaientaucunbagage,seulementdegrandsattachés-cases.—Assezgrandspourdesfusilsd’assautdémontés?demanda-t-elle.Àenjugerparseslèvrespincées,Joepensaitàlamêmechosequ’elle.—Mikearéussiàamadouerlecontrôleuraérienpourqu’illelaisseexaminerl’appareil.Onverra
s’ilapprendquoiquecesoitdesuspect.—C’estfait.(Mikes’avançaverseux,l’airsérieux.)Leurjournaldebordindiquequ’ilsontdécollé
deDC.—Oh,monDieu. (Stephanie se tournavers Joe.)Ondoit absolument retrouvermesparents avant
eux.—Viens.Joe la prit par le coude lorsqueTy s’arrêta devant les portes du terminal dans un pick-up double
cabine.Ilsseglissèrenttousàl’intérieur,Joeàl’avantsurlesiègepassager,MikeetStephanieàl’arrière.
—D’aprèscettecarte,ditJoe,lelacsesitueàquarantekilomètresausudd’ici.Vulesconditionsclimatiques, on a une bonne heure de route devant nous, et on doit faire un crochet par un magasind’articlesdesportavantdequitterlaville.
Parcequ’ilsn’avaientpasd’armes,s’aperçutStephanieavecgravité. Il fallaitplusieurs jourspourobtenirunpermisdeportd’armeshorsdeDC,etàcausedesstrictesinspectionsdesécuritéauxquellesétaientsoumispilotes,passagersetmembresd’équipage,illeuravaitétéimpossibled’apporterquoiquecesoitàbord.
Alorsque leshommesdeDalmage(etàen jugerpar l’expressiondeJoe, il s’agissaitbiend’eux)transportaient très vraisemblablement des armes dans leurs attachés-cases. Des armes facilementdémontables.
—Vite!dit-elle,ànouveausubmergéeparunsentimentd’urgence.Tyappuyasurlechampignon.
—Pourladixièmefois,tunepourraispasmonterlechauffage?Jemegèle,làderrière!grommelaMike.Ilfautvraimentêtrestupidepourhabitervolontairementdansunigloopareil!
Tyricana.—OnagrandidansleColorado.Quandes-tudevenuunetellemauviette?Ilreçutunepetitetapesurl’épaulepoursonimpertinence.—Quandmonsangs’estacclimatéàl’Amériquelatine.—Ilnousfautplusd’armes.Joeconduisaitàprésent,tambourinantdesesdoigtsgantéssurlevolant.Assiseàcôtédeluisurle
siègepassagersetrouvaituneStephaniepluscrispéequejamais.Ilsavaientfaitunsautdansuneboutiqued’articlesdesportetavaientdoncpuseravitaillerenpartie,
maisl’achatd’armesavaitétéhorsdequestion.Levendeuravaitfaitréférenceàleurspapiersd’identitéetàlalégislationsurlesarmesàfeuquandJoeavaittâtéleterrainenexaminantunfusil.S’ilsavaientvoulus’équiperdanscemagasin,ilsauraientdûenfreindrelaloi.
Ilsavaientfinalementoptépourdeuxarcsàpouliesetdesflèchesmuniesdepointesacéréesassezgrossespourabattreunours.
—Descadeauxpourmonpaternel,avaitpréciséMikeendécochantauvendeurunsouriredegentilfiston. Ilva lesadorer.Mettez-moiaussicesdeuxpetitsgars,avait-ilajoutéendésignantunepairedecouteauxdechassesouslavitreduprésentoir.
Après une séance shopping de cinqminutes, ils étaient ressortis de la boutique avec deux arcs àpoulies,deuxdouzainesdeflèches,troiscouteaux,deuxrouleauxdecorde,depuissantesjumelles,quatrecombinaisonsàcapucheblancheaveclesgantsassortisetdeuxjeuxdetalkie-walkie.C’étaitlaventelaplusimportantequel’employéavaitréaliséedetoutl’hiver.
—Onauraitdûchourerdeux fusils, regrettaMike tandisque lesessuie-glacesbalayaient lepare-briseetlaneigequis’yaccumulaitàtoutevitesse.
—Jen’aipasvoulucourirlerisque,réponditJoe.Cepatelingrouillaitdevoituresdeflicsàcausedetouscesaccidents liésà lamétéo.Sions’étaitfaitchoper,onn’auraitétéd’aucuneutilitéàAnnetRobert.
—D’après ce truc, ditStephanie, il y a un commercemultiservicedès la sortie de l’autoroute endirectiondulac.
ElleavaitalluméleplafonnierpourétudierunebrochuresurlelacKabetogamaqu’elleavaitpriseàl’aéroport. Le lac était une destination très prisée des touristes qui venaient y pêcher, faire de la
motoneigeouadmirerlepaysage.—Peut-êtrequequelqu’unreconnaîtralechaletsurcesphotos,ajouta-t-elle.Elleavaitimprimél’articlequesonpèreluiavaitenvoyéaveclesphotosdelademeure.Àpartle
nomdu lac, les informations citées par lemagazine étaient les seules indications dont ils disposaient.Personneàl’aéroportn’avaitétéenmesuredelesaider.
Parchance,quelqu’undansledrugstorelefut.
24
Le commercemultiservice de Gateway était situé au beaumilieu de nulle part, au croisement del’autoroute 53 et d’une départementale menant au lac. L’éclairage au-dessus de ses trois pompes àessenceprojetaitunelueurfantomatiqueàtraverslaneigequis’épaississaitàvued’œil.
Àparteuxquatre, ilyavaitpeudesignesdevieà18h30parcettenuitfouettéepar levent.Uneenseignelumineuserougeoùl’onpouvaitlire«OUVERT»clignotaitaucentredelaportevitréeetuneampouleéclairaitcequisemblaitêtreunappartementàl’étage.
—Ilyaquelqu’un.Joeouvritlaportièrecôtéconducteurd’uncoupd’épauleetsortitdupick-up.Ils laissèrent tourner lemoteur, le chauffage aumaximumet les phares allumés endirectiond’une
vitrine constellée de panneaux annonçant : « TICKETS DE LOTERIE », « ALIMENTATION »,« ARTICLES DE PÊCHE », « ALCOOL ». Une sonnette carillonna lorsqu’ils s’engouffrèrent àl’intérieur,claquantlaporteàlaneigetourbillonnanteetàl’airglacé.
Ilssecouaientlaneigedeleursbotteslorsqu’ilsentendirentdesbruitsdepasdansl’escalier.Puisuneportes’ouvritsurunejeunefemmeélancée,séduisante,vêtued’unjeanusé,d’unechemiseàcarreauxenflanellebleueetbruneetdemocassinsencuir.
—Vousvousêtesperdus? leurdemanda-t-elled’unairenjoué,mais intrigué.Ou juste fousà lierpourtraînerdehorsparuntempspareil?
— Un peu des deux. (Stephanie lui adressa un sourire un peu crispé.) Je m’appelle StephanieTompkins.VoiciJoe,MikeetTy.
—JessAlbert.Elleavaitunjoliminoisetuneexpressionbienveillante,quoiqu’unbrinméfiante.Sescourtscheveux
châtainsretombaientenbouclesdélicatesautourdesonvisage.—Enquoipuis-jevousaidercesoir?Ellesecouladerrièreunhautcomptoirchargédediversproduits,desticketsdeloterieauxpermis
dechasseenpassantparlesbarreschocolatéesetlematérieldepêche.—Onessaiederetrouvermesparents.Ilssontarrivésilyaunesemaine.(Stephaniesortitl’article
plié de la poche de sonmanteau.)On sait que le chalet se situe au bord du lac,mais on n’a aucuneadresse.Reconnaissez-vouscetendroit?
Jessjetauncoupd’œilauxphotos.—Biensûr.C’estlechaletdesNelson.Stephaniepoussasonpremiersoupirdesoulagementdepuisqu’elleavaitvulebulletintélévisé.
—Pouvez-vousnousdécrirel’itinéraire?—Jepeuxmêmefairemieux.(Jesstrouvaunbloc-notessouslecomptoiretleurdessinarapidement
une carte.) Prenez à gauche surGammaRoad, à droite sur State Point.C’est à dix kilomètres, grossomodo,toutauboutd’uneroutesansissue.Sivousarrivezaulac,c’estquevousêtesalléstroploin.(Ellemarquaunepause.)C’estunedestinationpopulaireaujourd’hui.
LessensdeStephanies’affolèrent.—Commentça?—Vousêtesladeuxièmevagueàentrericiencherchantcechalet.—Oh,Seigneur.Stephaniesentitsesgenouxflageoler.—Cinqhommes?demandaJoetandisqueStephanieluttaitpourrespirer.—Ouais.(Jessfronçalessourcils,àl’évidencedéconcertéeparlatonalitédesavoix.)Desamisà
vous?—Quandétaient-ilsici?L’intonationdeMikeindiquaàlajeunefemmeque,non,ilsn’étaientpasamis.—Ilyadeuxheures.Peut-êtreunpeumoins.Unfusildechasseémergeasoudaindederrièrelecomptoir.Jessleréarmaavecadresse,leurfaisant
clairementcomprendrequ’ellesavaits’enservir.—Vousm’expliquezcequisepasse?Ducanon,Stephaniereportasonregardsurlevisagedelajeunefemme.—Explique-lui,ditJoe.Alors,elles’exécuta,s’enremettantàcetteétrangèrealorsquelaviedesesparentsétaitenjeu.—Jesavaisquej’avaisbienfaitdejouerlesidiotes.—Vousneleuravezpasditcommentserendreauchalet?Jesssecoualatête.—Non.MaisRussCramstonl’afait.Ils’estarrêtépourprendreuncafé.Jel’aivuparleràcestypes
à côté des pompes à essence, leurmontrer du doigt la direction du lac, puis dessiner une carte danslaneige.
Stephaniesentitsoncœurseserrer.—Désolée,madouce,ajoutaJessavecunregardnavréavantdes’adresserauxgarçons.Vousêtes
armés,lesgars?—Contreleslapinsetlesratonslaveurs,réponditTyavecamertume.Aprèsunmomentd’indécision,Jessquittalecomptoir.—Suivez-moi.J’aiquelquechosedansl’arrière-boutiquequipourraitvousêtreutile.Contournant les cuves à asticots vides et plusieurs rayons de produits alimentaires, elle lesmena
jusqu’àunlocaldestockage;unénormecoffre-fortoccupaittoutl’espacedanslapiècedetroismètressurtrois.
—Nomd’unchien,s’exclamaTydanssabarbeaprèsqueJesseutentrélecodeetouvertlecoffre.Deux fusils d’assaut AR-15 trônaient aux côtés de plusieurs fusils de chasse, de fusils à pompe etd’armesdepoing.
—Ilsappartenaientàmonmari.Jesscroisalesbras,reculaetlesinvitaàseservir.Ty,quisemblaits’intéresseràlajeunefemmecommel’avaitremarquéStephanie, luidemandatout
bas:—Qu’est-ilarrivéàvotremari?
—EnginexplosifimproviséenAfghanistan,ilyadeuxans.Jeffétaitdesforcesspéciales,luiaussi,ajouta-t-elleavecunsouriretriste.Jesuiscapabledevousrepéreràunkilomètre.
—Qu’avez-vousperçudeladégainedesautrestypes?s’enquitMike.—Ilsnem’ontpasfaitbonneimpression.Ilsn’avaientriendeboy-scouts.— Vous n’auriez pas des gilets pare-balles ou des grenades incapacitantes, des fois ? (Mike ne
plaisantaitqu’àmoitié.)TouslesanciensdesFSquejeconnaispossèdentuneréservesecrètedematos«tombéducamion».
Àsavoirdesarmesqu’ilsavaientrapportéesalorsqu’ilsn’auraientsansdoutepasdû.—Pasdegilet,répondit-elleavecmélancolie.(StephaniesedemandasiJesspensaitquecelan’avait
passuffiàsauversonmari.)Pasdegrenades incapacitantesnonplus.Mais j’aiautrechose. Justeuneseconde.
Ellefouillal’unedesétagèresinférieuresjusqu’àtrouveruneboîtecontenantunedemi-douzainedefuséesexplosivesetunlanceur.
—Detempsentemps,j’aiunfichuoursnoirouquelquesoursonsquiprennentmespoubellespourunbuffetlibre-service.Çafaitunsacrépotinetçaenfumetout,maiscen’estpasmortel.
Tycoinçalesboîtesainsiquelelanceursoussonaisselle.Ilsseregardèrentdanslesyeuxunlongmomentavantqu’ilnelaremercied’unhochementdetête.
StephanieposalamainsurlebrasdeJessetlaremerciapoursonaide.—Iln’yapasdequoi,réponditlajeunefemme.Maisnemefaitespasregretterdevousavoirdonné
cesarmes.—Prévenez la police, lui dit Joe tandis qu’ils rassemblaient desmunitions pour les divers fusils
avantdesedirigerverslasortie.Dites-leurquejuridictionounon,ilsdoiventseradinericienvitesse.Etqu’ilsferaientmieuxdeveniraccompagnésd’uneambulance.
—Parunetelletempête,vousnerisquezpasderecevoirleuraidedesitôt.—Onn’apasbesoindeleuraide,réponditMike,affichantunairguerrierqueStephanieneluiavait
encorejamaisvu.Onabesoind’euxpournettoyerderrièrenous.
