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Mr Philippe Roger Barthes dans les années Marx In: Communications, 63, 1996. pp. 39-65. Citer ce document / Cite this document : Roger Philippe. Barthes dans les années Marx. In: Communications, 63, 1996. pp. 39-65. doi : 10.3406/comm.1996.1955 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1996_num_63_1_1955

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Mr Philippe Roger

Barthes dans les années MarxIn: Communications, 63, 1996. pp. 39-65.

Citer ce document / Cite this document :

Roger Philippe. Barthes dans les années Marx. In: Communications, 63, 1996. pp. 39-65.

doi : 10.3406/comm.1996.1955

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1996_num_63_1_1955

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Philippe Roger

Barthes dans les années Marx

« Dans une situation historique donnée - de pessimisme et de rejet —, c'est toute la classe intellectuelle qui, si elle ne milite pas, est virtuellement

dandy1. » La situation paraît familière. La phrase a pourtant vingt ans. Ce qui étonne, c'est de la trouver, en 1975, glissée dans Roland Barthes par Roland Barthes. Coup de pistolet dans le concert égotiste ? Elle y détonne par sa frappe : non plus le « binarisme » euphorique revendiqué par le livre comme le creuset des antithèses productives ; mais bien plutôt le vieux dilemme, classique, intraitable, essentiellement tragique. Militant ou dandy, sans appel ni troisième voie ? En plein « livre des déplacements », l'alternative paraît sévère. Ou le constat bien déterministe ? Car ce qui surprend aussi, c'est le tour collectif donné à la formule ; le dilemme, d'ordinaire, est affaire privée. Barthes joue-t-il au sociologue - qu'il fut à sa manière et par intermittences ? On peut en douter et le soupçonner de ne convoquer ici « toute la classe intellectuelle » que pour parler de lui. Derrière le pseudo-constat ou le feint ultimatum, se devine alors la silhouette pensive du sujet penché sur son passé. Ce qui pouvait passer pour une injonction terroriste ou pour une thèse historico- sociologique prend la valeur d'un aveu et la couleur d'une nostalgie. Aveu trop compromettant pour être fait à la première personne ou même à la troisième (qui est celle du « moi » dans Roland Barthes par Roland Barthes) . Nostalgie trop poignante pour être dite sans poisse.

Donc il était une fois un Barthes qui pouvait conjoindre dans une même jubilation élans esthétiques et emportements militants. Ce temps d'avant le dilemme, où le geste politique allait de soi et de pair avec l'écriture, appelons-le ses « années-Marx », qui sont aussi ses années -théâtre. (Plus avant et presque au terme de Roland Barthes par Roland Barthes, cet autre aveu : « Au carrefour de toute l'œuvre, peut-être le Théâtre 2. » )

C'est ce bonheur semble-t-il inavouable qu'on voudrait évoquer. Il ne sera donc pas question ici de pister d'éventuelles « influences » sur Barthes

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de Marx ou du marxisme. Encore moins de refondre telles propositions éparses en un autre Pour Marx, barthésien et posthume. Ce qui nous retiendra, c'est l'usage très personnel et singulièrement heureux que Barthes sut faire du marxisme. Rien de moins adéquat, dans son cas, que la métaphore toujours un peu masochiste du compagnon de route. Même en pleine guerre froide, la proximité de Barthes au marxisme militant reste d'une autre nature. Et pour en donner une première idée, mieux vaudrait renverser la métaphore et dire que Barthes sut, durant deux ou trois lustres, se faire accompagner par le marxisme comme le chanteur par l'instrumentiste.

Repérages.

Quelques repères chronologiques sont nécessaires, qu'il vaut mieux ne pas trop attendre de Barthes lui-même. « Au moment de l'Armistice, confiera-t-il en 1971 aux lecteurs de Tel Quel, je suis donc sartrien et marxiste3. » Edgar Morin se souvient, quant à lui, d'un Barthes à peine teinté de « marxisme vulgate » (à la manière de tant d'intellectuels de l'après-guerre), qui « avait peut-être lu quelques pages de Marx, ou plutôt de Sartre » 4. Ce qui est sûr, c'est que, avant 1944, Barthes n'est ni sartrien ni marxiste. Impossible en effet de trouver trace d'un quelconque intérêt pour Marx, son œuvre ou celles qui se réclament de lui, dans les contributions du jeune pensionnaire de Saint-Hilaire-du-Touvet parues à partir de 1942. Avant la guerre, Barthes n'était pas totalement apolitique. Il a rejoint un petit groupe d'étudiants antifascistes, accueilli avec joie le Front populaire. Tout cela ne fait pas de lui un militant ; encore moins un militant marxiste. Plutôt de gauche par tradition maternelle, comme on l'était dans le Sud-Ouest anticlérical (et d'autant plus peut-être que la branche paternelle de sa famille est conservatrice), très éloigné de l'activisme politique, parfaitement ignorant des œuvres de Marx, Barthes lycéen puis étudiant présente en fin de compte un profil assez conforme à celui des khâgneux décrits par Jean-François Sirinelli5.

Sa découverte du marxisme, à la fin de 1944, il la devra à Georges Fournie, tuberculeux comme lui, qu'il rencontre en cure à Leysin, en Suisse. Ces deux jeunes gens que rapprochent le « séminaire de la maladie » et la passion des idées ne se ressemblent guère. Georges Fournie n'appartient pas à la moyenne bourgeoisie provinciale, fût-elle « déclassée » ; il vient du peuple. Surtout, il a déjà, malgré son jeune âge, une histoire derrière lui : celle de la guerre d'Espagne, où il a combattu du côté républicain, dans les rangs du POUM. Fournie est marxiste et l'aura héroïque de la tragédie espagnole donne un relief particulier à son pro-

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sélytisme. Mais aussi et surtout, il est trotskiste. Ainsi les hasards de la vie mettent-ils Barthes en présence d'une incarnation singulière et singulièrement séduisante du marxisme : dans la complicité de la maladie, sous le triple signe du peuple, de l'épopée et de l'hétérodoxie. Lorsque l'un et l'autre retrouvent Paris, c'est encore Fournie qui présente Barthes à l'homme qui va lui ouvrir les colonnes de Combat et des Lettres nouvelles, Maurice Nadeau. Autour du journal et de la revue, de Pascal Pia à Claude Bourdet, gravite tout un microcosme trotskisant ou « communiste critique ». C'est ce milieu que Barthes découvre entre la fin des années 40 et le début des années 50 ; là qu'il noue des amitiés qui lui permettent de partager, malgré une santé incertaine et de longs séjours à l'étranger, l'excitation du journalisme intellectuel et politique issu de la Résistance. Entre les articles publiés pendant l'Occupation dans Existences et les contributions au Combat des années 1947-1950, le temps certes a passé ; mais surtout, Barthes s'est familiarisé avec une culture politique qui lui était jusqu'alors étrangère.

Ce qui frappe surtout, à leur relecture, c'est l'insistance d'un vocabulaire et tout spécialement l'usage répété que Barthes fait d'un mot, entré vingt ans plus tard dans le lexique courant (et alors dans un sens différent) : le mot dissident. Le terme apparaît dans un numéro de juin 1951 du quotidien Combat, où Barthes analyse avec une irritation non dissimulée le livre de Roger Caillois, Description du marxisme. Cette description porte moins sur la « doctrine » marxiste que sur sa prodigieuse diffusion dans l'après-guerre, sur ses succès et sa fortune, que Caillois juge indus et déraisonnables. Mais là où Caillois, de l'extérieur, décrit un scandale intellectuel, un paradoxe appréhendé sur le mode très voltairien de la disproportion (« l'enflure même de la situation marxiste par rapport à la dérision de son objet »), Barthes transporte son lecteur à l'intérieur du marxisme pour l'inviter gravement à prendre la mesure d'une tragédie :

pour de nombreux dissidents, dont le marxisme continue de féconder le destin individuel, le dogmatisme moscovite n'est pas un scandale : il est une tragédie, au milieu de laquelle ils essayent pourtant de garder, comme le chœur antique, la conscience du malheur, le goût de l'espoir et la volonté de comprendre6.

Le sens du propos est clair et donne la situation de Barthes en 1951. Haro sur le « dogmatisme », mais honneur à la « doctrine » marxiste ; honneur surtout à « un certain nombre d'hommes » qui, de par le monde, « continuent de garder du marxisme une idée tout aussi invincible au dogmatisme moscovite qu'au pyrrhonisme bourgeois » ! Honneur donc à

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ceux qu'il appelle les « dissidents », à ces militants marxistes anti-staliniens, dont il n'est pas indifférent, à l'aube de son accointance avec le théâtre, qu'il les compare au chœur de la tragédie antique. Barthes ne tardera pas à lier connaissance avec des marxistes beaucoup plus orthodoxes, à partager leurs travaux, notamment à Théâtre populaire. Reste que, venu au marxisme sous l'influence de l'« oppositionnel » Fournie, il aura fait ses premiers pas en compagnie des « dissidents » traqués et tragiques, non aux côtés des thuriféraires tranquilles du Petit Père des peuples.

Ces affinités premières éclairent l'attitude - de Barthes vis-à-vis du marxisme : ouverte aux idées, sans préjugé sur les individus, mais réservée quant aux organisations et hostile à toute adhésion. Barthes, contrairement à tant de ses pairs et amis, n'appartiendra jamais au PCF. Il ignorera la tentation de s'adosser à l'« intellectuel collectif ». Symptôme d'un individualisme intraitable, comme on le répète volontiers ? Disons plutôt : suite logique d'un apprentissage du marxisme fait pour lui inspirer une certaine défiance envers les organisations qui prétendent l'incarner. Autre conséquence, plus lointaine et peut-être inattendue : la sérénité avec laquelle, des décennies plus tard, Barthes continuera de revendiquer sa période marxiste comme une « phase » intellectuelle parmi d'autres. Adepte du « grand système » marxiste où il puise un élan d'écriture dont profitent les Mythologies, mais jamais adhérent du « grand parti des travailleurs », Barthes se sera épargné la dramaturgie de l'excommunication comme la déshérence des lendemains désenchantés. Son marxisme atypique à usage privé ne l'oblige à aucune palinodie, n'engendre aucune mauvaise conscience rétrospective. Au lieu d'en minimiser la force ou la durée, comme l'air du temps y invitait déjà au milieu des années 70, Barthes force la note, allonge le calendrier des années qu'il dit avoir passées sous cette « tutelle ».

