aspects modernes des cures psychothérapiques pratiquées dans les sanctuaires de la grèce antique

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TOME XXVI - 1962

Nos 2-3-MARS-JUIN

REVUEFRANÇAISEDE

PSYCHANALYSEREVUE

SOMMAIRE

MÉMOIRES ORIGINAUX

F. PASCHE. — Régression, perversion, névrose (Examencritique de la notion de régression) 161

B. GRUNBERGER. — Considérations sur le clivage entrele narcissisme et la maturation pulsionnelle 179

R. HELD. — Contribution à l'étude psychanalytique du

phénomène religieux 211

PSYCHANALYSE APPLIQUÉE

C. KENT. — Les ressources cachées de l'homme (2e partie) 267

D. KOURETAS. — Aspects modernes des cures psychothé-rapiques pratiquées dans les sanctuaires de la Grèce

antique 299

LES LIVRES 311LES REVUES 313LIVRES REÇUS PAR LA RÉDACTION 339SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS. — Liste des membres. Compte

rendu des activités scientifiques pour l'année 1961 343INSTITUT DE PSYCHANALYSE. —

Compte rendu des activités 346

COMMUNIQUÉS 349

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

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Aspects modernes

des cures psychothérapiques

pratiquées dans les sanctuaires

de la Grèce antique(I)par D. KOURETAS (Athènes)

L'investigation des textes anciens, sur parchemin ou sur marbre,au sujet des cures, dites miraculeuses, effectuées dans les sanctuaires

de la Grèce antique — mises à part la supercherie et l'allégation de

mystérieuses forces surnaturelles — nous autorise à prendre une attitude

rationaliste invoquant des mécanismes psycho-physiologiques, valablestout aussi bien aujourd'hui en ce qui concerne les guérisons de Notre-

Dame de Lourdes, que celles de jadis, à Épidaure, par exemple, pourne citer que le plus célèbre des temples anciens.

Deux faits corrélatifs sont à retenir :

 — tout d'abord primum, que les origines de la médecine sont sacrées

et qu'il est donc naturel d'en voir passer la pratique par une phaseexclusivement sacerdotale : la maladie était l'effet d'une punition

et plus généralement d'une action divine ; la guérison aussi devaitdépendre des Dieux ;

 — en second lieu, il est digne de remarque que, vu l'ignorance, à ces

époques lointaines et même jusqu'à Pasteur, de l'étiologie des

maladies infectieuses, la médecine des anciens n'avait d'efficacité

thérapeutique — certains cas d'opérations rudimentaires et d'inter-

ventions orthopédiques exceptés — que sur les maladies que l'on

qualifie aujourd'hui de psycho-somatiques. Inutile d'ajouter que la

suggestion, soutenue par la foi religieuse, jouedans ce domaine un

rôle important : « Le miracle est l'enfant chéri de la foi », affirme

Faust.

(I) Communication présentée au XVIIe Congrès international d'Histoire de la Médecine,Alhènes — Cos, du 4 au 14 septembre 1960. Manuscrit remis à la rédaction en novembre 1960.Adresse de l'auteur : 19, rue Solonos, Athènes, Grèce.

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300 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE

Il nous est loisible d'admettre que les prêtres-guérisseurs avaient

recours à des moyens qui étaient en mesure de faire impression,d'affermir la volonté de guérir, d'accroître la confiance et de renforcerles effets salutaires des émotions agréables (dynamogéniques). Au lieude les considérer comme d' « insignes charlatans qui exploitaientimpudemment la crédulité des naïfs et des ignorants » (Daremberg), ilserait équitable' de leur concéder en tout cas la connaissance et l'utili-sation délibérée de l'influence des aspects frappants pour l'imaginationde leurs procédés thérapeutiques mêlés aux pratiques rituelles.

Il est évidentque

l'ambiance demystère

et la foiardente qui ani-maient le suppliant d'autrefois devaient s'exercer avec beaucoup plus

de force — en vue de produire la secousse nerveuse nécessaire à une

puissante auto- et hétéro-suggestion — dans les temples anciens quedans les hôpitaux contemporains.

