n°37 les peuples de l'ombre - t2 : le pacte des ténèbres -...
Post on 16-Mar-2021
0 Views
Preview:
TRANSCRIPT
FABRICECANEPA©2010,AlexandraSokoloff.©2011,HarlequinS.A.
978-2-280-24183-0
NOCTURNE
1.
Le vent soufflait sur le Mississippi, faisant naître à la surface du fleuve de petites rides quiaccrochaientlespremièreslueursdusoleil.IldébouchasurJacksonSquare,soulevantaupassagelespapiersgrasetlescannettesquelesnoctambulesavaientabandonnéslà.Puisils’engouffradanslesruellespavéesduQuartierFrançais,faisantfrémirlesenseignesdesboutiques.Ce n’était pas un vent ordinaire. En son sein se dissimulait quelque chose d’aussi maléfique
qu’insidieux,uneforcetrèsanciennequiéchappaitauxsensdesêtreshumainsmaiséveillachezlesanimauxduquartierunbrusqueaccèsdeterreur.Leschatscrachèrentetfirent legrosdostandisqueleschienssemettaientàhurleràlamort.
***
Caitlin MacDonald fut réveillée en sursaut par un concert d’aboiements sauvages. Le cœurbattant,lecorpsmoitedetranspirationetlapeauparcourued’irrépressiblesfrissons,elles’efforçadechasserlaterreurquesonrêveavaitfaitnaîtreenelle.Mais elle ne parvint pas à chasser les dernières brumes du sommeil qui s’accrochaient à son
espritnilavisioninquiétantedeceventchargédemenaces.Tendantl’oreille,elles’aperçutquelesaboiementss’étaienttus,laissantplaceàunpesantsilencequinefitquerenforcersonmalaise.Elles’arrachaàsonlitetenfilalekimononoirtissédefilsd’argentquiétaitposésurlachaise
toute proche. Traversant sa chambre, elle gagna la porte-fenêtre et s’avança sur le balcon quidominaitlacourintérieuredelamaison.Elleremarquaaussitôtleventquiagitaitlesfeuillesdesmagnoliasetleslianesd’hibiscuspiquetéesdefleursrouges.Ilfaisaitfrissonnerlasurfacedel’eaudubassinetclaquerl’undesvoletsdeboiscontrelemur.Caitlin se raidit en apercevant une silhouette non loin du mur de brique qui enceignait la
propriété, l’isolant de la rue. L’inconnu était vêtu d’un sweat-shirt dont la capuche relevéedissimulaitsestraits.Ilparutsentirsonregardpesersurluietsetournaverselle.UnprofondsoulagementenvahitCaitlinlorsqu’elledécouvritquelemystérieuxpersonnagevêtu
denoirn’étaitautrequesajeunesœurShaunaquiluiadressaunpetitsignedelamainavantdesediriger vers l’une des portes qui donnaient sur la rue. Elle devait être sur le point de faire sonjoggingquotidien.Celanesuffitpourtantpasà rassurerCaitlin.Leventquicontinuaitàsouffler lamettaitmalà
l’aisesansqu’elleparvienneàcomprendrepourquoi.Relevantlesyeux,elleobserval’aileopposéedelamaison,cellequ’occupaitsonautresœur,Fiona.Larambardedubalcondesachambreétaitgarniedejardinièresfleuries.L’aînéedestroissœurs
MacDonaldavaittoujourseulamainverteetc’estellequiavaitplantélamajeurepartiedesplantesquiornaientlejardin.La porte-fenêtre conduisant à la chambre de Fiona était entrouverte et ce détail ne fit que
renforcer l’inquiétude de Caitlin. Se pouvait-il que quelqu’un se soit introduit chez elle ? Celaauraitpuexpliquerlemauvaispressentimentqu’elleavaitéprouvéenouvrantlesyeuxcematin-là.Comme elle se faisait cette réflexion, elle vit le rideau bouger légèrement. Il s’écarta alors,
laissant apparaître Fiona qui tenait une tasse fumante. Caitlin ne put réprimer un soupir desoulagementtandisquesasœurs’avançaitpours’accouderàlabalustrade.Ellel’aperçutalorsetluisouritavantdeleversatasseenunsalutmuet.Quelqu’uns’avançaalorsderrièreelle.CaitlinreconnutJaggerDeFarge,lenouveaucompagnon
de sa sœur. Il ne portait qu’un jean, laissant apparaître un torse parfaitement sculpté. Il étaittellementabsorbéparlavisiondeFionaqu’ilneremarquapaslaprésencedeCaitlin.Celle-ci levitnouersesbrasautourde la tailledesasœuret l’embrasseravecpassion.Fiona
s’abandonna à lui, trahissant le mélange d’ardeur et de confiance qu’il lui inspirait. Toujoursenlacés,ilsdisparurentdanslachambreetCaitlinsedétourna,écœurée.Elle ne parvenait toujours pas à comprendre comment Fiona pouvait être tombée amoureuse
d’unvampire.Avait-elledoncoubliéquec’étaitàcausedecescréaturesqueleursparentsétaientmorts ? Ne comprenait-elle pas que sous un vernis de civilité se dissimulaient de redoutablesprédateursassoiffésdepouvoir?Caitlinétaitpourtantcertainequesonmauvaispressentimentn’avaitaucunrapportavecJagger.
Maislorsqu’elleparcourutdenouveaulejardinduregard,ellenedécelariend’anormal.
***
CaitlinavaittoujourséprouvéuneétrangetendressepourleVieuxCarré,lequartierhistoriquedeLaNouvelle-Orléansquiabritaitlamajoritédesrestaurants,desclubsdejazzetdesbarsdelaville.Elleconnaissaitchacunedesesruesmaisneselassaitpasdelesparcourirentoussens.Commetouslesmatins,ellefitundétourparleCaféduMondeoùelleachetaunegrandetasse
de son célèbre café au lait. Puis elle longea Jackson Square, la grande place que dominait lacathédrale Saint-Louis. Elle admira au passage les devantures des antiquaires qui offraient auxamateursfortunésdesobjetsdetoutessortes,témoinsdelalongueetfertilehistoiredelaville.Ontrouvaitlàaussibiendevieillespendulesquededélicatsservicesenporcelaine,desbijoux,
des peintures ou de superbesmeubles anciens. Comme tant d’autres choses dans cette ville, cesboutiquessemblaientéchapperàl’emprisedutemps.Etait-ce pour cela que les peuples de l’ombre appréciaient tant La Nouvelle-Orléans ?
Appréciaient-ilseuxaussilecaractèrepresqueimmuabledecettecité?Peut-êtreétaient-ilségalementattirésparlapuissantemagiequirégnaitenceslieux.Carlaville
avait toujours été unhaut lieu de l’occultisme.De tout temps, des prêtres vaudous et desmagesvenusdumondeentiers’étaientinstallésicipourypratiquerleurart.Quelle qu’en soit la raisonprofonde, les peuples de l’ombre s’étaient installés ici par vagues
successives depuis le xviie siècle. La plupart avaient fui l’Europe et les persécutions dont ilsfaisaientl’objetdepuisleMoyenAge.Cardurantplusieurscentainesd’années,l’Egliseavaitrépétéàsesfidèlesquelesvampires,les
loups-garous,leselfesettouteslescréaturesfantastiquesquipeuplaientlaterredepuislanuitdestemps étaient des créatures démoniaques qui devaient être pourchassées et exterminées sans lamoindrepitié.Commebeaucoupdepersécutés,ilsavaientdonccherchérefugeauNouveauMonde.Etaveceux
étaientarrivéslesGardiens,ceshommesetcesfemmesqui,detouttemps,avaienteulachargedeprotégerl’humanitédespeuplesdel’ombre.Héritièresdecettelourderesponsabilité, lestroissœursMacDonaldétaientchargéesdeveiller
sur les troisprincipalescommunautés implantéesàLaNouvelle-Orléans :Fionaétait leGardiendesvampires,ShaunaceluideslycansetCaitlinétaitresponsabledesmétamorphes.Acetitre,toutestroispossédaientcertainspouvoirsparticuliers.Aunombredeceux-cifigurait
ledondedoublevue.Toutcommesessœurs,Caitlinétaitdotéed’unsixièmesensparticulièrementdéveloppéquisemanifestaitparfoissousformederêvesprémonitoiresoudevisions.C’était la raison pour laquelle elle ne pouvait se permettre d’ignorer le pressentiment qu’elle
avaiteucematin-là.Quelquesmoisauparavant,aveugléeparladéfiancequeluiinspiraientlesvampires,ellen’avait
passudevinerlefaitqu’unmétamorpheavaitétéimpliquédanslasériedemeurtresquiavaitbienfailliprovoquerunenouvelleguerreentrelespeuplesdel’ombre.Elle avait été si négligente, en fait, qu’elle s’était laissé capturer et n’avait dû sa survie qu’à
l’interventiondeFionaetdesonpetitamiJaggerDeFarge.Le souvenir de la peur qu’elle avait éprouvée et de l’humiliation d’avoir été secourue par un
vampireétaittoujoursaussicuisant.Etelleétaitbiendécidéeàneplusjamaiscommettreunetelleerreur.Unenouvellesautedeventlatirabrusquementdesesréflexions.Fermantlesyeux,elles’efforça
deseconcentrer.Unefoisdeplus,illuisemblapercevoirlamenacesourdequiplanaitsurlaville.Etcommeellecherchaitàenidentifierlasource,elleacquitlacertitudequ’encetinstantprécis,
quelqu’unétaitentraindel’observer…
***
Embusqué dans l’une des ruelles qui débouchaient sur Jackson Square, il gardait les yeuxrésolumentfixéssurleGardienqu’ilavaitsuividepuislagrandedemeuredesMacDonald.Lefaitqu’ellenel’aittoujourspasremarquéduranttoutcetempsn’auguraitriendebon,nipour
ellenipourlaville…Commeilsefaisaitcetteremarque,illavitreleverbrusquementlatêteetparcourirlaplacedes
yeux.Un sourire ironique se dessina sur ses lèvres.Peut-être n’était-elle pas aussi incompétentequ’ill’avaitpensé.Unechoseétaitcertaine,entoutcas:detouslesGardiensqu’illuiavaitétédonnéderencontrer,
CaitlinMacDonaldétaitlapluscharmante.Ilétaitsensibleautroublantmélangedesensualitéetd’innocencequisedégageaitd’elle.Mais,
étantdonné lescirconstances, ilauraitétédangereuxdecéderà l’attirancenaissantequ’elle lui
inspirait.Lavoyants’élancerencourantverslaruelledanslaquelleilsetrouvait,ilreculadansl’ombre
etsedématérialisa.
***
CaitlindébouchadansPirateAlleyets’arrêtanetendécouvrantquelaruelleétaitdéserte.Elleétaitpourtantconvaincued’avoirsentiquelqu’un.Prêtant l’oreille, elle chercha à distinguer un bruit de pas susceptible de lui indiquer où se
trouvaitlapersonnedontelleavaitdétectélaprésence.Maisleseulsonqu’elleperçutfutlesouffledeceventinquiétantetlesgrincementsdesenseignesmétalliquesqu’ilfaisaitoscillerdoucement.Caitlin se concentra,projetant sonesprit à la recherchedeceluiqui s’était embusqué icipour
l’observer.Et l’espace d’un instant, il lui sembla effleurer une conscience inconnue, une forme
d’intelligencetotalementdifférentedecellesqu’elleconnaissait.Un frisson glacé courut le long de son échine tandis qu’une peur irrépressible, primale,
l’envahissaittoutentière.Sesentantterriblementexposée,elletournabrusquementlestalonsetsemitàcourir.
2.
Lecœurbattant,CaitlinparvintenfinauCarrémagique,laboutiquequ’elletenaitavecsessœurs.Onytrouvaitnonseulementdeslivrestraitantdereligionetd’occultismemaisaussitoutessortesd’articles liés à leur pratique : encens, statuettes et vêtements rituels, herbes et gemmes auxpropriétésmagiquesetmêmequelquesobjetsvaudous.Les sœursMacDonald mettaient également à la disposition de leurs clients leur don pour la
voyance:Fionas’étaitspécialiséedanslalecturedumarcdecafé,ShaunadanslachiromancieetCaitlindanslapratiquedutarotdivinatoire.Refermant laporteàcléderrièreelle,ellegagna l’arrière-boutiquedans laquelleelle recevait
sesclients.Là,elles’assit faceà lapetite tablecirculairesur laquelleétaitposésonjeude tarotspréféré.Ellecommençaparallumerlabougiequiétaitposéedevantelle.Puis elle prit une profonde inspiration avant d’expirer doucement, s’efforçant de chasser la
tension nerveuse qui l’habitait. Seul un esprit serein était capable de discerner l’architecturecomplexed’untirageetlesenssecretdessymbolesquileconstituaient.Elleeutcependantbeaucoupdemalàdompterlapeurqu’elleavaitéprouvéedanslaruelle.Elle
neparvenait toujours pas à s’expliquer cette réaction : c’était une terreur si intense, si primitivequ’elleavaitbalayétoutessesdéfenses,neluilaissantd’autrechoixquedeprendrelafuite.Caitlinavaitpourtantl’habitudedefréquenterlespeuplesdel’ombreparmilesquelsfiguraient
desprédateursaussiredoutablesquelesvampiresouleslycans.Elleavaitmêmeétéconfrontéeàl’imminence de sa propremort, quelquesmois auparavant.Or jamais elle ne s’était sentie aussidémunie,aussiimpuissante.Lorsqu’elleparvintenfinàrecouvrerunsemblantdecalme,elletenditlamaingaucheversles
lamesdetarotetenprittroisqu’elledisposadevantelle.Ils’agissaitdutirageleplussimple,celuiquicorrespondaitaupassé,auprésentetàl’avenirduconsultant.Sanssurprise, lapremièrecartequ’elle retournaétaitcellede laMaisonDieuqui représentait
unetourfoudroyée.C’étaitunelamequiluiétaittrèsfamilière.Ellereprésentaitàsesyeuxaussibien l’ouragan Katrina qui avait dévasté la ville que la guerre qui avait opposé les différentspeuplesdel’ombreetcausélamortdesesparents.ElleretournalasecondecarteetdécouvritleDiable,symboledelatentation.Contrairementàla
lameprécédente,celle-cinemanquapasde l’étonner.Carcela faisaitdéjàquelque tempsqu’elleétait célibataire et dernièrement, elle n’avait rencontré personne qui soit susceptible de la fairerenonceràcestatut.—Jemedemandecequemeréservel’avenir,murmura-t-elle.Endécouvrantlalamesuivante,ellefrissonna.C’étaitl’Arcanesansnom,celuiquireprésentait
traditionnellementlamort.Laplupartdespraticiensdutarots’efforçaientdeminimiserlesensdecesymbole,expliquantqu’ilreprésentaitlechangement.C’étaitparfoisvrai:ilpouvaits’agird’unchangementbrutaletdouloureuxcommeunemaladie,
undivorceouunlicenciement.MaisCaitlinnesefaisaitaucuneillusion:ilpouvaittoutaussibien
s’agird’undécès.Quoiqu’ilensoit,cen’étaitpaslegenredecartequ’ilfallaitprendreàlalégère.—Dequidois-jememéfier?murmura-t-elleenretournantunenouvellecarte.Cette fois, il s’agissaitdu septdecoupesqui était traditionnellement associéà l’illusion.Pour
Caitlin,cettecartereprésentaitsouventlesmétamorphesdontelleétaitleGardienattitré.—Aquoireconnaîtrai-jeceluidontjedoismeméfier?demanda-t-elleencore.Cette fois, elle tira la carte de l’Amoureux. Mais comme elle s’apprêtait à poser une autre
question,elleentenditunbruitdechutesuivid’un juronsonore.Elle reconnut immédiatement lavoixdeShaunaquinetardapasàlarejoindredansl’arrière-boutique.—Maisqu’est-cequetufaislà,assisetouteseuledanslenoir?luidemandasajeunesœur.Caitlinsecontentadehausserlesépaules.—Pourquoin’as-tupasouvertlaboutique?insistaShauna.—Jevoulaisconsulterlescartes,réponditCaitlin.Shaunajetauncoupd’œilàcellesqu’ellevenaitderetourneretgrimaça.—Çan’apasl’airencourageant,commenta-t-elle.—Eneffet,soupiraCaitlin.Elleremitleslamesqu’ellevenaitdetirerdanslejeuqu’ellecoupaensuitedelamaingauche.
Shaunaétaitdéjàretournéedanslasalleprincipalepourallumerleslumièresetremonterlestorequidissimulaitlavitrinedelaboutique.Caitlinlarejoignitet,quelquesinstantsplustard,ellesfurentrejointesparFionaquiétaitpassée
chercherlespetitsgâteauxqu’ellestenaient toujoursàladispositiondeleursclients.C’étaitcetteconvivialitéqui leurvalaitd’être régulièrementcitéespar lesguidescomme l’unedesboutiqueslesplusconvivialesdelaville.Caitlin observa attentivement ses deux sœurs et ne put s’empêcher de remarquer à quel point
Fionaparaissaitrayonnante.IlétaitévidentquesaliaisonavecJaggerDeFargeavaituneffettrèsbénéfiquesursonmoral.Etc’étaitquelquechosequeCaitlinavaitbeaucoupdemalàadmettre.Certes,ellesavaitquelesvampiresavaientacceptédeseplierauxrèglesédictéesparl’ensemble
des peuples de l’ombre. Tout comme les lycans, ils avaient renoncé à s’en prendre aux êtreshumains.MaiscelanesuffisaitpasàréconcilierCaitlinaveccescréatures.Elle considérait également qu’un Gardien n’était pas censé sortir avec l’un des membres de
l’espèce dont il avait la charge. Tôt ou tard, cela finirait par générer un conflit d’intérêtsembarrassant.—Quesepasse-t-il?s’enquitFionaenavisantl’expressionmaussadedeCaitlin.—Ilyaquelquechosedansl’air,réponditcelle-ci.—Queveux-tudireparlà?— Je ne sais pas exactement, reconnut Caitlin. Je me suis réveillée avec un très mauvais
pressentiment.Etpuis,quelqu’unm’asuiviesurlechemindelaboutique.Sesdeuxsœurséchangèrentunregard inquiet.Toutesdeuxavaientprobablementà l’esprit les
incidentsquis’étaientdéroulésquelquesmoisauparavant.—As-tuvudequiils’agissait?demandaFiona.
— Je crois qu’il s’agissait de quelque chose, plutôt que de quelqu’un, répondit Caitlin enfronçantlessourcils.Quelquechosed’invisiblemaisquim’espionnait,j’ensuiscertaine.Cette fois, le coup d’œil qu’échangèrent ses sœurs trahissait plus de scepticisme que
d’inquiétude.—Jeviensdetirerlescartes,ajoutaCaitlin.LaMaisonDieu,leDiableetl’Arcanesansnom…
Je ne sais pas ce qui se trame exactement mais il semble que cela ait un rapport avec lesmétamorphes.Sessœursensavaientassezsurletarotpourcomprendrequ’unteltiragen’auguraitriendebon.
Pourtant,ellepouvait toujours liredans leursyeuxledoutequi leshabitait.ToutesdeuxsavaientqueCaitlinavaitététrèsaffectéeparlesévénementsdesmoisprécédents.Elleauraitvoululeurfairecomprendrequecequis’étaitpassécematin-làn’avaitaucunrapport
maisFionaneluienlaissapasletemps.—Dis-moicequenouspouvonsfairepourt’aider,luidit-elled’untonpleindesollicitude.A la fois agacée et désarmée par la gentillesse de sa sœur, Caitlin s’efforça de ravaler la
frustrationqu’elleéprouvaitencetinstant.—Tâchezseulementdefairetrèsattentionàvous,répondit-elle.Lorsquej’ensauraiunpeuplus,
jevoustiendraiaucourant.FionaetShaunasecontentèrentdehocherlatêteetCaitlinsedemandasicen’étaientpaselles
qui avaient raison : se pouvait-il qu’elle ait imaginé ce qui s’était passé ce matin-là ? Qu’ellecherche inconsciemmentuneoccasiondereprendre l’initiativeaprèsavoirété incapabledefairefaceàsesresponsabilités?Nes’était-ellepasmaintesfoisrépétéquelejourviendraitoùelleprouveraitàsessœursqu’elle
étaitdignedutitredeGardiendontelleavaithérité?Maislesouvenirdelaterreurqu’elleavaitressentiedanslaruelleluirevintalorsetellecomprit
qu’elle ne pouvait avoir imaginéune telle sensation.Unepuissancemaléfique était bel et bien àl’œuvreàLaNouvelle-Orléansetc’étaitàellequ’ilincombaitdel’identifieretdelacombattre.—Est-cequetupeuxtenirlaboutique,cematin?luidemandaalorsShauna.Jedoisallerfaire
quelquescoursesetFionaestcenséerécupérernoscostumespourlasoiréed’Halloween.—Ne t’en fais pas pour moi, répondit Caitlin que la prévenance de ses sœurs avait parfois
tendanceàagacer.Elleleurdécochaunsourireunpeuforcé.—Jem’occupedetout,ajouta-t-elle.—N’hésitepasàappelersituaslemoindreproblème,luiditalorsFiona.Caitlin se garda prudemment de répondre et regagna l’arrière-boutique. Hélas, elle ne put
s’empêcher de surprendre les quelques phrases que Fiona et Shauna échangèrent à voix basselorsqu’elleeutledostourné.—Combiendetempscontinuera-t-elleàsereprochercequis’estpasséaucimetière?—Elledevraitpourtantsavoirqu’ellen’yétaitpourrien.—Maistulaconnais:ellesesentresponsable.Elles’enveutdes’êtrelaissékidnapperdecette
façon.D’autantqu’elleconsidéraitJenniecommel’unedesesamies…
EllesquittèrentalorslaboutiqueetCaitlinneputréprimerunjuron.Detouteévidence,FionaetShaunan’avaientpascruunmotdesmisesengardequ’elleavaitformulées.Sansdoutepensaient-ellesaussiqu’elleavaitimaginél’hommequil’avaitsuiviejusqu’àlaboutique.Mais les doutes de ses sœurs ne faisaient que renforcer sa conviction et elle se sentait plus
décidée que jamais à affronter ce danger dont elle était apparemment la seule à avoir prisconscience.
