autobiographie dans l'ane d'or

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L'antiquité classique L'autobiographie dans l'Ane d'Or d'Apulée M. Hicter Citer ce document / Cite this document : Hicter M. L'autobiographie dans l'Ane d'Or d'Apulée. In: L'antiquité classique, Tome 13, fasc. 1, 1944. pp. 95-111. doi : 10.3406/antiq.1944.2721 http://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1944_num_13_1_2721 Document généré le 15/10/2015

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Autobiographie dans les métamorphoses d'Apulée

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Page 1: Autobiographie Dans l'Ane d'Or

L'antiquité classique

L'autobiographie dans l'Ane d'Or d'ApuléeM. Hicter

Citer ce document / Cite this document :

Hicter M. L'autobiographie dans l'Ane d'Or d'Apulée. In: L'antiquité classique, Tome 13, fasc. 1, 1944. pp. 95-111.

doi : 10.3406/antiq.1944.2721

http://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1944_num_13_1_2721

Document généré le 15/10/2015

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L'AUTOBIOGRAPHIE DANS L'ANË D'OR D'APULÉE

par M. Hicter.

Nous n'allons pas, avec Saint Augustin Q) nous demander si Apulée fut bel et bien changé en âne et si l'épisode principal du roman, la métamorphose, est la narration d'un événement

Les premiers chrétiens n'osaient nier catégoriquement l'aventure ; les païens, eux, y croyaient et plaçaient Apulée parmi les plus grands magiciens de l'Antiquité. M. de Labriolle (2) a

mis en lumière ce phénomène presque incompréhensible d'un avocat, beau parleur, savant rhéteur, auteur de F tondes et de récits égrillards à la grecque, devenant une des figures les plus complexes du ne siècle, prenant possession de l'esprit

des foules qui l'exaltent et font de lui l'Antéchrist, la du paganisme aux prises avec le christianisme

Nous examinerons plutôt si, dans cette course vagabonde de Lucius à travers la magie noire et racontée à la première

par le héros, nous ne pouvons trouver quelque trait, une ou l'autre particularité, un épisode même qui s'adapterait à ce que nous savons d'autre part de la vie d'Apulée.

Cette rencontre du fictif et du réel, du créé et du vécu n'aurait rien d'étonnant. Tous les romanciers se glissent çà et là dans leurs œuvres, ou même, empruntant un nom, dévêtent devant nous leur âme et nous convient à la dissection de leur intimité morale

(1) August., de Civit. Dei, XVIII, 18 : Sicut Apuleius in libris quos Asini Aureï titulo inscripsit, sibi ipsi accidisse ut accepte veneno humano animo per-' imánente asinus fieret aut indicavit aut finxit. Sur la valeur de ce témoignage, voir F. Calonghi, II prologo délie Metamorfosi di Apuleio, in Riv. di Filot. (1915), I, p. 5 sq.

(2) La Briolle, La réaction païenne, Paris (1934), p. 10 ; p. 173 ; cf. aussi Lactance, Div. Instit., V, II, 12 ; Jérôme, Tract de Psalm., LXXXI, in Anee- dota Maredsolania, III, 2, p. 86 etc.

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et intellectuelle. Il n'en peut d'ailleurs être autrement. Rien n'existe en littérature qui soit purement imaginé, qui n'ait aucun point d'attache au réel. Dans A Rebours, s'il est vrai que J. K. Huys- mans a portraituré en des Esseintes le poète fantaisiste Robert de Montesquiou-Fezensac (*), dans les romans qui suivirent c'est son propre drame religieux qu'il dépeint. Même les contes les plus fantastiques de Hoffmann, même les récits les plus

et futuristes de Wells, touchent toujours par quelque notre monde et notre époque. Or, les autres ouvrages

nous le montrent très occupé de sa personne, nous dirons : occupé de sa personne (Apol. ; Flor.).

Nous n'insisterions pas tant, si dans V Introduction et les Notes du Tome I de la Métamorphose d'Apulée que « Les Belles Lettres » viennent d'éditer, M. P. Vallette (2) ne mettait presque

en doute les détails autobiographiques admis par les critiques antérieurs.

B. E. Perry (3) qui est l'adversaire le plus ardent de toute « sérieuse » de l'Ane d'or ne s'y refuse pas (4). A la suite

de Morelli (5) et Cocchia (6), M. Landi (7) déclare qu'au début du roman, le parallélisme est certain entre l'auteur de l'Apologie et le héros de Y Ane d'Or. Nock (8), après en avoir donné le résumé, écrit : « J'ai laissé Apulée raconter l'histoire de Lucius. C'est en quelque sorte sa propre histoire ». M. Riesftahl (9), dans son livre

(1) Cf. Fernand Gregh, Portrait de la poésie moderne de Rimbaud à Valéry, Paris, Delagrave (1939).

(2) Apulée, Les Métamorphoses, t. I, texte établi par D. S. Robertson et traduit par Paul Vallette, Paris, Belles Lettres, (1940), p. χ sqq.

(3) Β. Ε. Perry, An interpretation of the Met., in Tr. and Proc. of Am. Ph. Ass., (1926), p. 250, note 25. « There can be no doubt that the Métamorphoses countains some Apuleian biography, but we can never be sure in any given instance, unless we have confirmation from some more reliable source ».

