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Janvier 2015 Traduction 4 tables rondes, 20 intervenants, 240 participants Sous le patronage du Ministre des Affaires étrangères et du Développement international, de la Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de la Ministre de la Culture et de la Communication Conférence co-organisée par : Avec le soutien de : Assises de la TRADUCTION et de l’INTERPRÉTATION « La diversité culturelle et linguistique: un défi pour la démocratie » Paris, le 28 novembre 2014 Synthèse des débats

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Janvier 2015

Traduction

4 tables rondes, 20 intervenants, 240 participants

Sous le patronage du Ministre des Affaires étrangères et du Développement international, de la Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

et de la Ministre de la Culture et de la Communication

Conférence co-organisée par : Avec le soutien de :

Assises de la TRADUCTION

et de l’INTERPRÉTATION

« La diversité culturelle et linguistique: un défi pour la démocratie »

Paris, le 28 novembre 2014

Synthèse des débats

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Sommaire

PROGRAMME ..................................................................................................................... 5

ALLOCUTIONS D’OUVERTURE ............................................................................................. 7

Gurli HAUSCHILDT, Commission européenne ........................................................................... 7 Clare DONOVAN, OCDE ....................................................................................................................... 9

VOLET 1 – TRADUCTION ET INTERPRÉTATION AU SERVICE DES CITOYENS ........................... 11

Table ronde animée par Nathalie GORMEZANO, ISIT

Brian FOX, Commission européenne ...................................................................................... 11 John PARSONS, Conseil de l’Europe ........................................................................................ 13 James BRANNAN, Cour européenne des droits de l’homme .................................................. 14 Émilie MOREAU, Direction centrale de la police judiciaire ..................................................... 16

VOLET 2 – LE RÔLE DE LA TRADUCTION DANS LA PROMOTION DE LA DIVERSITÉ LINGUISTIQUE ET LA CIRCULATION DES IDÉES .................................................................... 19

Table ronde animée par Odile CANALE, DGLFLF

Isabelle ESPALIEU, Ministère des Affaires étrangères et du Développement international . 19 Didier DUTOUR, Institut français ............................................................................................ 21 Gisèle SAPIRO, École des hautes études en sciences sociales ................................................ 21

Questions ............................................................................................................................................. 23

VOLET 3 – TRADUCTEURS ET INTERPRÈTES AU CŒUR DE LA VIE ÉCONOMIQUE ................... 25

Table ronde animée par Chris DURBAN, SFT

Gayathri SIVAPURAPU, Tata Consultancy Services ................................................................. 25 Bettina LUDEWIG-QUAINE, AIIC France .................................................................................. 26 Myriam MAESTRONI, Économie d’énergie ............................................................................. 27 Tony BULGER, Traducteur technique ...................................................................................... 27

Questions ................................................................................................................................ 28

VOLET 4 – NOUVELLES TECHNOLOGIES, NOUVELLES COMPÉTENCES ET ENJEUX POUR LA FORMATION...................................................................................................................... 31

Table ronde animée par Nicolas FROELIGER, AFFUMT

Alain COUILLAULT, Université de La Rochelle ......................................................................... 31 Josep BONET, Commission européenne ................................................................................. 32 Sandrine PERALDI, ISIT ............................................................................................................ 32 Olga COSMIDOU, Parlement européen .................................................................................. 33 Tatiana BODROVA, ESIT Sorbonne nouvelle ........................................................................... 33

Questions ................................................................................................................................ 35

CONCLUSIONS ................................................................................................................... 37

Mikaël MEUNIER, Commission européenne ........................................................................... 37

5

Programme Lieu :Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Amphi Abbé Grégoire, Paris 3e, France

Matin

9h00 Allocutions d’ouverture

Gurli Hauschildt, Directrice de la traduction, Direction générale de la traduction, Commission

européenne

Clare Donovan, Chef de la division Interprétation, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

9h30 Volet 1 – Traduction et interprétation au service des citoyens

Table ronde présidée par Nathalie Gormezano, Directrice générale de l’Institut de management et

de communication interculturels (ISIT)

James Brannan, Traducteur, Cour européenne des droits de l’homme

Brian Fox, Directeur de l’organisation de l’interprétation, DG Interprétation, Commission

européenne

Émilie Moreau, Capitaine de police, Direction centrale de la police judiciaire

John Parsons, Chef du Service de la traduction, Conseil de l’Europe

11h30 Volet 2 – Le rôle de la traduction dans la promotion de la diversité linguistique et la

circulation des idées

Table ronde présidée par Odile Canale, Chef de la mission Emploi et diffusion de la langue

française, Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF)

Didier Dutour, Responsable du pôle « Livre et traduction », Institut français

Isabelle Espalieu, Chef du département de la traduction, Ministère des Affaires étrangères et du

Développement international

Gisèle Sapiro, Directrice d’études, École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Après-midi

14h00 Volet 3 – Traducteurs et interprètes au cœur de la vie économique

Table ronde présidée par Chris Durban, Traductrice, Société française des traducteurs (SFT)

Tony Bulger, Traducteur technique, ancien Directeur d’agence de traduction

Bettina Ludewig-Quaine, Membre du Conseil de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC) et Coprésidente de l’AIIC France

Myriam Maestroni, Présidente, Économie d’énergie

Gayathri Sivapurapu, Responsable du département Traduction, Tata Consultancy Services

16h00 Volet 4 – Nouvelles technologies, nouvelles compétences et enjeux pour la formation

Table ronde présidée par Nicolas Froeliger, Président de l’Association française des formations

universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT)

Tatiana Bodrova, Directeur de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT)

Josep Bonet, Chef de l’unité Développement professionnel et organisationnel, DG Traduction, Commission européenne

Olga Cosmidou, Directeur général de l’interprétation et des conférences, Parlement européen

Alain Couillault, Professeur associé, Université de La Rochelle

Sandrine Peraldi, Directrice de la recherche, Institut de management et de communication interculturels (ISIT)

17h30 Conclusions

Mikaël Meunier, Antenne de Paris, Direction générale de la traduction, Commission européenne

7

Allocutions d’ouverture

Mikaël MEUNIER Responsable linguistique Représentation en France de la Commission européenne, Antenne de Paris de la Direction générale de la traduction

Avant de présenter nos deux intervenantes, j’aimerais adresser de vifs remerciements aux trois

ministres qui ont accepté de placer ces Assises de la traduction et de l’interprétation sous leur

précieux patronage : Monsieur Fabius, Ministre des Affaires étrangères et du Développement

international, Madame Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation nationale, de

l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Madame Pellerin, Ministre de la Culture et de

la Communication.

Notre première intervenante principale, Gurli Hauschildt est directrice à la Direction générale

de la traduction de la Commission européenne depuis 2008, aujourd’hui responsable des

départements de traduction des trois langues procédurales, à savoir l’allemand, l’anglais et le

français, ainsi que de l’unité de coordination terminologique. Avant de rejoindre la

Commission européenne, elle a été successivement traductrice et réviseuse danoise au sein du

Comité économique et social européen, puis Chef du service conjoint de planification du

Comité économique et social européen et du Comité des régions, enfin Chef de l’unité de

coordination du Service conjoint de traduction du Comité économique et social européen et

du Comité des régions. Gurli Hauschildt est titulaire d’un master en traduction et en

interprétation de la Aarhus School of Business, au Danemark.

Gurli HAUSCHILDT Directrice de la traduction Commission européenne, Direction générale de la traduction

La Direction générale de la traduction de la Commission européenne (DGT) constitue, à

double titre, un acteur majeur de la traduction. D’une part, la DGT emploie actuellement près

de 1 600 traducteurs, toutes langues confondues. Des concours de recrutement, gérés par

l'Office européen de sélection du personnel (EPSO) sont organisés chaque été. D’autre part, la

DGT traduit approximativement 2,2 millions de pages par an dans les 24 langues officielles

de l’Union européenne, mais aussi dans les langues des principaux partenaires commerciaux

de l’UE (essentiellement le chinois, l’arabe et le russe). Le multilinguisme officiel de l’UE est

unique au monde, car la législation européenne est produite simultanément dans vingt-quatre

langues, ce qui suppose que les traductions de la DGT deviennent à terme des actes législatifs

originaux.

Avec plus de 60 ans d’expérience, au niveau supranational, la DGT a acquis une grande

expertise de la traduction ainsi qu’une connaissance particulière de ses besoins, de ses

contraintes et de ses enjeux puisque nos services travaillent pour une quarantaine de directions

générales et de services aux besoins variés. La traduction représente l’épine dorsale de la

DGT qui aspire, selon sa propre lettre de mission, à devenir une référence dans le monde de la

traduction, tout en contribuant, dans le même temps, au développement de chaque langue

officielle et du métier de traducteur.

À l’occasion de la Journée européenne des langues, Mme

Androulla Vassiliou, ancienne

Commissaire européenne à l’éducation, à la culture, au multilinguisme et à la jeunesse, a

affirmé que la « diversité linguistique » faisait partie de l’ADN de l’Union européenne. Pour

prolonger cette métaphore, on pourrait qualifier les traducteurs et les interprètes de « cellules

sanguines » du projet européen, car ils transportent l’oxygène qui lui est nécessaire – les

valeurs, les principes, les actions, les programmes, le droit de l’Union européenne – vers

chacune des langues et des cultures des citoyens européens.

Les traducteurs sont une ressource très précieuse de la Commission européenne. C’est

pourquoi nous accordons à leur travail toute l’importance nécessaire : la DGT leur offre un

environnement de travail moderne et efficace et des possibilités variées de formation tout au

long de leur carrière. De plus, il nous apparaît prioritaire de démonter la valeur ajoutée du

travail des linguistes, qui sont d’abord considérés comme de véritables spécialistes des

langues, des experts de l’interculturel, qui influent également sur la qualité de la législation et

sur les conséquences des choix effectués par les rédacteurs.

Cependant, la crise économique affecte également nos institutions. La DGT a l’obligation de

réduire ses effectifs de 10 % entre 2013 et 2017, ce qui constitue aussi une occasion de

repenser notre organisation et nos méthodes de travail.

Il est ainsi essentiel que nous tous, traducteurs, formateurs, nous rapprochions des

acheteurs/utilisateurs de traductions, afin de mieux comprendre le marché et réduire l’écart

entre les besoins de services exprimés et les compétences proposées par les professionnels et

enseignées par les formateurs.

Les actions de la DGT, et notamment l’une de ses initiatives phares, la mise en place du

« Master européen en traduction » (EMT), à la fois réseau et label d’excellence, répondent à

cet impératif. Depuis son renouvellement complet en juin 2014, ce réseau compte

64 programmes et connaît un franc succès. Les formations mettent l’accent sur les

compétences et l’employabilité des étudiants en traduction. Il est d’ailleurs significatif de

retrouver parmi les organisateurs de cette conférence les responsables de prestigieuses

formations comme l’ESIT et l’ISIT, ainsi que les autres masters français rassemblés au sein

de l'Association française des formations universitaires aux métiers de la traduction

(AFFUMT). Cela démontre combien la France, avec 11 masters labellisés EMT, et le monde

francophone plus largement, avec trois autres labels d’universités francophones en Belgique

et en Suisse, demeure une terre d’excellence pour la formation des traducteurs.

