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AURORA TEAGARDEN – 4

La maison des Julius

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Du même auteuraux Éditions J’ai lu

Si douce sera la mort

LA COMMUNAUTÉ DU SUD

1. Quand le danger rôde2. Disparition à Dallas3. Mortel corps à corps

4. Les sorcières de Shreveport5. La morsure de la panthère

6. La reine des vampires7. La conspiration8. Pire que la mort9. Bel et bien mort

10. Une mort certaine11. Mort de peur

12. Mort sans retour13. La dernière mort

SOOKIE STACKHOUSE PRÉSENTE : INTERLUDE MORTELSOOKIE STACKHOUSE PRÉSENTE : MARIAGE MORTEL

LES MYSTÈRES DE HARPER CONNELLY

1. Murmures d’outre-tombe2. Pièges d’outre-tombe

3. Frissons d’outre-tombe4. Secrets d’outre-tombe

LILY BARD

1. Meurtre à Shakespeare2. Fin d’un champion3. Sombre célébration

4. Libertinage fatal5. Vengeance déloyale

AURORA TEAGARDEN

1. Le club des Amateurs de meurtres2. Un crime en héritage

3. À vendre : trois chambres, un cadavre

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Charlaine Harris

AURORA TEAGARDEN – 4

La maison des Julius

Traduit de l’anglais (États-Unis)par Anne Muller

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Titre original :THE JULIUS HOUSE

Éditeur original :SCRIBNER, Rockfeller Center – 1230 Avenue of the Americas New York, NY 100LO

© 1995 by Charlaine Harris

Pour la traduction française :© Éditions J’ai lu, 2014

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Je tiens à remercier ici le Révérend Père Gary Nowlin,Maître Mike Epley, Jim Gann, garde forestier del’Arkansas, Glenn McCelland, chimiste, Dennis, de lapolice scientifique de la Géorgie ainsi que le Dr AungThan.Tous ont contribué à ce livre et si vous relevez deserreurs, j’en suis la seule responsable.

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1

La famille Julius disparut six ans avant que jen’épouse Martin Bartell.

T.C., Hope et Charity Julius s’étaient tout simple-ment évaporés. Certains habitants de Lawrencetonavaient même appelé le National Enquirer1 pour rap-porter aux journalistes qu’ils avaient été enlevés pardes extraterrestres.

À l’époque, j’avais terminé mes études supérieuresdepuis quelques années et je travaillais à la bibliothè-que municipale de Lawrenceton. Avec le temps,aucun élément nouveau n’ayant éclairé la dispari-tion, j’avais fini par ne plus me poser de questions.Seul un vague frisson d’angoisse me parcouraitencore le dos lorsque l’on mentionnait le nom« Julius » au cours de la conversation.

Puis Martin m’offrit leur maison comme cadeau demariage.

1. Le National Enquirer (mot à mot « détective national ») est un tabloïdaméricain qui rémunère ses sources pour tout indice intéressant.

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Dire que je fus surprise serait un euphémisme. Ren-versée serait plus exact. Installés tous les deux àLawrenceton, ville du Sud traditionnelle et malheu-reusement en passe de devenir une banlieued’Atlanta, nous souhaitions acquérir une maison encommun. Tentés par des biens spacieux dotés degrandes salles de réception, nous avions visité un cer-tain nombre de demeures luxueuses et « comme ilfaut », dans les quartiers contemporains enpériphérie.

J’estimais pour ma part que ces surfaces étaientbien trop grandes pour un couple sans enfant. Martinressentait néanmoins le besoin irrésistible d’afficherdes signes extérieurs de prospérité. Il conduisait uneMercedes, par exemple, et pour lui, notre maisondevait s’harmoniser avec sa voiture.

Nous avions vu celle des Julius car j’avais demandéà mon amie et agent immobilier Eileen Norris de lamettre sur la liste – je l’avais moi-même visitée quel-que temps plus tôt, quand j’étais célibataire.

