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19 e Congrès de Maîtrise des Risques et Sûreté de Fonctionnement - Dijon 21-23 octobre 2014 APPROCHE OPÉRATIONNELLE ET STRATÉGIQUE DE LA DÉCISION LORS DES SITUATIONS INCIDENTELLES EN EXPLOITATION FERROVIAIRE OPERATIONAL AND STRATEGIC APPROACH OF DECISION MAKING DURING INCIDENTAL SITUATIONS IN RAILWAY OPERATIONS Christian BLATTER Alvaro HERRERA SNCF Direction de la Circulation Ferroviaire Université Paris 5 René Descartes Spécialité Ergonomie 174, avenue de France 45, rue des Saints Pères 75 013 PARIS 75 270 Paris Cedex 06 +33 (0)6 03 88 52 48 +33 (0)6 85 63 01 24 [email protected] [email protected] Résumé L’objectif de cette communication est de présenter une analyse du processus de décision relatif à la gestion de certaines situations incidentelles de l’exploitation ferroviaire. Ces événements sécurité surviennent lorsque les opérations de protection de la voie sont défaillantes. Nous montrerons comment une intervention Facteurs Humains a permis de faire se rejoindre deux niveaux de la prise de décision en vue de réduire ces incidents : d’une part, au plan opérationnel, au travers d’une analyse des causes humaines et organisationnelles à l'origine d'incidents, d’autre part, au plan stratégique, au travers du processus de construction de la décision visant à mettre en place de nouvelles conditions d’exploitation par les dirigeants informés des résultats de l’analyse FH. Summary The aim of this paper is to present an analysis of the decision-making process relating to the management of some incidental situations in railway operations. These safety events occur when operations for the protection of the railroad are failing. We show how a Human Factor intervention allowed two levels of decision-making to be joined in order to reduce these incidents: on one hand, at the operational level, through an analysis of human and organizational causes inducing these incidents; on the other hand, at the strategic level, through the decision construction process in order to implement new operating conditions by managers informed of the results of this analysis. Communication 6E-2 Page 1 sur 7

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19e Congrès de Maîtrise des Risques et Sûreté de Fonctionnement - Dijon 21-23 octobre 2014

APPROCHE OPÉRATIONNELLE ET STRATÉGIQUE DE LA DÉCISION LORS DES SITUATIONS INCIDENTELLES EN EXPLOITATION FERROVIAIRE

OPERATIONAL AND STRATEGIC APPROACH OF DECISION MAKING DURING INCIDENTAL SITUATIONS IN RAILWAY OPERATIONS

Christian BLATTER Alvaro HERRERA SNCF

Direction de la Circulation Ferroviaire Université Paris 5 René Descartes

Spécialité Ergonomie 174, avenue de France 45, rue des Saints Pères

75 013 PARIS 75 270 Paris Cedex 06 +33 (0)6 03 88 52 48 +33 (0)6 85 63 01 24

[email protected] [email protected]

Résumé L’objectif de cette communication est de présenter une analyse du processus de décision relatif à la gestion de certaines situations incidentelles de l’exploitation ferroviaire. Ces événements sécurité surviennent lorsque les opérations de protection de la voie sont défaillantes. Nous montrerons comment une intervention Facteurs Humains a permis de faire se rejoindre deux niveaux de la prise de décision en vue de réduire ces incidents : d’une part, au plan opérationnel, au travers d’une analyse des causes humaines et organisationnelles à l'origine d'incidents, d’autre part, au plan stratégique, au travers du processus de construction de la décision visant à mettre en place de nouvelles conditions d’exploitation par les dirigeants informés des résultats de l’analyse FH.

Summary The aim of this paper is to present an analysis of the decision-making process relating to the management of some incidental situations in railway operations. These safety events occur when operations for the protection of the railroad are failing. We show how a Human Factor intervention allowed two levels of decision-making to be joined in order to reduce these incidents: on one hand, at the operational level, through an analysis of human and organizational causes inducing these incidents; on the other hand, at the strategic level, through the decision construction process in order to implement new operating conditions by managers informed of the results of this analysis.

