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au jour le jour atelier d’écritures 2015

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au jour le jour

atelier d’écritures

2015

atelier d’écritures

animé par

Karin Espinosa, auteure

avec Céline Pigeyre,

professeur de Lettres Modernes

en classe de D.A.E.U. 2014-2015

à la Maison d’arrêt

de Villeneuve-lès-Maguelone

Préface

Écrire : un acte qui paraît si naturel mais qui suscite toujours les

mêmes réticences lorsque le projet d’atelier d’écriture est proposé !

Écrire : pourquoi ? On pense que les erreurs d’orthographe ou de

langue constituent une barrière insurmontable. On croit ne pas ou ne plus

savoir ; on s’estime indigne : que paraît-on écrire de valable pour être

raconté ? Écrire : décidément, quelle aventure ! L’acte relève du défi à

surmonter, de l’épreuve à franchir, de la confiance en soi à reconquérir.

Lorsque la porte de la salle de classe s’est refermée pour la

première séance de l’atelier, chacun a exprimé indirectement ses peurs

au travers de questions très matérielles posées à Karin, celle qui écrit si

naturellement et dont l’univers peut leur sembler si étranger. Ressent-elle

l’angoisse de la feuille blanche ? Quelle est sa position favorite pour

écrire, son moment privilégié dans la journée ?

La connaissance de l’écriture de l’autre a ainsi permis

d’apprivoiser la leur jusqu’à ce que chacun se lance en confiance et que

la magie opère à nouveau pour la 3e année consécutive.

Derrière les cloisons ternes de la prison, des hommes se mettent

alors à colorer la feuille blanche qu’ils grisent de mots, ceux-là même

qui les conduisent peu à peu à construire un univers parfois lointain pour

s’échapper, parfois proche et intime pour se confier.

Dans le silence de la salle de classe retentit le bruit des stylos qui

s’activent. Les histoires s’écrivent et se disent.

Le défi de l’écriture a été relevé, l’épreuve a été franchie, la

confiance a été reconquise. Alors bravo aux aventuriers qui ont participé

à cet atelier !

Céline Pigeyre

Instantanés, petites histoires d’un jour

Clac ! La grille s’ouvre. Ils entrent dans le centre socio-scolaire.

Puis dans la salle aux murs bleu ciel tapissés de manuels, de

dictionnaires, de cartes du monde. Ils viennent s’asseoir autour de la

table, le lundi après-midi. Sur la page blanche, ils posent des mots, leurs

mots, pour dire leurs rêves, leurs souvenirs, leurs idées d’un ailleurs,

pour laisser les pensées flâner, s’effilocher ou s’imposer.

Pour se dégourdir les mains, des jeux de mots fusent d’abord sur le

papier ou à voix haute, des expressions et leurs définitions inventées, de

petites anecdotes d’un temps présent. Des histoires simples se tissent

ensuite entre les phrases, celles du quotidien. Les crayons et les stylos

glissent, s’emballent, se perdent dans les méandres de leur imaginaire,

esquissent des images en technicolor, composent des musiques secrètes.

Des chroniques nostalgiques ou drôles, légères ou graves, des tranches

de vie déferlent, ponctuées de nouvelles en trois lignes à la Félix Fénéon

ou de récits par le petit bout de la lorgnette.

Cet atelier est aussi un lieu d’échange, de partage d’histoires,

singulières ou plurielles, d’ici ou d’ailleurs, de temps reculés, parfois.

Les cultures se croisent, s’entrecroisent, se dévoilent, enrichissent

l’univers originel de chacun. Tous ont accepté avec curiosité et

enthousiasme de répondre aux invitations à écrire et de lire leurs textes

aux autres, autour de la table. Ensemble, ils ont construit ce recueil

d’instants précieux d’écritures.

Merci !

Karin Espinosa

En trois lignes

Hier soir, piste aux étoiles, place du calembour, spectacle désopilant de

clowns et d’éléphants. Ces derniers paniquent à cause d’une grosse

dame, hilare. Fin du spectacle : vingt spectateurs écrasés ! Alphi

Le 19 mai 2003, Madame Orique s’apprête à sortir courir pour garder la

forme. Elle passe par la chambre de son fils. Il a fugué. Cette fois, elle

sort courir, mais derrière son fils. Oussama

Les champignons, c’est comme l’amour.

