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15 Mon mari, Jacques, est né le 15 septembre 1906, à Paris. Sa mère Margaret, d’origine écossaise et irlandaise, dirigeait une maison de haute couture ; il a donc passé son enfance dans un univers qui l’a influencé, plus tard, pour l’écriture de Falbalas. Louis Becker, son père, était lorrain et s’occupait de la partie administrative et financière de la maison de couture. Par la suite, il est devenu administrateur d’une société d’accumulateur. Durant les vacances scolaires, Jacques et sa famille se retrouvaient dans leur maison à Marlotte. C’est là que, à 14 ans, il a rencontré Jean Renoir, par l’intermédiaire de Paul Cézanne. Mon beau-père connaissait bien la famille Cézanne qui possédait également une maison à Marlotte, la “Nicotière”, et les Renoir étaient leurs voisins. Jean Renoir a eu une influence énorme sur son travail et son destin. C’est dans cette même période qu’il a rencontré André Halley des Fontaines qui deviendra plus tard le producteur de ses premiers films. Ses premiers pas vers le cinéma, il aurait pu les faire aux États-Unis, avec King Vidor. Ils se sont rencontrés sur un bateau où Jacques travaillait comme commissaire de bord. King Vidor avait déjà réalisé La Grande Parade et proposa à Jacques de venir travailler avec lui comme acteur. À force d’enthousiasme et de persuasion, Jacques le convainc de devenir son assistant, mais lorsqu’il demanda à son père l’autorisation d’aller à Hollywood, celui-ci refusa catégoriquement, considérant que le cinéma n’était pas un métier sérieux. Plus tard, nous nous sommes rencontrés, c’était en 1930, à Perros-Guirec et nous nous sommes mariés un an après. Sophie est arrivée très vite, le 5 février 1932, puis Jean, le 10 mai 1933 et enfin Étienne est né le 1 er mai 1936. Juste après la naissance de Sophie, Jacques décide de quitter son travail et propose à Jean Renoir de devenir son assistant, ça a fait un scandale énorme dans la famille. Malgré la décision de son père de ne plus le soutenir financièrement, il devient second assistant puis directeur de production sur La nuit du Carrefour (J. Renoir, 1932). Sa collaboration avec Renoir fut une période difficile pour nous financièrement car Jean Renoir avait beaucoup de difficultés à faire payer son équipe. Pour lui, ça allait, il lui suffisait de vendre un tableau. Selon lui, l’argent ne comptait pas, la création artistique passait avant tout. Introduction PAGE CI-CONTRE Jacques Becker et son père, Louis Becker CI-DESSUS King Vidor et Jacques Becker

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Mon mari, Jacques, est né le 15 septembre 1906, à Paris. Sa mère Margaret,

d’origine écossaise et irlandaise, dirigeait une maison de haute couture ; il a

donc passé son enfance dans un univers qui l’a influencé, plus tard, pour

l’écriture de Falbalas. Louis Becker, son père, était lorrain et s’occupait de la

partie administrative et financière de la maison de couture. Par la suite, il est

devenu administrateur d’une société d’accumulateur.

Durant les vacances scolaires, Jacques et sa famille se retrouvaient dans leur

maison à Marlotte. C’est là que, à 14 ans, il a rencontré Jean Renoir, par

l’intermédiaire de Paul Cézanne. Mon beau-père connaissait bien la famille

Cézanne qui possédait également une maison à Marlotte, la “Nicotière”, et les

Renoir étaient leurs voisins. Jean Renoir a eu une influence énorme sur son travail

et son destin. C’est dans cette même période qu’il a rencontré André Halley

des Fontaines qui deviendra plus tard le producteur de ses premiers films.

Ses premiers pas vers le cinéma, il aurait pu les faire aux États-Unis, avec

King Vidor. Ils se sont rencontrés sur un bateau où Jacques travaillait comme

commissaire de bord. King Vidor avait déjà réalisé La Grande Parade et

proposa à Jacques de venir travailler avec lui comme acteur. À force

d’enthousiasme et de persuasion, Jacques le convainc de devenir son assistant,

mais lorsqu’il demanda à son père l’autorisation d’aller à Hollywood, celui-ci

refusa catégori quement, considérant que le cinéma n’était pas un métier sérieux.

Plus tard, nous nous sommes rencontrés, c’était en 1930, à Perros-Guirec et nous

nous sommes mariés un an après. Sophie est arrivée très vite, le 5 février 1932,

puis Jean, le 10 mai 1933 et enfin Étienne est né le 1er mai 1936. Juste après

la naissance de Sophie, Jacques décide de quitter son travail et propose à Jean

Renoir de devenir son assistant, ça a fait un scandale énorme dans la famille.

