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72 Cahiers Textuel 34/44 1986: 73-85 13. Montaigne se montre assez proche ici des idées de Longin dans le Traité du Subli me, qui "metta it l'acce nt sur la grand eur d'âme conte mplati ve et inspi rée de l'orat eur" (M. Fumar oli, L'Age de l'éloq uence , Genèv e, Droz, 1980, p. 68 ; voir aussi, p. 165-167). l<f. Le Regard intérieur, Paris, Nizet, 1982. 15. F. Jou kovsk y, op. c it., p. 1 Ί7. 15. Respectivement da ns l'adage Silen i Alcibiadis et le prologue du Gargantua. 16. Paris , Vascos an, 156 8, p. I<f7 . 17. Journal de voyage e n Italie , éd. P. Michel, "Le livre de poche", p. 256. 18. Essais critiques , Paris, le Seu il, 196Ψ, p. 108 . L'ARGUMENTΑTIΟΝ PYRRHONIENNE Structures d'essai dans le chapitre "Des Boîteux". Que déclare Montaig ne, dans le chap itre "Des Boîteux", au sujet des  phénomènes de sorcellerie ? A ceux qui en font état, il oppose, dit l'une, "des dénégations fortes, sans laisser aucune marge au flou (...) ni à l'hésitation" (1) - "Sa réserve" dit l'autre "ne va jamais jusqu'à la négation" (2). Qu'ils aient tous deux raison, on le croira sans peine, si l'on voit bien à qui je pense. Reste seulement à montrer comment le texte vérifie leurs assertions contraires et permet de les compo ser entre elles ; ce qui donn era lieu à quelq ues remarqu es sur l'argumentation de Montaigne et sur ses rapports avec la zététique pyrrhonienne rénovée par la pratique de l'essai. Pou r pre mie r rep ère , le tit re, pri s a la let tre . Eca rtons l'hypo thè se insoutenable d'une tentative de camouflage ; et renonçons aux métaphores, pour admet tre, naïveme nt, que les "boîteux " en question ne sont autres que les claudiquants des deux sexes dont il est question à la fin. A quel titre méritent-ils le  privilège d'être signalés ainsi à l'attention du lecteur ? Ils sont bizarrement introduits : "A propos ou hors de propos, il n'importe..." (p. 1033) - formu le unique dans les Essais , qui non seuleme nt isole le texte ,  présenté comme une sorte d'épilogue, mais semble même en contester la  pertinence. Pourtant, une page plus loin, Montaigne le raccorde à la thèse initiale : "Ces exemples servent ils pas à ce que je disais au commencement ?" (ρ.1034). Combinées entre elles, les deux indications donnent aux remarques sur les boîteux et boiteuses le statut de

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72 Cahiers Textuel 34/44 1986: 73-85

13. Montaigne se montre assez proche ici des idées de Longin dans le Traité duSublime, qui "mettait l'accent sur la grandeur d'âme contemplative etinspirée de l'orateur" (M. Fumaroli, L'Age de l'éloquence, Genève, Droz,1980, p. 68 ; voir aussi, p. 165-167).

l<f. Le Regard intérieur, Paris, Nizet, 1982.

15. F. Joukovsky, op. cit., p. 1Ί7.

15. Respectivement dans l'adage Sileni Alcibiadis et le prologue du Gargantua.

16. Paris, Vascosan, 1568, p. I<f7.

17. Journal de voyage en Italie , éd. P. Michel, "Le livre de poche", p. 256.

18. Essais critiques , Paris, le Seuil, 196Ψ, p. 108.

L'ARGUMENTΑTIΟΝ PYRRHONIENNE

Structures d'essai dans le chapitre "Des Boîteux".

Que déclare Montaigne, dans le chapitre "Des Boîteux", au sujet des phénomènes de sorcellerie ? A ceux qui en font état, il oppose, dit l'une, "desdénégations fortes, sans laisser aucune marge au flou (...) ni à l'hésitation" (1) -"Sa réserve" dit l'autre "ne va jamais jusqu'à la négation" (2). Qu'ils aient tousdeux raison, on le croira sans peine, si l'on voit bien à qui je pense. Resteseulement à montrer comment le texte vérifie leurs assertions contraires et permetde les composer entre elles ; ce qui donnera lieu à quelques remarques sur l'argumentation de Montaigne et sur ses rapports avec la zététique pyrrhoniennerénovée par la pratique de l'essai.

Pour premier repère, le titre, pris a la lettre. Ecartons l'hypothèse

insoutenable d'une tentative de camouflage ; et renonçons aux métaphores, pour admettre, naïvement, que les "boîteux" en question ne sont autres que lesclaudiquants des deux sexes dont il est question à la fin. A quel titre méritent-ils le

 privilège d'être signalés ainsi à l'attention du lecteur ?