Tant qu’on n’y a pas goûté,

on ne sait pas s’ils sont dangereux. Noureddine

Réchauffement climatique,

terres inondées,

homo sapiens devient une espèce amphibie. Alphi

Un homme dit à son psy qu’il a des tendances suicidaires.

Tout ce que celui-ci a trouvé à lui répondre :

"À partir de maintenant, vous paierez d’avance." Noureddine

Par le petit bout de la lorgnette… Un bateau de pêche rentre au port.

Une femme attend sous un parapluie.

Juchée sur le bord du quai, engoncée dans un manteau de fourrure,

elle observe les garde-côtes qui s’attellent à aider la pauvre femme prise

d’un malaise. Ses jambes chancelantes ne lui permettent plus de tenir

debout. Il semble qu’elle ait perdu connaissance sous les yeux de son

compagnon aux cheveux blanchis par le temps. Le regard du vieil

homme en dit long sur son inquiétude. L’un des gardes lui suggère de ne

pas trop s’approcher, faute de quoi, elle risque de rejoindre le cimetière

des bateaux au fond du port.

La houle fait tanguer le bateau et elle discerne l’agacement du

capitaine et la commisération du vieil homme à l’égard de sa compagne

trempée jusqu’aux os. Des ordres fusent, les marins se dirigent vers les

bites d’amarrage afin de maintenir l’embarcation à quai.

Le regard du vieil homme implore. Les rides de son visage marqué par

les années me font penser à des rigoles où la pluie chemine.

L’équipage réussit enfin à accoster. Elle s’éloigne avec l’image de ce

couple en perdition sous une pluie battante.

Noureddine

Un si beau jour de printemps, une robe légèrement caressée par le vent.

Céline se fait attendre sur la place de la Comédie. Elle s’assoit, me

sourit, commande un chocolat. Je m’en souviens très bien : il a coûté

3€50. Slimane

Comme chaque jour, je me promène autour du bateau. J’ai mes

petites habitudes de vieux. Je fais d’abord un tour complet. Puis, je

monte à bord et je respire l’air marin, cette odeur de vieux bois mouillé

par la sueur des pêcheurs, cette odeur de vieux poisson qui me rappelle

tant de souvenirs, ça me rend nostalgique de la vieille époque. Quel

gâchis, aujourd’hui, tous ces poissons morts pour la cause humaine.

Mais revenons à cet événement qui a chamboulé ma matinée. Une vieille

dame, que la vie n’a pas épargnée, avec sur elle une forte odeur d’urine,

fait soudain un malaise, peut-être le mal de mer, peut-être cette odeur qui

lui a fait tourner la tête, je ne sais pas.

Au fur et à mesure, le bateau se remplit de gens venus lui porter secours.

Tant de monde à bord d’un vieux bateau sur le point de partir à la

retraite… Je ne plaisante pas, j’y tiens à mon embarcation !

Je rejoins vite mon maître pour lui annoncer la mauvaise nouvelle.

J’aboie de toutes mes forces… Youssef

Hier soir, dans une crêperie parisienne (Ile-de-France),

Monsieur Sedike, trop impatient, s’est jeté sur son assiette.

Ce fut sa dernière crêpe, sa dernière heure aussi. Oussama

Dans une nouvelle salle de cinéma en 3D,

un film-catastrophe aérien. Seul survivant du crash :

celui qui n’a pas pu entrer au cinéma. Alphi

En prenant le ferry pour rejoindre la ville, je me rends compte que

sur le bateau, ce matin, nous ne sommes que mon frère, son épouse, les

matelots et moi. C’est parti pour une heure et demie de navigation et qui

dit naviguer, dit vertige et tout autre malaise pour ma vieille belle-sœur.

