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    biodiversit et changements globaux

    Vers une cologie de la santJean-Franois Gugan & Franois Renaud

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    1. Introduction. Sans nous focaliser sur une arithmtique sans intrt en soi, forceest de constater que de passer de 6 milliards dhumains sur la plante 10 ou 12 mil-liards la fin de cexxie sicle constitue le problme majeur de lensemble des socitset des politiques qui les dirigent. Dix milliards de personnes ne pourront vivre sur laTerre avec les mmes conditions sanitaires et conomiques que celles dont bnficient

    les 750 millions dhumains vivant actuellement dans les pays industrialiss cause dumanque venir en eau potable, en nergie, en qualit et quantit despaces. Les paysdits dvelopps doivent contribuer au dveloppement de toutes les nations tant dunpoint de vue conomique que des conditions de vie, cest--dire de sant. Pourtant lescris dalarme se font nombreux depuis plusieurs annes sur lvolution de lenviron-nement et sa dgradation gnrale. Au travers de son histoire, lHomme a largementcontribu la modification de la biosphre. Limpact sur les cosystmes commenceds le dbut de laventure de lespce humaine (McMichael, 2001). Avec lindustrialisa-tion, laugmentation consquente du nombre dindividus et de leurs capacits modi-fier lenvironnement, ltendu et les consquences des actions de lhomme sur les co-

    systmes nont cess de crotre (Martens & McMichael, 2002). Ces activits humainesont lieu dans toutes les rgions de notre plante, tant lchelle spatiale que tempo-relle (Dickinson & Murphy, 1998). Le problme est que nous ne pouvons pas quanti-fier, ni analyser les consquences cologiques quauront ces modifications irrversiblespour le futur, simplement parce que nous navons pas notre disposition les lmentsncessaires la comprhension du changement global qui seffectue actuellement surles environnements, et surtout sur la biodiversit quils abritent.

    1.1. Mais quest-ce au juste un cosystme ?Imaginons une retenue deau, un tang, unlac Quels animaux vivent dans ce type de milieux ? Des insectes, des vers, des oiseaux,

    des poissons, des rats musqus, des chevreuils, des loups De quoi ont besoin ces ani-maux pour vivre et se nourrir ? Les insectes se nourrissent des plantes, les poissons man-gent les vers et les insectes, les oiseaux mangent les poissons, les vers et les insectes. Lesmulots mangent des graines. Les rats musqus mangent les ufs et souvent aussi lespoussins de canards. Les canards quant eux mangent les insectes et les vers. Les che-vreuils mangent de lherbe et des jeunes pousses darbres. Les loups mangent les mulots,les rats musqus et les chevreuils. Ces systmes naturels sont videmment plus complexeset aussi plus riches que dans cette simple numration, mais tous ces animaux sont lispar un lment commun qui est cette retenue deau dont ils ont besoin. Les chevreuilsrgulent la production vgtale, les rats musqus celle des canards. Les loups prlvent

    les chevreuils malades et affaiblis dans le groupe. Il est primordial de noter quun cosys-tme est une communaut fonctionnelle. Quadviendrait-il de cette communaut si cetteretenue deau venait disparatre ou si un maillon du rseau trophique manquait ?

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    Mais pourquoi certains chevreuils, mulots ou canards peuvent-ils tre affaiblis danscet cosystme ? Ne sont-ils pas attaqus, cest--dire parasits, par des pathognes et/ou des parasites qui les rendent moins performants et ainsi plus vulnrables aux pr-dateurs ? La description que nous venons de donner ne peut alors faire abstraction desparasites ou pathognes qui jouent aussi un rle fondamental dans le fonctionnement

    des cosystmes. Les pathognes et les parasites sont moins visibles que dautres orga-nismes, mais ils font partie intgrante des cosystmes et de leur cologie.Tous ces organismes sont donc lis et vivent en interaction dans lcosystme ;

    chaque espce est intimement lie avec ses congnres, ses rivaux de telle sorte quaucunreprsentant nenvahisse lensemble de lcosystme au dtriment des autres, du moinspendant une longue priode de temps. La production doxygne par les premiresalgues photosynthtiques a eu des consquences dramatiques sur lvolution des orga-nismes anarobiques qui prdominaient cette poque, modifiant ainsi le jeu des allian-ces et des rivalits pour terme instaurer de nouveaux quilibres cologiques.

    1.2. Quels rles exactement jouent les parasites/pathognes dans les cosystmes ?Lorsquon examine linfluence des parasites ou des agents pathognes sur les popu-lations dhtes, on constate que leur action est extrmement importante (Grenfell &Dobson, 1995 ; Hudson et al., 2001). Les recherches sur le rle rgulateur des parasiteset des pathognes sur les populations humaines, animales et vgtales sont en effetparmi les plus abondantes quil soit notamment parce quelles ont un lien direct avecla sant publique ou vtrinaire et lagronomie. Il est en revanche un champ de recher-che quasiment oubli : cest celui de limpact des pathognes et des parasites dans lefonctionnement des cosystmes. Pourtant les pathognes/parasites sont prsents par-tout, et ils reprsentent une large proportion (pour ce que lon en connat !) du vivant

    (De Mees & Renaud, 2001). Plus important encore, ces organismes pathognes jouentun rle extrmement important dans le maintien et lquilibre des cosystmes. Ilsconstituent des rgulateurs ou des disrgulateurs des quilibres mis en place aucours du temps (Thomas, Gugan & Renaud, 2005). Certaines rponses aux nombreuxproblmes de sant publique, animale ou vgtale citons ici la rsistance aux antibio-tiques, par exemple passent alors par une meilleure comprhension de lcologie desorganismes pathognes ou parasites, non seulement dans ltude de leurs populationsmais aussi de leurs communauts despces tant lavenir cette dimension plurispci-fique devrait simposer (Thomas, Gugan & Renaud, 2005).

    1.3. Mais quest ce quun parasite ou un pathogne ?Un organisme qui vit sur oudans un autre organisme obtenant de ce dernier part ou totalit de ses ressources, etqui lui cause diffrents degrs de dommage (Price, 1980). Ainsi, le pathogne ou le

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    lhomme, mais bien une origine, trs souvent animale, qui ramne lexistence delhomme son animalit premire ! De mme, les maladies des animaux ou de plantescultives trouvent gnralement leur origine dans la diversit faunistique ou floristi-que environnante. Ce paragraphe traite de lorigine des agents pathognes responsa-bles de maladies, du dclenchement vnementiel des pidmies dans les populations,

    et conclut sur une ncessaire remise en perspective de la place de lhomme au sein dessystmes biologiques.

    2.1. Do viennent les agents responsables de maladies ?Il sest produit dans lhistoiredes civilisations de multiples passages de micro-organismes de lenvironnement, et enparticulier des populations animales, vers les populations humaines ; cest ce que lonnomme les anthropozoonoses. Linverse est probablement galement vrai, bien que nousnen ayons que trs peu dexemples. Cependant, nous pouvons faire rfrence au cas duvirusEbola (Leroy et al., 2004) qui a rcemment contamin et presque extermin unepopulation de gorilles du Nord Congo, ou au transfert probable duPlasmodium, agent

    de la malaria, apport par lhomme certaines espces de singes du continent sud-am-ricain (Escalente, Bario & Ayala, 1995, Rich & Ayala, 2004). Beaucoup de maladies trans-missibles prsentes aujourdhui dans les populations humaines ont une origine animale(Ashford & Crewe, 1998) on lestime entre 70 80 % , certaines dentre elles ayant ttransmises lhomme partir du Nolithique quand les premires socits sorganisent,pratiquent lagriculture et dveloppent les premiers levages partir danimaux sauva-ges. Le virus de la rougeole, unparamyxovirus, prsent dans les populations humainestrouve son origine chez les ruminants ou les volailles ; son passage lhomme est estim quelques milliers dannes partir des premiers animaux domestiqus. Au contraire,des tudes dtailles ont mis en vidence une origine relativement rcente des virus du

    Sida (ou lentivirus)dans les populations humaines partir de primates naturellementinfects par des Virus dImmunodficience Simiens Encart {8}.

    Un exemple emprunt au domaine vgtal montre que le virus de la panachurejaune du riz, originaire dAfrique de lEst, qui infecte gnralement des riz sauvageschez lesquels il noccasionne pas de dgts importants, a colonis lensemble du conti-nent africain (Fargette et al., 2004). Il reprsente actuellement la principale contrainteau dveloppement de cette culture. La diffusion de ce virus est troitement lie auxchangements de pratiques culturales et lintensification de lagriculture du riz : (1)culture en continue tout au long de lanne qui favorise la propagation du virus alorsque les mthodes plus traditionnelles pratiquaient lalternance ; (2) recours des vari-

    ts exotiques productives mais aussi trs sensibles au pathogne. Ainsi, les cas les plussvres de maladies des plantes sont trs souvent associs des modifications de lha-bitat intrinsque, portant sur lhte lui-mme, ou extrinsque, portant alors sur lenvi-

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    ronnement, abiotique et biotique. Les introductions de parasites exotiques dans descosystmes o les htes ne prsentent pas de rsistance sont dautres cas importants.Les pathognes et les parasites constituent galement des espces invasives qui peu-vent perturber lquilibre des communauts en place dans les cosystmes.