Ils sont bizarrement introduits : "A propos ou hors de propos, il n'importe..."(p. 1033) - formule unique dans les Essais, qui non seulement isole le texte,

 présenté comme une sorte d'épilogue, mais semble même en contester la pertinence. Pourtant, une page plus loin, Montaigne le raccorde à la thèse initiale :"Ces exemples servent ils pas à ce que je disais au commencement ?" (ρ.1034).Combinées entre elles, les deux indications donnent aux remarques sur les boîteuxet boiteuses le statut de

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figure marginale, sorte d'emblème qui ne se rapporte pas spécialement à tel ou tel point de l'argumentation ni à son objet (et reste donc "hors de propos") maisfournit pour celle-ci un modèle logique, d'après lequel on peut la situer dans la

 philosophie de Montaigne.

Le passage est composé de manière à cerner très précisément ce modèle.

Après avoir cité le proverbe et l'exemple qui célèbrent les capacités sexuelles des boiteux, Montaigne présente ("J'eusse dict...") son explication du phénomène, puiscelles d'Aristote ; et il enchaîne sur le cas similaire, des tisserandes. La série desexplications controuvées se poursuivra plus loin, avec les hypothèses contrairesdu Tasse et de Suétone, sur les effets anatomiques de l'équitation, et de Virgile,sur les raisons de l'écobuage. Mais au centre, juste après la formule déjà citée quiraccorde le tout au "commencement" du chapitre, Montaigne revient soudain sur le cas de la boiteuse :

"Outre la flexibilité de notre invention à forger des raisons à toutesorte de songes, notre imagination se trouve pareillement facile àrecevoir des impressions de la fausseté par bien frivoles apparences.Car, par la seule autorité de l'usage ancien et public de ce mot, je mesois autrefois fait à croire avoir reçu plus de plaisir d'une femme de cequ'elle n'était pas droite, et mis cela en recette de ses grâces" (p. 1034).

L'analyse est modifiée. La question des "causes" s'efface, au profit d'uneautre, plus incisive : il s'agit maintenant des leurres fabriqués par 1' "imagination"(c'est-à-dire la faculté de représentation, la phantasia qui élabore les images à partir des données sensibles). De la critique de la raison et de ses vaines spéculations, on

 passe donc à celle d'une instance mentale intermédiaire entre celle-ci et lasensation ; exactement au point où la perception entre en concurrence ou encombinaison avec les fantasmes, où naissent les "songes" que des hypothèsesétiologiques viendront accréditer. C'est là un lieu stratégique des controversesentre stoïciens et sceptiques (3), et aussi du débat entre Wier et Bodin sur lasorcellerie ; si bien que ces quelques lignes se rattachent non seulemnt au"commencement", mais à l'ensemble de l'argumentation, et à son objet principal.Or, à cet endroit précis, Montaigne revient à sa boiteuse pour constater, justement,qu'il a cédé lui-même au mirage collectif : "Je me suis autrefois fait à croire avoir reçu plus de plaisir..." - contre le témoignage le plus irrécusable de ses sens, il afait prévaloir l'autorité du proverbe. Il voit maintenant dans cette fantaisie erotiquela matière d'un essai (effectué jadis) du consentement intime à l'erreur ; et l'on saitquelle leçon il tire de ce genre d'expérience : "Qui se souvient de s'être tant et tantde fois mécompte de son propre jugement, est-il pas un sot de n'en entrer pour 

 jamais en défiance ?" (III, 13, p. 1074). Par de telles réflexions critiques se réitèresans cesse le geste initial du pyrrhonisme de Montaigne, déclenchant le travail dela zététique intérieure : réserve dubitative (epoche) sur la validité de telle croyanceet retour sur les processus mentaux qui la produisent ou l'accréditent - ici, lessuggestions de l'opinion commune (i), renforcées par les explicationsimaginées.

Compte tenu de cela, on sera un peu moins surpris par le titre du chapitre : ildésigne, dans le texte, une opération d'essai (prendre conscience d'une erreur) sur le registre personnel - un modele, réduit et déplacé, du travail accompli par l'argumentation des pages précédentes ; ce que confirme la conclusion, dont je

 parlerai plus tard.

Une remarque encore, sur le même passage. Il s'agit bien d'une erreur ; maiscela est déclaré d'un mot, qui tire toute sa force de l'articulation logique ducontexte : "Notre imagination se trouve (...) facile à recevoir des impressions de lafausseté. Car (...) je me suis autrefois fait à croire..." Montaigne ne prend pas la

 peine de réfuter ce témoignage de son "imagination" : il est entendu d'avance qu'ilest futile, et que l'explication qu'il s'en est donnée était spécieuse, comme cellesd'Aristote. Bref, il "elide la vérification" du fait, en le situant simplement dans ledomaine qu'il explore, des "songes", des "frivoles apparences", de Γ "inanité". Onne discute pas un fantasme, individuel ou collectif ; on l'enregistre comme tel, eton l'explique. Passons à la limite : il reste fantasme même si "la fortune, ouquelque particulier accident" (p. 1033) le font coïncider avec un fait. Après tout,Montaigne ne dit rien des talents de la dame ; "honnesteté", sans doute ; maissurtout, cela n'avait rien à voir avec la vraie question : comment ai-je pu m'en faireaccroire ainsi ?

