"berger 2012", du mythe au premier -1000

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28 Magazine Spéléo # 79 septembre 2012 « Au fait, tu te souviens du camp au Berger, avec les Normands ? C’était génial ! À cette époque ça bougeait au CDS… ». Conversation désabusée entre spéléologues jurassiens nostalgiques, dépités tant par l’hiver qui s’étire encore en ce début juin 2011, que par l’inertie ambiante qui en découle. Eh oui c’était génial ce camp de juillet 1987. La quinzaine de tentes canadiennes à la Molière, les bouses de vaches dans la popote, le moins mille en treize heures, la centaine de diapositives toutes noires, les six « clampins » qui restaient à la fin du camp pour tout déséquiper… Un camp pour un mythe Et pourquoi pas finalement ? Chiche : un beau projet pour regrouper les clubs du Jura. C’est fait, la demande est envoyée à la Mairie d’Engins : ce sera fin juillet 2012. Espérons qu’on sera au moins une trentaine. Cela ferait une belle conclusion pour clore un mandat de président de CDS ! Six mois après, à l’AG du CDS, c’est loin d’être évident! Le Berger, c’est un mythe, mais justement aussi: ça fait peur. Et puis, les spéléologues ne s’engagent pas si longtemps à l’avance. La proposition est élargie au comité régional : flop ! Néanmoins, le camp est inscrit au calendrier des stages fédéraux 2012. Des gens d’ailleurs se manifestent peu à peu. Mais cela reste décevant… Et pourquoi ne pas inviter des étrangers ? Banzaï: quelques lignes en anglais envoyées au réseau de correspondants de la Fédération Spéléologique Européenne (FSE), on verra bien. C’est vite vu! En dix jours, pas moins de 16 clubs de 14 pays se manifestent. Presque une centaine de spéléos étrangers pré-inscrits en mars. Stop ! Le camp est déclaré complet sur le site web de la FFS. Et comme par hasard, c’est à partir de ce moment que les clubs français lèvent le doigt ! Et moi et moi et moi… Du projet au casse-tête Ce projet de sortie collective est donc devenu un « Euro Spéléo Project » de la FSE. La date limite d’inscription est fixée au 15 avril. Le coût en est volontairement non discriminatoire: 10 euros par personne. Ce « label FSE » apporte aussi des avantages conséquents, tel que un partenariat avec Aventure Verticale, Scurion, Beal. Expé s’intéresse aussi à l’évènement en proposant de la corde et une remise de 20 % sur le catalogue à chaque participant inscrit, MTDE des bougies de survie à moitié prix… La date limite d’inscription est dépassée, mais les retardataires affluent, avec évidemment tous de bonnes raisons de l’être (retardataires!). Il faut apprendre à dire non, car en mai le nombre fatidique de 200 participants est atteint… Il faut bétonner l’organisation. Chaque inscrit est invité à signer un engagement concernant les conditions de sécurité, la contribution à la dépollution du gouffre, le tout bilingue évidemment. Un planning monstrueux de présence et de descentes s’élabore petit à petit. Objectif : limiter autant que faire se peut les encombrements prévisibles dans les puits d’entrée, et étalant les horaires de descente de chaque équipe. Cela suffira-t-il? En tout cas, ne rien prévoir serait évidemment bien pire. 18 kits prêts à utiliser Reste le problème du matériel. Il est prévu d’équiper en double jusqu’à – 300, il faut un peu de stock pour remplacer les éventuelles « tonches », donc on table sur 1 500 m de corde au moins. Les dotations Béal et Expé nous amènent à la moitié. L’EFS n’a rien à donner. C’est finalement la Maison Familiale du Jura, héritière du matos de l’ex-CREPS de Chalain, qui prête gracieusement tout son stock. Mieux encore: l’équipe britannique de Mark Write et Robbie Shone bénéficie de cordes et amarrages de la fondation Petzl, pour réaliser un grand livre sur le gouffre Berger. 18 kits tout prêts à utiliser. C’est l’abondance ! Quelques mots sur les aléas logistiques. C’est le gîte de l’Achard qui devait accueillir le groupe initialement. Repéré mi mars, il présentait toutes les caractéristiques souhaitées pour ce genre de rassemble- ment : rustique, convivial, idéalement situé, camping possible à proximité immédiate… Douche froide début mai : fermeture administrative ! Manfred nous sauvera la mise quelques jours plus tard, en trouvant un autre point de chute à Autrans. On a eu chaud… D’autres personnes ressources se sont révélées bien indispensables. Ce qui devait être un sympathique petit camp d’été entre amis est donc devenu une invraisemblable usine à gaz ! Six mois de « prise de tête » avec son lot de bonnes et mauvaises surprises, d’inquiétudes et de soulagements, de déceptions et de joies… De quoi se dire « plus jamais ça » ? Sur le coup oui. Mais on peut d’ores et déjà en douter. Car les quelques dizaines de mails de satisfaction et de remerciements reçus tout le mois d’août, les centaines de photos et commentaires partagés sur Facebook… Tout cela compense largement les multiples contraintes d’organisation. Et puis 2013, c’est les soixante ans de la découverte du gouffre Berger… « Berger 2012 » : de l’interclubs au rassemblement européen… Du mythe au premier –1 000 Rémy LIMAGNE pour le Comité Départemental de Spéléologie du Jura Ligue Spéléologique de Franche-Comté 54 route de Pont de la Chaux – 39300 Châtelneuf r Pause contemplative au « Vagin » vers –600 m pour Rémy Limagne, Isabelle Thooris, Aude Ribollet, Aurélia Demimuid. Photo Serge Caillault S79-speleomag 02/10/12 16:40 Page28

