article graphê

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Bulletin de l’Association pour la promotion de l’art typographique mars 2008. 3,80 euros. graphê 39 sommaire Funeste destinée, p.2 Une scripte copte p.12 Grains de sens p.22 Brèves p.24 Rien ne se perd, rien ne se crée… Quand j’ai (vraiment) découvert la typographie, j’ai d’abord été frappé par la similarité de la lettre avec l’atome, que la typographie rendait presque tangible. « L’alphabet en vrai », ai-je envie de dire… (suite en page 21)

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An article devoted to the project of the Copte Scripte font

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Page 1: Article Graphê

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2008

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graphê39 sommaireFuneste destinée, p.2

Une scripte copte p.12

Grains de sens p.22

Brèves p.24

Rien ne se perd,

rien ne se crée…

Quand j’ai (vraiment)

découvert la typographie,

j’ai d’abord été frappé

par la similarité

de la lettre avec l’atome,

que la typographie

rendait presque tangible.

«L’alphabet en vrai»,

ai-je envie de dire…

(suite en page 21)

Page 2: Article Graphê

Laurent Bourcellier et Jonathan Perez13

Ce projet est né en 2007 au Caire, où je séjournais pour finaliser le dessin d’une nouvelle fonte copte pour les éditions de l’Institut français d’archéologie orientale (Ifao), basée sur l’ancienne fonte copte au plomb de l’Imprimerie nationale et de l’Ifao. Au cours de ces quelques mois de travail sur des formescoptes classiques, j’ai également eu l’occasion de consulteret d’étudier de nombreux documents cursifs, générale-ment sur papyri, et j’ai commencé à m’intéresser à cetteforme plus vivante, plus personnelle, plus méconnueaussi, loin des lourdes onciales si caractéristiques de cette écriture. C’est en discutant, au hasard de rencontres avec les chercheurs coptisants, que j’ai réalisé qu’aucunefonte copte cursive n’existait. Et non seulement certainschercheurs étaient intéressés par la perspective d’en voirréaliser une pour publier leurs textes, mais j’ai aussi compris que cette absence provenait sans doute en grandepartie du fait que beaucoup de chercheurs ou d’éditeurs

pensaient qu’une telle entreprise était irréalisable, et considéraient comme incompatibles cursivité et typographie, spontanéité et stabilisation des formes.

Cet aspect expérimental m’a séduit, et les documentscursifs remarquables que j’ai eu le loisir d’étudier là-basont achevé de me convaincre de me lancer dans ce projetà mon retour en France. J’ai tout de suite pensé à Laurentpour m’aider sur ce projet, il avait réalisé son diplôme de DSAA Création Typographique en 2006 sur le copte etécrit un mémoire théorique sur le sujet ; nous projetionsde travailler ensemble quand l’occasion se présenterait et ce projet était le point de rencontre parfait, l’occasionde croiser nos deux expériences. Laurent venait juste-ment de toucher une bourse pour poursuivre son projetde diplôme, pour lequel il avait déjà songé à l’époque à concevoir une fonte cursive... La collaboration s’estdonc mise en place très vite, presque naturellement, surun projet et une écriture qui nous tenait tous deux à coeur.

Quand on parle de copte aujourd’hui on ne songe pasimmédiatement à l’écriture, et si le mot nous évoquequelque chose ce serait plutôt la religion copte. Le copteest une langue morte, celle des Chrétiens d’Égypte, où elle a été utilisé approximativement entre le premier

siècle avant J.-C. et le IXe siècle ; elle apparaît en fait soussa forme définitive aux environs du IIIe siècle. Elle sertencore aujourd’hui dans le cadre des cérémonies reli-gieuses de l’église copte, c’est un peu l’équivalent denotre latin, mais son usage s’est déplacé du champ de la religion vers celui de la recherche, où l’étude du copte prend une place de plus en plus importantedepuis quelques siècles.

L’écriture copte est une rencontre entre deux écritures et deux cultures, égyptienne et grecque. Elleemprunte 24 signes à l’écriture grecque, les 7 autressignes de base proviennent du démotique, qui est l’écritureauparavant en usage en Égypte, et permettent de retrans-crire des sons propres à la langue égyptienne.

Le démotique dérive du hiératique, qui dérive lui-même du système hiéroglyphique : les signes dérivés de l’écriture démotique présents dans le copte sont la der-nière trace de ces trois écritures successives. Mais au-delàdu changement des signes, la véritable révolution vientdu changement structurel, l’Égypte découvre grâce augrec le principe du système alphabétique, dont l’ingénio-sité et la simplicité au regard des systèmes préexistantsenthousiasment les scribes de l’époque.

Si la langue copte est si étroitement associé à la reli-gion c’est pour deux raisons, la première, historique, c’estqu’elle a été conçu pour permettre de diffuser des écritsreligieux en vue de christianiser l’Égypte ; la seconde,presque « éditoriale » et littéraire, est la conséquence de la première : les textes coptes dont nous disposons et qui sont publiés traitent essentiellement de questionsreligieuses. Tout l’enjeu de notre projet est de montrerque le copte, si elle est une écriture sacrée au service

de la religion, a aussi été une écriture du peuple, une écri-ture de la vie quotidienne que se sont appropriés les égyp-tiens, bien plus que les hiéroglyphes d’une certaine façon,ces derniers étant réservés à une élite sociale. L’idée de ce projet c’est aussi de montrer une autre facette de cetteécriture, de cette culture.

Il semble que notre projet intervienne dans un contextescientifique et éditorial particulier, où un grand nombre de textes coptes cursifs découverts pendant les dernièresdécennies en Égypte vont être édités au cours des pro-chaines années. Il existe de nombreux textes de la vie quotidienne, qui pour certains sont en train d’être traduits.

Beaucoup de personnes sont surprises qu’après tantd’années on continue de fouiller en Égypte, et non seule-ment de fouiller mais surtout de trouver. Ce qui fait de l’Égypte un lieu remarquable pour la recherchescientifique c’est son climat : la sécheresse a permis deconserver de façon exceptionnelle des supports fragilesde type papyri que l’infiltration de l’eau, l’humidité, ontrapidement dissous en Europe. Le sol égyptien a conservécomme un musée ces documents dans les sables, et l’on retrouve sur l’emplacement de villes construites à la limite du désert des documents vieux de près de 15 siècles en relativement bon état de conservation,lisibles, qui sont des témoins précieux sur la vie de cetteépoque. La volonté qui a toujours été celle du peupleégyptien de transmettre, de laisser une trace, et ce depuisles hiéroglyphes, trouve un prolongement heureux dansle climat exceptionnel de ce pays qui a effectivement permis à certains textes de traverser les siècles, depuis les textes religieux gravés sur la pierre jusqu’à la correspondance privée sur papyrus.

Ces 7 derniers signes sont propres au copte alors que les 24 premiers sont communs au copte et au grec.