Marxiste, Barthes l'aurait été dès la fin de la guerre, si l'on en croit l'entretien de Tel Quel. Jusqu'à quand ? Roland Barthes par Roland Barthes fait durer l'ère idéologique « Marx, Brecht, Sartre » jusqu'au tournant saussurien des Eléments de sémiologie (1965). Soit vingt ans de marxisme. Cette relecture inflationniste, il faut bien, textes en main, la réviser à la baisse - et par les deux bouts. En aval, le désengagement de Barthes vis-à-vis du marxisme est patent beaucoup plus tôt, explicite dès 1959 ; s'il y a du marxisme chez le Barthes des années 60 et 70 (et où alors n'y en a-t-il pas ?), ce n'est pas le marxisme qui régit sa démarche. En amont, même surévaluation rétrospective. Les articles publiés dans Combat de 1947 à 1950 (par la suite repris dans Le Degré zéro de l'écriture) sont certes faufilés d'allusions à la « division des classes » . Mais cette formulation (d'ailleurs subtilement distincte des expressions plus correctes de

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« société de classes » ou « de lutte de classes ») est sans cesse recodée dans un tout autre registre où le désir poignant d'un « monde réconcilié » renvoie non à l'eschatologie communiste, mais à la méditation blanchotienne sur la communauté impossible. Ajoutons que la version livresque de 1953, loin de préciser le cadre marxiste supposé de la réflexion, s'attache au contraire à en estomper encore le tracé pourtant fort vague, tandis qu'apparaissent des chapitres, absents de la série de Combat, qui prennent violemment à partie les écritures politiques en général et les romanciers communistes français (Stil et Garaudy) en particulier7.

Au terme de ces repérages, on peut retenir trois traits qui ne sont pas indifférents à l'évaluation du marxisme de Barthes. Ce marxisme est originellement minoritaire, hétérodoxe et « dissident », au sens défini plus haut : il n'implique donc aucune adhésion à des organisations inféodées. C'est moins un corps doctrinal qu'un réseau de « points actifs de discussion pour le monde moderne ». Sa vérité réside moins dans les textes fondateurs (car, même s'il reproche à Caillois d'ignorer la « doctrine », Barthes ne la fréquente guère) que dans le défi qu'il oppose à l'« engourdissement » intellectuel. Tel est ce marxisme présenté en 1975 comme tutélaire d'une partie de l'œuvre - tutelle qui d'ailleurs ne désigne pas dans son vocabulaire l'allégeance, mais signale la protection, l'encouragement, la légitimation toujours provisoire qu'un « grand système » peut apporter à l'écriture. Quoi qu'en dise Barthes, toujours prompt à brouiller les pistes, cette tutelle ne se sera exercée sur l'œuvre que durant la décennie 1950-1960, coïncidant ainsi avec sa passion pour le théâtre et disparaissant avec elle. Mais avant d'en venir là, et à Brecht, prenons le temps d'un tableau : celui du culmen de 1955. Traçons la vignette d'un Barthes au plus fort de son engagement, au plus près du « matérialisme historique ».

« Suis-je marxiste ? »

L'année 1955 n'est pas seulement intéressante comme moment culminant du marxisme barthésien : au fil de trois épisodes distincts, elle permet d'en mieux reconnaître le relief.

Le premier de ces épisodes, c'est l'amère controverse qui s'élève alors entre Barthes et Camus. Sans revenir sur le détail d'une querelle analysée ailleurs 8, il faut du moins en rappeler les circonstances et l'issue. Barthes, qui avait commenté dans l'enthousiasme L'Étranger en 1942, et favorablement de nouveau en 1947, donne en janvier 1955 un compte rendu ravageur de La Peste. La principale tare de ce roman, explique-t-il, c'est son symbolisme, qui dément ou trahit l'intention proclamée par Camus,

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dans de multiples entretiens, de relater à travers cette fiction la résistance au nazisme dans l'Europe occupée. Loin d'accomplir une telle transposition, La Peste, selon Barthes, ne fait que substituer un humanisme vague et creux à la réalité politique d'une solidarité et d'un combat. Ainsi interpellé par cet ancien admirateur qui, depuis Le Degré zéro et Michelet, n'est plus un inconnu littéraire, Camus s'avère adroit jouteur. Dans une brève mais efficace réponse9, il s'étonne d'entendre Barthes, qui a tant aimé L'Étranger, ce « roman de la solitude », déplorer l'absence de « solidarité » dans La Peste, œuvre qui prend clairement congé du solipsisme à la Meursault et tente de fournir une réponse collective aux maux menaçant la Cité. Quant à son choix du symbolisme pour véhiculer ce message de « solidarité et de participation », Camus s'en explique en deux mots : il ne croit pas, pour sa part, au « réalisme en art » ; et s'il n'a pas nommé le « visage » de la terreur, c'est « pour pouvoir mieux les frapper tous ». « Sans doute est-ce là ce qu'on me reproche », ajoute Camus, encore meurtri par les attaques à boulets rouges des Temps modernes : « que La Peste puisse servir à toutes les résistances contre toutes les tyrannies » . Et puisque Barthes enfin juge la morale de La Peste « insuffisante », serait-il indiscret de lui demander au nom de quelle « morale » supérieure il passe condamnation sur celle proposée par le roman ?

Mis au pied du mur, Barthes ne regimbe pas. Il saute le pas dans sa réponse, publiée à la suite du texte de Camus. Oui, il croit au « réalisme en art », ou, plus exactement, en un « art littéral » qui n'escamoterait pas son objet sous la métaphore. Oui, il parle au nom d'une autre conception du monde, d'une autre morale ou d'une autre méthode : le « matérialisme historique ».

C'est en avril 1955 que Barthes semble ainsi brûler ses vaisseaux. Deux mois plus tard, deuxième escarmouche, liée celle-là aux « petites mythologies » régulièrement publiées dans Les Lettres nouvelles. Le numéro de juin de la Nouvelle NRF en donne un florilège sous la signature de Jean Guérin, assorti de cette injonction : « Mais après tout, peut-être M. Roland Barthes est-il simplement marxiste. Que ne le dit-il ? » Mais M. Roland Barthes, loin de lui faire ce plaisir, va tomber à bras raccourcis sur l'indiscret personnage dans le numéro d'été des Lettres nouvelles. Sous le titre : « Suis-je marxiste ? », il s'insurge contre cette inquisition : « Au fond, qu'est-ce que cela peut faire à M. Guérin ? Ce genre de questions n'intéresse d'ordinaire que les maccarthystes 10. » La réponse n'est pas tendre. Et il peut paraître curieux de voir Barthes reprendre ici la stratégie de discours qui avait été celle des communistes (réels ou supposés) outre- Atlantique, devant le House Committee on Un-American Activities n. Sa situation, de fait, est bien différente ; celle de la France de 1955 aussi. La répression des activités communistes (interpellation de Jacques Duclos

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dans l'« affaire des pigeons » en 1952) comme l'intimidation des intellectuels (emprisonnement en 1953 du romancier et journaliste André Stil, par ailleurs tête de Turc de Barthes dans Le Degré zéro) ont fait long feu et l'heure n'est plus à la chasse aux sorcières. Quant à l'odieux sycophante dissimulé sous le pseudonyme de Jean Guérin, et auquel Barthes répond comme à une incarnation locale du sénateur McCarthy, il peut être rassurant (et savoureux) de préciser qu'il se nomme Jean Paulhan... C'est aussi que l'emportement de Barthes n'est pas celui du militant attaqué ou du compagnon de route démasqué. L'indignation politique l'anime, sans doute ; mais l'emballement de sa réponse est celle, plus intime, d'un sujet réfractaire à l'étiquetage et à la «réduction». «On n'est pas marxiste par immersion, initiation ou déclaration, comme on est baptiste, trobriandais ou mahométan », lance Barthes à son inquisiteur. Le marxisme n'est pas une religion mais une méthode, qui « exige beaucoup de ceux qui prétendent la pratiquer ; et par conséquent il faut plus de suffisance que de simplicité, à se dire marxiste ». Deux mois après sa profession de matérialisme historique, Barthes justifie son refus d'avouer par l'éloge même de ce qu'il décline l'honneur d'assumer. Habile accès de modestie ? Le geste n'est pas purement tactique. Face à Camus, Barthes ne s'était pas dérobé. Mais la mise en demeure de Paulhan le hérisse de toute l'horreur que lui inspire l'« assignation d'Image » : pas question de se laisser réduire comme une tête de Jivaro 12.

L'automne et la rentrée théâtrale donnent à Barthes l'occasion de rompre une autre lance, en faveur du Nekrassov de Sartre et contre ses détracteurs réunis. Nekrassov relève de la farce politique. C'est une satire de l'anticommunisme primaire et de son exploitation par des journalistes à gages et des politiciens en mal de réélection. L'intrigue repose sur une usurpation d'identité. Un escroc à bout de souffle se fait passer pour un transfuge soviétique de haut rang. Dialogue brillant, rythme enlevé. Le sujet, pourtant, est grave. L'affaire Kravchenko (du nom d'un haut fonctionnaire soviétique passé à l'Ouest et auteur du retentissant / Chose Freedom) est encore dans toutes les mémoires. La parution en français de son témoignage, J'ai choisi la liberté, a donné lieu en 1948 et 1949 à une véritable bataille de presse et même à un procès. Les communistes français en sont sortis plutôt vainqueurs, persuadant de larges secteurs de l'opinion que Kravchenko n'était, comme tous les pseudo-transfuges du « socialisme réel », qu'un imposteur ou une marionnette entre les mains de la CIA. Contexte lourd, donc, pour une pièce qui se veut légère. Sartre s'est rapproché publiquement du parti communiste pendant l'été 1952, en réaction à l'arrestation de Jacques Duclos ; il a publié Les Communistes et la Paix, favorable à leurs thèses ; avec Nekrassov, il semble

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bien leur donner rétrospectivement raison sur Kravchenko, qui fait d'ailleurs l'objet, dans la pièce même, d'imputations peu obligeantes.

