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    Introduction

    Hbert ne commenait jamais un numro duPre Duchne sans y mettre quelques foutre elques bougre . Ces grossirets ne signifiaient rien, mais elles signalaient. Quoi ? Toute uuation rvolutionnaire. Voil donc lexemple dune criture dont la fonction nest plus seulecommuniquer ou dexprimer, mais dimposer un au-del du langage qui est la fois lHistoi

    parti quon y prend.

    l ny a pas de langage crit sans affiche, et ce qui est vrai duPre Duchne, lest galement dtrature. Elle aussi doit signaler quelque chose, diffrent de son contenu et de sa formeividuelle, et qui est sa propre clture, ce par quoi prcisment elle simpose comme Littrat

    o un ensemble de signes donns sans rapport avec l'ide, la langue ni le style, et destins finir dans lpaisseur de tous les modes dexpression possibles, la solitude dun langage ritut ordre sacral des Signes crits pose la Littrature comme une institution et tend videmmenbstraire de lHistoire, car aucune clture ne se fonde sans une ide de prennit ; or cest l istoire est refuse quelle agit le plusclairement ; il est donc possible de tracer une histoire gage littraire qui nest ni lhistoire de la langue, ni celle des styles, mais seulement l'histoir

    nes de la Littrature, et lon peut escompter que cette histoire formelle manifeste sa faost pas la moins claire, sa liaison avec lHistoire profonde.l sagit bien entendu dune liaison dont la forme peut varier avec lHistoire elle-mme ; il ne

    s ncessaire de recourir un dterminisme direct pour sentir lHistoire prsente dans un dess critures : cette sorte de front fonctionnel qui emporte les vnements, les situations et lees le long du temps historique, propose ici moins des effets que les limites dun choix. LHisalors devant lcrivain comme lavnement dune option ncessaire entre plusieurs morale

    gage ; elle loblige signifier la Littrature selon des possibles dont il nest pas le matre. Onrra, par exemple, que lunit idologique de la bourgeoisie a produit une criture unique, et

    aux temps bourgeois (cest--dire classiques et romantiques), la forme ne pouvait tre dchsque la conscience ne ltait pas ; et quau contraire, ds linstant o lcrivain a cess dtr

    moin de luniversel pour devenir une conscience malheureuse (vers 1850), son premier geste de choisir lengagement de sa forme, soit en assumant, soit en refusant lcriture de son pacriture classique a donc clat et la Littrature entire, de Flaubert nos jours, est devenue

    oblmatique du langage.Cest ce moment mme que la Littrature (le mot est n peu de temps avant) a t consacfinitivement comme un objet. Lart classique ne pouvait se sentir comme un langage, il taitgage, cest--dire transparence, circulation sans dpt, concours idal dun Esprit universel

    n signe dcoratif sans paisseur et sans responsabilit ; la clture de ce langage tait socialen de nature. On sait que vers la fin du XVIIIe sicle, cette transparence vient se troubler ; lame littraire dveloppe un pouvoir second, indpendant de son conomie et de son euph

    e fascine, elle dpayse, elle enchante, elle a un poids ; on ne sent plus la Littrature comme ode de circulation socialement privilgi, mais comme un langage consistant, profond, plein crets, donn la fois comme rve et comme menace.Ceci est de consquence : la forme littraire peut dsormais provoquer les sentimentsstentiels qui sont attachs au creux de tout objet : sens de linsolite, familiarit, dgot,mplaisance, usage, meurtre. Depuis cent ans, toute criture est ainsi un exercice

    pprivoisement ou de rpulsion en face de cette Forme-Objet que lcrivain rencontre fatale

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    son chemin, quil lui faut regarder, affronter, assumer, et quil ne peut jamais dtruire sanstruire lui-mme comme crivain. La Forme se suspend devant le regard comme un objet ; quon fasse, elle est un scandale : splendide, elle apparat dmode ; anarchique, elle est asoc

    rticulire par rapport au temps ou aux hommes, de nimporte quelle manire elle est solitudTout le XIXesicle a vu progresser ce phnomne dramatique de concrtion. Chezateaubriand, ce nest encore qu'un faible dpt, le poids lger dune euphorie du langage, ute de narcissisme o lcriture se spare peine de sa fonction instrumentale et ne fait que

    garder elle-mme. Flaubert pour ne marquer ici que les moments typiques de ce procs

    nstitu dfinitivement la Littrature en objet, par lavnement dune valeur-travail : la formevenue le terme dune fabrication , comme une poterie ou un joyau (il faut lire que labrication en fut signifie , cest--dire pour la premire fois livre comme spectacle etpose). Mallarm, enfin, a couronn cette construction de la Littrature-Objet, par lacte ulttoutes les objectivations, le meurtre : on sait que tout leffort de Mallarm a port sur une

    struction du langage, dont la Littrature ne serait en quelque sorte que le cadavre.Partie dun nant o la pense semblait senlever heureusement sur le dcor des mots, lcrinsi travers tous les tats dune solidification progressive : dabord objet dun regard, puis re, et enfin dun meurtre, elle atteint aujourdhui un dernier avatar, labsence : dans ces

    itures neutres, appeles ici le degr zro de lcriture , on peut facilement discerner leouvement mme dune ngation, et limpuissance laccomplir dans une dure, comme si latrature, tendant depuis un sicle transmuer sa surface dans une forme sans hrdit, neuvait plus de puret que dans labsence de tout signe, proposant enfin laccomplissement d

    ve orphen : un crivain sans Littrature. Lcriture blanche, celle de Camus, celle de BlanchoCayrol par exemple, ou lcriture parle de Queneau, cest le dernier pisode dune Passion

    criture, qui suit pas pas le dchirement de la conscience bourgeoise.Ce quon veut ici, cest esquisser cette liaison ; cest affirmer lexistence dune ralit formelpendante de la langue et du style ; cest essayer de montrer que cette troisime dimension

    Forme attache elle aussi, non sans un tragique supplmentaire, lcrivain sa socit ; cest re sentir quil ny a pas de Littrature sans une Morale du langage. Les limites matrielles desai (dont quelques pages ont paru dans Combaten 1947 et en 1950) indiquent assez quil negit que dune introduction ce que pourrait tre une Histoire de lEcriture.

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    Premire partie

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    Quest-ce que lcriture ?

    On sait que la langue est un corps de prescriptions et dhabitudes, commun tous les crivane poque. Cela veut dire que la langue est comme une Nature qui passe entirement tra

    parole de lcrivain, sans pourtant lui donner aucune forme, sans mme la nourrir : elle estmme un cercle abstrait de vrits, hors duquel seulement commence se dposer la densitn verbe solitaire. Elle enferme toute la cration littraire peu prs comme le ciel, le sol et

    ction dessinent pour lhomme un habitat familier. Elle est bien moins une provision detriaux quun horizon, cest--dire la fois une limite et une station, en un mot ltenduesurante dune conomie. Lcrivain ny puise rien, la lettre : la langue est plutt pour lui

    mme une ligne dont la transgression dsignera peut-tre une surnature du langage : elle estre dune action, la dfinition et lattente dun possible. Elle nest pas le lieu dun engageme

    cial, mais seulement un rflexe sans choix, la proprit indivise des hommes et non pas desivains ; elle reste en dehors du rituel des Lettres ; cest un objet social par dfinition, non paction. Nul ne peut, sans apprts, insrer sa libert dcrivain dans lopacit de la langue, pa travers elle cest lHistoire entire qui se tient, complte et unie la manire dune Naturssi, pour lcrivain, la langue nest-elle quun horizon humain qui installe au loin une certain

    miliarit, toute ngative dailleurs : dire que Camus et Queneau parlent la mme langue, ce ne prsumer, par une opration diffrentielle, toutes les langues, archaques ou futuristes, qparlent pas : suspendue entre des formes abolies et des formes inconnues, la langue de

    crivain est bien moins un fonds quune limite extrme ; elle est le lieu gomtrique de tout cil ne pourrait pas dire sans perdre, tel Orphe se retournant, la stable signification de sa

    marche et le geste essentiel de sa sociabilit.La langue est donc en de de la Littrature. Le style est presque au-del : des images, un dlexique naissent du corps et du pass de lcrivain et deviennent peu peu les automatismmes de son art. Ainsi sous le nom de style, se forme un langage autarcique qui ne plonge qu

    ns la mythologie personnelle et secrte de lauteur, dans cette hypophysique de la parole, ome le premier couple des mots et des choses, o sinstallent une fois pour toutes les grands

    mes verbaux de son existence. Quel que soit son raffinement, le style a toujours quelque chbrut : il est une forme sans destination, il est le produit dune pousse, non dune intentioncomme une dimension verticale et solitaire de la pense. Ses rfrences sont au niveau dulogie ou dun pass, non dune Histoire : il est la chose de lcrivain, sa splendeur et sason, il est sa solitude. Indiffrent et transparent la socit, dmarche close de la personne

    st nullement le produit dun choix, dune rflexion sur la Littrature. Il est la part prive duuel, il slve partir des profondeurs mythiques de lcrivain, et sploie hors de saponsabilit. Il est la voix dcorative dune chair inconnue et secrte ; il fonctionne la faonne Ncessit, comme si, dans cette espce de pousse florale, le style ntait que le terme dtamorphose aveugle et obstine, partie dun infra-langage qui slabore la limite de la chamonde. Le style est proprement un phnomne dordre germinatif, il est la transmutation dmeur. Aussi les allusions du style sont-elles rparties en profondeur ; la parole a une structurizontale, ses secrets sont sur la mme ligne que ses mots et ce quelle cache est dnou pare mme de son continu ; dans la parole tout est offert, destin une usure immdiate, et

    rbe, le silence et leur mouvement sont prcipits vers un sens aboli : cest un transfert sansage et sans retard. Le style, au contraire, na quune dimension verticale, il plonge dans le