Au bout de vingt-cinq minutes, comme de vrais privilégiés de la nature,

on assiste à un spectacle de dauphins. On apprécie le moment. Mais le

spectacle ne dure que quinze minutes. Dommage pour nous ! Il a permis

de distraire ma vieille belle-sœur, tantôt sympa, tantôt egocentrique. Je

m’attends toujours au pire avec elle... Et quand je dis ça, je sais de quoi

je parle. Pas plus tard que la semaine passée, elle nous a fait une de ces

scènes au resto, malheur !, la honte de ma vie. Mais bon, pour le

moment, tout va bien, je touche du bois. Pour continuer de la distraire, je

vais lui parler. De tout et de rien. Après avoir fait le tour de la question,

je m’éloigne et m’en vais discuter avec les matelots. Je laisse mon frère

seul avec sa femme. À trois minutes de l’arrivée, c’est la catastrophe. Ma

belle-sœur fait un malaise. Tout le monde se précipite autour d’elle. Vrai

ou faux, le malaise, personne ne sait. Je regarde la scène, j’essaie de lire

dans la tête de ma belle-sœur… Personne ne pourra jamais y voir clair,

même pas elle. Oussama

Un hypocrite,

c’est quelqu’un qui écrit un livre pour défendre l’athéisme

et qui prie ensuite pour qu’il devienne un best-seller. Noureddine

Pour la première fois de ma vie, j’emmène mon fils à l’école, je suis

ému… Alors on se lève à l’heure, on déjeune à l’heure, on part à l’heure,

on arrive à l’heure… Mais on est dimanche ! Slimane

Feuilletons en un seul épisode…

Il ne sait plus très bien comment il est arrivé là, au pied d’une

maison blanche, grande et abandonnée au milieu d’une forêt vaste,

entourée de l’herbe jaune qui symbolise l’été ou bien la sécheresse qui a

chassé le propriétaire de la maison. Le silence envahit le lieu. Il n’entend

que les voix des oiseaux. A côté, il voit une route. A force de ne plus être

utilisée par les routiers, elle commence à perdre sa nature.

En approchant de la maison, il entend une voix qui vient de

l’intérieur. Il ouvre la porte, il tombe sur un chien. Le chien court devant

lui, le suit en montant dans l’escalier. À l’étage, il découvre le corps

d’une femme morte qui porte à sa main droite un bracelet sur lequel est

inscrite une marque, symbole de sa tribu d’origine. Dans un tiroir, il

trouve un livret de famille. Le nom de famille de la femme est le même

que celui que portait sa mère.

Assis sur les genoux, la tête entre les mains, les larmes aux yeux,

le cerveau voyage dans le passé, rappelant à lui les souvenirs et

l’événement terrible : le volcan qui a ravagé sa tribu et détruit toute sa

famille. Il se souvient de sa mère qui lui parlait sans cesse d’une de ses

sœurs disparue sans laisser de trace.

Les événements du passé envahissent son esprit et cette

découverte pourrait tuer son seul espoir d’avoir un membre de sa famille

vivant. Il continue à fouiller dans la maison. La confirmation vient d’un

album de photos trouvé dans une vieille armoire. Sa mère et tous les

membres de sa famille perdue apparaissent.

La femme trouvée dans la maison n’est autre que sa tante disparue.

Envahi par la colère et les larmes qui rendent sa vue difficile, il

marche accompagné de son chien dans la forêt un bon moment sans être

conscient de ce qu’il fait jusqu’à ce qu’il tombe perdant la conscience.

Le lendemain, il se réveille au milieu de la forêt, le chien à ses

côtés. Il réalise enfin ce qu’il s’est passé, fait demi-tour vers la maison,

enterre sa tante. Gardant sur lui l’album de photos, accompagné de son

chien, il continue sa marche. Mohamed

C’est une jeune femme qui a vécu une enfance difficile avec son

père dans sa jeunesse. Il la rejetait. Lors de son jeune âge, elle s’est mise

à fréquenter un homme qui n’a pas été accepté par son père et qui est

devenu son premier amour. Elle n’a pas compris pourquoi ça mettait mal

à l’aise son père. Quelques années après, elle a su par son compagnon

qui lui a déclaré avoir été ami avec son père avant leur rencontre.

- Pourquoi tu ne me l’as pas dit avant ? lui demande-telle

- Je craignais ta réaction car la 1e fois que je t’ai vue, j’ai eu le coup

de foudre et je ne voulais pas te perdre, lui dit-il

- C’est la raison pour laquelle mon père te refuse ?

- Oui et non. Je pense que ton père craint que je te dévoile son

infidélité envers ta mère. Il fréquentait de nombreuses femmes en

dehors de son couple. La mère était au courant mais impuissante.

La jeune fille en a voulu à son père à cause du mépris qu’il lui

balançait et du manque de respect envers sa mère. Elle est partie vivre au

Canada avec son compagnon qui est devenu son mari. Tout le reste de sa

vie, elle a renié son père.

A chaque fois que sa mère lui parle de son père au téléphone, elle ne

veut plus entendre parler de lui et dit à sa mère qu’elle continuera à le

renier tout le reste de sa vie.