***
LamatinéenelaissaguèrederépitàCaitlin.Al’approched’Halloween,lestouristesaffluaientenmasse àLaNouvelle-Orléans.Et cette saison se révélait particulièrement fructueuse pour lescommercescommeleleurquisespécialisaientdanslamagieetleparanormal.Alors que Caitlin était sur le point de fermer la boutique pour aller déjeuner, elle entendit
quelqu’un l’appeler. Se retournant, elle découvrit une femme aux longs cheveux auburn et à lasilhouettesculpturalequiluifitirrésistiblementpenseràRitaHayworth.Grande, élancée, elle était vêtue d’un pantalon beige et d’un chemisier blanc. Agée d’une
quarantaine d’années, elle était d’une beauté à couper le souffle. Elle dégageait une impressiond’assuranceetdeforcepeucommunesquedémentaitcependant le léger tremblementqueCaitlinperçutdanssavoix.—Bonjour,luidit-elle.—Bonjour,réponditCaitlin.Est-cequejepeuxvousaider?—J’aimeraisquevouslisiezmonavenir…Caitlinfaillitluidemanderderevenirunpeuplustard.Maisquelquechosedansl’apparencede
cette femme l’endissuada.Après tout ce n’était pas tous les jours qu’elle croisait quelqu’unquisemblaitsortirtoutdroitd’unfilmdesannées50.—Jem’appelleAmandaPeters,repritsoninterlocutricequiavaitdûsentirsonhésitation.Peut-
êtreaurais-jedûvousappeleravantdevenir…—C’estgénéralementpréférable,acquiesçaCaitlin.Maisvousavezdelachance:j’aiunpeude
tempsdevantmoi…—Jenevoudraispasvouspriverdevotrepausedéjeuner,luiditAmanda.—Nevousenfaitespaspourcela.Jegrignoteraiquelquechoseenvitesse.Maisjevousenprie,
entrez.Ellespénétrèrentdans laboutiqueetCaitlinprit soinde refermer laporteàcléde façonàce
qu’elles ne soient pas dérangées. Elle entraîna alors sa cliente dans l’arrière-boutique et lui fitsignedeprendreplaceenfaced’elle.—Jenesaispassivousvousêtesdéjà fait tirer lescartesmais je tiensàêtrehonnêteenvers
vous:àmonsens,letarotn’apasderéellevaleurprédictive.Ilnevousdirapascequivasepasseroucequevousdevriez faire.Un tirageest justeunoutil symboliquequidoitvouspermettrederéfléchirauxquestionsquevousvousposez…
Amandahochalatête.—Cequej’aimeraissurtoutsavoir,dit-elle,c’estpourquoiceluiquej’aimaism’aquittée.—Trèsbien,acquiesçaCaitlin.Pouvez-vouscouperlejeudelamaingauche,s’ilvousplaît?Amanda s’exécuta et Caitlin opta pour un tirage de cœur. Après avoir retourné les quatre
premièrescartes,ellelesétudiaattentivement.—Ilsemblequevousvivezunmomentdetransition.Laprésencedenombreusesépéestendrait
àindiquerquevouspoursuivezrésolumentunobjectif…peut-êtreunevengeance.Cetteinterprétationdeslamesquisetrouvaientdevantelleparaissaitêtreencontradictionavecla
questionquesaclientevenaitdeluiposer.ElleretournalacarteassociéeàAmandaetfronçalessourcilsendécouvrantleroidesépées.— C’est étrange, remarqua-t-elle. Cette carte qui est censée vous définir est généralement
associée à une personnalité masculine. Elle indique un individu intelligent et cultivé dont lecaractère peut présenter de multiples facettes. Il a le don de résoudre les problèmes mais peutparfoisaller tropvitepourceuxqui l’entourent. Ila tendanceàchangersanscessedemétier,delieudevie,d’idéesetderelations…C’estquelqu’undepassionné,decharismatique,defascinantmaisquipeutparaîtretropexigeantàceuxquil’entourent.Levantlesyeuxverssacliente,Caitlinvitquecelle-cil’écoutaitavecuneattentionsoutenue.Elle
compritquecequ’ellevenaitdedécrireéveillaitenelleunécho.Peut-êtres’était-elletrompéeenassociantcettelameàsacliente.Peut-êtreétait-elleentraindedécrirel’hommequil’avaitquittée.—Cegenredepersonneesttraditionnellementquelqu’undesolitaire,poursuivit-elle,quelqu’un
qui dresse autour de lui un mur impénétrable et défend férocement son intimité. Ceux quil’entourentpeuventainsi le fréquenterdurantdesannéessansparvenirà leconnaître réellement.Un tel être a également un don pour les sciences occultes, même s’il ne les pratique paspersonnellement…Amandahochalatête,cequinefitqu’accentuerlaperplexitédeCaitlin.Elledécidadoncdetirer
unecartesupplémentairepourprécisersonpremiertirage.—Cavalierd’épéesinversé,murmura-t-elle,deplusenplusétonnée.Unetellecartesymbolise
généralementunsubterfuge,unetraîtrise…Une fois deplus, la lameparaissait concerner l’amant qui avait abandonnéAmanda et non sa
cliente elle-même.Or c’était à son sujet queCaitlin s’efforçait d’obtenir plus de précisions.Undoute l’envahit brusquement et elle tendit lamain vers le jeu de tarots en cherchant cette fois àéluciderlasituationàlaquelleellesetrouvaitconfrontée.Lacartequ’elleretournaétaitleseptdecoupes.Lecœurbattant,CaitlinrelevalesyeuxversAmandaquil’observaittoujoursavecattention.Sa
clientefitalorsminederepoussersachaisepourselevermaisCaitlinluiagrippalepoignet.—Parlepouvoirdelaterre,dufeu,duventetdelamer,jet’ordonnederévélertonvéritable
visage!Lesmotsdepouvoirqu’ellevenaitdeprononcerlibérèrentunevagued’énergiequis’écoulale
long de son bras pour entrer en Amanda. Le corps de celle-ci tressaillit de part en part et semétamorphosasoussesyeux.Caitlin se trouvait à présent face à un homme de grande taille, aux cheveux bruns, vêtu d’un
blousonencuiretd’unjeandélavé.Sonregardtrahissaitunmélanged’assuranceetd’amusementsoulignéparlesouriremoqueurquijouaitsurseslèvres.—Excellent,commenta-t-ild’un ton ironique. Ilvousasuffide troiscartespourmepercerà
jour…—Aquoi est-cequevous jouez? s’exclamaCaitlin en cherchantdesyeuxquelquechosequi
puisseluiservird’arme.Elle prit soudain conscience du fait qu’elle se trouvait seule dans l’arrière-boutique d’un
magasinsituédansuneruellepeufréquentéeàl’heuredudéjeuner.Sicemétamorphedécidaitdes’enprendreàelle,ellen’auraitsansdoutequetrèspeudechancesdeluiéchapper.—Jenejouepas,Gardien,répondit-il.Ladouceurdesontonnefaisaitqu’accentuerlapointedemenacequ’ellepercevaitdanssavoix.
Ilétaitévidentquecethommen’avaitpeurnid’ellenide la fonctionqu’elleexerçait.Celane lasurprenaitd’ailleurspasvraiment.Carjamaisellen’avaitvuunmétamorpheexerceruncontrôleaussiparfaitdesatransformation.Elleréfléchitàcequis’étaitproduitdepuisqu’ill’avaitabordée,cherchantlemoindresignequi
aurait pu le trahir. Mais elle ne se rappelait aucun tic, aucune empreinte psychique, aucunealtérationinvolontairedesonapparence.Sanslescartes,ellen’auraitcertainementjamaisdevinéqu’elleavaitaffaireàunmétamorphe.Caitlinpassarapidementenrevuelesoptionsquis’offraientàelle.Letéléphonesetrouvaitdans
lasalleprincipale,demêmequesonsacàmainqu’elleavaitlaissésurlecomptoir.Orlemorphesetrouvaitentreelleetlaporte.Ilétaitégalementimmunisécontrelessortsd’affaiblissementqu’elleauraitpulancercontreun
intrushumain.—Jenecroispasvousconnaître,luidit-ellepourgagnerunpeudetemps.J’imaginequevous
n’êtespasoriginairedecetteville.Pourquoicettemascarade?Vousauriezpuvenirvousprésentersimplement.—JevoulaissavoircequevalaitleGardiendecetteville,réponditsonvisiteurenhaussantles
épaules.—J’espèrequevousêtessatisfait,répliqua-t-ellesèchement.—Neleprenezpasmal,réponditlemétamorpheenhaussantlesépaules.Detoutefaçon,vous
aurezbientôtl’occasiondeprouvervotrevaleur.Unventmauvaissoufflesurcetteville…Caitlinsefigea,lecœurbattantàtoutrompre.Lesouvenirdecequis’étaitpassécematin-làlui
revintunefoisdeplus.Elles’efforçacependantdenerientrahirdutroublequil’habitait.—Est-ceunemenace?demanda-t-elle.—Plutôtunavertissement.—Ilestunpeuvague.Peut-êtrepourriez-vousêtreunpeuplusexplicite.—Avecplaisir,réponditsonvisiteurensouriant.Loindelarassurer,cettemarquedecordialiténefitqu’accentuerlaméfiancedeCaitlin.—Maislaissez-moitoutd’abordmeprésenter,reprit-il.JemenommeRyderMallory.Caitlinn’avaitjamaisentenducenommaiscelanesignifiaitpasgrand-chose:lesmétamorphes
avaienttendanceàchangerdenomaussisouventqued’identitéaufildeleurstransformations.Elleignoraostensiblementlamainqu’illuitendaitetcroisalesbrassursapoitrine.Maisloinde
selaisserdéconcerterparcetteréaction,Rydernebougeapasd’unpouce.Comprenantqu’elleseridiculiseraitens’entêtantdelasorte,Caitlinluipritdonclamain.Illaserraunpeupluslongtempsquenécessaireetelleeutlatroublanteimpressionqu’ilprofitait
dececontactpour sonder sespensées.C’était impossible,biensûr : ellen’auraitpasmanquédesentir une telle intrusion mentale. Et pourtant, le regard de Ryder paraissait plonger au plusprofondd’elle-même.—Jevousécoute,marmonna-t-elleenfin,gênée.Illuidécochaunsourirepresquecharmeur.—Toutd’abord,ilfautquevoussachiezquejesuisunchasseurdeprimes.—Vraiment?Etquipoursuivez-vous,encemoment?— Il ne s’agit pas d’une personne mais d’un groupe d’entités extrêmement dangereuses et
quasimentincontrôlables.JelesaiprisesenchasseenAfriqueetlesaipistéesjusqu’auxAntilles.Malheureusement, je n’ai pas réussi à les arrêter là-bas mais j’espère avoir plus de chance àLaNouvelle-Orléans.—Commentavez-voussuqu’ellesviendraientjusqu’ici?luidemandaCaitlin,sceptique.—C’esttrèssimple:elleschevauchentlevent,répondit-ilsanshésiter.—Etqu’est-cequilesrendsidangereuses?s’enquit-elle,troubléeparlesouvenirdesonrêve.—Ellessontcomplètementdénuéesdemorale,déclaraRyder.Caitlinsefenditd’unsouriresardonique.—C’estégalementlecasdesmétamorphes,remarqua-t-elle.—Vousêtesunpeudure,objectaRyderquiparaissaitplusamuséqueblesséparcecommentaire.
Ilyatoutessortesdemétamorphes,voussavez.— Peut-être. Mais la plupart d’entre eux se caractérisent par leur profond égoïsme et leur
manquetotald’égardsenversceuxquilesentourent.Unefoisdeplus,elleeutlasensationqueRyderlatransperçaitduregard.Puisilhochalatête
d’unairentendu.—Ondiraitquel’und’entrenousvousafaitsouffrir,commenta-t-il.— N’est-ce pas dans votre nature ? ironisa-t-elle, refusant de se laisser déstabiliser par sa
perspicacité.—Sivousvoulez,dites-moiquivousafaitdumaletjem’occuperaipersonnellementdelui.—Quivousditqu’ilnes’agissaitpasd’unefemme?Ryderluijetaunregardironique.—Iln’yapasbesoindecartespourlirecequirelèvedel’évidence,Gardien.Caitlinencaissalecoup,s’efforçantdemaîtriserl’agacementqueluiinspiraitcethomme.—Vousditesquevousêtesunchasseurdeprimes,remarqua-t-elle.Puis-jesavoirpourquivous
travaillez?—C’estconfidentiel,répondit-il.
—Etcommentsaurai-jesijepeuxvraimentvousfaireconfiance?— Vous êtes un Gardien, n’est-ce pas ? Et vous semblez convaincue d’être assez douée.
J’imaginedoncquevousparviendrezrapidementàtrouverlaréponseàcettequestion.Cettefois,Caitlinneputretenirunsoupird’exaspération.—Soit,dit-elle, si c’est ainsiquevous l’entendez…Ya-t-ilunnuméroauquel jepuissevous
joindre?—Jesuisdescenduàl’hôtelMarieClaire,répondit-il.L’établissementsetrouvaitenpleincœurduVieuxCarré,àquelquesruesdelà.—Trèsbien.Quantàvous,voussavezapparemmentoùmetrouver.Ilinclinalégèrementlatête.—Jepensedoncquenousenavonsterminé,déclara-t-elleenselevantbrusquement.Ryderl’imita.—Jenevousennuieraipaspluslongtemps,luidit-il.Maisjetiensàvousféliciter:cequevous
avez ludans lescartesmecorrespondassezbien.Acepropos,vousai-jeditque j’avaisundonpourletarot,moiaussi?Ilposasapaumesurlepaquetdecartesetlesétalaenéventailsurlatable.Ensaisissantune,illa
tenditàCaitlinquilapritetlaretourna.C’étaitcelledel’Amoureux.—Ondiraitquenoussommesdestinésànousrevoir,Gardien,commenta-t-ilensouriantd’un
airmalicieux.Surce, il sedétournaet traversa le rideaudeveloursbleuqui conduisait à l’arrière-boutique.
Quelquesinstantsplustard,elleentendittinterlesgrelotsdelaported’entrée.Partagéeentrestupeuretcolère,Caitlinreposalalamequ’elletenaittoujoursàlamainetgagna
àsontourlapièceprincipale.Jetantuncoupd’œilàtraverslavitrine,elleconstatasanssurprisequeRyderMalloryavaitdéjàdisparu.Caitlin contourna le comptoir et alla décrocher le téléphone. Mais comme elle s’apprêtait à
composerlenuméroduportabledeFiona,elles’immobilisabrusquement.Sesdeuxsœursn’avaientpascruunmotdecequ’elleleuravaitracontécematin-là.Pourquoien
irait-ilautrement,àprésent?
3.
TandisqueCaitlin remontait à grandspas la rueRoyale, elle remarquaque levent qui s’étaitarrêtéaucoursdelamatinéesoufflaitdenouveausurlaville.Un vent mauvais. C’était le terme qu’avait employé Ryder Mallory et cette description
correspondaitparfaitementàcequ’elle-mêmeavaitressenti.Detouteévidence,ilnepouvaits’agird’unesimplecoïncidence.Maiscelanesignifiaitpaspourautantqu’elledevaitcroireaveuglémentàtoutcequeluiavaitdit
lemétamorphe.Elleconnaissaitsuffisammentcesêtrespoursavoircombienilétaitdangereuxdesefieràleurparole.Caitlinnetardapasàatteindrelecommissariatduhuitièmedistrictquisetrouvaitaucoindela
rueRoyaleetdeConti, justeàcôtédutribunalquioccupaitunimmensebâtimentdedeuxétagesentièrementrecouvertdemarbre.De nombreux touristes étaient assis sur les marches de la cour de justice et écoutaient les
musiciensde ruequi sesuccédaient toutau longde la journée, improvisantparfoisdesconcertspourleplusgrandplaisirdeceuxquiassistaientàcesvéritablesjoutesmélodiques.Caitlin gravit les marches du commissariat au son des accords de Georgia on my mind.
Impressionnéeparl’aisancedusaxophonistequil’interprétait,elleluiadressaunsourireauquelilréponditd’unhochementdetête.Elles’arrêtaquelquesinstantspourl’écouteravantdeseremettreenmarche.
***
Rydercontinuaàjouer,plusparplaisirqueparnécessité.Aprèstout,ilauraittoutaussibienpuadopter l’apparence d’un simple passant pour observer Caitlin MacDonald. Le fait qu’elle soitvenuedirectementdelaboutiqueaucommissariatprouvaits’ilenétaitbesoinqu’elleavaitprissonavertissementausérieux.Cela ne l’étonnait d’ailleurs pas outremesure : leGardien desmétamorphes deLaNouvelle-
Orléans lui avait déjà prouvé qu’elle était une femme perspicace. Et si elle lui avait clairementlaisséentendrequ’elleneluifaisaitaucunementconfiance,elleavaitapparemmentdécidédemenersapropreenquête.Rydernepouvaitquese féliciterdecette réactionqui indiquaitqu’ildisposaitdésormaisd’un
alliéobjectif.Ils’étaitnéanmoinsattenduàcequeCaitlincontactesessœurspourleurrelaterleurrencontreetnonàcequ’elleserendeaucommissariatleplusproche.Quelgenred’informationespérait-elledoncytrouver?Incapablederépondreàcettequestion,Ryderconclut lemorceauqu’ilvenaitd’interpréterpar
unevéritableexplosiondenotesquifurentaccueilliespardesapplaudissementsnourris.Aprèss’êtreinclinédevantsonpublic,ilregagnalaruelledanslaquellesetrouvaittoujoursle
saxophonistequ’ilavaitassommé.Ilreplaçal’instrumentdecedernierdanssonétuietchangeaunefoisdeplusd’apparence pour prendre celle d’un policier en uniformequ’il avait croisé un peuplustôtdanslequartier.D’unpasléger,ilgravitalorsàsontourlesmarchesmenantaucommissariat.
***
Aprèsavoirpasséleportiquedesécurité,Caitlinsedirigeasanshésiterverslesbureauxdelabrigadecriminelle.Là,elle se fit indiqueroùse trouvait l’hommequ’elleétaitvenueconsulter :sonfuturbeau-frère,l’inspecteurJaggerDeFarge.S’efforçantderavaler laméfianceet l’antipathiequ’elleéprouvaitàsonégard,ellesedirigea
verslebureauderrièrelequelilétaitassis.Elle ne comprendrait jamais commentFiona avait pu tomber amoureuse d’un tel être.Certes,
Jaggerprésentaitl’apparenced’unhommeséduisant.Maisilnes’agissaitqued’uneillusion,d’unfaux-semblant.Car Jagger était un vampire. Et durant des millénaires, ses semblables avaient considéré les
hommescommedesimplesproiesdontilssenourrissaientsanslemoindreétatd’âme.De plus, comme la plupart des représentants des peuples de l’ombre,Caitlin considérait avec
beaucoupdesuspicionlesunionsentreespècesdifférentes.Biensouvent,ellesavaientétésourcedequerellesetdeconflits.Parfois,ellesavaientmêmemenéàdesanglantsaffrontements.C’était à cause d’une semblable union que la dernière guerre avait éclaté : Cato Leone, un
vampire, était tombé amoureuxd’une jeunemétamorphenomméeSusanChaisse.Leurs famillesrespectivesavaient réprouvécechoix.Cettedésapprobationavait rapidementcédé laplaceàuneviolencequis’étaitpropagéeàl’ensembledescommunautés.Liamet JenMacDonald, alorsGardiensdes troisprincipauxpeuplesde l’ombre,n’avaient eu
d’autrechoixquedelancerunpuissantsortilègedestinéàramenerlapaix.L’effortqu’ilsavaientdûdéployerpourcefaireleuravaitcoûtélavie.Bien sûr, Fiona ne cessait de répéter que Cato et Susan n’étaient pas responsables, que leurs
parentsavaientétécommeeuxvictimesdel’intolérancequirégnaitparmilespeuplesdel’ombre.MaisCaitlinn’enétaitpasconvaincueetelleétaitbienplacéepoursavoirqu’iln’yavaitriende
bonàattendred’unetelleunion…Ravalant les souvenirs désagréables qui remontaient à la surface de son esprit, Caitlin se
concentrasurl’entrevuequil’attendait.Malgré le peu de sympathie que lui inspirait Jagger, elle était forcée de reconnaître qu’il
s’agissaitd’unbonpolicieretdequelqu’undefiable.Sanslui,Fionaetelleauraientprobablementété tuées quelques mois auparavant, lorsqu’elles avaient été capturées par Jennie Mahoney etValentinaDeVante.De plus, Jagger était réellement très épris de Fiona. Et sachant combien celle-ci tenait à ses
sœurs,ilavaitàcœurdeseconcilierleursbonnesgrâces.C’étaitsurcelaquecomptaitCaitlinpourobtenirdeluilesinformationsdontelleavaitbesoin.
Commeellesedirigeaitverslui,Jaggerlevalesyeuxdudossierdanslalectureduquelilétaitplongé. Cela ne surprit pas Caitlin qui avait très souvent entendu parler du sixième sens dontdisposaientlesvampires.Dèsqu’ill’aperçut,Jaggerreposasondossieretselevapourl’accueillir.—Caitlin?dit-ilsanschercheràdissimulersonétonnement.Jenem’attendaispasàtevoirici…—J’espèrequejenetedérangepas,répondit-elle.—Pasdutout,luiassuraJagger.Est-cequetoutvabien?L’inquiétude qu’elle devinait dans son regard la rassura aumoins sur un point : le fait qu’il
réagissedecette façonsemblait indiquerque les sentimentsqu’iléprouvaità l’égarddesasœurétaientbienréels.—Trèsbien,autantquejesache,répondit-elle.Jemedemandaisjustesituavaisconstatéquoi
quecesoitd’anormalenville,cesdernierstemps.—Quelgenredechose?demanda-t-il,curieux.—Jenesaispasexactement.Unehausseinexplicabledunombredemeurtres,peut-être…Des
mortsinexpliquées…LeregardqueluilançaJaggerluiconfirmaqu’elletenaitunepiste.Elles’efforçacependantde
nepastrahirsonimpatienceetdeprendreuneexpressiondécontractée.—Pourquoicettequestion?demanda-t-ild’untonnettementplusprofessionnelqu’auparavant.—Cematin, j’ai tiré lescarteset j’aieu l’impressionqu’ilsepassaitquelquechosedegrave,
quelquechosequiconcernaitlaville.Jemesuisditquetuseraispeut-êtreaucourant,etquesicen’étaitpaslecas,jeferaismieuxdeteprévenir.Jaggerlaconsidérad’unairperplexe.Ilsedemandaitsansdoutepourquoielleavaitdécidéde
luirendreservicealorsqu’ellen’avaitjamaiscachélepeudesympathiequ’illuiinspirait.Mais il savait aussi qu’elle était unGardien et ne négligerait donc pas une telle prémonition.
Après tout, chacun à leur façon, ils s’étaient engagés à veiller sur cette ville et à protéger seshabitants.—A vrai dire, je vois bien quelque chose qui pourrait correspondre à ta vision, répondit-il
enfin. Il s’agit d’une série de morts inexpliquées. Les médecins légistes pensent qu’il pourraits’agird’overdosesduesàunlotdecristalmethmaldosée…LetondesavoixindiquaitclairementquecetteexplicationnelesatisfaisaitpasetCaitlinattendit
doncqu’ilpoursuive.—Mais j’avoue ne pas être convaincu par les rapports que nous avons reçus du laboratoire,
ajouta-t-il.Deplus,lesvictimessontdestouristesdepassagequinecorrespondentpasvraimentauprofiltypedesconsommateursdeméthamphétamine.Taprédictionpourraitmedonnerraison…—C’estpossible,concéda-t-ellesansconviction.PuiselleserappelabrusquementleDiablequifiguraitdanssonpropretirage.Elleavaitanalysé
cesymbolesousl’angledelaséductionmaiscettecarteétaitcelledelatentationetpouvaitdoncparfaitementserapporteràladrogue.Elles’abstintcependantdelementionner,craignantqueJaggern’ailleleraconteràsasœur.Or
ellenetenaitpasàcequeFionas’inquièteàsonsujet.
—Quoi qu’il en soit, reprit-elle en s’efforçant d’adopter un ton détaché, j’imagine que cettehistoireconcernepluslapolicequelesGardiens.Jesuisheureusedesavoirquetuaslasituationbienenmain.Jenevaispastedérangerpluslongtemps.Abientôt,Jagger.Ellefitminedesedétourner.—Jeteremercied’êtrevenuemetrouverpourmeparlerdecettevision,luiditalorsJagger.—Iln’yapasdequoi.—N’hésitesurtoutpasàmecontacterdenouveausituasd’autresvisionsdecegenre…—C’estpromis,luidit-elle.Mais en son for intérieur, elle était bien décidée à se passer de ses services et àmener cette
enquête à sa façon. Car son instinct lui soufflait que cette vague demorts suspectes n’était pasétrangèreàcequeluiavaitracontéRyderMallory.Ets’ilexistaitréellementunlienentrelescréaturesqu’ilavaitévoquéesetl’usagedestupéfiants,
elleconnaissaitprobablementl’unedespersonneslesmieuxplacéespourluienparler.
4.