    2.2. Une question dvnements probabilistes.Jusqu un pass trs rcent, pid-miologie et cologie nentretenaient que des liens lointains. Lpidmiologie traitaitdes facteurs qui dterminent la frquence et la distribution des vnements patholo-giques dans les populations. La logique est ici le plus souvent dinfrence causale, jus-tifie par la ncessit des interventions pour amliorer ltat de sant des populations.Lcologie sintressait, quant elle, la diversit, labondance ou la raret des esp-ces prsentes dans les cosystmes, aux cycles biologiques de leur existence, ainsi qula stabilit et la rgulation de leur nombre, de la cellule la biosphre (Froment,1997). Si les recherches en pidmiologie sont inscrites dans la tradition dun para-digme de rduction quaffirme le besoin dun regard pragmatique, lcologie a comme

    centre dintrt la complexit du monde vivant et de son organisation. La nouveaut,cest que cet antagonisme ne peut plus durer parce quil nexiste plus de petite popu-lation isole dans un systme plantaire complexe o tout est li ; la variabilit cli-matique agit sur la dclaration de nombreuses pidmies et la socio-conomie modi-fie les normes cologiques fondamentales. Il y a dsormais une remise en cause dumodle linaire dans lequel les vnements mentionns plus haut sont soumis auxrductions de modles explicatifs causatifs, mme les plus raffins. Le problme tho-rique, mais aussi plus pratique, est dsormais de savoir comment lier pidmiologie,notamment mdicale et animale, et cologie Encart {9}. Savoir sil y aura plus dpidmieshumaines demain, si nous arriverons enrayer les nouvelles maladies ravageant nos

    productions animales et vgtales, si les changements globaux auront un impact surla sant des populations humaines, animales et vgtales, dpend de notre capacit intgrer le fait que les agents, responsables de maladies, sont des organismes vivantset quils sont, comme tous les organismes sur Terre, rgis par de grandes lois cologi-ques et volutives. La synthse pidmiologie/cologie nous apparat indispensable,notamment parce que les vnements dpidmies anciennes, ou plus rcentes, vo-ques par le premier champ disciplinaire peuvent tre entirement expliques et pr-vues par le second. Afin dalimenter cette thse, prenons comme illustration lexem-ple de la grippe du poulet qui a dfray la chronique ces derniers mois (voir http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/grippe_aviaire/). Le scnario concernant le processus

    de cette pidmie tait totalement prvisible dun point de vue cologique. En effet,dnormes densits dhtes (ici des volailles estimes plusieurs milliards de ttes enAsie du Sud-Est) sont la disposition des pathognes ; elles favorisent ainsi la slec-

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    tion de variants trs virulents qui ne pourraient se propager dans des configurationsde moindres densits !

    2.3. Pourquoi nous faut-il reconsidrer la place de lhomme dans lcosystme ?Ds quelhomme a commenc conqurir de nouveaux territoires pour linstallation de nouvel-

    les populations, il a modifi son environnement : sa propre activit na pas t, et nesttoujours pas, sans influence sur la nature (McMichael, 2001). Lacquisition de plusieursmaladies infectieuses ou parasitaires a pu se faire lorsque lhomme a dcid, au No-lithique, dorganiser ses premires socits sdentaires autour de villages regroupantplusieurs individus, davoir des animaux dlevage et de pratiquer lagriculture pour sapropre subsistance. Bien plus tard, au xixe sicle, lexode rural et la concentration depersonnes dans les grandes villes industrielles comme Londres, Paris ou Berlin consti-tueront des foyers importants pour le dpart de nouvelles pidmies. Aujourdhui, lins-tallation de nouveaux primtres irrigus ou la dforestation massive des fins agri-coles, en modifiant les habitats naturels, rend plus propice le dveloppement de cer-

    tains micro-organismes, de certains vecteurs ou encore de certains rservoirs. Certainesmaladies infectieuses dites infantiles telles que la varicelle notamment se sont adaptes nos systmes sociaux modernes puisque leur dynamique cest--dire la successionplus ou moins priodique de crises pidmiques o la maladie se rpand dans les popu-lations et de phases inter-pidmiques, ou endmiques, au cours desquelles la maladiesteint ou est circonscrite est calque sur lalternance de priodes scolaires favorisantla transmission de la maladie entre enfants et de priodes de congs plus dfavorables sa transmission ; les vacances dt voient alors une quasi-extinction de cette maladiedans la population franaise (Choisy & Gugan, comm. pers.). Nous touchons l unproblme central ! Lvolution dmographique de lhomme est aussi trs certainement

    au cur des problmes actuels que nous connaissons. La pntration de lhomme dansde nouveaux espaces pour installer des populations ou pratiquer llevage, lagricultureou labattage dessences vgtales, mais galement lexploration touristique des cosyst-mes naturels encore vierges augmentent aujourdhui les probabilits de contact et doncde transmission dagents pathognes partir de rservoirs ou de vecteurs insouponns(Saluzzo, Vidal & Gonzalez, 2004). Deux configurations interactives sont alors prendreen compte : lhomme et sa population mondiale en extension ; la biodiversit dont unegrande partie est gnratrice des maladies passes, actuelles et probablement futures.

    Le problme crucial est celui des relations dmographiques entre lespcehumaine et les autres espces. Plus la population humaine crotra sur Terre, plus elle

    entrera non seulement en comptition avec les autres espces animales ou mme vg-tales, mais plus elle risquera dentrer en contact avec des agents potentiellement dange-reux pour elle, et auxquels elle na jamais t confronte.

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    Un second aspect est celui des relations entre zones gographiques. Les pays dela zone inter-tropicale abritent 30 35 fois plus dagents infectieux et parasitaires, res-ponsables actuellement de maladies dans les populations humaines, que les pays temp-rs (cf. Guernier, Hochberg & Gugan, 2004). Mais combien de micro-organismes sontencore inconnus aujourdhui dans des rgions tropicales o lon estime qu peine 10 %

    de la diversit biologique est rpertorie ? Combien de ces organismes pro- ou euca-ryotes la faveur dune transmission aux populations humaines, animales ou vgta-les, seront pathognes pour ces nouveaux htes ? Quels risques nos socits modernesencourent-elles laisser la pauvret envahir les populations du Sud et ne pas enrayer ceflau ? Lun des premiers symptmes est lurbanisation croissante dans un grand nom-bre de rgions tropicales avec la constitution de mgalopoles lhomme y recherche unmtier, une scurit qui pourraient former de futurs racteurs cosystmiques au dveloppement et la propagation de nouvelles pidmies. Nous lavons dj crit,il existe une relation entre les potentialits de dveloppement dune maladie et la tailleen effectifs de la population hte soumise linvasion dun virus, dune bactrie ou dun

    parasite. Un dernier aspect est celui du niveau de pauvret et de conditions sanitaires etsociales dans lesquelles vit une large proportion de la population humaine concentredans ces zones inter tropicales. Ds lors, de trs nombreuses maladies infectieuses ouparasitaires y trouvent les conditions propices leur installation et leur propagation.Si lon veut traiter dpidmiologie et de sant publique internationale, ne faut-il passe proccuper autant sinon plus des lieux o le risque infectieux est le plus important,des mmes lieux o les humains tendent aujourdhui se regrouper massivement, et oles conditions de vie sont les plus prcaires sur notre plante ? Les connexions entre lasphre cologique, la sphre pidmiologique et la sphre socio-conomique sont indis-pensables. Chacun est conscient que le niveau de vie et les conditions qui gnralement

    laccompagnent sont garants dune meilleure sant des populations. La prise en consi-dration de laugmentation des populations dans des zones forte diversit biologiqueest fondamentale. On insiste beaucoup sur laspect socio-conomique, mais on devraitse montrer plus actif sur les relations entre diversit biologique et sant.

    Cest peut-tre en prenant les problmes de sant actuels sous langle dunevision cologique intgrative o lhomme est un lment essentiel et indissociabledun systme trs complexe et interactif quil nous faut aujourdhui reconsidrernotre analyse de la maladie et des pidmies.

    3. Lorganisation des systmes biologiques, et les implications pour les probl-

    mes de sant. En biologie, la hirarchie des chelles fait donc rfrence aux niveauxdorganisation structurale (gne, cellule, organisme, population, par exemple). Cetteide renvoie celle du choix des niveaux dorganisation du systme que lon tudie, et

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    donc des phnomnes que lon peut mettre en vidence chaque niveau particulier.Les systmes biologiques, cologiques, tout comme les systmes physiques ou conomi-ques, mais aussi a fortiori pidmiologiques ne sont donc pas de simples juxtapositionsdentits indpendantes, mais ils forment des structures imbriques les unes aux autres,de la plus petite la plus grande. Il devient primordial dtudier et de modliser les lois

    dchelles, la fois spatiales et temporelles, qui vont rgir les relations entre les diff-rents niveaux dorganisation. voquons un exemple pour lillustrer ! Les pidmies decholra au Bangladesh affectent de manire rgulire, tous les 4 ans environ, les popu-lations riveraines du golfe du Bengale depuis 1986. Des travaux rcents ont montr queces alternances de phases pidmiques et inter-pidmiques sont, du moins en partie,sous linfluence de la variabilit climatique et ocanographique observe large chelleEncart {10}. Ces pidmies ne sont donc pas uniquement la consquence de milliards de bac-tries Vibrio cholerae pathognes affectant des populations humaines malchanceuses, nile rsultat de gnes de virulence particuliers prsents chez certaines souches de bact-ries dans ces zones. Leur apparition dpend en partie de ce que lon nomme des facteurs

    de forage, ici dordre climatique, qui peuvent intervenir lchelle de la plante, et quivont conditionner ces bouffes pidmiques priodiques. Ainsi, le fonctionnementdes foyers de cholra et de la plupart des maladies infectieuses et parasitaires ne peutpas tre compris sans prendre en compte leurs volutions respectives larges chelles.Lorigine dun vnement local comme le dclenchement dune pidmie de cholra Dacca au Bangladesh est dfinie par des facteurs globaux ou rgionaux dun autre ordreque les paramtres locaux qui sont le plus souvent invoqus.

    Diviser ce que nous appellerons un systme pidmiologique en niveauxdchelles spatiales et temporelles, puis rechercher les dterminants pour hirarchiserleur importance afin de comprendre, par exemple, limportance de la socio-cono-

    mie dans lmergence de tel ou tel virus est une parfaite illustration de la mthodescientifique de simplification et de modlisation. Ainsi, parmi la complexit videntedes conditions de propagation dun agent infectieux dans les populations, il existe uneou des forces principales qui doivent tre dcryptes en premier lieu Encart {11}. Ce conceptinvite donc ouvrir le champ de lpidmiologie traditionnelle dautres disciplines etdautres pratiques et cultures intellectuelles.

    4. Lcologie de la sant. Champs daction et dorientation. Comment faireclore une cologie de la sant comparable ce que nous connaissons en cologiegnrale aujourdhui ? Il nous faut alors prendre en compte les relations troites qui

    existent entre les composants de lenvironnement quotidien, ceux des socits humai-nes et les paramtres de la biosphre (Aron & Patz, 2001). Les activits de recherchesactuelles en pidmiologie tmoignent souvent dune non-considration des lois co-

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    logiques et volutives qui rgissent le monde vivant ; citons la rsistance aux antibio-tiques ou lmergence de nouvelles maladies . La majorit des recherches pidmio-logiques est consacre aux problmes locaux alors que de nombreux exemples dontceux dcrits prcdemment Encarts 10 et 11 nous dmontrent que les processus qui en sontresponsables agissent des chelles rgionales ou plantaire. Entendons-nous bien ici,

    il ne sagit nullement de remettre en cause lapproche locale, mais bien au contraire delintgrer dans une dimension de recherche plus vaste. Le changement dchelle trsrcent dans le domaine de la sant (voir plus haut) sous limpulsion des cologisteset des spcialistes de tldtection spatiale a radicalement boulevers les recherchesdans ce domaine. Les satellites orbitaux ont apport la possibilit de collecter de pr-cieuses et nombreuses donnes sur lenvironnement et sur son volution qui peuventtre emmagasines, et tre analyses grce au dveloppement de plus en plus puissantde linformatique. Lcologie de la sant doit faire appel un grand nombre de disci-plines scientifiques, telles que la gographie, la climatologie, la tldtection spatiale,la physique, la dynamique des populations, la gntique des populations, lconomie.

