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1 Analyse ergonomique située de l’activité des élèves et des enseignants en classe. Illustrations en cours d’EPS Jean Trohel, UFR-STAPS, Université de Rennes 2, CREAD Jérome Guérin, IUFM de Bretagne, UBO, CREAD Ce symposium réunit la présentation de travaux empiriques menés dans le champ de l’enseignement de l’éducation physique et sportive (EPS) dans le second degré. Ces travaux ont en commun d’appartenir à un programme qui exploite les méthodes et modèles généraux de l’analyse du travail. Des recherches sur l’intervention en EPS montrent que les compétences en situation des enseignants chevronnés ne relèvent pas seulement de l’application des lois, règles et bases de connaissances (Durand, 2000), mais que les « professionnels tirent en partie leur expertise des compétences tacites, construites sur le terrain, dans l’histoire singulière de la collaboration avec les élèves » (Gal-Petitfaux et Saury, 2002, p. 51). Interroger l’efficacité et l’équité en enseignement nécessite donc de décrire les pratiques et les savoirs professionnels au cours du travail réel (Clot, 1999). A cette condition nous pourrons comprendre la nature de ces compétences et nous interroger sur la manière de favoriser leur développement et leur acquisition. Nos recherches s’inscrivent dans le cadre d’une « entrée activité » (Barbier et Durand, 2003), c’est à dire une « posture de recherche affirmant qu’au-delà de leurs différences, les sciences humaines et sociales ont affaire à une même réalité qui constitue leur objet commun : l’activité humaine dans la diversité de ses conditions d’exercice, dans l’historicité, la singularité et l’inédit de sa survenance, et dans l’unité que lui donne le fait qu’elle est développée par des sujets humains » (p. 105). Plus précisément nos recherches s’inscrivent dans une perspective d’ergonomie cognitive située. Elles ont en commun (1) un certain nombre de présupposés relatifs à l’activité humaine ; (2) une double visée, épistémique et transformative (Schwartz, 1997) ; (3) des conditions particulières de collaboration acteurs-chercheurs ; (4) leur inscription dans le cadre théorique et méthodologique du cours d’action (Theureau, 2004 ; 2006) ; (5) la prise en compte de considérations méthodologiques particulières. Notre propos s’organise autour de ces cinq points. 1. Présupposés relatifs à l’activité humaine L’activité humaine est définie à partir de présupposés relatifs aux paradigmes de l’action située (Suchman, 1987) et de l’enaction (Varela, 1989). 1.1. L’activité est autonome. Toute situation résultant de l’activité d’un ou plusieurs acteurs dans un environnement est assimilable à un système autonome « opérationnellement clos » (Varela, 1989), c’est à dire à une totalité dynamique possédant des principes d’auto organisation. Analyser l’activité de plusieurs acteurs en interaction revient à analyser un couplage action – situation (Varela, 1989), c’est à dire les interactions qu’entretient chaque acteur avec l’environnement dans lequel prennent forme ses actions. En d’autres termes, il existe une « co-détermination » (Theureau, 2004) constante entre l’activité de l’acteur et son environnement (formé pour partie de l’activité des autres acteurs). L’action est déterminée par l’environnement dans lequel elle se réalise, et réciproquement, contribue simultanément à la redéfinition de cet environnement.

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Analyse ergonomique située de l’activité des élèves et des enseignants en classe. Illustrations en cours d’EPS

Jean Trohel, UFR-STAPS, Université de Rennes 2, CREAD Jérome Guérin, IUFM de Bretagne, UBO, CREAD

Ce symposium réunit la présentation de travaux empiriques menés dans le champ de

l’enseignement de l’éducation physique et sportive (EPS) dans le second degré. Ces travaux ont en commun d’appartenir à un programme qui exploite les méthodes et modèles généraux de l’analyse du travail. Des recherches sur l’intervention en EPS montrent que les compétences en situation des enseignants chevronnés ne relèvent pas seulement de l’application des lois, règles et bases de connaissances (Durand, 2000), mais que les « professionnels tirent en partie leur expertise des compétences tacites, construites sur le terrain, dans l’histoire singulière de la collaboration avec les élèves » (Gal-Petitfaux et Saury, 2002, p. 51). Interroger l’efficacité et l’équité en enseignement nécessite donc de décrire les pratiques et les savoirs professionnels au cours du travail réel (Clot, 1999). A cette condition nous pourrons comprendre la nature de ces compétences et nous interroger sur la manière de favoriser leur développement et leur acquisition.

Nos recherches s’inscrivent dans le cadre d’une « entrée activité » (Barbier et Durand, 2003), c’est à dire une « posture de recherche affirmant qu’au-delà de leurs différences, les sciences humaines et sociales ont affaire à une même réalité qui constitue leur objet commun : l’activité humaine dans la diversité de ses conditions d’exercice, dans l’historicité, la singularité et l’inédit de sa survenance, et dans l’unité que lui donne le fait qu’elle est développée par des sujets humains » (p. 105).

Plus précisément nos recherches s’inscrivent dans une perspective d’ergonomie cognitive

située. Elles ont en commun (1) un certain nombre de présupposés relatifs à l’activité humaine ; (2) une double visée, épistémique et transformative (Schwartz, 1997) ; (3) des conditions particulières de collaboration acteurs-chercheurs ; (4) leur inscription dans le cadre théorique et méthodologique du cours d’action (Theureau, 2004 ; 2006) ; (5) la prise en compte de considérations méthodologiques particulières. Notre propos s’organise autour de ces cinq points.

1. Présupposés relatifs à l’activité humaine L’activité humaine est définie à partir de présupposés relatifs aux paradigmes de l’action

située (Suchman, 1987) et de l’enaction (Varela, 1989).

1.1. L’activité est autonome. Toute situation résultant de l’activité d’un ou plusieurs acteurs dans un environnement est

assimilable à un système autonome « opérationnellement clos » (Varela, 1989), c’est à dire à une totalité dynamique possédant des principes d’auto organisation. Analyser l’activité de plusieurs acteurs en interaction revient à analyser un couplage action – situation (Varela, 1989), c’est à dire les interactions qu’entretient chaque acteur avec l’environnement dans lequel prennent forme ses actions. En d’autres termes, il existe une « co-détermination » (Theureau, 2004) constante entre l’activité de l’acteur et son environnement (formé pour partie de l’activité des autres acteurs). L’action est déterminée par l’environnement dans lequel elle se réalise, et réciproquement, contribue simultanément à la redéfinition de cet environnement.

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1.2. L’activité est située dynamiquement. Lave (1988) établit une distinction entre « arena » et « setting ». Par « arena » elle fait

référence à la dimension objective du contexte, c’est-à-dire au cadre matériel et social qu’offre l’environnement où se déploie l’activité de l’acteur et qui est commun à tous les sujets. Par « setting » elle désigne au contraire la dimension subjective du contexte, c’est-à-dire celle vécue par chaque acteur et construite par son activité. L’acteur puise dans « l’arena » certains éléments qui lui sont significatifs et lui permettent de déployer de façon autonome une action unique et non déterminée à l’avance. Ainsi, engagés dans le même « arena » deux acteurs construisent des « settings » différents.

L’activité ne peut donc être envisagée en dehors de son contexte. Par conséquent, elle doit être étudiée in situ (Lave, 1988 ; Suchman, 1987).

1.3. L’activité est cognitive. Elle manifeste, valide et construit constamment des connaissances. Le contenu de la

cognition est envisagé comme une construction de significations qui structure les pensées et les actions (Peirce, 1978).

La cognition (c’est-à-dire les significations qu’un acteur accorde à son action et les éléments de connaissance qu’il mobilise pour cette même action) est située, distribuée et indissociable de la situation dans laquelle elle émerge. Réciproquement, les éléments de la situation sont des ressources pour l’acteur qui utilise ce que son environnement lui offre. Ces ressources, qui constituent les caractéristiques matérielles, techniques, sociales et culturelles de la situation, changent constamment, de leur propre mouvement comme du fait de l’action même de l’acteur.

1.4. L’activité est indissolublement individuelle et collective (Theureau, 2004). L’activité ne peut être appréhendée comme exclusivement collective ou exclusivement

individuelle. Elle s’insère dans un monde social et technique, pour autant qu’il soit pertinent pour l’organisation interne de l’acteur, ce qui conduit à considérer toute activité individuelle comme « individuelle-sociale » (Theureau, 2004). En d’autres termes, même les épisodes individuels sont imbriqués dans des épisodes collectifs.

De ce fait, la classe peut être considérée comme une « communauté de pratique », c’est-à-dire selon Lave et Wenger (1991), un « groupe qui interagit, apprend ensemble, construit des relations et à travers cela développe un sentiment d’appartenance et de mutuel engagement ».

1.5. L’activité est culturellement située. Elle est indissociable de la dimension culturelle de la situation dans laquelle elle prend

forme. Nos approches considèrent l’activité comme s’inscrivant dans une histoire particulière issue d’événements passés et prenant racine dans une culture particulière. En effet en dépit de son caractère singulier, l’action présente et exploite des régularités, des invariants issus du passé selon un processus de typification (Gal-Petitfaux et Durand, 2001).

La principale conséquence de ces présupposés est que cette perspective s’appuie sur le

primat accordé au point de vue des acteurs. C’est ce « primat de l’intrinsèque » (Theureau, 2004) qui permet d’accéder aux significations de l’acteur et aux mécanismes de construction / mobilisation de ces significations. Ce principe repose sur le postulat qu’un acteur agissant dans un environnement, ne prend pas en compte tous les éléments qui le composent, mais uniquement ceux qui, pour lui, ont de l’importance. En fonction de son engagement il agit dans un environnement qu’il considère comme significatif. L’acteur construit sa réalité subjective (Watzlawick, 1988) et n’agit pas dans un monde objectif comme peut le laisser supposer l’unique point de vue extérieur. L’action résulte des interactions entre l’acteur et l’environnement dans lequel il agit. En ce sens, l’activité est considérée comme une construction de significations pas à pas, à mesure que le flux de l’action se déroule (Eco, 1988 ; Theureau, 2004).

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2. Une double visée, épistémique et transformative

2.1. « Visée épistémique » La valeur scientifique d’une recherche tient à sa capacité à enrichir la connaissance dans le

domaine étudié (« visée épistémique »), c’est-à-dire produire des connaissances scientifiques sur l’activité d’acteurs au travail. Nos travaux, basés sur des études de cas, garantissent néanmoins un certain niveau de généralité. En effet, toute expérience pratique est intelligible pour soi et pour auturi. Les significations qui accompagnent cette expérience peuvent, à certaines conditions, être partagées notamment entre les acteurs et les chercheurs. En outre, l’analyse systématique de ces significations en action permet au chercheur d’identifier des régularités dans la forme, la structure ou l’organisation de l’action.

Il s’agit de partir à la recherche d’un savoir tacite et spontané, caché dans l’agir professionnel (Schon, 1983). Ce choix part du constat que les praticiens de tous ordres (et notamment dans le cadre des pratiques professionnelles) ont développé des compétences en situation, des expertises irréductibles à l’application des lois identifiées dans le contexte du laboratoire et formalisées dans les théories qui en émanent. De sorte que l’effort des chercheurs s’insérant dans ce programme est d’identifier les composantes de ces savoir-faire experts, généralement non enseignés, et basés sur l’exploitation d’expériences singulières. Cela implique de leur part d’adopter une attitude plus modeste : ce sont les acteurs (les professeurs et/ou les élèves) qui sont détenteurs de la connaissance experte, leur tâche à eux, chercheurs, étant d’identifier, décrire et théoriser cette expertise et non d’énoncer ce que les acteurs ne savent pas (Durand, 2000). Les chercheurs et les praticiens coopèrent sans confusion des rôles et des compétences, sur un pied d’égalité, à partir d’un double objectif : le questionnement des discours théoriques des chercheurs par les pratiques et le questionnement des pratiques par les chercheurs (Durand, Arzel et Saury, 1998).

2.2. « Visées transformatives » Nos recherches ont également pour vocation la conception d’aide à l’action et/ou à la

formation (« visée transformative »). Outre, les bénéfices que tirent les acteurs de la collaboration avec le chercheur, nous avons la volonté d’exploiter les résultats de nos recherches dans le domaine de l’enseignement pour concevoir des dispositifs d’aide, améliorer la conception de dispositifs d’apprentissage et/ou augmenter l’efficacité de l’intervention pédagogique.

De telles recherches amènent à reconsidérer les liens possibles entre recherche et formation. Durand et Arzel (2002) ont mis en évidence deux conceptions de l’enseignement et de la formation des enseignants en s’appuyant sur la distinction entre modèle de la commande et modèle de l’autonomie (Varela, 1989). En installant en particulier une réelle collaboration chercheur-praticien, il apparaît possible d’ouvrir la voie d’une articulation étroite entre les pratiques de recherche et les pratiques de formation. De plus, les enseignants peuvent bénéficier d’une pratique réflexive sur leur activité dans la perspective d’une transformation personnelle (Schon, 1983), d’un développement de leur capacité d’action (Clot, 1999).

3. Des conditions particulières de collaboration acteurs-chercheurs Engager les acteurs à dévoiler leur expérience soulève des questions éthiques,

méthodologiques et pratiques. A quelles conditions l’intrusion du chercheur dans les situations de classe, qui perturbe et transforme cette situation, est-elle viable et durable ? Trois idées essentielles peuvent être retenues.

3.1. L’intégration du chercheur dans la communauté de pratique (Lave et Wenger, 1991).

Cette intégration nécessite une familiarité avec la culture et une prise en compte des contraintes professionnelles. La recherche est conçue comme « une activité collective située, mêlant

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conjointement des préoccupations scientifiques (la compréhension de l’activité) et professionnelles (sa transformation possible) » (Gal-Petitfaux et Saury, 2002).

3.2. Le respect fondamental des exigences de la pratique. Le cadre contractuel dans lequel se déroule la recherche induit des conditions

méthodologiques particulières. Ces conditions doivent préserver le cours de la pratique et permettre au chercheur d’aider les acteurs. Par ailleurs, les acteurs peuvent à tout moment négocier les conditions de leurs collaborations avec le chercheur.

3.3. Le postulat d’une relative opacité des pratiques. Ce postulat met en évidence la nécessité d’approcher les pratiques comme étant

énigmatiques, même si (comme c’est le cas des activités que nous étudions) le chercheur en est familier, voire spécialiste. Il s’agit de faire « l’effort de rendre l’action observée étrange mais pas étrangère (…) faire en sorte que ce qui est évident ne soit plus évident, que ce qui va de soi n’aille plus de soi » (Durand, 2000, p. 20).

4. Le cadre théorique et méthodologique du cours d’action

4.1. Définition Le programme de recherche développé en ergonomie cognitive par Theureau (2004, 2006)

concrétise l’ensemble des présupposés à travers l’objet théorique du cours d’action. Il a donné lieu à de nombreuses recherches réalisées dans des domaines professionnels variés. Il a été également utilisé dans le domaine des sciences du sport pour analyser l’activité des entraîneurs (e.g., Saury et Durand, 1998) et des athlètes experts dans plusieurs activités sportives (e.g., Sève, Durand, Saury et Theureau, 2002). Il a aussi été exploité dans le domaine de la formation des enseignants (e.g., Trohel, Chaliès et Saury, 2004). Enfin, il a été utilisé dans le domaine de l’enseignement en milieu scolaire (e.g., Durand 2000) et de l’activité des élèves (e.g., Guérin, Testevuide et Roncin , 2005).

Ce programme permet une approche compréhensive de la dynamique du couplage entre l’acteur et son environnement. L’activité humaine y est analysée à travers la description du cours d’action de l’acteur, c’est à dire, selon la définition de Theureau (2004), « l’activité d’un (ou plusieurs) acteur(s) engagé(s) dans une situation, qui est significative pour ce (ou ces) dernier(s), c’est à dire montrable, racontable et commentable par lui (ou eux) à tout instant, moyennant des conditions favorables. » (p. 48).

La définition de cet objet théorique est fondée sur le postulat que le niveau de l’activité qui est montrable, racontable et commentable par l’acteur (c’est à dire significatif de son point de vue), constitue un niveau d’organisation relativement autonome par rapport à d’autres niveaux d’analyse de l’activité, et qu’il peut donner lieu à des observations, descriptions et explications valides et utiles (Theureau, 2004).

Le cours d’action est une totalité dynamique qui présente des propriétés d’auto organisation (Theureau, 2004 ; Theureau et Jeffroy, 1994). Ces propriétés se concrétisent à trois niveaux : dans l’organisation intrinsèque du cours d’action : son organisation propre, liée à l’affirmation par l’acteur de son point de vue sur le monde ; dans ses contraintes extrinsèques : la délimitation et la structuration de l’environnement avec lequel l’acteur interagit ; et dans ses effets extrinsèques : les transformations que le cours d’action produit dans cet environnement.

Au niveau de l’activité montrable, racontable et commentable par l’acteur, l’organisation intrinsèque du cours d’action, ou cours d’expérience, est : « l’organisation dynamique des actions, communications, interprétations, focalisations et sentiments d’un acteur » (Theureau et Jeffroy, 1994, p. 25). L’idée d’organisation dynamique sous entend : que chacune des unités élémentaires du cours d’expérience (c’est à dire, chaque action, communication, interprétation, focalisation ou sentiment) est reliée aux autres, formant une totalité ; que cette totalité présente des formes reconnaissables et intelligibles (on peut décrire des régularités) ; et qu’elle est sujette à des transformations ou variations au cours du temps.

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Les contraintes et les effets extrinsèques sont spécifiés par des éléments ressortissant de « l’état de l’acteur » (caractéristiques individuelles, stables ou instantanées de l’acteur), des caractéristiques de la « situation » (par exemple, les conditions environnementales), et de la « culture » des acteurs (par exemple, leur référentiel professionnel). Dans ce cadre, les contraintes extrinsèques ne concernent pas l’ensemble des caractéristiques de l’état de l’acteur, de la situation et de la culture, susceptibles d’être pris en compte par un observateur, mais sont subordonnées à l’organisation intrinsèque du cours d’action, c’est à dire, celles qui sont effectivement prises en considération par l’acteur dans son cours d’action.

4.2. Le signe hexadique, organisation locale Theureau (2004) considère qu’un cours d’expérience est composé d’un enchaînement

d’unités d’activité significatives pour l’acteur (unité significative élémentaire : USE). Chacune de ces unités émerge d’un signe hexadique reliant entre elles six composantes résumant les processus essentiels rendant compte de la construction de l’expérience humaine.

Les trois premières composantes du signe hexadique, l’engagement dans la situation (E), l’actualité potentielle (A) et le référentiel (S), constituent la structure d’attente de l’acteur.

L’engagement dans la situation (E) est constitué par le faisceau de préoccupations découlant de ses actions passées. Il traduit l’ouverture/clôture des possibles pour l’acteur dépendant de l’équilibration des interactions entre l’expérience de ses actions passées et de sa situation à un instant donné. Le champ des possibles se limite à ce qui est réalisable pour l’acteur au regard de son expérience et dans la situation, dépend de ce qui fait signe pour lui.

L’actualité potentielle (A) représente les attentes de l’acteur relatives à sa situation dynamique à un instant donné. Ces attentes sont sélectionnées par l’engagement de l’acteur dans la situation (E), dans l’ensemble des attentes découlant de ses cours d’action passés.

Le référentiel (S) est l’expérience d’une connaissance en cours de détermination. Il correspond à l’ensemble des connaissances issues de ses cours d’action passés. Leur mobilisation s’effectue en fonction de l’engagement dans la situation (E) et de l’actualité potentielle (A) de l’acteur sous l’effet de ce qui fait signe pour lui dans la situation.

Les quatrième et cinquième composantes du signe hexadique, le représentamen (R) et l’unité

élémentaire (U), correspondent à l’actualisation concrète d’un ou plusieurs possibles pour l’acteur. Le représentamen (R) correspond à ce qui, à un instant donné, fait effectivement signe pour

l’acteur, en fonction de son engagement dans la situation (E), de ses attentes (A) et de ses connaissances (S).

L’unité élémentaire (U) est l’expression synthétique de l’activité. Elle peut être une action pratique, une communication, un sentiment, une focalisation ou une interprétation.

La sixième composante du signe hexadique, l’interprétant (I), correspond à la catégorie de

l’expérience humaine qui donne lieu à la généralisation, à l’élaboration de raisonnements ou à la construction de connaissances.

L’interprétant (I) correspond à la validation, l’invalidation ou la construction de connaissances à travers la production de l’unité élémentaire (U) du cours d’action. Il opère une transformation du référentiel (S) et traduit l’hypothèse d’une constante transformation à divers degrés de l’expérience de l’acteur et de ses habitudes au cours de ses interactions.

4.3. Les structures significatives, organisation globale Il existe trois grandes sortes de structures significatives fondamentales du cours d’action (de

rang supérieur à celui des structures significatives élémentaires) : les structures significatives à caractère séquentiel (les séquences), sériel (les séries) et synchrone (les synchrones) (Theureau, 2004).

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Les séquences sont composées d’unités ou de structures significatives entretenant entre elles des relations diachroniques (s’inscrivant à des moments différents de l’histoire du cours d’action) et dyadiques (se succédant de proche en proche, l’une déterminant l’autre).

Les séries sont composées d’unités ou de structures significatives entretenant des relations diachroniques (les séries s’actualisent à différents moments du cours d’action) mais également globales. Le caractère global différencie les séries des séquences : les USE ne s’inscrivent pas dans une relation de dépendance séquentielle (une USE n’est pas déterminée par la précédente) mais participent à une préoccupation globale de l’acteur.

Les synchrones sont composés d’USE ou de structures significatives entretenant entre elles des relations de cohérence synchronique. Les synchrones peuvent ainsi être composés de plusieurs structures significatives à caractère séquentiel et/ou sériel, de différents rangs. Les synchrones correspondent aux différentes phases de la situation étudiée.

4.4. Structures archétypes Les structures significatives peuvent donner lieu à la construction de structures archétypes :

par exemple, les séquences archétypes ou les séries archétypes. Elles regroupent des structures significatives particulières selon des critères de typicalité (Rosh, 1978) et traduisent l’existence de similitudes entre les structures significatives. Une séquence (ou une série) classée par une séquence archétype (ou une série archétype) est nommée une occurrence de cette séquence archétype (ou série archétype). La construction de ces structures archétypes procède d’une démarche de modélisation qualitative et d’abstraction, qui ne reflète pas forcément une fréquence d’occurrence au sein du corpus. La nomination des structures archétypes constitue une étape supplémentaire de généralisation.

5. la prise en compte de considérations méthodologiques particulières Les dispostifs d’enquête nécessitent une période de familiarisation ethnographique

aboutissant à la délimitation de l’objet d’étude et la concrétisation du contrat de collaboration. Cette familiarisation permet également d’habituer les acteurs (notamment les élèves) à notre présence dans la situation.

