anthropologie – psychanalyse
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Ethique & Santé 2007; 4: 228-30 • © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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LU VU ENTENDU
fait de lui un philo-sophe » (p. 216). On le voit, avec une écriture degrande qualité, trop savante diront certains, M. Geoffroy introduitun questionnement essentiel pour le clinicien contemporain : que sepasse-t-il, au cœur de ma pratique professionnelle, pour que jerencontre le patient en son juste temps, avec une juste compétence ?Au sein de ce questionnement critique, porteur d’une réelle rigueurphilosophique, l’ouvrage offre aux professionnels du soin l’op-portunité de s’ouvrir à la pleine signification de leur pratique et deleur engagement. En ce sens, ce livre dense, d’actualité, est précieuxpour celles et ceux qui portent un intérêt clinique et critique sur le sensdu soin et de la relation, sur le statut de la médecine contemporainedans son lien avec la rencontre humaine.
Dominique Jacquemin
L’hôpital, la technique et l’éthique
Jean-Marie Clément, LEH éditions, 2006, 192 p.
« Dire que l’hôpital a plus changé en 30 ans qu’en 300 ans est devenu uneévidence. La productivité apparaît l’élément central, et le moteur de cettemutation fut sans doute le formidable bouleversement technologique quitransforme les pratiques médicales. L’investigation clinique a été détrônéepar une investigation matérielle. Cependant l’homme est bien plus qu’unamas de cellules et qu’une usine chimique… »
Là, s’insinue d’après l’auteur la réflexion éthique ou morale sur lesens de l’acte médical…
« Peut-on concilier la technique et l’éthique ? La technique, bien qu’essen-tielle, doit-elle gouverner les relations humaines ? L’éthique, la technique,qui est au service de qui ? Derrière la technique ne se cache-t-il pas une peurpanique de donner à l’homme la place la plus éminente ? Et on va encoreplus loin puisque, avec la certification, la technique est interpellée de nou-veau pour mieux administrer et que l’appel à la loi semble être le sésame àla mode… »
.L’auteur, Jean-Marie Clément, en bon connaisseur des arcanes hos-pitaliers, explique clairement comment l’étude du droit hospitalier,qu’il connaît bien, est aussi l’étude économique et sociale du pays :
« La société soigne les maux qu’elle engendre… »
.
« L’hôpital est le reflet de l’état de la civilisation »
, disait déjà Tenon en1789. Le questionnement et l’analyse éthique de l’auteur tout aulong de cet ouvrage sont tout à fait judicieux, tout autant que lepanorama critique des différents textes de loi des réformes hospita-lières sous la V
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République (celle du 31 juillet 1991, la loi du 4 mars2002, la nouvelle ordonnance du 2 mai 2005, le PMSI au service dela T2A, etc.).
« En un siècle l’assisté est devenu l’assuré, le malade, objet de droits, est de-venu sujet de droits… Un véritable scientisme juridico-administratif impo-se ses choix d’organisation »
.Qui protège-t-on ? Quelles sont les dérives possibles d’une ren-tabilisation par le rejet des prestations non rentables ? Quels sont lesdangers d’une rentabilisation prioritaire ?La médecine à multiples vitesses est en route… Faut-il assimilergrosseur et puissance ?
« Le pouvoir est auréolé d’un prestige magique qui fascine et empêche laplupart des individus de réfléchir… La production hospitalière est passée enune trentaine d’années de l’asile à l’usine, d’une logique artisanale à un pro-cessus industriel… L’hôpital est victime de son efficacité, cependant la mortreste inéluctable et nous attend tous. Cette expérience de vie n’est-elle pas enréalité le reflet d’une profonde angoisse qui vient de ce que la technique a oc-culté la réflexion humaniste sur le sens de la vie ? Le retour aux valeurs mo-rales s’impose… »
. Jusqu’où peut aller cette techno-science administra-tive ? Le bilan qui en est dressé est remarquable.
« Aucune technique,
fût-elle la plus robotisée et la plus (procédurée) ne peut remplacer laconscience »
.
Dominique Letheuil-Berry
Anthropologie
J’ai été volée à mes parents
Céline Giraud, Paris, Flammarion, 2007.
Comme beaucoup d’enfants adoptés, Céline Giraud, l’adolescenceterminée, se décide à chercher ses origines et, qui sait, à faire laconnaissance de ses parents biologiques. La loi l’y autorise. Elle vadonc effectuer le parcours classique de celui ou de celle qui part à ladécouverte des siens. Céline Giraud, née au Pérou, a été adoptée il ya plus de vingt ans par une famille française dont elle porte le nom etqu’elle gardera après la rencontre avec ses « vrais parents » qui habitenttoujours Lima, la Capitale du Pérou. Son histoire va être bouleverséepar la découverte d’un trafic d’enfants dont elle-même a fait les fraissans que ni ses parents biologiques ni ses parents adoptifs n’en aientjamais eu idée. Ses parents au Pérou ont bien porté plainte, mais envain. Au-delà de l’émotion que Céline Giraud nous transmet à tra-vers le récit de son histoire, c’est surtout son cri et son appel qu’ellelance vers les futurs parents adoptants pour qu’ils soient vigilants. Cen’est pas qu’à elle que cela a pu arriver. Il existe des trafics d’enfantsmalgré les réglementations, malgré les contrôles plus nombreux. Cen’est pas de la fiction ! Découvrir le « pot-aux-roses », en l’occurrence,constitue un véritable drame pour tous, la jeune femme adoptée, lesparents adoptifs, les parents de naissance. C’est pourquoi le raconterdans un livre peut déjà aider à s’en sortir et surtout peut prévenird’autres trafics dont d’autres parents adoptifs n’auraient pas idée. Lelivre se lit très facilement et est conseillé, en particulier, à de futursparents adoptifs.