    Lensemble de ces disciplines doit tre alors coupl aux techniques danalyses en sta-tistiques, en modlisation mathmatique et la biologie molculaire. Il sagit ici dunevritable recherche intgrative qui doit tre envisage comme un ensemble. Lco-logie de la sant doit alors sarmer de rseaux de mesure et dobservation lchellede la plante, linstar de ce que pratiquent nos collgues chercheurs en sciences delUnivers Encart 9. Cette vision exige une coopration internationale trs pousse. Un pro-gramme international intitul Global Environmental Change and Human Health (Changements globaux et sant humaine) plac sous lgide de lIcsu (InternationalCouncil for Science) qui associe les 4 grands programmes internationaux que sontWcrp (World Climate Research Programme), Igbp (International Geosphere-Bios-

    phere Programme), Ihdp (International Human Dimensions Programme on globalenvironmental change) et Diversitas (programme international sur la diversit bio-logique) a t lanc en juillet 2001 suite la Confrence internationale dAmsterdamsur les changements globaux. LEarth System Science Partnership, ou Essp, qui estlinstance coordinatrice de ces 4 programmes internationaux a dj initi 3 autres pro-grammes internationaux : lun sur le carbone ( the Global Carbon Project ; www.Glo-balCarbonProject.org), lautre sur lalimentation ( the Global Environmental Changeand Food Systems ; www.gecafs.org), et le troisime sur les ressources en eau ( theGlobal Water System Project ; www.jointwaterproject.net). Toute la stratgie adoptedans ce programme international sur la sant, le plus rcemment cr, et indispensa-

    ble pour les dix vingt ans venir, sinspire donc dune vision intgrative et globaledes problmes de sant humaine. Des programmes en sant animale et en sant desplantes pourraient et devraient prochainement pouser cette mme logique.

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    5. Les services rendus par la diversit biologique la sant et la mdecine.Lintrt dune rflexion cologique en sant nest pas dmontrer ici tant, depuis laprhistoire, les civilisations humaines ont accumul un immense savoir empirique etencyclopdique sur la nature. Lcologie de la sant nest pas ne en Occident, mais ellesest dveloppe depuis des sicles chez les diffrents peuples de notre plante, accu-

    mulant progressivement dimmenses savoirs en matire de pharmacopes traditionnel-les notamment. On ne trouve plus gure de manuels dcologie voire mme de mde-cine qui ne proposent quelques exemples dillustrations dapports des plantes tropicales lindustrie pharmaceutique. Les ethno-zoologistes et les ethno-botanistes dcryptentaujourdhui les liens entre une pratique plurisculaire et lutilisation de tel ou tel animal,ou vgtal, qui pourrait savrer receler des principes chimiques efficaces contre une ouplusieurs maladies. Cest cet aspect que le public invoque le plus habituellement lors-quon lui parle des ressources vivantes tant son empreinte est importante dans toutesnos socits. Lencart 12 nous sensibilise sur la prise en compte que nous devrions fairede la diversit biologique pour une valorisation des substances naturelles.

    Les plantes et les substances, ou principes, qui ont t extraits de la diversitbiologique constituent la base de la mdecine traditionnelle dj connue en Mso-potamie autour de 2 600 ans avant J.-C. Plus tard, les Grecs, les Romains et les Arabesnotamment contribueront beaucoup au dveloppement de cette pharmacope basede plantes essentiellement. De nos jours, selon lOrganisation mondiale de la sant,prs de 80 % de la population humaine des pays dits les moins avancs du monde utili-sent une pharmacope traditionnelle extraite en grande partie des plantes. Les autrespays ne sont pas en reste puisque notre pharmacologie occidentale ne comporte pasmoins de 120 substances diffrentes extraites de 90 espces de plantes. Citons pourexemple la quinine, lartmisinine (consulter le site Internet de Mdecins sans fronti-

    res (http://www.msf.fr/sur cette molcule anti-paludique), la morphine ou encore letaxol, un alcool extrait de lif qui prsente des proprits anti-carcinognes reconnues(cf. Grifo & Chivian, 1999 ; Chivian, 2001 par exemple).

    6. La diversit des micro-organismes sur Terre : gnration, rgulation et dis-parition de la diversit microbienne dans les cosystmes. Lenthousiasme pourtel ou tel animal, comme llphant ou le panda on parle souvent demblme ou de porte-drapeau apprci pour son esthtique, peut se rvler utile en vue de sensi-biliser lopinion publique sur les problmes actuels drosion de la diversit biologi-que dans le but de mobiliser des fonds pour sa conservation, mais il ne saurait suffire.

    Certains organismes, animaux ou vgtaux, de taille rduite, le plus souvent non per-ceptibles lil nu sont de vritables rgulateurs essentiels au bon fonctionnementdes cosystmes qui les abritent : ce sont les bactries, les virus, les champignons, par

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    exemple. Leur disparition signifie trs souvent le drglement voire la mort de cer-tains milieux. Revenons lexemple des lphants ! Pourquoi conserver les lphants ?Il est vident que lanimal est sympathique et emblmatique. Il est souvent pris commemodle de pacifisme et de sagesse dans de nombreux ouvrages pour enfants. Maisla disparition des lphants entranerait une perturbation de lcosystme dans son

    ensemble. En effet, combien de tonnes de vgtaux consomment chaque anne les l-phants ? Le paysage serait alors compltement modifi si cette espce venait dispa-ratre. Mais au-del de cette premire consquence, dautres encore plus aigus peu-vent apparatre. Les lphants sont des herbivores qui consomment beaucoup et rejet-tent aussi beaucoup de matires. Or, quel rle joue dans lcosystme les matiresfcales des lphants ? Une multitude dorganismes et de micro-organismes utilisentcette matire pour la dcomposer et la transformer. Ainsi, lensemble de cette com-munaut serait affecte, et quen serait-il alors de la fertilisation future des sols qui sefait au travers du recyclage de ces matires ? Tous ces organismes appartiennent desrseaux trophiques comme nous lavons dj exprim, et en tant que tel participent au

    fonctionnement des cosystmes. Ces micro-organismes, essentiels au maintien de lavie, reprsentent le groupe le plus diversifi et le moins bien connu au sein de la bios-phre. La biodiversit visible est bien la partie merge dun iceberg dont la partie invisible , nettement plus imposante en terme de varit mais certainement aussi demasse et de fonctionnalit, reste discrte et le plus souvent sous-estime. Certains deces micro-organismes connus ou inconnus sont des cls de vote essentielles au bonfonctionnement dun milieu donn ; on parle souvent de microbiologie des cosyst-mes ou plus spcifiquement de microbiologie des cosystmes digestifs lorsquonsintresse aux communauts microbiennes abrites par cet organe comme chez noscollgues de lInra(voir http://compact.jouy.inra.fr/).

    De cette notion sur limportance des micro-organismes dans le fonctionne-ment des cosystmes, on peut ainsi en dduire des enseignements utiles en matirede conservation biologique mais aussi dimpacts des perturbations environnementales(comme les changements globaux, par exemple) sur les quilibres dynamiques de telssystmes. Mais quentend-on ici par cosystme ? Un tube digestif de ruminant repr-sente un cosystme spcifique pour des millions de micro-organismes qui y cohabi-tent au mme titre quune fort tropicale en est un autre pour des milliers despces deplantes et danimaux. Il ne faut donc pas voir uniquement lcosystme sous son anglemaximal ; les muqueuses, les aliments, une tour de rfrigration, un hpital, leau oulair constituent aussi des cosystmes lorsquon les observe sous langle de la micro-

    biologie (Thomas, Gugan & Renaud, 2005). Prenons un exemple.Lindustrie agroalimentaire a dvelopp pour les bactries lactiques, et en par-

    ticulier les levains laitiers, tels queLactococcus lactis, Streptococcus gordonii ou plusieurs

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    espces deLactobacillus, un important savoir-faire technologique de transformationdes produits laitiers (cf. les actes du colloque Lactic, 2000). Ces bactries sont con-sommes depuis des millnaires par nos socits et reconnues comme micro-organis-mes non pathognes puisquils assurent cette fonction importante de fermentation denos produits laitiers consomms quotidiennement. Une autre proprit intressante

    de ces bactries est leffet bnfique dit effet probiotique que ces micro-organis-mes, en particulier les lactobacilles, assurent en maintenant une microflore quilibredans des cavits naturelles de lhomme ou de lanimal comme lintestin, le vagin ou labouche, limitant ainsi le dveloppement dautres micro-organismes pathognes. Lesmuqueuses sont naturellement des voies de passage pour de nombreuses bactries etvirus pathognes lorigine dinfections respiratoires, intestinales ou urognitales,et le bouclier protecteur fourni par les bactries lactiques en stimulant une rponseimmunitaire mucosale intervient alors comme un vritable auxiliaire vivant de vac-cination. Plusieurs quipes de recherche franaises tudient actuellement la variabilitdu pouvoir immuno-modulateur de diffrentes souches de bactries lactiques dans le

    but didentifier le rle des microflores mucosales dans le dclenchement de certainesmaladies chroniques ou inflammatoires.Si lessentiel des activits se concentre aujourdhui sur la caractrisation des

    agents lorsquils expriment leur caractre pathologique, ne faut-il pas mieux tudierlcologie des micro-organismes, notamment dans la caractrisation des mcanismesqui lient les changements du milieu aux changements de diversit microbienne, voirede virulence de ses diffrents constituants (cf. Stearns, 1999 ; Aguirre et al., 2002) ? Nefaut-il pas non plus mieux sintresser aux causes et aux effets de la diversit micro-bienne sur les systmes dlevage et de culture, sur lalimentation, sur la sant despopulations ? Ne faut-il pas alors dvelopper une cologie de la sant qui tienne mieux

    compte de lensemble de ces interconnexions ?