La traduction est également au cœur de certains programmes de financement de la

Commission européenne, notamment dans les actions culturelles et interculturelles de la

politique de développement.

L’évolution rapide du métier remet en question les habitudes, les certitudes quant aux outils,

aux méthodes et aux attentes du marché. Toutefois, les perspectives s’avèrent éminemment

positives ; les études montrent en effet une croissance rapide du marché.

Les langues constituent une composante essentielle de nos identités, à la fois en tant que

personnes et en tant que groupes, nations et sociétés. Les termes utilisés pour décrire nos

compétences linguistiques sont d’ailleurs lourds de sens et d'émotion : langue « maternelle »

ou langues « étrangères », par exemple.

C’est pourquoi notre action au niveau européen doit être double :

Premièrement, nous devons continuer de promouvoir l’apprentissage des langues dans toute

l’Europe, tout en gardant à l’esprit que les politiques éducatives et linguistiques ne relèvent

pas du niveau européen et que la Commission européenne ne peut que formuler des

recommandations aux pays dans ces domaines afin de faciliter la communication, la

9

compréhension entre les citoyens, les nations et les cultures européennes, ainsi que

l’émergence d’une identité commune (européenne) multiple et diverse.

Deuxièmement, nous devons reconnaître le rôle central de la traduction en tant que bien

commun – notre langue commune – et catalyseur d’un « espace public européen » et d’une

« société européenne », catalyseur de la diversité linguistique, de la diffusion des idées, des

savoirs.

Au-delà de la vie de l’Union européenne, il importe de reconnaître la place centrale que la

traduction, en tant que produit, a prise dans nos vies quotidiennes et dans nos sociétés. Ainsi,

les traductions sont partout : dans nos maisons, dans nos voitures, nos ordinateurs, sur

Internet. Nous tenons leur existence et leur disponibilité pour acquises. La traduction est

indispensable à la sécurité des consommateurs. De plus, elle acquerra un rôle de plus en plus

important dans les domaines de la justice, de la consommation, des soins de santé ou encore

des services publics.

Il est ainsi urgent de réfléchir à l’avenir des métiers de la traduction, en rassemblant aussi

largement que possible les parties prenantes du secteur, afin d’anticiper ces évolutions futures.

C’est tout le sens de la nouvelle initiative de la DGT : le forum « Traduire l’Europe », qui a eu

lieu pour la première fois en septembre, à Bruxelles et qui vise, précisément, à anticiper ces

nouveaux défis avec les étudiants et traducteurs de demain.

Mikaël MEUNIER

Notre deuxième intervenante principale est Clare Donovan, interprète de conférence et

membre de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC) depuis plus de

trente ans. Après sa thèse de doctorat en études de traductologie, elle a longtemps dirigé la

section interprétation de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT) avant d’en

être le directeur. Depuis trois ans, elle est chef de la division interprétation de l’Organisation

de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle continue ses activités de

formation, notamment dans le cadre du réseau des traducteurs et interprètes francophones mis

en place par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).

Clare DONOVAN Chef de la division « Interprétation » Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Many people would ask what it is that we are doing here if they were to be told that there was

a conference on interpreting and translation. In the UK, people often think that everyone can

now speak English and while it is true that English often dominates, not everyone can or

chooses to speak English in formal settings. At the OECD, which is perceived as a very

English-dominant organisation, demand for interpreting is actually increasing and

diversifying. Demand is also increasing in many other areas, including outside traditional

conference interpreting, such as court and community interpreting, and there is an increasing

recognition that people are entitled to be able to understand what is going on and express

themselves appropriately. The same force that is creating ‘Globish’, which happens to be

English at the moment, is leading to more and more exchange, trade, migratory flows and

travel. A lot of people from China now travel for both business and holiday purposes and

there is now a huge amount of movement as a result of globalisation.

The other big issue regarding interpretation and translation is technological change and people

tend to think that machines can now deal with everything. In the 1960s, it was predicted that

we would all have our own private helicopter but no-one foresaw the advent of mobile phones

or the Internet. Similarly, the prediction that there would be machines for translation has not

materialised. However, there is more remote participation in meetings and interpreting and

this brings new challenges.

The working conditions for interpretation are changing, in many ways for the better. Booths

are more comfortable and better equipped and smoking is no longer allowed, and many of

these positive changes probably also apply to translation. However, there are also new

challenges. Meetings now tend to have larger attendances and technology such as PowerPoint

can be a major source of irritation.

There has also been an accelerated turnover in the invention of concepts that are transmitted

by social media and a coining of new terms, which interpreters and translators have to keep up

with. Additionally, residual participants whose languages are not interpreted have to work in

English or another major language and this can also create problems where the target

language’s complex and authentic structures are not used, so depriving interpreters of many

anticipatory cues to predict meaning.

All these challenges match the list of problem triggers that lead to an overload of our mental

resources. We work in a world where people try to get by in English and interpreting is

therefore seen as a luxury and there are issues that make it hard to maintain quality.

Robin Setton said that even the best training programmes find it hard to prepare trainees for

the shock of real market conditions, and training institutions cannot extend courses or add

more classes simply to keep pace with change as they have their own institutional and

financial constraints.

However, I think that there are a number of ways in which courses can be deepened and

enriched. Technology can provide some solutions here as students now have access to many

more resources and can often work together remotely. Recruiters can also help through the

provision of their expertise and resources and can give added depth to the training of

interpreters. The European Parliament and the European Commission have also been pioneers

in the provision of more depth and enrichment to training and other organisations are trying to

follow their example.

Despite these challenges, I believe that the quality and potential of today’s graduates is very

impressive. I recruited five people who graduated in June this year and when I monitor their

work I find that they are working at least as well as more experienced interpreters, where they

compensate for their lack of experience through intensive and targeted preparation. I am

therefore optimistic about the quality of interpretation.

11

Volet 1 – Traduction et interprétation au service des citoyens

Table ronde animée par Nathalie GORMEZANO, Directrice générale de l’Institut de management et de communication interculturels (ISIT)

Participants :

James BRANNAN, Traducteur, Cour européenne des droits de l’homme

Brian FOX, Directeur de l’organisation de l’interprétation, DG Interprétation, Commission européenne

Émilie MOREAU, Capitaine de police, Direction centrale de la police judiciaire

John PARSONS, Chef du service de la traduction, Conseil de l’Europe

Brian FOX

We often fail to realise that multilingualism means different things to different people. For the

EU citizen, multilingualism means speaking more than one language. However, on the

interpretation and translation side, we see it as enabling people to speak their own language! It

is of course through multilingualism that international bodies are enabled to give their best by

allowing the most knowledgeable experts to speak rather than those who are best at

languages. I shall return to this aspect later. The European Commission is very pro-active in

"citizens’ multilingualism" and encourages Europeans to attain proficiency in two languages

other than their mother tongue. Although citizens are virtually unanimous in considering that

languages are important, this initiative has not (yet) been as successful as we would wish.

The European Commission sponsors Eurobarometer surveys to look at the number of

languages in which people felt able to sustain a conversation. In 2012, the number of EU

citizens who spoke only their mother tongue was 44% (France 49%). Those who spoke at

least one other language numbered 54% (France 51%); those with at least two other languages

25% (France 19%), those with at least three other languages 10% (France 5%).

Recent research by Gazzola looked at the proportion of EU population that would be excluded

if languages were restricted. Let me consider two of the hypotheses: the 'monolingual'

(English only) and the "oligarchic" (English, French and German). Although these

hypothetical solutions are frequently advanced by critics of the EU language régime, the

research shows they are clearly not viable: half of EU citizens neither speak nor understand

English and even the 'oligarchic' model would still exclude 28% of the EU population.

However, another vitally important point is that this research provides a solid basis for

refuting the thesis that English is enough. In the UK, different research commissioned by the

Department of Business, Innovation and Skills found that deficient language skills and the

(false) assumption that everyone speaks English cost the country about £48 billion a year,

3.5% of GDP. Additionally, when a language becomes a world language it belongs to

everyone and so belongs to no one. The consequence is that there are now many Englishes.

The same research has also shown that reducing the language regime for the European Union

would not lower costs, but merely displace them. Given that so few people understand more

than one language, the member states themselves would have to take over responsibility for

supplying the different language versions and the costs would probably end up being higher.

Nonetheless, the pace and degree of globalisation mean that the translation and interpretation

professions are facing growing challenges and opportunities. In particular, migration is greatly

widening the range of languages to be interpreted. One of the pillars of the EU Charter of

Fundamental Rights is the principle of non discrimination; language is one of the criteria

listed. However, the problem is that many of the immigrants or asylum seekers need

interpretation and translation from and into languages which are very little known or even

mainly oral.

Given the difficulties with the multiplicity of languages today, it is difficult to see how

conference interpreting courses could also encompass these languages. Professional situations

and ethics also differ considerably. training for public service interpreters cannot simply be

"cloned" from conference interpreting. Special training must be devised.

However, this is an opportunity for cooperation between trainers and public authorities and

the European Commission would be interested in offering support where it can. The EU has a

new Commission whose President, Mr Juncker has set out a list of strategic objectives within

which public service interpretation might find a place. I'll come back to this later.

The Commission has already made significant contributions in the area of public service

interpretation but now the political impetus for training, evaluation and accreditation must

come from national authorities, as it is they who are competent in the field of education.

Programmes for the accreditation and evaluation of interpreters might then be eligible for

financing through the European Social Fund, if proposed by the Member States.

It will be sorely needed since we have seen that English alone is not viable and there is much

anecdotal evidence of the mistranslation of English in everyday life. There will continue to be

a need for professionals involved in translation and interpretation. English is not enough!

Pour mieux illustrer la cohérence de mon propos, je m’exprimerai à présent en français.

Nous avons vu que, selon Michele Gazzola, si l'UE adoptait une politique « English only »,

nous serions conduits à exclure 50 % des citoyens, en majorité les plus âgés et les moins

riches. En effet, l'Union européenne n'est pas les Nations Unies. Si l'ONU est essentiellement

pour diplomates, les décisions de l'UE ont un effet direct sur la vie quotidienne de tous ses

citoyens – un demi-milliard de personnes. Voici la réponse à la question « Pourquoi avez-

vous tellement de langues ? ». C'est une nécessité aussi bien juridique que démocratique.

Étant donné ces taux élevés d’exclusion linguistique, c'est aux interprètes et traducteurs

d'effectuer la médiation requise au service des citoyens. Dans l’Europe d’aujourd'hui, la

mobilité transfrontalière et l'immigration sont devenues des phénomènes très répandus. La

plupart des nouveaux arrivants dans un pays – citoyens se déplaçant dans le marché intérieur,

immigrants de pays tiers et demandeurs d'asile, mais aussi des visiteurs et touristes – ne

possède pas une connaissance suffisante de la langue locale et ont souvent besoin d’une aide

linguistique pour pouvoir interagir avec les autorités locales.

