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Belgique/België P.P.-P.B. 4020 Liège 2 9/180 BULLETIN TRIMESTRIEL DE L’A.S.B.L. PATRIMOINE INDUSTRIEL WALLONIE-BRUXELLES Publié avec l’aide de la Communauté française N° 67-68 OCTOBRE 2006 - MARS 2007 Bureau de dépôt : Liège X © Calisto Peretti

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Belgique/BelgiëP.P.-P.B.

4020 Liège 29/180

BULLETIN TRIMESTRIEL DE L’A.S.B.L.PATRIMOINE INDUSTRIEL WALLONIE-BRUXELLESPublié avec l’aide de la Communauté française

N° 67-68OCTOBRE 2006 - MARS 2007

Bureau de dépôt :Liège X

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L’Assemblée générale de l’asblPatrimoine Industriel Wallonie -Bruxelles du 21 avril dernier aadopté un nouveau programmed’activités pour les années 2007-2009 qui reprend dix objectifs :

1. Améliorer la représentativité et lavisibilité de PIWB en ouvrant leConseil d’administration à d’autresinstitutions patrimoniales de Wallonieet de Bruxelles, et en accroissant lenombre de participants à l’Assembléegénérale.

2. Dynamiser le bulletin tant dans lecontenu que dans la forme et la diffu-sion. En faire encore plus une revuede référence et une carte de visite del’association. Mieux intégrer l’équiperédactionnelle au sein du Conseild’administration. Mettre le bulletin enligne sous format PDF avec la créa-tion d’une page sur internet.

3. Continuer la série « Enquêtes etTémoignages » notamment par les 3e,4e et 5e numéros qui devraient concer-ner respectivement la mine, la sidérur-gie et le verre.

4. Maintenir les relations constructi-ves développées avec la direction duPatrimoine culturel de laCommunauté française, notammentdans le cadre de notre politique depublications.

5. Construire une nouvelle collabora-tion avec l’Administration duPatrimoine de la Région wallonne etl’Institut du Patrimoine wallon, éven-tuellement via un partenariat, ainsiqu’avec la Direction des Monumentset Sites de la Région bruxelloise enjouant un rôle de veille et de sensibili-sation des pouvoirs publics.

6. Développer un intérêt pour la sau-vegarde de « petit » patrimoine immo-bilier industriel (grilles d’usine, fron-tons, objets, peintures publicitairesmurales, plaques d’égout), par exem-ple par l’organisation d’une journéed’études à l’attention des associationslocales ou la rédaction d’une rubriquedans le bulletin.

7. Etablir des partenariats sur des pro-jets avec d’autres associations belgesou étrangères (MSW, SIWE, WalloniaNostra...) poursuivant des objectifssimilaires aux nôtres.

8. Mieux positionner le PIWB au seindu TICCIH-Belgium, en affirmantnotre spécificité wallonne et bruxel-loise au sein de la structure nationale.

9. Organiser une fois par an unvoyage scientifique à l’étranger d’unedurée de 2 à 3 jours, ainsi que des visi-tes « exclusives » de sites non accessi-bles au public en s’appuyant éventuel-lement sur des associations localespour leur organisation.

10. Réviser le fonctionnement internede l’asbl afin d’augmenter l’efficacitédu travail accompli par le Conseild’administration et son bureau.

L’Assemblée générale a adopté unbudget qui donne les moyens deréaliser ses objectifs. Une pre-mière évaluation des progrès enre-gistrés par la nouvelle équipe serafaite à l’Assemblée générale pro-chaine d’avril 2008.

Jean-Louis DELAET,Président de PIWB

ÉDITORIAL : DES OBJECTIFS RENOUVELÉS

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TABLE DES MATIÈRES

Éditorial 2

Table des matières 2

Études 3Approche de la construction ferroviaire dans la région du Centre (A. DEWIER) 3L’ankylostomiase (G. VANDE VIJVER) 7La gare du Midi à Bruxelles (1840-1952) (C. MEYFROID) 10 La S.A. des charbonnages Hensies-Pommeroeul (A. BIANCHI) 19Calisto Peretti (G. VANDE VIJVER) 20Baume & Marpent (suite et fin) (G. VANDE VIJVER) 24

Reportage photo 27La cité du train à Mulhouse (L. VANVELTHEM) 27

Compte rendus et expositions 29La catastrophe de Marcinelle entre mémoire et histoire 29L'image du flamand en Wallonie 29« Le temps d'hier, c'est loin déjà ! » (A. DEWIER) 30

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Depuis 1803, de curieusesmachines, fonctionnant à lavapeur, roulaient sur des railsen remorquant des chars àbancs, à la vitesse de huit kilo-mètres à l’heure. AstucieuxAnglais qui créèrent ces « loco-dromes »1 et permirent, de cefait, aux Londoniens deconnaître, pour la modiquesomme de dix shillings,l’ivresse de la vitesse. Un cui-sant échec financier mit unterme à l’expérience mais l’idéedu chemin de fer était lancée.En 1813, la toute première loco-motive digne de ce nom fit sonapparition. Elle fut baptisée« Puffing Bully » (TaureauSoufflant).

En Belgique, la situation des trans-ports n’était guère brillante. Aprèsla rupture avec la Hollande, la liai-son avec la Rhénanie, avec le deltaRhin-Meuse et la Zélande futinterrompue. Le port d’Anverssubissait les conséquences de lafermeture de l’Escaut. Il devenaiturgent de trouver une solution àcet isolement qui pouvait ébranler

notre économie nationale. En1821, l’industriel liégeois JohnCockerill avait proposé laconstruction d’une voie ferréeentre la ville d’Anvers et la Meuse.Le projet resta sans suite, les auto-rités hollandaises préférant amé-liorer les routes et creuser descanaux, tels que le canal Charleroi-Bruxelles, commencé en 1826. LeGouvernement belge reprit l’idéede Cockerill en l’améliorant. Le 1er

mai 1834, les Chambres votèrentun décret prévoyant la construc-tion d’une voie ferrée sur le terri-toire national.

Après maintes discussions, le pro-jet « Etoile de Malines » futaccepté et les travaux débutèrenten juin 1834. Le 5 mai 1835, troistrains inauguraux quittaient la garede Bruxelles - AlléeVerte, en direc-tion de Malines2. Trois convoiscomposés de chars à bancs, de dili-gences et de berlines, tirés partrois locomotives construites dansles ateliers Stephenson àNewcastle et baptisées : « LaFlèche », « Stephenson » et« L’Eléphant ». Quelques mois

plus tard, la toute première loco-motive de fabrication belge, la« Le Belge », sortait des ateliersCockerill.

Le réseau ferroviaire belge traver-sera les centres de production,assurera leur interconnexion etpermettra d’accéder rapidementaux frontières. Pour ce faire, il seraorienté vers les quatre points car-dinaux : au nord vers Anvers et lamer ; à l’est vers Liège, Verviers,la Prusse et le Rhin ; au sud versMons et la France ; à l’ouest versOstende, la mer et l’Angleterre.Une deuxième phase de construc-tion verra l’Etat aménager uneseconde ligne vers la France, ainsiqu’un embranchement vers les vil-les de Charleroi et Namur.Terminé en 1843, ce réseau auracoûté la somme de 137 milliardsde francs. Une somme considéra-ble à l’époque, et qui trouve sa jus-tification dans l’importance destravaux et l’ampleur du réseau.

ÉTUDE : APPROCHE DE LA CONSTRUCTION FERROVIAIREDANS LA RÉGION DU CENTRE, DES ORIGINES À 1985

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« Société Nicaise et Delcuve », ate-lier de construction des locomoti-ves, s.d. Coll. C.H.A.I.

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Pendant une trentaine d’années,des entreprises privées agrandi-ront le réseau ferré. Des 560 kilo-mètres de départ, on passa à 3 100kilomètres. Une situation quiinquiéta rapidement leGouvernement qui racheta pro-gressivement l’ensemble deslignes. Un rachat organisé autourde trois phases : de 1873 à 1880,en 1896 et 1897, en 1906 et 1907.Parallèlement à cette politiqued’achat, l’Etat ouvrait de nouvelleslignes. A la veille de la PremièreGuerre mondiale, 4 600 kilomè-tres de voies ferrées étaient pro-priété de l’Etat. Seuls 500 kilomè-tres appartenaient encore à dessociétés privées.

La région du Centre participa plei-nement au développement de laconstruction ferroviaire enBelgique et à l’étranger. Partoutdans le monde, on « roulera

Centre ». La région du Centreoffrait, au 19e siècle, les atouts tra-ditionnels du capitalisme : l’ar-gent et les hommes entreprenants.Nombreux seront les directeursd’entreprises à investir dans cenouveau secteur : Parmentier,Delbèque, etc. L’énergie indispen-sable au bon fonctionnement desusines sera tirée du charbon, et larégion du Centre est une région oùl’industrie charbonnière atteintson paroxysme à la fin du 19e et audébut du 20e siècles. Les voies decommunication (routes et canaux)largement développées par et pourles charbonnages, serviront à l’ap-provisionnement en matières pre-mières et au transport des pro-duits finis.

Dans la mesure du possible, lesateliers de construction ferroviaireessayèrent d’être autonomes, pro-duisant eux-mêmes une grande

partie de ce dont ils avaientbesoin3. L’acier provenait d’entre-prises spécialisées telles que lesAciéries Boucquéau ou les UsinesCambier à La Louvière. Il faudratoutefois attendre la seconde moi-tié du 19e siècle pour que laconstruction ferroviaire dans larégion du Centre connaisse un réelessor. Plusieurs entreprises crééesaux 19e et début 20e siècles produi-ront du matériel roulant (locomo-tives, voitures à voyageurs, wagonsdivers, etc.). Parmi ces dernières,on retiendra4 :

- en 1828 : les « AteliersParmentier » qui deviendront en1838 la « S.A. des Forges, Usineset Fonderies » (Haine-Saint-Pierre) ;

- en 1853 : la « FonderieDelbèque & Cie », qui deviendraen 1882 la « S.A. des Usines

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Le marteau-pilon de la « Compagnie Centrale de Construction » (Usines Hiard), vers 1920. La société produira du matériel ferroviaireet notamment des voitures de grand luxe pour des compagnies internationales. Coll. C.H.A.I.

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Baume & Marpent »(Morlanwelz et Haine-Saint-Pierre) ;

- en 1855 : la « SociétéParmentier, Nicaise & Cie » (LaLouvière) ;

- en 1866 : la « Société Noulet &Cie » (Strépy-Bracquegnies) ;

- en 1869 : la « Compagnie Belgepour la Construction de matérielde Chemin de Fer », plus connuesous le nom d’ « Anglo-Franco-Belge » ou « Germain Anglo »(La Croyère) ;

- en 1870 : les « Ateliers JulesEmpain » (Manage) ;

- en 1871 : la « Société Pierre-Joseph Hiard & Cie » (Haine-Saint-Pierre) ;

- en 1874 : les « Ateliers deConstruction, Forges etFonderies » (Braine-le-Comte) ;

- en 1875 : les « Forges & Ateliersde Seneffe » ;

- en 1884 : les « Forges & Usinesde La Hestre » (Haine-Saint-Pierre) ;

- en 1885 : « La Construction »(Manage) ;

- en 1889 : les « Ateliers duThiriau » (Bois-d’Haine) ;

- en 1909 : les « Usines etFonderies Buissin » (Familleu-reux).

A la fin du 19e siècle, le marchébelge est conquis et des entrepri-ses telles que « Baume &Marpent », la « CompagnieCentrale de Construction » (lesanciens Ateliers Hiard), les« Forges, Usines et Fonderies »,s’attaqueront aux marchés inter-nationaux et exporteront, en plusdu matériel roulant, des appareilsde voies, des ponts, des charpentesmétalliques, des viaducs, etc.

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Ci-dessus : locomotive de type « Golwé », pro-duite aux « Forges, Usines et Fonderies » d’Haine-Saint-Pierre vers 1930. Coll. A. Dagant.

Ci-contre : cette photo, réalisée par R. Willameen 2006, illustre le sigle de la société Baume &

Marpent, qui est toujours situé à l’entrée du« souterrain du chemin de fer » à la chaussée de

Redemont.

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Les deux conflits mondiaux mar-queront le déclin de la construc-tion ferroviaire en Belgique. Undéclin qui s’accentuera encoredans l’après-Seconde Guerremondiale. Les raisons de cet étatde fait sont multiples : les usinessont partiellement ou totalementdétruites ; les Américains, dontl’outil de production est intact,s’approprient les marchés interna-tionaux ; les pays en voie de déve-loppement, principaux clients desentreprises belges, s’industrialisentet produisent eux-mêmes ce dontils ont besoin. La situation est telledans notre pays après 1945 que leGouvernement belge commandedes locomotives au Canada5.

Restructurations et fusions ne per-mettront que de gagner du temps.Entre 1950 et 1965, les faillites etles fermetures se multiplient. Cesont des centaines de travailleursqui se retrouvent au chômage. Les« Forges, Usines et Fonderies »

fermeront en 1961 et la société« Germain-Anglo » cessera touteactivité en 19676. Les sites indus-triels, assainis, accueillentaujourd’hui deux hypermarchés.Seuls quelques vestiges témoi-gnent encore des activités indus-trielles passées7.

En 1985, il ne subsistait plus dansla région du Centre que deuxentreprises de construction ferro-viaire : les « Ateliers de Braine-le-Comte et du Thiriau réunis » et la« Brugeoise et Nivelles », implan-tée à Manage et à Familleureux.

Alain DEWIER,Ecomusée régional du Centre

Notes

1 Pistes de chemin de fer privées, évoluanten circuit fermé.2 Deux sociétés belges se partagèrent l’im-portante commande de rails : les« Usines Cockerill » à Seraing et les« Laminoirs Dupont » à Fayt-lez-Manage.3 La plupart des usines importantes possé-daient des ateliers de forge, d’ajustage, defonderie, de travail du bois, etc. Il n’étaitpas rare de voir des ouvriers spécialisésfabriquer leur propre outillage, afin derépondre au mieux au travail demandé.Les tourneurs et les forgerons étaientindispensables au bon fonctionnement deces sociétés.4 Le Centre, une région économique, hier,aujourd’hui, demain, p. 48-50, Haine-Saint-Pierre, C.H.A.I., 1979.5 Alain DEWIER, « La construction ferro-viaire : une industrie qui a fait connaître leCentre dans le monde entier », dans LaNouvelle Gazette, 4 novembre 1985.6 Maurice DENUIT, Raymond DEHAEN,Jules PARENT, Georges PLACE, LéonPLATENS, Arthur RENOIR, Paul SANDRA,Paul VANBELLINGEN et FranzVANDENDRIESSCHE, « Les Forges,Usines et Fonderies» (Goldschmid) »,dans Nos industries au passé, Haine-Saint-Pierre, Cercle d’Histoire et de FolkloreHenri Guillemin, 1981, p. 35-52.7 Quelques halls industriels, situés rue deLa Flache à La Louvière, sont les seulsvestiges immobiliers de la société« Germain Anglo ». Des « Forges,Usines et Fonderies », il ne reste plusqu’une haute cheminée trônant au milieud’un parking, sis chaussée de Redemont à

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Cette cheminée est tout ce qu’il subsisteaujourd’hui des « Forges, Usines et Fonderies »d’Haine-Saint-Pierre, qui fermèrent en 1961.Photo A. Dewier, 2000.