Malgré la décision de son père de ne plus le soutenir financièrement, il devient

second assistant puis directeur de production sur La nuit du Carrefour (J. Renoir,

1932). Sa col labo ration avec Renoir fut une période difficile pour nous

financièrement car Jean Renoir avait beaucoup de difficultés à faire payer son

équipe. Pour lui, ça allait, il lui suffisait de vendre un tableau. Selon lui, l’argent

ne comptait pas, la création artistique passait avant tout.

Introduction

PAGE CI-CONTREJacques Becker et son père, Louis Becker

CI-DESSUS King Vidor et Jacques Becker

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En 1935, Jacques tourne un premier court-métrage avec Pierre Prévert (le frère

de Jacques Prévert), avec l’aide financière de André Halley des Fontaines.

Après un second court (Une Tête qui Rapporte, 1935), il co-écrit avec

Castanier Sur la Cour. André Halley des Fontaines accepte de produire le film

mais refuse que Jacques le réalise, c’est donc Renoir qui a repris le projet qui est

devenu Le Crime de Monsieur Lange. Jacques et Jean Renoir se sont un peu

perdus de vue à ce moment-là mais ils ne se sont pas fâchés, Jacques adorait

trop Jean Renoir pour cela. C’est leur activité politique qui les a réunis ensuite

en 1936. Jacques adhérait à l’organisation Ciné Liberté, chargée de produire

des films de propagande pour le Parti Communiste Français, ils ont ainsi tourné

ensemble un film collectif La Vie est à Nous. Par la suite, Jacques a repris sa

place de premier assistant pour Partie de Campagne, Les Bas-fonds,

La Grande Illusion et enfin La Marseillaise, qui marque la fin de leur

collaboration. Jacques voulait réaliser son premier long métrage et Jean Renoir

partit aux États-Unis en 1940.

J’aurai pu vous parler de L’Or du Cristobal, son premier long métrage tour-

né en 1939 mais ce n’était pas un bon souvenir pour Jacques qui, n’ayant

pas pu terminer le film, refusa de le signer. Mais laissons cela à l’histoire

et parlons plutôt de son œuvre, celle qui restera...

Dernier Atout est le premier film reconnu par Jacques. Produit par Halley des

Fontaines, il a été tourné au printemps 1942. En cette période de l’Occupation

où les films américains étaient interdits de projection, Jacques a fait un film

policier dans la pure tradition hollywoodienne. Dans ce contexte, il était interdit

d’utiliser des armes à feu. Les mitraillettes n’étaient donc que des jouets d’enfant

et pour simuler les éclats de balles, Marguerite Renoir, la monteuse, était obligée

de gratter la pellicule. Malgré nos recherches, il est impossible aujourd’hui de

retrouver les photos de cette époque.

Propos recueillis en 2004 auprès de Geneviève Becker

CI-DESSOUSVisite de Charlie Chaplin sur le plateau de Jean Renoir. De gauche à droite Jean Renoir, Charlie Chaplin, Jacques Becker et Jean Gabin.

CI-DESSUS Le commissaire est bon enfant (1932)

Pierre Prévert et Jacques Becker

“Vous m’avez demandé d’écrire un article sur Jean Renoir [...] je n’ai pu accepter : il m’est impossible de publier des souvenirs sur la vie d’un homme qui m’est aussi cher. Jean Renoir lui-même ignore à quel point sa personne et son destin ont influencé les miens. J’avais 15 ans quand je l’ai rencontré et 33 ans quand la vie nous a séparés. Dans l’intervalle, j’ai été son assistant. Il n’est pas d’homme que j’aime plus au monde [...] parce qu’il m’a donné le métier que je voulais faire, parce qu’il nous a donné des films sans lesquels le cinéma français ne serait pas ce qu’il est.” Jacques Becker

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CI-DESSOUSPrix Louis Delluc 1954, décerné à Henri-Georges Clouzot pour Les diaboliques

De gauche à droite, en haut : Jacques Tati, Robert Bresson, G. Masso, Alexandre Astruck, Noël Noël De droite à gauche, en bas : André Malraux, Henri-Georges Clouzot, Jacques Becker et Jean Renoir

“Je me suis souvent demandé pourquoi j’aimais tant Jacques Becker [...] Je connais et ai connu cent camarades prêts à tout sacrifier au cinéma que je n’ai pas envie de fréquenter. Or Jacques et moi vivions ensemble comme un fils avec son père, peut-être même comme un frère avec un frère car nous oubliions notre différence d’âge. Il se trouvait que nos façons de nous laver, de nous raser, de ronfler ou de dormir, de manger trop de saucisson à l’ail le matin, de fumer des cigarettes d’ailleurs différentes, de faire la part des choses [...] rentraient facilement dans la même boîte [...] sans se gêner. Les éléments de notre vie et de notre travail se pénétraient se complétaient comme les morceaux d’un facile jeu de construction.” Jean Renoir

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Ce que je ressens quand je vois les films de mon père, c’est que

les personnages, du plus petit au plus grand sont tous attachants. Il dit d’ailleurs

en 1953 dans “Arts” : “Les sujets ne m’intéressent pas en tant que sujets.