L'accueil de la critique n'est pas bon. A droite, on traite Nekrassov de vulgaire morceau de propagande. A gauche, on juge la comédie sommaire, caricaturale, ennuyeuse. Délices pour Barthes que de contre- attaquer sur un front qui s'étend de Thierry Maulnier à Françoise Giroud ! Il le fait sans barguigner ni amortir ses coups. Et il choisit le terrain le plus brûlant : celui de la vraisemblance. La critique unanime a jugé Nekrassov « invraisemblable » ? Barthes taxe la presse d'hypocrisie et de mauvaise foi. Nekrassov sonne juste, trop juste ; c'est ce qu'on lui reproche, et d'être une « pièce politique, résolument politique, d'une politique que l'on n'aime pas, et c'est pour cela qu'on la condamne 13 » au nom d'une « conception bourgeoise » de la réalité.

La bourgeoisie a toujours eu une idée très tyrannique mais très sélective de la réalité : est réel ce qu'elle voit, non ce qui est ; est réel ce qui a un rapport immédiat avec ses seuls intérêts : Kravchenko était réel, Nekrassov ne l'est pas l4.

Au terme de ces syllogismes tortueux, exit la réalité vulgaire du vrai Kravchenko. Vive le véridique Nekrassov, fenêtre ouverte par Sartre sur la réalité non bourgeoise ! Barthes s'avance ici plus qu'il ne l'a jamais fait. Invraisemblable, Nekrassov n'était qu'une méchante farce. Vraisemblable, c'est une pièce « méchante » - pour parler le langage de Véronique, l'héroïne positive et communiste : une comédie cruelle pour tous les transfuges passés et futurs, pour la « dissidence » où Barthes semblait se reconnaître quelques années plus tôt. Car Sartre ne met pas seulement en scène le maquillage d'un vrai escroc en faux transfuge ; il tourne en ridicule P« opposition de gauche » en la personne du pitresque Demidoff, réfugié politique à Paris, dirigeant et unique membre de son propre parti « bolchevik-bolchevik ». En sorte que spirituelle ou pas (elle l'est souvent), réussie ou non (elle l'est plutôt), sa pièce apparaît aujourd'hui singulièrement symptomatique de la volonté de ne pas savoir qui caractérisa longtemps face à l'URSS la plus grande partie de la gauche française. La postérité ne s'y est pas trompée. Elle n'en a retenu qu'une maxime : « II ne faut pas désespérer Billancourt », qui n'y figure pas, mais la résume assez bien 15.

Face au tollé, donc, Barthes va être à peu près le seul (avec Morvan- Lebesque) à défendre Nekrassov tous azimuts. D'abord en accusant la presse parisienne de réagir avec partialité contre une œuvre qui a le tort de lui dire ses quatre vérités. Ensuite en présentant la pièce comme une réussite dans son genre : bien construite, bien rythmée, bien écrite, drôle

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surtout, et d'une écriture « parfois aussi fulgurante que du Beaumarchais I6 ». Le public, ajoute Barthes, plébiscite ce que la critique a assassiné. On jubile devant Nekrassov. On y éprouve la « joie de reconnaître à vif ce que l'on sait obscurément ». Cette dernière formule éclaire une partie du non-dit : c'est la même que Barthes emploie pour décrire l'effet du « distancement » brechtien. Chose rare en 1955 : le nom de Brecht n'est pas une fois prononcé dans cette défense de Nekrassov. C'est à Beaumarchais que renvoie Barthes pour le brio, à Aristophane pour le droit de la Comédie à la partialité. C'est pourtant bien, en filigrane, à la possible émergence d'un théâtre « résolument politique » à la française que pense Barthes : théâtre qui répudierait à la fois l'« anarchisme » et la « morale, dans le goût de Camus » . Pour l'essor de ce théâtre, Barthes est prêt à payer le prix : une « baisse générale sur le Kravchenko », comme l'écrit crûment Sartre 17.

Rapprochés, ces trois épisodes polémiques confèrent un relief particulier à la « radicalisation » de Barthes au milieu des années 50. Leur sens politique paraît sans équivoque. Barthes rompt avec un Camus de plus en plus isolé, à gauche, par ses positions algériennes. Il pousse une charge contre Paulhan et l'anticommunisme de la Nouvelle NRF. Il prend fait et cause pour Sartre, redevenu « compagnon de route » du PCF trois ans auparavant. Bel effet de convergence politique, qui ne doit pas pourtant masquer une autre cohérence non moins décisive. Ainsi la rupture avec Camus, assortie d'une profession de matérialisme historique qui semble marquer un tournant idéologique, est-elle aussi l'aboutissement d'une réflexion de plus en plus critique sur l'écriture camusienne. Ce que stigmatise Barthes lecteur de La Peste, c'est une trahison formelle, dont la déviation politique est la conséquence inévitable. Ce qu'il reproche à Camus, c'est d'avoir ignoré le sévère avertissement donné deux ans plus tôt dans Le Degré zéro : « un chef-d'œuvre moderne est impossible ». Barthes y avait insisté : l'écrivain moderne pouvait au mieux consigner cette impossibilité ; son écriture pouvait prétendre, tout au plus, à marquer son irréconciliation avec le monde de la division des langages et des classes ; et cette inscription en faux, Barthes en avait vu le modèle (l'utopie) précisément dans l'écriture du premier Camus, cette « écriture blanche » aujourd'hui délaissée, sabordée par son inventeur même. Avec La Peste, Camus régressait : il relégitimait la posture pré-moderne de l'écrivain moraliste politique, délivrant son message et faisant la leçon à travers la forme surannée de la chronique fictive. Dans la brutale réponse faite à Camus, la divergence politique s'affirme donc au terme d'un divorce esthétique, selon une logique où les deux griefs apparaissent indissociables. Et c'est encore Camus, dramaturge cette fois, qui est visé indirectement dans l'épisode Nekrassov. Car ce qu'entend soutenir Barthes,

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on l'a dit, c'est le trop rare exemple en France d'un théâtre politique qui ne relèverait ni du jeu de massacre impartial, et donc « anarchiste », ni surtout de ce théâtre « moral » où la politique n'est plus qu'un long dilemme entre âmes d'élite. L'éloge risqué de Nekrassov est dirigé contre Les Justes et le théâtre camusien. Le Barthes de 1955 abandonne donc un Camus jugé doublement déserteur : dans la quête exténuante de la forme juste et devant le durcissement politique général dont Barthes emprunte l'analyse à Sartre, ne cessant de rappeler, au hasard des articles les plus divers, « l'évidence de la dure altérité des classes » (en 1952), « la dure sécession des classes sociales » (en 1954) ou encore (en 1956) « le durcissement général de la situation historique » 18. Face à ce durcissement, si plusieurs réponses sont possibles, aucune n'est compatible avec le choix, camusien.

Première réponse : soutenir des formes irrécupérables, désassujetties de l'idéologie bourgeoise ; trouver une relève à l'« écriture blanche » délaissée ; ce sera le Nouveau Roman (désigné en filigrane dans la réponse à Camus), dont l'« art littéral » est opposé aux compromissions de La Peste.

Deuxième réponse : intensifier la critique sociale par des interventions incisives, corrosives, démystificatrices. C'est le rôle des mythologies, dont on ne s'étonne pas que Barthes les ait vertement défendues contre les attaques de Paulhan : elles constituent sa force de frappe.

Troisième et principale réplique : l'occupation d'un territoire disputé, où la gauche est à l'offensive, où les jeux ne sont pas faits, où les coups de main sont possibles, où de surcroît il y a plaisir à en découdre, où l'on peut d'une main châtier et de l'autre applaudir - sans oublier la « vénusté des corps ». Cette piste est la meilleure : Barthes va s'y engouffrer : c'est celle du théâtre, grand terrain de jeu et de joute des années 50. Car si les mythologies, avec brio et virtuosité, dénoncent, le théâtre rêvé ou régi par Barthes annonce. Si elles isolent et pulvérisent les mensonges dont se trame l'aliénation sociale, c'est au théâtre qu'il revient de retisser le lien de la Cité. Ou comme le dit Barthes avec un abandon inhabituel, à la fin de « Nekrassov juge de sa critique » : de rendre espoir à « des Français comme moi qui souffrent d'étouffer sous le mal bourgeois 19 » .

Théâtre et politique : sept ans de réflexion.

La passion de Roland Barthes pour le théâtre au cours des années 50 est « totale », comme le théâtre dont il rêve. Elle cesse d'ailleurs avec la même brutalité qu'elle s'est exercée. Après 1960, Barthes ne livrera plus que de rares témoignages où le théâtre, qu'il ne fréquente plus, est évoqué au passé. Spectaculaire décristallisation, à la mesure de l'investissement.

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Car le théâtre aura été tout à la fois emportement de plaisir et aventure militante. « Le théâtre est toujours engagé20 », affirme Barthes en 1956 ; mais il le juge non moins engageant. Et c'est dans une constante euphorie d'écriture qu'il aligne article sur article, entre 1953 et 1960. Sept ans de bonheur au théâtre. Sept ans de réflexion sur sa capacité civique. Barthes dit ses joies. Il dicte ses choix, avec l'ambition non dissimulée de contribuer à la transmutation de la scène française. Et si sa ferveur est exigeante, c'est à proportion du rôle historique dont il investit le théâtre dans la France des années 50.

Cette passion très politique (cet engagement profondément amoureux) est longtemps restée mal connue, sauf de ceux qui la partagèrent. Mal comprise aussi, réduite à une seule de ses dimensions : un soutien à Brecht éloquent, et même « emphatique », pour user d'un adjectif baudelairien cher à Barthes. Lui-même ne fut pas étranger à ce malentendu, ne reprenant en volumes [Mythologies ou Essais critiques) que très peu de ses articles théâtraux ; ne manquant d'ailleurs jamais une occasion de redire sa dette envers Brecht, ni de magnifier le souvenir de sa rencontre mémorable avec Mère Courage. Une Imago a donc prévalu, d'un Barthes exclusivement et dogmatiquement entiché de brechtisme. Tardivement, peu avant sa mort, Barthes avait envisagé de réunir ses interventions théâtrales et commencé d'y travailler avec Jean-Loup Rivière. Manière, enfin, de décoller l'étiquette ?