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    uvenir clos de la personne, il compose son opacit partir dune certaine exprience de latire ; le style nest jamais que mtaphore, cest--dire quation entre lintention littraire ucture charnelle de lauteur (il faut se souvenir que la structure est le dpt dune dure). Astyle est-il toujours un secret ; mais le versant silencieux de sa rfrence ne tient pas la natobile et sans cesse sursitaire du langage ; son secret est un souvenir enferm dans le corps dcrivain, la vertu allusive du style nest pas un phnomne de vitesse, comme dans la parole, qui nest pas dit reste tout de mme un intrim du langage, mais un phnomne de densitqui se tient droit et profond sous le style, rassembl durement ou tendrement dans ses figu

    sont les fragments dune ralit absolument trangre au langage. Le miracle de cettensmutation fait du style une sorte dopration supra-littraire, qui emporte lhomme au seupuissance et de la magie. Par son origine biologique, le style se situe hors de lart, cest--dirrs du pacte qui lie lcrivain la socit. On peut donc imaginer des auteurs qui prfrent lacurit de lart la solitude du style. Le type mme de lcrivain sans style, cest Gide, dont lanire artisanale exploite le plaisir moderne dun certain thos classique, tout comme Saint-

    ns a refait du Bach ou Poulenc du Schubert. loppos, la posie moderne celle dun Hun Rimbaud ou dun Char est sature de style et nest artque par rfrence une intentio

    sie. Cest lAutorit du style, cest--dire le lien absolument libre du langage et de son doub

    chair, qui impose lcrivain comme une Fracheur au-dessus de lHistoire.Lhorizon de la langue et la verticalit du style dessinent donc pour lcrivain une nature, cachoisit ni lune ni lautre. La langue fonctionne comme une ngativit, la limite initiale dussible, le style est une Ncessit qui noue lhumeur de lcrivain son langage. L, il trouve l

    miliarit de lHistoire, ici, celle de son propre pass. Il sagit bien dans les deux cas dune natst--dire dun gestuaire familier, o lnergie est seulement dordre opratoire, semployantnombrer, l transformer, mais jamais juger ni signifier un choix.Or toute Forme est aussi Valeur ; cest pourquoi entre la langue et le style, il y a place pour utre ralit formelle : lcriture. Dans nimporte quelle forme littraire, il y a le choix gnral d

    n, dun thos, si lon veut, et cest ici prcisment que lcrivain sindividualise clairement pae cest ici quil sengage. Langue et style sont des donnes antcdentes toute problmatiqlangage, langue et style sont le produit naturel du Temps et de la personne biologique ; maentit formelle de lcrivain ne stablit vritablement quen dehors de linstallation des nola grammaire et des constantes du style, l o le continu crit, rassembl et enferm dabor

    ns une nature linguistique parfaitement innocente, va devenir enfin un signe total, le choix mportement humain, laffirmation dun certain Bien, engageant ainsi lcrivain dans lvidencommunication dun bonheur ou dun malaise, et liant la forme la fois normale et singuliparole la vaste Histoire dautrui. Langue et style sont des forces aveugles ; lcriture est un

    solidarit historique. Langue et style sont des objets ; lcriture est une fonction : elle est lepport entre la cration et la socit, elle est le langage littraire transform par sa destinatiociale, elle est la forme saisie dans son intention humaine et lie ainsi aux grandes crises deistoire. Par exemple, Mrime et Fnelon sont spars par des phnomnes de langue et pacidents de style ; et pourtant ils pratiquent un langage charg dune mme intentionalit, ilsrent une mme ide de la forme et du fond, ils acceptent un mme ordre de conventions

    nt le lieu des mmes rflexes techniques, ils emploient avec les mmes gestes, un sicle etmi de distance, un instrument identique, sans doute un peu modifi dans son aspect, nullemns sa situation ni dans son usage : en bref, ils ont la mme criture. Au contraire, presquentemporains, Mrime et Lautramont, Mallarm et Cline, Gide et Queneau, Claudel et Cam

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    ont parl ou parlent le mme tat historique de notre langue, usent dcritures profondmfrentes ; tout les spare, le ton, le dbit, la fin, la morale, le naturel de leur parole, en sortecommunaut dpoque et de langue est bien peu de chose au prix dcritures si opposes etn dfinies par leur opposition mme.Ces critures sont en effet diffrentes mais comparables, parce quelles sont produites par u

    ouvement identique, qui est la rflexion de lcrivain sur lusage social de sa forme et le choiil en assume. Place au cur de la problmatique littraire, qui ne commence quavec elle,

    criture est donc essentiellement la morale de la forme, cest le choix de laire sociale au sein

    uelle lcrivain dcide de situer la Nature de son langage. Mais cette aire sociale nest nullemle dune consommation effective. Il ne sagit pas pour lcrivain de choisir le groupe social puel il crit : il sait bien que, sauf escompter une Rvolution, ce ne peut tre jamais que pome socit. Son choix est un choix de conscience, non defficacit. Son criture est une fao

    nser la Littrature, non de ltendre. Ou mieux encore : cest parce que lcrivain ne peut rieodifier aux donnes objectives de la consommation littraire (ces donnes purement historiqchappent, mme sil en est conscient), quil transporte volontairement lexigence dun lang

    re aux sources de ce langage et non au terme de sa consommation. Aussi lcriture est-elle ulit ambigu : dune part, elle nat incontestablement dune confrontation de lcrivain et d

    cit ; dautre part, de cette finalit sociale, elle renvoie lcrivain, par une sorte de transfertgique, aux sources instrumentales de sa cration. Faute de pouvoir lui fournir un langagerement consomm, lHistoire lui propose lexigence dun langage librement produit.Ainsi le choix, puis la responsabilit dune criture dsignent une Libert, mais cette Liberts les mmes limites selon les diffrents moments de lHistoire. Il nest pas donn lcrivainoisir son criture dans une sorte darsenal intemporel des formes littraires. Cest sous laession de lHistoire et de la Tradition que stablissent les critures possibles dun crivain dy a une Histoire de lcriture ; mais cette Histoire est double : au moment mme o lHistoir

    nrale propose ou impose une nouvelle problmatique du langage littraire, lcriture

    core pleine du souvenir de ses usages antrieurs, car le langage nest jamais innocent : les mt une mmoire seconde qui se prolonge mystrieusement au milieu des significations nouvecriture est prcisment ce compromis entre une libert et un souvenir, elle est cette libert

    uvenante qui nest libert que dans le geste du choix, mais dj plus dans sa dure. Je puis sute aujourdhui me choisir telle ou telle criture, et dans ce geste affirmer ma libert, prtenne fracheur ou une tradition ; je ne puis dj plus la dvelopper dans une dure sans dev

    u peu prisonnier des mots dautrui et mme de mes propres mots. Une rmanence obstinnue de toutes les critures prcdentes et du pass mme de ma propre criture, couvre la vsente de mes mots. Toute trace crite se prcipite comme un lment chimique dabord

    nsparent, innocent et neutre, dans lequel la simple dure fait peu peu apparatre tout unss en suspension, toute une cryptographie de plus en plus dense.Comme Libert, lcriture nest donc quun moment. Mais ce moment est lun des plus explilHistoire, puisque lHistoire, cest toujours et avant tout un choix et les limites de ce choix.

    rce que lcriture drive dun geste significatif de lcrivain, quelle affleure lHistoire, bien pnsiblement que telle autre coupe de la littrature. Lunit de lcriture classique, homognendant des sicles, la pluralit des critures modernes, multiplies depuis cent ans jusqu laite mme du fait littraire, cette espce dclatement de lcriture franaise correspond biee grande crise de lHistoire totale, visible dune manire beaucoup plus confuse dans lHistoraire proprement dite. Ce qui spare la pense dun Balzac et celle dun Flaubert, cest

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    riation dcole ; ce qui oppose leurs critures, cest une rupture essentielle, au moment mmux structures conomiques font charnire, entranant dans leur articulation des changemencisifs de mentalit et de conscience.

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    critures politiques

    Toutes les critures prsentent un caractre de clture qui est tranger au langage parl.criture nest nullement un instrument de communication, elle nest pas une voie ouverte passerait seulement une intention de langage. Cest tout un dsordre qui scoule travers larole, et lui donne ce mouvement dvor qui le maintient en tat dternel sursis. linversecriture est un langage durci qui vit sur lui-mme et na nullement la charge de confier sa pr

    re une suite mobile dapproximations, mais au contraire dimposer, par lunit et lombre d signes, limage dune parole construite bien avant dtre invente. Ce qui oppose lcriture

    role, cest que la premireparattoujours symbolique, introverse, tourne ostensiblement dun versant secret du langage, tandis que la seconde nest quune dure de signes vides d

    mouvement seul est significatif. Toute la parole se tient dans cette usure des mots, dans cetume toujours emporte plus loin, et il ny a de parole que l o le langage fonctionne avecdence comme une voration qui nenlverait que la pointe mobile des mots ; lcriture, au

    ntraire, est toujours enracine dans un au-del du langage, elle se dveloppe comme un gernon comme une ligne, elle manifeste une essence et menace dun secret, elle est une contremmunication, elle intimide. On trouvera donc dans toute criture lambigut dun objet quifois langage et coercition : il y a, au fond de lcriture, une circonstance trangre au lang

    a comme le regard dune intention qui nest dj plus celle du langage. Ce regard peut trs e une passion du langage, comme dans lcriture littraire ; il peut tre aussi la menace dunnalit, comme dans les critures politiques : lcriture est alors charge de joindre dun seul ralit des actes et lidalit des fins. Cest pourquoi le pouvoir ou lombre du pouvoir finitujours par instituer une criture axiologique, o le trajet qui spare ordinairement le fait deeur est supprim dans lespace mme du mot, donn la fois comme description et commeement. Le mot devient un alibi (cest--dire un ailleurs et une justification). Ceci, qui est vraitures littraires, o lunit des signes est sans cesse fascine par des zones dinfra- ou dultgage, lest encore plus des critures politiques, o lalibi du langage est en mme tempsimidation et glorification : effectivement, cest le pouvoir ou le combat qui produisent les tycriture les plus purs.On verra plus loin que lcriture classique manifestait crmonialement limplantation decrivain dans une socit politique particulire et que, parler comme Vaugelas, ce fut, dabortacher lexercice du pouvoir. Si la Rvolution na pas modifi les normes de cette criture,rce que le personnel pensant restait somme toute le mme et passait seulement du pouvoir

    ellectuel au pouvoir politique, les conditions exceptionnelles de la lutte ont pourtant produsein mme de la grande Forme classique, une criture proprement rvolutionnaire, non paructure, plus acadmique que jamais, mais par sa clture et son double, lexercice du langagent alors li, comme jamais encore dans lHistoire, au Sang rpandu. Les rvolutionnairesvaient aucune raison de vouloir modifier lcriture classique, ils ne pensaient nullement mecause la nature de lhomme, encore moins son langage, et un instrument hrit de VoltaRousseau ou de Vauvenargues, ne pouvait leur paratre compromis. Cest la singularit des

    uations historiques qui a form lidentit de lcriture rvolutionnaire. Baudelaire a parlelque part de la vrit emphatique du geste dans les grandes circonstances de la vie . La

    volution fut par excellence lune de ces grandes circonstances o la vrit, par le sang quellte, devient si lourde quelle requiert, pour sexprimer, les formes mmes de lamplification

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    trale. Lcriture rvolutionnaire fut ce geste emphatique qui pouvait seul continuer lchafotidien. Ce qui parat aujourdhui de lenflure, ntait alors que la taille de la ralit. Cetteiture, qui a tous les signes de linflation, fut une criture exacte : jamais langage ne fut plusraisemblable et moins imposteur. Cette emphase ntait pas seulement la forme moule su

    ame ; elle en tait aussi la conscience. Sans ce drap extravagant, propre tous les grandsvolutionnaires, qui permettait au girondin Guadet, arrt Saint-milion, de dclarer sansicule parce quil allait mourir : Oui, je suis Guadet. Bourreau, fais ton office. Va porter ma tx tyrans de la patrie. Elle les a toujours fait plir : abattue, elle les fera plir encore davantag

    Rvolution naurait pu tre cet vnement mythique qui a fcond lHistoire et toute ide fula Rvolution. Lcriture rvolutionnaire fut comme lentlchie de la lgende rvolutionnai

    e intimidait et imposait une conscration civique du Sang.

