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Atelier-spectacle de sortie du groupe 39 juin 2011 Groupe 39 12 comédiens, 6 régisseurs, 4 scénographes, 2 metteurs en scène et 1 dramaturge. Ils quitteront l’École du TNS fin juin et présentent au Théâtre de la Commune leurs dernières représentations en tant qu’ élèves. 1 Créée en 1954 par Michel Saint-Denis, l’École Supérieure d’Art Dramatique du TNS porte toujours les valeurs qui étaient à son fondement. Elle présente à la fois la particularité de se trouver au sein même du TNS et d’être ainsi complètement intégrée à la vie du théâtre, et d’offrir une formation pluridisciplinaire. Les élèves sont choisis par concours deux années sur trois, 50 élèves environ sont donc présents chaque année dans l’École. En juin, le groupe 39 va sortir et le futur groupe 41 sera recruté. La formation dure trois ans. Les enseignements se répartissent entre cours réguliers spécifiques à chaque discipline (jeu, tai-chi, tir à l’arc pour développer la concentration, chant et pratique instrumentale, techniques du spectacle, cours de dramaturgie dispensés en partenariat avec l’UFR Arts du spectacle de l’Université de Strasbourg) et ateliers qui réunissent dans un projet artistique commun les élèves des différentes sections. Les ateliers évoluent de projets fictifs en première année à de petites productions quasi-professionnelles en troisième année. « L’ essentiel de l’apprentissage de l’École est basé sur le faire. On fabrique du théâtre », précise Christian Rätz, responsable de la scénographie. Les ateliers sont menés par des artistes qui présentent très souvent un lien avec la saison théâtrale du TNS. Ainsi, Claude Régy, Gildas Milin et Jean Jourdheuil (entre autres) sont intervenus auprès du groupe 39 en deuxième année quand étaient invités leur spectacle respectif Ode maritime, Machine sans cible et Philoctète. La relation de Jean-Pierre Vincent à ce groupe est privilégiée car ce dernier a participé à son recrutement et les a suivis chaque année. Son spectacle Les Acteurs de bonne foi se jouait dans la salle B.-M. Koltès du TNS en décembre dernier. À partir de la deuxième année, des ateliers sont également initiés par les élèves metteurs en scène et dramaturge. Ce n’est qu’en troisième année que ces ateliers sont ouverts au public. Ainsi, Hugues de la Salle (élève metteur en scène) a travaillé Faust de Goethe et La Poule d’eau de Witkiewicz et Amélie Enon (élève metteur en scène) a monté deux textes de l’élève dramaturge Kevin Keiss Et la nuit sera calme... et Rien n’aura eu lieu. L’École est toujours selon Roland Reinewald, responsable de la section technique, à la fois un lieu de formation, un « terrain d’expérience » et «un laboratoire d’essai». Mais tous s’accordent sur une chose : c’est la notion de groupe qui est fondamentale à la vie de l’École. «Le rapport humain est capital : il s’agit de constituer un groupe d’élèves qui vont vivre ensemble trois ans. Il faut des gens généreux et indulgents» (R. Reinewald). Le travail est intense, le rythme effréné, les projets s’enchaînent… Le groupe forme comme une petite troupe au sein de l’École. Les élèves sont polyvalents. Un régisseur peut être acteur et inversement. Souvent, à la sortie, les élèves qui ont vécu des moments forts continuent à travailler ensemble en créant leur propre compagnie. Camille Audouard, Smita Jaganathen, Herrade Ulrich L’École, une fabrique de théâtre Focus Retour sur les répétitions Page 2 Critique Grand-peur et misère du III e Reich Page 2 Entretien Jean-Pierre Vincent Page 3 Focus Woyzeck : un abîme... Page 3 Après l’École Hugues de La Salle La compagnie Les Irréguliers La compagnie Notre Cairn Page 4 SOMMAIRE © Franck Beloncle «Plus qu’abritée par le TNS, l’École Supérieure d’Art Dramatique en est la force et l’âme, son cœur battant.» Julie Brochen, directrice du TNS

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Journal des étudiants en Master Arts du Spectacle / Université de Strasbourg.