Haine-Saint-Pierre.

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Introduction

L’ankylostomiase, plus connuesous le nom d’ « anémie desmineurs », est une maladie quia provoqué de véritables rava-ges au sein des charbonnagesdu bassin de Liège au début duXXe siècle. L’étude de ce sujetpermet d’aborder les condi-tions de travail des mineursainsi que les solutions appor-tées, révélatrices de la pratiquemédicale. La recrudescence del’anémie des mineurs s’inscritdans un contexte d’améliora-tion de la sécurité et de l’hy-giène sur les lieux de travail quise matérialise par l’organisa-tion de congrès dans certainescapitales européennes, dontBruxelles.

Les premières manifestationsde l’ankylostomiase

L’ankylostomiase se caractérisepar des troubles gastro-intestinauxqui présentent des symptômesd’anémie. Cette affection s’expli-que par la prolifération de petitsvers fixés dans la muqueuse del’intestin grêle. Ces derniers sedéveloppent lorsque la tempéra-ture se situe entre 25 et 28°C,atmosphère qui règne souventdans les exploitations charbonniè-res. De plus, la maladie est conta-gieuse et sa durée d’incubationoscille entre 5 à 6 semaines.

Dès 1875, l’anémie des mineursréapparaît en Europe et atteint unstade critique à la fin du siècle1. Apartir de 1903, toutes les puissan-ces industrielles sont touchées.Ainsi, environ 15 % des ouvriersen sont victimes sur le territoireallemand tandis qu’en France, lechiffre atteint « seulement » 5 %2.En Belgique, plusieurs comitésd’études sont instaurés à la foisdans le Hainaut et à Liège qui subit

encore plus durement les domma-ges de l’ankylostomiase. Les diffé-rentes instances mettent en avantles causes du développement de lamaladie : prolifération des excré-ments dans les installations defonds et de surface, absence desanitaire, etc. À Liège, l’adminis-tration provinciale répartit entreles mineurs une somme de 62 257francs pour 42 677 journées dechômages causées par la maladie àraison d’une allocation de 1,50francs par jour3. Face à cette situa-tion, les responsables des diffé-rents charbonnages du bassin deLiège éditent une brochure à des-tination de la population ouvrièreen 18994. Le document, publié enfrançais et en néerlandais, énoncehuit instructions à respecter enmatière d’hygiène corporelle pouréviter les risques de contamina-tion. Le préambule de cet ouvrage,empreint d’une vision paternaliste,insiste longuement sur la nécessitéd’adopter ces conseils : « Ne peut-on pas se préserver de cette maladie sidangereuse ? Certainement, et c’est pour

vous dire comment vous devez faire pourl’éviter que Monsieur le Directeur-Gérant, qui a le plus grand soin de votresanté, vous fait remettre ce petit livre etvous engage à le lire avec attention, à lerelire de temps à temps, à vous le fairelire par vos enfants et surtout, à suivreles conseils qu’il vous donne »5.

Le traitement de la maladie

Le 7 août 1900, un arrêté ministé-riel est adopté afin d’instituer descomités d’enquête chargés de lut-ter contre l’ankylostomiase6. Pouréviter sa propagation, plusieursmesures sont prises dans le butd’empêcher que les ouvrierscontaminés côtoient leurs congé-nères. Tout comme en Allemagne,en France, en Angleterre, en Italieou en Autriche, un certificatconfirmant que l’ouvrier n’est pasporteur de la maladie est instauré àLiège. A partir de ce moment, lespersonnes qui désirent être enga-gées dans un charbonnage doiventarborer ce document.

D’importants moyens sont mis enœuvre à Liège pour traiter la mala-die. Ainsi, le professeur Malvoz7,aidé par son confrère Lambinet,conçoit une cure de 6 jours quivise à éliminer les parasites intes-tinaux. Le premier jour, un purga-tif drastique, composé d’huile dericin ou d’eau-de-vie allemande,est injecté aux patients. Le lende-main, deux doses d’extrait de fou-gère leur sont administrées à unedemi-heure d’intervalle. Ensuite,dans la même journée, ils reçoi-vent 200 grammes d’eau chloro-formée. Après 24 heures de repos,un nouveau purgatif drastique estingurgité. Le traitement du cin-quième jour est similaire à celui dela deuxième journée. Enfin, le der-nier jour, le malade sort en soirée.Toutefois, le patient est générale-ment obligé de suivre plusieurstraitements avant d’être guéri.

ÉTUDE : L'ANKYLOSTOMIASE

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Schéma de l’extrémité antérieure d’unankylostome adulte. (Tiré de : A.CALMETTE et M. BRETON – voir note n°2pour les détails.)

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Durant le second semestre 1903,1 273 analyses sont effectuées ausein du dispensaire8. Ce dernier estsubventionné par l’Union descharbonnages et par la Provincede Liège9.

Lors de cette cure, les médecinsessaient d’inculquer des notionsd’hygiène aux travailleurs en mon-trant aux patients des dessins oudes images représentant les œufs10.L’ouvrage de Calmette, directeurde l’Institut Pasteur de Lille, et deBreton, assistant au sein de cet ins-titution, est aussi intéressant11. Eneffet, avec leur publication, consa-crée au traitement de l’ankylosto-miase, les auteurs entendent sensi-biliser les ingénieurs à l’éducationhygiénique des masses ouvrières.Ils commencent leur chapitreconsacré à l’éducation de l’ouvrier-mineur par une description du per-

sonnel. Celle-ci est révélatrice dela manière dont la classe ouvrièreest perçue par la bourgeoisie fran-çaise, comme dans ce cas-ci, oubelge. La description débuteainsi : « Son travail ne l’occupant quehuit heures et demie par jour, et sonsalaire étant très élevé comparativementà celui des ouvriers d’industrie, il recher-che volontiers un certain confort, se nour-rit bien et se plaît à fréquenter les lieuxde réunion. Au sortir de la mine, versdeux heures, il est libre de son tempsjusqu’au lendemain matin. Bien que sademeure soit presque toujours propretteet gaie ; bien qu’il y dispose d’un jardi-net suffisant pour cultiver les légumesnécessaires à la consommation de sonménage, ses instincts de sociabilité lepoussent trop souvent à fréquenter l’esta-minet, où il reste jusqu’au soir, causant,jouant aux cartes et fumant des pipes.Sa boisson favorite est la bière, dont ilabsorbe de grandes quantités, et le geniè-

vre, qu’il ingurgite par petits verres plusou moins nombreux, aussi bien à jeunqu’après ses repas. Il reste peu chez lui,où la femme, rarement bonne ménagère,ne sait pas le retenir »12. Les mineursdont il s’agit ici travaillent pourune entreprise de type paternalisteen raison des avantages cités (jour-née de 8h30, logement, loisirs,etc.). Le descripteur, qui donnel’impression de s’intéresser à uneespèce animale, fait abstractiondes mineurs qui ne disposent pasde ces avantages. Ensuite, lesauteurs se centrent sur leursconnaissances en matière d’hy-giène : « Il [le mineur] ne possèdeaucune notion d’hygiène individuelle ousociale : il a quitté l’école trop tôt pourque les éléments de cette science, que lesinstituteurs se sont efforcés de lui incul-quer, aient laissé une trace durable dansson esprit »13. Pour Calmette etBreton, la faute n’est pas à imputer

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A gauche (B) : un ankylostome mâle.A droite (A) : un ankylostome femelle.(Tiré de : A. CALMETTE et M. BRETON.)

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aux sociétés charbonnières qui« rivalisent de zèle pour organiser,auprès de tous les grands charbonnages,des consultations de nourrissons, desgouttes de lait pour les jeunes enfants, desouvroirs pour les jeunes filles »14. Seloneux, la solution réside dans lerecrutement d’éducateurs quiseraient choisis « parmi ceux de sescamarades qui savent déjà prendre unecertaine influence sur lui »15.

Les mesures adoptées par lescharbonnages

Un arrêté royal est édicté le 4novembre 1904 pour combattrel’ankylostomiase dans les mines dela province de Liège. Le premierarticle de cette loi établit deuxcatégories de mine. La premièrecorrespond aux mines reconnuesinfectées tandis que la seconderegroupe les structures indemnes.Le cinquième article comprendune série de mesures à respecter.En surface, doivent être installéesdes latrines convenables, à raisond’au minimum une par vingt-cinqouvriers. Au fond, des baquetstransportables, à parois étanches,munis d’un couvercle permettantune fermeture hermétique et d’unréservoir contenant une poudredésodorisante seront implantés.Le dernier article définit une sériede mesures relatives à l’entretiendes latrines. Il est prévu que lamanutention, la vidange et le net-toyage de celles-ci soient assuréspar un service spécial. Les char-bonnages adoptent ces mesuresen installant des water-closets, desbains-douches, des vestiaires etdes lavoirs en surface ainsi que destinettes mobiles au fond de lamine.

A l’Exposition internationale deMilan, les installations sanitairesde la province de Liège sont prisesen exemple et présentées dans lasection d’hygiène du pavillon

belge16. Joseph Libert, inspecteurgénéral des mines à Liège, consa-cre une étude sur ce sujet qui per-met d’avoir une évaluation chif-frée concernant l’utilisation de cesinstallations. En 1906, 21 siègesd’exploitations possèdent des ins-tallations modernes de bains-dou-ches. Ces charbonnages emploient11 056 ouvriers de fond alors quel’ensemble des entreprises de cetype du bassin occupent 26 103personnes17. Selon Libert, 7 725ouvriers utilisent régulièrementces bains, ce qui représente 70 %du personnel intérieur des siègesqui en sont dotés et 29,6 % del’entièreté du personnel qui setrouve au fond dans le bassin18.Dès 1911, le traitement des houil-leurs atteints de la maladie est offi-ciellement à charge de l’em-ployeur19.

Conclusion

L’étude de l’ankylostomiase per-met de voir que la médecine estune discipline relativementrécente tout comme certaines pra-tiques en matière d’hygiène quiapparaissent aujourd’hui inté-grées. Dans le bassin de Liège,l’amélioration des installationssanitaires résulte indubitablementdu développement de cette mala-die. L’analyse permet égalementde voir, à travers les instrumentsde communication développés àcette occasion, le paternalismeprésent dans l’exploitation char-bonnière.

Guénaël VANDE VIJVER,Directeur scientifique de l’Institutd’histoire ouvrière économique et

sociale à Seraing

Notes

1 La maladie avait déjà frappé l’Europe audébut du XIXe siècle.2 A. CALMETTE et M. BRETON,L’ankylostomiase : maladie sociale (anémie desmineurs). Biologie, clinique, traitement, prophy-laxie, Paris, Masson, 1905, p. 13.3 Ibidem, p. 95.4 Quelques mots aux ouvriers mineurs surl’Ankylostomasie et sur les moyens de s’en préser-ver, Liège, Gustave Thiriart, 1899, 15 p.Cette brochure peut être consultée àl’Institut d’histoire ouvrière économiqueet sociale (IHOES).5 Ibidem, p. 4.6 C. GAIER, Huit siècles de houillerie liégeoise :histoire des hommes et du charbon à Liège,Liège, Editions du Perron, 1988, p. 183.7 Il s’illustre dans la région de Verviers encréant l’œuvre des tuberculeux et en ins-taurant un premier dispensaire. En 1903,un dispensaire situé à la rue desFranchimontois, baptisé « DispensaireErnest Malvoz », d’une capacité d’accueilnettement plus importante est installé. Cf.Oeuvre des tuberculeux : dispensaire E.Malvoz : 1901-1926, s.l., circa 1930. Cettebrochure peut être consultée à l’IHOES.8 A. CALMETTE et M. BRETON, op. cit.,p. 146.9 C. GAIER, op cit., p. 183.10 Ibidem, p. 148.11 A. CALMETTE et M. BRETON, op cit.12 Ibidem, p. 130.13 Ibidem, p. 132-133.14 Ibidem, p. 133.15 Ibidem, p. 135.16 Joseph LIBERT, Les installations sanitairesdes charbonnages et l’ankylostomiase dans lescharbonnages de la Province de Liège, extraitdes Annales des Mines de Belgique, t. XV,Bruxelles, Imprimerie Lucien Narvisse,1910, p. 1. Cette brochure peut êtreconsultée à l’IHOES.17 Ibidem.18 Ibidem, p. 2.19 C. GAIER, op cit., p. 184.

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La gare du Midi est sans doutela plus importante de Belgique.Située au sud-ouest du penta-gone bruxellois, elle estconstruite en 1840 à l’intérieurdes remparts de la capitale àfront de la place Rouppe. Elleprend en 1952 sa troisièmeapparence et connaît depuisson emplacement originel unrecul de plus en plus importantvers Forest. Sa fonction et lesymbole qu’elle représentedans la ville évoluent au fil dutemps. Les gares favorisentl’essor économique des villes etdéclenchent, en l’occurrence,des opérations urbanistiques

d’envergure. Autour de chaqueédifice un quartier typique sedéveloppe avec l’implantationd’activités industrielles et com-merciales (hôtels, cafés, entre-prises…), l’apparition d’infra-structures et services mis àdisposition des voyageurs, laconstruction d’un réseau detransports collectifs, le perce-ment de places et de rues...Aujourd’hui le quartier de lagare du Midi ne se départit pasd’une image négative. La gareest néanmoins à l’origine dudéveloppement de cette partiede la région bruxelloise.

La naissance du réseauferroviaire

Suite au péage imposé par lesHollandais à l’embouchure del’Escaut, le jeune gouvernementbelge propose dès 1832 la réalisa-tion d’un réseau ferroviaire. Lesautorités se lancent dans un vasteprogramme de construction devoies ferrées reliant les grandesvilles du pays selon un tracé encroix, du nord au sud et d’est enouest. La loi établissant le cheminde fer belge est votée le 1er mai1834. Le premier train du conti-nent européen part en 1835 del’Allée Verte, unique gare deBruxelles, à destination de Malinesau cœur du réseau jusqu’en 1856.D’autres lignes seront mises enplace rapidement2. Celle reliantBruxelles à Tubize via Hal estinaugurée en 1840 en même tempsque la première « gare du Midi »,appelée station des Bogards, dunom du couvent situé dans l’ac-tuelle rue du Midi. Cette voie versle sud avait pour objectifs d’ap-provisionner Bruxelles et d’assu-rer le commerce avec la France, lesrégions hennuyère et boraine.