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19e Congrès de Maîtrise des Risques et Sûreté de Fonctionnement - Dijon 21-23 octobre 2014

1. Décider dans l’activité de gestion des circulations ferroviaires Pour Saïna Hassanzadeh (Hassanzadeh, 2011), la prise de décision est un ensemble de processus cognitifs visant à choisir une option parmi un ensemble de choix en comparant les conséquences des différentes options. L’incertitude constitue l’une des trois dimensions caractérisant le contexte de ce choix : la balance entre bénéfice et risque des différentes options est d’autant plus sujette à interprétation lorsqu’on se trouve en situation inconnue. Le manque de connaissance des choix possibles et/ou de leurs conséquences entraîne l’incertitude chez le décideur, ce qui met en danger l’efficacité et la rapidité de décision. Deux types de questions permettent d’apprécier le degré d’incertitude dans le domaine de l’exploitation ferroviaire :

Le contexte est-il bien défini ? La maîtrise des aléas est différente selon qu’on se trouve dans un monde bien décrit, fermé ou au contraire très ouvert, sujet aux aléas : dans le domaine ferroviaire, il y a une différence entre une ligne de métro automatique protégée par des portes palières et un environnement de chemin de fer plus ou moins complexe (zone nodale, présence de voies uniques, d’installations à contre-sens,…), ouverte à des trafics multiples (TGV, RER, trains de fret,…), accessible par des tiers (piétons, automobiles, bestiaux,…) et sujette à des aléas de natures diverses (relatifs au matériel roulant, à l’infrastructure, aux personnes,…).

Les tâches sont-elles précisées et décrites ? Quelle est la part entre pratiques formelles et informelles ? Les opérations d’exploitation ferroviaire sont généralement très procéduralisées (documents de sécurité comportant des logigrammes, des aides à la décision, des barèmes) voire semi-informatisées, de nombreux automatismes sont installés (par exemple dans les postes d’aiguillage informatisés). Mais les opérateurs possèdent aussi une compétence professionnelle forte qui leur octroie une forte autonomie, en particulier lorsque la situation est complexe et que la réponse ne peut être totalement déterminée (c’est le cas par exemple de la gestion des situations de dérangement affectant les installations). Bien que les textes réglementaires, manuels de prescription, consignes incitent à s’appuyer sur une approche rationnelle, les opérateurs peuvent être amenés à mettre en œuvre des démarches adaptatives, des ajustements au prescrit (Bieder et alii, 2003 ; Blatter et alii, 2006). Ce faisant, ils ne sont pas à l’abri d’erreurs de décision du fait de la charge informationnelle, de leurs limitations perceptives et cognitives, de biais collectifs, d’erreurs de routine ou de surconfiance en leurs capacités.

Igor Ansoff (Ansoff, 1988) a défini trois types de décisions en matière de management : les décisions stratégiques déterminent l’orientation générale de l’entreprise ; les décisions tactiques ou de gestion traduisent les décisions stratégiques en outils ou méthodes guidant la décision ; les décisions opérationnelles s’appuyant sur ces guides concernent la gestion des situations quotidiennes. En nous appuyant sur ce modèle, la décision dans le domaine d’une activité à risque comme la circulation ferroviaire peut être déclinée en trois niveaux :

- la décision opérationnelle, sur le terrain, pour les opérateurs de sécurité : en général, les situations à problème sont des situations rencontrées au quotidien, et connues des agents circulation, y compris les situations de variabilité (situations « normalement » dégradées, voire perturbées). Elles font en général l’objet d’un traitement par application de procédures, généralement préparé au cours de la formation au métier, mais rendu surtout familier par l’expérience. Il arrive toutefois que certaines situations imprévues, complexes et/ou à risque nécessitent l’élaboration de réponses rapidement adéquates se rapprochant d’heuristiques ;