C’est à ce moment-là que la traduction et l’interprétation pour les services publics trouvent

leur rôle et leur raison d’être, car elles contribuent à l'inclusion, à la cohésion sociale et à

l’offre de services publics plus efficaces, par exemple en matière de soins de santé. En fait,

des services linguistiques de ce type pourraient même permettre de réaliser des économies

comparé au coût social dû au manque d’intégration sociale et économique.

13

Je souligne qu'il appartient aux États membres, et plus particulièrement à leurs instituts de

formation, d’offrir des cours au niveau approprié. Pour sa part, la DG Interprétation a toujours

été prête à partager ses connaissances et ses compétences avec les universités et les États

membres. J'en veux pour preuve une initiative prise par la DG Interprétation en 2008, sur

invitation du Commissaire européen au multilinguisme de l’époque, Leonard Orban. Un

groupe d'experts indépendants s’était réuni et avait publié un rapport mettant l’accent sur

l'interprétation dans le domaine juridique. Ce rapport ainsi que la création d’EULITA en 2009

(l’Association d’interprètes et de traducteurs juridiques européens) ont contribué à améliorer

la qualité et le statut de ces professions.

En 2011 le Special Interest Group on Translation and Interpreting for Public Services

(SIGTIPS), à l’initiative du Conseil européen pour les langues a établi un rapport important.

La DG Interprétation et la DG Traduction de la Commission européenne avaient participé à

ces travaux en tant qu’observateurs.

En collaboration avec l'European Network for Public Service Interpreting (ENPSIT) créé en

octobre 2013, nous alimentons également une base de données concernant l’offre de

traduction et d’interprétation de service public dans les États membres. Au mois d'avril 2014,

ENPSIT est passé du statut de réseau informel à celui de véritable organisation afin de plaider

en faveur d’une politique et d’un financement, au niveau européen, de l’interprétation et de la

traduction dans les services publics.

Actuellement la DG Interprétation collabore avec la DG Affaires intérieures pour évaluer les

propositions concernant un projet pilote en matière d’interprétation par téléphone pour les

postes aux frontières de l’UE. Ce projet devrait être opérationnel en 2015.

Une nouvelle Commission a été installée. Le Président Junker a publié une liste de ses 10

objectifs politiques. Le numéro 7 vise à garantir un espace de justice et de droits

fondamentaux basé sur la confiance mutuelle. Le numéro 8 amorce l’élaboration d’une

nouvelle politique migratoire. Dans les prochains mois, nous pourrions découvrir les

applications pratiques de ces objectifs, mais les intentions actuelles sont très encourageantes.

Le prix que nous payons pour le fonctionnement multilingue de l'Union européenne reflète le

prix à payer pour garder notre identité, garantir notre droit à la libre expression, et – last but

not least - assurer la légitimité démocratique de la construction européenne.

John PARSONS

L’utilisation des langues et l’externalisation des services de traduction représentent des enjeux

importants pour le Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe est constitué de 47 états

membres, c’est-à-dire des 28 pays membres de l’Union Européenne auxquels s’ajoutent 19

autres États. 40 langues nationales sont représentées, même si l’anglais et le français sont les

deux langues officielles en vigueur depuis 1949. Le Conseil de l’Europe possède un service

central de la traduction ainsi que 2 unités spécialisées, et dédiées respectivement à la Cour des

Droits de l’Homme (CEDH) et à la Direction européenne de la qualité du médicament

(EDQM). Un service de l’interprétation assure la plupart des réunions de l’organisation. Les

activités du Conseil portent sur les droits de l’homme et la promotion de la démocratie et de

l’état de droit. Le Conseil met en place des conventions et des traités internationaux. Il assure

leur suivi et leur application. Un grand nombre des activités dans ces domaines se déroulent

dans l’est et le sud-est de l’Europe et dans le Caucase (activités dites « de coopération »).

La communication constitue donc un enjeu très important et vise différents publics : les

gouvernements prioritairement, mais aussi les parlements, les collectivités locales, les

autorités judiciaires, les ONG et les 800 millions de citoyens européens appartenant aux pays

membres du Conseil de l’Europe. Nous devons assurer une communication de qualité tout en

prenant en compte les contraintes, notamment budgétaires, qui pèsent sur notre statut et notre

pratique. En 2013, 76,6 % des documents traduits avaient pour langue source l’anglais, 21,5

% avaient pour langue source le français, alors que 1,9 % des documents étaient rédigés dans

d’autres langues. La langue cible de traduction était l’anglais dans 22,1 % des cas, le français

dans 63,8 % des cas, et 14,1 % des documents traduits avaient d’autres langues pour cible.

Comparativement, en 2002, l’anglais était la langue cible de 36,4 % des traductions, le

français de 58,7 % des traductions et les autres langues dans 4,9 % des cas.

Nous remarquons ainsi une diminution de l’utilisation du français comme langue source et

une augmentation de la demande de traduction vers les langues non officielles. Par exemple,

les langues des Balkans et du Caucase sont de plus en plus utilisés, et même des langues non-

européennes sont parfois demandées (chinois, japonais, kazakh …). Par conséquent, il

importe d’assurer un volume croissant d’externalisation, notamment vers les langues non

officielles. De nouveaux défis se posent donc au service de traduction dont les effectifs

doivent être gérés de manière adéquate. Le service de traduction comporte 2 sections

linguistiques internes, l’une consacrée aux traductions en français et l’autre dédiée aux

traductions en anglais. Il est essentiel de garantir la qualité des traductions qui sont

externalisées.

Le service de traduction dénombrait, en 2014, 1 chef de service, 30 réviseurs et traducteurs, 1

terminologue, et 6 assistantes. Soumis aux mêmes contraintes budgétaires que les États

membres, le Conseil de l’Europe doit réaliser des économies, et le service est obligé

d’externaliser une partie de ses prestations. Il est néanmoins essentiel de maintenir une

communication multilingue, malgré la compression des effectifs, en recourant aux interprètes

et aux traducteurs free-lance. Le recrutement des interprètes est opéré notamment grâce à la

coopération de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC). Tous les

interprètes qui travaillent à Strasbourg bénéficient des termes de l’accord conclu entre le

Conseil de l’Europe et l’AIIC, même s’ils ne sont pas membres de celle-ci.

Le métier de traducteur est moins encadré. Nous avons recours à des locuteurs natifs ou à des

personnes dont la langue de spécialisation fut la langue principale d’éducation. Le

recrutement a lieu sur dossier, grâce aux registres des associations professionnelles et par le

biais de recommandations. Dans toute la mesure du possible, les productions sont révisées, et

nous contrôlons la qualité des prestations auprès des clients. Nous souhaitons des traductions

dont la qualité est estimée « suffisante », c’est-à-dire adaptée à la destination du texte

(document de travail, texte normatif, publication). L’opportunité de recourir à des appels

d’offres pour toute la traduction externalisée est actuellement à l’étude ; pour l’instant, cette

méthode n’est utilisée que pour la traduction qui se fait dans le cadre de nos « activités de

coopération », notamment transméditerranéennes et dans le Caucase et le sud-est européen.

D’une manière générale, il est essentiel d’éviter le « tout-anglais » qui limiterait la

compréhension et l’expression des interlocuteurs et qui présenterait des conséquences

désastreuses sur un plan aussi bien politique que culturel.

James BRANNAN

The profession of court interpreter has been traced back to Ancient Egypt and, without going

back that far, it is of interest to take a historical perspective, to examine how the provision of

such language assistance has evolved over time. In seventeenth-century England, for example,

one murder case (Borosky and others) shows that where French was at issue the court

assumed that it could get by with its own knowledge of the foreign language, as many

educated people in Britain at that time were able to speak French. Entitlement to interpreting

in the courts partly depended on class and we know from that same case that, while a

15

commoner was denied such assistance, an aristocrat was even granted several interpreters to

assist him! Over the years such arrangements have been made on an ad hoc basis, with rules

gradually being established in the twentieth century to enshrine the principle of interpreting in

court, although, in practice, decisions have continued to be taken on a case-by-case basis as to

actual implementation in criminal proceedings.

Ruth Morris has researched the historical aspects of court interpreting and has found that,

although overall attitudes to court interpreting vary over time, certain issues, such as

entitlement, determination and quality, are perennial. The issue of quality, in particular, is one

that has often been neglected, even in more recent years, although developments in this area

can be found in the case-law of the European Court of Human Rights (ECHR) and since 2010

in Directive 2010/64/EU on the Right to Interpretation and Translation in Criminal

Proceedings.

When the European Convention on Human Rights was drafted in 1950 it was decided to

include provisions, as part of the Article 6 safeguards for fair trials, which covered the right to

be informed of the “accusation” in one’s own language and to have the “free assistance of an

interpreter”. In terms of the categories of persons entitled to an interpreter, the provisions

clearly cover foreign defendants and those who need sign-language interpreting. The question

whether such assistance should be extended to witnesses or third parties, including victims, or

to the context of civil proceedings, is not addressed by Article 6. Various issues have arisen

over the years in relation to the application of the relevant safeguards: whether the judge

needs to be proactive and call an interpreter even if the defendant has not asked for one, in

case of doubt; whether written documents need to be translated; whether an interpreter should

be provided under the same conditions in police custody; whether the right extends to

communication with a lawyer; and whether evidence and everything that is said in court

should be interpreted. These are all issues that have often been dealt with haphazardly by the

justice system over the years, in some cases without any firm guidelines in domestic law. One

hopes that the solutions will become clearer in the future through the transposition of the

provisions contained in the EU Directive.

One of the most important Strasbourg cases on this subject was Kamasinski v. Austria in

1989, establishing that the right to language assistance applied not just to the trial but to pre-

trial proceedings and to documentary material. It has, however, remained somewhat unclear in

the case-law whether there is a right to the translation of a document in writing – an oral

translation by an interpreter has usually been found sufficient.

The EU Directive, which has now been transposed into law in all EU Member States, is

certainly much more comprehensive than Article 6 § 3 (e) of the Convention, although there

is some doubt as to the effectiveness of its transposition in reality. The scope of the Directive

extends to all court hearings, police questioning, interim hearings and communication

between the defendant and counsel, being more specific than the Strasbourg case-law

although largely based thereon. Article 3 of the Directive sets out the right to a written

translation of all essential documents, such as the indictment. There are questions as to how

this will be implemented in all the Member States – and whether it will actually lead to a

greater volume of written translation – as there is also a provision stating that in exceptional

circumstances documents may be translated orally. This is an option likely to be used to save

time and money, together with the possibility of partial translation.

As regards the issue whether a defendant actually needs translation, the Court stated in

Brozicek v. Italy (1989) that the burden of proof was on the authorities to show that the

person did in fact understand the language of the proceedings if they refused language

assistance, i.e. in response to a request. The question of a failure to request assistance has

never been properly addressed by the Court, but it is now clear from the Directive that the

absence of a request does not constitute a waiver. Case-law has evolved slightly in favour of

foreign defendants over the years and the Court has referred on occasion to an examination of

the individual need in terms of the person’s language ability and the complexity of the case.

However, the Directive goes further, stating that there should be a procedure or mechanism in

place to allow the court to ascertain whether the person can speak and understand the

language. This will certainly vary according to the different solutions adopted in each country.