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Atelier-spectacle de sortie du groupe 39

juin 2011

Groupe 39 12 comédiens, 6 régisseurs,

4 scénographes, 2 metteurs en

scène et 1 dramaturge. Ils quitteront

l’École du TNS fin juin et présentent

au Théâtre de la Commune leurs

dernières représentations en tant

qu’ élèves.

1

Créée en 1954 par Michel Saint-Denis, l’École Supérieure d’Art Dramatique du TNS porte toujours les valeurs qui étaient à son fondement. Elle présente à la fois la particularité de se trouver au sein même du TNS et d’être ainsi complètement intégrée à la vie du théâtre, et d’offrir une formation pluridisciplinaire. Les élèves sont choisis par concours deux années sur trois, 50 élèves environ sont donc présents chaque année dans l’École. En juin, le groupe 39 va sortir et le futur groupe 41 sera recruté. La formation dure trois ans. Les enseignements se répartissent entre cours réguliers spécifiques à chaque discipline (jeu, tai-chi, tir à l’arc pour développer la concentration, chant et pratique instrumentale, techniques du spectacle, cours de dramaturgie dispensés en partenariat avec l’UFR Arts du spectacle de l’Université de Strasbourg) et ateliers qui réunissent dans un projet artistique commun les élèves des différentes sections. Les ateliers évoluent de projets fictifs en première année à de petites productions quasi-professionnelles en troisième année. « L’ essentiel de l’ apprentissage de l’École est basé sur le faire. On fabrique du théâtre », précise Christian Rätz, responsable de la scénographie.Les ateliers sont menés par des artistes qui présentent très souvent un lien avec la saison théâtrale du TNS. Ainsi, Claude Régy, Gildas Milin et Jean Jourdheuil (entre autres) sont intervenus auprès du groupe 39 en deuxième année quand étaient invités leur spectacle respectif Ode maritime, Machine sans cible et Philoctète. La relation de Jean-Pierre Vincent à ce groupe est privilégiée car ce dernier a

participé à son recrutement et les a suivis chaque année. Son spectacle Les Acteurs de bonne foi se jouait dans la salle B.-M. Koltès du TNS en décembre dernier.À partir de la deuxième année, des ateliers sont également initiés par les élèves metteurs en scène et dramaturge. Ce n’est qu’en troisième année que ces ateliers sont ouverts au public. Ainsi, Hugues de la Salle (élève metteur en scène) a travaillé Faust de Goethe et La Poule d’eau de Witkiewicz et Amélie Enon (élève metteur en scène) a monté deux textes de l’élève dramaturge Kevin Keiss Et la nuit sera calme... et Rien n’aura eu lieu.L’École est toujours selon Roland Reinewald, responsable de la section technique, à la fois un lieu de formation, un « terrain d’expérience » et « un laboratoire d’essai ». Mais tous s’accordent sur une chose : c’est la notion de groupe qui est fondamentale à la vie de l’École.« Le rapport humain est capital  : il s’agit de constituer un groupe d’élèves qui vont vivre ensemble trois ans. Il faut des gens généreux et indulgents » (R. Reinewald). Le travail est intense, le rythme effréné, les projets s’enchaînent… Le groupe forme comme une petite troupe au sein de l’École. Les élèves sont polyvalents. Un régisseur peut être acteur et inversement. Souvent, à la sortie, les élèves qui ont vécu des moments forts continuent à travailler ensemble en créant leur propre compagnie.

Camille Audouard, Smita Jaganathen, Herrade Ulrich

L’École, une fabrique de théâtre

Focus Retour sur les répétitions

Page 2

Critique Grand-peur et misère du IIIe Reich

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Entretien Jean-Pierre Vincent

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Focus Woyzeck : un abîme...