Iota

Kapp

a

Lam

bda

/Lao

ula

Mu

/Mi/

Mèj

Nu

/Ni

Xi/Æ

ksi

Om

icro

n

Pi/B

ej

Rho

/Ro

Sigm

a/S

ima

Tau

/Daù

Upsil

on/Y

psilo

n

Phi/

Fij

Khi/

Chi

Psi/

Æbs

i

Om

ega

Sai/

Scha

i

Hore

/Hor

i Ti

Djan

dja

/Dje

ndja

Kyim

a/T

schi

ma

Fai

Khai

Conception d’une fonte

copte à usage

scientifique et éditorial.

unescriptecopte Al

pha

Beta

/Vita

Gam

ma

Delta

Epsil

on

Zeta

/Zita

Eta

/Ita

Thet

a/T

hita

unescriptecopte

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Laurent Bourcellier et Jonathan Perez13

Ce projet est né en 2007 au Caire, où je séjournais pour finaliser le dessin d’une nouvelle fonte copte pour les éditions de l’Institut français d’archéologie orientale (Ifao), basée sur l’ancienne fonte copte au plomb de l’Imprimerie nationale et de l’Ifao. Au cours de ces quelques mois de travail sur des formescoptes classiques, j’ai également eu l’occasion de consulteret d’étudier de nombreux documents cursifs, générale-ment sur papyri, et j’ai commencé à m’intéresser à cetteforme plus vivante, plus personnelle, plus méconnueaussi, loin des lourdes onciales si caractéristiques de cette écriture. C’est en discutant, au hasard de rencontres avec les chercheurs coptisants, que j’ai réalisé qu’aucunefonte copte cursive n’existait. Et non seulement certainschercheurs étaient intéressés par la perspective d’en voirréaliser une pour publier leurs textes, mais j’ai aussi compris que cette absence provenait sans doute en grandepartie du fait que beaucoup de chercheurs ou d’éditeurs

pensaient qu’une telle entreprise était irréalisable, et considéraient comme incompatibles cursivité et typographie, spontanéité et stabilisation des formes.

Cet aspect expérimental m’a séduit, et les documentscursifs remarquables que j’ai eu le loisir d’étudier là-basont achevé de me convaincre de me lancer dans ce projetà mon retour en France. J’ai tout de suite pensé à Laurentpour m’aider sur ce projet, il avait réalisé son diplôme de DSAA Création Typographique en 2006 sur le copte etécrit un mémoire théorique sur le sujet ; nous projetionsde travailler ensemble quand l’occasion se présenterait et ce projet était le point de rencontre parfait, l’occasionde croiser nos deux expériences. Laurent venait juste-ment de toucher une bourse pour poursuivre son projetde diplôme, pour lequel il avait déjà songé à l’époque à concevoir une fonte cursive... La collaboration s’estdonc mise en place très vite, presque naturellement, surun projet et une écriture qui nous tenait tous deux à coeur.

Quand on parle de copte aujourd’hui on ne songe pasimmédiatement à l’écriture, et si le mot nous évoquequelque chose ce serait plutôt la religion copte. Le copteest une langue morte, celle des Chrétiens d’Égypte, où elle a été utilisé approximativement entre le premier

siècle avant J.-C. et le IXe siècle ; elle apparaît en fait soussa forme définitive aux environs du IIIe siècle. Elle sertencore aujourd’hui dans le cadre des cérémonies reli-gieuses de l’église copte, c’est un peu l’équivalent denotre latin, mais son usage s’est déplacé du champ de la religion vers celui de la recherche, où l’étude du copte prend une place de plus en plus importantedepuis quelques siècles.

L’écriture copte est une rencontre entre deux écritures et deux cultures, égyptienne et grecque. Elleemprunte 24 signes à l’écriture grecque, les 7 autressignes de base proviennent du démotique, qui est l’écritureauparavant en usage en Égypte, et permettent de retrans-crire des sons propres à la langue égyptienne.

Le démotique dérive du hiératique, qui dérive lui-même du système hiéroglyphique : les signes dérivés de l’écriture démotique présents dans le copte sont la der-nière trace de ces trois écritures successives. Mais au-delàdu changement des signes, la véritable révolution vientdu changement structurel, l’Égypte découvre grâce augrec le principe du système alphabétique, dont l’ingénio-sité et la simplicité au regard des systèmes préexistantsenthousiasment les scribes de l’époque.

Si la langue copte est si étroitement associé à la reli-gion c’est pour deux raisons, la première, historique, c’estqu’elle a été conçu pour permettre de diffuser des écritsreligieux en vue de christianiser l’Égypte ; la seconde,presque « éditoriale » et littéraire, est la conséquence de la première : les textes coptes dont nous disposons et qui sont publiés traitent essentiellement de questionsreligieuses. Tout l’enjeu de notre projet est de montrerque le copte, si elle est une écriture sacrée au service

de la religion, a aussi été une écriture du peuple, une écri-ture de la vie quotidienne que se sont appropriés les égyp-tiens, bien plus que les hiéroglyphes d’une certaine façon,ces derniers étant réservés à une élite sociale. L’idée de ce projet c’est aussi de montrer une autre facette de cetteécriture, de cette culture.

Il semble que notre projet intervienne dans un contextescientifique et éditorial particulier, où un grand nombre de textes coptes cursifs découverts pendant les dernièresdécennies en Égypte vont être édités au cours des pro-chaines années. Il existe de nombreux textes de la vie quotidienne, qui pour certains sont en train d’être traduits.

Beaucoup de personnes sont surprises qu’après tantd’années on continue de fouiller en Égypte, et non seule-ment de fouiller mais surtout de trouver. Ce qui fait de l’Égypte un lieu remarquable pour la recherchescientifique c’est son climat : la sécheresse a permis deconserver de façon exceptionnelle des supports fragilesde type papyri que l’infiltration de l’eau, l’humidité, ontrapidement dissous en Europe. Le sol égyptien a conservécomme un musée ces documents dans les sables, et l’on retrouve sur l’emplacement de villes construites à la limite du désert des documents vieux de près de 15 siècles en relativement bon état de conservation,lisibles, qui sont des témoins précieux sur la vie de cetteépoque. La volonté qui a toujours été celle du peupleégyptien de transmettre, de laisser une trace, et ce depuisles hiéroglyphes, trouve un prolongement heureux dansle climat exceptionnel de ce pays qui a effectivement permis à certains textes de traverser les siècles, depuis les textes religieux gravés sur la pierre jusqu’à la correspondance privée sur papyrus.

Ces 7 derniers signes sont propres au copte alors que les 24 premiers sont communs au copte et au grec.