- la décision tactique pour la hiérarchie des établissements et les services métier et sécurité de la direction nationale en charge de la circulation. L’événement à l’origine d’une décision tactique est soit d’origine externe, soit d’origine interne : une obligation réglementaire nouvelle, un changement technologique, un incident de sécurité, un conflit social. Les directions mettent en place à un niveau territorial et national des outils d’observation leur permettant de rendre compte de l’occurrence de certains problèmes afin de mieux les traiter : dispositifs de retour d’expérience des incidents d’exploitation (REX), tableaux de bord des accidents, etc. Des dispositifs organisationnels sont mis en œuvre pour traiter des problèmes complexes, en tenant compte de l’expérience des acteurs, mais les moyens d’analyse et de traitement peuvent s’avérer limités ;

- la décision stratégique au niveau du système ferroviaire et de ses différentes composantes : Direction de la Circulation Ferroviaire, Direction de l’Infrastructure Maintenance, SNCF, RFF, EPSF, Ministère des Transports, DG Mobilité et Transports de l’UE... Compte tenu de l’environnement extrêmement mouvant (sur les plans économiques, politiques,…), de la complexité croissante des systèmes (morcellement des structures, autonomie de décision des composantes du système), la prise de décision relève plus de l’art que de la science. Elle implique en tout cas de développer l’approche système, tout particulièrement au plan de la sécurité.

Dans la suite de cette communication, nous décrirons comment la connaissance fine des processus de décision opérationnelle, notamment au travers d’échecs dans des opérations de protection de travaux, a permis d’instruire le niveau stratégique des orientations de la direction en vue d’améliorer la sécurité globale du système ferroviaire et d’offrir des conditions de travail plus propices à l’activité de traitement d’information des opérateurs.

2. Contexte Les deux catégories d’incidents étudiés, les Défauts de mesure de protection (ou DMP) et les Engagements de voie protégée (ou EVP) sont liées aux mesures de protection de la voie prises par les aiguilleurs. Ces mesures de protection comportent un double objectif :

protéger les agents de maintenance des trains qui pourraient les heurter lors des travaux sur la voie ;

protéger les circulations ferroviaires de tout obstacle qu’elles pourraient rencontrer. La première catégorie d’incidents analysés, le Défaut de mesure de protection, survient lorsque ces mesures de protection sont omises, inadaptées ou insuffisantes dans le temps ou dans l’espace. La seconde catégorie étudiée, l’Engagement de voie protégée, consiste en l’engagement intempestif d’une circulation sur une voie faisant l’objet de mesures de protection.

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Conséquence d’un Défaut de mesure de protection, un Engagement de voie protégée se situe à un niveau de risque plus élevé qu’un Défaut de mesure de protection. La Direction de la Circulation Ferroviaire, au travers de son dispositif REX, a vu apparaitre une fréquence élevée de Défauts de mesure de protection et dans une moindre mesure d’Engagements de voie protégée. Elle a donc fait appel à sa division Facteurs Humains pour analyser les causes de ces incidents. Le dispositif REX consiste en une enquête réalisée auprès du ou des opérateurs humains impliqués dans l‘événement par le dirigeant de proximité, aidé le cas échéant par son chef, le dirigeant d’unité et un expert sécurité du pôle Sécurité de l’établissement. Ces acteurs du REX alimentent une base de données appelée Ré-Dièse : description chronologique de l’événement, saisie de différents paramètres prédéfinis, sélection des facteurs FH ayant influencé la survenue de l’incident/quasi-incident et reconstitution d’un tableau de synthèse FH proposant les pistes de mesures correctives.

3. Méthode La méthodologie s’est déroulée en trois grandes étapes :

Élaboration d’un modèle de fiabilité humaine : Ce travail s’est appuyé à la fois sur la littérature scientifique et sur des travaux menés à la SNCF et dans différents domaines : maintenance des rames RATP, métiers de la voie à la SNCF, conduite automobile, surveillance de centrale nucléaire ;

Analyse des rapports REX : À partir de la revue de l’état de l’art, une grille d’analyse a été construite et appliquée à un échantillon de 22 rapports d’incident/quasi-incidents issus de la base Ré-Dièse. Elle a permis d’identifier les déterminants des incidents que les acteurs du REX (dirigeants opérationnels et experts sécurité) avaient analysés ;