    Lcriture marxiste est tout autre. Ici la clture de la forme ne provient pas dune amplificatitorique ni dune emphase du dbit, mais dun lexique aussi particulier, aussi fonctionnel qucabulaire technique ; les mtaphores elles-mmes y sont svrement codifies. Lcriturevolutionnaire franaise fondait toujours un droit sanglant ou une justification morale ; lorcriture marxiste est donne comme un langage de la connaissance ; ici lcriture est univoqu

    rce quelle est destine maintenir la cohsion dune Nature ; cest lidentit lexicale de cettiture qui lui permet dimposer une stabilit des explications et une permanence de mthodst que tout au bout de son langage que le marxisme rejoint des comportements purementitiques. Autant lcriture rvolutionnaire franaise est emphatique, autant lcriture marxislitotique, puisque chaque mot nest plus quune rfrence exigu lensemble des principe

    soutient dune faon inavoue. Par exemple, le mot impliquer , frquent dans lcriturerxiste, ny a pas le sens neutre du dictionnaire ; il fait toujours allusion un procs historiq

    cis, il est comme un signe algbrique qui reprsenterait toute une parenthse de postulatstrieurs.

    Lie une action, lcriture marxiste est rapidement devenue, en fait, un langage de la valeuactre, visible dj chez Marx, dont lcriture reste pourtant en gnral explicative, a envah

    mpltement lcriture stalinienne triomphante. Certaines notions, formellement identiques e le vocabulaire neutre ne dsignerait pas deux fois, sont scindes par la valeur et chaquersant rejoint un nom diffrent : par exemple, cosmopolitisme est le nom ngatif dernationalisme (dj chez Marx). Dans lunivers stalinien, o la dfinition, cest--dire laparation du Bien et du Mal, occupe dsormais tout le langage, il ny a plus de mots sans valecriture a finalement pour fonction de faire lconomie dun procs : il ny a plus aucun su

    tre la dnomination et le jugement, et la clture du langage est parfaite, puisque cest

    alement une valeur qui est donne comme explication dune autre valeur ; par exemple, on e tel criminel a dploy une activit nuisible aux intrts de ltat ; ce qui revient dire quuminel est celui qui commet un crime. On le voit, il sagit dune vritable tautologie, procdnstant de lcriture stalinienne. Celle-ci, en effet, ne vise plus fonder une explication marxis faits, ou une rationalit rvolutionnaire des actes, mais donner le rel sous sa forme jugposant une lecture immdiate des condamnations : le contenu objectif du mot dviationn

    dordre pnal. Si deux dviationnistes se runissent, ils deviennent des fractionnistes , ccorrespond pas une faute objectivement diffrente, mais une aggravation de la pnalit

    ut dnombrer une criture proprement marxiste (celle de Marx et de Lnine) et une criturelinisme triomphant (celle des dmocraties populaires) ; il y a certainement aussi une critur

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    tskiste et une criture tactique, qui est celle, par exemple, du communisme franaisbstitution de peuple , puis de braves gens classe ouvrire , ambigut volontairemes de dmocratie , libert , paix , etc.).l nest pas douteux que chaque rgime possde son criture, dont lhistoire reste encore fcriture, tant la forme spectaculairement engage de la parole, contient la fois, par unebigut prcieuse, ltre et le paratre du pouvoir, ce quil est et ce quil voudrait quon le cre histoire des critures politiques constituerait donc la meilleure des phnomnologies socir exemple, la Restauration a labor une criture de classe, grce quoi la rpression tait

    mdiatement donne comme une condamnation surgie spontanment de la Nature class ouvriers revendicatifs taient toujours des individus , les briseurs de grve, des ouvrienquilles , et la servilit des juges y devenait la vigilance paternelle des magistrats (de nors, cest par un procd analogue que le gaullisme appelle les communistes des sparatistOn voit quici lcriture fonctionne comme une bonne conscience et quelle a pour mission d

    re concider frauduleusement lorigine du fait et son avatar le plus lointain, en donnant latification de lacte, la caution de sa ralit. Ce fait dcriture est dailleurs propre tous les

    gimes dautorit ; cest ce quon pourrait appeler lcriture policire : on sait par exemple lentenu ternellement rpressif du mot Ordre .

    Lexpansion des faits politiques et sociaux dans le champ de conscience des Lettres a produpe nouveau de scripteur, situ mi-chemin entre le militant et lcrivain, tirant du premier uage idale de lhomme engag, et du second lide que luvre crite est un acte. En mmemps que lintellectuel se substitue lcrivain, nat dans les revues et les essais une critureitante entirement affranchie du style, et qui est comme un langage professionnel de la

    sence . Dans cette criture, les nuances foisonnent. Personne ne niera quil y a par exemple criture Esprit ou une criture Temps modernes . Le caractre commun de ces crituellectuelles, cest quici le langage de lieu privilgi tend devenir le signe suffisant de

    ngagement. Rejoindre une parole close par la pousse de tous ceux qui ne la parlent pas, ceicher le mouvement mme dun choix, sinon soutenir ce choix ; lcriture devient ici comme nature que lon met au bas dune proclamation collective (quon na dailleurs pas rdige sme). Ainsi adopter une criture on pourrait dire encore mieux assumer une criture st faire lconomie de toutes les prmisses du choix, cest manifester comme acquises les race choix. Toute criture intellectuelle est donc le premier des sauts de lintellect . Au lieuun langage idalement libre ne pourrait jamais signaler ma personne et laisserait tout ignomon histoire et de ma libert, lcriture laquelle je me confie est dj tout institution ; ell

    couvre mon pass et mon choix, elle me donne une histoire, elle affiche ma situation, elle

    engage sans que jaie le dire. La Forme devient ainsi plus que jamais un objet autonome,stin signifier une proprit collective et dfendue, et cet objet a une valeur dpargne, ilnctionne comme un signal conomique grce auquel le scripteur impose sans cesse sa convens en retracer jamais lhistoire.Cette duplicit des critures intellectuelles daujourdhui est accentue par le fait quen dps efforts de lpoque, la Littrature na pu tre entirement liquide : elle forme un horizonrbal toujours prestigieux. Lintellectuel nest encore quun crivain mal transform, et moinsaborder et de devenir jamais un militant qui ncrit plus (certains lont fait, par dfinitionblis), il ne peut que revenir la fascination dcritures antrieures, transmises partir de latrature comme un instrument intact et dmod. Ces critures intellectuelles sont donc

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    tables, elles restent littraires dans la mesure o elles sont impuissantes et ne sont politique par leur hantise de lengagement. En bref, il sagit encore dcritures thiques, o la conscscripteur (on nose plus dire de lcrivain) trouve limage rassurante dun salut collectif.Mais de mme que, dans ltat prsent de lHistoire, toute criture politique ne peut quenfirmer un univers policier, de mme toute criture intellectuelle ne peut quinstituer une prature, qui nose plus dire son nom. Limpasse de ces critures est donc totale, elles ne peu

    nvoyer qu une complicit ou une impuissance, cest--dire, de toute manire, unenation.

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    Lcriture du Roman

    Roman et Histoire ont eu des rapports troits dans le sicle mme qui a vu leur plus grand eur lien profond, ce qui devrait permettre de comprendre la fois Balzac et Michelet, cest chn et chez lautre, la construction dun univers autarcique, fabriquant lui-mme ses dimensio limites, et y disposant son Temps, son Espace, sa population, sa collection dobjets et sesthes.

    Cette sphricit des grandes uvres du XIXesicle sest exprime par les longs rcitatifs duman et de lHistoire, sortes de projections planes dun monde courbe et li, dont le roman-

    uilleton, n alors, prsente, dans ses volutes, une image dgrade. Et pourtant la narration ns forcment une loi du genre. Toute une poque a pu concevoir des romans par lettres, paremple ; et toute une autre peut pratiquer une Histoire par analyses. Le Rcit comme formeensive la fois au Roman et lHistoire, reste donc bien, en gnral, le choix ou lexpression moment historique.