Pour comprendre l’organisation et la signification de leur activité du point de vue des enseignants et/ou des élèves, le cadre théorique du cours d’action propose de construire un observatoire de l’objet d’étude regroupant les méthodes de recueil des matériaux empiriques et de construction des données.

5.1. Procédure de recueil des matériaux empiriques Les matériaux empiriques sont recueillis à deux moments : lors de la situation étudiée d’une

part, et lors d’entretiens d’autoconfrontation d’autre part.

Enregistrement de la situation La situation étudiée est enregistrée à l’aide de caméras. L’acteur (les acteurs) est (sont)

muni(s) d’un micro HF permettant d’avoir accès à l’ensemble de ses (leurs) verbalisations. Le micro permet également d’entendre les conversations des personnes dans l’espace proche de la personne équipée. En général, deux caméras sont utilisées, l’une qui suit la personne dont on étudie l’activité, l’autre en plan plus large qui filme l’ensemble de la situation.

Enregistrement de l’entretien d’autoconfrontation L’entretien d’autoconfrontation consiste à soumettre l’acteur aux traces de son activité

(essentiellement l’enregistrement vidéo de la situation étudiée). Le questionnement suit généralement le déroulement chronologique de l’enregistrement. Il vise l’explicitation des actions et communications de l’acteur. Nous cherchons à avoir accès à ce que les acteurs faisaient, pensaient, prenaient en compte pour « agir » (au sens large), percevaient, ressentaient. Les relances du

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chercheur portent essentiellement sur la description des actions et des événements vécus en évitant les demandes d’interprétations et les généralités (Theureau, 2004 ; Vermersch, 1994). Le Tableau 1 présente un guide d’autoconfrontation construit pour renseigner les différents éléments du signe hexadique.

Elément du signe

Questions Remarques

Engagement Là qu’est-ce qu’il se passait pour toi ? Quelles étaient tes préoccupations ? Que cherchais-tu à faire ?…

Il s’agit de faire ressortir les aspects les plus saillants du faisceau de préoccupations de l’acteur

Actualité potentielle

Là à quoi t’attendais-tu ? T’attendais-tu à quelque chose de particulier ? Comment cela se passe pour toi ?...

Il s’agit de cerner ce à quoi l’acteur s’attend dans la situation, ce qu’il anticipe...

Référentiel Qu’est-ce qui t'a conduit à agir ainsi ? Qu'est-ce qui te fait dire cela ? Comment savais-tu que ?...

Il s'agit de mettre en évidence les connaissances, règles, principes relativement généraux, ou « usuels » (éventuellement habituels), mobilisés par l’acteur.

Représentamen

Qu’est-ce que tu prenais en compte dans la situation ? A quoi t’intéressais-tu, quel aspects étaient importants pour toi à ce moment ?...

Il s’agit de mettre en évidence ce qui fait « signe », ce qui est pertinent pour l’acteur dans la situation, les traits « saillants » qu’il perçoit.

Unité élémentaire du cours d’action

Qu’est-ce que tu fais, là ? Qu’est-ce que tu dis, à qui ?… Sur quoi te focalises-tu, à quoi prêtes-tu attention ? Qu’est-ce que tu te dis ? Comment tu vois la situation ? Qu’est-ce que cela te fait dire ? Qu’est-ce que tu ressens ? Comment te sens-tu ? Comment vis-tu cela ?

Il s’agit d’identifier les actions, les communications, les focalisations, les interprétations et les sentiments

Interprétant Ça, tu le savais ou tu le découvres là ? C’est nouveau pour toi cela ?...

Il s’agit de pister les processus d’apprentissage, ou de construction de nouveaux types (connaissances) dans le cours d’action

Tableau 1 : Guide d’entretien d’autoconfrontation / signe hexadique (Trohel, 2005)

5.2. Construction des données du cours d’action La construction des données du cours d’action a consisté en la « mise en texte » des

enregistrements vidéo et audio sous la forme d’un « protocole à deux ou trois volets ».

Le Volet 1 : transcription des enregistrements de l’entretien Le Volet 1 est constitué de la transcription verbatim des enregistrements audio et/ou vidéo

de la situation étudiée. Il était constitué de la description du comportement des acteurs et de leurs verbalisations. Le décours temporel de la situation fait l’objet d’un découpage (par exemple toutes les 30 secondes), noté dans une colonne du tableau.

Le Volet 2 : transcription de l’entretien d’autoconfrontation Le Volet 2 est constitué par la transcription des verbalisations en autoconfrontation. Afin de

favoriser la mise en correspondance des Volets 1 et 2, nous identifions dans la transcription des autoconfrontations, les moments d’écoute des enregistrements vidéo au cours de l’autoconfrontation. Nous indiquons, en outre, des repères de chronométrage du Volet 1 correspondant aux moments de la situation commentés par les acteurs.

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Le Volet 3 : description des contraintes extrinsèques Le Volet 3 est constitué par la description des contraintes liées aux acteurs ou à la situation

susceptibles d’influencer le cours d’action.

5.3. Analyse des données L’ensemble des données est analysé en référence au cadre sémiologique qui considère que

l’activité est un flux continu d’unités significatives manifestant chacun un signe. L’objectif est à partir d’une analyse locale et/ou globale des unités significatives de reconstituer le cours d’action de l’acteur.

Chaque communication propose de montrer la fécondité de ce cadre théorique et

méthodologique pour rendre compte de l’activité des enseignants et/ou des élèves en classe. En considérant l’activité des différents acteurs comme un cours d’action dynamique et émergeant, ces travaux ont la conviction qu’il est possible d’agir en classe en dépit de déterminants sociologiques pour améliorer l’efficacité et la qualité des apprentissages. Les présentations suivront une même organisation : un premier temps est consacré à la présentation du volet épistémique de la recherche, c’est à dire la production de connaissances scientifiques à propos d’un objet d’étude qui aura été préalablement défini ; ensuite chaque intervenant mettra en évidence la contribution des résultats à la conception d’aide à l’intervention des acteurs.

La première contribution, « L’escalade en tête en EPS : Activité collective et apprentissage

individuel » (Lemonon et Guérin), considère le niveau de l’activité individuelle des élèves et de l’enseignant et celui de leur articulation collective. Cette étude entreprend d’identifier les connaissances construites par les élèves et les conditions sociales de leur émergence.

La deuxième contribution, « Dynamique des préoccupations en cours d’EPS d’un élève spécialiste de l’activité enseignée » (Crance et Trohel), étudie l’activité d’un élève expert de la pratique physique support de l’enseignement. Au travers de la nature et de la dynamique de ses préoccupations, cette étude identifie différents rôles joués par cet élève au sein de la classe. Elle discute en outre la question de l’hétérogénéité en EPS.

La troisième contribution, « Analyse de l’activité de mise en scène des enseignants experts au sein de la dynamique du cours d’EPS » (Visioli, Trohel et Ria), propose une réflexion sur la place et le rôle des émotions dans l’activité des enseignants. Elle en discute l’impact en matière de formation.

La quatrième contribution, « Analyse de l’activité de l’enseignant d’EPS dans le cadre de l’évaluation de fin de cycle : une illustration en gymnastique sportive » (Durny), s’intéresse à repérer la dynamique de l’activité des enseignants d’EPS au moment de l’évaluation. Elle montre qu’une pluralité de préoccupations se combinent dans l’action de manière dynamique. Ces préoccupations sont d’une part exploratoires, d’autre part liées au raisonnement propre à l’évaluation et enfin au contrôle des élèves et la gestion du temps.

Références: Barbier, JM., Durand, M. (2003). L’activité : un objet intégrateur pour les sciences sociales ?

Recherche et formation, 42, 99-117.

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L’escalade en tête en EPS : activité collective et apprentissage individuel Olivier Lemonon, UFR éducation physique et sport, UBO.

Jérôme Guérin, IUFM de Bretagne, UBO, CREAD. Jacky Péoc’h, IUFM de Bretagne, UBO.

Dans un contexte scolaire et éducatif où le devoir de résultats s’est substitué au devoir de

moyens et où les modèles industriel et concurrentiel prennent le pas sur les modèles civique et solidaire la question de l’efficacité de l’enseignement s’impose tout naturellement. Dans le cadre de cette étude, nous avons choisi d’interroger cette question en portant notre attention sur les liens entre les pratiques d’enseignement et les apprentissages dans le cadre de situations ordinaires d’escalade en éducation physique et sportive (EPS).

Des élèves sont regroupés par deux ou par trois près du mur d’escalade. Au sein de chaque groupe l’un est accroché au mur et relié par une corde à un autre élève qui l’observe attentivement en s’organisant pour maintenir la corde quasiment tendue. Parmi les élèves on remarque Caroline qui s’adresse à Noémie Caroline : « Allez, vas y tu peux la mettre [la dégaine]1 c’est bon, courage… Noémie : Non, je peux pas lâcher cette prise. C : Décale toi et place ton pied gauche sur la prise verte, tu pourras libérer ta main ». A cet instant l’enseignant s’approche des deux filles et intervient : Enseignant : « Oui, c’est ça Noémie, tu vois, là, tes pieds sont plus écartés, tu devrais te sentir plus stable. ». Noémie lâche la prise main gauche et s’empare de la dégaine pour la fixer sur la plaquette2. C : s’écrie « Super, allez maintenant tu mets la corde... N : Attends, … , je souffle un peu, j’ai la jambe droite qui tremble. C : Ok, d’accord ». Quelques secondes plus tard N : « Caroline, c’est bon, on peut y aller... Lorsque je lâche la main pour prendre la corde, tu me donnes rapidement du mou » Caroline regarde attentivement Noémie et relâche la tension de la corde lorsque celle-ci la saisit. Caroline rapproche alors la corde du mousqueton de la dégaine, bloque celui-ci avec son pouce et passe la corde avec l’index : N : « C’est bon, sec, sec… » C : « Génial, tu as réussi !! » N : « Ouais, merci pour tes conseils, ta technique est vraiment bien ». L’enseignant qui a observé la scène intervient : E : « Ouais, t’as compris pourquoi c’est plus facile… ? T’as vu comment tes pieds et ta main gauche étaient placés !, allez les filles, on continue jusqu’en haut ».

Activité collective et intersubjectivité Les recherches qui ont exploré les liens entre l’enseignement et l’apprentissage, ainsi que

l’efficacité de l’enseignement en éducation physique, se sont centrées sur les transactions selon deux options. La première s’est intéressé à l’activité et aux connaissances des enseignants et la seconde aux conditions écologiques, temporelles, didactiques, cognitives et sociales accompagnant l’activité, l’apprentissage et le développement des performances scolaires des élèves (pour une synthèse récente, voir Kirk, Macdonald et O’Sullivan, 2006).

La recherche présentée dans le cadre de cette communication se donne pour ambition d’aller au delà en analysant l’activité individuelle d’élèves et de leur enseignant et leur articulation collective dans un cycle d’escalade lors de situations de grimper en tête. Notre intention est donc de dépasser les travaux qui abordent les transactions en classe en privilégiant soit le point de vue des élèves ou de l’enseignant. En effet, si de nombreuses recherches dans le champ des sciences de l’éducation s’intéressent à cette question de l’efficacité de l’enseignement, plus rares sont celles qui

1 Objet qui est constituée de deux mousquetons reliés par une sangle. 2 Morceau de métal vissé sur le mur, pouvant recevoir une dégaine.

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étudient la dimension collective de l’activité dans la classe à partir de l’activité individuelle intersubjective de l’enseignant et des élèves et leur articulation collective. Les travaux ayant opté pour cet objet d’analyse ont mis en évidence dans le cadre de pratiques sportives la composante participative de l’apprentissage des élèves. Pour mener cette entreprise, les situations d’escalade nous ont semblé constituer a priori un terrain d’étude privilégiée pour décrire et comprendre la coordination des actions individuelles dans les tâches d’apprentissage et pour identifier les compétences et connaissances construites par les élèves.

Cours d’action et analyse sémiologique de l’action En tant qu’objet d’étude, l’activité collective des grimpeurs et de l’enseignant est ici

appréhendée dans le cadre théorique et méthodologique du cours d’action développé par Theureau (2004, 2006). Celui-ci permet une analyse fine de la dynamique des interactions entre différents acteurs engagés dans une activité collective commune. Dans cette communication nous développons uniquement les éléments du cadre qui ont essentiellement guidé notre travail, en l’occurrence celui de l’analyse sémiologique de l’action. Plus concrètement, l’activité collective des différents protagonistes a été étudiée en référence à l’objet théorique du « cours d’expérience », à son niveau « préréflexif » (Theureau, 2006), i.e., celui qui est significatif pour l’acteur, ou qui donne lieu à une expérience « montrable, racontable, commentable par lui à tout instant » (Theureau et Jeffroy, 1994, p. 19).

Expériences, unités significatives, préoccupations Ces expériences significatives peuvent être décrites par l’acteur en termes d’actions, de

sentiments, d’interprétations, de communications et de focalisations, qui s’enchaînent et dont l’organisation dynamique constitue le « cours d’expérience individuel-social » (Theureau, 2006). Ce dernier traduit la « construction de sens pour l’acteur de son activité au fur et à mesure de celle-ci », (Theureau, 2006, p. 48). A un niveau local, chaque unité significative pour l’acteur, comme par exemple « assurer sa sécurité », est sous-tendue à chaque instant par un faisceau de préoccupations telles que « placer la dégaine », « ne pas chuter », « écouter les consignes du partenaire », « aller le plus haut possible ». Celles-ci doivent être considérées comme un ensemble d’« ouverts » de l’engagement de l’acteur qui sont susceptibles d’être actualisés ou empêchés selon les caractéristiques du contexte. Il est important de préciser que ces préoccupations émergent de l’ensemble des possibles liées à l’histoire de l’acteur et se précisent en fonction des contraintes du contexte de l’action, selon ce qui fait signe pour lui. Dans l’encadré ci-dessus, l’évaluation de la distance entre la main et la plaquette, la sensation de stabilité des appuis plantaires conduit Noémie à actualiser la préoccupation « se saisir de la dégaine pour l’accrocher à la plaquette ». A cet instant les autres préoccupations font partie des possibles non actualisées mais qui restent actifs.

Connaissances et types Au sein du cadre d’analyse sémiologique, en relation avec la notion de préoccupations, la

notion de type permet de caractériser l’apprentissage/développement en cours d’activité. Les types issus des expériences passées constituent une banque de ressources pouvant être mobilisées ou non en fonctions des préoccupations qui émergent dans l’action. Dans un contexte voisin de celui où ils ont été construits les types guident l’action de l’acteur sans la prédéterminer, tout en favorisant son ajustement aux modifications continuelles de la situation. C’est donc par un processus de typicalisation, dans l’accomplissement de l’action, que l’acteur mobilise et construit des connaissances. Dans la vignette présentée ici, la mise en place de la dégaine donne lieu à la construction des types suivants : pour prendre la dégaine, il faut trouver un équilibre stable, la partie incurvée doit être fixée à la plaquette. L’accomplissement d’action de fixation d’une dégaine dans une séance suivante donnera lieu à la validation et l’affinement des types « bloquer la dégaine avec le pouce facilite l’action de placer la corde dans le mousqueton de sa main droite ». Cet exemple illustre le fait qu’à chaque instant l’activité auto-adaptative de l’acteur s’accompagne d’apprentissage. Apprendre se traduit alors par une modification constante du référentiel de

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connaissances (types). A chaque instant, l’acteur agit d’une part en réinvestissant des connaissances construites dans différentes situations pour les renforcer ou les modifier, et d’autre part construire de nouvelles connaissances pour répondre au caractère indéterminé et inédit de la situation.

L’activité collective ne pouvant se réduire à la somme des activités individuelles, nous

avons tenu compte du fait que l’activité de chaque élève était étroitement et constamment « articulée » à celle des autres élèves du groupe (au moins potentiellement). En effet, dans le cadre théorique du cours d’action, l’activité collective est appréhendée à travers l’articulation des activités individuelles, et pour ce qui concerne plus particulièrement cette étude, à travers l’articulation des cours d’expérience. Il s’est agi plus particulièrement de décrire et d’expliquer les processus d’ajustements qui ont contribué à la construction de connaissances au niveau individuel (de chacun des protagonistes), et au partage (ou non partage) de connaissances au niveau des deux élèves. L’enjeu plus général était donc de caractériser les contributions individuelles de chaque élève à l’activité collective de grimper en tête, et de décrire les phénomènes intersubjectifs émergeant de l’activité de chacun d’eux.

Plus précisément, L’ambition a été à un premier niveau, de rendre compte de l’articulation

des préoccupations des uns et des autres, c’est à dire de leurs congruences ou de leurs divergences, et à un second niveau d’identifier l’influence des interactions dans le processus de mobilisation et de construction des connaissances des élèves.

Questions de recherche Cinq questions empiriques particulières ont donc orienté cette étude. Elles ont porté sur : - la nature du faisceau de préoccupations sous jacent à l’engagement dans la tâche

d’apprentissage - Les modalités d’évolution des préoccupations au sein des tâches d’apprentissage - Les conditions de l’émergence de congruence entre les préoccupations des élèves et

celles de l’enseignant. - L’orientation des connaissances mobilisées et construites (s’agit-il de connaissance

relatives aux règles de sécurité, à l’APS étudiée ? Concernent-elles davantage les dimensions stratégiques, méthodologiques, techniques ?

- Nous avons ainsi tenté de rendre compte de la transformation de l'activité et des compétences mises en œuvre et développées au long des situations, mais aussi de comprendre les processus sous- jacents à la construction d’une activité collective.

La méthode

Les participants Trois élèves volontaires de la classe de 1ère S1 et 1ère L ont participé à cette étude ; un garçon

et deux filles. Ils faisaient partie du groupe des sept élèves de la classe qui n’avait pas participé à un cycle d’escalade l’année précédente, en Seconde. Outre cette caractéristique, les élèves étaient tous débutants.

Les élèves Lors des trois premières séances nous avons constaté une très bonne entente dans le groupe

et une certaine complicité (plaisanterie, usage de diminutifs et surnoms, etc.). Pour des raisons de faisabilité et à cause de l’objet d’étude, nous avons préférentiellement focalisé notre recueil de données, sur l’activité de Noémie et de Caroline, deux filles formant une dyade affinitaire et stable et n’ayant jamais pratiqué l’escalade ensemble.

Caroline est une élève qui manifeste ses émotions et ses appréciations de certaines situations par des exclamations et des cris. Bien qu'elle ne se définisse par comme une sportive, elle est toujours positive et curieuse de découvrir de nouvelles pratiques sportives pour vivre de nouvelles expériences. C’est pourquoi elle a choisi le module regroupant le moins de pratiques sportives

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traditionnelles, des pratiques perçues comme ennuyeuses. L’enseignant décrit Caroline comme une élève volontaire, agréable.

Noémie est beaucoup plus introvertie que Caroline, ce qui ne l’empêche pas d’être directe et de dire ce qu’elle pense, aussi bien à ses camarades de classe qu’à ses professeurs. Elle a pratiqué la gymnastique en UNSS3 au collège, et aurait souhaité s'inscrire dans la section escalade au lycée. Mais pour des raisons liées à son emploi du temps, elle ne l’a pas pu. L’enseignant l’a présentée comme une élève déterminée et a regretté sa précipitation nuisant à la qualité de ses apprentissages. Il trouve également qu’elle manque de confiance en elle.

L’enseignant Le professeur a dix années d’ancienneté dont quatre dans l’établissement. Parmi les

enseignants d’EPS du lycée, il est considéré comme l’enseignant expert en escalade. Outre l’animation de la section escalade de l’Association Sportive, il assure la formation des élèves débutants en prônant un apprentissage des fondamentaux à travers des dispositifs d’escalade en tête. L’enseignant justifie le choix de ce mode d’entrée par deux arguments complémentaires. Le premier est d’affirmer que les élèves s’engagent davantage et de manière plus authentique dans la pratique de l’escalade. Le second argument est lié au temps de pratique.

Le cycle d’escalade La période de formation consacrée à l’escalade s’est étalée de novembre à décembre soit

huit séances de deux heures. Lors de la première séance, l’enseignant a proposé aux élèves ayant déjà vécu un cycle d’escalade de déterminer leur niveau de compétences en réalisant une voie en moulinette. Dans un espace proche, les débutants ont été regroupés et pris en charge par l’enseignant. Avant de faire vivre une première expérience en escalade, ce dernier leur a présenté le matériel et les gestes utiles pour assurer la sécurité du grimpeur. C’est ainsi que pendant la première partie de la séance les élèves par deux ou trois ont manipulé le matériel d’escalade (corde, descendeur etc.).

A partir de la deuxième séance, les élèves ont travaillé en deux groupes distincts, d’un côté les débutants, de l’autre les initiés et les expérimentés. Malgré les différences de niveau entre les groupes et en leur sein, les élèves ont été confrontés à un dispositif de grimper en tête qui se différenciait par la difficulté de la voie (cotation), le nombre et la forme des prises, etc.

Chaque séance a été organisée en trois temps. Le premier était consacré à un échauffement général puis spécifique. Les élèves devaient notamment réaliser plusieurs traversées du mur en limitant le nombre de chutes. Ensuite la séance se poursuivait par la mise en place de tâche à thème et se concluait par des situations de grimper en tête.

Le recueil de données Trois types de données ont été recueillies : a) des données d’observation et des

enregistrements audiovisuels, b) des données ethnographiques et C) des verbalisations provoquées lors d’entretiens d’auto-confrontation individuels.

Les données d’observation L’activité des élèves et de l’enseignant a été enregistrée en intégralité à chacune des séances

au moyen de deux caméscopes numériques placés à une dizaine de mètres du mur. Une caméra suivait en continu l’activité des élèves. Les plans ont été choisis en fonction de la nature des actions réalisées. La seconde caméra avec un plan large était centrée sur l’enseignant. Les participants étaient équipés de microphones H.F. afin d’enregistrer l’ensemble de leurs communications.

Les données ethnographiques Les données d’observation ont été complétées par des données ethnographiques, notées dans

un carnet de bord. Elles ont apporté au corpus des éléments que les caméscopes et les micros ne

3 Union Nationale du Sport Scolaire

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pouvaient pas toujours saisir (hors champs, ou hors situations, avant ou après la séance), des impressions en tant qu’observateur, et des données sociologiques sur les participants. La fonction de ces notes était d’apporter des données pour un éclairage et une compréhension plus globales et culturelles aux deux autres types de données recueillies.

Les données de verbalisation. Le lendemain de la séance, des entretiens d’auto-confrontation ont permis de recueillir les

données de verbalisation de chaque participant sur l’expérience vécue lors de situations de grimper en tête. Ceux-ci avaient une durée d’une heure en moyenne.

Les entretiens ont consisté à présenter à chaque participant les traces audiovisuelles de son activité pour expliciter au chercheur la signification des actions, des communications, focalisations, interprétations, et sentiments conformément aux consignes et propositions de Theureau (2004, 2006), Guérin, Riff et Testevuide (2004).