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Après l’ÉcoleHugues de La SalleLa compagnie Les IrréguliersLa compagnie Notre Cairn

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« Plus qu’abritée par le TNS, l’École Supérieure d’Art Dramatique en est la force et l’âme, son cœur battant. » Julie Brochen, directrice du TNS

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Retour sur les répétitions« Il ne faut pas oublier que vous parlez Brecht et que donc, à tout moment, vous parlez politique. » Jean-Pierre Vincent La mise en scène du spectacle

de sortie des élèves du groupe 39 du TNS marque le retour de Jean-Pierre Vincent à un texte et à un lieu. Retrouvailles avec la pièce de Brecht qu’il a déjà travaillé en 1971 (mais également avec celle de Büchner qu’il a déjà croisée trois fois), avec le Théâtre national de Strasbourg dont il a été directeur de 1975 à 1983 et avec le groupe d’élèves qu’il suit depuis leur admission au sein de l’École.

« 30 Januar 1933 » affiche au lointain une projection vidéo. Hitler devient chancelier, la représentation peut commencer. Pas d’illusion théâtrale, ni de coulisses ou de rideaux. Juste le plateau sur lequel se croisent les comédiens avant le début de la représentation. Ils sont venus nous montrer ce qui échappe aux livres d’Histoire, les histoires sans majuscule, les non-dits souvent plus éloquents que la parole. Qu’il s’agisse d’héroïsme ou de lâcheté, il est question de quotidien. En portant un regard distancié mais sévère, Brecht nous livre une vision réaliste, presque documentaire, de toutes les classes de la société allemande de l’époque.

Sur scène, peu de décors. Une guirlande lumineuse tombant du plafond semble être le dernier vestige d’une fête populaire (peut-être celle de Woyzeck) et qui aurait été remplacée par les parades militaires. Trois radios posées au sol suffisent à évoquer l’irruption de la politique au sein de l’espace privé. Une table remplace le tréteau présent dans Woyzeck et devient le dernier espace possible de liberté. C’est

autour d’elle qu’éclatent les familles, que se retrouvent les ouvriers et que dînent les SA. Avec peu d’artifices, en gardant uniquement douze d e s v i n g t - q u at re s c è n e s de la pièce, Jean-Pierre Vincent touche à l’essentiel : l’idéologie nazie divise pour mieux régner. Elle fait d’une communauté des individus isolés qui vivent apeurés, dans un dénuement affectif et matériel.Les lumières bleutées accentuent cet apparent dépouillement. Le revêtement au sol évoque une couche de glace. L’atmosphère est froide, presque clinique. Nous ne sommes plus au théâtre mais dans un laboratoire où l’on s’apprête à disséquer une

société malade. D’où vient le mal ? De la mort d’un frère, de l’absence d’un enfant ou encore du sentiment de pouvoir que peut procurer le port d’un uniforme. Il est partout et nulle part à la fois, dissimulé au détour d’un silence.La langue de Brecht exclut des dialogues toute banalité. Chaque phrase, si quotidienne soit-elle, est révélatrice d’une angoisse ; chaque mot recèle un soupçon, voire une menace. Cette précision presque chirurgicale, oblige les comédiens à d’exigeants numéros d’équilibristes. Les ruptures de ton sont d’autant plus marquantes que les comédiens en bord de scène portent des costumes neutres qui ne se distinguent au fil des fragments que par certains accessoires qu’ils s’échangent. Dans les scènes comiques où le rire est souvent jaune et toujours glaçant, ils arrivent à être drôle sans être caricaturaux, touchants, émouvants, simplement humains. Toujours sur le fil. Avec talent, les comédiens réussissent à rendre leurs personnages atemporels.Dans les résonances qu’il entretient avec l’époque actuelle, le texte devient troublant. L’irruption intempestive des médias dans la vie privée, le silence forcément complice et les manipulations du langage nous ramènent à notre propre quotidien. En servant simplement et admirablement le texte, le spectacle ne s’appesantit pas. Il échappe, avec beaucoup d’humour, à toute forme d’apitoiement et devient un appel à la solidarité, à l’action, un appel au refus. NON.

