arthur christensen - la légende du sage buzurjmihr

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La légende du sage Buzurj1nihr. Pnr Arthur Christensen, Copenhague. Le sage Buzmjmihr 1 est un personnage énigmatique. Les litté- ratures arabe et persane sont pleines d'allusions à ce fameux ministre du grand Sassanide Khusrau I Anosarvan (531-78 de notre ère), et on cite à tout propos des sentences attribuées à lui. Aux yeux des ol'Ïentaux, il est aussi historique qu' Anosarvan lui-même, mais les savants modernes de l'ouest sont disposés à le considérer comme un personnage de pure fiction 2 En passant en 1·evue les sources de l'histoire de Buzmjmihr, nous trouvons d'abord deux ouvrages pehlvis, le Pandnamar ou ,Livre des conseils' de BuzurJmihr 3 et le 1\a:aoïran ë catrang (la ,Relation du jeu d'échecs')'· 1 Par des raisons qui seront expliquées ci-après, je préfère l'emploi de la f orme arabo-persane Buzurjmihr au lie1.1 de la forme pehlvie Vuzurymihr. 2 Nüldeke, 'fabarï (Gesch. der Perser und Araber zur Zeit der Sasa.niden), p. 251, note 1. 3 Pandnâmay ë Vuzurymihr ë Boxtayan ou Ay::Iôyar ë Vuzurymihr, publié 1)ar Peshotan Sanjana sous le titre de Ganjeshayagan (Bombay, 1885) et dans les Pahlavi Texts de Jamasp-.Asana (Bombay, 1913, p. 85 sqq.). La division en para- graphes est différente dans les deux éditions, les §§ 1-120 chez Peshotan corre- spondant aux §§ 1-234 chez Jamasp-Asana; puis le manuscrit reproduit par ce dernier contient quelques passages (§§ 235-264) qui manquent dans 1 'édition de Peshotan, mais la fin, correspondant aux §§ 121-1,69 de l'édition de Peshotan, y fait défaut. L'introduction(§ 1 chez Peshotan, 1-4 chez Jamasp-Asana) a été traduite par Fr. Müller dans le WZKM., t. 12, p . 56 sqq. ' 1\IMïyan ë ca trang, publié dans le ,G:.wj esluiyagiln't etc. de Peshotan Sa.njana, dans les P ahl avi Texts de Jamasp-.Asana, p. 115 sqq. et, en transcription, par Salemann dans le Bull. de l'Acad. imp. des sciences de S 1 -Pétersbourg, 1887, p. 427 sqq. Acta orien tnlia.. Vlii. 6

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  • La lgende du sage Buzurj1nihr. Pnr

    Arthur Christensen, Copenhague.

    Le sage Buzmjmihr 1 est un personnage nigmatique. L es litt-ratures arabe et persane sont pleines d'allusions ce fameux ministre du grand Sassanide Khusrau I Anosarvan (531-78 de notre re), et on cite tout propos des sentences attribues lui. Aux yeux des ol'entaux, il est aussi historique qu' Anosarvan lui-mme, mais les savants modernes de l'ouest sont disposs le considrer comme un personnage de pure fiction 2

    En passant en 1evue les sources de l'histoire de Buzmjmihr, nous trouvons d'abord deux ouvrages pehlvis, le Pandnamar ou ,Livre des conseils' de BuzurJmihr 3 et le 1\a:aoran catrang (la ,Relation du jeu d'checs')'

    1 Par des raisons qui seront expliques ci-aprs, je prfre l'emploi de la forme arabo-persane Buzurjmihr au lie1.1 de la forme pehlvie Vuzurymihr.

    2 Nldeke, 'fabar (Gesch. der Perser und Araber zur Zeit der Sasa.niden), p. 251, note 1.

    3 Pandnmay Vuzurymihr Boxtayan ou Ay::Iyar Vuzurymihr, publi 1)ar Peshotan Sanjana sous le titre de Ganjeshayagan (Bombay, 1885) et dans les Pahlavi Texts de Jamasp-.Asana (Bombay, 1913, p. 85 sqq.). La division en para-graphes est diffrente dans les deux ditions, les 1-120 chez Peshotan corre-spondant aux 1-234 chez Jamasp-Asana; puis le manuscrit reproduit par ce dernier contient quelques passages ( 235-264) qui manquent dans 1 'dition de Peshotan, mais la fin, correspondant aux 121-1,69 de l'dition de Peshotan, y fait dfaut. L'introduction( 1 chez Peshotan, 1-4 chez Jamasp-Asana) a t traduite par Fr. Mller dans le WZKM., t. 12, p . 56 sqq.

    ' 1\IMyan ca trang, publi dans le ,G:.wj esluiyagiln't etc. de Peshotan Sa.njana, dans les Pahlavi Texts de Jamasp-.Asana, p. 115 sqq. et, en transcription, par Salemann dans le Bull. de l'Acad. imp. des sciences de S1-Ptersbourg, 1887, p. 427 sqq.

    Acta orien tnlia.. Vlii. 6

  • 82 Arthur Christensen.

    Pour commencer par le dernier, en voici la substance : Dwsarm, roi de l'Inde, envoie un de ses serviteurs lt Anosarvan avec des prsents et un jeu d'checs, jeu qui n'est pas connu au dehors de l'Inde. Le messager prsente au roi de Perse une lettre dans laquelle le roi de l'Inde l'invite faire expliquer ce jeu par ses sages: si ceux-ci n'y russissent pas, Annsarvan doit payer un tribut au roi de l'Inde. Anisarvan demande un dlai de trois jours. Les savants de la Perse essaient en vain d'expliquer le jeu; mais, le troisime jour, Vuzuqmihr Boz.ta1an (fils de Boxta)') se prsente et offre d'expliquer le jeu et de remettre en mme temps aux mains du messager un autre jeu de son invention, que le roi de l'Inde doit faire expliquer par ses savants sous peine de payer un tribut double la Perse. Le len-demain, Vuzurymihr explique le jeu d1checs et gagne douze parties au messager. Puis Vuzurymihr est envoy la cour du roi Dwsarm avec toutes sortes d'objets prcieux et prsente ce roi le jeu invent par lui, jeu qu'il dsigne sous le nom de llv-A1das?' et qu'on appelle gnralement Nard 1. Le roi demande un dlai de quatorze jour pour consulter ses sages, mais comme personne ne sait expliquer le jeu, il l'emet Vuzuqmihr le tribut double et le renvoie avec de riches prsents et de grands honneurs.

    Le Pandna.ma.y, livre des Conseils de Vuzurymihr, a une in-troduction dans laquelle l'auteur se nomme Vuzurymibr Box.tajan, premier ministre de l'empire perse, et dit qu'il a crit ce petit ouvrage sur l'ordre de Khusrau Anosarv[n. Le lin-e consiste en maximes morales et religieuses sous la forme d'un dialogue et se termine par quelques rflexions sur Ie destin et l'incertitude de la vie humaine.

    Passons aux sources arabes et persanes 2 L'histoire de Buzmjmihr est raconte d'une faon concise par Ta

  • La lgende du sage Buzmjmihr. 83 Voici le rcit de 'f.acalib, dont nous donnons quelques parties

    1n extenso 1 : Une certaine nuit, ainsi rapportent les Perses, Anosarvan eut

    un songe : il lui semblait qu'il buvait du vin dans une coupe d'or, et qu'un porc, mettant son groin dans la mme coupe, buvait avec lui. Le roi, au matin, demanda aux mobaos le sens de son 1ve, mais ils ne surent pas l'interprter. Il ordonna ses officiers de confiance de chercher quelqu'un qui en st donner l'explication. Or il arriva que l'un d'eux entra dans l'cole d'un de leurs pr-cepteurs et lui demanda son opinion au sujet du songe. Le prcepteur, pas plus que les autres, n'tait en tat de l'interprter. Alors, l'un de ses lves, un jeune garon nomm Buzmjmihr, se leva et dit : ,Matre, moi j'en connais l'interprtation !' Le matre l'apostropha durement et le rprimanda et lui dit : , V eux-tu tre raisin sec tant encore vert?' L'homme qui demandait la consultation dit au prcepteur: ,On ne peut nier que Dieu n'ait le pouvoir d'clairer un enfant comme lui.' Le prcepteur dit au jeune garon :,Dis ce que tu sais!' ,Non, vraiment', rpliqua BuzurJmihr, Je ne donnerai l'interprtation que devant le roi!' L'officier de confiance l'emmena donc la cour, parla de lui au roi et lui rapporta ce qui s'tait pass. Anosarvan le fit appeler et vit en lui un jeune homme sur qui brillait la marque de l'intelligence et de la perspicacit. Il lui dit : ,C'est toi qui t'offres pour interprter mon songe?' ,Oui, sire', rpliqua Buzurjmihr. ,Inter-prte-le donc.' ,L'interprtation ne peut tre communique qu' toi seul.' Le roi ayant fait sortir toutes les personnes prsentes, Buzmjmihr dit : ,Il y a parmi tes femmes et tes escla.ves un homme qui partage avec toi les faveurs de l'une d'elles.' ,Je voudrais', dit le roi, ,que tu donnasses la preuve de ce que tu dis.' ,II faut', rpliqua Buzurjmihr ,que tu ordonnes toutes les femmes qui se trouvent dans tes apparte-ments et dans tes pavillons de passer devant nous.' Quand, sur l'ordre d' Anosarvan, elles eurent toutes dfil, sans que le fait signal

    1 Histoire des rois des Perses par Al-Tba' lib, publi et traduite par H. Zotenberg (Paris, 1900), p. 619 sqq.

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  • 84 Arthur Christensen.

    par lui ft dcouvert, Buzurjmihr dit : ,Il faut que tu ordonnes toutes de paratre nues devant toi.' Ansarvan leur en donna l'ordre. Il avait une femme, une princesse de naissance royale, qui aimait un jeune homme qui elle faisait porter le costume des femmes esclaves et qu'elle gardait prs d'elle parmi ses esclaves comme s'il tait de leur nombre. Quand les femmes et les esclaves passrent nues devant Anosarvan et que vint le tour de ce jeune homme, il tait compltement domin par la terreur. Anosnrvan sut alors qu'il tait un garon et donna l'ordre de le mettre mort avec son amante. Il admira la perspicacit dont tait dou Buzmjmihr bien qu'il ft encore si jeune, l'attacha sa personne et en fit son intime familier. Et Dieu dpartit Buzurjmihr une telle sagesse qu'il devint le phnix de son sicle.

    L'auteur raconte ensuite l'histoire du jeu d'checs et du jeu de Nard que nous connaissons dj du livre pehlvi. Aprs quelques autres rcits il reprend le fil de l'histoire de Buzrujmihr dans les termes suivants 1 :

    Lorsque Anosarvan, courrouc contre Buzmjmihr, lui retira sa fa"Veur, il lui ordonna de choisir pour demeure un endroit qu'il ne dsirerait pas quitter, ni en hiver, ni en t; pour nourriture, un seul aliment, auquel il ne substituerait aucun autre et, pour se couvrir, un vtement qu'il ne changerait jamais. Buzurjmihr choisit pour demeure le souterrain, parce qu'il est froid en t et chaud en hiver; pour se nourrir, le lait, parce qu'il est en mme temps une nourriture substantielle et une boisson et l'aliment de l'enfant et du vieillard ; et il prit pour vtement la, fourrure, qu'il endossait en hiver et qu'il port:lit lt l'envers pendant l't. Son martyre durait longtemps, de telle sorte qu'il perdit la vuP..