Iota

Kapp

a

Lam

bda

/Lao

ula

Mu

/Mi/

Mèj

Nu

/Ni

Xi/Æ

ksi

Om

icro

n

Pi/B

ej

Rho

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Sigm

a/S

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Tau

/Daù

Upsil

on/Y

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Phi/

Fij

Khi/

Chi

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Kyim

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Conception d’une fonte

copte à usage

scientifique et éditorial.

unescriptecopte Al

pha

Beta

/Vita

Gam

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Delta

Epsil

on

Zeta

/Zita

Eta

/Ita

Thet

a/T

hita

unescriptecopte

Page 4: Article Graphê

Une scripte copte14

Une alternative à l’oncialeLes fontes coptes sont relativement nombreuses pourune langue morte, preuve du succès de ce domaine de la recherche même si elles sont dans l’ensemble trèspeu satisfaisantes esthétiquement et techniquement, car peu de maisons d’éditions et de chercheurs font appelà des typographes. Elles sont toutes plus ou moins toutesbasées sur la forme onciale des textes religieux : la nou-velle fonte copte de l’Ifao que j’ai réalisée l’année passée,dont l’imprimerie est une référence mondiale importanteen terme d’édition scientifique, et le copte dessiné parLaurent pour son diplôme, n’échappent pas à cette règle.Un des constats de départ de ce projet, qui nous vient dechercheurs, est de dire qu’il est peut-être paradoxal de neretenir qu’une « image » onciale de l’écriture copte, inti-mement liée à la religion et au contexte de reproductionde textes religieux, et de devoir utiliser cette forme pourla reproduction de documents de la vie de tous les jours.Nous avions envie de proposer une alternative au choixtypographique de l’onciale, pour laisser le chercheur et l’éditeur libres de choisir la forme qui leur conviendraitd’avantage selon l’ouvrage publié, d’affiner s’ils le souhai-taient le rapport entre la situation sociale du texte et sa représentation typographique.

Laurent dans le cadre de son diplôme, et moi-mêmedans le cadre de mon travail pour l’Ifao, avions opté pourdeux solutions typographiques très distinctes, basées surl’onciale. Mon but en réalisant un revival du caractère de l’Imprimerie nationale et de l’Ifao était d’aboutir à laforme la plus représentative possible de l’écriture oncialecaractéristique du copte. Il s’agissait également de complé-ter la fonte au plomb qui existait par de nombreux nou-veaux signes, mais toujours en gardant à l’esprit l’idée de parvenir à une forme onciale classique par excellence.La démarche de Laurent pour son diplôme, s’il s’est luiaussi basé sur l’analyse de ces formes historiques classiques,propose une approche esthétique plus « actuelle »de la typographie copte.

Après avoir travaillé sur une option historique clas-sique et une approche résolument plus contemporaine,nous avons envisagé ce projet comme la troisième voiepossible dans le travail sur une écriture ancienne, unevoie où ce sont l’écriture cursive et l’humain qui sont au centre du travail typographique.

Papyri et ostracaLa première phase du projet a été l’observation de l’écri-ture : sans maîtriser l’aspect purement linguistique nousétions cependant tous deux familier de l’écriture coptepour avoir déjà travaillé dessus et l’avoir étudiée. L’écri-ture cursive est néanmoins très différente de l’écriturecopte classique, plus stable, et la phase préparatoired’analyse a été particulièrement longue et importante.Nous avons eu la chance d’avoir de nombreux documentsà notre disposition, de pouvoir observer des modèles cur-sifs très variés pour pouvoir cerner l’existant. J’ai eu l’occasion de visiter le musée copte du Caire, où sontexposés de nombreux papyri et ostraca (éclats de poteriesur lesquels les égyptiens écrivaient parfois), et les cher-cheurs coptisants avec qui nous étions en contact ont pu nous fournir des indications et une documentationprécieuse tout au long du projet.

Nous avons conclu cette phase d’observation, durantlaquelle nous nous étions déjà un peu familiarisés avec le ductus des signes, par une courte phase de calligraphiede l’écriture copte cursive, en essayant de retrouver des outils et des supports proches de ceux utilisés dans

la plupart des documents, calame et papyrus. D’une façon générale la place accordée au tracé manuscrita été importante tout au long du projet, depuis la calligra-phie jusqu’aux corrections des premiers signes vectorisés.

Passée la phase d’analyse, la question de la mise au point d’une méthode de travail s’est posée, non seule-ment parce que nous n’avions jamais travaillé sur une cursive étrangère, mais également parce que nousn’avions jamais réalisé de projets de création de caractèresà deux. Nous étions d’accord sur la méthode de travailglobale, que l’on peut résumer ainsi en simplifiant: une première phase de croquis d’analyse de quelques jours,une deuxième phase de sélection des signes qui nous semblaient les plus intéressants (lisibilité, esthétique,représentativité) dans les documents de travail, une troi-sième phase de dessin sur calques de ces signes agrandis,de l’ordre de deux semaines environ, et enfin une quatrième phase de vectorisation, de retouche et d’harmo-nisation des signes, qui a durée plusieurs semaines.

Dessin sur calque

Exemple d’onciale classiqueet de cursive copte.Ce mot signifie « comme tu me l’as écrit ».

Vectorisation du signe

Croquis d’analyse de ce signe

Mu extrait d’un papyrus du VIIe siècle

Laurent Bourcellier et Jonathan Perez15

Ligature par approches courantes (Mu-Alpha)

Page 5: Article Graphê

Une scripte copte14

Une alternative à l’oncialeLes fontes coptes sont relativement nombreuses pourune langue morte, preuve du succès de ce domaine de la recherche même si elles sont dans l’ensemble trèspeu satisfaisantes esthétiquement et techniquement, car peu de maisons d’éditions et de chercheurs font appelà des typographes. Elles sont toutes plus ou moins toutesbasées sur la forme onciale des textes religieux : la nou-velle fonte copte de l’Ifao que j’ai réalisée l’année passée,dont l’imprimerie est une référence mondiale importanteen terme d’édition scientifique, et le copte dessiné parLaurent pour son diplôme, n’échappent pas à cette règle.Un des constats de départ de ce projet, qui nous vient dechercheurs, est de dire qu’il est peut-être paradoxal de neretenir qu’une « image » onciale de l’écriture copte, inti-mement liée à la religion et au contexte de reproductionde textes religieux, et de devoir utiliser cette forme pourla reproduction de documents de la vie de tous les jours.Nous avions envie de proposer une alternative au choixtypographique de l’onciale, pour laisser le chercheur et l’éditeur libres de choisir la forme qui leur conviendraitd’avantage selon l’ouvrage publié, d’affiner s’ils le souhai-taient le rapport entre la situation sociale du texte et sa représentation typographique.

Laurent dans le cadre de son diplôme, et moi-mêmedans le cadre de mon travail pour l’Ifao, avions opté pourdeux solutions typographiques très distinctes, basées surl’onciale. Mon but en réalisant un revival du caractère de l’Imprimerie nationale et de l’Ifao était d’aboutir à laforme la plus représentative possible de l’écriture oncialecaractéristique du copte. Il s’agissait également de complé-ter la fonte au plomb qui existait par de nombreux nou-veaux signes, mais toujours en gardant à l’esprit l’idée de parvenir à une forme onciale classique par excellence.La démarche de Laurent pour son diplôme, s’il s’est luiaussi basé sur l’analyse de ces formes historiques classiques,propose une approche esthétique plus « actuelle »de la typographie copte.