Chacun était ainsi libre d’arrêter l’entretien à tout moment s’il le souhaitait. Les questions ont eu pour objet de comprendre et non d’expliquer. Elles ont porté exclusivement sur le moment visionné, mais le participant pouvait évoquer des situations qu’il jugeait en rapport avec celle qui était explicitée. Tous les entretiens ont été filmés avec un caméscope numérique afin d’enregistrer les verbalisations et comportements des participants.

L’ensemble du recueil des données a été réalisé dans le cadre d’un contrat explicite avec les élèves permettant à ceux-ci d’interrompre librement et à tout moment leur participation, ce qui garantissait une confiance mutuelle, et la sincérité de leurs propos (Guérin, Riff, Testevuide, 2004). Les élèves ont également été assurés de la confidentialité des enregistrements recueillis, en particulier vis-à-vis l’enseignant, du personnel du collège, et des autres élèves de la classe. Enfin, l’anonymat leur a été garanti dans le cadre des publications.

L’analyse des données L’analyse des données a été conduite en quatre étapes: (a) la construction d’un protocole à

deux volets ; (b) l’identification des unités élémentaires, des préoccupations et types sous jacents ; (c) identification des préoccupations archétypes ; (d) construction en parallèle des préoccupations des cours d’expérience.

La construction des protocoles à deux volets La première étape a consisté à transcrire les enregistrements réalisés en situation (volet 1) et

lors des autoconfrontations (volet 2). En respectant le décours temporel; le volet 1 présente la description des actions et communications des deux élèves et de l’enseignant. Le volet 2 présente, en correspondance avec le premier, la retranscription des verbalisations des élèves au cours de l’entretien d’autoconfrontation. Le protocole a donné lieu à un tableau organisant les deux volets en correspondance temporelle (Tableau 1)

Volet 1 Volet 2 Tps Actions et communications des

élèves et de l’enseignant Verbalisations de Noémie

16’00 Le prof arrive et dit à Noémie de lui en faire deux encore (des dégaines). Noémie supplie que non, en jouant de son poignet. Il lui dit « t’en décroches une déjà tout de suite, allez » d’un ton d’encouragement. Elle s’exécute en soupirant.

Ch : qu’est-ce qu’il t’a dit ? No : il m’a dit de continuer, d’en faire encore deux. Je venais déjà, ça faisait je ne sais pas combien de temps que j’en faisais deux. Puis j’avais pas envie de continuer. Ch : qu’est ce qui ne te donnait pas envie de continuer ? No : bah j’sais pas. Déjà j’étais fatiguée avant d’arriver en sport alors, Ch : ah d’accord. No : on a eu plein de contrôles dans la journée, j’en pouvais plus, en plus j’avais tout raté.

16’12 Le prof demande à une fille assise sur le tapis juste à côté d’aller lui chercher le sac à magnésie. Noémie réagit vivement aussitôt « ah non non non moi j’aime pas le truc là, moi j’en veux pas ».

Ch : qu’est-ce qu’il t’a dit ? No : il m’a dit de mettre de la magnésie mais j’aime pas ça. Ch : ah ouais ? No : non. Moi je trouve que ça me brûle les mains. Je sais que c’est utile, mais bon. Ch : tu t’es déjà brûlé les mains avec la magnésie ? No : bah c’est pas que ça brûle mais moi ça me tire tout sur la main, c’est comme si ça brûlait en fait. Ça me pique, enfin je sais pas. Ch : ça t’est déjà arrivé ? No : ouais quand je faisais de la gym.

Tableau 1. Extrait du protocole à deux volets

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La construction des cours d’expérience et l’identification des préoccupations Cette analyse a débuté après avoir sélectionné le corpus des données d’entretien centrées sur

l’action en classe. Il s’agissait ici de documenter pas à pas les éléments de signification accompagnant l’activité des élèves lors des différentes tâches. La reconstruction de l’organisation du cours d’expérience s’est faite en deux temps : tout d’abord un découpage de l’activité en unités significatives élémentaires (USE) puis une identification de l’ensemble des préoccupations composant l’engagement de l'élève et des référentiels et interprétants dans chaque USE.

Identification de l’évolution des préoccupations archétypes de l’élève Cette étape a aussi été consacrée à la caractérisation de l’évolution de l’engagement et de la

dynamique du faisceau de préoccupations sous-jacent.

Comparaison des cours d’expérience-préoccupations-types Cette étape est composée de deux temps. Lorsque les données l’ont permis, les cours

d’expériences des deux élèves associés dans la tâche de grimper en tête ont été mis en parallèle afin de comparer leur organisation et plus précisément les préoccupations sous-jacentes à l’engagement et les types de chacun. Il s’agissait, par cette lecture parallèle, d’identifier la convergence ou non des préoccupations dans les cours d’expériences des élèves et de l’enseignant. Dans un second temps, cette comparaison a aussi été réalisée en considérant les cours d’expérience des élèves lorsqu’ils occupaient le même rôle, soit grimpeur et assureur.

Résultats L’analyse du cours d’expérience des élèves a permis d’identifier deux formes récurrentes

d’activité collective lors des trois séances d’EPS. La première traduit un engagement convergent des élèves et de l’enseignant pour éviter la chute et assurer le confort du grimpeur. La seconde forme est aussi marquée par une congruence de l’engagement des trois acteurs mais alors orientée sur la réussite de la voie. A un deuxième niveau les analyses rendent compte du processus d’apprentissage à travers l’identification des connaissances mobilisées (référentiel) et les connaissances construites, validées et invalidées (interprétant) par les élèves en classe.

Collaborer pour assurer le confort du grimpeur et éviter sa chute (doit-on associer confort et sécurité, où est la préoccupation du confort des élèves chez le prof ?)

Dans cette première séance, les élèves s’apprêtent à vivre leur première expérience en escalade. C’est Caroline qui fait le nœud de huit pour grimper. Quant à Noémie, elle prend l’autre extrémité de la corde pour la passer dans son descendeur.

Le contexte est alors perçu comme fortement anxiogène et en ce début de cycle la confiance du grimpeur à l’égard de l’assureur est faible alors que les assureurs font tout pour anticiper la chute. Caroline et Noémie grimpent la même voie cotée 3b alors que l’objectif pour le grimpeur est de poser une dégaine et ensuite de dé-escalader. Pour l’enseignant, cette tâche doit aussi faciliter la construction d’un code de communication entre l’assureur et le grimpeur.

Les préoccupations archétypes des élèves Notre analyse a mis en évidence une première forme d’articulation des cours d’expérience

des élèves centrée sur la sécurité du grimpeur. Dans la situation où Néomie grimpe, les préoccupations des deux élèves sont centrées sur la sécurité. Les préoccupations archétypes de Caroline (« aider Noémie à grimper », « « éviter la situation de chute », « maintenir la corde tendue », « surveiller les appuis de Noémie ») et de Noémie (« éviter la chute », « sentir la tension de la corde », « poser rapidement la dégaine », « ne pas voler ») caractérisent l’accord des élèves autour d’un même objectif lié à la peur de tomber, surtout de laisser tomber. A l’issue de son ascension Noémie a jugé sa pose de la dégaine comme fatigante et stressante : « j’avais mal au bras, et … ça durait trop longtemps ».

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Le changement de rôle lors de la Situation 2 se traduit par une nouvelle congruence des préoccupations des élèves. Caroline atteint rapidement la première plaquette puis cherche une position confortable pour poser sa dégaine. A cet instant, s’engage une interaction entre les élèves pour coordonner leur action. Les préoccupations de Caroline sont « réussir la pose de sa dégaine », « être bien assurée par Noémie », « être réconfortée », « être aidée », « surveiller le mal aux mains ». Noémie observe avec attention les actions de Caroline et écoute les indications qu’elle lui donne « donne moi du mou, décale toi sur le côté tu verras mieux pour savoir quand « tendre » la corde ». C’est lors de ce moment que Noémie tente de mémoriser la procédure pour positionner la dégaine : « Là, je vois que Caro, elle va vite, elle est super à l’aise ». Les préoccupations de Noémie sont « aider et surveiller les actions de Caroline », « s’appliquer pour éviter la chute », « identifier la position pour poser la dégaine ».

Qu’apprennent les élèves ? Lors de ces situations, les élèves construisent des connaissances relatives aux actions

d’assurer l’autre, d’assurer sa propre sécurité et de grimper. En tant qu’assureur Noémie valide des connaissances sur la technique d’assurage avant la pose de la première dégaine par Caroline : « pour empêcher Caroline de tomber, il faut mettre les mains sous ses fesses », « les fils par terre rendent la zone dangereuse », « c’est plus facile de suivre en dessous, il faut lâcher le fil pour faciliter la grimpe » et en construit d’autres au moment de la pose de la dégaine « la corde doit être tendue quand caroline est sous la dégaine », « ce n’est pas bon de donner du mou trop tôt avant qu’elle ait posé la dégaine » ; enfin lorsque Caroline descend « pour faire descendre Caroline, il faut accompagner la corde, la faire suivre sans la lâcher ».

En tant que grimpeur, les élèves se déplacent pour réussir à préserver leur équilibre et ne pas chuter notamment lors de la pose de la dégaine. Les connaissances concernent alors la relation entre la stabilité de la posture et la forme des prises « une prise où les doigts s’accrochent est une bonne prise de main », et l’action de poser la dégaine pour passer la corde «avoir les bras vers le bas c’est plus simple pour manipuler la dégaine », « pour connaître le sens de la dégaine il faut accrocher à la plaquette le mousqueton qui était accroché au baudrier ». Lorsqu’ils sont sur le mur, les élèves construisent aussi des connaissances relatives à la confiance dans l’action de l’assureur « Caroline connaît les quatre temps », « elle est capable de me retenir sans que j’aie mal ». Dans ces situations, les interventions de l’enseignant donnent lieu à de nouvelles connaissances « le prof peut guider bien les actions à faire », « le professeur nous encourage, il a compris que l’on veut réussir ».

L’action de l’enseignant Près des voies les plus faciles, l’enseignant a réuni les débutants, qui forment le groupe,

auquel appartiennent Noémie et Caroline : « Aujourd’hui votre objectif, c’est de prendre du plaisir en grimpant. Vous pouvez utiliser toutes les prises. Je vous conseille les vertes, ce sont les plus faciles. Vous pouvez tous atteindre le premier point d’ancrage. Dernière chose, je reste proche de votre voie pour vous aidez en cas de besoin. Quand vous êtes équipés et prêts, vous m’appelez. ». Cet extrait du discours de l’enseignant indique les préoccupations qui vont sous tendre son action lors de l’activité des élèves. Tout en jetant un œil aux autres cordées il se place à proximité des débutants. Durant les deux premières situations, il va inciter les filles à se mettre en action « allez les filles vous êtes équipées, il faut y aller Noémie ; t’inquiète pas je reste là pour la première dégaine ». Ensuite il surveille tour à tour l’action de Caroline tout en observant la progression de Noémie : « c’est bien Caroline, il faut être dessous... pour la parade mais les bras sont levés et proches de ta copine, d’accord… ». Au delà des préoccupations « engager les élèves dans la pratique de l’escalade en tête » et « surveiller la sécurité de la cordée », l’enseignant organise ses interventions pour faire vivre aux filles une expérience positive : « c’est hyper important qu’elles vivent des émotions positives... je dois les encourager… et surtout ne pas ignorer leur angoisse, c’est pour cela que je suis hyper dispo » et les conduire vers la réussite de la pose de la dégaine : « le premier objectif, c’est poser une dégaine. ».

L’analyse de ces épisodes de classe issus de la première séance montre une forme de congruence entre les préoccupations des élèves et de l’enseignant. Ce dernier a compris que

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l’engagement des élèves était lié à la fois au degré de confiance entre les partenaires et aux sensations de confort ou non ressenties lors de l’action de grimper. Pour faciliter l’établissement d’une collaboration opérationnelle entre élèves il s’emploie par ses interventions à montrer qu’il a compris leurs attentes et qu’il veille à leur sécurité et à leur confort.

Collaborer pour réussir la voie Lors des Séances 2 et 3, les élèves sont confrontés à la même voie de cotation 3b.

L’enseignant leur demande d’atteindre la deuxième plaquette et pour ceux qui le souhaitent le haut de la voie. Il précise aussi qu’il faut privilégier les prises vertes. L’analyse a alors montré une nouvelle forme d’articulation des cours des expériences des élèves. Dorénavant, l’activité collective et l’articulation des cours d’expérience des filles ne sont plus uniquement centrées sur une réussite essentiellement sécuritaire mais sur la réussite de la tâche prescrite, sur l’atteinte d’un but en terme de performance. Au niveau individuel, on observe donc une évolution du faisceau de préoccupations des élèves. Dans les situations où Noémie assure, outre les préoccupations liées à l’action de sécuriser sa partenaire, on repère d’une part la volonté de répondre aux sollicitations de sa partenaire et d’autre part celle de comprendre la manière dont Caroline construit son déplacement pour progresser. Il faut préciser que dans les tâches précédentes, Caroline est la seule parmi les élèves débutants à avoir atteint la troisième plaquette. Par conséquent, tout en veillant à assurer le confort de Caroline, Noémie profite de sa position pour observer attentivement l’enchaînement des actions de Caroline. A travers cette observation qui s’apparente à une forme d’enquête clandestine (Caroline n’a pas accès à cette activité de Noémie), elle cherche à identifier la manière dont Caroline place et organise ses appuis pour poser la dégaine et enchaîner ses actions pour poursuivre son déplacement en utilisant uniquement les prises vertes. Durant cette période, les préoccupations de Noémie sont « repérer la position des pieds sur les prises », « repérer les prises choisies », « identifier les moments où on peut se reposer entre les deux plaquettes ». L’émergence de ses préoccupations est concomitante des progrès réalisés pour assurer sa partenaire. Des progrès qui lui donnent alors la possibilité d’accomplir son action tout en cherchant des solutions pour anticiper sa propre ascension.

Dans la situation où Caroline assure, le faisceau de préoccupations qui s’actualise concerne la réussite de la pose de la dégaine par Noémie. Lors de la Séance 1, cette dernière a peiné pour atteindre la première plaquette. Elle a manifesté une certaine angoisse qui s’est exprimée par des tensions (mal aux mains, cris, etc.). C’est pourquoi, Caroline entreprend de rassurer sa partenaire en guidant pas à pas la pose de la dégaine. Elle aide Noémie à trouver une position stable, lui indique les repères significatifs (tête à la hauteur de la plaquette, pieds écartés, etc.) pour prendre la dégaine et la fixer à la plaquette. Durant cette période, les préoccupations de Caroline sont : « surveiller les actions de Noémie », « donner les étapes pour installer la dégaine », « vérifier la conformité du point d’assurage ». Les préoccupations de Noémie « installer la dégaine dans le bon sens », « écouter attentivement les opérations pour fixer la dégaine », « recherche une position non fatigante », « obtenir des conseils », « rechercher des positions économiques » mettent en évidence l’accord partagé entre les deux élèves. Dans des rôles différents on assiste alors à un engagement partagé des élèves centré dans un premier temps essentiellement sur la réussite de la voie par Caroline. L’articulation des cours d’expérience des élèves se déplace, sans abandonner la sécurité, vers la recherche collective de solutions pour réussir la voie.

Qu’apprennent les élèves ? Les séquences vécues par les élèves se concrétisent par la construction et la validation de

nouvelles connaissances plus ou moins partagées. Un certain nombre de connaissances se construisent indépendamment de l’action de grimper. En position d’assureur, Noémie construit des connaissances à partir de l’observation de Caroline : « pour grimper la voie, il faut commencer par le pied gauche et poser la main droite » ; et plus précisément à l’action de poser la dégaine : « pour être confortable pour mettre la dégaine, il faut avoir le bassin au niveau de la plaquette pour avoir les pieds bien appuyés », « les petites prise plates sont faites pour les pieds ». Ces connaissances sont ensuite éprouvées dans et par l’action. C’est par ce processus, et en relation avec l’efficacité

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pragmatique des actions réalisées, qu’elles ressortent validées ou invalidées. Ce phénomène se retrouve également dans la situation de l’élève en attente de s’équiper pour grimper qui observe une cordée de pairs. Cette forme d’apprentissage que l’on peut qualifier d’apprentissage par simulation intervient très tôt puisqu’on relève une première forme d’enquête lors de la première situation de grimper en tête.

L’action de l’enseignant L’activité de l’enseignant est dans la continuité de celle observée lors de la Séance 1. Celui-

ci est toujours soucieux de faire vivre des expériences positives aux élèves. Cette préoccupation constante dont l’occurrence concerne l’action de grimper des deux élèves n’est plus la seule et ne domine pas systématiquement son engagement. Ses interventions se différencient au regard de son interprétation de l’activité de Caroline ou de Noémie. Dans la première situation, son intention était d’améliorer la technique de l’élève en attirant, par exemple, l’attention de cette dernière sur la relation entre la forme de la prise et la position des appuis. Pendant les neuf minutes que dure l’ascension, les préoccupations sous jacentes à son engagement sont : « Attirer l’attention des élèves sur la relation entre la forme de la prise et son usage possible », « Permettre à Caroline d’avoir la satisfaction d’aller jusqu’en haut », « Eviter que caroline ne se fatigue trop », « Rassurer / encourager Caroline ». Dans La situation suivante, l’enseignant délaisse la technique de grimpe au profil d’une surveillance de la position de l’élève par rapport à la plaquette. Il a noté les difficultés de Noémie à poser la première dégaine et cherche donc à repérer le moment où il devra l’aider à gagner du temps. A travers ses interventions, l’enseignant veut lui faire faire un pas en avant. Pour lui, dans cette voie 3b, Noémie doit faire un progrès significatif pour continuer de s’engager de manière authentique en escalade. C’est ce qui justifie son guidage fort : « ce n’est pas le moment de lui demander de résoudre un problème, ce qu’il faut c’est l’aider à construire une solution pour surmonter cette difficulté ». Il sait que réussir pour Noémie consiste à poser la dégaine sans se fatiguer pour enchaîner jusqu’à la seconde plaquette. Durant cette seconde situation de la séance 3, les préoccupations de l’enseignant sont : « Eviter les situations d’échec », « Signaler un bon comportement », « guider les actions de Noémie ».

Discussion Les résultats de cette étude sont discutés selon trois axes : l’activité collective et les

connaissances distribuées, les processus de coordination et l’émergence d’un contexte partagé, l’enquête et l’apprentissage par simulation.

Activité collective et connaissances distribuées Les résultats de cette étude ont montré que l’exécution de certains actions et notamment

celle de grimper était influencée par la nature des interactions avec les partenaires et l’enseignant. Dans la situation où les préoccupations des élèves sont convergentes l’assureur a joué un rôle non négligeable dans la réussite de son partenaire. La construction progressive d’une relation de confiance entre les élèves a conduit l’assureur à exercer une tutelle spontanée pour aider le grimpeur à résoudre certaines difficultés. Ainsi lorsqu’elle grimpait, Noémie a pu exploiter les indications de Caroline pour placer plus rapidement la dégaine ou choisir une prise permettant une position plus stable. Ces différentes interactions sociales collaboratives ont eu pour effet d’une part la construction de nouvelles connaissances et d’autre part une plus grande efficacité de l’articulation collective. L’importance que revêtent les interactions de tutelle entre élèves dans la réalisation de tâches collectives a aussi été mise en évidence par De Keukeleare, Guérin et Saury (2008) dans le cadre de l’analyse de l’activité de collégiens en volley-ball. Les auteurs ont montré notamment que l’élève le plus expert assurait une forme de compagnonnage cognitif aboutissant à la construction de connaissances par l’élève la plus faible. Toutefois, ici dans le cadre de l’escalade, le phénomène de tutelle ne s’exerce pas uniquement de l’élève expert vers le novice mais plutôt de l’élève assureur vers le grimpeur. Sans être un grimpeur chevronné, l’élève assureur, est un observateur qui peut guider et aider son partenaire dans la construction de son itinéraire. Ici, le rôle de tuteur joué par

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l’assureur dans l’interaction collaborative montre que le statut de l’élève dans la tâche ne suffit pas à définir l’activité de l’élève. Celle-ci dépasse la tâche prescrite, ici, assurer. L’analyse de l’engagement a montré que l’activité des deux élèves comportait différentes facettes s’exprimant par différents rôles. Ainsi en tant qu’assureur, l’élève est intervenu pour assurer la sécurité du grimpeur, conseiller les actions à réaliser, encourager le grimpeur à persévérer. Ces rôles qui se construisent progressivement et qui peuvent s’exercer simultanément ont participé à l’efficacité de la coordination des activités individuelles notamment dans le cas où l’objectif des élèves était d’atteindre le point le plus haut de la voie.

Pour exercer ses différents rôles, l’élève mobilise des connaissances sur des objets différents. Parmi celles-ci les résultats ont montré que les connaissances relatives à l’action de l’autre étaient déterminantes. C’est parce que l’élève sait que son partenaire assure de telle manière ou pourra l’aider qu’il peut faire preuve d’audace dans la réalisation de son itinéraire. Au fil des expériences vécues, l’élève semble élaborer un « modèle de l’autre » concernant la nature de ses compétences. Ce résultat rejoint des recherches en ergonomie qui ont mis en évidence que toute interaction (notamment interlocutoire) s’accompagne de l’élaboration par chaque protagoniste d’un "modèle de l’interlocuteur" (Amalberti, Carbonnell et Falzon, 1993) afin de s’adapter à ses intérêts et lui fournir des indications pour faciliter la réalisation de la tâche (Falzon, 1994). En reprenant ce modèle, par analogie, Crance (2005) a montré comment dans une tâche de trois contre deux, un élève expert en handball ajuste ses interventions en tant que défenseur à partir du modèle qu’il a construit de ses adversaires. Ce construit devient alors pour cet élève une ressource pour adapter le niveau d’opposition aux actions de l’adversaire. Cette forme d’adaptation rejoint les résultats de Saury et Rossard (2007) lorsqu’ils montrent que dans des tâches coopératives et compétitives les élèves en badminton s’accordaient pour rechercher un équilibre viable dans l’interaction de jeu entre continuité et rupture. C’est ainsi que les élèves à certains moments, pour maintenir l’intérêt des tâches prescrites pouvaient coopérer au lieu de s’opposition et inversement.