Martin n’était pas tombé sous le charme commemoi. Bien au contraire, il s’était étonné de mon pen-chant pour la propriété. Ses sourcils sombres et biendessinés s’étaient arqués et ses yeux d’ambrem’avaient fixée d’un air interrogateur.

— C’est un peu isolé, avait-il fait remarquer.— À peine deux kilomètres de la ville. Je peux pres-

que voir la maison de ma mère, d’ici.— C’est plus petit que celle de Cherry Lane.— Ce qui fait que je pourrais m’en occuper toute

seule.— Tu ne veux pas qu’on prenne quelqu’un pour

t’aider ?

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— Je ne vois pas pourquoi.« Je n’ai rien d’autre à faire », avais-je précisé en

mon for intérieur. Ce qui n’était pas de sa faute maisentièrement de la mienne : j’avais donné ma démis-sion à la bibliothèque avant même de l’avoir rencon-tré. Je le regrettais chaque jour un peu plus.

— Et l’appartement au-dessus du garage, tu vou-drais le louer ?

— Pourquoi pas, en effet.— Le garage ne donne pas directement dans la

maison.— Il y a un passage couvert entre les deux.Pendant notre petite conversation, Eileen s’était

discrètement occupée ailleurs.— C’est vrai, on se demande vraiment ce qui a bien

pu leur arriver, fit-elle observer plus tard en refer-mant la porte, avant de glisser la clé dans son sac.

Les yeux de Martin s’illuminèrent soudain d’unebrève lueur de compréhension.

Et c’est ainsi qu’au moment des échanges decadeaux de mariage, je fus stupéfaite en recevant desa main l’acte de propriété de la maison Julius.

Mon propre cadeau eut le même effet sur lui. J’avaiseu le nez fin et, moi aussi, j’avais travaillé dansl’immobilier.

Alors que j’hésitais sur ce que je pourrais bien luioffrir, une angoisse terrible m’avait envahie. Car enfin de compte, nous ne nous connaissions pas si bienque cela, c’était indéniable. Et nous étions très diffé-rents. J’avais beau chercher, je ne trouvais rien.L’avais-je jamais entendu exprimer un souhaitquelconque ?

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Réfugiée sur mon canapé dans le petit salon de lamaison que j’occupais depuis des années, je tentaisdésespérément d’échapper à la panique et me creu-sais la cervelle pour trouver l’idée parfaite. Je n’avaisaucune idée de ce que sa femme précédente lui avaitoffert. J’avais la ferme intention toutefois de faire ensorte que mon propre cadeau soit plus marquant.Madeleine glissa lourdement de mes genoux pours’installer sur le coussin en ronronnant. Je l’avaishéritée de Jane Engle. Mon amie ne s’était jamaismariée. Lorsqu’elle était décédée, elle m’avait léguésa fortune. Madeleine symbolisait donc pour moi deschoses agréables : l’amitié ainsi que l’aisancefinancière.

En pensant à Jane, je me rendis compte que jevenais de finaliser la vente de sa maison, ce quim’avait rapporté encore plus d’argent. Je réfléchis-sais au secteur immobilier en général quand, tout àcoup, une idée prit forme. Je savais ce qui ferait plai-sir à Martin.

Homme d’affaires émérite et sophistiqué, ce der-nier était en effet originaire du fin fond rural del’Ohio. Le seul lien que l’on pouvait entrevoir avec savie professionnelle actuelle était la Pan-Am Agra. Lasociété qui l’employait fabriquait en effet des pro-duits agricoles, en collaboration avec certains paysd’Amérique latine, principalement le Guatemala et leBrésil. Le père de Martin était mort alors qu’il étaittout jeune, et sa mère s’était remariée. Le jeune gar-çon et sa sœur Barby ne s’étaient jamais entendusavec leur beau-père, Joseph Flocken. Rien ne s’étaitarrangé après le décès de leur mère. Martin m’avaitraconté avec amertume que la ferme tombait en

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ruine : rongé par l’arthrite, le beau-père ne pouvaitplus l’exploiter mais refusait de la vendre, bien décidéà contrarier Martin et sa sœur.

