somnolence au volant actes colloque 220611
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Somnolence au volantouvRonS leS YeuX !
ACTES DU ColloqUE - 22 juin 2011
Comment détecter le « juste avant », le presque accident ? Comment détecter
ce moment où l’on bascule dans le sommeil ? La tentation de se croire plus fort
est là, bien chevillée au corps.
Que faire ? Une seule chose : s’arrêter et se reposer, même à 5 km de son
domicile, même à 10 minutes du point d’arrivée. Seule la sieste est salvatrice
et réparatrice.
S’il est impossible de lutter contre la somnolence, la prévention est indispensable.
Pédagogie, formation et information permettent de responsabiliser,
de déculpabiliser et de transformer le message « appris » en message « connu ».
Être confronté à ses propres limites est sans doute effrayant. Mais la peur,
de soi et des autres, des conséquences de ses actes, la peur des sanctions est
probablement un sentiment vertueux qui incite à la sagesse, à la prudence et
donc à la responsabilité.
Les drames qui nous ont endeuillés, comme ceux qui endeuillent chaque année
de trop nombreuses familles, renforcent notre détermination à combattre
l’insécurité routière.
Nous en sommes convaincus : il n’y a pas de fatalité en la matière. Il y a besoin
de volonté collective et de responsabilité individuelle. Ce sont justement les
deux axes autour desquels ont été organisés les échanges passionnants qui
sont résumés dans les pages qui suivent.
Les initiatives récentes du comité interministériel de sécurité routière pour
placer la lutte contre les comportements imprudents et le manque de vigilance,
au cœur des politiques de sécurité routière sont encourageantes. Les facteurs
qui réduisent l’attention portée à la conduite doivent en effet être combattus,
tout comme la vitesse excessive et l’alcool qui tuent chaque jour au volant.
L’objectif du zéro accident de travail est l’ambition dans l’entreprise, c’est même
devenu une obligation. Nous pouvons avoir le même sur la route.
« Ouvrir les yeux », telle était l’ambition du colloque organisé par l’ASFA.
Il s’agissait en effet de réveiller les consciences, de lutter contre l’inconscience
et la bonne conscience, et de lutter contre l’excès de confiance, pour que les
comportements au volant changent réellement et durablement.
La somnolence au volant est devenue la première cause d’accident mortel sur
les réseaux autoroutiers.
Dangereuse et sournoise, nous n’en prenons en général conscience que trop
tard alors que chacun d’entre nous est concerné, quel que soit le lieu ou l’instant.
Et contrairement aux idées reçues, lutter est impossible : ses effets sont
imparables, son action inéluctable. Le seul remède efficace, c’est de faire des
pauses régulièrement et de prendre le temps de se reposer.
Mieux la connaître, mieux appréhender notre vulnérabilité face à ce risque,
mieux les faire comprendre aux conducteurs et au grand public sont donc une
préoccupation permanente des dirigeants des sociétés de l’Asfa et de leurs
salariés.
Véritable enjeu de santé publique, sujet de société tout autant que sujet routier,
la somnolence s’est installée comme une préoccupation durable : il y a peu de
raisons que la situation s’améliore.
Les technologies ont bouleversé nos rythmes de vie et nos comportements.
Si nous avons su faire évoluer les performances techniques, nous ne pouvons
pas repousser nos limites physiologiques.
Nos déplacements se sont multipliés alors que la dette de sommeil des français
a augmenté d’une heure en 20 ans. Les conséquences peuvent être dramatiques :
les accidents de la route sont désormais la première cause des accidents mortels
du travail : un accident sur deux.
Alors que faire, quand près d’un million et demi de conducteurs ont chaque
année un presque accident lié à la somnolence sur le réseau autoroutier et
qu’un accident mortel sur trois est dû à la somnolence sur nos autoroutes ?
Que faire, quand on sait que les effets de l’alcool et de la fatigue sont analogues ?Arnaud GRISONPrésident du comité d’organisationDirecteur général de Cofiroute
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RESPOnSABiLiTÉ inDiViDuELLE ET COLLECTiVE, COMMEnT PROGRESSER ?
PRiSES DE COnSCiEnCE inDiViDuELLE ET COLLECTiVE, ÉTAT DES LiEuX.
2 TABlES RoNDES
POUR OUVRIR
LES YEUX SUR LA
SoMNolENCE
Thierry FASSENoT, ingénieur conseil à la Direction des Risques Professionnels - CnAMTS
Christian GATARD, Sociologue - Gatard et Associés
Professeur Joël PAqUEREAU, Président de l’institut national du Sommeil et de la Vigilance - inSV
Inès AYAlA SENDER, Députée - membre du parlement européen
laurence WEIBEl, Docteur en neurosciencesneurobiologiste à la CRAM - Alsace Moselle
Michèle MERlI, Déléguée interministérielle à la sécurité et à la circulation routière
Patrice BESSoNE, Président du Conseil national des Professions Automobiles (CnPA) - branche Formation Des Conducteurs
André BRAS, Président - Transports GuiVARC’H
Philippe CABoN, Maître de conférences - université Paris Descartes et Consultant - DEDALE
Pascal ETIENNE, Chef du bureau des équipements et des lieux de travail, Direction générale du travail, Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé
Jean-Pierre FANTIN, Directeur produits - VOLVO Trucks France
Professeur Pierre PHIlIPCnRS Bordeaux
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et « la règle » de la route. C’est là qu’intervient entre autres, le risque
de somnolence. Un travail considérable est à réaliser sur les modes de
déplacement, sur la mobilité des salariés. Une organisation ne serait-ce
que légèrement différente est parfois susceptible de générer un gain
important pour la sécurité, mais également au niveau économique, ou
encore au niveau social : la réinsertion professionnelle des personnes qui
ne peuvent pas être maintenues dans leur poste de travail à la suite d’un
accident est un des grands sujets que traite actuellement la CNAMTS.
Le trajet domicile-travail représente une autre problématique,
souvent génératrice de fatigue, de stress et même de souffrance, avec
d’importantes répercussions en termes économiques, humains, sociaux,
voire sanitaires. Les populations les moins aisées et qui occupent les
emplois les plus précaires, sont aussi celles qui se trouvent les plus
exposées aux risques : déplacements individuels, horaires atypiques…
Un travail est incontournable pour envisager des conditions de trajet
qui soient les plus sûres possibles.
Dans les deux cas, certains aspects sont communs, comme l’instauration
de périodes de repos et de périodes qui permettent de communiquer
et de téléphoner en toute sécurité. Toute la difficulté est de trouver un
compromis qui ne mette pas en péril l’efficacité de l’entreprise et qui
respecte les rythmes nécessaires au maintien de la santé des salariés.
