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Guide pratique d’accompagnement à la création d’entreprises Trajectoire SPORT Trajectoire SPORT NATURE Trajectoire CULTURE 96 on parcours Quand on l’observe sur scène, affublé de son gros nez rouge, la première chose qui vient à l’esprit, ça n’est pas de s’in- terroger sur les compétences qu’il lui faut déployer pour gérer une compa- gnie de la renommée des « Matapeste ». Il faut une rencontre, pour que sa voix d’artiste dise, avec force et conviction, qui il est et ce qu’il a choisi de devenir il y a plus de trente ans aujourd’hui. Hugues Roche est né à Sétif dans une famille dont la branche paternelle est installée en Algérie depuis trois généra- tions. C’est à l’âge de 7 ans, après l’indé- pendance de la Tunisie où son père est magistrat, que sa famille vient s’installer à Argenton-sur-Creuse dans l’Indre. Le bac en poche, l’envie de faire l’artiste va rapidement se heurter au désir paternel d’avoir un fils qui prenne sa succession... Il s’inscrit donc en fac et obtient une maîtrise de droit public. Son diplôme en poche, il a « un vague désir de faire autre chose ». Mais comme il n’a pas de projet parti- culier, il devient chauffeur-livreur, puis veilleur de nuit, jusqu’au jour où une amie l’invite à participer à l’atelier théâ- tre d’une Maison pour tous de quartier à Niort, et « là, c’est la révélation : je sais d’emblée ce que je veux faire ». Il a 26 ans. Avant de devenir comédien, il doit trouver un emploi qui lui permette de pratiquer son art. Il est imprimeur offset, puis animateur socioculturel employé par la ville de Niort. On est dans ARTISTE ET PATRON… POUR êTRE CITOYEN DU MONDE Voilà plus de trente ans qu’il est sur les planches à faire le clown, pour faire rire, mais aussi pour amener son public à sourire de la condition humaine. Vivre de son art, c’est le moyen qu’il a choisi pour vivre pleinement sa citoyenneté. Dans la profession, ses choix sont connus. Ce qui l’est moins, c’est qu’il gère sa compagnie depuis le début comme une entreprise. Parcours d’un artiste qui ne mâche pas ses mots pour dire qui il est. s Les Matapeste   « J’ai fait du droit la mort dans l’âme parce que je n’étais pas capable de m’opposer. » Francis Hugues ROCHE Guide Print ok.indd 96 20/01/12 20:00

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on parcours

Quand on l’observe sur scène, affublé de son gros nez rouge, la première chose qui vient à l’esprit, ça n’est pas de s’in-terroger sur les compétences qu’il lui faut déployer pour gérer une compa-gnie de la renommée des « Matapeste ». Il faut une rencontre, pour que sa voix d’artiste dise, avec force et conviction, qui il est et ce qu’il a choisi de devenir il y a plus de trente ans aujourd’hui.

Hugues Roche est né à Sétif dans une famille dont la branche paternelle est installée en Algérie depuis trois généra-tions. C’est à l’âge de 7 ans, après l’indé-pendance de la Tunisie où son père est magistrat, que sa famille vient s’installer à Argenton-sur-Creuse dans l’Indre. Le bac en poche, l’envie de faire

l’artiste va rapidement se heurter au désir paternel d’avoir un fils qui prenne sa succession...

Il s’inscrit donc en fac et obtient une maîtrise de droit public. Son diplôme en poche, il a « un vague désir de faire autre chose ». Mais comme il n’a pas de projet parti-culier, il devient chauffeur-livreur, puis veilleur de nuit, jusqu’au jour où une amie l’invite à participer à l’atelier théâ-tre d’une Maison pour tous de quartier à Niort, et « là, c’est la révélation : je sais d’emblée ce que je veux faire ».Il a 26 ans. Avant de devenir comédien, il doit trouver un emploi qui lui permette de pratiquer son art. Il est imprimeur offset, puis animateur socioculturel employé par la ville de Niort. On est dans

ARTISTE ET PATROn…POUR êTRE cITOyEn DU MOnDE

Voilà plus de trente ans qu’il est sur les planches à faire le clown, pour faire rire, mais aussi pour amener son public à sourire de la condition humaine. Vivre de son art, c’est le moyen qu’il a choisi pour vivre pleinement sa citoyenneté. Dans la profession, ses choix sont connus. Ce qui l’est moins, c’est qu’il gère sa compagnie depuis le début comme une entreprise. Parcours d’un artiste qui ne mâche pas ses mots pour dire qui il est.

s

Les Matapeste  

« J’ai fait du droit la mort dans l’âme parce que je n’étais pas capable de m’opposer. »

FrancisHugues ROCHE

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les années 1970, il est fonctionnaire et passe un DEFA en formation continue.