Activité collective et contexte partagé La mobilisation de connaissances distribuées entre les élèves et l’enseignant n’est pas la

seule explication à une plus grande efficacité de l’activité collective de la cordée. En effet, à la suite de Salembier et Zouinar (2004), il nous semble possible d’affirmer que la bonne coordination des actions des élèves soit aussi déterminée par l’accès et l’interprétation du contexte partagé. Cette notion, selon ces auteurs, correspond à l’ensemble des informations mutuellement manifestes pour l’ensemble des acteurs, à un instant t dans une situation donnée, compte tenu de leurs capacités perceptives et cognitives des tâches qu’ils doivent réaliser, et de leur activité en cours. Par conséquent, au delà de la convergence des préoccupations des deux élèves, il semble que l’activité collective soit liée à l’interprétation des informations contenues dans le contexte. Les résultats ont mis en évidence que l’efficacité de l’interaction entre Noémie et Caroline était liée à l’accès et à l’interprétation d’informations de plus en plus pertinentes. Conjointement aux progrès de Noémie dans l’action d’assurer, les deux filles ont augmenté le nombre d’informations partagées. Salembier et Zouinar (2004) parlent alors de transformation de l’environnement cognitif commun qui se concrétise pour Noémie par une interprétation différente du contexte. En effet, lors de la Séance 3, l’évolution de son engagement lui ouvre alors la possibilité de percevoir et d’interpréter l’orientation, la position et les mimiques de sa partenaire pour réguler sa propre action dans la perspective d’assurer à la fois sécurité et confort à Caroline. La prise en compte de ces informations contextuelles fait que le processus de coordination devient plus efficace. Dans le cadre de l’escalade on peut faire l’hypothèse que la tension de la corde reliant les deux élèves est un indicateur pertinent pour porter un jugement sur le fonctionnement de la cordée. En effet, lors de la Séance 1, la prédominance des préoccupations sécuritaires a conduit l’assureur à tendre quasiment en continu la corde pour rassurer son partenaire sur l’efficacité de l’assurage. C’est lors des situations de la Séance 3, que l’on observe que la tension de la corde est anticipée, adaptée à l’évolution de l’action du grimpeur. Tout en assurant la sécurité, elle devient pour l’assureur une ressource pour veiller au confort du grimpeur. Ces résultats rejoignent les propos de Poizat, Sève, Serres et Saury (2006) qui

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dans le cadre de l’analyse de l’activité collective d’athlètes en tennis de table ont montré l’importance des processus interprétatifs dans la construction d’une intelligibilité mutuelle entre partenaires. Ces auteurs précisent notamment que les pongistes jouent sur le degré de partage de l’information et le degré de la pertinence de l’information partagée pour influencer les jugements de l’adversaire.

Enquête et apprentissage par simulation Lorsque l’on retrace l’apprentissage des élèves, nos analyses montrent que ceux-ci ont

exploité différents contextes pour construire des connaissances relatives à différentes dimensions de leur activité de grimpeur et ou d’assureur. C’est notamment lors de l’observation de l’activité de pairs plus expérimentés que Noémie et Caroline ont recherché des indices pour identifier comment réaliser les quatre temps, le nœud de huit, ou encore fixer la dégaine. A travers cette activité exploratoire présente dès le début du cycle, les élèves retiennent les solutions qui semblent les plus pertinentes au regard de leurs faisceaux de préoccupations. Si les modalités de l’enquête n’évoluent pas, ce n’est pas le cas de la nature des indices recherchés. Ces derniers sont dépendants du projet d’action de l’élève. C’est ainsi qu’avant de réaliser la Voie 3, l’engagement sécuritaire de Caroline l’a conduite à observer attentivement la descente en rappel des deux garçons qui la précèdent. A travers cette observation elle anticipe les difficultés qu’elle est susceptible de rencontrer. C’est pourquoi elle porte son attention sur la phase de récupération des dégaines. Elle recherche des solutions pour répondre au comment se positionner pour s’arrêter à la hauteur de chaque dégaine et la récupérer. Comme l’ont déjà montré plusieurs travaux en formation et en enseignement, l’enquête est une dimension de l’activité humaine dont la fonction est de simuler l’action à venir. Dans le cadre de la pratique d’escalade, il est indéniable que la perception du risque lié à la chute fasse de cette dimension une composante partagée de l’activité des deux élèves. Il s’agit avant d’agir d’exploiter différents contextes pour construire des connaissances qui soient les plus fiables possibles pour grimper en sécurité. Connaissances qui seront ensuite validées ou invalidées dans et par l’action.

Références bibliographiques Amalberti, R., Carbonnell, N., Falzon, P. (1993). User representations of computer systems in

humancomputer speech interaction. International Journal of Man-Machine Studies, 38, 547-566.

Crance, MC., (2005). Analyse de l’activité d’un élève « expert » en cours d’EPS Nature et dynamique de ses préoccupations en classe. Mémoire de Master 1, STAPS, Université de Rennes 2.

De Keukeleare, C., Guérin, J., Saury, J. (2008). Co-construction de connaissances chez les élèves au cours d’une tâche d’apprentissage en volley-ball en éducation physique et sportive : étude de cas, STAPS, 79, 23-38.

Falzon, P. (1994). Les activités méta-fonctionnelles et leur assistance. Le Travail Humain, 57, p. 1-23.

Guérin, J., Riff, J., Testevuide, S. (2004). Etude de l’activité située de collégiens en cours d’EPS : une opportunité pour examiner les conditions de validité des entretiens d’autoconfrontation. Revue Française de Pédagogie, 147, 15-26.

Kirk, D., Macdonald, D., et O’Sullivan, M. (2006, Eds.). Handbook of Physical Education. London: Sage.

Poizat, G., Sève, C., Rossard, C. (2006). Influencer les jugements de l'adversaire au cours des interactions sportives compétitives : Un exemple en tennis de table. Revue Européenne de Psychologie Appliquée, 56, 167-178.

Salembier, P., Zouinar, M. (2004). Intelligibilité mutuelle et contexte partagé. Inspirations théoriques et réductions technologiques. In P. Salembier, J. Theureau et M. Relieu (Eds.), numéro spécial "Activité et Action située", @CTIVITES, 1 (pp. 64-85).

Saury, J., Rossard, C. (2007).

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Theureau, J. (2004). Le cours d’action : méthode élémentaire. Toulouse : Editions Octarès. Theureau, J. (2006). Le cours d’action : méthode développée. Toulouse : Editions Octarès. Theureau, J., Jeffroy, F. (1994). Ergonomie des situations informatisées. Toulouse : Octares.

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Dynamique des préoccupations en cours d’EPS d’un élève spécialiste de l’activité enseignée Marie Cécile CRANCE, ENS-Cachan, Antenne de Bretagne, CREAD

Jean Trohel, UFR-STAPS, Université de Rennes 2, CREAD

INTRODUCTION « Ouais madame il tire des boulets de canon » dit Mathilde à son professeur en refusant de

retourner dans les buts. De telles remarques sont révélatrices de la forte hétérogénéité des élèves en cours d’EPS et de sa difficile gestion par l’enseignant. Cette étude aborde un cas extrême : l’activité d’un élève « expert », spécialiste d’une Activité Physique Sportive et Artistique (APSA), au cours de séances d’EPS portant sur son activité de prédilection. D’un point de vue professionnel, cette situation extrêmement hétérogène peut être exploitée comme moteur des apprentissages de tous les élèves, véritable ressource pour l’enseignant dans une recherche d’équité. Toutefois elle peut aussi être perçue comme une forte contrainte perturbant le bon déroulement de la leçon et l’efficacité des apprentissages. Pour étudier cette problématique nous avons choisi un angle d’attaque particulier : le point du vue de l’élève « expert ». Une posture que la littérature avait jusque là peu envisagée.

L’élève « expert » se retrouve plongé au sein d’un contexte d’enseignement très hétérogène

aux exigences d’apprentissages moteurs bien inférieures à ses capacités. A cet égard les travaux actuels, menés dans le paradigme de l’action située, confirment les conclusions pionnières d’Allen (1986) qui interprètent l’activité des élèves comme la recherche d’un « modus vivendi » qui consiste à poursuivre conjointement deux objectifs « éviter l’ennui et éviter les ennuis ». La première orientation s’axe vers la convivialité, l’entretien des relations amicales et concerne des attitudes colorées d’amusement, la seconde consiste à satisfaire les exigences minimales de chaque enseignant. Dès lors quel intérêt peut trouver un élève « expert » à des situations d’apprentissage certainement vectrices d’ennuis car ne lui posant aucune difficulté motrice ? Comment réagit-il et quelle influence a-t-il sur le déroulement de la leçon et l’efficacité des enseignements ?

L’activité, à connotation « experte » et institutionnelle, de cet élève s’inscrit au sein d’une « communauté de pratique scolaire ». A ce titre, Durand, Saury et Sève (2005) ont montré que l’engagement de chaque élève dans la « communauté de pratique » est constitué par un faisceau de préoccupations multiples et récurrentes révélateur d’une « micro culture partagée » (Casalfiore, Bertone et Durand 2003) constamment négociée et pouvant évoluer au cours du cycle. Comment l’élève « expert » s’approprie-t-il et participe-t-il à la construction d’une micro-culture commune « scolaire » qui risque d’entrer en conflit avec la culture « fédérale » qu’il véhicule ?

De façon plus spécifique se pose la question centrale des apprentissages. Si l’expertise incontestable de cet élève se révèle parfaitement dans la logique fédérale, son efficacité dans le domaine scolaire ne va pas de soit. En effet, en référence à Kirk et Kinchin (2003) dans le courant du « situated learning », tout apprentissage est incorporé dans l’activité collective d’une communauté dont la spécificité définit des possibilités d’apprentissage. A l’école ils sont « scolairement situés » affirmant la singularité de la culture scolaire vis-à-vis d’autres cultures d’apprentissage. Comment s’effectue l’adaptation des compétences « expertes » de cet élève au contexte scolaire ? Dans quelle mesure cette expertise peut-elle influencer positivement ou négativement les apprentissages de ses camarades ?

A l’aune des résultats de ces différents travaux, cette étude cherche à répondre à la question

suivante : Y-a-t-il une spécificité dans l’activité d’un élève « expert » confronté à une communauté de pratique « scolaire » ?

CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE

Nous avons utilisé le cadre sémiologique du cours d’action (Theureau 2004) permettant de coupler deux regards : celui « externe » du chercheur, s’immisçant dans l’intimité d’un cours d’EPS

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et celui interne de l’élève dont nous voulons appréhender l’activité. Ainsi nous souhaitons accéder à la signification personnelle que l’élève « expert » engage dans la situation et ainsi décrire finement son activité. Cette étude a procédé à une analyse globale du cours d’action afin de caractériser la nature et la dynamique de l’activité d’un élève « expert » au sein d’une communauté de pratique « scolaire » en identifiant et décrivant les structures significatives de son cours d’action et leur agencement temporel.

Etape 1 : Recueil des matériaux empiriques : Notre étude porte sur le cas particulier d’Alexandre, élève de seconde, « expert » en

handball (niveau national) et engagé dans un cycle d’EPS portant sur cette même activité. Les enregistrements ont porté sur deux séances consécutives correspondant à la fin du cycle. Les deux séances de 1H40 ont été filmées dans leur intégralité par deux caméras vidéo VHS. La première filmait d’un point fixe l’ensemble du groupe classe en enregistrant le son de manière continue. La deuxième caméra zoomait sur les actions d’Alexandre. Ce dernier était muni d’un micro cravate relié par récepteur à la caméra. L’enseignante était munie d’un micro cravate relié à un dictaphone. A l’issue de chaque séance nous avons procédé à des entretiens d’auto confrontations (AC) individuels. Enfin au terme de la collaboration nous avons effectué des entretiens semi-directifs (ESD) avec les deux acteurs afin de récolter un maximum d'informations supplémentaires.

Etape 2 : Protocole à trois volets : La construction des données du cours d’action a été réalisée à l’aide d’un protocole

classique à 3 volets. Le Volet 1 a consisté en la transcription des enregistrements de la séance à travers une description comportementale et verbale de l’activité d’Alexandre ainsi que des acteurs avec lesquels il interagissait. Le Volet 2 correspondait à la transcription des données de verbalisation obtenues lors des auto-confrontations. Le Volet 3 comprenait la description des contraintes extrinsèques susceptible d’influencer le cours d’action (horaires, lieux…). Toutes ces données ont été mises en relation avec le décours temporel des séances (30s).

Etape 3 : Construction des Unités significatives élémentaires (USE) : Ensuite nous avons procédé à un découpage de l’activité en USE traduisant l’expérience pré-

reflexive de l’acteur à chaque instant. Il s’agissait de documenter pas à pas, sur l’ensemble des deux séances, les éléments de signification accompagnant l’activité d’Alexandre. Procédant à une analyse globale nous avons ensuite identifié des structures significatives fondamentales plus larges (appelées séquences, séries et macroséquences).

Etape 4 : Structures archétypes et catégorisation des préoccupations typiques : Nous avons établi une catégorisation s’échelonnant sur trois niveaux. Un premier renvoie

aux « préoccupations typiques » d’Alexandre pendant la séance à partir du regroupement des structures significatives selon des critères de typicalité, on parle alors de structures archétypes. Le caractère « archétype » d’une structure traduit l’idée d’une similarité entre différentes séquences, macro-séquences ou séries (Gal-Petitfaux et Durand 2001). Ainsi la séquence archétype « faire travailler ses camarades» regroupe des séquences comme « faire jouer ses coéquipiers » et « faire courir Olivier pour qu'il s'échauffe ». Un deuxième niveau vise à mettre en avant des « catégories de préoccupations » de rang plus élevé regroupant à nouveau ces structures archétypes selon des critères de typicalité. Par exemple la structure archétype « modifier la tâche pour se donner physiquement », renvoie à une catégorie de préoccupation plus large « s’investir sur le plan moteur » englobant également « se lâcher » et « ne pas perdre de temps ». Enfin le troisième niveau s’organise en fonction du destinataire principal de ces préoccupations c’est à dire soi, les autres élèves ou l’enseignante.

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RESULTATS

Nature et dynamique des préoccupations d’Alexandre L’analyse de l’engagement d’Alexandre pendant les deux leçons a révélé 21 préoccupations

typiques regroupées en huit catégories d’engagement. Nous distinguons des préoccupations tournées vers soi (Tableau 1), vers les autres élèves (Tableau 2) et vers l’enseignante (Tableau 3).

Catégories de préoccupations

Préoccupations typiques

n° Dynamique et illustrations à partir des séances et des entretiens

Modifier la tâche pour se

donner physiquement

1

Alexandre modifie et adapte les situations proposées pour trouver un intérêt nouveau dans l’exercice et pouvoir s’exprimer sur le plan moteur. Ces préoccupations renvoient le plus souvent à une complexification des tâches « j’essayais plus de faire des passes dans le dos ça m’intéressait pas de faire seulement des passes normales »(ACS14). De même tous les matchs de l’équipe d’Alexandre ont été réalisés en infériorité numérique sur sa propre initiative et à l’insu de l’enseignante et des autres élèves.

Se lâcher 2

A plusieurs reprises dans la séance Alexandre réalise des actions qui semblent totalement décontextualisées et en rupture totale avec le cadre scolaire « elle me fait t’es fou Morgane, c’est normal j’ai tiré comme en match, j’aime bien me lâcher une fois de temps en temps »(ACS2)

A S’investir sur le

plan moteur

Ne pas perdre de temps

3

Alexandre cherche continuellement à être en activité, récupère en premier un ballon, cherche à mettre en activité ses camarades, range rapidement le matériel. « j’suis en train de leur dire de tirer plus vite parce que en fait ils étaient chiant (…) ils avaient mis vachement de temps »(ACS2).

Jouer un rôle de capitaine d’équipe

4

Il est fortement investi dans un rôle de « capitaine d’équipe » et de « coach » qu’il a choisi de manière autonome et qui guide son activité avant pendant et après les matchs. « j’suis en train de visualiser comment on pouvait gagner le match », « comme je suis capitaine d’équipe je vais chercher les maillots et je les distribue » , « je les prends et je leur explique ce que l’on va faire en défense »,« franchement moi là j’étais content de ce qu’ils ont fait … » (ACS1)

Superviser l'arbitrage

5

Alexandre adopte de manière spontanée et presque systématiquement le rôle d’arbitre lorsque son équipe ne joue pas et lorsqu’il est en position de joueur il supervise l’arbitrage en faisant respecter le règlement et en aidant les arbitres qui ont parfois des difficultés « donc là en fait j’fais comme si j’étais l’arbitre (…) parce que il sait pas trop il est un peu nul ils savent pas trop les règles alors j’dis y-a pénalty »(ACS1).

B Trouver un

intérêt dans les situations proposées

Se concentrer sur la

réalisation de l'exercice

6

Tout le long de la séance Alexandre est concentré sur la réalisation des tâches où il se trouve engagé « là je pense à la défense ce que je vais faire ils sont deux contre un évaluer le poids» « là euh j’pense à mon arbitrage j’suis à fond ouai quand j’fais un truc j’le fais à fond » (ACS2).

Tableau 1 : Nature et dynamique des préoccupations typiques tournées vers soi.

4 ACS1 : auto confrontation séance 1

25

Catégories de préoccupations

Préoccupations typiques n° Dynamique et illustrations à partir des séances et des entretiens

Respecter les normes établies dans la classe

7 Alexandre a tendance à respecter un ensemble d'attitudes et de modes de communications significatifs et instaurés dans la classe. Elle se traduit par des verbalisations du type « merci Marion», « excuse moi pour tout à l’heure » (S1).

Modifier sa pratique

habituelle de club

8

Alexandre essaye constamment d’adapter ses interventions qu’elles soient verbales ou motrices au contexte de la classe. Sur le plan moteur il se retient particulièrement lors des tirs que ce soit en match ou en situation d’apprentissage « ouai ben en fait quand je suis en l’air j’me dis ah hop doucement ». « là il a mis le pied dans la zone (…) c’est des ptites fautes qui sont comptés en match mais là bon je les compte pas »(ACS1).

C Adopter les

comportements reconnus comme

légitimes par la classe

Chercher à légitimer ses

actions 9

Alexandre cherche à se justifier et à se protéger lorsqu’il adopte des attitudes qui ne correspondent pas aux normes de la classe. Notamment par rapport à la force de ses tirs « mais attend j'aurais visé dans un coin si t'étais dans le but j'ai visé au milieu il n'y avait personne au milieu » (S15).

Penser et discuter avec ses camarades de sujets hors

EPS

10

Principalement cette préoccupation apparaît lorsque Alexandre se perd dans des pensées ou des discussions étrangères aux activités scolaires à des moments précis de la séance où les élèves sont en phase inactive. « pfou là je zappe tout ce qu’elle dit là on parle voilà machin »(ACS2).

D Se divertir

avec ses camarades

S'amuser 11

Cette préoccupation rend compte des intentions d’Alexandre qui cherche à se divertir, s’amuser dans les moments d’inaction. Principalement on retrouve cette volonté dans la file d’attente avant l’exercice. « là c’est bon j’avais déjà réfléchi donc j’m’eclatais euh j’faisais le zouave » (ACS1)

Gagner le match

12

Lors de chaque match une des préoccupations d’Alexandre est de remporter la victoire sans toutefois écraser les autres équipes. On retrouve cette préoccupation avant les matchs « j’suis en train de visualiser comment on pouvait gagner le match » (ACS1). De même pendant les rencontres cette préoccupation est fortement prégnante lorsque son équipe a un but de retard « c’est bon il y a 4-4 j’te passe la balle » (S1).

E Entretenir son image d’expert dans le groupe Se justifier

d’avoir perdu 13

Lorsque finalement il perd, sa préoccupation principale consiste à justifier la défaite auprès de ses camarades « en fait jsuis toujours en train de chercher à vouloir me justifier ». « là au début en fait ils me chambraient alors je leur dis ben attends vous étiez un de plus sur le terrain » (ACS1).

Faire travailler ses camarades

14

Alexandre essaye constamment de mettre ses camarades en action pour qu’ils s’améliorent « il court pas assez et il va se blesser(…) donc j’essayais de lui faire des passes un peu plus sur le côté pour qu’il court et voilà pour qu’il s’échauffe ». « donc là ouai je le fais tirer à l’aile pour qu’il s’améliore à tirer dans un angle fermé ».

Donner des conseils à ses camarades

15

Sur l’ensemble de la séance Alexandre donne des conseils explique le but des exercices à ses camarades pour les faire progresser « ben mon objectif là c’est qu’Olivier il progresse (…) qu’il comprenne que quand il a attrapé la balle il faut qu’il soit en accélération» (ACS1).

Observer l'action de ses

camarades 16

Cette préoccupation renvoie à la volonté d’Alexandre d’observer ses camarades pour voir comment ils réalisent les exercices, afin éventuellement de les corriger, mais également de regarder les effets de ses interventions « ben tu vois souvent j’pense à l’exercice qu’on a fait (…)si ça a servi à Olivier ou pas (…) à ce que je pourrais faire la prochaine fois » (ACS1).

F Faire

progresser ses

camarades

Motiver ses camarades

17

Alexandre cherche à féliciter et encourager ses camarades lorsque ces derniers réalisent de belles actions, font des efforts ou semblent démotivés « j’essaye surtout les filles (…) de pouvoir les booster parce que elles se disent nulles en sport alors que elles se débrouillent bien »( ACS1).

Tableau 2 : Nature et dynamique des préoccupations typiques tournées vers les autres élèves.

5 S1 : Séance 1

26

Catégories de préoccupations

Préoccupations typiques n° Dynamique et illustrations à partir des séances et des entretiens

Avoir une oreille sur

l’enseignante 18

Cette préoccupation témoigne d’une volonté d’être attentif à ce que demande l’enseignante afin d’adopter les comportements adéquats. Elle apparaît tout au long de la séance mais prioritairement pendant les consignes. « euh donc j’écoute des bribes (…)c’est ma façon d’écouter deux conversations en même temps »(ACS2).

Ne pas se faire repérer

19 Cette préoccupation apparaît pendant la délivrance des consignes lorsqu’il cherche à masquer une autre activité. Notamment elle se repère par les coups d’œil furtifs lancés à l’enseignante et par les chuchotements.

G Se conformer

aux attentes de l’enseignante

Trouver un accord avec l'enseignante

20

Lors des rares interactions verbales, provoquées exclusivement par l’enseignante, Alexandre essaye de trouver un compromis en répondant aux attentes de cette dernière tout en protégeant ses intérêts personnels. Ces interactions apparaissent principalement lorsque le comportement d’Alexandre pose problème pour le bon déroulement de la séance « donc là en fait elle est en train de me faire un sermon elle me dit que j’ai pas besoin de tirer fort pour marquer et voilà » (ACS1).

H Réfléchir à l'action de

l'enseignante 21

Alexandre réfléchit et pense à l’activité de l’enseignante. « pfoufou c’est tout le temps les mêmes exos », « ouai faut pas nous prendre pour un débile quand même (…) pour elle j’pense on est encore des petits 6ème» (ACS2).

Tableau 3 : Nature et dynamique des préoccupations typiques tournées vers l’enseignante.

Synthèse de l’activité d’Alexandre : A partir de ces résultats nous avons analysé l’activité d’Alexandre comme l’expression de

quatre rôles interdépendants : « un perturbateur », « un expert », « un leader », « un tuteur ». Ces rôles étaient plus ou moins prégnants selon le temps de la séance et selon les acteurs avec lesquels il interagissait.