Après avoir travaillé sur une option historique clas-sique et une approche résolument plus contemporaine,nous avons envisagé ce projet comme la troisième voiepossible dans le travail sur une écriture ancienne, unevoie où ce sont l’écriture cursive et l’humain qui sont au centre du travail typographique.

Papyri et ostracaLa première phase du projet a été l’observation de l’écri-ture : sans maîtriser l’aspect purement linguistique nousétions cependant tous deux familier de l’écriture coptepour avoir déjà travaillé dessus et l’avoir étudiée. L’écri-ture cursive est néanmoins très différente de l’écriturecopte classique, plus stable, et la phase préparatoired’analyse a été particulièrement longue et importante.Nous avons eu la chance d’avoir de nombreux documentsà notre disposition, de pouvoir observer des modèles cur-sifs très variés pour pouvoir cerner l’existant. J’ai eu l’occasion de visiter le musée copte du Caire, où sontexposés de nombreux papyri et ostraca (éclats de poteriesur lesquels les égyptiens écrivaient parfois), et les cher-cheurs coptisants avec qui nous étions en contact ont pu nous fournir des indications et une documentationprécieuse tout au long du projet.

Nous avons conclu cette phase d’observation, durantlaquelle nous nous étions déjà un peu familiarisés avec le ductus des signes, par une courte phase de calligraphiede l’écriture copte cursive, en essayant de retrouver des outils et des supports proches de ceux utilisés dans

la plupart des documents, calame et papyrus. D’une façon générale la place accordée au tracé manuscrita été importante tout au long du projet, depuis la calligra-phie jusqu’aux corrections des premiers signes vectorisés.

Passée la phase d’analyse, la question de la mise au point d’une méthode de travail s’est posée, non seule-ment parce que nous n’avions jamais travaillé sur une cursive étrangère, mais également parce que nousn’avions jamais réalisé de projets de création de caractèresà deux. Nous étions d’accord sur la méthode de travailglobale, que l’on peut résumer ainsi en simplifiant: une première phase de croquis d’analyse de quelques jours,une deuxième phase de sélection des signes qui nous semblaient les plus intéressants (lisibilité, esthétique,représentativité) dans les documents de travail, une troi-sième phase de dessin sur calques de ces signes agrandis,de l’ordre de deux semaines environ, et enfin une quatrième phase de vectorisation, de retouche et d’harmo-nisation des signes, qui a durée plusieurs semaines.

Dessin sur calque

Exemple d’onciale classiqueet de cursive copte.Ce mot signifie « comme tu me l’as écrit ».

Vectorisation du signe

Croquis d’analyse de ce signe

Mu extrait d’un papyrus du VIIe siècle

Laurent Bourcellier et Jonathan Perez15

Ligature par approches courantes (Mu-Alpha)

Page 6: Article Graphê

Nous ne voulions pas d’un projet où l’un jouerait lerôle de directeur artistique et l’autre d’exécutant, ni d’unerépartition stricte des signes qui nous paraissait absurde,mais là encore la question du travail à deux s’est résoluepresque naturellement. Conscients que nous aurions tendance à aller vers deux directions différentes nousavons commencé par vectoriser chacun de notre côté une dizaine de signes, pour voir ce vers quoi chacun tendait, en allant volontairement vers « l’excès », Laurentvers une version très stabilisée, proche d’une italiquetypographique, et moi-même vers une cursive très peustabilisée, proche d’un fac-similé.

Nous avons confronté nos deux directions au boutd’une semaine environ, et cela a été la première étapeimportante du dessin de la fonte. Confronter cesextrêmes nous a permis de cerner tout de suite ce versquoi il fallait tendre, et la façon de s’approcher d’un justemilieu par des allers-retours entre ce que nous avionstrouvé du côté de la stabilisation des formes et ce quenous avions trouvé du côté de la cursivité. Nous avonsensuite travaillé ensemble sur un même ordinateur le dessin de 3 ou 4 signes-clés de l’écriture, qui nous ontpermis de fixer un début de parti-pris esthétique, unesorte de ligne graphique, et nous nous sommes répartisles signes de base restant à réaliser dans l’esprit de ceux-ci. Nous nous sommes ensuite échangé les signes, chacunretravaillant ceux de l’autre, et nous nous retrouvionsrégulièrement pour finaliser ensemble tel ou tel signe,critiquer au sens large du terme nos dessins, préciserensemble une structure sur les attaques ou les sorties des tracés, etc.

Travailler à deux nous a permis à la fois de croiser nosregards sur cette écriture mais aussi d’avoir un regardextérieur sur notre propre production, de voir des chosesque nous n’aurions pas vu en travaillant seul. Nous avonsrapidement accepté ce principe de dessin commun, et lesconcessions que cela impliquait parfois, pour tout ce quecela nous apportait. En conservant toutefois, pour l’anec-dote, ce qu’on pourrait appeler un « droit de veto unique »chacun pour un signe, qui consistait à peu près à dire« celui-ci je m’en charge, tu ne comprends rien à cettelettre et je vois exactement comment il faut la faire ».Nous avons été finalement presque surpris que ce travailde dessin commun se déroule avec autant de facilité.

Laurent Bourcellier et Jonathan Perez17

L’écriture copte comprend un très grand nombrede lettres accentuées dérivées des 31 lettres debase. La version actuelle de la fonte comprendprès de 700 glyphes, mais le projet reste bien sûrouvert et sera sans doute amené à évoluer encore,à être enrichi en lien avec la communauté scienti-fique. Il ne s’agit pas uniquement de signescoptes, elle contient également une part impor-tante de signes spécifiques à l’édition scienti-fiques : crochets, parenthèses, mais surtoutchaque signe copte doit exister en version « pointée », il s’agit d’une convention d’édition quisignale que l’on a déduit le signe, d’aprèsson contexte par exemple, parce qu’il était manquant. L’utilisation de signes pointés est d’un emploi très courant dans la publi-cation de documents de type papyrus, souv-ent légèrement abîmés ou incomplets. La fonte se

destine aux chercheurs et étudiants, mais aussi et surtout aux éditeurs scientifiques, elle est

en conséquence très complète et a été conçue pour fonctionner de façon

optimale sur du matériel professionnel.

Graphê39Définitif-v6.qxd 10/03/08 11:13 Page 16

Page 7: Article Graphê

Nous ne voulions pas d’un projet où l’un jouerait lerôle de directeur artistique et l’autre d’exécutant, ni d’unerépartition stricte des signes qui nous paraissait absurde,mais là encore la question du travail à deux s’est résoluepresque naturellement. Conscients que nous aurions tendance à aller vers deux directions différentes nousavons commencé par vectoriser chacun de notre côté une dizaine de signes, pour voir ce vers quoi chacun tendait, en allant volontairement vers « l’excès », Laurentvers une version très stabilisée, proche d’une italiquetypographique, et moi-même vers une cursive très peustabilisée, proche d’un fac-similé.