    L'empereur envoyn. lt. Ani.Sarviin un petit coffre ferm par un cadenas et scell, avec ce mcssngc : ,Si tu dis mon envoy ce qu'il y a dans ce coffre, je m'engage te payer tribut, sinon, pas.' Anosarvan le demanda aux hommes perspicaces de sa cour, mais

    1 Ibid., p. 633 sqq.

  • La lgende du sage Buzmjmihr. 85 ils furent tous galement hors d'tat de rpondre et de deviner. Il reconnut que seul BuzurJmihr, bien qu'il ft aveugle, tait capable de rsoudre le problme. Il donna l'ordre de le mettre en libert, de le conduire au bain, de le revtir du costume des vzirs qu'il portait auparavant et de l'introduire. Son ordre fut excut et Buzmjmihr fut amen. Il le reut avec honneur, se justina auprs de lui, lui parla du coffre et lui demanda ce qu'il contenait. Buzmjmihr lui demanda pour rpondre . la question le dlai d'une nuit. Le len-demain, il monta cheval et se :fit prcder par deux valets auquels il ordonna de lui signaler la premire personne qui viendrait en sens oppos sur son chemin. Une femme vint passer, et il lui demanda si elle tait vierge ou pouse. Elle rpondit qu'elle tait vierge. BuzurJmihr poursuivit sa route. Une autre femme venant ~L passer, il lui demanda si elle tait clibataire ou marie. ,Marie', rpondit-elle. ,As-tu des enfants?' ,Non/ Buzmjmihr s'loigna. Une troisime femme qui vint a passer r pondit h. ses questions qu'elle avait des enfants. Il continua son chemin et, tant entr au palais, il se prsenta devant Ansarvan. Il lui demanda de donner l'ordre de faire venir l'envoy et d'apporter le coffre scell, ce qui fut fait . .Alors Buzmjmihr dit : ,Il y a dans ce coffre trois perles, dont l'une n'est pas perce; une autre est perce moiti et la troisime est perce entirement.' Le coffre ayant t ouvert, on trouva les perles, comme il avait dit. Anosarvan admira sa perspicacit, se repentit de lui avoir fait prouver son courroux et attribua ce fait au dcret et la volont de Dieu. L'envoy de l'empereur s'engagea, au nom de son matre, . payer tribut.

    Le nom de Buzmjmihr ne se rencontre plus dans la chronique de Tacalibr. Mais voici un autre rcit qui entre dans le domaine de nos recherches 1 :

    Hormizd 2 voulait faire mourir Burzmihr et Varhran Aurmahan, qm avaient t de grands dignitaires et avaient rempli de hautes

    1 Ibid., p. 638 sqq. 2 Hormizd IV ( 578-90), fils et successeur de Khusrau I Anosarvan.

  • 86 Arthur Christensen.

    fonctions sous le rgne d' Anosarvn. Il fit appeler Burzmihr et, lui parlant en secret, lui dit: ,J'ai l'intention de tuer Varhra.n Aourmhn ; .mais je voudrais que cela ft fait par le moyen de quelque incri-mination qui serait dirige contre lui. Si tu attestes devant les grands qu'il est coupable et qu'il mrite la mort, je te garantis la vie sauve et t'lve un plus haut rang.' Burzmihr rpliqua : ,Je ne saurais refuser d'excuter l 'ordre du roi!' Hormizd alors donna l'ordre de runir un conseil des seuls notables et fit appeler Burzmihr et Varhr

  • La lgende du sage Buzurjmihr. 87 connus pour leur infaillibilit dans l'interprtation de l'action des astres affirment unanimement que mon fils Hormizd rgnera aprs moi pendant onze ans et neuf mois, que son gouvernement sera ensuite en proie aux troubles, qu'il y aura des sditions et que les rebelles le dposeront et lui crveront les yeux, et qu'aprs cela ils le tueront.' Lorsque Hormizd vit les lignes traces par son pre) le monde devint sombre ses yeux et la tristesse s'empara de son me. V arhran ayant t ramen sur l'ordre de Hormizd dans sa prison dit : ,Je viens de mettre le fils de la Turque dans une situation telle qu'il mnera une vie misrable !c Lorsque la nuit eut laiss tomber ses voiles, Hormizd donna l'ordre de lui faire goter la chaleur du sabre. Quant lui, il renona au plaisir et la gaiet; le sommeil ne lui tait pas doux et ses jours taient sombres.

    Le rcit de Pi1dausi commence 1, comme celui de Ta

  • 88 Arthur Christensen.

    Mahboa 1 et plusieurs autres vnements, le pote revient BuzurJ-mihr 2 Un jour, ce sage se prsente devant AnSarvan et lui remet un li"Vre de sagesse qu'il a compos en pehlvi pour l'usage du roi, ce qui donne lieu une conversation entre le roi, qui lui pose des questions, et le sn.ge, qui y rpond. Cette conversation constitue en ralit le sujet du livre qui est le Pandnamar pehlvi. Ayant racont dans la suite l'histoire du jeu d'checs 8, Firdausi insre une remarque qui indique, que le rcit suivant, celui de l'invention du jeu d'checs sur l'ordre d'un prince indien qui a tu son frre dans une bataille, rcit donn avec beaucoup de dtails 4, est emprunt une autre source. Ensuite le pote, revenant encore une fois l'histoire de Buzutjmihr, raconte la disgrce de celui ci 5 L a cause du courroux du roi contre le sage, omise par Ta'alib, est explique par Firdausr: tant all la chasse avec Buzmjmih1, Anosarv~n s'est endormi; un oiseau dchire le bracelet de perles du roi et avale les perles. Le roi, s'tant veill, croit que BuzurJmihr lui-mme a vol et aval les perles ; il lui fait donner des soufflets et lui ordonne de rester enferm dans sa maison. Un jeune neveu de Buzuz:Jmihr et serviteur priv du roi, qui est avec le sage dans la maison, profite de ses instructions pour exercer avec une adresse extraordinaire son emploi qui consiste, entre autres, verser de l'eau chaude sur les mains du roi. Anosarvan, tonn de son habilet, lui demande qui lui a enseign cet art, et comme le jeune homme rpond que c'est Buzmjmihr, le roi l'envoie deux fois celui-ci avec des messages dans l'espoir que Buzmjmihr exprimera sou repentir, mais chaque fois Buzmjmiln rpond qu'il est satisfait de son sort, qui est meilleur que celui du roi. Alors Anosarvan, furieux, ordonne de faire placer Buzmjmihr dans un coffre de fer, garni l'intrieur de pointes et

    1 L'histoire de Mahbo est donn~e, chez '!'a'alibi, aprs l 'pisode du jeu d'checs.

    ' VI, p. 364 sqq. 3 VI, p. 384 sqq. 4 VI, p. 400 sqq. 6 VI, p. 456 sqtf.

  • La lgende du sage Buzurjmihr. 89

    de clous. Cependant, comme BuzurJmihr, sur nu nouveau message, rpte sa premire rponse, le roi craint qu'un malheur ne l'atteigne, et ordonne de dlivrer le sage et de le ramener son palais ; mais Buzmjmihr, devenu aveugle, reste disgrci, jusqu' ce que l'affaire du coffre scell envoy par l'empereur de Byzance lui fournisse l'oc-casion de rentrer dans la faveur du roi.

    Un peu plus loin dans la relation de Firdaus, o est raconte la dernire guerre de Khusrau Anosarvan contre l'empereur, rcit tir d'une source particulire, comme il ressort des phrases intro-ductives, il est encore une fois question de Buzmjmiln 1 Le roi, en marche avec l'arme, a besoin d'une grande somme d'argent et ordonne Buzmjmihr d'envoyer chercher l'argent dans le trsor du l\Iazenderan. Buzm:]mihr fait l'observation qu'il serait plus facile d'emprunter la somme aux hommes riches du voisinage. Le roi consent, et BuzurJmihr envoie un homme h. la Yille la plus prochaine pour trouver l'argent. Un riche cordonnier offre toute la somme cette condition que Buzurjmihr procure h. son fils une place parmi les secrtaires du roi. Buzurjmihr prsente au roi la demande du cordonnier, mais Khusrau, en colre, ordonne de renvoyer l'argent

    ~t cet homme du bas peuple qui a os briguer pour son :fils une dignit rserve la noblesse 2

    Firdaus, comme Ta

  • 90 Arthur Christensen.

    .Aourmahan 1 Firdaus_, contrairement Ta'alib, fait ~dclarer Varhran que Smah Butzn (Burzmihr) n. mrit la mort pour avoir recommand le prince Hormizd la succession du trne. Cependant, Smah Burzn (Burzmihr) est ici, comme chez Ta cali bi, le premier des deux que le roi fait mettre mort. Dans la relation de la ven~ geance prise par Varlnan, les deux auteurs sont d'accord.

    Dnau;m'i (mort en 895) dit tout brivement 2, que Buzmjmihr_, fils de Bzta)'an :i tait le plus grand des sages du temps de Khusrau Anosarvan. L 'ouvrage anonyme appel Nihayatu>l-irab fi azbar)l~ furs wa)l~carab, qui suit, avec des amplifications diverses, la mme ligne de tradition que Drnawar, est plus circonstanci sur ce point. Dans le manuscrit dcrit par Browne il se trouve, ff. 162b-166b, ,a long account of Buzmjmihr the son of BY.ta)'an, Vh-Sahpuhr the chief priest (mobaan mobao), and Yazdgaro the chief scribe, who, with seventy other wise men, were in constant attendance on the King.-How Buzm:)mihr :first comes to the King's notice.-Specimens of his philosophical aphorisms and wise sayings, filling several pages.-Ten aphorisms apiece from the three wise men above mentioned 4.'

    Notre sage est mentionn galement dans les Murju'd-dahab de l.tas

  • La lgende du sage Buzutjmihr. 91

    demande Buzmjmihr quel est, parmi les princes, ses enfants, celui qui est le plus digne du trne. Le sage rpond : ,Quoique je ne connaisse pas tes enfants, je puis te dire quel est parmi eux le plus apte rgner : c'est celui qui a des qualits leves et au dsir de s'instruire unit au plus haut degr le ddain de la foule, la bien-veillance envers le peuple, l'amour du pardon et la haine de l'in-justice ; celui qui possde ces qualits est digne du pouYoir 1.' Buzmjmihr dcrit le caractre de Khusrau 2

    L 'histoire des conseillers mis mort par un roi injuste est donne par Mas'udi sous une forme qui diffre considrablement de celle que nous avons trouve chez Ta

  • 92 Arthur Christensen.

    qu'il m'a t ravi, je go\ltrafes.fruits de la patience, car, en perdant de grands biens, j'ai t dlivr aussi d'une infinit de maux.' Cette rponse irrita le roi; il fit venir le prisonnier et ordonna qu'on lui fendt le nez et la bouche. Buzur.Jmihr se contenta de dire qu'il mritait un chtiment encore plus svre. ,Ennemi acharn de Dieu', s'cria alors le roi, ,que signifie ce langage?' Le ministre rpondit : ,Je t'ai dpeint aux grands et au peuple avec des qualits que tu n'avais pas ; je t'ai gagn le cur de tes sujets, en t'attribuant des vertus qui n'existaient pas en toi. coute-moi, le plus mchant, le plus criminel et le plus perfide des rois : si tu me fais mourir sur un simple soupon, dtruiras-tu les gages certains que je t'ai donns de mon attachement la loi religieuse? Qui donc comptera dsormais sur ta justice ? Qui croira ta parole ou placera en toi sa confiance ?' Parvz, transport de fureur, lui fit trancher la tte. On a conserv quelques jugements de BuzurJmihr, ses sentences, ses exhortations et plusieurs apophtegmes sur la pit ou d'autres sujets. Parvz regretta bien tt la mort de son conseiller et :fit venir Varhran, fils [d'Aurmahan] 1, son second ministre, qui prenait rang aprs Buzmj-mihr. A la vue du cadavre de son collgue, celui-ci fut saisi de piti, et, sentant qu'il n'avait plus de salut esprer, il adressa de svres reproches Parvz. Le roi le fit mourir aussi et fit jeter son corps dans le Tigre.