L’histoire (l’anecdote, le conte) m’importe un peu plus, mais ne me passionne

nullement… Seuls les personnages de mes histoires (et qui deviendront

mes personnages) m’obsèdent vraiment, au point d’y penser sans cesse”.

J’ai essayé par la suite dans mes films de suivre son exemple.

Jean Becker

Goupi Mains Rouges (1943)Grand prix du cinéma français 1943

CI-DESSUSGoupi Mains Rouges (1943)

Blanchette Brunoy dite Goupi-Muguet

PAGE CI-CONTREGoupi Mains Rouges (1943)

Fernand Ledoux dit Goupi Mains Rouges

“Goupi Mains Rouges m’a donné beaucoup de mal, parce que cela était fait d’une manière, je ne dirais pas économique, mais qui y ressemble quand même un peu ; j’ai été obligé de tourner une infinité de petits plans pour arriver à avoir des scènes, j’ai dû me couvrir parce que je n’étais pas tellement sûr de ce que j’étais en train de faire ; on est jamais sûr, certes, mais là, je ne l’étais pas du tout ; j’avais une peur épouvantable ; avant que le montage ne soit tout à fait terminé (à ce moment là, d’ailleurs, je n’ai pas eu l’impression que c’était merveilleux, mais j’ai pensé qu’en tout cas cela pourrait être projeté sans inconvénient pour moi et le producteur), quand j’ai commencé à monter les séquences, j’étais très inquiet parce que cela avait un côté décousu, et c’est d’ailleurs paradoxalement le côté décousu de Goupi qui lui donne cet aspect très cousu.” Jacques Becker

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CI-CONTREGoupi Mains Rouges (1943)

Goupi-Cancan (Marcelle Hainia), Goupi-Muguet (Blanchette Brunoy) Goupi-Tisane (Germaine Kerjean), Goupi-Mes Sous (Arthur Devère) et Goupi-la Loi (Guy Favières)

PAGE CI-CONTRE, EN BASGoupi Mains Rouges (1943)

Retour de l’enterrement de Goupi-Tisane.

PAGE CI-CONTRE, EN HAUTGoupi Mains Rouges (1943)

Goupi Tonkin (Robert Le Vigan) face aux gendarmes sous le regard de Goupi Mains Rouges (Fernand Ledoux).

“Au moment où j’ai dirigé mon premier film, je me suis aperçu que je ne savais que faire de ma caméra. J’ai compris soudain qu’on ne pouvait apprendre son métier qu’en le faisant. Cela est vrai pour toutes les professions artistiques.” Jacques Becker.

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CI-DESSUSGoupi Mains Rouges (1943)

Goupi-Tonkin et Goupi-Mains Rouges en pleine scène de sorcellerie genre vaudou.

CI-CONTREGoupi Mains Rouges (1943)

Goupi Tonkin tente de faire la cour à Goupi-Muguet.

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CI-DESSUSGoupi Mains Rouges (1943)

Goupi-Tisane (Germaine Kerjean)

CI-DESSOUSScène de Goupi Mains Rouges (1943)

Goupi-Monsieur (Georges Rolllin), suspecté du meurtre de Goupi-Tisane, interrogé par les gendarmes.

Jacques avait envie de réaliser un film sur les paysans, leur façon de vivre,

c’est pour cette raison qu’il a choisi d’adapter le roman de Pierre Véry

Goupi Mains Rouges. Ils ont travaillé ensemble avec Pierre qui fut tout

à fait satisfait du résultat par la suite.

Jacques était toujours fébrile à la sortie de ses films. Heureusement Goupi

fut tout de suite un succès.

Geneviève Becker

“Il est indéniable que Jacques Becker sait faire un film.

Il suffirait de voir le premier quart d’heure de Goupi

Mains Rouges. […] Il y a là une suite de plans

d’une précision admirable, d’une concision éloquente,

et, dans les scènes qui dénouent les fils du tissu

dramatique, une maîtrise que l’on ne retrouve chez

aucun metteur en scène travaillant en France, sauf

Carné et parfois Grémillon.”

“LES NOUVEAUX TEMPS”, ROGER RÉGENT (24 AVRIL 1943)

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CI-CONTRE, EN BASScène de Goupi Mains Rouges (1943)

Les Goupi découvrent le corps de Goupi-Tisane.

CI-CONTRE, EN HAUTGoupi Mains Rouges (1943)

Goupi-Tisane fouette injustement Jean des Goupi (Albert Rémi).

PAGE CI-CONTREArbre généalogique de la famille Goupi (1943)

“Et voici Goupi Mains Rouges

qui, après des promesses

certes substantielles,

nous apporte l’œuvre

de choix. Coup d’essais

et coup de maître.

Pareille réussite est

le signe d’un grand talent,

d’un authentique

tempérament de cinéaste.”

“COMOEDIA”, ARTHUR HOÉRÉE,

(24 AVRIL 1943)

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