Pour y parvenir, la priorité est, d’une part, la prise en compte par la
direction de l’entreprise de cette problématique en instaurant une
démarche éducative de diffusion de la connaissance au sein de l’entreprise
- chef d’entreprise et salarié - et, d’autre part, l’inscription dans
l’organisation des entreprises de dispositifs qui permettent de mesurer
tous les effets du travail sur la santé, en y intégrant les déplacements, de
reconnaître la pénibilité et d’évaluer le niveau de fatigue, afin que chaque
salarié puisse mieux se situer. La médecine du travail pourrait jouer en
ce sens un rôle fondamental de conseil auprès du chef d’entreprise.
Aujourd’hui, la mobilité occupe une place croissante dans la société. Dans
le monde de l’entreprise, l’accent a été mis sur la mobilité durable, pour
limiter les émissions de CO2. Pour être durable, il ne suffit pas qu’elle soit
respectueuse de l’environnement, elle doit être sûre pour les salariés et
pour tous les citoyens qui se déplacent. La sensibilisation à une mobilité
sûre doit commencer dès l’école, puis dans les études secondaires et
supérieures, dans un continuum relayé par le permis de conduire.
Plus en amont se pose la question d’une perception du sommeil peut-
être à reconstruire dans notre société. À cette fin, la référence aux
mythes fondateurs du sommeil pourrait contribuer à revaloriser son
importance.
Le législateur a confié à la Sécurité sociale le soin de réduire la sinistralité au
travail, selon les principes d’une responsabilité sans faute de l’employeur,
et d’une réparation forfaitaire. La direction des risques professionnels de
la CNAMTS met en œuvre la politique définie par les partenaires sociaux
pour prévenir les risques professionnels. Parmi ceux-ci, le risque routier
représente pratiquement la moitié des accidents mortels. L’Assurance
Maladie Risques Professionnels (AMRP) a inscrit la prévention de ce risque
dans ses priorités : c’est pourquoi elle développe, met à disposition et
incite les entreprises à mettre en œuvre des démarches adaptées à ce
risque en tenant compte de tous les facteurs d’accident et notamment
du manque de vigilance.
Une réflexion sur l’organisation de la mobilité, susceptible de réduire
le risque routier doit prendre en compte tous les déterminants du
déplacement et notamment l’état de fatigue
du conducteur pouvant induire un manque
de vigilance. Les métiers des entreprises
les conduisent à emprunter la route : les
transporteurs, les professionnels de la route,
ceux qui doivent se déplacer pour leur métier, se
rendre sur un chantier, par exemple, mais aussi
les personnes qui se rendent sur leur lieu de travail. Pour ces dernières,
ce déplacement s’ajoute à une journée de travail mais peut également
générer un stress et une fatigue. La réflexion doit donc porter sur les
déplacements professionnels proprement dits mais également sur les
trajets domicile-travail.
Sur le premier volet, la réponse à l’urgence fait partie des impératifs de
l’entreprise, qui a des fonctions à remplir et des objectifs à atteindre,
et pour qui le déplacement n’est pas toujours le cœur de métier. La
route sert souvent de variable d’ajustement ; on assiste au phénomène
d’injonction paradoxale. À un moment donné, pendant son déplacement,
le salarié doit choisir entre « la règle » de l’entreprise, ou celle du client
Le salarié doit choisir entre « la règle » de l’entreprise, ou celle du client et « la règle » de la route. C’est là qu’intervient entre autres, le risque de somnolence.
Prises de conscience individuelle et collective,
état des lieux
Thierry FASSENoT, Ingénieur conseil à la Direction des Risques Professionnels - CNAMTS
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En complémentarité de la formation et de la communication, beaucoup
de choses doivent être faites au niveau de notre environnement culturel,
pour retrouver un modèle dans lequel le corps a sa place, ainsi que la
dimension du plaisir. On parle de développement durable. Comment
notre corps peut-il participer de ce développement durable sinon en
prenant conscience que la somnolence est un processus vital qu’il faut
accepter ?
Un récit de fiction, renouant avec des mythes fondateurs du sommeil,
pourrait restaurer son importance dans l’imaginaire collectif, et contribuer
à reconstruire cette relation au corps qui est relativement diabolisée
aujourd’hui, face aux injonctions de la performance.
*Voir extraits p.26
L’enquête réalisée par Gatard et Associés, à la demande de l’ASFA*, a été
extrêmement révélatrice. Durant une première semaine, une quarantaine
de personnes ont noté dans un carnet de bord les périodes présentant
un enjeu de somnolence. Une seconde semaine a été consacrée à
une réflexion sur cette somnolence et a permis de montrer que cette
préoccupation n’est pas présente constamment et que la prise de
conscience est progressive. Ces personnes ont ensuite été invitées à
se rendre sur un blog où chacune pouvait échanger avec les autres.
L’intérêt était de susciter l’expression de non-spécialistes.
La somnolence dessine le décor de fond : tout le monde s’accorde sur
ses liens à une fatigue générale. Mais la somnolence peut attaquer
par surprise, malgré les précautions. Elle se révèle particulièrement
sournoise parce qu’elle arrête le mouvement, elle déconnecte de la
relation aux autres, voire à son propre corps. Une sorte de culpabilité
sociale un peu honteuse se manifeste, souvent entourée d’une moquerie
assez pénible autour de la somnolence qui la rend difficile à vivre. Les
participants ont fini par se questionner sur la signification de ce tabou
jeté sur la somnolence.
Le corps se laisse aller à s’endormir pour répondre à un réel besoin.
D’une façon plus ou moins cachée, un certain plaisir peut être ressenti
à se laisser aller à la somnolence, en profonde contradiction avec
les performances demandées par la réalité
sociale actuelle. Cette tension se traduit par
une souffrance que l’on cherche à comprendre.
Les conducteurs s’efforcent d’apporter des
solutions : ouvrir la fenêtre, fumer une cigarette,
boire un café, écouter la radio, qui ne donnent
finalement pas de résultat. Ce sujet pose un vrai
débat social sur les choix de vie que l’on souhaite mener et que l’on peut
se permettre, en fonction de ce que dicte la société.
Au sud de la France, la sieste est beaucoup plus reconnue qu’au nord
et y bénéficie d’une sorte de légitimité, presque d’une nostalgie. Cet
exemple est un peu caricatural mais alors que l’on parle de globalisation,
toutes nos études montrent combien les gens sont attachés à des enjeux
culturels locaux.
L’Institut National du Sommeil et de la Vigilance a été créé il y a
11 ans, à l’initiative de la Société Française de Recherche et Médecine
du Sommeil (SFRMS), société savante qui s’occupe du sommeil, de
ses pathologies et de ses comportements. L’INSV a mis en place la
Journée annuelle du sommeil qui connaît une popularité et un impact
médiatique croissants.
L’enquête annuelle sur le sommeil des Français réalisée depuis 5 ans
par l’INSV fait ressortir une dette chronique de sommeil d’environ une
heure par jour, soit une nuit par semaine. Après 40 ans de travail, cette
dette atteint 5 années de sommeil !