    Une sentence de Buzurjmihr est cite dans le mme ouvrage de Mas'udi, tome VII, p. 1G4 sq.

    Le Fihrist d' En-Nad'im, (compos en 88) a conserv 2 une remarque de Buzu.z:jmihr sur l'excellence des livres et quelques petites notices bibliographiques relatives ce sage. Un livre de ~_,}1 ~~ (Vettius ou Vettius Valens) ayant pour titre ~_rj\ (?) 8 aura t

    1 Les manuscrits portent ~Y"'~,},.~~' 0~)~, l_)"')_r};s:~, _r.)_r-~. Il faut lire probablement . "d. ~\.J::d, Babram i bn ... , le nom d'Aurmahan, considr comme celui du pre de Babram (pehlvi Varhran), tant tomb.

    ~ Ed. :Flge1, p. 11. 1. 3 ~,_,.11 1::)':\r.JI chez Ibnu'l-Qifti, que reproduit (ed. de Lippert, p. 261)

    la notice d'En-Nadm.

  • r .\

    } La lgende du s~ge Buzmj~ihr. 93

    comment par Buzmjmihr. Un . autl~~ Bvie est mentionn sous le ,, .. ...

    titre de ,Livre du mobao Mihr-Aourgusn~sp ddi (?) Buzurjmihr 1' . En-Nadm en reproduit le passage introductif, mais le texte est cor-rompu et incomprhensible; il s'agit, ce qu'il semble, d'une question morale concernant le cas o deux hommes se disputent, dont un a raison et l'autre a tort. Enfin le nom de Buzmjmihr est rattach au livre de ,Kallay et Damnar'; nous y reviendrons ci-aprs.

    Ni?anw/l-mulk, dans son Siyasatnamah (compos en 1092-93) mentionne Buzmjmihr comme le ministre de Khusrau Anosarvan 2 et donne des spcimens de ses leons de politique s. Dans un autre passage on lit ce qui suit : On demanda Buzmjmihr : ,Quel a t la cause de la ruine de l'empire des Sassanides ? T u as t l'homme

    ,

    d'Etat de cette dynastie, et aujourd'hui il n'y a, dans le monde, personne qui puisse t'tre compar pour la rectitude du jugement, la conduite des affaires, l'intelligence et le savoir.' ,Deux causes', rpondit-il, ,ont amen ce rsultat: la premire, C1est que les Sassanides ont confi les grandes affaires des ignorants d'iniime condition, et l'autre, c'est qu'ils n'ont pas cherch s'attacher les gens de science et de bon jugement et qu1ils ont abandonn la direction des affaires des femmes et des enfants, personnes qui n'ont ni connaissance, ni exprience. Sache que chaque fois que les intrts d'une dynastie tomberont entre les mains des femmes et des enfants, le pouvoir devra lui chapper 4.'

    Dans l'histoire du Tabaristan d'Ibn Isfaniya'l' (compose en 121G), Buzmjmihr est nomm deux fois, d'abord comme l'auteur d'une tymologie populaire du nom gographique de 'fabaristan 5, puis comme un des hommes clbres de ce pays. Aprs la conqute de la Perse par les Arabes, BuzU1jm1hr s'enfuit dans le ':rabaristan.

    1 Ibid.1 p. 315. 21. Pour ._,....,.~::.... _,>\ft"' il faut lire sans doute J) \..r~ ~ ... .: -~~ C'est probablement le mme livre qui a t remani par El-Rai\n (ibid., p. 119. 20).

    2 Ed. de Schefer, p. 150, trad., p. 223. :s Ed., p. 163 sq., trad., p. 241 sq.

    ~ Ed., p. 159, trad., p. 235 sq. 6 Traduction de Browne (Gibb Memorial Series II), p. 32.

  • 94 Arthur Christensen.

    Quant on ]ni demanda, comment l'empire des Sassanides pouvait tomber en ruine, tandis qu'il possdait un homme comme lui, il rpondit : ,C'est parce que les Sassanides cherchaient l'appui de petits hommes dans les grandes affaires; ainsi les choses sont arrives ] o elles sont arrives.' Un jour on lui dit: ,Viens, causons sur le destin et la prdestination.' Il rpondit: ,Qu'ai-je faire avec une telle discussion? Je vois une apparence extrieure d'o je d.duis la ralit cache :je vois des sots qui prosprent et des sages indigents, et je sais que l'arrangement des rsultats n'est pas dans la main des hommes 1.'

    Une brve notice dans le :MuJmilu't-tawarx (composen1126) nous informe 2 que ,sous Khusrau Anosarvan furent runis beaucoup de savants, de mdecins et de moba8s, comme Buzmj mihr Boxtaj'n, Je mdecin Burzo, qui a apport le livre de ,Kalla1 et Damna'{', le dasttlr Yo.nnn 5, Mahbo3, Na1s et Smah Burzn'. L'auteur anonyme nous fait savoir encore 4 que JHormizd, fils d' Anosarvan, fit tuer tous les hommes distingus de la cour de son pre qui vivaient encore, en se servant de prtextes [futiles], entre autres Izad Gusasp, Varhran .AaurmAhAn et autres'.

    Selon le F.rsnmah (compos au commencement du 12e sicle), dont l'auteur anonyme est dsign, par les diteurs, MM. G. le Strange et R. A. Nicholson, sous le nom d1bnu'l-Balx, Khusrau Anosarvn a dlibr avec ses conseillers, dans la prsence de BuzurJmihr, sur les mesures prendre contre les menes de l'hrtique Mazdak s.

    Buzurjmihr est le hros de deux anecdotes racontes dans le Marzubannamah de Sacdu~d-dn-i-TVa1awn (compos entre 1210 et 1225). En voici le rsum .:

    t Ibid., p. 85 sq. 2 J. A., 4 11rie, t. I, p. 421 et 398. 3 Voir F. Rosenberg: Not. de litt. pllrsia, p. 53 (no 32). 4 J. A., 4 srie, t. I, p. 422 et 398 sq. 3 d. de G. le Strange et de R. . Nicholson: p. 89. Dans les autres passages

    de co livre o Buzurjmihr est mentionn (pp. 91 et 97) il y a probablement une erreur de la part de l'auteur. Comme j'essaierai de le d~montrer dans un autre endroit

    ~ l'auteur semble avoir Iemplac Je mot vuztwy-framiii (dsignation du grand vzir sons les Sassanides) par le nom propre bien connu de Vuzurymihr.

  • La lgende du sage Buzmjmihr. 95

    BuzurJmihr avait l'habitude de se prsenter Khusrau Anosarvrm chaque jour de bon matin en disant : ,Lve-toi de bonne heure, car qui se lve matin, Dieu aide et prte la main.' Le roi, qui aimait passer la nuit dans la dbauche, se fcha et ordonna secrtement !t quelques-uns de ses serviteurs de guetter le sage un matin au moment o. il allait se prsenter au roi, et de lui voler le manteau sans autrement lui faire du mal. Les serviteurs l'pient et lui enlvent le manteau. Buzm:)mihr, alors, retourne prendre un autre mnnteau. Lorsqu'il arrive la cour, Khusrau lui demande pourquoi il est en

    J'i retard, et il raconte ce qui lui est arriv. ,Eh bien', dit le roi, ,ne m'as-tu pas prch tous les jours qu'il faut se lever de bon matin, parce qu' qui se lve matin, Dieu aide et prte la main? Et voil que ce malheur t'est arriv justement parce que tu t'es lev de bon matin.' A quoi Buzmjmihr rpond: ,Les voleurs s'tant lev avant moi, c'est eux que Dieu a prt la main.' Khusrau a honte et admire la repartie prompte du sage 1.

    Un jour que Khusrau se promne avec Buzurjmihr dans le jardin royal, ils s'arrtent et regardent les canards qui prennent leurs bats dans l'tang. Le roi laisse tomber, sans s'en apercevoir, un [anneau ] joyau prcieux qu'il portait au doigt. Buzmjmihr voit qu'un des canards avale le joyau, mais ne dit rien. Quelque temps aprs, Khusrau s'aperoit que le joyau a disparu. L'ayant cherch en vain, il fait appeler Buzurjmihr et lui demande ce qu'il faut faire pour le retrouver. Mais Buzurjmihr, qui a vu dans les astres que ce jour-l lui est nfaste, pense que, s'il dit ce qu'il sait, et que le roi fasse tuer quelques-uns des deux mille canards sans trouver le joyau, il se fchera contre lui et le taxera d'ignorance ou de tromperie ; par consquent, il garde le silence. Mais un autre jour, que les astres lui sont propices, il se hte de trouver le roi et lui dit qu'un des canards a aval le joyau. Le roi ordonne de tuer les canards. Dans le ventre du premier canard qu'on tue, on trouve

    1 Marzuban-nama, ed. by :Mf.rziL MuQ.ammad of Qazw1n (Gibb Memorial Series VIII), p. 92 sq.

  • 96 Arthur Christeusen.

    le joyau. Khusrau, tonn, demande BuzurJmihr, pourquoi il n'a pas dit auparavant ce qu'il savait. Le sage rpond, qu'il a gard le silence aussi longtemps que les astres lui taient nfastes 1

    Ifamdullh, ftfustawji-i-Qaztvn dit, dans son Ta'rz.-i-guzdah (compos en 1330), que le sage BuzurJmihr tait le vzir d' AnSarvan le juste et originaire de Merv. Suit une longue srie de ses sentences 2 Dans le Nuzhatu'l-qulb du mme auteur 5 sont mentionns parmi les hommes distingus et savants du temps des Khusrau qui taient originaires de 11:erv le mdecin Burzo, Buzurjmihr, fils de Boztayan, et le musicien Barba~.

    Enfin, quelques dtails biographiques peuvent tre glans dans les citations des paroles de sagesse attribues a Buzmjmihr qu'on trouve parses chez divers auteurs orientaux :

    Le Kitabu,l~mal;lasin wa'l-masaw de Ba1'haq (premire moiti du dixime sicle) 4 : Lorsqu'on mena BuzurJmihr l'excution, on lui dit: ,Maintenant tu es la dernire heure de ton existence dans ce monde et ta premire heure dans l 'au-del, prononce donc une parole qui rappellera ton souvenir.' Il rpondit: ,Que dirai-j e? Il y aurait beaucoup dire. En voici une parole : Si tu peux laisser un bon souvenir de toi, :fais-le.'

    Des ,Anecdotes amusantes', ouvrage crit en syriaque par Bar-Heb1us (mort en 1286), nous citons le passage suivant d'aprs la traduction anglaise de M. Wallis Budge 5 : When the king was angry with this same BuzurJmihr 6 and crucified him, l1is daughter

    1 Ibid., p. 119 sqq. 2 Ed. de llrowne (Gibb Memorial Series XIV. 1), p. 73. Sur les sentences,

    voir ci-dessous. 3 Ed. de G. le Strange (Gibb Memorial Series XXIII. 1), p. 157, traduction

    du mme (XXIII. 2), 11. 154. Ed. de Schwally (Gie.Ben, 1902), p. 202; comparer le livre du mme

    titre faussement attribu Jal)i?;, ed. van Vloten, p. 79, traduction allemande de Rescher, p. 68.

    5 Oriental Wit and Wisdom or the ,Laughable Stories' collected by Bar-Hebrus, transl. by E. A. Wallis Budge (London, 1899), No. XCIII, p. 24.

    6 BazarJamhir.

  • La lgende du sage Buzurjmihr. 97 beard [about it] and ran out among the men having her head un covered, but when she came to her father ou the cross she covered it. And when the king a.sked her concerning what she had clone, she replied : ,He was the only man [there] before whom it was meet to be ashamed [at being uncovered].'