(4) Cf. notre Apulée, conteur fantastique, Coll. Lebègue, n° 21 (1942). (5) C. Morelli, Apuleiana, in St. Fil. Class., XX, p. 145-188 et xxi, p. 91-

157. (6) E. Cocchia, Romanzo e realta nella vita e nelV attivita letteraria di L.

Apuleio, Catania, (1915). (7) G. Landi, l'Epilogo délie Met. dî Apuleio, in Athen., VII, (1929), p. 16 sq. (8) A. D. Nock, Conversion, Oxford, Clarendon (1933), p. 149. — Nous

une importance particulière à ce bel ouvrage. (9) H. Riefstahl, der Roman des Apuleius, Frank, a. Mein (1938).

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l'autobiographie dans l'ane d'or d'apulée 07

récent, affirme que pour juger équitablement la Métamorphose, il nous faut mettre le récit en rapport avec la personnalité

telle que l'Histoire et les autres œuvres de l'auteur nous la font connaître. E. Paratore est (*) plus catégorique encore.

1. Origine d'Apulée. Son éducation.

Les documents historiques concordent et nous disent qu'Apulée naquit à Madaure, une bourgade proche de Tunis. Saint Augustin y vit le jour. Le prénom Lucius donné à l'écrivain n'est prouvé par aucun texte. C'est uniquement d'après le nom de son héros que, dès l'antiquité, on l'appela Lucius Appuleius. Nous devons renoncer à établir de façon certaine ses tria nomina (3). Bosscha (4), le vieux commentateur et éditeur, relève la plaisante erreur de Sabbathier, Dictionnaire pour l'Intelligence des classiques..., qui interprétant mal ce texte de Fulgence, Myth., m, 6 : « quia haec saturantius Appuleius pene duorum continentia librorum, tantam falsitatum congeriem enarravit », appelle Apulée : Lucius SatU" rantius Apuleiusl... Si nous ignorons son prénom, ne serait-ce pas parce que lui-même s'est abstenu d'en faire état, à l'imitation des Grecs? Les anciennes éditions donnent au père et à la mère d'Apulée les noms de Thésée et de Salvia, comme au père et à la mère de Lucius (Met., i, 23 ; π, 2). Mais pour établir la biographie du romancier, elles utilisent, sans aucun examen critique, les

de la Métamorphose, suivant ainsi une tradition ancienne envers notre auteur (5).

(1) E. Paratore, La novella in Apuleio, Sandron, Palermo, (1928), p. 6 et passim.

(2) id., p. 47 ; Nous ne terminerons pas la série de nos références sans citer E. Rohde qui, le premier, établit l'autobiographie du L. XI. Ses études ont été dépassées, sans doute ; ses vues sur le reste du roman, quoique

par presque toute la philologie allemande, ont été réfutées,

(3) Vallette, Métam., p. xi. (4) Bosscha, de Appulei vita..., in Oudendorp, III, p. 506 ; cf. Bétolaud,

Apulée, Garnier (1862), I, p. 406. (5) Oudendorp, III, les notes de Bosscha, Béroald, Gruter, Wowerius,

etc Bayle, Diet, histor. et critique, s. v. Apulée, malgré son bel asprit et le jugement éclairé qu'il porte sur notre auteur, n'échappe pas à cette

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Lucius était de bonne famille (x), célèbre même : « Ni ta propre dignité, ni la gloire de tes aïeux ne nous sont inconnues, seigneur Lucius, car toute la province respecte la noblesse de ta famille » (ni, 11) ; Photis, la soubrette, parle de la generosam natalium

de son soupirant. Byrrhène, la matrone d'Hypathe (π, 3) vante le brillant mariage de la mère de Lucius. Ces notations concordent avec ce que l'Apologie (44) nous apprend d'Apulée : « Mon père a rempli les hautes fonctions de duumvir après avoir suivi la filière des honneurs ; c'est ce rang que je tiens à mon tour dans la cité, depuis que je suis entré à la curie et je le conserve intact, je l'espère, en estime et en considération. » II hérita de son père d'une fortune de 2.000.000 de sesterces (2). Comme tous les enfants de Madaure, Apulée parla le patois du nord de l'Afrique, car il ¿'appelle lui-même Semi-Numide - Semi-Gétule (3), puis comme Lucius^ il parla Grec et Latin. Cela n'a rien d'étonnant si nous rapprochons du Prologue de Y Ane d'Or et des affirmations des Florides et de Y Apologie (4) une inscription découverte dans le nord de l'Afrique, citée et traduite par Boissier (5), parlant des écoles en Afrique Romaine. C'est l'épitaphe de deux jeunes

: « ils connaissaient à merveille les deux langues savantes, excellaient à composer des dialogues, des lettres, des idylles, il¿ improvisaient sur un sujet proposé et malgré leur jeunesse, ils attiraient la foule quand ils déclamaient. »

Mais, nous dira-τ-οη, Lucius parle dans le Prologue de la qu'il éprouve à s'exprimer correctement en latin !... Là

aussi, on trouve le caractère d'Apulée qui d sire sans cesse qu'on le flatte, qu'on l'applaudisse et qui pirouette gracieusement devant le public séduit (6).