    Retir du franais parl, le pass simple, pierre dangle du Rcit, signale toujours un art ; il frtie dun rituel des Belles-Lettres. Il nest plus charg dexprimer un temps. Son rle est demener la ralit un point, et dabstraire de la multiplicit des temps vcus et superposs ue verbal pur, dbarrass des racines existentielles de lexprience, et orient vers une liaisoique avec dautres actions, dautres procs, un mouvement gnral du monde : il vise intenir une hirarchie dans lempire des faits. Par son pass simple, le verbe fait implicitem

    rtie dune chane causale, il participe un ensemble dactions solidaires et diriges, il fonctimme le signe algbrique dune intention ; soutenant une quivoque entre temporalit etusalit, il appelle un droulement, cest--dire une intelligence du Rcit. Cest pour cela quilstrument idal de toutes les constructions dunivers ; il est le temps factice des cosmogonies mythes, des Histoires et des Romans. Il suppose un monde construit, labor, dtach, rds lignes significatives, et non un monde jet, tal, offert. Derrire le pass simple se cacheujours un dmiurge, dieu ou rcitant ; le monde nest pas inexpliqu lorsquon le rcite, chacses accidents nest que circonstanciel, et le pass simple est prcisment ce signe opratoireuel le narrateur ramne lclatement de la ralit un verbe mince et pur, sans densit, sanume, sans dploiement, dont la seule fonction est dunir le plus rapidement possible une caune fin. Lorsque lhistorien affirme que le duc de Guise mourut le 23 dcembre 1588, ou lorsromancier raconte que la marquise sortit cinq heures, ces actions mergent dun autrefois

    aisseur ; dbarrasses du tremblement de lexistence, elles ont la stabilit et le dessin dunebre, elles sont un souvenir, mais un souvenir utile, dont lintrt compte beaucoup plus qure.Le pass simple est donc finalement lexpression dun ordre, et par consquent dune euphoce lui, la ralit nest ni mystrieuse, ni absurde ; elle est claire, presque familire, chaqoment rassemble et contenue dans la main dun crateur ; elle subit la pression ingnieuselibert. Pour tous les grands rcitants du XIXesicle, le monde peut tre pathtique, mais il s abandonn, puisquil est un ensemble de rapports cohrents, puisquil ny a pas deevauchement entre les faits crits, puisque celui qui le raconte a le pouvoir de rcuser lopac

    a solitude des existences qui le composent, puisquil peut tmoigner chaque phrase dunmmunication et dune hirarchie des actes, puisque enfin, pour tout dire, ces actes eux-mm

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    uvent tre rduits des signes.Le pass narratif fait donc partie dun systme de scurit des Belles-Lettres. Image dun ordnstitue lun de ces nombreux pactes formels tablis entre lcrivain et la socit, pour latification de lun et la srnit de lautre. Le pass simple signifieune cration : cest--dire signale et quil limpose. Mme engag dans le plus sombre ralisme, il rassure, parce que, gui, le verbe exprime un acte clos, dfini, substanti v, le Rcit a un nom, il chappe la terrene parole sans limite : la ralit samaigrit et se familiarise, elle entre dans un style, elle ne

    borde pas le langage ; la Littrature reste la valeur dusage dune socit avertie par la form

    me des mots, du sens de ce quelle consomme. Au contraire, lorsque le Rcit est rejet au putres genres littraires, ou bien, lorsque lintrieur de la narration, le pass simple est

    mplac par des formes moins ornementales, plus fraches, plus denses et plus proches de larole (le prsent ou le pass compos), la Littrature devient dpositaire de lpaisseur dexistence, et non de sa signification. Spars de lHistoire, les actes ne le sont plus des personOn sexplique alors ce que le pass simple du Roman a dutile et dintolrable : il est unnsonge manifest ; il trace le champ dune vraisemblance qui dvoilerait le possible dans le

    mps mme o elle le dsignerait comme faux. La finalit commune du Roman et de lHistoirerre, cest daliner les faits : le pass simple est lacte mme de possession de la socit sur

    ss et son possible. Il institue un continu crdible mais dont lillusion est affiche, il est le teime dune dialectique formelle qui habillerait le fait irrel des vtements successifs de la vrs du mensonge dnonc. Cela doit tre mis en rapport avec une certaine mythologie de

    niversel, propre la socit bourgeoise, dont le Roman est un produit caractris : donner maginaire la caution formelle du rel, mais laisser ce signe lambigut dun objet double, s vraisemblable et faux, cest une opration constante dans tout lart occidental, pour qui leale le vrai, non par agnosticisme ou duplicit potique, mais parce que le vrai est cens contgerme duniversel ou, si lon prfre, une essence capable de fconder, par simple reproduc

    s ordres diffrents par lloignement ou la fiction. Cest par un procd de ce genre que la

    urgeoisie triomphante du sicle a pu considrer ses propres valeurs comme universelles etporter sur des parties absolument htrognes de sa socit tous les Noms de sa morale. Ce

    proprement le mcanisme du mythe, et le Roman et dans le Roman, le pass simple, sons objets mythologiques, qui superposent leur intention immdiate, le recours second ungmatique, ou mieux encore, une pdagogie, puisquil sagit de livrer une essence sous lespces dun artifice. Pour saisir la signification du pass simple, il suffit de comparer lartmanesque occidental telle tradition chinoise, par exemple, o lart nest rien dautre que lrfection dans limitation du rel ; mais l, rien, absolument aucun signe, ne doit distinguer lturel de lobjet artificiel : cette noix en bois ne doit pas me livrer, en mme temps que limag

    ne noix, lintention de me signaler lart qui la fait natre. Cest, au contraire, ce que faitcriture romanesque. Elle a pour charge de placer le masque et en mme temps de le dsigne

    Cette fonction ambigu du pass simple, on la retrouve dans un autre fait dcriture : laisime personne du Roman. On se souvient peut-tre dun roman dAgatha Christie o toutvention consistait dissimuler le meurtrier sous la premire personne du rcit. Le lecteur

    erchait lassassin derrire tous les il de lintrigue : il tait sous le je . Agatha Christie sarfaitement que dans le roman, dordinaire, le je est tmoin, cest le il qui est acteur.urquoi ? Le il est une convention type du roman ; lgal du temps narratif, il signale etcomplit le fait romanesque ; sans la troisime personne, il y a impuissance atteindre au rom

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    volont de le dtruire. Le il manifeste formellement le mythe ; or, en Occident du moinsnt de le voir, il ny a pas dart qui ne dsigne son masque du doigt. La troisime personne,

    mme le pass simple, rend donc cet office lart romanesque et fournit ses consommateucurit dune fabulation crdible et pourtant sans cesse manifeste comme fausse.Moins ambigu, le je est par l mme moins romanesque : il est donc la fois la solution s immdiate, lorsque le rcit reste en de de la convention (luvre de Proust par exemple

    ut tre quune introduction la Littrature), et la plus labore, lorsque le je se place aula convention et tente de la dtruire en renvoyant le rcit au faux naturel dune confidence

    laspect retors de certains rcits gidiens). De mme, lemploi du il romanesque engage dhiques opposes : puisque la troisime personne du roman reprsente une conventioniscute, elle sduit les plus acadmiques et les moins tourments aussi bien que les autres,ent finalement la convention ncessaire la fracheur de leur uvre. De toute manire, elle

    signe dun pacte intelligible entre la socit et lauteur ; mais elle est aussi pour ce dernier leemier moyen de faire tenir le monde de la faon quil veut. Elle est donc plus quune exprieraire : un acte humain qui lie la cration lHistoire ou lexistence.Chez Balzac, par exemple, la multiplicit des il , tout ce vaste rseau de personnes mincevolume de leur corps, mais consquentes par la dure de leurs actes, dcle lexistence dun

    onde dont lHistoire est la premire donne. Le il balzacien nest pas le terme dune gestartie dun je transform et gnralis ; cest llment originel et brut du roman, le matrn le fruit de la cration : il ny a pas une histoire balzacienne antrieure lhistoire de chaquisime personne du roman balzacien. Le il de Balzac est analogue au il de Csar : laisime personne ralise ici une sorte dtat algbrique de laction, o lexistence a le moins rt possible, au profit dune liaison, dune clart ou dun tragique des rapports humains. ppos ou en tout cas antrieurement , la fonction du il romanesque peut trexprimer une exprience existentielle. Chez beaucoup de romanciers modernes, lhistoire de

    omme se confond avec le trajet de la conjugaison : parti dun je qui est encore la forme l

    s fidle de lanonymat, lhomme-auteur conquiert peu peu le droit la troisime personnet mesure que lexistence devient destin, et le soliloque Roman. Ici lapparition du il n

    s le dpart de lHistoire, elle est le terme dun effort qui a pu dgager dun monde personneumeurs et de mouvements une forme pure, significative, donc aussitt vanouie, grce au d

    rfaitement conventionnel et mince de la troisime personne. Cest l certainement le trajetemplaire des premiers romans de Jean Cayrol. Mais tandis que chez les classiques et lon se pour lcriture le classicisme se prolonge jusqu Flaubert le retrait de la personnelogique atteste une installation de lhomme essentiel, chez des romanciers comme Cayrol,

    nvahissement du il est une conqute progressive mene contre lombre paisse du je

    stentiel ; tant le Roman, identifi par ses signes les plus formels, est un acte de sociabilit ; titue la Littrature.Maurice Blanchot a indiqu propos de Kafka que llaboration du rcit impersonnel (on

    marquera propos de ce terme que la troisime personne est toujours donne comme ugr ngatif de la personne) tait un acte de fidlit lessence du langage, puisque celui-ci tturellement vers sa propre destruction. On comprend alors que le il soit une victoire sur , dans la mesure o il ralise un tat la fois plus littraire et plus absent. Toutefois la vict

    sans cesse compromise : la convention littraire du il est ncessaire lamenuisement drsonne, mais risque chaque instant de lencombrer dune paisseur inattendue. La Littrat

    comme le phosphore : elle brille le plus au moment o elle tente de mourir. Mais comme

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    utre part, elle est un acte qui implique ncessairement la dure surtout dans le Roman a jamais finalement de Roman sans Belles-Lettres. Aussi la troisime personne du Roman e

    e lun des signes les plus obsdants de ce tragique de lcriture, n au sicle dernier, lorsqueus le poids de lHistoire, la Littrature sest trouve disjointe de la socit qui la consomme.tre la troisime personne de Balzac et celle de Flaubert, il y a tout un monde (celui de 1848) e Histoire pre dans son spectacle, mais cohrente et sre, le triomphe dun ordre ; ici un ar, pour chapper sa mauvaise conscience, charge la convention ou tente de la dtruire aveportement. La modernit commence avec la recherche dune Littrature impossible.

    Ainsi lon retrouve, dans le Roman, cet appareil la fois destructif et rsurrectionnel propreut lart moderne. Ce quil sagit de dtruire, cest la dure, cest--dire la liaison ineffable dexistence : lordre, que ce soit celui du continu potique o celui des signes romanesques, celterreur ou celui de la vraisemblance, lordre est un meurtre intentionnel. Mais ce qui reconqcrivain, cest encore la dure, car il est impossible de dvelopper une ngation dans le tempns laborer un art positif, un ordre qui doit tre nouveau dtruit. Aussi les plus grandes la modernit sarrtent-elles le plus longtemps possible, par une sorte de tenue miraculeus

    uil de la Littrature, dans cet tat vestibulaire o lpaisseur de la vie est donne, tire sanurtant tre encore dtruite par le couronnement dun ordre des signes : par exemple, il y a l

    emire personne de Proust, dont toute luvre tient un effort, prolong et retard vers latrature. Il y a Jean Cayrol qui naccde volontairement au Roman quau terme le plus tardifiloque, comme si lacte littraire, suprmement ambigu, naccouchait dune cration consacr la socit quau moment o il a russi dtruire la densit existentielle dune durequalors sans signification.Le Roman est une Mort ; il fait de la vie un destin, du souvenir un acte utile, et de la dure u

    mps dirig et significatif. Mais cette transformation ne peut saccomplir quaux yeux de la sost la socit qui impose le Roman, cest--dire un complexe de signes, comme transcendanc

    mme Histoire dune dure. Cest donc lvidence de son intention, saisie dans la clart des

    nes romanesques, que lon reconnat le pacte qui lie par toute la solennit de lart lcrivaincit. Le pass simple et la troisime personne du Roman ne sont rien dautre que ce geste fr lequel lcrivain montre du doigt le masque quil porte. Toute la Littrature peut dire : rvatus prodeo, je mavance en dsignant mon masque du doigt. Que ce soit lexprienceumaine du pote, assumant la plus grave des ruptures, celle du langage social, ou que ce sonsonge crdible du romancier, la sincrit a ici besoin de signes faux, et videmment faux, p

    rer et pour tre consomme. Le produit, puis finalement la source de cette ambigut, cestcriture. Ce langage spcial, dont lusage donne lcrivain une fonction glorieuse mais survenifeste une sorte de servitude invisible dans les premiers pas, qui est le propre de toute

    ponsabilit : lcriture, libre ses dbuts, est finalement le lien qui enchane lcrivain unetoire elle-mme enchane : la socit le marque des signes bien clairs de lart afin de lentrs srement dans sa propre alination.