Un perturbateur L’activité d’Alexandre révèle des éléments potentiellement vecteurs de perturbations pour la

leçon et qui correspondent aux activités habituellement soupçonnées chez les élèves. Notamment il passe beaucoup de temps à « Penser et discuter avec ses camarades de sujets hors EPS » (PT6 10) et il cherche à « s’amuser » (PT 11) ce qui l’oblige dans le même temps à trouver des stratégies pour « ne pas se faire repérer » (PT 19) et « Avoir une oreille sur l’enseignante » (PT 18). L’activité d’Alexandre révèle également une volonté de « Réfléchir à l’action de l’enseignante » (PT 21) en portant un regard critique sur ses choix, ses comportements, les exercices proposés.

Un expert L’expertise et la pratique compétitive d’Alexandre sont incontestables tout au long de la

séance. Notamment lorsqu’il cherche à « Modifier la tâche pour se donner physiquement » (PT 1) et à réaliser une belle action, lorsqu’il va « Se lâcher » (PT 2) involontairement au niveau des tirs ou lorsqu’il s’applique à « Superviser l’arbitrage » (PT 5) en référence à sa pratique de club. Toutefois afin d’éviter les conflits avec les autres élèves et avec l’enseignante Alexandre est contraint de se retenir et de « Modifier sa pratique habituelle de club » (PT 8) en adaptant son comportement au niveau de ses camarades. Cette expertise est un moyen investi par Alexandre pour s’affirmer au sein du groupe en exécutant des actions spectaculaires mettant en scène ses habilités de handballeur. Notamment il souhaite « Gagner le match » (PT 12) et en cas d’échec il cherche à « Se justifier d’avoir perdu » (PT 13) au près des autres.

Un leader Les actions et préoccupations d’Alexandre révèlent un statut de leader dans la classe quand

il cherche à « Jouer un rôle de capitaine d’équipe » (PT 4). Il prend en main son équipe avant, pendant et après les matchs, il organise l’action collective, donne des consignes, supervise et oriente le jeu. Ce rôle de leader apparaît de façon spontanée et n’est pas imposée par l’enseignante. De plus Alexandre essaye de « Ne pas perdre de temps » (PT 3), il est constamment engagé dans une

6 PT : préoccupation typique

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volonté de mise en action personnelle mais aussi collective qui converge avec les intérêts scolaires comme en témoigne l’engagement d’Alexandre afin de « Trouver un accord avec l’enseignante » (PT 20).

Un tuteur : Cette dernière dimension apparaît de façon très importante tout au long de la séance. Elle

renvoie à toutes les préoccupations orientées vers la progression de ses camarades afin qu’ils puissent avoir de bonnes notes au BAC. Cet objectif est clairement affiché en auto-confrontation séance 1 où il affirme : « toujours mon objectif dans le cours entier c’est que les autres ils progressent (…) même si moi j’ai à progresser mais que les autres en premier ils progressent ». Dans cette perspective Alexandre est fortement engagé dans une démarche de tutorat qui se révèle à travers l’ensemble de préoccupations suivantes : « Faire travailler ses camarades » (PT 14), « Donner des conseils à ses camarades » (PT 15), « Observer l’action de ses camarades » (PT 16), « Motiver ses camarades » (PT 17) ou encore « Se concentrer sur la réalisation de l’exercice » (PT 6). Ce rôle investi dès l’échauffement se retrouve tout au long de la séance à des intensités plus ou moins fortes et en fonction des réactions des élèves. Il donne des feedback, réfléchit aux conséquences de son action, adapte son comportement selon le camarade avec lequel il effectue l’exercice. Toutefois si les deux dimensions précédentes : « expert » et « leader » sont conscientes chez l’enseignante cette posture de « tuteur » semble lui échapper comme elle le précise lors de l'entretient semi directif.

DISCUSSION L’activité d’Alexandre qui apparaît comme l’expression de quatre rôles interdépendants

confirme les résultats obtenus antérieurement sur l’activité des élèves en classe tout en témoignant d’une spécificité d’un élève « expert » en EPS.

Un élève ordinaire

« Eviter l’ennui / éviter les ennuis » : Les préoccupations d’Alexandre confirment la recherche d’un « modus vivendi » qui

consiste à poursuivre conjointement deux objectifs « éviter l’ennui / éviter les ennuis » Allen (1986). Il cherche simultanément à se conformer aux attentes scolaires et aux normes collectives tout en y intégrant des préoccupations personnelles afin de préserver un intérêt et un plaisir à la pratique. Toutefois ces grandes dimensions renvoient en fait à des préoccupations tout à fait originales chez cet élève expert.

En effet au delà des contraintes relatives à l’institution scolaire, aux attentes de l’enseignant et aux règles collectives de la classe, les ennuis proviennent ici également de son « expertise ». C’est paradoxalement, lorsqu’il s’engage pleinement dans les tâches d’apprentissage, qu’il risque des ennuis. La forte hétérogénéité dont il est porteur et le caractère « décontextualisé » de ses réalisations motrices pose problème. Ainsi pour « éviter les ennuis », Alexandre doit faire preuve de retenue et d’un contrôle de soi sur le plan moteur (adapter ses actions) mais aussi au niveau de ses connaissances (laisser les autres élèves réfléchir, ne pas donner toutes les réponses).

Alexandre cherche également à « éviter l’ennui » en s’engageant dans des activités plus ou moins en accord avec les attentes scolaires. A cet égard nos résultats confirment les activités « clandestines » classiques des élèves (discuter, s’amuser, modifier les tâches…) (Huet, Rossard et Saury 2006, Guerin, Testevuide et Roncin 2005). Pourtant ici l’ennui n’a pas la même origine et il ne se traduit pas par les mêmes comportements. L’« expertise » d’Alexandre confère aux situations proposées un caractère passablement ennuyeux étant donné qu’elles ne lui posent aucun problème moteur et qu’il est obligé de se retenir sous peine d’avoir des ennuis. Aussi il met en place un certain nombre de stratégies consistant à modifier les tâches afin de pouvoir quand même s’investir physiquement (réaliser un kung fu7 lors des tâches d’apprentissage, jouer en infériorité numérique).

7 Geste spectaculaire en Hand Ball qui consiste à attraper la balle en l'air et à tirer au but dans la même suspension.

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Mais ces modifications clandestines ne lui permettant toujours pas de s’investir sur le plan moteur, Alexandre s’investit également dans des interactions sociales « clandestines » liées à des rôles très particuliers de « leader » ou encore de « tuteur » sur lesquels nous reviendrons.

Une pluralité d’engagements : La dynamique des préoccupations d’Alexandre confirme également les conclusions des

travaux menés par Rossard et Saury (2004) et Huet, Saury, Rossard (2006) mettant en évidence la pluralité des préoccupations des élèves en classe. A chaque instant, Alexandre est investi sur plusieurs préoccupations qui peuvent entrer en contradiction (par exemple discuter de sujets hors EPS avec ses camarades sans se faire repérer par l’enseignante tout en prenant connaissance des consignes de l’exercice). L’activité d’Alexandre peut être interprétée comme la construction d’« îlots de cohérence locale » (Durand, Saury, Sève 2005 p.5). En effet chaque moment de la séance définit un état dynamique global, inséparable de l’histoire des couplages passés entre Alexandre et l’environnement. Certains engagements vont émerger de la situation tandis que d’autres, non adaptés par rapport à cette configuration de l’environnement, n’apparaissent pas.

« Des performances contre des notes » : Nos résultats viennent également confirmer les études antérieures considérant que l’activité

des élèves en classe émerge des contraintes posées par les systèmes de tâches. Notamment Doyle (1986) parle d’un « système d’échange de performance contre des notes dans le bulletin scolaire » (p.103) où les enjeux évaluatifs viendraient « rigidifier » le système de tâches. Agissant comme une contrainte significative perçue par les élèves, elle conduirait selon Rossard (2004) à stabiliser leur engagement dans les tâches d’apprentissage. La certification scolaire pèse fortement sur l’engagement d’Alexandre mais là encore le mécanisme est particulier à cette posture « d’expertise ». C’est la perspective de l’évaluation future (BAC) de ses camarades, et non la sienne, qui oriente son activité afin de les faire progresser pour qu’ils aient une bonne note. De plus Durand (1996) montre que face à une perspective de certification scolaire les élèves adoptent des attitudes stratégiques qui relèvent plus du réinvestissement de valeurs et de normes socioculturelles que de l'acquisition d'habiletés et de compétences motrices. Précisément l’activité d’Alexandre n’est pas orientée vers la performance motrice mais bien vers une adaptation de son « expertise » au contexte scolaire dans le respect des normes collectives de la classe. Ainsi l’activité d’Alexandre résulte d’un équilibre précaire entre ces deux dimensions : « éviter les ennuis » « éviter l’ennui ». Cependant l’articulation semble d’autant plus difficile étant donné que son « expertise » est doublement vectrice d’ennui et d’ennuis.

Spécificité de l’élève expert

Un expert : L’activité d’Alexandre est fortement marquée par son expérience personnelle de haut niveau

en handball, en rupture avec celles adoptées par ses camarades. Cette forte hétérogénéité de significations perturbe l’équilibre fragile du système classe par la rencontre entre une culture scolaire et une culture institutionnelle. Dans une perspective « d’apprentissage situé » (Brown, Colins, Duguid, 1989) on remarque qu’Alexandre a été contraint d’adapter son « expertise » au cadre scolaire que ce soit d’un point de vue moteur (tirer moins fort) mais aussi sur les connaissances (règlement scolaire / règlement fédéral). Ainsi les circonstances d’acquisition de ses savoirs et savoirs-faire (le contexte club), si elles réapparaissent de temps en temps, ont été remplacées par un nouveau référentiel selon un processus de typicalisation (Rosch, 1999 ). L’environnement scolaire modifie et questionne la culture « experte » d’Alexandre obligé de s’adapter. Mais inversement la culture commune de cette classe porte la marque d’une logique institutionnelle qu’il a importée. Ainsi l’élève « expert » développe une activité dans laquelle s’articulent des intérêts personnels (liés à sa culture et son vécu institutionnel) et collectifs (l’adaptation de cette culture au cadre scolaire) exprimant une culture partagée et des normes collectives constamment négociées au sein de la classe.

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Un leader : L’activité d’Alexandre révèle également un rôle de « leader » c'est-à-dire selon Rey (2000)

« l’individu le plus influent dans un groupe qui engage et oriente les conduites de l’ensemble des membres » (p 36). Nous interprétons ce rôle adopté par Alexandre comme une conséquence de son expertise motrice mais également comme une réponse à l’ennui suscité par les activités scolaires. Ce rôle peut être perçu à deux niveaux : celui restreint de son équipe où il occupe une position dominante et dynamisante de « capitaine » et celui plus global du système classe. Cette position de « capitaine » adoptée spontanément par Alexandre s’explique selon nous par la stabilité des équipes tout au long du cycle qui renvoie à la « sport éducation » de Siedentop (1994). Ainsi Alexandre trouve un intérêt à prendre part aux matchs et à s’intégrer au sein d’un collectif en rupture par rapport à sa pratique de club. Parallèlement il impulse une dynamique favorisant la mise en action de ses coéquipiers et soulageant l’enseignante qui lui laisse une grande liberté d’initiative. Toutefois ce rôle de leader peut aussi être négatif car son attitude est alors prescriptive (« ouai souvent ben je donne mes petits ordres (…) j’y vais fort (…) mais des fois ils n’écoutent pas » ESD). Nous pouvons parler d’une « relation d’expert à novice » (Bruner 1983) peu favorable aux apprentissages car laissant peu d’initiative à ses coéquipiers. Cette position dominante résulte de sa qualité d’expert le dotant de savoirs et de savoir-faire de haut niveau faisant autorité sur ses camarades. Du point de vue de la classe entière il semble impulser une dynamique notamment dans sa volonté constante d’être en activité. De plus les autres élèves le considèrent comme une personne ressource qu’ils sollicitent pour trouver des réponses à leurs problèmes relatifs au handball et qu’ils prennent souvent en modèle. Enfin l’enseignante reconnaît l’existence de ce rôle et considère de façon très positive son influence sur la classe mais ne semble pas l’orienter de manière directe. Ainsi la pratique de haut niveau d’Alexandre lui confère une légitimité et un certain prestige mais en même temps c’est parce qu’il s’efforce d’adapter cette expertise au contexte scolaire et de respecter les normes communes qu’il peut occuper cette position centrale et reconnue dans la classe.

Un tuteur : L’activité d’Alexandre a révélé un rôle étonnant et spontané de « tuteur » que nous

interprétons comme une réponse à l’ennui véhiculé par les tâches d’apprentissage. Une démarche de tutorat : Cette démarche originale est particulièrement développée et abouti chez cet élève. En effet

son activité concorde avec les travaux de Winnykamen (1996) selon lesquels l’interaction tutorielle « peut se définir par des échanges en situation de construction, d’acquisition, et de transmission de connaissances, les interventions d’un sujet (le tuteur) ayant pour objectif de permettre à l’autre (le novice) de progresser dans la résolution de la tâche » (p. 16). Cette volonté de faire progresser est omniprésente chez Alexandre. Tout au long de la séance il observe ce que font ses camarades, explique, fait des démonstrations, vérifie les effets de ses interventions. Il modifie son comportement selon la personne avec laquelle il réalise les exercices (son engagement moteur n’est pas le même lorsqu’il travaille avec Olivier ou Vincent) il adapte ses conseils selon les élèves avec lesquels il interagit (les mots utilisés pour expliquer l’organisation défensive ne sont pas les mêmes lorsqu’il s’adresse à Charlotte ou à Marc). Il s’investit dans une démarche de tutorat renvoyant également à la notion d’IMI (imitation modélisation interactive) de Winnykamen et Lafont (1990) selon laquelle le modèle après avoir observé et évalué la production du sujet imitant, modifie sa production en fonction de la réalisation momentanée de celui-ci . Ce processus « d’étayage » crée une situation potentiellement vectrice d’apprentissages aussi bien du côté du tutoré que du tuteur (Topping et Ehly 1998).

Bénéfices pour le tutoré ? : On peut s’interroger sur l’efficacité de ce rôle de tutelle et sur le caractère « partagé » et

« intelligible » de ses interventions verbales et motrices. En effet la réussite d’une interaction repose sur une production « d’intelligibilité mutuelle » (Salembier et Zouinar, 2004) renvoyant à la notion de « contexte partagé » de Garfinkel (1967). Aussi malgré ses efforts d’adaptation, Alexandre conserve une activité fortement chargée de référence au haut niveau parfois en décalage avec ses

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camarades. De plus nous ne sommes pas toujours dans une relation de tutelle telle qu’elle est définie par Winnykamen (1990) une dissymétrie de compétence, un engagement des deux partenaires, des objectifs complémentaires. En effet les camarades avec lesquels il interagit ne souhaitent pas forcément s’engager ou ne sont pas toujours orientés vers des buts d’apprentissage ou de progrès.

Bénéfices pour le tuteur ? : Les études menées sur le tutorat mettent en avant un « effet – tuteur » qui désigne le

bénéfice personnel retiré par les élèves qui apportent une aide (Bruner, 1983). Le tuteur produit des explications, apprend à porter un regard critique sur ce qui est fait, à réfléchir afin de mieux agir. Cette activité métacognitive est présente chez Alexandre et nous émettons l’hypothèse qu’elle est vectrice d’apprentissages. De plus ce rôle de tuteur, obligeant Alexandre à s’adapter, à doser ses gestes, à mettre en mots son action, est certainement favorable aux acquisitions motrices en l’obligeant à affiner et explorer sa motricité de handballeur. Enfin en accord avec le rapport de l’équipe IUFM d’Aix-Marseille / LAMES (2000) le rôle de tuteur favorise la valorisation de l’image de soi. Il permet à Alexandre de s’affirmer au sein de la classe, de se sentir utile en réinvestissant son « expertise » dans la tâche d’apprentissage sans toutefois rencontrer d’opposition de la part de ses camarades qu’il contribue à faire progresser « en fait tu aides les autres à s’améliorer (…) ils le savent très bien » (ESD).

Quatre rôles en interaction résultant d’une histoire collective : L’analyse et la discussion de nos résultats nous ont amené à considérer l’activité d’Alexandre comme le résultat d’un équilibre dynamique entre quatre rôles interdépendants parfaitement intégrés à la classe et étonnamment indépendants de l’activité de l’enseignante. Cependant la réalisation des entretiens semi-directifs nous a permis d’appréhender l’histoire de cette classe et de prendre en compte l’élaboration progressive de normes communes et le rôle joué par l’enseignante dans l’intégration d’Alexandre et de son « expertise » à cette communauté de pratique. En réalité l’acceptation d’Alexandre par ses camarades fut l’objet de nombreuses négociations. Ainsi d’un côté l’enseignante a influencé l’émergence et le déploiement de ces quatre rôles, mais de l’autre elle n’est pas au courant de ce que réalise réellement Alexandre et le laisse prendre ses propres initiatives tant qu’il ne perturbe pas le déroulement du cours.

La question de l’hétérogénéité

L’hétérogénéité sur le plan moteur : Nous sommes ici a priori dans le niveau planché dont parle Méard (1993) où les différences

sont éludées et non prises en compte par l’enseignant posant un réel problème d’équité dans les apprentissages. En effet Alexandre ne rencontre aucun problème moteur et l’enseignante reconnaît elle même que les contenus sont indifférenciés. Cependant on voit à travers l’exemple d’Alexandre qu’un élève expert peut s’investir dans des situations d’apprentissage inadaptées par rapport à son niveau moteur sans toutefois perturber le déroulement de la séance et en favorisant les acquisitions motrices de ses camarades. Loin d’être une contrainte, l’expertise apparaît ici être une ressource dont l’efficacité, reconnue par l’enseignante, s’effectue indépendamment de son action. Toutefois ce rôle positif pose question dès lors que l’on envisage l’apprentissage comme « situé ». En effet Kirk et Kinchin (2003) dans le domaine de l’EP considèrent que tout apprentissage est incorporé dans l’activité collective d’une communauté dont la spécificité définit des possibilités d’apprentissage. Il est fort probable que « l’expertise » d’Alexandre (passes adaptées ne posant pas de problème de réception, gestion de l’organisation défensive sur le terrain) élève « artificiellement » le niveau de ses camarades qui, en son absence, ne seraient plus capables des mêmes prouesses.

L’hétérogénéité comme confrontation des cultures : Sur le plan des connaissances de l’activité, Alexandre apprend peu de choses de

l’enseignante. Cependant il fait profiter les autres de ses compétences (arbitrage, règlement, tactique) et il est reconnu comme une personne ressource par ses camarades qui viennent souvent le

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solliciter plutôt que l’enseignante pour trouver une réponse à leurs problèmes « des fois ouais c’est eux qui viennent vers moi (…) quand c’est un élève qui fait l’activité avec eux ça touche plus » (ESD). Enfin comme nous l’avons vu, le contexte scolaire questionne les connaissances institutionnelles d’Alexandre, le cadre « club » ne convient pas en classe et il fut l’objet d’une adaptation et d’apprentissages particuliers. En effet pour cet élève les apprentissages ne vont pas dans le sens d’une meilleure connaissance de l’activité mais au contraire ils viennent questionner la rigidité de son référentiel institutionnel. Cet engagement dans un handball scolaire aura modifié son rapport à l’activité en lui faisant découvrir d’autres modalités de pratique de cette APSA. Quoi qu’il en soit, la culture institutionnelle d’Alexandre n’est pas vécue comme une contrainte par l’enseignante.

L’hétérogénéité et la question des apprentissages « citoyens » : Comme nous l’avons déjà détaillé, Alexandre investit des rôles qui sont vecteurs

d’apprentissages « citoyens » et « sociaux ». Ainsi les contextes de forte hétérogénéité, qui engagent un élève « expert », semblent tout à fait satisfaisants du point de vue des apprentissages « citoyens » à partir du moment où ce dernier ne se contente pas de jouer un rôle de « leader », qui impose ses choix aux autres, mais qu’il investit également un rôle de « tuteur », laissant une initiative à ses camarades, prenant en compte leur point de vue et les guidant dans leur activité. A un niveau plus global, le rôle de « leader » est une clef pour la gestion de l’hétérogénéité des attitudes (Rey 2000). De ce fait, il est potentiellement un outil susceptible d’améliorer l’efficacité de l’enseignement comme en témoigne l’activité d’Alexandre lorsqu’il adopte de lui-même une attitude allant dans le sens des attentes de l’enseignante « ben sur certains trucs c’est moi qui booste la classe » (ESD). On retrouve en fait ici les caractéristiques du niveau souhaitable (Méard, 1993) où les différences deviennent des « tremplins efficaces » pour les apprentissages (savoirs et savoir-faire). Mais cette caractéristique de « ressource » émerge de la situation et si elle est parfois reconnue par l’enseignante cette dernière ne cherche pas réellement à l’utiliser et ne mesure pas toute son ampleur.

Vers une hétérogénéité autorégulée : Au terme de cette étude il nous semble que ce soit le rôle de « tuteur » qui ait permis de faire

passer la présence d’un élève « expert » du statut de contrainte à celui de ressource, aussi bien pour l’équité des apprentissages que pour la gestion efficace de la classe par l’enseignante. On serait passé progressivement d’une gestion de l’hétérogénéité fortement contrôlée par l’enseignante à une forme d’auto régulation par les élèves dont l’activité d’Alexandre semble être la pièce centrale. Ces conclusions viennent compléter les travaux de Plety (1996) sur le tutorat qui visaient à déterminer si de telles pratiques situées à l’articulation de l’acte d’enseigner et de celui d’apprendre pouvaient être érigées en méthode d’enseignement. Ce « learning through teaching » (Gartner, Kohler et Riessman, 1971-1973) se réfère aux dispositifs de guidage, d’entraide et de tutorat qui se mettent en place sur initiative des enseignants considérant que la capacité à apprendre est corrélative de celle d’expliquer, d’enseigner. Notre étude révèle que l’activité d’un élève « expert » au sein d’une classe est particulièrement propice à l’adoption de tels dispositifs qui pourraient être une réponse intéressante et efficace à la question de l’hétérogénéité. L’enseignante reconnait d’ailleurs : « finalement c’est vrai que je me repose un peu sur (rigole) les interventions d’Alexandre » (ESD). Encore faut-il que les enseignants acceptent de reconnaître, d’exploiter et de guider le potentiel « didactique » de ces élèves particuliers.

CONCLUSION Notre étude a mis en évidence un rôle tout à fait étonnant de « tuteur », exprimant un

« modus vivendi » (Allen 1986) particulier et que nous interprétons comme l’aboutissement de l’intégration et de l’adaptation d’un élève « expert » au sein d’une communauté de pratique « scolaire ». Plus généralement elle conforte l’idée selon laquelle l’enseignant ne détermine pas à lui seul les activités prenant scène au sein de sa classe : une partie d’entre elles lui échappe même

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s’il contribue à leur émergence. Aussi il apparaît que l’activité des élèves peut se coordonner de façon relativement autonome, conférant à un contexte de forte hétérogénéité une efficacité intéressante à investiguer pour les enseignants.