(1) cf. Cocchia, op. cit., p. 97. (2) August., ad Marcellin., Epist. 5. (3) Apol., 24. (3) Apol., 4 et passim. (5) G. Boissier, L'Afrique Romaine, p. 269. (6) Cf. dans Oudendorp I., cette note de Gaspar Barthius, Adversariorutn,

LXIX, cap. XV. : Et Appuleius proprietatis latinae amator eximius (qui mentitus est in Prooemio sui operis, de ea lingua α se aerumnose percepta,

et difficulter scribenda, cum affectet semi-poeticum dictionis genus et fabulam, ipsa stili novitate commendare voluerit) sempiternam..., cf. à ce propos, les

discussions de Rohde, in Rh. Mus. (1885) ; de Burger, in Hermes 23 ; de Van der Vliet, in Hermes 32 et de Galonghi, Op. cit.

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L AUTOBIOGRAPHIE DANS L ANE D OR D APULEE MM

Constatons donc simplement les ressemblances entre Apulée ¿t Lucius en ce qui concerne leur haute situation sociale et leur

des langues latine et grecque. Quant au reste, il y a loin de Madaure où naquit Apulée et « Hy-

mettos Attica, et Isthmos Ephyrea et Taenaros Spartiaca » qui sont la « vêtus prosapia » de Lucius (ι, 1). Et ce n'est pas tout, car par sa mère, le jeune voyageur qui se présente, est d'origine thessa- lienne : Thessaliam (nam et illic originis maternae nostrae

a Plutarcho Mo inclyto ac mox Sexto philosopho nepote efus prodita, gloriam nobis faciunt) - tarn Thessaliam ex negotio petebam. Cet arbre généalogique est bien complexe et non moins illustre. Étonnant aussi, car Plutarque n'est pas fhessalien, mais béotien... »

Cependant Byrrhène, la bourgeoise, rappelle cette paréate : nam ex familia Plutarchi ambae (la mère de Lucius et elle-même) prognatae sumus (^,

Rohde (2) voit dans ce rattachement à Plutarque une indication de son « semi-platonisme ». Morelli (3) déclare qu'il faut trouver l'explication de cette parenté dans le fait qu'Apulée a vu une analogie entre leurs productions littéraires. « L'un et l'autre

de théologie, de philosophie et spécialement d'exégèse de politique, d'histoire, de physique, de médecine,

de mathématiques, de musique. » Landi (*) envisage la possibilité de la véracité du témoignage.

Peut-être, écrit-il, un des traits est-il vrai comme la descendance de Plutarque et de Sextus. » Cocchia (5) n'en doute pas.

Dee (6) s'applique au contraire, à démontrer que le texte cette généalogie est une interpolation. Toutes les

ont donc été envisagées. Nulle ne tranche la question de façon satisfaisante.

Terminons l'examen de ce paragraphe par cette conclusion qui vaudra pour la plupart des premiers. M. P. Vallette déclare que sans doute certaines concordances existent entre Apulée et Lucius,

(1) cf. Helm, Préface aux Florides, p. vu, vin, ix. (2) E. Rohde, in Rh. Mus., (1885), p. 76, n° 1 ; idem Bétolaud, o. c, p. 408. (3) Morelli, op. cit., p. 97. (4) Landi, op. cit., p. 16. (5) Cocchia, op. cit., p. 113 sqq. (6) Dee, de ratione quae est inter As. Ps. Luc. Apuleique Met. libros, diss.

(1891) p. 44 sqq.

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mais que d'autres points sont irrévocablement contradictoires. Nous dirons, quant à nous, que sans doute, certains points de la biographie de Lucius ne sont pas applicables à la vie d'Apulée, mais que d'autres, par contre, concordent admirablement. Si le nombre de concordances contrôlables est suffisant, nous croyons pouvoir, dans le jugement à porter sur le caractère du roman, faire état de l'autobiographie.

2. — Apulée, bel homme.

Lorsque Lucius, porteur de lettres de recommandation de la part de Déméas, se présente devant le vieux Milon, celui-ci s'écrie (i, 23) : « Ego te, inquit, etiam de ista coiporis speciosa habitudine deque hac virginali prorsus verecundia, generosa stirpe proditum et recte conicerem » .

Plus loin (π 2), c'est au tour de Byrrhène, la bourgeoise, de faire le portrait du héros : « En, inquit, sanctissimae Salviae ma- tris generosa probitas, sed et cetera corporis execrabiliter adamussim congruentia : inenormis proceritas, suculenta gracilitas, rubor tem- peratus, flavum et inadfectatum capillitium, oculi caesii quidem, sed vigiles et in aspectu micantes, prorsus aquilini, os quoquoversum floridum, speciosus et immeditatus incessus. »

Déjà un vieux traducteur et commentateur de 1736 — une note manuscrite de l'édition que nous avons pu nous procurer semble indiquer qu'il s'agit de l'abbé Compain de Saint-Martin (x) — écrit : « Apulée prend ici occasion assez adroitement de nous faire son portrait et de nous apprendre qu'il était fort beau et fort bien fait ». Apulée aurait donc dépeint Lucius sous ses propres traits et le physique de l'un s'adapterait parfaitement à celui de l'autre.