L’analyse de terrain : Sur les 22 cas du REX, 10 ont fait l’objet d’une étude de terrain. Les critères de choix de ces incidents visaient à refléter la variété des facteurs et les types d’erreurs identifiés dans l’analyse des rapports REX. Des entretiens ont été effectués avec les agents impliqués dans les incidents et avec les acteurs du REX ayant participé à la réalisation de l’enquête. Les entretiens avec les opérateurs se sont passés en deux temps : d’abord en salle, puis dans les postes d’aiguillage où l’événement est survenu afin d’observer la situation de travail que les agents avaient décrite. Cette analyse avait deux buts, reconstituer l’incident et réfléchir aux préconisations avec les acteurs du terrain.

4. Résultats

4.1. L’élaboration du diagnostic FH relatif aux décisions opérationnelles Nous avons étudié les mécanismes menant à la prise de décision des acteurs de terrain dans les situations incidentelles. Pour ce faire, nous avons construit un modèle d’analyse à partir de différents modèles de la littérature (Rasmussen, 1986 ; Reason, 1997 ; De la Garza Corona, 1995 ; Fadier et alii, 2003). Nous avons en particulier intégré le modèle de scénario-type de Van Elslande (Van Elslande, 2003) qui décrit les catégories suivantes pour les accidents de la route :

La défaillance fonctionnelle correspond à la « défaillance des fonctions qui permettent habituellement au conducteur de réguler son activité dans le sens d’une adaptation réussie aux difficultés rencontrées dans l’accomplissement de sa tâche » ;

Les éléments explicatifs de l’erreur sont les facteurs du contexte de conduite relatifs au conducteur, à la route, aux autres conducteurs, aux conditions de réalisation de la tâche qui ont favorisé la survenue de la défaillance ;

L’activité ou la situation de pré-accident concerne la tâche de conduite que l’usager cherchait à accomplir au moment de la survenue de la défaillance ;

La situation critique résultante décrit la situation provoquée par la défaillance et conduisant à l’accident ;

L’accident correspond à la description des conséquences de l’incident. Les phases de la défaillance sont inspirées du modèle de Rasmussen (Rasmussen, 1986) :

La perception : le sujet se met en état de recevoir des informations en s’orientant vers la source. Puis il recueille des données par les organes des sens ;

Le diagnostic : les informations sont classées, et l’organisme aboutit à une représentation de l’état du système ;

La décision : le sujet examine les possibilités qui s’offrent à lui et fait un choix de procédure ;

L’exécution : le sujet met en œuvre les opérations prévues par la procédure. Les résultats des analyses des rapports d’enquêtes REX et des analyses de terrain font apparaitre les déterminants d’incidents suivants

1 :

L’importance du caractère multi-causal (Cf. figure1) : sur 22 incidents, seuls 3 ne comportent qu’une seule origine, les autres peuvent comporter de 2 à 5 causes. L’analyse de terrain retrouve cette proportion tout en l’atténuant car elle élimine les erreurs dues à des erreurs initiales ;

1 Les histogrammes comparent les résultats de 10 incidents selon que leur analyse procède du REX (en bleu) ou du terrain (en

violet).

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Figure 1 : Caractère multi-causal de l’erreur

L’importance du caractère collectif (Cf. figure 2) : dans la moitié des cas, l’événement concerne 2 agents ou plus, du même domaine d’activité (aiguilleur, régulateur) ou de domaines différents (maintenance) alors que les dossiers REX ne montrent pas toujours l’implication de ces agents. L‘analyse de terrain confirme cette défaillance dans la collaboration entre agents ;

Figure 2 : Caractère collectif de l’erreur

Importance de la phase de décision (Cf. figure 3) : à la lecture des dossiers Rex, les erreurs survenaient le plus souvent lors des phases de prise de décision, puis lors de l’exécution des tâches. Les enquêtes REX indiquent une part notable d’absence de mise en œuvre des procédures. Toutefois, l’analyse de terrain montre que les erreurs de décision procèdent la plupart du temps d’erreurs de diagnostic. Les agents n’omettent donc pas les procédures, mais décident de ne pas les mettre en œuvre du fait d’un mauvais couplage entre représentation d’une situation complexe et compréhension d’une procédure difficile ;