Jean-Baptiste Mattler, Guillaume Schleer

CRITIQUEVue en coupe d’une société maladePour ses retrouvailles avec Grand-peur et misère du IIIe Reich, Jean-Pierre Vincent signe une mise en scène intelligente au service d’un texte qui n’en méritait pas moins.

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« Chaque homme est un gouffre, on a le vertige quand on regarde dedans. »

(Woyzeck - Büchner)

14h précises : début des répétitions. Le Groupe 39 se réunit autour de Jean-Pierre Vincent sur le praticable du décor de Woyzeck, pour un court échange sur les répétitions de la veille. Puis, ce dernier retourne à sa table aux côtés de Bernard Chartreux, son dramaturge. Les comédiens commencent leur scène. Mais déjà, il est de retour sur le plateau pour donner des indications précises.

Jean-Pierre Vincent est un guide, un passeur de sens toujours en mouvement pour suggérer un geste, une attitude, éveiller l’imaginaire des comédiens à partir d’un élément concret ou visuel. Il parle d’un tableau de Jérôme Bosch à Mexianu et Jérémie quand il répètent une scène de Woyzeck ou bien, lorsque Malvina travaille La Femme Juive, il lui demande, « tu t’es fait un portrait d’elle visuellement ? ». Sa direction est soucieuse des nuances : « Il faut parler moins bourgeois, sentir le souci, faire culpabiliser son interlocuteur à propos de l’antisémitisme ». Et de préciser, « il ne faut pas être seulement sentimental : ne pas en rajouter dans le mélo et le militantisme sentimental ».

Jean-Pierre Vincent a un grand attachement aux textes et ceux-là, il les connaît par cœur. La présence discrète de Bernard Chartreux est essentielle : il agit en veilleur gardant toujours un œil sur le texte français et l’autre sur le texte allemand. « On dit du texte pour rien s’il n’est pas compréhensible ». Le metteur en scène insiste sur l’intelligibilité du mot et du sens, reprenant Charles pour qu’il prononce le mot « lâcher » en appuyant le « â » ou bien faisant répéter des phrases jusqu’à ce qu’elles sonnent justes.

Sa direction très détaillée est liée à son interrogation inlassable sur les enjeux et les situations de chaque scène qu’il resitue toujours dans le contexte des pièces de Büchner et de Brecht, et plus largement d’une époque, d’une Histoire, de notre Histoire…

Ophélie Groff, Rhéa-Claire Pachocki

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Woyzeck : un abîme…Accompagnés par Jean-Pierre Vincent, les élèves du groupe 39 travaillent depuis trois ans ce texte de Büchner dont l’écriture révolutionnaire annonce le théâtre moderne.

Pour cet atelier-spectacle, le dernier de leur formation, ils ont choisi de conserver l’aspect fragmentaire du texte composé de quatre manuscrits lacunaires et non de recomposer la pièce. Plus qu’une œuvre de théâtre, cette pièce inachevée que Büchner écrit à 24 ans à Strasbourg en 1837, l’année de sa mort, est une écriture incessante que les acteurs retravaillent chaque soir, en jouant les uns à la suite des autres les manuscrits comme autant de tentatives pour comprendre la complexité de Woyzeck.

Woyzeck est un texte difficile, troué, morcelé qui devient une gageure théâtrale lors du passage au plateau. Jean-Pierre Vincent s’y est déjà confronté trois fois. Dans cette mise en scène, il permet aux spectateurs de voir l’œuvre de Büchner à l’étape de brouillon et en train de s’écrire. Plus particulièrement, il insiste sur la construction des personnages : la nécessité de devoir distribuer tous les comédiens devient l’opportunité de rendre visible les facettes diffractées d’un même personnage. Les personnages de Marie et Woyzeck s’ étoffent entre le premier et le quatrième manuscrit et se dessinent ainsi plus nettement.