Nous avons confronté nos deux directions au boutd’une semaine environ, et cela a été la première étapeimportante du dessin de la fonte. Confronter cesextrêmes nous a permis de cerner tout de suite ce versquoi il fallait tendre, et la façon de s’approcher d’un justemilieu par des allers-retours entre ce que nous avionstrouvé du côté de la stabilisation des formes et ce quenous avions trouvé du côté de la cursivité. Nous avonsensuite travaillé ensemble sur un même ordinateur le dessin de 3 ou 4 signes-clés de l’écriture, qui nous ontpermis de fixer un début de parti-pris esthétique, unesorte de ligne graphique, et nous nous sommes répartisles signes de base restant à réaliser dans l’esprit de ceux-ci. Nous nous sommes ensuite échangé les signes, chacunretravaillant ceux de l’autre, et nous nous retrouvionsrégulièrement pour finaliser ensemble tel ou tel signe,critiquer au sens large du terme nos dessins, préciserensemble une structure sur les attaques ou les sorties des tracés, etc.

Travailler à deux nous a permis à la fois de croiser nosregards sur cette écriture mais aussi d’avoir un regardextérieur sur notre propre production, de voir des chosesque nous n’aurions pas vu en travaillant seul. Nous avonsrapidement accepté ce principe de dessin commun, et lesconcessions que cela impliquait parfois, pour tout ce quecela nous apportait. En conservant toutefois, pour l’anec-dote, ce qu’on pourrait appeler un « droit de veto unique »chacun pour un signe, qui consistait à peu près à dire« celui-ci je m’en charge, tu ne comprends rien à cettelettre et je vois exactement comment il faut la faire ».Nous avons été finalement presque surpris que ce travailde dessin commun se déroule avec autant de facilité.

Laurent Bourcellier et Jonathan Perez17

L’écriture copte comprend un très grand nombrede lettres accentuées dérivées des 31 lettres debase. La version actuelle de la fonte comprendprès de 700 glyphes, mais le projet reste bien sûrouvert et sera sans doute amené à évoluer encore,à être enrichi en lien avec la communauté scienti-fique. Il ne s’agit pas uniquement de signescoptes, elle contient également une part impor-tante de signes spécifiques à l’édition scienti-fiques : crochets, parenthèses, mais surtoutchaque signe copte doit exister en version « pointée », il s’agit d’une convention d’édition quisignale que l’on a déduit le signe, d’aprèsson contexte par exemple, parce qu’il était manquant. L’utilisation de signes pointés est d’un emploi très courant dans la publi-cation de documents de type papyrus, souv-ent légèrement abîmés ou incomplets. La fonte se

destine aux chercheurs et étudiants, mais aussi et surtout aux éditeurs scientifiques, elle est

en conséquence très complète et a été conçue pour fonctionner de façon

optimale sur du matériel professionnel.

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Ligne médiane et silhouetteNous avons enfin fait le choix de ne pas utiliser le principed’une ligne de base classique pour nos signes, pas plusque d’une ligne suspendue, mais de structurer notre écriture autour d’une ligne médiane, ce qui nous a permisde dynamiser l’écriture et d’être dans une logique plusproche des cursives sur papyrus, avec un travail de miseen valeur de la silhouette des mots pour conserver la vibration des lignes calligraphiées. Travailler le place-ment des caractères en accord avec une ligne médiane n’a pas été chose aisée. Quel que soit le glyphe, l’œil doitpercevoir que le tracé et la position découlent du glypheprecèdent et annoncent le suivant, on doit sentir que ce placement résulte d’une logique de tracé manuscrit.Qui plus est, le placement ne doit pas non plus desservir la silhouette, ce qui nuirait a la fluidité et au rythme d’ensemble. Comme pour une fonte latine, la silhouettedes mots participe aussi a la distinction des glyphes entreeux et a une meilleure lisibilité.

La version «caption»Pour une meilleure lisibilité de la fonte dans des corpsinférieur à 8 points (très fréquents, par la présence de notes, dans les éditions scientifiques) une version optimisée pour les corps de légende est en cours de réalisation. Sa graisse est légerement supérieure.

Ligature (Hore-Omicron-Upsilon)

Silhouette et ligne médiane. Ce mot signifie « comme tu me l’as écrit ».

Ligature dite « as de pique »(Epsilon-Rho)

formées pour proposer un modèle possible pour unetypographie. Nous sommes à ce moment là un siècle où le copte a été suffisamment assimilé, où le peuple s’estvéritablement approprié l’écriture et où nous ne sommesplus dans une logique de copie du modèle grec, et pasencore dans le « maniérisme » des derniers siècles.Encore une fois, le projet est aussi le résultat d’allers-retours entre de nombreux modèles, pour aller chercherdes formes plus représentatives, comprendre des struc-tures, mais nous avons essayé de retrouver l’esprit de ce document, le rythme de la main de la personne qui a écrit ce texte. Pour éviter de tomber dans une stabi-lisation excessive comme dans une cursivité « brouillon »nous nous sommes efforcé de rester fidèle à ce document,de nous y référer le plus souvent possible pour que notretravail en découle et faire en sorte que nous retrouvionsdans le résultat quelque chose de ces quelques lettres cursives écrites il y a 14 siècles.

Il ne s’agissait pas de tomber dans une logique de fac-similé, qui du reste, si on l’applique au dessin typographique où un signe possède une forme unique, ne rend absolument pas compte du rythme du document.Dans un papyrus les lettres, les tracés, les mots s’équilibrentpour aboutir à une impression d’ensemble finalementrégulière, mais avec une vibration propre à l’écriture cursive : c’est ce que nous avons essayé de rendre dans ce projet en mettant au point des formes qui, répétées,aboutiraient à donner face au texte typographié une sensation proche de ce que l’on a face au manuscrit, touten étant suffisamment représentatives pour permettre de typographier n’importe quel texte cursif.

La main du CopteLe second enjeu spécifique à ce projet était de rendrecompte de la cursivité sans avoir recours à la ligature systématique : dans l’écriture latine, cursivité et ligaturessont presque synonymes, et plus on est cursif, plus on estligaturé. L’écriture copte à une logique très différente, etl’écriture cursive a ceci de commun avec la forme oncialeque chaque lettre est indépendante, doit pouvoir « vivre »d’elle-même. Il y a parfois des ligatures sur de petits groupesde lettres, mais nous ne pouvions nous baser sur un sys-tème de ligature pour suggérer la cursivité, et le choix deréaliser une typographie penchée ne suffisait pas à rendre ce que nous cherchions.