ÉTUDE : LA GARE DU MIDI À BRUXELLES (1840-1952)1

UN ENJEU URBANISTIQUE ET ÉCONOMIQUE

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Les gares bruxelloises : 1. Allée verte(1835) 2. Gare du Nord (1846) 3. Stationdes Bogards (1840) 4. Gare du Midi(1869) 5. Gare du Midi (1952) 6. Gare duNord (1952).

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La première gare centrale : lastation des Bogards

Dès 1836, la Ville de Bruxellesdont les caisses s’amenuisentréclame une gare intérieure dans lebut de retenir le commerce et lesvoyageurs en son sein et derecueillir des revenus significatifs.La capitale craint le développe-ment des faubourgs. « Si Bruxellesn’obtient pas une station dans sonenceinte, il est certain que bientôt denombreuses et brillantes auberges s’érige-ront au dehors et retiendront au granddétriment de celles de la Ville les voya-geurs arrivant du Hainaut. »3

L’implantation de la station desBogards suscite des débats animéstant au niveau local que national.Les villes de la région houillère duHainaut appuient également lesprétentions bruxelloises puisque lagare permettrait d’acheminer leursmarchandises directement dans lecentre de la capitale. Bruxellesprofite de l’existence de prairies etde champs servant à l’étendagedes longs draps des blanchisserieset des imprimeries d’indiennes (leGrand Chassis, le Petit Jésus, laPierre bleue, la Longue allée et lesindienneries de F. Basse) au sud-est des rives de la Senne. Unepériode importante de spéculationdébutera dès l’annonce d’unedeuxième gare bruxelloise. Leconseil communal de Bruxellesnégocie le prix des terrains néces-saires à l’érection de la station avecles principaux propriétaires, àsavoir les Hospices de la ville deBruxelles (en d’autres termes l’as-sistance publique), la comtesse deGrunne, Frédéric Basse etSéraphin Fortin. Des conventionsà l’amiable sont signées dans l’es-poir d’une plus-value foncière. Eneffet, l’action des propriétairesfonciers est souvent à l’origine dutracé des voies de communica-tion4. Le 23 mai 1838 la cessiondes propriétés pour cause d’utilitépublique est néanmoins décrétée.

La station des Bogards est ouverteen mai 1840. Le coût total des tra-vaux dépasse, comme dans le casde bien d’autres chantiers, le mon-tant annoncé dans les premiersdébats politiques. La gare n’estalors qu’un simple bâtiment enbois à un étage agrémenté de deuxailes latérales réservées aux diffé-rents services. S’y adjoindra par lasuite une « avant-station », uneremise pour locomotives, un ate-lier de menuiserie, un atelier deréparation et une remise pour voi-ture près du boulevard du Midi.L’urbanisation du quartier, projetconnexe à celui de station inté-rieure, se poursuit au-delà de soninauguration. En effet, la gare nesemble qu’un prétexte pour assai-nir cette partie de la ville et latransformer au goût des édilescommunaux. La jeune Belgiquesouhaite montrer aux puissancesétrangères combien la nation estmoderne et « viable » à travers sacapitale et son économie floris-sante. Cette idée symbolique de« Bruxelles-vitrine » s’accentueradans la seconde moitié du XIXe

siècle avec, par exemple, les grandstravaux du voûtement de laSenne5. Le chemin de fer bénéficieà l’époque d’une totale confianceen ses bienfaits : « (…) devant le che-min de fer, les impasses s’effacent, lespetites rues font place à de grandes, lechemin de fer vivifie tout, renouvelle toutsur son passage, de belles rues se créeront(….) »6. La cité médiévale éclatesous la pression de la ville indus-trielle. La mise en voirie autour dela station est assez extraordinaire.Certains travaux d’aménagementrésultent parfois d’une initiativeprivée. Citons le cas du percementde la rue Basse. Par ailleurs, leconseil communal oblige cesentrepreneurs à respecter de nom-breuses consignes : entre autres lalargeur de la voirie et des trottoirs,l’agencement des rues, l’embran-chement aux égouts ou l’utilisa-tion des pavés de Quenast et de la

pierre bleue. Le souhait de paveret d’éclairer les rues aux alentoursde la station nous prouve à nou-veau leur intérêt pour l’assainisse-ment, l’ « hygiénisation » et lamodernité de la capitale. Le 30juillet 1841, le conseil communalarrête la dénomination des nou-velles artères : les rues Basse,Sallaert, rues du Chasseur et duMidi, rue Van Helmont, ruePhilippe de Champagne, rueRouppe, l’embryon de la futureavenue de Stalingrad et la PlaceRouppe sont toutes percées à cetteépoque. Petit à petit, le quartiervoit s’élever de nombreuses bâtis-ses. Parallèlement, des affichesannoncent la vente de terrains àbâtir. Les anciennes rues sontfrappées d’un plan d’alignementimposé aux riverains. En outre, unarrêté royal prévoit une largeur de5 m aux maisons à construire auxabords de la station. La Villedésire, pour les nouvellesconstructions dont les autorisa-tions lui sont demandées, un style« élégant et tout à fait régulier »7. Lerèglement sur les trottoirs de 1846impose également à tout proprié-taire de réaliser celui-ci le long deson bien. Le trottoir devient alorsun nouvel espace de la voirie,réservé aux piétons. La Ville s’ap-puie ostensiblement sur les exem-ples de Paris et de Londres, capita-les où l’on donnerait, paraît-il,« toute la largeur possible à la partiedestinée à la circulation pédestre »8. Lavoirie n’est plus un prolongementde l’intérieur des bâtiments maisdevient une véritable infrastruc-ture de circulation. La rue se videde ses anciennes activités9. Lesaccès à la station et la circulationdes marchandises et des « vigilan-tes » transportant les voyageursconditionnent l’essentiel des amé-nagements entrepris par la Ville.L’ensemble de ces mesures témoi-gne d’une volonté d’uniformiser lecaractère des voiries et des façadesmais également d’attirer une nou-

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velle population sur laquelle laVille pourrait percevoir des reve-nus. La régularité, principe issu duXVIIIe siècle, est la norme d’appli-cation des villes nouvelles.

Suite à l’édification de la station età la densification de l’habitat, lesblanchisseries se déplacent enpériphérie ou disparaissent com-plètement. En 1845, 47 personnespayent patente aux alentours de lastation10. Cet impôt frappe toutepersonne exerçant un commerce,une profession, un métier ou un

art quelconque. En 1865, leurnombre double. La plupart de cespatentables sont des artisans :boulangers, cordonniers, bottiers,menuisiers, charpentiers ou bou-chers. Les petites industries locali-sées autour de la station sont doncessentiellement spécialisées dansl’alimentation, la construction et laconfection. Elles sont destinées àsubvenir aux besoins élémentairesd’une population ouvrière. Lesboutiquiers présents dans le quar-tier vendent au détail. Il est vraique ce type de commerce resteraen forte hausse à Bruxelles duranttout le XIXe siècle. Les patentablesrestent de petits patrons : les plusreprésentés appartiennent à lacatégorie des entreprises de quel-

ques employés. Cependant l’im-primerie Talloix, située rue de laFontaine, fait exception : elleemploie 20 ouvriers en 1854. 11patentes sur 71 sont payées pourexercer le métier de trafiquant,négociant ou commissionnaire enmarchandises : il s’agit d’une caté-gorie de commerçant chargé derecevoir des « marchandises del’étranger ou des colonies par terre, eau »ou par chemin de fer en l’occur-rence. N’oublions pas que dès1842 le chemin de fer relie laBelgique à la France.

Les débits de boissons et les caba-retiers se concentrent à proximitéde l’arrivée des voyageurs : rue duMidi, rue du Chasseur et placeRouppe évidemment. Ceux-cis’adressent à une clientèle popu-laire. Enfin, et très curieusement,le secteur hôtelier se développe àpeine aux alentours de la stationalors que les hôtels établissentgénéralement un lien très étroitavec ce type d’infrastructure. Laprésence de la station influencenéanmoins l’emplacement de ceshôtels. Ils ne sont pas là parhasard. De plus le développementde ces établissements nous rensei-gne sur l’importance et la prospé-rité du quartier des Bogards. Seulsquatre hôtels dont les noms illus-

trent la présence de la ligne de che-min de fer accueillent les voya-geurs et ne possèdent pas plus de10 chambres. Ils se maintiennentaprès la disparition de la station.La gare crée une demande demain-d’œuvre importante quis’installe dans son entourage. Deplus, de nouveaux emplois appa-raissent suite à l’édification de lastation et à la disparition desanciennes messageries : employéau guichet, employé des Postes,des Télégraphes, préposé desdouanes, ouvrier dans les ateliers

de construction ou de réparationdes locomotives, agent de l’octroi,garde-convoi, machiniste, chef destation, etc.

De la station des Bogards à lapremière gare du Midi

Jusqu’au déplacement effectif dela gare au-delà des boulevards deceinture en 1869, les habitants desBogards protestent contre le man-que d’initiatives de la Ville pouraméliorer la circulation et l’aména-gement du quartier. Les déborde-ments de la Senne entraînent unamoncellement de boue dans lesrues de la partie basse de la ville.La sécurité et l’accueil des voya-geurs constituent d’autres argu-

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La station des Bogards,1845 – A l’arrière-plan, la

station et la place Rouppe.A l’avant-plan, à gauche, la

Senne. (CollectionS.N.C.B.)

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ments prônés par les riverains.Dès l’ouverture de la station, undécalage se forme entre les ambi-tions politiques et la situationréelle du quartier. La station nerencontre pas les espérances(financières) de la Ville qui occultetotalement les doléances des habi-tants. La production et le profitdeviennent une manière d’exercerle pouvoir. Bruxelles oscille entrefermeture et ouverture de la villepuisque la destruction des rem-parts débute dès 1819. Pourtantl’octroi est maintenu aux différen-tes portes et à la station. De mêmeles fossés d’enceinte mais égale-ment les voies du chemin de ferrestent des entraves à la circulationdes habitants dans et vers la ville.Par ces mesures limitant sonextension, la capitale tente de rete-nir ses habitants au détriment desfaubourgs qui se développent.Implantée dans un territoire tota-lement hermétique, la stationdevient alors une nouvelle entréede Bruxelles.

En pratique, les six voies de la sta-tion se révèlent tout à faite insuffi-santes pour absorber le flux crois-sant des voyageurs et desmarchandises. Outre l’agrandisse-ment de la gare, son déplacementpermettrait de remodeler le bas dela capitale subissant les inonda-tions de la Senne. L’HygiènePublique dans laquelle nous trou-vons les prémisses de l’urbanismecritique les rues sinueuses, lesimpasses et les taudis des ouvriers.Antoine Ducpétiaux, inspecteurdes prisons et des établissementsde bienfaisance et précurseursocial, propose dès 1847 le dépla-cement de la gare au dehors de laville. Cette première transforma-tion s’inscrit dans un contexte pluslarge : les projets du voûtementde la Senne d’une part et ceux dela jonction Nord – Midi d’autrepart. Rappelons que la ligne de

chemin de fer ne traverse pasBruxelles. Une simple voie reliaitles deux gares par les boulevardsextérieurs au niveau de la voirie.Suite aux accidents répétés ren-contrés sur cette voie, de nom-breux projets de jonction directeet de réaménagements des garesbruxelloises sont déposés à partirde 1855 au conseil communal deBruxelles11. Arrêtons-nous sur l’und’eux. François Wellens, inspec-teur des Ponts et Chaussées atta-ché au Ministère des Travauxpublics, maintient dans son projetde 1858 la station des Bogards àson emplacement actuel. Elle estconstruite sur la Senne qu’il pro-pose de voûter. La jonction duMidi au Nord est alors intégrée aucentre d’un nouveau boulevard.Victor Besme, célèbre inspecteurvoyer des faubourgs, se charge dedessiner le bâtiment des recettesde style néo-classique coupé enson centre par un portique monu-mental12. Cette façade rappellecelle qui sera effectivementconstruite en 1869.

Les habitants des Bogards inter-viennent également dans lesdébats par le biais d’une associa-tion se positionnant pour le dépla-cement de la gare du Midi etcontre l’établissement d’une garecentrale. Son président, le généralWissinger, une figure emblémati-que du quartier des Bogards quiprend part à de nombreuses péti-tions d’ordre urbanistique, met enavant les « conditionshygiéniques » déplorables duquartier. Contrairement à ce que

l’on pourrait supposer, aucuncommerce ne réclame le maintiende la station. Quant à la Ville deBruxelles, elle conditionne letransfert de la gare dans le fau-bourg de Saint-Gilles à l’obtentiond’une gare au centre de Bruxelles– ce qu’elle ne remportera qu’ausiècle suivant. Le développementdes faubourgs et la perte de recet-tes renforcée par l’abolition del’octroi en 1860 inquiètent la capi-tale. Elle se laisse pourtant tenterpar l’embellissement espéré grâceà l’assainissement et au voûtementde la Senne, « ce réceptacle d’im-mondices ». L’idéal bourgeois serenforce et adopte l’échiquier et laligne droite dans les plans de ville.Une commission constituée le 15février 1860 par Joseph Partoes(1811-1858), ministre des Travauxpublics, statue définitivement surle sort de la station des Bogards.Cette commission présidée par lebourgmestre de Bruxelles, CharlesDe Brouckère, rend finalement unavis favorable au déplacement dela station et à la réalisation d’unejonction extérieure à traversMolenbeek et Anderlecht. Sonrapport sera approuvé au conseilcommunal par 21 voix contre 613.Jules Anspach, échevin pour troisannées encore avant d’accéder aumayorat, ne renoncera à son rêvede station intérieure qu’en 1865lorsque il adoptera à contre-cœurle projet de voûtement de la Sennede l’architecte Léon Suys.

La Ville de Bruxelles prévoit cer-tains aménagements pour le terri-toire de l’ancienne station desBogards : l’ouverture d’une largeavenue bordée d’arbres de la placeRouppe au boulevard du Midi, larégularisation de la place et le pro-longement de plusieurs rues versles futurs boulevards du centre. Ladisparition de la station sembleaussi importante, si pas plus, quesa création. En effet, le véritable

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Façade de la nouvelle station projetée versla place Rouppe. (Archives de la Ville deBruxelles (A.V.B.), Plan portefeuille,n°446, 1858.)