L’écriture brute de Büchner est mise en valeur par des choix scénographiques épurés : un praticable, quatre guirlandes et des costumes marqués par leur époque sans chercher la reconstitution historique. Le travail de lumières, quant à lui, évolue avec chacun des manuscrits. Azéline Cornut, régisseure lumière, revient ainsi sur l’intention dramaturgique de Jean-Pierre Vincent. Dans le premier manuscrit, la lumière, essentiellement produite par des fluos blancs, est froide pour laisser place au seul texte. Puis, dans les manuscrits suivants, la lumière est plus nuancée : aux fluos s’ajoutent des projecteurs, des leds qui dessinent des espaces (auberge, maison, forêt sombre) et des atmosphères. Les guirlandes, jusqu’alors accessoires scénographiques, sont exploitées pour la lumière et créent des ambiances plus chaudes, intimes, voire festives.

Cette mise en scène singulière et riche rend concret le matériau poétique laissé par Büchner. Celui-ci est d’abord chaotique mais le travail de Jean-Pierre Vincent et des élèves du groupe 39 révèle toutes les intentions et le travail d’écriture du dramaturge allemand.

Anaïs Cayla, Julie Honoré

Comment est née l’idée du projet B+B ?J.-P. Vincent : C’est l’histoire de toute une vie entre Büchner, Bernard Chartreux et moi-même puisque j’ai monté mon premier Woyzeck en 1973. Büchner, c’est le créateur, le dynamiteur qui a inventé le théâtre moderne. Son théâtre est une arme pour toute la vie. Quand Julie Brochen m’a demandé de venir travailler à l’École elle savait que je ne viendrais pas faire un numéro de metteur en scène. Je travaille tout au long des trois ans. Au départ, le projet n’incluait pas Brecht. Mais les rôles féminins sont peu nombreux chez Büchner et il fallait distribuer tous les élèves équitablement. On a alors évoqué plusieurs possibilités et le couplage le plus

cohérent était celui avec Brecht, puisqu’il a commencé sa vie d’écrivain à l’ombre du fantôme de Büchner et qu’il le considérait comme un de ses maîtres.

Comment voyez-vous votre rôle de « maître de théâtre » ?Avec les élèves, on n’ est pas seulement là pour apporter notre prétendu savoir. On est nous-mêmes à l’école. Que je travaille dans une école ou avec des professionnels, je travaille exactement de la même façon. Si je fais encore ce métier (car c’en est un, aussi), c’est pour apprendre toujours davantage. J’ai une expérience longue et réfléchie, mais en même temps, je reste un enfant au théâtre. Il faut accorder aux élèves toute la possibilité de talent, solliciter leur génie, ce moment où quelqu’un invente une solution extraordinairement poétique, vive, unique et partageable. Il faut toujours s’interroger sur le fonctionnement du cerveau d’un écrivain qui fait lui-même fonctionner le cerveau de ses personnages et les pousse à dire la phrase suivante. La langue française est un ruisseau qui avance droit. L’ étude de l’allemand (au théâtre) nous aide à «  lester  » notre français. Woyzeck le dit à deux reprises : « une chose après l’autre ». Il ne faut jamais laisser la machine s’emballer.

C’est une attention permanente de notre part, à Bernard et à moi.

Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Bernard Chartreux ?Le dramaturge, c’est un philosophe qui serait le premier spectateur. Lors des répétitions, Bernard ne dit pas grand-chose parce que nous avons beaucoup travaillé en amont. Je peux me livrer physiquement dans la répétition parce que je sais que si je dévie sur une voie inutile, il va se gratter la gorge. Et là, je sais déjà ce qu’il va me dire. C’est une conception extrêmement vivante de la dramaturgie. C’est un compagnon de travail qui partage d’un autre angle la poésie du spectacle. Le jour de la première,

si on comptait le nombre d’idées de mise en scène et de fondements dramaturgiques qui viennent de lui ou moi, ce serait fifty fifty.