Oudendorp (2) d'après Colvius et Wowerius écrit savoureusement : « Decora Uli et elegans corporis species, ut etiam sine vi carminum, non solum Pudentillam, prope jam j loris extincti, sed vel Penelopen ad amorem sui inducere potuisset ».

Bosscha (3) est pleinement d'accord et donne une foule de réfé-

(1) Tome I, p. 118. (2) Op. cit., III, 503. (3) Bosscha, in Oudendorp, III, p. 110, commente Accusamus apud te

philosophum formonsum, de l'Apologie et dit : Confirmant id effigies Appuleii, siqua Ulis fides habenda. cf. notre Apulée, op. cit., planche.

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rences. On pourrait aussi dire avec Ronde (*) que « la beauté du protagoniste est un motif commun du roman grec » et de son descendant direct, selon lui, le roman latin. Nous montrerons ailleurs que rien n'est plus faux que cette filiation. Toute la

romanesque fourmille de ces portraits idéalisés. Cependant, les deux textes cités plus haut ressemblent fort

à des passages de Y Apologie. Là aussi, Apulée est bel homme, si bel homme que ses accusateurs s'offusquent de voir un philosophe si soigneux et si soigné de sa personne (2). « Audisti ergo paulo po- tius in principio accusationis ita did : « accusamus apud te philo- sophum FORMONsuM. . . ». « Nous accusons devant toi un philosophe dandy ».

Alors, avec toute sa virtuosité de rhéteur, Apulée va se jouer des difficultés, développer le thème de la Beauté, se défendre

d'être beau. Il citera Paris et Pythagore, appellera ses cheveux qui ont un piquant négligé, de « véritables broussailles » et des « fourrés impénétrables. »

Boissier écrit : « C'est bien son portrait qu'il a voulu faire » et M. Vallette (4) admettra l'hypothèse. Morelli (5) suivra.

Tout en nous ralliant à l'avis de ces savants, qu'il nous soit permis d'ajouter une remarque qui en appuiera la vraisemblance. C'est l'expression os quoversum floridum (6). Le choix de ce

doit prendre sa pleine valeur sous la plume de l'auteur des Florides, lui qui est par excellence le diseur de belles choses» le talentueux semeur de fleurs oratoires dans les amphithéâtres de l'Afrique Romaine et dans les tribunaux de Rome.

3. — L'initiation aux mystères.

Quand Photis, malgré ses craintes, se décide à révéler à son amant les mystères de la maison et les secrets de sa maîtresse, la magicienne Pamphyle, elle lui déclare qu'« initié à plus d'un culte,

(1) Rohde, Gr. Roman*, 341 (316). (2) Apol., 4 (586). (3) Boissier, Afr. Rom., p. 283 ; idem Bétolaud., o. c, p. 416. (4) Vallette, Apol., Paris (1908), p. 42, note 2 et Métam., p. XII. (5) Morelli, Apuleiana, in S. I. F. C, (1915), p. 102. (6) Met., II, 13. (cf. supra les paroles de Byrrhène).

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il sait la sainteté du silence loyal » Q). Sacris plurimis initiatus, proferto nosti sanctam silentii fidem.

Il suffit de rapprocher de ce texte ce qu'Apulée lui-même dans l'Apologie (2) : Sacrorum pleraque initia in Graecia par-

ticipavi ; ego multifuga sacra et plurimos ritus et varias ceremonias studio veri et officia erga deos didici.

Ici, de façon indiscutable et indiscutée d'ailleurs, nous tenons un indice autobiographique (3).

4. — La « curiositas ».

M. Riefstahl (4) a rapproché, dans un court paragraphe, les textes parlant de la curiositas de Lucius et se livre, à ce sujet, à quelques considérations psychologiques sur la personnalité du héros.

Le récit est tout entier parsemé de ces rappels de la curiosité de Lucius, de son désir de tout apprendre, de tout savoir. C'est cette passion qui lui fait écouter si avidement le récit d'Aristo- mène par lequel s'ouvre le roman. C'est le premier trait de

qu'il avoue lui-même. C'est cette curiosité qui le pousse vers les sciences magiques, et qui provoquera sa « transformation ». Ane, elle lui fera tendre l'oreille à tout ce qui se dit, aux récits des vieilles et des villageois. Par elle, il meublera sa mémoire de contes, de nouvelles, de détails scabreux sur la vie privée de ses maîtres

(1) Met., III, 15. (2) Apol, 55. (3) cf. Oudendorp, III p. 503. et Bosscha, III, 506. B. E. Perry, Some

aspects of the literary art of Apul., in Trans, and Proc. of Americ. Phil. Ass. (1923), p. 211. Nock, op. cit., p. 155 ; 139. Paratore, op. cit., p. 42, n. 5. Tous les autres savants en parlent.

(4) Riefstahl, op. cit., p. 29 ; I, 2 : Sititor alioquin novitatis ; VII, 13 : et alias curiosus, et tune... spectator optabam fieri ; IX, 13 : ingénita mihi curiositate ; IX, 15 : genuinam curiositatem ; IX, 30 : homo curiosus iumenti faciem susti- nens ; IX, 42 : curiosus alioquin et inquieti procacitate praeditus asinus. Ajou- ons, d'après l'admirable lexique d'OLDFATHER, Canter et PERRY,qu'on

le mot curiositas employé douze fois, curiosulus une fois, curiosus vingt fois, curióse treize fois.