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embellissement du quartier se réa-lise après son déplacement, ce quiconforte l’idée que les politiquesurbanistes du XIXe siècle se réali-sent rarement à court terme.Après nombre de palabres et decommissions inutiles succédantles unes aux autres, l’arrêté royaldu 4 mars 1861 décrète enfin l’ex-propriation pour cause d’utilitépublique des emprises nécessairesà la construction de la nouvellegare du Midi dans le faubourg deSaint-Gilles14.

La gare se trouve au centre d’undébat politique important attisépar la capitale. Bruxelles ne cesserade demander l’annexion partielleou même totale des faubourgs.Elle se sent lésée puisque cettepopulation profite des services dela capitale mais ne les finance pas.Le discours de Bruxelles nechange guère depuis les premièresannées de l’indépendance. Saint-Gilles refusera de se voir enleverune telle source de revenus. « Lacommune de Saint-Gilles ne demandepas l’annexion ; elle ne demande rien ;elle a dit à Bruxelles : si vous voulez mecouper les pieds et la tête : le quartierLouise et le quartier de la station, alorsjetez-moi toute entière dans le gouffre ;ce n’est pas ce qui s’appelle demanderl’annexion »15. Seuls le quartierLouise et le Bois de la Cambreseront annexés à Bruxelles en1864.

L’haussmannisation duquartier du Midi

Victor Besme propose un pland’ensemble pour la nouvelle« Cité du Midi ». De 1860 à 1903,aucun travail de voirie, d’embellis-sement ou d’assainissement ne sefera sans l’intervention de Besme.Il est à l’origine des plans du parcde Saint-Gilles/Forest, de l’avenuede Tervueren, des boulevards deceinture et des arcades duCinquantenaire. Le plan de Besmeprévoit une place aménagée departerres à la française et de fon-taines et deux rues latérales (l’ave-nue Fonsny et la rue de France).De nombreux percements endamier seront réalisés sur les terri-toires de Saint-Gilles etd’Anderlecht. Besme propose éga-lement de relier la nouvelle gare etle canal de Charleroi par la rue deFiennes et le boulevard Jamar. Sonobjectif est de « relier les différentspoints importants en communication,relier la ville avec cette partie des fau-bourgs et utiliser ou compléter les ruesdéjà ouvertes »16. Les rues auxabords de la gare rejoindront lecentre des communes. Dans ladeuxième moitié du siècle, la gareest l’un des monuments essentielsde la cité industrielle. De la gare,on pénètre dans la ville. Elledevient le point de mire, l’avenueou le boulevard y conduisent toutdroit. Bruxelles s’inspire de lacapitale française qui subit lesidées de George EugèneHausmann, préfet depuis 1853.Celui-ci écrit : « Dégager les grandsédifices (…) de façon à leur donner unaspect plus agréable à l’œil (…) et unedéfense plus aisée dans les jours d’émeu-tes (…). Assurer la tranquillité publi-que par la création de grands boulevardsqui laisseraient circuler non seulement

l’air et la lumière, mais les troupes et,par une ingénieuse combinaison, ren-draient le peuple mieux portant et moinsdisposé à la révolte »17. L’haussman-nisation des villes impose – éco-nomie oblige – une profusion debelles façades comme celle de lagare du Midi. On la doit à l’archi-tecte-ingénieur Auguste Payen auservice de l’Administration deschemins de fer depuis 1841. Il réa-lise également la place de laConstitution devant la gare,l’Observatoire, la plupart desaubettes de l’octroi, les abattoirsd’Anderlecht et plusieurs maisonsparticulières. Par son architecture,la gare permet de « doter Bruxellesd’une entrée monumentale et de donnerune nouvelle vie à un quartier où se trou-vaient encore des terrains vagues ». Eneffet, l’expropriation publiquen’engendre pas de grosses migra-tions de population puisque lagare profite de terrains non encorebâtis. Quelques sociétés privéesinterviennent dans l’aménage-ment du quartier et génèrent desbénéfices importants : il s’agit dela Compagnie immobilière deBelgique, responsable du perce-ment de la rue d’Argonne et del’avenue Clemenceau, de la Sociétéimmobilière du Midi et de laSociété immobilière de Cureghemchargée de sortir Anderlecht deson isolement.

Le regard de l’autre est détermi-nant pour les élus du royaume. LaBelgique s’est efforcée de marquerl’esprit des visiteurs. Les grandstravaux du XIXe siècle accentuentl’idée d’une capitale grandiose à lapointe du progrès. La construc-tion de la gare n’échappe pas àcette perspective. La gare du Midiprésente une architecture monu-mentale néo-classique. Elle com-porte trois bâtiments disposés en« U » autour d’une halle métalli-que abritant les voies. La façade

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Projet de translation de la station du Midi surle territoire de Saint-Gilles. (A.V.B., Plan por-tefeuille, n°451, vers 1860.)

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principale est coupée par un porti-que d’entrée et des pavillons auxangles. Ce portique sous lequel lesvoyageurs passent nécessairementprend la forme d’un arc de triom-phe romain abondamment décoréde motifs végétaux, de bas-reliefset de statues, réalisées par Ducaju,représentant les chemins de fer,les canaux, la poste et le télégra-phe. Enfin, un quadrige ailé,dominant le portique, exprime larapidité des moyens de communi-cation. Le but recherché tant parles autorités gouvernementalesque locales semble évident au tra-vers de la gare du Midi : l’arc detriomphe apparaît comme le sym-bole du « triomphe de la technique surle temps et la distance ». La gare duMidi et celle du Nord (érigée vers1846 à la place Rogier) acquièrentdéfinitivement le rôle de portes dela ville.

Le développement du quartier

Saint-Gilles voit apparaître unnouveau pôle de développement àl’ouest de son territoire.Auparavant le quartier était essen-tiellement habité par des ouvrierset des cultivateurs. Des prairies,

des terrains vierges et des blan-chisseries constituaient le paysagede l’époque. Rapidement, l’indus-trialisation va laisser ses marquesdans le faubourg. En 1870, soitune année après l’inauguration dela gare du Midi, la voirie est établiedans ses grandes lignes. Le conseilcommunal de Saint-Gilles décrèteentre 1862 et 1864 l’ouverture dequelques quarante-trois rues nou-velles. L’implantation de la gare duMidi va donner l’aspect commer-cial lié à un important trafic devoyageurs. Certains hôtels, cafés etrestaurants profiteront de l’aspectfavorable qu’offre la place de laConstitution, notamment l’hôtelde l’Espérance tenu par les frèresAntognoli, figures de proue dusecteur hôtelier bruxellois. La plu-part des établissements situés dansles rues latérales sont de qualitéplus modeste. L’image du quartierrestera négative durant tout le XXe

siècle : « A côté de cet étalage du vicesur la voie publique, ce quartier a le tristeavantage de posséder une multitude decafés-hôtels, bars et autres maisons lou-ches, où la prostitution est plus dange-reuse parce que moins ou noncontrôlée »18. La confection et l’im-primerie-lithographie s’imposent

comme deux domaines spécifi-ques du quartier du Midi. Le nom-bre de fabricants de chaussures estpar ailleurs très impressionnant. Ala rue de Russie s’installe l’une desplus grandes usines du quartier :la Grande Distillerie Belge dirigéepar L.D. Bouteille. Il est intéres-sant de noter que les réclames deces petites ou moyennes entrepri-ses précisent toujours leur situa-tion en figurant la notion« Bruxelles-Midi ». Par la suite, denombreux ateliers de carrosserieet de construction ainsi que dessociétés de transport de marchan-dises ou des sociétés de tramwaysvont s’implanter à proximité de lagare. Citons par exemple l’atelierde carrosserie de Joseph Mettewieétabli rue de France et celui de G.Schaeys rue Coenraets. Dans l’en-tre-deux-guerres et après laSeconde Guerre mondiale, d’au-tres activités se concentrerontdans le quartier. Le domaine de laconfection est supplanté par celuide la construction mécanique. Sicertains se développent en grandeusine, la majorité de la professionest composée de petits ateliers.

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La gare du Midi. (CollectionS.N.C.B.)

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La gare de la jonction

En 1900 la gare terminus du Midiarrive déjà à saturation malgré ledéplacement du service de mar-chandises à la Petite-île. On passede 43 millions de voyageurs sur leslignes de chemin de fer en 1880 à123 millions en 1900. Les projetsde jonction directe par la villeentre les gares du Nord et du Midireprennent de plus belle.Finalement le tracé de FrédéricBruneel est adopté au début dusiècle. Il prévoit une jonctiondirecte et le relèvement des deuxgares, ce qui permettrait de sup-primer les passages à niveau etassurerait le maintien des gares àleur emplacement actuel au béné-fice des commerçants du quartier.La surélévation des voies favorise-rait la communication entre lescommunes d’Anderlecht et deSaint-Gilles, principal sujet de dis-corde entre les habitants et les éluslocaux19.

Le dégagement des voies et destrottoirs absorbe l’attention desautorités locales. Ainsi Saint-Gillestransforme la place de laConstitution en une vaste surfacedégagée comme la place de la garedu Nord, qui faciliterait la circula-tion des piétons. Les petits parter-res qui décorent la place sont sup-primés. Dans le même ordre laSenne préoccupe les autorités deSaint-Gilles et d’Anderlecht carelle pose des problèmes d’inonda-tions et entrave l’expansionurbaine, la circulation et surtoutl’extension de la gare.

Saint-Gilles s’oppose au projet deBruneel jusqu’à la signature d’uneconvention avec l’Etat en 1910signifiant l’accord de la commune.Elle craint que la jonction nedéplace une partie du commerceet des activités existantes en latransformant en une gare de pas-

sage. Elle refuse également la cou-pure de la place de la Constitutionpar un viaduc en maçonnerie. « Leviaduc » déclare Saint-Gilles « seraaussi beau que possible, aussi orné qu’onvoudra, ce sera toujours un rempart quidéparera complètement la place de laConstitution et qui aura pour consé-quences une moins-value considérable despropriétés et la ruine de nombreux conci-toyens »20. La commune s’allie avecSaint-Josse qui connaît les mêmesavatars au Nord de Bruxelles.Elles organisent de grandes réu-nions auxquelles assistent égale-ment des représentants des diffé-rents quartiers menacéss’associant sous le nom de Cercle duquartier du Midi ou de la Ligue desintérêts du Bas Saint-Gilles. Le projetdu gouvernement « s’attaque »,selon eux, à « des quartiers vivantset il en fait des quartiers morts »21. Onsacrifie l’animation du quartier auprofit d’une jonction censée êtreindispensable au réseau ferro-viaire.

Les travaux du viaduc qui relie lagare du Midi et la place de laChapelle débutent en 1911 et lespremières travées du viaduc de laplace de la Constitution sontposées à la veille de la PremièreGuerre mondiale. Après la guerre,les travaux tardent à s’activer. Lajonction n’est pas la priorité.Certains en profitent pour faireabandonner le projet. Le chantierà la gare du Midi stagnera pendantune vingtaine d’années. Le viaducs’arrête brusquement au niveau dela rue de Prusse (rue d’Argonne)face à la gare. Estimé à 56 millions

au début du siècle, le coût des tra-vaux de la jonction et des expro-priations s’élève vers 1927 à prèsde 88 millions de francs. L’utilitéde la gare centrale et de la jonctionest mise en doute. Saint-Gillesenvoie une série de lettres de pro-testation au gouvernement etdébat longuement au conseil com-munal. Elle réclame la destructionpure et simple du viaduc.Finalement le gouvernement metsur pied en 1935 l’Office nationalpour l’achèvement de la jonction Nord-Midi (O.N.J.). Le projet de jonc-tion renaît dans un contexte decrise économique mondiale : lajonction servira à résorber le chô-mage. La Société Nationale desChemins de fer (S.N.C.B.) créée en1926 se charge d’étudier au seind’une commission les projetsd’agrandissement ou de créationd’une nouvelle gare du Midi tandisque l’O.N.J. s’occupe des travauxde la jonction elle-même22.

La Société Nationale ouvre unconcours d’architecture pour lebâtiment de la gare en juillet 1936.Le jury de ce concours est com-posé du ministre des Transports,Paul-Henri Spaak ; de Waucquez,vice-président de l’O.N.J. ; d’unmembre de la Conférence desBourgmestres du GrandBruxelles, censé représenté lesélus et les habitants de Saint-Gilles ; des représentants del’O.N.J. et de la SNCB ; de quel-ques architectes ; d’un seul délé-gué de la Société belge des urba-nistes et architectes modernistesde Belgique, Victor Bourgeois

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L’hôtel de l’Espérance vers 1910.(SCHELER E., À travers Bruxelles et

ses environs, 1910, p. 5.)

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(1897-1962) ; d’ingénieurs et d’unmembre de la commission royaledes monuments et des sites,Victor Horta. En bref, un jurymajoritairement composé d’ingé-nieurs et d’administrateurs. Une« grande liberté » est laissée auxparticipants. Toutefois « la concep-tion et le caractère de l’édifice doivent êtreessentiellement utilitaires, appropriés àsa destination, sans exclure un certaincaractère monumental, en rapport avecson importance ; facilité et confort desvoyageurs, installations rationnelles ethygiéniques pour le personnel »23. Lefonctionnalisme, nouveau « cou-rant de pensée et d’architecture »,s’impose de plus en plus. La ratio-nalité et la morale guident les déci-sions des élus. Il faut faire régnerl’ordre dans la ville, tant au niveaude la circulation des véhicules etdes piétons qu’au niveau de lasécurité. Ces principes transpa-raissent dans l’architecture desnouvelles gares : uniformité,modernité, indifférence au lieu etau public. La ville doit s’adapter àla modernité et au progrès que lesélus ressentent comme une fata-lité24. L’aspect esthétique de l’ar-chitecture semble secondaire parrapport aux facilités de circulationet à l’utilité des bâtiments. Parmiles dix-sept projets déposés, deuxsont retenus au terme de ladeuxième épreuve : celui deFernand Petit et d’Adrien et YvanBlomme qui retravaillerontensemble pour la conception défi-nitive. Le projet de la familleBlomme présente un certain nom-bre d’avantages aux yeux de la

S.N.C.B. : un vaste hall d’entrée, lapossibilité d’aménager des sallesd’attente et des restaurants et laconcentration des services desbagages au départ et à l’arrivéepour éviter la foule. Pourtant laS.N.C.B. apportera quelquesmodifications lors des travaux. Lavaste rotonde prévue initialementest remplacée par une tour de40 m formant l’angle côté rue deFrance.

L’ancienne gare du Midi est misehors service le 1er avril 1949. Sadémolition entière est prévue finde l’année. Certaines voix s’élè-vent pour conserver ce patrimoinearchitectural du XIXe sièclenotamment le portique de la gare.Mais peine perdue, l’édifice estdestiné à être détruit par cescontemporains. En 1950 dix-septvoies sont relevées en gare haute.La plupart des travaux serontachevés pour l’inauguration de lajonction le 4 octobre 1952. Lesabords subissent un profondremaniement. Les mouvements defoule massifs doivent êtreconduits avec « ordre etméthode ». Pour ce faire, unecommission de l’urbanisme estcréée à l’initiative du Ministère desCommunications.