—Jevousenprie.Sic’estdel’argentquevousvoulez,nouspouvonsvousleprocurer.Dites-moicequevousvoulez!Toutceciestparfaitementinutile.
CarlWilsonfusilladuregardlesdeuxprisonniersattachésetencagoulés.Ilssetrouvaientauchaletdepuisprèsdedeuxheuresetilétaitlasd’écouterAnnTompkinstenterdeleraisonner.
—Bâillonne-la,ordonna-t-ilàSimpson.Sonseconds’avançaverslafemme,tiraunrouleaud’adhésifdesapocheetluiretiraviolemmentsa
cagouleopaque.D’ungestesec,ilcollaunebandesursaboucheavantdereplacerletissusursatête.Enfin!Lesilence.Ces gens étaient pathétiques. Lemari avait décemment essayé de les arrêter, mais franchement…
C’étaitterminéavantmêmed’avoircommencé.Robert Tompkins avait peut-être été le bras droit de l’ancien président Billings, mais quand il
s’agissaitdesurveillersesarrières,ilétaitnulàchier.Idempoursoninstinctdesurvie.Voilàpourquoiilétaitàprésentaffalédansunfauteuilenbois,dosàdosavecsonépouse,etque tousdeuxavaient lespoingsattachésderrièreeux.C’étaitégalementpourcetteraisonqueTompkinssaignaitdelatempe.
Le chalet était illuminé commeTimes Square quand ils s’étaient arrêtés devant. Il donnait un bonpointàcepatelindebouseux.L’agencedelocationdevoituresavaitquellepuissancedemoteurilfallaitpourbraveruntempspareil.
Putain, cequ’ildétestait le froid !Deschameauxetdespucesdes sables?Aucunproblème.Tantqu’onluiépargnaitlaneigeetleverglas.Endépitdelamétéohivernaleetdel’aversionqu’ilenavait,lesièges’étaitavéréuncasd’école.CouperlespharesduSUVàquatrecentsmètresduchalet.S’équiperets’enapprocher,lesfusilsd’assautàl’épaule.Sesépareretbloquertouteslesissues.Danslecasprésent,ilyenavaittrois.Laporteprincipale,uneporteàl’arrièredonnantsuruneterrasse,etlaportedugarageattenant.
Un coup d’œil à l’intérieur avait révélé un spectacle idyllique digne d’une carte deNoël.Un feubrûlantdansl’âtre.Marietfemmeblottisl’uncontrel’autresurunmoelleuxcanapéfaceàlacheminée,lisantdeslivres.Destassesdecacaofumantposéesdevanteuxsurlatablebasseenpin.Unéchiquierdontlespiècesétaientdisposéespourlaprochainepartie.
Quelleambiancecosy.Etquellegrossièreté,songea-t-ilavecunrictussuffisant,d’avoirdéboulédanscepetitnidd’amouret
transforméleparadisdesTompkinsenleurpirecauchemar.L’utilitaireétaitàprésenthorsdevue,àl’abridanslegaragedesTompkinsàcôtédeleurvoiture.
Seshommesétaientpostésàdespointsd’observationstratégiques,enpositiondedéfense.IlallumasonmicroetappelaBenson.—Dunouveau?BensonetJanikowskifaisaientleguetàl’extérieur.Bensonétaitpositionnéàquatrecentsmètressur
l’allée,dissimulépar lesarbreset laneige. Janikowskiétaitperché sur le toitdugarage, son fusildeprécisionpointésurl’uniquevéhiculequiapprochait.
—Négatif,réponditBenson,untransfugedeLosAngeles,enclaquantdesdents.C’étaitleurtroisièmegardedanslefroid,etmêmesiWilsonlesfaisaitalternerparcyclesdevingt
minutes,larigueurduclimatcommençaitàsefairesentir.—Idem,réponditJanikowski.SkiétaitunPolonaistrapuduMilwaukee.Ilsupportaitlestempératuresendessousdezéromieuxque
Benson. Pour autant, il serait fâcheux que Wilson perde deux de ses meilleurs éléments à cause degelures.
—Relevez-les,ordonna-t-ilàSimpsonetDuvall.Aucundesdeuxhommesneditunmot.Ilssecontentèrentd’enfilerleurslourdesparkas,leursbottes
etleursgants,puis,attrapantleursarmes,sedirigèrentverslaporte.—Ne tombe pas de l’escalier, cette fois, lança-t-il en guise d’avertissement àDuvall qui devait
gravirl’échelleàcoulissedequatremètresàl’arrièreduchaletpouratteindreleurperchoirsurletoit.—Jenefaisjamaisdeuxfoislamêmeerreur.DuvallétaitunanciendelaforcedereconnaissanceducorpsdesmarinesdesÉtats-Unis,quiavait
étédésabuséparlesystème.Ilserenditdehorsenboitant.Ils’étaitcognéletibiadanssachute.Cinqminutesplustard,BensonetJanikowskirentrèrent,lecorpsraide,laneigetourbillonnantdans
leursillage.L’airglacéavaitimprégnéleursmanteaux.Leursjouesétaientrougiesparlefroid.Etàleurfaçondebouger,Wilsondevinaqu’ilsavaientlespiedsàmoitiégelés.
Ni l’un ni l’autre ne dit unmot. Ils se débarrassèrent de leurs lourds vêtements d’extérieur d’unesecousseetfilèrenttoutdroitverslacafetièredanslacuisine.
Decoriacesgaillards,songeaWilsonavecsatisfaction.Illesavaitbienchoisis.Illeurlaisseraitvingtminutespourseréchauffer,puisilséchangeraientànouveauleurspostes.Ilsne
tarderaientpasàavoirdelacompagnie.Dansl’intervalle,toutlemondedevaitêtreensuperformepourlafête.
Ils guettaient la venue de deux personnes : la fille et Green, qui n’avaient guère pu prévoir queDalmagesesavaitdémasqué.Ilsnesedouteraientderien,àl’instardesotagesattachésetbâillonnésaucentredugrandsalon.
Oupas.Ils’étaitpréparéàcetteéventualité,commeils’étaitpréparéàl’éventualitéqu’ilsaientdescomplices.
Lesuccèsn’étaitqu’unequestiondecontingences,ettoutcedontilsesouciait,c’étaitdegagner.Ilsefoutaitpasmaldecesgens.SefoutaitdeDalmage.Seulcomptaitlejeu.Seulcomptaitl’argent.Celuiquiremportaitlapartieempochaitleprix.Çaluisuffisait.IlsesurpritnéanmoinsàespérerqueGreen,quiétaitunguerrieràcequ’onluiavaitdit,luidonneraitdufilàretordre.
25
—Onnepeutpasallerplus loinencaisse. (Joeéteignit lespharesde laChevrolet et s’arrêtaaumilieudelaroute.)D’aprèslacartedessinéeparJess,lechaletsetrouveàhuitcentsmètres.
Ils progressaient à un rythme d’escargot dans plus de trente centimètres de neige depuis plusieurskilomètres.Uneépaissecoucheblanches’étaitaccumuléesurlecapot.Partoutoùilsregardaient,ilsnevoyaientquedelaneige.Desarbresquisedressaientdanslaneige.Desarbrescouvertsdeneige.Descongèrescomblantlesfossés.C’étaitunpaysageblancsousuncielnoird’encrequeseulsbalafraientlesarbresenneigés.
— Tu es sûr d’être assez en forme pour faire ça ? s’enquit Stephanie tandis qu’il remontait lafermetureÉclair de sa combinaison blanche, puis enfilait un gros bonnet de laine sur la tête avant demettresacapuche.
—J’ensuissûr.Iln’étaitsûrderien.Maisl’adrénalinequiluibrûlaitlesveinesluifourniraitlesforcesnécessaires
pourtraverserl’épreuvequilesattendait.Ilétaitpasséenmodecombat.Mentalement,physiquement,spirituellement.—Prêt?demanda-t-ilàMike.—Depuismanaissance.Mikefourrasesdoigtsdansd’épaisgantsblancsetouvritlaportièred’uncoupd’épaule.Levents’engouffraàl’intérieur,tapissantlessiègesdeflocons.—Soisprudent,luimurmuraStephanieenluitouchantlebras.—Nequittepaslepick-up,l’avertitJoe.Quoiqu’ilarrive,nequittepaslepick-up.Ellepouvaitmourirlàdehorsparunenuitpareille.Merde!Ilspouvaienttousmourir.Unfroidaussi
mordantvouspénétraitjusqu’àlamoelle,transformaitvotresangenMr.Freeze.Ajoutez-ylesrafalesdeneige,l’obscurité,lavisibilitéquasinulle,etonrisquaitdeseperdreenàpeineuneseconde.Joeavaitbeau avoir réussi haut lamain ses épreuves d’orientation, cela signifiaitnada.Des lunettes de visionnocturne, s’ilsenavaienteu,n’auraientétéd’aucuneutilité. Idempour lescapteursdemouvement.Untroupeau d’éléphants pourrait charger à travers la forêt que personne ne s’en apercevrait. Il doutaitsérieusementquecestypesaientposédessenseursoudesfils-piègesétantdonnélatempêteetlemanquedetemps.
—Resteavecelle,Ty,luiordonna-t-ilavantderejoindreMikeenpleinenature.Bravantleséléments,ilsehâtad’ouvrirlehayonetfourrageadanslaplate-formeenseveliesousla
neigeàlarecherchedeleurmatériel.
—Tantqu’onnedéviepasdelaroute,çadevraitaller,ditJoe,détournantsonvisageduvent.Unefoisqu’ilsseseraientenfoncésdanslesbois,cependant,ilsauraientbesoind’unecordepourles
guiderànouveaujusqu’àlavoiture.Du pouce,Mike lui fit signe qu’il était prêt. Ils étaient déjà armés de pistolets et de couteaux, et
s’aidèrentmutuellementàattacherlesrouleauxdecordeautourdeleurtailleetàfixerlesarcsentraversdeleurtorseavantdemettreleursfusilsenbandoulière.
S’équiperleurpritmoinsd’uneminuteetdéjàJoesentaitlamorsuredufroidsursesdoigts.Iltirauntalkie-walkiedelapochedepoitrinedesacombinaison.—Testradio,un-deux,un-deux.—Jetereçois,réponditTy.—Cinqsurcinq,confirmaMike.Joebaissalatêteet,conscientqueMikeluiemboîtaitlepas,commençaàavancerentrelescongères
endirectionduchalet.
Joe était couché à plat ventre, les coudes enfoncés dans la neige, dissimulé par un tronc d’arbreabattu. Mike était étendu sur le dos à son côté et fouillait dans les poches de sa combinaison à larecherche des jumelles. À treize mètres d’eux se trouvait le chalet. Et moins de quatre cents mètresderrièreeuxgisaitunhommemort.
Ilsavaientfaillidépasserl’hommequifaisaitleguetavantdelerepérerauderniermoment.C’étaituniquementparcequelasentinelleavaitbaissésagardeetposésonfusilcontreunarbrepourenleversesgantsetsoufflersursesdoigtsgelésqu’ilsavaientpuavoirl’avantage.
Seramassantsureux-mêmes,ilss’étaientséparés:Mikeverslagauche,Joeversladroite.Puisilss’étaientjetéssurluicommedeuxchienssurunos.
MikeavaitvisélebasetJoelehautducorps,lerenversantfacecontreterre.Ilavaitplantéungenouentresesomoplates, luiavaitempoigné lamâchoired’unemainet l’arrièrede la têtede l’autre,et luiavaitbrisélecou.
L’affluxd’adrénalineavait réchauffésesextrémitésengourdies,maiscinq longuesminutess’étaientécouléesdepuis.Àprésent, le froiddu solpénétrait sesvêtementsparvaguesglacées.Leblizzard luibrûlaitlesyeux,soufflaitdescristauxdeneigequiluicinglaientlesjoues.
—Là-haut.Mikebaissasesjumelles,lestenditàJoe,etpointaledoigtversletoitdugarage.—Jel’ai,ditJoeaprèsl’avoirrepéré.Àtonavis?—Fusildeprécisionsemi-automatiqueStonerSR-25.Etjetepariequ’ilsaits’enservir.Joepassalebrasderrièrelatêtepoursesaisirdesonarc.—Sérieusement?s’enquitMikelorsqu’ilcompritcequesonamiprévoyaitdefaire.—Uncoupdefeualerteraitlesmecsàl’intérieur.T’inquiète.J’aiabattumonpremiercerfavecun
arcàpouliesàl’âgedequinzeans,déclaraJoe,tirantuneflècheducarquois.—Là,c’estpasuncerf,luifitvainementremarquerMike.Non,eneffet.Etc’estlàqueleschosessecorsaient.Il aurait préféré se trouver quatremètres plus près, aumoins. Sans compter qu’il allait devoir se
mettredeboutpours’alignersursacible.—Couvre-moi.Il confia son fusil à Mike, rampa par-dessus le tronc et, toujours à plat ventre, se dirigea vers
lechalet.
Progressantàunrythmed’escargot,ilarrivaenfinàlabased’unimposantpinblancàmoinsdeneufmètres du garage.Veillant à ne pas attirer l’attention du sniper par quelquemouvement brusque, il sedressasursesjambes.
Ses genoux l’élançaient. Son sang lui semblait sur le point de geler. Et il était loin de s’êtrecomplètementremisdesoncalvaire(merciDalmage)danscettefoutueprison.
Penser àDalmage et à Freetown le fit bouillonner de rage. Juste assez pour lui donner le sursautd’énergienécessairepourencocheruneflècheetbanderlacordedesonarc.
