arret de chambre ebrahimian c. france 26 novembre 2015_voile hopital_agent

Upload: lextransatlantica

Post on 20-Feb-2018

215 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 7/24/2019 Arret de Chambre Ebrahimian c. France 26 Novembre 2015_voile Hopital_agent

    1/4

    du Greffier de la Cour

    CEDH 370 (2015)26.11.2015

    Le non-renouvellement du contrat, dans un tablissement public, dune

    assistante sociale refusant dter son voile nest pas contraire la Convention europenne des droits de l'homme

    Dans son arrt de chambre1, rendu ce jour dans laffaire Ebrahimian c. France (requteno64846/11), la Cour europenne des droits de lhomme dit, lunanimit, quil y a eu :

    Non-violation de larticle 9 (droit la libert de religion) de la Convention europenne des droits delhomme

    Laffaire concerne le non-renouvellement dun contrat de travail dune assistante sociale dans uncentre hospitalier en raison de son refus de sabstenir de porter le voile musulman.

    La Cour constate que le port du voile a t considr par les autorits comme une manifestation

    ostentatoire de la religion incompatible avec lobligation de neutralit des agents publics danslexercice de leurs fonctions. Le principe de lacit, au sens de larticle 1erde la Constitution franaise,et le principe de neutralit qui en dcoule, ont t opposs la requrante. Selon les juridictionsnationales, il sagissait de garantir le caractre lac de ltat et de protger ainsi les patients delhpital de tout risque dinfluence ou de partialit au nom de leur droit leur propre libert deconscience. Limpratif de la protection des droits et libert dautrui, cest--dire le respect de lareligion de tous, a fond la dcision litigieuse.

    La Cour estime que les autorits nationales nont pas outrepass leur marge dapprciation enconstatant labsence de conciliation possible entre les convictions religieuses de M meEbrahimian etlobligation de sabstenir de les manifester, ainsi quen dcidant de faire primer lexigence deneutralit et dimpartialit de ltat.

    Principaux faits

    La requrante, Christiane Ebrahimian, est une ressortissante franaise, ne en 1951 et rsidant Paris (France).

    Mme Ebrahimian fut recrute sous contrat dure dtermine en qualit dagent de la fonctionpublique hospitalire comme assistante sociale au service de psychiatrie du Centre daccueil et desoins hospitaliers de Nanterre ( CASH ), un tablissement public de la ville de Paris. Son contrat,tabli du 1er octobre au 31 dcembre 1999, fut prolong dune dure dun an du 1 er janvier au31 dcembre 2000.

    Le 11 dcembre 2000, le directeur des ressources humaines informa la requrante que son contratne serait pas renouvel. Cette dcision tait motive par le refus de M meEbrahimian denlever lacoiffe quelle portait et avait t prise la suite de plaintes formules par certains patients.

    Le directeur des ressources humaines rappela par crit MmeEbrahimian lavis du Conseil dtat du3 mai 2000 : si la libert de conscience des agents publics est garantie, le principe de lacit de ltatfait obstacle ce quils disposent, dans lexercice de leurs fonctions, du droit de manifester leurs

    1 Conformment aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrt de chambre nest pas dfinitif. Dans un dlai de troismois compter de la date de son prononc, toute partie peut demander le renvoi de laffaire devant la Grande Chambre de la Cour. Enpareil cas, un collge de cinq juges dtermine si laffaire mrite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira delaffaire et rendra un arrt dfinitif. Si la demande de renvoi est rejete, larrt de chambre deviendra dfinitif la date de ce rejet.

    Ds quun arrt devient dfinitif, il est transmis au Comit des Ministres du Conseil de lEurope qui en surveille lexcution. Desrenseignements supplmentaires sur le processus dexcution sont consultables ladresse suivante :http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.

    http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution/default_FR.asp?http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution/default_FR.asp?http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-158878http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-158878http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-158878http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-158878http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-158878
  • 7/24/2019 Arret de Chambre Ebrahimian c. France 26 Novembre 2015_voile Hopital_agent

    2/4

    2

    croyances religieuses ; par consquent, le port dun signe destin marquer une appartenance une religion constitue un manquement, pour lagent, ses obligations.