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Spéléo Magazine n°79, septembre 2012

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Page 1: "Berger 2012", du mythe au premier -1000

28 Magazine Spéléo # 79 septembre 2012

«Au fait, tu te souviens du camp au Berger,avec les Normands? C’était génial ! À cetteépoque ça bougeait au CDS… ».Conversation désabusée entre

spéléologues jurassiens nostalgiques, dépitéstant par l’hiver qui s’étire encore en ce débutjuin 2011, que par l’inertie ambiante qui endécoule.

Eh oui c’était génial ce camp de juillet 1987. La quinzaine de tentes canadiennes à la Molière, les bouses devaches dans la popote, le moins mille entreize heures, la centaine de diapositivestoutes noires, les six « clampins » qui restaientà la fin du camp pour tout déséquiper…

Un camp pour un mythe

Et pourquoi pas finalement? Chiche : unbeau projet pour regrouper les clubs du Jura.C’est fait, la demande est envoyée à la Mairied’Engins : ce sera fin juillet 2012. Espéronsqu’on sera au moins une trentaine. Cela ferait une belle conclusion pour clore un mandat de président de CDS!

Six mois après, à l’AG du CDS, c’est loind’être évident! Le Berger, c’est un mythe, maisjustement aussi : ça fait peur. Et puis, les spéléologues ne s’engagent pas si longtempsà l’avance. La proposition est élargie au comité régional : flop! Néanmoins, le campest inscrit au calendrier des stages fédéraux2012. Des gens d’ailleurs se manifestentpeu à peu. Mais cela reste décevant…

Et pourquoi ne pas inviter des étrangers?Banzaï : quelques lignes en anglais envoyéesau réseau de correspondants de la Fédération

Spéléologique Européenne (FSE), on verrabien.C’est vite vu! En dix jours, pas moins de 16

clubs de 14 pays se manifestent. Presque unecentaine de spéléos étrangers pré-inscrits enmars. Stop! Le camp est déclaré complet surle site web de la FFS. Et comme par hasard,c’est à partir de ce moment que les clubs français lèvent le doigt ! Et moi et moi etmoi…

Du projet au casse-tête

Ce projet de sortie collective est donc devenu un « Euro Spéléo Project » de la FSE.La date limite d’inscription est fixée au15 avril. Le coût en est volontairement nondiscriminatoire : 10 euros par personne. Ce« label FSE » apporte aussi des avantagesconséquents, tel que un partenariat avecAventure Verticale, Scurion, Beal. Expé s’intéresse aussi à l’évènement en proposantde la corde et une remise de 20 % sur le catalogue à chaque participant inscrit, MTDEdes bougies de survie à moitié prix…

La date limite d’inscription est dépassée,mais les retardataires affluent, avec évidemment tous de bonnes raisons del’être (retardataires !). Il faut apprendre à direnon, car en mai le nombre fatidique de 200participants est atteint…Il faut bétonner l’organisation. Chaque

inscrit est invité à signer un engagementconcernant les conditions de sécurité, lacontribution à la dépollution du gouffre, letout bilingue évidemment. Un planningmonstrueux de présence et de descentess’élabore petit à petit.Objectif : limiter autant que faire se peut

les encombrements prévisibles dans lespuits d’entrée, et étalant les horaires de descente de chaque équipe. Cela suffira-t-il?En tout cas, ne rien prévoir serait évidemmentbien pire.