For example, France has decided to use a short oral question and answer session to test the

person’s language skills. However, it is not always easy to determine the requisite level of

understanding and fluency, particularly in a legal context, that would justify dispensing with

an interpreter. Some countries are more proactive and provide an interpreter by default, while

others still consider interpreting to be something of a luxury that may not be necessary if it is

possible to “get by” without it.

The issue of the quality of the assistance has been paid little attention over the years and has

not featured significantly in the case-law. The Court first said in Kamasinski that if the

judicial authorities were “put on notice” that there was a problem with the interpreting, they

were obliged to exercise subsequent scrutiny of its “adequacy” (the term “adequacy” is also

used in the Directive and unfortunately does not suggest a particularly high standard!).

In a case from October 2014, Baytar v. Turkey, the Court reiterated its relatively recent case-

law about the importance of having an interpreter at the earliest stage of the proceedings. It

thus found a violation of Article 6 as no interpreter had been provided for the applicant while

in police custody. In addition, when the applicant had subsequently been brought before a

judge, the interpreter was merely a family member rather than a qualified professional. A

similar situation arose in the case of Cuscani v. the United Kingdom (2002), where the Court

found that the judge should have ensured the presence of an interpreter with verified skills.

The domestic courts have therefore been made aware of the importance of the choice of

interpreter, although admittedly this is not always reflected in practice. Some professionals

have regretted the fact that the ECHR cannot be amended to emphasise the right to a

competent interpreter! The EU Directive, for its part, does have an article devoted to quality

although the definition is somewhat vague, without any specific recommendations. In terms

of upstream quality assurance, the Directive importantly requires Member States to

“endeavour to establish a register of independent translators who are appropriately qualified”,

and to make the register available “where appropriate” to “legal counsel and relevant

authorities”. The wording of these provisions is not as mandatory as it could have been,

reflecting a drafting compromise.

Directive 2010/64/EU should, regardless of any defects, serve to clarify the relevant

safeguards for the purposes of ensuring a fair trial for foreign defendants and those with

hearing or speech impediments, building on the existing protection afforded by Strasbourg

under the ECHR. If the Directive is properly transposed, the situation should improve as

regards the issues of entitlement, determination and quality. The Directive notably associates

quality with the choice of interpreter or translator and provides for the translation of

documents, a mechanism for determining need and the right to challenge a refusal to provide

interpreting or translation and to complain about poor quality throughout the proceedings,

with emphasis on the need for an effective remedy. In general it imposes a positive obligation

on the authorities to provide language assistance where needed for the benefit of the citizens

concerned, suspects and defendants, throughout the criminal proceedings.

Émilie MOREAU

Nous travaillons au quotidien avec des interprètes sur le territoire national ou durant des

missions à l’international, lors de réunions de coopération ou de formation avec des policiers

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étrangers ou dans le cadre de soutien opérationnel lors d’enquêtes à l’étranger avec des

victimes ou des auteurs français. L’interprète joue vraiment un rôle central puisqu’il coopère

au quotidien avec les enquêteurs et intervient à chaque phase de l’enquête de police. Il est

sollicité durant l’investigation ou dans le cas d’interceptions techniques (écoutes de police),

lorsqu’il est nécessaire de traduire des supports et des documents administratifs, au moment

des auditions de victimes, de témoins, du gardé à vue ou de la personne qui sera mise en

examen. La police a recours aux interprètes pour traduire notamment des messages et des

conversations téléphoniques. Son rôle est aussi décisif au moment d’une interpellation pour

notifier ses droits à l’individu qui est placé en garde à vue. À ce titre, les moyens de

télécommunications sont utiles puisqu’il est possible de joindre un interprète par téléphone et

de permettre ainsi un premier contact entre celui-ci et la personne placée en garde à vue. La

présence de l’interprète est d’autant plus importante qu’elle relève des droits de la défense.

L’interprète doit être présent lors de l’ensemble des opérations de police : signalisation

(relevés d’empreintes, prise de photographie), examens médicaux, auditions.

L’enquêteur doit tout d’abord réussir à déterminer quelle est la langue parlée par les

protagonistes. Il peut ainsi contacter un interprète par téléphone. Par la suite, une grande

disponibilité de l’interprète est requise, car le temps de garde à vue est compté. Il importe

d’identifier rapidement les interprètes disponibles. La police fait souvent appel aux mêmes

intervenants et le réseau joue un rôle important. Une audition dure entre 1 heure et 7 heures et

l’interprète doit rester le même au cours de l’entrevue. Outre cette grande disponibilité, les

fonctions d’interprète auprès de la police judiciaire nécessitent une maîtrise du vocabulaire

technique et juridique utilisé dans le cadre des procédures. Les enquêteurs organisent la

plupart du temps un briefing avec les interprètes afin qu’ils puissent comprendre les faits en

question. La compréhension du milieu social et culturel dans lequel les policiers interviennent

est aussi utile aux interprètes.

La confidentialité est impérative et les interprètes prêtent serment. L’instauration d’une

relation de confiance entre l’enquêteur et l’interprète est essentielle d’autant plus que certains

dossiers sont particulièrement sensibles et médiatiques. La difficulté la plus importante qui se

pose à l’interprète réside précisément dans le contenu de son propos. Il ne doit

paradoxalement pas « interpréter » le discours de la personne auditionnée. Il doit traduire

fidèlement, voire au mot à mot, chaque phrase prononcée car chaque terme peut revêtir une

importance considérable. Tout doit être traduit, y compris des discussions qui peuvent paraître

informelles entre l’interprète et la personne auditionnée. Il est par ailleurs demandé aux

interprètes de traduire l’intégralité des propos afin d’éviter toute tentative de manipulation ou

de connivence de la part de la personne auditionnée et pour permettre aux enquêteurs de

rappeler les règles en vigueur, le cas échéant. L’interprète doit s’abstenir de toute implication

sentimentale et personnelle et ne pas être choqué par les mots qui sont employés ou par les

faits qui sont relatés. Une grande capacité d’adaptation aux personnes et aux situations est

également requise. L’audition d’un enfant, par exemple, nécessitera le choix d’un vocabulaire

particulier. Dans toutes les auditions, chaque phrase est traduite l’une après l’autre et les

silences présentent également leur importance.

En conclusion, les seules connaissances linguistiques ne suffisent pas pour une bonne

interprétation. Il apparaît essentiel d’y associer un dialogue avec les enquêteurs, une

connaissance du contexte de l’affaire, de maîtriser le vocabulaire technique, et de

retransmettre le plus fidèlement possible les propos tenus. Les paramètres psychologiques,

sociologiques, culturels de la personne entendue sont également à prendre en compte.

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Volet 2 – Le rôle de la traduction dans la promotion de la diversité linguistique et la circulation des idées

Table ronde animée par Odile CANALE, Chef de la mission Emploi et diffusion de la langue française, Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF)

Participants :

Didier DUTOUR, Responsable du pôle « Livre et Traduction », Institut Français

Isabelle ESPALIEU, Chef du département de la traduction, Ministère des Affaires étrangères et du Développement international

Gisèle SAPIRO, Directrice d’études, École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Isabelle ESPALIEU

Ces assises sont placées assez logiquement sous le haut patronage du MAEDI étant donné la

place que les langues étrangères occupent dans ce Ministère.

Avec un réseau de 160 ambassades et 17 représentations permanentes auprès des

organisations internationales, un réseau consulaire d’une centaine de consulats et un réseau

culturel important, il est évident que le Ministère des Affaires étrangères accorde une place de

choix aux langues étrangères.

Concrètement, cela signifie que le recrutement des agents se fait avec des épreuves

linguistiques de très bon niveau. Il n’est pas rare de trouver des titulaires de maîtrise de

langues occupant des postes de secrétariat. Ces compétences sont très valorisées lors des

affectations à l'étranger.

Au niveau le plus élevé, en dehors de la voie de l’ENA, les diplomates sont eux-mêmes

recrutés au terme de 2 concours très sélectifs, dont le concours dit d'Orient qui comporte (à

côté de l’anglais) des épreuves en arabe, chinois, persan, swahili ou hindi pour ne citer que

quelques exemples de cette belle diversité linguistique.

Ce très bon niveau de connaissance des langues des agents du MAE a bien sûr une incidence

sur notre service de traduction : en clair certains de « nos clients » estiment qu'ils sont au

moins aussi compétents que nous.

Comme vous le savez, après le latin, le français a été la langue de la diplomatie jusqu’au

siècle dernier. Les diplomates du monde entier se devaient de connaître le français.

De ce fait, les premiers registres du « bureau des traductions » que nous avons retrouvés, et

dont le plus ancien date de 1904, ne répertorient que des traductions en français d’actes d’état

civil, de pièces judiciaires, commissions rogatoires, contentieux, etc. Le Ministère des

Affaires étrangères ne comptait que 3 traducteurs, qui étaient par ailleurs traducteurs

assermentés et dépendaient de la Chancellerie.

C’est en 1919, lors de la négociation du traité de Versailles que la situation a basculé : comme

les 4 négociateurs étaient un Anglais (Lloyd George), un Américain (Wilson), un Français

(Clémenceau) et un Italien (Orlando), le traité fut rédigé en anglais et en français, marquant le

début de l’utilisation de l’anglais comme langue de la diplomatie.

À partir de 1919, le ministère a commencé à recruter des traducteurs supplémentaires et a mis

en place une véritable section de traduction dirigée par un « chef des traducteurs » qui seront

dotés d’un statut particulier en 1934.

Il est très intéressant de suivre l’évolution de la part respective des différentes langues dans

l’activité du service puisqu’elle correspond aux fluctuations de l’histoire.

En 1975, l’anglais et l’allemand faisaient jeu égal, représentant chacune 25 % des traductions.

Puis vient l’italien avec 14 % des traductions, l’espagnol et le russe avec 7 % des traductions

chacune, reléguant loin derrière l’arabe, le polonais et le portugais avec chacune 3 %.

La part de la sous-traitance était alors de 24 % de l’activité. Seules 325 pages de traduction du

français vers l’anglais ont été externalisées. Dans la liste des traducteurs extérieurs, nous

trouvons des langues aussi diverses que l’annamite, le berbère, le copte, l’hindoustani, le

javanais, le siamois, le peul et le syrien.

En 2013, le paysage a totalement changé. L’anglais représente 57 % des traductions, l’arabe

12,5 %, l’espagnol 9,5 %, l’allemand 5,5 %, le russe 3 % et l’italien 1,5 %.

De surcroît, les demandes de traduction vers les langues étrangères (dont l’anglais bien sûr)

ont été démultipliées.

La structure actuelle de notre service répond à ces demandes. Nous employons

7 francophones, 4 anglophones, 1 hispanophone et 1 arabophone. Nous sous-traitons les

traductions de langues moins courantes. Nous recevons une cinquantaine de demandes par an

environ (ouzbek, turc, ukrainien, arménien, géorgien etc.). Reste le cas du chinois, longtemps

géré uniquement par notre poste de Pékin, mais la demande est actuellement en forte hausse,

sans doute à cause du volet « développement international et tourisme », récemment introduit

au MAE.