    7. Les enjeux dune politique institutionnelle en cologie de la sant. Les acti-vits humaines, la faveur dune industrialisation croissante et dune augmentationacclre de la population mondiale, interfrent aujourdhui avec lquilibre natureldes cosystmes. Une consquence visible en est une diminution trs importante de ladiversit biologique cause par la fragmentation ou la dgradation des espaces natu-rels, les pollutions ou encore les rcoltes excessives. Ces changements, en provoquantune diminution de labondance de certaines espces dans les cosystmes (tel est le casdes grands primates en Afrique sub-saharienne !), peuvent occasionner la pullulation

    de certains autres, occupant des espaces devenus disponibles, ou modifier le jeu desinteractions dans les rseaux trophiques ou dans les interactions htes-parasites.Laugmentation de la population humaine mondiale entrane aussi la recherche de

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    nouvelles terres pour lagriculture, llevage et linstallation de nouveaux rsidents,accroissant ainsi les contacts avec de possibles rservoirs ou vecteurs de maladies. Cer-taines de ces perturbations environnementales peuvent interfrer directement ou indi-rectement avec les acteurs du cycle biologique dun agent pathogne : des vecteurs demaladies comme les moustiques ou des rservoirs comme les rongeurs peuvent sou-

    dainement pulluler la faveur dun environnement propice et donner lieu une trans-mission de la maladie lhomme ; un agent pathogne peut rencontrer de nouvellesconditions favorables une meilleure transmission (Hudson et al., 2001 ; Aron & Patz,2001). Quant aux pathognes de plantes, on assiste des phnomnes tout fait simi-laires aggravs par le fait que les agronomes ont slectionn des cultivars rsistants lascheresse par exemple, mais qui sont trs sensibles des pathognes trs virulents.Des modifications du systme de culture ou du climat sont galement associes deschangements dincidence ou de svrit des maladies des plantes (voir lexemple duvirus de la panachure jaune du riz en Afrique cit plus haut). Ainsi, en parallle auproblme daltration acclre de la diversit biologique se pose celui de la perte de

    diversit gntique qui laccompagne. Cette diversit gntique reprsente une manneprovidentielle pour la recherche pharmaceutique, mdicale et vtrinaire, pour lagri-culture et lagronomie avec la recherche de nouvelles espces ou de nouvelles varitsde plantes pouvant servir demain lalimentation des populations. Ces ides reposentsur le postulat que la slection naturelle a tri des espces aux proprits tonnantes,que lon ne connat pas encore et quil faut donc dcouvrir Encart {12}.

    En reposant le problme des rapports de lhomme la nature, de la qualit delenvironnement et des liens entre diversit biologique et la sant des populations, lap-proche holistique que nous prconisons ici positionne la condition humaine dans unmonde en volution. Cela devrait nous inciter discuter ensemble des enjeux qui sof-

    frent nos socits. Ces enjeux sont multiples puisquils doivent prendre en compte lesdomaines scientifiques, sanitaires, conomiques et socitaux. Nous touchons l proba-blement un sujet central, celui du dveloppement de lespce humaine sur sa planteen interaction avec toutes les autres parties constituantes.

    8. Des propositions et des recommandations stratgiques. Un aspect essentielde lapproche cologique en matire de sant des populations (humaines, animales ouvgtales) est son caractre intgratif, nous lavons dj crit. Il faut souligner ce pro-pos lintrt dune comprhension des organismes pro- et eucaryotes, potentiellementpathognes pour les populations dhtes, trois niveaux dchelles : ltude des esp-

    ces, microbiennes ou plus volues, elles-mmes ; les cosystmes naturels dans les-quels ces espces sont rencontres ; les activits humaines et leurs consquences sur lesdiversits spcifiques en pro- et eucaryotes.

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    Si lHomo sapiens sapiens a su liminer, au cours de son histoire, ses prdateurset comptiteurs, il est loin den tre de mme pour ses parasites et pathognes. Onest aujourdhui bien videmment incapable de dterminer mme trs grossirementle nombre despces de micro- ou de macro-organismes potentiellement pathognespour les populations humaines, animales ou de vgtaux.

    Nul doute aussi que les effets des activits humaines sur les microbes en gn-ral doivent tre tudis et compris. Un premier exemple concerne lappauvrissementde la diversit gntique dans les systmes dlevage et de culture, et ses consquen-ces sur la diversit microbienne. Nous pouvons citer ici les bactries lactiques chez lesruminants, par exemple. De mme, quelles peuvent tre les implications dune uti-lisation abusive dherbicides ou dinsecticides en cultures intensives sur le maintiendes diversits microbiennes, et sur la slection de souches dagents bactriens ou fon-giques adaptes ces nouvelles conditions ? Une deuxime illustration concerne lescosystmes artificiels crs par lhomme comme les environnements domestiques,industriels, hospitaliers et para-hospitaliers. Des cosystmes comme les hpitaux, les

    centres de soins et les maisons de retraite forment des milieux particuliers, o lac-tion de lhomme a fortement contribu diminuer voire radicalement modifier ladiversit microbienne par lutilisation de mdicaments qui pourront slectionner dessouches mutantes mieux adaptes survivre sous ces contraintes. Ainsi, de nombreu-ses pathologies nouvelles contractes au sein mme des hpitaux, ce que lon nommeles maladies nosocomiales, sont le plus souvent lies au dveloppement de microbeshyper-variants. Ici aussi, la mise en uvre dune approche cologique pour compren-dre ces phnomnes serait nettement profitable. Enfin, un domaine o notre percep-tion de limpact de la diversit biologique microbienne devrait tre accrue est celui desbiotechnologies traditionnelles. Que ce soit pour le vin, la bire, le pain ou le fromage,

    les microbes contribuent fortement leur qualit et leur spcificit. La diversit desfromages de France doit autant la diversit des bactries lactiques prsente sur notreterritoire qu la qualit dun savoir-faire traditionnel qui les distinguent mondiale-ment. Or, les normes actuelles internationales de purification et de standardisationplus ou moins dictes par les milieux industriels et politiques tendent mettre en dan-ger les productions franaises artisanales. Connatre les relations qui lient le got dunproduit local et sa base microbiologique constitue en soi un sujet important aborder.Certes, la pense traditionnelle en matire de diversit biologique sinscrit dans la con-servation des espces visibles , mais les exemples que nous venons de citer ne pous-sent-ils pas notre communaut vers une reconsidration fondamentale de la diversit

    et du fonctionnement du vivant organis en communauts interactives ?

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    9. Conclusion. Arriv au terme de ce chapitre, nous souhaitons prsenter, en con-clusion, quelques propositions concrtes de recherches qui devraient tre dbattues ausein des communauts scientifiques et politiques dans un futur proche.

    Dvelopper une politique spatiale de surveillance de lenvironnement quipermettrait de suivre lvolution des paysages, des cosystmes, des grands plans

    damnagement du territoire. Nous serions ainsi mme danalyser limpact des per-turbations sur lmergence de maladies vectorielles ou rservoir animal. Ces recher-ches conduiraient modliser et simuler des scnarios du risque sanitaire en regarddes modifications environnementales attendues ou envisageables.

    Procder une estimation rigoureuse des dsquilibres biologiques qui ontcours sur le territoire national et dans les Dom et Tom.

    Penser un amnagement du territoire qui tienne compte des quilibres naturels. Mettre en place un programme national de surveillance et un observatoire

    franais des pizooties et pidmies suivant les lois des sciences de lcologie et de lvo-lution, qui prendra en compte les facteurs environnementaux, physiques et cologiques.

    En particulier pour les Dom et Tom (cas de la Guyane), anticiper le risquedmergence trs fort par la mise en uvre dune stratgie scientifique base sur uneapproche intgre des problmes pidmiologiques et sanitaires.

    Replacer cette stratgie, en particulier pour la Guyane, dans le cadre euro-pen (laboratoire europen des mergences en milieu quatorial) et international(possibilit dune collaboration avec le Brsil, le Surinam et le Venezuela notam-ment).

    Dvelopper la recherche scientifique dans le domaine de lpidmiologiequantitative et de linventaire conjoint des espces et des microbes dans une perspec-tive cologique et volutive.

    Comprendre les liens entre diversit biologique et mergences de pathog-nes par le dveloppement danalyses comparatives et de mta-analyses. Raliser dessuivis de populations de rservoirs sur le territoire mtropolitain, et des Dom et Tom.Envisager et dvelopper, avec nos partenaires du Sud (voir lexemple de la Thalande),de telles surveillances sur les rservoirs (cas des primates, rongeurs) et les vecteurs.

    Encourager les recherches sur les espces vgtales, animales ou microbien-nes ayant un intrt pharmaceutique ou mdical en incitant le dveloppement destechnologies et le rapprochement des disciplines. Prvoir une lgislation adquate surles droits de proprit.

    Sensibiliser les populations au risque sanitaire, et prvoir une information

    ds le plus jeune ge. Encourager les tudes au long terme (comprhension des dynamiques de

    maladies) dans le cadre dObservatoires de Recherche en Environnement.

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    Prvoir la formation et le recrutement de jeunes chercheurs spcialiss danslanalyse mathmatique des systmes complexes et en intelligence artificielle.

    Prvoir la mise en place de programmes denseignement scolaires et univer-sitaires dans les premiers cycles sur lcologie des systmes et leur fonctionnement, surlpidmiologie quantitative, replacs dans le cadre de la thorie de lvolution et de

    la biogographie. Dvelopper la culture des bases de donnes et mta-donnes en France encrant un centre de stockage, de gestion, et de restitution accessible pour tous.

    Initier un Centre national danalyses et de synthses cologiques en chargede produire des travaux de synthses et dinitier de nouvelles recherches. Lenvisageren concertation avec nos partenaires europens.

    Entamer une discussion pour la mise en place de programmes de recherchesconcerts et intgratifs avec nos partenaires du Sud, afin de mener rapidement desactions communes sur les risques lis la sant

    Ce chapitre ne voulait en rien faire passer un message politique de quelques

    tendances quil soit, mais il avait simplement pour but de sensibiliser le monde politi-que et scientifique aux problmes cruciaux que soulve la sant des hommes, des ani-maux et des plantes. En effet, seule une vision globale et intgre des problmes desant, alliant lensemble des corps de mtiers concerns dans des concertations et desactions communes, peut conduire un dveloppement concret dans le domaine dessciences de la sant. Lcologie de la sant est un de nos challenges fondamentaux ence dbut dexxie sicle !