Sur l'importance de la Curiositas dans le roman antique, cf. Paratore, op. cit., p. 9 sqq ; p. 27 sq ; p. 68 ; cf. aussi Betolaud, o. c, p. 409.

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qui ne se gêneront pas devant son apparence inoffensive. En un mot, rien de ce qui est humain ne restera étranger à cet âne savant.

Or, aucun trait ne convient mieux à Apulée lui-même. La marque la plus saillante de la vie de Lucius est aussi celle qui caractérise Apulée Q). En effet, quand on envisage dans son ensemble la

activité de l'orateur africain, ses côtés mystérieux, ses écrits nombreux et disparates, on note cette tendance vers le

dans les domaines les plus divers, et on pourrait lui appliquer à la lettre cette parole de Lucius (2) : non quidem curiosum, sed qui velím scire vel cuneta uel certe plurima.

C'est pour satisfaire cette passion qu'Apulée entreprit des longs et onéreux. Il étudia à Carthage, à Athènes, vit Rome, se

fit initier à de nombreux mystères, assimila à sa façon Platon et Pythagore, observa les poissons à la manière d'Aristote, pratiqua la médecine et la physique, composa des poèmes d'amour ; si nous parcourons les Florides, nous l'y verrons traiter de Marsyas, le joueur de flûte, du plumage du perroquet, de l'Inde et des Gymno- sophistes. Lui-même se charge de portraiturer son « Génie » (3). « A tous (les outils), je préfère, avouerai-je, un roseau à écrire, avec lequel je compose des poèmes de tout genre, destinés à la

ou à la lyre, au brodequin ou au cothurne. Ajoutez satires et énigmes, histoires variées, discours chers aux amateurs

dialogues goûtés des philosophes, enfin tout ce que vous voudrez, en grec et en latin, avec égal don, même zèle et pareil style ».

Apulée est en quelque sorte le foyer centralisateur de tous les rayons artistiques, philosophiques et moraux du 11e siècle. Nous pourrions dire : il est l'homme du second siècle. Curiositas n'est pas ce que nous traduisons par « curiosité ». Le mot inquiétude rendrait mieux le trouble des esprits à cette époque (4).

Les aspirations religieuses et profondément mystiques, le désir d'une vie de pureté et de sainteté par les initiations et les croyances nouvelles, les recherches anxieuses dans le domaine magique, la corruption sociale unie au plus profond mysticisme, le mélange

(1) La Briolle, op. cit., p. 65. (2) I, 2. (3) Flor. IX. trad. Clouard, Garnier. (4) Cf. le chapitre écrit par P. Fabre, dans A. J.Festugière, Le monde Gréco-

romain au temps de Nôtre-Seigneur, Paris (1935), p. 160.

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d'aspirations élevées, de spéculations intellectuelles avec les les plus sordides, les plus mesquines, les plus odieuses, la

tendance à ce que nous appelons aujourd'hui « la vulgarisation scientifique », l'amour du mot, de la forme pour elle-même, tout cela s'est emparé de l'esprit de notre écrivain (*). Il fut pour

tout entière un magicien dangereux, faiseur de miracles, un médecin, un philosophe, un rhéteur (2). Les auteurs chrétiens s'appliquent à le réfuter, à expliquer qu'il ait pu faire des miracles.

Cette curiositas de Lucius qui est la cause première de la aventure de la Métamorphose, est l'inquiétude d'Apulée

pour la magie et les mystères. Là, et par conséquent, à chacun des nombreux rappels du mot

dans le roman, sous Lucius, il faut lire Apulée.

5. — La connaissance de la foule.

Un autre trait bien propre à Apulée et que nous retrouvons chez Lucius, c'est la connaissance de la foule, des réactions populaires de la psychologie de l'amphithéâtre.

Il y en a au 1. III un exemple frappant. Lucius décrit la foule du théâtre où il va être jugé. La plèbe se presse, embrasse les piliers, se suspend aux statues, se penche dangereusement aux lucarnes et aux fenêtres. Un rire convulsif s'est emparé de toute l'assemblée, mais au moment où Lucius, sur l'ordre du magistrat va dévoiler les outres, l'auteur note : « Alors, ce rire qu'une certaine malice avait engagé le peuple à contenir quelque temps se donne libre cours » (m, 10) et suit toute une description.

Apulée, le conférencier aimé et adulé (3), réclamé par toutes les villes d'Afrique, s'est ici substitué à Lucius. Ce sont des souvenirs personnels qu'il projette sur l'écran du roman.

(1) Paratore, op. cit., p. 7, et Hammer, dans quel but Apulée a-t-il écrit la Métam., in Eos, 29 (1926) p. 233 sqq.

(2) Colvius in Oudendorp, III, p. 504, et Bosscha, ibid. ; S. Jérôme, in Psalm. 81 ; Lactance, Div. InsL, V, 3 ; August., ad Marc. Ep. 5 ; Marcellus, de medicamentis, in Epist. ad. filios.

(3) cf. August. Ep. 5 : sur la statue à Oea, et Flor, 16 et 9. On a découvert, il y a quelques années, à Madaure, le socle d'une statue qui lui fut dédiée ; cf. Class. Rev., 1928, p. 87.