Par ce qu'il dit et par ce qu'il laisse entendre, l'épilogue privilégié par le titreesquisse les linéaments d'une démarche critique dont les différentes opérations(doute, réfutation, mise à l'écart) sont effectuées concurremment dans ladiscussion sur les prodiges et la sorcellerie, corps central du chapitre. En celle-ci,deux discours se superposent. L'un est une argumentation explicite, à l'usage des

 juristes, qui se cantonne dans les limites d'un pyrrhonisme strict, et en tire toute saforce. L'autre, qui dépasse ces limites, prend la forme plus discrète d'un réseaud'assertions indirectes et d'implications ; il manifeste l'incrédulité, au sens fort duterme. Pour plus de clarté, je les examinerai séparément.

Aux magistrats chasseurs de sorcières, Montaigne réplique par un principe dedroit criminel : "A tuer les gens, il faut une clarté lumineuse et nette" (p. 1031) -règle déjà rappelée par Wier, et scandaleusement inversée par Bodin quisubordonnait à ce critère d'évidence non la condamnation, mais l'acquittement desinculpés de sorcellerie (5). Il lui suffit dès lors de plaider le doute, en utilisantcontre Bodin l'argument même que celui-ci opposait à Wier pour récuser les

explications naturelles : "Ce n'est pas fait en Mathématicien ni en Philosophed'assurer témérairement une chose qu'on n'entend point : mais il faut en ce cas voir l'effet, et ce qu'on dit, hoti esti, et laisser à Dieu la cause, c'est-à-dire di'hoti" (6).Pour lui retourner l'objection, il suffit de constater que le démonologue, lui aussi,

 prétend connaître la cause du phénomène lorsqu'il impute celui-ci aux pouvoirssataniques. Assimiler des cas examinés par les tribunaux aux sortilèges attestés par la Bible, cela requiert une hypothèse étiologique : "Pour accommoder les exemplesque la divine parole nous offre de telles choses, très certains et irréfragablesexemples,

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et les attacher à nos événements modernes, puisque nous n'en voyons ni les causesni les moyens, il y faut autre engin que le nôtre. Il appartient a l'aventure a ce seultrès puissant témoignage de nous dire : Cettui-ci en est, et celle-là, et non cetautre" (p.1031). Le raisonnement est sans faille, surtout dans la version de 1595,depuis la satire initiale de ceux qui inventent des causes occultes, hors de la portéede l'homme, jusqu'à la conclusion décisive : "Après tout, c'est mettre sesconjectures à bien haut prix que d'en faire cuire un homme tout vif" (p. 1032).

Mais sur ces bases, rien ne permet de nier la possibilité de la sorcellerie, nimême de s'inscrire en faux contre ses théoriciens. Montaigne le concèdevolontiers, conformément à ses propos antérieurs (I, 17, p. 178), et, plusgénéralement, au pyrrhonisme dont il fait preuve dans ce même chapitre, avant etaprès 1588. Telle est sa réponse aux démonologues : "Qu'ils gourmandent ceuxqui accusent de fausseté leur opinion ; je ne l'accuse que de difficulté et dehardiesse, et condamne l'affirmation opposite, également avec eux sinon siimpérieusement" (p. 1031). Ce n'est pas timidité - il vient à l'instant de défier lescenseurs -mais rigueur logique : le doute requis "es choses de difficile preuve etdangereuse créance" (p. 1032) interdit de se rallier sans réserve à l'une des deuxthèses en conflit. Reste toujours, pour les départager, le critère des conséquences :"Pour une altercation verbale et scolastique, qu'ils aient autant d'apparence queleurs contradicteurs ; mais en la conséquence effectuelle qu'ils en tirent, ceux-ci

ont bien de l'avantage" car ils concluent par un non-lieu, là où les premiers prononcent une sentence de mort. A supposer des raisons également téméraires de part et d'autre, la lenior sententia doit l' emporter, selon le droit. Pour le magistrat,cela suffit. "A tuer les gens, il faut une clarté lumineuse et nette" ; il ne peut y enavoir ; tout est dit.

Tout n'est pas dit cependant, puisque ce schéma démonstratif jalonne le textesans en suivre les détours. Si l'on refuse de tenir ceux-ci pour des vagabondagesfortuits, ou des ressassements, il faut y chercher quelque chose qui excède la

 portée de la stricte argumentation.

Revenons au point de départ de celle-ci, sur les "causes". Dans la version de1588, la critique des conjectures étiologiques ne renvoyait pas à une théorie deslimites du savoir ; elle introduisait seulement le projet de découverte des erreurssur les faits par simple constat négatif : "Ils commencent ordinairement ainsi :

Comment est-ce que cela se fait ? -Mais se fait-il ? faudrait il dire (...) 3e trouvequasi partout qu'il faudrait dire : Il n'en est rien", (p. 1027). Serait-ce donc un fauxdépart, qui ne prendrait de sens que plus tard, grâce à l'addition sur les "plaisantscauseurs" ? Pas exactement. Car la négation du fait est hasardeuse dans ladiscussion : elle peut être taxée de témérité, ou sonner comme un démenti - "Il estun peu rude et querelleux de nier tout sec une proposition de fait" (ibid.). Art de la

 persuasion et prudence sceptique exigent donc un détour, dont la remarque initialesur les causes controuvées indique la stratégie : le philosophe accordera toute sonattention au processus de formation, de propagation et de confirmation de l'erreur.A l'échelle de la

 pensée collective, il pratiquera la réflexion critique propre à l'essai, en passant ducontenu de l'assertion erronée au mode d'élaboration de celle-ci. Les pagessuivantes le détaillent : allégation de témoins fictifs, circonstances surajoutées,intimidation, recours aux autorités, et, pour achever, l'invention "des causes et desfins" incriminée au début. En regard, quelques exemples des supercheries

découvertes avant que le travail de l'opinion n'en ait fait des prodiges justiciablesdu feu ; avec pour commentaire le précepte sceptique de "soutenir notre jugement", développé en éloge de la docte ignorance.