C’était là le cadeau idéal : j’allais racheter la fermepour lui.

Le plus difficile fut de trouver un bon motif pourjustifier mon absence. Je racontai finalement àMartin que j’allais passer quelques jours chez Amina,ma meilleure amie. Enceinte de plus de trois mois,elle résidait maintenant à Houston. Je l’appelai pourlui expliquer mon projet. Je lui demandai égalementsi elle et Hugh accepteraient de brancher leur répon-deur pendant quelques jours, afin de filtrer les appels.J’avais l’intention de lui téléphoner tous les soirs poursavoir si Martin avait tenté de me joindre. Si c’était lecas, je pourrais le rappeler depuis l’Ohio. Aminatrouva mon idée terriblement romantique. Elle allaitbientôt venir à Lawrenceton, accompagnée de sonépoux Hugh, afin de participer aux festivités prénup-tiales, puis à notre mariage.

— J’ai tellement hâte de rencontrer Martin,s’exclama-t-elle joyeusement.

— Attention, ne joue pas de ton charme légendaireavec lui ! lui recommandai-je d’un ton léger.

Et soudain, je m’aperçus que j’étais très sérieuse.L’idée d’une femme qui tenterait d’enjôler Martin medonnait des envies de mordre.

— Mon charme ? s’égosilla l’intéressée. Mais ché-rie ! Je ressemble à une baleine !

Son ventre toujours plat devait simplement afficherun galbe à peine décelable.

Notre conversation se termina sur une note ami-cale, mais mon accès de jalousie me donna à réfléchir

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tout au long de mon vol vers Pittsburgh puis sur laroute en direction de Corinth, la ville la plus prochede la ferme. C’était une agglomération un peu pluspetite que Lawrenceton. Incertaine de ce que j’y trou-verais en matière d’hébergement, j’avais réservé unechambre au Holiday Inn.

Il s’agissait là pour moi d’une aventure exotique.J’avais beau me répéter inlassablement que d’autrespersonnes voyageaient seules, vers des destinationsinconnues et à longueur de temps, j’étais rongée parl’anxiété. Dans l’avion, j’examinai minutieusement lacarte, et une fois arrivée, je m’attardai longuement àvérifier la Ford Taurus que j’avais louée. En mêmetemps, je m’émerveillais du fait que personne aumonde ne sache véritablement où je me trouvais.

Je fus frappée tout d’abord par l’aspect familier deCorinth. Le paysage était sans doute un peu différent,et les habitants habillés d’une façon légèrement inha-bituelle pour moi. L’architecture comportait bienplus de brique rouge, avec plus de maisons à étage…Mais je retrouvais là une ville aux racines agricoles,avec des maisons regroupées autour d’un centre-villequi manquait de places de parking, et dont la zoned’activités à sa sortie était parsemée d’engins agri-coles John Deere.

Je m’enregistrai à l’hôtel et décidai d’appeler uncabinet d’immobilier.

Il n’y en avait que trois dans l’annuaire – les pers-pectives de ventes à Corinth devaient être bienmodestes. L’agence Bishop Realty se spécialisait dansles fermes (« biens agricoles »). La main sur lecombiné, j’hésitai soudain : je me préparais à mentir,ce dont je n’avais pas l’habitude.

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— Bishop Realty, Mme Mary Anne Bishop à l’appa-reil, répondit une voix énergique.

— Aurora Teagarden, annonçai-je distinctement.J’attendis comme toujours que mon interlocutrice

étouffe un rire, ce qu’elle ne manqua pas de faire – etpas très discrètement.

— Je souhaiterais voir des fermes dans les envi-rons, et tout particulièrement en mauvais état. Il mefaudrait un endroit plutôt isolé.