18 kits prêts à utiliser

Reste le problème du matériel. Il est prévud’équiper en double jusqu’à – 300, il faut unpeu de stock pour remplacer les éventuelles« tonches », donc on table sur 1500 m decorde au moins. Les dotations Béal et Expénous amènent à la moitié. L’EFS n’a rien à donner.C’est finalement la Maison Familiale du

Jura, héritière du matos de l’ex-CREPS de Chalain, qui prête gracieusement tout sonstock. Mieux encore: l’équipe britannique deMark Write et Robbie Shone bénéficie decordes et amarrages de la fondation Petzl,pour réaliser un grand livre sur le gouffre Berger. 18 kits tout prêts à utiliser. C’estl’abondance!

Quelques mots sur les aléas logistiques.C’est le gîte de l’Achard qui devait accueillirle groupe initialement. Repéré mi mars, il présentait toutes les caractéristiques souhaitées pour ce genre de rassemble-ment : rustique, convivial, idéalement situé,camping possible à proximité immédiate…Douche froide début mai : fermeture administrative ! Manfred nous sauvera lamise quelques jours plus tard, en trouvant unautre point de chute à Autrans. On a euchaud…

D’autres personnes ressources se sontrévélées bien indispensables.

Ce qui devait être unsympathique petitcamp d’été entre amisest donc devenu uneinvraisemblable usineà gaz ! Six mois de« prise de tête » avecson lot de bonnes etmauvaises surprises,d’inquiétudes et desoulagements, dedéceptions et dejoies… De quoi se dire« plus jamais ça » ?Sur le coup oui. Mais onpeut d’ores et déjà endouter. Car lesquelques dizaines demails de satisfaction etde remerciementsreçus tout le moisd’août, les centaines dephotos etcommentairespartagés surFacebook… Tout celacompense largementles multiplescontraintesd’organisation.Et puis 2013, c’est lessoixante ans de ladécouverte du gouffreBerger…

« Berger 2012 » : de l’interclubs au rassemblement européen…

Du mythe au premier –1000

Rémy LIMAGNE pour le

Comité Départemental de

Spéléologie du Jura

Ligue Spéléologique de

Franche-Comté

54 route de Pont de la

Chaux – 39300 Châtelneuf

r Pause contemplative au« Vagin » vers –600 m pourRémy Limagne, IsabelleThooris, Aude Ribollet,Aurélia Demimuid.

Photo Serge Caillault

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Page 2: "Berger 2012", du mythe au premier -1000

Récit | gouffre Berger

30 Magazine Spéléo # 79 septembre 2012

Matthieu tout d’abord, qui a su gérer l’équipement du gouffre ; le Dave qui rêvaitde visser son spit à –1000 et qui l’a fait au bénéfice de tous; Cécile qui avec son sourireet sa maîtrise de l’Anglais et d’Excel a su gérertout ce dont j’étais incapable pour accueillirtous ces gens ; « Boulon » et son équipe deBelges pour lesquels l’installation d’un bivouac quatre étoiles n’a pas de secret…

Des moments forts inoubliables

Dimanche 30 juillet 2012. Le registre affiche 224 descentes dans le gouffre Bergeren une douzaine de jours. Plus de3600 heures passées sous terre ; de 13 à40 heures pour aller au fond…

On pouvait craindre une affluence despéléologues un peu « opportunistes »prêts à profiter d’un bon « spot » (10 euros l’inscription pour un –1000 tout équipé etune promo sur le matos!), et il y en a eu, maispeu. C’est une vraie vie de groupe qui s’estmise en place sur le site et c’est tant mieux.

Difficile d’énumérer les moments forts,mais il faut citer notamment :

• Les soirées multilingues à la cuisine collective où, en attendant la dernière équipeen retard, le « Trouspinette » concurrençaitles bières belges et autres breuvages exotiques; et les échanges animés devant leplanning géant (200 lignes!) et la topographiede trois mètres pour décider des horaires dedépart de chaque équipe. Pas d’engueu-lades… Que des rigolades !