Letireurétaitplantécommeunpiquetausommetdutoit, l’œildroitcolléàlalunettedesonfusil,sondantlanuit.
Joe attendit, attendit, et attendit encore.Respirant lentement, profondément.La hampe de la flèchealignéeavecsajoue.Sonbicepsluibrûlaitàforcedetendrel’arc.
Enfin,lesniperlevalatêtedequelquescentimètres.Justeassez.Joelaissavolerlaflèche.Sentitl’empennageluifrôlerlajoue.Vitl’hommelâcherbrusquementson
fusiletagripperfrénétiquementsagorgeavantdefaibliretglisserdoucementsurletoitmétallique,sonarmel’accompagnantdanssachute.
Ilatterrittelunsacdecimentsurunecongèrederrièrelegarage.—Lavache!murmuraMikederrièrelui.T’esRobindesBois,maparole!Joeabaissa sonarc, lesbras tremblant à causede l’effort.Sa fréquencecardiaqueavait augmenté
deplusieursbattementsparminute.IlfitsigneàMikedelesuivre.—Reconnaissance.Ilnevoulaitpasselancerdansl’étapefinaleàl’aveugle.Évidemment,ilsdevaientenpartiesefierà
leurexpérienceetàleurintuitionpourévaluerlasituation.Cependant,illuifallaitunindicepouréviterdetomberdansunguet-apens.
Il n’y avait pas une minute à perdre. Ils étaient dans le froid depuis trop longtemps déjà. Lessentinelles devaient être attendues au rapport, et ne les voyant pas arriver, leurs collègues restés àl’intérieurpéteraientlesplombs.
AnnetRobertétaientàprésentencoreplusvulnérablesqu’avantqueJoeetcompagnienedébarquent.
—Ah,j’tejure!(Mikegrelottaitsurlabanquettearrière,sefrottantvigoureusementlespaumesl’unecontrel’autrepourrelancerlacirculationsanguine.)Lesgensquiviventetquibossentdanscetteglacièresontplusrobustesquelebecd’unpic-vert.
JoeetMikeavaientbalayéduregardl’intérieurduchaletenjetantuncoupd’œilparlafenêtre.LecœurdeJoeavaitfailli lâcherlorsqu’ilavaitvuAnnetRobertattachésdosàdos,descagoulessurlatête.
Ilavaitcomptétroishommes.Unemyriaded’armes,sansgrandesurprise.Lasurprise,espérait-il,ceseraiteux.
Seservantdescordesqu’ilsavaientnouéesd’arbreenarbrepourlesguider,ilss’étaientempressésderegagnerle4×4aussivitequeleurspiedsgelésleleuravaientpermis.IlsallaientavoirbesoindeTy.
Joen’yétait pas alléparquatre cheminsquand il avait expliquéàStephanie la situationd’AnnetRobert.Ilauraitdonnén’importequoipournepasavoiràluiapprendrequesesparentssetrouveraientenpremièrelignelorsqu’ilspasseraientàl’action,maisilsavaitqu’elleauraitvouluconnaîtrelavérité.Elleméritaitdeconnaîtrelavérité.
Etellel’avaitacceptéecommeunsoldat.—Voilàcommentonenvisageleschoses.(JoeleurprésentaleplanqueMikeetluiavaientconçusur
letrajetduretour.)Ilyauneéchellecaléeàl’arrièredugarage.L’undenousdoitl’escalader,montersurletoitdelamaisonetbloquerleconduitd’évacuationdelacheminée.
—Çam’atoutl’aird’unboulotpouruncopilote,déclaraTysanshésitation.—Magne-toideredescendre,luiditJoe.—Etnetebrisepaslanuque!Ilyavaitbienplusd’inquiétudefraternelledanslavoixdeMikequ’ilnel’auraitsansdoutereconnu.— Ils nemettront pas longtemps à deviner qu’il y a un problème.D’ici là, ils seront au bord de
l’asphyxie,àcracherleurspoumons,lesyeuxlarmoyants,maisilsserontplusvigilantsquejamais.—Mike,prendslaportearrièresurlaterrasse.Ty,tupasserasparcelledugarage.Jeseraidevant
l’entréeprincipale.—Etmoi,jevaisoù?L’expressionguerrièresurlevisagedeStephaniefenditpresquelecœurdeJoe.—Danslepick-up,répondirentlestroishommesàl’unisson.—Écoute,ditJoedevantsamineabattue,siçavireau«foupoudav1»,ilfaudraquetudécampesvite
faitpourchercherdel’aide.—Ceseratroptardpourappeleràl’aide,luifitvainementremarquerStephanie.—Quelqu’undoitépinglerDalmage.(Joelaregardadurement.)Tueslaseuleàpouvoirlefaire.Ellefinitparhocherlatête.Illuipressalebrasavectendresse,puisseretournaverslesgars.—Quandjelancerailefumigèneàoursparlafenêtre,ceseravotresignal.Inutiledevouspréciser
cequidoitarriverensuite.Et ilsavaient intérêtàassurer, songeaJoe tandisqu’ilchambrait lacarabinedechasse.Parceque
durantcecourtlapsdetemps,leurplanavaittoutesleschancesdepartirenvrille.
Wilsontoussa,essuyasesyeuxquiluibrûlaient,etparladanssonmicro-émetteur.—Sentinelleun.Quelestvotrestatut?Terminé.Il avait tenté à plusieurs reprises de contacter Duvall et commençait à avoir un mauvais
pressentiment.Soucieuxdenepasrévélerleurlocalisation,ilavaitveilléànepasencombrerlaligneaucasoùilsauraientdelacompagnie.Celafaisaitdoncdixminutesqu’ilavaitdemandéunrapportradioetniDuvallniSimpsonnedonnaientsignedevie.
Pourtouteréponse,iln’yavaitquedusilenceavecunbruitdefritureenfondsonore.Undésagréablefrissonleparcourut.Quelquechoseclochait.
Àl’autreboutdelapièce,Bensonalternaitsériesdepompesetgorgéesdecafépourseréchaufferetrelancerlacirculationdanssesmembres.
Janikowskitrituraitsanseffetleregistredelacheminée.—Qu’est-cequidéconneavecce truc?grommelaBenson, toussant lorsqu’unépaisnuagenoir se
répanditdanslesalon.—J’ensaisfoutrerien.Janikowski toussait aussi, agitant une main devant lui pour chasser les volutes de fumée tout en
s’affairantsurleconduitdel’autre.—Quelquechosebloquel’évacuation.Ils’écartadufoyerentitubant,suffoquantetsefrottantlesyeux.—Lavache!Ouvreuneporte!
RobertTompkinsavaitcommencéàremuer.Safemmeémettaitdessonsd’étouffementouatésparlebâillon.
Benson traversa lapiècepour sedirigervers laporte, secouvrant lenezpourempêcher la fuméeâcredepénétrerdanssespoumons,envain.
—Stop!s’écriaWilsonenlevantlamain,soninstinctluisoufflantqu’ilsavaientdelacompagnie.Ilyaquelqu’undehors.
C’était l’heure. Joe donna un franc coup de coude dans la vitre ; elle se brisa. Il lança la fuséefumigènedanslechalet.Ellesifflaetheurtaleplancherentournoyantavantd’exploserdansun«boum»retentissant.
Il bondit aussitôt par la fenêtre, fonça droit sur Ann et Robert, et roula avec eux sur le sol, lesentraînantloindestirsquiricochaientàtraverslapièce.
MikeetTy l’imitèrentsansperdreuneseconde. Ilnepouvait lesvoirdans toutecette fumée,maiscouvrant levacarmedescoupsde feu, il reconnut le«clic-clic-clic»caractéristiquedes fusils semi-automatiquesAR-15et compritque sesamis respectaient l’ordrede tirer sur tout cequi remuait et setenaitdebout.
Unhommegémit;uncorpstombaàterre.Ils’allongeasurAnnetRobert.—C’estJoe,hurla-t-ilpoursefaireentendredanslacohue.Nebougezpas.N’essayezpasdevous
relever.Puisilseredressaàgenoux,épaulasonfusiletcherchasescibles.Uneombreblanchetraversalacuisine.Ty.Uneautreformeblanches’accroupitetroula,lefeuducanonprojetantunelumièreaveuglantedansla
pièce.Mike.Enfacedelui,uneautresilhouette,ramasséesurelle-même,épaulasonarmeetlapointasurMike.Joepressaladétente,visantletypeàlagorge.Ce dernier tournoya comme une toupie avant de s’écrouler sur le dos tandis que la détonation
résonnaitdanslanuit.—Baisse-toietabrite-toi!criaJoe,etTyrampaderrièrelecomptoirdelacuisine.Mikeplongeaderrièreunlourdcoffreenbois.—Cessezlefeu!hurlaJoe.Lesilenceretombasurlechalet.Desapositionàgenouxderrièrelecanapé,Joetenditl’oreille.Et
n’entenditrienàpartlarespirationlaborieused’Ann.—Dégagéàdroite?Tyréponditimmédiatementd’un«yo».—Dégagéàgauche?Mikeconfirmad’un«Yo,yo».—Restonsprudents.Balayantlapiècedesacarabineàl’épaule,Joeseredressalentement.Depuisleurspostes,Mikeet
Tyenfirentdemême.L’ouverturedesportesavaitaidéàdissiperlafumée.Lesmeublesetlelambrisainsiquelemobilier
deluxeétaientcriblésdeballes.Lavitrebriséeenmillemorceauxétaitéparpilléeàtraverslesalon.Laneigecharriéeparlevents’engouffraitdanslechalet,oùellefondaitdèsqu’elletouchaitlesol.—Combiendevictimes?demandaJoeenparcourantlapièce.
—Unhommeàterreici.(Tys’agenouillapourprendresonpouls.)Mort.—Idemici,lançaMike,vérifiantlepoulsaucoud’unautreassaillant.—Ann?Bob?—Jevaisbien,réponditRobertTompkinsd’unevoixfaiblelorsqueJoetenditlebraspourluiôter
sacagoule.IlenfitdemêmepourAnn,puisretiradélicatementlerubanadhésif.—Dieumerci!murmura-t-elle,semettantàpleurer.Joeluipressal’épauleetsereleva,fouillantlapièceduregard,àlarechercheducinquièmemalfrat.Merde.—Oùestledernier?—Derrièretoi.Ilfitvolte-face.Etsetrouvanezànezavecuntypehabilléennoir.Sontorseanormalementvolumineuxindiquaitsans
l’ombred’undoutequ’ilportaitungiletpare-ballessoussesvêtements.Sonfusild’assautétaitpointésurlatêtedeJoe.—Dis-leurdelâcherleursarmes.Toutdesuite.Sondoigtappuyaunpeuplussurladétente.MikeetTyrestèrentfigés,stupéfaits,nesachantquefaire.—Tuesuncontretrois,luifitremarquerJoe,sonattentionconcentréesurlesyeuxdel’homme.Dans
lemeilleurdescas,tuparviendrasàentoucherunavantquelesdeuxautrestetruffentdeplomb.LemalfaiteurbraquasonfusilsurlesTompkins.—Exact,maisj’arriveraisansdouteàabattrecesdeux-làavant.Çalafoutraitmalpourunsauvetage
d’otages.Àtoidevoir,ajouta-t-il,sonviseurtoujourspointésurlatêtedeRobert.Joen’avaitpaslechoix.Iladressaauxgarsunbrefsignedetête.Danssondos,ilentenditunAR-15percuterlesol,puisundeuxième.—Rapprochez-lesd’ici,ordonnal’homme.Lelourdmétalglissasurleparquetenpinponcé.D’uncoupdepied,ilpoussalesarmesderrièrelui,sansôtersondoigtdeladétente,puisdirigeaà
nouveaulefusilversJoe.—T’aschoisilamauvaisenuitpourmefairechier.Ilpointalecanonsurluietvisa.Uncoupdefeurompitlesilenceglacé.Letireurtitubamaladroitementversl’avant,faisantunpas,puisdeux,puissesgenouxcédèrentetil
s’écroulafacecontreterre.—Qu’est-ceque…Miketraversalapièceencourant,ets’arrêta,bouchebée.Joe était commeparalysé, les yeux rivés sur la femmequi se tenait dans l’embrasure de la porte,
laneigetourbillonnantautourdesesépaulesgraciles,leventhurlantfouettantsescheveuxbrunsautourdesonvisagedemarbre.
Stephanie.Sespiedsétaientécartésetancrésausol,sesbrastendusdroitdevantelle.EtsaprisesurleGlockétaitfermeetstabletandisqu’unefinevolutedefumées’élevaitdelabouche
dupistoletd’unsoldataméricaintombéaucombat.
1.Foutuspourrisd’avance.(N.d.T.)
26
Lapremièredameadoraitorganiserdessoirées.Dalmagesedisaitqu’ilpourraitadorerlapremièredame–etviceversa–lorsquesoninévitablenominationseraitofficialisée.
Ill’observaitàprésentalorsqu’ellesetenaitdel’autrecôtédelapiècedevantlestroisfenêtresquidonnaient sur la pelouse sud, éblouissante dans unemajestueuse robe rouge tandis qu’elle saluait sesinvités.ElleétincelaitcommeuneétoiledanslesalonBleu1delaMaison-BlanchedécorédansdestonsdouxetmeublédansledélicatstyleEmpirefrançais.