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Ajoutons toutefois, d'après Paratore (1), que le thème de la foule est très important dans le roman ancien, tant grec que latin. Le savant italien montre très bien le développement de ce motif dans le conte de Télyphron et dans la scène de la fête du Rire dont nous venons de parler et qu'il rapproche de la fin du roman d'Achille Tatius qui lui est, toutefois, fort postérieur. Occasion pour

de profiter de son expérience et d'observer ou de créer une des règles du genre.

6. — Le livre XI.

Nous ne résumerons pas l'étude par laquelle Rohde (2) recherche les éléments auto-biographiques dans le XIe livre et spécialement dans la seconde partie du livre.

Nous noterons avec plaisir que, dès 1871, dans son premier P. Thomas (3) qui devait devenir un grand spécialiste

les avait signalés, mais sans les analyser : « dans ce dernier (Y Ane d'or et son dénouement), l'auteur ne craint pas de se

à son héros et d'entrer ouvertement en scène. Les détails personnels abondent dans le livre XI. Apulée, en changeant soudain son Lucius grec en Africain de Madaure, met en quelque sorte sa morale en action et se présente à ses contemporains comme un vivant témoignage de la sainte influence des initiations ».

Tous les critiques admettent ici l'autobiographie. Il s'agit du voyage de Lucius « in sacrosanctam istam civitatem », Rome, où il entre par la porte d'Ostie ; de son renoncement à son origine grecque pour devenir Madaurensis, habitant de Madaure ; de sa profession d'avocat (4), dans laquelle il se distingua malgré son fort accent africain. A Rome, il refit son patrimoine dispersé par ses voyages et ses générosités. (Il dotait parfois les filles de ses

pauvres). Il s'y fit remarquer par ses qualités et devint, par ses talents et sa vertu, un personnage eminent.

(1) Paratore, op. cit., p. 29 sqq. (2) Rohde, op. cit., in Rh. Mus., (1885). (3) P. Thomas, Dans quel but Apulée écrivit les Métamorphoses, in Revue de

l'Instruction publ. en Belgique, XIX, (1871), p. 142. (4) Cf. à ce sujet, F. Norden, Le droit romain dans Apulée, in Revue de

V Université de Bruxelles (1911).

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En tout cela, Lucius n'est qu'une fidèle copie de son créateur. Nous avons recensé les traits d'autobiographie admis par la

critique. Reprenons le texte même de M. P. Vallette (*), en nous rappelant qu'il faut inverser le « sans doute » qui introduit son raisonnement : « sans doute, quelques traits de la personne

et du caractère de Lucius conviennent à Apulée : les extérieurs, dont notre homme, sous une apparente modestie

se montre assez vain (Met, n, 2 et 3 ; Apol., 4, 92, 5) ; les goûts et le talent littéraires, la curiosité à l'endroit du merveilleux et de la magie (ceci ressort de toute Y Apologie. Voy., d'autre part, Met, i, 3 sqq. ; n, 1 ; m, 19 sqq., etc.), les initiations multiples (ApoL, 55 ; Met., m, 15, 4 ; xi, 22 à la fin) ; le séjour et les études à

(Met, i, 24, 5 ; Apol, 72, 3 ; Flor., xviii, 15 ; xx, 4) ». Disons que ce n'est pas si peu, ces concordances et, presque

sur des points importants. Nous autorisant de l'accord des savants, nous allons examiner si certains passages faisant

ne révéleraient pas d'autres assimilations du protagoniste et de l'écrivain.

Nous croyons pouvoir ainsi éclairer d'un jour nouveau, certaines petites énigmes du roman.

7. — Pythéas, le Magistrat ou l'Affaire des Poissons. (i, 24-26).

C'est par un épisode singulier qu'Apulée clôt son premier livre. Lucius, après avoir fait route avec des voyageurs de commerce et écouté une horrible histoire de magie amoureuse qui s'est passée à Hypathe, arrive dans cette même ville et court présenter à Mi- lon ses lettres de recommandation. Notre homme s'installe chez son hôte, mais « pour se faire bien voir d'un homme de mœurs si économes » — Milon nous apparaît sous les traits d'un vieil avare — il descend en ville pour acheter son dîner. Il furette à travers la place du Marché, s'arrête devant l'étalage d'un marchand de poissons, discute le prix et achète de splendides poissons (piscatum opiparem) qu'il dépose soigneusement dans son panier. Et voilà qu'il rencontre un de ses anciens condisciples d'Athènes, devenu magistrat, édile chargé de la surveillance du marché.

(1) Vallette, Met., p. xn.

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Or, celui-ci, à la vue de ces beaux poissons, s'écrie : « Quel pêcheur t'a vendu cette camelote?» et sous prétexte de rendre service à son ami, il fait piétiner par un de ses agents les poissons du vieux « piscator » et ... ceux de Lucius consterné (conster- natus ac prorsus obstupidatus). Puis, il disparaît satisfait, laissant son ami léger de l'estomac et de l'escarcelle. Que vient faire ici cette histoire ?