• La rencontre à –400 avec l’équipe grecqueexténuée, ayant abandonné son ravitaillement au bivouac pour remonterplus léger. Et leurs effets retrouvés en vrac surle lapiaz au milieu de la nuit : ils avaient bien

laissé leur nourriture, mais remonté leurs déchets ! Bravo.

• Le camping parsemé à toute heure dujour de corps allongés profondément endormis et sûrement bien endoloris. D’autres se mouvant avec difficultés et racontant la « baffe de leur vie », suscitant l’inquiétude des suivants : « M… demainc’est mon tour ! ».

• Le stress météo des derniers jours, quandles trois quarts de la France étaient en alerteorange et orages, et que les Libanais et Espagnols étaient en route spécialementpour l’exploration le week-end. Comment lesconvaincre à leur arrivée de ne pas descendre? Finalement il n’est rien tombé surle Vercors… sauf Marc à –700! Il saura se remettre l’épaule en place tout seul et ressortir assisté en moins de douze heures.The warrior… Ouf !

• La douche froide : l’hécatombe descordes ! Première alerte dès le 3e jour : unecorde (neuve) « dégainée » sur vingt centimètres. Puis plusieurs… et au final,toutes! Combien de passages de nœuds pouraller au fond en fin de camp? Normal aprèsune centaine de passages? Peut-être.

Mais il semble que certains utilisent destechniques peu orthodoxes, comme s’assurerà la descente avec en bout de longe… un bloqueur !

Ce qui est un peu désolant, c’est que personne n’est venu me dire « J’ai tonché unecorde », mais plutôt « je suis arrivé sur une cordetonchée ». Dommage…

• Mais pour conclure sur une note résolument optimiste, l’évènement dansl’évènement restera cette demande en mariage à –1122 de Matthieu à Anne-So…Immortalisée peu après par Robbie Shonedans la Salle des Treize. En plus, elle a dit oui !C

r Camp1 à –500 m, gouffreBerger.

Photo Serge Caillault

t indications et fiched’équipement pour le gouffreBerger.

Photos Matthieu Thomas

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Nous sommes le mercredi 25 juillet, lanuit a été un peu « dure » dans latente posée sur cette dalle de lapiaz,

et ce n’est pas la sonnerie du « petit Nicola »qui m’a empêchée de dormir ; mais aumoins je suis à pied d’œuvre ce mercredimatin. Et quelle œuvre !Une séance photos à –500 m dans le

Berger avec Serge Caillault. Je ne sais pas quic’est, mais Rémy m’a promis un spectacle exceptionnel… Bon déjà, il va falloir que j’yarrive à –500. L’entraînement dans mesgrottes de Mayenne y suffira-t-il? En tout cas,je me sens vivre un moment privilégié. D’ailleurs aujourd’hui c’est moi qui ai la « Scur-ion collective ». Elle est verte: ça va bien avecmes yeux…

J’ai rencontré Apollon

10heures. Les voici qui arrivent. Rémy, Isa,Aude, et Serge. Ah c’est donc lui le fameuxSergio? Il a autant de cheveux que Rémy!Mais surtout des bagages conséquents… Ilfaut descendre tout çà? Oui… Et le remonteraussi.Descendre déjà. Et c’est parti. Les premiers

puits s’enchainent plutôt vite. Mais le méandre beaucoup moins. Mon kit n’est nibien lourd ni bien gros, mais néanmoins bientrop lourd et bien trop gros! Pourtant, ce n’estpas si difficile que cela. Un type arrive dansl’autre sens. C’est Apollon, de l’équipe grecqueentrée hier. Il n’a plus rien d’un Apollon… Détrempé, couleur terre, titubant. « C’est lachose la plus dure que j’ai fait de ma vie » dira-t-il plus tard. Oups…

Enfin le Puits Aldo. Après c’est grand m’a-t-on dit. Ben déjà le puits c’est grand! Et subitement, il fait jour ! En bas, Rémy vientd’allumer un des projecteurs de Serge. Je mesens minuscule… Et nous y sommes.Cette grande galerie se dévoile enfin, et se

laisse dévaler comme un simple sentier derandonnée. On croise le reste de l’équipe desGrecs, ils n’ont pas l’air très frais… –300, –400,et le bivouac. Quatre heures pour arriver là,mais mon record est déjà largement battu.