La structure actuelle nous permet de répondre au mieux aux besoins de traductions d’un

Ministère qui présente une politique de communication extrêmement dynamique, portée par

toutes les directions, notamment la direction générale de la mondialisation.

La traduction constitue un élément important de la diplomatie publique ou diplomatie

d’influence, ou soft power. Il importe de faire connaître les idées de la France dans le monde

entier et dans la langue du destinataire. Le site France-Diplomatie enregistre donc une très

forte fréquentation internationale, car il est l’un des plus multilingues du monde, suivant en

cela les préconisations de la loi Toubon dont nous venons de célébrer les 20 ans.

Enfin, au moment où se déroule le Sommet de la Francophonie à Dakar, une dernière

remarque doit être apportée. Après avoir cru que le déclin de la traduction des langues

étrangères vers le français était inéluctable dans notre service, nous observons depuis quelque

temps une hausse des demandes consécutive à la politique française de « pivot vers

l’Afrique ».

21

Didier DUTOUR

L’Institut français est un opérateur de l’action culturelle extérieure du Ministère des Affaires

étrangères. Il participe à la diplomatie d’influence en faisant connaître la création et les idées

de la France. La traduction est un puissant moteur d’action puisque l’industrie du livre

représente la première industrie culturelle à l’exportation. Les domaines de la traduction et de

la cession de droits constituent près de 6 % du chiffre d’affaires de certaines maisons

d’édition. Plus de 12 000 titres sont cédés du français vers une langue étrangères chaque

année (les traductions ou retraductions d’ouvrages du domaine public ne sont pas

comptabilisées). L’Institut français a donc pour tâche de contribuer à la conversation

mondiale en faisant traduire les œuvres des grands intellectuels et auteurs français, en

favorisant l’émergence de nouvelles scènes intellectuelles à l’étranger, et en contribuant aux

politiques de lancement de certains auteurs. L’Institut français et les instituts français

localement consacrent près de 1,4 million d’euros à la traduction. Ce budget s’ajoute aux 800

000 euros alloués par le Centre national du livre.

Le métier de traducteur occupe un rôle central et décisif au sein de la chaîne du livre, c’est

pourquoi l’Institut français a souhaité participer au renouvellement des générations de

traducteurs concernant certaines grandes langues. Un programme de parrainage a été mis en

place avec le collège national des traducteurs pour le chinois, le turc, le coréen et le portugais.

Il consiste à associer des jeunes traducteurs français et étrangers à des traducteurs confirmés

pour travailler sur des textes anciens et contemporains et obtenir les qualifications requises.

L’Institut français souhaite valoriser le dialogue et la diversité interculturelle et littéraire. Le

Brésil a été invité à l’occasion de la prochaine édition du salon du livre et l’Institut encourage

le développement des traductions dans des registres qui ne sont pas uniquement littéraires.

Pour répondre à ces enjeux, l’Institut français s’est appuyé sur les conclusions du rapport

établi par Gisèle Sapiro et qui est accessible sur le site internet de l’Institut français.

Gisèle SAPIRO

Le marché de la traduction de livres est devenu lucratif pour les éditeurs et constitue depuis

longtemps un instrument diplomatique pour les gouvernements. La traduction représente

également une forme d’échange d’intellectuel et de circulation des idées. Les enjeux de ce

secteur sont donc à la fois économiques, politiques, intellectuels et culturels. Néanmoins, une

nette asymétrie caractérise ce marché : l’anglais domine à présent toutes les autres langues

alors que le français servait de langue de référence des échanges au XIXe siècle. Nous

pouvons nous demander si la mondialisation a réellement favorisé les échanges interculturels.

Entre 1980 et 2000, la part des livres traduits dans le monde a augmenté de 50 %. Cependant,

l’intensification de la production ne s’est pas forcément accompagnée d’une diversification

des échanges.

L’anglais reste la langue la plus traduite. La croissance des traductions de livres de l’anglais

est supérieure à la part de production de livres en anglais sur le marché mondial de l’édition.

Le russe est la langue qui a le plus pâti de cette domination de l’anglais. Les facteurs

politiques ont été déterminants. La politique étatique qui favorisait la traduction du russe en

URSS s’est arrêtée brusquement au moment de l’effondrement du régime. Les marchés

français et allemand ont réussi à conserver leur position.

Nous observons un renforcement des langues asiatiques depuis les années 1990 suite au

succès des mangas pour le japonais. La densité et la diversité des échanges au sein du

continent européen sont les plus élevées. Deux tiers des contrats de cession signés par les

éditeurs français pour la période 1997-2006 l’ont été avec des pays européens. Cette part est

un peu plus faible (60 %) pour les cessions en sciences humaines, mais plus élevée (72 %)

pour les contrats concernant des textes littéraires. Cette intensité des échanges intra-européens

correspond aussi à une plus grande diversité. En effet, pour la période étudiée, les droits de

traduction du français avaient été cédés pour 80 langues en Europe, contre 48 hors Europe.

Des droits avaient été acquis pour la traduction en français de 41 langues européennes contre

22 langues non européennes. Du coup, cette zone joue en outre, notamment grâce au français,

à l’allemand et à l’espagnol, un rôle de médiation entre littératures périphériques. Le nombre

de traductions publiées dans ces langues est en effet supérieur à celles qui paraissent en

anglais et la diversité des idiomes d’origine plus grande.

Plus un pays est dominant, moins il traduit. La part des traductions dans le marché du livre

aux États-Unis est inférieure à 3 %. Le taux des traductions, en France, a augmenté dans les

années 1990, où il passe de 15 % à 18 % ; en nouveautés romanesques, il atteint entre 35 % et

40 % des titres publiés. 50 % des traductions dans le monde concernent des textes littéraires.

Le secteur littéraire est dominé par l’anglais, mais reste le lieu d’une diversité linguistique

importante. Les traductions aux États-Unis sont délaissées par les maisons traditionnelles, car

elles représentent une prise de risque trop importante. Elles sont reprises par des presses

universitaires, de petits éditeurs indépendants et des maisons à but non lucratif. Pour ces deux

dernières catégories, la traduction est devenue une cause culturelle et politique. Il s’agit de

promouvoir la traduction afin d’assurer une mondialisation authentique et de lutter contre la

domination de l’anglais.

Le livre reste un outil de diffusion majeure des sciences humaines et sociales. Il dépasse la

communauté des spécialistes. Il permet aux sciences humaines de participer au débat d’idées

dans la société. Cependant les chances d’être traduits sont inégales. Elles dépendent de

plusieurs facteurs. En premier lieu, la centralité de la langue d’écriture. Deuxièmement, le

capital symbolique collectif accumulé par une discipline ou un domaine dans une langue : la

philosophie allemande et la philosophie française, par exemple, ont plus de chance d’être

traduites que la philosophie russe. La philosophie représente d’ailleurs le premier domaine de

traduction de livres en français aux États-Unis. Le capital symbolique individuel a également

une grande importance. Des auteurs comme Barthes, Foucault ou Derrida sont

systématiquement traduits. L’ouvrage de Bourdieu, Sur la télévision, a été traduit en

25 langues. Le livre de Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, a également bénéficié

d’une large audience encourageant sa traduction en plusieurs langues. La réception nationale

et internationale de l’œuvre, le capital social de l’auteur et l’importance de son réseau

universitaire favorisent la traduction de ses travaux.

Des problèmes d’harmonisation des pratiques subsistent néanmoins, notamment en matière de

contrats et de cession de droits. La contribution des politiques publiques est indispensable à

l’avenir de la traduction. Outre l’aide au financement de la traduction, elle permet de soutenir

la prospection, la promotion et l’organisation des rencontres professionnelles. Certaines

difficultés techniques persistent en matière de traduction en sciences humaines. La formation

des traducteurs spécialisés en sciences humaines doit être encouragée afin de permettre le

développement d’une voie réelle de professionnalisation.

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Questions

De la salle

Quel est l’impact du numérique sur les décisions éditoriales en matière de traduction ?

Gisèle SAPIRO

Le secteur du numérique a créé des difficultés en matière de contrats. L’achat en ligne

modifie la question des droits. La globalisation, un temps perçue comme un processus de

déterritorialisation, donne lieu dans les faits à une véritable guerre des territoires.

De la salle

L’Inde constitue un acteur majeur de la traduction en langue anglaise. Qu’en est-il du droit de

regard de l’auteur sur les traductions ?

Didier DUTOUR

Le droit moral de l’auteur sur la traduction qui figure dans la législation française n’existe pas

dans le copyright. Les accords de l’OMC permettent d’ailleurs de contourner la question du

droit moral. Concernant le numérique et les questions relatives à la chaîne de valeur du livre,

l’Europe réfléchit à une position qui pourrait être commune. D’autres pays comme le Brésil

sont aussi conscients des dangers que de telles pratiques présentent pour l’économie du livre.

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Volet 3 – Traducteurs et interprètes au cœur de la vie économique

Table ronde animée par Chris DURBAN, Traductrice, Société française des traducteurs (SFT)

Participants :

Tony BULGER, Traducteur technique, ancien Directeur d’agence de traduction

Bettina LUDEWIG-QUAINE, Membre du Conseil de l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC) et Coprésidente de l’AIIC France

Myriam MAESTRONI, Présidente, Économie d’énergie

Gayathri SIVAPURAPU, Responsable du département Traduction, Tata Consultancy Services

Chris DURBAN

Les traducteurs et interprètes agissent au cœur de la vie économique en intervenant dans les

domaines scientifique, médical, financier, juridique et technique. Les clients comptent sur les

traducteurs pour faire avancer leur activité.

Nous pouvons distinguer actuellement trois marchés principaux de la traduction et de

l’interprétation. Le premier pourrait être appelé le marché du « vrac ». Ce secteur concentre

des volumes très importants de traduction dans des délais très courts et pour des

rémunérations minimes. Ce secteur sollicite d’ailleurs fortement la traduction automatique.

Le deuxième marché, dit « intermédiaire », essaie de produire des traductions de meilleure

qualité en encourageant la spécialisation, mais les délais ne sont pas toujours respectés et le

niveau des rémunérations est toujours problématique.

Le troisième marché, qualifié de « premium », correspond au secteur de la traduction

spécialisée. Le traducteur maîtrise un domaine précis d’activités et sait rédiger. Ce marché est

en croissance, les clients sont respectés et le niveau des rémunérations est correct. Les

traducteurs professionnels ont intérêt à viser ce marché « premium ».

Gayathri SIVAPURAPU

Le groupe TATA est présent dans 150 pays et emploie 580 000 personnes. Le chiffre

d’affaires du groupe s’élève à 103 milliards de dollars. 60 % des actifs de la holding TATA

Sons appartiennent à des trusts. Le groupe TATA représente le deuxième producteur mondial

des composants de soda. L’entité TATA Communications est spécialisée dans le

développement des communications hardware. Le groupe possède également des marques

emblématiques comme Jaguar et Land Rover.

TATA Consultancy Services compte 310 000 salariés dont 100 000 femmes. Son chiffre

d’affaires s’élève à 13,4 milliards de dollars avec un taux de capitalisation boursière

atteignant 53,4 milliards de dollars. La société assure un service continu de prestations

informatiques, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Les équipes de traduction en français sont

basées à Paris alors que les équipes de traduction en anglais se situent en Inde. La société

essaie, en effet, de localiser ses activités de traduction en fonction des besoins linguistiques.