Car la lecture attentive de ces textes, longtemps difficiles d'accès, mais que la publication des Œuvres complètes par Eric Marty a remis en circulation, suffit pour s'en persuader : l'activité de Barthes critique théâtral ne se borne nullement à la promotion du brechtisme ; quant à son usage de Brecht, on essaiera de le montrer, il s'avère à l'examen des plus déroutants.

Pour prendre l'exacte mesure des « interventions » brechtiennes de Barthes, il faut d'abord les replacer dans le mouvement général d'une intense production journalistique où le théâtre se taille la part du lion - avant même les « petites mythologies ». A lire ou relire cet ensemble, on n'est pas moins frappé par sa variété que par son ampleur : soixante-treize textes sont alors consacrés au théâtre, sous tous ses aspects. De ce nombre, une quinzaine le sont entièrement ou principalement à Brecht, y inclus plusieurs éditoriaux (non signés) de Théâtre populaire. C'est beaucoup, sans doute ; mais c'est loin d'être le tout d'une curiosité polymorphe, d'un studium généralisé.

Barthes commente en effet tous les théâtres et tout au théâtre. La mise en scène des classiques comme la tentative « révolutionnaire » de Vinaver dans Aujourd'hui ou Les Coréens. Le Boulevard (fût-ce pour le fustiger) comme l'Avant-Garde (fût-ce pour en dénoncer l'ambiguïté). Les met-

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teurs en scène comme les acteurs. La diction de l'alexandrin comme les « maladies du costume ». Le prix des places et la composition des publics. L'éthologie des critiques parisiens comme Jean-Jacques Gautier, sa bête noire : « cet homme-là n'est pas un critique, c'est un portillon automatique : passez, ne passez pas21 ». Le jeu des acteurs célèbres, Gérard Philipe, Maria Casarès ou Jean Vilar, mais aussi celui des acteurs amateurs de tel stage banlieusard organisé par la Ligue de l'enseignement. De tout cela, Barthes rend compte dans le même détail et avec la même intensité. Car le théâtre est une jouissance grave. C'est un monde, un univers, un « acte total ». Tout y fait sens, tout y fait signe. Et tout y est politique comme la passion que Barthes lui porte. Rien d'indifférent au théâtre, qui est fragile comme la jouissance, précaire comme la vie, menacé comme la vérité. Chaque détail engage la totalité.

Le maquillage, professe drôlement Barthes dans Tribune étudiante, est lui aussi un acte politique, sur lequel nous devons prendre parti, et qui, par l'infinie dialectique des effets et des causes, participe finalement du même combat révolutionnaire que le texte22.

Ce qu'attend Barthes du théâtre ? Du plaisir, du sens. Mais aussi une dynamique de transformation sociale. Immense ambition qui ne se résout pas à la « leçon de Brecht », même si celle-ci éclaire la voie.

La théâtralité défendue, rêvée ou postulée par Barthes est intrinsèquement politique et civique, notions dont on peut voir qu'elles sont pour lui synonymes lorsqu'il appelle (en 1955) à « penser politiquement (ou civi- quement) notre théâtre23 ». En ce sens, Barthes fait souvent revivre, dans Théâtre populaire , et ailleurs, des accents anciens, inattendus sous sa plume : ceux de la philosophie des Lumières et de sa croisade en faveur du théâtre. Ici et là, même certitude d'un rôle formateur, civilisateur du théâtre. Même exaltation des responsabilités de l'acteur, ce « prédicateur laïc », disait Diderot. Barthes a beau ruser avec le vocabulaire, dire sa défiance du didactisme ou de la prédication, ses prudences verbales sont moins convaincantes que les moments d'abandon où il n'hésite pas à prêter au théâtre une « mission » - « sans avoir peur de la majesté du mot », ajoute-t-il à l'intention des très laïcs lecteurs de France- Observateur que le mot pourrait effaroucher 24. Mais pour Barthes l'agnostique comme pour Diderot Y inconvaincu, c'est bien au Théâtre, justement, qu'il faut réserver sa ferveur et sa foi puisqu'il délimite l'espace consacré où une parole juste peut toucher la Cité.

Un tel combat se déroule toujours sur deux fronts. Contre les détracteurs du théâtre, il faut en affirmer la haute et pleine majesté. Mais contre ses frivoles amateurs (ou consommateurs), il faut en redire les tâches, les

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devoirs, les responsabilités. Il faut guider, éclairer, veiller au grain et le séparer de l'ivraie. Il faut tenir tout son monde à l'œil. La critique adverse, évidemment - et Barthes pratique avec entrain la « critique de la critique » ; les auteurs suspects (Claudel) ; les salles « bourgeoises » (presque toutes). Mais qui aime bien châtie mieux encore dans son propre camp. Il faut dénoncer Barrault s'il renonce à monter Kleist. Il faut admonester Vilar qui donne un Ubu trop aisément consensuel. Et foudroyer l'acteur qui passe à l'ennemi, comme Gérard Philipe, dont l'éreintement est exemplaire : succédant à Vilar dans le rôle de Richard II au TNP et livrant, selon Barthes, un Richard « tout dépiauté », psychologisé et conforme aux stéréotypes les plus simplistes entretenus en France sur le théâtre shakespearien, Gérard Philipe menace toute l'« arche du TNP » - laquelle à son tour « tient en soi seule l'avenir du théâtre populaire » 25. En dégradant par son jeu la tragédie en mélodrame, « évolution [qui] doit conduire au Boulevard », l'acteur coqueluche guetté par le cabotinage s'est fait le cheval de Troie de la bourgeoisie : « derrière l'embourgeoisement de Philipe, tout un parti se tient prêt, celui de la médiocrité et du trompe-l'œil. Forces immenses qui ne demandent que la moindre faille pour y introduire leur gangrène » 26. Les Lumières exigeaient un comédien-philosophe à leur image. De même Barthes : « le grand comédien n'est pas celui qui sauve les mauvais textes, mais celui qui les démasque 2T » . Place au comédien barthésien, critique et sémiologue !

Barthes, on le voit, ne badine pas avec le théâtre. Car il y va de sa socialite même 28. La tâche du critique ne peut se cantonner au jugement de goût. Ses humeurs (il en a de reste) doivent être argumentées, et jusqu'à son ennui29. Le théâtre est, comme le répète Barthes, un lieu à"1 intervention. Directives et prises de parti sont sans cesse nécessaires pour redresser la barre de « vaisseaux » comme le TNP, « porteurs fragiles et obstinés de races et de continents futurs » 30, pour leur indiquer les écueils et surtout leur interdire toute dérive. Le théâtre est chose trop importante pour qu'on laisse aux seuls comédiens ou metteurs en scène le soin de veiller sur ses vertus.

Ou faut-il mettre le mot au singulier ? Car le théâtre idéal décrit par Barthes est aussi un théâtre vertueux. Sans doute la vertu y a-t-elle un autre visage que dans Le Père de famille de Diderot ou le Philosophe sans le savoir de Sedaine. Et pourtant ! Qui fustige « des spectacles parfaitement inutiles, parce qu'en eux le rire ne critique rien31 » ? Qui refuse d'applaudir à la « dureté du cœur » de Claudel, malgré « tant de beaux versets (comme on dit, hélas, les beaux quartiers) » 32 ? Qui ne cesse de dénoncer « la nature même de notre théâtre, aux trois quarts soumis à l'argent33 » ? Réciproquement, qui fait constamment de pauvreté non seulement vertu, mais la condition sine qua non du tragique (« le TNP

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n'est pas un théâtre de l'argent. Donc la tragédie y est possible 34 » ) ? Qui enfin exalte, comme le public idéal, les « éléments pauvres - donc purs de tout snobisme - de la bourgeoisie » assaisonnés d'un zeste d'« éléments évolués des classes moyennes » 35 - surprenante envolée qui, plus qu'elle n'annonce Pierre Bourdieu, rappelle l'engouement des philosophes du XVIir siècle pour la « classe mitoyenne » ? Barthes bien sûr et toujours Barthes. Après tout, « l'Histoire est une idée morale ». Comment le plaidoyer pour un théâtre épuré, remis « à la hauteur de [notre] histoire36 », ne retrouverait-il pas les accents de quelques illustres devanciers ?

Cette vertu n'est pas étriquée, ni domestique : c'est une utopie collective, la quête ou la restitution d'une communauté avouable. Au théâtre en effet de ressusciter la grandeur morale et l'ouverture spatiale, sociale, des choregies antiques que Brecht (joué par le Berliner Ensemble) lui semble non pas reproduire, mais transposer. Si le théâtre de Brecht est « capital », s'il est un « théâtre de libération », ce n'est nullement par sa nouveauté. Rien à voir avec les « expériences » où se complaît une avant- garde « fonctionnellement liée à un conformisme régnant » 37 et vouée, faute d'« une réflexion sur notre monde réel », à la récupération et à la régression38. C'est au contraire dans la mesure où, fermement inscrit dans notre temps historique, il retrouve pourtant la dimension communautaire du théâtre grec ou de la scène élisabéthaine que le théâtre de Brecht est « moral », « bouleversant » et « civiquement justifié »39. C'est pour les mêmes raisons que le TNP de Vilar, en dépit des réserves et critiques que Barthes ne lui ménage pas, apparaît lui aussi comme une « arche » : moins en fait par la nature de ses productions que par le nouveau public qu'il mobilise. Barthes, sans relâche, revient sur ce critère décisif, cette pierre de touche qu'est pour lui la composition des publics. En 1953, c'est pour déplorer que le Théâtre national populaire soit « populaire plus par ses intentions que par sa sociologie40 ». En 1954, au contraire, c'est pour créditer Vilar d'un bouleversement révolutionnaire des normes de fréquentation théâtrale :

ce qui fait l'originalité de son action, c'est son ampleur sociologique. Vilar a su amorcer une véritable révolution dans les normes de consommation du théâtre ; [...] grâce à l'expérience de Vilar, le théâtre tend à devenir un grand loisir populaire, au même titre que le cinéma ou le football41.