Brigitte Tison
Anthropologie – Psychanalyse
De l’adolescence errante. Variations sur les non-lieux de nos modernités
Olivier Douville, Nantes, Éditions Pleins Feux, 2007, 62 p.
Olivier Douville accueille en ces pages très denses l’adolescenceerrante sans jamais la fétichiser, mais plutôt en la laissant interrogerpsychanalyse et anthropologie. C’est un premier défi à relever qued’accepter cette mise à l’épreuve des savoirs, pour espérer approcherles voies subtiles empruntées par ces sujets : c’est presque une invita-tion sinon à perdre
sa
clinique, du moins à la remettre en jeu dans laplus grande rigueur.S’il veut entendre quelque chose de ceux qui sont prêts à se perdrepour échapper à l’emprise d’un autre forcément menaçant, l’analystedevra pour ainsi dire entrer en
itinérance
… car l’auteur l’engageà demeurer toujours dans une incertitude extrêmement féconde :
« qu’est le corps à ces moments-là ? Pas encore une scène bien qu’il insiste àse représenter, pas encore un thème bien qu’il insiste à se couvrir de (pier-cings), de tatouages ou de blasons. Pas encore un motif, donc »
(p. 29).Le jeune errant sait mieux que quiconque titiller l’autre pour dénoncerson inconsistance et faire choir les discours d’autorité préfabriqués.Jeté hors de lui-même par la tornade pulsionnelle, il ne pourraparfois pas tenir d’autre position que celle de sujet de la frontière.
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Cette angoisse du devenir autre, nous ne pouvons pas, selonl’auteur, l’entendre en nous contentant de la ranger au cataloguede l’« inquiétante étrangeté », pour riche que soit cette notion. Encorefaut-il savoir entendre « les nouveaux modes d’adresse à l’Autre »tentés de façon précaire par ces sujets qui restent souvent sur le seuil,signant un défaut d’inscription, dans la crainte de « ce qui pourraitsurgir ».Si ces formes d’errance traduisent presque une phobie de l’espace,une peur de la rencontre, le corps réel est lui trop exposé et le risquede passage à l’acte toujours important. Devant le manque de plus enplus flagrant de territoires contenants, qu’Olivier Douville attribuesans détour à un très grave abandon social, ces jeunes semblentchercher désespérément mais obstinément à fabriquer « du lien et dela trace » dans ces nouveaux déserts.De ces psychismes également désertés qui confirment l’hypothèseproposée depuis quelques années par l’auteur d’une
mélancolisationdu lien social
, peut-il alors émerger un lieu qui pourrait enfin êtreoccupé ? C’est tout l’enjeu de cet ouvrage et du travail analytiquedans ce contexte, dans ce qu’on nomme souvent
les marges
, d’explorerla façon dont l’analyse peut venir faire « entame » dans le béton de lajouissance mélancolique. Si le sujet peut s’en saisir, engager sa parole,dépasser la honte, « quelqu’un peut advenir ». Un tel pari passe parles retrouvailles du corps, du nom, de la langue dans cet autre lieu.Qu’est-ce à dire ?… Il s’agit d’entendre les appels du côté du rythmeet de la langue maternelle, à condition là encore d’interroger cettenotion au-delà du sens trop convenu. Il est davantage question durapport du sujet au féminin, de ce qui échappe au phallique. Selonson habitude Olivier Douville, en familier de Bataille, bouscule leslectures commodes, dénonce la tentation si courante d’enfermer lessacrifices corporels à l’adolescence dans des prétendus « rites depassage », là où il repère plutôt un fantasme d’auto-fondation rebelle.Enfin, il refuse fermement les approches réductrices qui voudraient
imposer dans les
cités
comme ailleurs le modèle de l’« affrontement »et de la « santé mentale », autant de démarches colonisatrices tropsouvent avancées en guise de soins.
Anne Bourgain
Psychanalyse – Sociologie
Malaise dans l’institution
François Ansermet, Maria-Grazia Sorrentino, Paris, Édition Economica,Anthropos, 2007.
François Ansermet et Maria-Grazia Sorrentino, forts de leur ex-périence de l’institution psychiatrique et partant de l’inconscient àl’œuvre dans celle-ci, développent une approche sous l’angle de lapsychanalyse. Ils montrent comment chaque membre de l’équipede soins va répéter son histoire et présenter les résistances à la trans-formation de l’institution (ce qui a été, est et sera). Les résistancessont les mêmes que celles que l’on trouve dans la cure analytique.L’enjeu de leur analyse est bien évidemment l’incidence de la psy-chanalyse sur l’institution. Y en a-t-il une ? Dans la mesure où leurréflexion, qui a le mérite d’être lisible et claire en même temps, nousinterpelle sur notre propre relation à l’institution et nous questionnequant aux changements que l’on désire ou non. Les deux auteurs,en guise de conclusion, formulent un projet sur la psychose etl’institution.Cet essai brillant à tous points de vue (connaissances, écriture…)est fortement recommandé pour tous les soignants qui travaillent eninstitution psychiatrique.
Brigitte Tison