En France, les activités reflétant la responsabilité sociale de l’entreprise incluent des actions

avec la Fondation Good Planet, des manifestations sportives et des partenariats avec des

associations agissant dans les hôpitaux.

TATA Consulting Services est très actif dans le monde anglo-saxon. L’accent est mis à

présent sur la France et l’Allemagne. Un système on site offshore a été mis en place et

travaille en liaison avec le service commercial. Celui-ci reçoit des appels d’offres rédigés en

français et qui doivent être traduits en anglais. Une première traduction automatique, relue par

un spécialiste, est communiquée aux consultants situés en Inde. En cas d’acceptation de

l’appel d’offres, la réponse sera traduite intégralement par un spécialiste.

Bettina LUDEWIG-QUAINE

Les interprètes de conférence sont présents sur le marché privé. Ils participent aux rencontres

diplomatiques et officielles. Ils interviennent dans les entreprises, les négociations

commerciales, les comités d’entreprise européens, ou les visites d’entreprise. L’interprétation

est réalisée soit de manière consécutive soit de manière simultanée en fonction des besoins du

client.

L’AIIC souhaite représenter les intérêts de la profession dans son intégralité. Elle compte

3 000 membres, présents sur tous les continents et dans une centaine de pays. Nous

dénombrons 400 membres en France, toutes langues confondues. Par ailleurs, l’accès à la

profession n’est pas réglementé. Trois problèmes affectent le marché privé : le « tout-

anglais », la crise économique et les restrictions budgétaires qu’elle induit, et la présence sur

le marché d’opérateurs extérieurs à la profession.

La multiplication des communications en anglais représente une réalité durable. Elle engendre

un rétrécissement évident du marché de l’interprétation. Le nombre de langues proposées est

réduit et la langue d’interprétation se limite souvent à celle du pays dans lequel a lieu

l’intervention. Or, le niveau de l’anglais parlé dans ces circonstances est assez pauvre. De

sérieux problèmes de compréhension surgissent entre les intervenants, qui sont de faux

anglophones. De plus, la traduction de cet anglais incorrect par l’interprète relève souvent

d’un décodage fatigant. Les conditions de travail des interprètes se sont considérablement

dégradées.

La crise a engendré d’autres restrictions. Le budget des organisations internationales a

diminué. Le nombre de journées de travail allouées aux interprètes non permanents a diminué

et leur rémunération a été réévaluée à la baisse.

Enfin l’apparition d’opérateurs extérieurs pose un problème de concurrence. Ils proposent des

services d’interprétation au sein d’un catalogue de prestations présenté lors d’un appel

d’offres auquel les interprètes ne peuvent prendre part.

Pour remédier à ces difficultés, l’AIIC négocie des accords avec les organisations

internationales. Les interprètes travaillant au Conseil de l’Europe ne sont pas obligés d’être

membres de l’AIIC mais l’association a mis en place des actions pour ses membres et pour les

interprètes non adhérents afin de faire face aux défis mentionnés. Qualité et professionnalisme

constituent les objectifs prioritaires de l’AIIC. Une commission en charge des marchés privés

a été créée. Un réseau d’interprètes-conseils a été créé pour aider à la négociation des contrats.

27

En conclusion, le métier d’interprète ne se justifie et ne survivra que si les prestations reflètent

une grande qualité.

Myriam MAESTRONI

J’ignorais totalement le contenu de vos métiers avant de m’y intéresser dans le cadre de

l’activité économique de mon entreprise. Je vous livre ainsi un témoignage d’utilisatrice. J’ai

pu constater que différents niveaux de qualité existaient en fonction des secteurs et des

prestations demandées.

Mon entreprise appartient au secteur de l’efficacité énergétique. Or, il est essentiel que les

traducteurs identifient les secteurs en croissance et qu’ils maîtrisent leur terminologie afin de

pouvoir répondre aux besoins de ces nouveaux marchés. Un véritable marché européen de

l’efficacité énergétique commence à se créer. Les besoins en traduction multilingue sont

particulièrement conséquents. Il est impératif que des traducteurs se spécialisent dans ce

secteur et que des formations soient organisées en partenariat avec les entreprises.

J’ai malheureusement connu une expérience très négative lorsque j’ai demandé à ce que mon

livre soit traduit. Mon éditeur a eu recours à un prestataire visiblement peu qualifié. Je me suis

rendue compte en relisant les épreuves que le fournisseur avait vraisemblablement eu recours

à une traduction automatique. Par ailleurs, des variations de prix très importantes existent

entre les différents prestataires. Afin d’être sûr de pouvoir bénéficier d’un service de qualité,

il serait utile et bénéfique que l’Union Européenne mette en place des aides à la traduction à

destination des jeunes entreprises et des start-up. Ces subventions dédiées à la traduction

permettraient la croissance des marchés à l’intérieur de l’Union Européenne et garantiraient

des prestations de haut niveau.

Tony BULGER

Deux idées importantes sont à retenir des interventions précédentes : la spécialisation et la

formation. La qualité des prestations et la réactivité des traducteurs face aux besoins des

différents secteurs sont décisives.

Les marchés évoluent. Le marché du « vrac » paraît contaminer le marché intermédiaire des

prestations proposées par des traducteurs généralistes. La domination de l’anglais et les

avancées technologiques, en matière de logiciels de traduction, contribuent à la disparition

progressive de ce marché intermédiaire. L’accent doit être mis sur les traductions « haut de

gamme » et très spécialisées. Ce marché exige, de la part du traducteur, une maîtrise totale des

langues de travail et en particulier de sa langue maternelle. Une connaissance accrue des

langues et du contexte de spécialisation ne suffit pas. Il est nécessaire également de savoir

écrire et de pouvoir prendre en compte certains paramètres culturels. Les donneurs d’ordre

sont de plus en plus compétents en langues. Une conception très claire des exigences du client

est impérative.

Les traducteurs qui visent ce marché haut de gamme doivent prendre conscience de

l’importance de la formation continue, afin de suivre les évolutions terminologiques de leur

domaine de spécialisation. Spécialisé dans la réglementation financière, j’ai assisté à des

sessions de formation destinées aux professionnels du secteur. J’ai pu, tout à la fois, acquérir

des connaissances et rencontrer des clients potentiels.

En conclusion, j’insisterai sur le fait que rencontrer les acteurs du métier est primordial. La

spécialisation et la professionnalisation sont essentielles à la formation des traducteurs.

Questions

De la salle

Je suis traducteur spécialisé dans le domaine de la finance. Je voudrais cependant aller à

l’encontre de cette promotion de la spécialisation. Les possibilités de recherche à notre

disposition (internet, etc.) nous dispensent de nous spécialiser. Nous sommes avant tout des

linguistes. Par ailleurs, je souhaiterais des précisions sur les processus de traduction en Inde et

le recours à la traduction automatique. Comment l’interlocuteur peut-il comprendre un appel

d’offres traduit de manière automatique ?

Gayathri SIVAPURAPU

Dans un premier temps, nous devons décider si nous souhaitons répondre à l’appel d’offres.

La traduction automatique sert de canevas à la discussion préliminaire qui se tient entre les

consultants en France et en Inde. Si l’appel d’offres est retenu, nous recourrons à une post-

édition et à une traduction plus précise, réalisée de manière artisanale par nos traducteurs

francophones. La traduction automatique permet une première compréhension.

Chris DURBAN

Qu’en est-il de la spécialisation pour les interprètes ?

Bettina LUDEWIG-QUAINE

Les interprètes ne se spécialisent pas vraiment. Le périmètre des conférences dans un sujet

donné est trop restreint. La compétence essentielle de l’interprète consiste à pouvoir assimiler

rapidement et efficacement un nombre suffisant d’informations pour reproduire un message

de manière fiable.

Chris DURBAN

Myriam Maestroni, avez-vous quelque chose à ajouter sur les notions de spécialisation

superficielles ou profondes ?

Myriam MAESTRONI

Je souhaite insister sur le fait que la conférence pour l’environnement aura lieu en France dans

un an. Les besoins en traduction et en interprétation seront considérables. J’ai créé une

fondation intitulée Efficacité énergétique et économie d’énergie. Les deux termes signifient la

même chose mais appartiennent à deux mondes différents. Chaque mot sert à exprimer des

choses précises. La qualité ne doit pas être compromise aux dépens du prix mais il est

important que l’Union européenne puisse proposer des sources de financement et des

subventions.

29

Gayathri SIVAPURAPU

Lorsque j’étais traductrice, j’étais heureuse de ne pas avoir à me spécialiser car mon travail

était plus enrichissant.

De la salle

Je pense qu’il est nécessaire de se spécialiser. Le traducteur doit pouvoir lire entre les lignes et

deviner ce qu’a voulu dire l’interlocuteur. Mais il est nécessaire de se spécialiser dans

plusieurs domaines. Il importe d’identifier les domaines porteurs.

L’ESIT a lancé un module de formation en rédaction technique que nous espérons

développer. La traduction est une profession. Si le client souhaite une prestation de qualité, il

doit recourir à des professionnels.

Comment les entreprises peuvent-elles savoir comment choisir un bon traducteur ? Le monde

de la traduction manque de visibilité pour les étudiants et les donneurs d’ordre. Madame

Maestroni, comment auriez-vous aimé être informée ?

Myriam MAESTRONI

J’ai cherché un éditeur capable de diffuser en plusieurs langues. Il est nécessaire d’identifier

les intermédiaires qui servent la profession.

Chris DURBAN

La SFT a édité des brochures intitulées « Faire les bons choix » que nous vous transmettrons.

De la salle

Dans l’activité de traducteur judiciaire, nous sommes appelés à traduire des documents

techniques et juridiques. Le traducteur-interprète doit savoir s’adapter à cette activité.

Chris DURBAN

En tant que traducteur professionnel, il importe d’être conscient de ses limites en termes de

spécialisation. J’attire votre attention sur une brochure, traduite en 14 langues et mise à

disposition par la SFT.

31

Volet 4 – Nouvelles technologies, nouvelles compétences et enjeux pour la formation

Table ronde animée par Nicolas FROELIGER, Président de l’Association française des formations universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT)

Participants :

Tatiana BODROVA, Directeur de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT)

Josep BONET, Chef de l’unité Développement professionnel et organisationnel, DG Traduction, Commission européenne

Olga COSMIDOU, Directeur général de l’interprétation et des conférences, Parlement européen

Alain COUILLAULT, Professeur associé, Université de La Rochelle

Sandrine PERALDI, Directrice de la recherche, Institut de management et de communication interculturels (ISIT)

Nicolas FROELIGER

La maîtrise des nouvelles technologies est désormais indispensable au métier de traducteur.

Cependant, les compétences linguistiques s’avèrent tout aussi essentielles. L’Association

française des formations universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT) – que je

représente ici – compte aujourd’hui 18 formations qui ont pris la mesure de cette double

exigence.