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Analyse de l’activité des enseignants experts en cours d’EPS : une approche sociale, située et communicationnelle des émotions

Jérôme VISIOLI, UFR-STAPS, Université de Rennes 2, PAEDI Clermont-Ferrand Jean TROHEL, UFR-STAPS, Université de Rennes 2, CREAD Rennes

Luc RIA, IUFM Clermont-Ferrand, PAEDI Clermont-Ferrand

Introduction La question de l’efficacité en éducation est souvent posée en terme d’expertise

professionnelle. En effet, à partir de travaux généraux menés sur l’expertise humaine en psychologie cognitive (Chi, Glaser et Farr, 1988 ; Ericsson, Charness, Feltovitch et Hoffman, 2006), la notion d’expertise a envahi l’univers éducatif (Lenoir, 2004 ; Tochon, 2004). Il est possible d’expliquer cet intérêt en faisant référence à plusieurs postulats (Durand, 1996) : d’une part, les enseignants ont une influence sur la « productivité » du système éducatif ; d’autre part, il existe des différences entre enseignants ou enseignements telles que les uns sont plus efficaces que les autres : il existe un « effet enseignant », ou autrement dit, au moins dans une certaine mesure, « l’enseignant fait la différence ». Cette étude tente justement de rendre compte (et de discuter) de l’intelligibilité des processus et mécanismes susceptibles de favoriser ou non, en situation, l’efficacité de l’éducation. Nous envisagerons cette dernière dans une perspective large et complexe, c’est à dire intégrant en plus de l’apprentissage et du progrès des élèves, le respect de l’équité et la prise en compte de l’hétérogénéité des élèves, ou encore le plaisir ressenti par les différents acteurs de la situation d’enseignement.

Plus précisément, une récente revue de littérature concernant l’activité d’enseignement de l’Education Physique (Visioli et Ria, soumis) met en évidence des déplacements dans la catégorisation de l’expertise, d’une centration sur l’efficacité comportementale à une focalisation sur l’efficacité cognitive, puis vers un intérêt grandissant pour l’activité située et une rationalité plus diffuse. Il nous semble en particulier que les efforts classiques de définition de l’expertise en enseignement ne rendent pas compte d’une dimension à la fois remarquable, voire même marquante pour un observateur (un élève), mais souvent « passée sous silence » car difficilement objectivable de manière scientifique : la présence, le charisme, la persuasion, l’art de convaincre ou d’enrôler, etc. Cette dimension non rationnelle, se traduisant par des comportements souvent intuitifs et fortement émotionnels, semble constituer une des conditions indispensables au travail en classe et au progrès des élèves (Tochon, 1993), comme si la composante affective ou émotionnelle des registres d’intervention participait de manière non négligeable à l’efficacité de l’enseignement. C’est également l’idée soulevée par Cyrulnik (2004) : « certains professeurs ont une maîtrise affective qui s’exprime par leur comportement avant même de parler, contrairement à d’autres qui n’ont pas acquis au cours de leur développement cette maîtrise et qui souffrent beaucoup à l’école » (p. 26).

Nous pensons que si l’idée d’expertise articule recherche d’efficacité et d’équité en éducation, c’est principalement en lien avec la question des capacités d’empathie de l’enseignant. En effet, selon Berthoz et Jorland (2004), « être empathique, c’est percevoir le cadre de référence interne d’autrui aussi précisément que possible, avec les composants émotionnels et les significations qui lui appartiennent » (p. 35). Et cette compétence semble nécessaire afin de comprendre et d’accepter en situation les émotions des élèves, de faciliter le dialogue émotionnel au sein de la classe, de cultiver les émotions pour offrir de la reconnaissance à tous les élèves et développer leur estime de soi : autant d’éléments cruciaux dans la perspective d’une recherche d’efficacité et d’équité en éducation. Pourtant, si les travaux en sciences de l’éducation soulignent que l’expertise professionnelle des enseignants ne se réduit pas à sa rationalité, le rôle des émotions dans cette expertise n’est que rarement évoqué. Perrenoud (1996) affirme que l’enseignement est affaire de séduction, mais que cette séduction est souvent niée, parce qu’elle se heurte à un double tabou : d’une part tout ce que le mot et l’idée évoquent dans le registre du désir et de la culpabilité ; d’autre part le refus idéaliste de toute manipulation.

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Cette faible prise en compte de la composante émotionnelle de l’expertise en enseignement contraste avec la recrudescence actuelle des travaux sur les émotions dans des disciplines scientifiques aussi diversifiées que la neurobiologie (Damasio, 1995), la psychologie cognitive (Lazarus, 1991), la philosophie (Scherer, Schorr et Johnstone, 2001), etc... Dans la littérature internationale, plusieurs auteurs défendent l’idée que l’enseignement est un travail émotionnel, et que des recherches sur cette dimension sont nécessaires afin de comprendre et d’améliorer une activité professionnelle souvent stressante, menant parfois au "burn-out" (stade ultime du stress ou épuisement professionnel). Par exemple, dans une perspective cognitiviste, Sutton (2004) s’intéresse aux stratégies de fixation de buts et/ou de coping utilisées par les enseignants afin de réguler leurs émotions et de gérer le stress. Zembylas (2007) pose pour sa part la question des connaissances émotionnelles (« emotionnal knowledge »), c’est à dire les connaissances qu’un enseignant a de ses expériences émotionnelles en relation avec celles des autres (élèves, collègues, etc.) et le contexte social et politique dans lequel il intervient.

A ce jour, l’analyse de la dimension affective des enseignants d’Education Physique a été l’objet de peu de recherches, comparativement aux dimensions comportementales et cognitives. Dans le champ des STAPS, les travaux de (Ria, Saury, Sève et Durand, 2001) ont décrit l’expérience d’enseignants d’EPS débutants, en soulignant notamment l’intensité, la dynamique et le rôle des émotions dans leur action quotidienne. Les résultats mettent en évidence que l’une des préoccupations principales des enseignants débutants est de contrôler l’expression de leurs émotions dans le face à face avec les élèves. Les récits sur les débuts professionnels font très souvent allusion au monde théâtral : « entrer dans la peau d’un prof », entrer sur scène avec le trac, faire face à un public, jouer des rôles, simuler des attitudes ostentatoires, se relâcher à l’entracte… Ils évoquent l’angoisse, la peur, la fatigue, l’épuisement liés à leurs premiers face à face. Nous faisons l’hypothèse que progressivement, les enseignants arrivent à se mettre en scène face aux élèves et font un usage plus varié des émotions qui participe pleinement de la recherche d’efficacité et d’équité. A ce titre, l’objet de cette étude est de décrire et d’analyser le rôle des émotions dans l’activité des enseignants experts en Education Physique.

Cadre théorique Alors que la plupart des théories actuelles de l’émotion continuent à se fonder sur un

présupposé commun, c’est à dire celui d’une différence de nature entre la cognition, l’émotion et l’action, notre recherche s’inscrit dans le cadre d’une « entrée activité » (Durand et Barbier, 2003) s’appuyant au contraire sur une conception holistique de l’activité qui énonce une indissociabilité de l’action et de la cognition (Varela, 1989), de l’action et de la perception (Berthoz, 1997), de l’action et des émotions (Damasio, 1995). Il s’agit alors d’étudier les émotions comme contenus de signification, comme composantes de l’activité, de l’expérience humaine en même temps que les autres composantes, sans les isoler alors que la plupart des protocoles de recherches ont tendance à le faire. C’est pourquoi nous avons choisi le cadre théorique et méthodologique du cours d’action (Theureau, 2006) qui a déjà été utilisé pour l’analyse de l’activité des enseignants d’EPS et de leurs émotions (Ria et al., 2001). Nous tentons cependant de l’articuler de manière complémentaire avec les travaux sur la communication non verbale.

En effet, nous nous intéressons particulièrement à l’idée d’une perspective sociale, située et communicationnelle des émotions. Selon Dumouchel (1999), les émotions sont à comprendre comme des moments particuliers, saillants, d’un processus continu, incessant, permanent d’échanges inter individuels. En classe par exemple, élèves et enseignants sont en interaction au sein d’un processus de coordination dont émergent plaisir et déplaisir. L’émotion est donc pensée comme un phénomène relationnel. Lipiansky (1998) propose également de développer une conception communicationnelle de l’émotion en tentant de comprendre comment la communication suscite des émotions et comment les émotions nourrissent la communication. Pour cet auteur, l’expression de soi mêle étroitement parole, corps, langage, gestes, mimiques, postures, voix, qui traduisent tout particulièrement les états émotionnels du sujet. L’expression des émotions a donc

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une fonction de communication, ou autrement dit, l’expression affective est signe et peut induire des transformations chez autrui (Livet, 2002).

Nous pensons dès lors que les travaux concernant la « nouvelle communication » (Winkin, 1986), et en particulier ceux concernant la proxémie (Hall, 1973) peuvent être un complément à l’analyse du cours d’action des enseignants experts en Education Physique, puisque la gestualité (expressions corporelles, expressions du regard et du visage), les approches posturales (position du corps et déplacements) les contacts physiques, la proximité physique (les distances interindividuelles, l’utilisation de l’espace) conditionnent pour partie l’expression émotionnelle : « C’est naturellement dans le domaine de la relation affective et de l’évaluation, elle aussi si lourdement chargée d’affectivité même quand elle se veut objective, que les comportements communicatifs non verbaux vont intervenir de la façon la plus décisive, puisque les attitudes et les émotions sont leur domaine privilégié » (De Landsheere et Delchambre, 1979, p. 72).

Cadre méthodologique

Les participants Nous avons observé neuf leçons d’Éducation Physique et Sportive se déroulant dans des

établissements secondaires de la région Bretonne (collège et lycée) pendant les années scolaires 2006/2007 et 2007/2008. La durée de ces leçons était de 90 à 120 minutes. Les participants à cette recherche étaient cinq enseignants que nous considérons comme des experts à partir de la définition classique proposée par Tochon (1993) sur la base d’une liste de critères hétérogènes, et d’un ensemble de précautions méthodologiques consistant à croiser ces différents critères : (a) la réussite des élèves : leurs résultats à des tests standardisés ; (b) l’expérience professionnelle : le nombre d’années de pratique de l’enseignant ; (c) la connaissance didactique : le niveau académique dans la discipline ; (d) la connaissance pédagogique : le niveau du concours de recrutement en tant qu’enseignant ; (e) la pratique réflexive : la participation à des « recherches - action » ou des innovations pédagogiques ; (f) la reconnaissance sociale de l’expertise : la notoriété et la recommandation par les pairs. A l’exception de l’un d’entre eux, chaque enseignant a été observé au cours de deux leçons : l’une en tant que « spécialiste de l’APSA », l’autre en tant que « non spécialiste de l’APSA ». L’idée sous-jacente à ce choix était de pouvoir discuter de l’idée avancée par Ubaldi (2006) : « La réhabilitation de l’affectivité, du relationnel, n’est possible que dans un contexte ou les visées d’apprentissage dominent et président au projet du professeur » (p. 145).

Recueil des matériaux empiriques En ce qui concerne le recueil des matériaux, la spécificité de notre observatoire, par rapport

aux entretiens d’auto confrontation (EAC) classiquement réalisés dans le cadre des recherches sur le cours d’action (Theureau, 2006), repose essentiellement sur l’effort de documentation des émotions. L’accès aux émotions éprouvées en première personne est favorisé par la présentation a posteriori de traces vidéo de l’activité et par les relances d’un chercheur incitant l’acteur à décrire son expérience. Cependant, l’évocation des émotions pose problème, et nous avons intégré en complément une échelle d'auto estimation du « Plaisir / Déplaisir » (EDP) perçu, inspirée des travaux en ergonomie concernant l'analyse du stress au travail. Notre échelle de « Plaisir / Déplaisir » est constituée de dix points : de -5 (Très déplaisant) à +5 (Très plaisant). Elle était présentée sur une feuille selon trois rubriques: « Temps de la leçon de minute en minute »; « Plaisir – Déplaisir »; « Observations éventuelles ». Elle constitue à la fois un instrument de mesure et une aide pour les acteurs lors de l’explicitation de leurs émotions. En effet, des acteurs préfèrent parfois pointer globalement une intensité sur une échelle unidimensionnelle plutôt que de mettre en mots la complexité des sentiments éprouvés.

Par ailleurs, le chercheur lors de l’entretien peut adopter alternativement, selon Berthoz et Jorland (2004), une posture « sympathique » (consistant à éprouver les émotions de l’autre sans se mettre nécessairement à sa place), et une « posture empathique » (consistant à se mettre à la place de l’autre sans forcément éprouver ses émotions). Il peut aussi se montrer plus récalcitrant pour

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« pousser » l’acteur à confirmer ou infirmer les interprétations effectuées d’un point de vue extérieur. En effet, s’il est proposé dans notre recherche d’accorder le primat au point de vue de l’acteur pour rendre compte de ce qu’il éprouve ou a éprouvé, en décrivant les impressions, les sensations constituant le flux ininterrompu de sa vie affective, il s’agit du primat mais non de l’exclusivité, dans la mesure où un observateur peut parfois inférer des comportements d’autrui ses émotions.

En résumé, la documentation des émotions s’effectue à partir d’une explicitation qualitative et d’une évaluation quantitative sur une échelle permettant d’apprécier l’intensité et donc le flux des phénomènes éprouvés. Elle se fait ainsi à partir de trois artefacts : a) un artéfact du vécu de l’acteur (la trace vidéo de l’activité passée favorisant la ré-émergence des phénomènes émotionnels), b) un artefact humain (le chercheur) favorisant par une attitude sympathique, empathique mais aussi parfois récalcitrante leur narration discursive et c) un artefact matériel (l’échelle EPD) mesurant leur intensité.

Il est important de préciser que notre observatoire limite son champ d’investigation au niveau significatif et exprimable a posteriori des émotions éprouvées par un acteur moyennant des conditions favorables de recueil. Ce niveau particulier ne prétend pas rendre compte de l’ensemble des niveaux d’organisation des émotions au sein de l’activité humaine (en rapport aux niveaux biologique, cognitif voire psychanalytique). Il permet une description symbolique acceptable de la dynamique des émotions significatives du point de vue de l’acteur en fonction de l’évolution de sa situation. Ce niveau des émotions significatives pour l’acteur et explicitées a posteriori par ce dernier de façon plus ou moins symbolisée peut produire des éléments de connaissance sur leur rôle dans le domaine spécifique étudié, et plus généralement pour l’étude de l’activité humaine.

Construction des données du cours d’action En ce qui concerne la construction des données, notre observatoire reprend les différentes

étapes classiques du traitement des données dans le cadre des recherches sur le cours d’action (Theureau, 2006) : (a) la construction de protocoles à deux volets présentant la description des comportements et des verbalisations des enseignants et des élèves ; (b) la construction d'un récit réduit à partir du découpage de l'expérience des enseignants en Unités élémentaires ; (c) l'analyse locale d'épisodes de leur expérience documentée par les six composantes des signes hexadiques ; (d) l'analyse globale du cours d'expérience. Par contre, nous réalisons de manière complémentaire un travail plus spécifique d’analyse des communications non verbales afin de documenter l’expression des émotions. Il s’agit en particulier de réaliser un découpage photographique de certains épisodes de classe à partir d’une analyse vidéo « à la sourde » (Forest, 2006), c’est à dire en coupant le son, afin de permettre une comparaison entre « ce qui est vécu » et « ce qui est montré ». Nous réalisons également un travail de schématisation de l’espace afin d’étudier les relations proxémiques entre les enseignants et les élèves et de tenter de documenter des « configurations émotionnelles ».

Résultats et discussion L’analyse de l’activité des enseignants experts en Education Physique, avec une focale

particulière sur le rôle des émotions, a permis de mettre en évidence plusieurs résultats qui intéressent la recherche d’efficacité et d’équité en éducation : (1) une stabilisation de la dynamique des expériences émotionnelles en lien avec une capacité de distanciation par rapport à ce qui se joue en classe ; (2) le rôle des émotions comme guides de l’activité des enseignants experts au cœur des interactions avec les élèves ; (3) le rôle des émotions comme artefacts à des fins pédagogiques, principalement en lien avec l’exploitation de gestes professionnels, des espaces et des objets du cours d’EPS, ou encore de procédures d’évaluations ; (4) l’effort pour proposer des interventions empathiques prenant en compte la singularité de chaque élève de la classe ; (5) une dynamique émotionnelle collective de laquelle émerge des moments d’expertise ne dépendant que partiellement de l’activité de l’enseignant.

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1) Une stabilisation des émotions L’analyse de la dynamique des expériences émotionnelles des enseignants experts qui ont

participé à cette étude met en évidence une stabilisation affective, contrastant avec les variations importantes observées dans le cas des enseignants débutants soumis à une très forte indétermination (Ria et al., 2001). En effet, si l’on se réfère aux courbes obtenues à l’aide de l’échelle d’auto évaluation « Plaisir / Déplaisir », la tonalité émotionnelle n’atteint jamais les extrêmes (-5 ou +5), et les oscillations rendent compte d’une dynamique émotionnelle fortement pondérée. Par exemple, dans une des études de cas, la tonalité émotionnelle de l’expérience de l’enseignante est plutôt négative, en lien avec le faible engagement de ses élèves, mais elle fait en sorte de prendre de la distance : « au feeling, je suis à zéro, c’est à dire que ce n’est pas totalement désagréable, mais c’est vraiment pas du plaisir. C’est un truc neutre, il ne se passe rien, avec des petits moments ou elles me gonflent un peu, mais je pense que l’expérience me permet de mettre suffisamment de distance pour ne pas me laisser embarquer » (EAC Fabienne). En fait, pour ces enseignants, le cours d’EPS est devenu progressivement un « micro-monde » familier (Varela, 2004), c’est à dire un ensemble de situations typiques construites sur la base de significations et d’émotions récurrentes, au sein desquelles l’acteur mobilise des savoir faire implicites, des dispositions à agir la plupart du temps transparentes. Cette capacité à jouer avec les « cadres de l’expérience » (Goffman, 1991 permettant de prendre du recul et de rester relativement lucide malgré l’urgence et l’incertitude de la situation de classe est susceptible selon nous de participer de l’efficacité et de l’équité au cœur de la classe.

2) Les émotions comme guides sensibles Nos résultats soulignent le rôle des émotions comme processus complexes et permanents

d’adaptation à l’environnement. Plus précisément, l’action des enseignants est guidée par ces signaux sensibles permettant de percevoir et d’agir en classe. Par exemple, dans une des études de cas, l’enseignant ressent « une ambiance électrique » dès la prise en main des élèves dans la cour, puis sur le trajet menant aux installations sportives. Pendant les regroupements, cette évaluation est en lien avec une préoccupation essentielle à ses yeux : « je veux arriver à cet état ou je peux prendre la parole dans un climat ou je pense que les élèves peuvent m’écouter. C’est à dire pour moi c’est le silence, avec des gamins qui sont quand même attentifs, ils ont un regard vers moi » (EAC Pierre). Cette perception est souvent plus globale que ciblée sur des indicateurs précis : « Surtout que là je sens, tu vois là je sens que le message est dur à passer ; Là pour l’instant, je sens la classe, je la sens pas dedans quoi. Je sens que ça va être dur » (EAC Pierre). Les enseignants experts perçoivent des ambiances de classe sur des indices ténus : des regards, des mimiques, les indices précurseurs d’une agitation potentielle ou d’une situation pouvant devenir problématique. L’action s’appuie alors sur une évaluation largement implicite des événements en fonction de ses intérêts personnels, de la signification allouée en termes de bien-être ou de mal-être (Scherer et al., 2001). Dans cette perspective, l’efficacité et l’équité en enseignement repose pour partie sur le développement de cette évaluation sensible ou empathie (Berthoz et Jorland, 2004) à l’égard des personnes et/ou des situations afin de comprendre ce qui se trame dans la situation scolaire rencontrée et d’agir de manière adaptée.

3) Les émotions comme artefacts à des fins éducatives Nos résultats montrent que les enseignants experts développent une activité de mise en scène

(Goffman, 1973) visant à obtenir des « impacts émotionnels » sur leurs élèves (attirer l’attention, motiver, susciter des révisions des préférences). Autrement dit, ils mobilisent la dimension expressive de leurs gestes professionnels afin de réprimer, inhiber, atténuer les émotions des élèves, mais aussi pour faire diversion. Ils simulent de fausses colères, font de l’humour pour changer le climat de classe, se montrent agacés alors qu’ils éprouvent des sentiments inverses. Par exemple, dans une des études de cas, un enseignant joue au « prof mécontent » afin de recadrer les élèves dès le début du cours. Marquant le moment par le maintien immobile d’une posture ainsi que de longs moments de silences, il liste les « effractions » des élèves constatées sur le trajet menant du collège

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à la salle de sport avec un ton ferme et posé : « Là, je veux leur montrer tout de suite que j’ai tout vu. Et aussi que je ne suis pas content. En fait, je me sers de ce qui s’est passé sur le trajet pour pouvoir les recadrer pour la séance. Mais surtout leur montrer que je suis attentif à tout ce qu’ils font » (EAC Patrice). Il joue avec l’expression de ses émotions car la tonalité émotionnelle de son expérience est plutôt positive (+2 / EPD) : « Non, je ne suis pas du tout énervé, c’est plutôt comme un jeu… Bon je suis pas très content quand même de ce qui s’est passé. Mais en fait, c’est plutôt amusant » (EAC Patrice). Pour théâtraliser son intervention, cet enseignant explique qu’il doit « réussir à exprimer des émotions tout en étant calme à l’intérieur » (EAC Patrice).

Par rapport à l’effort des débutants pour donner l’illusion de contrôler les élèves en dissimulant leurs émotions, les experts exploitent donc une plus large palette d’émotions pour obtenir des impacts variés sur les élèves. En fonction du contexte, ils peuvent instantanément passer d’un rôle d’enseignant « rationnel » dégageant une impression de calme et de contrôle, à un rôle d’enseignant « charismatique » mettant en scène ses émotions afin de toucher les élèves. Les émotions peuvent dès lors être envisagées comme des artefacts pédagogiques, c’est à dire des fabrications par l’homme à des fins particulières, des ressources pour enseigner, pour faire évoluer les valeurs et les préférences des élèves : l’expression d’une émotion traduit une interprétation de la situation, et elle affecte les autres protagonistes en présence (Livet, 2002). Les émotions ne sont donc pas de simples épiphénomènes lors des cours d’EPS : elles constituent les ressorts intimes de la pédagogie et sont des composantes essentielles du projet éducatif (Durand, 2000).