Montaigne peut alors aborder de front la question de la sorcellerie : celle-cis'inscrit dans ce catalogue de fictions à discréditer, et par conséquent est donnéed'avance pour illusoire. "Les sorcières de mon voisinage courent hasard de leur vie, sur l'avis de chaque nouvel auteur qui vient donner corps à leurs songes" (p.1031). La négation n'a pas à se formuler par assertion ; acquise d'emblée, comme

 présupposé de l'ensemble du discours, elle se résume dans le substantif "songes", porteur des arguments de Wier. La question n'est pas de savoir si les diableriessont réelles, mais de découvrir, en préjugeant de leur irréalité, ce qui leur fait

 prendre "corps" dans l'opinion : spéculations des théologiens, mensonges oudélires des témoins et parfois des inculpées elles-mêmes, et partout la "volubilitéde notre esprit détraqué"... Montaigne anticipe, en somme, sur la perspective deshistoriens de nos jours qui étudient la sorcellerie au XVIe siècle comme un faitculturel, sans prendre la peine de préciser que le diable (le vrai, pas son image) n'yétait pour rien. Ses propos impliquent la négation ; ils ne sont pas en-deçà, maisau-delà.

Cela vaut pour la conduite générale du discours, et n'exclut pas des attaques plus directes contre ce qui fait preuve aux yeux des juges : les témoignages, etsurtout les aveux des inculpées. L'intention est double. Révoquer en doute de tellesdonnées, évidemment ; mais surtout rappeler que, conjuguées avec lesélucubrations démonologiques, elles forment toute la substance du phénomène. Iln'y a qu'à feuilleter Bodin pour constater que, selon lui, il faut et il suffit que desracontars soient dûment enregistrés dans les archives des tribunaux ou dans lestraités pour devenir des faits. "Il faut (...) voir l'effet, et ce qu'on dit" déclare-t-il àWier ; sous sa plume, c'est presque un hendiadyn, pourvu que sous ce "on" il

 puisse mettre, outre la rumeur populaire - qu'il prend d'ailleurs au sérieux, dans ceseul cas (7) - les commissaires qui rédigent les procès-verbaux, les magistrats qui

reçoivent les dépositions, et les docteurs qui constituent le tout en savoir. Si les"effets" manquent, il ne sera pas embarrassé pour si peu. Il sait que l'un des

 pouvoirs les plus caractéristiques des sorcières est de "faire voir ce qui n'est point"(8) : du témoin convaincu d'erreur, la croyance en un prodige inexistant établiradonc une présomption contre l'inculpée. De même, avec une dialectique plussereine et encore plus expéditive, Thomas Erastus (Lieber) réglait la question ; ilconcédait volontiers à Wier que "ce sont presque tout fables et contes superstitieuxde ce que l'on récite de la puissance des sorcières" (9) ; mais il n'en condamnait pasmoins celles-ci au feu, pour avoir consenti au "pacte" qui les vouait à l'erreur, etconformé leurs intentions

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au pouvoir maléfique qu'elles croyaient détenir (10). Le système atteint à la perfection, comme le "monde de piperie" de Verville (11) ; rien de plus normal, puisque, comme ce dernier, il fonctionne en circuit fermé : entre la parole quiaccuse, la parole qui avoue, la parole qui enregistre et explique, et la parole quicondamne (non sans effet, celle-ci). Voilà ce que trouve Montaigne, à la place de"ces miracles et événements étranges" qui "se cachent" devant lui ; et sa hardiesseà dévoiler ce jeu de leurres égale sa réticence à se prononcer "par résolution" sur ce qu'il ne peut contrôler par expérience. L'attaque initiale contre les conjecturesétiologiques ne fausse donc pas l'orientation du texte ; au contraire, elle en désigned'avance la principale cible : le tissu de paroles authentifiées par les instances

 judiciaires et codifiées en explications savantes qui se superpose au réel et finit par en tenir lieu.