Figure 3 : L'erreur selon la phase du fonctionnement cognitif et moteur des opérateurs humains

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Facteurs individuels (Cf. figure 4) : si l’analyse des REX montre que la pression temporelle est le facteur le plus présent, l’analyse de terrain indique que cette pression peut être soit réelle, soit intériorisée. Par ailleurs, certains facteurs considérés comme individuels par les dirigeants de proximité s’avèrent plutôt relever de facteurs organisationnels après analyse. Compte tenu de l’ancienneté des incidents, certains facteurs relevés dans le REX n’ont pu être retrouvés lors des analyses de terrain ;

Figure 4 : Fréquence des facteurs liés aux agents favorisant les incidents

Facteurs de contexte (Cf. figure 5) : les plus fréquents concernent les consignes, la préparation des travaux, le partage des procédures de protection entre agents, l’accès et le contenu des synoptiques de suivi des circulations. L’analyse de terrain a permis d’identifier deux autres facteurs : la charge de travail élevée et l’absence temporaire d’un agent.

Figure 5 : Fréquence des facteurs organisationnels et techniques

En conclusion de cette analyse, les erreurs identifiées s’expliquent plus par des facteurs organisationnels que par des facteurs individuels : préparation des travaux ; rédaction des consignes ; conception et entretien des synoptiques de suivi… Ces facteurs ont été classés en trois grandes catégories auxquelles correspondront 17 recommandations ergonomiques :

Contexte de travail prédisposant aux erreurs qui concerne des caractéristiques des conditions de travail

prédisposant aux erreurs des agents (préparation insuffisante des travaux, charge de travail élevée,...) ;

Défaillance de défenses dont le système dispose pour se protéger contre les erreurs (consultation des consignes,

vérification du Tableau de Contrôle Optique,...) ;

Niveau de complexité élevé de certaines mesures de protection (zones à protéger plus d’une fois, partage de la

procédure,...).

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4.2. La construction sociale de la décision stratégique