Il est regrettable que la description la plus cohérente, nous vou-

lons dire la moins fragmentaire, de ce qui se passait dans les templesd'Esculape se trouve dans la comédie Ploutos d'Aristophane(388 av. J.-C), marquée de l'esprit satirique et irrévérencieux, quiimprègne toutes ses pièces. En lisant cette parodie des guérisonsmiraculeuses opérées par Esculape dans son sanctuaire d'Athènes

(situé au sud-est de l'Acropole), on est frappé toutefois par la parenté

FIG. I. — Relief votif dédié à Esculape et provenant de l'Asclépieion dePirée (vers 400 av. J.-C). Il s'agit d'une manipulation du Dieu, représentépar le prêtre, sur l'épaule droite de la patiente (endormie ?). A droite, Hygie,représentée par une prêtresse du Temple. A gauche, les membres de la famillede la malade en attitude de supplication.

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ASPECTS MODERNES DES CURES PSYCHOTHERAPIQUES 301

d'inspiration qu'elles présentent avec celles des inscriptions gravéessur les trois colonnes

(stèles)ou

plaquesen marbre

(dela fin du

IVe siècle av. J.-C), qui ont été retrouvées pendant les fouilles d'Epi-daure vers la fin du siècle dernier : on y remarque les noms de 70 malades,la désignation de leur maladie, le traitement prescrit et ses effets.

L'archéologue Cavadias n'est arrivé à découvrir que de petits fragments

appartenant à trois autres plaques, dont l'existence avait été attestée

par Pausanias qui visita l'enceinte sacrée autour de l'année 165 de notre

ère. Cet auteur et bien d'autres, qui l'ont précédé ou suivi, nous ont

laissé de nombreux détails significatifs au sujet de la préparation à

laquelle devaient se soumettre les fidèles.Celui qui vient consulter s'est précédemment imposé une diète

sévère de plusieurs jours. Lorsqu'on lit cette prescription on est tenté

de la croire instituée par des gens habiles, qui comptaient sur la légèreobnubilation, provoquée par une sous-alimentation prolongée, pour

transporter l'âme jusqu'où l'imaginaire se confond avec le réel (I).Ainsi préparé par le jeûne, le néophyte était ensuite promené dans

les couloirs et les allées par les prêtres, qui lui expliquaient avec force

détails les miracles déjà opérés par le Dieu et la signification des inscrip-tions votives ; certains auteurs ajoutent avec malice que l'on n'omettait

point de citer au malade les cas heureusement traités, qui avaient

quelque rapport avec l'affection dont il souffrait. Ajoutons que la

nouvelle du succès d'une cure se répandait, multipliée dans cette

atmosphère d'attente angoissée et d'espoir.Il fallait ensuite se purifier et, se rendant à la source sacrée ou à la

mer, pratiquer des ablutions. Soit dit, en passant, et si l'on tient comptede la densité des foules accourues en

pèlerinage,surtout à

Epidaure,ces soins d'hygiène corporelle, édictés sous couleur de rite religieux,constituaient une excellente prévention des épidémies.

En outre on évitait avec grand soin aux fidèles le spectacle de

scènes par trop pénibles, en ne laissant s'approcher du saint lieu, ni

les femmes sur le point d'enfanter, ni les moribonds, ni ceux auxquelsun mal trop cruel arrachait des plaintes continuelles ou des cris violents.

Ajoutons qu'une inscription figurant sur le fronton d'un temple

(I) Après la communication, le Dr Valeriu Bologa, professeur d'histoire de la Médecine àl'Université de Cluj (Roumanie), a eu l'amabilité de nous indiquer que la question des troubles

psychiques de l'inanition est traitée avec ampleur dans le livre du Dr Buchinger, Über das Heil-fasten, Hippocrates Verlag, Stuttgart.

De notre côté nous avons publié une étude intitulée : La maladie oedémateuse (de la faim)et le diencéphalé. Interprétation pathogénique proposée, Nea Iatriki Ephimeris, 14 sept.,Ier et 15 oct. 1943.

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302 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE

d'Esculape (d'après Porphyrios), disait : « L'entrée de ces lieux n'est

permise qu'aux âmes pures » parce que, aux yeux des anciens, ce n'étaitpas seulement dans son corps que l'homme malade était atteint,« souillé ».