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    Exposition des populations

    humaines au virus

    de lImmunodficience simienne

    en Afrique : risque de nouvellestransmission inter-espces

    Martine Peeters et ric Delaporte

    Ur 36 Ird/Dpartementuniversitaire Maladies infectieuseset Sant internationaleMontpellier

    {8}Les maladies mergentes, secondaires une zoonose, reprsen-tent lun des problmes majeurs en sant publique. Un exempleen est le Sida(Syndrome dimmuno-dficience acquise), apparu

    dans les annes 1980 et devenu chez lhomme une maladie infectieuse parmiles plus graves et les plus frquentes dans les pays en dveloppement, en Afri-que tout particulirement. Environ 60 millions de personnes sont infectes

    par le Hiv, le virus responsable du Sida, dans le monde, deux tiers vivants enAfrique subsaharienne.De nombreux primates africains sont infects par des virus de limmu-

    nodficience simienne (ou Si vcomme Simian Immunodeficieny Virus enanglais), et les deux types majeurs de virus, infectant les humains, Hi v-1 etHiv-2, reprsentent une transmission zoonotique provenant de deux origi-nes diffrentes savoir, le chimpanz (Pan troglodytes) en Afrique centralepour Hiv-1 et le Sooty Mangab (Cercocebus atys) en Afrique de louest pourHiv-2. Lpidmie dinfection par le Hiv-1 sest largement rpandue traversle monde alors que celle relative au Hiv-2 est reste endmique lAfrique delOuest. Les possibles voies de transmission lhomme de ces virus sont les

    suivants : par contact direct avec le sang que ce soit en chassant ou en prpa-rant la viande, ou pour les singes domestiques par dventuelles morsures.Rcemment nous avons montr que sur prs de 800 singes chasss dans

    les forts camerounaises, puis vendus pour leur viande sur des marchs Yaound, dans des villages et dans des concessions forestires, ou levscomme animaux domestiques, 16,6 % de ces singes ont t trouvs infectspar un virus Si v. Les analyses ont galement montr une diversit leveparmi les Si vTableau 1, jusqu prsent insouponne, et ont permis disolerde nouvelles souches du virus de limmunodficience simienne inconnuesjusqualors. Ces rsultats qui portent 33 le nombre despces de singes afri-cains porteurs de Sivont mis pour la premire fois en vidence que le Sivest

    la fois trs rpandu et extrmement diversifi chez les primates sauvagesdu Cameroun, et que les populations humaines sont rellement exposs cesvirus et quil existe un risque pour dventuelles nouvelles transmissions. Cerisque de transmission humaine est ainsi le plus lev pour les personnes qui

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    chassent et celles qui manipulent les carcasses de singes. La chasse pour laviande de brousse est loin de se limiter aux mangabeys ou aux chimpanzs.En effet, la grande majorit des singes utiliss comme viande sont reprsen-ts par les multiples espces de cercopithques, de colobes, les mandrilles,les drilles, etc. La chasse pour la viande de brousse est bien sr une source denourriture mais reprsente aussi des revenus non ngligeables au sein des

    populations du bassin du Congo et plus gnralement en Afrique sub-saha-rienne, et cela depuis trs longtemps.

    Ce qui est nouveau est laugmentation de cette chasse dans les derniresdcennies en particulier secondaire aux exploitations forestires de plus enplus importantes en Afrique centrale. Ces concessions forestires accroissentla chasse de la viande de brousse de deux faons : dune part cela favorise lac-cs des zones jusque-l isoles par la construction des routes favorisant dumme coup la chasse et le trafic de viande ; dautre part, un nombre relative-ment important demploys chassent galement localement. Ainsi le risquepotentiel dexposition humaine une large varit de Siva augment dunefaon significative dautant plus que la prvalence de ces Si vdans les esp-

    ces concernes est, en gnral, leve (5-40 %). Dans le futur, lmergence denouvelles anthropozoonoses est un risque rel dans la mesure o se conju-guent laltration continue de lenvironnement et linstallation des popula-tions dans des zones jusqu prsent inhabites, en particulier en zone tropi-cale. ces facteurs sajoutent les demandes croissantes en protines animaleset laugmentation du trafic international.

    Tous ces changements des quilibres entre lhomme et la faune sauvage,les modifications des cosystmes et laugmentation des changes entrezones rurales et urbaines, ainsi que les changes internationaux sont autantde facteurs qui contribuent lmergence de nouvelles maladies. La prven-tion de lmergence de nouvelles zoonoses est loin dtre simple. Aussi sa

    reconnaissance rapide avec la mise en place de mesure de contrle est fon-damentale pour en limiter les consquences. Ainsi il est important de conti-nuer didentifier les Sivinfectant les singes et den tudier leurs caractristi-ques biologiques et molculaires.

    Une consquence majeure pour la Sant Publique est que ces Si vnesont pas reconnus par les tests de dpistages commerciaux dvelopps pourdtecter des infections avec Hiv-1 et Hiv-2, dans les populations humaines,avec pour consquence quune infection humaine par un tel variant pourraitne pas tre reconnue immdiatement et tre lorigine dune autre dissmi-nation pidmique dun lentivirus le nom donn la famille qui regroupetous ces virus susceptible dentraner le Sida. La proprit de certains Siv

    de pouvoir infecter in vitro les lymphocytes humains suggre que ces viruspourraient infecter lhomme. De plus, lidentification de ces Sivchez les sin-ges sauvages peut aider lucider les origines et lvolution de linfection parleVih chez lhomme et peut servir de sentinelles en montrant quels patho-

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    gnes sont susceptibles de prsenter un risque pour lhomme. Les antignesde ces virus prsents dans ce rservoir animal pourraient ventuellement treinclus dans des tests diagnostiques voire dans des prparations vaccinales.

    Tableau 1. Relations entre la diversit des espces de primatesafricains et les virus SIV aujourdhui connus

    Genre espces nom commun SIV distribution gographique

    Pan troglodytes chimpanz commun SIVcpz Ouest Est : Sngal jusqu la Tan-

    zanie

    Colobus guereza colobe gurza SIVcol Centre : Nigeria -thiopie/Tanzanie

    Piliocolobus badius colobe bai dAfrique

    occidentale

    SIVwrc* Ouest : Sngal -Ghana

    Procolobus verus colobe de Van Beneden SIVolc* Ouest : Sierra Leone -Ghana

    Lophocebus albigena mangabey joues gri-

    ses/blanches

    ? Centre : Nigeria-Ouganda/Burundi

    Papio anubis babouin de Guine ? Ouest Est : Mali-Ethiopie

    cynocephalus babouin cynocphale SIVagm-Ver* Centre : Angola-Tanzanie

    ursinus Le Chacma SIVagm-Ver* Sud : Sud Angola-Zambie

    Cercocebus atys mangabey enfum SIVsm Ouest : Sngal-Ghana

    Torquatus cercocbe collier

    blanc

    SIVrcm Centre-Ouest : Nigeria, Cameroun,

    Gabon

    Agilis cercocbe agile SIVagi* Centre : Nord-Est Gabon Nord-Est

    Congo

    Mandrillus sphinx mandrill SIVmnd-1, Centre-Ouest : Cameroun (Sud

    SIVmnd-2 Sanaga) -Gabon, Congo

    leucophaeus drill SIVdrl* Centre-Ouest : Sud-Est Nigeria-

    Cameroun (Nord Sanaga)

    Allenopithe-

    cus

    nigrovidis singe des marais, ? Centre : Congo

    Miopithecus talapoin talapoin du sud, SIVtal* Centre-Ouest : Angola Congo-Zare

    Ogouensis talapoin du

    nord,

    SIVtal* Centre-Ouest : Cameroun (Sud Sana-

    ga)-Gabon

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    Erytrocebus patas singe rouge SIVagm-sab* Ouest-Est : Sngal Ethiopie, Tan-

    zanie

    Chlorocebus sabaeus sabeus SIVagm-Sab Ouest : Sngal rivire Volta

    aethiops grivet dthiopie SIVagm-Gri Est : Sudan, Erithr, Ethiopie

    tantalus cercopithque tantale SIVagm-Tan Centre : Ghana Ouganda

    pygerythrus vervet SIVagm-Ver Afrique de lEst lAfrique du Sud-

    Somalie et Angola

    Cercopithe-

    cus

    diana cercopithque diane ? Ouest : Sierra Leone Cte dIvoire

    nictitans hocheur, le pain

    cacheter

    SIVgsn Centre : zone de fort dAfrique

    delOuest Congo/Zare

    mitis singe bleu SIVblu* Centre-est : Est Congo valle du rift

    albogularis cercopithque dia-

    dme

    SIVsyk Est : Somalie Est du Cap

    mona cercopithque mona SIVmon* Ouest : delta du Niger Cameroun

    (Nord Sanaga)

    pogonias mone couronne ? Centre-Ouest : Cross River au Nigeria

    Congo (Est)

    wolfi mone de Meyer, mone

    de Wolf

    SIVwol* Centre : sud de la rivire Congo

    cephus moustac SIVmus* Centre-ouest : Cameroun (Sud Sana-

    ga) est de la rivire Congo

    ascanius cercopithque a scagne,

    lascagne

    SIVasc* Centre : Sud-Est Congo Ouest Tan-

    zanie

    lhoest cercopithque delHoest

    SIVlhoest Centre : Est Congo-Zare-OuestOuganda

    solatus cercopithque queue

    de soleil

    SIVsun Centre-ouest : fort tropicale du

    Gabon

    hamlyni cercopithque de

    Hamlyn, singe de tte

    hibou

    ? Centre : Est Congo-Zare-Ruanda

    neglectus singe de Brazza SIVdeb* Centre : Angola, Cameroun, Gabon

    Ouganda, Ouest Kenya

    * virus partiellement squenc. ? seulement dtection danticorps.

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    Maladies mergentes : un problme socital davenir

    Jean-Pierre HugotUnit de recherche 034, Institut de recherche pour le dveloppement,Rcevd-Cvd, Mahidol University, ThailandMusum national dhistoire naturelle, dpartement Systmatique et volution,Ums Origine, Structure et volution de la biodiversit, Montpellier

    Jean-Paul GonzalezUnit de recherche 034, Institut de recherche pour le dveloppement,Rcevd-Cvd, Mahidol University, Thailand

    {9}Tout rcemment, lextension fulgurante et sans prcdent danssa rapidit et sa dimension du syndrome respiratoire aigu svre(Sras) rappelait la vulnrabilit de lhomme face des maladies

    infectieuses en constant renouvellement. Plus rcemment encore, lpizootiede grippe aviaire, au-del du risque sanitaire plantaire, a mis en videncelimportance des dommages sociaux et des pertes conomiques dont lten-due des consquences reste encore valuer.