LarueBourbonconstituaitincontestablementlecœurduVieuxCarré.C’estlàqueseconcentraitlamajoritédesbars,desclubsetdesrestaurantsquiattiraientlestouristesdumondeentier.Séduits par l’activité incessante et l’atmosphère survoltée qui régnaient dans cette artère, ils
venaientgoûteràcettefollevienocturnequiavaitrendulavillesicélèbre.Comme la plupart des habitants, cependant,Caitlin préférait généralement éviter les excès qui
caractérisaient cette rue et évitait de fréquenter ce quartier durant la soirée. A ses yeux,LaNouvelle-Orléansrecelaitdespasse-tempsbienplusplaisantsetraffinésqueceuxqu’offraitlarueBourbon.Hélas,sesresponsabilitésdeGardienlapoussaientàs’yrendrerégulièrement.Carl’aptitudedes
métamorphes à se transformer à volonté et leur besoin presque pathologique d’être admirésconduisaientnombred’entreeuxàexercerdesprofessionsartistiques.C’étaitlecasdeceuxqu’ellecherchaitplusparticulièrementcejour-là.Sachantqu’ilsnevivaient
quasimentquelanuit,elleétaitretournéeàlaboutiquejusqu’aucrépuscule.Puiselleavaitfaitappelàl’undessortilègeslespluspuissantsqu’elleconnaissaitpourserendre
invisible.Decettefaçon,ellen’avaitrienàcraindredespickpockets,desivrognesetdesdragueursminablesquiarpentaientlarueBourbon.Il y avait dans cette impunité quelque chose de grisant et Caitlin avait un peu l’impression
d’évoluer dans un décor de cinéma. Peut-être était-ce à cause du contraste qui existait entre lesfaçades très classiques des maisons et les vêtements à la fois modernes et décontractés destouristes,àcausedel’excitationquirégnaitauseindecettefoulebigarrée,oubienencoredetoutescesmusiquesquisemêlaientetsesuperposaientenunejoyeusecacophonie.Plus encore que durant la journée, la diversité qui caractérisait la ville éclatait au grand jour.
Touslesâges,touteslesclassessociales,touslesstylesmusicauxetvestimentairessecôtoyaient.On trouvait aussi bien des femmes à moitié nues que des fanatiques religieux portant des
pancartesquidénonçaientlacorruptiondesmœursetannonçaientlafindumondeprochaine.Caitlin était si absorbée par la contemplation de ce spectacle qu’elle faillit percuter un vieil
aveuglemunid’unecannequis’inclinalégèrementdevantelle.—Désolé,mademoiselle,luidit-il.Lesgensqui les entouraient jetèrentdes regards intrigués à cethommequi semblait saluer le
vide.Caitlinétait toutaussi surprisemaisellen’eutpas le tempsdes’excuseroud’interroger levieilhommequis’étaitdéjàremisenroute.Ellelesuivitdesyeuxtandisqu’ildisparaissaitdanslafoule.Nombre d’habitants de LaNouvelle-Orléans étaient dotés de pouvoirs psychiques et il n’était
donc pas étonnant qu’un vieil aveugle ait pu développer une sensibilité suffisante aumonde quil’entouraitpourpercevoircequiéchappaitausimpleregard.Rassuréeparcetteexplication,ellepoursuivitsonchemin.
***
LorsqueRydervitCaitlinseremettreenmarche,ilquittalarueprincipalepours’enfoncerdansuneruelle latérale.Là, ilabandonnasonapparencedevieilaveugleetse transformaenun jeuneétudiantportantunsweat-shirtàl’effigiedel’universitédeLaNouvelle-Orléans.Il était très impressionnépar les talentsdont faisaitpreuveCaitlinMacDonald.Le sortqu’elle
avait employé pour se rendre invisible était si habile qu’il avait bien failli se laisser abuserlorsqu’elleavaitquittélaboutique.Silessœursdelajeunefemmeétaientaussihabilesqu’elle,lavilleétaitentredebonnesmains.Cela ne signifiait pas pour autant qu’il était prêt à lui faire confiance.Ryder avait appris à se
méfier desGardiens qui passaient souvent beaucoup trop de temps à tergiverser au lieu d’agir.Lorsdesespérégrinationsautourduglobe, ilavaitpourtantétéamenéàcollaborer trèssouventaveceux.Ils constituaient en effet à ses yeux des alliés naturels en raison de la place privilégiée qu’ils
occupaient:conscientsdel’existencedespeuplesdel’ombre,ilsn’appartenaientpourtantàaucund’entreeuxetdemeuraientrelativementlibresd’agircommeilsl’entendaient.Ainsi qu’il l’avait supposé, Caitlin avait décidé de mener sa propre enquête. Son pas décidé
indiquaitdeplusqu’ellepensaitpouvoirtrouveruninformateurintéressant.OrRydern’avaitquetrèspeudecontactsàLaNouvelle-Orléans.Laplupartdesgensqu’ilconnaissaitautrefoisétaientmortsouétaientpartiss’installersousd’autrescieux.Defait,LaNouvelle-Orléanss’étaitprofondémenttransforméedepuissondépart.Desbâtiments
avaientdisparu,remplacéspard’autresplusmodernes.Desquartiersentiersétaientvenuss’ajouteràceuxqu’ilfréquentaitautrefois.Maiscertaineschosesnechangeaientpas,commel’atmosphèresiparticulièrequirégnaitdansla
rueBourbon.Ryder aimait ces lumières criardes, ces bars animés et bruyants, cette foule venues’encanaillerl’espacedequelquesheures.Ilsedégageaitdetoutcelauneénergiecommunicativeetilauraitvoulupouvoirs’yabandonner,l’espaced’unesoirée.C’étaitpourtantimpossible.Carilsavaitques’ilneretrouvaitpasrapidementlescréaturesqu’il
avaitpistéesjusqu’ici,lafêtesechangeraittrèsrapidementenvéritablecauchemar…
***
Caitlinnetardapasàconstaterquel’ambiancedelarueBourbonétaitencoreplussurvoltéequed’ordinaire.Ilétaitàpeine10heuresdusoiretpourtant, lamajoritédespassantsqu’ellecroisaitparaissaientdéjàivres.Elleavisauncouplequis’étreignaitassezlascivementpourêtrearrêtépourattentatàlapudeur.
Un peu plus loin, plusieurs jeunes femmes avançaient en se tenant par les épaules. Celle qui setrouvaitaucentreportaitunT-shirtsurlequelétaitécrit:«Dernièrechanceavantmonmariage!»Un groupe d’étudiants leur adressa une série de propositions très explicites auxquelles elles
répondirent par une bordée d’injures qui l’étaient tout autant. Des gens sortaient des bars en
chantantàtue-tête,d’autrestitubaientjusqu’àl’impasselaplusprochepourpouvoirvomir.Caitlin se demanda brusquement si cette étrange surexcitation pouvait avoir un quelconque
rapport avec ce ventmauvais dont Ryder lui avait parlé. Car il y avait indubitablement quelquechose dans l’air. Quelque chose dont elle ignorait la nature mais qu’elle était bien décidée àidentifierauplusvite…ElleparvintenfinenvueduBonTemps,leclubqu’ellecherchait.Etcommeelleapprochaitdela
porte, celle-ci s’ouvrit, laissant passer un hurlement assourdissant de guitares saturéesqu’accompagnaient un véritablemartèlement de batterie et le vrombissement sourd etmenaçantd’unebasseélectronique.Caitlin reconnutaussitôt lemorceauetcompritqu’ellenes’étaitpas trompée.Elleconnaissait
trèsbienPablo,levideur,etn’auraiteuaucunproblèmepourrentrermaisellepréféraitéviteruneconversationquiluiauraitrappeléunepériodedesaviequ’ellepréféraitoublier.Elleattenditdoncqu’uncouplede jeunesgensentrepourseglisserderrière lui.Ledépassant,
elleremonta lecouloirquiconduisaità lasalleprincipaleduclub.Là,ellesepostaenretraitdefaçonàpouvoirobservertranquillementlascène.LaNouvelle-Orléansétaitunlieuexigeantetlaplupartdesmusiciensquis’yproduisaientétaient
dotésd’unréeltalent.TelétaitlecasdeRazorblade,legroupequiétaitentraindeseproduire.Case, le chanteur,possédaitunevoixmagnifiquequ’ilpouvaitpousserdans les aigus lesplus
redoutables avant de redescendre de plusieurs octaves avec une facilité déconcertante. Il sedégageaitdeluiuneformedesensualitésauvagequetrahissaitchacundesesgestes.Ses longscheveuxnoirs retenusparunbandana,son jeannoirmoulant,seshautesbotteset la
chemise blanche à jabot qu’il portait lui donnaient de faux air de pirate dont il savait jouer àmerveillepourfascinersesauditrices.Caitlinjetaalorsuncoupd’œilàDanny,leclaviériste.IlétaittoutaussiséduisantqueCasemais
seslongscheveuxblondsetsonvisageglabreauxtraitsharmonieuxluidonnaientl’aird’unange.Sonexpressionparaissaitd’ailleursrefléteruneétrangesérénité.Maisilsuffisaitderegarderses
yeux pour comprendre qu’elle devait plus à l’usage intensif qu’il faisait des stupéfiants en toutgenrequ’àuneréellepaixintérieure.Malgréelle,Caitlinsentituneprofondetristessel’envahir.Ellecompritalorsqu’unepetitepartie
d’elle-mêmeavait espéré queDanny etCase avaient remis de l’ordre dans leur existence, qu’ilsavaientrenoncéàlalenteautodestructionqu’étaitdevenueleurexistence.LegroupeattaquaalorsunereprisesurvitaminéedeWalkthiswayd’Aerosmith.Setournantde
nouveauverslechanteur,Caitlinconstataqu’ilavaitàprésentdefauxairsdeStevenTyler.C’était l’une des raisons pour lesquellesRazorblade avait tant de succès : en faisant un usage
subtil de sonpouvoir,Case était capable au coursd’une soiréed’évoquer successivementBono,Sting,EminemouAxelRose.S’ilne s’étaitpas reposéengrandepartie sur cette capacité, il aurait certainementpu fairede
Razorblade l’un des groupes majeurs de sa génération. Car il était capable de composer desmorceauxexceptionnelslorsqu’ils’endonnaitlapeine.Mais il préférait le succès facile que lui procuraient ces reprises. Cela n’avait d’ailleurs rien
d’étonnant : lesmétamorphes passaient bien trop de temps à se transformer et à faire semblant
d’êtrequelqu’und’autrepourdévelopperleurego.Laplupartd’entreeuxsecontentaientdeselaisserporterparl’existenceetdecollectionnerles
expériences,enchaînantainsidestranchesdevieparfaitementdépourvuesdesens.Quelques-uns finissaient même par perdre progressivement le sens de leur propre identité,
dérivant de plus en plus loin vers le plan astral dans lequel ils transitaient à chacune de leurstransformations. Ils développaient alors des pouvoirs psychiques phénoménaux et entraient encommunicationaveclesentitésdésincarnéesquifréquentaientleplanastral.De tous lesmétamorphes qu’elle connaissait,Danny était certainement celui qui possédait les
plus grands pouvoirs mentaux. Et lorsqu’il était en état de les utiliser, il était même capabled’entrevoirl’avenir.—Jenevousentendspas!s’exclamaalorsCase.Chantezavecmoi!Le leader charismatique de Razorblade semblait avoir du mal à tenir debout. Ses yeux
légèrement injectésde sang indiquaient clairementqu’il était sous l’emprised’unedosemassived’alcooletdestupéfiants.—Jeveuxvousentendrecrier!s’exclama-t-il.Plusieursfemmessemirentàpousserdescrisstridentsetilparcourutlasalled’unairsatisfait.
LorsquesonregardcroisaceluideCaitlin,illuidécochal’undecessouriresirrésistiblesdontilavaitlesecret.Elle ne s’étonna pas du fait qu’il l’ait aperçue.Après tout, c’était lui qui lui avait enseigné la
majeurepartiedestoursqu’elleutilisait.Aprèss’êtreassuréequepersonned’autrenelaregardait,elledissipadoncsonsortilèged’invisibilité.Case reposa alors son micro sur le pied qui lui faisait face et fit signe à son guitariste de
s’avancer.Cedernier,égalementunmétamorphe,portait tantdepiercingsqu’ildevaitaffoler lesdétecteursdemétalchaquefoisqu’ilprenaitl’avion.Casesautaalorsaubasdelascèneetsefrayauncheminautraversdupublicpourvenirdanssa
direction.Aupassage,ilsefitagripperparunejeuneétudiantequil’embrassaàpleinebouche.IlselaissafaireavecunplaisirévidentetCaitlinsedétourna,furieusedesentirl’irrépressibleaccèsdejalousiequimontaitenelle.Ellesedirigeaverslaportequidonnaitsurunepetitecourintérieure.C’étaitlàquelesclientsdu
clubvenaient fumerouprendre l’airentre lesdifférentsconcerts.Lepetitbarquiyétait installén’étaitpasouvert,cesoir-là,etCaitlinallas’asseoirsurl’undestabourets.Quelquesinstantsplustard,Caseémergeaàsontourduclub.Ilsortitdesapocheunpaquetde
cigarettes,ensortituneetl’alluma.L’odeurquienvahitlapetitecourindiquaàCaitlinque,commeàsonhabitude,ilavaitdûlatremperdansdel’huiledecannabis.Commes’ilavaitludanssespensées,ilfitminedelaluiproposer.Ellesecontentadesecouerla
têteenluilançantunregardnoir.—Jesuissurprisdetevoir,luidit-ilsanssedémonterlemoinsdumonde.Etantdonnélafaçon
dontnousnoussommesquittésladernièrefois,jenepensaispasquetunousferaisl’honneurdeveniràl’undenosconcerts.—Jenesuispasvenuepourvousécouter,répondit-elle.Casesefenditalorsdecesourirecyniquequ’elleneconnaissaitquetropbien.
—Jem’endoutaisunpeu,acquiesça-t-il.J’imaginequetuesicientaqualitédeGardienetquetuasbesoindemonaide…—Cedontj’aisurtoutbesoin,c’estd’informations.Caseselaissatombersurletabouretvoisinetinspiraunelongueboufféedecigaretteavantde
recracherlentementlafumée.—Qu’est-cequitefaitcroirequej’accepteraidet’aider?luidemanda-t-il.—J’estimequetumedoisbiencela,répondit-elleenleregardantdroitdanslesyeux.Sonsourirenarquoisdisparutet,l’espaced’uninstant,ellecrutliresursonvisageunenuancede
regret.—Peut-être,concéda-t-il.Queveux-tusavoir,exactement?—Plusieurspersonnes sontmortes, récemment.Lapolicepensequec’est à caused’un lotde
cristalmethmaldosée.—Tusaistrèsbienquecen’estpaslegenrededroguequejeconsomme.—Maisjesaisaussiquetuconnaislamoitiédesdealersdecetteville.Siquelqu’unsaitcequi
s’estpassé,c’estbientoi…Elles’interrompitbrusquementetsuivitleregarddeCase.Unjeunebarmanvenaitd’émergerdu
clubpourprendreplacederrièrelebar.—Charlie,l’interpellaCase,sers-nousdeuxwhiskysCoca.Lebarmans’exécutaaussitôtetCaserepritlaparoleàvoixbasse.—J’aientenduparlerdecettehistoire,déclara-t-il.Maisjenevoispastrèsbienenquoicelapeut
t’intéresser : les victimes étaient quasiment toutes des touristes de passage.Et il n’y avait aucunmorpheparmieux.—Tuenessûr?—Certain.Amonavis,ilsontvouludécouvrirlesplaisirsinterditsdelavillemaisn’yontpas
résisté.Iln’yapasdequois’enfaire…Caitlinn’étaitpasconvaincuedutoutparcetteexplication.Laméthamphétaminen’étaitvraiment
paslegenrededroguequeconsommaientlestouristes.—Dis-moi, reprit-elle, est-ce que par hasard, tu aurais déjà entendu parler d’unmétamorphe
nomméRyderMallory?Casepritleverrequelebarmanvenaitdeposerdevantluietleportaàseslèvrespourlevider
d’untrait.—Çanemeditrien,répondit-ilenhaussantlesépaules.Ellecompritqu’ilétaitentraindeluimentiretsedemandaquelleraisonilpouvaitbienavoirde
luicacherunetelleinformation.—Ilfautquejetequitte,déclara-t-ild’untonquicachaitmalsanervosité.Monpublicm’attend
etjen’aimeraispasledécevoir…—DisàDannyquej’aimeraisluiparler.Caitlinlevitseraidirbrusquementetiljetauncoupd’œilnerveuxendirectiondubarman.Ce
dernierneparaissaitpourtantpasprêterattentionàleurconversation.
—Pourquoiveux-tuparleràDanny?luidemandaCase.— Je veux savoir s’il a vu quoi que ce soit d’anormal sur le plan astral, ces temps-ci.Nous
pourrionségalementorganiseruneséancedespiritisme…Casehaussalesépaules.—Encemoment,Dannyn’estplusvraimentenétat.—Pourquoifaut-ilquevousvousdétruisiezdecettefaçon?neputs’empêcherdeluidemander
Caitlin.—Tunenousasjamaisvraimentcompris,petitesœur,luirépondit-ilavecunétrangemélange
demoquerieetde tristesse.C’est lemondequine tournepasrond.Dannyetmoi,nousessayonsjustedenousmettreaudiapason…Caitlinneréponditpas:ellesavaitqu’iln’yavaitrienàattendred’unetellediscussion.Durant
des années, elle avait espéré pouvoir l’arracher au nihilisme dans lequel il sombraitprogressivementmais au lieu de cela, c’était Case qui avait bien failli l’entraîner avec lui. Elledescenditdoncdesontabouret.—TâchedeparleràDannylorsqu’ilseraenétatdet’écouter, luidit-elle.Jesuiscertaineque,
pourmoi,ilferauneffort.—Tuneboispastonverre?luidemandaCase.Ellesecoualatêteetils’emparadesonverreavantdel’avalerculsec.—Jeverraicequejepeuxfaire, luidit-il.Enattendant,faisbienattentionàtoi.Ilyaquelque
chosedansl’air.Quelquechosedetrèsnéfaste,jelesens…
5.
En quittant le club où se produisait Razorblade, Caitlin se sentait dans un tel état de désarroiqu’elleavaitpresquedumalàmaintenirlesortilèged’invisibilitéquilaprotégeaitdenouveau.En venant, elle avait espéré que les sentiments que lui avaient inspirés Case appartenaient
définitivementaupassé.Certes,ledésirqu’elleéprouvaitautrefoisavaitdisparuetelleneressentaitplusenversluiaucuneattirancephysique.Maisl’amitiéetlatendresseétaienttoujourslà,ainsiquecemélangesifamilierdecolère,defrustrationetd’angoisse.S’y ajoutait à présent une profonde culpabilité. Car elle avait conscience d’avoir doublement
failliàsondevoir:nientantqu’amie,nientantqueGardien,ellen’avaitétécapabled’aiderDannyetCase.Maispeut-êtreétait-elletropproched’euxpourcela…ElleavaitrencontréCasealorsqu’elleétaitencoreadolescente.DestroisfillesMacDonald,elle
avaitincontestablementétélaplusdifficile.Dotéed’uncaractèrebientrempé,elles’étaitlongtempssentiemaldanssapeauentreunegrandesœurtropparfaiteetunepetitesœurtrèsprotégée.Elleavaiteuégalementl’impressionqu’ellenepourraitjamaissehisserauniveaudesesparents
quiavaientsugagnerlerespectdeshumainscommeceluidespeuplesdel’ombredontilsétaientlesGardiens.Trèsvite,elleavaitdonccherchéàfuircecoconfamilialétouffant.Elles’étaitmiseàfaire le
murpourpassersessoiréesdanslarueBourbonoùelleécoutaitdelamusiqueetsefaisaitoffrirdesverrespardesgarçonsbienplusâgésqu’elle.Un soir, un étudiant unpeu trop ivre l’avait entraînéede forcedansune ruelle où il comptait
pouvoirabuserd’elleentouteimpunité.Etc’étaitCasequil’avaitsecourue.Rétrospectivement,ellecomprenaitqu’elleétaitalorstombéedeCharybdeenScyllamais,surle
moment,elles’étaitlaisséséduireparcebeaumétamorphequi,commeelle,refusaitl’ordreétablietaspiraitàplusdeliberté.Commentaurait-ellepuluirésister?Ilétaitdrôle,séduisant,talentueuxetcommençaitàsefaire
unnomdanslemilieudelamusique.Deplus,enapprenantqu’elleétaitlafilledesMacDonaldetqu’elle hériterait un jour de la charge de Gardien des métamorphes, il avait accepté de luienseignerlesrudimentsdelamagie.Souslecharme,elleavaitsuiviCasedeconcertsenrépétitions,destudiosd’enregistrementen
soiréesbranchées.Elleavait fait laconnaissancedeDannyavec lequelelleavaitsympathisé.Lesdeuxmétamorphesl’avaientprisesousleuraile, luiapprenantàutilisersespouvoirsdeGardienpoursetransformeroupourlancerdessorts.Puis laguerre entre lespeuplesde l’ombre avait éclaté et lesparentsdeCaitlin étaientmorts.
Celle-cis’étaitsentie terriblementcoupabledenepasavoirétéplussouvent làpoureux,de leuravoirmenticontinuellementetd’avoirsanscessedésobéiàleursinstructions.Elleavaitégalementdûintégrer trèsrapidement lesresponsabilitésqui lui incombaiententant
que nouveau Gardien des métamorphes. Cela avait été d’autant plus difficile que les sœurs
MacDonald avaient dû réconcilier des communautés qui se méfiaient les unes des autres etn’avaient aucune raison d’accorder leur confiance à trois jeunes filles complètement dénuéesd’expérience.Pendant plusieurs années, Caitlin avait donc coupé les ponts avec Case et Danny qu’elle ne
croisaitplusquedetempsentemps.Achacunedeleursrencontres,cependant,elleconstataitavecinquiétudequelesdeuxmétamorphessombraientunpeuplusdansladésillusionetladépendance.Lasituationétaitdevenuesiproblématiquequ’elleavaitdécidéd’intervenirentantqueGardien
pourlesmettreengardeetleurvenirenaide.MaiselleavaitétéincapabledefaireabstractiondessentimentsqueCasecontinuaitàluiinspireretétaitdenouveausortieaveclui.Il ne lui avait cependant pas fallu très longtemps pour comprendre combien elle avait sous-
estimélestendancesautodestructricesdeCaseetdeDanny.Terrifiéeparlafaçondontilsjouaientavecleursvies,elleavaitdésespérémenttentédelesramenerdansledroitchemin,usanttouràtourdepromessesetdemenaces.Du coup, Case avait fini par se lasser de ses remontrances perpétuelles et il avait décidé de
rompre,luibrisantlecœur.Celas’étaitproduitquelquesmoisauparavant,justeavantlavaguedemeurtresperpétrésparJennieetValentina.La déception amoureuse deCaitlin avait contribué à lui faire perdre sesmoyens et c’était en
partiepourcelaqu’elle s’était laissé surprendrepar JennieMahoney.Pasun seul instant, ellenel’avaitsoupçonnéed’êtreimpliquéedanscesassassinats.Depuis lors, elle s’était sentie terriblement coupable de ne pas avoir été à la hauteur. C’était
d’ailleurs laraisonpour laquelleelleétaitbiendécidéeàélucider lemystèredeceventmauvaisquiparaissaitsoufflersurlaville.Mais cette fois, elle ne se laisserait pas déconcentrer par Case et ses fausses promesses. Elle
accompliraitsondevoirdeGardienet,toutcommesesparentsavantelle,ellesauraitfairepasserl’intérêtgénéralavantsesproprespréoccupations.Quelquepeurassérénéeparcettedécision,ellepressalepas.L’activitéqu’elleavaitremarquée
enserendantauclubparaissaitavoirredoubléetdescentainesdepersonnessepressaientàprésentsurlestrottoirs.Etudiants, touristes, hommes d’affaires et oiseaux de nuit en tous genres se côtoyaient et
discutaientlibrementsousl’effetdel’alcoolalorsqu’ilsneseseraientpasadressélaparoledurantlajournée.Quelque peu assourdie par la musique, les rires et les dizaines de conversations qui se
télescopaient,Caitlinavaitbeaucoupdemalàseconcentrer.ElledécidadoncdepasserparlarueRoyalequiétaitunpeupluscalmeetpritlapremièreruequipartaitsurladroite.Tout enmarchant, elle réfléchit à ce que lui avaient appris Jagger etCase.Apparemment, les
victimes de cette inexplicable vague d’overdoses étaient toutes des touristes. Or cela paraissaitn’avoiraucunsens.Grâce à Case, elle connaissait suffisamment le monde de la drogue pour savoir que,
contrairementaucannabis,àlacocaïneouàl’ecstasy,laméthamphétaminen’étaitpasunedroguerécréative.Etilétaitplusdifficiledes’enprocurerquedetrouverdel’héroïneouducrack.Alorscomment tousces touristesavaient-ilsréussiàen trouver?Etcommentsefaisait-ilque
tousaientsuccombéàlasuitedesoningestion?