Ensuite les patients devaient se soumettre à des fumigations diverses,

qui provoquaient un état de torpeur ou de demi-sommeil propice à l'appa-rition de rêves. Ceux-ci, aussi bien que les rêves spontanés comme

nous le verrons plus loin, étaient rapportés aux prêtres, qui les

interprétaient.Ici nous devons invoquer, de l'avis de E. R. Dodds, ce que Freud

appelle « élaboration secondaire, qui enlève au rêve son apparenced'absurdité et d'incohérence (qu'il possède avant qu'il soit raconté à

une tierce personne), et finit par en faire une sorte d'événement

compréhensible ».

A part cela, ajoute Dodds, nous devons prendre en considération

dans le cas particulier, une élaboration tertiaire des rêves des suppliants

d'Esculape, à laquelle contribuaient leurs frères en souffrance, davantage

peut-être que les prêtres eux-mêmes (I).

Il est à noter que dans le demi-sommeil les prêtres pratiquaientaussi une sorte de suggestion. Jamblique (fin du IIIe siècle apr. J.-C.)écrit en effet : « Lorsque les songes envoyés par le Dieu sont dissipés,nous entendons une voix entrecoupée qui nous apprend ce que nous

devons faire. Souvent cette voix frappe nos oreilles dans un état inter-

médiaire entre le sommeil et la veille. »

Les distractions et les jeux de toutes sortes, pareils à ceux de nos

stations thermales contemporaines, ainsi que l'action apaisante de la

musiqueet la relaxation

psychiquedes

fêtes dionysiaquesse

joignaient

(I) Certains auteurs attribuant abusivement à la « psychanalyse " l'étendue que comportele sens étymologique du terme (analyse, toute espèce d'analyse de l'âme), se croient autorisésà avancer que, dans lés temples d'Esculape, on « psychanalysait » les malades. Rien de plusinexact. La. méthode que Freud a inventée est originale et sans précédent dans l'histoire de

l'esprit humain. C'est que personne avant lui n'avait même entrevu, les idées latentesderrière le contenu manifeste des rêves — notion fondamentale pour leur interprétationcorrecte — sans parler de l'analyse des résistances, requise eu pratique psychanalytique freu-

dienne (la méthode de Jung les néglige) et de la vraie nature de l'inconscient, ainsi que del'établissement du transfert et de la nécessité pour le psychanalyste de se soumettre lui-mêmeà une psychanalyse didactique (training analysis) préalable.

Les mêmesremarques

concernent aussi le cas du devinpré-homérique Mélampous qui

a

guéri l'impuissance psychogène d'Iphiclos par un procédé psycho-cathartique à la manière deBreuer (C. Kouretas) ainsi que le cas de l'orateur d'Athènes (ou du sophiste) Antiphon (né vers

480 av. J.-C.) qui, d'après Plutarque, « au temps où il s'adonnait à la poésie, institua un artde guérir les chagrins, analogue à celui que les médecins appliquent aux maladies : à Corinthe,près de l'Agora, il disposa d'un local avec enseigne où i l se faisait fort de traiter la douleurmorale au moyen de discours ; il s'enquérait des causes du chagrin et consolait ses malades.Mais trouvant ce métier indigne de lui, il se tourna vers la rhétorique ».

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ASPECTS MODERNES DES CURES PSYCHOTHERAPIQUES 303

à l'influence purificatrice, psycho-cathartique du spectacle théâtral,

quenous devons aussi

compterdans l'arsenal

thérapeutique,dont

disposaient les prêtres d'Esculape : le spectateur du drame antiqueen effet, qui a toute liberté pour s'identifier à un personnage (l'usagedu masque facilite cette identification), pourra commodément éprouverdes réactions d'exaltation ou de détente... On lui propose par ailleurs

des situations très « tendues » et il n'est qu'à évoquer l'emprunt fait

par la psychanalyse aux drames et à la mythologie antique pour nommerses complexes (J. Pélicier-Olivier). C'est ainsi que l'ébranlement del'âme par l'angoissé et les sentiments de peur créés par la tragédieantique constituaient une importante partie « propédeutique » (Kielholz)de l'action thérapeutique.