Mary Anne Bishop absorba ces informations ensilence.

— Vous pensiez à quel genre de surface ? finit-ellepar demander.

— Pas trop grand.Je n’avais pas réussi à soutirer l’information à

Martin.— Je pourrais préparer plusieurs visites pour

demain matin, répondit Mme Bishop d’un ton pru-dent. Si vous pouviez me dire – enfin, vous avezl’intention d’exploiter les terres ? Si j’en savais plussur ce que vous voulez en faire, je serais en mesure defaire une meilleure sélection de propriétés, vouscomprenez.

Elle faisait de son mieux pour ne pas semblerindiscrète.

Je fermai les yeux et pris une grande inspiration,soulagée qu’elle ne puisse pas me voir.

— Je représente une petite communauté religieuseen plein développement. Nous souhaitons acquérirun bien que nous puissions rénover nous-mêmes etadapter à nos besoins. Nous ferons un peu de cultureou d’élevage mais si nous voulons de la terre, c’estplutôt pour préserver notre vie privée.

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— Ah bon. Vous n’êtes pas des Moonistes1 tout demême ? Ou des Druvidiens ?

Des Druvidiens ? De quoi parlait-elle, de druides oude Davidiens2 ?

— Absolument pas, rétorquai-je avec fermeté.Nous sommes des chrétiens pacifistes. Nous refusonsl’alcool et le tabac. Chez nous, personne ne s’habillebizarrement, personne ne se poste au coin de la ruepour réclamer des dons. On ne prêche pas dans lesmagasins non plus, ni rien de ce genre !

Et je partis d’un rire léger, bientôt imitée parMme Bishop – après une certaine hésitation. Elle medonna des instructions claires pour trouver seslocaux et me recommanda quelques restaurants pourle dîner (« Si vous avez le droit d’y aller bien sûr »)avant de me souhaiter une bonne soirée.

Ayant repéré le distributeur de sodas, je m’installaipour regarder les informations tout en sirotant unWhisky-Coca, grâce au reste de la petite bouteilleofferte dans l’avion. Heureusement que Mme Bishopn’était pas là pour m’observer…

Plus tard, gagnée par le sentiment à la fois étrangeet plaisant que me procurait mon anonymat, je sortisme promener en voiture. Le soir tombait, accompa-gné d’une bruine de printemps. J’observais les rues

1. Les Moonistes sont les membres de la secte Moon, ou Association del’Esprit Saint pour l’Unification du Christianisme Mondial, créée enCorée dans la première moitié des années 1950 par Sun Myung Moon. Cedernier est décédé en septembre 2012.2. Les Davidiens ou « Branch Davidians » sont membres d’une secte quitrouve son origine chez les Adventistes du septième jour, dont ils se sontdéfinitivement séparés dans les années 1950. Le groupe est principale-ment connu pour le siège de Waco, au terme duquel plus de 80 membres,dont leur leader, trouvèrent la mort en avril 1993.

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que Martin avait si bien connues au cours de sonenfance, dépassant l’affreux lycée de brique danslequel il avait joué au football américain, scrutant lesmaisons dans lesquelles avaient habité des cama-rades et connaissances, des petites amies, descopains avec qui il avait passé des soirées arrosées.Certains, peut-être même la plupart d’entre eux,étaient restés ici, dans cette ville. Peut-être qu’il étaitparti au Vietnam avec eux. Et qu’ils n’en parlaientpratiquement jamais, tout comme lui.

J’avais l’impression d’être une intruse et d’écouteraux portes de la vie de Martin.