Oui, il savait ces choses-là. Il avait mis un point d’honneur au début de sa carrière à connaîtreparfaitementtoutcequiavaittraitaugouvernement,ycomprisàlaMaison-Blanche,oùavaitlieucetteréception.Unegrandepartiedumobilierétaitd’origine.Desmeubleseuropéensenhêtre,achetéssouslemandatdeJamesMonroe.UnehorlogeenbronzedestyleEmpirereprésentantunesculptured’Hannibal.Opulentetdebongoût.
C’étaitunplaisirenivrantquedeposséderdetellesconnaissances.Defigurersurlalistedesinvitéspour des événements de ce type. Et bientôt, de compter parmi les membres du cabinet du président.L’inconvénient,c’étaitqu’ildevaitsupporterdesimbécilescommeBernardMuldoon.
—Ce n’est pas pour rien que les clichés se vérifient, déclara le sénateurMuldoon, entraînant ànouveauDalmage dans la conversation qu’il avait réussi à suspendre pendant quelquesminutes.Voilàpourquoiilfautresterprochedesesamis,etdesesennemisplusencore.
Greersourit,encourageantlesénateurdelonguedateduMaryland,quiriaitcommes’ilavaitinventél’adage.Dieuqu’ilétaitennuyeux!Néanmoins,ilfallaitbienseplieraujeupolitique.Serrerdesmains,donnerdestapesdansledosetflatterlesmonstrueuxegoquisepavanaientsurlesmarchesduCapitoleétaientunmalnécessaire.
— Je tâcherai de m’en souvenir, Muldoon. À présent, si vous voulez bien m’excuser, je doism’entreteniravecMargaretHarris.
S’extrayantdecepetitcercledepédantsvolubiles, ilsedirigeadirectementverslesecrétaireàlaDéfense,s’arrêtantuninstantpoursortirsontéléphoneetvérifiersesmessages.
Rien.Wilsonauraitdûlerappelerdepuisunmomentdéjà.Ilétaitrésolu,cependant,ànepaslaisserl’inquiétudeluigâcherlasoirée.Orchestrerdesmortsaccidentellesprenaitdutemps.Sanscompterquelesmauvaisesconditionsclimatiquesavaientdûretarderlevoyage.
Il sourit distraitement lorsqu’une jeune femme s’excusa en se faufilant jusqu’à lui. La pièce étaitrelativementbondéeavectouslesmembresducabinet,lesamisprochesduprésidentetdelapremière
dame,ainsiquequelquesinvitéstriéssurlevolet(telsquelui-même)dontlaloyautéetledévouementavaientretenul’attentionduprésident.
Personnenes’étaitautantdévouéàlatâchequelui.Pourcetteraison,ilenvoulaitauprésidentdelefairemarinerdepuissilongtemps.D’agiterconstammentsoussonnezlapromessed’unenominationauposte de secrétaire d’État pour la retirer brusquement quand elle était à deuxdoigts de se concrétiserpourajouterencoreunnouveaunomàsaprécieuseliste.
Mais ce petit jeu était à présent terminé. Rydell avait remis sa démission la veille. Greer avaitentendul’annoncetoutdesuiteaprèsqueWilsonl’eutavertiqu’ilavaitlocalisé«lecolis»etétaitenroutepourréglerlesderniersdétails.Greers’attendaitàmoitiéàcequeleprésidentl’entraînedansuncoinisolépourluiconfierqu’ilprévoyaitd’annoncerofficiellementsanominationlelendemain.
Réprimantavecpeineunsourire,ilcommençaàretraverserlapièce,puiss’arrêta,sidéré,lorsqu’ilaperçutlafemmequifranchissaitlaporte.
Ilsentitsacagethoraciquesecomprimersoudain,unevivedouleurirradiadanssonbrasgaucheetsamâchoire.
Non.C’étaitimpossible.Savueluijouaitdestours.On aurait ditAnn Tompkins trait pour trait ; ce ne pouvait être elle.Ann Tompkins étaitmorte à
l’heurequ’ilétait.Ilfallaitqu’ellesoitmorte!Il s’en était presque convaincu lorsque Robert Tompkins s’avança à côté d’elle ; puis une jeune
femme, dont la ressemblance l’identifiait indiscutablement comme la fille d’Ann, se dressa de l’autrecôté.
Ladouleurdanssapoitrineétaitdevenuefoudroyanteetilseretournaviolemment.Ildevaitsortirdecettepièce.Ildevaitréfléchir.Ildevait…
Ilfitdeuxpaschancelants,etpercutaletorserobusted’unhomme.—Poussez-vous!rugit-il,luttantpourrespirertandisquesapoitrinesecomprimaitetqu’unedouleur
aveuglante,dévorante,l’affaiblissait.Ilfautque…jem’enaille.Ilfautque…—Mais lafêtevientàpeinedecommencer, répondit l’étrangeren l’attrapantpar lebras lorsqu’il
essayadésespérémentdelecontourner.Jedétesteraisvousvoirpartiravantquej’aieeuunechancedemeprésenter.
La prise qu’il exerçait sur son bras se resserra comme un étau. Au bord de l’asphyxie, Dalmages’agrippaàlachemisedesoninterlocuteur,etlevaleregardsursesyeuxaussifroidsquel’acier.
—MonnomestGreen.JoeGreen.Desboulesdefeuexplosèrentdanssacagethoraciquecommedesgrenadesàmain.Iln’enpouvait
plus.Ilsecramponnaàsagorge.Sentitsesyeuxsortirdeleurorbite.Sesjambessedérober.Iltombaàgenoux,entendantàpeineleshoquetsdestupéfactionquis’étaientélevésdanslapièce.Il
n’étaitconscientquedeladouleur.Unmille-feuillededouleurquil’assaillaitsansrelâche,vagueaprèsvague.
—Aidez…moi, implora-t-il d’une voix saccadée ces yeux froids et durs qui le fixaient sans lamoindreoncedepitiéoudecompassion.
Ils’écroulasurledos,sonmondeprenantfintandisquelesténèbresl’aspiraientdansunabîmeglacésansfond.
—Allez,filsdepute!grommelaJoealorsqu’ils’efforçaitderéanimerl’hommequiavait tuésonami,bouleversélecoursdesonexistence,etcomplotépourvendresaproprepatrieauplusoffrant.
—Joe.
Ildégagead’unesecousselamainqueStephanieavaitposéesursonépauleets’acharnaàpoursuivresonmassagecardiaque.
—Joe,répétaStephanied’unevoixplusfermeavantdes’agenouilleràcôtédelui.C’estfini.Ilestmort.Tunepeuxrienfairedeplus.
Lasolennitédesonintonationl’atteignitenfin.Ils’assitsursestalons,appuyalespoingscontresescuissesetessayadereprendresonsouffle.
Dalmageétaitmort.C’était cequ’il avaitvoulu, l’ultimebutde savie.Maisquand il avait compris cequi sepassait,
l’instinctavaitprisledessusetilavaittentédeleréanimer.ParcequeStephanieavaitraison:Dalmagedevaitpayerpubliquementpoursescrimes.Joevoulait
qu’ilresteenviepoursubirsonprocèsdevantlepublicaméricain.IlvoulaitquelemondeentiersachequecesalopardétaitresponsabledelamortdeBryan.
OrDalmagegisaitausol,sesyeuxsansviefixantleplafond.Ilsesentaitdupé.Ilsesentaittrahi.—Viens,Joe.(Stephaniel’aidadélicatementàseredresser.)Ilesttempsdetournerlapage.
—Jet’aimeaussi.Jeterappelledemain,maman.Stephanieraccrocha,puis jetason téléphonesur la tablebasseet reposa la têtecontre lemoelleux
canapé.Ellenesavaitpaslaquelle,desamèreouelle,avaitleplusbesoindececontactquotidien.Elles’étreignit lesbras, traverséed’unsoudainfrisson,malgré lachaleurdesonépaispull,desesgrosseschaussettesduveteusesetdesonjeanpréféré.
L’étatdesonpèreavaitnécessitédessoinsmédicauxavantqu’ilsnepuissentquitterleMinnesota.Ilsouffrait d’une commotion cérébrale et il lui avait fallu plusieurs points de suture à la tête,mais fortheureusement,ilseportaitbienàprésent.
Traiteraveclesforcesdel’ordreduMinnesotaavaitétéuneautrepairedemanches.Annavaitdûmobilisertoutl’arsenaljudiciairedontelledisposaitpourlesconvaincredecacherlascènedecrimeletemps qu’ils puissent confondre Dalmage. Ils étaient alors loin d’imaginer quemoins de vingt-quatreheuresplustardcelui-ciseraitmort.
LagrandemaindeJoeseposasursacuisse,lapressa.
—Alors…ilsvontbien?Elletournalevisageversluietsourit.C’était lepremiersoirqu’ilspassaiententêteàtêtedepuis
leurretouràDC.—Ilsvonttrèsbien.Elleétaitfièredelaforcedontsesparentsavaientfaitpreuvetoutaulongdececalvaire.—Ilssontcontentsd’êtrerentrés,ajouta-t-elle,etdelaisserenfintoutecettehistoirederrièreeux.CelafaisaittroisjoursqueDalmageétaitmortd’unecrisecardiaquefoudroyante.Troisjourspassés
àfairedesdéclarationsaubureauduprocureurgénéraletauxavocatsdudépartementdelaJustice,àleursoumettre leurs théories et leurs découvertes, et à fournir des explications sur les cinq cadavres et lechaletsaccagéretrouvésaufinfonddelaforêtdansleMinnesota.Celaavaitétééprouvantpourchacund’entreeux.
Elle était exténuée. Tout comme Joe, qui n’avait toujours pas recouvré toutes ses forces.Malheureusement,ilsétaientloind’enavoirterminé.Lespremièresinformationsavaientfuitélaveille,offrantuncompterendudétailléetsaisissantdelacorruptiondeDalmage,desesagissementsdéloyaux
en Sierra Leone qui avaient débuté des années plus tôt à EXnergy en passant par les meurtres despotentielsnominésaupostedesecrétaired’État,jusqu’àl’enlèvementdesparentsdeStephaniequiavaitfaillisesolderparleurmort.D’autrestémoignagessuivraientdanslessemainesàvenir.IlfaudraitdesmoispourétabliràquirevenaientlesdroitssurlesterresraresdelaSierraLeone.C’étaituniquementparcequeNateBlackavaitgagnélerespectdugouvernementaméricainpourletravailquelesMCBetluieffectuaientque l’identitédespersonnesquiavaientdévoilé lescrimesdeDalmageetsauvé lavied’AnnetRobertn’avaitpasétédivulguée.
Joel’avaitéchappébelle.MikeetTyavaientégalementétéépargnés.Leprésidentenpersonneavaitordonné par décret que leurs noms ne soient cités en aucune circonstance. Parce qu’elle était la filled’Ann et Robert, Stephanie avait étémêlée à l’affaireDalmage,mais son implication directe dans ladécouvertedesescrimesdemeuraitunsecret.
ElleremarquasoudainqueJoeétaitdevenutrèssilencieux.—Quoi?s’enquit-ellelorsqu’elleserenditcomptequ’ill’observait.Ilrecoiffaunemèchesursonfrontetlarepoussaderrièresonoreille.—Ettoi?Vas-turéussiràlaissertoutçaderrièretoi?Ellesavaitexactementlesensdesaquestion.Elleavaittuéunhomme.Unactenécessaireetjustifié.
Ce qui ne signifiait pas qu’il serait sans conséquences. Elle n’échapperait sans doute pas à denombreusesnuitsblanchesàsedemandercommentyfaireface.
—Çaira,luiassura-t-elle,parcequ’iln’avaitpasbesoind’endossersonfardeauenplusdessiens.Elleselevabrusquement.—Etpourl’heure,jemeursdefaim.JecroisquejevaisréchaufferleplatdelasagnesdeRhonda.Tu
enveux?Ellesetournaverslacuisine.Il la rattrapa par le coude, l’obligeant à s’arrêter. Il voulait en parler. Pas elle. Le souvenir était
encoretropfrais.Ellen’étaitpasprêteàl’affronter.—J’aivraimenttrès,trèsfaim,insista-t-elleavecunsouriretaquin,résistantàl’inquiétudequ’elle
lisait dans ses yeux et qui résulterait sous peu en un discours sur la nécessité de ne pas refouler sesémotions.
Iltiraplusfort,maisStephaniefutlittéralementsauvéeparlegong.Oulasonnette.—Salut,beauté!(Mikelapritdanssesbraslorsqu’elleouvritlaporteauxdeuxfrèresBrown.)Etsi
onallaitprofiterd’uncoucherdesoleilrienquetouslesdeux?Plaquedonccetaudisetlegrosmochequifaittachesurtoncanapé.Salut,grosmoche!
MikesaluadelamainJoequiluifitundoigtd’honneur.StephanieritetétreignitMikeenretour.—Tuvasmemanquer.—Pasàmoi,grommelaJoe.(IltraversalapièceetserralamaindeTy.)Salut,vieux.Çaroule?—Impec,réponditTyavantd’enlacerStephanieenguisedebonjour.—Vousvoulezunebière?leurproposa-t-elle.—Peuxpas,ditTy.J’aiunavionàprendre.Yenaquidoiventbosserpourgagnerleurcroûte.Mikeaffichaunairblessé.—Jet’offrelachanced’embarquerdansunefolleaventureetc’estcommeçaquetumeremercies?