Quel est le processus conduisant du REX à la décision stratégique ? Après avoir mené son enquête auprès de l’(ou des) opérateur(s) impliqué(s) dans un événement sécurité, le dirigeant d’équipe renseigne la base de retour d’expérience, que son supérieur et le pôle Sécurité de l’établissement complètent. Ces informations remontent au département Sécurité de la Direction de la Circulation Ferroviaire par le flux de la base de données. Les incidents les plus notables sont évoqués à la « J+1 », réunion quotidienne avec l’état-major de la DCF. Par ailleurs, les statistiques d’incidents ainsi que les cas les plus significatifs sont présentés chaque trimestre au comité de pilotage national Sécurité. La prise en compte de ces incidents dans le REX est ensuite suivie de décisions et d’actions à chacun des niveaux de la hiérarchie visant à améliorer les règles, les équipements, les compétences, le partage d’information, etc. Toutefois ces décisions et actions se rapportent habituellement à un événement sécurité sérieux venant de survenir : presqu’accident, accident. Les études de deuxième niveau « à froid » sur les causes communes à un ensemble d’événements sont assez rares et ne conduisent pas nécessairement à des prises de décisions stratégiques, du niveau de celles prises par l’étude sur les Défauts de mesure de protection et Engagements de voie protégée, en tout cas. Le point de vue que nous adopterons dans cette deuxième partie est celui de la théorie de la régulation conjointe (De Terssac, 2003). Celle-ci stipule que les objets de gestion tels que les outils, règles, guides procèdent à la fois de décisions descendantes, mais qu’ils sont adaptés de fait par les usages, les pratiques des acteurs de terrain. Ces adaptations peuvent se traduire par des ajustements (contournements, détournements, violations) de la part de ces derniers, mais aussi par la prise en compte de modifications par les concepteurs d’outils, de règles. L’adéquation de ces objets de gestion aux opérateurs et aux contraintes de leur situation de travail est donc fondamentale pour garantir leur efficience. Selon De Vaujany F.-X. (2006), « Comprendre une dynamique d’appropriation passe (...) par une “compréhension conjointe”. Il s’agit de mobiliser à la fois le point de vue de la régulation de contrôle (celle qui s’efforce de normaliser l’outil et ses utilisations) et celui de la régulation autonome (celle qui souvent contourne ou détourne un outil ou un objet afin de le rendre propre à un usage local) ». Nous présentons ici le processus remontant : celui qui conduit du diagnostic et des recommandations FH issus de l’analyse du REX et du terrain au plan d’actions stratégiques. Nous montrerons comment l’appropriation d’une connaissance des problèmes opérationnels amène les dirigeants à prendre des décisions visant à redéfinir en amont les conditions d’exercice du métier au niveau du système ferroviaire. Ainsi l’équipe FH avait diagnostiqué, parmi les facteurs de Contexte de travail prédisposant aux erreurs, une préparation des travaux insuffisante : « changements de dernière minute rendant difficile la bonne représentation des travaux » ; « chantier incompatible avec certaines circulations prévues »,.... Elle avait alors émis plusieurs recommandations, par exemple « refuser les changements de programme de maintenance et n’admettre des modifications que pour les dépannages », « instituer une chronologie des appels pour les demandeurs de travaux (...), etc. » Ces résultats ont été présentés au Comité de pilotage Sécurité de la Direction de la Circulation Ferroviaire (DCF) auquel participaient son directeur et celui de la sécurité de Réseau Ferré de France (RFF). Ce comité a proposé qu’un groupe de travail se réunisse pour proposer un ensemble de réponses aux recommandations FH. Animé par la division Facteurs Humains, il regroupait des acteurs métiers et sécurité de la DCF, de la Direction de l’Infrastructure Maintenance et de la Direction de l’Ingénierie. Ce travail collaboratif a permis de dépasser les logiques parfois contradictoires propres à chaque métier et d’adopter une approche système permettant de faire travailler deux entités en coopération sur deux niveaux de temporalité. Ainsi sur l’exemple donné plus haut, il a été proposé une réponse en deux temps : « Dans un premier temps, travailler en amont à la mise en qualité de la programmation par une meilleure organisation (plateaux communs entre établissements Circulation et Maintenance) », et « Dans un deuxième temps, en cas de changements trop tardifs de programme ou quand on met les opérateurs en difficulté, savoir refuser et être plus strict » par exemple, en « établissant une chronologie des appels des responsables travaux », « en prévoyant un temps incompressible de préparation »,... Une démarche participative a succédé à cette démarche collaborative : trois ateliers regroupant l’ensemble des dirigeants nationaux et directeurs d’établissement de la DCF sont venus amender et enrichir les propositions du groupe de travail et ont convergé vers un projet de plan d’actions. Ils ont alors précisé les orientations pour une meilleure concertation amont par des actions concrètes : « inscrire dans les textes la préparation concertée entre Infra Maintenance et Circulation », « instaurer cette coopération au niveau national comme au niveau local, avec des interlocuteurs Exploitation sachant défendre la vision exploitation en amont », « imposer des bornes temporelles aux demandes de travaux », « prendre en compte des indicateurs d’évaluation de la charge prévisionnelle, dès la conception des travaux »,... Après la validation de cette orientation par le président de RFF, l’équipe dirigeante de la DCF a présenté à ses directeurs d’établissement un plan en sept actions clés pour 2014. Deux actions concernent directement nos exemples sur la charge de travail : « Améliorer la qualité des travaux par une meilleure concertation amont Maintenance / Circulation en créant un plateau commun entre Établissements Infra Maintenance et Infra Circulation » et « Exercer au niveau des directeurs d’établissement une veille particulière sur la charge de travail des opérateurs circulation en la concertant au préalable avec l'Infra Maintenance afin de pouvoir "dire non, sans surprise" s'il apparaît que nous nous mettons en risque ». Chaque action est pilotée par un manager de la direction de l’Exploitation de la DCF, un ou deux directeurs d’établissement et des dirigeants appartenant à la direction Infrastructure Maintenance ou RFF selon le cas. Après un recensement national des initiatives locales, des outils, méthodes, guides, chartes sont élaborés, déclinés et mis en œuvre de manière non rigide sur le terrain. Une structure tripartite associant des dirigeants de la DCF, de la Direction de l’Infrastructure Maintenance et de RFF règle les éventuelles difficultés de mise en œuvre pouvant générer des tensions, des conflits.