L'incubation proprement dite avait heu dans l'Abaton, le dortoir

sacré où les malades — gardant un silence absolu — passaient la nuitet dormaient au pied de la statue d'Esculape pendant un temps variantentre vingt-quatre heures et quelques jours. La 64e inscription relatée

par Herzog concerne un certain Démosthène atteint de paraplégie :celui-ci fut amené sur un brancard et, pendant le sommeil dans le

FIG. 2. — Relief votif provenant de Chalcidique (Grèce du Nord). Le serpentsacré est reconnu par le malade (atteint probablement de paraplégie et levantla main droite en signe de supplication), alors que les deux jeunes gens sont prêts àl'attaquer avec des pierres. A noter que déjà le membre inférieur droit ébauche

un mouvement d'élévation (Musée de Copenhague).

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304 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE

temple, il a eu une vision. Le Dieu lui ordonna d'y séjourner pendant

quatremois. Ceci

fait,il

partit guéri.Il

s'agissait probablementde

paraplégie hystérique ou mieux psycho-génétique.Sans qu'il y ait des preuves péremptoires, certains auteurs pré-

tendent que le sommeil dans le temple était favorisé par l'administrationde drogues, tels que la mandragore, dont la racine contient une petitequantité d'hyoscine et de scopolamine (I).

Qu'arrivait-il plus exactement au patient durant la nuit, ou les nuits,

qu'il passait dans l'Abaton ? Ellenberger, se rapportant à Werner

Leibbrand, fait la distinction — étayée sur les auteurs anciens — entre

apparitions, oracles, visions et rêves proprement dits :Pendant l' apparition, le suppliant, encore éveillé (?), voit la figure

du dieu, le plus souvent d'Esculape, soit silencieux, soit lui adressantun message ; dans d'autres cas il entend des voix, sent un souffle d'airou voit une lumière aveuglante.

L'oracle était un rêve au cours duquel le dieu disait au consultantce qu'il devait faire. On suppose que le dieu était vu dans la demi-obscurité de l'Abaton sous la forme du grand prêtre habillé en dieu

et accompagné du chien et des serpents sacrés et éventuellement deses filles Hygie, Jaso et Panacée (représentées par les prêtresses).

La vision était un rêve, prédisant ce qui arriverait au patient bientôt.Le rêve proprement dit était de nature spéciale et constituait en

lui-même la cure. Ce n'était pas un rêve qu'il aurait fallu interpréter.Le patient rêvait et du même coup la maladie disparaissait. Il s'agiraitd'une espèce de psychothérapie qui n'a rien d'équivalent à notre époqueet mérite qu'on y porte plus d'attention. D'après Kieser, élève deMesmer « là où le sentiment intime de la maladie se concrétise et

s'exprime en symboles, la guérison peut survenir ». Un phénomènesimilaire est celui que Victor von Weizsäcker nomme Logophanie :il s'agit d'une représentation mentale, provenant directement d'unétat corporel. Comme exemple cet auteur mentionne le roman de

(I) Les historiens de la médecine (Neubürger, Castiglioni, etc.), admettent, au sujet dufonctionnement du temple d'Esculape en particulier, une première période (VIe et Ve siècles)d'interventions directe et personnelle du prêtre, apparaissant de nuit sous la forme de Dieuen compagnie des prêtresses (et vraisemblablement aidé par les Asclépiades, les descendants

d'Esculape, alors intimement liés avec la corporation sacerdotale), pour se livrer à de véritablessoins médicaux (bandages, frictions, réductions d'entorses, administrations de drogues, ordon-nances données oralement), que le malade — en état de demi-sommeil — prenait pour des rêvespurs et simples. A une époque ultérieure le Dieu se bornait — sans intervention manuelleaucune — à donner des conseils ou prescriptions au malade ou même à son représentant (quirêvait pour lui et dont les prêtres interprétaient les rêves comme ceux des consultants venusen personne), tantôt clairement, tantôt sous forme symbolique. Les Asclépiades à cette époque,ayant quitté le temple... et le mysticisme, sont devenus des médecins indépendants.