Pascool,frangin.— C’est pas pour pinailler, lui rétorqua Ty avec la même repartie que son frère, mais tu m’as
demandéd’embarqueravectoipour…commentt’avaisdit,déjà?…Ah,oui!«Pourunesimplemission
decopiloteletempsd’unaller-retourenAfriquedel’ouest.»Tun’asjamaismentionnélesballes, lesmalfratsoulesgelures.
—Tuasadoré,fitMikeavecassurance.Tysouritlargement.—Ouais,avoua-t-il,croisantlesbrasetécartantlesjambes.C’estvrai.Çam’afaitdubiend’êtrede
nouveaudansl’action.—Cen’estpastoutcequetuasaimé,letaquinaMikeenfaisantunclind’œilàStephanie.Tyfusillasonfrèreduregard.—Qu’est-cequeturacontes?—T’essérieux?Mikericanapuissemitàchantonnercommeungamin:«TyleretJessiesontamoureux!»L’intéressé,faisantminedenepasêtreaffecté,poussaungrognementdedégoût.—T’asdouzeans,c’estça?Mikedévisageasonfrèreavecunsouriredesplusénervants.—Hé,cen’estpasmoiquiailebéguinpourlajoliepetiteveuveduMinnesota.—Jen’aipaslebéguinpourelle,BonDieu!grommelaTy.—Monœil!Jeconnaisceregard.T’esmordu.—Unpeuderespect!(Tys’empourpra.)Ellenousasauvélesmichesquandellenousadonnéces
armes.Mikepressalapaumesursoncœur.—Jen’éprouvequedurespectetdelagratitudepourcettefemme.Jenesouhaitepaslaluitémoigner
delamêmemanièrequetoi,c’esttout.Alors,turetournesquanddansleNord,Nanouk2?Tyserralesmâchoiresetluidécochauneœilladeassassine.—Laferme,Mikey.Juste…Ferme-la.Stephaniesouriaitencorequandlesdeuxfrèresprirentcongéquelquesminutesplustardenselançant
desinsultes.—J’aicruqueLaureletHardynepartiraientjamais,ditJoeenfermantlaportederrièreeux.—Ilsfontvraimentlapaire,luiconcéda-t-elle.—Etjeconfieraismavieàl’uncommeàl’autrelesyeuxfermés.Ouais,songea-t-elle.LesMCB–quiétaientrentrésdemissionlaveilleetavaient tousappeléJoe
depuis – n’avaient pas été enmesure de les aider,maisMike et Ty s’étaient acquittés de cette tâchecommedespros.
—JesavaisqueMikeavaitétépilotedanslamarine,maisj’ignoraisqueTyaussivenaitdel’armée.Ellesedirigeaverslacuisinepourréchaufferenfinleslasagnes.—Ilasuivilestracesdesongrandfrère,ditJoeenluiemboîtantlepas.C’estvraimentformidable,
quandonypense.Formidable,eneffet.Cependant,l’intonationdeJoesemblaitdénoterunecertainetristesse.Àmoinsquecelanevienned’elle.Elleavaitbeaucouppenséàsongrandfrère,Bryan,aucoursde
cespéniblesderniersjours.—Steph?LavoixdeJoeluifitcomprendrequ’elles’étaitperduedanssespensées.Apparemment,cen’était
paslapremièrefoisqu’ilessayaitd’attirersonattention.—Excuse-moi.Tudisais?—Jevaisprendreunedouchependantqueçaréchauffe,d’accord?—Ouais,biensûr.J’auraitoutpréparéletempsquetusortes.
Pendant que le micro-ondes ronronnait dans l’arrière-fond, elle appuya les avant-bras sur lecomptoir,baissalatêteetfermalesyeux.
EtrevitCarlWilsons’écrouler,mort.J’aituéunhomme.Elle releva la têtebrusquement et chassa le souvenir de samémoire.À laplace, elle pensa à ses
parents,qu’elleavaitfailliperdre.Ausangetauxbleus.Bon,ilyavaitcertainementmieuxpoursechangerlesidées.Elle allait devoir vivre avec ces images pendant quelque temps, admit-elle tandis que la scène
sanglantedanslechaletluirevenaitviolemmentàl’esprit.L’horreurqu’elleavaitéprouvéeenretrouvantJoedanscetteprisondeFreetown.L’expressiondanslesyeuxdeSuahquandilsl’avaientquitté.
Elleallaitdevoirvivreavecuncertainnombredechosespendanttrèslongtemps.
1.LaBlueRoomestl’unedestroissallesderéceptiondupremierétagedelaMaison-Blanche,utiliséepourlesréceptionsetoccasionnellementpourlesdîners.(N.d.T.)
2.«Nanouk»estletermeinuitpourl’ourspolaireainsiquelepersonnaged’unfilmdocumentairesortien1922surunefamilled’InuitdelarégiondePortHarrison,surlacôteestdelabaied’HudsonauCanada.(N.d.T.)
27
Ilsdînèrentensilence,puisellelechassadanslesalonpours’occuperdedébarrasseretnettoyer.Joes’assitsurlecanapéetsemitàzappersurleschaînesd’informationenlaregardantàladérobée
tandisqu’elles’affairait.Combiendetempsfallait-ilpourrangerunecuisine?Apparemmentuneéternitéquandonétaitdéterminéàéviteruneconversationbienprécise.
Il en avait assez qu’elle repousse indéfiniment la discussion. Il éteignit la télévision et posa latélécommandesurlatablebasse.
—Stephanie,viensici.—J’aipresqueterminé,dit-elleenessuyantleplandetravailpourlatroisièmefois.(Ilsavaitque
c’étaitlatroisièmefoisparcequ’ilavaitcompté.)Ensuite,j’aimeraispasseruncoupdefilàRhonda.Ilselevaetarpentapiedsnusleparquetfraispourlarejoindre.—Viensavecmoi.(Illasaisitparlepoignet,latraînadansleséjour,ets’affalaànouveaudansle
canapéenlafaisantasseoirsursesgenoux.)Jeveuxquetumeparles.Elle ne feignit pas de ne pas comprendre. Mais elle n’avait nullement l’intention d’avoir cette
conversation.—Joe,arrêteavecça.Fais-moiunpeuconfiance.Jevaisbien.Iln’yarien…—Çasuffit.Iln’avaitpasvoulul’agresser.Etilnes’étaitpasattenduàvoircemagnifiquevisagedemarbrese
décomposer.Merde.Ilnesavaitvraimentpass’yprendre.—Écoute,dit-ilquandellebaissalesyeux,secachantderrièresescheveux.(Tendantlamain,illes
glissaderrièresonoreille.)Tuesenpleindéni,d’accord?Etjem’yconnaisenlamatière,tulesais.Tucroisquejenevoispasqueçateronge?
Unelarmetombasursesmainscroisées.Pourautant,ellerefusaittoujoursdeleregarder.Bonsang!Lavoirainsiauxprisesavecuneculpabilitéinjustifiéeluibrisaitlecœur.—Cen’estjamaisfaciled’ôterunevie,Steph.Parfois,c’estsimplementnécessaire.Sesépauless’affaissèrentetellese repliasurelle-même,s’appuyantcontre lui, la jouecontreson
torse,lamainsursonépaule.—Ilallaittetuer.Ilallaittuermamanetpapa.Alors,pourquoiest-cequej’éprouveceteffroyable
remords?
—Parcequetuconsidèresquetoutevieestprécieuse.Parcequetuessaiesd’attribuertesvaleurs,tessentiments,àuntueurdesang-froid.Maisçanefonctionnepascommeça,Stephanie.LesindividuscommeDalmage,commeCarlWilsonetsonéquipe…illeurmanquequelquechose.Ilssontincomplets.
—Çan’enrestepasmoinsdesêtreshumains.— C’est faux. Ils ne sont pas humains, du moins pas comme tu l’entends, pas comme les gens
normaux.Cesontdesrequins,Stephanie.Desprédateurs.Siontemetdanslamêmepiècequ’unpoissonrouge,tuenprendrassoin.Metsunsqualedanslemêmebassinqu’unpoissonrougeetillebouffera.Sanssedemandercequeçasignifiepourlepoissonrouge.Voilàladifférenceentreeuxetnous.
Ilcourbaundoigtsoussonmentonetl’obligeaàleverlevisageverslui.—Tunepeuxpasavoirpitiéd’eux.Tunepeuxpaslesréparer.Tunepeuxpasleurinjecterunedose
d’humanitéoudecompassionouden’importequelleautreémotionquinousdifférencied’eux.Onnepeutpaslesracheter.Alors,onlesélimine.Etlemondedevientunendroitmeilleur,plussûr,sanseux.
Elleenfouitànouveaulatêtesoussonmenton,restasilencieuseunlongmoment.Puisellepoussaunprofondsoupiretlevadenouveaulesyeuxverslui.
—Commentsefait-ilqu’unhommequiaautantdemalàexprimersespropressentimentssachesibienm’aideraveclesmiens?
L’instantqu’ilredoutaittantétaitarrivé.Quandill’avaitforcéeàluiouvrirsoncœur,pourl’aideràyvoirplusclair,ilsavaitqu’elleattendraitlamêmechoseenretour.
Celanesignifiaitpasqueceseraitfacile.Ilregardafixementleplafond,conscientqu’elleattendait.Conscientdecequ’elleméritait.—Les soldats ne sont pas censés parler de…ces choses-là.Tu comprends ? (Il lui jeta un coup
d’œil,vitdanssesyeuxqu’ellecomprenait.)Dumomentoùtut’engagesdansl’arméejusqu’aujouroùtulaquittes,tuprendssurtoi,turefoules,tugardestoutcequiestindésirabledansuneboîteferméeàclé.
—Cen’estpassain.—Danslemonderéel,non,cen’estpassain,convint-il.Maisdansl’armée,çaaunbutbienprécis.
Aucoursd’opérationssecrètes.Çaterendfort.Tepermetderesterconcentré.Unennemi.Unobjectif.Tutefocalisessuruneseuletâche.Situesfaible,situhésites,quelqu’unmeurt.
—Ilarrivequequelqu’unmeurequandmême,murmura-t-elle,etilsutqu’ellepensaitàsonfrère.Lesentimentqu’ilauraitpuempêcherlamortdeBrylehanterait-iljusqu’àlafindesesjours?Sans
doute.Ilsedemanderaittoujourss’iln’auraitpaspufairequelquechose.Maislaculpabilité…ilnelalaisseraitplus le ronger.Le responsable, c’étaitDalmage.EtDalmageavaitpayé.Àprésent, il devaittournerlapage.
PourcequiétaitdudécèsdeBobby,enrevanche,ilnepouvaitrejeterlaresponsabilitésurquelqu’und’autre.Elleétaitpleinementsienne.Purementetsimplement.
IldevaitledireàStephanie.Lerythmedesespulsationscardiaquesdoubla.Elleattendait.Çaallaitêtrefoutrementdifficile.
—Monpetitfrère,commença-t-ilavantdedevoirs’arrêterparcequesaboucheétaitdevenueaussisèchequ’undésert.
De longsmoments passèrent tandis que son cœur battait à se rompre et qu’il respirait avec peineavantqu’ilnerassembleassezdecouragepourcroiserleregardquiétaitbraquésurluiavecstupéfactionetinquiétude.
—Tuasunfrère?Elle essayait de ne pas paraître blessée. Quel genre d’homme, après tout, cachait une telle
informationàlafemmequ’ilaimait?Àlafemmequil’aimait?
— J’avais un frère, répondit-il d’une voix rauque d’émotion. (Il détourna les yeux. Serra lesmâchoires.)Bobbyavaitdixansquandilestmort.
—Oh,Joe.Lacompassiondansl’intonationdeStephaniel’emplitd’humilité.Maisilnelaméritaitpas.—Jel’aitué,dit-iltoutdegoavantdeperdresesmoyensetdesedébiner.Ses paroles dures, péremptoires restèrent en suspens tandis qu’il attendait que la compassion se
transformeenhorreurpuisendégoût.Maisellenesemblaitpasavoircompris.Leslarmesluiembuèrentlesyeux.Deslarmesqu’ilvoyait
àpeineàcausedecellesquibrûlaientlessiens.Ilnepouvaitresterimmobilepluslongtemps.Ils’écartadeStephanie,s’appuyasurlecanapépourse
releveretcommençaàmarcher.Têtebaissée.Lesépaulesvoûtéesparlepoidsdusecretqu’ilavaitportépendanttoutescesannées.
Iln’enavaitjamaisparléàpersonne.NiàNate.Niauxgars.Iln’enavaitpasparléavecsesparents.Niquandc’étaitarrivéniaprèsl’enterrement.
Balaie tout ça sous le tapis.On ne réveille pas le chat qui dort. Verrouille la porte. Ne laissejamaisriensortir.
Oràprésent,illedevait.— J’avais quinze ans. Bobby… (Seigneur, que c’était douloureux de prononcer son nom !)… il
voulait toujours me suivre partout, poursuivit-il, se remémorant le sourire de son frère, son visageconstelléde tachesde rousseur et son alluredégingandée.Bobbyétait…Onaurait ditTomSawyer…Descendantpiedsnusunchemin terreux,unecanneàpêchesur l’épaule.Sérieux,ethonnêteet tenace.Unevraiepetiteteigne.Ilmesuppliaitdel’emmeneroùquej’aille.Mepromettaitd’êtremoncompagnondedrague.Mefaisaitconfiancepourcouvrirsesarrières.