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    Y a-t-il une criture potique ?

    Aux temps classiques, la prose et la posie sont des grandeurs, leur diffrence est mesurablees ne sont ni plus ni moins loignes que deux nombres diffrents, comme eux contigus, mtres par la diffrence mme de leur quantit. Si jappelle prose un discours minimum, vhicus conomique de la pense, et si jappelle a, b, c, des attributs particuliers du langage, inutiis dcoratifs, tels que le mtre, la rime ou le rituel des images, toute la surface des mots se

    era dans la double quation de M. Jourdain :

    Posie = Prose + a + b + cProse = Posie - a - b - c

    Do il ressort videmment que la Posie est toujours diffrente de la Prose. Mais cettefrence nest pas dessence, elle est de quantit. Elle nattente donc pas lunit du langageun dogme classique. On dose diffremment les faons de parler selon les occasions sociales

    ose ou loquence, l, posie ou prciosit, tout un rituel mondain des expressions, mais parseul langage, qui rflchit les catgories ternelles de lesprit. La posie classique ntait se

    e comme une variation ornementale de la Prose, le fruit dun art(cest--dire dune techniqmais comme un langage diffrent ou comme le produit dune sensibilit particulire. Toutesie nest alors que lquation dcorative, allusive ou charge, dune prose virtuelle qui gt eence et en puissance dans nimporte quelle faon de sexprimer. Potique , aux tempsssiques, ne dsigne aucune tendue, aucune paisseur particulire du sentiment, aucunehrence, aucun univers spar, mais seulement linflexion dune technique verbale, celle de xprimer selon des rgles plus belles, donc plus sociales que celles de la conversation ; cese de projeter hors dune pense intrieure issue tout arme de lEsprit, une parole socialisvidence mme de sa convention.De cette structure, on sait quil ne reste rien dans la posie moderne, celle qui part, non deudelaire, mais de Rimbaud, sauf reprendre sur un mode traditionnel amnag les impratmels de la posie classique : les potes instituent dsormais leur parole comme une Natureme, qui embrasserait la fois la fonction et la structure du langage. La Posie nest plus aloe Prose dcore dornements ou ampute de liberts. Elle est une qualit irrductible et sanrdit. Elle nest plus attribut, elle est substance et, par consquent, elle peut trs bien renox signes, car elle porte sa nature en elle, et na que faire de signaler lextrieur son identit

    gages potiques et prosaques sont suffisamment spars pour pouvoir se passer des signemes de leur altrit.En outre, les rapports prtendus de la pense et du langage sont inverss ; dans lart classiqe pense toute forme accouche dune parole qui l exprime , la traduit . La pensessique est sans dure, la posie classique na que celle qui est ncessaire son agencementhnique. Dans la potique moderne, au contraire, les mots produisent une sorte de continumel dont mane peu peu une densit intellectuelle ou sentimentale impossible sans eux ;role est alors le temps pais dune gestation plus spirituelle, dans laquelle la pense estpare, installe peu peu par le hasard des mots. Cette chance verbale, do va tomber le

    r dune signification, suppose donc un temps potique qui nest plus celui dune fabricatiois celui dune aventure possible, la rencontre dun signe et dune intention. La posie mode

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    ppose lart classique par une diffrence qui saisit toute la structure du langage, sans laissetre ces deux posies dautre point commun quune mme intention sociologique.Lconomie du langage classique (Prose et Posie) est relationnelle, cest--dire que les motsnt abstraits le plus possible au profit des rapports. Aucun mot ny est dense par lui-mme, ileine le signe dune chose, il est bien plus la voie dune liaison. Loin de plonger dans une rarieure consubstantielle son dessin, il stend, aussitt profr, vers dautres mots, de famer une chane superficielle dintentions. Un regard sur le langage mathmatique permettrut-tre de comprendre la nature relationnelle de la prose et de la posie classiques : on sait

    ns lcriture mathmatique, non seulement chaque quantit est pourvue dun signe, mais enrapports qui lient ces quantits sont eux aussi transcrits, par une marque dopration, dgde diffrence ; on peut dire que tout le mouvement du continu mathmatique provient duture explicite de ses liaisons. Le langage classique est anim par un mouvement analogue, bvidemment moins rigoureux : ses mots , neutraliss, absents par le recours svre undition qui absorbe leur fracheur, fuient laccident sonore ou smantique qui concentrerait point la saveur du langage et en arrterait le mouvement intelligent au profit dune volupttribue. Le continu classique est une succession dlments dont la densit est gale, soumie mme pression motionnelle, et retirant deux toute tendance une signification individu

    comme invente. Le lexique potique lui-mme est un lexique dusage, non dinvention : lesages y sont particulires en corps, non isolment, par coutume, non par cration. La fonctiote classique nest donc pas de trouver des mots nouveaux, plus denses ou plus clatants, il

    ordonner un protocole ancien, de parfaire la symtrie ou la concision dun rapport, damenerduire une pense la limite exacte dun mtre. Les concetti classiques sont des concetti d

    pports, non de mots : cest un art de lexpression, non de linvention ; les mots, ici, neproduisent pas comme plus tard, par une sorte de hauteur violente et inattendue, la profon

    a singularit dune exprience ; ils sont amnags en surface, selon les exigences duneonomie lgante ou dcorative. On senchante de la formulation qui les assemble, non de le

    ssance ou de leur beaut propres.Sans doute la parole classique natteint pas la perfection fonctionnelle du rseauthmatique : les rapports ny sont pas manifests par des signes spciaux, mais seulement

    s accidents de forme ou de disposition. Cest le retrait mme des mots, leur alignement, quicomplit la nature relationnelle du discours classique ; uss dans un petit nombre de rapportujours semblables, les mots classiques sont en route vers une algbre : la figure rhtorique, ch sont les instruments virtuels dune liaison ; ils ont perdu leur densit au profit dun tatidaire du discours ; ils oprent la faon des valences chimiques, dessinant une aire verbaleine de connexions symtriques, dtoiles et de nuds do surgissent, sans jamais le repos

    onnement, de nouvelles intentions de signification. Les parcelles du discours classique ont ne livr leur sens quelles deviennent des vhicules ou des annonces, transportant toujours

    n un sens qui ne veut se dposer au fond dun mot, mais stendre la mesure dun geste tontellection, cest--dire de communication.Or la distorsion que Hugo a tent de faire subir lalexandrin, qui est le plus relationnel de mtres, contient dj tout lavenir de la posie moderne, puisquil sagit danantir une

    ention de rapports pour lui substituer une explosion de mots. La posie moderne, en effet,squil faut lopposer la posie classique et toute prose, dtruit la nature spontanment

    nctionnelle du langage et nen laisse subsister que les assises lexicales. Elle ne garde des rape leur mouvement, leur musique, non leur vrit. Le Mot clate au-dessus dune ligne de

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    pports vids, la grammaire est dpourvue de sa finalit, elle devient prosodie, elle nest pluune inflexion qui dure pour prsenter le Mot. Les rapports ne sont pas proprement parle

    pprims, ils sont simplement des places gardes, ils sont une parodie de rapports et ce nancessaire car il faut que la densit du Mot slve hors dun enchantement vide, comme un bun signe sans fond, comme une fureur et un mystre .Dans le langage classique, ce sont les rapports qui mnent le mot puis lemportent aussitt sens toujours projet ; dans la posie moderne, les rapports ne sont quune extension du mst le Mot qui est la demeure , il est implant comme une origine dans la prosodie des

    nctions, entendues mais absentes. Ici les rapports fascinent, cest le Mot qui nourrit et combmme le dvoilement soudain dune vrit ; dire que cette vrit est dordre potique, cestulement dire que le Mot potique ne peut jamais tre faux parce quil est total : il brille dunert infinie et sapprte rayonner vers mille rapports incertains et possibles. Les rapports folis, le mot na plus quun projet vertical, il est comme un bloc, un pilier qui plonge dans unsens, de rflexes et de rmanences : il est un signe debout. Le mot potique est ici un acte s

    ss immdiat, un acte sans entours, et qui ne propose que lombre paisse des rflexes deutes origines qui lui sont attachs. Ainsi sous chaque Mot de la posie moderne gt une sorteologie existentielle, o se rassemble le contenu total du Nom, et non plus son contenu lect

    mme dans la prose et dans la posie classiques. Le Mot nest plus dirig lavancepar lintenrale dun discours socialis ; le consommateur de posie, priv du guide des rapports slebouche sur le Mot, frontalement, et le reoit comme une quantit absolue, accompagne deus ses possibles. Le Mot est ici encyclopdique, il contient simultanment toutes les acceptiormi lesquelles un discours relationnel lui aurait impos de choisir. Il accomplit donc un tat st possible que dans le dictionnaire ou dans la posie, l o le nom peut vivre priv de sonicle, amen une sorte dtat zro, gros la fois de toutes les spcifications passes et futuMot a ici une forme gnrique, il est une catgorie. Chaque mot potique est ainsi un objetttendu, une bote de Pandore do senvolent toutes les virtualits du langage ; il est donc

    oduit et consomm avec une curiosit particulire, une sorte de gourmandise sacre. Cette FMot, commune toute la posie moderne, fait de la parole potique une parole terrible etumaine. Elle institue un discours plein de trous et plein de lumires, plein dabsences et denes surnourrissants, sans prvision ni permanence dintention et par l si oppos la foncticiale du langage, que le simple recours une parole discontinue ouvre la voie de toutes lesrnatures.