    Mme Ebrahimian demanda au tribunal administratif de Paris lannulation de la dcision du11 dcembre 2000. Le 15 et le 28 fvrier 2001, elle fut informe par courrier de la dcision dudirecteur des ressources humaines du CASH de linscrire au concours sur titre dassistants

    socio-ducatifs afin dy prendre part. MmeEbrahimian ne se prsenta pas au concours. Le 17 octobre2002, le tribunal administratif jugea le non-renouvellement du contrat conforme aux principes delacit et de neutralit des services publics.

    Par un arrt du 2 fvrier 2004, la cour administrative dappel de Paris considra que la dcisionlitigieuse prsentait un caractre disciplinaire et linfirma pour vice de procdure, MmeEbrahimiannayant pu consulter son dossier avant la prise de dcision. En excution de cet arrt, le directeurdes ressources humaines invita MmeEbrahimian prendre connaissance de son dossier et, par unedcision motive du 13 mai 2005, lui reconfirma le non-renouvellement de son contrat.MmeEbrahimian demanda lannulation de cette dcision auprs du tribunal administratif deVersailles. Le tribunal rejeta la requte. La cour administrative dappel confirma le jugement. Le

    pourvoi en cassation form par Mme Ebrahimian fut dclar non-admis par un arrt du Conseildtat.

    Griefs, procdure et composition de la Cour

    Invoquant larticle 9 (droit la libert de pense, de conscience et de religion), la requrante seplaignait que le non-renouvellement de son contrat dassistante sociale est contraire son droit lalibert de manifester sa religion.

    La requte a t introduite devant la Cour europenne des droits de lhomme le 12 octobre 2011.

    Larrt a t rendu par une chambre de sept juges compose de :

    Josep Casadevall(Andorre),prsident,Ganna Yudkivska(Ukraine),Vincent A. de Gaetano(Malte),Andr Potocki(France),Helena Jderblom(Sude),Ale Pejchal(Rpublique tchque),Sofra OLeary(Irlande),

    ainsi que de Milan Blako, greffier adjoint de section.

    Dcision de la Cour

    Article 9

    La Cour relve que le non-renouvellement du contrat de MmeEbrahimian est motiv par son refusdenlever son voile, expression de son appartenance la religion musulmane. Cette mesure doitsanalyser comme une ingrence dans son droit la libert de manifester sa religion tel quil setrouve garanti par larticle 9 de la Convention.

    La Cour note que cette ingrence est prvue par la loi. Si larticle 1er de la Constitution et lajurisprudence du Conseil dtat et du Conseil constitutionnel constituaient une base lgale pourrestreindre la libert religieuse de MmeEbrahimian, elles ne lui permettaient toutefois pas de prvoirque le refus dter son voile constituait une faute lexposant une sanction disciplinaire car le

    contenu de lobligation de neutralit ne comportait pas de mention explicite la profession quelleexerait. Cela tant, la Cour considre qu compter de la publication de lavis du Conseil dtat du

  • 7/24/2019 Arret de Chambre Ebrahimian c. France 26 Novembre 2015_voile Hopital_agent

    3/4

    3

    3 mai 2000, rendu plus de 6 mois avant la dcision litigieuse, les modalits de lexigence deneutralit religieuse des agents publics dans lexercice de leur fonction taient prvisibles etaccessibles.

    La Cour admet que lingrence litigieuse poursuivait le but lgitime quest la protection des droits etliberts dautrui.

    En ce qui concerne la question de savoir si lingrence litigieuse est ncessaire dans une socitdmocratique la protection des droits et liberts dautrui, la Cour estime que lobligation deneutralit des agents publics peut tre considre comme justifie dans son principe : ltat quiemploie la requrante au sein dun hpital public peut juger ncessaire quelle ne fasse pas tat deses croyances religieuses dans lexercice de ses fonctions pour garantir lgalit de traitement desmalades. Procdant ensuite lexamen de la proportionnalit de linterdiction litigieuse par rapport ce but, la Cour rappelle que si la libert de conscience des agents publics est totale, il leur estcependant interdit de manifester leurs croyances religieuses dans lexercice de leurs fonctions. Unetelle restriction trouve sa source dans le principe de lacit de ltat, et de celui de neutralit desservices publics, principes dont la Cour a dj approuv une stricte mise en uvre lorsquil sagit

    dun principe fondateur de ltat.La Cour estime que le fait que les juridictions nationales ont accord plus de poids au principe delacit-neutralit et lintrt de ltat qu lintrt de Mme Ebrahimian de ne pas limiterlexpression de ses croyances religieuses ne pose pas de problme au regard de la Convention.