    Gense dun concept. Depuis une vingtaine/cinquantaine dannes lesresponsables de la sant ont t confronts lapparition des fivres vira-les hmorragiques dAmrique du Sud (ex. : fivre dArgentine, fivre duVenezuela), dAfrique (ex. : fivre de Lassa), et dAsie (ex. : fivre de Core), lidentification de pathologies associes des germes jamais dcrits (ex. :polyarthrite de la maladie de Lyme, fivre hmorragique de Marburg), ainsiqu la dramatique extension plantaire du Syndrome dImmuno-DficienceAcquise (Sida). Le nombre croissant de phnomnes pidmiques accom-pagnants qui sinscrivent dans des contextes pidmiologiques originaux etassocient la notion de facteurs de risque dorigine anthropique (barrage etmaladies lies leau ; dforestation et zoonoses acquises par contact avec

    les animaux sauvages), ont amen la communaut scientifique dresser unbilan de ces agressions infectieuses, et mettre en prospective la notion demaladie nouvelle associe des facteurs de risque. Finalement, elles sont lorigine de linvention par la pense mdicale du concept de maladie mer-gente.

    La pleine mesure dun concept et son ampleur. Le cortge des maladieset des agents pathognes nouveaux allant grandissant, le concept sappliquemaintenant une grande varit de maladies infectieuses associes ou non des germes nouveaux. Ces maladies peuvent tre dorigine virale (ex. : la fi-vre dEbola, lencphalite virus Nipah), dorigine bactrienne (ex. : la lgio-nellose, la maladie de Lyme), parfois aussi dorigine parasitaire (ex. : opistor-

    chis), ou encore dues des germes opportunistes habituellement non patho-gnes (ex : la pneumocystose, affection longtemps considre comme raris-sime, devenue frquente chez les immunodprims). Trs rapidement, lesrsultats obtenus dans ltude des circonstances favorisant l mergence ,

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    ont conduit, tendre le concept dmergence stricto sensu celui de r-mergence prenant en compte des maladies apparues de faon soudaine etinattendue dans des populations ou des territoires jusque-l indemnes (ex. :la fivre Dengue hmorragique apparat aux Amrique en 1976 ; lencpha-lite japonaise apparat en Australie en 1995). Enfin, on sest aperu trs ttque dans le cadre conceptuel cr pour tudier les maladies infectieuses

    sinscrivaient galement nombre de maladies chroniques ou dgnratives(ex. : le diabte et lobsit dans des pays du Nord et du Sud, lis une hygi-ne alimentaire mal contrle ; les cancers, lis au vieillissement des popula-tions dans les pays en dveloppement ; les accidents dus lintroduction denouvelles technologies : accident hyperbare et plonge sous-marine profon-de, traumatisme lis la motorisation ; les effets encore mal apprcis sur lelong terme de la consommation directe ou indirecte de pesticides, de lex-position aux rayonnements naturel, artificiel etc.). Enfin, si les circonstancesde lmergence des maladies nouvelles semblent tre en grande partie liesaux comportements humains, les changements naturels de lenvironnementdoivent aussi tre pris en compte dans lanalyse (ex. : les effets sur la sant

    de tendances climatiques supra saisonnires, El Nio, rchauffement global,couche dozone).

    La mise en place des outils et stratgies de lutte et de prvention. Laprise en compte du concept dmergence a conduit mettre laccent sur lesnotions de :facteurs et dindicateurs de lmergence, de mise en vidence des vne-ments conduisant lpidmisation et de la notion de prdiction par la modlisation

    de lmergence/diffusion des maladies. En rponse aux questions ainsi poses lancessit dune prospective daction a vu le jour et les responsables de la santont souhait voir se dvelopper de nouvelles stratgies de dtection prcoce etdidentification rapide des agents responsables, permettant la mise en placede systmes de rponse efficace aux pidmies. Le concept de maladie mer-

    gente sinscrit aussi dans la notion revisite de transition pidmiologique tel-le quelle a t applique aux pays du Nord. Si la transition de linfectieuxduxixe sicle au chronique duxxie ne sappliquait plus au Nord face auxmaladies infectieuses nouvelles, au Sud les pathologies sintriquaient dans despopulation et sur des territoires en pleine volution. Progressivement, en rai-son des changes toujours croissants entre les deux types de communauts, ilest apparu que les problmes de sant taient prendre en compte de faonglobale. Pourtant, si pour une maladies mergente donne, les facteurs de ris-ques peuvent exister au Nord comme au Sud, les conditions de lmergencesont potentiellement diffrentes : une analyse comparative des phnomnessimpose ds lors la pense scientifique. ce stade, il faut pouvoir dfinir les

    limites du concept afin den utiliser tout le potentiel dans la lutte et le contrledes maladies.Dfinir les maladies infectieuses mergentes. Dans ce contexte, une

    des questions fondamentales est celle de la vritable identit des maladies

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    dites mergentes. Si certaines maladies sont authentiquement nouvelles etdues des agents pathognes jamais identifis, dautres modifient leur pro-fil pidmiologique (ex. : la dengue fivre hmorragique voluant verslencphalite) et dautres se manifestent dans des populations jusque-lindemnes (ex. : apparition de la dengue hmorragique dans les Amrique),ou aprs une priode de silence prolonge (ex. : le cholra au Prou cent ans

    aprs). En consquence, les maladies mergentes sont parfois des maladiesanciennement connues que les circonstances de leur apparition et leur gniepidmique amnent considrer comme des entits nouvelles et pour les-quelles les moyens de lutte et de contrle doivent tre repenss. En outre, ladiffusion possible de certains agents pathognes lchelle plantaire, lieau dveloppement des transports et leur rapidit croissante, fait que lesstratgies organises par les responsables scientifiques et administratifs dessystmes de sant doivent ncessairement tre coordonnes lchelle mon-diale pour tres rellement efficaces.

    Conditions dmergence. Ce paysage pidmiologique changeant etlapparente abondance de ces maladies nouvelles obligent sinterroger,

    dune part sur la capacit des systmes de sant identifier un syndrome aty-pique (pidmiologie clinique) ou les prmices dune pidmie (surveillancepidmiologique), disoler (expertise de laboratoire) et caractriser un agentpathogne mergent (laboratoire de rfrence), de sinterroger sur les condi-tions dmergence dans des territoires ou des populations jusque-l indem-nes afin dapporter une rponse (lutte et contrle) et de proposer des strat-gies de prvention (surveillance et rponse aux pidmies).

    Des maladies infectieuses mergentes. Notre capacit comprendre ladynamique dmergence de ces maladies est en relation avec quelques inter-rogations essentielles :

    Quelles conditions (macro- et micro-cologie) prparent lmergence

    du pathogne ? Quels mcanismes expliquent la virulence accrue dun agent patho-gne ?

    Quel support gntique peut expliquer lapparition de la virulencechez des organismes autrefois non pathognes ?

    Peut-on dtecter les agents pathognes candidats lmergence ? Quels sont les outils et les stratgies scientifiques et administratives

    mettre en place pour dtecter les vnements rares prcurseurs dpid-mie ?

    Conditions dmergence, plurifactorielle, complexe. Les germespathognes voluent. Les maladies mettent en cause des organismes

    vivants, insrs dans des systmes dinteractions complexes ; la maladie ouson agent ne sont pas sparables de leur environnement. Leur tude deman-de par consquent la prise en compte des interrelations entre agents patho-gnes, rservoirs, htes et ventuellement vecteurs (cf. Ostfeld & Keesing,

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    2000). Cest--dire de lcologie parasitaire ou infectieuse au sens large. Celarend ncessaire lidentification prcise des organismes en prsence, qui doi-vent pouvoir tre diffrencis des organismes non pathognes, non-rser-voirs ou non vecteurs qui leur ressemblent le plus.

    Lutte, contrle, et prvention. Il faut mettre en place des structures deveilles associant les chercheurs du monde mdical proprement dit avec ceux

    des disciplines connexes capables de mettre en uvre les mthodes danalyseet de modlisation complexes que les disciplines fondamentales de la biolo-gie ont dvelopp durant ces vingt dernires annes. Ces outils et mthodesmaintenant mis la disposition de lpidmiologie peuvent en amont parti-ciper aux recherches cognitives sur les mcanismes dmergence des parasi-tes sensu lato, et en aval fournir des systmes et des stratgies de prventionde lmergence/diffusion des maladies. Ldification dun rseau dobserva-toires nationaux ou supranationaux (Europe), rgionaux (Amrique du Sud,Asie du Sud-Est) et internationaux (Oms, Fao, Eio) dont les mthodes din-vestigation et lexploitation des donnes recueillies seraient harmonises auniveau mondial, permettrait un tel systme de fonctionner.De facto, ce sys-

    tme doit prendre en compte lexistence dun continuum infectieux o larecherche sur lmergence dans les pays du Sud et du Nord se place dans laperspective dtudes comparatives au bnfice de la population mondiale.

    La spatialisation du risque dans un systme georfrenc permet uneapproche dynamique et en temps rel du contrle de lmergence en cequi concerne les Mie, et de lidentification des territoires risque pour lesMcd . La biologie volutive (des htes et des parasites) autant que les scien-ces sociales et humaines appliques lvolution des socits constituent leterrain de ces recherches et les territoires daction du systme dintervention/prvention de lmergence.

    Dans le pass, la recherche a souvent produit des rsultats aprs que la

    maladie eut lourdement frapp les populations exposes : la priorit seraitainsi redonne lidentification des risques et une prvention fonde plussur lhistoire et lvolution de la sant et des socits, que sur une stratgiemdicale de fuite en avant, souvent fonde sur des substances thrapeutiquespriodiquement dpasses (rsistances aux antibiotiques ou aux antipalu-dens) et sur la qute constante de vaccin renouvels (vaccin contre les grippes), ou nouveaux (vaccin contre lencphalite du Nil de lOuest).

    La Thalande un pays mergent au service de sa rgion. La Thalanderevendique depuis toujours un rle dans le dveloppement du Sud-Est asia-tique (i.e. : Participation active aux instances rgionales comme le Seameo,Asean, ou le Mekong River Basin Project). Dans le domaine de la sant, la

    couverture sanitaire du pays, ses structures et laccs aux soins est exemplai-re. La qualit des soins et la recherche mdicale ont gagn une reconnaissan-ce internationale. Les universits thalandaises reoivent un nombre crois-sant dtudiants de la rgion.