Ainsi peut se comprendre l'énigmatique préambule sur la réforme ducalendrier : il s'agit, là aussi, de distinguer entre les mots et les choses. Rien de

 plus irrécusable que le temps calendaire, cadre de toutes les pratiques religieuses etsociales, qui accorde aux cycles cosmiques la vie quotidienne aussi bien quel'Histoire profane et sacrée. Pourtant, un décret de Grégoire XIII escamote soudaindix jours de Décembre 1582 ; et rien ne change. Ce qui dévoile, comme uneévidence fulgurante, le décalage entre le temps réel et "le temps fictif, cetteconvention" (12) qui le mesure, lui assigne son rôle de repère universel, mais reste

lui-même assujetti à l'arbitraire du discours. Commencée abruptement, cette pageest réinscrite, par l'imparfait de la formule de transition qui la suit ("3e ravassais

 présentement...", p. 1026) dans la méditation sceptique sur 1' "instrument libre etvague" qui remodèle le réel à sa convenance. Elle y fait fonction de jalon pour uneargumentation a fortiori, laissée virtuelle : si même la mesure sociale du temps serevele factice, et sujette à caution, qu'en sera-t-il des documents tirés de rumeursdevenues témoignages et de délires devenus aveux ? et qu'en sera-t-il des traitésqui en procèdent, ajoutant les falsifications de la doctrine à celles de l'opinion ?

Subsiste cependant un support réel pour tout cela : la sorcière en chair et enos, attendant d'être réduite en cendre. Montaigne l'a vue, entendue, examinée ; il

 prononce son verdict "en conscience" : une cure à l'hellébore, assortie peut-être decontraintes légales (13). Pas d'attendus ni d'explications. Le travail de critique restelatent, les pages précédentes suffisant à le faire deviner. Une trace cependant, pour en rappeler le principe : "3e vis (...) je ne sais quelle marque insensible sur cette

misérable vieille" (p. 1032). Le moindre rudiment de demonologie lui aurait permis d'identifier sur-le-champ la marque de Satan ; mais justement il "ne sait"qualifier ainsi les choses ; il a constaté qu'une tache cutanée était insensible ; le faitne signifie rien sans le fantasme verbal qu'y projette le savoir des experts - stigmadiabolicum. Donc, rien à discuter : il suffit de ne pas adopter la nomenclatureofficielle pour que se dissipe le mirage. Cette réfutation tacite est analogue à cellequi, plus loin, "à propos ou hors de propos", dissout silencieusement le fantasmeerotique suggéré par l'opinion, après inventaire des savants bavardages

susceptibles de lui donner consistance. C'est ainsi que Montaigne traite "les preuves et raisons qui se fondent sur le fait" exhibé par autrui ou même impriméen sa propre fantaisie : "Je ne les dénoue point ; aussi n'ont-elles point de bout ; jeles tranche souvent, comme Alexandre son noeud" (p. 1032).

En réponse à l'oracle gordien, le tranchant d'une lame ne résolvait pas ladifficulté ; il la supprimait. Montaigne agit de même, mais sans esquiver ladiscussion, comme on l'a vu. Il faut comprendre la raison et les modalités de cettedouble démarche.

L'argumentation explicite, plaidant le doute et s'interdisant, de ce fait, d'aller  jusqu'à la négation, devait suffire à des magistrats soucieux de droit et de logique.Elle risquait d'être peu efficace. En ces années 80, la frénésie des chasseurs desorcières tend justement à faire instituer une procédure d'exception. Tel Bodin : eninsistant sur le progrès des agissements diaboliques, il fait croire à une sorte d'étatd'urgence où le salut de la Chrétienté exigerait toutes les mesures nécessaires pour qu'aucun sorcier ne puisse éviter la condamnation. Dans ces conditions, le principede présomption d'innocence s'inverse : on ne devra jamais relaxer l'inculpé "si lacalomnie de l'accusateur ou délateur n'est plus claire que le soleil. D'autant que la

 preuve de telles méchancetés est si cachée et si difficile qu'il n'y aurait jamais personne accusé ni puni d'un million de sorciers qu'il y a, si les parties étaientréglées en procès ordinaire, par faute de preuve" (14). Contre un tel parti-pris,aucune argumentation ne vaut ; on l'a constaté plus haut en voyant Erastus faireétat des explications de Wier sans renoncer à ses propres conclusions contre lesadeptes des illusions diaboliques. Le tout est d'en venir, coûte que coûte, à dessentences de mort. Bref, "les avis de chaque nouvel auteur" s'inscrivent dans undiscours collectif de panique et tirent leur force probante de son invariable postulat: Satan est partout, les sorcières se multiplient, il faut exterminer.

Pour assurer la validité de son raisonnement de philosophe et de juriste,Montaigne doit donc produire simultanément un discours qui repose sur le postulatcontraire (15) : l'inanité, ou plus exactement l'absence des phénomènes desorcellerie, sauf "irréfragables exemples" cautionnés en d'autres temps par témoignage surnaturel. S'il évite de s'inscrire en faux, sans réserve, contre la

 possibilité générale de la sorcellerie, et restreint les négations aux limites de sonexpérience, ce n'est pas timidité ni indécision, mais usage calculé des modes

d'énonciation. Il faut que les constats ("il n'en est rien") se détachent, comme propositions particulières, sur un fond d'incrédulité, axiome sous-tendant lediscours, désigné ou requis par ses énoncés mais les débordant toujours.Montaigne peut donc bien refuser d'arbitrer le débat "scolastique" entre théoriciens; d'autant plus forte est son attaque, qu'elle vise la rumeur publique (les "millecontes", p. 1031) qui fournit aux traités de Bodin et consorts leur raison d'être, etles présupposés de leur logique de la répression. Il ne s'y trompait pas - la vraiequestion était là. Sa position s'en déduit sans peine. De même que le présidentLagebaston,