L’essor des nouvelles technologies et d’Internet, au cours des dernières décennies, a suscité

une certaine défiance vis-à-vis de ce qui apparaissait comme une mécanisation de l’activité.

Néanmoins, l’utilisation des dictaphones et des traitements de texte avaient déjà donné lieu à

ce type de ressenti. Le rôle de ces outils doit être défini au sein des formations en prenant en

compte les évolutions du métier et des besoins du marché.

Cette table ronde vise à mettre en rapport les usages de la vie professionnelle et les réponses

apportées par les différentes formations universitaires.

Alain COUILLAULT

Une étude, réalisée sous les auspices de la DGLFLF, a été conduite durant les mois de

septembre et d’octobre. Elle porte sur les outils informatiques d’aide à la traduction. Cette

enquête qualitative consistait à interroger leurs utilisateurs et à sonder leur taux de

satisfaction. Cinq types d’outils ont été évalués. Premièrement, nous avons enquêté sur les

outils de conversion qui consistent à transformer un document source en un document

exploitable. Deuxièmement, nous avons interrogé les traducteurs à propos des outils de

mémoires de traduction. Troisièmement, nous avons évalué les outils de traduction

automatique, en interrogeant des utilisateurs professionnels. Quatrièmement, nous avons

enquêté sur les outils d’extraction terminologique. Cinquièmement, nous avons évalué les

outils de gestion terminologique. Le questionnaire élaboré fut volumineux et était constitué de

questions fermées et ouvertes.

Nous avons recueilli plus de 700 réponses qui ont produit une grille de 197 colonnes et de 899

lignes qui est en cours d’analyse. Le document final comportera différents tableaux présentant

les avis des utilisateurs à propos des différents outils. Un indice d’utilité pour le métier de

traducteur sera attribué pour chaque fonction offerte par les outils. Quelque 11 % de

répondants viennent du secteur de la formation, 11 % appartiennent au secteur public, 12 %

travaillent au sein d’organisations internationales, 55 % sont indépendants.

De nouveaux modèles émergent en termes de traduction. Certains outils sont utilisés en ligne

et le crowdsourcing, c’est-à-dire la répartition du travail en ligne, progresse.

En conclusion, un rapport final sera établi au cours du premier trimestre de l’année 2015. Il

sera mis à disposition par la DGLFLF.

Josep BONET

La DGT traite un volume considérable de données. Lorsque j’ai débuté en tant que traducteur

à la DGT, la part la plus importante de mon travail consistait à rechercher l’ensemble des

citations de la législation. L’essor des outils informatiques a eu un impact considérable sur

notre travail. La recherche par mots-clés a permis d’unifier les traductions et d’utiliser une

terminologie et une phraséologie constantes.

L’utilisation des nouvelles technologies a également engendré des effets bénéfiques sur la

qualité des documents produits. La traduction automatique est aussi devenue un outil utile

compte tenu du caractère industriel de la production de la DGT. Les délais de production et le

time-to-market sont de plus en plus réduits. Les hommes politiques ne souhaitent pas attendre

trois semaines pour publier une directive parce que sa traduction prendrait du temps. La

division des tâches et l’utilisation de la technologie sont devenues indispensables à

l’élaboration du corpus législatif et à sa mise à disposition auprès du public européen.

Sandrine PERALDI

Les formations universitaires doivent affronter ces nouvelles réalités technologiques. Elles

doivent s’adapter à la diversification des compétences et former les futurs traducteurs. Plus de

20 masters en traduction existent en France, dont la moitié bénéficient du label EMT. Les

approches pédagogiques sont multiples.

Il est absolument nécessaire de confronter les étudiants à ces nouvelles réalités

technologiques. Il importe de développer leur intelligence critique au moment même où

certains d’entre eux peuvent conserver une vision romantique de la traduction.

Notre cœur de métier reste la compétence traductionnelle et la compréhension des subtilités

de la langue. Toutefois, les outils font partie du marché de la traduction et la plupart des

formations universitaires prennent en compte cette diversité, même si l’intégration de ces

outils au réel pédagogique ne va pas forcément de soi. Nos formations n’ont pas le temps ni la

vocation de former tous nos étudiants à la totalité des techniques disponibles sur le marché.

Ces cours ne permettent pas toujours de former à l’utilisation de l’outil dans un contexte

professionnel.

Le défi présent consiste à articuler la pédagogie, la professionnalisation et la recherche.

33

L’apprentissage est valorisé et, dans certaines formations, les étudiants alternent semaine en

entreprise et semaine de cours. Nous les encourageons à réaliser des projets de recherche

appliqués (base multilingue, préconisation d’outils). Par exemple, nous menons actuellement

trois projets dont l’un a été commandité par la Commission européenne et consiste à évaluer

leur système de traduction automatique. Nous sollicitons l’intelligence critique des étudiants

afin qu’ils prennent conscience des forces et des faiblesses des outils utilisés.

Notre devoir consiste à proposer une formation universitaire solide d’un point de vue

technique tout en confrontant les étudiants aux problématiques actuelles rencontrées par les

organisations internationales et les centres de recherche. Il importe d’intégrer les étudiants à

une dynamique de projet afin de diversifier leurs compétences et de les initier au

management. Cette évolution de la formation constitue également un champ d’investigation

pour les enseignants-chercheurs. Ceux-ci sont invités à éprouver les nouveaux outils

disponibles afin de proposer des enseignements actualisés et pertinents.

Olga COSMIDOU

Le Parlement européen est une institution qui pratique tous les jours le multilinguisme

intégral. Il est le seul parlement supranational au monde à être élu au suffrage universel. Tous

les députés élus doivent pouvoir s’exprimer dans leur langue et se comprendre.

Quelque 24 langues officielles sont utilisées aujourd’hui et de plus en plus d’autres langues

internationales sont incluses dans les débats. Cette diversité représente 552 combinaisons

linguistiques et pose un défi logistique considérable.

Dans ce contexte, la profession craint un recours massif aux nouvelles technologies. Mais

cette inquiétude reste infondée. Pour l’heure, les compétences des logiciels de traduction sont

très limitées. Elles servent éventuellement au touriste qui aurait besoin d’établir une

communication de base dans un pays étranger. En aucun cas, les logiciels de traduction ne

peuvent actuellement être utilisés pour interpréter des conférences.

Néanmoins, il est du devoir des enseignants et des professionnels des institutions de préparer

les générations futures à l’utilisation des nouvelles technologies. Des cours virtuels et des

simulations de test de traduction peuvent être organisés pour familiariser les étudiants avec les

épreuves qu’ils auront à subir. Les écoles doivent se doter d’un système performant de

visioconférence afin de les entraîner aux processus de recrutement, et notamment à la

traduction simultanée de termes techniques comme les acronymes et les chiffres.

En conclusion, la technologie peut être apprivoisée. L’avenir appartient aux interprètes qui

auront apprivoisé tous ces nouveaux outils.

Tatiana BODROVA

Le but de la formation consiste à préparer les interprètes de conférence à assurer des missions

de très haut niveau afin qu’ils s’intègrent le plus vite possible dans le métier. Les nouveaux

enjeux de la formation des interprètes de conférence sont multiples et variés. Il importe

d’intégrer les nouvelles technologies dans l’enseignement, de préparer les futurs diplômés aux

conditions actuelles de travail, dans un marché en pleine mutation et de les armer contre les

dérives du métier actuelles et à venir.

Les étudiants doivent être formés à l’utilisation des nouvelles technologies. Internet et les

banques de données constituent des outils indispensables dans la préparation des sujets, des

cours, des exposés, mais aussi dans l’entraînement individuel et en groupe à la prise de notes.

La tâche des enseignants consiste à orienter les étudiants dans leur recherche documentaire et

leur apprendre à faire preuve de discernement et à utiliser les sources fiables.

L’intégration des exercices d’interprétation en visioconférences dans les cursus des masters 2

à l’ESIT, constitue un outil indispensable à la formation. Ces visioconférences, organisées

dans de bonnes conditions entre différentes écoles d’interprétation et des institutions

européennes permettront aux diplômés de juger, ensuite, dans la vie professionnelle, si les

liaisons proposées sont suffisamment bonnes pour qu’une interprétation de qualité puisse être

fournie.

L’objectif de la formation consiste à préparer l’insertion rapide des diplômés sur le marché du

travail et à répondre aux demandes du marché sur le plan des combinaisons linguistiques. Les

institutions européennes mais aussi les organisations internationales demandent de plus en

plus d’interprètes quadrilingues. C’est un réel défi pour les écoles d’interprètes (multiplication

de nombre de cours, besoin de salles de cours supplémentaires, augmentation du nombre

d’enseignants, etc.) qui auraient besoin de plus de soutien de la part des organismes de tutelle

dans cette filière de formation au combien nécessaire.

Enfin, pour former les futurs interprètes à la réalité professionnelle et les alerter contre

d’éventuelles dérives du métier, nous mettons les étudiants en situation quasi professionnelle

lors des cours de préparation aux conférences, lors des cours virtuels intégrés avec nos

partenaires européens, ou encore, en leur offrant la possibilité de réaliser des stages au sein

d’organisations internationales.

Nous aidons également les jeunes diplômés à prévenir la dégradation de leurs conditions de

travail et à éduquer leurs futurs employeurs. Leur statut et leur rémunération sont justifiés par

leur niveau d’études et la qualité de leur préparation. Le métier de l’interprétation n’est pas

facile mais il reste passionnant et indispensable. Une formation de haut niveau garantit la

réalisation de prestations de très haute qualité.

35

Questions

Nicolas FROELIGER

Au vu de ces interventions et de leur contexte, on peut dire que nous sommes finalement, les

uns et les autres, face à trois questions d’ordre général :

- la technologie fait-elle partie de la culture, ou bien est-elle dans celle-ci un corps

étranger ?

- dans quelle mesure la nature même de la traduction – et donc le profil des traducteurs,

y compris dans leur formation et leur recrutement – est-il affecté par cet

investissement croissant des outils numériques dans ce secteur ?

- de quelle manière ces reconfigurations influent-elles sur le partage de la valeur ajoutée

et les interfaces entre métiers de la traduction et spécialités connexes ?

La fixation des tarifs dépend aussi des rapports de force et de la négociation qui s’opèrent

entre les entreprises et leurs prestataires. Les institutions joueront un rôle d’arbitre ou de

modèle dans cette évaluation.

De la salle

L’expression « rapports de force » est problématique. Elle s’applique peut-être aux entreprises

mais non aux institutions. L’utilisation des outils technologiques par les traducteurs conduit à

une réévaluation des devis.

Ma question porte sur la situation des interprètes dans les zones de conflit. Quels sont les

dispositifs prévus pour assister les interprètes en contexte de guerre ?

Nicolas FROELIGER

Ce sujet a également été abordé lors de différentes manifestations récentes, ce qui montre son

actualité. Il est en tout état de cause utile, ici, de distinguer les interprètes de terrain et les

interprètes de conférence.

Bettina LUDEWIG-QUAINE

L’AIIC s’intéresse à la situation des interprètes en zones de conflits. Ils sont trop souvent

perçus comme des traîtres au sein de leur propre population. L’AIIC est une association

d’interprètes de conférence, mais elle s’intéresse activement aux autres formes

d’interprétation.