Les rythmes de vie liés au travail ont nettement changé depuis le
début du 20e siècle. Les « trois huit », par exemple, sollicitent l’horloge
biologique de manière inadaptée. Il en est de
même des rythmes liés aux loisirs, aux spectacles,
à la télévision et à Internet. Surfer sur Internet
sollicite beaucoup plus la vie intellectuelle que
regarder la télévision. La somnolence provient
souvent de perturbations du sommeil qui
résultent des rythmes de vie liés aux loisirs, au travail, à une volonté
personnelle...
Le rythme circadien veille/sommeil est souvent abordé sous l’angle de
la biologie et trop peu sous celui du comportement. Les pathologies
qui provoquent la somnolence relèvent de la médecine. Une médecine
qui s’intéresse aux différentes pathologies du sommeil s’est d’ailleurs
développée récemment en France. Mais il est question ici de
comportements liés aux horaires de travail, à des choix individuels
inadaptés en raison de la méconnaissance générale du rythme veille/
sommeil. Un parallèle peut être établi avec l’hygiène alimentaire et
le sport qui bénéficient d’une information abondante. En regard, les
conseils sur le sommeil et la santé sont très rares.
Une sorte de culpabilité sociale un peu honteuse se manifeste, souvent entourée d’une moquerie assez pénible autour de la somnolence qui la rend difficile à vivre.
Christian GATARD, Sociologue - Gatard et Associés
Professeur Joël PAqUEREAU, Président de l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance - INSV
Une dette chronique de sommeil d’environ une heure par jour, soit une nuit par semaine. Après 40 ans de travail, cette dette atteint 5 années de sommeil !
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Le sommeil est un besoin physiologique aussi prégnant qu’un autre.
Quelqu’un qui n’a pas bu d’eau depuis un certain temps, par exemple,
aura soif à un moment donné et boira pour compenser cette soif. De la
même façon, quelqu’un qui ne dort pas ou pas assez aura sommeil et
verra apparaître le besoin de dormir. Le seul moyen de combler la soif
est de boire de l’eau, et le seul moyen véritable de combler un besoin
de sommeil, c’est de dormir.
Ensuite se pose la question du moment propice dans la journée. La
période de la journée la plus favorable à la sieste est le début de l’après-
midi. Certaines personnes éprouvent ce besoin de sieste davantage
que d’autres. Mais comment peuvent-elles répondre à ce besoin quand
elles ont un emploi en horaires atypiques, ou quand elles se trouvent
sur le chemin de leur travail, dans la circulation, avec la crainte d’arriver
en retard ?
Un sentiment de culpabilité apparaît. Personne ne se sent coupable
de boire de l’eau parce qu’il a soif. En revanche, la société fait peser un
sentiment de culpabilité sur l’envie de dormir.
Il n’existe pas de mesure instantanée du risque
de somnolence, au même titre que la mesure
du taux d’alcoolémie dans le sang. Elle ne serait
d’ailleurs que de peu d’utilité pour un conducteur au volant de sa voiture.
Elle ne relève que de la prise de conscience individuelle. Mais le ressenti
de la somnolence varie d’un individu à l’autre. Certaines personnes sont
somnolentes chroniques sans le ressentir.
En revanche, des symptômes indiquent que l’on est somnolent et une
personne au volant de sa voiture peut les identifier : bâiller, avoir les
yeux qui piquent, avoir besoin d’air frais, bouger sur son siège, avoir
tendance à dévier latéralement de son trajet… Le public peut être formé
à repérer ces signes.
L’information sur le sommeil devrait débuter dès l’école, en direction des
enfants et des parents, parfois de manière ludique, et surtout de manière
continue. Les campagnes d’information ponctuelles ne suffisent pas. Si
l’information est répétée comme étant importante depuis l’enfance, elle
finit par être intégrée une fois arrivé à l’âge adulte. Une telle éducation
se fait au long cours, sur 20 ans, pour en mesurer les résultats.
Au-delà de l’éducation à la santé proprement dite, se pose un réel
problème d’information sur la somnolence et le besoin de sommeil
sur la route.
Je ne suis pas favorable à une éducation par la négative, par la peur.
Dire à quelqu’un qu’en une seconde, il parcourt 40 mètres n’a pas
beaucoup de sens. Au contraire, la personne pense qu’elle peut résister
à l’endormissement une seconde de plus. Après un long trajet, un
conducteur croit pouvoir effectuer sans difficultés les quelques kilomètres
qu’il lui reste à parcourir. La vigilance diminue, le besoin vital de sommeil
s’intensifie et un accident peut tout à fait se produire à proximité de
son domicile. Il faut savoir s’arrêter, même s’il ne reste qu’un trajet de
quelques dizaines de minutes.
Il faut expliquer que le besoin de dormir arrive instantanément, sans
qu’on s’en rende compte, alors qu’on est dans un état de veille apparent,
que personne ne peut contrôler cette intrusion du sommeil, et qu’il vaut
la peine de prendre le temps d’un somme de quelques minutes.
L’apprentissage de la conduite automobile permet de toucher tout
le monde. Le permis de conduire peut être l’occasion de délivrer des
messages d’information sur le sommeil et la somnolence.
Les messages peuvent être adaptés aux différents publics : aux
professionnels de la route qui sont plus souvent en danger parce qu’ils
conduisent davantage que les autres, aux conducteurs non professionnels
qui sont aussi en danger dès qu’ils prennent leur
voiture, et aux différentes tranches d’âge.
Le vieillissement induit une modification de
la conduite. Les conducteurs âgés tendent à
adapter leur comportement à leurs capacités. En général, ils réduisent
leur vitesse et roulent peu la nuit. Les questions de somnolence affectent
plutôt les jeunes qui repartent d’une soirée vers 4 ou 5 heures du matin,
période du risque maximum d’endormissement et d’accident.
D’autres domaines méritent une meilleure information comme les
médicaments qui agissent sur la conduite automobile. Ils sont identifiables
par des pictogrammes qui indiquent qu’ils peuvent provoquer de la
somnolence mais qui ne sont pas toujours connus du public.
Le permis de conduire peut être l’occasion de délivrer des messages d’information sur le sommeil et la somnolence.
La société fait peser un sentiment de culpabilité sur l’envie de dormir.
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de lui permettre d’identifier le moment où il franchit sa capacité de
résistance à la somnolence et devient un risque pour lui-même et
pour les autres. Les solutions recherchées ne sont pas uniformes mais
complexes pour s’appliquer à tous les secteurs.
Les campagnes de communication sur la somnolence ne devraient
pas se limiter à la sécurité routière mais s’adresser à tous les secteurs,
notamment celui du travail. Réaliser que l’on devient un danger pour
soi-même et pour les autres si l’on dépasse ses capacités provoque de la
peur. Cette peur peut être utile, notamment par rapport à l’alcool, mais
les messages qui privilégient la prise de conscience sur la façon de gérer
la somnolence sont préférables à ceux qui suscitent la crainte.
Actuellement, le département « sécurité routière » de la Commission
transport et tourisme adresse des messages distincts aux jeunes
générations et aux personnes âgées. Ces dernières ont appris à conduire
assez jeunes et veulent continuer à exercer ce droit à la mobilité. Il
convient de leur proposer des aides techniques leur permettant de
conserver cette autonomie.