    Le Ki t~bu >l-a dk i y a d' Ibnu'l-fallz (mort en 1200 de notre re) 1 : Lorsque Khusrau [Parwz] avait tu Buzurjinihr, il voulut prendre ,pour femme la fille de celui-ci. Mais elle dit aux amis du roi : ,Si ~otre matre tait prudent, il ne prendrait pas son sein une femme dont le dsir de se venger n'est pas encore assouvi.'

    Jt!Ji?'XOnd et les autres chroniqueurs des temps plus 1cents ne font que reproduire, su1 Buzurjmihr, les donnes des auters nnciens.

    Quant aux sentences de Buzurjmihr, il en existe plusieurs collections en langue persane. Jlajf'i Khalifa fait mention 2 d'un livre contenant les questions d'Anosarvan et les rponses de Buzm:)mihr, traduit du pehlvi au persan sur l'ordre de l'mir samanide Nt1h ibn Manf}r (976-997 de notre re) par son vzir Ibn Sna sous le titre de Zafarnamah. Or, il existe un .Zafarnamah, qui renferme les sentences de Buzu1jmihr, et que Ch. Schefer a publi dans le premier volume de sa ,Chrestomathie persane' en prsupposant qu'il est identique celui mentionn par HajJ Khalifa 3 Cette identification m'est cependant fort douteuse, et voici pourquoi : le .:Z:afarnam.h publi par Schefer est un livre de sagesse, compos, selon les remarques introductives, par BuzurJmihr sur l'ordre de Khusrau Anosarvan, qui, l'ayant approuv, le :fit crire avec de l'encre d'or. Ce n'est pas l une traduction du Pandnamay pehlvi, mais un re-

    maniem~nt qui s'loigne tellement de l'original, qu' peine quatre ou cinq questions et rponses se laissent identifier. Au lieu du dialogue suivi, bien qu'un peu dcousu, du Pandnamay, ce Zafarnamah donne

    1 Traduction allemande de Rescher (Galata, 1925), p. 327. 2 Ed. Flgel, IV, p. 175, n 8015. 3 Schefer (Prface, p. 3 sq.) met l'hypothse que 1e tr~tducteur est ou le

    fameux philosophe Ibn Sn (Avicenne) lui-mme, ou son pre, qui tait llercepteur des finances la cour des Sarm~onides.

    Acta ~rientalia.. IX. 7

  • 98 Arthur Christensen.

    une srie de~ _questions et de rponses isoles sans aucune cohsion logique. D'autre. part, Firdausi:, comme nous venons de voit, a insr dans son Sahnamah une version du Pandnamar galement remanie, il est vrai, mais qui reproduit pourtant, dans la forme mtrique, assez fidlement les grands traits de l'original, mme dans l'arrange-ment des matires. Que la seurc.e immdiate de Firdaus ne soit pas une traduction arabe, mais une traduction persane faite directement sur l'original pehlvi, c'est ce que nous pouvons conclure ~vec cer-titude du fait que le pote emploie une quantit de mots et d'ex~ pressions qui sont tout simplement les mots et ,expressions pehlvis du Pandnamar rendus dans la forme persane. Chez Firdausi, comme dans le livre dont parle Hnjji Khalfa, il s'agit de questions poses par Anosarvan et de rponses donnes par BuzUljmihr; dans Je ~afarnamah publi par Schefer, au contraire, BuzUljmihr est le d.is-ciple qui fait des questions son prcepteur anonyme, qui y rpond. Ainsi tout porte a croire que, pour ce chapitre-Ut, Firdaus, qui composait son chef d'uvre environ entre 995 et 999 1 dans le pays domin par les Samanides, a eu pour source la traduction persane rcemment faite sur l'ordre de l'mir samanide par Ibn Sin (qui que soit le grand dignitaire de ce nom). Mais s'il en est n.insi, le z;afarnamah publi par Schefer ne peut pas tre l'uvre d'Ibn Sna, mais doit tre considr comme une fiction plus rcente compose avec de vagues rminiscences de l'original.

    Si le Pandnamar pehlvi est facile reconnatre travers Ia version potique de Firdaus, il y a subi, cependant, comme nous l'avons remarqu, des remaniements, et ces remaniements sont trs caractristiques. Les dtails relatifs aux articles de foi du mazdisme ont disparu, et tout ce qui est exclusivement zoroastrien dans le Pandnamar a t remplac par des rflexions pieuses d'un caractre non dogmatique et quelque peu abstrait.

    Le Javidn-zirad d'Ab (Al :Afu.Zwmmad ibn 111askya7L (mort en 1030) contient quelques paroles de Buzurjmihr, dans lesquelles

    1 Nldeke, Das iraniscbe Nationalepos, 2e d., p. 26.

  • La legende du sage BuzUijmihr. 99 .A

    on reconnat encore le Pandnamay. On y trouv

  • 100 Arthur Christensen.

    Duzurjmihr, grand vzir de Khusrau I, est-il, oui ou non, un personnage historique ?

    Ce qui est certain, c'est qu'aucune source contemporaine ou remontant h des relations contemporaines n'en a fait mention. Ni les Byzantins, ni les Armniens ne connaissent un , Vuzurymihr', ni les Syriens non plus, car les anecdotes syriennes relatives Buzmjmihr que nous a. t ransmises Bar-Hebrus, auteur bien rcent appartenant une famille juive, sont puises des sources arabes. Et nous pouvons constater que le Xwaoainamar, chronique officielle de la cour sassanide compose sous Yazdgard III et qui a t la source principale des rcits des auteurs arabes et persans concernant l'histoir e ancienne de la Perse, ne l'a mentionn non plus, car le nom de Buzuzjmihr n'apparat ni chez '.raba.rr, ni chez Eutychius, ni chez Ibn Qutaba, trois auteurs qui ont suivi une version arabe relative-ment peu amplifie du Xwaoainama"(, et les relations qui se trouvent chez les autres auteurs anciens diffrent tellement l'une de l'autre, qu'il est vident qu'elles ne remontent pas h. une mme source. Dnawar a conserv tout justement le nom du sage. Le Nihayat, qui reproduit, en gnral, les traits principaux de Dnawari en y ajoutant des matires prises de toutes parts, a plus de dtails sur lui, mais nous n 'en avons pour le moment que les indications trs sommaires donnes par Browne. C'est Taalibi et Firdaus que nous devons surtout les dtails de la vie de Buzmjmihr, et nous savons que ces deux auteurs ont suivi une version du Xwaoainama)' qui tait augmente d'une grande quantit de traditions tires des romans populaires et des traits de morale ( anda?z) en pehlvi, et que Firdausi y a ajout encore beaucoup de matires puises des sources de la mme catgorie. Un de ces romans, qui a t utilis par la source commune de Ta'lib et de Firdaus en ce qui concerne Buzmjmihr, existe encore : c'est le livre pehlvi du jeu d 'checs. Le rcit du songe de Khusrau Anosarvan expliqu par Buzmjmihr, contient probablement la substance d'un autre roman. Firdaus, de plus, s'est servi de la version persane d'un autre ouvrage pehlvi que nous avons en mains, savoir le Pandnamay. Il semble qu'il

  • La lgende du sage BuzurJmihr. 101

    ait exist un autre livre d'andarz traitant de la sagesse politique de Buzmjmihr, lequel a t mis profit par Firdausi et Ma 'sud.

    Il s'ensuit de tout cela que la tradition relative Buzmjm.ihr ne constitue pas une unit. Un rcit pehlvi comprenant toute sa vie et son activit comme prcepteur de morale et de politique n'a jamais exist. Bien que BuzUijmihr ait t, selon la tradition, le premier ministre de Khusrau, aucun dtail qui puisse servir illustrer

    1

    son uvre d'homme d'Etat actif n'est conserv. Quant ~t la fin de la vie de BuzurJmihr, il y a deux traditions,

    dont une exclut l'autre : 1 il a t excut sur l'ordre d'un des successeurs de Khusrau I (Ivias'dr, Bahaq, Bar-Hebrreus, Ibnu>l-Jauzr); 2 il a survcu la chute de l'empire sassanide (Ni~amu>lmulk, Ibn Isfandiyar). La dernire tradition est, forcment, post-sassanide ; pour mettre la bouche d'un sage fameux les rflexions qu'on avait fait aprs la conqute arabe sur les causes de cette catastrophe, on n'a pas hsit faire vivre BuzurJmihr jusqu' l'ge de cent ans ou plus. Et la premire des deux traditions repose sur une combinaison secondaire. Nous avons vu que, d'aprs Ta(alib, le roi Hormizd IV a fait excuter entre autres un de ses grands dignitaires du nom de Burzmihr; chez Firdaus cet homme est appel une fois Burzmihr, l'autre fois Simah Burzn. Mas

  • 102 Arthur Christensen.

    et ainsi une lacune dans la biographie du sage tait comble. Quelques traits se sont ajouts aprs coup : des sentences prononces avant l'excution, la conduite de la fille du sage aprs l'excution de .son pre, enfin le projet du roi de prendre pour femme cette jeune fille et la rponse de celle-ci. Nous concluons donc, que les sources perdues auxquelles remontent les plus anciennes relations conserves da l'his-toire de Buzurjmihr n'ont rien dit sur la dernire partie et la fin de sa v1e.

    Ce qui reste de l'histoire de notre sage consiste en trois pisodes 1 : 1 K.husrau I cherche par tout le royaume un savant qui puisse

    interprter un songe qu'il a eu. BuzurJmihr, jeune garon encore, comprenant la signification du songe, se fait prsenter au roi et lui dit de faire dfiler nues devant lui toutes les femmes de son harem. Il se trouve parmi elles, dguis en femme, un jeune homme, amant d'une des femmes. Le roi admire ]a sagacit du jeune homme et en fait son intime familier.

    2 Le roi de l'Inde, tributaire de Khusrau, envoie celui-ci un jeu d'checs : si les savants de Khusrau ne parviennent pas en expliquer les rgles, il sera exempt de l'obligation de payer le tribut, et Khusrau lui sera tributaire . son tour. Buzmjmihr explique le jeu, puis il invente le jeu de nard, qui est envoy au roi de l'Inde, dont les hommes savants ne savent pas l'expliquer.

    3 K.husrau, pris d'un soupon mal fond contre Buzmjmihr, le fait emprisonner et maltraiter. L'empereur de Byzance se dclare exempt de l'obligation de payer le tribut qui lui est impos, si Khusrau ne russit pas , deviner ce que contient un coffre qu'il lui envoie. Comme personne ne sait trouver le mot de l'nigme, Buzurjmihr est dlivr de la prison, devine le contenu du coffre par son habilet interprter un prsage, et rentre en faveur chez le roi.

    1 Je fais abstraction de l'anecdote de Firda.usi du cordonnier ambitieux ' it BuzurJmihr joue tout simplement le rle d'intermdiaire. En effet, BuzurJmihr

    ne figure ici que parce que le conteur a besoin d'un conseiller iutime du roi pour fttire marcher l'action du petit drame.

  • La lgende du sage Buzurjmihr. 103 Le caractre lgendaire des trois pisodes saute aux yeux.

    Nous avons vu que l'histoire du jeu d'checs est tire d'un petit roman pehlvi qui ne contient que cette pisode seule. La. faon dont les deux autres pisodes sont distribues parmi d'autres rcits dans les narrations de Tacalib et de Firdaus montre coup sr qu'elles ont t puises des sources distinctes. Chaque pisode de la vie de BuzurJmihr a form le sujet d'un livre populaire particulier.