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5. Conclusion Pour résumer, cette construction sociale de la décision s’appuie sur plusieurs phases :

un diagnostic FH transversal de situations problématiques du point de vue de la sécurité basé sur des analyses de terrain et complétant l’analyse du REX. Ce diagnostic permet de produire plusieurs recommandations ;

une présentation des résultats à un ensemble de décideurs des différentes organisations du système qui valident et légitiment la suite de la démarche ;

un travail collaboratif entre les divers experts sécurité et métier des entités du système pour produire les réponses aux recommandations ;

un travail participatif avec les dirigeants de terrain qui enrichissent et contextualisent les réponses des experts ;

un plan d’actions « phares » de la direction permettant de mobiliser l’ensemble des acteurs autour d’objectifs concrets, en nombre limité, clairs et atteignables en vue de la réduction « à la source » des causes d’incidents. Chaque action aboutit à la mise en œuvre de dispositifs supports à la décision opérationnelle.

L’approche incluant, d’une part l’analyse FH des causes d’échec des processus de décision opérationnelle par les opérateurs, d’autre part l’appropriation des résultats de cette analyse et la construction organisationnelle de la décision par les dirigeants, permet ainsi de mettre en place des dispositifs de décision tactique (outils, méthodes, guides,...) sur lesquels les opérateurs peuvent s’appuyer pour prendre des décisions opérationnelles plus sûres dans un contexte plus serein.

Références

Ansoff, I. (1988).The New Corporate Strategy. New York, Wiley

Bieder, C., Bourrier, M., Kostulski, K., Noizet, et ali. (2003). Prise en compte des Facteurs Humains dans l'évolution de la Réglementation de Sécurité. Synthèse des travaux et pistes d’évolution de la Réglementation de sécurité. Contrat de recherche Dédale/SNCF.

Blatter, C., Beauquier, S., Vignes, P., Pariès, J. (2006). NAOS : une nouvelle approche organisationnelle pour la rédaction des règles de sécurité. Actes du congrès Lambda-Mu 15.

De la Garza Corona, C. (1995). Gestions individuelles et collectives du danger et risque dans la maintenance d’infrastructures ferroviaires. Thèse de doctorat d’ergonomie. EPHE.

De Terssac, G. (2003). La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud. La Découverte.

De Vaujany F.-X. (2006). Pour une théorie de l’appropriation des outils de gestion : vers un dépassement de l’opposition conception-usage. Management Prospective Ed. Management & Avenir 2006/3 - n° 9

Fadier, E., De la Garza, C., & Didelot, A. (2003). Safe design and human activity: construction of a theoretical framework from an analysis of a printing sector. Safety Science, 41(9), 759-789.

Hassanzade, S. (2011). Incertitude : de quoi parle-t-on ? Application aux décisions dans les projets de développement pharmaceutique. In Pratiques de la décision en situation d’incertitude. Équipes du programme 2008 de la FonCSI. Approche de l’incertitude. Les Cahiers de la Sécurité Industrielle. 2011-06, pp. 5-20.

Rasmussen, J. (1986). Information processing and human-machine interaction. Amsterdam. North-Holland.

Reason, J. (1997). Managing the risks of organizational accidents. Ashgate.

Van Elslande, P. (2003). Erreurs de conduite et besoins d'aide : une approche accidentologique en ergonomie. Le Travail Humain, 66 (3), pp. 197-226.

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