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    Dans le domaine innovant de la recherche sur les maladies virales mer-gentes, la Thalande a organis le premier congrs international du Sud-Estasiatique, sur les maladies mergentes en 1995 (The International Conferen-ce on Emerging and Re-emerging Communicable Diseases and ImpendingEpidemics, July 17-19 1995, Bangkok, Thailand). Ce congrs aura t le pointde dpart dactions entreprises dans ce domaine dans plusieurs pays de la

    rgion. Le prsident du congrs, le professeur Natth Bramapavarati, ds 1997,demandait le dveloppement du premier Centre de recherche sur les mala-dies virales mergentes en coopration avec la France et linstallait sur lecampus de luniversit de Salaya. En 2000, le Tha National Institute of Healtha organis un service ddi la surveillance et la prvention des maladiesvirales mergentes. En 2003, lors de la premire runion tenue sur lpidmiede Sars Bangkok, il a t propos dorganiser au niveau rgional un syst-me de surveillance active des maladies mergentes. La ralisation de ce pro-jet est relance par lpidmie de grippe aviaire, sous la forme du dveloppe-ment dun centre de contrle des maladies transmissibles, avec la participa-tion largie des services de mdecine humaine et vtrinaire, propos lors de

    la confrence tenue en parallle par les ministres de la sant de la rgion.Si les mergences dramatiques du virus Nipah de Malaisie, du virus Ebo-la-Reston des Philippines, du Sars-Coronavirus de Chine du Sud et du virusH5N1 de la grippe aviaire de la pninsule Indochinoise, font dj partie delhistoire rcente des maladies mergentes du Sud-Est asiatique, les responsa-bles de la Sant sont aujourdhui dcids mener la lutte face un danger insi-dieux, souvent difficile mesurer et aux consquences potentiellement dra-matiques.

    Lignes commerciales directes et temps de vol partir de Bangkok vers lesautres capitales du monde (2004). La priode dincubation dun germe infectieuxquel quil soit (virus, bactrie, parasite, rickettsie) est toujours suprieure autemps de vol quil faut un individu porteur du germe pour se rendre sur nim-

    porte quel point de la plante. En pratique, grce aux communications arien-nes, une personne rcemment infecte peut potentiellement transporter nim-porte o dans le monde, sans aucun signe clinique apparent, le germe qui lin-fecte, dclarer sa maladie dans le pays daccueil et y infecter des personnessaines.

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    Outils mathmatiques, outils technologiques :

    lorsque le cholra rencontre le satellite

    Guillaume Constantin de Magny & Marc ChoisyGntique et volution des Maladies infectieusesUmr Cnrs-ird 2 724, Montpellier

    Epidemiology, concerned as it is with variation of disease from time to timeor from place to place, must be considered mathematically (), if it is to be consi-

    dered scientifically at all .

    Sir Ronald Ross, M.D.The Prevention of Malaria. Churchill, London. 1911

    {10}De faon gnrale, un modle est un objet dimitation. Il enest de mme en science. Le rel est complexe et lutilisation demodles comme images simplifies de la ralit aide le scien-

    tifique comprendre les phnomnes quil observe. Parmi la varit desmodles utiliss, les modles mathmatiques tiennent une place de choix

    du fait de leur relative simplicit dlaboration (une feuille de papier et uncrayon suffisent) et de leur puissance inhrente aux thories mathmatiques(rsolution dquations).

    Contrairement certains domaines de thorie pure comme lastrophy-sique, les modles pidmiologiques sont caractriss par leur troite inti-mit avec les donnes relles. Les donnes pidmiologiques sont gnrale-ment des nombres de malades en une localit et une date donne. Lutili-sation conjointe des modles mathmatiques et des donnes pidmiologi-ques prsente plusieurs avantages :

    Les donnes permettent destimer les paramtres du modle. Unmodle mathmatique dcrit la ralit sous forme dquations cest--dire

    de phrases dont les noms reprsentent des concepts (souvent nots par deslettres plus ou moins exotiques : , , , , etc.) et les verbes sont des som-mes, des variations, des multiplications (l encore nots par des signes caba-listiques :+,=,>,,,, ,, , etc.). On appelle paramtres du modleles grandeurs , , , , et leur estimation consiste leur affecter une valeurnumrique. Le bon choix de ces valeurs numriques se fait grce aux don-nes relles : la valeur du paramtre retenue est celle qui permet au modlede rendre compte le mieux des donnes observes Encart {11}. On pourra ain-si estimer des paramtres tels que le taux de contact ou la force dinfectiondun virus ou dune bactrie, par exemple.

    Les donnes permettent de slectionner les paramtres importants.

    Tout ce qui est simple est faux mais ce qui est compliqu est inutilisable. Cettephrase de Paul Valry rsume assez bien le compromis dans le choix dunmodle. Tous les modles sont faux ! Plus les modles sont compliqus (enterme de nombre de paramtres), moins ils sont faux mais moins ils sont

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    universaux galement Fig. 1. Les donnes aident choisir, parmi plusieursmodles, le plus parcimonieux et mettre ainsi en avant les paramtres lesplus importants dans la comprhension du phnomne tudi. Pour para-phraser Einstein, everything should be made as simple as possible, but no sim-pler .

    Les donnes permettent de tester des scnarios. Un modle est bas

    sur des hypothses. Lide ici est de confronter plusieurs modles en utilisantles donnes comme arbitres pour slectionner le meilleur modle. Les hypo-thses correspondant au modle slectionn reprsentent alors le scnario leplus probable. Par exemple pour tester lhypothse dun forage climatiquesur les pidmies, on pourra confronter deux modles avec et sans forage.

    Le meilleur modle permet de prdire. Jusqu prsent nous avonsutilis des donnes historiques pour laborer des modles mathmatiques.Aprs avoir estim les paramtres et slectionn le meilleur modle, nousgagnons en comprhension du phnomne tudi. Par exemple nous pou-vons avoir une ide de la force dinfection ou savoir si le climat joue un rledans la dynamique de certaines maladies. Plus que a, en faisant lhypoth-

    se que le futur ressemblera au pass, notre modle acquiert un pouvoir pr-dictif, trs important dun point de vue pratique. Nous pourrons ainsi avoirdes ides sur les consquences de diffrentes politiques vaccinales ou sur leseffets des changements climatiques et/ou environnementaux.

    Lexemple du cholra. Les bactries du type Vibrio cholerae, responsablesdpidmies de cholra dans les populations humaines, sont des procaryotesubiquistes prsents naturellement ltat commensal dans les cosystmesmarins, lagunaires et estuariens. Elles vivent fixes des micro-algues cons-tituantes du phytoplancton ou des arthropodes du zooplancton (Islam etal., 1994), et sont au cur dun rseau dinteractions et de chanes trophiques les Vibrio assurent notamment une fonction de dgradation des protines

    de leurs htes arthropodes. Il existe ainsi une dpendance troite entre lesdynamiques de phyto- et zoo-plancton et de Vibrio.La saisonnalit marque du cholra et le constat de lapparition simulta-

    ne des cas diffrents endroits du globe ont t les principales raisons de larecherche de facteurs lchelle globale et en particulier de forages climati-ques et environnementaux (Colwell, 1996). En effet, une pidmie de cholraest provoque par le passage de la bactrie Vibrio cholerae du milieu aqua-tique aux populations humaines. Les facteurs climatiques et/ou environne-mentaux influent sur la dynamique du plancton, cette dernire dtermine ladynamique des bactries V. cholerae dans le milieu marin. Enfin la densit deVibrio proximit des populations humaines conditionne directement le ris-

    que de passage aux populations humaines et donc lmergence dpidmiesde cholra Fig. 2. Une forte puissance de prdiction sur les paramtres envi-ronnementaux et/ou climatiques peut donc se rpercuter sur la puissancede prdiction des pidmies de cholra. Une application envisageable de ces

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    Environnement

    climat

    Dynamique

    du plancton

    Dynamique

    des vibrioPassage

    lhomme

    recherches serait un systme daide la dcision pour une meilleure organi-sation des moyens sanitaires lchelle locale.

    La tldtection spatiale nous permet aujourdhui de suivre lvolutionde paramtres environnementaux et climatiques avec une excellente rso-lution spatiale et temporelle et apporte un continuum dchelles dobserva-tions dans lespace et dans le temps des structures de lenvironnement oca-

    nique comme terrestre. Cette nouvelle source de donnes, couple aux don-nes pidmiologiques nous permet aujourdhui de tester limportance desfacteurs environnementaux dans lmergence des pidmies de cholra enmesurant la capacit quont nos modles prdire le pass (tudes rtros-pectives). Dans un deuxime temps, aprs identification des variables envi-ronnementales et/ou climatiques fort pouvoir prdictif, nous serons enmesure de proposer des cartes de risque potentiel cholra.

    Figure 1. Un exemple du compromis entre ralisme et universalit. Unlphant ( gauche) est modlis par une fonction polynomiale ( droite) denombre de paramtres croissant : 5, 10, 20, 30 de haut en bas. Plus le modle

    est compliqu, plus la modlisation est raliste. En revanche, plus le nombrede paramtres augmente, plus le modle tient compte des particularits sp-cifiques un jeu de donnes, et devient donc compliqu. Le choix du modleoptimal se fait par un compromis entre simplicit et ralisme.

    Modle 1 : 5 paramtres

    RalitModle 2 : 10 paramtres

    Modle 3 : 20 paramtres

    Modle 4 : 30 paramtres

    Figure 2. Cascade dvnements rgissant lmergence dpidmie decholra dans les populations humaines (modle conceptuel la base desmodles mathmatiques utiliss en pidmiologie cologique).

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    encart {11}

    De lapport de la dynamique

    de populations des maladies infectieuses

    leur contrle

    Hlne BroutinUr 024 pidmiologie et Prvention, et Umr Cnrs/Ird 2724,Gntique et volution de maladies infectieuses, quipe Ess

    Institut de recherche pour le dveloppement (Ird)Montpellier

    {11}Depuis peu, des spcialistes en cologie et en volution sin-tressent aux maladies infectieuses humaines et, en particu-lier, aux longues sries temporelles de cas ou de dcs, notifis

    par les rseaux de surveillance des pays. Une srie temporelle Fig. 1, correspon-dant, par exemple, au nombre de cas par mois dune maladie sur une priodede 30 ans, dcrit la dynamique de la maladie, cest--dire son comportementet son volution dans le temps (nombre et frquence des pidmies, dureinter-pidmique, amplitudes des pidmies). En complment lpi-

    dmiologie classique qui focalise lanalyse sur lindividu infect (taux dat-taque, risque relatif), lapproche cologique replace cet individu au seindune population dans un environnement donn et tudie ainsi le compor-tement gnral des maladies des chelles temporelles et spatiales diffren-tes. Lobjectif devient alors une comprhension globale du dveloppement(mergence, diffusion,) et de la persistance des maladies en fonction desfacteurs environnementaux (pluviomtrie, vent, mais aussi taille et densitdes populations, couvertures vaccinales, taux de naissance).