Les recommandations du Parlement européen tiennent compte aussi
des aspects relatifs à la santé. Certains médicaments comportent
des pictogrammes d’avertissement mais pas les combinaisons de
médicaments qui peuvent avoir un impact sur
les capacités des personnes d’un certain âge.
Notre défi consiste à trouver des réponses
à toutes ces questions. Un nouveau débat
vient d’être entamé dans ce but, en prenant
en compte un certain nombre de paramètres qui n’avaient pas été
identifiés clairement lors des travaux de la commission sur la fatigue,
en 2009, comme la relation des personnes âgées aux infrastructures,
par exemple.
La formation prime la communication. Celle des conducteurs de tous
âges, y compris des professionnels, devrait intégrer la question de la
somnolence et apporter des connaissances sur soi-même, sur la gestion
de sa propre fatigue, avec des conseils sur les attitudes à adopter lors
de périodes clefs de la nuit, entre 1 heure et 3 heures du matin...
En Espagne, un effort très important a été fourni au début des années
2000 qui a permis de diminuer de moitié le nombre des victimes
d’accidents mortels sur la route.
Depuis 2010, l’Union européenne a renouvelé cet objectif, auquel a été
ajouté celui de réduire de 40 % le nombre des blessés lors d’accidents
routiers. La définition de nouveaux critères est en cours pour permettre
d’atteindre ces objectifs.
Relever ce défi considérable signifie identifier les nouveaux chantiers
auxquels s’atteler, parmi lesquels la fatigue et la somnolence. Un
amendement vient d’être voté à la commission des transports en ce
sens.
Un débat en Espagne porte non seulement sur la durée du travail mais
aussi sur les horaires excessifs. Le concept de productivité se trouve
interrogé car travailler plus ne signifie pas nécessairement travailler
mieux. Les pays les plus productifs ne sont pas ceux qui pratiquent
les horaires les plus lourds. Il serait préférable de travailler à partir de
critères de qualité plutôt que de quantité. Mais il est très difficile de
changer en profondeur et en urgence des habitudes culturelles, d’autant
plus qu’une partie de l’économie est concernée.
Le débat existe également au niveau européen mais, selon le principe
de subsidiarité, Bruxelles ne peut énoncer que des recommandations.
Lors des débats qui ont précédé la mise en place de l’horaire d’hiver et
d’été, les associations de victimes de la route
françaises avaient étudié les incidences de ces
changements sur la sécurité routière. Des pics
d’accidents ont été confirmés ultérieurement
dans le mois qui suit le changement d’heure.
Mais face aux enjeux économiques, énergétiques
et climatiques, ce point de vue n’a été défendu que par une minorité.
Finalement, ces horaires ont été adoptés et harmonisés.
A contrario, les impératifs de la sécurité routière rejoignent parfois les
soucis environnementaux, par exemple avec la discussion actuellement
en cours sur l’harmonisation de la réduction des vitesses sur la route.
À l’échelon européen, des travaux portent sur les technologies appliquées
aux véhicules (sièges à senseurs, détecteurs oculaires de somnolence
à infrarouges…) et aux infrastructures (parkings attractifs et sécurisés,
bandes rugueuses…), différents éléments destinés à avertir le conducteur
de dangers et lui faire prendre conscience des risques. Il est important
Les solutions recherchées ne sont pas uniformes mais complexes pour s’appliquer à tous les secteurs.
Il est très difficile de changer en profondeur et en urgence des habitudes culturelles, d’autant plus qu’une partie de l’économie est concernée.
Inès AYAlA SENDER, Députée - membre du parlement européen
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souvent une désynchronisation par rapport à l’horloge biologique. Les
effets sont très néfastes sur le court terme, en termes de vigilance, mais
également à plus long terme sur la santé avec un lien désynchronisation
et des maladies graves comme le cancer.
À titre d’exemple on peut dire qu’une longue période sans sommeil
équivaut à la prise d’une quantité d’alcool (18 heures d’éveil = alcoolémie
= 0,5 g/l et 24 heures d’éveil = alcoolémie = 1g/l). Or, ces situations sont
relativement fréquentes, pas seulement chez les chauffeurs routiers,
mais aussi dans les hôpitaux, par exemple, où les personnels peuvent
être soumis à des gardes de 24 heures.
Le meilleur remède contre la somnolence reste la sieste, en particulier
pour les travailleurs de nuit. Mises à part certaines modifications
organisationnelles probablement difficiles à mettre en place, il
serait opportun d’inciter la population à faire la sieste, soit de façon
prophylactique avant d’arriver au travail, soit sur le lieu de travail,
cette dernière solution étant déjà adoptée dans d’autres pays comme
le Japon.
Les études montrent qu’une courte sieste est de nature à restaurer le
niveau de vigilance. Sa durée doit être comprise entre 15 et 30 minutes,
afin d’éviter de rentrer dans une phase de sommeil profond. Une telle
stratégie, relativement facile à mettre en place, peut être proposée soit
dans le cadre du travail, soit aux automobilistes
hors travail sur la route. Mais la France ne semble
pas culturellement prête à l’accepter.
En entreprise, la prévention se situe à deux
niveaux différents, premièrement, la réponse à
un besoin de somnolence immédiat, la sieste par exemple, deuxièmement,
des actions de prévention primaire, beaucoup plus efficaces sur le long
terme, et qui consistent à éviter que des situations dangereuses ne
surviennent, notamment grâce à un sommeil de quantité et de qualité
suffisantes. Or aujourd’hui, notamment concernant les salariés travaillant
de nuit, on peut imager en disant que la dette de sommeil s’achète
(« on est mieux payé ») : il est urgent de faire passer le message qu’à
long terme cette dette de sommeil se paye aussi !!
L’ensemble des acteurs du monde du travail (chefs d’entreprise, médecins
du travail…) devraient bénéficier d’une sensibilisation dans ce sens et
intégrer la prise en compte des besoins physiologiques dans l’évaluation
globale des risques, et ses implications au niveau individuel de chaque
salarié.
En direction du grand public, de nombreuses campagnes visent à
restreindre l’alcoolisme au volant. Des campagnes de même nature
pourraient être menées sur ce problème de santé publique qu’est le
manque chronique de sommeil. Et pour être encore plus efficace, la
sensibilisation au rôle et au besoin physiologique du sommeil devrait
intervenir dès le plus jeune âge, par le biais des parents et de l’école.
La chronobiologie est une discipline de la biologie qui étudie la structure
temporelle des organismes. Il s’agit de comprendre le fonctionnement de
notre horloge biologique principale (l’horloge circadienne), et l’impact
d’une désynchronisation des différents rythmes biologiques sur la santé.
Le rythme veille/sommeil est le rythme circadien le plus connu. Cette
discipline est mal connue du grand public et même au niveau des études
de médecine, elle n’est pas forcément abordée.