Caitlinretournavainementcesquestionsdanssonesprit.Elleétaitsiabsorbéeparsesréflexionsqu’ellenefitpasattentionaubruitdepasquiserapprochaitd’elle.Puis,soudain,ellefutpercutéedepleinfouetparquelqu’unquilaprojetabrutalementàterre.Lesoufflecoupéparlaviolenceduchoc,ellesentitsatêteheurterleborddutrottoir,éveillant
en elle une douleur aveuglante. Elle lutta de toute la force de sa volonté pour ne pas perdreconnaissance, cherchant vainement à comprendre qui avait bien pu percer le sort d’invisibilitéqu’elleavaitlancépourseprotéger.Rassemblant le peu d’énergie qu’il lui restait, elle se redressa péniblement et se prépara à se
battre.C’estalorsqu’elleavisalevisagedesonagresseur.Ilétaitdéforméparuneexpressionderage qui n’avait rien d’humain. Quant à son regard, il paraissait plus vide encore que celui deDannylorsqu’ilétaitsousl’emprisedeladrogue.L’hommelaissaéchapperungrognementsauvageetellecompritqu’ellenes’étaitpastrompée:
ellen’avaitpasaffaireàunêtrehumainmaisàunecréaturesurnaturelledontelleignoraitencorelanatureexacte.Maisdetouteévidence,celle-cin’éprouvaitpaslamoindrehésitationàl’idéedes’enprendreà
unGardien.Commeellefaisaitminedeseremettredebout,l’hommesejetadenouveausurelle,seservant
de son poids pour la plaquer de nouveau au sol. Elle remarqua brièvement l’odeur étrange quiémanaitdesoncorps.Ellen’avaitrienàvoiravecl’alcooloulatranspirationetressemblaitplutôtàcelledel’ammoniaque.Puislesdoigtsdel’agresseuragrippèrentsoncouetellelessentitseresserrerimpitoyablement
sursatrachée.Elleentenditlebruitsourddesonpropresangquibattaitcontresestempesetsavuesetroublasoudain.Elle voulut supplier l’homme de la libérer mais ne parvint à émettre qu’un faible
gargouillement. Elle comprit avec horreur qu’elle était sur le point de succomber et se laissasubmergerparlapanique.Puis,soudain,lapressionquis’exerçaitsursagorgedisparutetellesemitàtousser,cequinefit
qu’accroître la sensation de vertige qui s’était emparée d’elle. Stupéfaite, elle aperçut RyderMalloryquivenaitd’empoignerleT-shirtdesonassaillantpourletirerbrutalementenarrière.Cederniersetournaalorsversluienpoussantunnouveauhurlementsauvage.Sonvisagen’était
plusqu’unmasquebestialetCaitlinvitondulersonT-shirtcommesisesmusclesserecomposaientsoudain.Rydersejetadenouveausurluietl’empoignaparlecolpourleprojetercontrelemurleplus
proche qu’il heurta violemment. L’arrière de son crâne percuta la paroi de brique, laissantéchapperuncraquementsinistre.Aprèsuntelchoc,n’importequiseseraiteffondrémaisl’hommenemarquamêmepasuntemps
d’arrêtavantdeseruersurRyder.Cedernierl’attendaitapparemment.Ilseservitdumouvementdeson adversaire pour lui attraper le bras et le propulser à terre. Un nouveau craquement se fitentendretandisquelemembresebrisaitnet.Caitlinneput réprimerunhaut-le-corpsenvoyant l’angleétrangeque formait l’avant-brasde
sonagresseur.Elleconstataégalementquel’arrièredesoncrânesaignaitabondamment.Pourtant,ilnesemblaitpaséprouverlamoindredouleur.
Ellesongeaalorsauxméthamphétaminesqu’avaientingéréeslestouristesetsedemandas’ilnes’agissaitpasenréalitéd’unproduitnouveauetbienplusdangereuxencore.Sepouvait-ilvraimentqu’unetellesubstancetransformeunhommenormalenuntelmonstre?Commeelleformulaitcettequestion,sonassaillantparutcomprendrequ’iln’étaitpasdetailleà
l’emportercontreRyder.Ilserelevaprestementets’éloignaaussivitequeleluipermettaientsesblessures.RyderseprécipitaalorsversCaitlin.Laprenantparlesépaules,illaguidajusqu’aumurleplus
prochecontrelequelill’adossaprécautionneusement.Là,illaconsidéraavecunmélangeétonnantdedouceuretd’inquiétude.—Est-cequeçava?luidemanda-t-il.Tropdéconcertéeparcequivenaitdesepasser,ellesecontentadehocherlatête.—Est-cequevousvoussouvenezdemoi?ajouta-t-il.Elleacquiesçadenouveau.—Savez-vousoùnousnoustrouvons?—AucroisementdeSainte-AnneetdeRoyal,articula-t-elle.—Etqueljoursommes-nous?—Jeudi…Jevousassurequejevaisbien…Ilneparutguèreconvaincuetl’examinaavecattention.Ellesentitsesmainseffleurersestempes
etsoncoucommes’ilcherchaitquelquechose.Cettesensationétaitloind’êtredésagréableetelleneputréprimerunpetitfrissondebien-être.Ryder parut le remarquer car il la regarda fixement. Elle constata alors qu’il avait de
magnifiquesyeuxverts.Leur expression lui confirmaégalementqu’ellen’était pas la seule à sesentir troublée.Elle aurait juré qu’en cet instant, il la désirait.Mais ce n’était probablement quel’effetdel’adrénalinedontleursangdevaitêtresaturé.— J’ai peu de temps, lui dit-il alors. Cet homme sera mort dans quelques minutes et il faut
absolumentquejelerattrapeavant.Jerevienstoutdesuite…Avant qu’elle ait eu le temps de protester, il se détourna et s’élança à la poursuite de son
adversaire.Caitlinprituneprofondeinspirationpourchasserlasensationdevertigequil’habitaittoujours.Puisellesemitàcouriràsontour.Il n’était pas question qu’elle laisse Ryder interroger cet homme sans elle, surtout s’il ne lui
restaiteffectivementquequelquesminutesàvivre.Malgrélechocqu’ellevenaitd’éprouver,elleparvintànepasselaissercomplètementdistancer
parRyderetlevitcomblerrapidementl’avancequ’avaitprisesonassaillant.Maisavantqu’ilaitpulerattraper,cederniers’immobilisabrusquement.Horrifiée,Caitlinlevitsoudainserenverserenarrièredefaçonsiviolentequesonbusteforma
un angle de quatre-vingt-dix degrés avec l’axe de son corps. Son torse fut alors parcouru despasmescommesisoncœuressayaitdes’échapperdesapoitrine.Ilémitunesortedegargouillis trèsrauqueetunemousseblancheapparutàlacommissurede
seslèvres.Soncorpsétaitàprésentparcourudecontorsionssaccadéescommesisesoss’étaientsoudaindisloqués.
Auloin,Caitlinentenditvaguementretentirunesirène.Maiselleétaitbientrophorrifiéeparlascènequi sedéroulait soussesyeuxpour réagir.Ryder fitalorsvolte-faceet lapritpar la taillepour l’entraîner dans la ruelle la plus proche. Ils se cachèrent dans l’ombre d’un porched’immeubleaumomentprécisouunevoituredepolices’immobilisaitlelongdutrottoir.Deux policiers en uniforme en sortirent et, arme au poing, coururent vers l’homme qui
continuaitàtressauter.Ils’effondraalors.—Nebougezpas!s’exclamainutilementl’undespoliciersenserapprochantprudemment.L’agresseurdeCaitlindemeuraétenduàterre,parfaitementimmobile.—Mettezvosmainsderrièrelatête!Voyant que l’homme ne réagissait pas, les deux policiers s’avancèrent vers lui. L’un d’eux
s’agenouillaetposaprudemmentlamainsursagorgeavantdesecouerdoucementlatête.—Encoreun,dit-ilsimplementàsoncollègue.—Tucroisvraimentquec’estuneoverdose?luidemandacedernierd’untondubitatif.—Jel’ignore.Maisunechoseestsûre:cenesontpasdesméthamphétaminesquionttuécetype.
Sic’estunedroguequiproduitdetelseffets,elleneressembleàriendecequenousconnaissons.
6.
CaitlinserralebrasdeRyderpourattirersonattention.—Quiétaitcethomme?luidemanda-t-elleens’efforçantderéprimerlaterreurrétrospective
quimenaçaitdelasubmerger.Etsurtout,qu’est-cequ’illuiestarrivé?RyderposadoucementsamainsurlabouchedeCaitlin,luiarrachantunfrissoninvolontaire.—Pasmaintenant,murmura-t-il.Cespolicierspourraientnousentendre.Deplus,jesuisprêtà
parierquevotreamivampirenetarderapasàarriver.—Cen’estpasmonami,objecta-t-elle.Tout en prononçant ces mots, elle comprit que, s’il était conscient de l’existence de Jagger
DeFarge,celasignifiaitprobablementqu’il l’avait suivie jusqu’aucommissariat.Quisait?Peut-êtreavait-ilégalementassistéàsarencontreavecCase.Vexéedenepasavoirperçusaprésence,Caitlinfuttentéed’ajouterqu’ellen’avaitpasbesoinde
luietétaitparfaitementcapabledesedébrouillerseule.Maisilvenaitsansdoutedeluisauverlavie.De plus, il paraissait comprendre bien mieux qu’elle ce qui était en train de se passer à
LaNouvelle-Orléans.Elle décida doncde le suivre jusqu’à ce qu’il lui ait dit ce qu’elle voulaitsavoir.Ryder la prit alors par le bras et elle se laissa guider jusqu’au fond de la ruelle.
Malheureusement,celle-cifinissaitencul-de-sac.—Qu’est-cequ’onfait,maintenant?s’enquit-elle.Enguisederéponse,Rydersedirigeaverslaportelaplusprochequidevaitdonnersurl’unede
cescoursintérieuresquicaractérisaientlestylearchitecturalduVieuxCarré.Elleétaitverrouillée,biensûr,maiscelaneparutpasennuyerRyder.Plongeantlamaindanslapochedulongmanteaudecuirqu’ilportait,ilentiracequisemblaitêtreunephalangehumaineetl’approchadelaserrurequifitentendreuncliquetiscaractéristique.IlpoussalaportedeferforgéetfitsigneàCaitlind’entrer.Celle-cis’exécutasanshésiteretilla
suivitdanslacouravantderefermerlaportederrièreeux.Maiselleneluilaissapasletempsderemettrelaphalangedanssapocheets’enempara.
***
RyderconsidéraCaitlinavecunepointed’amusementtandisqu’elleinspectaitlaphalangeavantdelever lesyeuxvers lui.Pourlapremièrefoisdepuisqu’ilss’étaientrencontrés,elleparaissaitvraimentimpressionnée.—Incroyable,murmura-t-elle.Jecroyaisquel’enchantementnécessaireàlafabricationdeces
passe-partoutmagiquess’étaitperdudepuisbienlongtemps.
—Aucunsecretnerésistelongtempsàunchasseurdeprimesdécidé,répondit-ilenhaussantlesépaules.—C’estvousquil’avezfabriqué?—Oui.Cen’estpasaussidifficilequeçaenal’air.Leplusdur,denosjours,c’estdetrouverla
maind’unvoleur.—Jen’osevousdemanderoùvousl’aveztrouvée.—Celavautpeut-êtremieux,acquiesça-t-il.Maissicetobjetvousintéressevraiment,jesuisprêt
àvouslecéderàconditionquevousrépondiezàmesquestions.—Jesuisd’accord,répondit-ellesanshésiter.Maismoiaussi,j’aidesquestionsàvousposer.—Danscecas,nousdevrionstrouverunendroitoùnouspourronsdiscutertranquillement.Je
risquedoncd’avoirbesoindecetteclépendantquelquesminutesencore.De fait, ils traversèrent encore deux cours avant de déboucher sur la rue Saint-Philippe.
Lorsqu’ilestimaqu’ilsavaientmissuffisammentdedistanceentrelapoliceeteux,Rydertenditlepasse-partoutàCaitlinquis’enemparavivement.Elletiraalorsdesoncorsageunepetiteboursedecuirquiétaitattachéeàsoncouparunlacet
noir.Ilreconnutl’undecessachetsqu’utilisaientlessorciersvaudouspouryplacerdescharmesetdesgris-grisprotecteurs.ElleyrangealaphalangeetleglissadenouveausoussonT-shirt.Avisant le regard de Ryder qui s’était attardé un instant de trop sur sa poitrine, elle rougit
brusquement,cequ’iltrouvaabsolumentcharmant.—Oùvoulez-vousaller?luidemanda-t-elle.—PourquoipaschezMaguire?suggéra-t-il.Elleleconsidéraavecstupeur.—Celafaitprèsdecentansquecebarnes’appelleplusainsi,remarqua-t-elle.Avraidire,peu
degenssaventqu’ilportaitcenom-là…RydersecontentadehausserlesépaulesetsedirigeaverslarueDecatur.Ilreconnutsansaucun
mallebâtimentblancquiabritaitlecaféquiportaitàprésentlenométrangedeMississippiRiverBottom.Lasalleprincipaleétaitméconnaissable,biensûr,maisaprèsavoiradresséunsalutdelatêteau
barman,ilgagnalaportequisetrouvaitaufonddelapièceetdonnaitsurunevastecourintérieure.Unsouriresedessinasurseslèvres.—L’endroitn’apaschangé,remarqua-t-il.—Quandêtes-vousvenuicipourladernièrefois?s’enquitCaitlin,curieuse.Ryderfronçalessourcils.—Jecroisquec’étaiten1884,répondit-ilenfin.
***
Caitlin contempla Ryder d’un air abasourdi. Contrairement aux vampires, les métamorphes
n’étaient pas immortels. Mais chaque fois qu’ils transitaient par le plan astral, leur rythmebiologiqueseralentissait.Unmétamorphecapabledesetransformersouventpouvaitdoncréduiresonvieillissementetprolongersonexistencedefaçonimportante.Si Ryder disait la vérité, cela signifiait non seulement qu’il était très doué mais aussi qu’il
possédaitunetrèsgrandeexpérience.Cesdeuxqualitéspouvaientserévélerfortprécieusesdanslecadredel’enquêtequ’ilsétaiententraindemener.— Saviez-vous que cet endroit était unemaison close, autrefois ? remarqua-t-il alors. Jeme
rappelleque l’unedes filles,Marie,s’estpendue le jouroùelleaappris lamortd’unmarinquiavaitpromisderevenirl’épouser.Quelgâchis!Elleétaitsijolie…—J’ai entenduparler de cette histoire, acquiesçaCaitlin.Lesguidesde la ville disent qu’elle
s’estpendueàcetarbre,ajouta-t-elleendésignantlegrandchêneprèsduquelilssetrouvaient.—C’estvrai,confirmaRyder.Etdanslesannéesquiontsuivi,lesamoureuxontprisl’habitude
devenirs’embrassercontrel’arbrepourseprouverleurssentimentsetconjurerlemauvaissort.En prononçant ces mots, Ryder ne l’avait pas quittée des yeux. Malgré elle, Caitlin ne put
s’empêcher de se demander ce qu’elle éprouverait s’il décidait brusquement de l’embrasser.Commes’ilavaitperçucettepensée,Rydersepencha légèrementverselle.Lecœurbattant,elledemeurafigéesurplace.—Ilmesemblaitbienvousavoirvusentrer!s’exclamaalorsunevoixderrièreeux.Ryders’écartad’ellepourfairefaceàJaggerDeFargequivenaitdepénétrerdanslacourdubar.
L’étonnementqu’ellelisaitdanssesyeuxindiquaàCaitlinqu’ilpensaitlesavoirsurprisentraindes’embrasser. L’espace d’un instant, elle fut tentée de lui expliquer qu’il faisait erreurmais celan’auraitsansdoutefaitqueconfirmersessuspicions.Deplus,n’était-cepasprécisémentcequeRyderetelleavaientfaillifaire?Elle s’efforçade recouvrer le contrôlede ses émotions et de faire abstractiondumélangede
désir et de frustration qui l’habitait.A ses côtés,Ryder paraissait plus amusé qu’agacé par cetteintrusion.—Ondiraitquevotreamilevampirenousaretrouvés,enfindecompte,remarqua-t-il.—Est-cequetoutvabien,Caitlin?s’enquitDeFargesanstenircomptedesoninterruption.Celle-cihochalatête.—Dois-jevousrappelerquefuirunescènedecrimeconstitueundélit?leurdemanda-t-il.—Tuasvulecadavre,n’est-cepas?objectaRyder.Tusaisdoncquesinousétionsrestéspour
témoigner,celan’auraitfaitquecompliquerlasituation.Les deux hommes échangèrent un regard peu amène et Caitlin les observa tour à tour avec
curiosité.Ilétaitévidentquetousdeuxseconnaissaient.Quisait?SiRyderavaitvraimentvécuàLaNouvelle-Orléansauxixesiècle,peut-êtres’étaient-ilsrencontrésàcetteépoque.—Justement,j’aimeraisbiensavoircequetufaisaislà,répliquavertementJagger.—JeveillaissurCaitlin,réponditRyder.—Quimeditquecen’estpastoiquiluiasattirédesennuis?objectaJagger.—Ilditlavérité,protestaCaitlin.Ryderestunmétamorpheetil…—Jesaisparfaitementquiilest,l’interrompitJaggerenjetantuncoupd’œilméprisantàRyder.
Etsi jemesouviensbien, ladernièrefoisque tuasvisitécetteville, tuenesressorticouvertdegoudronetdeplumes.Cetteallusionconfirmait lesdiresdeRyder. Ilparaissaitpourtant trèsdifficiled’imaginerque
ces deux hommes qui semblaient être dans la fleur de l’âge étaient nés bien avant ses propresgrands-parentsetseconnaissaientdéjàdepuisplusd’unsiècle.— Il s’agissait d’un malentendu, répondit Ryder en haussant les épaules. Je ne pouvais pas
imaginerquelepèredecettefilleétaitlemairedelaville…L’amusementquiperçaitdanssavoixrappelabrusquementàCaitlinque,quelquesoitsonâge,
RyderMallorydemeuraitunmétamorphe.Etcommelamajeurepartiedesessemblables, ilétaitprobablementdénuédetoutemoralitéetn’agissaitqu’enfonctiondesespropresintérêts.Elleavaitdéjàcommislafautedeselaisserséduireparl’unedecescréaturesetnepouvaitse
permettrederéitérerunetelleerreur.—Jetrouveunpeucurieuxqu’aumomentprécisoùturéapparaisenville,unesériedetouristes
trouventlamortdansdemystérieusescirconstances,rétorquaJaggerd’unevoixglaciale.— Cela n’a rien d’une coïncidence, expliqua Ryder. Nous enquêtons tous deux sur le même
phénomène.Jaggerjetauncoupd’œilinterrogatifàCaitlinquiréponditparunhochementdelatête.—Nousferionssansdoutemieuxdemettreencommunlesinformationsdontnousdisposons,
repritRyder. Si je comprends bien, l’hommequi nous a attaqués n’est pas le premier à décéderdansdetellescirconstances.—C’estexact,réponditprudemmentJagger.— Ce n’est pas bon signe, soupira Ryder. J’avais espéré pouvoir arriver avant que cela ne
recommence… J’imagine que pour le moment, vous avez mis ces morts sur le compte de ladrogue?—Effectivement…—Cen’estpascedontils’agit.—Vraiment?—Vraiment.Etsitumelaissesvoirlescorps,jeteleprouverai.
***
Tandisqu’ilstraversaientlescouloirsconduisantàlamorgue,Caitlinnecessaitdes’interrogersur la facilité avec laquelle Ryder avait convaincu Jagger d’accéder à sa requête. Elle s’étaitpourtantattendueàcequel’inspecteurdepolicerefusecatégoriquementdelaisserdescivilsvoirlescadavres.Maisiln’enavaitrienfait.Cela ne pouvait signifier qu’une chose : malgré la méfiance que lui inspirait Ryder, Jagger
prenaitcederniertrèsausérieux.De nuit, il régnait dans le service de médecine légale de l’hôpital une ambiance légèrement
inquiétante. L’éclairage réduit au minimum était verdâtre et le bruit de leurs pas se répercutait
étrangementsurlesolcarrelé.Uneodeurécœurantedeformolparaissaitimprégnerl’ensembledubâtiment.Jaggers’arrêtadevantlebureaudeBilly,lejeunevampirequitravaillaitcommegardiendenuit
depuis la vague de meurtres qui avait eu lieu quelques mois auparavant. Les deux hommeséchangèrentquelquesphrasespuisJaggersignaleregistre.Il les conduisit alors vers une grande salle réfrigérée au centre de laquelle étaient disposées
plusieurs tables d’opération. Les murs étaient intégralement tapissés de tiroirs métalliques quicontenaientautantdecorpssansvie.Acettevue,Caitlinneputs’empêcherdefrissonner.Jagger alluma le puissant plafonnier et consulta un registre avant de se diriger vers l’un des
tiroirsqu’ilouvrit.RyderetCaitlinlerejoignirentetseretrouvèrentfaceaucadavred’unhommequ’ilsneconnaissaientpas.—StephenBoylanestmortde lamême façonquevotreagresseurdece soir,déclara Jagger.
C’étaitlaquatrièmepersonneàdécéderendetellescirconstances.BoylanétaitoriginairedeBiloxioù il travaillait comme vendeur de voitures. Il était venu à LaNouvelle-Orléans pour fêter sonsixièmeanniversairedemariageencompagniedesonépouse.Ilestmortle20octobrenonloindelarueBourbon.Aprèsautopsie,lemédecinlégisteaconcluàuneoverdosedecristalmeth.Rydersepenchasurlecorpsetl’observaattentivement.— Il ne s’agit pas d’une overdose de méthamphétamine, objecta-t-il. La victime ne présente
aucunealtérationdescheveux,desdentsoudelapeau.Iln’yanibleu,nicroûte,nilésion…Pasnonplusdesignesdemalnutrition…Quantàl’arrêtenasale,elleestenparfaitétat.— Impressionnant, commenta Jagger. Il semble que tu sois devenu un expert en matière de
drogues.—Lemétierdechasseurdeprimesm’apermisd’accumulertoutessortesdeconnaissances,des
plusutilesauxplussuperflues,réponditRyder.—Quoiqu’ilensoit, lessymptômesque tuviensd’énumérernecaractérisentque lesusagers
réguliers.S’il s’agissait d’une première expérience, il est normal qu’on ne trouve aucun de cessymptômes.—Exact,concédaRyder.Maisavez-vousdécouvertdetellestracessurlesautrescadavres?—Non.— Trouves-tu crédible qu’en l’espace de deux semaines, cinq touristes se soient mis en tête
d’essayerlecristalmethpourlapremièrefoisàLaNouvelle-Orléans?Etque,commeparhasard,ilssoienttombéssurlemêmelotmaldosé?—Non,reconnutJagger.—Deplus,jeseraisprêtàparierquelesexamenstoxicologiquesnecorrespondaientpastoutà
faitàuneoverdosedeméthamphétamines.—C’estvrai.—Par contre, les légistes ont dû retrouver d’importantes concentrations d’adrénaline dans le
sang.Jaggerluilançaunregardinterloqué.—Effectivement.C’estd’ailleurscequinousafaitpenserqueladrogueétaitmaldosée.
—Leproblème,c’estqu’aucundosagedecristalmethnepeutproduiredetelseffets.Ettun’aspasvulafaçondontilssontmorts!Cen’étaitpasunesimplecrisededémence: l’hommequiaattaquéCaitlinalittéralementdésarticulésacolonnevertébraledevantnosyeux.Jaggerjetauncoupd’œildubitatifàCaitlinquineputqueconfirmercetémoignage.—Ilditlavérité.Aussiincroyablequecelapuisseparaître…L’hommeavaitlabaveauxlèvres
etsoncorpsétaitparcourudesoubresautscommes’ilétaitsurlepointd’exploser.Etpuis,ils’estcasséendeux.C’étaithorrible…—Sicelapeutvousrassurer,ilnes’enestprobablementpasrenducompte,remarquaRyder.Au
momentde l’attaque, ilétaitpossédé.Etcepicd’adrénalinedans le sang indiqueque l’entitéquil’habitaitvenaitdequittersoncorps…
7.