    Le motif de l'explication du songe par un examen des femmes du harem est connu ailleurs dans l'orient. Il a t utilis dans un conte populaire gyptien 1,

    La deuxime et la troisime pisode sont construites sur un mme motif : le sage tire le roi d'embarras (question du paiement d'un tribut) en expliquant une nigme. A ce motif s'ajoute, dans la troisime pisode, un autre trait : le sage, injustement emprisonn, est mis en libert, parce qu'il est le seul qui puisse pntrer le mystre de l'nigme. Cette combinaison de motifs a t en vogue dans tout le proche orient depuis des milliers d'annes. C'est 1\'I. Th. Noldeke 2 qui, le premier, a attir l'attention sur les ressemblances de la lgende de Buzmjmihr avec celle du sage Abiqar, dont on a trouv des fragments en aramen parmi les papyrus d'Elphantine datant du cinquime sicle avant notre re, et qui existe en outre en des versions armnienne, syrienne, slave et arabe (Les Mille et une Nuits): Al.1iqar, ministre des rois assyriens Sanherib et Asarhaddon, est con-damn mort par une intrigue de son neveu Nadan, mais le fonctionnaire charg de son excution le tient cach jusqu'au moment o le roi se trouve embarrass par un message du roi d'gypte, qui exige un tribut de lui, s'il ne parvient s'acquitter d'une tche en apparence impossible. A1.1qar, par sa sagesse, rsoud le problme et rentre dans la faveur du roi. Les diffrents vnements du conte

    1 Dulac, Mmoires de la mission archologique fran,aise, 1889, no IV; Arabiske JEventyr, oversatte af J. strup, Copenhague, 1925, p. 74 sq.

    2 Untersuchungen zum Achiqarroman (.A.bhandl. d. kgl. Gesellsch. d. Wiss. zu Gottingen, 1913, p. 27, note 1); comparer F. Buhl dans les ,Studier tillegnade Esaias Tegnr', 1918, p. 14 sqq.

  • 10-1 Arthur Christensen.

    fournissent au narrateur l'occasion de produire des sries de sentences, qui sont mises dans la bouche d' AI.1iqar.

    Ainsi, dj. dans nos plus anciennes sources de l'histoire de BuzurJmihr, tout ce qui est racont sur la vie de ce sage consiste en vieux motifs de lgendes, qui ont t en vogue de tous temps et dont quelques-uns ont t rattachs galement aux lgendes d'autres reprsentants d'un type trs populaire en orient : ce s.age qui toutes les pripties du sort servent de prtexte pour dbiter des sentences et maximes morales. Buzmjmihr lui-mme se prsente nous sous la forme de ce type littraire, d'o\1 nous pouvons infrel' que les apophtegmes qui lui sont attribus sont, pour une bonne partie au moins, aussi apocryphes que les pisodes de sa vie que la lgende a conserves.

    Aprs cet e:x;amen des matriaux, il ne reste gure de Buzmjmibr que le nom. Alors, en dernier lieu, nous demandons : est-ce qu'il a exist, sous Khusrau I, un homme dou de han tes qualits in-

    ,

    tellectuelles et morales, qui n t, non pas un homme d'Etat, non pas le ministre, mais l'ami et un des intimes du roi, et qui a eu dans certains cercles un renom qui explique le fait qu'une quantit d'anciens motifs de lgende ont pu se rattacher son nom? La question ainsi pose, la possibilit d'une identification se prsente d'elle-mme. Il y a eu un personnage historique qui jouissait de la confiance de Khusrau I, un savant fameux de son temps et qui a laiss une uvre littraire tmoignant de la sagesse et de la philosophie humaine de son auteur. Son nom tait Burzo.

    Burz est un nom hypocoristique, dont le premier lment est bu1z (,haut', ,lev'). Quel a t le second lment remplac par le suffixe -o? Nous connaissons quatre ou cinq noms sassa.nides com-poss de burz- qui sont tellement rares que chacun d'eux n'est constat qu'une fois; un seul nom de cette formation est trs commun, savoir Burzmihr 1. Comme les noms hypocoristiques ont t form pour la plupart, probablement, de noms d'occurrence frquente, toutes

    1 Justi, Ira.nisches Namenbueh, p. 74.

  • ..

    ~

    La lgende du sage BuzurJmihr. 105

    les chances sont pour Burzmihr. Aussi Justi propose-t-il de vou dans le nom de Burz une abrviation de Burzmihr1

    Ce Burz tait un mdecin fameux, mais il doit son renom surtout lt la traduction en pehlvi du livre sanscrit intitul le Pan-catantra, collection de fables moralisantes bien connue. Le titre de la traduction tait ,Kalla"( et Damnai' Firdaus dit que Burzo ,avait sa part dans toutes les sciences et chacune cle ces parts aurait suffi pour lui aonner la renomme dans le monde entier :l'. Une jolie lgende est rapporte par 'I'a

  • 106 Arthur Christensen.

    indiens 1, et qu'il y a copi le ,Kalla~r' et quelques autres livres 2 Il se montre aussi, dans cette prface, comme l 'lve des Indiens; non seulement l'inB.uence de la littrature bouddhiste s'y fait jour 3, mais l 'auteur fait allusion des thories de mdecine d'origine in-dienne 4 C'est probablement pendant son sjour dans l'Inde que Burzo a acquis les connaissances de la langue sanscrite ncessaires pour comprendre le Pancatantra et le rendre dans sa langue natale.

    Examinons donc les faits qui puissent rendre vraisemblable . l'identification du Burzoe historique avec le Buzmjmihr lgendaire 5

    Buzurjmihr a fait un voyage dans Flnde, tout comme Burzo. Les deux noms se rattachent au courant d'influence indienne qui se fait sentir a l'poque de Khusrau I.

    En-Nadm dit dans son Fihrist 6 : ,Mais quant au livre nKallay et Damnar", il y a des opinions diverses. On dit que les Indiens l'ont compos, et que cela ressort de l'introduction du livre. D'autres disent qur.e les rois arsa.cides l'ont compos et que c'est tort que les Indiens se l'approprient. D'autres encore prtendent qu'il a t compos par les Perses, et que les Indiens se l'attribuent tort. Et il y en a aussi qui disent que l'auteur en tait, pour quelques parties, le sage Buzmjmihr.' D'aprs Ta

  • La lgende du sage Buzmjmihr. 107 Dans la traduction arabe du ,Kalila"(' due la plume d'IbnuJl-

    Muqaffa

  • 108 Arthur Christensen.

    et le bien-tre qui a son origine dans le corps, l'me et l'esprit, et tout ce qui est bon dans ce monde et le monde spirituel (c'est--dire l'au-del) ...

    Le lecteur, en parcourant les extraits du Pandnamay et ceux de la prface du ,Kalla"(' donns ci-aprs, n'aura pas de peine . y constater d'autres ressemblances encore. Et quant . l'autre livre pehlvi qui a Buzmjmihr pour objet, le livre du j eu d'checs, il a aussi un point de contact avec le ,Kalla1' : le roi indien qui envoie le jeu d'checs au roi de Perse et fournit par cela Buzurjmihr l'occasion de manifester sa perspicacit, s'appelle Dewsarm. C'est le

    D~wsarm du ,Kalilay' (Dabsnlm chez Ibnu,l-Muqaffa', Dvasarman de l'original sanscrit), le roi indien pour qui le sage Bidpay avait compos cette collection de fables.

    Voil les faits qui me portent croire que Buzmjmihr, le sage mystrieux, n'est que le double de Burzo, le grand mdecin de Khusrau I, et que le nom de Buzu1jmihr, ,Celui qui a le grand Uithra [pour protecteur]' est une altration de Burzmihr, ,Celui qui n le haut Mithra [pour protecteur]', le nom complet de Burzo. Ce dfigurement du nom de Burzmihr ne peut pas, cependant, avoir son origine dans la graphique pehlvie, car en pehlvi les premiers lments des deux noms, bu1z et vuzury (crit vucurg) ne se ressemblent gure, mais il s'explique aisment par l'criture arabe (Burzmihr = ~Jr.' Buznrjmihr = ~..>_r.). Cela veut dire que l'altration du nom n'a eu lieu que quelque temps aprs la conqute arabe, lorsqu'on nvnit commenc de mettre par crit, en langue arabe, les anciennes traditions de l'poque sassanie. 1\fais alors nos deux sources pehlvi es, le Pandnamar et" le li-re du j eu d'checs) doivent avoir t composes encore plus tard, ou, au moins, nous sont parvenues dans une r-daction plus r cente, l'auteur ou le rdacteur ayant ramen artificielle-ment le nom arabis Buzutjmihr sa forme pehlvie Vuzurrmihr. Que le Pannamnr, dans sa forme actuelle, soit d'origine assez rcente, c'est ce que nous pouvons constater d 'ailleurs en mettant en ligne de compte un autre passage de l'introduction du livre, o Buzurjmihr fait la remarque suivante : ,Au cours de trois cents

  • La lgende du sage Buzurjmihr. 109 ans 1 une famille prit, son nom est oubli et n'est plus rappel, et les temples des mages tombent en ruine et sont souills.' Evidemment ces mots-l n'ont pu tre crits qu'ttprs la conqute de la Perse par les muslims. Nous pouvons en effet, d'aprs ce passage, fixer la date de la rdaction environ trois cents ans aprs la priode de Khusrnu I, c'est-dire au milieu du neuvime sicle. C'est l justement la grande poque des compilations pehlvies faites sur les restes de la littrature religieuse des temps sassanides par les prtres zoroastriens.

    D'aprs ces donnes, le dveloppement de la lgende de BuzurJ-mibr peut se rsumer, avec une certaine probabilit, je crois, de la manire suivante :

    Pendant le rgne de Khusrau I la Perse subit l'influence de la littrature et de la civilisation de l'Inde. Un des premiers pro-moteurs de ce courant tait le mdecin Burzo, qui allait dans l'Inde pour y tudier son art, et qui traduisait le Pancatantra en pehlvi sous le titre de ,Kalilay et Damnay' et le faisait prcder par une prface auto-biographique, dans laquelle il exposa une philosophie humaine tendant vers un asctisme contraire, au fonds, la religion zoroastrienne, mais qui, second par le fatalisme qui rsultait du zurvanisme officiel 2, commenait alors gagner les mes des penseurs de la Perse. Burz tait en faveur chez Khusrau, qui, plus tolrant que le clerg zoroastrien, s'intressait aux ides philosophiques des Grecs et des Indiens. Le ,Kalilay' est devenu populaire, trs vite, parmi les classes instruites de la socit perse et a donn au tra-ducteur une grande renomme, et la postrit a rattach son nom l'introduction d'une autre nouveaut d'origine indienne, savoir le jeu d'ehecs. On citait des paroles de sagesse de Burzmihr - vrai nom de Burz - et on lui attribuait bien des sentences et des maximes qu'il n'avait jamais prononcs. Puis des lgendes diverses,

    1 Dans le manuscrit publi par Jamasp-Asa.na, on lit le chiffre de 400, mais c'est l. sans doute une faute du copiste.

    2 Voir mes ,tudes sur le zoroastrisme de la Perse antique' (Det Kgl. Danske Vienska.bernes Selskabs hist.-nl. Meddelelser, XV. 2), p. 45 sqq.

  • 110 Arthur Christensen.

    qui couraient sur les anciens sages, furent m1ses en rapport avec son nom. Il s'est form ainsi, au cours de quelques sicles, sur Burzmihr des traditions qui allaient donner sujet de petits livres populaires en arabe. Par une fausse lecture dans l'criture arabe le hros des lgendes et l'auteur des sentences eut le nom de BuzurJmihr. Mais comme le nom du traducteur pehlvi du ,Kallar' tait toujours transmis sous la forme hypocoristique de Burzoe, on finit par croire que Burz et Buzurjmihr taient deux personnages diffrents, con-temporains et natifs de la mme ville. Cependant les traces de leur identit originale restaient : Buzmjmihr, disait-on, avait compos quelques parties du ,Kahla/, ou bien c'tait Burzo qui l'avait apport de l'Inde et Buzm:jmihr qui l'avait traduit et qui avait compos la prface (dans laquelle Burzo parle de lui-mme la premire personne! 1) . Enfin la lgende de la recherche de l'herbe d'immortalit et de la dcouverte du livre de ,Kalilay' restait lie au nom de Burzo, tandis que toutes les autres lgendes et les mots de sagesse se rattachaient au nom de BuzurJmihr. D'aprs le modle d'Al.1iqar, dont la tradition avait contribue former le caractre lgendaire de BuzurJmihr, on faisait de celui-ci le premier ministre du grand roi, et par consquence on lui attribuait des maximes de gouvernement.