    Que signifie en effet lconomie rationnelle du langage classique sinon que la Nature est plessdable, sans fuite et sans ombre, tout entire soumise aux rets de la parole ? Le langage

    ssique se rduit toujours un continu persuasif, il postule le dialogue, il institue un univers hommes ne sont pas seuls, o les mots nont jamais le poids terrible des choses, o la parotoujours la rencontre dautrui. Le langage classique est porteur deuphorie parce que cest

    gage immdiatement social. Il ny a aucun genre, aucun crit classique qui ne se suppose unnsommation collective et comme parle ; lart littraire classique est un objet qui circule entrsonnes assembles par la classe, cest un produit conu pour la transmission orale, pour unnsommation rgle selon les contingences mondaines : cest essentiellement un langage pardpit de sa codification svre.On a vu quau contraire la posie moderne dtruisait les rapports du langage et ramenait lecours des stations de mots. Cela implique un renversement dans la connaissance de la Na

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    discontinu du nouveau langage potique institue une Nature interrompue qui ne se rvle r blocs. Au moment mme o le retrait des fonctions fait la nuit sur les liaisons du monde,bjet prend dans le discours une place exhausse : la posie moderne est une posie objectivture y devient un discontinu dobjets solitaires et terribles, parce quils nont que des liaisontuelles ; personne ne choisit pour eux un sens privilgi ou un emploi ou un service, personnr impose une hirarchie, personne ne les rduit la signification dun comportement mentane intention, cest--dire finalement dune tendresse. Lclatement du mot potique institurs un objet absolu ; la Nature devient une succession de verticalits, lobjet se dresse tout d

    up, empli de tous ses possibles : il ne peut que jalonner un monde non combl et par l mmrible. Ces mots-objets sans liaison, pars de toute la violence de leur clatement, dont laration purement mcanique touche trangement le mot suivant mais steint aussitt, ces mtiques excluent les hommes : il ny a pas dhumanisme potique de la modernit : ce discobout est un discours plein de terreur, cest--dire quil met lhomme en liaison non pas avectres hommes, mais avec les images les plus inhumaines de la Nature ; le ciel, lenfer, le sacrenfance, la folie, la matire pure, etc. ce moment-l, on peut difficilement parler dune criture potique, car il sagit dun langant la violence dautonomie dtruit toute porte thique. Le geste oral vise ici modifier la

    ture, il est une dmiurgie ; il nest pas une attitude de conscience mais un acte de coercitiondu moins le langage des potes modernes qui vont jusquau bout de leur dessein et assum

    Posie, non comme un exercice spirituel, un tat dme ou une mise en position, mais commendeur et la fracheur dun langage rv. Pour ces potes-l, il est aussi vain de parler dcrie de sentiment potique. La posie moderne, dans son absolu, chez un Char, par exemple, e-del de ce ton diffus, de cette auraprcieuse qui sont bien, eux, une criture, et quon appdinairement sentiment potique. Il ny a pas dobjection parler dune criture potique opos des classiques et de leurs pigones, ou encore de la prose potique dans le got desurritures terrestres, o la Posie est vritablement une certaine thique du langage. Lcritu

    mme l, absorbe le style, et on peut imaginer que, pour les hommes du XVIIesicle, il ntaitile dtablir une diffrence immdiate, et surtout dordre potique, entre Racine et Pradon,

    mme il nest pas facile pour un lecteur moderne de juger ces potes contemporains qui usenmme criture potique, uniforme et indcise, parce que pour eux la Posie est un climat, cire essentiellement une convention du langage. Mais lorsque le langage potique met

    dicalement la Nature en question, par le seul effet de sa structure, sans recourir au contenu cours et sans sarrter au relais dune idologie, il ny a plus dcriture, il ny a que des stylesvers lesquels lhomme se retourne compltement et affronte le monde objectif sans passer cune des figures de lHistoire ou de la sociabilit.

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    Deuxime partie

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    Triomphe et rupture de lcriture bourgeoise

    l y a, dans la Littrature prclassique, lapparence dune pluralit des critures ; mais cetterit semble bien moins grande si lon pose ces problmes de langage en termes de structurn plus en termes dart. Esthtiquement, le XVIesicle et le dbut du XVIIesicle montrent unsonnement assez libre des langages littraires, parce que les hommes sont encore engags de connaissance de la Nature et non dans une expression de lessence humaine ; ce titre

    criture encyclopdique de Rabelais, ou lcriture prcieuse de Corneille pour ne donner qs moments typiques ont pour forme commune un langage o lornement nest pas encoreuel, mais constitue en soi un procd dinvestigation appliqu toute ltendue du monde. qui donne cette criture prclassique lallure mme de la nuance et leuphorie dune liberur un lecteur moderne, limpression de varit est dautant plus forte que la langue paratcore essayer des structures instables et quelle na pas fix dfinitivement lesprit de sa syntes lois daccroissement de son vocabulaire. Pour reprendre la distinction entre langue eiture , on peut dire que jusque vers 1650, la Littrature franaise navait pas encore dpasse problmatique de la langue, et que par l mme elle ignorait encore lcriture. En effet, tae la langue hsite sur sa structure mme, une morale du langage est impossible ; lcriturepparat quau moment o la langue, constitue nationalement, devient une sorte de ngatihorizon qui spare ce qui est dfendu et ce qui est permis, sans plus sinterroger sur les orisur les justifications de ce tabou. En crant une raison intemporelle de la langue, lesmmairiens classiques ont dbarrass les Franais de tout problme linguistique, et cette lan

    ure est devenue une criture, cest--dire une valeur de langage, donne immdiatementmme universelle en vertu mme des conjonctures historiques.La diversit des genres et le mouvement des styles lintrieur du dogme classique sontnnes esthtiques, non de structure ; ni lune ni lautre ne doivent faire illusion : cest bien diture unique, la fois instrumentale et ornementale, que la socit franaise a dispos pend

    ut le temps o lidologie bourgeoise a conquis et triomph. criture instrumentale, puisqueme tait suppose au service du fond, comme une quation algbrique est au service dun aratoire ; ornementale, puisque cet instrument tait dcor daccidents extrieurs sa foncprunts sans honte la Tradition, cest--dire que cette criture bourgeoise, reprise par desivains diffrents, ne provoquait jamais le dgot de son hrdit, ntant quun dcor heur lequel senlevait lacte de la pense. Sans doute les crivains classiques ont-ils connu, eux ae problmatique de la forme, mais le dbat ne portait nullement sur la varit et le sens des

    itures, encore moins sur la structure du langage ; seule la rhtorique tait en cause, cest--rdre du discours pens selon une fin de persuasion. la singularit de lcriture bourgeoiserrespondait donc la pluralit des rhtoriques ; inversement, cest au moment mme o les trrhtorique ont cess dintresser, vers le milieu du XIXesicle, que lcriture classique a cestre universelle et que les critures modernes sont nes.Cette criture classique est videmment une criture de classe. Ne au XVIIe sicle dans le

    oupe qui se tenait directement autour du pouvoir, forme coups de dcisions dogmatiquesure rapidement de tous les procds grammaticaux quavait pu laborer la subjectivitontane de lhomme populaire, et dresse au contraire un travail de dfinition, lcriture

    urgeoise a dabord t donne, avec le cynisme habituel aux premiers triomphes politiques,mme la langue dune classe minoritaire et privilgie ; en 1647, Vaugelas recommande lcrit

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    ssique comme un tat de fait, non de droit ; la clart nest encore que lusage de la cour. En60, au contraire, dans la grammaire de Port-Royal par exemple, la langue classique est revts caractres de luniversel, la clart devient une valeur. En fait, la clart est un attribut puremtorique, elle nest pas une qualit gnrale du langage, possible dans tous les temps et danus les lieux, mais seulement lappendice idal dun certain discours, celui-l mme qui est sone intention permanente de persuasion. Cest parce que la prbourgeoisie des temps

    onarchiques et la bourgeoisie des temps post-rvolutionnaires, usant dune mme criture, ovelopp une mythologie essentialiste de lhomme, que lcriture classique, une et universell

    andonn tout tremblement au profit dun continu dont chaque parcelle tait choix, cest--dmination radicale de tout possible du langage. Lautorit politique, le dogmatisme de lEsprinit du langage classique sont donc les figures dun mme mouvement historique.Aussi ny a-t-il pas stonner que la Rvolution nait rien chang lcriture bourgeoise, etait quune diffrence fort mince entre lcriture dun Fnelon et celle dun Mrime. Cest qologie bourgeoise a dur, exempte de fissure, jusquen 1848 sans sbranler le moins du

    onde au passage dune rvolution qui donnait la bourgeoisie le pouvoir politique et social,lement le pouvoir intellectuel, quelle dtenait depuis longtemps dj. De Laclos Stendha

    criture bourgeoise na eu qu se reprendre et se continuer par-dessus la courte vacance d

    ubles. Et la rvolution romantique, si nominalement attache troubler la forme, a sagemenserv lcriture de son idologie. Un peu de lest jet mlangeant les genres et les mots lui armis de prserver lessentiel du langage classique, linstrumentalit : sans doute un instrume prend de plus en plus de prsence (notamment chez Chateaubriand), mais enfin untrument utilis sans hauteur et ignorant toute solitude du langage. Seul Hugo, en tirant des

    mensions chamelles de sa dure et de son espace, une thmatique verbale particulire, qui nuvait plus se lire dans la perspective dune tradition, mais seulement par rfrence lenvermidable de sa propre existence, seul Hugo, par le poids de son style, a pu faire pression surcriture classique et lamener la veille dun clatement. Aussi le mpris de Hugo cautionne-t

    ujours la mme mythologie formelle, labri de quoi cest toujours la mme criture dix-timiste, tmoin des fastes bourgeois, qui reste la norme du franais de bon aloi, ce langagn clos, spar de la socit par toute lpaisseur du mythe littraire, sorte dcriture sacre

    prise indiffremment par les crivains les plus diffrents titre de loi austre ou de plaisirurmand, tabernacle de ce mystre prestigieux : la Littrature franaise.