Aucun des commentateurs n'en parle de façon précise. Les éditions décrivent les faisceaux et la suite de l'édile. Mo-

relli passe même sous silence l'épisode dans le résumé qu'il donne du roman et lui consacre une petite note beaucoup plus loin (*). Hammer (2) cependant, lui attribue quelques lignes intéressantes. Ce serait une fabula jocosa inventée par Apulée lui-même à la manière grecque pour faire pendant à l'histoire sérieuse d'Aristo- mène. Cette alternance se continuerait au Livre II par la fable sérieuse de Télyphron et la fable jocosa de Diophane. Apulée

ces « à la manière de... » le plus souvent en fin de livre. B. E. Perry (3) qui est avec Hammer le spécialiste de l'étude de

l'art narratif d'Apulée, confirme l'emploi du procédé. Cependant, Hammer a beau dire : nous ne voyons pas en quoi

l'histoire est « jocosa ». Elle nous étonne, nous fait nous demander : « Qu'est-ce ? », mais elle ne nous fait pas rire. Nous retiendrons toutefois cette idée : ce récit a été inventé par Apulée lui-même. Ici, il n'a pas suivi son modèle grec, si modèle grec il y a. Il a pu y güsser tout ce qui lui semblait bon, et y faire allusion à toute affaire de son choix.

De plus, — fait que la critique a négligé de relever — Apulée, pour insérer cet épisode, a commis une erreur de composition, ou mieux, a admis une contradition évidente. Chez Lucien, Hipparche qui correspond au Milon d'Apulée n'est pas un avare et Lucius, à son arrivée, partage son repas. Apulée a d'abord fait de Milon un vieux ladre, pour forcer Lucius à se rendre au marché « afin de s'attirer la bienveillance de son hôte. » Or, dans la suite du récit,

(1) Morelli, op. cit., p. 140, n. 1. (2) Hammer, de Apul. arte narrandi novae observationes, in Eos, 28 (1925)

p. 52. (3) B. E. Perry, Some aspects of the literary art of Apuleius in the Métam.,

in Tr. Pr. of Amer Ph. Ass., (1923), p. 209 : « The tone of the roman writer is likely to pass from playful to serious ».

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108 M. HICTER

Milon ne sera plus avare. Il offrira avec plaisir à dîner à Lucius (Livre III) et augmentera son train de vie. Une remarque de Helm (*), dans son chapitre De rebus negierter compositis, renforce notre idée. Le savant critique s'étonne de ce que, au livre I, Milon n'a qu'une servante, alors que, en n, 15, Photis prend soin d'écarter les autres domestiques pour qu'ils ne viennent pas troubler ses ébats amoureux.

Apulée n'a-t-il pas lui-même répondu d'avance à cette objection quand il fait dire à Milon : « Majorera, domumdignatione tua feceris » ? Il semble cependant que c'est consciemment qu'Apulée a commis cette faute de logique dans le caractère et la conduite de Milon.

Ici, en effet il fallait annoncer l'épisode de Pythéas ; il fallait que Lucius allât au marché et qu'il y achetât du poisson. Mais pourquoi du poisson? En Thessalie, à Hypathe, loin de la côte, vendus par un piscator ? Et ce sont de beaux poissons, il le note.

— Pour dîner, parbleu ! dira-t-il : « ut prius aliquid nobis cibatui prospicerem » (i, 24) ; et ces poissons splendides, son ami l'Édile va les appeler de la camelote : nugamenta (2).

Les poissons auraient-ils quelque rapport particulier avec Non avec Lucius, mais bien avec Apulée. Dans Y Apologie,

en effet, l'achat de poissons a été une des accusations les plus graves contre lesquelles il dut se défendre, celle qu'il eut le plus de peine à écarter. M. Vallette (3) note très bien que cette accusation, qui paraît « ridicule à première vue », n'empêche pas Apulée « de consacrer à la réfutation de ce seul argument, douze chapitres (29-41) sur cent trois dont se compose son discours».

De plus, c'est elle qui vient en tête du « train » des accusations. De quoi l'accusait-on au juste? « D'avoir payé des pêcheurs (pisca- tores) pour obtenir une certaine espèce de poissons » (4).

Apulée est un magicien ! s'écrie-t-on. Il cherche dans les « quid ad amoris ardorem accendendum » (Apol., 30) et

voyait dans les poissons un « argumentum magiae » (id.). Il a beau dire « qu'un poisson qu'on a pris ne peut servir à rien

qu'à passer par la poêle et sur la table », il va se trouver dans un

(1) Helm, Praefat. ad Florid., vol. II, Teubner (1921), p. xvi. (2) Ce mot est un Hapax, dans Apulée, (cf. Oldfather, s. v.) (3) Vallette< Apol., p. 58. (4) Apol., 29 : « Nonnulla me piscium genera per quosdam piscatores pretio

quaesisse. »

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grave embarras et, pour en sortir, il devra user de toutes les de ses connaissances sophistiques.

Examinons cette merveilleuse réponse. 1) Si j'ai acheté des poissons, c'est pour manger. D'ailleurs, qui

a jamais vu dans les poissons un pouvoir magique, surtout un pouvoir amoureux chez ces êtres froids? (29-31).