Petite collation avant d’entamer la séancephotos dans la fameuse Salle des Treize. C’estmagnifique! Cette Scurion, je l’aime fort, quime dévoile ce paysage. Mais le programmeévolue : les mecs nous annoncent qu’on vacommencer les photos un peu plus bas, au« Vagin ». Avec un nom pareil, je m’attendsau pire. Toujours est-il que un peu plus bas,c’est à –600! Mais quelle descente : c’estgrand, c’est blanc, partout… Et voici donc le

fameux « orifice ». Original. Sergio s’agite etinstalle ses projecteurs devant, derrière… Onvoit bien qu’il sait ce qu’il veut obtenir. Et cettedernière photo, ah oui, elle est belle ! Bon ilest 16 heures, normalement on remontemaintenant.

Accessoirement ressortir !

Eh non « on va voir le début des « Couffi-nades ». Encore des cordes, des fistuleuses extraordinaires. Et enfin on s’arrête.Serge « –640. Là,

on a fait environ untiers de l’effort ».Euh… Alors lesdeux autres tiers, cesera pour la prochaine fois. D’ailleurs il reste à faire les photos de la Salledes Treize, du bivouac… Et accessoirement ressortir ! Debout de préférence.Nouvelle pose au « Vagin ». Rémy me

demande de remplir une bouteille pour utiliser le stock de Micropur. Ce robinetbruyant est trop tentant pour ce faire. Maisfort puissant aussi : la voici qui m’échappe ettombe dans la vasque. Douche complètepour la récupérer. Je suis trempée… Ça vam’aider à remonter ça?Finalement, pas si dur de remonter à –500.

Et là, cette salle illuminée par les soleils de

Serge, il n’y aura même pas besoin des photos pour s’en souvenir. Dire que noussommes les seuls à voir cela. Puis séance aubivouac. Serge s’active toujours. C’est la première fois que je fais chauffer un cassouletsous des projecteurs.

Il est 20 heures. Et on a mis quatre heurespour descendre jusqu’ici. Dès les premiersmètres de montée, ça calme! C’est raide, çaglisse, les scotch-light brillent au loin, maisvraiment au loin. Quelques photos de plus,ça repose. Et il faut bien attaquer les chosessérieuses. Rémy et Isa sont partis devant, ilsdoivent gambader.Le puits Aldo est interminable. Et il n’est pas

le seul. Aude patiente derrière moi. Dans cef… méandre, malgré son énorme sherpa,Serge me distance. J’ai mal partout. « Serge!J’en peux plus, ça va trop vite ». Il revient versmoi : « donne-moi ton kit ». C’est mieux, maisje me traîne, impression d’être un boulet. J’arriverai quand même à remonter mon kitdans les derniers puits. Et nous finissons parémerger à la surface. Il est un peu plus dedeux heures.

Dehors… Tout le monde a envie de retrouver son lit, et s’active à reconditionner

son matos pour la marche. Mais moi je me retrouve avec mon sac spéléo, plus mon sacde bivouac de la veille. Je tourne en rond, jene sais pas quoi emporter, quoi laisser. Et à3 heures pourtant, c’est « allez feu on y va ».Un sac sur le dos, un kit sur le ventre, et aubout de dix mètres, je craque: «Non Serge jene pourrai pas : je dors là ! ».

Et ce furent huit heures de plus avec le lapiaz comme matelas, qui ont suffi à medonner l’envie d’y retourner… Vite, vite !C

29# 79 septembre 2012 Spéléo Magazine

Récit | gouffre Berger

x Camp de surface installé àl’entrée du Gouffre Berger.

v Le puits Aldo (–200 m)

Photos Serge Caillault

Aurélia DEMIMUIDÉquipe Spéléologique del’Ouest (53)

On va commencer les photos, au «Vagin ».Avec un nom pareil, je m’attends au pire…

Le lapiaz comme matelas…

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Rendez-vous 9 heures à la Molière. C’estlà que nous devons retrouver Sergeavec tout son attirail de photographe,

pour les « clichés officiels » de Berger 2012.Il y a au moins trois équipes prévues ce matin là, donc pas de problème en théoriepour trouver des porteurs jusqu’à –500.