    Or, les annes situes alentour 1850 amnent la conjonction de trois grands faits historiqueuveaux : le renversement de la dmographie europenne ; la substitution de lindustrietallurgique lindustrie textile, cest--dire la naissance du capitalisme moderne ; la scessi

    nsomme par les journes de juin 48) de la socit franaise en trois classes ennemies, ceste la ruine dfinitive des illusions du libralisme. Ces conjonctures jettent la bourgeoisie dane situation historique nouvelle. Jusqualors, ctait lidologie bourgeoise qui donnait elle-mmesure de luniversel, le remplissant sans contestation ; lcrivain bourgeois, seul juge dulheur des autres hommes, nayant en face de lui aucun autrui pour le regarder, ntait pas

    chir entre sa condition sociale et sa vocation intellectuelle. Dornavant, cette mme idolopparat plus que comme une idologie parmi dautres possibles ; luniversel lui chappe, ell

    ut se dpasser quen se condamnant ; lcrivain devient la proie dune ambigut, puisque sanscience ne recouvre plus exactement sa condition. Ainsi nat un tragique de la Littrature.Cest alors que les critures commencent se multiplier. Chacune dsormais, la travaille, la

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    puliste, la neutre, la parle, se veut lacte initial par lequel lcrivain assume ou abhorre sandition bourgeoise. Chacune est une tentative de rponse cette problmatique orphenneForme moderne : des crivains sans littrature. Depuis cent ans, Flaubert, Mallarm, RimbauGoncourt, les surralistes, Queneau, Sartre, Blanchot ou Camus, ont dessin dessinent

    core certaines voies dintgration, dclatement ou de naturalisation du langage littraireis lenjeu, ce nest pas telle aventure de la forme, telle russite du travail rhtorique ou tell

    dace du vocabulaire. Chaque fois que lcrivain trace un complexe de mots, cest lexistenceme de la Littrature qui est mise en question ; ce que la modernit donne lire dans la plur

    ses critures, cest limpasse de sa propre Histoire.

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    Lartisanat du style

    La forme cote cher , disait Valry quand on lui demandait pourquoi il ne publiait pas seurs du Collge de France. Pourtant il y a eu toute une priode, celle de lcriture bourgeoiseomphante, o la forme cotait peu prs le prix de la pense ; on veillait sans doute sononomie, son euphmie, mais la forme cotait dautant moins que lcrivain usait duntrument dj form, dont les mcanismes se transmettaient intacts sans aucune obsession

    uveaut ; la forme ntait pas lobjet dune proprit ; luniversalit du langage classiqueovenait de ce que le langage tait un bien communal, et que seule la pense tait frappeltrit. On pourrait dire que, pendant tout ce temps, la forme avait une valeur dusage.Or, on a vu que, vers 1850, il commence se poser la Littrature un problme de justificatcriture va se chercher des alibis ; et prcisment parce quune ombre de doute commence er sur son usage, toute une classe dcrivains soucieux dassumer fond la responsabilit ddition va substituer la valeur-usage de lcriture, une valeur-travail. Lcriture sera sauve s en vertu de sa destination, mais grce au travail quelle aura cot. Alors commence laborer une imagerie de lcrivain-artisan qui senferme dans un lieu lgendaire, comme unvrier en chambre et dgrossit, taille, polit et sertit sa forme, exactement comme un lapidairegage lart de la matire, passant ce travail des heures rgulires de solitude et deffort : deivains comme Gautier (matre impeccable des Belles-Lettres), Flaubert (rodant ses phrases

    oisset), Valry (dans sa chambre au petit matin), ou Gide (debout devant son pupitre commevant un tabli), forment une sorte de compagnonnage des Lettres franaises, o le labeur deme constitue le signe et la proprit dune corporation. Cette valeur-travail remplace un peeur-gnie ; on met une sorte de coquetterie dire quon travaille beaucoup et trs longtemme ; il se cre mme parfois une prciosit de la concision (travailler une matire, cest ennral en retrancher), bien oppose la grande prciosit baroque (celle de Corneille paremple) ; lune exprime une connaissance de la Nature qui entrane un largissement du langutre, cherchant produire un style littraire aristocratique, installe les conditions dune cristorique, qui souvrira le jour o une finalit esthtique ne suffira plus justifier la conventilangage anachronique, cest--dire le jour o lHistoire aura amen une disjonction videntetre la vocation sociale de lcrivain et linstrument qui lui est transmis par la Tradition.

    Flaubert, avec le plus dordre, a fond cette criture artisanale. Avant lui, le fait bourgeois lordre du pittoresque ou de lexotique ; lidologie bourgeoise donnait la mesure de lunive

    prtendant lexistence dun homme pur, pouvait considrer avec euphorie le bourgeoismme un spectacle incommensurable elle-mme. Pour Flaubert, ltat bourgeois est un malurable qui poisse lcrivain, et quil ne peut traiter quen lassumant dans la lucidit ce le propre dun sentiment tragique. Cette Ncessit bourgeoise, qui appartient Frdric

    oreau, Emma Bovary, Bouvard et Pcuchet, exige, du moment quon la subit de face, unalement porteur dune ncessit, arm dune Loi. Flaubert a fond une criture normative qntient paradoxe les rgles techniques dun pathos. Dune part, il construit son rcit parccessions dessences, nullement selon un ordre phnomnologique (comme le fera Proust) ;e les temps verbaux dans un emploi conventionnel, de faon quils agissent comme les signe

    Littrature, lexemple dun art qui avertirait de son artificiel ; il labore un rythme crit,ateur dune sorte dincantation, qui, loin des normes de lloquence parle, touche un sixi

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    ns, purement littraire, intrieur aux producteurs et aux consommateurs de la Littrature. Etutre part, ce code du travail littraire, cette somme dexercices relatifs au labeur de lcritur

    utiennent une sagesse, si lon veut, et aussi une tristesse, une franchise, puisque lart flaubevance en montrant son masque du doigt. Cette codification grgorienne du langage littrairait, sinon rconcilier lcrivain avec une condition universelle, du moins lui donner laponsabilit de sa forme, faire de lcriture qui lui tait livre par lHistoire, un art, cest--e convention claire, un pacte sincre qui permette lhomme de prendre une situation famns une nature encore disparate. Lcrivain donne la socit un art dclar, visible tous da

    normes, et en change la socit peut accepter lcrivain. Tel Baudelaire tenait rattacherdmirable prosasme de sa posie Gautier, comme une sorte de ftiche de la forme travaiue sans doute hors du pragmatisme de lactivit bourgeoise, et pourtant insre dans un otravaux familiers, contrle par une socit qui reconnaissait en elle, non ses rves, mais sethodes. Puisque la Littrature ne pouvait tre vaincue partir delle-mme, ne valait-il pas

    eux laccepter ouvertement, et, condamn ce bagne littraire, y accomplir du bon travailssi la flaubertisation de lcriture est-elle le rachat gnral des crivains, soit que les moinsgeants sy laissent aller sans problme, soit que les plus purs y retournent comme laonnaissance dune condition fatale.

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    criture et rvolution

    Lartisanat du style a produit une sous-criture, drive de Flaubert, mais adapte aux desselcole naturaliste. Cette criture de Maupassant, de Zola et de Daudet, quon pourrait app

    criture raliste, est un combinat des signes formels de la Littrature (pass simple, style indihme crit) et des signes non moins formels du ralisme (pices rapportes du langage popu

    ots forts, dialectaux, etc.), en sorte quaucune criture nest plus artificielle que celle qui a

    tendu dpeindre au plus prs la Nature. Sans doute lchec nest-il pas seulement au niveaforme mais aussi de la thorie : il y a dans lesthtique naturaliste une convention du relmme il y a une fabrication de lcriture. Le paradoxe, cest que lhumiliation des sujets na put entran un retrait de la forme. Lcriture neutre est un fait tardif, elle ne sera invente qun aprs le ralisme, par des auteurs comme Camus, moins sous leffet dune esthtique duuge que par la recherche dune criture enfin innocente. Lcriture raliste est loin dtre nee est au contraire charge des signes les plus spectaculaires de la fabrication.

    Ainsi, en se dgradant, en abandonnant lexigence dune Nature verbale franchement trangrel, sans cependant prtendre retrouver le langage de la Nature sociale comme le feraeneau lcole naturaliste a produit paradoxalement un art mcanique qui a signifi la

    nvention littraire avec une ostentation inconnue jusqualors. Lcriture flaubertienne labou peu un enchantement, il est encore possible de se perdre dans une lecture de Flaubertmme dans une nature pleine de voix secondes o les signes persuadent bien plus quilsxpriment ; lcriture raliste, elle, ne peut jamais convaincre ; elle est condamne seuleme

    peindre, en vertu de ce dogme dualiste qui veut quil ny ait jamais quune seule forme optimur exprimer une ralit inerte comme un objet, sur laquelle lcrivain naurait de pouvoir son art daccommoder les signes.Ces auteurs sans style Maupassant, Zola, Daudet et leurs pigones ont pratiqu uneiture qui fut pour eux le refuge et lexposition des oprations artisanales quils croyaient av

    asses dune esthtique purement passive. On connat les dclarations de Maupassant sur levail de la forme, et tous les procds nafs de lcole, grce auxquels la phrase naturelle estnsforme en une phrase artificielle destine tmoigner de sa finalit purement littraire, cire, ici, du travail quelle a cot. On sait que dans la stylistique de Maupassant, lintentionrserve la syntaxe, le lexique doit rester en de de la Littrature. Bien crire dsorm

    ul signe du fait littraire cest navement changer un complment de place, cest mettre u

    ot en valeur , en croyant obtenir par l un rythme expressif . Or lexpressivit est un mye nest que la convention de lexpressivit.Cette criture conventionnelle a toujours t un lieu de prdilection pour la critique scolairesure le prix dun texte lvidence du travail quil a cot. Or rien nest plus spectaculaire qssayer des combinaisons de complments, comme un ouvrier qui met en place une piceicate. Ce que lcole admire dans lcriture dun Maupassant ou dun Daudet, cest un signeraire enfin dtach de son contenu, posant sans ambigut la Littrature comme une catg

    ns aucun rapport avec dautres langages, et instituant par l une intelligibilit idale des chotre un proltariat exclu de toute culture et une intelligentsia qui a dj commenc mettre

    estion la Littrature elle-mme, la clientle moyenne des coles primaires et secondaires, cee en gros la petite bourgeoisie, va donc trouver dans lcriture artistico-raliste dont sero

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    ts une bonne part des romans commerciaux limage privilgie dune Littrature qui a tounes clatants et intelligibles de son identit. Ici, la fonction de lcrivain nest pas tant de cre uvre, que de fournir une Littrature qui se voit de loin.