    Au neuvime sicle, les prtres zoroastriens, dans leur s efforts pour faire r evivre la littrature religieuse dans la langue pehlvie morte, s'approprirent le nom apocryphe du sage, qu'ils ramenaient tL la forme pehlvie (Vuzuqmihr), et composrent avec des rminis-cences de la prface du ,Knlila/ un livre de sagesse dans le style des cmdarz zoroastriens, dans lequel quelques sentences qui refltent la philosophie humaine et pieuse de Burzi sont combines avec des exposs thologiques et dogmatiques de sorte faire de ce Pandnamay un livre d'dification Fusage des croyants. C'est probablement vers le mme temps que la lgende du jeu d'checs a t crite en pehlvie.

    1 A comparer V. Chauvin, Bibliographie des ou"Vrages arabes, II, p. 84-, sur le ,Kalilay' : Chapitre IV, chapitre de Barzouyh le mdecin, crit par Buz.urdjmihr, fils de Bn.khtgan.

  • Ln lgende du sage Buzurjmihr. 111 Vers la fin du dixime sicle, le Pandnamar fut traduit en persan avec les modifications ncessaires pour le faire goter par un. public islamique ; c'est cette version que Firdausr a mise en vers dans son

    Sahnam~h. Le Zafarnamah persan qui existe aujourd'hui en est un remaniement bien plus radical. Les lgendes relatives Buzmjmihr ont t insres dans la version arabe du Xwnoainamay qui a t la source principale des uvres de Ta

  • 112 Arthur Christensen.

    APPENDICE.

    Extraits de la prface

  • La lgende du sage Buzmjmihr. 113 qui ensemence avec soin son champ pour avoir du bl, et pour qui toutes sortes d'herbes [utiles] poussent tout natmellement avec le bl germant. Alors, dans l'espoir d'une rcompense dans l'au-del, je me mis gurit les malades et me donnai grand'peine traiter tous les malades dont j'attendais la gurison, voire mme d'autres au sujet de qui j e n'avais plus d'espoir, mais dont j'essayais de soulager au moins les souffrances. Je traitais en personne ceux que je pouvais traiter, et si cela n'tait pas possible, je donnais aux malades les prescriptions ncessaires et leur faisais don des mdica-ments. Et personne qui je donnais mes soins je ne demandais ni honoraire ni autre sorte de rcompense. Je n'enviais aucun de mes collgues qui m'galt en savoir et me surpasst en considration et en fortune, mais qui ngligeait l'honntet et la bonne conduite en paroles et en nctes. Cependant, comme mon me y tait dispose et me poussait leur porter envie et lt. dsirer une place comme la leur, je plaidais ainsi contre elle : ,0 mon me,. ne sais-tu pas dis-tinguer ce qui est utile de ce qui est nuisible? Ne cesseras-tu pas de dsirer quelque chose dont l'acquisition apportera qui que ce soit peu de profit et beaucoup de peine et de misre, et dont l'abandon :final lui causera de grands chagrins et plus tard une punition immense? 0 mon me, ne penses-tu pas ce qui arrivera aprs cette vie ? Est-ce que l'envie des choses du monde te fait oublier cela? N'as-tu pas honte d'aimer, en compagnie des imbciles et des sots, cette vie terrestre qui passe si rapidement? Elle n'appartient pas, en effet, celui qui en possde quelque chose ; elle ne lui reste pas, et ce n'est que les dupes et les inconsidrs qui y tiennent. .. 1

    Lorsque j'eus fait cette remontrance mon me et que je l'eus ainsi rprimande et claire, elle ne pouvait pas luder la question, mais, avouant la justesse [de ces vues] elle abandonna ses dsirs. Je continuais donc de traiter les malades, en considration de la rcompense de l'au-del. Mais cela n'empchait pas que, tant avant mon voyage dans l'Inde qu'aprs mon retour je n'obtienne des rois 1

    1 C'est--dire du roi des rois et des princes gouverneurs it titre de roi. Acta orientalia. VIII. 8

  • 114 Arthur Christensen.

    un bon lot de biens terrestres, et, outre cela, plus que je n'avais dsir et espr de la. part de mes sembla bles et de mes frres.

    (Suit une srie de rflexions sur la pluralit des religions et la difficult de distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux. Le passage est considr par li. Noldeke, raison ou tort, comme une inter-calation due la plume d'lbnu,l-lvluqaffn

  • La lgende du sage Buzmjmihr. 115

    Quoique la possession des biens du monde soit, somme toute, quelque chose de passager, sujet la destruction et aux vicissitudes du sort, celui que Dieu aide et gratifie de ses dons et qui sa propre diligence vient en aide, sans qu'il lui faille se faire grande peine, ramassera de grandes richesses, atteindl'a de grandes uvres et au pouvoir, prendra sa place au premier rang, aspirera au plus grand renom et accomp]ira l'uvre la plus glorieuse, . savoir celle d'allumer [le feu sacr dans] la maison des mages; et il aura une longue vie et de nombreux enfants et une famille qui donnera de grandes esprances, et de bonnes dispositions qui s'exprimeront par des actes de justice et d'utilit publique qui conserveront son nom, et par la mise en uvre de la domination et par toutes les autres actions de sagesse dont une tmoigne [de l'excellence] de l'autre; et, en se rangeant l'opinion que toutes ces choses-] sont dpourvues de stabilit, il se conduira en homme qui voit trs loin. Et au cours e cent ans, tout au plus, le corps meurt, et la domination est anantie; et au cours de trois cents ans une famille prit, son nom est oub]i et n'est plus rappel, et les temples des mages tombent en ruine et sont souills, les descendants et la race sont abaisss et disparaissent, les efforts sont sans fruit et les peines n'ont pour rsultat que le vide, et la domination ne reste aux mains des matres du temps, et les possessions ne restent aux mains de celui pour qui la gloire du temps a t cre, mais les affaires du dernier jour subsisteront et ne seront pas sujet la destruction, et la vrit religieuse et les cratures appeles la rsurrection et les bonnes uvres [sont des ralits qui] ne peuvent tre tes par personne.

    Or, comme j'ai en moi le dsir ardent de me conduire avec justice et d'viter le pch, je n'ai pas, il est vrai, le pouvoir d'em-pcher les potentats du temps de commettre et de faire commettre des abus d'autorit, mais en regardant le pch j'ai la volont de m'en garder par le savoir, tant que j'en possde (?). Je ne doute pas de l'existence de Dieu et de l'anantissement [final] des dmons, ni de la foi et de l'me, du paradis et de l'enfer, du rglement de [notre] compte au troisime jour [aprs la mort], ni de la rsurrection;

    8*

  • 116 Arthur Christensen.

    et ce qui me tient au cur, c'est la vrit religieuse et le bien-tre qui a son origine dans le corps, l'me et l'esprit, et tout ce qui est bon dans ce monde et le monde spirituel, et c'est pour cela que j'ai crit, pour l'utilit des cratures du monde, ces quelques paroles dans le mmorial prsent.

    2. Quel homme est le plus heureux ? - Celui qui est le plus exempt de pchs.

    3. Qui est le plus exempt de pchs? - Celui qui se tient avec le plus de droiture la loi de Dieu et se tient le plus loign de la loi des dmons.

    4. Qu'est-ce que la loi de Dieu, et qu'est-ce que la loi des dmons? - La loi de Dieu est la vertu et la loi des dmons est le vice.

    5. Qu'est-ce que la vertu, et qu'est-ce que le vice? - La vertu consiste en bonnes penses, bonnes paroles et bonnes uvres, et le vice en mauvaises penses, mauvaises paroles et mauvaises uvres.

    8. Qui est le plus parfait quant la vertu? - Celui qui est le plus sage.

    9. Qui est le plus sage? - Celui qui connat la destination finale du corps, qui connat les forces ennemies de l'me et qui sait se dfendre contre les forces ennemies de l'me et se tenir le plus intrpide.

    10. Qu'est-ce que la destination finale du corps? - Quelles sont les forces ennemies de l'me que le sage est le plus capable de connaitre? - La destination finale du corps est la destruction de la chair. Les forces ennemies de l'me sont un certain nombre de drujs que le mauvais esprit a cres comme les adversaires des hommes pour les tromper et les rendre misrables.

    11. Quelles sont ces d11tjs? - La Cupidit, l'Indigence, la Colre, l'Envie, la Vilenie, la Concupiscence, la Haine, l'Apathie, l'Hrsie et la Calomnie.

    22. Quelle espce de vertu est la meilleure pour les hommes?-Le sa\oir et la raison [inne].

  • La lgende du sage Buzutjmihr. 117

    23. Et laquelle des deux est la meilleure ? - Celle qui sait conduire le corps avec le moins de crainte1 de pch et de douleur.

    24. 1\Iais est-ce ln raison [inne] ou le savoir qui est le meilleur pour les hommes? - La raison connat ce q_u'il faut faire, et le savoir sait choisir ce qu'il faut faire.

    25. Quelle disposition naturelle est la meilleure ? - La politesse et la douceur de la parole.

    26. En quoi consiste le bon caractre? - En le dsir secret du paradis de Dieu.

    27. Quelle est la bonne loi? - La vertu. 28. Quel est le dsir le plus lgitime? -- Celui d'viter le pch. 29. En quoi consiste la meilleure pit? - A tre content du

    bien qu'on possde. 30. Quelle uvre est la meilleure? - L e souvenir de la religion. 31. Quelle ducation est la meilleure? - Celle par laquelle on

    apprend le mieux vivre le temps de sa vie et h sauver son me. 32. Qu'est-ce q_ue l'honneur? - La bonne amiti et la dignit

    vertueuse. 33. Quelle gloire est la plus grande?- L'assiduit dans le travail. 34. Quelle force ennemie est la plus puissante ? - Les mau-

    vaises actions. 35. Est-ce l'ducation ou l'ntelligence inne qui est la meilleure

    pour l'homme? - La croissance de l'individualit est le rsultat de l'ducation, et le caractre fix dans l'me provient de l 'intelligence inne. L'ducation est la rgulatrice de l'individualit1 et le caractre est le protecteur du corps et de l'me.

    56. Est-ce que les choses arrivent aux hommes par le destin ou par leurs actions 1 ? - Le destin et l'action unis l'un avec l'autre

    1 LI\. question tait trs dbattue dans ln dernire priode de Ppoque sassanide; elle est discute dans un esprit fa.taliste dans le lffnoy xra, trait pehlvi de ce temps-l. Dans la. priode post-sassnnide, l'orthodoxie zoroastrienne a rejet et combattu la doctrine fataliste. Voir Arthur Christensen, tudes sur le zoroastrisme de la Perse antique, p. 57 sqq.

  • 118 Arthur Christensen.

    ressemblent au corps et l'me. Car le corps sans l'me n'est qu'une charpente inutile, et l'me sans le corps n'est qu'un souffle intangible; mais lorsqu'ils sont unis l'un l'autre, ils sont vigoureux et font une uvre trs utile.

    57. Qu'est-ce que le destin, et qu'est-ce que l'action? - Le destin est la nature inne ; l'action est la force motrice qui a t donne l'homme.

    58. A quoi ressemblent les biens du monde? - Aux choses tantt bonnes, tantt mauvaises qu'on voit en songe : lorsqu'on s'veille du songe, il n'en reste rien.