Par ailleurs, les interprètes de conférence ne sont pas opposés aux nouvelles technologies,

puisqu’ils les utilisent de plus en plus. Ils sont en revanche inquiets de l’utilisation de plus en

plus fréquente de la téléconférence. Cette méthode compromet des principes déontologiques

comme la présence physique de l’interprétation sur son lieu de travail. Un écran est

bidimensionnel et ne procure pas du tout la même sensibilité. Il ne permet pas de comprendre

de la même manière la personne qui intervient.

Olga COSMIDOU

L’AIIC veille à ce que ces méthodes ne deviennent pas une réalité quotidienne. Cependant,

dans un contexte de globalisation, il est nécessaire d’admettre que ces pratiques sont en

vigueur, notamment aux États-Unis. Jusqu’à quand la vieille Europe pourra-t-elle résister à

ces modes de fonctionnement ? Le Parlement est la seule organisation qui a réalisé des tests

avec une équipe pluridisciplinaire de médecins sur la visioconférence et sur la situation des

interprètes, sans parvenir à prouver les réalités recherchées. Plutôt que de s’insurger contre

ces pratiques, ne conviendrait-il pas de s’interroger sur les meilleures manières de les mettre

en œuvre ? Il est nécessaire de réfléchir à l’encadrement de ces pratiques plutôt qu’à leur

fréquence.

De la salle

Je souhaite connaître la part du volet consacré à la technologie dans les cursus de traduction,

en termes de volumes horaires. Ne prenons-nous pas le risque de former des techniciens de la

traduction plutôt que des traducteurs ?

Sandrine PERALDI

Je vous rassure, la part de ce volet représente 5 % ou 10 %. Les projets que j’ai évoqués

correspondent à des mémoires de fin d’année portant sur ces sujets. Certains projets portent

sur les hautes technologies, mais d’autres étudiants ont choisi de traduire des sites Internet

pour le compte d’associations humanitaires. Nous offrons ces formations aux étudiants pour

qu’ils puissent choisir par la suite leur orientation professionnelle. Il est difficile aujourd’hui

de réaliser des traductions professionnelles sans maîtriser ces outils, mais en aucun cas cette

formation ne vise à remplacer nos compétences fondamentales.

37

Conclusions

Mikaël MEUNIER

C’est donc à moi que revient la lourde tâche de clore cette journée extrêmement riche et d’en

tirer quelques conclusions, qui seront, je le crains, autant de fenêtres ouvertes sur d’autres

travaux, d’autres débats, d’autres réunions à venir, tant cette journée a été longue – si j’en

juge les traits tirés de certains d’entre nous – et courte à la fois, car vous avez dû, comme moi,

vous dire que chacun des thèmes abordés aurait mérité à lui seul une journée de conférence

tout entière, voire plus.

Or cette grande diversité des thèmes et ce traitement parfois rapide des sujets relèvent

précisément des objectifs de ces assises. Ils répondent à un choix délibéré des organisateurs de

ramasser différents sujets qui affleurent à la surface de l’actualité de nos professions afin de

les proposer aux intervenants qui se sont succédé à cette tribune ou à cette table tout au long

de la journée.

Mesdames Hauschildt et Donovan – nos deux éminentes représentantes de grandes

institutions internationales, traditionnels employeurs d’interprètes et de traducteurs – nous ont

rappelé, si cela était nécessaire, l’importance des traducteurs et des interprètes dans leurs

enceintes et bien au-delà. « La diversité linguistique est inscrite dans l’ADN de l’Union

européenne et les traducteurs et les interprètes sont les cellules sanguines du projet

européen ». Ils sont ainsi devenus des rouages indispensables de la vie publique et du

fonctionnement de l’Union européenne, permettant de faire vivre un multilinguisme

institutionnel qui sert l’intérêt public et illustre le respect pour toutes les langues, quels que

soient leur influence et leur poids dans la vie politique ou économique, et par là même l’idée

du projet européen.

Les débats ont permis d’aborder la question de la traduction et de l’interprétation au service

des citoyens : du moins direct – en apparence du moins – avec la thématique du

multilinguisme officiel dans les organisations internationales, au plus concret, sur le terrain,

avec la problématique du droit à la traduction et à l’interprétation dans les procédures pénales

et une plongée au cœur des enquêtes de police. Monsieur Fox a très justement illustré le large

spectre de cette table ronde en soulignant ce paradoxe de la définition du multilinguisme, qui

consiste pour un citoyen, à parler plusieurs langues, alors qu’il revient, dans les enceintes

internationales, à parler sa propre langue en se reposant sur le travail des traducteurs et

interprètes.

La deuxième table ronde portait sur la contribution de nos professions à la vie diplomatique, à

la circulation des idées, et a permis de jeter un pont, trop rare, entre ces univers de la

traduction que sont la traduction littéraire/des sciences humaines, et la traduction

pragmatique/technique, quel que soit le nom qu’on lui donne.

Après le déjeuner, il a été question de quelques problématiques brûlantes du volet

économique de la traduction : comment faire face à l’augmentation du volume de la demande,

qui ne cesse de croître – c’est la bonne nouvelle maintes fois répétée de la journée ? Comment

prioriser les documents à traduire, et donc l’affectation des budgets de traduction dans les

entreprises ? L’importance de la collaboration et de la coordination entre les professionnels et

les clients est clairement apparue. Les vifs échanges qui s’en sont suivis sur le thème de la

nécessaire spécialisation (ou non) des traducteurs, leur capacité d’adaptation et leur besoin de

formation ont constitué une formidable transition vers la dernière étape de notre réflexion.

Le rôle des technologies dans les compétences et la formation. L’évolution rapide des

technologies dans nos métiers est-elle une opportunité ou une menace ? Comment trouver

notre place, en tant que professionnels, au sein de cet environnement toujours plus riche et

technique ? Une chose est sûre, l’évolution technologique, notamment le développement de la

traduction automatique contribue à démocratiser la traduction, en la rendant accessible – avec

ses limites et ses défauts – au plus grand monde. Cette évolution est absolument positive et

représente une opportunité pour les traducteurs. Dans certains secteurs, le progrès

technologique s’accompagne d’une diminution des ressources humaines nécessaires à

l’activité concernée. Ce n’est pas le cas dans l’industrie des langues. Les services de

traduction en ligne augmentent la demande de professionnels de la traduction, car les

traductions automatiques sont certes beaucoup plus rapides et beaucoup moins onéreuses,

mais elles ne servent pas le même objectif que les traductions conventionnelles : elles ne sont

pas adaptées à la plupart des usages professionnels.

Un point particulièrement intéressant a par ailleurs été abordé à différents moments de la

journée, celui de l’adéquation de la qualité et des besoins, des différents segments du marché

(mis en avant par Chris Durban), de l’approche gagnant-gagnant entre professionnels et

clients.

Cette journée avait donc pour objet de parler des professionnels de la traduction et de

l’interprétation, mais aussi d’en faire parler : le savoir-faire et le faire-savoir. Replacer dans

leur contexte les problématiques qui sont les nôtres, traducteurs et interprètes, tout en

replaçant nos métiers à la place qui est la leur, dans le fonctionnement de la vie publique

comme dans celui de la vie économique, au cœur de nos sociétés.

En tout état de cause, cette conférence participe de la volonté de la Commission européenne

de rassembler, aussi largement que possible, les parties prenantes du monde de la traduction,

afin de réfléchir, collectivement, à l’actualité mais aussi à l’avenir de nos professions. Le tout

nouveau Forum « Traduire l’Europe », dont la première édition a eu lieu en septembre, à

Bruxelles, comme le rappelait Gurli Hauschildt, sous l’intitulé « Relier les acteurs de la

traduction », illustre cette volonté. Celui de l’année prochaine aura lieu les 29 et 30 octobre

2015 et mettra l’accent sur les jeunes et les étudiants.

Cette initiative se déclinera, au niveau national, sous la forme d’événements ou d’ateliers

nationaux ou régionaux. Nous allons ainsi prolonger cette dynamique collective en proposant,

dans le cadre du salon Expolangues, un village des métiers de la traduction, rassemblant dans

un projet commun des professionnels et des formateurs. Nous vous donnons donc rendez-

vous du 5 au 7 février prochain, à la Porte de Versailles, dans le cadre du salon Expolangues.

Enfin, je ne pourrais décemment clore cette conférence sans remercier tous ceux qui se sont

rassemblés autour de ce projet, dans un esprit constructif et, surtout, dans un souci de faire

primer l’intérêt commun de nos professions, pour vous proposer ces assises de la traduction et

de l’interprétation : Mesdames Hauschildt et Donovan, naturellement, pour leurs allocutions

d’ouvertures ; nos quatre présidents de tables rondes, Nathalie Gormezano, Odile Canale,

Chris Durban et Nicolas Froeliger, qui ont brillamment officié, sur la préparation comme sur

le respect de l’horaire ; tous nos intervenants, que je ne vais pas citer individuellement, mais

que je remercie chaleureusement d’avoir accepté d’intervenir et de faire avancer nos débats ;

les partenaires de cette conférence, l’Association française des formations universitaires aux

métiers de la traduction (AFFUMT), la Société française des traducteurs (SFT), la Conférence

internationale permanente d’instituts universitaires de traducteurs et d’interprètes (CIUTI) et

l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC). Je remercie également la

direction générale de l’interprétation de la Commission européenne pour son soutien

logistique et pour les interprètes. Je félicite nos sept interprètes, à la fois en cabine, et pour

l’interprétation en langue des signes. Je remercie le CNAM de nous avoir accueillis dans cette

39

salle ainsi que les étudiants de l’ESIT et de l’ISIT, pour leur aide dans le déroulement de cette

journée.

Enfin, j’adresse des remerciements amicaux très appuyés aux co-organisateurs de cette

conférence, devenus mes camarades de jeu ces derniers mois, représentant le service de

traduction du Ministère des Affaires étrangères et du Développement international, la

Délégation générale à la langue française et aux langues de France, l’ESIT et l’ISIT.

Et merci bien sûr à tous d’être venus aussi nombreux faire vivre cette journée.

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Merci aux membres du comité d’organisation de ces Assises de la traduction et de l’interprétation :

- Tatiana Bodrova (ESIT)

- Sarah Bordes (ISIT)

- Sandrine Détienne (ESIT)

- Fayza El Qasem (ESIT)

- Gaid Evenou (DGLFLF)

- Isabelle Espalieu (Ministère des Affaires étrangères)

- Tasmine Fernando (ESIT)

- Nicolas Froeliger (AFFUMT)

- Cécile Le Bourdon (SFT)

- Nina Martinez (ISIT)

- Mikaël Meunier (Commission européenne)

- Sandrine Peraldi (ISIT)

- Cécile Place-Bernardin (Ministère des Affaires étrangères)

- Nathalie Schwartz (ISIT)

COMMISSION EUROPÉENNE

Direction générale de la traduction Direction D - Traduction Département de langue française Antenne de Paris

Contact: Mikaël Meunier

E-mail: [email protected]

Représentation en France de la Commission européenne 288 boulevard Saint-Germain 75007 Paris - France