    Cette criture petite-bourgeoise a t reprise par les crivains communistes, parce que, pouoment, les normes artistiques du proltariat ne peuvent tre diffrentes de celles de la petiturgeoisie (fait dailleurs conforme la doctrine), et parce que le dogme mme du ralismecialiste oblige fatalement une criture conventionnelle, charge de signaler bien visibleme

    ntenu impuissant simposer sans une forme qui lidentifie. On comprend donc le paradoxeon lequel lcriture communiste multiplie les signes les plus gros de la Littrature, et bien lo

    mpre avec une forme, somme toute typiquement bourgeoise du moins dans le pass ,ntinue dassumer sans rserve les soucis formels de lart dcrire petit-bourgeois (dailleurscrdit auprs du public communiste par les rdactions de lcole primaire).Le ralisme socialiste franais a donc repris lcriture du ralisme bourgeois, en mcanisant enue tous les signes intentionnels de lart. Voici par exemple quelques lignes dun roman deraudy : Le buste pench, lanc corps perdu sur le clavier de la linotype la joie chantans ses muscles, ses doigts dansaient, lgers et puissants la vapeur empoisonne dantimoi

    sait battre ses tempes et cogner ses artres, rendant plus ardentes sa force, sa colre et sonaltation. On voit quici rien nest donn sans mtaphore, car il faut signaler lourdement auteur que cest bien crit (cest--dire que ce quil consomme est de la Littrature). Cestaphores, qui saisissent le moindre verbe, ne sont pas du tout lintention dune humeur qu

    ercherait transmettre la singularit dune sensation, mais seulement une marque littraireue un langage, tout comme une tiquette renseigne sur un prix. Taper la machine , battre (en parlant du sang) ou tre heureux pour la premire fost du langage rel, ce nest pas du langage raliste ; pour quil y ait Littrature, il faut crire :noter la linotype, les artres cognaient ou il treignait la premire minute heureuse

    . Lcriture raliste ne peut donc dboucher que sur une Prciosit. Garaudy crit : Apraque ligne, le bras grle de la linotype enlevait sa pince de matrices dansantes ou encore aque caresse de ses doigts veille et fait frissonner le carillon joyeux des matrices de cuivre mbent dans les glissires en une pluie de notes aigus. Ce jeune jargon, cest celui de CathMagdelon.videmment, il faut faire la part de la mdiocrit ; dans le cas de Garaudy, elle est immense.ez Andr Stil, on trouvera des procds beaucoup plus discrets, qui nchappent cependant x rgles de lcriture artistico-raliste. Ici la mtaphore ne se prtend pas plus quun clich s compltement intgr dans le langage rel, et signalant la Littrature sans grands frais :

    mme de leau de roche , mains parchemines par le froid , etc. ; la prciosit est refouleique dans la syntaxe, et cest le dcoupage artificiel des complments, comme chez Maupas impose la Littrature ( dune main, elle soulve les genoux, plie en deux ). Ce langage saconvention ne donne le rel quentre guillemets : on emploie des mots populistes, des tour

    gligs au milieu dune syntaxe purement littraire : Cest vrai il chahute drlement, le ventencore mieux : En plein vent, brets et casquettes secous au-dessus des yeux, ils se regar

    ec pas mal de curiosit (le familier pas mal de succde un participe absolu, figurealement inconnue du langage parl). Bien entendu, il faut rserver le cas dAragon, dontrdit littraire est toute diffrente, et qui a prfr teinter lcriture raliste dune lgreuleur dix-huitimiste, en mlangeant un peu Laclos Zola.

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    Peut-tre y a-t-il dans cette sage criture des rvolutionnaires, le sentiment dune impuissaner ds maintenant une criture. Peut-tre y a-t-il aussi que seuls des crivains bourgeois

    uvent sentir la compromission de lcriture bourgeoise : lclatement du langage littraire a fait de conscience non un fait de rvolution. Il y a srement que lidologie stalinienne imp

    terreur de toute problmatique, mme et surtout rvolutionnaire : lcriture bourgeoise este somme toute moins dangereuse que son propre procs. Aussi les crivains communistes

    nt-ils les seuls soutenir imperturbablement une criture bourgeoise que les crivains

    urgeois, eux, ont condamne depuis longtemps, du jour mme o ils lont sentie compromisns les impostures de leur propre idologie, cest--dire du jour mme o le marxisme sestuv justifi.

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    L'criture et le silence

    Lcriture artisanale, place lintrieur du patrimoine bourgeois, ne drange aucun ordre ; utres combats, lcrivain possde une passion qui suffit le justifier : lenfantement de la forenonce la libration dun nouveau langage littraire, il peut au moins renchrir sur lanc

    charger dintentions, de prciosits, de splendeurs, darchasmes, crer une langue riche etortelle. Cette grande criture traditionnelle, celle de Gide, de Valry, de Montherlant, de Bre

    me, signifie que la forme, dans sa lourdeur, dans son drap exceptionnel, est une valeurnscendante lHistoire, comme peut ltre le langage rituel des prtres.Cette criture sacre, dautres crivains ont pens quils ne pouvaient lexorciser quen laloquant ; ils ont alors min le langage littraire, ils ont fait clater chaque instant la coque

    naissante des clichs, des habitudes, du pass formel de lcrivain ; dans le chaos des formesns le dsert des mots, ils ont pens atteindre un objet absolument priv dHistoire, retrouvecheur dun tat neuf du langage. Mais ces perturbations finissent par creuser leurs propres

    nires, par crer leurs propres lois. Les Belles-Lettres menacent tout langage qui nest pasrement fond sur la parole sociale. Fuyant toujours plus en avant une syntaxe du dsordre, sintgration du langage ne peut conduire qu un silence de lcriture. Lagraphie terminale

    mbaud ou de certains surralistes tombs par l mme dans loubli , ce sabordageuleversant de la Littrature, enseigne que, pour certains crivains, le langage, premire etrnire issue du mythe littraire, recompose finalement ce quil prtendait fuir, quil ny a pacriture qui se soutienne rvolutionnaire, et que tout silence de la forme nchappe limpo

    e par un mutisme complet. Mallarm, sorte de Hamlet de lcriture, exprime bien ce momengile de lHistoire, o le langage littraire ne se soutient que pour mieux chanter sa ncessit

    ourir. Lagraphie typographique de Mallarm veut crer autour des mots rarfis une zone vins laquelle la parole, libre de ses harmonies sociales et coupables, ne rsonne heureusems. Le vocable, dissoci de la gangue des clichs habituels, des rflexes techniques de lcrivaalors pleinement irresponsable de tous les contextes possibles ; il sapproche dun acte bre

    gulier, dont la matit affirme une solitude, donc une innocence. Cet art a la structure mmecide : le silence y est un temps potique homogne qui coince entre deux couches et fait cmot moins comme le lambeau dun cryptogramme que comme une lumire, un vide, un meue libert. (On sait tout ce que cette hypothse dun Mallarm meurtrier du langage doit urice Blanchot.) Ce langage mallarmen, cest Orphe qui ne peut sauver ce quil aime que

    nonant, et qui se retourne tout de mme un peu ; cest la Littrature amene aux portes de

    rre promise, cest--dire aux portes dun monde sans littrature, dont ce serait pourtant auxivains porter tmoignage.

    Dans ce mme effort de dgagement du langage littraire, voici une autre solution : crer uniture blanche, libre de toute servitude un ordre marqu du langage. Une comparaisonprunte la linguistique rendra peut-tre assez bien compte de ce fait nouveau : on sait qutains linguistes tablissent entre les deux termes dune polarit (singulier-pluriel, prtrit-

    sent), lexistence dun troisime terme, terme neutre ou terme-zro ; ainsi entre les modesbjonctif et impratif, lindicatif leur apparat comme une forme amodale. Toutes proportion

    rdes, lcriture au degr zro est au fond une criture indicative, ou si lon veut amodale ; iait juste de dire que cest une criture de journaliste, si prcisment le journalisme ne

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    veloppait en gnral des formes optatives ou impratives (cest--dire pathtiques). La nouviture neutre se place au milieu de ces cris et de ces jugements, sans participer aucun deux

    e est faite prcisment de leur absence ; mais cette absence est totale, elle nimplique aucunuge, aucun secret ; on ne peut donc dire que cest une criture impassible ; cest plutt uneiture innocente. Il sagit de dpasser ici la Littrature en se confiant une sorte de langue

    sique, galement loigne des langages vivants et du langage littraire proprement dit. Cettrole transparente, inaugure par Ltrangerde Camus, accomplit un style de labsence qui esesque une absence idale du style ; lcriture se rduit alors une sorte de mode ngatif da

    uel les caractres sociaux ou mythiques dun langage sabolissent au profit dun tat neutrerte de la forme ; la pense garde ainsi toute sa responsabilit, sans se recouvrir dun

    gagement accessoire de la forme dans une Histoire qui ne lui appartient pas. Si lcriture deubert contient une Loi, si celle de Mallarm postule un silence, si dautres, celles de Proust, ine, de Queneau, de Prvert, chacune sa manire, se fondent sur lexistence dune nature

    ciale, si toutes ces critures impliquent une opacit de la forme, supposent une problmatiqlangage et de la socit, tablissant la parole comme un objet qui doit tre trait par un armagicien ou un scripteur, mais non par un intellectuel, lcriture neutre retrouve rellemen

    ndition premire de lart classique : linstrumentalit. Mais cette fois, linstrument formel ne

    s au service dune idologie triomphante ; il est le mode dune situation nouvelle de lcrivala faon dexister dun silence ; il perd volontairement tout recours llgance ou

    rnementation, car ces deux dimensions introduiraient nouveau dans lcriture, le Temps, cire une puissance drivante, porteuse dHistoire. Si lcriture est vraiment neutre, si le langalieu dtre un acte encombrant et indomptable, parvient ltat dune quation pure, naya

    s plus dpaisseur quune algbre en face du creux de lhomme, alors la Littrature est vaincproblmatique humaine est dcouverte et livre sans couleur, lcrivain est sans retour unnnte homme. Malheureusement rien nest plus infidle quune criture blanche ; lestomatismes slaborent lendroit mme o se trouvait dabord une libert, un rseau de

    mes durcies serre de plus en plus la fracheur premire du discours, une criture renat la n langage indfini. Lcrivain, accdant au classique, devient l'pigone de sa cration primit

    socit fait de son criture une manire et le renvoie prisonnier de ses propres mythes form

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    Lcriture et la parole

    l y a un peu plus de cent ans, les crivains ignoraient gnralement quil existt plusieurs faet fort diffrentes de parler le franais. Vers 1830, au moment o la bourgeoisie, bonnefant, se divertit de tout ce qui se trouve en limite de sa propre surface, cest--dire dans lartion exigu de la socit quelle donne partager aux bohmes, aux concierges et aux volecommena dinsrer dans le langage littra