Quelle portée politique donnez-vous à ce diptyque ?Il y a plusieurs façons de faire du théâtre politique. « Théâtre de combat », ça a signifié pendant longtemps « théâtre de classe ». Selon moi c’est plutôt un combat pour ne pas mourir idiot. Aujourd’hui on est revenu à des spectacles ouvertement violents ou récriminateurs (on s’y plaint beaucoup). Ce n’est pas mon tempérament. Mon obsession est de dénicher ce qui est politique dans la vie des gens – « la vie des hommes entre eux », disait Brecht. Pour cela, je ne monte rien que le texte mais je monte tout le texte, tout ce qui n’est pas dit par l’auteur mais qui y est en germe. Une grande œuvre théâtrale ne dit pas tout, elle laisse des espaces, le vent de l’Histoire souffle entre les mots. Je pense que l’effet politique principal, c’est de s’intéresser aux rapports de forces qu’induit un texte. Les textes qui n’induisent pas de rapport de forces, je ne les monte pas et puis c’est tout.

Jean-Baptiste Mattler, Olivier Princet

Jean-Pierre Vincent a dirigé avec Bernard Chartreux, son dramaturge depuis 35 ans, l’atelier de sortie des élèves.

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Notre Cairn, une métaphore du comment créer ensemble

Hugues de La Salle, élève metteur en scène

Journal conçu et rédigé par les étudiants en Master Arts du Spectacle de l’Université de Strasbourg. En collaboration avec le TNS.Camille Audouard, Anaïs Cayla, Ophélie Groff, Julie Honoré, Smita Jaganathen, Jean-Baptiste Mattler, Rhéa-Claire Pachocki, Olivier Princet, Guillaume Schleer, Herrade Ulrich, Lorraine WissCoordination : Lorédane BesnierRemerciements : Barbara Engelhardt, Jacques Lombard et Suzy Boulmedais

Retrouvez l’École du TNS sur Facebook et sur Le Blog du TNS

Amélie Enon et Kevin Keiss se sont rencontrés en passant le concours du TNS, y ont mené ensemble leurs projets d’élèves et viennent de créer leur compagnie implantée en Alsace : Les Irréguliers.

Amélie est venue à la mise en scène par un questionnement sur l’espace et Kevin à la dramaturgie après une pratique du jeu et des études de lettres classiques. Tous deux ont choisi le TNS parce qu’ils désiraient rencontrer des acteurs et croiser les champs disciplinaires.

Très vite, à l’École, viennent les discussions et les échanges de textes… En découle une envie partagée sur la manière de faire du théâtre  :

«  Qu’est-ce que témoigner du monde   ?  ». Fidèles à ce questionnement sur la « politique du théâtre  », ils recherchent un texte qui parlerait de liberté, de résistance et de justice, une pièce sur les enjeux de la jeunesse.

De là vont naître deux ateliers Et la nuit sera calme... (2ème année) et Rien n’aura eu lieu (3ème année). Finalement il s’agit de «  pièces neuves  » écrites par Kevin à partir, respectivement des Brigands de Schiller et de Fuente Ovejuna de Lope de Vega, et surtout d’un travail d’improvisation des acteurs.

Dans ce travail d’écriture, la langue est poétique. Ce n’est pas une « parole de communication, une parole banale ». Elle reste concrète et s’expérimente au plateau car le texte continue à évoluer pendant les répétitions. En effet, l’idée du collectif est essentielle pour eux. Elle détermine leur

processus de travail qui reste singulier à chaque projet et sans cesse à renouveler.

Avec Les Irréguliers, Amélie et Kevin reprendront Et la nuit sera calme... au TNS et à Montpellier à l’automne prochain.