Avec un ami de la troupe, il décide de faire un stage de clown dans le

nord de la France. Deuxième révélation, car à cette époque, « le clown commen-ce à sortir du music-hall et du cirque ». Les choses s’accélèrent et, en deux ans, les clowns amateurs créent une asso-ciation, La Petite Compagnie, puis déci-dent, pour trois d’entre eux, de passer professionnels. On est en 1980. Hugues demande un premier congé sans solde qu’il renouvellera avant de se lancer définitivement dans ce métier.

Comme une autre troupe porte le nom de « Petite Compagnie », ils renomment la leur La petite compagnie Matapeste et enfin Les Matapeste, à l’instar des familles traditionnelles de clowns. Au début, ils proposent aussi du théâtre et de la marionnette mais, dès le départ, « le clown, ça marche. On fait les arbres de Noël, les parents d’élèves et les cen-tres de loisirs ». Progressivement, ils commencent à investir les théâtres de la région. Il faut dire que dans les années 1980, « c’est encore un art considéré comme lié au cirque et aux enfants, avec une connotation populaire péjo-rative dans le monde de la culture. Peu importe, nous sommes clowns de cir-que, d’arbres de Noël, d’écoles, de rue ou de théâtre, nous jouons pour tous les âges, tous les milieux et dans toutes

sortes de lieux, nous commen-çons à en vivre et ce n’est que du bonheur… »

Dès le départ, la gestion et la compta-bilité c’est lui et le commercial c’est Francis.

Francis Lebarbier, son associé, a aujourd’hui 53 ans. Issu d’un milieu ouvrier, il a découvert sa vocation très jeune. C’est en effet à l’âge de 11 ans qu’il commence le théâtre à l’école. Pour son entourage, Francis « c’est le comi-que de service ». Il joue dans des troupes amateurs et se prend lui aussi de pas-sion pour le clown. Quand Hugues quitte son emploi d’imprimeur, il le propose à Francis. Et quand l’idée de monter une compagnie professionnelle se précise, ce dernier décide lui aussi de partir dans l’aventure. Depuis les deux compères ne se sont jamais quittés, ni sur scène ni derrière les rideaux. Il faut dire que leur complicité d’artistes se complète d’une même vision de leur entreprise et les amène, depuis le départ, à se répartir les tâches pour assurer son développement.

Francis a un sens commercial inné qui l’amène spontanément à déployer des aptitudes qu’il ignorait jusque-là. Quant à Hugues, il révèle rapidement ses talents de gestionnaire et monte les premiers dossiers de demande de subvention.

L’étape majeure, ils décident de la franchir ene m b a u c h a n t une première administratrice, puis une char-gée de diffusion. « On préférait se payer moins qu’elles, mais on sentait que c’était indis-pensable. »Aujourd’hui encore, ils supervisent et contrôlent ensemble la gestion, la diffusion et la croissance de leur compa- gnie, même s’ils ont fait le choix d’embaucher des personnes compéten-

« C’est grâce au DEFA que j’ai découvert

le plaisir de manipuler les chiffres »

« Cette compétence de gestionnaire, il faut l’avoir dans l’entreprise. Mais je cumulais les deux… Pour dévelop-per mes compétences d’artiste, de clown ou de metteur en scène, il a fallu que je délègue et j’ai eu du mal. Francis aussi pour la vente… »

« Notre compagnie, on l’a tout de suite envisa-gée comme une entre-

prise. Dès le départ, on s’organise à deux. »

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tes pour assurer la communication et l’administration des Matapeste.

C’est dans la construction du duo gestion-naire et artiste qu’il a forgé son t e m p é r a m e n t de chef d’entre- prise, comme

Francis l’a fait avec la diffusion.« L’artiste veut souvent tout gérer sans penser aux moyens. Le gestionnaire lui se paie la réalité économique de l’entreprise mais aussi celle de l’em-ployeur. L’aller-retour, l’entente entre artiste et gestionnaire est primordiale. »

En 2006, le projet de coopérative (SCOP) voit le jour. Dès 1986, « on découvre ce statut parce que l’État encourage la créa-tion de SCOP, mais on y renonce parce que certaines collectivités nous disent qu’elles mettront fin aux subventions ».Nouvel essai en 1993, mêmes réponses négatives. Il faudra attendre 2004 avec des assurances de la part des institu-tions et l’appui de l’Union régionale des SCOP, pour que Les Matapeste changent enfin de statut juridique. Finie l’associa-tion « avec son statut bancal, les copains de bonne volonté qui ne peuvent s’in-vestir comme les professionnels et les dysfonctionnements dans la gestion humaine ». Enfin le pouvoir réel est

devenu offi-ciel. Francis et Hugues sont les deux premiers associés, rejoints rapidement par l’ancien prési-dent de l’asso-ciation et, depuis peu, par d’autres salariés.