Je me rendis à l’un des restaurants que Mme Bishopm’avait recommandés. Je sortis de mon sac un livrede poche – ce soir, c’était Promenons-nous dans lesbois… de Liza Cody1 – et le lus tout en dînant. Lacarte, un peu étrange pour moi, ne comportait aucundes plats typiques de mon Sud natal. Mais le chiliétait bon et j’en laissai la moitié sur mon assiette àregret : j’avais dépassé la trentaine et je trouvaisdésormais que les calories avaient plus d’effetqu’auparavant. Quand on ne mesure qu’un petitmètre cinquante-deux, le moindre gramme superflupeut devenir très visible.

Personne ne me dérangea, la serveuse était plai-sante et je passai donc un moment agréable. J’avaisconsciencieusement pris mon jogging et mes basketsdans mes bagages. La pluie fine me servit malgré toutde prétexte pour ne pas aller courir après le repas.

1. Écrivain britannique, Liza Cody a été récompensée par le prix SilverDagger de 1992. Ses romans policiers ont notamment inspiré la série télé-visée Anna Lee.

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Pour apaiser ma conscience, j’exécutai quelquesmouvements de gymnastique dès mon retour dansma chambre, soulageant ainsi la raideur que le vol etle long trajet en voiture m’avaient infligée. Je télépho-nai ensuite à Amina, qui confirma que Martin avaitlaissé un message sur son répondeur à peine unedemi-heure plus tôt.

Personne n’étant présent pour me juger, je mepermis un sourire béat et le rappelai à son bureau. Auson de sa voix, un sentiment de manque intenses’abattit sur moi. Devant mes yeux flottaient sonépaisse chevelure blanche et impeccable, ses sourcilsnoirs et ses yeux ambrés. Je l’imaginais derrière sonimmense bureau recouvert de piles de papier ordon-nées. Il devait porter une chemise immaculée, et, audépart de son dernier employé, il avait dû retirer sacravate. Sa veste était suspendue sur un cintre rem-bourré, dans son cabinet de toilettes privé.

Je l’aimais tellement que j’en avais mal.Je ne lui avais jamais menti et je dus faire des

efforts pour me rappeler que j’étais censée me trouverchez Amina.

— Amina parle beaucoup du bébé ? me demanda-t-il.— Ça, on peut le dire ! Elle doit prendre des cours

d’accouchement d’ici à quelques mois, et Hugh estbien décidé à l’entraîner.

J’hésitai quelques instants avant de poursuivre.— Tu as suivi les cours, toi, quand Barrett est né ?— Je ne me souviens pas vraiment, mais j’imagine

que Cindy et moi avons dû en prendre. En tout cas,j’étais présent à l’accouchement, répondit-il d’un tonincertain.

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Cindy. Épouse numéro un et mère de Barrett,l’enfant unique de Martin. Il tentait actuellement sachance à Los Angeles, dans l’espoir de devenir unacteur célèbre.

Martin avait repris.— Dis-moi, est-ce que le fait qu’Amina soit enceinte

te donne des idées ?Sa voix ne me suffisait pas pour savoir dans quel

état d’esprit il se trouvait. Il avait toutefois tellementparlé de Barrett ces temps-ci que je sentais que cen’était pas le moment idéal pour avoir une conversa-tion sérieuse à ce sujet.

— Qu’est-ce que tu en penses, toi ?— Je ne sais pas. J’ai un peu passé l’âge de changer

des couches. Ça me ferait un peu peur, de toutrecommencer.

— On en reparlera quand je rentrerai, si tu veux.Puis la conversation s’orienta sur ce que Martin

voulait faire avec moi dès mon retour. Par un heu-reux hasard, je partageais ses intentions…

Après avoir raccroché, je pris le petit annuaire deCorinth et, avant d’avoir pu m’en empêcher, le feuille-tai pour tomber sur la lettre B.

Bartell, C. F., 1202 Archibald Street.Cela peut sembler louche. Jusqu’à cet instant-là,

pourtant, jamais je n’avais envisagé que l’ex-épousede Martin se trouve encore à Corinth.