CaitlinetJaggeréchangèrentuncoupd’œilinterloqué.—Dequelgenred’entitéveux-tuparler?demandaenfinlepolicier.—Chaquecultureleuradonnéunnomdifférent,réponditRyder.Devas,derviches,qliphoth…
Jelesappellesimplementdesdémons.—Desdémons?répétaJaggerd’untonouvertementdubitatif.— Le terme en vaut bien un autre. Disons qu’il s’agit d’entités désincarnées, des agrégats
d’énergiepsychiquedotésd’unevolontéproprequisontcapablesdeprendrelecontrôled’humainsoud’animaux.Ilsaspirentnaturellementàs’incarnermais,unefoisenpossessiond’uncorps,ilssont incapablesdecontrôler leursoifd’expérienceetdesensationset finissentgénéralementpardétruireleurhôte.Celapeutprendrel’effetd’unecrisecardiaqueoud’uneoverdosed’adrénaline,selonlescas.—Admettons que tel soit le cas, répondit prudemment Jagger. Pourquoi ces démons ne s’en
sont-ilsprisqu’àdestouristes?—C’esttrèssimple:illeurestbeaucoupplusfaciledeprendrepossessiond’unespritaffaibli,
que ce soit parce qu’il est sous l’emprise du plaisir sexuel, d’une pulsion suicidaire, de l’effetd’unedrogueou,danscecasprécis,del’alcool.—La plupart des gens qui fréquentent la rueBourbon correspondent aumoins à l’un de ces
critères,remarquaCaitlin.— Et c’est la raison pour laquelle les touristes sont surreprésentés, acquiesça Ryder. La rue
Bourbon doit paraître aussi alléchante aux yeux d’un démon qu’unmagasin de bonbons à ceuxd’un enfant. De plus, les excès qui caractérisent un tel endroit permettent à ces créatures de sedissimulerplusaisément.—Ilyapourtantunechosequejenecomprendspas,objectaJagger.Commentsefait-ilqueces
démonsnesesoientpasmanifestésauparavant?Après tout,cela faitplusd’unsiècleque la rueBourbonestunlieudedébauche…—Jetel’aidit:cesontdesespritsdésincarnés.Ilsselaissentporterparlesventsdominantset
voyagentainsiauhasard.Jelesaisuivisdepuisl’Afrique.IlsontfaitescaleauxBahamasoùilsontcauséuncertainnombrededégâtscetétéetaudébutduprintemps.Sivousnemecroyeztoujourspas,vousn’avezqu’à fairequelques recherchesetvousdécouvrirez sansmal les lieuxoù ils sesontarrêtés.Danschaquecas,onaassistéàuneétrangerecrudescencedemortsparoverdose.Jaggerhocha la tête etCaitlin comprit en avisant son expressionqu’il entendait effectivement
vérifiersesdiresàlapremièreoccasion.Quantàelle,ellen’avaitpluslemoindredoute.IlétaitévidentqueRydercroyaitréellementàcequ’ilétaitentraindeleurdire.Elleétaitmême
convaincueque, pourune raisonqui lui échappait encore, il avait fait de son combat contre cesdémonsuneaffairepersonnelle.—En tempsnormal, ces entitésne sontpas réellement conscientes et se laissentporterpar le
hasard,reprit-il.Maisj’ailaconvictionquel’uned’elless’estéveilléeetaprisl’ascendantsurles
autres.Volontairementounon,ellessesontregroupéesautourd’elle.Etjepensequ’ellesnesontpasarrivéesicicomplètementparhasard.Pourcescréatures,LaNouvelle-Orléansestunvéritableparadis :drogue, alcooletprostitutiony sontmonnaiecouranteet chaque jour,descentainesdepersonnessetrouventdansunétatsecondetdoncparticulièrementvulnérablesàleurpossession.Etceseraplusvraiencoredansquelquesjours…—Lesoird’Halloween,acquiesçaCaitlin.— Exact. Or vous savez commemoi qu’Halloween n’est pas n’importe quelle nuit. En cette
périodedel’annéequelesCeltesappelaientSamain,lafrontièreentrelemondedesvivantsetceluides esprits est particulièrement perméable. Nous pourrions donc parfaitement assister à unevéritableépidémiedepossessions,cesoir-là.—Maiscen’estquedanstroisjours,murmuraCaitlin,horrifiée.—Sicequetudisestvraietquenousnousretrouvonsavecdesdizainesdepsychopathesdansle
genre de celui qui vous a attaqués ce soir, nous courons au-devant d’une véritable catastrophe !s’exclamaJagger.—Sanscompterlefaitqu’untelévénementrisqued’éveillerlacuriositédeshumainsetd’attirer
leurattentionsurlespeuplesdel’ombre…,renchéritCaitlin.— Exact, approuva Ryder. D’autant que, parce qu’ils sont plus proches du plan astral, les
métamorphessontparticulièrementvulnérablesàcegenred’influence.Sinousvoulonséviter lacatastrophe,ilnousfautdoncagirtrèsvite.— Jamais je n’aurais cru entendre cela dans ta bouche, commenta Jagger d’un ton railleur.
Depuisquandtesoucies-tudecequ’iladvientdecetteville?Ryderserembrunitsoudainetluijetaunregardouvertementmenaçant.—Celaneteregardepas,vampire.—Aucontraire,répliquaJagger.Sinousdevonstravaillerensemble,j’aimeraisautantsavoirce
quitemotive.— C’est très simple : je suis chargé de détruire ces créatures. Peu m’importe le champ de
bataille:l’essentielpourmoiestdelesannihilerauplusvite.Etsicedoitêtreici,tantmieuxpourvous…Caitlin ne put réprimer la déception qui l’envahit. Elle avait espéré trouver enRyder un allié
fiablemaisilétaitévidentqu’ilagissaitmoinsparcompassionenverslesvictimesdecesdémonsque pour des raisons purement personnelles. Cela signifiait donc qu’elle ne pouvait lui faireconfiance.Peut-êtreaurait-elledûs’endouter.Aufond,Ryderétaitunmétamorphe.Maisunepartied’elle-
mêmeavaitespéréquepeut-être,celui-ciétaitdifférentdesautres…—Peut-onsavoirquit’achargédecettemission?s’enquitJagger.—Non,réponditfroidementRyder.—Danscecas,jecroisquenousn’avonsplusrienànousdire.Caitlinlesconsidéraavecstupeur.Commentpouvaient-ilslaisserleuregocompromettrecequi
étaitpeut-êtreleurseulechancederepoussercesentités?—Tutetrompes,vampire,répliquaRyder.Avantdeprendreunedécisionqueturegretteraispar
lasuite,jetiensàtedirequecedémonnenousaprobablementpasattaquésparhasard.Jepensequ’ilvisaitCaitlin.JaggerfronçalessourcilsetobservaRyderavecméfiance.—Qu’est-cequitefaitdireunechosepareille?luidemanda-t-il.—D’ordinaire,lorsqu’undémonprendpossessiond’uncorps,ilsecontented’enprofiterpour
sonpropreplaisir.Etiln’agénéralementaucuneraisonderecouriràlaviolence.Orledémonquis’enestprisàCaitlinl’asuiviedurantuncertaintempsavantdel’attaquerdélibérément.Deplus,ilaattendudeseretrouverseulavecelle.Acesmots,Caitlinneputréprimerunfrissond’angoisse.ElleauraitvouluassureràRyderqu’il
se trompaitmaisellese rappelaitparfaitement laviolenceavec laquellesonassaillants’était jetésurelleetlefaitqu’ilavaitaussitôtcherchéàl’étrangler.Ryder,quantàlui,n’avaitpasquittéJaggerdesyeux.—Imaginequel’unedecescréaturesaitaccédéàlaconsciencedesoi,reprit-il.Imaginequ’elle
soitdotéed’unminimumd’intelligenceetqu’elleaitcomprislerôlequejouaientlesGardiens.Quicrois-tuqu’elletenteraitdeneutraliserenpremiersielledécidaitdes’attaqueràcetteville?Caitlinneputs’empêcherd’admirerlaperspicacitédeRyder:detouteévidence,ilavaitappris
quecederniersortaitavecl’undesGardiensdelavilleetavaitdécidéd’utilisercetteinformationpour s’assurer de sa coopération.Et connaissant l’attachementde Jagger enversFiona, elle étaitconvaincuequ’ilparviendraitàsesfins.Quantàelle,elleétaitbiendécidéeàs’entretenirauplusviteavecDanny.Detouslesnavigateurs
astraux qu’elle connaissait, il était indéniablement le plus talentueux. Et si quelqu’un pouvait luiconfirmerl’existencedecesentitésdésincarnéesetleursintentionsnéfastes,c’étaitbienlui.Quisait?Peut-êtreparviendrait-ilmêmeàidentifierleurspointsfaibles…Commeellesefaisaitcesréflexions,ellesentitpesersurelleleregarddeRyder.Levantlesyeux
vers lui,elleconstatasanssurprisequ’il l’observaitattentivement.Et,commesouvent,elleeut ladésagréableimpressionqu’ilétaitcapabledeliredanssespensées.Etpour lapremièrefois,ellesongeaquec’étaitpeut-êtreeffectivement lecas.Certes, tous les
métamorphes ne possédaient pas de tels dons. Mais plus ils utilisaient leurs pouvoirs, plus ilsdevenaientcapablesdepercevoirlescourantspsychiquesquiagitaientleplanastral.EtmêmesiRydernepossédaitqu’unefractiondescapacitésmentalesdeDanny,ilreprésentait
déjàundangernonnégligeable.—Très bien, soupira Jagger, vaincu par les arguments dumétamorphe.Que suggères-tu que
nousfassions,toiquisemblestoutsavoirsurcesdémons?Caitlincompritqu’ilavaitdûsefaireviolencepourreconnaîtreàquelpoint ilavaitbesoinde
Ryder.Et,pourlapremièrefois,elleparvintpresqueàoublierqu’ilétaitunvampireetànevoirenluiquelepetitamidesasœur.—Nousdevonsimpérativementlocaliserl’entitéquicontrôletouteslesautres,déclaraRyder.Et
pourcela,lemieuxseraitdecapturerl’undecesdémonspendantqu’ilestincarnéetavantqu’ilnecauselamortdesonhôte.Jeseraispeut-êtrecapablealorsdelecontrôleretdeleforceràparler…Jaggerhochalatête.—JevaisenvoyerdeshommespatrouillersurlarueBourbonetdanslesenvirons,déclara-t-il.
Dèsqu’ilsverrontquelqu’unagircommel’hommequivousaattaqués,ilsmepréviendrontetnousn’auronsplusqu’ànous rendre sur les lieuxauplusvite en espérantqu’ils soient parvenus à lemaîtrisersansavoiràletuer.—C’estunbondébut,concédaRyder.—Jevaisappelerlecommissariatpourlancerl’opérationdèscesoir,déclaraJaggerensortant
sonportabledesapoche.Il referma le tiroirqui était toujoursouvertdevanteuxet s’éloignapour téléphoner.Ryder se
tournaalorsversCaitlinqu’ilconsidéraavecattention.—Aquoiétiez-vousentraindepenser?luidemanda-t-il.—Quandça?luidemanda-t-elled’unairfaussementnaïf.Ensonforintérieur,ellesesentaitprofondémentsoulagéequ’ilnesoitpascapabledeliredans
ses pensées.Elle n’avait pas envie qu’il puisse devancer toutes lesmesures qu’elle pourrait êtreamenéeàprendreentantqueGardiendesmétamorphes.Deplus,ellenetenaitvraimentpasàcequ’ilperçoiveletroublequ’illuiinspirait.—Voussaveztrèsbiencequejeveuxdire,objectaRyderenfaisantunpasverselle.Vousme
cachezquelquechose,Caitlin.—Pasdutout,protesta-t-elle.—Cen’estpasunjeu,voussavez.—J’enaiparfaitementconscience,répliqua-t-elled’untonsec.Illaconsidéralonguementavantdesecouerlatêted’unairagacé.—Vous devriez me faire confiance, lui dit-il. Sans moi, vous ne sauriez même pas que ces
créaturesexistent!Caitlinnetrouvarienàredireàcela.Ellen’étaitpasdécidéepourautantàjouercartessurtable
avecunmercenairedepassagequisemoquaitbiendusortdecetteville.Ryderparutêtresurlepointd’ajouterquelquechosemaisilseravisaenvoyantentrerJagger.— Tes sœurs vont bien, déclara ce dernier à l’intention de Caitlin. Je leur ai promis de te
ramenercheztoi.Ellefuttentéedeprotester,netenantpasàêtreredevabledequoiquecesoitenversunvampire.
Mais elle ne tenait pas non plus à se retrouver seule avec Ryder qui lui paraissait bien plusmenaçantencore,quoiquepourd’autresraisons.—Trèsbien,répondit-elleenfin.Jetesuis.Toustroisquittèrentlapièceetsedirigèrentverslasortie.—TupourraisvenirchezlesGardiensàl’heuredupetitdéjeuner,proposaalorsJaggeràRyder.
Decettefaçon,tuleurrépéterascequetuviensdenousdire.—Avecplaisir,réponditRyderd’untongoguenard.Jeseraivraimentenchantéderencontrerta
futurebelle-famille.
8.
Durant le trajet qui les conduisit de la morgue à la maison qu’habitaient les trois sœursMacDonald,CaitlinetJaggerdemeurèrentsilencieux,plongéschacundansleurspensées.Cen’estquelorsqu’ilsdescendirentdevoitureettraversèrentlacourprincipalequelevampirepritenfinlaparole.—Caitlin,jesaisquenousnesommespasencoretrèsprochesmaisjedoistedirequej’aibien
connuRyderMallory,autrefois.Cen’estpasquelqu’undefiable,crois-moi.Etjenevoudraispasqu’iltefassesouffrir…Caitlinluijetaunregardinterdit,sedemandantcommentilavaitbienpudevinerl’attiranceque
luiinspiraitRyder.—Tun’aspasàt’inquiéteràcesujet,objecta-t-elle.Jeleconnaisàpeine.—Maisj’aibienvulafaçondontilteregardait,insista-t-il.LasurprisedeCaitlinne fitquecroître.Sepouvait-ilvraimentqueRyder la trouveattirante?
Ellerepensaàcequis’étaitpassédanslacourduMississippiRiverBottom.JusteavantqueJaggernelesrejoigne,illuiavaitbeletbiensembléqueRyderétaitsurlepointdel’embrasser.—Faisattentionàtoi,Cait,repritJagger.RyderMalloryestquelqu’undedangereux.—Net’inquiètepaspourmoi,répondit-elled’untonunpeusec.Tuesbienplacépoursavoirce
quejepensedesrelationsamoureusesentrelesGardiensetceuxqu’ilssontcenséssurveiller…LeregarddeJaggerluiindiquaquecetteremarqueavaittouchéjusteetl’avaitblessé.Entemps
normal,elleseseraitprobablementréjouiedeluiavoirfaitcomprendrecequ’ellepensaitdeluietdesvampiresengénéral.Maisétantdonnélaprévenancedontilavaitfaitpreuveàsonégardetlesconseilsqu’ilvenaitde
luiprodiguer,ellesesentitunpeuhonteuse.Ellefuttentéedes’excusermaisJaggerneluienlaissapasletemps.— Si c’est vraiment ce que tu penses, lui dit-il froidement, j’ai tort de m’inquiéter. Et je te
prometsdeneplusmemêlerdetesaffaires,désormais.Bonnenuit,Caitlin.Sur ce, il se dirigea à grands pas vers les appartements de Fiona. Caitlin demeura quelques
instants immobile, partagée entre culpabilité, rancœur et frustration. Puis elle se détourna ensoupirantetgagnasespropresquartiers.Parvenuedanssasalledebains,ellesedéfitdesesvêtementsqu’elleabandonnaàmêmelesol
avantdepénétrersousladouche.Durantde longuesminutes,elledemeura immobilesous le jetd’eaubrûlant,s’efforçantdene
pluspenserà l’attaquedontelleavait fait l’objet et audangerque représentaient lesdémonsquiavaientchevauchéleventjusqu’auxrivagesdeLaNouvelle-Orléans.Ellenetardacependantpasàcomprendrequ’ilneluiserviraitàriendesevoilerlaface:elle
étaitl’unedesseulespersonnesàpouvoirfairefaceàlamenacequereprésentaientcescréatures.N’était-ellepasl’undesGardiensdelaville?
Mais comment était-elle censée combattre de telles entités immatérielles et susceptibles deprendrepossessionden’importequiàn’importequelmoment?Formuléedecettefaçon,samissionluisemblatotalementdésespérée.Etl’idéequ’ilneluirestait
plusquetroisjourspourl’accompliravantquecesdémonsnemettentLaNouvelle-Orléansàfeuetàsangnefaisaitqu’accroîtresondésarroi.Quittantsadouche,elleenfilasonpeignoiretregagnasachambre.Là,elleselaissatombersur
unechaiseetcontemplalaphotographiedesesparentsquiétaitposéesursacoiffeuse.—Qu’auriez-vousfait,àmaplace?murmura-t-elle.Lesilencequiluiréponditrenforçalasensationdesolitudequil’accablait.—IlfautquejeparleàDanny,ajouta-t-elle.Jetantuncoupd’œilauréveil,elleconstataavecétonnementqu’ilétaitpresque3h30dumatin,
bientroptardpourretournerauBonTemps.Leclubétaitfermédepuislongtempsetellen’avaitaucuneidéedel’endroitoùellepourraitbientrouverlesdeuxmembresfondateursdeRazorbladeàunetelleheure.Commeellesefaisaitcetteréflexion,illuisemblaentendreunbruitdanslacour.Méfiante,elle
se levaetgagnalafenêtredesachambre.Ilneluifallutquequelques instantspourdistinguer lasilhouettequisedécoupaitsousl’undesarbresdelacourintérieure.Caitlin jeta un coup d’œil aux fenêtres de Fiona et Shauna et constata sans surprise que les
lumièresdeleurschambresétaientéteintes.Aprèsquelquesinstantsd’hésitation,ellesedétournaetquittasachambre,traversalecouloiretdescenditl’escalierquimenaitaurez-de-chaussée.Parvenuedanslegrandhall,elleprituneprofondeinspirationetrassemblasoncourageavant
d’allerouvrirlaportequidonnaitsurlacour.—Quiestlà?appela-t-elled’unevoixmoinsassuréequ’ellenel’auraitvoulu.Un brasillement de cigarette lui répondit et l’homme qui se tenait dans l’ombre de l’arbre
s’avança.Malgréelle,elleneput réprimer lapointededéceptionqui l’envahit.Unepartied’elleavaitespéréqu’ils’agissaitdeRyderMallory.—Case?Qu’est-cequetufaisici?luidemanda-t-elle.—Cen’estpasl’accueilamicalquej’avaisespéré,railla-t-il.Ilavalauneprofondeboufféedecigaretteavantderecracherlentementlafuméequ’ilregarda
pensivementdériverdansl’airnocturne.Puis,d’unepichenette,ilpropulsasacigarettesurlesol.Caitlinétait tentéede luidemanderde ramasser sonmégot etdepartirmais ellen’en fit rien.
Aprèstout,CaseétaitlemieuxplacépourlaconduireàDanny.—Tunecroistoutdemêmepasquej’étaisallongéetouteseuledanslenoiràt’attendre,n’est-ce
pas?—Pourquoipas?répliqua-t-ilentraversantlacourpourlarejoindre.Elles’écartapourlelaisserpénétrerdanslehalletrefermalaportederrièrelui.Illacontempla
alorsdespiedsàlatêteenprenanttoutsontempsetellepritsoudainconsciencequ’elleneportaitqu’unpeignoirdebain.Maisaufond,celan’avaitpasgrandeimportance:aprèstout,Casel’avaitdéjàvuebienmoins
vêtuequecela…
Caitlin jeta un coupd’œil nerveux en direction de la porte qui desservait les appartements deFiona.Elleavaitpeurquelebruitn’aitréveilléJaggeretqu’ilnesemêleunefoisdeplusdecequineleregardaitpas.ElledécidadoncdeconduireCasedanssonsalonprivé.Là,ilallaaussitôtseservirdanslebaretseversaungénéreuxverredebourbon.—Est-cequetuveuxquelquechose?s’enquit-il.—Nonmerci.—Tusemblesunpeutendue,remarquaCase,unbrinmoqueur.—Jesuisjustefatiguée,mentit-elle.Ilest3h30dumatin,Case.Quemeveux-tu?—Laquestionestplutôtdesavoircequetoi,tuveux,répliqua-t-ild’untonsuggestif.Mêmesiellesesentaittrèsseule,cettenuit-là,Caitlinsavaitpertinemmentqu’uneaventuresans
lendemainavecCaseneferaitquecompliquerdesrapportsquil’étaientdéjàsuffisammentcommecela.—Jetel’aidit,répondit-elle.JeveuxvoirDanny.—J’imaginequejepourraisarrangercela,réponditCaseenhaussantlesépaules.Caitlinsentitimmédiatementrenaîtresaméfiance:elleconnaissaitassezCasepoursavoirqu’il
neluirendraitpasuntelservicesanscontrepartie.—Jet’enseraistrèsreconnaissante,répondit-elle.Asagrandesurprise,iléclataderire.—Net’enfaispas,jen’exigerairienenéchange,luiassura-t-il.—Etàquoidois-jecebrusquerevirement?luidemanda-t-elle,toujourssuspicieuse.— Il semble que ce soit très important à tes yeux, répondit Case.Mais j’avoue que je serais
curieuxdesavoirpourquoitutienstantàvoirDanny…Caitlinhésitauninstantpuisdécidaqu’elleluidevaitbiencela.— J’ai appris de quoi étaient morts les touristes dont nous avons parlé tout à l’heure, lui
expliqua-t-elle.Etcelan’aaucunrapportavecuneoverdosedecristalmeth.Enréalité,ilsontétépossédés par des entités immatérielles qui prennent possession de corps humains pour pouvoirlaisser librecoursà leursenvies.Lorsqu’ilsquittent leurshôtes, ilsprovoquentune réactionquiressembleàuneoverdose.—Jen’aijamaisentenduparlerdetellescréatures,remarquaCase.—J’ignoraiségalementtoutdeleurexistencejusqu’àcesoir,réponditCaitlin.—Etquecrois-tuqueDannypuissefaire,aujuste?Caitlinsesentaitàprésentsoulagéedepouvoirseconfieràquelqu’undefamilier.—Lorsqu’elles ne sont pas incarnées, ces entités habitent le plan astral. Et c’est là que nous
devons les localiser et tenter de les détruire avant qu’elles ne s’incarnent enmasse aumomentd’Halloween.—Parcequelevoilequisépareleplanastralduplanmatérielestplusperméableàcemoment-
là,acquiesçapensivementCase.Maiscommentas-tuappristoutcela?—Ilyaenvilleunchasseurdeprimesquiprétendavoirétéengagépourtraquercesentitéset
lesdétruire.C’estluiquim’atoutraconté.
—Commentsais-tuqu’iln’estpasentraindetementirpourcacherquelquechosed’autre?Nemedispasquetuluifaisconfiance!—Certainementpas, répondit-elle.C’est unmétamorphe, après tout.Mais je crois qu’il dit la
vérité.J’aivuunhommemourirsousmesyeux,cesoir,etjepeuxt’assurerqu’ilnes’agissaitpasd’unesimpleoverdose.Ilyavaitquelquechoseenluiquiessayaitdesortir.Etlorsquecettechoses’estéchappée,ellealaisséderrièreelleuncorpsdétruit.C’étaithorribleàvoir…Jusqu’alors,Caitlinétaitparvenueàneconsidérercetépisodequedefaçonpurementobjective
mais, en décrivant ce qui s’était passé, elle prenait réellement conscience du fait qu’un innocentétaitmortsansavoireulamoindrechancederésisteràcedémonquil’avaitattaqué.Ellesentitalorssesyeuxs’emplirdelarmesetsedétournadepeurqueCasenes’enaperçoive.