Julie Honoré, Lorraine Wiss

Plusieurs futurs ex-élèves du Groupe 39 viennent de créer en Alsace le collectif Notre Cairn. Ce projet est apparu dès la première année de l’École. Le Cairn est un refuge, une balise, un repère, un petit monticule de pierres, une œuvre collective et anonyme que l’on trouve au bord des chemins de randonneurs.

Dans la volonté de faire perdurer l’école après l’école, le collectif Notre Cairn se veut un lieu de l’imaginaire, un endroit de réflexions et de recherches ouvert et non communautaire. Il s’agit d’inventer un endroit d’apprentissage constant. Pour Charles Zévaco, élève comédien,

le collectif se fonde sur le partage des idées et sur l’identité de plusieurs individus qui prendront, au gré de leur envie, la responsabilité d’une création.

Le premier projet du collectif sera une mise en scène de Sur la grand-route de Tchekhov par Charles Zévaco en septembre 2011. Réinterrogeant le théâtre et le rapport au spectateur, il installe sa « taverne » sur la Péniche Opéra de Paris qui se déplacera sur le canal de la Marne au Rhin et du Rhône au Rhin en passant par villes et villages lorrains et alsaciens dès 2012. Ce projet de théâtre

itinérant s’inscrit dans l’idée de faire du théâtre un « lieu de passage » et renvoie aux origines de la décentralisation initiée par la tournée des Cadets, premiers groupes formés à l’École du Centre Dramatique de l’Est (futur TNS).

D’autres projets sont en cours de réflexion : une adaptation théâtrale de La Métamorphose de Kafka par Malvina Morisseau et An american prayer, projet autour de la figure de Jim Morrison par Charles Zévaco…

Smita Jaganathen, Lorraine Wiss

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Finalement, rien n’est figé. Tout est un peu… Irrégulier !

Pourquoi avoir choisi la mise en scène ?Cela vient de mon expérience du jeu. La mise en scène est une autre manière d’appréhender le plateau. Et comme j’ai fait des études de littérature, la mise en scène me semblait au carrefour de mon goût pour le jeu et les lettres. C’est l’envie de direction qui m’a aussi amené vers la mise en scène car la direction me permet de m’approprier un texte et des personnages. En quoi consiste ton travail de direction à l’École ?C’est une force, une richesse de pouvoir diriger les acteurs de mon groupe car nous sommes en formation en même

temps. Tout est encore à faire et nous assumons le fait d’être en apprentissage et de faire des erreurs. Le groupe est riche de propositions que le metteur en scène fédère. Je ne revendique pas le mot « collectif » au théâtre mais c’est une évidence pour moi.Quelles écritures t’attirent le plus ?Ce sont celles qui parlent d’un apprentissage, d’une initiation, d’une phase

transitoire, d’une crise. Dans Faust* de Goethe ou La Poule d’eau* de Witkiewicz, les personnages font face à des événements qui exigent d’eux un bilan de leur vie. Ils découvrent alors un autre rapport à l’existence et aux gens. Ils sont en quête, en recherche de sens. Et c’est cette recherche, cette quête que j’essaie de mettre en scène. Peux-tu nous parler de tes projets à venir ?Je m’intéresse beaucoup aux œuvres littéraires qui ne sont pas forcément des pièces théâtrales, notamment à celles de Robert Walser. Mais c’est l’adaptation qui m’effraie. Je souhaite aussi continuer à jouer : être comédien est important pour pouvoir diriger.Que t’a apporté l’École dans ta formation à la mise en scène ?La formation à la mise en scène est compliquée, il n’y a pas de « recette miracle ». Les rencontres avec les intervenants permettent d’aborder des méthodes de travail, des langages, des attentes parfois radicalement différentes. L’École nous offre très tôt des conditions professionnelles, notamment avec les stages auprès de metteurs en scène. Cependant, ce sont les projets d’élèves qui restent les plus formateurs car c’est là où nous sommes le plus autonomes.

Anaïs Cayla, Rhéa-Claire Pachocki

* ateliers d’élèves mis en scène par Hugues de La Salle en 2ème et 3ème années