Suprême satisfecit. Car sans cette révolution sociologique, les conceptions les plus saines, la doctrine la plus subtile ne pourront rien pour un théâtre qui, s'il ne s'en retourne à la niche sordide du Boulevard, s'épuisera en « recherches » stériles et maniéristes. Certes, il faut aérer la scène,

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en bannir « le théâtre impur, le théâtre complaisant, où l'on met en œuvre les thèmes dégradants de l'argent ou du cocuage42 ». Il faut encore, ajoute Barthes, retrouvant ici la véhémence et l'imagerie carcérale de la Lettre à d'Alembert sur les spectacles, en finir avec la « scène fermée comme une alcôve ou une chambre de police dont le public serait le voyeur passif43 ». Mais cette ouverture hygiénique, Barthes l'attend moins de la « scène ouverte » qu'il défend sans trop l'aimer (comme il l'avouera plus tard) que de l'ouverture sociologique des salles, de l'élargissement et du brassage des publics. L'exigence est si forte qu'elle vient parfois bousculer les principes, comme dans cet éloge du théâtre amateur, incongru chez un Barthes défenseur du professionnalisme aigu, style Berliner ; son compte rendu enthousiaste d'un Ubu de banlieue joué par « des Français » qui « font partie d'un milieu populaire réel » témoigne d'une vraie sympathie 44, mais prend également valeur de symptôme : bouffée d'imaginaire rousseauiste, vieux rêve de Fête fusionnelle abolissant toute distinction entre « comédiens » et « citoyens », regardants et regardés45.

C'est que tous les vents d'Avignon seront de peu d'effet si le théâtre ne redevient pas le culte laïc de chacun et de tous, de chaque corps et de la Cité entière. Barthes résume, en 1954, d'une métaphore dramatique : « Le théâtre est à l'avance émasculé, si on ne l'attend de tout son corps, et si cette attente n'est pas partagée par toute une collectivité46. » Et il ajoute cette remarque, révélatrice de l'importance qu'il accorde à Y accueil fait au théâtre : « Certains spectacles d'avant-garde, par exemple, sont injugeables, en raison même de la maigreur de leur public. »

Le sort du théâtre est donc entre les mains de ses praticiens, sans doute. Mais, autant et plus, il dépend de ses témoins : la critique et le public « non bourgeois » , l'une gardienne et l'autre garant d'une pureté sans cesse menacée, celle du « théâtre pur, du théâtre fort, où ce qui est en cause est l'homme aux prises avec lui-même, l'homme dans la cité 47 ». Au public, à la critique donc d'être intraitables, de « dire non48 », de refuser l'« indulgence » de la société « pour la représentation de tout ce qui dégrade les hommes 49 » . A eux de choisir et de trancher, dût-on les taxer de dogmatisme.

Au théâtre, moins encore qu'ailleurs, il n'existe pas d'état zéro du regard, répond Barthes à une lectrice qui s'étonne des jugements « sans appel » de Théâtre populaire. Notre « dogmatisme » signifie simplement que nous jugeons notre tâche claire et notre but évident [...]. Nous ne pouvons d'un côté aimer Brecht (vilipendé ou ignoré par presque toute la grande critique), pour de l'autre côté tolérer le succès indigne de MM. Graham et Julien Green(e) 50.

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Au reste, cette sévérité critique, Barthes ne la réserve pas au théâtre. Au même moment, le Nouveau Roman est à la fois prôné et soumis à un « droit de regard » sourcilleux et l'œuvre de Robbe-Grillet fermement orientée par le regard critique vers ce qu'elle devrait êtreo1. Si les directives théâtrales sont encore plus insistantes, c'est que les enjeux sociaux sont beaucoup plus grands. La promotion des Nouveaux Romanciers commencée en 1954 (avec les articles « Pré-romans » et « Littérature objective ») n'est qu'un sideshow, une scène très secondaire d'opérations, comparée à la bataille titanesque pour la « libération » du théâtre. Le roman ne peut être l'occasion que de coups de main et d'escarmouches, pour la même raison qui, à l'inverse, justifie un intense investissement dans le combat théâtral : l'« ampleur sociologique » incommensurable des deux médiums.

Il faut ici, pour comprendre la stratégie d'ensemble qui commande les positions de Barthes, mettre en parallèle les diagnostics diamétralement opposés qu'il porte alors sur le théâtre et sur le roman. Le théâtre, Barthes en est convaincu, peut et doit attirer un public toujours plus vaste ; pour mieux dire : il doit et peut créer ce public. La situation romanesque, elle, reste sociologiquement bloquée. Barthes s'en explique dans un curieux article de 1955, intitulé « Petite sociologie du roman français contemporain ». L'impasse romanesque n'est plus définie ici du point de vue de l'écrivain paralysé par la « division des langages », comme c'était le cas dans Le Degré zéro de l'écriture. Elle est décrite à partir du public ou plutôt de l'impitoyable division des publics romanesques. Ce qui condamne le roman, désormais, ce qui scelle non seulement l'impossibilité d'un « chef- d'œuvre moderne », mais aussi la vanité politique de toute entreprise romanesque, c'est le cloisonnement des lecteurs et l'impuissance de chaque type de roman à sortir de la sphère sociologique où il est confiné.

La société française d'aujourd'hui, écrit Barthes, nous présente des publics de romans fortement personnalisés, mais aussi fortement cloisonnés, isolés les uns des autres, échangeant rarement leur rôle, essentiellement déterminés par la condition sociale de leurs participants.

L'impasse du roman, ce n'est plus seulement celle de l'écrivain « déchiré » entre des langages impossibles, c'est la stratification minérale de publics irréconciliables.

En somme, conclut Barthes, le roman ne va jamais trouver que son public, c'est-à-dire le public qui lui ressemble, qui est avec lui dans un rapport étroit d'identité52.

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A cet égard, le théâtre est véritablement l'anti-roman : il n'est ni « irrémédiablement compromis », ni immanquablement voué à répéter la division sociale. Si l'impasse de l'écriture romanesque est totale, les culs-de- sac du théâtre sont conjoncturels et remédiables. Pour que l'écriture du romancier retrouve un sens, il faudrait préalablement la Révolution. Mais un théâtre « libre » est possible hic et nunc ; et par sa seule existence, ce sera aussi un « théâtre de libération » 53. Bref, face à une littérature muette ou littérale, blanche ou bien pâlotte, le Barthes des années 1953-1960 affirme la possibilité du théâtre « aujourd'hui même, si on le veut°4 » et l'incalculable portée politique de cette seule possibilité dans une France où « la question du théâtre est une question franchement nationale dD ».

Usages de Brecht.

Face à une littérature impossible ou exsangue, le Barthes des années 50 joue donc le théâtre gagnant : page après page, il le valide politiquement et socialement. Impossible de comprendre la place faite à Brecht en dehors de cette conviction « viscérale » . Son singulier brechtisme ne prend sens qu'au sein du système qui l'accueille - triomphalement.

Le témoignage de Barthes sur son propre « éblouissement06 » devant le Berliner Ensemble a été surabondamment cité - sans que l'on s'avise, semble-t-il, de l'étrangeté du mot. Car au vrai, quoi de moins brechtien que Y éblouissement du spectateur ? Et de moins éblouissant d'ailleurs que l'austère et minutieux travail théâtral de la Mère Courage berlinoise ? « Eblouir, c'est à la limite empêcher de voir, de dire°7. » L'effet Brecht s'oppose diamétralement à cette définition. Plus près de l'événement même (en 1957), Barthes en parlait sur un autre ton :

Lorsque j'ai vu la Mutter Courage du Berliner Ensemble, en 1954, j'ai compris d'une façon claire (clarté qui n'excluait pas, bien entendu, une vive impression de beauté, et pour tout dire, une émotion profonde), j'ai compris qu'il y avait une responsabilité des formes dramatiques08.

La révélation brechtienne : une idée claire et distincte... Le combat exaltant de Barthes pour un théâtre idéal naît d'une exul

tation devant l'indiscutable incarnation, ce jour-là, d'une idée du théâtre qui est déjà la sienne, dont il est déjà porteur, dont ses articles sont déjà le dépôt. Face aux acteurs venus de l'Est, c'est sa propre vision du théâtre qu'il reconnaît, telle qu'elle se cherchait, jusqu'alors, tâtonnante, depuis le tout premier texte de 1942, « Culture et tragédie ». Plutôt que d'éblouissement, mieux vaudrait donc parler d'illumination, d'un eurêka jubilatoire devant Mutter Courage. Loin de s'aveugler sur la portée du

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brechtisme, Barthes a « clairement compris », d'emblée, les grands usages qu'il pouvait faire de Brecht. Indiquons pour finir les trois plus importants.

Usage interne, pour commencer. Brecht, on vient de le dire, permet à Barthes de mettre un nom sur son désir de théâtre ; mais aussi le nom de Brecht va désormais relier les fils épars de sa réflexion historique sur les formes théâtrales. Car Brecht est toujours prôné par Barthes comme un refondateur, dont les inventions renouvellent les plus anciennes fonctions du théâtre. Ce sont les valeurs d'héritage, non de rupture, que Barthes met en exergue et son brechtisme est l'affirmation entêtée (parfois sournoise) d'une pérennité du théâtre °9. Premier usage de Brecht, donc : renouer la chaîne des temps et faire repartir une aventure en panne, celle qui avait commencé chez les Grecs et s'était poursuivie chez les Elisabé- thains.

Nous dit-on assez souvent, écrit Barthes en 1954, le regret de cette union du théâtre et de la cité dont on prend perfidement une image impossible chez les Grecs et les Elisabéthains, partout où elle est inoffensive à force de vieillesse : eh bien, ce théâtre-là, nous l'avons sous la main : extasions-nous un peu moins sur Eschyle ou Shakespeare, et occupons- nous davantage de Brecht00.