Par la suite, son père est décédé et sa mère lui a caché la mort de son

père. Le jour proche de la fête des morts, sa mère insiste auprès de sa

fille pour qu’elle vienne passer des vacances car il y aura un

recueillement familial.

- Ma fille, je vais t’emmener dans un lieu mais il ne faudra pas avoir

peur, lui dit sa mère après son arrivée au pays. C’est un endroit sombre

bâti de caveaux, d’objets spirituels, de bouquets de fleurs et d’objets

lumineux.

- Mais où est papa ? demande la fille sur le chemin.

- Ma fille, je suis désolée. Tu n’as jamais voulu entendre parler de ton

père mais maintenant il repose en paix.

La jeune fille s’effondre. Elle ne sait plus très bien comment elle est

arrivée là. Thomas

Il ne sait pas comment il est arrivé là, dans ce bar de proximité au

coin de la rue. Ce bar au nom d’un célèbre stade brésilien de football

avec une enseigne rouge, façade jaunâtre et chaises vertes qui

s’accordent avec cette journée ensoleillée.

Le bar est vide, personne à l’intérieur comme à l’extérieur. On se

demande comment le commerce survit hors des jours de match. Le

panneau en haut à gauche affiche clairement qu’on peut trouver dans ce

bar de la bière. Et une pancarte à l’entrée plus discrète affiche les

quelques plats disponibles dans ce bar.

On voit que ce bar est ancien, il a été repeint récemment mais pas

les étages au-dessus. Ceci reflète bien la relation entre le bar, sa clientèle

et ses voisins qui tous les soirs de match le week-end se plaignent du

bruit de ses supporters un peu trop fanatiques. On trouve beaucoup

d’hommes dans ce bar, des copains d’enfance, des cousins. Rares sont

les inconnus qui viendraient s’aventurer dans ce bar de fanatiques.

Un vague souvenir lui revient. Il entre dans le bar, va jusqu’au

fond, soulève une trappe et descend dans la cave. Il voit une boîte à

chaussures, l’attrape après l’avoir ouverte. Il voit une clé avec des

papiers poussiéreux mais bien conservés, des photos, des lettres et au

fond de cette boîte, il trouve un contrat emballé très soigneusement dans

un drap. Il se met à le lire. En voyant son nom écrit, il s’étonne mais

continue sa lecture. Ce document est en fait une preuve conforme que le

seul et unique propriétaire de ce lieu était son grand-père qui le lui a

légué après sa mort.

Étonné par ce qu’il vient de lire, il préfère le relire encore une fois

puis deux et ainsi de suite jusqu’à sept fois. On pense qu’il doit être ravi

par cette nouvelle mais au contraire, ceci est pour lui une source

d’angoisse. Il se demande si ces documents sont véritables ou qu’une

copie. Et dans le cas où ils seraient véritables, que doit-il faire ? Fermer

le bar pour soulager les voisins ? Mais cela voudrait dire qu’on arrêterait

la vie de ce bar avec ses habitués, les fanatiques et les jeunes. Ou doit-il

le laisser ouvert avec le bruit, les gueulades et les voisins qui se

plaignent ? Oussama

Après avoir emprunté le chemin rocailleux, son regard se posa sur

une vieille bâtisse aux ouvertures multiples. Elle dominait la colline fière

et triste. Le vent qui s’y engouffrait diffusait une douce mélodie

entrecoupée de battements d’ailes. L’intérieur délabré se composait d’un

trou avec un vieil escalier édenté donnant sur une terrasse fissurée par le

temps.

Une odeur de paille et d’humidité éveilla en lui le doux parfum de

ses jeunes années. La pièce respirait la lavande figée dans la pierre et

cernant la bâtisse comme le lierre qui habille de sa verdure certaines

constructions. Il fut saisi par le cri d’un hibou juché au creux de ce qui

fut une meurtrière. Prudemment, il gravit les marches et la lumière se fit

intense. Les rayons du soleil diffusaient des ombres inquiétantes vite

balayées par le spectacle féérique du soleil qui tapissait la mer.

Les yeux pleins de ces images, il se dirigea vers la vieille étagère

suspendue comme le temps. Sous une chape de poussière, une boite en

carton défraîchie était posée là. Il se figea un instant estomaqué. Il est

des moments de grâce où ne rien dire permettait d’accéder pleinement à

la quintessence des sens !