Nous sommes à l’heure sur place. Enfin,« nous », c’est Serge, Rémy, Aude et moi. Lesautres, les « porteurs » sont arrivés avant, etétaient sans doute plus pressés d’arriver augouffre que d’attendre les trois gros sherpasdu photographe. Trois sherpas, plus deux kitsbouffe, c’est donc un peu plus qu’un chacun,plus le nôtre personnel.

Bah, ces fameux projecteurs sont conditionnés dans des petites valises, àpeine plus de 5 kg chacune… Ce n’est pas lapremière fois qu’on marche une heure chargés comme des mules.

5 kg cette valise?

Une heure plus tard, pas moins, on retrouve Aurélia qui a passé la nuit sur place,enfin disons sur la dalle calcaire. Elle n’a pasl’air trop courbaturée. Un peu de blablaavec les équipes qui s’apprêtent à descendre.Vincent et son binôme polonais acceptent dedescendre une valise jusqu’au bivouac. Hélas,il reste l’autre, et c’est la mienne!

Dès le puits du Cairn, voilà ce gros sherparouge qui s’emmêle dans la boucle de lacorde au fractionnement. Je peine à le sou-lever ; ça promet.

Mais ce n’était que le début. Dans leméandre, ce satané sac se coince partout.Derrière moi ça trépigne, devant Rémys’énerve déjà. Il revient et me prend le sac…C’est mieux sans, mais qu’est-ce qu’il estglissant ce méandre! Heureusement il y a devieilles cordes en place, c’est rassurant. Saufquand il n’y a pas de corde!

Le sherpa se retrouve sur mon dos au basdu puits Aldo. Mais là plus de problème: c’estcomme en rando. En plus, ça descend toutle temps.

Plusieurs heures après…

Bon sang mais ça monte tout le temps!Quel boulet ce sherpa. Cette valise me rentredans les côtes à chaque pas. Heureusement,on fait une bonne pause avant de remonterles puits. Les mecs baillent : ils ont sommeilou ils s’ennuient avec nous? Les deux peut-être…

Ce puits Aldo est interminable. Le sherpase balance et s’enroule autour de la corde endessous de moi. Ma parole il fait tout pourque je le largue! Ca ne m’amuse plus du tout.Je repense à cette conversation avec Célinehier «Ah oui ! Vous emportez les projecteurs deSerge? Eh bien bonne chance : moi j’ai déjàdonné ». Un quart d’heure pour m’extraire dudernier ressaut avant le méandre, ce trucs’acharne contre moi et s’emmêle partout oùil peut s’emmêler. J’ai trop soif.

Rémy est juste au-dessus, et pas de bonnehumeur. Évidemment, il n’a plus rien à fumer

depuis le bivouac. Il finit par m’arracher lesherpa : comme ça, il en a deux. Il me refileà la place le petit kit bouffe, j’y trouve un fondde bouteille à boire.

Le méandre n’est pas trop méchant avecce petit kit, mais j’ai de plus en plus soif. J’attendrais bien le reste de l’équipe car ils ontde l’eau. Mais ils ont l’air loin derrière… Si çase trouve, ils pensent que je gambade versla sortie! Puits du Cairn, enfin ça sent la fin ducalvaire. Mais non! Horreur : Rémy me refileà nouveau ce maudit sherpa, prétextantque « en verticale tu vas bien y arriver ! ».

Je meurs de soif…

C’est l’enfer… 5 kg cette valise? Une malédiction oui! Je meurs de soif… Il me fautune demi-heure pour les trente mètres dudernier puits. Les autres trépignent en bas,mais je ne vais pas redescendre pour leur demander à boire.

Enfin dehors. Il est plus de deux heures dumatin. Je me jette sur la première bouteilled’eau aperçue au pied d’un arbre et la videà moitié. Quelle ponction!

Quelques dizaines de minutes plus tard,tout le monde est prêt pour le dernier effortjusqu’à la voiture. Rémy a pitié et se proposede prendre ma maudite valise avec la sienne,il la sort de mon sherpa. Tiens, il y a quelquechose d’autre en dessous : une énorme bouteille d’eau, bien pleine… deux litres !Deux kilos aussi… ! C

31# 79 septembre 2012 Spéléo Magazine

Récit | gouffre BergerLa malédiction de la valise

Isabelle THOORIS

Spéléo-Club du Jura (39)

v La vire de –400 au gouffreBerger.

Photos Serge Caillault

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