La majeure partie des locaux setrouve sous voies, ce qui donneune impression d’absence de bâti-ment de gare. Seules les deuxentrées, rue de France et avenueFonsny, constituent l’aspect archi-tectural de l’ensemble. Ces deux

entrées semblent préfigurer la villeen réseau et contribuent au lienSaint-Gilles/Anderlecht. La déco-ration paraît négligée mais com-bine trois styles : la mise en valeurde la structure métallique ; lemodernisme où le décor est lastructure elle-même et l’art décocomme le restaurant de la gare entémoigne. Au contraire de lagrande gare à verrière du XIXe siè-cle où la lumière entre à flots, cettegare se caractérise par des pla-fonds très bas et la nécessitéd’éclairer artificiellement jour etnuit. La gare n’est plus vraimentune entrée à forte valeur symboli-que mais un édifice utile qui, parles services proposés aux voya-geurs et par ses installations, doittransmettre une impression demodernité aux étrangers : les esca-lators pour accéder aux quais, lechauffage prévu dans tous leslocaux, l’éclairage artificiel ou la« pieuvre », machine permettantle triage des colis postaux, etc.

Conclusions

L’étude des trois gares du Midimet en évidence un changementde statut de la gare au fil du temps.La volonté politique et les nécessi-tés économiques l’expliquent engrande partie. La première stationest construite à la hâte pourrépondre à la demande des voya-geurs et des industriels du Hainautet, par la suite, de France. Cettestation des Bogards préfigure enbien des points les chantiers ulté-rieurs de Bruxelles. On observe icil’impact de l’industrialisation dansses aspects négatifs : insalubritédes logements, augmentation desimpasses, etc. Il faudra attendre ladeuxième gare du Midi pourqu’elle reflète la place importanteque tiennent les chemins de ferdans le développement économi-

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Projet de Adrien et Yvan Blomme. Deuxième épreuve. Façade rue deFrance. (L’Emulation, n°1, 1838, p. 5.)

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que du pays et dans l’imagerie de lapopulation. L’intention des élusest alors très claire : la monumen-talité. La ville est une véritablemise en scène. Les perspectivesjouent également un rôle impor-tant dans cette conception. Lagare devient une porte symboliqueet réelle de la ville. Nous pouvonsaffirmer que le tissu urbain de lapartie occidentale de Saint-Gillesdoit son existence à l’apparition dela gare sur son territoire, laquellesuscite un développement impor-tant des transports collectifs. Enoutre l’attention accordée à la cir-culation – de tout ordre – s’accen-tue au XXe siècle. L’apparition del’automobile et la concurrencecroissante des transports urbainsnécessitent pour l’Administrationdes chemins de fer ou pour laS.N.C.B. de nouveaux aménage-ments plus performants : la jonc-tion Nord-Midi. La troisième garedoit permettre une rentabilitémaximum. D’après les décideurspolitiques et les ingénieurs, troiscritères déterminent les travaux detransformation : le grand nombre,la rapidité et la sécurité. La gare deBlomme perd alors sa valeur sym-bolique, ce n’est ni un monument,ni une porte de la ville. Elledevient un édifice purement fonc-tionnel. La gare entraîne dans saperte les espaces publics qui luisont liés. Pour conclure, emprun-tons les paroles de SergeJaumain : « On a pensé à ceux quipassaient à Bruxelles oubliant ceux quiy vivaient »25.

Finalement, quel que soit sonemplacement, la gare du Midi cris-tallise les différentes tensions poli-tiques et reflète admirablementbien les conceptions urbanistiqueset architecturales du moment. Elleest au cœur de disputes politiquesimportantes entre la capitale et lesfaubourgs mais aussi entre les fau-bourgs eux-mêmes. A cela vient

s’ajouter un enjeu économiquefondamental puisque la gare pro-voque une industrialisation duquartier mais est aussi la résultantede cette industrialisation. L’impactde la gare du Midi à Bruxelless’opère, à notre sens de manièrebrutale, par le percement de nou-velles artères et de « place de che-min de fer ». Du reste en 1952 laplace de la Constitution perdra cerôle qui la lie à la gare. Qu’elle soitéconomique ou urbaine la partici-pation de la gare du Midi dans ledéveloppement du sud de larégion bruxelloise est indéniable.

Catherine Meyfroid,Licenciée en Histoire,

Documentaliste et assistante àl’Institut supérieur d’urbanisme et

de rénovation urbaine

Notes

1 Cet article est tiré du mémoire de l’auteur :MEYFROID C., La Gare du Midi à Bruxelles(1840-1952). Histoire et Influences, Mémoire pré-senté sous la direction de S. Jaumain en vue del’obtention du titre de licenciée en Histoire,ULB, 2004.2 Concernant l’histoire des chemins de fer enBelgique, voir entre autres VAN DER HER-TEN B., VAN MEERTEN M.., VERBEUGTG., Le temps du train. 175 ans de chemins de fer. 75e

année de la SNCB, Louvain, 2002.3 Moniteur belge, 26 octobre 1837, n°299,Pétition de Bruxelles au ministre de l’Intérieurdatée du 3 décembre 1836.4 MARTINY V.-G., « Le développementurbain » dans SMOLAR-MEYNART A.. etSTENGERS J. (dir.), La Région de Bruxelles. Desvillages d’autrefois à la ville d’aujourd’hui, Bruxelles,1989, p. 176.5 DELIGNE C., « La ville vue du train » dansJAUMAIN S. (éd.), Bruxelles et la Jonction Nord-Midi. Histoire, architecture et mobilité urbaine,Bruxelles, 2004, p. 71-72.6 Moniteur belge, Chambre des Représentants,11 mai 1838, Partie non officielle.7 A.V.B., Travaux publics, n°26157, Lettre duCollège des bourgmestre et échevins àVifquain, 6 août 1840.

8 A.V.B., Travaux publics, n°26157, Lettre deVerhulst, président de la section des Travauxpublics, au conseil communal, 12 mars 1840.9 BILLEN C. et DEMANET M., « Pour unehistoire des espaces publics à Bruxelles. Dumarché à la cité administrative » dans Art etarchitecture publics, Bruxelles, 1999, p. 21.10 Registres des patentables, 1845, 2e section.11 Voir SILVESTRE M., « Les premiers projetsde jonction Nord-Midi (1855-1865) » dansJAUMAIN S. (éd.), op.cit., p. 53-68.12 Projet de jonction directe du Nord et du Midi.Plan d’ensemble de la station proposé le 26mars 1858 par F. Wellens et dessiné par VictorBesme, Archives de la Ville de Bruxelles, Planportefeuille, n°446.13 Bulletin communal de Bruxelles (B.C.B.), 31mars 1860, p. 207. Dans son discours, J.Anspach ne démordra pas des conséquencesnégatives du déplacement de la station desBogards. 14 Moniteur belge, arrêté royal du 4 mars 1861,publié le 8 mars 1861, n°67.15 B.C.B., Séance du 29 novembre 1862, discus-sion sur le rapport de Jules Anspach, dansRapport fait au nom du collège par l’échevin Anspachsur l’incorporation de la station du Midi et de ses abordsen séance du 22 novembre 1862, Bruxelles, 1862.16 BESME V., Plan d’ensemble pour l’extension etl’embellissement de l’agglomération bruxelloise, rapportfait au nom du gouverneur du Brabant, Bruxelles,1863, p. 34.17 RAGON M.., Histoire mondiale de l’architecture etde l’urbanisme modernes. Idéologies et pionniers, 1800-1910, Bruxelles, 1986, p. 96.18 Bulletin communal de Saint-Gilles (B.C.StG.),20 octobre 1921, p. 645.19 Malgré l’attention particulière réservée à lacirculation entre Saint-Gilles et Anderlechtdébut du XXe siècle, on constate encore actuel-lement que les deux communes souffrent dufaible nombre de communications directes.Deux passages inférieurs seulement permettentde voyager de l’une à l’autre.20 B.C.StG., 1er juillet 1909, p. 506.21 B.C.StG., 24 mars 1910, p. 162, Propos tenuspar le conseiller Noël.22 Procès-verbaux du conseil d’administrationde la S.N.C.B., octobre à septembre 1935, doc.n°2409.23 Concours public d’architecture et d’urba-nisme pour l’aménagement de la station deBruxelles-Midi et de ses abords, L’Emulation,1938, n°1, p. 1.24 DELIGNE C., Le discours politique en urbanisme.Etude du cas de la jonction Nord-Midi, 1900-1960,Mémoire présenté en vue de l’obtention duDES en gestion de l’environnement sous ladirection de C. Billen, 1996-1997, ULB, p. 39 etsuiv.25 JAUMAIN S., « La jonction Nord-Midi : unnouveau chantier de recherche », dans JAU-MAIN S. (éd.), op.cit., 2004, p. 24.

18La gare du midi.

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Dans un numéro précédent1, nousavions déjà pris la plume pour évoquerla colonie ouvrière de ce charbon-nage, ensemble assez exceptionnelqui se démarque de l’habituel habitatouvrier de type « coron » implantédans les anciennes communes char-bonnières du bassin minier duCouchant de Mons.

Depuis cette date le classement desarchives (dossiers et plans) et desphotos de cette société s’est poursuivirévélant un ensemble archivistiqueremarquable qui attend d’êtreexploité. Mais avant de détailler quel-que peu notre propos, rappelons briè-vement l’histoire de ce charbonnagedont les archives ont été déposées en1988 à Saicom2.

Rétroprojecteur

Le 28 mars 1862, la Société de Don sollicitela concession des « mines de houillegisantes dans les communes d’Hensies-Pommeroeul et de Ville-Pommeroeul ».Mais dès 1873, elle abandonne toutes pré-tentions sur la concession d’Hensies auprofit des sieurs Joseph Descamps etconsorts qui forment, en association etavec l’appui financier de la Banque Belge duCommerce et de l’Industrie, une Société civiled’Hensies-Pommeroeul avec pour principalobjectif la poursuite des sondages.

Un arrêté royal du 30 janvier 1875 octroiela concession d’Hensies-Pommeroeul à laSociété civile d’Hensies-Pommeroeul. Mais l’af-faire tourne court car le 13 mars de lamême année la S.A. du Nord de Flénurachète la concession.

En 1875 la Société de Recherches du Nord deQuiévrain réalise également des sondagesdans la partie sud de la communed’Hensies (non concédée en 1875) etdans la partie nord de la commune deQuiévrain. Une demande de concessionest introduite et sera octroyée en mai1881.

Le 4 juillet 1907, les deux concessionnai-res constituent une société anonyme, laSociété des Concessions Houillères du Nord deQuiévrain et d’Hensies-Pommeroeul. Dès cemoment, une nouvelle campagne de son-dages est lancée par la S.A. Belged’Entreprise de Forage et de Fonçage,« Foraky ».

Le 11 octobre 1912 est constituée la S.A.des Charbonnages d’Hensies-Pommeroeul par une entente entre laS.A. des Concessions Houillèresd’Hensies-Pommeroeul et du Nord deQuiévrain et la « Foraky ».

Immédiatement après la création de lasociété, débutent les premiers travaux decreusement des deux puits du siège Sartis.

En 1919, une nouvelle campagne de son-dages étend le champ des connaissancesgéologiques dans la partie sud de laconcession. La création d’un secondsiège, Louis Lambert (du nom du premierprésident de la société), est décidée. Lesdeux concessions, « Hensies-Pommeroeul » et « Nord de Quiévrain »sont réunies le 26 avril 1920.

Les sièges d’exploitation Sartis et LouisLambert ont été les plus dynamiques dubassin. Le 9 septembre 1966 la belle grilled’entrée du siège Louis Lambert est défi-nitivement fermée, tandis que Sartis pour-suit l’exploitation jusqu’au 31 mars 1976.

La collection archivistique : le 25 mai1988 une convention est signée entre laS.A. Entrema, chargée de la liquidation ducharbonnage, et l’Université de Mons-Hainaut qui accepte le dépôt des archivesde la société et en confie la gestion àSaicom.

Aux yeux de nombreux chercheurs lesdocuments de la Société civile du Grand-Hornu, conservés aujourd’hui auxArchives de l’État à Mons, représentent« l’ensemble archivistique par excel-lence » du bassin du Couchant de Mons.Il est vrai que le fonds est impressionnant(près de 4 000 dossiers) et qu’il a étéadmirablement mis en valeur par les tra-vaux d’Hubert Watelet.

Pourtant d’autres fonds d’archives decharbonnages existent et sont conservésau Saicom. La collection d’Hensies-Pommeroeul présente deux atoutsmajeurs :

- c’est un fonds complet qui comprend àla fois des dossiers, une collection de car-tes et plans et une collection iconographi-que ;

- c’est un fonds qui est classé et doncaccessible (les plans du charbonnage duGrand-Hornu n’ont jamais été invento-riés).

Ces documents sont susceptibles d’inté-resser des chercheurs venant d’horizonsdifférents : historiens, historiens d’art,économistes, géologues, architectes...

Les dossiers : près de 2 000 dossierssont entreposés au Saicom (certains sontencore en possession du liquidateur) quiretracent les activités de l’ensemble desservices du charbonnage. Par ailleurs, lapersonnalité de Louis Dehasse, directeur,administrateur et président de la société,enrichit encore cet ensemble archivistiquede dossiers personnels liés aux activités« annexes » de cet ingénieur des mines àl’activité débordante et omniprésent, nonseulement à l’échelon du bassin, maisaussi national ; il sera président del’Association houillère du Couchant deMons, de Fédéchar, du Comptoir belgedes Charbons, membre de la CommissionNational Mixte des Mines, du Comitéconsultatif de la CECA et participeraégalement à de nombreuses missions éco-nomiques à l’étranger.

Les plans : plusieurs centaines de planssont conservés... Plans de surface, plansd’exploitation, plans techniques et plansdes bâtiments administratifs, industriels etdes colonies ouvrières. Certains sontd’une grande qualité esthétique car aqua-rellés. Ces documents ont déjà attiré desétudiants d’écoles d’architecture intéres-sés par l’étude du siège Sartis, uniqueexemple d’un ensemble « Modern style »dans le bassin dont le bâtiment des bains-douches était orné d’un magnifique vitrailsigné Anto Carte.

La collection iconographique : le char-bonnage a réalisé entre 1920 et 1960 plu-sieurs centaines de photographies quel’on peut encore admirer aujourd’huigrâce à la conservation des plaques deverre : les bâtiments, l’outillage, les habi-tations, le personnel ont ainsi été« immortalisés ».