Ils’arrêtademarcher.—Parfois,j’acceptais.Jel’emmenais.Chasser.Pêcher.Fairedestrucsdegarçons.»Unjour…(Ils’arrêtaencore,fermalesyeux.)Unjour,cefutlemauvaisjourpourcéder.Ils’étaitrejouélascèneunmillierdefoisdanssatête.Ets’ilavaitrefusé?Ets’iln’avaitpasvuce
groscerfetnel’avaitpaspourchassé?Etsi…Etsi…—On a pris le quad, dit-il enfin, s’efforçant de sortir du cercle vicieux des regrets. J’allais trop
vite…Bobbyvoulait toujoursque je roulevite. Je…jen’aipasvu le ravinauborddu ruisseau. J’aitournétroptard.Letout-terrainafaituntonneau,acontinuéàrouleret…l’aécrasé.
Il avait l’impression que son souffle s’était accumulé dans ses poumons depuis une décennie. Ilexpira,accabléparl’erreurdesavie.
—Sacagethoraciqueaétébroyée.Jem’ensuissortisansuneégratignure.Ils’affalasurlerebordducanapé,pressalescoudescontresescuisses,etregardasesmainsserrées
l’unecontrel’autre.—Ils’estaccrochépendanttroissemaines.Branchéàunrespirateurartificiel.Enisolement,àcause
del’infectionquis’étaitinstalléedanssespoumons.Chaquejour,jeluipromettaisdenepaslelaissermourir.Jouraprèsjour.
Lesilence.Retentissant.Écrasant.—Autempspourmespromesses.Stephanieposalapaumesursonépaule,appuyalevisagecontresoncou.Puiselleenroulasoncorps
autourdelui,luioffrantsonamouretsachaleur.
—Jesuistellementdésolée.Illaissatomberlatête.Ouais.Ilétaittellementdésolé,luiaussi.Pendantunlongmoment,ellesecontentadeletenirdanssesbras.Puiselletournalevisageverslui
etl’embrassa.—Parle-moide lui,dit-elleavec tendresse, l’incitantàpoursuivreenmême tempsqu’às’adosser
contrelecanapéavantdeluigrimperànouveausurlesgenoux.Il l’enlaça, la serrade toutes ses forces.Lesminutes s’égrenaient, silencieuses, comme lesannées
perduesdepuisqueBobbyétaitmort.Lesilence,interminableetsinistre,s’étiraittandisqu’elleattendaitetqu’ilrepoussaitlemomentdeseconfier,jusqu’àcequ’avechésitationilcommenceàparler.Desonpetitfrère.Desonsouriremalicieux.Delafaçondontilfaisaitriresonpèreetrayonnersamère.Desacapacitéétonnanteàdévorer l’équivalentde sonpoidsenpouletpanépuisàengloutir lamoitiéd’unetarteauxpêchessanslemoindreeffort.
Illuiparladesonpère,l’anciensergentd’état-majorstoïqueetimpassiblequinel’avaitplusjamaisregardédelamêmemanièreaprèsledécèsdeBobby.Desamère,quiluiavaitjuréqu’ilsneletenaientpaspourresponsable.Illuiracontacommentleséclatsderirel’avaientquittéeàcompterdecemoment-là.
Illuiparladesaculpabilité,desondeuil,deladésillusionprofonde,totale,quiavaitfrappésavie.Alors,ilavaitrejointl’armée,poursurmonterl’insurmontablecommesonpère.Poursecouperdetout,secloîtrerdansunebulleetsecontenterdefairesonboulot,sansavoiràpenseràBobbyouauvisagetristedesamère.
—EtlaCIA?—Unmoyendemettrelabarreplushaut.Unboulotencoreplusexigeant.—Tul’asquittéepourtravailleravecNate.—Pasdemonpleingré! (Unlégersourire luiplissa lecoinde la lèvre.)J’aiétérecrutépour le
Grouped’InterventionMercy,commeWyatt.Ilafoncélesyeuxfermés.Moi,ilafallumepousseraucul.—MaisNateafiniparteconvaincre.—Ouais.Nateetlesgars.—Tesautresfrères,dit-elle,luirappelantleurlienindéfectible.Ouais.Sesautresfrères.Deshommesauxcôtésdesquelsilavaitcombattuetvécu,etpourlesquelsil
seraitprêtàmourir.Deshommesquidésormaisétaientprêtsàmourirpourlesfemmesquilesépaulaient.—Jecomprends,maintenant,dit-il,songeur.—Quoidonc?— Comment ils font. Comment ils séparent ce qu’ils font de ce qu’ils sont. Comment ils
compartimentent et font des compromis et vivent leur vie au lieu de la fuir.Comment ils restent sainsd’espritfaceàl’insanité.Commentilsrestenthumainsquandilsfontunboulotsusceptibled’aspirerleurâme.
—Etcommentfont-ils?Les yeux de Stephanie débordaient de compréhension et de l’espoir qu’il lui donnerait la bonne
réponse.Cellequ’elleavaitdevinéedepuislongtempsdéjà.— Ils ont trouvé leur point de repère, dit-il, lui faisant changer de positionde sorte à l’asseoir à
califourchonsursescuissesavecsesbrasautourducou.Commej’aitrouvélemienquandjet’aitrouvée.Leslarmesluiembuèrentlesyeux.Roulèrentsursesjoues.Illesembrassaavectendresse.Ilnese
remettrait jamaiscomplètementde lamortdeBobby. Il ressentirait toujourssaperte.Et laculpabilité.MaisavecStephanieàsescôtés,ilsavaitqu’ilcesseraitunjourdeseflageller.Grâceàelle,ilétaitenfinprêtàregarderdroitdevantaulieudetoujoursregarderenarrière.
—Jesuisdésolédet’avoirrepousséependantsilongtemps.—Jesuisdésoléedet’avoirlaisséfaire,murmura-t-elle,pressantleslèvrescontrelessiennes.Puisdélicatement,délicieusement,elledéposaunbaiseraucoindesabouche.Sursatempemeurtrie,
qui déjà guérissait. Sur le creux en dessous de sa mâchoire où les battements de son cœur s’étaientaccélérés.
—Commentai-jepupenserquetuétaisfragile?demanda-t-il,secalantdavantagedanslecanapé,luioffrantunmeilleuraccèsàsoncoutandisqu’elleparsemaitsapeaudebaisersaffamés.
—Commentaurais-tupupenser lecontraire? répondit-elle toutbas,sonsoufflechaudattisant lesbraisesdudésirenflammesincandescentes.Qu’ai-jefaitpourtemontrerquejenemebriseraispasenmillemorceauxsilaviedevenaittropdifficile?(Delapointedelalangue,elleluieffleural’oreille.)Outropeffrayante?(Elleluimordilladélicatementlelobe.)Outropbrutale.
—Ehbien,tumel’asmontrémaintenant.Tumel’asassurémentmontré.Elles’écartadesontorseafindeleregarderdanslesyeux.—Alors,onestquittes?Plusdesecrets?Tun’essaierasplusdemeprotégerdugrandméchantJoe?—Oui,répondit-ildansunmurmure.Onestquittes.Merci,Stephanie.Ellepritsesjouesentresespaumesetplongealesyeuxdanslessiens,s’assurantquel’attentionde
Joeétaitentièrementfocaliséesursesprochainesparoles.—Jet’aime,Joe.Jeveuxt’épouser.Unejoievertigineuse,débordante,luiemplitlapoitrine.—Je t’aimeStephanie. Jene teméritepas,mais je t’aimecommeun fouet riensurcette terrene
pourraitm’empêcherdefairedetoimafemme.Ellearboraunsouriredebonheuret,s’ill’interprétaitcorrectement,teintédesuffisance.—Ilt’enafalludutempspourmefairetademande!Ilrit,cequ’ilnefaisaitpasfacilement.Ilavaitlepressentimentquec’étaitsurlepointdechanger.—C’estcequej’aifait?—Çam’enatoutl’air.Alors,poursuivit-elle,lesyeuxpétillants,ilsembleraitqu’onvasemarier.Ilpritsonjolipetitpostérieurencoupe.—Ilsemblerait.Ilséchangèrentuneœilladefriponne.—Uneoccasionsiimportante…sispéciale,dit-elleensepenchantversluietfrottantlenezcontre
lesien,çasefête,non?Ondevraitfairequelquechosed’exceptionnelpourcélébrerça.Oh, il connaissait ce regard !Et il savait où cela lesmènerait. Seigneur, quel homme chanceux il
était!— On devrait, hein ? convint-il, glissant les mains sous son pull et dégrafant son soutien-gorge.
Qu’as-tuentête?Elletenditlebrasentreeuxetappuyalapaumecontresabraguette.—Hmm…Réfléchissons…Jesuissûrequ’ondevraittrouverquelquechose.Ilritencorequand«quelquechose»sedressasouslamaindeStephanie.—T’esvraimentunmec,railla-t-elleenluimordantlalèvreinférieure.Jepensaisplutôtàquelque
chosecommeunefête.—Fiche-toidemoi!Ellepoussauncristridentetgloussalorsqu’illaretournasurledos.Ilsepenchaverselle,lesmains
enappuidepartetd’autredesatête,lesbadineriesetlesjeuxsemuantenquelquechosedeplusprofondetimpérieux.
—Déshabille-toi.
—Jesuisunpeuoccupée,là.Il hoqueta, le souffle coupé par la surprise, car en effet, les mains très occupées de Stephanie
s’affairaientsursabraguette.—Bien.Je…(Ilgémitquandellelelibéraetl’empoigna.)…medébrouilleraitoutseul.—C’estl’unedesqualitésquej’aimetantcheztoi.Tuesungarsdébrouillard.Ilseredressabrusquement,cars’ilnelefaisaitpas,ilallaitjouiravantmêmequ’elleaitcommencé.
Iladoral’expressiondesonvisagelorsqu’elles’étenditlascivementetleregardaenleversonjeanetôterd’un geste sec son tee-shirt pour le jeter par terre. Adora les petits sons qui sortirent de sa bouchelorsqu’ilremontasonpulletlepassapar-dessussatête,enmêmetempsquesonsoutien-gorge.
EtDieu qu’il adorait la voir ainsi !Nue jusqu’à la taille, les bras au-dessus de la tête, les yeuxpétillantsdesensualité,devieetd’excitation.
Ils’agenouillaàcôtéducanapé.Pritdanslacoupedesamainunseinpâleetrond,abaissalatêteetyfrottasonnez.
—Tu as la plus belle poitrine dumonde,murmura-t-il contre sa peau avant de recouvrir avec sabouchecettepointerosée,aspirantetsuçant,etsedélectantdesonenivranteréaction.
Sonmamelon durcit. Elle tendit la main pour l’attirer contre elle, avide d’attention. Avide de sabouche.Avidedesa langue.Et il les luidonnaavec joie. Ilmordilla tendrement, tétaet titilla,puissereculapouradmirerlerésultatdesontravail.
Lebourgeondresséluisaitetfrémissaittandisqu’elles’arquaitverslui,s’offrantsansretenue.—Touche-moi. Je t’enprie, touche-moi, l’implora-t-elle, luiprenant lamainet laguidantvers sa
taille. Je t’en prie, répéta-t-elle, hors d’haleine, folle de désir, lorsqu’il glissa les doigts sous sonpantalon, puis sous l’élastique de sa culotte pour les refermer sur sa chair moite, ardente et prête àl’accueillir.
Ellehaletaquandillesfitcourirsursonsexe.L’émoustillant.L’aguichantaupointdel’ameneràsetortillercontresamain,àdécollerleshanchesducanapé,etàsedébarrasserdesonjean.
Elleprononçasonnomdansunsouffle,gémituneprièrequandilintroduisitl’indexentreseslèvresetcommençaàlacaresser.Unefois,deuxfois,etdouxJésus,ellejouitdanssamain.
Sarespirationrestaensuspens.Sondossecourba.Etelleexpiradansuncri.—Oh,monDieu,murmura-t-elle,laissanttomberlourdementunemainàl’arrièredesatêtelorsqu’il
sepenchapourluiembrasserleventre.Jenevoulaispas…nevoulaispasque…çavienneaussivite.Jesuisdésolée.
—Désolée?C’étaitmagnifique,Steph,chuchota-t-ilenfrottantlenezsursonnombril,parsemantdebaiserssachairsoupleetdouce.Magnifique.(Il luimordit légèrement lahanche,futsubmergéparunevagued’excitationquandellefrissonna.)Etjesuisloind’enavoirterminéavectoi.
Siloind’enavoirterminé.Despaumes,illuicaressalecreuxdesgenoux,l’amenantàlesécarterd’unedélicatepression.Sans
quittersesyeuxduregard,ilembrassalapeausatinéedel’intérieurdesescuisses.D’abordlagauche.Puisladroite.Passantdel’uneàl’autre,mordillant,léchant,serapprochantnonchalammentducœurdesonintimitéetdecettepartied’elledontilneselasseraitjamais.
Elleétaitbrûlanteetmouillée,seslèvresgonfléesetmoitesdedésir.Elleavaitlegoûtdelafemmeetdusexe,del’essencedelavieetdel’amour,etdetoutcequiétaitbonetnourricier.Ilenfouitunemainsous ses fesses et la souleva vers sa bouche. Puis il admira avec vénération l’autel de sa sexualité,plongeadanssesplissoyeuxaveclalangue,l’écartantdesesdoigtsetl’ouvrantàl’assautimplacabledesabouche.
Elle réagit avec fougue et concupiscence, enfonçant les talons dans les coussins pour se plaquercontre lui.Plantant lesonglesdans sesépaules.Les sonsqui s’élevaientde sagorge…Ciel, ces sonséveillèrentenluiundésirquiluifouaillalesreins.