Maisellen’avaitapparemmentpasétéassezrapidecar il reposasonverreets’approchapourlaserrerdanssesbras.—Jesuisdésoléquetuaiesassistéàunechosepareille,luidit-ild’unevoixlégèrementenrouée
parl’émotion.Caitlinétaittentéedes’arracheràsonétreintemais,àsagrandesurprise,elles’aperçutqueCase
necherchaitpasàtireravantagedelasituation.Ilsecontentaitdelaserrercontreluietdecaresserdoucementsescheveux.Orelleavaitbesoindecesoutien,besoindesesentirépaulée.Et,curieusement,ellesesentait
bienentresesbras.Pourlapremièrefoisdepuislongtemps,elleavaitmêmeenviequ’ill’embrasseet lui fasseoublier l’horreurdecequ’elleavaitvécuet l’angoisseque lui inspiraient les joursàvenir.Casedutlesentircarillaissaglissersamaindesescheveuxàsajoueetfitminedeposerses
lèvressurlessiennes.Maisellelerepoussadoucement.—Non,murmura-t-elle.—Tusaispourtantquenoussommesfaitsl’unpourl’autre,murmura-t-il.SabouchetrouvacelledeCaitlinet,malgréelle,ellesentitmonterenelleunbrusqueaccèsde
désir. C’était étrange, d’ailleurs. Car elle avait l’impression de retrouver des sensations qu’ellen’avaitplusconnuesdepuisledébutdeleurrelation,bienavantquelestrahisonsetlesdéceptionsnefinissentparempoisonnerleursrapports.Pourtant, elle savait qu’il n’y avait rien à attendre d’une telle liaison.Case lui avait démontré
bien trop souvent qu’il n’était pas digne de confiance et qu’il était incapable d’assumer sesresponsabilités.Elletentadoncdenouveaudelerepousser.Maislorsquesesmainsseposèrentsursapoitrine,
elles’aperçutsoudainquecen’étaitpasCasequiétaitentraindel’embrasser.Lecœurbattant,ellerejetalatêteenarrièreetsetrouvanezànezavecRyderMallory.Incapablededompterlafureurquil’envahissait,elleluidécochaunegiflesiviolentequ’ellelaissasursajouelamarquedesesdoigts.—Espèced’ordure!s’exclama-t-elle,luttantcontrelafrustrationquimenaçaitdefairevaciller
sacolère.Vousn’êtesqu’unmenteuretunhypocrite!Pour la première fois depuis qu’elle avait fait sa connaissance, Ryder paraissait réellement
embarrassé.
—Jesuisdésolé,luidit-il.Jenevoulaispas…Jemesuislaisséemporter…
***
Ryderétaitmortifié.Envenantici,ilavaitl’intentiond’apprendrecequeCaitlinluicachait.Pourcela,ils’étaittransforméenCase,lejeunemusicienqu’ilavaitentendudiscuteravecelle,lorsquelui-mêmesetrouvaitsousl’apparencedeCharlie,lebarmanduBonTemps.Maislorsqu’ill’avaitvuefondreenlarmes,ils’étaitsentiincapablederésisteraubesoinqu’il
avaitéprouvédelaconsoler.Cen’estqu’enlaserrantcontreluiqu’ilavaitcomprisl’erreurqu’ilvenaitdecommettre.Celafaisaittrèslongtempsqu’iln’avaitpaséprouvéunetelleattirance.Caitlinavaitledondele
déstabilisercomplètement,deluifaireoublierladisciplineàlaquelleilsepliaitcontinuellementetd’éveillerenluidesaspirationsauxquellesilcroyaitpourtantavoirrenoncé.Mêmeencetinstant,malgrélacolèrequiselisaitdanssesyeux,illatrouvaitirrésistible.Etil
était convaincu que cette attirance n’était pas unilatérale : qu’elle le veuille ou non, Caitlin ledésiraitetilbrûlaitd’enviedeleluidémontrer.Maisilsavaitaussiqu’enagissantdelasorte,illuiferaitperdrelaface.Orelleétaitbientropfièrepouraccepterunetellehumiliationetellerompraittoutcontactavec
luiplutôtquedereconnaîtrequ’ellen’étaitpasinsensibleàsoncharme.Deplus,ilmettraitenpérilsamissionetlasécuritédelavilletoutentièreencédantainsiàsesproprespulsions.—Allez-vous-en!s’exclama-t-ellealorsd’unevoixtremblantederage.Jeneveuxpasdevous
ici!—Trèsbien,concéda-t-il.Jepars.Maisjesuisconvaincuqu’aufonddevous,voussaviezqueje
n’étaispasCase.Danslecascontraire,vousnem’auriezjamaislaissévousembrasser.Surce,sansluilaisserletempsderépondre,ilsedétournaetquittalamaison.
9.
Après quatre heures passées à se retourner dans son lit sans parvenir à trouver le sommeil,Caitlinfinitparseleveràl’aubeenmaudissantRyderMallory,sesdémonsetlafascinationqu’ilparaissaitexercersurelleetqu’elleavaittantdemalàréprimer.Lorsqu’elleentradans la salledebainsetavisason refletdans laglace,elleneput retenirun
gémissement.Elleétaitblafarde,avaitlestraitstirésetdeprofondscernessouslesyeuxcommeuntouristeaulendemaindumardigras.Ellecommençadoncparavalerdeuxaspirinesavantdesedoucher,des’habilleretd’enfilerune
pairedelunettesdesoleilpourpouvoiraffronterlesoleilquibrillaitdetoussesfeux.Enquittantlamaison,elleespéraitpouvoirseglisserdehorsdiscrètementdefaçonàsemettre
immédiatementenquêtedeDanny.Maisàpeineeut-ellefranchilaported’entréequ’elleentenditFionalahéler.Réprimantunsoupir,ellesetournaverslebalconsurlequelsetenaitsasœur.Shaunasetrouvait
juste derrière elle, une tasse de café à lamain. Elles lui firent signe de les rejoindre et Caitlincompritqu’ellen’avaitguèrelechoix.Aprèstout,FionaetShaunaétaientégalementdesGardienset,àcetitre,ellesétaienttoutaussi
menacéesqu’elleparl’invasiondecesdémons.Ilneluirestaitdoncqu’àespérerqueRydern’avaitpasdécidéd’accepterl’invitationdeJaggeràvenirprendrelepetitdéjeunerenleurcompagnie…Résignée, Caitlin rentra dans la maison et se dirigea vers la porte qui donnait sur les
appartements de Fiona. Elle pénétra dans le salon de sa sœur dont la décoration trahissait unmélange d’éclectisme et de bon goût. Comme souvent, Caitlin s’arrêta un instant devant lacheminéedemarbresurlemanteaudelaquelletrônaitunephotodeleursparents.Une foisdeplus, elle regrettadenepas les avoirmieuxconnus.Ellen’avaitquedix-sept ans
lorsqu’ilss’étaientsacrifiéspourrétablirlapaixentrelespeuplesdel’ombre.Al’époque,Caitlinn’étaitencorequ’uneadolescentegâtéeetcapricieusemaisaujourd’hui,elle
auraitvoululeurdirecombienellelesaimaitetcombienelleadmiraitcequ’ilsavaientfait.Ravalantl’émotionquiluinouaitlagorge,ellequittalapiècepoursedirigerverslacuisine.Là,
elle trouvaFionadevant lesfourneaux.Sasœurpréparait l’unedecesdélicieusesomelettesdontelleavaitlesecret.QuantàShauna,elleétaitattabléedevantunetarteauxfraisesdéjàbienentamée.—Tumetsdes lunettesdesoleildans lamaison,àprésent?s’exclamasabenjamined’un ton
moqueur.Est-cequeparhasardtuteprendraispourunvampire?ElledécochaunsourireamuséàJagger.—Celanerisquepasd’arriver,commentacedernier.CaitlinôtaseslunettesetShaunalaissaéchapperunpetitsifflement.—Ehbien!Ondiraitquetun’aspasbeaucoupdormi.Yaurait-ilungarçonlà-dessous?—Non, réponditCaitlin un peu sèchement.Mais j’imagine que Jagger vous a raconté ce qui
s’étaitpasséhier…
—Avraidire,j’aipenséquetupréféreraislefaireàtafaçon,intervintcedernier.Caitlin lui jetauncoupd’œil étonné.Ellene s’étaitpasattendueàcequ’il fassepreuved’une
telleprévenanceàsonégard,surtoutaprèscequ’elleluiavaitditlaveille.Elle entreprit donc de raconter à ses deux sœurs ce qui s’était produit le jour précédent, en
commençant par sonmauvais pressentiment et en terminant par leur passage à lamorgue. Elles’abstintenrevanchedeparlerdelavisiteultérieuredeRyder.—MonDieu,murmuraShaunalorsqu’elleeutterminésonrécit.Jesuisdésolée…Celaadûêtre
horriblepourtoi.Sessœurslaserrèrenttouràtourdansleursbrasetcettemarquedesollicitudeluifitbeaucoup
debien.—Est-cequetuavaisdéjàentenduparlerdecréaturesdecegenre?luidemandaenfinFiona.—Jamaissérieusement.Ilyabienquelqueslégendesdesmétamorphesquiyfontallusionmais,
jusqu’àprésent,j’étaisconvaincuequ’ilnes’agissaitquedepuresaffabulations.— Il va nous falloir réunir autant d’informations que possible sur ces êtres, déclara sa sœur
aînée.NousdevrionscommencerparnousentreteniravecceRyderMallory.— Justement, il m’a laissé un message durant la nuit pour me dire qu’il ne pourrait pas se
joindreàvouspourlepetitdéjeuner,déclaraJagger.Apparemment,ilcompteétudierunepiste.Parcontre, il a précisé qu’il se tenait à votre disposition au cas où vous voudriez le rencontrerultérieurement…Caitlineutgrand-peineàretenirunsoupirdesoulagement.— Je vais vous laisser parler de tout cela entre vous, reprit Jagger. N’hésitez surtout pas à
m’appelers’ilyadunouveau.Une fois de plus,Caitlin fut impressionnée par le tact dont il faisait preuve.Elle commençait
presqueàsedemandersisonaprioriàl’égarddesvampiresn’étaitpasinfondé.Jaggerallaembrasser tendrementFionaavantdes’éclipser.Pendantce temps,Caitlinseservit
une tasse de café qu’elle vida presque d’un trait.Cela l’aida à remettre un peu d’ordre dans sesidées.—Tudevraisprendreunpeud’omelette,luiconseillaShauna.Elleestdélicieuse.—Jen’aipasfaim,répondit-elleenseresservantducafé.—Parle-moiunpeude ceRyderMallory, repritShauna.Est-cequ’il estmignon?Parceque
chasseurdeprimesmétamorphe,c’estassezimpressionnantcommeCV!—Cen’estqu’unmercenairedénuédeprincipes,réponditCaitlinenhaussantlesépaules.Quant
à la beauté, elle ne signifie pas grand-chose chez un morphe. Après tout, ils peuvent prendrel’apparencequ’ilssouhaitent…—Celapeutêtreassezfantasmatique,remarquamalicieusementShauna.— Est-ce que tu ferais l’amour avec l’un des lycans qui se trouvent sous ta responsabilité ?
répliquaCaitlind’untonréprobateur.Elles’aperçutalorsqueFionavenaitderevenirdanslapièceaprèsavoirraccompagnéJagger
jusqu’à la porte. Leur sœur aînée lui jeta un regard chargé de reproches etCaitlin détourna lesyeux.
— Nous devons impérativement rencontrer ce chasseur de primes, déclara l’aînée desMacDonald.Detouteévidence,ilaunecertaineexpériencedecescréaturesetpourranousindiquerquelssontleurspointsfaibles.—C’estvrai,approuvaShauna.Caitlin réfléchit à cette proposition. Bien sûr, elle n’avait aucune envie de se retrouver de
nouveau face à RyderMallory. Mais elle tenait peut-être l’occasion de faire d’une pierre deuxcoups.CarsiRyderetJaggerassistaientàunetelleréunion,elle-mêmepourraitenprofiterpourcontacterCaseetDannysanseux.Levant les yeuxversFiona, elle constata que sa sœur la considérait avec suspicion.Elle avait
toujoursétédotéed’uneintuitionpresquesurnaturelleetd’unecapacitéinnéeàdevinerlespenséesdesessœurs.Caitlinseforçadoncàfairelevidedanssonespritetànepluspenserausubterfugequ’ellevenaitdemettreaupoint.Auboutdequelquesinstants,Fionasedétourna.—Jesuisd’accord,déclaraalorsCaitlin.Nousdevrionsorganiserunerencontre.Quelleheure
vousconviendraitlemieux?—7heures?suggéraShauna.Celanouslaisseraletempsdefermerlaboutique.—Disonsplutôt8,objectaCaitlinquisavaitqueCaseetDannyétaientdesoiseauxdenuit.— Jaggerm’a promis de nous appeler s’il constatait lamoindre anomalie, déclara Fiona. Je
croisquenousdevrionségalementresteràl’affûtdetouteimpressionétrange.Acepropos,Cait…Caitlinrelevalesyeux,convaincuequesasœurvenaitdelaperceràjour.—…noustedevonsdesexcuses,Shaunaetmoi.—Ahbon?fitleurbenjamine,toutaussisurprisequeCaitlin.Pourquoidonc?—Parcequesonintuitionétaitjusteetquenousnel’avonspaspriseausérieux,expliquaFiona.
Sanstoi,nousaurionspeut-êtreperduuntempsprécieux,ajouta-t-elleàl’intentiondeCaitlin.Celle-cisecontentadehaussermodestementlesépaules.Ellesesentaitàlafoisfièrequesasœur
luireconnaissecemériteetvaguementhonteusedeladuperiequ’elleétaitentraindepréparer.—Nousferionsmieuxdepartirpourlemagasin,remarqua-t-ellepourfairediversion.Ilsefait
tard.—Tuneparaispasvraimentdanstonassiette,remarquaFionad’untoncompatissant.Tuessûre
queçava?—Çairaitmieuxsijenesavaispasqu’unevaguededémonsétaitsurlepointdedéferlersurla
ville,réponditCaitlinavecundemi-sourireteintéd’ironie.Mais,étantdonnélescirconstances,jen’aipasàmeplaindre.—Tudevraispeut-êtretereposerunpeuaujourd’hui.Nousnousoccuperonsdelaboutique.Caitlin fit mine de protester mais se ressaisit. Qui sait ce que lui réserverait cette nuit en
compagniedeCaseetdeDanny?Mieuxvalaitqu’ellesoitenformeaucasoùilsparviendraienteffectivementàcontacterl’undecesdémons.—Vousêtessûresquecelanevousennuiepas?leurdemanda-t-elle.—Certaine,luiassuraFiona.Vadormirunpeu.Tuenasbienbesoin.
***
En se réveillant ce matin-là, Ryder avait trouvé un message de Jagger sur son portable luiindiquantquelesGardienssouhaitaientlerencontrerlesoirmêmeà8heures.Ilappelalevampirepour confirmer sa venuepuis, après s’être douché et habillé, il quitta l’hôtel dans lequel il étaitdescendupourserendrechezunloueurdevoituressurlarueduCanal.Depuis qu’il était arrivé àLaNouvelle-Orléans, il avait passé lamajeure partie de son temps
dansleVieuxCarréetdansGardenDistrict,quartiersquiavaientétéentièrementrénovésdepuislepassagede la tempêteKatrina.Mais ilsavaitqued’autresdistrictsavaientétébienplusdurementtouchésparlarupturedesdiguesetnes’étaientjamaisremisdecettecatastrophe.Lorsqu’elles’étaitproduite,lui-mêmesetrouvaitenAfriquedel’Ouestoùilavaitprocédéàun
exorcismemajeur.Malgrél’éloignementetlesannéespasséesloindeLaNouvelle-Orléans,ilavaitétéprofondémentaffectéparlesmalheursdelavilleetdeseshabitants.Cela l’avait d’ailleurs beaucoup étonné car, jusqu’alors, il s’était plus ou moins considéré
commeunapatridesansattachesauxyeuxduqueltouslespayssevalaient.Ilnes’étaitdoncpasdutoutattenduàsesentiraussiconcernéparcedésastreécologique,culturelethumain.Etpourtant,cesimagesdedévastationl’avaienthanté.Orilsavaitqu’ilexistaitencoreuncertain
nombredenoman’slandsquis’étendaientsurdeskilomètresetdanslesquelsonnetrouvaitplusque des centaines de maisons détruites qui délimitaient autant de rues fantômes à jamaissilencieuses.Dans ce décor apocalyptique n’évoluaient que quelques désespérés qui avaient épuisé tous les
recoursde l’existence.Parmi eux se trouvaientuncertainnombrededroguésparvenusau stadeterminaldeleuraddiction.Etcettepopulationformaitincontestablementunvivierprivilégiépourlesentitésqu’ilpourchassait.
***
Aprèsplusdevingtminutespasséesàparcourir leneuvièmedistrictdévastéenvoiture,Ryderavaitréellementl’impressiondesetrouversuruneautreplanète.Mêmelesimagesqu’ilavaitpuvoiràlatélévisionnel’avaientpaspréparéauprofondsentimentdedésolationquil’attendait.La Nouvelle-Orléans était une ville presque entièrement dépourvue de relief et le champ de
ruinesquil’entouraitparaissaits’étendreàl’infini.Detouscôtés,ilnevoyaitquemaisonsdétruitesetjardinslaissésàl’abandonetenvahisdemauvaisesherbes.Çà et là se dressaient quelques caravanes fournies par l’agence nationale pour les situations
d’urgence.Maisleurprésencenefaisaitquerenforcerl’impressiongénéralededésarroitotal.Lepire,c’étaitlesinscriptionsfaitesàlapeinturesurlemurdesmaisons.Onylisaitladateàlaquellelessecoursétaientintervenus,lenombredesurvivantsetlenombredemorts.CesystèmedenotationrappelaàRyderladescriptionqu’unvampireluiavaitfaitedesépidémies
depestenoirequiavaient frappé l’Europe.Onauraitditque les ruinesconstituaientun immenselivredanslequelonpouvaitdéchiffrerlerécitdelacatastrophe.
Ryder remarqua également l’omniprésence d’une ligne sur les murs de chaque maison, àenviron deuxmètres de haut. Il lui fallut quelque temps pour comprendre avec effarement qu’ils’agissaitdelatracedelacrue.S’ils’étaittrouvédanscesruesaucœurdelatourmente,savoitureauraitétéentièrementimmergée.Après avoir vainement tourné au hasard des rues, il arrêta son véhicule et en sortit. Durant
quelques instants, ildemeuraparfaitement immobile,frappépar leprofondsilencequipesaitsurleslieux.Ilavait l’impressiondese trouverdansunevillede l’Ouestsauvage, justeavantunduel.Mais
sonenneminesetrouvaitnullepartenvue.Unebriselégèreselevabrusquement,faisantrésonneruncarillonquidevaitêtreaccrochéquelquepartnonloindelà.Cesonguilleretajoutaitencoreàl’étrangetédupaysageetRyderhésitaitpresqueàs’éloignerde
savoiture. Il finitcependantpars’ydécideret remonta la rueàpas lents.Sion luiavaitposé laquestion,iln’auraitsudirecequ’ilcherchaitexactement.Ilsentaitjusteconfusémentqu’uneréponsel’attendaitenceslieux.Orilfréquentaitleplanastral
depuisbientroplongtempspournégligercegenred’intuitions.Auboutd’unecentainedemètresenviron,ils’arrêtadenouveauetsetransforma.Il ne cherchait pas à imiter une forme particulièremais, au contraire, à retrouver son corps
subtil, cet état si particulier qui se rapprochait de la pure énergie. C’était le point par lequeltransitaittoutmétamorphequisetransformaitmaislesplusdouésd’entreeuxparvenaientàinhiberlatransformationelle-mêmepourdemeurerdanscetétatintermédiaire.Ilsétaientalors siprochesduplanastralque leursperceptions se trouvaientdémultipliées.Ce
qu’ilspercevaientd’ordinairecommeunesimplemanifestationdel’instinct,uneintuition,devenaitalorsunsensàpartentièreaussifiablequelavue,l’ouïeoul’odorat.Souscetteforme,larueapparaissaitàRydersousunaspectcomplètementdifférent.Ilpercevait
distinctementl’énergiequ’avaientlaisséederrièreelleslesvictimesdusinistreetauraitpucompterlesvictimessansseréférerauxinscriptionsquifiguraientsurlesfaçades.Maisencetinstant,cen’étaitpascephénomènequiattiraitleplussonattentionmaislaprésence
d’une aura particulière dans unemaison située à proximité. On aurait dit une déchirure noir etrougedansl’astraletilémanaitdecetêtreuneénergieaussipuissantequesauvage.Au même instant, il perçut l’agonie d’un être vivant. Reprenant instantanément sa forme
matérielle,ils’élançaendirectiondelamaison.Ilrepoussasiviolemmentleportailquipermettaitd’accéderaujardinqu’ilfutarrachédesesgonds.Ilgravitlesmarchesduperronets’immobilisaenfindevantlaporte,letempsdeseprépareràla
confrontationquil’attendaitàl’intérieur.Carilnefaisaitaucundoutequ’ilétaitsurlepointdeseretrouverfaceàl’undecesdémonsqu’ilavaitpoursuivisd’unboutàl’autreduglobe.Etcettefois,ilneluilaisseraitaucunechancedes’échapper.Prenantuneprofondeinspiration,Ryderfitvolerlaported’uncoupdepied.
10.