Nous avons donc pris le parti de considérer que les lettres comportaient un plein et un délié, mais que ceplein et ce délié n’étaient pas produit par l’outil, le calamedes écritures cursives étant probablement taillé en pointeet non en biseau, mais que ce contraste provenait unique-ment de la pression de l’outil. La vibration qui en résulteest plus subtile, et uniquement basée sur notre analysedu geste, du ductus de chaque signe. Et cela donne égale-ment à ce travail une autre dimension qui est presquecelle d’un outil, d’un exercice d’analyse d’une écriturecursive copte, d’une « main ». Il nous a fallu réviser toutesles connaissances que nous avions des différents ductuspar rapport aux tracés latins car dans la cursive copte la construction des signes est parfois très particulière, et c’était aussi un des intérêts de ce projet que de découvrirune autre façon d’aborder des ductus qui nous semblent a priori évidents.

Un juste équilibreNous avons distingué deux grands enjeux, ou disons pro-blématiques typographiques dans ce projet, sur lesquelsnous allons un peu nous attarder. Le premier, et le plusévident, était de parvenir à un équilibre entre cursivité et stabilisation, entre fidélité et distanciation par rapportau modèle. Nous nous sommes principalement basé surun papyrus copte du VIIe siècle dans ce projet (que nousne pouvons pas reproduire pour des questions complexesde droit d’images), exceptionnel à de nombreux égards.Remarquable tout d’abord par son esthétique, par son bonétat de conservation et la quantité de signes qu’il contientet que nous avons donc pu observer comme provenantd’une même main. Intéressant aussi parce qu’il résoutd’une certaine façon cette problématique du « tropcursif » ou « trop stable » en proposant un modèle d’écri-ture cursive très lisible, où les lettres sont suffisamment

Ligature par approches courantes(Alpha-Iota)

Ductus

Laurent Bourcellier et Jonathan Perez19

Ligature par approche de paires(Lambda-Lambda)

Pression

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Ligne médiane et silhouetteNous avons enfin fait le choix de ne pas utiliser le principed’une ligne de base classique pour nos signes, pas plusque d’une ligne suspendue, mais de structurer notre écriture autour d’une ligne médiane, ce qui nous a permisde dynamiser l’écriture et d’être dans une logique plusproche des cursives sur papyrus, avec un travail de miseen valeur de la silhouette des mots pour conserver la vibration des lignes calligraphiées. Travailler le place-ment des caractères en accord avec une ligne médiane n’a pas été chose aisée. Quel que soit le glyphe, l’œil doitpercevoir que le tracé et la position découlent du glypheprecèdent et annoncent le suivant, on doit sentir que ce placement résulte d’une logique de tracé manuscrit.Qui plus est, le placement ne doit pas non plus desservir la silhouette, ce qui nuirait a la fluidité et au rythme d’ensemble. Comme pour une fonte latine, la silhouettedes mots participe aussi a la distinction des glyphes entreeux et a une meilleure lisibilité.

La version «caption»Pour une meilleure lisibilité de la fonte dans des corpsinférieur à 8 points (très fréquents, par la présence de notes, dans les éditions scientifiques) une version optimisée pour les corps de légende est en cours de réalisation. Sa graisse est légerement supérieure.

Ligature (Hore-Omicron-Upsilon)

Silhouette et ligne médiane. Ce mot signifie « comme tu me l’as écrit ».

Ligature dite « as de pique »(Epsilon-Rho)

formées pour proposer un modèle possible pour unetypographie. Nous sommes à ce moment là un siècle où le copte a été suffisamment assimilé, où le peuple s’estvéritablement approprié l’écriture et où nous ne sommesplus dans une logique de copie du modèle grec, et pasencore dans le « maniérisme » des derniers siècles.Encore une fois, le projet est aussi le résultat d’allers-retours entre de nombreux modèles, pour aller chercherdes formes plus représentatives, comprendre des struc-tures, mais nous avons essayé de retrouver l’esprit de ce document, le rythme de la main de la personne qui a écrit ce texte. Pour éviter de tomber dans une stabi-lisation excessive comme dans une cursivité « brouillon »nous nous sommes efforcé de rester fidèle à ce document,de nous y référer le plus souvent possible pour que notretravail en découle et faire en sorte que nous retrouvionsdans le résultat quelque chose de ces quelques lettres cursives écrites il y a 14 siècles.

Il ne s’agissait pas de tomber dans une logique de fac-similé, qui du reste, si on l’applique au dessin typographique où un signe possède une forme unique, ne rend absolument pas compte du rythme du document.Dans un papyrus les lettres, les tracés, les mots s’équilibrentpour aboutir à une impression d’ensemble finalementrégulière, mais avec une vibration propre à l’écriture cursive : c’est ce que nous avons essayé de rendre dans ce projet en mettant au point des formes qui, répétées,aboutiraient à donner face au texte typographié une sensation proche de ce que l’on a face au manuscrit, touten étant suffisamment représentatives pour permettre de typographier n’importe quel texte cursif.

La main du CopteLe second enjeu spécifique à ce projet était de rendrecompte de la cursivité sans avoir recours à la ligature systématique : dans l’écriture latine, cursivité et ligaturessont presque synonymes, et plus on est cursif, plus on estligaturé. L’écriture copte à une logique très différente, etl’écriture cursive a ceci de commun avec la forme oncialeque chaque lettre est indépendante, doit pouvoir « vivre »d’elle-même. Il y a parfois des ligatures sur de petits groupesde lettres, mais nous ne pouvions nous baser sur un sys-tème de ligature pour suggérer la cursivité, et le choix deréaliser une typographie penchée ne suffisait pas à rendre ce que nous cherchions.

Nous avons donc pris le parti de considérer que les lettres comportaient un plein et un délié, mais que ceplein et ce délié n’étaient pas produit par l’outil, le calamedes écritures cursives étant probablement taillé en pointeet non en biseau, mais que ce contraste provenait unique-ment de la pression de l’outil. La vibration qui en résulteest plus subtile, et uniquement basée sur notre analysedu geste, du ductus de chaque signe. Et cela donne égale-ment à ce travail une autre dimension qui est presquecelle d’un outil, d’un exercice d’analyse d’une écriturecursive copte, d’une « main ». Il nous a fallu réviser toutesles connaissances que nous avions des différents ductuspar rapport aux tracés latins car dans la cursive copte la construction des signes est parfois très particulière, et c’était aussi un des intérêts de ce projet que de découvrirune autre façon d’aborder des ductus qui nous semblent a priori évidents.