Il pouvait attendre. Pas elle. Il ne voulait pas seulement lui offrir unmoment agréable. Il voulaitl’anéantirdansunmaelströmdesensations,lafairehurlerdeplaisir;ilvoulaitqu’ellesoitincapablederegardersonvisage,sabouche,sesmainssanslesimaginerluifairetoutesceschoses.
Ellelesuppliaitd’arrêter.«Stop,jen’enpeuxplus!»Puisdecontinuer.«Non,net’arrêtepas!Net’arrête jamais ! » Jusqu’à ce qu’elle se raidisse. Elle cria. Et pleura. Et rit lorsque l’orgasme lasubmergea.
Il souleva la tête,pressantdesbaisersamoureuxsur l’intérieurde sescuisses tremblantes,puis lacontempla tandis qu’elle se laissait emporter par ce tourbillon d’extase, sa poitrine s’élevant ets’abaissant,soncorpsrosi,soupleetvidé.
—Salut,toi,dit-ilavecundouxsourirequandellerouvritenfinlesyeux.Bonretourparminous.Unemainfébrileseposamollementsursajoue.—Viensparlà.Ilremontalentementverselle,secalantavecbonheurdansl’espacequ’ellevenaitdecréerpourlui
entresesjambes.—Tum’asanéantie.—J’espèrebien!Elleattirasonvisagecontrelesienetl’embrassaavecunamoursipuretferventqu’ilauraitjuréque
son cœur avait doublé de volume. Rien d’autre ne pouvait expliquer la sensation qui lui élançait lapoitrineparcequ’ellesemblaittroppleine.
—Jet’aime,murmura-t-elleavantdetendrelebrasentreeux.Elleletrouvadur,vibrantdudésirdelarejoindre,etleguidaenfinenelle,làoùétaitsaplace.Aveccettefemmepourlerestantdesesjours.
Épilogue
—Desbébésetdesmauvaisgarçons.Séduisantecombinaison,tunetrouvespas?Ohqueoui.Stephaniepartageaitdetoutcœurl’avisdesamèretandisqu’elleprenaitunsaladierde
chipsetunplateaudecornichonssurlecomptoirdelacuisineetlasuivaitdanslegrandsalonoùlanuéedemauvaisgarçonsetdebébésquilesattendaitétaittoutbonnementirrésistible.
La joyeuse équipe au grand complet avec femmes et enfants s’était réunie dans lamaison de sesparents enVirginie pour célébrer la venue aumonde, heureuse et sans encombre, de la petite SelenaRossellaJanineMendozanéesixsemainesplustôt.
Enréalité,ilscélébraientbienplus.La palpitante nomination d’Ann au poste de secrétaire d’État, pour commencer. Sans oublier les
fiançaillesdeJoeetStephanie.Etpuis,àlafaveurd’unincroyableretournementdesituation,ilscélébraientégalementl’annonceque
venait de leur faireNate.En effet, non seulement l’agence desBlackOPS serait-elle réimplantée auxÉtats-Unis dans un emplacement qui demeurait encore confidentiel, mais elle serait bientôt une entitéreconnue sous l’égide du département de la Défense, bénéficiant ainsi de toute la protection dont lamachinemilitaireaméricainedisposait.Ilsneseraientofficiellementplusnonofficiels.
LaplupartdesMCBétantdésormaismariésetproduisantdesbébésàunrythmerégulier,lestrajetsdevenaientdeplusenplusdifficilesàsupporteret tout lemondeétaitenchantépar lanouvelle.MêmeSamLang,quis’étaitinstalléàLasVegasets’étaitretirédepuisquelquetemps,envisageaitdereprendreduservice.
Stephaniecroisa leregarddeJoe.Deboutdel’autrecôtédelapièce, ildiscutaitavecsonpère.Ilsemblaitdétendu,heureuxetenpleineformesixsemainesaprèssonemprisonnementàFreetown.Ilsouritetluidécochaunclind’œil(JoeGreen,unclind’œil!)etellesentitsoncœurfrémir,devenirtoutléger.
Lavieétaitbelle,vraiment.Joe avait recouvré toutes ses forces. Elle-même avait entamé un programme de renforcement
musculaire intensif. Fini le travail de bureau, coincée derrière un écran toute la journée !En tant quedernièremembredesMCB– rejoignantCrystal etB.J. parmi les filles de l’équipe–, elle devait êtred’attaque.Alors, Joe et elle s’étaient entraînés ensemble ces quatre dernières semaines. Et elle avaitdécouvertdequelboiselleétaitréellementfaite.
Elle posa les chips et les cornichons sur le buffet avec le reste des victuailles et contempla unmomentlascène,mesuranttousleschangementssurvenusdansleurvie.
Jenna, l’épouse de Gabe et une journaliste très acclamée, était assise dans un coin plutôt calmeencompagniedeSophie, l’épousedeWyatt, qui avait fondéuneécolepour enfantsdéfavorisés àSanSalvador. Pendant qu’Ali dormait dans les bras de samère et que la petiteMariah trottait autour desjambesdelasienne,Sophie,lesdeuxfemmesdiscutaientd’unarticlequeJennaétaitentrainderédigersurl’éducationdanscepaysd’Amériquecentrale.
Stephanie n’entendait pas tout ce qu’elles disaient, car le bruit, comme chaque fois qu’ils seretrouvaienttousensemble,étaitjoyeusementassourdissant.Mêmeavecplusieursdesgrandsgarçonsetdespetitesfillesdehors.
Samère passa le bras sous le sien et lui désigna dumenton les portes vitrées de la terrasse surlaquellesedéroulaituneimpitoyablebatailledeboulesdeneige.
—Jecroyaisqu’ilsfaisaientunbonhommedeneige,fitAnnensouriantlargement.—Apparemment,Reedavaituneautreidéeentête.LescrisaccusateursethostilesdontlamenuerouquineCrystal–aliasClochette–accablaitsonmari
hilare,JohnnyReed,confirmaientqu’ilétaitlecoupable.LetriocomposéenoutredeHope,lafilledesSavageâgéedequatorzeans,etdeTina,laniècedeSametAbbieLangquiavaitdixans,avaitlancéuneattaque surprise contre Rafe, Clochette et la femme de Nate Black, le Dr Juliana Flores-Black.L’Argentinesophistiquéeetréservées’émerveillaitdelapoudreblanche.
—Ilneneigeaitjamaislàoùj’aigrandi,avait-elleexpliquéplustôttandisqu’elleregardaitvoleterlesépaisfloconsparlafenêtre.Parfois,onroulaitjusquedanslesmontagnespourlavoiretlatoucher,maisjenem’étaisjamaisretrouvéeenpleinetempêtedeneige.
Stephanien’avaitpaseulecœurdeluiannoncerquecelan’avaitriend’unetempête.CequileurétaittombédessusauMinnesota ilyaunpeuplusd’unmois, en revanche…songea-t-elleavecun frisson.L’épisodedujourétaitunsimplefrontstationnaireanormalquiavaitprovoqué,aufildela journée, lachutesansprécédentdevingtcentimètresdeneige.
Elleauraitfonduenpartiedèslelendemain;lesoleilquipointaitdéjàleboutdesonnezyveillerait.Dansl’intervalle,cependant,Rafe,quiétaitnéenColombie,avaitgrandiàMiami,etquiselanguissaitmanifestement de la neige tout autant que Juliana, s’était également laissé séduire par le plaisir d’ybatifoler.LebeauLatinoriaitcommeungossetandisqu’ilesquivaitlemissilelancéparReedquiavaitmanquédepeusatête.
—Waouh. (Gabe Jones grimaça en observant l’action.)Reed vient de s’en prendre une en pleineface.Julianasaittirer,monvieux!
Luke«DocHolliday»Colter, lemédecinde l’équipe,seredressade la tabledebillardoùWyattSavageetluidisputaientunepartieoùilsétaientàégalité.
—Toutcequ’elleaappris,ellel’aapprisdetoi,pasvrai,patron?IldécochaàNateunsourirehilare.— Reed l’a sous-estimée, répondit Nate, contemplant son épouse avec fierté. J’ai appris il y a
longtempsquec’étaitl’erreurànejamaiscommettre.C’était bondevoir le fondateurdesMCBsi détendu, songeaStephanie.Nate assumait de lourdes
responsabilités.Elleétaitheureusequ’ilprofitedecesréunionsoccasionnellespourserelaxerunpeu.—C’esttontour,Colter.WyattSavageappuyalahanchecontrelatabledebillardetétudialesbouleséparpilléessurlefeutre
vert.Sans se presser,Doc passa de la craie sur sa queue de billard, son borsalino à la Indiana Jones
inclinésursatêted’unaircanaille.—PapaOurs,çat’angoisseàcepointdeteséparerdetonfric?
Danscetteclique,onnejouaitàrien–quecesoitunepartiedepoker,debillardouunconcoursdepompes–sansparierdel’argent.
Wyatt,ungrandgaillarddeGéorgie,décontractéetfacileàvivre,secontentadesourire.—Prépare-toiàperdre,Doc.Cen’estplusqu’unequestiondetemps.Imperturbable,Lukeannonça:—Boulenumérotrois,pocheducoin.Ilévalual’angleetjoua.Wyattricanaquandilratasoncoup.—T’esàcôtédelaplaque,Colter.SamLangobservaitlapartieavecintérêt,lesbrascroisés,lesjambesécartées.—Iln’apasbeaucoupdormicettenuit.ValentinavintseplaceràcôtédeLukeetluitenditunebouteilledebière.—Lebébén’apasarrêtédemedonnerdescoupsdepieddansledos.(Ilposaamoureusementla
mainsurleventrearrondidesafemme,puissepenchaetmurmura.)Salut,p’titgars.Papavategagnerundada.
Valluiôtasonborsalino.—P’titefille,rectifia-t-elle,enfonçantlechapeausursatêteetl’inclinantélégamment.—Vousavezchangéd’avisetdécidédeconnaîtrelesexedubébé?s’enquitStephanie,assisesurle
brasducanapéquisetrouvaitleplusprèsd’eux.—Non,onneveuttoujourspaslesavoir,maistuconnaisLuke.Ilfautqu’ilpariesurl’issue.—Sijegagne,expliquaLuke,regardantWyattalignersontir,ellem’achèteraunécranplatdecent
quarante centimètres.SiValgagne, je lui achèteraiunepoubelle à couches.Bahquoi ?dit-il, feignantl’innocence quand l’assemblée leva collectivement au ciel des yeux incrédules.C’est elle qui en veutune!Pasvrai,chérie?
Iladressaàsafemmeungrandsourirecoquin.Valluitapotalajoue.—Toutàfait,fit-elle,jouantlejeu.Mêmeenceintedesixmois,Valentinaétaitsublime.Commelacélébrité,lagrossesseallaitàravirau
top-modèlederenomméeinternationale.Lecachetqu’elleavaittouchépourunarticledanslemagazineVogue, lamettanten scènedans toute lagloirede sagrossesse, avait été reverséàSave theChildren,l’associationpourlesenfantsdeSierraLeone.
—Val ressembleàunedéesse, se lamentaAbbie surun tonamical en rejoignantStephanie sur lecanapéavecsesdeuxfils.Alorsque,moi,jemetapedeschevillescommedespoteaux.
StephaniesoulevalepetitBryan,l’homonymedesonfrère,pourleprendresursesgenoux,etdéposaunbaisersurlesommetdesatêtetandisqu’AbbieallaitchercherThomasquivenaitdeseréveillerdesasieste.
—Tuesradieuse,luiassuraSamenluiprenantlepetitdesmains.—Pourunebaleine.(Abbiedevaitaccoucherdansdeuxsemaines.Ellepoussaunprofondsoupir.)Je
seraitellementheureusequandjepourraidenouveauvoirmespieds.StephaniesouritàBryan.—Alors,quevoudrais-tuquemamanterapportedel’hôpital?—Unchiot,réponditlebambindetroisans.Abbieparutdépitée.—C’estReedquiluiaapprisàdireça.
BryandescenditensetortillantdesgenouxdeStephanieetcourutversB.J.quandelleentradanslapièce,lapetiteSelenadanslesbras.
—Jepeuxlaporter?demandaBryan.—Portons-laensemble.(B.J.,épanouieparlamaternité,s’installadansunénormefauteuilbergère.)
Vienst’asseoiràcôtédemoi,monpoussin.—Elle estminuscule. (Bryan parut émerveillé lorsqueB.J. plaça le nourrisson endormi dans ses
bras.)Est-cequ’ellepleurebeaucoup?Papaditquelesbébéspleurenttoutletempsetquejeferaimieuxdem’yhabituer.
— Les bébés pleurent quand ils ont faim, quand ils sont fatigués ou quand il faut changer leurscouches.
L’explication deB.J. sembla satisfaireBryanqui s’était apparemment lassé de parler de bébés. Ilrendit délicatement Selena à sa mère, puis glissa du fauteuil à la recherche d’une activité plusintéressante.
—Ondiraitquetuasfaitçatoutetavie.Stephanieadmiral’aisancesereinedeB.J.etsonmagnifiquebébé.LapetiteSelenaavaitlescheveux
noirdejaisdesonpère,etsesfrisettesrappelaientlesbouclesblondesdesamère.—Tuauraisdûmevoirlapremièresemainedenotreretouràlamaison!Reed entra brusquement dans la pièce, époussetant la neige de ses cheveux et apportant une brise
fraîchederrièrelui.Crystal luicourutaprèsenriantetfourraunepoignéedeneigedanssachemise.Ill’attrapaparlataille,lasoulevadeterreetl’embrassa.