2) Et même si les poissons avaient un pouvoir magique : ce n'est pas parce qu'on achète un vaisseau de course qu'on est

(32-33). 3) II est vrai que mon esclave Thémison, un peu médecin, m'a

apporté un poisson étrange pour l'examiner, mais ce n'était pas un de ces poissons dont « l'appellation est commune avec les

sexuelles de l'homme et de la femme ». Si je connais beaucoup de poissons, c'est vrai, c'est par amour de la science et parce que je continue les recherches d'Aristote, ou que j'y cherche, des

Ce n'est pas vrai, comme on le dit, que j'ai séduit une femme à l'aide d'enchantements tirés de la mer (34-41).

Il est bien malaisé, après cette triple réponse dont les éléments sont contradictoires, de dire quel fut le véritable état de conscience d'Apulée. Nous ne sommes pas loin de croire que ses contorsions oratoires et ses ruses de rhéteur cachent une âme peu tranquille. Quoi qu'il en soit, dans la vie d'Apulée, à l'idée de poisson est attachée l'idée de magie amoureuse. A la lumière de ces

examinons l'aventure de Lucius et de Pythéas. Lucius achète précisément des poissons, qu'il trouve beaux.

Apulée aussi achetait de beaux poisosons ou envoyait son esclave Thémison en acheter.

Ils les achètent tous les deux au marché ou, en tous cas, à des piscatores. Le même mot est employé. A propos de cet achat, Lucius est aux prises avec un magistrat. Apulée aussi. A l'origine de l'aventure, se place la rencontre de ce condiscipulus apud atti- cas meas. On sait que les déboires d'Apulée à Oea et son procès ont leur source dans la rencontre d'un ancien condiscipulus

En effet, il y retrouva Pontianus, le fils de cette Pudentilla qu'il allait bientôt épouser. Pythéas reçoit Lucius avec effusion (amplexus ac comiter deosculatus) et lui offre des vivres à bon

à son arrivée à Hypathe, ville inconnue encore du visiteur ; Pontianus s'empresse chaleureusement auprès d'Apulée à son arrivée à Oea. Il le marie presque de force à sa mère, après lui avoir fait quitter la maison des Appius, ses amis, pour l'attirer

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llÔ M. HlCTEft

chez lui, sous prétexte que la maison était plus grande et avait de magnifiques terrasses sur la mer. (Là, le poisson devait être plus abondant qu'à Hypathe).

Puis, la situation de part et d'autre se renverse. Pythéas, dès qu'il voit les poissons, matière dans laquelle il est expert, car son nom (]) n'est pas sans suggérer quelque rapprochement avec

le Massaliote, le grand découvreur des terres du Nord et l'auteur d'un traité περί ώκεάνον, se rebiffe et fait piétiner cette camelote. — Pontianus devient l'ennemi d'Apulée, lui intente un procès: «II a séduit sa mère par ses opérations magiques»... puis, comme Pythéas qui disparaît du récit sans laisser de traces, Pontianus meurt et ne peut même pas assister au procès.

Cette concordance entre les deux situations est réellement surtout cette similitude des conduites des deux anciens

amis d'Athènes, le littéraire et le réel, avec sa période d'effusions et son retournement soudain.

Or, — et les deux constations qui vont suivre sont très — Io C'est seulement ici, à la fin du Livre I, que nous

que Lucius fit ses études à Athènes, et non dans le comme il eût été naturel, puisque c'est là que Lucius tous les détails de sa biographie et se présente au public.

Il y a là une apparente inadvertance du narrateur, apparente, car, nous savons indiscutablement que le rappel des études à Athènes est un fait autobiographique. Le romancier nous invite donc lui- même à insister sur les concordances relevées plus haut et amorce lui-même la comparaison entre sa vie et son œuvre.

2° Les poissons, dans le procès d'Apulée, sont une pièce à prouvant ses pratiques — vraies ou fausses — de magie

amoureuse. Or, le récit d'Aristomène qui précède immédiatement l'épisode de Pythéas est aussi la narration d'une aventure de

amoureuse. Il s'agit de la vengeance tragi-comique de la Méroé sur son amant Socrate, qui rêvait de l'abandonner.

Le conte des Poissons n'est donc pas, compris de cette façon, un hors d'œuvre dans la suite logique du roman et sa signification s'adapte à l'atmosphère du début de l'ouvrage.

Concluons. Apulée a inventé ce récit lui-même, et a pu lui faire signifier ce qu'il voulait.

(1) Aucun nom propre dans le cours du roman n'est attribué au hasard. Cf. notre Apulée, conteur fantastique.

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II a, pour permettre ce récit, changé arbitrairement le caractère de Milon et sa conduite.

Le fait de mentionner seulement ici ses études à Athènes, invite à songer à l'autobiographie.

Le conte précédent est un récit de magie amoureuse et les sont, chez Apulée, la preuve de ses séductions magiques-

Enfin, il y a une concordance étonnante, encore que mal définie, entre Pythéas et Pontianus.

Il n'est pas jusqu'au malaise qui plane, dans le roman, sur l'épisode des poissons, qui ne l'apparente, dans une certaine mesure, aux controverses ichtyologiques du procès.

Donc, nous avons ici une page d'autobiographie, un rappel peut-être douloureux, peut-être sarcastique, mais en tout cas pas « jocosus » du terrible procès de magie qui marqua dans les Annales des tribunaux africains.

(A suivre).