    Le paradigme actuel, hritage dune pense mdicale plaant lhom-me dans une situation de cas particulier voire de cas unique au seindu monde du vivant, revendique le fait que les comportements de mala-

    dies infectieuses dpendent en grande partie des populations humaines, etquainsi chaque population connatra pour la mme maladie des histoiresdiffrentes. La plus grande diffrence qui traverse rapidement les esprits estvidemment celle qui concerne les pays du Nord par rapport aux pays duSud ! Il est indiscutable que les populations des pays du Sud sont soumises un plus grand nombre de pathologies infectieuses souvent plus graves ga-lement. De nombreux paramtres, tant populationnels (taux de naissance,promiscuit, manque daccs aux soins, multi-infections), quenvironnemen-taux (tempratures, pluviomtries, diversit biologique) peuvent expliquerce dcalage entre les pays du Sud et les pays du Nord. Si on a stigmatis lim-portance des diffrences socio-conomiques et sanitaires entre les pays du

    Nord et les pays du Sud afin de rendre compte de lincidence de certainesmaladies infectieuses, on saperoit aujourdhui par lapproche comparati-ve,cest--dire par lanalyse des dynamiques spatio-temporelles de maladiesentre plusieurs pays et/ou rgions, que les diffrences socio-conomiques,

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    sanitaires et/ou environnementales ne sont pas systmatiquement source dediffrences dans le comportement dune maladie donne.

    Prenons lexemple de deux maladies ubiquistes et prvention vaccina-le, la coqueluche et la rougeole, affectant majoritairement les jeunes enfants.De larges campagnes de vaccination, dbutes depuis plus de 50 ans dans lespays du Nord, ont abouti une couverture vaccinale globalement leve et

    constante. Lincidence de ces deux maladies a fortement diminu et les infec-tions ne sont quasiment plus mortelles dans ces rgions. Cependant, certainspays subissent depuis une dizaine dannes une r-mergence des cas decoqueluche notamment, chez les adolescents et dans une moindre mesurechez les adultes. Concernant les pays du Sud, la vaccination contre ces deuxmaladies sest mise en place dans le cadre du Programme largi de Vacci-nation (Pev) dbut en 1974 par lOms . Si la couverture vaccinale y est doncplus rcente, elle y est aussi trs ingale et irrgulire suivant les pays. Malgrla vaccination, la coqueluche et la rougeole restent des problmes de santpublique dans les pays du Sud (principalement la rougeole o la mortalitest encore trs forte), et elles le redeviennent progressivement dans les pays

    du Nord eu gard leur r-installation.Les dynamiques spatio-temporelles de la coqueluche et de la rougeole(voir figure) ont t beaucoup tudies dans diffrents pays et/ou rgions, defaon indpendante, pour mieux comprendre les cycles pidmiques, la per-sistance et la diffusion de ces deux infections ainsi que pour tudier limpactde la vaccination sur leurs dynamiques. Nos travaux ont montr que ces deuxmaladies semblaient avoir des comportements dynamiques similaires entreplusieurs pays du Nord et un pays du Sud, le Sngal. Ainsi, par exemple, uncycle 3-4 ans est observ pour la coqueluche dans de nombreux pays aussivaris que lAngleterre, les tats-Unis, le Brsil, lAlgrie ou lItalie aprs lavaccination. Cest aussi vrai pour le Sngal o les crises pidmiques appa-

    raissent tous les 3 4 ans en dpit des conditions socio-conomiques et sani-taires radicalement diffrentes dans ce pays africain. La rougeole au Sngalmontre des cycles pidmiques tous les 2 ans environ, identiques ce qui estdcrit dans le reste du monde.

    Lanalyse comparative des dynamiques de maladies devient donc uneapproche informative qui permet de dgager entre les similitudes et les par-ticularits dans le comportement des maladies infectieuses. De telles tu-des bases sur une comprhension cologique des maladies infectieusesdevraient nous aider amliorer et adapter les moyens de contrle (la vacci-nation par exemple) de ces infections lchelle globale.

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    Figure 1:Illustration des dynamiques temporelles de la coque-luche (en pointill) et de la rougeole (en continu) dans la rgion de

    Niakhar au Sngal. La coqueluche montre des pidmies tous les

    4 ans environ lorsque les populations humaines installes dans la

    rgion de Niakhar subissent des crises pidmiques de rougeole tous

    les 2 ans. Il nexiste aucune diffrence aujourdhui entre les dynami-

    ques de ces deux maladies infectieuses observes dans cette rgiondAfrique de lOuest et ce que nous connaissons pour plusieurs pays

    du Nord. Daprs Broutin et l. ( Epidemiological impact of vaccination

    on the dynamics of two childhood diseases in rural Senegal , soumis

    Microbes nd Infection).

    1985 1990 1995 2000

    0

    50

    100

    150

    200

    250

    Nombredeca

    smensuels

    Annes

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    Substances naturelles

    et diversit biologique

    John D. ThompsonCefe Cnrs, Montpellier

    {12}La biodiversit est en partie le reflet de lexpression des diffren-

    ces entre entits vivantes (espces, populations, individus) etdes interactions cologiques dans lesquelles les espces vo-

    luent. Chez les vgtaux, la diversit inter- et intra-spcifique est souvent asso-cie une diffrence dans la composition chimique. Cette variabilit pourraitavoir des consquences profondes en ce qui concerne le fonctionnement desinteractions entre espces (plante plante ou plante animal). En effet, laprsence de substances naturelles chez une espce peut faciliter linstallationdautres espces dans les successions grce une diminution de la prdationet/ou de la comptition. La prsence de substances naturelles peut limiter leseffets nfastes des parasites et des herbivores tandis que la fragrance des fleurs

    joue un rle dans lattraction des insectes qui assurent la fcondation. Une

    variabilit de composition chimique, soit inter-spcifique, soit entre individusdune mme espce, pourrait donc avoir des consquences fondamentales surle fonctionnement des interactions entre diffrents composants dun cosys-tme.

    Une variabilit dans la composition chimique des espces troitementapparentes ou entre individus dune mme espce est particulirementbien documente dans plusieurs familles telles que les apiaces, les astera-ces, les labies et les rutaces. Par exemple, au sein du genre Thymus (famillede labies dont lhuile essentielle et les feuilles ont t utilises depuis lAn-tiquit) la composition de lhuile essentielle prsente une importante varia-bilit entre espces et au sein des espces. En fait, lhuile essentielle est le

    plus souvent compose dune seule molcule en majorit (malgr la prsen-ce de plusieurs dizaines de molcules trs faible concentration). La mol-cule majoritaire dpend souvent de lespce examine et peut varier entreles individus dune mme espce (prsence de diffrents chmotypes ). Laprsence de ces chmotypes est la manifestation phnotypique dune diver-sit gntique. Dans le cas du thym, et sans doute dautres espces, chaquechmotype est dtermin par laction de plusieurs gnes de rgulation quiagissent au sein dune chane de biosynthse. Les populations sont compo-ses dun ou deux chmotypes majoritaires, avec une diffrenciation spatialetrs marque dans leur abondance, qui est associe lhtrognit spa-tiale du milieu abiotique (climat et sol) et labondance dun parasite spcia-

    lis. En fait le chmotype le plus rare est celui qui a la charge parasitaire laplus leve. La distribution spatiale des chmotypes dans le paysage sembledonc tre la manifestation dune variabilit adaptative. De plus, les tudesrcentes montrent que les interactions entre espces dpendraient du ch-

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    encart {12}

    motype prsent localement. En consquence une variabilit adaptative desautres espces pourrait voluer en fonction du chmotype local. Compren-dre le fonctionnement des interactions au sein des communauts ncessitedonc un travail l interface de lcologie des communauts et de la biologiedes populations.

    Lexistence dun tel polymorphisme chimique est dune signification

    fondamentale dans le contexte de lutilisation des substances naturelles parlhomme. Les substances naturelles reprsentent en fait la base de toute unefilire de plantes parfum, aromatiques et mdicinales. Ces espces sont cul-tives pour leurs qualits en aromathrapie (huiles essentielles), des finsagro-alimentaires (fines herbes, surgels,) et plusieurs espces aromati-ques ont t utilises depuis des sicles dans le traitement de maladies respi-ratoires et/ou de dsordres digestifs. Domine par la lavande et le lavandin,cette filire se dveloppe actuellement par une diversification despces cul-tives partir despces sauvages (thym, romarin, sauge, mlisse,). Jusqutrs rcemment le dveloppement de cette filire a t bas sur une trs fai-ble diversit gntique, du fait des possibilits de bouturage et de multipli-

    cation vgtative de clones performants. Par ailleurs, lchantillonnage desespces base de molcules potentielles pour lindustrie pharmaceutique aaussi souvent t men en ignorant limportante variabilit que peut renfer-mer une seule espce.

    Lexistence chez les vgtaux dun polymorphisme chimique qui pour-rait modifier linteraction avec des parasites indique limportance dunemeilleure prise en compte de la diversit intra-spcifique des substancesnaturelles dans les programmes dchantillonnage et de culture des plan-tes susceptibles davoir des proprits mdicales intressantes. Dans ce con-texte, il semblerait ncessaire de mener une recherche pluridisciplinaire ola slection mthodique des plantes mdicinales, en vue de la production et

    de la standardisation de mdicaments utiles en pharmacope, serait asso-cie la quantification de la variabilit chimique des espces naturelles pouren comprendre la signification cologique et volutive. Lintrt de mieuxquantifier le polymorphisme chimique et den valuer les proprits micro-biologiques est dautant plus primordial que le problme de la rsistance dela flore pathogne devient proccupant. Les politiques destines prendreen compte la diversit biologique au sein de programmes de dveloppementdurable devraient donc dsormais tenir compte de la variabilit intra-spci-fique, et plus particulirement du polymorphisme chimique prsent chez denombreuses espces vgtales contenant des substances naturelles dintrtsconomique et mdical.

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    Aguirre A. A., Ostfeld R. S., House C. A., Pearl M. A. & Tabor G. M. , 2002,Conservation Medicine : Ecological Health in