—Tu jouesavec le feu,maClochette.Waouh,ajouta-t-ilquand le restede la troupedéboulaàsasuite.Onnepeutpasfaireunpassanstombersurunefemmeenceinteouuntêtard.
Il effleura du revers de l’index la joue de la petite Selena, l’air attendri avant de s’adresser à lacantonade.
—Ditesvoir,lesgens,lacontraception,vousconnaissez?Clochetteretirasaveste,puiss’éclaircitdoucementlavoix.—Jecroisqu’ondevraitavoirunepetiteconversation,Johnny.Iljetauncoupd’œilàsafemme.—Surlamanièredefairelesbébés?Clochette,chérie,j’ailulebouquin,tusais.—Tuasluunbouquin,toi?fitDoc,ébahi.—Laferme,Colter.Etpuis,cen’estpasmoiquipolliniselesfleursparici.—Euh…enfait,si.Enfin,tul’asfait,rectifiaCrystal,sesyeuxvertsattentifsetpleinsd’espoir.DistraitparlafilledeSophieetWyattquis’agrippaitàsajambe,Johnnylapritdanssesbrasetrit
quanddesamenotteboudinéeellesemitàluitirerlelobedel’oreille.—Visez-moiça!Mêmelesfillettesmetrouventirrésistible.Ilfutledernieràremarquerquetouslesadultesprésentss’étaienttus.Quandils’enrenditcompte,
sonregardperplexebalayalapièce.—Qu’est-cequej’airaté?Touslesyeuxs’étaientrivéssurCrystal.Touslesvisagessouriaient.Iltournabrusquementlatêteverssonépouse.Etsoudain,ilcomprit.—Attendsuneminute.Rembobine.IlrenditMariahàsamère.—Tuasditquej’avaisfaitquelquechose.J’aifaitquoi?—Tu as pollinisé ta fleur, réponditCrystal, qui observa son expression passer de la confusion à
l’incrédulitépuisàl’effarement.
—Je…Tuessérieuse?Ellehochalatête.Ilsefrottalecrâne.—Comment…Commentest-cearrivé?Clochetterit.—Jecroyaisquetuavaislulebouquin.Ilsondaduregardlesprunellesvertesdesafemme.—Unbébé?Sérieusement,Clochette?répéta-t-ild’unevoixdouceetattendrie. (Sesyeuxétaient
interrogateursetpleinsd’espoir.)Onvaavoirunbébé?Elleacquiesçadelatête,unimmensesourireilluminantsonvisage.Joie, scepticisme,paniqueetamour traversèrentceluideJohnny.Puis il tombaàgenouxdevantsa
femmeetplaçadélicatementsesgrandesmainscalleuses,doigtsécartés,sursonventreplat.Émerveillé,illevalesyeuxverselle.
—Ilyaunbébélà-dedans.Elleposa lapaumesur sa joue ; l’amourquibrillaitdanssespupillesétait aussiaveuglantque la
lumièredusoleilqueréfractaitlafenêtre.—Ehoui.Ill’attiracontreseslèvresetl’embrassaavecadoration,combléetàl’évidenceunpeueffrayé.Gabefutlepremieràromprel’heureuxsilencequiavaitamenéStephanieetlerestedesfemmesau
borddeslarmes.—Seigneur,jevousensupplie,faitesquecesoitunefille.Lemondenesupporterapasundeuxième
JohnnyDuaneReed.—Etfaitesqu’elleressembleàsamère,ajoutaSam,enimprimantunbaiserdefélicitationssurla
jouedeCrystaltandisqueJohnnyseredressaitsurdesjambestremblantes.—Tudevraist’asseoir,luiditJohnny,neleurprêtantpasattention.Sérieuxcommeunpape,ilpritlesmainsdeCrystaldanslessiennesetlaguidajusqu’auplusproche
fauteuilvide.Unepaniquetotalel’avaitsaisi.—Ettun’auraispasdûresterdehorssouslaneige.Etsi…etsi…Oh,monDieu,jen’osemêmepas
ledire!Juliana!Tuesmédecin.Dis-luiqu’elledoitêtreplusprudente.EtNate!Tuessonpatron.Mets-laencongématernitétoutdesuite.
— Les gars ! (Crystal en appela aux hommes, interrompant Johnny avant qu’il ne commence laconstructiond’unecagedeprotection.)Vousvoulezbienm’aider?
Ilsconvergèrentvers leuramideconcert.Nate,Luke,WyattetRafeattaquèrent le flancgauchedeReed;Gabe,SametJoeserapprochèrentsursadroite.Reedétaitcoriaceetathlétique,maisilnefaisaitpaslepoidscontrelesmusclesdetoussescoéquipiersdesMCBréunis.Ilslesoulevèrentettraversèrentlapièce.
Robert tint lesdoublesportesgrandesouvertes tandisqu’ils sortaientet le lançaientaucomptedetroissuruntasdeneige.
Reedjuraitcommeuncharretier,promettantdesevengerdemanièrefortcréativelorsquelebruitdespalesd’unhélicoptèrecouvritsesimprécations.
TouslesyeuxsetournèrentverslepetitaéronefBelltandisqu’ilamorçaitsadescentepuisseposaitavecgrâcesurlapelouse.
Joefutlepremieràreconnaîtrelepilote.—C’estBrown,dit-illorsqueStephanielerejoignitdevantlabaievitréedelaterrasse.
—Qu’est-cequ’il trafique encore ? demandaRafe tandis queMikeouvrait la portièredu cockpitd’uncoupd’épauleetenfonçaitunpieddanslaneige.
—Oh,monDieu!s’écriaStephanie,plaquant lamainsur labouchequandellevitquidescendaitaprèslui.
Ellesentitlebrasdesamèreautourdesesépaules.—Vas-y,chérie.Valechercher.Leslarmesluibrouillèrentlavuelorsqu’ellecroisalesourirebienveillantd’Ann.—C’esttoiquiasfaitça?—Tonpèreetmoi,oui.Ilfallaitbienquequelqu’uns’encharge.Tonexpressionchaquefoisquetu
parlaisdeluinousétaitinsupportable.Elleétreignitsamèredetoutessesforces,puiscourutdehors,làoùJoeattendaitdéjàtandisqueSuah
Koramamarchaitverseuxd’unpashésitant.—Alors,fitJoe,seulssesyeuxreflétantcequ’iln’osaitdiredecrainted’embarrasserlegarçon,qui
étaitunhommeetquiétaitvenud’aussiloinsurunefoiaveugle.Ilfautcroirequejet’aimanqué.SuahtenditlamainetserracelledeJoe,puisluilançasarépliquefavorite.—Commeuneverrue.L’ombred’unsourirepassasurseslèvresetStephaniesesentitfondre.Elleserralegarçondanssesbraspendantquel’hommequ’elleaimaitlesobservaitensouriant.—Bienvenue,Suah.Bienvenuecheztoi.
LamaisonétaitcalmeetplongéedanslapénombrequandStephaniesedirigeaverslagrandesalle,àla recherche de Joe. La fête s’était achevée il y a plus d’une heure. Quelques-uns des gars étaientàl’étagedansleschambresd’amis;lesautresavaientréservédansunhôteldesenvirons.
Lelendemainmatin,ilsreviendraientpourlepetitdéjeuneravantquechacunnepartedesoncôté.Suahdormaitàpoings fermésdans l’anciennechambredeBryan,épuisédeson longvoyage. Il se
demandaitsûrements’ilavaiteuraisondevenir.Etilsesentaitsansdoutesubmergéparlespersonnalitéshautesencouleuretlenombredegensquiferaientdésormaispartiedesanouvellevie,sidifférentedelaprécédente.
LecœurdeStephanies’étaitbriséunecentainedefoisdepuisqu’ilétaitdescendudecethélicoptère.Àlafaçondontsesyeuxs’étaientécarquillésdevantl’abondancedenourriture,l’opulencedelamaisondesesparents.Àl’idéed’avoirunechambreàlui.Avecunlit.Etdesdrapspropres.
Elleavaittentéderegarderlemondeàtraverssesyeux,maisavaitcomprisqu’ellen’yparviendraitjamais.Ellecompritégalementqu’ilsallaient tousdevoirfairedescompromispourqueçafonctionne.Suahétaitungamindégourdi.Ils’adapterait.Commeeuxtous.Leplusimportant,c’étaitqu’àprésentilauraitl’occasiondevivreetpassimplementdesurvivre.
EllevitJoedèsqu’elleentradanslesalonfamilial.Ilsetenaitdosàelle,devantlacheminéedepuislaquelle un feu douillet répandait sa chaleur dans la pièce. Son attention était dirigée au-dessus dumanteauenmarbreblanc,sur leportraità l’huilegrandeurnaturedusergent-majorBryanTompkinsenuniformebleu.Jeuneàjamais.Braveàjamais.
Disparuàjamais.—Çava?Stephanieseglissaàcôtédelui.Ill’attiracontrelui,imprimaunbaisersurlesommetdesatête.Etneditrien.
—Ilseraittellementfier,Joe.(Elleposalamainsursonmentonetl’obligeaàlaregarder.)Ilseraittellementfierdetoi.
Ildéglutitavecpeine.—Jemesouviensencoredujouroùjel’airencontré.C’étaitunvraipetitcon.Ellesourit.—Parmoments,oui.—Jenetelefaispasdire!Etàprésent,justiceluiavaitenfinétérendue.Ilpouvaitallerenpaix.Commelerested’entreeux.
—Autempspourunpaisiblepetitdéjeunerd’adieu.StephaniearboraungrandsourirelorsqueJoetrouvauncoinisoléprèsdelafenêtreafindediscuter
entêteàtêteavecelle.—TuconnaisDoc.ImpossibledeseretrouverentreMCBsansqueçafinisseparunepartiedepoker
endiablée.Uncrideguerreleurparvintdelatable.CrystalvenaitderemporterlamisedeDoc,etPrimetime
prenaitunmalinplaisiràremuerallègrementlecouteaudanslaplaie.JennatapadanslamaindeCrystalpar-dessuslapiledejetons.
—Jemesuisfaitexploserparmonproprepétard,grommelaLuketandisqueCrystalempochaitsongain.
—Siçaveutdire lamêmechosequesefaireécraserparsonpropre tank,alorsouais, tu t’es faitexploser.Etparunenénetteencloquequiplusest.
Reeddéposaunbaisersonoresurlabouchedesafemme.Voilàmafamille,songeaJoe.Ilsriaientensemble,aimaientensemble,etpouvaientcompterlesuns
surlesautres.Dansunmondeoùlechaosmenaçaitdel’emporter,oùlesténèbresaffrontaientsanscesselalumière,
lamaisondesTompkinsleuroffraitunrefuge.Unhavredepaix.Uneatmosphèred’espoir,unfoyer,unefamille.
Lesparolesd’AnnetRobertremontantàcejourlointainoùl’équipes’étaitréuniepourlapremièrefoisentrecesmursafindepleurerleurfrèretombéaucombatluirevinrentenmémoire.
« N’oubliez pas, vous êtes les frères de Bryan… Voyez-nous comme une deuxième famille…Considérez cette maison comme la vôtre. Toujours. Quand vous aurez besoin de reprendre desforces.Quandvousaurezbesoindefaireunepause.Quandvousaurezbesoindequoiquecesoit…vousserezicichezvous.»
Alorsilétaitlà.Chezlui,auprèsdelafamillequ’ilsétaientdevenus.—CommentvaSuah,àtonavis?Iljetauncoupd’œilàl’autreboutdelapièce,oùAnnetRobertguidaientSuahlelongdubuffet.—Ilestencoreunpeusouslechoc,réponditStephanie,maisilvabien.Jen’arrivetoujourspasà
croirequ’ilsoitici.Joeavaitunmalfouàlaquitterdesyeux.Elleétaitsienjouée,heureuseetbelle.LesMCBétaientsa
famille,maisStephanieétaitsavie.—Faisonsunenfant,luidit-ildebutenblanc.Ellemarquauntempsd’arrêt,puisunsouriresurprisluiétiraleslèvres.—Voilàquiest…soudain.Illuieffleuralajouedelapulpedudoigt.
—J’airemarquélafaçondontturegardaiscesbébés.Tucroisquej’ignoreàquelpointtudésiresavoirletien?
—Suis-jesitransparente?—Unpeu,ouais,répondit-ilavecunairattendri.Tuesbeaucoupdechoses,Stephanie.Magnifique.
Intelligente. Courageuse. (Il la fit tourner vers lui et lui enlaça la taille.)Mais surtout, tu esmienne.Etjamaisjen’aurailabêtisedetelaisserpartir.
—Ensemble,onpeutsurvivreàn’importequoi.—Àn’importequoi,acquiesça-t-il.Danslesbrasdecettefemmequ’ilaimait,ilpouvaitaccomplirn’importequoi.Êtren’importequoi.
Conquérirn’importequoi.MêmesaculpabilitéausujetdeBobby.Par-dessusl’épauledeStephanie,ilregardaSuah,vitlapeuretl’espoiretlavaillanceaveclaquelle
ilredressaitsesétroitesépaules.Bobbyn’étaitplus,etBryann’étaitplus.MaispourJoe,StephanieetSuah,lavienefaisaitquecommencer.