Lecontrasteentrelaluminositédudehorsetlapénombrequirégnaitàl’intérieurdelamaisonétaittelqueRydersetrouvacomplètementaveugléetjugeapréférabledesemuerdenouveauencorpssubtilpourpouvoirutilisersonsixièmesens.Il constata aussitôt que l’endroit dans lequel il se trouvait était à présent entièrement dénué
d’énergie. Tout ici était mort et son instinct le poussait à quitter les lieux au plus vite. Il se fitpourtantviolenceets’avançadanslebâtimentdévasté.Quittantlehalld’entrée,ilpénétradanscequiavaitdûêtreunsalonetseretrouvafaceaucorps
d’unjeunehommeàlacolonnevertébraledisloquée.Detouteévidence,ilavaitsubilemêmesortqueletouristequiavaitattaquéCaitlinlaveille.Pourtant,ilsedégageaitdelavictimeuneimpressiondepuissancesauvage,denoblesseanimale
quineluilaissaaucundoute:ilavaitaffaireàunlycan.Al’instantmêmeoùRyderformulaitcetteidée, ilentenditunrugissementderrièrelui.Iln’eut
pasmêmeletempsdeseretourneravantd’êtrepercutédepleinfouetparunemassedemusclesquilepropulsaàl’autreboutdelapièce.Sonné, il atterrit dansunvieuxcanapéqui sebrisa entièrement sous son poids.Luttant contre
l’étourdissement,Ryderserelevapéniblementetsepréparaàdéfendrechèrementsapeau.Sonadversaireétaitunjeunehommeauxcheveuxetauxyeuxbrunsquidevaitmesurerunpeu
plus d’un mètre quatre-vingt-dix. Sous l’effet de la rage qui l’habitait, il était en train de setransformer. Ses ongles s’étaient changés en griffes acérées et son visage s’allongeait déjà,évoquantlemuseaud’unloup.Ryder connaissait suffisamment les lycans pour savoir qu’il avait affaire à unmâle alpha.La
victime qu’il venait de découvrir faisait probablement partie de son clan et, faute d’avoir su ledéfendre,sonchefsebattraitpourluijusqu’àlamort.OrRydercomprenaitparfaitementqu’entuantunchefdemeute,ilattireraitsurluilacolèrede
tousleslycansdelarégion.Etcelanemanqueraitpasdecompromettredéfinitivementlamissionqu’ils’étaitfixée.Illuifallaitdoncàtoutprixéviteruneconfrontationdirecte.Sefiantàsoninstinct,Ryderoptapourlapremièreapparencequiluivintàl’esprit.Ils’agissait
d’unefemme.Pasn’importequellefemme,d’ailleurs,maiscelleàlaquelleilnecessaitdepenserdepuisqu’ill’avaitrencontrée:CaitlinMacDonald.—Attendez!s’exclama-t-ilencontrefaisantsavoixdumieuxqu’illeput.Lelycans’immobilisasibrutalementqu’ildérapasurleplancherdefaçonpresquecomique.La
stupeurqui se lisait sur sonvisageaurait sansdouteamuséRyder s’iln’avaitpascraintpour saproprevie.Il avait compté profiter de l’élément de surprise pour gagner un peu de temps mais il était
évidentquelelycanconnaissaitCaitlin.Auprixd’unviolenteffortdevolonté,ildominasarage,rétractasesgriffesetrepritsonapparencehumaine.Ilparaissaitdésolédes’enêtreprisàl’undesGardiens.Percevantlagêneetlaculpabilitéquise
lisaientdanssonregard,Rydercompritqu’ilpouvaitprofiterdesondéguisementpourobtenirdeprécieusesinformations.—Qu’est-cequevousfaitesici?s’enquit-ilenimitantdenouveaulavoixCaitlin.Lejeunehommejetauncoupd’œildésoléaucadavrequiétaitétenduàcôtéd’eux.—Jesuisnavré,Caitlin,s’excusa-t-il.Jenesavaispasquevousétiezlà…Louisadisparudepuis
hier et Patty Lee était folle d’inquiétude. Ellem’a demandé de le retrouver et j’ai suivi sa pistejusqu’ici…Letondujeunehommereflétaitledésarroiquil’habitait.Apparemment,Louisétaitl’undeses
amis.—Jesuisdésolé,murmura-t-il.Le lycanhocha la tête et s’agenouilla auprèsdu corpsqu’il palpadélicatement à la recherche
d’uneblessure.Ilparaissaittroubléparl’étatducadavre.Ryderl’étaittoutautant.Certes,contrairementau jeunehomme, il savaitquiétait responsable.Maisc’était lapremière
foisqu’ilvoyaitundémonposséderunlycanetjusqu’àprésent,iln’avaitjamaisenvisagéqu’unetellechosesoitpossible.Pourtant, cela n’était pas si surprenant : ces créatures avaient déjà démontré qu’elles étaient
capables de contrôler un humain aussi bien qu’un métamorphe. Pourquoi en aurait-il étédifféremmentavecleslycansoumêmelesvampires?Mais cela ne faisait qu’accroître les risques que ces démons faisaient courir aux peuples de
l’ombre.Carsil’und’euxprenaitpossessiond’unlycanetsetransformaitenpublic,leshumainsauraient la preuve de leur existence, ce qui nemanquerait pas de compromettre gravement leursécurité.De plus, le simple fait d’imaginer une armée de lycans possédés par des démons lâchée sur
LaNouvelle-Orléansluifaisaitfroiddansledos.—Maiscommentsefait-ilquevoussoyez ici,vousaussi?s’enquitalors le jeunehomme.Je
n’aimêmepasencoreprévenuShauna.RyderavaitentenduparlerdelatroisièmesœurMacDonaldetsavaitqu’elleétaitenchargedes
lycanthropes.Ilcompritaussiquesonsubterfugenetarderaitpasàêtremisaujour.Fort heureusement, ils furent interrompus par l’arrivée d’une jeune femme qui paraissait
furieuse et était suivie de près par plusieurs hommes à la carrure athlétique. Ryder sentitimmédiatementqu’ilavaitaffaireàd’autreslycans.Apparemment,toutelameuteavaitdécidédeseréunirici,cequin’auguraitriendebonpourlui.LajeunefemmejetaunsimpleregardàRyderavantdeseprécipiterverslecorpsdeLouis.—Non,gronda-t-elled’untonàlafoisdésespéréetmenaçant,cen’estpaspossible…—Ilestmort,murmuralelycanquiavaitsurprisRyder.Jesuisdésolé,PattyLee.—Maisqu’est-cequiluiestarrivé?s’exclamacelle-ciquiparaissaitavoirbeaucoupdemalà
maintenirsonapparencehumaine.Sousl’effetdelasouffrance,elleétaitentraindesetransformer.—J’airepérésonodeursurClaiborne,expliqualelycan,etjel’aisuiviejusqu’icioùj’aitrouvé
Caitlin.MaisLouisétaitdéjàmort.
PattyLeesetournaversRyderetinspiraàplusieursreprises.Cederniercompritaussitôtquesondéguisementnerésisteraitpasàl’odoratsurdéveloppédelalycane.—Cen’estpasCaitlin,déclaraPattyLeed’untonmenaçant.C’estunhomme.Tous les lycans se tournèrent vers lui etRyder comprit que, s’il ne réagissait pas très vite, il
n’avaitaucunechancedes’ensortirvivant.—Jen’aipastuévotreami,leurdit-il.Jepeuxtoutvousexpliquer…Maisavantqu’ilaitpucommenceràlefaire,lameutesejetasurlui.Ryderabandonnaaussitôt
l’apparencedeCaitlinpourreprendrelasienne.S’ildevaitsebattre,ilnepouvaitsepermettredemaintenirunetelleillusion.Evidemment, Ryder savait qu’il n’était pas de taille à tenir tête à lameute. Ils avaient sur lui
l’avantagedelaforce,dunombreetdecetteefficacitéanimalequilescaractérisait.S’ilsdécidaientdeleréduireencharpie,ilnepourraitlesenempêcher.Pourgagnerunpeudetemps,ildécochauncoupdepiedauvisagedulycanleplusproche.Ce
dernierfutpropulséenarrièremaislesautresétaientdéjàsurRyderquifutviolemmentprojetéausol.IlvitsesadversairessortirleursgriffeseteutunepenséepourCaitlinqu’ilauraitvoulurevoiravantdemourir.Puisleslycanscommencèrentàlelacéreràcoupdegriffesetdecrocs.—Arrêtez!L’ordre venait de claquer comme un coup de fouet et, instantanément, les lycans
s’immobilisèrent.Aussistupéfaitquesoulagé,Ryderlesvitreculer.Engrimaçantdedouleur,ilserelevapéniblement.Sesbrasetsesjambesétaientcouvertsdegriffuresetdemorsuresetsaignaientabondamment.Les lycans s’écartèrent alors respectueusementpour laisser s’avancer l’hommequi, d’unmot,
venaitd’interrompresamiseàmort.Cedernieravaitl’apparenced’unvéritablegentleman:vêtud’un costumegris probablement taillé surmesure, il avait les cheveux argentés et des yeux trèsbleusàlafoisautoritairesetsereins.Sadémarcheetsaposturereflétaientcetteassurance.IlobservatouràtourRyderetlecorpsdisloquédulycanquisetrouvaitàsespieds.—Lorsquejesuisarrivé,lemétamorpheétaitsousformedecorpssubtil,justeàcôtéducadavre
deLouis.Puisilaadoptél’apparencedeCaitlinMacDonald,leGardiendesmétamorphes.LevieilhommelevaunsourcilétonnémaissonvisagesefermaetRydercompritqu’ilvoyait
d’untrèsmauvaisœilcetteusurpationd’identité.—Jenecroispasteconnaître,morphe,luidit-il.Maisj’aimeraissavoirpourquelleraisontuas
tentédetefairepasserpourl’undenosGardiens.—J’enquêteavecCaitlin surune sériedemeurtresétrangesqui se sontdéroulés cesderniers
temps.EtilsemblequevotreamiLouissoitladernièrevictimeendate.—Pourquoicroirions-nouscequ’ilraconte?objectaPattyLee.Iln’yavaitpersonned’autreque
luilorsquenoussommesarrivés.— Vous n’avez aucune raison de me faire confiance, concéda Ryder. Mais appelez Jagger
DeFargeetilvousconfirmeramesdires.Lefaitdedevoirinvoquerlenomd’unvampirepoursetirerdecemauvaispasportaitatteinteà
lafiertédeRydermaisiln’avaitguèrelechoix.D’après les recherches qu’il avait effectuées au sujet de Jagger, ce dernier avait la réputation
d’êtreunhommedroitetintègrequiévitaitdefavorisersacommunautéauxdépensdesautres.Touslespeuplesdel’ombreletenaientenhauteestime,notammentdepuisqu’ilavaitélucidéla
série de meurtres qui avaient été commis quelques mois auparavant par un vampire et unmétamorphe.—Jaggercollaboreànotreenquête,ajouta-t-ilpourfairebonnemesure.—C’estcequenousallonsvoir,déclara levieuxlycanensortantuntéléphoneportabledesa
poche.
11.
LorsqueCaitlin émergea du profond sommeil dans lequel elle avait sombré cematin-là, elleconstataavecstupeurquelanuitétaitentraindetomber.Elleavaitdormisansinterruptionpendantlamajeurepartiedelajournée.Ellesesentaitàprésentreposéeetprêteàreprendresesinvestigations.Fortheureusement,elle
n’avaitrêvénidelamortdutouristepossédéquil’avaitattaquéenidel’ardentbaiserqueRyderetelleavaientéchangélorsqu’ils’étaitfaitpasserpourCase.Ellepréféraitéviterdes’attardersurcequis’étaitpasséàcemoment-là.Ellecraignaiteneffet
dedécouvrirqu’ilavaitditlavérité,qu’elleavaiteffectivementpressentisavéritableidentitéetquesonattiranceenversluiétaitbienpluspuissanteencorequ’ellen’avaitbienvoulul’imaginer.Après avoir pris une douche, elle fouilla dans son placard à la recherche d’une tenue qui
pourraitplaireàDannyetàCase.Etantdonnélesenjeux,elleestimaitquetoutprocédésusceptibled’accroîtreseschancesdelesconvaincrevalaitlapeined’êtretenté.Elle choisitdoncune robe rosepâle rehausséed’unbustier lacédans ledos.Cette tenueavait
quelquechosed’innocentetd’érotiqueàlafoisquidevraitéveillerunéchoeneux.Elleeutunmalfouà lacer lecorsagemais lorsqu’elleputseregarderdans lemiroir,elleestimaquelerésultatvalaitbienlapeinequ’elles’étaitdonnée.AvantdepartiràlarecherchedeCaseetDanny,Caitlindécidadeconsulterlescartespourtenter
d’interprétercequeluiréservaitcettesoirée.Ellealladoncchercherlejeudetarotsqu’ellegardaitàlamaisonets’installadevantlatabledelasalleàmanger.Là,elleprituneprofondeinspirationetseconcentra,chassantlesidéesparasitesquiluivenaient
defaçonàpouvoirfairelevidedanssonesprit.Ellecoupaalorslescartesdelamaingaucheettiracellequisetrouvaitausommetdelapile.L’Amoureux.Pendantquelquesinstants,ellecontemplad’unœilmauvaislalamequisemblaitlamettreaudéfi.
Puis elle la récupéra et la glissa dans le paquet qu’elle coupa à trois reprises avant de tirer unenouvellecarte.L’Amoureux.Furieuse, elle maudit intérieurement Ryder Mallory qui paraissait occuper une part toujours
croissantedesespensées.Renonçantàpratiqueruneinterprétationlibre,elleremitlacarte,coupadenouveauetposalaquestionquil’intéressaitpourlemoment:—OùsetrouventactuellementDannyetCase?Elletiraunenouvellecarteetlaposadevantelle.LaLune.Après quelques instants de réflexion, elle décida donc de commencer ses recherches par le
SaloondelaPleineLunequisetrouvaitsurlarueDumaine.
***
Moinsd’unquartd’heureplustard,Caitlinpénétradanslebaretobservaleslieuxavecattention.Enaccordavecsonnom,lemotifdelapleinelunerevenaitunpeupartoutsousformed’affiches,designesaunéon,detableauxetd’accessoiresdivers.Caitlinsongeaalorsqu’ilfallaitpeut-êtreyvoirunavertissementcarlaluneétaitsouventsigne
detromperie,demensongeetdedanger.D’unautrecôté,qu’aurait-ellepuattendred’autred’unerencontreavecdesmétamorphes?Faisantabstractiondecemauvaispressentiment,ellecherchadesyeuxsesdeuxamisetfinitpar
apercevoir Case perché sur un tabouret au bar, non loin de l’escalier qui conduisait au niveausupérieuroùsetrouvaitlapistededanse.Caitlins’avançaversluietconstataavecsatisfactionqueplusieurshommesladévisageaientavec
intérêt.Casefinitparl’apercevoiretellevitunsourireravisedessinersurseslèvres.Sepenchantverssonvoisin,unbatteurqu’elleconnaissaitdevue,illuiglissaquelquesmots.Lebatteur jeta un coupd’œil àCaitlin, sourit puishocha la tête à l’intentiondeCase. Il sauta
alorsaubasdesontabouretets’éloigna.CommeCase ladévorait du regard, elleneput s’empêcherde repenser aubaiserdeRyder. Il
était très difficile de dissocier cette brève étreinte du visage de Case et pourtant, elle étaitconvaincue qu’elle n’éprouverait pas du tout les mêmes impressions si ce dernier décidait del’embrasser.—Jesuisdésoléed’avoirfaitfuirtonami,luidit-elleavecunsourireamusé.—Ilavaitdeschosesàfaire,detoutefaçon,réponditCase.Entoutcas,ondiraitquec’estmon
jourdechance!Jenem’attendaispasàterevoirdesitôt.Lebarmans’approchad’euxpourprendreleurscommandes.—DeuxwhiskysCoca,dit-elle.Caselaconsidéraavecétonnement.—Jenesuispasenservice,luidit-elle.Ettoi?Tunejouespas,cesoir?—Jejouetoujours,répliqua-t-il.—C’estvrai.Jesuisbienplacéepourlesavoir,d’ailleurs.Lebarmanleurapportalesconsommationsetilstrinquèrentensilence.— J’imagine que tu cherches toujours Danny, remarqua Case après avoir vidé d’un trait la
moitiédesonverre.—Effectivement.Saurais-tuoùjepeuxletrouver,parhasard?—Peut-être…Toutdépenddecequetuluiveux,enfait.Curieusement,alorsqu’elleavaittoutracontésanshésiteràsonalteregolaveilleausoir,Caitlin
hésitaàconfierauvéritableCasecequ’ellesavait.Maisellecompritalorsque,siellenelefaisaitpas,ilrefuseraitdel’aider.—Tutesouviensdecestouristesdontnousavonsparléhiersoir?Casehochalatête.
—Lacausedeleurmortn’arienàvoiravecuneoverdosedecristalmeth.Enréalité,cesgensont été possédés par des entitésmaléfiques, des démons, en quelque sorte, qui sont capables des’incarnerdanslecorpsd’humainsoudemétamorphesetdelessoumettreàleurvolonté.Celaleurpermet de satisfaire leurs envies et leurs fantasmes. Malheureusement, cette possession a aussitendance à user très rapidement le corps de la victime qui décède généralement d’une attaquecardiaqueoud’uneoverdosed’adrénaline.—Desdémonsquipossèdentlesmortelsparcequ’ilsveulentfairelafête?reformulaCase.Ça
paraîtunpeudément,tunetrouvespas?—Malheureusement, ils sontbel etbien réels.L’und’euxm’aattaquéehier soir, alorsque je
sortaisduBonTemps.—Iln’apasdûcomprendrecequiluiarrivait,commentaCaseensouriant.Tuastoujoursété
unesacréedureàcuire.MaisjenevoispasquelrapporttoutcecipeutbienavoiravecDanny.—Lorsqu’ellesnepossèdentpasuncorps,cesentitésviventdansl’astral,expliqua-t-elle.Ettu
saiscommemoiquepersonnen’estmeilleurqueDannypourvoyagerdansceplanderéalité.Case demeura silencieux, sirotant pensivement son whisky Coca, et Caitlin se força à rester
immobile,retenantsarespiration.—Commentas-tudécouverttoutceci?luidemanda-t-ilenfin.Caitlin lutta contre l’étrange impression de déjà-vu qu’elle éprouvait en cet instant. C’était
exactementcequeluiavaitdemandéRyder,lanuitdernière.Elleluifitdonclamêmeréponse.—Ilyaenvilleunchasseurdeprimesquiprétendavoirétéengagépourtraquercesentitéset
lesdétruire.C’estluiquim’atoutraconté.Casefronçalessourcils.—Voilàdoncl’excusequeMalloryatrouvépourreveniràLaNouvelle-Orléans,murmura-t-il.Caitlinleconsidéraavecétonnement:nonseulementilparaissaitconnaîtreRydermais,deplus,
ilétaitaucourantdesaprésenceenville.—Quoiqu’ilensoit,tudevraisteméfierdelui,luiconseillaCase.JamaisCaitlinn’auraitcrurecevoirunjourlemêmeconseildelabouchedeCaseetdeJagger.
Etellenepouvaits’empêcherdetrouvercetteunanimitéquelquepeuironique.—Net’enfaispas,jeneluifaispasconfiance.Etc’estbienlaraisonpourlaquellejedoisparler
àDannyetvérifiersicequeRyderm’aditestexact.Casevidasonverreculsecavantdesauteraubasdesontabouret.—Trèsbien!s’exclama-t-il.Danscecas,allons-y.Caitlinauraitbienvoulusavoircequiluiavaitfaitprendrecettedécision,enfindecompte.Mais
elle craignait de le voir changer d’avis si elle posait la question et préféra donc le suivre enremerciantsabonneétoile.
***
Letempsétaitidéalpourunepromenadeauclairdelune.Celle-ciétaitpresquepleineetbrillait
dansuncielparfaitementdégagé.Latempératureétaitagréableetiln’yavaitpresquepasdevent.Casesemitenmarched’unbonpasetCaitlinlesuivitsansmêmeluidemanderoùilsallaient.Ilsdescendirent la ruedeChartres.Aupassage,Casesaluabrièvementunebonnevingtainede
personnes, démontrant une fois de plus combien les gens le trouvaient sympathique au premierabord.Caitlin songeaavecunepointed’ironiequ’il fallait unpeuplusde tempspourdécouvrirque,sousdesdehorscharmants,iln’étaitpasfiable.LorsqueCase eut terminé la cigarette qu’il avait allumée en sortant du bar, il prit lamain de
Caitlindanslasienneetelleselaissafaire.Pourquois’yserait-elleopposée?Aprèstout,ellesesentaitbienensacompagnie,bienplusensécuritéquelorsqu’elleétaitavecRyder.D’ailleurs,cederniern’étaitquedepassageàLaNouvelle-Orléans.Sonmétierdechasseurde
primesl’entraîneraitbientôtloind’iciet,s’ilfallaitencroireladatedesondernierpassage,ilneseraitpeut-êtrederetourenvillequedansunecentained’années.Paradoxalement,cefutCasequitrouvasuspectecetteattitudeconciliante.—Qu’est-cequetumijotes,exactement?luidemanda-t-il.Ellehaussalesépaules.—Tum’asdittrèssouventquenousétionssemblables,toietmoi,quenousnouscomprenions
parfaitement.Etjemedemandesicelanesuffitpasàfonderunerelationdurable.Deplusenplussurpris,Caseacquiesçapensivement. Ils tournèrentalorsdans la rueDumaine
qui avait la réputation d’être la plusmagique des rues de la ville. C’était d’ailleurs là que l’ontrouvait les magasins consacrés au vaudou, à la sorcellerie ou au satanisme. On trouvait aussinombredetour-opérateursspécialisésdansladécouvertedeslieuxhantésdeLaNouvelle-Orléans.Cases’arrêtadevantL’Occultiste,uneboutiquedemagie,etouvritgalammentlaporteàCaitlin
pourlalaisserpasser.Elleétaitdéjàvenueici,biensûr,ettrouvaitquel’endroitfrayaitunpeutropàsongoûtaveclamagienoire.Maisilétaittrèsprisédesadolescentsetdesnéo-païens.Lasalleprincipaleétaitpeuspacieuseetonytrouvaitprincipalementdeslivressurlamagie,des
baguettesetdesamulettesenchantées.Maisl’essentieldel’activitésedéroulaitdanslespiècesquioccupaientl’arrière-boutique.Là,onpouvaitassisteràdescérémoniesrituellesouàdesséancesdespiritisme.Casese frayauncheminentre lesclientsquise trouvaient làetquiétaientpour laplupartdes
gothiques.Sanshésiter,ilpassaderrièrelecomptoiretadressaunpetitsignedelamainauvendeurintégralementvêtudecuirquisomnolaitderrièrelacaisseenregistreuse.Il écartaalors le rideaudeveloursnoiret s’avançadans lecouloirquipermettaitd’accéderà
l’arrière du bâtiment. Caitlin le suivit et ne put réprimer un petit frisson d’anticipation mêléed’angoisse. Ils dépassèrent une porte derrière laquelle on percevait une étrange mélopée quiaccompagnaitprobablementunemessenoire.Case gagna directement la dernière porte sur la gauche et l’ouvrit. De l’autre côté, Caitlin
découvrit une pièce qui était entièrement tendue de noir et éclairée uniquement par quelquescandélabres.Aucentresedressaitunetablerondesurlaquelleétaientposésunecloche,unlivreetunebougie,accessoiresquiétaienttraditionnellementutiliséslorsdesséancesdespiritisme.Tout au fond, on devinait un canapé de cuir fatigué sur lequel était allongéDanny. Il était si
maigreet sipâleque l’onauraitpu leprendrepourun fantôme. Ildormaitprofondémentet son
visage encadré de longs cheveux blonds reflétait une sérénité qui devait probablement plus à ladroguequ’àlapaixintérieure.L’impression d’innocence qu’il dégageait tranchait avec la sophistication pernicieuse de
l’endroit.SetournantversCase,elleluijetaunregardaccusateursurlequelilnesemépritpasunseulinstant.—Dannyfaitsespropreschoix,luidit-il.Jeneluiimposenidevivreicinidesedroguer…—Jen’encroispasunmot.Jesuisprêteàparierquec’esttoiquil’asconvaincud’organiserces
séancesdespiritisme.—Jeneprétendspaslecontraire:jeluiaieffectivementexpliquéque,quitteàpasserlamajeure
partiedesontempssurleplanastral,ilvalaitmieuxqu’illerentabilise.—Et j’imagineque tu touchesune commission sur chacunede ces séances, remarquaCaitlin
d’untonréprobateur.—Serais-tuentraindem’accuserdemeservirdeluialorsquetuesjustementvenuepourlui
demanderunservice?Caitlindétournalesyeux,gênée.Avantqu’elleaitpurépondrequoiquecesoit,ellevitDannyse
redressersurlecanapéetsefrotterlesyeux.—C’estbientoi,Cait?luidemanda-t-ild’untonévanescent.—Oui,Danny,répondit-elleens’approchantdelui.Elle se pencha pour l’embrasser sur la joue et le serrer affectueusement dans ses bras. Il
paraissaitplusfrêleencorequedanssonsouvenircommesiletempsqu’ilpassaitdansl’astralluifaisaitperdrepeuàpeudesasubstance.Ellesentitsoncœurseserrerdanssapoitrine,désoléeunefoisdeplusqu’ilaitoptépourcettelenteetinexorableformed’autodestruction.—Celafaitlongtempsquetun’espasvenuenousvoir,remarqua-t-ild’untonréprobateur.Caitlin hésita avant de lui répondre. Elle ne pouvait lui dire qu’elle avait été profondément
blesséeparlafaçondontCaseavaitrompuavecelle,qu’ellen’avaitpaseulaforcedefairecommesiderienn’étaitparamitiépourDanny.Elle ne voulait pas non plus lui avouer qu’elle était lasse d’assister impuissante à ce gâchis
permanentetsystématiquedestalentsextraordinairesqu’ilspossédaient.MaisDannylesavaitpeut-êtredéjà.Oupeut-êtrelelut-ildanssespenséescarilpoussaunsoupir
résignéetlaserradenouveaudanssesbras.—Celan’apasd’importance,soupira-t-il.Elleauraitsouhaitéseconvaincrequ’ilnefaisaitallusionqu’àsonabsencemaissavaitaufond
d’elle-mêmequ’enréalité,plusrienn’avaitréellementd’importanceàsesyeux.—Alors,tuesvenuemeparlerdecessalesbestioles,soupira-t-il.Jemedoutaisquetuleferais,
unjouroul’autre…—Tulesasvues?luidemandaCaitlin,étonnée.LeregarddeDannysefitpluslointainencorequed’ordinaire,commes’ilplongeaitdirectement
dansl’astral.—Ilestdifficiledelesrater.—Aquoiressemblent-ils?