La vigilance fluctue selon un rythme biologique dicté par notre horloge
biologique, avec des moments plus ou moins favorables à l’hyper ou
à l’hypovigilance. Ainsi, une courte période d’hypovigilance intervient
de façon naturelle en début d’après-midi. Chaque individu possède
ses propres particularités mais les caractéristiques principales sont
valables pour tous.
Les recherches actuelles cherchent à affiner les mécanismes
d’entrainement de l’horloge ce qui permettra de manipuler l’horloge
biologique pour contrecarrer certains effets néfastes, par exemple chez
les 20 % de salariés qui travaillent en horaires atypiques, notamment
de nuit.
Toutefois, l’influence sur les rythmes biologiques endogènes est complexe.
L’homme est un animal diurne qui dort la nuit
et travaille le jour. Si cette alternance se trouve
perturbée, le besoin de dormir va s’imposer à
un moment donné. Une période d’hypovigilance
résulte avant tout de la quantité et de la qualité
du sommeil qui a précédé. La dette chronique de
sommeil qui caractérise nos sociétés crée de plus en plus de problèmes
d’hypovigilance au travail, sur la route…
En France, l’idée reste répandue que dormir est une perte de temps.
Pourtant, dormir a un rôle fondamental. Durant le temps de sommeil
se produisent des phénomènes fondamentaux comme la sécrétion
de certaines hormones (ex : l’hormone de croissance). Les résultats
d’études menées par une équipe de chercheurs de Chicago ont montré
un lien entre la dette de sommeil et l’obésité. Dormir ne serait-ce qu’une
heure de moins par jour équivaut à quatre nuits en moins par mois.
Aujourd’hui, la société vit 24 h sur 24. À la dette de sommeil s’ajoute
Il serait opportun d’inciter la population à faire la sieste, soit de façon prophylactique avant d’arriver au travail, soit sur le lieu de travail.
La dette chronique de sommeil qui caractérise nos sociétés crée de plus en plus de problèmes d’hypovigilance au travail, sur la route…
laurence WEIBEl, Docteur en neurosciencesneurobiologiste à la CRAM - Alsace Moselle
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La mortalité routière a été divisée par deux en 30 ans, puis à nouveau
par deux au cours des huit dernières années, c’est-à-dire par quatre en
moins de 40 ans, grâce à la lutte contre les excès de vitesse et l’alcool.
Ceux-ci représentent toujours un décès par accident sur deux mais,
pour épargner encore plus de vies, la bataille de la sécurité routière
doit être engagée plus finement. Il s’agit maintenant de trouver des
solutions pour combattre l’endormissement au volant. De premières
actions ont d’ores et déjà été mises en place dans le cadre du comité
interministériel de la sécurité routière.
Depuis deux ans, nous travaillons sur la question de la fatigue, de toutes
les pathologies liées au sommeil. Avec le professeur Philip, nous nous
sommes engagés dans l’étude CRASH pour améliorer la compréhension
de ces phénomènes et trouver des axes d’action,
depuis la prévention jusqu’à la formation, en
passant par des textes de lois ou des opérations
de communication.
La communication dissociée n’a pas d’utilité. En
revanche, elle a du sens quand elle accompagne
une politique. Et il faut qu’elle soit ciblée. Les
jeunes, par exemple, sont confrontés à une
mortalité spécifique, composée d’un cocktail
de vitesse, d’alcool, d’inexpérience, auquel on sait depuis quelque
temps qu’il faut ajouter la fatigue. Dans toutes les actions simples, de
raccompagnement notamment, il faut intégrer ce paramètre « fatigue »
et expliquer qu’il n’y a pas de honte à s’arrêter et à dormir dans sa voiture,
pour pouvoir repartir en toute sécurité. Cette dimension nouvelle doit
être intégrée par les auto-écoles, l’apprentissage de la conduite et
l’examen du permis de conduire.
Certains points restent à approfondir, les travaux statistiques sont
à affiner. Un travail est en cours avec les sociétés d’autoroutes et
l’Observatoire sur la sécurité routière pour mieux cerner un problème :
40 % des accidents se produisent en solo. Dans cet ensemble, il faut
pouvoir distinguer la part de l’endormissement, de la fatigue mais aussi
celle des distracteurs comme le téléphone mobile. Plus grave encore, une
étude récente que nous avons commandée montre un développement
rapide de l’usage des écrans tactiles, en particulier chez les jeunes.
Dans toutes les actions simples, de raccompagnement notamment, il faut intégrer ce paramètre « fatigue » et expliquer qu’il n’y a pas de honte à s’arrêter et à dormir dans sa voiture, pour pouvoir repartir en toute sécurité.
La décennie mondiale de la sécurité dans le monde a été lancée le
11 mai 2011.
À cette date, le comité interministériel de la sécurité routière a adopté
quatre décisions relatives à l’hypovigilance qui renforcent la sévérité
contre le téléphone au volant et les écrans tactiles, en dehors des GPS.
Le téléphone n’a pas été totalement interdit car certaines professions
doivent pouvoir communiquer, ce qui nécessite des discussions profession
par profession.
Nous avons voulu marquer également une très grande sévérité à l’égard
des personnes qui font un usage inapproprié de la bande d’arrêt d’urgence
et des voies neutralisées sur l’autoroute, mettant en péril les personnels
qui travaillent pour notre sécurité.
Une concertation a été engagée avec le ministère de la Santé pour voir
comment augmenter la capacité de chacun à conduire en toute sécurité,
notamment pour la population vieillissante pour qui la conduite est
parfois la dernière forme d’autonomie. Cela consiste à faire vérifier sa
vue, son aptitude à conduire, mais aussi vérifier si l’interférence entre
certains médicaments n’est pas néfaste et s’il n’existe pas une maladie
comme l’apnée du sommeil. Des conseils pourraient être délivrés pour
éviter la conduite de nuit, pour limiter les déplacements au périmètre
indispensable, pour se rendre chez son médecin, par exemple,
Deux groupes de travail planchent sur ces questions, l’un spécialement
dédié aux distracteurs, l’autre aux problèmes physiologiques et aux
pathologies.
Parallèlement au développement des bandes blanches, nous travaillons
avec les fournisseurs d’accès à la mise au point de dispositifs technologiques
comme les avertisseurs de danger.
Enfin, nous démarrons un nouveau partenariat : le premier entre la
sécurité routière et les sociétés d’autoroutes. Nous avons décidé de mener
une campagne commune, cette année, au moment des grands départs.
Dans ce cadre, nous avons réalisé trois spots radio qui seront diffusés de
façon continue durant tout l’été sur les radios autoroutières, pour rappeler
que l’endormissement est un grand danger sur l’autoroute. Ces spots
seront accompagnés d’émissions d’explications et de témoignages.
Intervention de Michèle MERlIDéléguée interministérielle à la sécuritéet à la circulation routières.
16 17
pas encore cette sagesse et cette humilité nécessaires à la prise de
conscience du risque routier.