Ainsi les documents ne manquent paspour écrire l’histoire de ce charbonnageau parcours original dans le bassin duCouchant de Mons. Espérons qu’il trouverapidement son (ou ses) auteur(s) !

Assunta BIANCHI

ÉTUDE : LA S.A. DES CHARBONNAGES HENSIES-POMMEROEULUN CHARBONNAGE EN QUÊTE D’AUTEURS

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1 Bulletin n°40 (1999).2 Sauvegarde des Archives industrielles duCouchant de Mons, asbl qui est installée sur lesite de l’Écomusée régional du Centre (Bois-du-Luc) en janvier 2007.

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Préambule

Durant l’année 2004, près de 14000 accidents graves, dont 133mortels, se sont produits sur leslieux de travail1. Ce chiffre,même s’il demeure encore tropélevé, serait beaucoup plusimportant sans l’adoption demesures visant à leur prévention.

La concrétisation de ces mesu-res résulte d’un long processuscar, à la charnière des XIXe etXXe siècles, les conditions detravail en Belgique dans lesindustries textiles, sidérurgi-ques ou charbonnières sontdéplorables et ouvrent la voie àune exploitation de la popula-tion. Les dirigeants ne s’occu-pent guère de préserver l’inté-grité physique d’une main-d’œuvre qui, lorsqu’elle estblessée, perd ses revenus. Ilfaut attendre le début du XXe

siècle pour que le législateur

s’intéresse à cette problémati-que avec le vote de la loi sur laréparation des accidents du tra-vail dans les mines (1903). Desprogrès notables sont réalisésseulement après la SecondeGuerre mondiale.L’instauration des comités desécurité, d’hygiène et d’embel-lissement des lieux de travail(1952) joue un rôle certain dansles avancées obtenues toutcomme la CECA, avec la créa-tion de la Commission généralepour la sécurité et la santé dansl’industrie sidérurgique. Enréalité, la prévention de l’acci-dent de travail apparaît commeune préoccupation récente.

La présente étude s’intéresse àl’artiste Calisto Peretti qui y aconsacré toute son activité pro-fessionnelle, dans un premiertemps au fond de la mine et parla suite dans d’autres secteursindustriels.

Calisto Peretti auCharbonnage de Tertre : lesprémices de la prévention parl’image

Fils d’un ouvrier-mineur italienexilé en Belgique afin de fuir le fas-cisme, Calisto Peretti est né dans leBorinage en 1937. Son instituteurdécèle chez lui un véritable talentpour le dessin et le pousse às’orienter vers des études en publi-cité à l’académie des Beaux-Artsde Mons.

L’artiste n’a presque pas connuson père, décédé des suites d’unepneumonie, alors qu’il n’a que 6mois. En 1956, ses études termi-nées, il désire connaître le métierexercé par son père mais, à la suitede la catastrophe du Bois duCazier, seules les personnesemployées dans l’industrie char-bonnière sont habilitées à descen-dre au fond de la mine. Aussiaccepte-t-il un poste de chrono-métreur au charbonnage deTertre. Sa mission consiste àmesurer la durée de toutes lestâches qui entrent dans le proces-sus d’extraction du charbon.

Cette fonction lui permet d’obser-ver tous les corps de métier qui secachent derrière le terme généri-que de « mineur ». Très rapide-ment, il croque ses camarades ets’intéresse à certaines situations detravail. Hector Flamme, chef duservice de sécurité du charbon-nage de Tertre, remarque la qualitéde son travail et lui demanded’exécuter des affiches destinées àprévenir les accidents. Ces der-niers se produisent fréquemmenten raison de la présence d’unemain-d’œuvre peu préparée àaffronter ce milieu. Le faitqu’Hector Flamme se soucie decette matière n’est pas étonnant.En effet, les installations deTertre, aux mains de la Sociétégénérale et situées en dehors du

ÉTUDE : CALISTO PERETTIUN ARTISTE AU SERVICE DE LA PRÉVENTION DES ACCIDENTS DE TRAVAIL

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Borinage traditionnel (au sud ducanal Mons-Condé), sont d’unemodernité exceptionnelle. Pourlutter contre ces accidents, le res-ponsable de la sécurité n’entendpas se contenter des campagnesd’affichage de la FEDECHAR(Fédération charbonnière deBelgique) parce que les documentssont publiés dans de nombreuseslangues (français, néerlandais, turc,italien, marocain, grec, espagnol,etc.) et manquent clairement delisibilité.

Durant trois ans, Peretti réaliseprès de 150 affiches pour le char-bonnage de Tertre2. HectorFlamme décide de leurs sujets. Denombreux dessins préparatoiressont exécutés avant la réalisationde l’affiche pour, notamment,assurer une description minu-tieuse de l’outil. Ce souci du détaille conduit à retravailler sans cessedes panzers ou des étançons.Peretti trouve son inspiration enobservant les travailleurs et ens’informant sur les causes fré-quentes d’accident. Il relève lepéril inhérent au port de vête-

ments flottants lorsque les machi-nes fonctionnent. Remarquant lemanque de formation de la main-d’œuvre, il invite les mineurs expé-rimentés à épauler les plus jeunes.Il relaie des consignes récurrentesprovenant des ingénieurs commeutiliser des masques, des gants etdes chaussures de sécurité pourassurer la protection des membreset s’arranger pour que les portesrestent fermées dans les galeries. Ilattire l’attention sur les difficultésliées à la manipulation des wagon-nets (obligation de les bloquer, deles accrocher d’une certainemanière, de veiller à la courbequ’une rame peut adopter, etc.)qui représente une source fré-quente de lésions voire même dedécès. Il s’adresse plus spécifique-ment à certains corps de métier :protection des câbles pour lesrecarreurs3 et vérification du solavant forage pour les bouveleurs5.

Les affiches sont toujours placéesà un endroit stratégique, près de lasalle de paie, afin d’être vues partous. L’influence de ses études enpublicité se matérialise dans la dif-fusion de ses messages. Ainsi, il seréfère à certaines métaphorespour évoquer les risques liés à dessystèmes en présentant, par exem-ple, des câbles électriques sous laforme de serpents qui piquent. Ilne faut pas s’étonner de l’absencedu grisou parmi les thèmes abor-dés car Tertre est l’un des troispuits du Borinage qui ne connaîtpas ses ravages.

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Activité au sein de l’ANPAT

En 1959, Calisto Peretti sait queson avenir ne se situe pas à Tertreet que ce charbonnage, commetoutes les installations de ce type,est appelé à fermer ses portes.Afin de poursuivre son activité,deux débouchés s’offrent à lui :l’ANPAT (Association nationalede prévention des accidents de tra-vail) et l’AIB (l’Association desindustriels belges), associationspatronales qui ont tout intérêt àéviter l’accident en raison du coûtqu’il engendre. Il s’oriente finale-ment vers la première associationoù il développe le service de créa-tion graphique dont il assure ladirection artistique.

Tout au long de ses 25 ans de ser-vice, il conçoit près de 800 affichesainsi que de nombreux panneauxen bois loués aux entreprises. Cesderniers, d’une surface inférieure à2 m2 sont également placés à desendroits qui bénéficient d’une visi-bilité certaine. Certains thèmesabordés au fond de la mine (lesvêtements flottants, le respect desconsignes de sécurité, etc.) sont ànouveau exploités. D’autres idéessont concrétisées pour la premièrefois à l’ANPAT. Ainsi, il interpelleles fumeurs qui jettent leursmégots de manière intempestivedans l’atelier. Il réalise égalementdes affiches qui appellent à lasobriété. Il s’inscrit dans le déve-loppement de l’ergonomie, disci-pline récente à cette époque, enmontrant les gestes à adopter pourla manipulation d’objets lourdsdans le but de limiter les maux dedos. Le style de Peretti s’adapteaux situations. Son message prenddes formes sombres lorsqu’ilinsiste sur les dangers liés à unmauvais câblage mais, dans lemême temps, il traite un sujetd’une manière qui rappelle celled’André Franquin. Le directeur du

service de création graphique del’ANPAT privilégie toujours uneimage percutante à des documentsqui comprennent trop de textemais il doit sans cesse se battreavec ses supérieurs ou d’autresconseillers afin de faire prévaloircette optique. Son travail estreconnu une première fois en1968 à Lisbonne où il est lauréatdu concours international d’affi-ches de prévention. Les œuvres dePeretti ne sont pas uniquementdiffusées en Belgique. Avecl’ANPAT, certains documentssont présents dans des usines duBenelux. De surcroît, il collaboreoccasionnellement avec des insti-

tutions françaises commel’Institut National de Recherche etde Sécurité (INRS).

A la suite d’un changement à latête de la direction de l’ANPAT,Peretti perd son poste et continueson activité avec un statut d’indé-pendant. Un de ses clients est lasociété Esso pour laquelle il réaliseune dizaine d’affiches diffuséesdans tout le groupe. Ces dernièressont essentiellement destinées auxtransporteurs et mettent en avantle respect des limites de vitesse etdes consignes de sécurité lors deslivraisons.

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L’activité de Calisto Peretti secaractérise également par unefonction de professeur dispenséeà la fois à l’académie de dessin deMolenbeek-Saint-Jean et à l’acadé-mie royale des Beaux-Arts deMons. Il y enseigne le dessin etl’anatomie pour laquelle il s’esttoujours passionné. Ses peintures,tout comme ses sculptures, secaractérisent par un trait qui souli-gne les ravages provoqués par lelabeur. Peretti a déjà été récom-pensé à plusieurs occasions : prixde peinture Louis Empain (1971)et de la Fondation Deglumes(1974). Il a également participé àdifférentes expositions : Centreculturel de La Louvière (1986),Musée des Beaux-Arts de Mons(1986), Ville de Le Quesnoy(1988), etc.

En 2006, la Poste lui demandel’autorisation d’utiliser un de sesanciens croquis pour le timbrecommémoratif du cinquantièmeanniversaire de la catastrophe duBois du Cazier. Cette œuvre repré-sente un ouvrier-mineur accroupidans une galerie alors qu’il abat ducharbon. Deux couleurs ressor-tent principalement de ce timbre :

le jaune (pour l’évocation de lalumière diffusée grâce aux lampesde mineur) et le noir (qui symbo-lise le charbon). Cette demandeémanant de la Poste salue de laplus belle façon le travail de cetartiste d’origine italienne qui aconsacré une grande partie de savie à la prévention des accidentsde travail. Grâce à ses messages, ila certainement permis à de nom-breuses personnes de conserverune main ou un bras, voire mêmela vie.

Guénaël Vande Vijver

Notes

1 Marcel Savoye, « Marcinelle » dans DeRome à Marcinelle. Santé-securité : hier,aujourd’hui et plus encore, demain !, Bruxelles,Le Cri, 2006, p. 149.2 Malheureusement, nous ne possédonsque des photographies de ces affiches. Ilfaudrait mener une recherche systémati-que, qui sera réalisée ultérieurement, afinde savoir si de centres d’archives spéciali-sés ont conservé ces documents.3 Les recarreurs sont chargés de rehausserle niveau des galeries lorsqu’elles s’affais-sent.4 Le bouveau est, au fond de la mine, l’al-lée centrale qui mène les travailleurs versles galeries où les veines de charbon sontexploitées.

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2.1. L’investissement dansl’enseignement et les techniques

Moyaux s’intéresse tout particulière-ment à la formation technique et pro-fessionnelle des ouvriers. Dans sonesprit, des ouvriers possédant de bon-nes connaissances dans ces matièrescontribuent à une amélioration nota-ble de la productivité. Pour mettreson projet en œuvre, le directeur deBaume & Marpent tisse des liensétroits entre son entreprise et l’écoleindustrielle de Morlanwelz, dont il estmembre de la commission adminis-trative. En complément d’un apportfinancier, deux halls sont mis à dispo-sition de cet établissement. Le Conseild’administration veille à la formationdes cols blancs en finançant annuelle-ment l’Athénée du Centre fondée parRaoul Warocqué car : « [il] sait que laprospérité de nos usines est intime-ment liée à la qualité de ses collabora-teurs, employés et ouvriers. Cette qua-lité est en relation directe dudéveloppement de l’instruction »1.De plus, le chef d’atelier de Baumesiège dans les jurys des écoles techni-ques de la région, ce qui permet lerecrutement des meilleurs élémentsqui s’intègrent dans les rouages del’usine.

L’innovation technologique est unepréoccupation constante pour lesdirigeants de Baume & Marpent. Dès1893, l’entreprise commence ses pre-miers montages de wagons, de char-pentes et de ponts. Les ingénieurs etles chefs d’atelier recherchent l’outil-lage le plus performant afin d’assurerleurs missions. La section des machi-nes-outils, avec ses tours automati-ques et ses fraiseuses, assure ainsi larenommée de l’entreprise. Au niveaude l’évolution de l’outil et de la dispo-sition des différents espaces de travail,les fonderies prennent énormémentd’importance dans les régies. Ces der-nières connaîtront l’évolution la plusremarquable dans le processus defabrication des accessoires du maté-riel roulant avec le remplacement dela fonte par l’acier moulé2.

2.2. Les marchés de Baume &Marpent

En Belgique, la renommée acquisepar l’entreprise lui permet d’obtenirde nombreuses commandes. Une desses plus belles réalisations est laconstruction du Pier de Blankenbergeen 1894. Mais ce qui démarque réelle-ment Baume & Marpent de sesconcurrents est le fait qu’elle s’épa-nouit dans le monde.

Cette expansion repose sur un bureaud’études d’exception dirigé par lesmeilleurs ingénieurs. L’entreprises’aventure vers un marché en pleineexpansion : l’Egypte. Une divisionest installée en 1893. Le pays est placésous le protectorat de la Grande-Bretagne. Les Anglais se lancent dansune politique effrénée de développe-ment des voies de communication.Des marchés conséquents (Pont deKasr El Nil, Kafr El Zayat, etc.) sontconfiés à Baume & Marpent. Lechantier le plus impressionnant estindubitablement celui du Pontd’Embabeh dont la constructiondébute en 1913 pour se terminer dixans plus tard. Cet ouvrage surplombele Nil sur plus de 500 mètres tandisqu’une travée mobile permet le pas-sage des bateaux. La réalisation de cepont représente une véritableprouesse technologique et constituele chef-d’œuvre de Baume &Marpent, utilisé dans sa communica-tion (catalogue de vente, publicité,etc.) pour démontrer son savoir-faire.