Je découvris brusquement que je brûlais d’envie derencontrer Cindy Bartell. Un sentiment de jalousieparticulièrement ridicule consumait mon cœur. Il mefallait la voir à tout prix.

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Était-ce bien raisonnable ? Qu’importe. Je résolusd’obéir à cette impulsion pendant mon séjour. Je reti-rai mes lunettes et me détendis sur le lit pourtant durdu motel. J’avais malgré tout l’impression de memontrer franchement idiote. Je fouillai ma mémoire,tentant de me rappeler si Martin avait mentionné ceque Cindy faisait pour gagner sa vie. Il ne s’attardaitque rarement sur son passé – tout en se montrant fas-ciné par la platitude du mien. Il avait bien dû en par-ler à un moment ou un autre, non ?

M’étant assoupie tout habillée, je me relevai aveceffort, me démaquillai et enfilai ma chemise de nuit.Entre-temps, j’avais réussi à extirper de mes souve-nirs le détail recherché : elle était, ou avait été,fleuriste.

Le petit annuaire m’informa qu’il y avait à Corinthune boutique de fleurs sous le nom de Cindy’sFlowers1.

J’avais recommencé à hésiter lorsque je m’endormisd’un seul coup. Mon éducation et mon sens communme poussaient à ne pas m’approcher de la boutique deCindy. Allais-je leur obéir ?

Le lendemain matin, après avoir pris une doucherapide, je rassemblai ma masse de cheveux longs etbouclés en un chignon sage et rond, espérant qu’il medonnerait un air de vertu religieuse. Puis je memaquillai très légèrement et nettoyai soigneusementmes lunettes. Je choisis un tailleur-pantalon couleurkaki, assorti d’un chemisier en soie bronze et demodestes escarpins marron. Mon intention était deprojeter une image ultra-respectable : Mme Bishop

1. En anglais, « Cindy’s flowers » signifie mot à mot « les fleurs de Cindy ».

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devait se sentir rassurée. La secte devait cependantconstituer un élément suffisamment douteux pourpousser Joseph Flocken à vendre, rien que pourcontrarier les enfants de son épouse décédée. Mal-heureusement, l’homme n’avait pas le téléphone et jene savais pas où il habitait. Il ne me restait plus qu’àespérer que je repérerais sa ferme lors de mes visites.

Avant de descendre pour le petit déjeuner, je jetaiun dernier coup d’œil dans le miroir : mon reflet merassura sur l’effet que j’aurais sur Mme Bishop.

Les instructions qu’elle m’avait fournies m’amenè-rent à bon port, ce qui m’indiquait qu’elle étaitefficace.

L’agence Bishop Realty était installée dans unevieille demeure au coin de la rue principale, MainStreet. Au moment où j’entrais, une porte située surla droite s’ouvrit pour laisser passer une grandefemme blonde et robuste. Elle portait un tailleur bleumarine de mauvaise qualité et un chemisier blanc.

— Que le Seigneur soit avec vous, la saluai-jeimmédiatement.

Hésitante, elle épia rapidement mon annulaire gau-che – j’avais bien entendu laissé mon énorme baguede fiançailles dans une pochette au fond de mon sac,car elle ne correspondait pas à ma nouvelle image.

— Mademoiselle Teagarden ? J’ai quelques visitespour vous ce matin, m’annonça-t-elle d’un ton pru-dent. J’espère que l’une d’entre elles vous plaira. Nousattendons avec impatience de vous accueillir dans larégion avec votre groupe. C’est une congrégation, sij’ai bien compris ?

Elle me fit signe de la suivre dans son bureau et dem’asseoir, avant d’en faire autant. Je lui répondis en

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usant des mêmes précautions, tout en m’interro-geant sur le système fiscal et autres détails adminis-tratifs qui pouvaient découler du fait de se déclareren tant que congrégation officielle.

— Nous sommes un petit groupe religieux et paci-fiste. Nous aimons la tranquillité et nous ne sommespas riches. C’est la raison pour laquelle nous souhai-tons acquérir une ferme à l’écart de la ville et la res-taurer nous-mêmes.