Les nombreux outils à la disposition du conducteur doivent également être
expliqués de façon pédagogique, en distinguant les bons comportements
des mauvais. Le régulateur de vitesse, par exemple, peut parfois
devenir dangereux parce qu’il est mal utilisé voire mal maîtrisé des
conducteurs.
Tous ces outils doivent faire parti des programmes du continuum
pédagogique.
Aussi nous devons continuer d’être réactifs. Le modernisme s’accompagne,
voire s’anticipe.
La conduite s’apprend en formation initiale dans les écoles de conduite.
Elle devrait l’être également en formation continue dans le cadre d’un
continuum pédagogique tout au long de la vie, afin de transmettre des
messages adaptés, délivrés obligatoirement à certaines étapes de la vie
et répétés pour une meilleure efficacité.
Quelques pays européens mettent en place « le message connu ». Ils
rendent obligatoire un retour régulier en formation avec une dimension
basée sur l’expérience.
Les thèmes de la somnolence et de la fatigue sont déjà expliqués en
formation initiale et font l’objet de questions dans l’épreuve théorique
du code de la route. Mais les contenus peuvent encore être améliorés
et détaillés davantage car si ces messages sont
sus, ils ne sont pas connus des conducteurs. Or
l’important est la connaissance, pas le savoir.
Une bonne connaissance des risques va au-delà
de la simple prise de conscience et permet de
réduire la peur de l’inconnu. La formation qui permet d’aboutir à cela
est l’apprentissage anticipé de la conduite.
Depuis 1995, les écoles de conduite ont adopté cet apprentissage
anticipé. Elles constituent en ce sens un véritable laboratoire qui a
permis de mettre en place les « rendez-vous pédagogiques » au cours
desquels une dynamique s’installe et permet de trouver des solutions
communes.
La connaissance n’est pas seulement une question de technicité. C’est
aussi un moyen favorisant une meilleure appréhension des risques
comme la somnolence, la fatigue, la vitesse. L’objectif unique restant
de diminuer le nombre de tués et de familles brisées.
Les jeunes qui sont « le terreau » de cette problématique ne possèdent
Les contenus peuvent encore être améliorés et détaillés davantage car si ces messages sont sus, ils ne sont pas connus des conducteurs.
Les Transports Guivarc’h se composent de 115 personnes dont
99 conducteurs routiers qui parcourent au total environs 9 millions de
kilomètres à l’année. Le risque étant permanent, les enjeux humains à
court terme (accidents de travail en circulation) et moyen et long terme
(malaises) nous ont amené à réfléchir quant aux réponses à apporter.
La profession de conducteur routier est très réglementée en France,
avec un cadre juridique et une réglementation sociale très précis. La
durée maximum de conduite est de 10 heures, sur 12 heures de service.
C’est aussi l’une des professions les plus contrôlées aujourd’hui, avec
les chronotachygraphes numériques et les contrôles effectués sur la
route et en entreprise. En France, les règles sont largement respectées.
Si quelques dysfonctionnements existent dans certaines sociétés, ils
sont très minoritaires.
Il existe également une réglementation sociale européenne qui s’applique
à tous les pays de l’Union. Même si les conditions varient légèrement
en fonction de chaque pays, la tendance est à un lissage.
Pour concilier les différents impératifs de gestion de l’entreprise : efficacité,
sécurité, rentabilité, il est possible d’agir sur différents niveaux.
Au niveau de l’individu : l’aspect relationnel me paraît capital, les bonnes
relations entretenues par l’exploitation (véritable cœur de l’entreprise)
avec les conducteurs conditionnent dans une large mesure la bonne
exécution des contrats de transport confiés par nos clients.
La politique sociale mise en place (Plan Epargne Entreprise, Abondement…)
induit un turn-over quasi inexistant.
La prise en compte des horaires et des tournées en fonction des individus, la
polyvalence qui évite la monotonie, la prévalence en fonction de l’âge sont
autant d’éléments qui sont également intégrés dans le management.
Responsabilite individuelle et collective, comment progresser ?
Patrice BESSoNE, Président du Conseil National des Professions Automobiles(CNPA) - Branche Formation Des Conducteurs
André BRAS, Président - Transports GUIVARC’H
18 19
L’aspect formation et information tient également une place importante,
nous avons par exemple eu l’opportunité de faire suivre sur 2 jours à 6 de
nos salariés une formation CARSAT Bretagne intitulée « Risque Routier -
Horaires décalés », formation au cours de laquelle sont exposés les effets
sur la santé des horaires et rythmes décalés en général : déséquilibres
alimentaires induits, fatigue...
La compréhension de ces phénomènes ainsi que les mesures à mettre en
œuvre pour en minimiser les effets y sont très clairement expliqués. Par
le biais de la documentation remise par la CARSAT et des connaissances
acquises au cours de leurs formations, les salariés ont largement relayé
l’information dans l’entreprise.
Au niveau des véhicules : l’utilisation des véhicules est également
un facteur important. Les poids lourds bénéficient aujourd’hui des
mêmes avancées technologiques que les voitures (boîte automatique,
climatisation, système d’alerte de dérive lente, système radar anti-
collision, rafraîchisseur d’air…). Nous avons fait le choix d’intégrer
ces équipements au cahier des charges lors du renouvellement des
véhicules même si, malheureusement, ces équipements ne sont encore
qu’optionnels et représentent donc un surcoût financier non négligeable
ce qui entrave leur généralisation dans la profession.
Toutefois, ces avancées techniques, liées au bien-être du conducteur ont
leurs limites sur la route et peuvent, à l’inverse de l’objectif recherché,
mettre le conducteur en position d’hypovigilance. Le risque demeure
très important.
Au niveau des déplacements : le choix du réseau autoroutier plus onéreux
au prime abord, s’avère nettement moins accidentogène et plus rapide.
En ce qui concerne les relais (remplacement d’un conducteur ayant
effectué son temps de conduite journalier par un autre conducteur
ayant pris son repos), nous avons privilégié un système très peu répandu
dans la profession : les conducteurs disposent d’un véhicule attitré
dans lequel le confort (couchette, climatisation rafraîchisseur d’air
fonctionnant véhicule arrêté) permet un repos de qualité. C’est donc
uniquement la remorque et non comme souvent l’ensemble routier
qui effectue le relais. Et si renforcer l’individu permettait finalement au
collectif de gagner ?
La somnolence fait l’objet de travaux depuis une vingtaine
d’années. La première étude financée par le réseau
autoroutier, sur ASF, date de 1991. Les connaissances ont
extrêmement progressé depuis et des éléments très nouveaux
se dégagent.
Le premier est qu’il ne sert à rien de faire des campagnes
généralistes et qu’il est préférable de les cibler en direction
des populations à risque de somnolence qui sont parfaitement
identifiées. Comme dans d’autres domaines, certaines
personnes sont plus vulnérables que d’autres. Dans 50 %
des accidents mortels dus à la somnolence est impliqué un
sujet jeune.