La Chine, qui s’ouvre aux occidentauxà la suite du traité de Nankin, offreégalement des débouchés importants.Moyaux est impliqué dans les milieuxfinanciers belges et internationaux.D’ailleurs, il est un des éléments fédé-rateurs du patronat3. Il est partie pre-nante dans la constitution de laSociété d’Etude des chemins de fer enChine en 1897. Cette dernière« s’atèle à la réalisation d’un chantiertitanesque »4. Les ingénieurs tracentune ligne de 1 214 kilomètres quinécessite la création de plusieursponts dont le plus remarquable sur-plombe le Fleuve Jaune sur plus detrois kilomètres. Baume & Marpentjoue un rôle certain dans l’accomplis-sement de cet exploit en construisant

les travées métalliques de la majoritédes ouvrages5.

Les contacts de Moyaux sont autantd’avantages prépondérants pour l’ob-tention des marchés mais l’entreprisedispose aussi d’une solide représenta-tion à l’étranger par l’intermédiaired’agents payés à la commission. Dès1890, Baume & Marpent est présentsur les cinq continents. Elle comptedes agents à Paris, Madrid, Rome,Amsterdam, au Portugal, en Turquieainsi que dans les capitalesd’Amérique du Sud. A Buenos Aires,par exemple, de nombreux projetsarchitecturaux foisonnent après l’in-dépendance obtenue en 1816. Desomptueux édifices sont construits àl’effigie de leurs homologues euro-péens, ce qui donne l’occasion àBaume & Marpent de s’exercer à laconstruction des charpentes métalli-ques.

Enfin, les associations temporairesconclues entre les constructeurs bel-ges et étrangers permettent à Baume& Marpent d’augmenter son volumede commandes. La pratique est cou-rante et vise au regroupement de plu-sieurs constructeurs qui mettent encommun leur savoir-faire dans l’es-poir d’obtenir des marchés impor-tants. Ces regroupements se multi-plient en Italie où, aux confins desXIXe et XXe siècles, des milliers dewagons et voitures de voyageurs pourles réseaux ferrés sont fournis6. Cepays essaie de rattraper son retard surses voisins en matière de développe-ment des infrastructures de commu-nication. C’est dans ce contexte que lechantier d’Ornavasso est confié àBaume & Marpent, les entreprises ita-liennes n’arrivant pas à assumer cettedemande à elles seules.

Peu avant le déclenchement de laPremière Guerre mondiale, Baume &Marpent a des ramifications impor-tantes en Egypte et en France grâce àses divisions. Ses agents vendent sesproduits partout dans le monde. Deplus, si les réalisations chinoises etégyptiennes sont importantes auniveau des rentrées financières, elles lesont d’autant plus pour la renomméede l’entreprise car elles sont la preuved’un savoir-faire reconnu.

ÉTUDE : BAUME & MARPENT (SUITE ET FIN)

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3. La Première Guerre mondiale

Léon Moyaux meurt inopinément en1913. Le Conseil d’administration ins-taure alors une direction bicéphale.Louis Dupont est nommé administra-teur-gérant tandis qu’Henri Fauquelse voit attribuer le poste d’administra-teur-délégué. Dupont était déjà inté-gré au sein de la direction depuis 1908car Moyaux était souvent à l’étrangerà la recherche de nouveaux marchéset il fallait une personne sur placepour assumer la gestion courante.

Le nouveau duo doit relever plusieursdéfis. La structure élaborée par leurprestigieux prédécesseur doit êtreconsolidée. L’Egypte, où le chantierdu pont d’Embabeh vient d’êtreentamé, cause beaucoup de soucis carles autorités égyptiennes paient tou-jours avec énormément de retard.Pour redresser cette situation, ilsenvoient leur maître atout : l’ingé-nieur Rifflart. Ce dernier fut le pre-mier régisseur de Marpent qui assurasa rentabilité.

La Première Guerre mondiale boule-verse profondément Baume &Marpent sur le plan technique maisaussi administratif. En effet, HenriFauquel part défendre la patrie dès ledéclenchement de la guerre. A partirde 1916, les halls de Baume &Marpent ne sont plus fréquentés quequatre fois par semaine car les com-mandes, qu’ils ne sont de toutemanière plus en mesure d’assumerfaute de matière première, sont trèsrares7. Durant cette période, Baume &Marpent apporte son soutien à lapopulation en versant 500 francs àtoutes les communes afin de financerles comités de secours.

Au lendemain de la Première Guerre,les installations de Marpent sontdurement touchées. Les bâtimentsont été frappés par un obus qui adétruit la nouvelle aciérie Martin inau-gurée en 1914. Durant deux ans, lesateliers sont occupés par des militairesallemands. Selon le Conseil d’admi-nistration, l’état de l’outillage requiertqu’ « en fonction de leur utilisationpar des mains peu expertes, il faudrafaire des réparations »8. Les coûts derénovation sont tellement consé-

quents que l’entreprise préfèreconstruire de nouveaux bâtiments.

4. L’entre-deux-guerres et la voiede l’automatisation

Vers 1910, les ouvriers travaillent 54heures par semaine dans les ateliers deBaume & Marpent mais la directioncomprend que la situation est sur lepoint d’être profondément modifiée.Lors d’un Conseil d’administration,elle s’exprime dans des termes trèsexplicites : « La situation que peutnous créer la limitation des heures detravail nous amènera à développernotre outillage en vue de l’exécutionde nos commandes dans les délaislégaux »9.

Après avoir essuyé les affres de laPremière Guerre mondiale, Baume &Marpent se lance dans l’automatisa-tion de la production en s’inspirantdes théories en matière d’organisationdu travail comme le taylorisme.L’entreprise est une des premières enBelgique à exécuter la construction dematériel roulant (wagons, voitures ettramways) selon les techniques du« travail à la chaîne ». Cette assimila-tion est facilitée à Marpent car l’usineest entièrement reconstruite selon cesnouveaux concepts. En 1920, Baume& Marpent installe un laboratoired’essai mécanique où plusieurs cher-cheurs s’attachent à la rentabilisationdu travail en détaillant chaque étapedu processus de fabrication10. Toutesles tâches sont minutieusement chro-nométrées. A ce titre, les ingénieursde l’entreprise son admirés par leurspairs. En 1933, les divisions deMorlanwelz et d’Haine-Saint-Pierrereçoivent la visite du Ministre desChemins de Fer qui affirme queBaume & Marpent est un modèle àsuivre pour toutes les entreprises11.

Cette capacité d’investir les nouveauxpans des technologies repose sur unevitalité financière qui permet d’absor-ber de petits concurrents dont lesUsines et Fours à coke E. Coppée. En1931, à l’apogée de son activité,Baume & Marpent, emploie plus de3 000 ouvriers ainsi que 260employés. L’entreprise n’atteindraplus jamais ce chiffre. Deux ou troisans plus tard, les effets de la crise de

1929 se font ressentir. La populationouvrière tombe à 1 203 personnes. Enraison de la conjoncture économique,Baume & Marpent constitue un fondsde chômage pour les employés de lasociété pressentant des licencie-ments12.

La politique sociale de l’entreprisedemeure peu connue à l’exception dela division de Marpent où, dès 1896,une vingtaine de logements sontconstruits. Parallèlement, l’entrepriserachète des maisons situées dans levillage. Ce parc immobilier est com-plété par la conception, de 1919 à1931, d’une cité érigée autour d’unemaison sociale. Pour bénéficier de cetavantage, Baume & Marpent exige deson personnel qu’il prenne un seulengagement formel : ne pas être affi-lié à un parti politique. Comme lamajorité des décideurs, ils craignentles forces de gauche et surtout lescommunistes13.

La Première Guerre mondiale freineconsidérablement l’exportation de laproduction. En 1920, la représenta-tion à l’étranger n’est plus assuréequ’en France, en Egypte, en Afriquedu Sud, au Siam et au Chili. HenryFauquel, qui assume à lui seul la direc-tion, cherche à toucher les marchés del’Amérique du Sud et d’Asie. AuCongo, Baume & Marpent installeune division nommée Baumaco. Ellese consacre à la construction de maté-riel ferroviaire et métallique. Ceréseau ferroviaire revêt une impor-tance toute particulière pour assurerle ravitaillement des coloniaux répar-tis sur tout le territoire. Baume &Marpent met au point les premierswagons frigorifiques indispensablesau transport de la nourriture dans cesconditions climatiques. L’entreprisese voit également confier le dévelop-pement de l’habitat. Ils travaillent à laconstruction de maisons démonta-bles, censées être de véritablescondensées du progrès occidental« offert » aux autochtones.

5. Le chant du cygne

Durant la Second Guerre mondiale,les usines ne sont perturbées que parun seul mouvement de contestation.En 1942, plus de 200 ouvriers fomen-

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tent une grève dans l’espoir d’obtenirune augmentation de leur salaire per-mettant d’affronter une hausse conti-nue des prix. Le directeur, PaulLeyder, n’arrive pas à résoudre leconflit et en appelle aux autorités alle-mandes. Les ouvriers sont profondé-ment marqués par cette interventionet ne le pardonneront jamais à leursupérieur14. Si les divisions deMorlanwelz et d’Haine-Saint-Pierresont épargnées par la PremièreGuerre mondiale, cette situation tran-quille ne se réitère pas pour laSeconde car les bureaux et atelierssont touchés par les bombardementsalliés qui visent à détruire la gare touteproche15.

Baume & Marpent aborde l’après-guerre avec de nouveaux locaux quiimpressionnent les visiteurs et consti-tuent une démonstration implacablede la vigueur retrouvée de l’entreprise.Il est vrai qu’elle en a besoin car lescommandes sont rares à la fin desannées 40 et une concurrence enragées’exerce. Pour pallier à cette absencede rentrées financières, l’entreprise estprofondément restructurée. Une divi-sion commerciale est créée. Elle secharge de la recherche de nouveauxdébouchés. Dans le même temps,Baume & Marpent se lance dans uneultime diversification de sa produc-tion en s’essayant à la construction« à la chaîne » de voitures et decamions anti-incendie. L’un de sesclients est la protection civile deMons.

Baume & Marpent se lie avec la S.A.Union dos Construtores Metalicos à SãoPaulo sous l’influence de la SociétéGénérale qui cherche à nouer desrelations avec des entreprises interna-tionales. Baume & Marpent devientl’actionnaire majoritaire de l’entre-prise brésilienne spécialisée dans laconstruction de matériel de cheminde fer. Le nouvel administrateur-délé-gué, A. Lebon, est persuadé que cetteopération constitue une opportunité àexploiter et ses contacts au sein de laChambre de Commerce Belgo-Brésilienne le renforcent dans cetteidée.

Lebon se lance dans une recherche departenaires et lorgne vers l’Outre-Atlantique. Ces démarches ne don-nent aucun résultat. Dès 1954, la fer-meture est dans l’air. D’ailleurs, tout lemonde s’y prépare petit à petit. Desdivisions restantes, seule Baumaco estrentable. En 1955, Marpent, quicompte alors 1 236 ouvriers, estrevendue. L’ancienne division devientune société française. Au mêmemoment, le Conseil d’administrationdécide de revendre à tout prix sonancien fleuron égyptien et de ne lais-ser qu’un agent commercial au Caire.Le gouvernement de ce pays doiténormément d’argent pour laconstruction de la plupart des ouvra-ges d’art.

Après plusieurs projets de fusionavortés visant à la constitution d’uneseule entreprise spécialisée enconstruction ferroviaire et métalliquepour la région du Centre, Baume &Marpent cesse ses activités en 1956.Parmi les facteurs qui expliquent cettefermeture, Lebon pointe : « les diffi-cultés de transfert des devises et d’ob-tention de crédit, la rareté des capi-taux privés et la concurrence quimarquent l’écroulement de nos fabri-cations traditionnelles ». A cette ana-lyse, il faut certainement ajouter lacréation de la division commercialequi se révèle être un investissementdésastreux. En effet, elle engendredes coûts très importants pour lasociété qui voit ses frais de fonction-nement croître sans cesse. De plus, lanouvelle division obtient des marchésqui paraissent juteux mais se révèlentnéfastes pour l’entreprise comme les1 000 tracteurs pour l’Argentine. Cesderniers seront fabriqués mais jamaispayés. Ils ne quitteront pasMorlanwelz, causant une perte cer-taine pour l’entreprise. L’investisse-ment brésilien n’a pas encore eu letemps de porter ses fruits. Il aurait fal-lut attendre quelques années supplé-mentaires pour juger de son opportu-nité. Il est difficile de déterminer lesraisons qui expliquent la fermeturerapide de Baume & Marpent par rap-port à ses concurrents alors que sasanté financière était meilleure. Il estpossible que la Société générale neretirait aucun intérêt à maintenir l’ac-tivité sur le site.

L’agitation et l’affairement des ateliersne s’estompent pas totalement en1956. Les halls de Baume & Marpentà Haine-Saint-Pierre et Morlanwelzdemeurent occasionnellement occu-pés par d’autres entreprises. Ainsi, lespremières voitures Mini sortent desateliers de Baume & Marpent car lesentreprises Leyland n’ont pas encoreterminé la construction de leurs ate-liers à Seneffe.

Guénaël Vande Vijver,Secrétaire de rédaction du PIWB

Notes

1 Ecomusée régional du Centre (ERC), fondsBaume & Marpent, registre des Procès-ver-baux du Conseil d’administration de 1882 à1896, séance du 26.01.1909.2 ERC, fonds Baume & Marpent, registre desProcès-verbaux du Conseil d’administration du21.12.1905 au 27.05.1913, séance du24.04.1911.3 Il est le cofondateur et le premier président dela Fédération des Constructeurs de Belgique(F.C.B.), premier groupement sectoriel desindustriels de la construction métallique. Il estégalement vice-président du CCI, l’organisa-tion du patronat belge.4 Yves QUAIRIAUX, « Les relations Belgique –Chine au tournant du 20e siècle » dans Belgique-Chine 1910, Morlanwelz, Musée royal deMariemont, 1999, p. 14.5 Ibidem.6 ERC, fonds d’archives Baume & Marpent,registre des procès-verbaux au Conseil d’admi-nistration de 1882 à 1896, séance 26.02.18897 ERC, fonds d’archives Baume & Marpent,registre des procès-verbaux au Conseil d’admi-nistration du 6.06.1913 au 30.06.1923, séancedu 16.02.1916 et registre des procès-verbauxau Conseil d’administration du 6.06.1913 au30.06.1923, séance du 9.11.1915.8 ERC, fonds d’archives Baume & Marpent,registre des procès-verbaux au Conseil d’admi-nistration du 6.06.1913 au 30.06.1923, séancedu 21.01.1919.9 ERC, fonds d’archives Baume & Marpent,registre des procès-verbaux au Conseil d’admi-nistration du 21.02.1905 au 27.05.1913, séancedu 23.03.1909.10 SAICOM, collection de rapports de stagesdes élèves de la Faculté Polytechnique deMons, rapport de stage de Jean Blase, 1935.11 ERC, fonds d’archives Baume & Marpent,registre des procès-verbaux au Conseil d’admi-nistration, du 1.05.1930 au 20.10.1939, séancedu 20.10.1933.12 ERC, registre des procès-verbaux au Conseild’administration du 01.05.1930 au 20.10.1939,séance du 17.09.1932.13 ERC, registre des procès-verbaux au Conseild’administration du 01.05.1930 au 20.10.1939,séance du 2.02.1933.14 Georges PLACE, op. cit., p. 77-79.15 Ibidem, p. 79.