— Et vous voulez, disons, au moins soixante hec-tares ? demanda Mme Bishop.

— Au moins. Ou même plus. Nous ne sommes pasvraiment fixés.

N’ayant aucune idée de la taille de l’exploitationBartell/Flocken, je restai dans le vague.

— Veuillez me pardonner, mais je me demandaispourquoi votre groupe s’intéressait à l’Ohio et à notrerégion. J’ai l’impression que vous venez du Sud, et il ya de belles propriétés agricoles en pagaille, là-bas…

— Dieu nous a dit de venir ici.— Ah.Mme Bishop haussa les épaules et remplaça son

regard un peu hébété par son sourire le pluscommercial.

— Eh bien, allons trouver l’endroit idéal. Nousprendrons mon Bronco, ce sera plus pratique, vu lecontexte.

Je passai donc une matinée entière à battre la cam-pagne de l’Ohio en tous sens, en compagnie de MaryAnne Bishop, à contempler des champs et des clô-tures et des fermes dilapidées. Je pensais au froid quidevait s’abattre en plein hiver sur les bâtisses plan-tées au milieu de nulle part, tout en m’imaginant le

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paysage recouvert de neige. J’en frissonnais rien qued’y penser.

Aucune n’était celle de Martin.Comment trouver le moyen de visiter le bon

endroit ? De toute évidence, Flocken n’avait mis lapropriété en vente chez personne. Il se contentait derester assis sans bouger, pour léser Martin et Barby.Je ne l’avais pas encore rencontré, mais je commen-çais à le détester cordialement.

Après le déjeuner, pris ensemble, Mary Annes’excusa pour vérifier ses messages et je restai dans lasalle d’attente à m’inquiéter : même si je parvenais àvisiter la ferme que je cherchais, il n’était pas certainque Flocken me la vende. Je me levai pour aller versle miroir accroché au-dessus d’une petite console, unpeu plus près du bureau de Mary Anne. Doués d’unevolonté qui leur est propre, mes cheveux s’échap-paient de leur chignon pour former une espèce dehalo bouclé. J’entamai les travaux de réparation.

Je découvris ainsi que si je tendais l’oreille, je pou-vais entendre Mary Anne.

— Alors je l’amène cet après-midi, Inez, si vous êtesprête. Non, non, elle n’est pas habillée bizarrement nirien. Elle est minuscule, toute jeune, et elle porte untailleur qui a dû coûter une fortune…

Ah zut ! J’aurais dû acheter quelque chose ausupermarché.

— … mais elle est très polie et tout à fait normale.En plus, elle a un accent du Sud à couper au couteau !

Grimace.— Non, à mon avis, le pasteur ne dira rien, je vous

assure, poursuivait Mary Anne d’un ton persuasif. Detoute évidence, ils ne boivent pas, ils ne fument pas,

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et ils refusent les armes à feu. Ils n’ont qu’une seuleépouse. Ils m’ont l’air on ne peut plus normaux. Ets’ils vivent tous seuls à l’écart… Oui, je sais, mais j’ail’impression qu’elle a déjà l’argent… Bon d’accord, àplus tard.

Mary Anne sortit à grand pas, le visage animé,tenant à la main une pile de fiches concernant lesbiens que j’allais voir dans l’après-midi.