Avant de communiquer, il faut donc se demander en direction
de qui. Ensuite se poser la question du message. En 2011, alors
que le système de communication est très organisé autour de
l’alcool dans les boîtes de nuit, il n’est plus possible d’oublier
le facteur sommeil. Les jeunes et la conduite sont un secteur
inexploré sur lequel il faut aller de façon prioritaire.
Deuxièmement, il est pertinent de se concentrer sur les
facteurs comportementaux : la chronobiologie, la privation
de sommeil...
Enfin, les médicaments sont quant à eux à l’origine de 3 %
des accidents de la circulation. Avec Emmanuel Lagarde, nous
venons de publier pour la quatrième fois sur ce thème. 95 %
des médicaments incriminés le sont via la somnolence. Le corps
médical et les maladies se trouvent impliqués de ce fait.
Le travail est un facteur de risque clairement identifié.
Conduire à certaines périodes de la journée ou de la nuit est
à risque de sommeil.
Pour arriver à vaincre ce problème, il faut commencer par
concentrer les efforts avec un déterminisme politique et dans
des champs très précis.
Professeur Pierre PHIlIPCNRS Bordeaux
20 21
Le secteur de l’aéronautique bénéficie d’une avancée en matière
de sécurité par rapport à d’autres systèmes. La somnolence est une
problématique ancienne en raison du travail de nuit, des décalages
horaires, des vols de plus en plus longs. Sur beaucoup de points, le
secteur routier et le secteur aérien sont comparables.
Des études destinées à élaborer de meilleurs moyens de gérer le risque
fatigue ont donné des conclusions inattendues, montrant que des
vols de 20 heures, sans escale, étaient moins fatigants que des vols
plus courts de 8 heures. Cette sorte de constats remet en question
l’opposition productivité et sécurité. Certaines compagnies aériennes, en
mettant en place un système de suivi du risque
fatigue, ont amélioré à la fois leur sécurité et
leur rentabilité.
Croire qu’un cadre règlementaire qui fixe
notamment les temps de repos et les limitations
du temps de service, permet de prévenir
totalement la somnolence et de garantir la sécurité est une illusion.
Une règlementation n’a pas les capacités à prendre en compte toute
la complexité des rythmes biologiques et des différentes situations
possibles. À titre d’exemple, un chauffeur routier peut tout à fait respecter
la règlementation et conduire pendant moins de 10 heures mais avoir
été privé de sommeil sur une période beaucoup plus longue, notamment
si la conduite a lieu la nuit et s’il a dû se lever tôt le matin du jour qui
a précédé.
Pour cette raison, certaines compagnies aériennes ont substitué un
dispositif de gestion du risque fatigue à la règlementation prescriptive.
L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) qui dépend de
l’ONU et qui gère toutes les règlementations de l’aéronautique sur le
plan international, a récemment approuvé un texte encourageant les
États à mettre en place ce système de gestion du risque fatigue. Certains
États comme la Nouvelle-Zélande ont mis en œuvre avec succès cette
approche depuis une vingtaine d’années.
La responsabilité est partagée entre l’employeur qui met en place
une politique de prévention du risque fatigue, et les salariés qui sont
responsables d’utiliser leur période de repos et d’évaluer leur niveau de
Depuis une dizaine d’années, se mettent en place des structures
interministérielles qui développent une politique de prévention
du risque routier en général et du risque routier professionnel en
particulier. L’inspection du travail mène en ce moment une campagne
de contrôle sur ces questions. À l’issue de cette campagne, se posera
la question de la généralisation des bonnes
pratiques et des expériences intéressantes qui
se développent.
En France et en Europe, le système juridique
fixe les règles de prévention et de sécurité en
direction de l’employeur, avec une obligation de résultat concernant la
France. Au niveau de l’Union européenne, les principes de prévention
sont hiérarchisés depuis la suppression du risque, jusqu’aux consignes
données aux salariés.
Compte tenu des situations concrètes dans lesquelles se trouvent les
opérateurs, les salariés, les conducteurs, l’idée est de leur fournir les
moyens de développer des stratégies pour augmenter leur vigilance, être
dans les meilleures conditions de conduite et de travail possible, puisque
très souvent les deux situations alternent. Le rôle des autorités est de
repérer les situations éventuellement contradictoires qui découlent de
la règlementation, afin de la modifier.
Dans le secteur du transport routier, la règlementation a globalement
abouti à une limitation des accidents. Dans la mesure où les entreprises
mettent en œuvre les principes qui viennent d’être développés par
les intervenants précédents dans la table ronde, on peut dire que la
profession des grands routiers est une profession sûre. Un certain nombre
de règles qui s’imposent aux grands transporteurs routiers devraient
donc être valables aussi pour les entreprises dont le transport est une
activité occasionnelle, par exemple en termes d’organisation du temps
Le rôle des autorités est de repérer les situations éventuellement contradictoires qui découlent de la règlementation, afin de la modifier.
Malgré toutes les formations techniques, le facteur humain reste prégnant, avec ses rythmes biologiques, la possibilité d’être stressé, de commettre des erreurs.
Philippe CABoN, Maître de conférences - Université Paris Descartes et Consultant - DEDALE
fatigue, avec le devoir de décider éventuellement de ne pas assurer un
vol. En d’autres termes, les acteurs sont responsabilisés sur le résultat
en termes de sécurité plutôt que sur le seul respect de la règle.
Un autre enseignement qui peut être tiré du secteur aéronautique
concerne l’importance des aptitudes non techniques dans la gestion de
la sécurité. Malgré toutes les formations techniques, le facteur humain
reste prégnant, avec ses rythmes biologiques, la possibilité d’être stressé,
de commettre des erreurs. Un équipage reçoit une formation régulière
sur les problématiques de stress, de communication, de fatigue, de
sommeil, de confiance… Il apprend, dès le départ, une certaine humilité
vis-à-vis de ses propres limites, dont la somnolence fait partie. Déclarer
pour faire partager ses propres limites et ses erreurs de manière claire
constitue une approche essentielle pour l’amélioration de la sécurité.
Pascal ETIENNE, Chef du bureau des équipements et des lieux de travail,Direction générale du travail, Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé
22 23
Les valeurs fondamentales de Volvo sont la qualité, la sécurité et le respect
de l’environnement. Notre première responsabilité est d’amener sur le
marché des produits dont la technologie est fiable, assortie de moyens
qui permettent à nos clients de former leurs conducteurs. Les modules
de formation conducteurs incluent la sécurité, l’alimentation et autres
problèmes de santé. Le sommeil, l’alcool, la drogue... y sont abordés.
Depuis 1969, une équipe de Volvo ART (Accident Research Team) étudie
tous les accidents de poids lourds en Scandinavie. On s’est aperçu, il y a
une quinzaine d’années, que la somnolence était aussi importante que
l’alcool et la drogue au volant.
Les dernières statistiques font apparaître que 20 % des accidents au
niveau de l’Europe sont dus à la somnolence, la fatigue ou l’inattention.
Nous concentrons donc nos travaux sur cette dimension.
Comme d’autres constructeurs, nous avons d’ores et déjà des systèmes
comme :
Le DAS (Driver Alert Support) un dispositif d’alerte au conducteur en
cas de fatigue, ou de somnolence.