    En effet, il ne lui appartient pas de se prononcer, en tant que tel, sur le modle franais. Il ne ressortdaucun texte ni daucune dcision du Conseil dtat que lobligation de neutralit pourrait tremodule selon les agents et les fonctions quils exercent. Il sagit dune obligation stricte qui puiseses racines dans le rapport tabli entre la lacit de ltat et la libert de conscience, tel quil estnonc dans larticle 1er de la Constitution. Cela tant, la Cour retient quil incombe au jugeadministratif de veiller ce que ladministration ne porte pas une atteinte disproportionne lalibert de conscience des agents publics lorsque la neutralit de ltat est invoque. Dans cecontexte, les consquences disciplinaires du refus de la requrante de retirer son voile ont tapprcies par ladministration, compte tenu du caractre ostentatoire du signe religieux et des autres circonstances . Le juge administratif a pour sa part retenu la conception franaise duservice public et le caractre ostentatoire du signe religieux port, et jug la sanction proportionne.Ainsi, limpact du port du voile dans lexercice de ses fonctions a t pris en compte pour valuer lagravit de la faute commise par la requrante et dcider de ne pas renouveler son contrat. La Courconsidre que les autorits nationales sont mieux places pour apprcier la proportionnalit de lasanction disciplinaire, qui doit tre dtermine au regard de lensemble des circonstances danslesquelles un manquement lobligation de neutralit a t constat, afin de respecter larticle 9 dela Convention.

    Sagissant de Mme

    Ebrahimian, pour qui il tait important de manifester visiblement sa religion, celle-ci sexposait la lourde consquence dune procdure disciplinaire. Toutefois, postrieurement lavis du 3 mai 2000, elle savait quelle tait tenue de se conformer une obligation de neutralitvestimentaire dans lexercice de ses fonctions. En raison de son refus de se conformer cetteobligation, indpendamment de ses qualits professionnelles, Mme Ebrahimian sest vu notifier ledclenchement de la procdure disciplinaire. Elle a alors bnfici des garanties de la procduredisciplinaire ainsi que des voies de recours devant les juridictions administratives. Elle a par ailleursrenonc se prsenter au concours dassistante sociale organis par le CASH. Dans ces conditions, laCour estime que les autorits nationales nont pas outrepass leur marge dapprciation enconstatant labsence de conciliation possible entre les convictions religieuses de M meEbrahimian etlobligation de sabstenir de les manifester, ainsi quen dcidant de faire primer lexigence de

    neutralit et dimpartialit de ltat.

  • 7/24/2019 Arret de Chambre Ebrahimian c. France 26 Novembre 2015_voile Hopital_agent

    4/4

    4

    La Cour estime en conclusion que lingrence dans lexercice de sa libert de manifester sa religiontait ncessaire dans une socit dmocratique et quil ny a pas eu violation de larticle 9 de laConvention.

    Larrt nexiste quen franais.

    Rdig par le greffe, le prsent communiqu ne lie pas la Cour. Les dcisions et arrts rendus par laCour, ainsi que des informations complmentaires au sujet de celle-ci, peuvent tre obtenus surwww.echr.coe.int. Pour sabonner aux communiqus de presse de la Cour, merci de sinscrire ici :www.echr.coe.int/RSS/frou de nous suivre sur Twitter @ECHRpress.

    Contacts pour la presse

    [email protected]| tel: +33 3 90 21 42 08

    Denis Lambert (tel: + 33 3 90 21 41 09)

    Tracey Turner-Tretz (tel: + 33 3 88 41 35 30)Nina Salomon (tel: + 33 3 90 21 49 79)

    Inci Ertekin (tel: + 33 3 90 21 58 77)

    La Cour europenne des droits de lhomme a t cre Strasbourg par les tats membres duConseil de lEurope en 1959 pour connatre des allgations de violation de la Conventioneuropenne des droits de lhomme de 1950.

    mailto:[email protected]://twitter.com/ECHR_Presshttp://www.echr.coe.int/RSS/frhttp://www.echr.coe.int/