Mais qui, sinon Barthes lui-même, ne cesse de « s'extasier » sur Shakespeare ou Eschyle, ne cesse de les réinscrire au palmarès de ses préférences et au répertoire naturel du « théâtre de qualité forte » que doit être le théâtre populaire61 ? Ce ton un tantinet iconoclaste n'est donc qu'une ruse de guerre ; c'est le geste appuyé de l'escamoteur qui distrait le badaud de la véritable manœuvre : faire du brechtisme un point d'aboutissement. Le Brecht de Barthes est tradition. C'est le théâtre classique qui est trahison, surtout le théâtre français « dévié de sa fonction tragique par la fausse tragédie du XVIF siècle » . La socialite du théâtre brechtien est celle des hautes époques, ce qui suffit pour le dire « civiquement justifié ». Ce brechtisme à la Barthes recueille ainsi, transposés, les gestes essentiels du théâtre antique. Il met « la fatalité sur la scène » et « la liberté dans la salle » 62, faisant de chaque représentation une délibération collective, à la manière dont Les Suppliantes, UOrestie ou Antigone débattaient devant la Cité entière du « devenir de la Cité, [de] son pouvoir de faire elle-même son destin par de grandes initiatives politiques63 ». Il donne à voir l'aveuglement (celui de Mère Courage devant la logique de la guerre) et du même coup, donnant « à voir des hommes qui ne voient pas », il provoque « un choc bienfaisant, qui n'est pas sans rappeler la catharsis antique » 64. Le brechtisme selon Barthes, c'est le miracle grec renouvelé,

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restitué à vif et non muséifié, comme théâtre cathartique de la prise de conscience et de la délibération politique. Par un effet de vases communicants dont le parcours intellectuel de Barthes offre plus d'un exemple, Brecht se voit ainsi gratifié à partir de 1954 de toutes les vertus qui étaient encore, l'année précédente (« Pouvoirs de la tragédie antique », 1953), l'apanage de la scène grecque, décrite comme « théâtre social », « de pure délibération humaine », comme le théâtre enfin d'« une histoire politique qui se fait elle-même » 6i\ Cette stratégie d'investissement de et sur Brecht ne s'en tient d'ailleurs pas aux Grecs et le brechtisme devient peu à peu le dépositaire de toutes les figures positives de la théâtralité. Ainsi de la réflexion théâtrale des Lumières. A travers l'esthétique du tableau, voici le brechtisme lesté par Barthes de diderotisme et Brecht lui-même, bon gré mal gré, l'émule de Greuze :

Si l'on veut bien faire abstraction du style et de la qualité, et en considérant seulement le mouvement idéologique [...], c'est plutôt à Greuze qu'il faudrait comparer le tableau brechtien, Greuze dont le théoricien, Diderot, a tant de points communs avec Brecht bb.

Au lecteur de décider lesquels... Peu importe au fond à Barthes, décidé qu'il est à faire du théâtre de Brecht l'« arche » de ce qui doit être maintenu ou restauré - dût la cohérence du propos en souffrir, comme dans ce bilan de 1958 où Barthes a bien du mal à concilier le legs « cathartique » grec avec l'héritage de « notre XVHF siècle » et sa quête rationaliste du « bonheur ». Qui trop embrasse mal étreint ; et Barthes se résout soudain à jeter le tragique par-dessus bord : « Le conflit qui oppose le monde brechtien et l'homme brechtien n'est [...] pas tragique, il est empirique ; c'est un conflit, non de valeurs, mais de faits 67. » La barque brechtienne était décidément trop chargée.

Le deuxième usage de Brecht est polémique. Le brechtisme est défendu pour attaquer. Ce « grand mannequin » est aussi un épouvantail et ce « modèle idéal », principe de refus raisonnes. Le brechtisme, on l'a déjà suggéré, joue ici un rôle analogue au concept de « littérature objective » pour le jugement littéraire. Or de même que le Nouveau Roman défendu par Barthes est l'hologramme de ses refus littéraires, de même son brechtisme est-il la résultante de ses refus théâtraux : refus de la « fausse tragédie » classique française, refus du Boulevard, refus du théâtre « allégorique » 68, refus des « anti-conformistes anarchiques 69 » et de l'absurde70, refus du théâtre de « la pure révolte71 » comme du « théâtre "progressiste"72 », refus aussi (on va le voir) du théâtre historique de stricte orthodoxie marxiste. C'est en ce sens que le brechtisme de Barthes est « utopique », et non normatif. L'on ne voit pas, en fait, que la révé-

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lation du Berliner ait beaucoup influé sur les goûts de Barthes, ni infléchi sérieusement ses solidarités. Avant comme après, ce sont les mêmes hommes, les mêmes démarches qu'il soutient : Planchon toujours, Vilar parfois, mais ausssi Monnet, Hermantier, d'autres encore. La référence brechtienne va surtout lui permettre d'« argumenter ses humeurs ». Son brechtisme, en ce sens, n'est pas l'aune à laquelle toutes productions seraient jugées et Barthes ne devient pas le « portillon automatique » de la critique • engagée. Il le devient d'autant moins qu'il a trouvé son « modèle idéal » non dans les écrits théoriques de Brecht, mais sur scène : dans la performance du Berliner. Ce « théâtre capital », il ne cesse d'y insister depuis l'article inaugural de 1954, « existe comme acte et non comme texte » 73. Il reviendra longuement en 1957 sur ce gestus indissociable, dans un article écrit avec Bernard Dort sur les « traductions » scéniques de Brecht en France : « la réalisation scénique du théâtre de Brecht est un fait capital, décisif quant au sens même de l'œuvre74 ». Moins qu'une tutelle, Brecht est donc (dans le vocabulaire du jardinage) un bon tuteur : accrochée à l'illumination de 1954, la critique grimpe drue et rend mieux. Cette focalisation du « modèle idéal » sur deux spectacles est d'une grande conséquence, puisqu'elle apparente le brechtisme de Barthes à un fantasme. Ce que Barthes érige en valeur, c'est une scopie. Son brechtisme, dédaigneux des paresses de la subjectivité, est pourtant bien une impression - celle, ineffaçable, née du choc du spectacle berlinois venu frapper « à jamais » le sujet sidéré. Découpé dans le corps immense du théâtre par un regard fétichiste, ce brechtisme-là restera nécessairement intraitable comme le désir. Mais c'est aussi cette origine qui le sauve de tout dogmatisme. On pourrait le dire à la fois tyrannique (pas question d'en démordre) et infiniment libéral (tout V aimable du théâtre doit pouvoir y figurer). Ce brechtisme ébloui se passe fort bien de la lettre de Brecht, dont les textes théoriques sont plus souvent invoqués que convoqués. En dépit d'une déférence affichée aux Schrifften ou au Petit Orga- non, le corpus est ailleurs : incarné par les acteurs berlinois. C'est aussi que les écrits de Brecht, ses notions même les plus centrales, gênent aux entournures ce brechtisme dessiné par le fantasme, depuis l'idée de Lehrstûck incommode à un Barthes allergique au didactisme jusqu'à la fameuse Verfremdung, que Barthes traduit par « distancement », et dont il tire la leçon, tantôt vers la phénoménologie sartrienne70, tantôt vers lui-même, pour en faire la version théâtrale d'une de ses propres hantises, le désempoissement du langage et des formes. C'est toujours avec révérence que Barthes évoque les textes théoriques de Brecht, mais pour tirer la sienne au plus vite, comme dans cet editorial de Théâtre populaire, au beau milieu d'une polémique qu'il a lui-même lancée, où il se défausse ainsi sur le Maître berlinois : « pourquoi s'en prendre à nous et non à

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Brecht? Brecht n'a jamais fui ses responsabilités: laissons-les-lui76». Lui préfère tirer de Brecht une « leçon immédiate », évidemment plus barthésienne, de déprise des codes. Brecht peut nous « apprendre peu à peu à nous déconditionner du théâtre de la repletion bourgeoise. [...]. Faisons comme l'acteur brechtien, essayons sans cesse, sous la règle, de découvrir l'abus ». Loin des grandes théories, ajoute Barthes, « ces menus doutes seraient le commencement d'un plus vaste mouvement de libération » 77.

Le troisième usage, le plus inattendu, mériterait à lui seul un long développement ; appelons-le l'usage anti-marxiste de Brecht. Barthes en effet va requérir chez Brecht une insolite caution, non seulement contre la conception marxiste du « théâtre historique » (il n'aura pas grand mal), mais aussi et plus audacieusement contre le concept marxiste d'Histoire. Ces deux objections de Barthes à Marx par Brecht interposé apparaissent liées dans l'article de 1957 intitulé « Brecht, Marx et l'Histoire». La première question posée est celle du théâtre historique, tel que Marx et Engels en ont esquissé le programme dans des lettres (séparées) à Lassalle à propos de son Franz von Sickingen. Cette « tragédie historique » - que Barthes « imagine plutôt indigeste » - mettait en scène le soulèvement de la chevalerie allemande contre les princes à la veille de la guerre des Paysans. Bonne idée et bonnes intentions, commentent Marx et Engels, mais manque de lisibilité historique : les différentes forces sociales du temps ne sont pas clairement détaillées. C'est qu'à leurs yeux, commente à son tour Barthes, « il faut expliquer sur le théâtre les rapports sociaux avec la même vérité, le même réalisme profond que Balzac 78 » . Or Brecht, tout marxiste qu'il ait été, n'a en rien suivi cette voie ni les préceptes des pères fondateurs. Le théâtre de Brecht, avance Barthes, ne peut être dit « historique ». Car « l'Histoire est partout chez Brecht, mais comme un soubassement, non comme un sujet » ; les grands événements historiques de notre temps ou ceux de la guerre de Trente Ans n'y « font jamais l'objet d'une explication ». Brecht contrevient donc, comme dramaturge, aux positions prises par Marx et Engels sur le théâtre historique. Surgit alors une seconde question, sous-jacente à la première : quelle « idée de l'Histoire » était donc celle de Brecht ? Et d'où venue ? « On sait que Brecht était marxiste. A-t-il emprunté à Marx son idée de l'Histoire ? » On passe ainsi d'une question de dramaturgie aisément résolue, tant il paraît clair en effet que Brecht « n'accomplit pas expressément l'idée marxienne du théâtre historique », à une interrogation sur la causalité historique. Il ne s'agit plus désormais de savoir s'il faut représenter l'Histoire au théâtre (selon le vœu vieux-marxiste) ou la « provoquer » sans la « divulguer », comme fait Brecht. Il s'agit de l'Histoire elle-même, dont Barthes entreprend de rectifier le concept sous l'égide de Brecht :

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il ne faut pas se représenter l'Histoire comme un simple type de causalité [...]. En réalité, et surtout chez Brecht, l'Histoire est une catégorie générale : elle est partout, mais d'une façon diffuse, non analytique 79.