4) Des interventions empathiques L’activité des enseignants experts se caractérise également par des interventions

individualisées en fonction de la singularité de chacun de ses élèves, et une prise en compte de la complexité du contexte (histoires de classe, histoires de vie…). Par exemple, dans une étude de cas, un enseignant doit gérer le cas d’un élève qui refuse de s’engager : « bon Hakim, je le connais depuis l’année dernière. Derrière, il y a toute une histoire… Ce discours là, il est récurrent, parce que j’ai quand même beaucoup d’élèves qui sont sur ce fonctionnement. On est dans la négociation. Si tu te braques avec lui, c’est fini. D’ailleurs, il me respecte aussi pour ça » (EAC Pierre). Cette idée de respect en classe, entre l’enseignant et la classe, mais aussi entre les élèves, est quelque chose qui structure l’activité professionnelle de cet enseignant. Il sait que les élèves de son collège sont souvent issus de classes sociales défavorisées, et qu’il se doit de donner l’exemple : « c’est là que tu vois que les élèves ont vraiment besoin d’être accompagnés. Là la présence du prof, au niveau affectif, elle est constante, elle est permanente, parce que les gamins sont demandeurs » (EAC Pierre).

Etre un enseignant efficace et équitable, c’est aussi accepter de jouer le rôle de tuteur de résilience (Cyrulnik, 2004), c’est à dire d’offrir la possibilité de « rencontres structurantes » permettant à un élève de résister, surmonter, dépasser ses difficultés voire ses traumatismes. Il s’agit de faire preuve d’empathie, c’est à dire d’une capacité à ressentir les émotions des autres, à les communiquer ou encore à y réagir de manière appropriée. Principalement non verbale, l’empathie repose sur les propriétés de mimétisme et de résonance motrice qui chez l’homme, expliquent la contagion émotionnelle et les phénomènes de facilitation sociale (Berthoz et Jorland, 2005). Ce point est d’autant plus important que le cours d’Education Physique est un lieu riche de ressenti et d’expression des émotions, tant positives que négatives, et ce aussi bien pour les enseignants que pour les élèves : les acteurs du cours d’EPS sont en interaction par l’intermédiaire de phénomènes de propagation émotionnelle, et ce dialogue est fondamentalement corporel : « à cet égard, l’EP offre sans doute les opportunités les plus tranchées et directes d’épanouissement de ces dialogues corporels et d’émotions incarnées » (Durand, 2000, p. 52).

5) Une expertise située Nos résultats nous amènent à discuter l’idée selon laquelle l’efficacité de l’enseignement

serait essentiellement dépendante de dispositions de l’enseignant d’une part, et/ou de sa connaissance didactique des contenus à enseigner d’autre part. En effet, la comparaison des leçons

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réalisées par le même enseignant rend compte de l’extrême variabilité de l’activité d’enseignement d’un contexte à l’autre. De plus, les leçons réalisées en tant que « spécialiste de l’APSA » ne rendent pas systématiquement compte d’une plus grande « efficacité » que les leçons réalisées en tant que « non spécialiste de l’APSA ». Loin de nous l’idée de nier l’importance d’une maîtrise des savoirs à enseigner, mais force est de constater que l’influence de l’ambiance du groupe classe semble un élément encore plus déterminant au regard de l’activité de l’enseignant. Ainsi, nos résultats confirment les travaux de Saury et Durand (1998) concernant l’action d’un entraîneur expert en voile en situation de compétition, qui insistent sur le fait que l’expertise dépend fondamentalement du contexte (entre autre collectif) et fluctue dans le temps. En ce sens, notre recherche s’inscrit dans le prolongement de l’intuition de Tochon (1993) privilégiant l’hypothèse de « moments d’expertise ». Ce point de vue invite à considérer l’expertise comme une propriété des situations (on pourrait à ce titre parler de « situations expertes »), et non comme étant liée aux seules compétences de l’enseignant. Si le rôle de l’enseignant reste essentiel pour aider à l’émergence de « l’expertise des situations », celle-ci est fondamentalement produite par la dynamique globale collective de ces situations. Ainsi, l’expertise enseignante ne se suffit pas de contenus, elle se fonde dans la relation, et dès lors, la capacité de relation socio-affective est une piste à creuser (Tochon, 1993).Conclusion : impacts sur la formation

Nos résultats montrent l’importance (1) de la description et de l’analyse de cette dimension cachée de l’expertise ; (2) de s’intéresser à la mise en évidence complémentaire de typicalités et de singularités afin de rendre compte des dimensions originales, créatives et innovantes de l’activité des enseignants experts.

Emotions et Formation Une des particularités de l’activité en classe des enseignants réside dans l’intervention sur

les émotions des élèves pour favoriser une dynamique collective positive, alors qu’ils sont eux-mêmes en situation d’en ressentir : ce n’est sans doute pas là la composante la plus simple de leur travail. D’autant que la mobilisation de ce registre émotionnel n’est qu’un moyen pour atteindre des objectifs d’apprentissage, d’éducation, d’efficacité et d’équité. Pourtant, Cyrulnik (2004) insiste sur la faible prise en compte de l’affectivité en formation : « L’affectivité aujourd’hui est combattue par beaucoup d’enseignants et même dans les IUFM, on apprend aux professeurs à ne pas avoir de relation affective avec les enfants ».. Si cette position est peut-être trop caricaturale, force est de constater que les résistances sont nombreuses. Pour Ubaldi (2006), si la question de l’affectivité n’a pas toujours été placée au cœur des préoccupations prioritaires des pratiques enseignantes et de la formation, c’est au moins pour deux raisons : (1) l’affectif fait peur : la question de la limite se pose profondément dès lors qu’il s’agit de relationnel et, entre la dérive possible de la séduction et celle de la démagogie, beaucoup d’enseignants ont préféré se réfugier dans la neutralité et minorer cette question ; (2) le chantier de rénovation des pratiques était tel que l’angle d’attaque affectif, relationnel, aurait pu avoir un côté masquant et empêcher encore une fois les enseignants de s’interroger enfin sur ce qui s’apprend en EPS. Selon ces auteurs, cette question de l’affectivité peut favoriser l’immobilité dans l’enseignement, dans le sens ou le professeur ne doit pas être un séducteur démagogue qui remplacerait son absence de compétences professionnelles par un surinvestissement affectif et relationnel. Cependant, les résultats de notre recherche conduisent à poser ce pôle relationnel comme une dimension incontournable de l’efficacité de l’enseignement. Selon Varela (1999), la question des émotions constituera une voie centrale du progrès de la psychologie scientifique dans les prochaines décennies : « L’une des découvertes les plus frappantes de ces dernières années a été de comprendre que l’affect ou l’émotion sont à la base de ce que nous faisons chaque jour en étant aux prises avec le monde, que la raison ou le raisonnement sont presque comme la cerise sur le gâteau ». Dès lors, il nous semble crucial de penser la formation sans oublier cette part sensible de l’humain. C’est tout l’intérêt d’une approche « orientée activité » (Durand, De Saint-Georges et Meuwly-Bonte, 2006) dans laquelle nous nous inscrivons, et qui propose d’articuler des expériences de mise en scène de soi (Goffman, 1973) face aux élèves avec des temps d’analyse sur la base d’entretiens d’auto confrontation de sa pratique.

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Expertise et FormationDans un ouvrage récent, Crahay (2007) questionne l’école et centre le débat sur la conception d’un enseignement à la fois plus juste et plus efficace. Cependant, la question de la pertinence d’une analyse de l’expertise des enseignants en terme d’efficacité reste posée dans la littérature scientifique : pour Tochon (2004) par exemple, cette conception de l’expertise a ses dérives, qui vont de la connotation élitiste à l’illusion d’ingénierie : le risque de cette perspective centrée sur l’efficacité de l’enseignant serait alors de perdre la substance de l’expertise en se focalisant essentiellement sur le contrôle et l’uniformité, alors que celle-ci serait par définition autonome, créative et originale. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’une recherche qui s’intéresse à la mise en évidence complémentaire de typicalités et de singularités. En ce sens, nous sommes sensibles à l’idée que ce serait davantage la capacité à produire, à partir de routines professionnelles déjà développées, des pratiques innovantes qui définirait l’expertise (Terret, 2005). En allant au bout du raisonnement, être innovant revient à abandonner ce qui marche, à prendre le risque de changer pour un mieux, en refusant le confort de routines professionnellement ayant fait leurs preuves. Dès lors, en formation, s’agit-il de développer des routines « expertes » ou des personnels ouverts au changement ? Une voie moyenne serait de considérer que l’expertise d’un enseignant se caractérise en premier lieu par son potentiel d’adaptation et d’innovation en situation professionnelle.

Enfin, s’il nous semble nécessaire d’articuler en formation la référence à l’activité des enseignants novices et celle relative à l’activité experte, il est fondamental d’avoir à l’esprit que si cette dernière peut être mobilisée comme une ressource possible, pour tenter par exemple de résoudre les situations professionnelles problématiques, son usage par les débutants dépendra de sa compatibilité avec leurs dispositions actuelles à agir.

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Recherche et Formation, 42, 99-117.

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Analyse de l’activité d’enseignants d’EPS dans le cadre de l’évaluation de fin de cycle : une illustration en gymnastique sportive

Annick DURNY, UFR-STAPS, Université de Rennes 2, CREAD Rennes Cette présentation se donne pour objet de répondre à la question suivante : comment

l’enseignant évalue une performance gymnique dans le contexte dynamique d’une leçon d’EPS de fin de cycle ?

LLee ppoossii ttiioonnnneemmeenntt ddee cceettttee qquueessttiioonn ddaannss uunnee ppeerrssppeeccttiivvee dd’’ eerrggoonnoommiiee ccooggnnii ttiivvee ssii ttuuééee,, nnoouuss aammèènnee àà ppoouurrssuuiivvrree lleess ddeeuuxx vviissééeess eexxppoossééeess ddaannss llee tteexxttee ddee ccaaddrraaggee ddee ccee ssyymmppoossiiuumm ::

- une visée épistémique d’analyse de l’activité effective d’évaluation en situation de classe (et non uniquement le raisonnement mathématique très souvent étudié dans des situations expérimentales) en réponse à la question : comment fait l’enseignant pour noter un élève en EPS ?

- une visée transformative avec comme objectif principal d’identifier des axes de réflexion pour évaluer la pertinence des outils de l’évaluation, pour améliorer l’efficacité de l’intervention pédagogique des enseignants d’EPS et/ou pour proposer des dispositifs de formation.

Après avoir caractérisé le contexte de notre recherche en deux points (spécificité de l’enseignement de la gymnastique en EPS et réflexion sur l’activité d’évaluation de l’enseignant d’EPS), nous nous attarderons sur les questions relatives au cadre théorique. Ainsi, nous décrirons les axes préférentiels choisis par les enseignants d’EPS pour la mise en œuvre de leur évaluation de cycle de gymnastique puis, nous justifierons nos choix théoriques par l’énoncé des postulats de l’énaction ; postulats qui ont guidé nos choix méthodologiques ainsi que le mode de traitement des données empiriques. Les résultats sont présentés en deux points. Nous nous intéresserons d’une part, à la démarche mise en œuvre par les enseignants pour noter, qualifier les comportements des élèves puis nous décrirons la dynamique des préoccupations poursuivies par les enseignants au cours de cette activité d’évaluation. La discussion reviendra sur deux points également : la mise en relation entre l’activité d’évaluation et l’organisation de la classe au cours de l’évaluation et l’importance de l’histoire de la classe et de l’expérience de l’enseignant dans les arrangements évaluatifs en EPS.1. Le contexte de l’étude

1.1. L’enseignement de la gymnastique en EPS Dans le cadre de cette étude, nous retenons la gymnastique comme matière faisant l’objet

d’un enseignement en EPS. Il s’agit d’une activité sportive présente dans les programmes assignés à la discipline comme composante d’un groupe plus large d’activités qualifiées d’activités gymnique. Les activités gymniques sont des activités de production ou de reproduction de formes techniques corporelles classées en fonction de leur difficulté d’exécution et nommées dans un répertoire spécifique à la discipline appelé « code de pointage ».

L’objectif de cette pratique est d’amener les élèves à transformer leur motricité de terrien en fonction des situations inhabituelles qu’ils rencontrent sur les agrès gymniques. En effet, les contraintes liées aux dimensions de ces engins nécessitent le respect de principes moteurs très différents de ceux d’une motricité habituelle. Il s’agit alors de construire des postures et des positions essentielles à l’activité, de réaliser des éléments tirés du code de pointage ou de créer de nouveaux éléments et de les enchaîner avec une intention à la fois esthétique et acrobatique. Il s’agit aussi pour l’élève d’apprendre à observer son camarade, de le corriger ou de l’aider voire même de le juger.

La gymnastique est une activité sportive dont la complexité est reconnue par les enseignants d’EPS au point qu’elle provoque parfois des craintes lors de sa mise en œuvre sur l’ensemble d’un cycle d’enseignement. Cela renforce ainsi les distinctions marquées entre experts et non experts de cet enseignement.

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Organisation de la classe au cours de la leçon de gymnastique L’observation d’une séance de gymnastique en EPS indique une organisation complexe,

dynamique et parfois incompréhensive pour les non enseignants. En effet, on peut observer que les élèves sont dispersés sur différents espaces dans le gymnase (les ateliers ou les agrès) et dans ces espaces, sont occupés à différentes tâches (parer son camarade, lire le code ou réaliser des figures). L’enseignant se déplace d’ateliers en ateliers pour expliquer, corriger, transformer les dispositifs en fonction des comportements des élèves. Il arrive aussi qu’il se place sur l’atelier le plus risqué de manière à gérer la sécurité. Néanmoins, sa position lui permet généralement de toujours observer l’ensemble de la classe.

En fait, au cours de leçons de gymnastique, Gal-Petitfaux et Cizeron, (2000) ont montré que

trois formats d’organisation sont repérables : le regroupement en « face à face », les ateliers et la file indienne. Leurs travaux ont montré également que ces modes d’intervention de l’enseignant sont fortement indexés au format d’organisation de la classe. Le regroupement en face à face est une organisation dans laquelle l’enseignant, placé face aux élèves, explique ou démontre ce qu’il y a à faire ou donne les consignes d’échauffement. Les ateliers, dispersés dans l’ensemble du gymnase et organisés sous la forme d’un circuit sur lequel les élèves passent circulent en même temps est un mode d’organisation complexe pour la gestion de la sécurité. Quand il n’est pas possible de mettre en place un atelier par élèves, les enseignant regroupent les élèves sur des espaces spécifiques de travail (généralement un agrès ou plusieurs petits ateliers) ; les élèves attendent alors, l’un derrière l’autre, la possibilité de passer : c’est la file indienne.

Ce qui est à apprendre en gymnastique En adéquation avec les textes officiels en vigueur et le projet d’EPS de chaque

établissement, l’activité gymnique est souvent enseignée à tous les niveaux de classe mais sous des formes différentes : gymnastique aux agrès, gymnastique au sol, gymnastique acrobatique, mini-trampoline … Les programmes orientent les choix en terme d’objectifs de formation. Ainsi, il s’agit pour les élèves de 6ème et de 5ème de construire des repères spatio-temporels dans des actions inhabituelles, de construire des habiletés motrices spécifiques à l’activité et de construire une attitude gymnique liée à l’esthétique et à la sécurité ; et pour les élèves de 4ème et de 3ème de poursuivre l’éducation posturale, de coordonner des actions plus complexes dans le cadre de la réalisation d’un enchaînement de plusieurs habiletés spécifiques selon une démarche de création.

1.2. L’activité d’évaluation de l’enseignant Evaluer consiste à émettre un jugement de valeur, à estimer la valeur de quelque chose ou de

quelqu’un (Ardoino et Berger cité par Brau-Anthony et Cleuziou, 2005). De fait, estimer ou apprécier la valeur d’un objet ou d’une personne suppose d’attribuer de l’importance à certains traits particuliers que l’on souhaite valoriser. Ainsi, l’évaluation, en tant que jugement de valeur est toujours plus ou moins construite en fonction d’un système de référence. Toute activité d’évaluation en EPS consiste à mettre en rapport ce qui existe et ce qui est attendu : le comportement de l’élève tel qu’il est dans l’ici et maintenant et celui que souhaite voire apparaître l’enseignant (Brau-Antony et Cleuziou, 2005).

On parlera ainsi d’activité d’évaluation pour désigner l’activité réalisée dans toutes les situations dans lesquelles un acteur (l’enseignant dans notre cas) est amené à réaliser un diagnostic sur un comportement (celui de l’élève) qui aboutit à une note, une décision voire à une régulation. Cette évaluation repose sur des processus cognitifs de comparaison entre ce qui est observé et ce que l’on souhaite observer en fonction des critères retenus. Selon Hadji (1997), l’évaluation est donc l’acte par lequel on formule un jugement de valeur portant sur un objet déterminé (individu, situation, action, projet …) au moyen d’une confrontation entre deux séries de données qui sont mises en rapport :

- des données qui sont de l’ordre du fait et qui concernent l’objet à évaluer

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- des données qui sont de l’ordre de l’idéal et qui concernent des attentes, des intentions ou des projets s’appliquant au même objet.

Ainsi, l’activité d’évaluation est à définir comme une activité de mise en rapport entre un référent et un référé. Le référent désigne ce à partir de quoi on peut porter un jugement de valeur. Son élaboration mobilise une représentation normée, un ensemble de repères qui vont aider l’évaluateur à affiner son jugement. Le référent est donc proche du critère, il peut être assimilé à la cible ou à l’objectif à atteindre. Le référé s’apparente à des informations que l’on va prélever dans une situation concrète et qui vont témoigner de la présence de ces critères. C’est donc ce à partir de quoi le jugement est porté. Il s’agit donc des indices que l’évaluateur va saisir sur la réalité observée.

Critères ou normes d’évaluation sont obligatoirement présents dans tout système d’évaluation mais la difficulté de l’évaluation est d’articuler indicateurs prélevés dans la situation et critères. On doit nécessairement se poser la question de savoir si l’indicateur choisi renvoie bien au critère ou à la cible à atteindre. Par exemple, en gymnastique est-ce que l’indicateur « réception sur les pieds bras aux oreilles » correspond au critère impulsion bras efficace lors de l’exécution du saut de main. L’indicateur est toujours le résultat d’un travail d’élaboration qui doit être représentatif de la réalité évaluée et être signifiant par rapport à une attente précise (Brau-Antony et Cleuziou, 2005). De plus, avoir des critères précis (le choix de ces critères est déjà parfois subjectif car lié à la spécificité de ce que l’on souhaite évaluer) n’est pas la garantie d’une évaluation pertinente.

2. Le cadre théorique

2.1. L’évaluation en gymnastique Deux critères sont généralement retenus pour l’évaluation en gymnastique : la difficulté et

l’exécution. Une bonne maîtrise gymnique s’illustre par la phrase suivante « faire difficile mais avec une impression de facilité ». Ainsi, les enseignants construisent généralement des fiches spécifiques qui leur permettent de définir ces deux critères avec précision. Ces fiches servent également de base de travail aux élèves au cours du cycle de gymnastique.

Les tableaux présentés ci-dessous sont des exemples d’outils utilisés par les enseignants dans le cadre de l’évaluation en gymnastique.

Le Tableau 1 est une fiche de travail, support d’évaluation pour des élèves de 6ème au sol. Chaque élément du parcours (ils sont 6) a une valeur particulière qui lui est attribuée lorsque l’enseignant reconnaît l’élément réalisé dans l’enchaînement. Cette « reconnaissance » repose sur le modèle idéal de réalisation des éléments gymniques. Les critères d’exécution (1 point par critères) sont donnés quand ils sont respectés par l’élève.

Ainsi, l’enseignant peut reconnaître la roulade arrière (3 points en difficulté) mais n’accorder que 2 points en exécution parce que la roulade n’a pas été réalisée dans l’axe.

Dans cet exemple, le total maximal est de 36 points ce qui correspond à une note de 16/20. Les éléments Valeurs Critères d’exécution

1. roulade arrière arrivée en contre bas

3 points - tête rentrée -respect de l’axe de déplacement - réception sur les pieds

2. saut vertical ½ tour 2 points - impulsion vers le haut

- alignement des segments pendant la rotation longitudinale - réception stabilisée

3. roue au sol

3 points - alternance des 4 appuis - respect du rythme - respect de l’alignement des segments (passage à l’ATR) - réception stabilisée

4. planche facial sur une jambe

2 points - jambe d’appui tendue - jambe libre tendue - alignement pied – bassin – épaules – tête - maintien de la posture 3 sec.

5. ATR tombé dos sur le tapis

3 points - alignement des segments à l’ATR - maintien de l’ATR 2sec.

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- tombé plat dos sur le tapis

6. Roulade avant en contre haut

3 points - appel deux jambes pour l’impulsion - tête rentrée - respect de l’axe de rotation

/16 points /20 points Tableau 1 : exemple de fiche d’évaluation du parcours 2 (noté sur 16 points) – 6ème

Le Tableau 2 présente une fiche d’évaluation au saut de cheval. Fautes techniques et

fautes de tenue Evaluation

ATELIER 1 : Sur la piste d'élan, course, puis impulsion sur un tremplin et saut extension, 1/2 tour, réception sur le tapis (4 points)

- A l'impulsion : non-alignement /écrasement/ corps cassé / corps relâché. - Phase aérienne : corps relâché/ non-alignement des segments. - Rotation incomplète ; - Réception: écrasement / pas supplémentaires.

- Petites fautes de tenue en phase aérienne : 3 pts. - Corps cassé à l'impulsion mais frappe dynamique et le reste correct : 2 pts. - Relâchement à l'impulsion et en phase aérienne puis à la réception : 1 pt.

ATELIER 2 : Sur des caisses, courses puis impulsion sur mini tramp, monter à l’ATR et tomber plat dos sur le tapis. (8 points)

- A l'impulsion : non-alignement /écrasement/ corps cassé / corps relâché. - Envol: pas d'élévation ni d'alignement / jambes fléchies ; - Phase d'appui : bras fléchis, pose de la tête ; - Pas de grandissement à l'ATR.

- Roulade avant au lieu de lune sur le tapis : 2pts. - 1er envol correct mais légère flexion de bras et/ou de jambes : 6 pts; - 1er envol correct mais pas d'alignement ou de tenue : 4pts - Corps cassé à l'impulsion et pendant l'envol : 3pts. - Grosses fautes et pose de la tête : 2pts.

ATELIER 3 : Sur des caisses, courses puis impulsion sur mini tramp, lune sur le cheval, ATR repousser avec impulsion devant le tapis et .réception plat dos sur le tapis. (10 points)

- Non-alignement des segments à la verticale ; - Absence de grandissement dans les épaules ; - Repousser par flexion de bras ; - Mauvaise tenue du corps ;

- Alignement des segments après la verticale sans impulsion de bras : 4 pts - Alignement des segments après la verticale mais impulsion de bras et tenue du corps correct : 6pts ; - Idem mais avec petites fautes de tenue : 8pts.