SCOP - SARL, les voilà patrons !« Pourtant, on le dit souvent à nos collè-gues, mi-provoc, mi-boutade, mais avec un fond de sérieux : on préférerait être clowns fonctionnaires ! Faire de l’argent, on s’en fiche, on exercerait notre métier mieux et avec autant de passion ! Mais tant que l’entreprise est pour la majorité d’entre nous le seul moyen d’exercer notre métier… » Et cela marche plu-tôt bien pour eux, au national comme à l’international (plus de 40 pays visités), avec actuellement 6 salariés perma-nents qui composent l’entreprise à leurs côtés. Il faut dire qu’ils n’ont pas hésité à organiser tous les deux ans un festival international de clowns (« Le Très Grand Conseil Mondial des Clowns ») qui leur permet de stabiliser une équipe étoffée à l’année.

Depuis toujours les deux associés sont particulièrement engagés dans l’action collective.« L’aspect collectif pour nous, c’est très important. » C’est dans le syndi-cat SYCAR-SYNAVI Poitou-Charentes qu’Hugues mène le combat : celui de la mutualisation et de la transmission. Pour lui, c’est sûr, la profession doit s’organi-ser pour être en mesure de proposer des accompagnements adaptés aux artistes, de l’orientation sur le métier à la for-mation continue. Pour être aussi force de proposition face aux pou-voirs publics « afin de chan-ger les règles du jeu ». Alors il pourra contribuer à mettre en place des solutions pour que les artistes, jeunes et moins jeunes, « ne soient pas obligés de faire les chefs d’entreprise sans en avoir les moyens », mais puissent se former pour le devenir s’ils le souhaitent.

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« C’est rare dans notre milieu, mais j’aime ça, la compta, la gestion. Je crois que cela m’a

permis de compenser l’insécurité liée à

l’artistique. »

« On a voulu que le pouvoir dans notre

entreprise se traduise par la reconnaissance

officielle de ceux qui l’exercent.

Dans la SCOP, on est les dirigeants de

l’entreprise et des salariés et non des faux

vrais patrons. Enfin,tout est devenu clair. »

« Ce qui est important, c’est le rôle qu’on joue dans la société, qu’on soit artiste ou pas ! »

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es points forts

n Une solide formation juridique et un goût pour la gestion.

n Une association de talents et de com-pétences complémentaires. La gestion pour l’un et le commercial pour l’autre.

n Une vision d’entrepreneur.

n « On a été bien entourés de copains qui venaient du monde de l’entreprise. »

n Un choix juridique conforme aux enga-gements personnels des deux associés.

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Code NAF 9001Z

Convention collective Entreprises du Spectacle

Date de création 12-12-1978

Investissement 500 F la première année ! 1 000 F la deuxième

Forme juridique Association loi 1901, puis société coopérative ouvrière de production depuis 2006.

Chiffre d’affaires Budget 2007 = 472 176 €, 2008 = 335 010 €, 2009 = 598 021 €

Progression du CA Hors subventions : CA 2007 = 199 413 €, CA 2008 = 101 606 €, CA 2009 = 138 708 €

Personnel 18 dont 6 permanents. Années du festival : 46 dont 6 permanents.

Activités

1- Production de spectacles de clowns tous publics ou pour adultes (actuellement 4 spectacles).2- Coproduction et cocréations de spectacles avec des clowns étran-gers (actuellement russes, vietnamiens, mexicains et malgaches).3- Formations pour comédiens et clowns professionnels.4- Action culturelle auprès de structures de l’éducation et du social.5- Formation pour comédiens amateurs.6- Organisation d’un festival international de clowns « Le Très Grand Conseil Mondial des Clowns » et 15 jours de festival.7- Gestion d’un lieu municipal-salle de spectacle, « Le patronage laïque », à destination de 35 groupes amateurs et professionnels.

Coordonnées n www.clownsmatapeste.com

Portrait de l’entreprise

La prise de risque est inhérente au métier.

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