    59. Qui est le plus lev dans le monde ? - Le prince qui est fort et victorieux et fait des uvres pieuses.

    60. Qui est le plus misrable? - Le potentat qui abuse de son pouvoir et suit la voie des dmons.

    61. Qui est celui qui cause le plus de mal? - Celui qui connat la religion et suit la voie des dmons.

    169. Ne soyez pas orgueilleux si vous possdez beaucoup de biens dans le monde, car les choses du monde n'ont pas t donnes comme hritage personne, ni les palais ni le bien-tre, ni toutes choses de la possession desquelles les hommes du monde se flattent ...

    2. La version de Firdaus'i (tire du premier Zafarnamab persan 1).

    (Un jour, BuzurJmihr se prsente au roi et lui dit qu'il a crit eu pehl-vi un discours qu'il a remis au trsorier dans l'espoir que le roi le lira quelque jour. Le sage continue ainsi :)

    Un homme a beau se lever du tr6oe des festins, exposer sa vie dans les batailles, dlivrer la terre de ses ennemis, se garantir contre les dangers que lui prparent les Ahrimans, se rendre matre du monde entier, recueillir des paroles [de louanges] de toutes parts, avoir la main puissante pour faire de grandes choses, crer des p:trterres de fleurs, des jardins, des places publiques et des palais,

    1 Sahn~rnlih, d . .Mohl, VI, p. 36-1: sqq. Voir ci-dessus, p. 88 et 98.

  • La lgende du sage Buzmjm1hr. 119 amasser des ttsors, runir autour de lui ses :fils, compter beaucoup de jours heureux, augmenter son arme et ses richesses, avoir un palais et une salle d'audience brillants, faire travailler les pauvres pour lui, ramasser de tous cts des couronnes et des trsors, runir des amas d'or et d'argent, ses annes ne dpass,eront pas la centaine, il deviendra de la poussire, son travail ne lui portera pas de fruit, il laissera son ennemi ses trsors, il ne gardera ni fils, ni trne, ni diadme, ni salle d'audience royale, ni trsors, ni arme. Quand ce vent de sa prosprit sera tomb, on l'oubliera, et quand la destine aura pass sur son uyre, il ne lui survivra qu'une bonne renomme 1

    Il y a dans le monde deux choses qui ne meurent pas, voilh tout, et rien d'autre, quoi que ce soit, ne reste personne : ce sont les paroles douces et les bonnes paroles, qui ne vieillissent pas aussi longtemps que durent la terre et le sable ...

    Quand il eut rendu attentif le cur serein du roi, celui-ci lui fit beaucoup de questions. Il lui demanda 2 : ,Qui est l'homme heureux, qui a le cur satisfait et ne pousse jamais de soupirs ?' Il rpondit : ,Celui qui ne pche pas et qu'Ahriman ne dtourne pas de la vraie

    . ' VOle ...

    Khusrau demanda : ,Qui, parmi les infrieurs, peut se faire compter parmi les grands?( Il rpondit : ,Celui qui est le plus sage et gouverne le mieux ses passions.( Le roi dit : ,Qui est sage? car la sagesse repose dans le secret des mes.' Il rpondit : ,Celui qui ne quitte pas la voie du matre du monde pour obir au dmon et qui n'coute pas follement ceux qui sont ennemis de l'me et opposs l'essence de la raison. Il y a dix Ahrimans qui ont la force des lions et dominent l'me et la raison.( Khusrau dit: ,Quels sont ces dix dmons sur lesquels ln. raison doit pleurer ?( Il rpondit : ,L'Avidit et le Besoin sont deux dmons forts et fiers ; les autres sont la Colre, l'Envie1 la Vilenie, la Haine, la Calomnie, la Fausset et l'Hrsie; le dixime dmon est l'Ingratitude en-vers les bienfaiteurs et envers Dieu mme ... '

    1 Comparer le Pandnamay, 169. 2 Pandnamay, 2.

  • 120 Arthur Christensen.

    Le roi demanda au s:tge : ,Puisque le dmon s'attaque au cur de l'homme, qu'est-ce que Dieu a donn ses serviteurs pour se dfendre contre lui?' Il rpondit : ,La main de la raison est plus forte que 17 action des Ahrimans. La raison est une cuirasse qui protge contre l'pe du dmon, elle rend purs et brillants le cur et l 'me du sage; elle garde le souvenir du pass, elle nourrit l'esprit de savoir ... '

    Khusrau dit : ,Quelle [vertu] est la reine dans cette voie et montre le chemin du bonheur?' Il rpondit : ,La voie de la raison est, sans aucun doute, prfrable h tout savoir; ensuite une dis-position aimable, qui fait que l'homme reste honor pendant toute sa vie. J ' ai observ que, de toutes les qualits la plus solide est le contentement de son sort, la plus douce celle qui repose le mieux du travail, et la plus agrable la facult d 'esprer; mais celle qui donne le plus de fatigue est l'avidit, car elle n'est jamais rassasie de tr.sors.' L e roi demanda : 1 Quelle est la meilleure des facults et qui donne le plus de grandeur . l'homme qui l'exerce?' Il rpondit: ,Celui qui ne se dtourne jamais de la vraie voie vitera tout pch ; il atteindra la gloire et la russite dans le monde; le but atteint lui profitera, et la russite lui donnera de la gloire.'

    Le glorieux hros demanda : ,Qui dois-je placer le premier sur cette route?' BuzurJmihr rpondit : ,Celui qui parle chaleureusement avec une voix douce et ne cherche d'autre avantage que l'exercice de la raison, car la raison vaut certainement mieux que les autres vertus . . . '

    L e distributeur de la justice demanda au sage ce qui valait le mieux, l'instruction ou l'intelligence inne. Son guide rpondit : ,L'instruction Yaut mieux que l'intelligence inne) car elle fait l'orne-ment de l 'me, pendant qu'il n'y a pas beaucoup lt dire sur l'in-telligence inne. Sans le mrite, l'intelligence inne est une chose triste, sans valeur et faible; c'est par l'instruction que l'esprit devient . (

    vigoureux . .. Khusrau lui demanda : ,0 homme illustre et d'un bon caractre!

    de-vient-on puissant par ses prO})l'es efforts ou par l'effet de la fortune

    }

    j

  • La lgende du sage Buzurjmihr. 121

    qui livre aux rois le trne et la couronne?' Il rpondit : ,La fortune et le talent forment comme un couple; elles sont comme le corps et l'me, qui sont amis et conjoints. Le corps est visible et l'me cache. Le corps n'est qu'une charpente sur laquelle est btie l'action de l'homme, si la fortune qui veille sur lui est en bullition, mais l'effort ne produit pas la puissnnce, si la fortune ne l'aide pas. Le monde est une fable et un souffle, c'est un songe que se rappelle celui qui l'a eu, mais dont on ne voit rien au rveil, qu1il ait t agrable ou pnible et plein de colre .. . '

    Le roi demanda : ,Quelle merveille as-tu vue au deHt de laquelle on ne puisse rien concevoir?' Buzu1jmihr rpondit nu roi : ,Tout ce que fait le ciel est merveilleux. Tantt on voit un homme puissnnt, dont le diadme atteint les nuages :noirs et qui pourtant ne sait dis-tinguer la main droite de la gauche, et qui ne comprend pas si sa fortune hausse ou baisse ; tan tt un autre qui, par In. rotation du ciel sublime, sait prdire le mouvement des astres, et pour qui nanmoins le ciel n'est qu'un guide de malheur et dont la part dans la vie n'est qu'une destine amre .. . '

    8. Le seconll $afa'rn'mlih persan 1 (Comersation entre BuzurJmihr et son prcepteur.)

    Je dis : ,0 maitre, qu'est-ce que je dois demander en grce Dieu le trs puissant, de sorte que toutes bonnes choses soient renfermes dans cette demande?' n dit : ,Trois choses : la sant, la scurit et le pouvoir.'

    Je dis : ,Dans les mains de qui dois-je commettre les affaires?' Il dit : ,Dans les mains de celui qui est lui-mme comme il faut.'

    Je dis : ,A qui puis-je me fier sans crainte?' Il dit: ,A un ami qui n'est pas envieux.'

    Je dis :,Qu'est-ce qui nous rend dignes du paradis?' Il dit : ,Apprendre la science et s'occuper courageusement des affaires divines.'

    Je dis: ,Quel est le dfaut qu'on trouve chez les hommes dis-tingus?' Il dit :,Celui de se vantex de ses vertus.'

    1 Schefer, Chrestomathie persane, I, p. 3 sr1CJ. Voir ci-dessus, p. 97 sq.

  • 122 Arthur Christensen.

    Je dis : ,Qunnd un ami indigne se prsente, par quels moyens faut-il s'en dbarrasser?' Il dit: ,Par trois moyens : ne pas aller le voir, ne pas en demander des nouvelles et ne pas lui demander des services.'

    Je dis : ,Ce qui adYient, est-ce le rsultat de nos efforts ou de la destine?' Il dit : ,Nos efforts crent notre destine 1. '

    Je dis : ,Quelle vertu est la meilleure chez les jeunes gens, et quelle est la plus belle chez les vieillards?' Il dit : ,Chez les jeunes gens c'est le sentiment d'honneur et la vaillance, chez les vieillards la sagesse et le calme.'

    Je dis : ,Contre qui faut-il se garder pour obtenir le salut?' Il dit : ,Contre les flatteurs et les hommes vils qui sont devenus puissants.'

    Je dis : ,Qui est gnreux?' Il dit : ,Celui qui fait des actes de gnrosit avec gat de cur.'

    Je dis : ,Qu'est-ce que les hommes cherchent, et que personne n'a trouv?' Il dit: ,Trois choses :la sant, la joie et un ami sincre.'

    Je dis : ,Qu'est-ce qui est prfrable, de faire ce qui est bon ou de s'abstenir de ce qui est mauvais ?' Il dit : ,S'abstenir de ce qui est mauvais, voil le commencement du bien faire.'

    Je dis : ,N'y a-t-il pas une vertu qui devienne un vice?' Il dit: ,Oui, la gnrosit qui impose des obligations.'

    Je dis:, Qu'est-ce qui fait a:ccrotre la sagesse?' Il dit : ,L a justice. 1 Je dis : ,Quelle est la marque distinctive du courage?' TI dit :

    ,L'action de pardonner lorsqu'on possde le pouvoir.'

    Je dis : ,Comment faire pour n'avoir besoi11 d'un mdecin?' Il dit : ,Manger peu, dormir peu et parler peu.'

    J c dis : , Quelles sont les meilleures vertus dlll monde ?' Il dit : ,L'humilit qui ne demande pas de r econnaissance et la gnrosit exeree sans aucune pense de rmunration.'

    1 A comparer le Pandnamay, 56 et l'extrait du ~ahnamah, ci-dessus, p. 1 ~0 en bas.

  • La lgende du sage Buzurjmihr. 123

    Je dis : ,Qu'est-ce qui est le plus hideux dans le monde?' Il dit : ,Deux choses : la violence chez les rois et l'avarice chez les puissants 1.'

    Sentences politiques attribues Buzurjmihr. 1. Dott~e 'rgles (le la conduite (l''un 'I'Oi

    (d'aprs Mas'd 2).

    1 o Craindre Dieu, lorsqu'on est prs de cder la concupiscence, la convoitise, la lchet, la colre ou . l'amour; redouter, dans les consquences de ces passions, non pas l'homme, mais Dieu.

    A

    2 Etre sincre dans ses paroles et fidle ses engagements; excuter les conventions, les pactes et les traits.

    3 Prendre l'avis des sages en toute affaire. 4 Honorer les savants, les nobles, les gouverne urs des frontires,

    les. officiers, les secrtaires et les employs, chacun suivant son grade. 5 Surveiller les juges, contrler les comptes des agents du :fisc;

    rcompenser les bons services et punir les malversations. 6 Connatre, par de frquentes visites, la situation des pri-

    sonniers, afin de redoubler de surveillance envers les coupables et de dlivrer les innocents.