Tableau 2 : exemple de fiche d’évaluation au saut de cheval - 4ème

Les 3 ateliers présentés dans ce Tableau 2 ont des valeurs de difficulté différentes. Les

fautes caractéristiques que l’on peut observer sont notées (ce qui aide les élèves à les repérer en observant leurs camarades) et l’évaluation est construite en fonction de l’importance qu’accorde l’enseignant qui a construit ces fiches à ces fautes.

Ainsi, l’Atelier 1 vaut 4 points s’il est parfaitement réalisé. Il vaut 3 points si le corps est légèrement relâché et les jambes légèrement écartées. Il vaut 2 points si l’alignement du corps n’est pas respecté à l’impulsion. Il ne vaut qu’1 point si le corps est relâché dans toutes les phases de l’exercice.

2.2. Nos choix théoriques En nous appuyant sur le cadre théorique du cours d’action, nous adoptons par la même

occasion le point de vue de Varela (1989) lorsqu’il élabore le paradigme de l’autopoïèse des systèmes vivants ou de l’enaction. Pour Varela, la position cognitiviste est de penser que « le cerveau traite l’information venue du monde extérieur » (1989, p. 44). Cette affirmation amène à considérer que toute prise de décision présuppose la faculté de représenter certains aspects du monde réel et « que le traitement de l’information aboutit à une solution efficace du problème soumis au système » (p. 42). Un tel postulat signifie dans le cadre de l’évaluation qu’il suffit d’observer le comportement de l’élève à l’aide des critères retenus pour l’observation, puis de comparer les indices prélevés et ces critères pour en relever les écarts et les pénaliser. Or, tout enseignant, confronté à l’évaluation est conscient du décalage entre ce postulat et ce qu’il ressent lorsqu’il doit annoncer à l’élève qui pense avoir bien réussi une note désastreuse.

NNoouuss ppeennssoonnss eenn rrééfféérreennccee aauuxx ttrraavvaauuxx ddee VVaarreellaa ((11998899)) qquuee ll ’’ aaccttiivvii ttéé ccooggnnii ttiivvee qquuoottiiddiieennnnee ccoonnssiissttee àà ppoosseerr lleess qquueessttiioonnss ppeerrttiinneenntteess qquuii ssuurrggiisssseenntt àà cchhaaqquuee iinnssttaanntt ddee llaa vviiee.. CCeess qquueessttiioonnss nnee ssoonntt ppaass pprrééddééff iinniieess oouu iissssuueess ddee rreepprréésseennttaattiioonnss,, mmaaiiss «« eennaaccttééeess »»,, aauu sseennss ddee «« ffaaii rree éémmeerrggeerr »» ssuurr

47

uunn aarrrriièèrree ppllaann ddee ccoonnnnaaiissssaanncceess,, sseelloonn ddeess ccrrii ttèèrreess ddee ppeerrttiinneennccee qquuii ssoonntt ddiiccttééss ppaarr llee sseennss ccoommmmuunn,, dd’’ uunnee mmaanniièèrree ttoouujjoouurrss ccoonntteexxttuueell llee..

Ainsi, comme le précise Theureau (1991) nous considérons dans cette étude, l’activité

d’évaluation de l’enseignant comme un raisonnement en action. En suivant sa proposition, nous posons les postulats suivants :

a) ce raisonnement est un raisonnement d’acteur et pas seulement de contemplatif : il aboutit à des actions et passe par des actions. Le diagnostic support de ce raisonnement n’apparaît pas séparé de l’action pour résoudre le problème. L’action fait partie de la cognition.

b) ce raisonnement est rarement solitaire et donne lieu à des communications avec d’autres et à des actions concertées.

c) ce raisonnement est un moment de l’histoire personnelle de l’acteur. Il fait appel à l’expérience antérieure de ce dernier et constitue une nouvelle expérience qui influencera son expérience future.

3. Méthode Trois enseignants d’EPS ont été observés au cours de séances d’évaluation de fin de cycle en

gymnastique. Deux d’entre eux sont des spécialistes de gymnastique, entraîneurs et juges dans le milieu fédéral. Le troisième est un enseignant d’EPS expérimenté et spécialiste de sport collectif.

Quatre séances d’évaluation ont été retenues pour l’analyse. Il s’agit de deux séances de fin de cycle pour une classe de 6ème (collège du Morbihan) ; et de deux séances de fin de cycle pour deux classes de 4ème (collège d’Ille et Vilaine) supervisés en même temps par deux enseignants (l’un spécialiste de gymnastique et l’autre non). L’organisation des cycles ainsi que des séances d’évaluation est différentes dans les deux établissements.

Les élèves de 6ème ont entre 11 et 13 ans. Ils sont presque tous débutants dans l’activité gymnastique. Ils ont suivi un cycle de 8 séances de gymnastique d’1h45 chacune – 4 séances ont lieu dans un dojo (gymnastique au sol) et 4 séances ont lieu dans le gymnase (gymnastique aux agrès). Suite à l’apprentissage de différents éléments techniques, les élèves choisissent un parcours parmi les 3 qui leur ont été proposés et vont le présenter pour l’évaluation. L’évaluation se déroule sur deux séances ; tout d’abord, l’évaluation au sol puis la semaine suivante, l’évaluation aux agrès.

Les élèves des deux classes de 4ème ont entre 13 et 15 ans. Certains d’entre eux sont des pratiquants de gymnastique en club ; ils ont été regroupés dans le même groupe de travail. Les autres élèves sont mélangés en fonction de leurs affinités. Ils ont tous suivi un cycle de 6 séances de gymnastique de 1h45. A chaque séance, les élèves travaillent sur tous les agrès à la composition d’enchaînements individualisés à partir d’un code de pointage propre à l’établissement. Les deux enseignants s’occupent de tous les élèves en même temps mais évaluent les élèves de leur classe au cours des deux séances d’évaluation (le sol est évalué lors de la dernière séance du cycle).

Ainsi, les trois enseignants ont choisi une organisation de classe similaire pour l’évaluation. Lorsqu’il s’agit de noter les prestations des élèves au sol, l’organisation préférentielle est le face à face. Les élèves sont assis devant l’enseignant et présentent l’un après l’autre leur enchaînement. L’enseignant prend le temps après chaque prestation de commenter, expliquer et justifier sa note. Lorsqu’il s’agit d’évaluer les prestations aux agrès l’organisation de la classe est autre. L’enseignant se déplace alors dans le gymnase aux différents agrès où des groupes d’élèves s’entraînent. Il évalue en fonction de la demande des élèves. Il peut parfois même corriger le passage précédent l’évaluation.

La méthodologie de recueil de données pour l’étude des raisonnements dans l’action découle

des principes de connaissance du cours d’action : données dynamiques en situation naturelle et différentes formes de verbalisation en respectant le primat de la description intrinsèque.

Nous avons respecté le même dispositif pour le recueil des matériaux empirique (dispositif présenté dans le texte de cadrage). Chaque leçon a été filmée (en général à l’aide de deux caméras)

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et un entretien d’autoconfrontation consécutif à la leçon a permis à l’enseignant de commenter ses actions, communications, émotions, perceptions, focalisations et jugements.

Il faut néanmoins noter que le caractère souvent exploratoire des actions manifestes rend parfois difficile le rappel en autoconfrontation sur la base des seules données vidéo. C’est pourquoi, l’enseignant utilisait ses grilles d’évaluation comme des traces lui permettant de reconstruire l’activité réalisée.

Un tableau sous la forme de 3 volets reprend les différents matériaux à partir desquels le chercheur construit les cours d’expérience (Cf. Tableau 3, ci-dessous).

Volet 1 – matériaux d’observation Volet 2 – Entretien d’auto

confrontation Volet 3 – notes ethnographiques

Action et direction du regard

Communications avec les élèves

Tableau 3 : présentation du tableau à 3 volet Ce protocole à trois volets nous a permis de découper l’activité des enseignants pas à pas. Dans un premier temps, nous avons construit les cours d’action de chaque enseignant au

cours des séquences d’évaluation, c’est-à-dire l’enchaînement des unités d’activités significatives (USE) du cours d’action de chaque enseignant au moment où il évalue un élève. Pour chaque cours d’action, nous avons identifié les composantes du signe hexadique. « Le cours d’expérience consiste en un enchaînement de signes hexadiques, et non en un traitement de symboles dyadiques (signifiant-signifié) » (Theureau, 2004, p. 139). Selon cette hypothèse, « une unité élémentaire (U) du cours d’expérience de l’acteur (…) a pour structure sous-jacente une pentade « engagement dans la situation (E) - actualité potentielle (A) - référentiel (S) - représentamen (R) - interprétant (I) » ainsi construite » (Theureau, 2000, p. 192). Ces composantes nous permettent de repérer conjointement ce qui fait signe pour l’enseignant dans la situation, de comprendre les préoccupations, les éléments du référentiel qu’il mobilise et la construction possible de connaissances.

Dans un second temps, nous nous sommes intéressés à l’organisation globale des cours d’action ce qui nous a permis de repérer la dynamique des préoccupations poursuivies par les enseignants au cours de l’évaluation. Ces deux temps correspondent aux deux parties de la présentation des résultats.

4. Résultats

4.1. L’activité d’évaluation du comportement de l’élève Le Tableau 4 reprend un extrait de cours d’action d’un enseignant au moment de

l’évaluation d’un élément gymnique : la roue au sol. On peut constater que les différentes unités portent à la fois sur des actions, des raisonnements, des sentiments… U 27 Pense que la réalisation de la roue ne va pas être facile pour cet élève U 28 Se rappelle les positions que doit prendre le corps au départ de la roue

U 29 OObbsseerrvvee llaa ppoossii ttiioonn ddee llaa jjaammbbee eenn ffeennttee eett ccoonnssttaattee qquuee ll ’’ ééllèèvvee ss’’ aarrrrêêttee qquuaanndd ii ll ppoossee lleess mmaaiinnss aauu ssooll

U 30 Interprète cet arrêt par la peur du renversement U 31 valide cette interprétation par d’autres indicateurs comportementaux U 32 Choisi de ne pas reconnaître la roue U 33 Se questionne sur la nécessité de savoir faire cet élément en gymnastique U 34 Se dit que l’élève est en difficulté dès qu’il n’est plus en position de terrien U 35 Se demande si l’élève ne ferait pas mieux de recommencer U 36 Finalement, donne une deuxième chance à l’élève

Tableau 4 – extrait du cours d’action de l’enseignant 2

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En nous appuyant sur les verbalisations des enseignants, nous avons cherché à identifier les composantes de chaque unité d’activité significative. L’analyse des trois extraits présentés ci-dessous nous permet de montrer que chaque enseignant est engagé dans sa propre activité. Ces extraits sont tirés de verbalisations lors de l’évaluation d’un élément gymnique au sol (la roue).

Enseignant 1 : Après… alors est-ce que je la reconnais ou pas …il s’agit de faire la

différence entre un mouvement exécuté lentement ou un mouvement hyper décomposé …Je leur ai dit que pour la roue, il fallait voir les 4 temps et de manière régulier : 2 temps pour les mains et 2 temps pour les pieds. Il le fait. C’est plutôt bien mais c’est beaucoup trop lent… et comme c’est trop lent, le déplacement se fait plus en arc de cercle que sur une ligne droite... mais bon, on va reconnaître la roue et pénaliser en exécution

Enseignant 2 : là, elle fait une sorte de roue… sans être une roue … elle s’arrête en cours de route … elle commence plutôt bien en fente… elle pars vers l’avant et puis une fois sur les mains, elle passe pas de l’autre côté. Bon, elle essaye de bien faire puisqu’elle cherche l’alignement … sauf que comme elle ne pousse pas (dans les jambes) sa roue est toute petite… on dirait qu’elle a peur d’y aller…je ne peux pas valider ça !

Enseignant 3 : pas mal la roue… je regarde les mains au sol …c’est mon indicateur … elles sont pas posées de la même manière que pour les premiers passage. Là, elle donne de la vitesse là, c’est mieux …en plus elle se redresse vite, super… bon, les jambes sont pliées mais c’est pas grave… on va pouvoir passer à la rondade. C’est donc OK…pour la validation.

Un premier niveau de lecture de ces extraits indique que ces trois enseignants ne s’appuient

pas sur les mêmes indicateurs pour décortiquer le comportement observé. Le premier prend comme référant le tempo de l’exécution ; le second s’intéresse au respect des critères descriptifs (critères notés sur sa fiche) et le troisième cherche les transformations du comportement vers plus d’efficacité.

Le deuxième niveau d’analyse s’appuie sur l’identification des éléments du signe hexadique (CF. Tableau 5). Enseignant 1 – la roue L’unité d’action Valider la roue L’engagement Essayer de reconnaître l’élément comme une roue L’actualité potentielle Repérer les fautes d’exécution pour valider la roue Le référentiel Le rythme dans l’exécution Le représentamen Le tempo dans la pose des 4 appuis

L’interprétant si la direction du déplacement n’est pas rectiligne, c’est que l’exécution pose problème

Tableau 5 : construction des signes pour l’évaluation de la roue – enseignant 1 Pour cet enseignant, la validation de la roue repose sur une comparaison entre ce qu’il

observe et la représentation dynamique et technique de l’élément. Le critère retenu est celui du rythme. Pour l’enseignant, lors de la réalisation de la roue l’élève doit marquer les 4 temps des appuis de manière régulière. La direction du déplacement est l’indicateur qui va valider le manque de rythme dans la réalisation.

Enseignant 2 – la roue L’unité d’action Ne pas reconnaître la roue L’engagement Retrouver les critères qui permettent d’identifier la roue L’actualité potentielle Comprendre pourquoi la réalisation de la roue n’est pas bonne Le référentiel Les positions successives du corps Le représentamen Le respect des critères techniques L’interprétant Si on a peur, on ne pas accepter le renversement du corps sur les mains

Tableau 6 : construction des signes pour l’évaluation de la roue – enseignant 2

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Cet enseignant est engagé dans une activité d’évaluation qui met en avant le respect de la technique gymnique. Il faut reconnaître l’élément réalisé en fonction des critères de la pratique sportive de référence (et donc des critères retenus dans les fiches). Le non respect de ces critères empêche la reconnaissance de l’élément du point de vue technique.

Enseignant 3 – la roue L’unité d’action Valider la réalisation de la roue L’engagement Valider la fin d’apprentissage de la roue L’actualité potentielle Confirmer que l’élément est acquis et passer à un apprentissage de la

rondade Le référentiel La vitesse de redressement du corps à la fin de la roue Le représentamen La pose des mains au sol L’interprétant Même si les jambes sont pliées, le fait d’aller vite indique que l’élève sait

faire la roue Tableau 7 : construction des signes pour l’évaluation de la roue – enseignant 3

Cet enseignant considère que la validation technique d’un élément ouvre la porte à un apprentissage nouveau : celui d’un nouvel élément gymnique plus complexe. Il est attentif à l’aspect esthétique de la réalisation du geste mais ne tient pas cet indicateur comme essentiel. Pour lui, c’est la vitesse de réalisation de l’élément qui valide l’apprentissage.

4.2. la dynamique de l’activité d’évaluation Les séquences archétypes délimitent des phases de l’activité. Nous avons identifié trois

catégories de phases dans l’activité d’évaluation en fonction des circonstances de la situation. * Des phases exploratoires (ou de raisonnement) : ce sont des phases pendant lesquelles

l’enseignant résout essentiellement des problèmes (définition des pénalisations à partir des observations, régulations entre les fautes techniques et les fautes exécution, régulation par rapport à l’impression générale…)

* Des phases exécutoires : ce sont des phases pendant lesquelles l’enseignant poursuit des préoccupations, se focalise sur des préoccupations précises mais ne résout pas de problèmes (observation des élèves, écriture, discussion avec d’autres élèves, communications avec l’élève évalué et justification de ses décisions…)

* Des phases d’apprentissage : ce sont des phases pendant lesquelles l’enseignant construit de nouveaux critères de jugement (mise en relation entre observation et pénalisation pour la validation d’un élément; prise en compte de l’engagement de l’élève sur l’ensemble du cycle au moment d’une prise de décision…)

Une deuxième catégorie de regroupement des unités d’action permet de repérer les

préoccupations récurrentes de l’activité d’évaluation de nos trois enseignants. Nous en avons identifiés 6. Elles sont à mettre en relation avec les configurations de classe lors des évaluations. Elles sont présentées dans le Tableau 8 :

Format en face à face Format en ateliers 1. Garder la même ligne de jugement pour rester

« juste », 2. Tenir compte des efforts réalisés par les élèves au

cours du cycle 3. Poursuivre la formation des élèves dans l’évaluation

de leur performance.

1. Garder la même ligne de jugement pour rester « juste »,

2. Tenir compte des efforts réalisés par les élèves au cours du cycle

3. Contrôler l’activité des élèves sur les autres ateliers.

Tableau 8 – les préoccupations des enseignants au cours de l’évaluation Ainsi, on peut constater que les enseignants poursuivent des intentions communes qui sont

de noter le plus justement possible chaque prestation d’élèves et d’aider chacun d’entre eux à comprendre leur note (notamment en tenant compte de leur engagement dans le cycle de gymnastique).

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La proximité de l’enseignant et des élèves lors de l’évaluation en ateliers amène parfois l’enseignant à leur proposer des apprentissages nouveaux. On constate également que des préoccupations générales sont récurrentes dans l’activité des enseignants (elles sont également très présentes même lorsqu’il n’y a pas évaluation) : le maintien de la discipline dans la classe et la gestion du temps.

5. Discussion La partie discussion abordera deux points. Le premier porte sur l’influence de l’organisation

de la classe (organisation de l’évaluation en atelier ou en face à face) sur le raisonnement suivi par l’enseignant dans son activité d’évaluation. Le second point abordera la question des arrangements évaluatifs en contexte scolaire.

5.1. Importance des configurations de classe pour l’activité d’évaluation Nous avons identifié dans l’activité d’évaluation de l’enseignant deux périodes

successives d’activité avant de poser la note et éventuellement de la donner aux élèves. La phase d’écriture est en fait principalement la phase de réflexion et de calcul de la note (« là, j’écris … ça me permet de revoir dans ma tête ce que j’ai vu… » dit l’un des enseignants). Une fois la note posée, l’enseignant passe généralement par une phase de régulation qui fait référence à l’histoire construite avec l’élève au cours du cycle et qui s’appuie également sur des connaissances construites au cours de son expérience d’enseignant

Une période d’écriture (écrire la note) Une période de régulation (corriger la note) On constate une tendance à majorer l’importance des fautes liées à la technique de l’élément dans le cadre de l’évaluation aux agrès – l’enseignant autorise d’ailleurs les élèves à recommencer « pour faire plus propre » -. Lors de l’évaluation des enchaînements au sol ce sont davantage les fautes de tenue du corps qui servent de justification à la note.

La régulation de la note repose fortement sur l’histoire construite au cours du cycle avec l’élève évalué et avec la classe. Ainsi on peut constater que l’enseignant est moins exigent en terme de tenue du corps pour les enchaînements les plus difficiles et pour les élèves qui ont montré le plus d’investissement au cours du cycle.

On peut remarquer que l’organisation de la classe au cours des séances influence fortement

l’activité de prise de décision de l’enseignant. Ainsi, lors de l’évaluation aux agrès, l’enseignant se sent autant formateur qu’évaluateur. Il a tendance à accorder plus facilement une deuxième chance à l’élève (lui permettant de recommencer sa prestation) ; néanmoins, il est plus exigeant quand au respect des critères techniques (dans le calcul de la note, il fait référence aux critères des fiches données aux élèves et justifie de ces critères pour expliquer la note). Lors de l’évaluation au sol, l’organisation de la classe est très solennelle. Chaque élève présente sa prestation à toute la classe et à l’enseignant ; il n’a qu’une seule chance. Dans la prise de décision pour le calcul de la note, l’enseignant semble tenir compte de cette organisation puisqu’il accorde plus d’importance à l’aspect esthétique de la prestation qu’à la réalisation technique (« bon, y’a les copains… c’est intimidant de passer comme ça devant tout le monde… il sait le faire… même si c’est pas beau… je lui valide l’élément »).

5.2. Les arrangements évaluatifs en gymnastique Les trois enseignants que nous avons suivis dans cette étude relèvent qu’il est compliqué

d’évaluer une prestation en gymnastique (« ça peut paraître simple… on a des critères et on vérifie ces critères… c’est rationnel ! mais en fait, la gym, c’est dur… les élèves n’aiment pas trop … parfois il se font peur… et puis faut se montrer aux autres…»). Les entretiens réalisés, les séquences vidéos et l’analyse de l’activité d’évaluation de nos enseignants en gymnastique a permis d’affiner les liens qu’il existe entre les conceptions de l’enseignant sur son rôle de formateur et d’éducateur et sa pratique de terrain.

Il semble donc bien que les caractéristiques objectives de l’évaluation (critères retenus pour l’évaluation, spécificité de la motricité gymnique…) n’influencent qu’une partie de l’activité de l’enseignant. Cette activité émerge d’un ensemble de préoccupations immédiates liées à la situation

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d’évaluation. Ainsi, la façon dont l’enseignant perçoit la prestation de l’élève à partir de la connaissance qu’il a de l’élève au cours du cycle semble déterminante dans l’engagement de l’enseignant dans son activité (« lui, il n’a rien fait pendant 4 semaines… aujourd’hui, parce que je not, il se met enfin à travailler… je vais pas laisser passer ça ! » dit un enseignant à propos d’un élève ; « cet autre n’a pas bien réussi aujourd’hui. Dommage. Mais comme il a travaillé régulièrement, je ne vais pas trop le pénaliser… juste un peu… » dit le même enseignant à propos d’un autre élève de la même classe). De même, on peut constater que la familiarité de l’enseignant avec l’activité de jugement spécifique à la gymnastique lui permet de garder une marge de manœuvre plus large dans l’évaluation. Ainsi, les deux enseignants spécialistes de gymnastique font une différence très importante entre les critères donnés aux élèves pour la réalisation des éléments gymniques et d’autres critères, plus personnels, qui seront à la base de leur activité de prise de décision. L’enseignant non spécialiste semble s’appuyer davantage sur un partage de critères avec les élèves pour justifier ses notes (« on leur a dit (c’est écrit sur la fiche) que la réception doit être stabilisée au saut de cheval. 1 pas, c’est une petite faute et atterrir sur les fesses, c’est une grosse faute… donc même si le saut est bien réussi il faut pénaliser la réception »).

Conclusion Ce travail qui s’appuie sur la description de l’activité de jugement de trois enseignants

d’EPS en gymnastique nous a permis de repérer d’une part, qu’il y avait une différenciation entre les critères retenus dans les grilles présentés aux élèves et les critères réellement utilisés par l’enseignant pour évaluer leur motricité gymnique et que d’autre part, l’activité d’évaluation n’était pas différente de l’activité d’enseignement quotidienne ; elle est indexée à l’organisation pédagogique choisie et se construit dans le respect de deux intentions : la formation des élèves et le contrôle permanent de la classe.

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