Le LCS (Lane Changing Support) une assistance au changement de voie.
Le LKS (Lane Keeping Support), fonction d’assistance au maintien de la
trajectoire qui surveille la position du véhicule sur la route. Un avertisseur
situé au centre du tableau de bord émet alors un signal sonore.
Et enfin, l’ACC (Adaptative Cruise Control), un régulateur d’allure et
d’espacement entre les véhicules.
Tous ces logiciels sont en option mais permettent de réduire les
conséquences d’un accident et supposent une formation aux
conducteurs.
Tout récemment, il y a 18 mois, Volvo a été le premier à mettre en place
une alerte conducteur à la somnolence par un système de surveillance.
Par ailleurs, nous participons aux différents
programmes européens qui travaillent à
l’élaboration de systèmes oculaires.
Sur le plan des techniques qui apportent de l’aide
et de l’assistance aux conducteurs routiers, les
questions de réglementation et d’homologation font encore l’objet de
discussions au niveau de la France et de l’Union européenne.
Malheureusement, ces outils qui aident le conducteur à ne pas s’endormir
ne font pas partie de l’équipement standard de nos véhicules. La
règlementation européenne est attendue pour déterminer les outils
qui deviendront obligatoirement partie intégrante de l’équipement
standard et nous pouvons également obtenir plus d’aide de la part du
gouvernement.
Encore très peu d’entreprises développent des formations spécifiques sur les questions du risque routier professionnel
On s’est aperçu, il y a une quinzaine d’années, que la somnolence était aussi importante que l’alcool et la drogue au volant.
de travail (temps de travail adapté avec des pauses, limitation du temps
de conduite par salarié, etc).
Diverses situations professionnelles qui ont recours à la conduite,
peuvent se trouver confrontées à un état d’hypovigilance, par exemple
les coursiers, les visiteurs médicaux, les salariés des entreprises du
bâtiment… Encore très peu d’entreprises développent des formations
spécifiques sur les questions du risque routier
professionnel, qu’il s’agisse de formation au
poste de travail ou de formation continue. Seules
20 % des entreprises disposent de formations
adaptées aux différentes situations de travail.
Un effort très important est à faire dans ce domaine. Les sciences
sociales et l’expérience de terrain peuvent aider à déterminer des leviers
supplémentaires pour la prévention en général, plutôt que rechercher
des adaptations au cas par cas pour chaque entreprise.
Les sociétés d’autoroutes pourraient apporter une contribution très
positive en prenant en compte les spécificités des différentes professions
qui empruntent l’autoroute : conducteur de camionnettes du bâtiment,
grands routiers… Les visiteurs médicaux, par exemple, ont besoin de faire
des pauses et de téléphoner, de pouvoir renseigner leur ordinateur en
voiture… Les salariés étant de plus en plus mobiles, les aires d’autoroutes
pourraient être équipées de telle sorte qu’elles pourraient servir de
bureau provisoire, en même temps que de lieu de repos et d’échanges
informels.
Jean-Pierre FANTIN, Directeur produits - VOLVO Trucks France
24 25
Cette étude qualitative a été menée pour mieux cerner les vécus de la
somnolence dans la société contemporaine, au-delà des situations de
conduite, qui en incarnent la circonstance la plus inquiétante.
La somnolence tend à se fondre dans le paysage de la fatigue en général,
« maladie de notre époque » dit-on, mais constitue un phénomène
tout à fait spécifique et bien repéré.
Une méthodologie originalePour mener cette étude sur les comportements et les perceptions, le
recrutement de 40 personnes, hommes/femmes actifs et utilisateurs
réguliers de leur voiture a été nécessaire ; trois étapes ont été mises
en place :
• une phase d’auto-observation
• des échanges sur le Blog-forum
• deux groupes de discussion
Les principaux enseignementsUn phénomène sous-estimé au quotidien : on reconnait quelques
épisodes peu nombreux, alors même que les auto-observations montrent
qu’ils sont réels, fréquents, récurrents…
• les épisodes de somnolence sont spontanément sous-estimés, vécus
très difficilement,
• la somnolence se manifeste tout au long de la journée et ce dès le
réveil, voire toute au long de la semaine,
• un réel phénomène de récurrence,
• la somnolence est mieux acceptée le week-end, où l’on ressent moins
le besoin de lutter pour rester éveillé.
« La somnolence est sournoise » : la somnolence est vécue comme un
phénomène ambigu, un état difficile à cerner, troublant, subi, redouté,
mal compris…
• on devrait savoir la prévoir et l’anticiper,
• elle surprend ou prend au dépourvu,
• elle est partagée par tous mais vécue dans l’isolement,
• la somnolence perturbe les activités en cours,
• elle est un objet de lutte, avec un sentiment aussi de fatalisme,
• elle soulève beaucoup d’interrogations.
VÉCU ET PERCEPTIONS DE LA SOMNOLENCE AU QUOTIDIENÉTUDE COMMANDÉE PAR L’ASFA À L’INSTITUT GATARD & associés - Juin 2011
Anticiper, ou pas, se laisser faire ou lutter ? : la somnolence apparaît
comme un phénomène intime, mal vécu, refoulé, voire dénié…
• anticiper : organiser son mode de vie pour conjurer les moments de
somnolence,
• ne pas anticiper : attitude majoritaire à cause des obligations du
quotidien,
• s’abandonner : le choix dépend de la situation dans laquelle l’individu
se trouve,
• lutter : rester en éveil de par son activité.
Subir et culpabiliser ou assumer et revendiquer ?
La somnolence émerge de l’enquête comme un tabou personnel et
social. Notre société qui privilégie largement la performance rend la
somnolence plus que jamais redoutable à assumer face aux autres.
À rebours, une minorité revendique la somnolence comme un art de
vivre…
Quelles que soient les circonstances, la somnolence est toujours
difficile à vivre, au travail, chez soi ou au volant.
Une aspiration à faire de la somnolence un sujet de santé publiqueLa somnolence est un sujet sous-estimé, dont on ne parle pas assez ;
les participants sont en attente de conseils pour rassurer, prévenir et
faciliter la mise en place de solutions :
• en parler plus souvent, pour permettre de déculpabiliser, pour expliquer
qu’il s’agit d’un phénomène naturel,
• avoir d’avantages d’information de la part des médecins afin de
mieux comprendre le phénomène, ses mécanismes, ses causes et
ses conséquences,
• avoir des informations pratiques sur les bonnes solutions pour lutter
contre la somnolence.
Assumer sa somnolence, c’est accepter soi-même d’être sujet à cet
état, sans culpabilisation. C’est une question sociétale et culturelle :
cela doit d’abord passer par l’acceptation de ce comportement par les
autres, par la société.
26 27
LES MEMBRES DE L’ASFA
3, rue Edmond Valentin - 75007 ParisTéléphone : +(33)1 49 55 33 00 - Télécopie : +(33)1 49 55 33 91
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