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ASPECTS MODERNES DES CURES PSYCHOTHERAPIQUES 305

Jean-Paul Sartre La nausée : le héros souffre d'un invincible dégoût

de la vie, de ses camarades et de sa femme. Finalement il se décide àécrire un livre sur ce sujet et la nausée disparaît tout à coup. Weizsäckar

y perçoit une nouvelle philosophie de l'existence, qui, comme parhasard, ressemble d'une façon frappante à celle que Sartre a énoncée

quelques années plus tard. Nous voyons qu'un état somatique, une

maladie, peut se transformer en un système de pensées. Pareillementle suppliant d'Esculape, couché dans sa cliné, son lit dans l'Abaton du

Temple,avait la révélation d'une soudaine

métamorphosede

sa maladieen rêve.

Laissant de côté ces vues spéculatives, qu'il nous soit permis à

présent de citer quelques passages significatifs, tirés d'une étudePSYCHANALYSE

FIG. 3. — Relief votif d'Archinos (d'après l'inscription) dédié à Amphiaraos,demi-Dieu guérisseur à Oropos (Attique). Le malade rêve qu'Amphiaraoss'occupe à le soigner (à gauche), alors que le serpent sacré est en train de lécherla région malade (plaie atone ou suppuration chronique ?). A droite, le maladeguéri et reconnaissant (Musée d'Athènes).

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306 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE

clinique publiée à Paris en 1958 par le Dr Henri Faure, sous le titre :

Cure de sommeil collective et psychothérapie de groupe. Ces passages,mis en parallèle avec ce que les auteurs anciens et les inscriptions

d'Epidaure nous ont appris relativement à ce qui s'y passait, nous per-mettent de constater maintes similitudes :

« Nous décrirons ici (chap. II), nous dit le Dr Faure, « l'appartementdu « sommeil » construit et mis en fonctionnement dans le cadre du

Service du Dr Henri Ey, à l'hôpital psychiatrique de Bonneval, dans

lequel chaque mois s'embarquent pour une « croisière de sommeil »

6 à 7 malades qui vivront ensemble les péripéties d'une cure d'une

durée de trois semaines.« Les caractéristiques du bloc-sommeil ont été conçues... de façon

à dépayser totalement et d'emblée le malade... L'ensemble est organiséde telle sorte qu'il constitue un endroit « d'irréalité ».

«... Les malades sont immergés dès le début de leur cure dans une

sorte de « paradis artificiel » qui, sans être luxueux, exerce cependanttrès vite sur les arrivants une emprise envoûtante. A la porte de la salle

du sommeil on lit une inscription : « Ici l'on dort. » La consigne prin-

cipale y est le silence... Une installation électrophonique permetl'émission dans le bloc-sommeil de stimulations musicales par disqueset bandes sonores. Elle permet par ailleurs la réception à distance des

rêves, etc. »

Epidaure avait des quantités de filiales en plus de celle d'Athènes

où Aristophane a placé une des scènes de Ploutos citée au début.

L'Asklépieionde

Pergameen Asie

mineure,mérite une mention

spéciale:

le patient y devait parcourir seul, dans l'ombre, un long tunnel percéd'ouvertures. Devant chacune d'elles, il devait raconter ses rêves, poserdes questions, et une voix mystérieuse, à la source invisible, lui donnait

l'interprétation des rêves et répondait aux questions. Le tunnel de

Pergame, affirment les Drs Eck et Déreux, avait précédé le divan deFreud et la voix mystérieuse n'évoque-t-elle pas l'invisible présencedu psychanalyste derrière son patient (I).

Je ne puis terminer sans vous parler de l'oracle de Trophonios,

si intéressant par les procédés tout à fait particuliers de pression psycho-logique que l'on y exerçait et qui avaient pour résultat de provoquer

(I) Les prémices en sont essentiellement différentes, ainsi qu'il a été noté auparavant ;d'autre part, le simple rapprochement proposé par ces auteurs n'enlève rien à la validité des

réserves, concernant toute, soi-disant psychanalyse pré-freudienne.

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ASPECTS MODERNES DES CURES PSYCHOTHÉRAPIQUES 307

une véritable transformation, une espèce de désintégration de la per-

sonnalité, de sorte que la comparaison que nous proposons avec cequ'il est convenu d'appeler de nos jours lavage du cerveau, nous paraîtpleinement justifiée. Dans la même catégorie de faits doivent rentreraussi les « aveux » surprenants des sorcières du Moyen Age.