Délicatement, il ôta le couvercle de la boîte. Une musaraigne en

profita pour quitter le nid douillet qu’offraient les quelques parchemins.

Il se mit à parcourir chacun d’eux, lui livrant les pieux sentiments d’une

belle en des temps reculés. Grisé par tant d’émotion, il s’assit sur la

margelle du puits. Il savourait le folklore des nuances que le couchant

opposait à la campagne sérieusement éprouvée par la canicule. Une bise

remontait de la côte, légère et douce comme une caresse.

De son mirador de substitution, il pouvait tout voir, tout capter

jusqu’au crissement de la pierre implorant le soir de la soulager de ses

brûlures. En plissant les paupières, il distinguait le clocher d’une église

au cœur d’une agglomération que la pénombre s’apprêtait à escamoter.

On devinait la mer juste derrière les montagnes faisant un pied de nez à

la fournaise en train de s’essouffler. Il avait l’impression d’évacuer le

tintamarre de la ville et sa pollution, de recouvrer ses sens débarrassés de

leurs scories et tout à fait apaisés. Noureddine

Oui, c’est là, ce bar, le Maracana. Autrefois, on l’appelait la

Mousson, en référence à la première vague migratoire venue reconstruire

la France après la guerre, la première, celle de 14-18.

C’était un bar convivial. Il y avait diverses nationalités : des

Polonais, des Italiens, des Maghrébins… Quelle belle époque ! On

mangeait toute sorte de plats, de la paëlla aux spaghettis, ou au couscous.

Au fond du bar, il y avait un billard, le fameux baby-foot. On adorait y

jouer. Même si les grands nous chassaient à coups de pied et de pierres.

Tout à coup, des flashes me reviennent, comme si je retrouvais

une partie de mon enfance disparue, oubliée. Juste en face du bar, il y

avait un cimetière, je me rappelle… après la cérémonie, les hommes s’y

retrouvaient pour boire un verre et discuter entre eux. Je me souviens très

bien de ce moment précis : un jour, en rentrant de l’école, j’avais

remarqué une poussière blanche, peut-être une petite tornade qui

emmenait tout sur son passage. J’avais tellement peur que j’étais rentré

me cacher dans le cimetière. Juste à ce moment-là, un coffre s’était

retrouvé projeté à 50 mètres de mes pieds. Traumatisé, je n’avais pas

bougé. J’avais attendu quelques minutes qui m’avaient semblé une

éternité, puis je m’étais approché du coffre. Il était en bois, il rappelait

certains coffres de films d’horreur. Sur le côté gauche, une signature en

langue étrangère, ou peut-être en chiffres romains. Un mélange de peur

et d’excitation, de curiosité enfantine, m’avait envahi : que faire ? Une

petite voix m’avait soufflé d’ouvrir le coffre et une autre de faire comme

si de rien n’était. Bref, quand il fallait y aller, fallait y aller ! J’avais pris

mon courage à deux mains, tout tremblant, j’avais ouvert le coffre. Des

odeurs s’en étaient dégagées, de plus en plus fortes, insupportables.

J’avais refermé le coffre, respiré à fond, puis je l’avais ouvert à nouveau,

comme un plongeur en apnée. Tout au fond, une boîte sombre. Je l’avais

ouverte et j’y avais vu des œufs en chocolat… Quelle drôle d’aventure,

en plein été, dans un cimetière. J’avais refermé le coffre. Chut ! cela

resterait mon secret, à moi tout seul.

J’étais retourné au bar, où j’avais retrouvé mes amis en train de

jouer au baby-foot. Je leur avais raconté ce qui venait de m’arriver.

Prises de panique, mes copines voulurent y retourner avec moi pour

vérifier si cette histoire était vraie.

Arrivés sur les lieux, l’endroit que j’avais décrit avait disparu, il y avait

des traces de chocolat partout par terre.

J’ai aperçu une silhouette en train de disparaître, emportant le mystère

avec elle. Youssef

Flash-back…

Dans le bar, un vieux carrelage rouge qui rappelle les temps anciens.

Un panneau sens interdit qui n’a jamais été respecté.

Les vieux jouent aux cartes dans un brouhaha de mauvais perdants.

Une pancarte avec un menu presque illisible, qui sous-entend qu’on

préfère l’apéro au déjeuner.

Des chaises et des tables qui ont perdu leurs membres, la faute aux

supporters trop expressifs.