Un certain sentiment de désespoir m’envahit.L’après-midi fut interminable. J’allais contre mon

gré devenir incollable sur les pratiques agricoles del’est de l’Ohio. Je rencontrai des gens très bien, vic-times de la crise, qui voulaient sincèrement vendreleur ferme. Je me sentais désolée pour la plupartd’entre eux. Je ne pouvais cependant pas me permet-tre de racheter le tout…

À 4 heures, j’avais vu tout ce qui se trouvait sur laliste. Je faisais semblant de réfléchir sérieusement àdeux des propriétés, tout en leur trouvant suffisam-ment de défauts pour que Mary Anne se senteenthousiasmée par la perspective des trois dernièresvisites prévues pour le lendemain matin. En cette finde journée, nous étions toutes deux soulagées denous séparer et c’est avec un sentiment de délivranceque je remontai dans mon propre véhicule, qui étaitresté garé à l’agence toute la journée. J’avais tenté àplusieurs occasions d’orienter la conversation sur lesannées pendant lesquelles Martin avait vécu ici. Sonmari et elle étaient natifs de Corinth mais pas une foisMary Anne ne mentionna le nom des Bartell.

Martin me manquait affreusement.J’avais presque terminé mon livre. En apercevant

une librairie sur le chemin du retour, je m’y arrêtai

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donc, ravie – du moment que des livres s’empilentquelque part, je m’y sens chez moi. C’était une joliepetite boutique, juste à côté d’un pressing et d’un coif-feur. Une clochette annonça mon entrée et unefemme aux cheveux gris, assise sur un tabouret der-rière sa caisse, releva les yeux de son propre livretandis que je marquais un temps d’arrêt. Je savourail’impression d’être entourée de mots.

— Vous cherchez quelque chose en particulier ?demanda-t-elle poliment.

Ses lunettes étaient assorties à ses cheveux et elles’était habillée en fuchsia, une teinte qui ne lui allaitmalheureusement pas du tout. Mais elle avait un sou-rire merveilleux et un timbre de voix riche et plein.

— Non merci, je regarde. Où sont les policiers ?— Au fond, à droite, m’indiqua-t-elle avant de se

replonger dans sa lecture.Je m’affairai pendant quinze à vingt minutes d’un

bonheur sans mélange, dénichant un James LeeBurke1 et un Adam Hall2 que je n’avais pas encore lus.La section crimes historiques s’avéra décevante mais,pour moi, c’était pardonnable : tout le monde n’étaitpas forcément mordu comme je l’étais.

La dame aux cheveux gris passa mes achats encaisse, sans se départir de son air joyeux et

1. James Lee Burke est un écrivain américain, auteur de romans poli-ciers. Son personnage Dave Robicheaux a été porté à l’écran par AlecBaldwin (Vengeance froide), puis Tommy Lee Jones (Dans la brumeélectrique).2. Adam Hall est l’un des nombreux pseudonymes du romancier britanni-que Elleston Trevor (1920-1995), essentiellement connu pour ses thrillerssur la guerre froide. Son roman d’aventures Le Vol du phénix a inspiré unfilm éponyme en 1965, puis un remake par John Moore en 2004.

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vas. J’ai appelé le bureau de Martin et, si j’ai biencompris, il n’est pas avec toi. Alors que fais-tu à LaNouvelle-Orléans ? »

J’espérais de tout cœur que les boucles d’oreillesanciennes l’adouciraient.

Et les derniers messages, par ordre d’apparition :Sally Allison, Sally Allison, et Sally Allison.

J’empruntai l’escalier, parcourant du regard mamaison magnifique, heureuse de me retrouver chezmoi. Plus tard, mon mari rentrerait, nous pourrionsdiscuter, et tout irait pour le mieux.

En pénétrant dans notre chambre, toutefois, unevision s’empara de moi : une jeune femme brune sesaisissait d’une vieille dame et l’entraînait de force,pour passer sa tête par la fenêtre, afin qu’un marteaului défonce le crâne.

Je repoussai fermement les images.J’étais ici chez moi.

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CompositionFACOMPO

Achevé d’imprimer en Espagne (Barcelone)par BLACK PRINT CPI

le 23 mars 2014

Dépôt légal mars 2014EAN 9782290088043

L21EDNN000546N001

ÉDITIONS J’AI LU87, quai Panhard-et-Levassor, 75013 Paris

Diffusion France et étranger : Flammarion