Sur l'oracle de Trophonios — qui plus fréquemment que les autresétait consulté par des malades mentaux et par des névrosés — noussommes suffisamment renseignés par Plutarque (dans Le démon de

Socrate) et par Pausanias (IX, 39), qui avoue en avoir une expérience

personnelle.Le

consultant, après avoir accompli les formalités rituelles(sacrifices, ablutions, onctions, diète), était conduit par les prêtres auxsources de l'oubli (Léthé) et de la Mémoire (Mnémosyne), dont ildevait boire l'eau, à la fois pour oublier ses tourments et tout ce qui le

préoccupait auparavant et se souvenir de tout ce qu'il allait voir, entendreet sentir dans la grotte. Pour l'y conduire on le revêtait d'une tuniquede lin et on l'enserrait de bandelettes : il était pareil à un enfant au

maillot. Il descendait alors par une échelle jusqu'au niveau d'une étroite

ouverture latérale, dans laquelle il engageait ses jambes jusqu'auxgenoux, tout en tenant dans chaque main un gâteau de miel, qu'il devaitoffrir aux serpents sacrés, pour s'en assurer la faveur. A peine ses piedsavaient-ils pénétré dans l'antre — qui est comparé par Pausanias à unfour — que le reste du corps était aussitôt entraîné par une sorte d'attrac-tion comparable à celle d'un tourbillon formé par le plus violent et le

plus rapide des fleuves. Plutarque rapporte la vision d'un certain.

Timarque, contemporain de Platon : « Quand je fus descendu dans

l'antre, dit-il, je me trouvai d'abord entouré d'épaisses ténèbres. Je

fis une prière et restai longtemps couché sur le sol. Je ne me rendaispas bien compte si j'étais éveillé ou si je faisais un songe. Seulementil me sembla qu'à la suite d'un bruit qui éclatait, je recevais un coupsur la tête et que les sutures de mon crâne étant disjointes, laissaient

passage à mon âme... » Suit une longue narration de ses visions, quiont duré deux jours et deux nuits.

D'autres fois, le séjour à l'intérieur de l'antre de Trophonios était

plus long, le suppliant étant retenu malgré lui, pour ainsi dire « empri-sonné »

(C.A.

Meier), parles

prêtreset soumis à une diète très sévère.

Lorsque enfin il avait vu ou entendu l'oracle (Pausanias s'abstient de

donner des détails sur ce point), et qu'un speaker invisible lui avait

révélé l'avenir (le pronostic et l'issue de sa maladie ?), il devait procéderlui-même à son expulsion hors de la grotte, c'est-à-dire remonter à

travers le même trou les pieds en avant (en haut !).

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308 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE

Une fois remonté, il était porté tout étourdi encore, par les prêtres

sur le siège de la Mnémosyne et pressé de questions par eux pourraconter en détail tout ce qu'il a vu, entendu et ressenti dans l'antreet qui devait être terrible. On le remettait ensuite à ses parents ou amis,

profondément abasourdi et tremblant de tout son corps. Ceux-ci le

portaient dans la chapelle du Bon Génie et de la Bonne Fortune, où il

avait séjourné en arrivant. Peu à peu il se remettait de ses émotions et

la raison lui revenait petit à petit. Le vieil homme était mort, un hommenouveau venait de naître. Cette commotion nerveuse laissait en généralderrière elle une sorte de

dépression psychique qui l'empêchaitd'éprouver des sentiments joyeux et le rendait morne et renfrogné

pour le reste de sa vie.

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

[I] ARISTOPHANE, Ploutos, édit. « Belles-Lettres », Paris, 1954 (v. 647-758). — Nuées (v. 508).

[2] JAMBLIQUE, De Myst. Egypt., III.[3] PAUSANIAS, Description of Greece, Translated with Commentary by

S. C. FRAZER, 6 vol., London, 1913 (General Index, vol. V, Loeb. classical

Library.[4] PLUTARQUE, De génio Socrat., 590, 21-22.

[5] PORPHYRIOS, De abstinentia, II, 19.[6] BUCHSENSCHUTZ, Traum und Traumdeutung, Berlin, Calvary, 1958.[7] CASTIGLIONI (A.), Histoire de la médecine, Payot, Paris, 1931, p. 110.