L’été, le soleil frappe sur la façade. Il fait sortir les hommes, lunettes

noires sur le nez, chemise au vent et bière à la main.

Le journal L’Equipe éparpillé sur deux ou trois tables, auquel en fin de

journée, il manque des pages, qu’on retrouverait certainement dans la

poche des clients. Oussama

Une odeur de marrons grillés au marché de Noël.

Le grand sapin éclairé près de l’Opéra.

La magie que les enfants ont dans les yeux à ce moment-là.

Toujours le même cadeau que ma grand-mère nous offrait.

Les chants qu’on entend dans les grandes surfaces.

Les lumières à l’entrée des villages. Youssef

Je ne sais pas quoi vous dire d’autre si ce n’est que c’est un lieu

simple, sombre comme à l’intérieur d’un brouillard. On dirait que l’on

vit dans un brouillard humide et à la fois nonchalant car ça n’est ni gris

ni bleu marine, non, plutôt d’un blanc ou d’un noir défraîchis voire

délavés. On peut dire que l’un ne veut pas prendre le dessus sur l’autre

ou tous les deux semblent vouloir engendrer une fusion pour être en

harmonie … vide de bruit, hormis les pies qui s’esclaffent.

On aurait dit … Kitoko jojo

J’ouvre la porte en fer forgé. Sur ma gauche on trouve pêle-mêle des

parapluies. Devant moi il y a un placard en bois pour les chaussures. À la

fin du couloir, une porte en fer très lourde derrière laquelle se trouve une

femme handicapée toute seule à la maison. Elle a l’habitude d’entendre

qui sort et qui entre.

Le jour où il fait beau, je décide de faire sortir la vieille voisine qui a

82 ans. Devant sa porte, il y a un tapis multicolore. Au milieu est écrit

"welcome". Je tape sur son ancienne sonnette. Au bout d’un moment,

j’entends une voix bizarre. C’est elle !

- Vous voulez quoi ?

- C’est moi madame, je suis le fils des voisins. Je vous propose de

sortir faire un tour car il fait beau aujourd’hui.

Dès qu’elle ouvre la porte, la dame accepte ma demande. Noufel

Une armoire toujours fermée à clé.

Une odeur de renfermé.

Une photo en haut de la cheminée.

Le soleil qui tape sur un levier.

Le bruit des arbres.

Le cigare allumé sur le fauteuil.

Le tableau vide. Rachid (Département des Mineurs)

Une rue sans issue.

Un portail grinçant d’un vert criard.

Sur la gauche, un vieil arbre à l’automne de sa vie.

Une cour immense qui renvoie l’écho de nos jeux.

Un jardin en friche vomissant çà et là des racines.

Plantée au centre, une maison dont la plaque indique 1955.

On y accède par la véranda pour faciliter le travail de la mère.

Une table fait place au poêle à charbon où mijote un pot au feu.

Deux ou trois bûches, quatre ou cinq galettes aussi noires que le chat à la

recherche de la chaleur s’amoncellent là.

Un rideau tressé sépare la cuisine du salon.

Une grande table trône au milieu de la pièce.

Sur la droite, une cheminée noire de suif où se consument des bûches.

Le crépitement du bois et la danse diabolique des flammes sanguines.

Un plafond lézardé, un insecte cherchant à échapper à la toile tissée. Nourredine

Merci à

Bernard Giraud, directeur de la Maison d’arrêt,

Villeneuve-lès-Maguelone

Marie-Christine Chaze, présidente,

et l’équipe de Languedoc Roussillon Livre et Lecture

Charles Forfert, directeur du SPIP de l’Hérault

Amaury Champetier, responsable local de l’Enseignement,

Maison d’arrêt, Villeneuve- lès-Maguelone

Damien Calmel, président de l’association Pédagogie et Prison,

responsable du journal Hector

Jean-Pierre Besombes-Vailhé, Florence Caudrelier et Valérie Travier,

Direction Régionale des Affaires Culturelles Languedoc-Roussillon

Marie Gola, Délégation académique à l'éducation artistique et culturelle,

Académie de Montpellier

Rodrigo Garcia, directeur de hTh-CDN Montpellier

Claire Engel et Vanessa Liautey, comédiennes

et

les élèves du D.A.E.U., à la Maison d’Arrêt, Villeneuve- lès-Maguelone.

www.lr2l.fr

[email protected]

Entre tous ces mots,

il y a ceux qu’ils écrivent

et ceux qu’ils taisent.