    7 Assurer la scurit des routes et des marchs, faciliter les ventes ct le commerce.

    8 Punir les coupables dans la mesure de leur faute, et mam-tenir le peuple dans le devoir.

    9 S'approvisionner d'armes et de tout le matriel de guerre. 10 Honorer sa famille, ses enfants, ses proches, et veiller sur

    leurs intrts. 11 Avoir l'il ouvert sur la dfense des frontires, afin de

    connatre le danger et de le prvenir. 12 Surveiller les ministres et les employs, et rvoquer ceux

    dont la dloyaut ou l'incapacit est notoire. 1 A comparer le Pandnamay, 60. 2

    .MurnJu'd-dahab, d. de Barbier de .Maynard, II, p. 206 sq.; voir ci-dessus, p. 90.

  • 12-1 Arthur Christensen.

    2. PaJoles lle Buzwr)mih1' la quat1inte fte donne pa1 KhusJu A.nosa1van (d'aprs Firdausi 1)

    . . . Il faut qu'un roi n'ait jamais une pense que clesapprouverait le Crateur; il doit reconnatre que le bonheur et le malheur viennent de Dieu, et rechercher le paradis en rcompense de la vertu.

    A.

    Etre vridique et s'appliquer exercer l'quit, voil le devoir constant du maitre du monde et de l'homme d'honneur. Il n1y a rien de meilleur que la vracit, et le matre de la terre ne possde pas un plus beau joyau.

    Il doit tre loquent, d'une me sereine, rendre justice h, tous et traiter les petits comme tels et les grands comme tels. Aucun sujet du roi ne doit jamais tre priv de sn. place lgitime. La couronne sera puissante aussi longtemps que le roi tiendra en honneur les sages, et la majest royale sera sauve aussi longtemps que le matre du monde acceptera l'avis de tout homme qui sait.

    Il faut observer ce qui se passe h la cour et svrement rprimer les convoitises des mchants. Il ne faut pas qu'un seul homme passe la nuit dans la peine, car il pourrait en arriver malheur au roi. Le roi loignera tout homme qui a mrit une punition, qui est de mauvaise race et de mauvaise nature, pour que les hommes inoffensifs n'aient rien craindre de lui.

    A quiconque se trouve dans les prisons du roi, qu'il soit cou-pable ou innocent, il faut ouvrir la porte selon l'ordre de Dieu, qu'il a fait connatre dans le Zend-Avesta. Mais si c'est un tre malfaisant, impudent et dprav, il faut en dbarrasser la face du pays, pour qu'il n'ait pas un retour de fortune qui lui permettrait de porter la dsolation dans les demeures des hommes.

    Il faut que le matre du monde soit attach lt la foi et la justice tn.nt qu'il sera roi ; il faut qu'il travaille en public et en secret h. dlivrer le monde avec son pe du mal que font les dmons.

    S'il ordonne sagement son arme, les hommes qui ont besoin de son aide cesseront de souffrir . Si tu es prudemment sur tes gardes

    1 E. de Uohl, VI, p. 274 ; voir ci-dessus, p. 99.

  • La lgende du sage BuzurJmihr. 125

    contre tes ennemis, le cur manquera h. ceux qui ont de mauvais desseins contre toi. Emploie des hommes pour rparer, avant que le temps des combats arrive, toutes les brches dans l'empire. Tout reproche que l'on fait au roi retombe sur la couronne et sur le trne.

    Chris autant que tu peux ton fils, car il est comme ton image rflchie dans l'eau; il faut es1)rer que son cur sera clair par l'instruction et par l'enseignement de la science. Tu dois lui ouvrir la porte de ton trsor, pour qu'il n'ait pas se plaindre de sa gne. Il ne faut pas briser le cur du fils du roi, quand il commet une injustice ; l'amne-le dans le bon chemin par la bont) et restreins son pouvoir ds le commencement; si tu trouves dans son cur une trace d'inimiti) c'est une mauvaise herbe qu'il faut arracher de son jardin; car si on la laisse subsister, elle prendra de la force et remplira de mauvaises herbes le jardin du roi.

    Un roi qui veut se conduire avec dignit et avec prudence ue doit pas prter l'oreille aux paroles des mdisants; un ministre de mauvaise nature et adonn parler mal des autres causera la perte du trne et de la royaut. N'coute pas les discours des ignorants; quand ils parlent mal de quelqu'un, garde-toi par l'esprit de justice de prononcer un arrt. Il faut tout faire avec droitur et loigner son cur de toute perversit. Il ne sied au matre du monde que la droiture; c'est le dmon qui amne la perdition. L'homme pur qui entend ces paroles fera de la raison la reine de son cur, le diadme bnira le roi, et le trne se raffermira par lui ; la couronne des rois et le trne seront fiers de lui, ses ennemis perdront con-fiance eu leur fortune, et cette roue elu ciel a beau tourner, un nom glorieux restera comme souvenir de lui.

    3 . Prceptes politiques (le Buzu1']mih'J (d'aprs le Siyasatnamiih de Ni~llmu'l-mulk 1).

    Buzmjmihr dit un jour h. Ansarvrm : ,Le royaume appartient au roi, et le roi a confi l'arme la garde du territoire, mais ne lui a pas livr la population. Si les soldats ne traitent pas le vays

    1 Ed. de Schefer, p. 163 sq., trad., p . 2-:U sq. Voir ci-dessus, p. 93.

  • 126 Arthur Christensen.

    avec douceur, s'ils n'ont ni piti, ni sollicitude pour les habitants, si tous leurs efforts tendent remplir leur bourse, sans avoir aucun souci des sujets, si ce sont les soldats qui les maltraitent, qui les chargent de chanes, les emprisonnent, les tyrannisent et les accablent d'extorsions, si ce sont eux qui destituent et investissent les fonction-naires, quelle diffrence y aura-t-il entre le roi et l'arme? L'exercice du pouvoir a toujours t le propre du souverain et non celui de l'arme. Il ne faut point la laisser disposer de la puissance. De tous temps, personne n'a eu, l'exception des souverains, le privilge de porter une couronne d'or, et d'avoir des triers et une coupe en ce mme mtal. Ils peuvent seuls s'asseoir sur un trne et battre monnaie. On a dit aussi : ,Si le roi veut avoir plus de gloire que ses gaux et leur tre suprieur, qu'il runisse en sa personne les qualits qui en doivent faire l'ornement.'

    ,Et comment cela?' demanda Anosarva.n. ,Qu'il repousse', lui rpondit Buzmjmihr, ,les mauvaises qualits

    et en embrasse les bonnes. Les mauvaises qualits sont : la haine, l'envie, l'orgueil, la colre, la concupiscence, la convoitise, les esp-rances trompeuses, l'esprit de contestation, le mensonge, l'avarice, la mchancet, la violence, l'gosme, la prcipitation, l'ingratitude et la lgret. Les bonnes qualits sont : la modestie, l'galit de caractre, la douceur, la clmence, l'humilit, la gnrosit, la loyaut, la patience, la reconnaissance, la commisration, l'amour de la science et l'quit. Toutes les fois qu'il sera reconnu que la runion de ces qualits prside la conduite des affaires, il n'y aura alors nul besoin d'avoir un conseiller.'

    Quelques sentences caractristiques att:ribnes Buzurjmihr. Mas'udi 1 :

    On attribue la sentence que voici Buzmjmihr, fils de Bztay(an), l'un des principaux sages de la Perse ... : ,J'ai recueilli, disait-il, ce qu'il y a de meilleur partout ou je l'ai trouv, mme chez le chien, le chat, le porc et le corbeau.' - ,Qu'as-tu pris au chien?' lui

    1 .Muruju'd-dahab, VII, p. 164 sq.

  • La Iegende du sage Buzmjmihr. 127

    demanda-t-on. - ,Sa :fidelite et la vigilance avec laquelle il defend son maitre.'- ,Qu'as-tu pris au corbeau ?' -,Son extreme prudence.'-,Qu'as-tu pris au pore?' - ,L'empressement avec lequel il pourvoit a ses besoins.' - ,Et qu'as-tu pris au chat?' - ,Sa voix caressante et ses cajoleries quand il veut obtenir quelque chose.'

    Bar-Hebrreus 1 :

    LXIX. BuzUljmihr 2 said, ,It is better for a man to humble himself that he may overcome than to conquer that he may humble himself', that is to say, we must not be deceived by the man who humbleth himself to us tot a time and afterwards ruleth over us tyrannically.

    LXX. This same Buzm:]mihr was asked, ,What is the wealth which is not destroyed when cast away?' He replied, ,Humility.'

    LXXI. This same Buzurjmihr said, ,How beautiful patience would be if it were not that life is [so] short.'

    LXXX. Buzurjmihr said, , The defect of this world is that it never giveth to a man that of which he is deserving. For it either giveth to him more than that of which he is worthy, or it giveth to him less than that of which he is worthy s .'

    LXXXVI. Buzm:Jmihr said, ,Of the supporters of a king some are like spears which can only be used by those who guard [him] at a distance; and some are like arrows which are shot away and return not; and some are Hke swords for which it is not meet that they should turn a way from him.'

    LXXXVIII. Buzm:Jmihr was asked, ,Why do friends so easily turn into enemies, for with much more difficulty do enemies become friends?' And he replied, ,Even in the same way that to overthrow a house is easier than to build it up, and the breaking of a vessel

    1 Anecdotes cites d'apres la traduction anglaise de Wallis Budge (Oriental Wit and Wisdom or the ,Laughable Stories' collected by Bar-Hebrreus, translated from the Syriac).

    2 Bazarjamhir. ' A comparer lea paroles de Buzurjmihr a la deuxieme fete, Firdausi,

    ed. de Mobl, VI, p. 258, vera 1182-1186.

  • '

    128 Arthur Christensen. La. legende du sage Buzmjmihr. is easier than the making of it, and the spending of money is easier than the acquisition of it.'

    LXXXIX. Buzmjmihr also said, , In the season of Teshrin months the crops are beautiful, and in the time of the month Nisan [we] have the flowel's. [Even so] in the maiden [we should have] beauty, and in the youth strenuous action [of the limbs], and in the stranger humility of mind.'

    XCI. When BuzurJmihr was imprisoned by the king, his friends asked him, ,With what, now, dost thou console thyself?' He replied, , With four sayings. In the :first I say to myself, Everything is decreed and fixed by fateJ and escape from wrath is impossible; in the second I say, If I cannot endure suffering patiently what can I do?; in the third [I say], It were possible for me to fall into a worse plight than this; and in the fourth I say, Perhaps respite is nigh although I know it not.'

    XCII. Buzurjmihr also exhorted a certain king who was ruling over a country to act as a friend towards honest folk, and as a judge towards those who were neither good nor bad, and as a tyrant towards the wicked.

    XCVI. Buzurjmihr said, , Whosoever loveth thee will keep thee from thine auger, but whosoever hateth thee will stir thee up thereunto.'

    XCVII. To this same Buzurjmihr it was said, , Who is he that hath no defect in him?' And he replied, ,He that dieth not.'

    XCVIII. BuzUijmihr's wife asked him a certain question and he replied, ,I know not the answer.' Thereupon she said unto him, ,Dost thou take such lnrge wages from the king [for thy wisdom] and yet not know the answer to my question?' And he replied, ,I receive my wages for what I know, and it is not payment for what I know not. If I were to receive wages for that which I know not, all the king's treasures would be insufficient to reward me, for the things which I know not are exceedingly many.'

    CV. Buzmjmihr said, ,When thou dost not know which of two things is the better for thee [to do], take counsel with thy wife and do the opposite of that which she saith, for she will only counsel [thee to do] the things which are injurious to thee.'