[8] DAREMBERG, Revue archéologique, 1859, XIX, p. 252.[9] DIEL (P.), La symbolisme dans la mythologie grecque, Paris, Payot, p. 216-231.

[10] DODDS (E. R.), The Greeks and the irrational, Univ. of California Press,

Berkeley and Los Angeles, 1956, p. 114.[II] ECK (M.) et DEREUX (J.-F.), L'utilisation des données analytiques en psycho-

thérapie courante, rapport au LVIIIe Congrés de Psychiatrie et de Neuro-

logie de Langue française, Masson, Paris, 1960, p. 4.[12] EDELSTEIN, Emma and Ludwig Asclepius, Baltimore, The Johns Hopkins

Press, 1945, vol. II, p. 139-180.[13] ELLENBERGER (H.), The ancestry of dynamic Psychiatry, Bulletin of the

Menning Clinic, nov. 1956, p. 288, Topeka, Kansas.

[14] FAURE (H.), Cure de sommeil collective et psychothérapie de groupe, Paris,Masson, 1958, p. 27-28.

[15] FREUD (S.), La science des rêves, Alcan, Paris, p. 365.

[16] HERZOG (R.), Die Wunderheilungen von Epidauros, Leipzig, Dieterich'scheVerlagsbuchhandlung, 1931 (Philologus supplementband XXII, Heft III,s. 32).

[17] KAVADIAS (P.), Le temple d'Esculape en Epidaure, Athènes, 1900 (en grec). — Fouilles d'Epidaure, Athènes, Vlastos, 1891 (en français).

[18] KIELHOLZ (A.), Rätzel der Wunderheilung, Imago Internationaler Psychoa-nalytischer, Verlag, Wien, 1934, XX, s. 173.

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7/29/2019 Aspects modernes des cures psychothérapiques pratiquées dans les sanctuaires de la Grèce Antique

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[19] KOURETAS (D.), Caractères anormaux dans la tragédie grecque antique,Athènes, Ire éd., 1930 ; 2e, 1951.

 — Les émotions envisagées comme point de départ de la croyance desanciens Grecs sur le siège viscéral de l'âme, Elliniki Iatriki, janv. 1935.

 — Le cas mythologique de l'impuissance psychogène d'Iphiclos et le trai-tement cathartique appliqué par Mélampous (avec G. TSOUCANTAS). — Ellini i Iatriki, 1935 (résumé en français dans le Bulletin d'Activités del'Association des Psychanalystes de Belgique, n° 25). — La légende d'OEdipe d'après Sophocle et son interprétation par Freud,comm. à la Société hellénique d'Histoire de la Médecine, séance du12 mai 1960.

 — Trois cas de nécrophilie dans l' Antiquité, communication au LVIe Congrèsde Psychiatrie et de Neurologie de France, Masson, 1958.

[20] LEIBBRAND (W.), Heilkunde, Eine Problemgeschichte der Medizin, München,K. Alber, 1953, 9-11.

[21] LÉVI-STRAUSS (Cl), Anthropologie structurale,Paris, Plon, 1958, p. 183-266.[22] LORAS (O.), La psychanalyse extensive, Payot, Paris, 1957.[23] MEIER (C. A.), Antike Inkubation und moderne Psychotherapie, Rascher,

Zurich, s. 101.

[24] NEUBÜRGER (M.), Geschichte der Medizin, I, Band, Stuttgart, F. Enke,1906, s. 141.

[25] PELICIER-OLIVIER (I.), Contribution à l'étude de la médecine psycho-soma-tique, thèse d'Alger, dactylographiée, s.d.

[26] ROSCHER (W. H.), Ausführliches Lexikon der Griechischen und Römischen

Mythologie, Teubner Leipzig, 1884-1937.[27] SPRENGEL (K.), Versuch einer pragmatischen Geschichte der Heilkunde,

1, 5, 18, 194, 221, Halle 1821.

[28] WEIZSÄCKER (V.), Der kranke Mensch, Stuttgart, K. F. Koelet, 1951,s. 322-327. — Der Widerstand bel der Behandlung von Organkranken u.s.w. Psyche,2, 481-498, 1949-

[29] WIEGAND, Ausgrabungen in Pergamon, Berlin, 1932, W. de Gruyters.