Un juste équilibreNous avons distingué deux grands enjeux, ou disons pro-blématiques typographiques dans ce projet, sur lesquelsnous allons un peu nous attarder. Le premier, et le plusévident, était de parvenir à un équilibre entre cursivité et stabilisation, entre fidélité et distanciation par rapportau modèle. Nous nous sommes principalement basé surun papyrus copte du VIIe siècle dans ce projet (que nousne pouvons pas reproduire pour des questions complexesde droit d’images), exceptionnel à de nombreux égards.Remarquable tout d’abord par son esthétique, par son bonétat de conservation et la quantité de signes qu’il contientet que nous avons donc pu observer comme provenantd’une même main. Intéressant aussi parce qu’il résoutd’une certaine façon cette problématique du « tropcursif » ou « trop stable » en proposant un modèle d’écri-ture cursive très lisible, où les lettres sont suffisamment

Ligature par approches courantes(Alpha-Iota)

Ductus

Laurent Bourcellier et Jonathan Perez19

Ligature par approche de paires(Lambda-Lambda)

Pression

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D’un point de vue technique, la fonte est compatible Macet PC et, autant que possible, basée sur Unicode : les grillesUnicode ne contenant pas la plupart des caractères néces-saires à l’édition scientifique, cela représente une propor-tion très réduite des signes. Elle est également compatibleavec la fonte copte des éditions de l’Ifao. Un clavier virtuelpour permettre la saisie de textes coptes via notre clavierAzerty est déjà réalisé pour Mac, avec un placementlogique des lettres en fonction des touches et des raccourcisde type ^ + e = ê pour saisir facilement l’ensemble dessignes accentués. Nous allons travailler à la réalisationd’une version PC de ce clavier dès que possible.

Le projet étant une initiative personnelle, sans com-manditaire, la distribution et la vente se fera à nos deuxnoms, via notre site internet, où nous proposerons égale-ment des spécimens de caractères de la fonte. Nous espérons que cet outil, relativement expérimental dans le domaine de l’édition scientifique, servira à éditer denombreux textes cursifs et saura convaincre éditeurs etchercheurs, et les sensibiliser d’avantage encore à la pro-blématique typographique de reproduction de textesanciens, en ouvrant peut-être de nouvelles perspectivesesthétiques peu ou pas encore explorées pour le copte et d’autres écritures anciennes. ıLaurent Bourcellier et Jonathan PerezMerci pour leurs conseils à : Émilie Decombes, Geneviève Favrelleet Jean-Louis Fort.

www.typographies.frCopte Scripte, tous droits réservés.

Les deux textes ci-contre sont extraits de l’article

«Marc le prêtre de Saint-Marc » de Chantal Heurtel,

paru dans Actes du huitième congrès internationald’études coptes, Paris, 28 juin – 3 juillet 2004.

Édités par N. Bosson et A. Boud’hors. Leuven-Paris-Dudley,

MA : Uitgeverij Peeters en Departement Oosterse Studies,

2007.2 volumes. OLA 163. Article pp. 727-750, volume 2.

Laurent Bourcellier et Jonathan Perez21

+ Voilà que le prêtre Phaustos a écrit au sujet

du livre. Si tu as fait ses finitions, remets-le, s’il te

plaît, à son homme qu’il a envoyé pour cette affaire.

Ce qui lui incombe au plus juste (prix), écris (le) moi

sur un petit tesson et c’est moi qui te le rembourserai

directement, en attendant que Pahôm aille au nord.

Je lui (= à Phaustos) dois encore deux trimesion;

mon frère Jacob, l’homme (de) Piom va s’engager

pour l’un et un autre frère va s’engager pour

un autre. Je me suis dit (en moi-même) : si je te donne

encore son prix, je suis quitte avec lui. À mon frère

(le) prêtre et à mon frère Psaté, l’humble Marc.

+ Lorsque mon humilité a reçu la sainte

lettre de ta piété, j’ai été empli d’une

grande joie. Dieu sait que j’ai été très

chagriné de ne pas t’avoir rencontré hier.

C’est qu’en vérité le soleil était tout à fait

couché avant que j’arrive chez Épiphane.

Comme je me suis senti enthousiaste

auprès de lui, je n’ai pas trouvé le moyen

d’aller à Tsès. Fais-moi la grande faveur

de plier pour moi les autres papyrus

qui sont chez toi pour demain matin tôt

car j’en ai besoin : c’est que j’ai reçu

un acompte aujourd’hui pour le Sticheron.

Quant à l’encre noire, je te la rembourse-

rai en espèces. Si le Seigneur m’en donne

le moyen, j’irai au nord le matin et je les

mettrai en ordre chez toi. Surtout,

prie pour moi, mon cher frère pieux !

(À) maître Moïse, Marc, ton humble frère

Recto Verso

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D’un point de vue technique, la fonte est compatible Macet PC et, autant que possible, basée sur Unicode : les grillesUnicode ne contenant pas la plupart des caractères néces-saires à l’édition scientifique, cela représente une propor-tion très réduite des signes. Elle est également compatibleavec la fonte copte des éditions de l’Ifao. Un clavier virtuelpour permettre la saisie de textes coptes via notre clavierAzerty est déjà réalisé pour Mac, avec un placementlogique des lettres en fonction des touches et des raccourcisde type ^ + e = ê pour saisir facilement l’ensemble dessignes accentués. Nous allons travailler à la réalisationd’une version PC de ce clavier dès que possible.

Le projet étant une initiative personnelle, sans com-manditaire, la distribution et la vente se fera à nos deuxnoms, via notre site internet, où nous proposerons égale-ment des spécimens de caractères de la fonte. Nous espérons que cet outil, relativement expérimental dans le domaine de l’édition scientifique, servira à éditer denombreux textes cursifs et saura convaincre éditeurs etchercheurs, et les sensibiliser d’avantage encore à la pro-blématique typographique de reproduction de textesanciens, en ouvrant peut-être de nouvelles perspectivesesthétiques peu ou pas encore explorées pour le copte et d’autres écritures anciennes. ıLaurent Bourcellier et Jonathan PerezMerci pour leurs conseils à : Émilie Decombes, Geneviève Favrelleet Jean-Louis Fort.

www.typographies.frCopte Scripte, tous droits réservés.

Les deux textes ci-contre sont extraits de l’article

«Marc le prêtre de Saint-Marc » de Chantal Heurtel,

paru dans Actes du huitième congrès internationald’études coptes, Paris, 28 juin – 3 juillet 2004.

Édités par N. Bosson et A. Boud’hors. Leuven-Paris-Dudley,

MA : Uitgeverij Peeters en Departement Oosterse Studies,

2007.2 volumes. OLA 163. Article pp. 727-750, volume 2.

Laurent Bourcellier et Jonathan Perez21

+ Voilà que le prêtre Phaustos a écrit au sujet

du livre. Si tu as fait ses finitions, remets-le, s’il te

plaît, à son homme qu’il a envoyé pour cette affaire.

Ce qui lui incombe au plus juste (prix), écris (le) moi

sur un petit tesson et c’est moi qui te le rembourserai

directement, en attendant que Pahôm aille au nord.