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naguère, faisait en sorte qu'au Parlement de Bordeaux les accusations desorcellerie fussent "systématiquement rayées du rôle" (16), comme indignes dedélibérations et d'arrêts, de même Montaigne opose aux réquisitoires de Bodinune fin de non-recevoir, plus vigoureuse qu'une réfutation en règle : ces"accusations extravagantes" (p. 1031), ces "questions desquelles et le pour et lecontre est faux" (p. 1027) ne devraient même pas être examinées. Tel pourrait êtrele sens de l'allure presque humoristique du chapitre, surprenante si l'on mesure lagravité de l'enjeu. Il s'agit de faire apparaître la futilité de l'affolement collectif orchestré par les savants. A cette condition l'argument juridique - pas decondamnation en cas de doute - reprendra tout son poids.

Ce dédoublement des propos, en énoncés généraux dubitatifs et énoncés particuliers négatifs renvoyant à une incrédulité de principe, ne répond passeulement aux exigences d'une stratégie de persuasion, adoptée pour les besoinsde la cause. Il se conforme exactement à la logique de l'essai pyrrhonien -autrement dit, à la zététique telle que l'entend Montaigne. Ce que signalediscrètement la conclusion du chapitre.

Il convient de s'attarder un peu sur ce dernier passage, dont la signification estcontroversée. Au début, un hommage à Camèade, "pour avoir arraché des hommesle consentement, c'est-à-dire l'opinion et la témérité de juger" (p. 1035) ; à la fin,

une critique de ceux qui "tiennent en l' ignorance la même extrémité que les autrestiennent en la science" (ibid.). P. Villey, A. Armaingaud et d'autres commentateursont vu dans ces derniers mots un désaveu du scepticisme radical de 1' "Apologie deR. Sebond" ; mais que faire alors de la première phrase ? E. Limbrick propose un

 partage : Montaigne approuverait le scepticisme probabiliste del'Académie et abandonnerait le pyrrhonisme, jugé stérile (17). Le texte réfute cettehypothèse. Les deux phrase citées ci-dessus se raccordent par une affirmationréitérée en chiasme : "Cette fantaisie de Carnèade (...) naquit (...) de l'impudence deceux qui font profession de savoir" ; et, réciproquement, "la fierté de ceux quiattribuaient à l'esprit humain la capacité de toutes choses causa en d'autres (...) cetteopinion qu'il n'est capable d'aucune chose". La réserve finale a donc trait àCarnèade : c'est bien lui qui répond aux excès du dogmatisme par un excès en sensinverse. Pour résoudre la contradiction apparente, il faut se référer à latripartition esquissée dans l' "Apologie", d'après Sextus Empiricus : lesdogmatiques déclarent avoir trouvé la vérité ; les Académiciens "ont désespéré de

leur quête et jugé que la vérité ne se pouvait concevoir par nos moyens" ; les pyrrhoniens "disent qu'ils sont encore en cherche de la vérité" (18). Ils ont cecide commun avec les Académiciens qu'ils s'interdisent "l'opinion et latémérité de juger" (ce que Montaigne approuve dans la doctrine deCarneade) ; cela de différent, qu'ils inscrivent leur scepticisme en unerecherche (la "zététique") au lieu de déclarer de prime abord que l'esprit humain"n'est capable d'aucune chose" (ce que Montaigne reproche, comme unexcès, à Carneade). De 1' "Apologie" au chapitre "Des boîteux", l'orientation

 philosophique n'a pas changé (et pour cause : le probabilisme, tel qu'il est présentéet réfuté plus loin dans cette même "Apologie", p. 561-562, convient à Bodin - plus

 besoin de certitudes, réputées impossibles, pour brûler les gens ; des présomptions de culpabilité, à un certain degré, suffiront).

Le trait distinctif est donc la zététique. Or, même réduite à son schémaélémentaire, celle-ci a pour effet de scinder le discours en chaque point selon ses

aspects subjectifs et objectifs : dans tout "progrès" de ses "inquisitions", le philosophe prendra conscience de son "ignorance" (manifeste dans l'erreur qu'il adécelée, latente dans les conjectures qu'il y substitue - cf. les propos de Montaignesur les progrès de la cosmographie, II, 12, p. 572, et sur sa propre découverte desoi, III, 13, p. 1075). La recherche se dédouble ainsi en considérations sur le"thème" choisi et retour critique sur les conditions de la connaissance. Onreconnaît ici la matrice de l'essai réflexif, que j'ai décrit ailleurs. Le chapitre quinous occupe adapte cette structure à sa visée propre, démonstrative. Il a pour thèmela question de la sorcellerie, dont disputent dogmatiquement les docteurscontemporains. Montaigne refuse de se prononcer sur le fond, et taxe de téméritél'un et l'autre des controversistes (non sans faire observer incidemment que le tonimpérieux et menaçant du discours de Bodin "montre que la raison y est faible", p.1031). Mais il motive sa réserve par une enquête subsidiaire sur les leurres del'opinion commune, et l'inanité des débats qui en résultent. Des "illusions dudehors et inconnues" imputées aux démons, la pensée se retourne vers les"illusions domestiques et nôtres" (p. 1032) ; autrement dit, l'epochè sur l'objetdonne lieu à une inspection critique du sujet. Cela n'autorise pas à reconnaître ence texte un essai réflexif : le sujet mis en cause n'est pas le scripteur, mais le