Dans la mesure en effet où Brecht refuse de « seulement exprimer les structures véritables du passé, comme le demandait Marx à Lassalle », il fonde son théâtre sur une autre Histoire : il « ne fait pas de l'Histoire un objet, même tyrannique, mais une exigence de la pensée ». Avec la caution de Brecht, Barthes peut ainsi insinuer une lecture intellectualiste et morale de l'Histoire matérialiste. Là encore, c'est le soutien à une « forme » jugée juste (le théâtre du distancement) qui oriente la décision « théorique » ou philosophique (qu'en est-il de l'Histoire pour un matérialiste ?). Car répudier l'histoire-objet, rejeter l'art-reflet ou « expression » directe du réel, c'est évidemment jouer le brechtisme contre le jdanovisme et débouter, au nom d'une Histoire mieux marxiste, les revendications pesantes du réalisme socialiste. Cette étrange leçon de Brecht, celle d'une Histoire « diffuse », est donc la bonne réponse aux sommations d'orthodoxie artistique ; mais c'est en même temps la solution au « dilemme » que Barthes exposait déjà en 1951 : celui d'une Histoire au « mouvement irréversible », mais dont le « principe organisateur » (la lutte des classes) « n'attente en rien au contenu incessible de chacun de ses épisodes » 80. Ce dilemme, « Marx semble l'avoir bien vu », ajoutait Barthes en 1951. Brecht encore mieux, commente celui de 1957. Entre-temps, c'est Barthes qui a changé. En 1951, il pensait son rôle d'intellectuel sur le mode assez traditionnel de V explication (« L'Histoire est inaliénable et pourtant explicable ») ; en 1957, année où paraissent en volume les Mythologies, il s'est forgé des outils d'intervention plus conformes à ses choix d'écrivain et qui visent désormais à démystifier, problématiser et « provoquer » — comme Brecht l'Histoire. Nul doute qu'il ne se sente très proche. de cette entreprise brechtienne qui « est en. majeure partie, et précisément dans son fond intime, subjectif, psychanalytique, un théâtre apocalyptique de la démystification81 ». Loin de Lassalle. Très loin du « réalisme socialiste ». Au plus près des préoccupations de Barthes.

* * *

Comme si Brecht n'avait pas encore fait assez d'usage, Barthes en 1965 lui fera endosser une ultime responsabilité : l'avoir détourné, dégoûté du théâtre. « J'ai toujours beaucoup aimé le théâtre et pourtant je n'y vais presque plus. C'est là un revirement qui m'intrigue moi-même82. » Mais le coupable est bientôt identifié : c'est l'« éblouissement brechtien » !

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« C'est bien lui, semble-t-il, qui m'a paradoxalement éloigné du théâtre. » Trop parfait, ce théâtre, puisqu'il conjuguait l'idée d'un « théâtre populaire » et celle d'un « art qui surveille rigoureusement les signes ». Trop exigeant aussi, puisqu'il requérait, en amont, toute une culture politique qui ne fût pas « petite-bourgeoise » et qui pût garantir ce que Barthes appelle curieusement sa « distinction ». Après lui, auprès de lui, tout apparaît décidément vulgaire, incomplet ou manqué : « Brecht m'a fait passer le goût de tout théâtre imparfait. » Faire encore de la critique théâtrale ? Barthes ne pourrait que « ressasser son insatisfaction ».

Il y a une autre raison, majeure, et dont Barthes ne dit mot, à sa désaffection pour le théâtre : très historique celle-là, et politique, comme la passion qu'il lui portait. C'est la récupération du projet de théâtre populaire par l'État gaulliste, menée tambour battant dès 1959 avec la réorganisation des théâtres nationaux et la création de centres dramatiques régionaux. En ce sens, celui qui détourne Barthes du théâtre et de ses combats, ce n'est pas Bertolt Brecht, c'est André Malraux, c'est le ministre du Général qui vient à Bourges inaugurer une maison de la culture confiée à Gabriel Monnet, maintes fois « défendu » par Barthes. La politique culturelle de Malraux sonne bel et bien le glas du théâtre comme lieu d'une jouissance subversive. Barthes, dans une « petite mythologie », ironise sur cette réforme. Une de plus, souligne-t-il, comme pour exorciser la nouveauté de la situation. Mais celle-là n'a pas seulement « quelque chose d'encore plus bouffon que les autres 83 ». Elle périme tout son rêve de théâtre civique en confisquant la « mission » qu'il assignait au théâtre. C'est manifestement la fin d'une époque, et à plus d'un titre : ce texte un peu bougon, intitulé par Barthes « Tragédie et hauteur », est aussi la dernière des « petites mythologies ». Le rideau tombe en même temps sur les deux scènes militantes et civiques : la critique théâtrale et l'« intervention » mythologique où, pendant une petite décennie, Barthes aura jouté avec bonheur. Il n'ira plus au théâtre. Mais sur la scène intellectuelle, il affectionnera longtemps encore la posture d'énonciation découverte dans ses années Marx : celle de l'électron d'autant plus libre qu'il opère dans le champ de force tutélaire d'un « grand système ».

Philippe Roger CNRS/EHESS

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NOTES

1. Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Écrivains de toujours », 1975, p. 110.

2. Ibid., p. 179 ; aveu aussitôt repris, dilué dans une métaphore de la théâtralité : « il n'y a aucun de ses textes, en fait, qui ne traite d'un certain théâtre ».

3. R. Barthes, « Réponses », Tel Quel, n°47, automne 1971, p. 92. 4. Rapporté par J.-L. Calvet, Roland Barthes, Paris, Flammarion, 1990, p. 153. 5. Voir J.-F. Sirinelli, Génération intellectuelle. Khâgneux et normaliens dans rentre-deux-

guerres, Paris, Fayard, 1988. C'est l'accident de l'entrée en maladie, dès 1934, qui ferme à Barthes la voie de « l'École » et des études réglées, comme le souligne J.-L. Calvet (Roland Barthes, op. cit., p. 51-57).

6. R. Barthes, « "Scandale" du marxisme ? », Combat, 21 juin 1951 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, 1942-1965, éd. établie par Éric Marty, Paris, Éd. du Seuil, 1993, p. 104.

7. Pour une comparaison entre les deux états du texte, voir mon Roland Barthes, roman, Paris, Grasset, 1986 ; rééd. Livre de Poche, 1991, p. 297-300.

8. Voir ibid., quatrième partie, chap. IV. 9. Les deux textes sont publiés dans le même numéro du Bulletin du Club du meilleur livre,

en février 1955 ; voir Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 452-458. 10. R. Barthes, « Suis-je marxiste ? », Lettres nouvelles, juillet-août 1955 ; repris in Œuvres

complètes, t. 1, op. cit., p. 499. 1 1 . La traduction habituelle de « Un- American » par « anti-américaines » fait perdre à la chasse

aux sorcières sa dimension « essentialiste », à laquelle Barthes est si sensible. 12. « Je vois Sollers réduit comme une tête de Jivaro », écrit Barthes dans Sollers écrivain (Paris.

Éd. du Seuil. 1979, p. 9) ; en 1953 déjà, il reprochait à la mise en scène de Louis Musy d'avoir réduit « comme une tête d'indien Jivaro » l'opéra de Stravinski Le Libertin ; voir « Le Libertin », Théâtre populaire, mai-juin 1953 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit.. p. 214.

13. R. Barthes. « Nekrassov juge de sa critique », Théâtre populaire, n° 14, juillet-août 1955 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 505.

U. Ibid., p. 504. 15. Dans la pièce, le faux Nekrassov, seul en scène à la fin du cinquième tableau, s'écrie à

plusieurs reprises, par manière de défi : « Désespérons Billancourt ! » 16. R. Barthes, « Nekrassov juge de sa critique », art. cité, p. 503. 17. Jules Palotin, directeur de Soir à Paris : « Depuis Kravchenko, sais-tu combien j'en ai vu

défiler, moi, de fonctionnaires soviétiques ayant choisi la liberté ? Cent vingt-deux, mon ami, vrais ou faux. Nous avons reçu des chauffeurs d'ambassade, des bonnes d'enfant, un plombier, dix-sept coiffeurs et j'ai pris l'habitude de les refiler à mon confrère Robinet du Figaro, qui ne dédaigne pas la petite information. Résultat : baisse générale sur le Kravchenko » (tabl. IV, se. II).

18. Respectivement dans L'Observateur, 27 novembre 1952 ; Théâtre populaire, n° 5, janvier- février 1954 s Théâtre populaire, n° 17, mars 1956.

19. R. Barthes. « Nekrassov juge de sa critique ». art. cité. p. 506. 20. R. Barthes, « Le théâtre est toujours engagé» (réponse à un questionnaire). Arts, 18-

24 avril 1956 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit.. p. 545. 21. R. Barthes. «Comment s'en passer». France-Observateur, 7 octobre 1954: repris in

Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 432. 22. R. Barthes. « Pourquoi Brecht '( ». Tribune étudiante, avril 1955 ; repris in Œuvres comp

lètes, t. 1. op. cit., p. 482. 23. Ibid., p. 481. 24. R. Barthes. « Espoirs du théâtre populaire », France-Observateur, 5 janvier 1956 : repris

in Œuvres complètes, t. 1, op. cit.. p. 530. 25. R. Barthes. « Fin de Richard II ». Lettres nouvelles, mars 1954 : repris in Œuvres complètes.

t. 1. op. cit.. p. 389.

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26. Ibid., p. 392. 27. R. Barthes, « Une tragédienne sans public », France-Observateur, 27 mai 1954 ; repris in

Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 411. 28. Le mot socialite désigne chez Barthes une dimension essentielle du théâtre : sa fonction de

lien, de tissage du socius. On retrouve chez Bernard Dort la même notion, investie de la même importance ; voir par exemple « A la recherche de l'amour et de la vérité », où Dort évoque la c dimension fondamentale » du théâtre de Marivaux, « celle de la socialite » [Théâtre public. Paris, Ed. du Seuil, 1967, p. 25). Notons que, dans les articles des années 50. Barthes employait le terme sociabilité. Exemples : « figure de l'idéale sociabilité », en 1954, à propos du Dont Juan de Vilar [corrigé en socialite dans les Œuvres complètes, qui adoptent le texte revu par Barthes peu avant sa mort] ; ou encore : « l'admirable sociabilité du langage », dans « Une tragédienne sans public » [conservé tel quel dans les Œuvres complètes, puisque cet article de France-Observateur n'avait pas été révisé par Barthes]. Il s'agit en fait d'une seule et même notion, sous ses deux formulations successives.