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La ville de Mulhouse (Alsace)accueille depuis plus de 30 ans undes plus beaux et vastes musées duchemin de fer d’Europe : le Muséefrançais du chemin de fer. Portépar deux passionnés du rail(Michel Doer et Jean-MathisHorrenberger) et ouvert en 1976après de nombreuses vicissitudes,ce musée, qui a pris aujourd’hui lele nom de Cité du Train après réno-vation et aggrandissement de sasurface d’exposition, présente plusde cent wagons ou locomotivesdifférentes, exposées dans diversessalles : dans un nouveau hall consa-cré à un parcours-spectacle théma-tique (portant entre autres sur lestrains et les cheminots durant laguerre, les trains de montagne, lestrains officiels) ou dans uneancienne partie plus ancienne etplus technique mais tout aussi inté-ressante... La visite se termine surune maquette Märklin de taille res-pectable.

Voici une sélection des photos dece musée, que j’ai eu la chance devisiter lors d’un détour par l’Alsacedurant mes dernières vacances(janvier 2007). Photos qui, je l’es-père, raviront les amateurs detrains et d’épopée ferroviaire.

Lionel Vanvelthem

REPORTAGE PHOTO : LA CITÉ DU TRAIN À MULHOUSE

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Vue d’ensemble (ci-dessus) et détail extérieur (ci-dessous) de la voiture-salon impériale« N°6 PO », construite en 1856, sous Napoléon III. (Photos L. Vanvelthem.)

Ci-dessous : une Voiture salon-restaurant de type « Pullman » créée par laCompagnie Internationale des Wagons-Lits à partir de 1926. (Photo L.V.)

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Ci-dessus : le Modèle « 241 A1 Est » :une superbe locomotive à vapeur de type« Mountain » vue de profil. Construite en1925 dans les ateliers ferroviairesd’Epernay (Champagne-Ardenne), ellefut utilisée en France sur les réseaux de laCompagnie des chemins de fer de l’Est.(Photo L.V.)

Ci-dessus et ci-contre : deux vues« aériennes » de la maquette de 10 m2 quiclôt la visite. (Photos L. V.)

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La catastrophe de Marcinelleentre mémoire et histoire

Dans le cadre du colloque DeRome à Marcinelle organisé àCharleroi en juin 2006, JEANPUISSANT, Professeur ordinaire àl’Université Libre de Bruxelles etGUÉNAËL VANDE VIJVER,Directeur scientifique de l’Institutd’histoire ouvrière économique etsociale, ont réalisé une communi-cation intitulée la Catastrophe deMarcinelle entre mémoire et histoire.Cette intervention complétée a étépubliée dans les actes du colloque*.

Les témoignages conservés ausein de différents centres d’archi-ves belges démontrent la place queMarcinelle occupe dans lesmémoires des contemporains au 8août 1956. Certaines conséquen-ces de la catastrophe marquent lesesprits : amélioration de la sécu-rité dans les fosses, accélération del’intégration des Italiens au sein dela population et revalorisation dumétier de mineur, déconsidérédepuis longtemps.

Cette place accordée à l’événe-ment s’explique pour diverses rai-sons. Le Bois du Cazier, dernièregrande catastrophe collective de lasociété industrielle, représente unévénement de portée internatio-nale eu égard à la composition dela main-d’œuvre employée.Ensuite, cette catastrophe consti-tue l’un des événements majeursqui ont marqué l’entrée dans l’èremédiatique caractéristique de laseconde moitié du XXe siècle. Lesreporters et les photographes de lapresse écrite sont concurrencéspar les journalistes qui tendent

leur micro ou braquent leurcaméra pour la radio, la télévisionet le cinéma, permettant ainsi à lapopulation de se rendre directe-ment compte de l’ampleur inéditede la catastrophe.

Marcinelle illustre à sa manièrel’agonie de l’industrie charbon-nière. Les charbonnages wallons,moins productifs que les installa-tions de Campine, sont restés enmoyenne plus dangereux en rai-son des difficultés du terrainhouiller, de la présence de grisou(surtout en Hainaut) mais aussi del’ancienneté structurelle des puitsen activité.

De 1821 à 1992, la mine a tuédirectement plus de 24 000 travail-leuses et travailleurs. Plusieursautres grandes catastrophes mar-quent l’histoire charbonnière.Elles ont toujours suscité desémotions considérables. Attenteinterminable, épopée des « resca-pés », funérailles collectives, mou-vements de charité publique et pri-vée entretiennent l’attentiondurant des semaines. Mais un faitsuccède à l’autre et le chasse.Cependant, Marcinelle se démar-que en soulignant brutalementl’importance du risque industrielmais aussi la persistance des acci-dents du travail.

L’image du flamand enWallonie

YVES QUAIRIAUX est le conserva-teur des collections d’histoirerégionale du Musée royal deMariemont. Son ouvrage, L’imagedu flamand en Wallonie : Essai d’ana-lyse sociale et politique (Loverval,Labor, 2006, 664 p. Prix : environ35 €) se base sur sa thèse de doc-torat en histoire présentée àl’UCL. Ce sujet n’avait été abordéque sommairement dans diversouvrages (cf. Guido FONTEYN,

Rue des Flamands : le périple desmigrants flamands en Wallonie,Ottignies, Quorum, 1997). Lelivre d’Y. Quairiaux se compose dedeux parties se subdivisant cha-cune en quatre chapitres. Dans lapremière, intitulée Les stéréotypespolitiques, il montre que lesFlamands, au XIXe siècle, sontperçus comme étant unepopulation « sous-développée ».L’auteur analyse le rôle des mou-vements anti-flamands actifs danstous les bassins wallons. Ledeuxième chapitre s’intéresse à laperception de la Flandre et deleurs habitants dans la chansond’action, les fables, les contespopulaires et les allégories wallon-nes. Dans le troisième chapitre, ilse centre sur la vision du Flamandau théâtre où l’anti-flamingan-tisme réussit une percée dès 1890.Ensuite, il insiste sur les aspectsanalytique et statistique en évo-quant les sujets abordés ou les ten-dances politiques des auteurs despièces. De son étude, il ressort,notamment, qu’avec plus de 73 %du corpus, les chansonniers lié-geois sont les plus prolifiques.

COMPTES RENDUS ET EXPOSITIONS

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* « La catastrophe de Marcinelle entremémoire et histoire » dans De Rome àMarcinelle. Santé-sécurité : hier, aujourd’hui etplus encore, demain !, textes rassemblés parItalo Rodomonti et Pierre Tilly, Bruxelles,Lecri, 2006, p. 117-126.

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La deuxième partie du livre estprénommée Les stéréotypes sociaux.L’auteur commence en évoquantla provenance des navetteurs fla-mands travaillant dans les diffé-rents secteurs industriels enWallonie. Il met en avant que, dansles charbonnages, l’une desméthodes les plus efficaces pourattirer et fixer cette main-d'œuvreest l’octroi d’un salaire ou d’unlogement. Ils sont aussi présentsdans les secteurs verrier et textileoù l’immigration est parfois solli-citée par les municipalités. Il ana-lyse l’implantation des mouve-ments flamands en Wallonie. Paraprès, il confronte la réputationdes Flamands, étiquetés commeétant criminogène et briseur degrève, avec des données statisti-ques.

L’étude de nombreuses sources luipermet d’affirmer que ces consi-dérations ne reposaient pas surdes faits avérés. Dans cette mêmepartie, Y. Quairiaux évoque un faitintéressant. En effet, certains syn-dicalistes wallons redoutentl’exode d’industries wallonnes versles régions flamandes où des salai-res peu élevés sont pratiqués.Devant cette menace, les tisseursverviétois, par exemple, trouventune parade originale en décidantd’initier la création de structuresdans le nord du Pays afin d’y amé-liorer les conditions de travail.Dans le second chapitre, il réaliseune typologie littéraire et socialede la Flandre et du Flamand dansle théâtre et il étudie également legenre de l’imitation flamande.

Dans les annexes, la présence d’undictionnaire biographique desauteurs dialectaux wallons est àsouligner. L’étude, qui s’arrête en1914, mériterait d’être poursuiviepour la période de l’Entre-deux-guerres*. Les conclusions desrecherches d’Y. Quairiaux ont déjàété exploitées différemment desdeux côtés de la frontière linguisti-que. En Flandre, l’évocation de cesujet est sensible car pour cetterégion actuellement prospère, iln’est pas évident de se tournervers cette période de son histoire.Cet ouvrage bénéficie d’unerecherche menée en profondeur.Sa lecture permet certainementune meilleure appréhension del’actualité belge.

« Le temps d’hier, c’est loindéjà ! »

Un titre évocateur pour une expo-sition photographique consacrée àquatre anciens sites industriels : lesCharbonnages du Bois-du-Luc àHoudeng-Aimeries ; l’ancientriage-lavoir des Charbonnages deRessaix, Leval, Péronnes et Mont-Sainte-Aldegonde, à Péronnes-lez-Binche ; les Usines SAFEA àHoudeng-Goegnies et laCimenterie de Thieu. Quatre sitesqui témoignent de l’importance dela vie industrielle passée de larégion du Centre.

Présentée jusqu’au 24 novembre àla Maison du Tourisme du Parcdes Canaux et Châteaux de larégion du Centre, à La Louvière,

cette exposition rassemblait 60photos marquantes, réalisées parBernard Vanroye (membre de l’or-dre des « Compagnons de laLouve ») et Robert Willame (pho-tographe attaché à l’Ecomusée duBois-du-Luc).

Deux sites restaurés ou en passede l’être ont reçu de nouvellesaffectations : le site minier duBois-du-Luc abrite un écomuséefondé en 1983 (le premier deBelgique), l’ancien triage-lavoir dePéronnes accueillera prochaine-ment un centre d’archives dépen-dant des A.G.R. (entre autresaffectations).

Guénaël Vande Vijver, historien etdirecteur scientifique de l’IHOES,s’est attaché à la présentation his-torique des différentes sociétésindustrielles :

- fondés le 14 février 1685, lesCharbonnages du Bois-du-Lucsont exceptionnels à plus d’untitre. Société capitaliste avantl’heure, elle fut co-fondée par huitpersonnes : trois mineurs, deuxbailleurs de fonds, deux hommesde loi et le seigneur de la localitéde Houdeng (chacun recevantannuellement une partie des béné-fices réalisés). Une importanteinfrastructure sociale sera déve-loppée entre 1838 et 1920 : citéouvrière, écoles primaire et ména-gère, hospice, église, hôpital, parcet kiosque, moulin, brasserie, caféet salle des fêtes, magasin d’ali-mentation, bibliothèque, équipesde football et de balle pelote, fan-fare. L’ouvrier pouvait dès lorspasser toute son existence sur lesite minier. Cette vie en autarcieperdura jusqu’à la fermeture de lasociété, le 30 juin 1973.

- Le triage-lavoir de Péronnes,inauguré en 1954, fut financé parles subsides du plan Marshall. Le

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* Il faut noter que depuis la publication del’ouvrage, Yves Quairiaux a approfondi sarecherche dans le cadre d’une communi-cation présentée dans le cadre de laChaire Quetelet de l’Institut deDémographie de l’UCL en 2005. Il s'estplus particulièrement intéressé à la régionde Namur et de Liège.

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bâtiment repose sur une ossatureen béton armé, entourée d’impo-santes verrières. Au rez-de-chaus-sée, une gare permettait d’expor-ter rapidement le charbon lavé.Dès 1956, l’amorce du déclin del’industrie charbonnière se faitdéjà cruellement ressentir. Fusionset restructurations ne feront queretarder une échéance inexorable.En 1969, les derniers travailleursquittent le triage-lavoir qui estracheté à plusieurs reprises. En2001, l’Institut du PatrimoineWallon entame une procédure desauvetage qui débouche, deux ansplus tard, sur la création de la S.A.de droit public « Triage-Lavoir duCentre » qui regroupe l’IDEA,l’IPW et la SPAQUE. Les travauxde restauration débutèrent en2005.

- Née en 1929, la SAFEA (SociétéAnonyme pour la Fabricationd’Engrais Azotés) doit son exis-tence à la volonté de diversifica-tion des Usines Boël, qui s’asso-cient pour l’occasion avec l’UnionChimique Belge. Le site industriel,d’une étendue de 33 hectares (ladispersion des bâtiments est obli-gatoire), est idéalement situé àproximité des Usines Boël et ducanal du Centre. Durant la

Seconde Guerre mondiale, laSAFEA produira de l’azote liquideà destination des usines d’arme-ments allemandes. La société cessases activités en juin 1978. En 2005,le site houdinois est répertoriécomme étant l’un des plus polluésde Wallonie. Les travaux d’assai-nissement débutent au moisd’août de la même année.

- La S.A. Cimenterie de Thieu,fondée en 1922, est l’une des qua-tre cimenteries que comptait larégion du Centre. Des voies decommunication importantes (lecanal du Centre et la ligne de che-min de fer Mons - La Louvière), laproximité des charbonnages deMaurage (principaux fournisseursdu combustible) et la présenced’un riche gisement de craie per-

mettront aux cimenteries deconnaître un développement aussirapide qu’important. Peu avant laSeconde Guerre mondiale, lasociété occupait près de 200 tra-vailleurs. En 1953, elle est absor-bée par les Cimenteries d’Obourgdevenues, depuis 2002, « HolcimFrance Bénélux ». En 1990, lessilos de Thieu sont destinés auseul stockage. Un projet de réhabi-litation du site, comprenant la réa-lisation de nombreux logements,est à l’étude actuellement.

Deux diaporamas reprenant destextes de Jean Louvet (écrivain etauteur de nombreuses pièces dethéâtre) et d’André Balthazar(fondateur de la revue « Le DailyBull »), lus respectivement parSalvatore Adamo (chanteur etacteur) et Franco Dragone (orga-nisateur de spectacles connu etreconnu internationalement), desillustrations de Daniel Pelletti(directeur de l’Ecole des Arts deBraine-l’Alleud), des aphorismesde Fredy Taminiaux (écrivain etsculpteur), apportent une troi-sième dimension à l’exposition.

Pour information : deux sitesinternet permettent de découvrirl’exposition :www.letempsdhier.c.la etwww.letempsdhier.euro.tm

Alain DewierEcomusée du Bois-du-Luc

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