 premier venu, professeur ou commère, qui manifeste sa propension à l'erreur en bavardant sur des prodiges sans s'interroger sur leur réalité. Reste une nomologieformelle : il faut passer de l'assertion à celui qui la profère, des "accidentssupernaturels et fantastiques" à la phantasia qui leur donne corps. Aussi Montaigne

 peut-il rapprocher par endroits la critique d'autrui et la critique de soi en employantla première personne du pluriel ("Nous aimons à nous embrouiller en la vanité...",

 p. 1027) et surtout en privilégiant par le t itre le modèle intermédiaire - une erreur de sa propre fantaisie sollicitée par l'opinion, au sujet de la boîteuse. L'assimilationdécèle, comme fond commun à ces différentes démarches, l'espèce de conversion

 phénoménologique propre à la zététique.

Seulement le travail ne s'arrête pas là. Dans les fantasmagories explorées aucours de l'enquête ainsi réorientée, le thème proposé se dissout : il n'était bon qu'à

des "altercations verbales et scolastiques". Libre à chacun d'en "bateler par compagnie" (p. 1027), pourvu que cela ne tire pas à conséquence ; devant de telsrécits, témoignages, aveux et marques sataniques, un homme de bon sens aura lecourage de hausser les épaules, et de les ignorer. J'emploie à dessein une acception

 particulière de ce dernier terme, pour indiquer le gauchissement imprimé àl'orientation pyrrhonienne. Pratiquer l'epochè, refuser son assentiment à l'opinionspontanée ou reçue, cela peut être une simple abstention, mais aussi bien un actede résistance - ce que notait Cicéron dans le passage que lui emprunte Montaigneau sujet de Carnèade (19). L'epochè proposée ici, sur les questions de sorcellerie,est du second type ; elle se traduit par 

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le dessein d' "elider la vérification" (20) des prétendus prodiges, de refuser de les prendre en compte, de leur dénier toute autre place que celle qui leur est assignéed'avance dans le catalogue des aberrations vulgaires ou savantes. Mieux qu'uneassertion, c'est là un choix préjudiciel : d'un philosophe qui refuse de spéculer derebus ignotis ; d'un ex-juriste qui conseille aux magistrats de jeter au panier les

dossiers de pareille espèce (21). Dans le contexte de l'époque, une telle positionavait peu de rapports avec l'ataraxie ou l'adiaphoria. "Il y a quelque ignoranceforte et généreuse qui ne doit rien en honneur et en courage à la science" (p. 1030): on doit donner tout son poids à cette définition d'un pyrrhonisme de combat.

André TOURNONUniversité de Provence.

NOTES

1. G. Nakam, Les Essais de M., miroir et procès de leur temps, p. 395.

2. 3. Céard, La nature et les prodiges, p. 429.

3. Voir J.P. Dumont, Le sceptique et le phénomène, p. 117-125.

4. Cf. J.Y. Pouilloux, Lire les Essais de M., p. 80.

5. Signalé par G. Nakam, Les Essais..., p. 388-390.

6. Démonomanie des Sorciers , p. 418, reprenant à l'adresse de Wier une formulede la préface, f  " ++2. Signalé par M.S. Meijer, "Guesswork or facts...", p.171.

7. Démonomanie , p. 324 : "Et si on dit qu'il ne faut s'arrêter à la voix d'un peuple, qui est réputée vaine, cela est bien vrai quand on peut juger lecontraire sensiblement, ou par discours fondé en raison. Mais quand il estquestion des sorcières, le bruit commun est presque infaillible". Sur lesfondements de cette étrange logique (déjà notée par G. Nakam, Les Essais...,

 p. 389 et 394), voir plus loin, p. 7.

8. Démonomanie , p. 437 ; de même p. 299 : "C'est aussi une preuve très evidentesi la sorcière fascine ou éblouit les yeux, ou charme de paroles".

9. Deux dialogues de Thomas Erastus..., p. 762. Dans le même dialogue,"Erastus" reconnaît aussi que les sorcières "ont l'imaginationcorrompue" et déraisonnent ; mais il leur refuse l'excuse de la folie"car elles font toutes autres choses de sain entendement ; et de leurs

sorcelleries elles savent bien quel est cet ouvrage, à savoir méchant devant etaprès le coup" (p. 776).

10. "Jouets de Satan, qui par ses illusions se joue ainsi de ses esclaves", ellesn'ont aucun pouvoir surnaturel ; mais elles "ont appris et font profession d'un

art diabolique contre le commandement de Dieu" (p. 766) ; peu importe quecet art soit inefficace, la mauvaise intention suffit.