Je lui (= à Phaustos) dois encore deux trimesion;

mon frère Jacob, l’homme (de) Piom va s’engager

pour l’un et un autre frère va s’engager pour

un autre. Je me suis dit (en moi-même) : si je te donne

encore son prix, je suis quitte avec lui. À mon frère

(le) prêtre et à mon frère Psaté, l’humble Marc.

+ Lorsque mon humilité a reçu la sainte

lettre de ta piété, j’ai été empli d’une

grande joie. Dieu sait que j’ai été très

chagriné de ne pas t’avoir rencontré hier.

C’est qu’en vérité le soleil était tout à fait

couché avant que j’arrive chez Épiphane.

Comme je me suis senti enthousiaste

auprès de lui, je n’ai pas trouvé le moyen

d’aller à Tsès. Fais-moi la grande faveur

de plier pour moi les autres papyrus

qui sont chez toi pour demain matin tôt

car j’en ai besoin : c’est que j’ai reçu

un acompte aujourd’hui pour le Sticheron.

Quant à l’encre noire, je te la rembourse-

rai en espèces. Si le Seigneur m’en donne

le moyen, j’irai au nord le matin et je les

mettrai en ordre chez toi. Surtout,

prie pour moi, mon cher frère pieux !

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Grains de sens24

La partie du rapport de la Cour desComptes concernant l’ImprimerieNationale est accessible à :http://www.ccomptes.fr/cc/documents/RPA/

13-imprimerie-nationale.pdf

« On peut par ailleurs regretter leretard pris par l’État pour régler lasituation de l’Atelier historique, pro-bablement seul au monde à gardervivantes les techniques anciennes età conserver une collection de poin-çons typographiques remontant auxorigines de l’imprimerie. Cette situa-tion présente un intérêt historiqueconsidérable, mais entraîne unecharge estimée à 0,9 M d’euros paran, qu’il est anormal de laisser àl’Imprimerie nationale. L’État doitdonc organiser au plus tôt la sortiede cet atelier de l’entreprise, commeil s’y est engagé dans le plan deredressement. »

Parmi les conclusions :« L’Agence des participations de l’Étatdoit mieux affirmer son rôle d’ac-tionnaire et participer au renforce-ment de la gouvernance de la société,à la fois par une participation plusactive aux réflexions stratégiques etpar une plus grande vigilance sur lesrésultats obtenus. »

Enfin dans la réponse du ministère de l’Économie :4) Sur l’Atelier du Livre d’Art

et de l’Estampe

« Le MINEFE rejoint également la Cour sur la nécessité de trouverrapidement une solution permettantd’organiser la sortie de l’Atelier

du Livre d’Art et de l’Estampe (ALAE)du périmètre de l’ImprimerieNationale, comme l’État s’y est enga-gé en 2004. Comme le sait la Cour,une mission conjointe del’Inspection générale des finances etde l’Inspection générale de l’adminis-tration des affaires culturelles a étédiligentée en 2005, avec pour objectifde recenser et d’expertiser l’ensembledes solutions d’adossement envisa-geables, permettant de préserverdurablement et de mieux valorisercette activité à caractère patrimonialet culturel. La mission a rendu sesconclusions en novembre 2006, etrecommande de privilégier l’optiond’une installation de l’ALAE auniveau 0 du Palais de Tokyo.L’absence de consensus sur ce sché-ma n’a toutefois pas permis à cestade de réaliser l’adossement del’ALAE, faute de solution alternativesatisfaisante. Il est donc nécessaired’intensifier les travaux interministé-riels sur ce sujet dans les prochainsmois, afin de parvenir à une solutionconsensuelle et réalisable dans desdélais acceptables. »

Graphê nº 39, mars 2008 – Prix : 3,80 eurosBulletin de l’Association Graphêpour la promotion de la typographie,7, rue de Douai 75009 Paris.Téléphone : 06 83 37 89 14

Directeur de la publication : Roland Fiszel.Rédacteur en chef : Roger Jauneau.Direction artistique : François Weil, Adeline Goyet, Franck Jalleau, Julien Janiszewski.Coordination : Roger Bodin.Correction : Léonard Léonetti.Impression : STIPA, Montreuil.Graphê est imprimé sur Munken Pure 120 g/m2

de ARCTIC PAPER.ISSN 1168-3104 - Dépôt légal : 1er trimestre 2008.

avec le soutien de la Direction régionale

des Affaires culturelles d’Ile-de-France.

Ministère de la Culture et de la Communication.

Adresser le courrier concernant Graphê à Roger Bodin, 20, avenue Courbet,95400 Arnouville-lès-Gonesse.

Adhésion/Abonnementindividuel : 25 euros/an.

une spontanéité. C’est ce que Lucrèce appelle le clinamen,écart spontané, soudain, infime mais fondamental « Sanscet écart, tous, comme des gouttes de pluie, ne cesse-raient de tomber à travers le vide immense ; il n’y auraitpoint lieu à rencontres, à chocs, et jamais la nature n’eûtpu rien créer » (Lucrèce, De la Nature, II, 220-224). D’unecertaine manière, la théorie atomiste, philosophie maté-rialiste, dévoile une signification de la matière, au lieude chercher à lui appliquer un sens.

Voilà peut-être un ultime enseignement venant d’icipour les typographes, et surtout pour les macro-typo-graphes et graphistes : une leçon de curiosité et d’humi-lité qui, du « macro- », pointe le « micro- ». Car l’ordrequ’on imprime aux choses n’est au bout du comptequ’un bref moment, séparé d’un éventuel autre ordre,par un chaos : si tout se crée avec – et à partir – desatomes, tout s’achève aussi avec – et par eux. Le poèmede Lucrèce se termine sur cette douloureuse séparation :ce qui se combine se dissout. Souffrance, maladie, catas-trophe, sont aussi sur le chemin, mais pour permettred’autres vies, d’autres associations futures. Le sens estfragile. Dans l’imprimerie, les caractères bien calés dansla forme peuvent, à l’occasion d’une chute, se libérer enun « pâté » insignifiant, et ils doivent de toute manièreretourner bien vite dans la casse pour que les pages sui-vantes puissent se composer. Si la différence entre lebeau et le sublime est bien notre capacité à être touchépar la tragédie, le chaos ou la souffrance, alors le destindu typographe (de plomb du moins) frôle sans doute le sublime. ıNicolas Taffin, mars 2008

Calendrier6 mai 2008 à partir de 10 h

Fête de Saint-Jean-Porte-Latine et assemblée générale de l’associationFormat typographique.Atelier de Saran « Le cassetin »Place de la Liberté – 45770 Saran – 02 38 73 09 [email protected]

20 mai 2008 à 18 h

Conférence Graphê L’impression numérique et l’École Estienneà l’École Estienne.

Du 17 au 20 avril 2008

Salon du Livre ancienau Grand Palais à Paris.

Image de la page 1 : William Blades, « Pentateuch of Printing with a Chapter on Judges », A.C.M. McCLVRG & Co., Chicago, 1891

La Cour des Comptes et l’Imprimerie Nationale