29. A propos du Songe des prisonniers de Fry, monté par Barrault, Barthes écrit par exemple : « l'ennui y est devenu un mal physique intolérable. C'est un fait assez rare au théâtre qu'un ennui aussi pur, et qui mérite l'analyse », (« La vaccine de l'avant-garde », Lettres nouvelles, mars 1955 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 471.

30. R. Barthes, « Fin de Richard II», art. cité, p. 389. 31. R. Barthes, "L'Étourdi ou le nouveau contretemps», France-Observateur, 2 décembre

1955 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 525. 32. R. Barthes, « L'Arlésienne du catholicisme », Lettres nouvelles, novembre 1953 ; repris in

Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 236. 33. R. Barthes, « Théâtre capital », France-Observateur, 8 juillet 1954 ; repris in Œuvres comp

lètes, t. 1, op. cit., p. 419. 34. R. Barthes, « Une tragédienne sans public », art. cité, p. 412. 35. R. Barthes, « Le Prince de Hombourg au TNP », Lettres nouvelles, mars 1951 ; repris in

Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 208. 36. R. Barthes, « Théâtre capital », art. cité, p. 419. 37. R. Barthes, « Le théâtre français d'avant-garde », Le Français dans le monde, juin-juillet

1961 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 915. 38. Un témoin comme Herbert Blau, fondateur de l'Actors Workshop de San Francisco et

premier metteur en scène de Mutter Courage aux États-Unis, confirme le peu d'intérêt de Barthes (en 1959) et même sa méfiance à l'égard de toute « expérience » avant-gardiste, en particulier envers ce qui deviendra le performance art (entretien avec H. Blau). Voir aussi le chapitre « Barthes and Beckett » de son livre The Eye of Prey, Indiana University Press, 1987.

39. R. Barthes, « Théâtre capital », art. cité, p. 419. 40. R. Barthes. « Le Prince de Hombourg au TINT », art. cité, p. 208. 41. R. Barthes. « Le théâtre populaire d'aujourd'hui », in Théâtre de France, t. IV, décembre

1954 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 444-445. 42. Ibid., p. 443. 43. R. Barthes. « Pourquoi Brecht ? », art. cité, p. 481 ; Rousseau, opposant fêtes de plein air

genevoises et spectacles confinés, écrivait : < Nous avons déjà plusieurs de ces fêtes publiques ; ayons-en davantage encore, je n'en serai que plus charmé. Mais n'adoptons point de ces spectacles exclusifs qui renferment tristement un petit nombre de gens dans un antre obscur ; qui les tiennent craintifs et immobiles dans le silence et l'inaction ; qui n'offrent aux yeux que cloisons, que pointes de fer, que soldats, qu'affligeantes images de la servitude et de l'inégalité » [Lettre à d'Alembert sur les spectacles, J. Varloot [éd.], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1987, p. 297).

44. Sympathie augmentée, sans doute, par l'expérience personnelle de Barthes comédien, dans le cadre du Groupe de théâtre antique de la Sorbonne, avant la guerre.

45. R. Barthes, « Espoirs du théâtre populaire », France-Observateur, 5 janvier 1956 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 529. « Libre, démystifié, débarrassé de tous les mythes rétrogrades du théâtre professionnel », VUbu dont Barthes fait l'éloge est issu d'un stage d'éducation populaire, dirigé par un « instituteur national » - qui n'est autre que Gabriel Monnet, futur grand « professionnel ». Sur l'anti-amateurisme ordinaire de Barthes. voir par exemple sa critique d'Homme pour homme par Serreau : « ce qui nuit à ce genre de spectacle, c'est l'espèce de bohème

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du détail, ce petit cachet d'avant-garde malingre qui, en France, ressemble toujours un peu à un semi-amateurisme » (Théâtre populaire, mars-avril 1955 : repris in Œuvres complètes, t. 1. op. cit., p. 486).

46. R. Barthes, « Le Grand Robert », Lettres nouvelles, octobre 1954 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 436.

47. R. Barthes, « Le théâtre populaire d'aujourd'hui », art. cité, p. 443. 48. Comme Barthes « dit non au texte » de Claudel et somme Barrault de « refuser de servir

ce trop brillant obscurantisme », dans « L'Arlésienne du catholicisme », art. cité, p. 237-238. 49. R. Barthes, « Le Grand Robert », art. cité, p. 436. 50. R. Barthes, Théâtre populaire, editorial non signé, septembre 1954 : repris in Œuvres

complètes, t. 1, op. cit., p. 438-439. 51. On connaît la boutade qui courait parmi les « nouveaux romanciers » : « Roland Barthes

peint Butor tel qu'il est et Robbe-Grillet tel qu'il devrait être. » 52. R. Barthes, « Petite sociologie du roman français contemporain », Documents, février 1955 ;

repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 469. Conséquence logique mais certainement inattendue : l'éloge par Barthes des prix littéraires, puisque leur large diffusion permet au livre primé de sauter la barrière de « son » public.

53. R. Barthes, « Théâtre capital », art. cité, p. 419. 54. R. Barthes, « Pour une définition du théâtre populaire », Publi 54, juillet 1954 ; repris in

Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 431. 55. R. Barthes, « Le théâtre populaire d'aujourd'hui », art. cité, p. 442. 56. « L'éblouissement » est le titre d'un article paru dans Le Monde du 11 mars 1971 (et deux

fois repris par la suite), où est évoquée la découverte du Berliner en 1954 (Œuvres complètes, t. 2. 1966-1973, Paris. Éd. du Seuil, 1994, p. 1181) ; le mot apparaît pour la première fois en 1965 dans « Témoignage sur le théâtre ». Esprit, mai 1965 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 1531.

57. R. Barthes, Fragments d'un discours amoureux, Paris, Ed. du Seuil, 1977, p. 25. 58. R. Barthes, « La rencontre est aussi un combat », in Rendez-vous des théâtres du monde.

avril 1957 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 728. 59. Un texte fait exception, paru dans Tribune étudiante en avril 1955. qui insiste sur le « statut

entièrement neuf » de la « matière théâtrale » chez Brecht, sans le replacer dans une filiation (« Pourquoi Brecht ? », art. cité, p. 482).

60. R. Barthes, « Théâtre capital », art. cité, p. 419. 61. R. Barthes, « Le théâtre populaire d'aujourd'hui », art. cité, p. 443. Ajoutons que Barthes

proteste contre toute transposition qui altère les « problématiques » et s'insurge contre « Sophocle joué comme une tragédie bourgeoise », « Eschyle comme une fête nègre » et plus généralement contre « cette manie, cette rage modernes de faire de l'exotisme à contresens, de fuir coûte que coûte le caractère grec de la tragédie grecque » (« Œdipe roi », Théâtre populaire, mai-juin 1955 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 498).

62. R. Barthes, « L'Arlésienne du catholicisme », art. cité, p. 38. 63. R. Barthes, « Pouvoirs de la tragédie antique », Théâtre populaire, juillet-août 1953 ; repris

in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 221. 64. R. Barthes, « Brecht et notre temps », in L'Action laïque, mars 1958 ; repris in Œuvres

complètes, t. 1. op. cit., p. 768. 65. R. Barthes, « Pouvoirs de la tragédie antique », art. cité, p. 221-222. En 1965, après la

fin des années théâtre, Barthes insiste toujours sur le génie laïc et politique de la tragédie grecque, et sur son « caractère civil » ; voir « Le théâtre grec », in Histoire des spectacles, Paris, Gallimard, coll. « Encyclopédie de la Pléiade », 1967 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 1547.

66. R. Barthes, « Préface à B. Brecht, Mère Courage et ses enfants », L'Arche, 1960 ; repris in Œuvres complètes, t. 1. op. cit., p. 900, n. 1. Ailleurs, il insinue la filiation à travers une répudiation apparente du passé : « Heureusement, l'art de l'acteur n'est pas éternel : il y a eu Diderot, il y a eu Stanislavsky, il y a Brecht » (« Macbeth », Théâtre populaire, janvier-février 1955 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 473).

67. R. Barthes, « Brecht et notre temps », art. cité. p. 768. 68. R. Barthes. « Godot adulte », France-Observateur, 10 juin 1954 : repris in Œuvres comp

lètes, t. 1. op. cit., p. 414.

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69. R. Barthes, « Le Prince de Hombourg au TNP », art. cité, p. 208. 70. R. Barthes, « Comment s'en passer », art. cité, p. 432. 71. R. Barthes, « Sur Marée basse, de Jean Duvignaud », Théâtre populaire, mars 1956 ; repris

in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 539. 72. R. Barthes, « Théâtre capital », art. cité, p. 419. 73. Ibid, p. 420. 74. R. Barthes (et B. Dort), « Brecht "traduit" », Théâtre populaire, mars 1957 ; repris in

Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 730. 75. Lorsqu'il évoque, par exemple, chez Brecht « l'évidence viscérale qui naît de la confront

ation du regardant et du regardé, et qui est la fonction constitutive du théâtre » (« Théâtre capital », art. cité, p. 420).

76. R. Barthes, editorial (non signé) de Théâtre populaire, mars-avril 1955 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 485.

77. R. Barthes, « Pourquoi Brecht ? », art. cité, p. 483. 78. R. Barthes, « Brecht, Marx et l'Histoire », Cahiers Renaud-Barrault, décembre 1957 ; repris

in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 754. 19. Ibid., p. 755 (je souligne). 80. R. Barthes, « A propos d'une métaphore. (Le marxisme est-il une "Eglise" ?) », Esprit,

novembre 1951 ; repris in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 112. 81. R. Barthes, « Note sur Aujourd'hui », Travail théâtral, avril 1956 ; repris in Œuvres comp

lètes, t. 1, op. cit., p. 542. 82. R. Barthes, « Témoignage sur le théâtre », Esprit, mai 1965 ; repris in Œuvres complètes,

t. 1, op. cit., p. 1530. 83. R. Barthes, « Tragédie et hauteur », Lettres nouvelles, 22 avril 1959 ; repris in Œuvres

complètes, t. 1, op. cit., p. 814.