11. Le Moyen de parvenir , s. 35-36, p. 94-99.

12. G. Nakam, Les Essais..., p. 393.

13. "La justice a ses propres corrections pour telles maladies" (p. 1032) -Je ne pense pas que cette phrase soit ironique, par référence aux bûchers. Au XVIesiècle, le magistrat décide de l'aliénation, de l'incarcération des fous, parfoisde peines afflictives. Wier approuve la "douceur" des juges de Bologne quicondamnaient les sorcières inoffensives à la flagellation, suivie d'exposition

 publique et d'exil (Histoire, disputes..., VI, 21, p. 690-691) ; et il propose lui-même pour les sorcières "ayant l'esprit troublé d'erreur par le diable et nefaisant aucun mal à autrui" une amende pécuniaire suivie d'un bannissement à

temps (p. 694-695).14. Démonomanie , p. 372. - Sur la phobie collective de la sorcellerie, voir G.

 Nakam, p. 378-385. Une réserve seulement, sur Bodin : sa thématique estmaniaque, mais ses raisonnements restent solides, si l'on admet ses deux

 postulats (le procès-verbal atteste le fait ; l'état d'urgence justifie une procédure d'exception). Le très raisonnable auteur de l'Heptaplomeres aurait-ildélibérément cherché des boucs émissaires pour dévier sur eux la férocité deses contemporains ? Catholiques et protestants s'adonnaient à la chasse auxsorcières avec un zèle égal... (cf. A. Boase, art. cit., p. 404). Cela ne l'excuse

 pas.

15. "A ceux qui combattent par présupposition, il leur faut présupposer aucontraire le même axiome dequoi on débat" (II, 12, p. 540).

15. A. Boase, "Montaigne et la sorcellerie", p. 407.

16. "Was M. really a Pyrrhonian ?", BHR 1977, p. 410. - E.L. tire aussi argumentdu fait que Montaigne, après 1580, emprunte beaucoup de formulessceptiques aux Académiques, où Cicéron soutient les théories de Carnèade ;mais des emprunts ne marquent pas une allégeance, surtout chez Montaigneet surtout dans ce domaine, où les matériaux de controverse sont communsaux deux écoles.

16. II, 12, p. 502 ; cf. Sextus Empiricus, Esquisses Pyrrhoniennes, I, 1.

17. Académiques , II, 34 : "maximam actionem puto repugnare visis, obsistereopinionibus, assensus lubricos sustinere, credoque

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Clitomacho ita scribenti, Herculis quemdam laborem exanclatum aCameade...".

20. L'expression est extrêmement précise. "On est pardonnable demescroire une merveille, autant au moins qu'on peut en destourner etelider la verification par voie non merveilleuse" (p. 1032). "Elider"relève du langage juridique : elidere intentionern curiae, elidereaccusationem, c'est se disculper en réduisant a néant les motifs del'accusation, sans prouver positivement son innocence. L'idée deMontaigne est que, pour peu qu'on puisse expliquer une affaire desorcellerie "par voie non merveilleuse" (mensonge ou erreur destémoins, folie de l'accusé, par exemple) il faut laisser à l'écart(destourner) et annuler (elider) l'enquête dans le domaine surnaturel(la "verification" de la "merveille"). Ce qui définit bien la position deLagebaston et des magistrats (incriminés par Bodin) qui suivaient sonexemple (Boase, art. cit., p. 406-407)..Sur les concessions apparentes de la p. 1033 ("Ce que je dis..."), voir "Lemagistrat, le pouvoir et la loi", dans les écrivains et la politique... p. 74-75.

21. En termes plus techniques : ne pas les "recevoir à juger" ; ou, aumoins, les laisser "au croc".

R. Munchembled, La sorcière au village, coll. "Archives", Julliard/Gallimard,1979.

G. Nakam, Les Essais de Montaigne, miroir et procès de leur temps, Paris, Nizet 1984. :------------

3.Y. Pouilloux, Lire les Essais de Montaigne, Paris, Maspero 1969.

Verville (François Béroalde de -), Le Moyen de parvenir, Pubi, de l'Université deProvence, 1984.

2· Wier, Histoire, dispute et discours des illusions et impostures des diables Paris,Jacques Chovet, 1579 (à l'ouvrage de Wier est associé celui d'Erastus cité plushaut, continuant la pagination).

Ouvrages cités ou utilisés

A. Boase, "Montaigne et la sorcellerie", BHR 1935, p. 402-412.

J. Bodin, La Démonomanie des sorciers, éd. d'Anvers, Arnould Coninx, 1586.

J. Céard, La nature et les prodiges. L'insolite au XVIe siècle en France, Genève,Droz 1977.

J.P. Dumont, Le scepticisme et le phénomène, Paris, Vrin 1972.

Les Ecrivains et la politique dans le Sud-Ouest de la France autour des années

1580, Presses Universitaires de Bordeaux, 1982.

Erastus (Thomas Lieber, dit -), Deux dialogues de Thomas Erastus (...) touchant le pouvoir des sorcières et la punition qu'elles méritent (...) Nouvellement traduits,de Latin en François, Jacques Chovet, 1579 (voir Wier).

E. Limbrick, "Was Montaigne really a Pyrrhonian ?", BHR 1977, p. 68-80.

M.S. Meijer, "Guesswork or facts : connections between Montaigne's last threechapters", in Montaigne : Essays in reading, Yale French Studies n° 64, 1983, p.167-179.