C’étaitunequestionunpeuabsurde,bien sûr.L’apparenced’unobjetastralnepouvaitqu’êtreressentieetéchappaitbiensouventàtoutetentativededescriptionoudeclassification.—Aumal, réponditcependantDanny.Aunvideéternellementaffaméquiétendses tentacules
voracesversnotreréalité…Caitlin ne put s’empêcher de frissonner. Au prix d’un effort visible, Danny s’arracha à son
étrangerêverieetsetournaverselle.—Tuveuxquejevoyagedansl’astralpourdécouvrircequ’ilsmijotent,n’est-cepas?Casejetauncoupd’œilironiqueàCaitlinquisesentitsicoupablequ’ellefutpresquetentéede
renonceràcetteentreprise.Puisellese rappelaque lasécuritéet laviedemilliersdepersonnesdépendaientpeut-êtredesacapacitéàidentifierlepointfaibledecescréatures.—Situnetesenspasprêtàlefaire,jelecomprendrai,dit-ellepourtant.Jeneveuxpasteforcer
lamain.—Cen’estpaslecas,luiassuraDanny.Jeveuxt’aider.—Danscecas,nousdevrionsnousymettre toutdesuite,déclaraCase.Dequoias-tubesoin,
Dan?—Ilfaudraitpousserlatable.CaseetCaitlinl’écartèrentducentredelapièceetlaplacèrentcontrelemur.Caseroulaalorsle
tapis qui se trouvait dessous, révélant un pentagramme qui était peint en blanc sur le soluniformément noir. Il devait avoir plus d’un mètre de rayon et était inscrit dans un cercle deprotection.Dannydisposatroischaisesàl’intérieurdefaçonàformeruntriangleéquilatéral.—Asseyez-vous,leurdit-il.CaitlinetCaseéchangèrentunregardétonné.Nil’unnil’autren’avaitimaginéqu’ilsseraientdu
voyage. Ilsprirentcependantplace sur leschaises tandisqueDannyallait cherchercinqbougiesqu’ildisposaàchaqueextrémitédupentacle.Caitlinavaitbeaucoupdemalàréprimerlesentimentd’excitationetd’angoissequimontaiten
elle. Elle avait souvent assisté aux voyages astraux deDannymais c’était la première fois qu’ill’invitaitàl’accompagner.—L’expériencen’estpassansdanger,Cait,luiditsonamicommes’ilavaitlusespenséesune
fois de plus. Je sais que tu es forte mais tes pouvoirs risquent d’attirer toutes sortes d’entitésastrales.—Net’enfaispaspourmoi,luidit-elle.—Jeveilleraisurelle,ajoutaCase.Decettefaçon,tun’aurasqu’ànousguider.Plongeantlamaindanslapochedesonblouson,ilentiraunepipedecrack.—Paréeaudécollage?demanda-t-ilàCaitlind’unevoixmoqueuse.
12.
Ilétaitàprésent9heuresetquartetCaitlinnelesavaittoujourspasrejoints.Enfait,ellen’avaitpas donné signe de vie depuis que ses sœurs l’avaient croisée cematin-là etRyder commençaitréellementàs’inquiéteràsonsujet.C’étaitAugusteGaudin,lechefdetousleslycansdeLaNouvelle-Orléansquiluiavaitsauvéla
vieetl’avaitramenéchezlesMacDonaldpourvérifierlavéracitédesesdires.JaggerétaitarrivéàpeuprèsaumêmemomentetAugusteetluis’étaientisoléslonguementpourdiscuterdesonsortetdelasituationactuelle.Pendant ce temps,Ryder avait eu tout le tempsd’inspecter legrand salonde lamaisonoùon
l’avait laissé. Et il avait été frappé par le mélange très particulier d’élégance, de confort et demagiequicaractérisaitlapièceetcorrespondaitparfaitementàl’idéequ’ilsefaisaitdeCaitlinetdesessœurs.Disposéssurlesétagères,ilputvoirtoutessortesd’objetsrituelsousacrés:desstatuettesdela
déesse mère, des figurines représentant l’Homme vert, quelques fétiches vaudous et même uneboîtedeboisprécieuxdanslaquellesetrouvaitunevéritablemaindegloire.Ryders’yconnaissaitassezenmagiepoursavoirquelechoixdescouleursetladispositiondes
bougiesetdesencensoirsdanslapiècenedevaientrienauhasard.Lapièceétaitaménagéedefaçonàfavoriserlaméditationetàapporterauxoccupantsuneprotectiond’ordrespirituel.Au-dessus de la grande cheminée trônait un grand tableau, le portrait en pied des parents des
trois sœurs. Ryder savait qu’ils étaient les précédents Gardiens et s’étaient sacrifiés lors d’unconflitquiavaitopposélesdifférentspeuplesdel’ombre.JenMacDonaldavait étéune trèsbelle femmeet iln’étaitpasétonnantque ses filles soient si
séduisantes. Durant le trajet qui les avait conduits jusqu’ici, Auguste Gaudin lui avait laisséentendrequ’ilseconsidéraitunpeucommeleparraindestroissœurs.IllesavaitprotégéesdurantlesannéesquiavaientsuivilaguerreetilavaitaidéFionaàélever
sesdeuxcadettes.Eneffet,àlamortdeleursparents,ellesn’étaientâgéesrespectivementquededix-neuf,dix-septetquinzeans.Maisnileurjeuneâgeniledeuilqu’ellesvenaientdesubirnelesavaientempêchéesd’assumer
lachargedeGardiensdontellesavaienthéritéetdeveiller aux rapprochementsdespeuplesquis’étaientdéchirésaucoursdelaguerre.Ryder ne pouvait qu’admirer ce courage, cette droiture fondamentale qui paraissaient
caractérisertouslesMacDonald.Cette admiration ne manquait pas de l’inquiéter car elle venait s’ajouter aux sentiments
troublantsqueluiinspiraitCaitlin.Iléprouvaitàsonégardunmélangededésir,derespectetmêmedetendressequicommençaitàluifairepeur.Carilnecomptaitpass’attarderàLaNouvelle-Orléansplusquenécessaire:unefoissamission
accomplie, ilquitterait lavilleetseremettraitenchasse. Iln’yavaitdoncaucuneplacedanssonexistencepourunefemmequesafonctionmêmeattachaitàcetendroit.
Ecartantcesréflexionsstériles,Ryderjetaunnouveaucoupd’œilàsamontreetconstataqu’ilétaitàprésent9heuresetdemie.CelafaisaitbientropdetempsqueCaitlinauraitdûêtrederetour.Etgrâceàsonpetitsubterfugedelaveille,ilcroyaitsavoiravecquiellesetrouvaitetcequ’elleétaitentraindefaire.Cequ’ilignorait,enrevanche,c’étaitl’endroitprécisoùelleétait.Ilavaitdéjàcontactéleclub
oùseproduisaitCaseetsongroupemaisonluiavaitréponduqueRazorbladen’étaitpascensés’yproduirecesoir-là.IlavaitégalementtentédejoindreCaitlinsursonportablemaisétaittombésursonrépondeur.Alors qu’il était sur le point de la rappeler, Jagger, Gaudin et les deux sœurs de Caitlin
pénétrèrentdanslesalon.—Tupensesquecelycanaétépossédéparl’unedecesentités,n’est-cepas?demandaJaggerà
Ryder.—Iln’yaaucundoutepossible,réponditcedernier.Lecorpsprésentaitlesmêmessymptômes.—Est-cequevousaviezdéjàvuundémonposséderunlycanauparavant?s’enquitShauna.Rydersavaitqu’elleétait responsabledecepeuplede l’ombre.Lanouvelleavaitdoncdequoi
l’inquiéter.—Non,répondit-il.Engénéral,lesdémonspossèdentlespersonnesdotéesd’unefaiblevolonté.
Il s’agit généralement d’humains dont les défenses naturelles ont été amoindries par l’usage del’alcooloudestupéfiants.Jenesaispaspourquoicedémonachoisiunlycan,cettefois.Peut-êtreétait-celeseulêtrevivantquisetrouvaitlà,peut-êtreétait-ilaffaiblipouruneraisonquelconque…—Vousnesemblezguèreconvaincu,remarquaFionaenleregardantdroitdanslesyeux.Ryderhésitauninstantavantdeluirépondre.—Ehbien…Ilyauraitbienuneexplicationmaisjen’aiaucunepreuve.Ilsepourraitque,pour
unefois,undémonaitdélibérémentchoisiladifficultéparcequ’ilavaitquelquechosedeprécisàfaire.Commejel’aiexpliquéàCaitlinetàJagger,cesentitéssuiventàprésentunchefquisembleavoirdesobjectifsprécis.Etlapossessiondelycansfaitpeut-êtrepartiedecettestratégie…Sesinterlocuteurséchangèrentdesregardsinquiets.Sansdoutecomprenaient-ilsparfaitementle
dangerquereprésentaitunetelleéventualité.—Nousenauronsbientôtlecœurnet,déclaraalorsAugusteGaudin.Jevaisdemanderàceque
lecorpssoitautopsiéauplusvite.Unefoisdeplus,Ryderfutimpressionnéparl’organisationdontfaisaientpreuvelespeuplesde
l’ombreàLaNouvelle-Orléans.Nonseulementilsparaissaientcollaborerrégulièremententreeux,ce qui était loin d’être la règle, mais, de plus, ils disposaient de tout un réseau parallèle trèsstructuré.Ryder vit alors Fiona jeter un coup d’œil à sa montre. Elle fronça les sourcils, visiblement
inquiète,etsortitsontéléphoneportable.—Excusez-moi,leurdit-elleavantdes’éloignerendirectiondelacuisine.Ryderlasuivitdesyeux,sesentantdeplusenpluscoupable.Ilregrettaitàprésentd’avoirdupé
Caitlin,cettenuit-là.EnsefaisantpasserpourCase,iln’avaitfaitquerenforcerlaméfiancequ’illuiinspiraitetl’avaitprobablementpousséeàallerconsulterceDannytouteseule.Ilnepouvaitluireprochercetteréaction,d’ailleurs.Ilsseconnaissaientàpeineetdéjà,ilavait
cherchéà ladoubler.Certes,c’étaitsurtoutparcequ’il tenaità laprotégercontre lesdémonsquiavaientdéjàtentédelatueretn’hésiteraientpasàrecommencer.L’idéequ’ilpuisse lui arriverquoiquece soitpar sa faute lui était intolérable.Et il étaitbien
décidéàlaprotéger,mêmecontresaproprevolonté.ShaunaetJaggerdiscutaientdesraisonsqueLouis pouvait avoir de se rendre dans le neuvième district. Quant à Gaudin, il était en traind’appelerlemédecinlycanquidevaitpratiquerl’autopsie.Ryders’éclipsadoncpourrejoindreFionadanslacuisine.Illatrouvaadosséeauréfrigérateur,
leregarddanslevide.Sonvisagetrahissaitlanervositéquil’habitaitencetinstant.Elleseforçapourtantcourageusementàluisourire.Ryderdécidadenepass’embarrasserdevainespolitesses.—NousdevonsabsolumentretrouverCaitlin,déclara-t-il.Laraisonprincipalepourlaquelleje
voulaisvousvoircesoir,c’estparcequejesuisconvaincuquevousêtesendangertouteslestrois.Jenecroispasunseulinstantquecedémons’ensoitprisàelleparhasard,lanuitdernière.Ill’asuiviedurantuncertaintempsavantdepasseràl’attaque,commes’iltenaitàcequ’ilssoientseuls.Celaneressemblepasauxpratiqueshabituellesdecescréatures.—Vouspensezqu’ilaattaquéCaitlinparcequ’ilsavaitqu’elleétaitunGardien?—Jelecrains.Etc’estpourcetteraisonqu’ilnousfautlocaliservotresœurauplusviteetnous
assurerqu’ellenecourtaucundanger.—Malheureusement,jenesaispasoùelleabienpualler,soupiraFiona.—Moisi.Est-cequevousconnaissezunmétamorphenomméDanny?—Leclaviériste?s’étonna-t-elle.Biensûr.Caitlinetluiétaienttrèsamis.Maisjenecroispas
qu’ils se voient beaucoup depuis qu’elle a rompu avec Case, son meilleur ami. Je ne sais pasprécisémentcequis’estpassémaisjecroisqueCaseetDannyconsommaientpasmaldedrogueetqueCaits’estdisputéeaveceuxàcausedecela…CelanesurpritguèreRyder.Parcontre,l’idéequeCaitlinaitpusortiravecCaseéveillaitenlui
unaccèsdejalousieaussiintensequ’irrationnel.Ilnepouvaitpourtantseprévaloird’aucundroitsurelle.—Maispourquoiserait-ellealléelesvoir?s’enquitFiona,curieuse.— D’après ce que j’ai pu comprendre, ce Danny est doté de grands pouvoirs psychiques et
Caitlinespéraitqu’ilpourraitl’aideràlocaliserl’undecesdémonsetpeut-êtremêmeàentrerencontactaveclui.—Maisc’estdelafolie!s’exclamaFiona.—Jelepenseaussi.—Caitlinneferaitjamaisunechosepareille…—Etes-voussûrequenousparlonsdelamêmeCaitlin?Jenelaconnaiscertespasaussibien
quevousmaisj’ail’impressionquec’estexactementlegenredechosedontelleestcapable.Fionafitminedeprotestermaisseravisaethochalatête.—Vousavezpeut-êtreraison,concéda-t-elle.Depuisqu’elles’estfaitkidnapper,ilyaquelques
mois,j’ail’impressionqu’elleabesoindeseprouverquelquechose.Rydersepromitd’enapprendreunpeuplussurcetenlèvement.Mais,pourlemoment,leplus
urgentétaitderetrouverCaitlin.
—Savez-vousoùjepourraistrouverDannyetCase?demanda-t-ilàFiona.—Ilsjouentgénéralementdansunclubdelaville…—LeBonTemps,acquiesça-t-il.Maisj’aiappeléetonm’aditqu’ilsn’étaientpasàl’affiche,ce
soir.—Ehbien…JecroisqueDannytravailleégalementpouruneboutiqued’ésotérismesurlarue
Dumaine. Je neme rappelle plus son nom exactmais il y a un énorme pentacle dessiné sur lavitrine.—Trèsbien,jevaiscommencerparlà.SiDannyn’yestpas,sonemployeurpourraaumoins
medonnersonadresse.—Jeviensavecvous,déclaraFiona.—Iln’enestpasquestion,réponditRyderd’untonsansappel.Jeneveuxpasexposerlaviede
deuxGardiensaulieud’unseul.Sicesdémonspassentvraimentàl’attaque,cettevilleaurabesoindevous.Fionahésita,visiblementdéchiréeentresonamourpoursasœuretsonsensdudevoir.—Faites-moi confiance, lui dit-il gravement. J’ai poursuivi ces créatures à travers lemonde
entier.Etsiquelqu’unestcapabledeleurdonnerdufilàretordre,c’estbienmoi.—D’accord,murmura-t-elle.Maisjevousenprie,ramenez-lasaineetsauve…—Jevouslepromets.
13.
Caitlinjetauncoupd’œileffaréàlapipedecrackqueCasetenaitàlamainetsecoualatête.—Tunecroistoutdemêmepasquejevaisfumercettesaleté!s’exclama-t-elle.— Vraiment ? Et comment comptes-tu passer dans l’astral sans cela ? répliqua-t-il d’un ton
mordant. A moins que tes pouvoirs psychiques n’aient brusquement décuplé, il te faudrait unebonneheurepouratteindrel’étatdeconsciencenécessaire.—Mais tusaiscommemoiqu’utilisercegenrededroguesaucoursd’unvoyageastralest le
meilleurmoyend’attirerdesentitésnéfastes!—N’est-cepasprécisémentcequenousessayonsdefaire?répliquaCase.Avecquoicomptais-
tulesfairevenirànous?Descookiesetdulaitchaud?Caitlin comprenait la logique de son argumentationmais était convaincue qu’en affaiblissant
leur esprit de la sorte, ils courraient plus de risques de se faire posséder par les démons qu’ilscherchaient.Mais Case considérait manifestement que le débat était clos. Il tira de sa poche une feuille
d’aluminiumquicontenaitplusieurscaillouxdecrackqu’ilplaçadanslefoyerdelapipe.CaitlinsetournaversDannymaisvitqu’ellen’avaitaucunsoutienàattendredesapart.Il avait les yeux fixés sur la pipe et, dans son regard, elle lisait cette impatience qu’elle ne
connaissaitquetrop,cebesoinimpérieuxquirégissaitlavieentièredetouttoxicomane.Case lui tendit alors la pipe et l’alluma tandis que Danny aspirait une profonde bouffée. Il
s’adossaensuiteàsachaiseetfermalesyeuxtandisqueCaserécupéraitlapipeetsetournaitversCaitlin.—Alors?Comptes-tutejoindreànousoupas?Caitlinhésita.Unepartied’ellebrûlaitd’impatienceàl’idéed’arrêtercesdémonsetdeprouver
unefoispourtoutesqu’elleétaitdignedutitredeGardien.Maislefaitd’utiliserdeladroguepouryparvenirluirépugnait.—Jevaistefaciliterleschoses,déclaraalorsCase.Il se leva et s’approcha de sa chaise avant de rallumer sa pipe. Il prit alors une profonde
inspiration et se pencha vers elle. Ce n’est qu’alors qu’elle comprit qu’il avait l’intention desoufflerlafuméedirectementdanssespoumons.Maiscommeilétaitsurlepointdelefaire,Dannyrouvritlesyeuxetseredressabrusquement.—Ilyaquelqu’und’autreici,déclara-t-ild’unevoixrauque.Ses pupilles étaient tellement dilatées qu’elles paraissaient occuper lamoitié de son iris.Case
recracha la fumée qui se trouvait toujours dans sa bouche et observa les alentours d’un œilsuspicieux.—Oùça?demanda-t-il.Caitlinregardaautourd’ellemais,nevoyantpersonne,ellesedemandasiDannynefaisaitpas
référenceàquelquechosequiseproduisaitenfaitsur leplanastral.Elleseconcentracependant
afin de percevoir une éventuelle présence. Et, à sa grande surprise, elle acquit effectivement lacertitudequequelqu’und’autresetrouvaitdanslapièce.Mais le plus étonnant, c’est que l’énergie qui émanait de cette personne ne lui semblait pas
menaçante,bienaucontraire.—Quiquetusois,montre-toi!s’exclama-t-elled’untonautoritaire.Jetel’ordonneentantque
Gardiendecetteville!Instantanément, elle vit apparaître une petite tache de lumière sur le mur qui lui faisait face.
Plissant les yeux, elle aperçut une araignée qui était à présent nimbée d’une légère clarté. Elletombasurlesoletsetransformabrusquementenhomme.Caitlin eut tout juste le tempsde reconnaître le visage deRyder avant queCase ne se rue sur
l’intrusenbrandissantuncouteauàcrand’arrêt.—Non!hurla-t-elleens’interposantentrelesdeuxhommes.ElleéprouvaunevivedouleurauniveaudubraspuisRyderl’écartadefaçonàseplacerentre
Caseetelle.Ilparaissaitsifurieuxencetinstantqu’ellecraignituninstantqu’ilneseprécipiteàsontoursursonagresseurpourletuerdesespropresmains.Mais lacolèredeRydersechangeapresqueaussitôten inquiétude.Suivantsonregard,Caitlin
s’aperçutavecstupeurquesonavant-brasétaitbarréd’uneestafiladequisaignaitabondamment.Ryderseprécipitaverslatabletouteprocheetrenversalacloche,lelivreetlabougiequiétaient
posésdessuspourretirerlanappe.RevenantversCaitlin,illadéchirapourenfaireunbandage.Lavitesseàlaquelleillemitenplaceindiquaitclairementqu’ilétaitfamilierdecegenred’action.—Merci,luiditCaitlin.—Jesuisdésolé, s’excusaalorsCase.Maisceneserait jamaisarrivésice typenes’étaitpas
glisséicisournoisement!— On dirait que je suis arrivé à temps pour vous éviter de commettre une énorme erreur,
déclaraRyderàl’intentiondeCaitlin.Savez-vouscequiseseraitpassésivousaviezaccédéauplanastralaprèsavoirfumécettesaleté?ajouta-t-ilendésignantlapipedecrackqueCaseavaitlaisséetomberàterre.—Jelefaisquasimenttouslesjours,remarquaDanny.—Sivousvoulezvoustuer,c’estvotreproblème.Maisvousn’êtespasobligédemettreCaitlin
endanger!— C’est elle qui est venue me trouver, objecta Danny. Et je vous assure qu’elle est assez
expérimentéepoursavoirquecetteopérationn’estpassansrisques.Quoiqu’ilensoit,lemomentestidéalpoureffectuercevoyage.Dusangvientd’êtreversé,cequirenforceencorelapuissancedececercle.—C’estvrai,acquiescèrentsimultanémentCaseetCaitlin.—Iln’estpasquestiondevoyagerdansl’astralavecunguideaussidéfoncé!s’exclamaRyder.Dannyhaussalesépaules.—Jesuistoujoursdéfoncé,répondit-ilironiquement.Alorsnemeditespascommentfairemon
travail.Caitlinestvenuemevoirparcequ’ellesaitquejesuisàlahauteuretqu’elleaconfianceenmoi.
—Il a raison,Ryder, intervintCaitlin d’un ton conciliant.Nousdevons aumoins tenter notrechance.—Celanemeplaîtpasdutout.—C’estcequejevois,acquiesça-t-elle.Maisçarestelameilleurepistequenousayonsàl’heure
actuelle.Ryderhésitalonguementavantdehocherlatêteàcontrecœur.—Quelquechosemeditquejenevousferaipaschangerd’avis,detoutefaçon.Danscecas,je
préfèrevousaccompagner.Celamepermettraaumoinsdeveillersurvous…—Eh bien, allez chercher une chaise et installez-vous, lui demandaDanny.Nous perdons du
temps.Ryderfitcequ’illuiavaitdemandéettousquatreseretrouvèrentassisaumilieudupentacle.—Déessedelalune,entonnaalorsDanny,divineNyx,nouspénétronsdanslesténèbres.Eclaire-
nousdetasagesse.QuePapaLegbanouslaissefranchirleseuiletqu’Hécatenoussoitfavorable…Caitlin retint son souffle. Autour d’elle, elle sentait l’air vibrer doucement à mesure qu’ils
glissaient dans une autre réalité. Un souffle balaya la pièce qui paraissait venir du centre dupentacle.LecorpsdeDannys’affaissaalorsmollementsursonsiège.Puis, brutalement, il se redressa.Ce geste n’avait rien d’humain : il évoquait plutôt le sursaut
involontaired’unemarionnette.—Quim’appelle?demanda-t-ilalors.La voix avec laquelle il venait de s’exprimer n’était pas la sienne. Elle était inhumaine et
paraissaitvenirdufonddesâges.Enl’entendant,Caitlinneputréprimerunfrissonglacé.— Je vous vois, mortels, par-delà le seuil. Je sais que vousme cherchez. N’avez-vous donc
aucunequestion?Amoinsquevousnesoyezvenusjusqu’icidansl’intentiondemecapturer…RyderselevabrusquementdesachaiseetCaitlinconstataavecstupeurquesonvisagereflétaità
présent une rage qu’il était visiblement incapable de contenir. Il fit un pas versDanny etCaitlincraignitqu’ilnes’attaqueàlui.—Maisqu’est-cequevousfaites?s’exclamaCase.—Ryder,nefaitespasça!ajoutaCaitlin.Cette supplique parut l’atteindre car il s’arrêta et prit une profonde inspiration.Au prix d’un
effortsurhumain,ilparvintapparemmentàreprendrelecontrôledelui-mêmeetétenditlesbras.— Phasmatis obscurum, ego redimio vos ut is vas. Subsisto insquequo ego impero vos
progredior!s’exclama-t-ild’unevoixsonore.Caitlinreconnutunetrèsvieilleincantation,unemagiepuissantequipermettaitdelierunesprit.
Lederniermotdusortilègeretentitdanslapièce,lecorpsdeDannysemitàondulerviolemmentettressautasursachaise.Caitlinneputreteniruncrid’effroienreconnaissantlessymptômesquiavaientprécédélamort
dutouristequil’avaitattaquée.—Arrêtez!s’écria-t-elle.Bannissez-lemaintenant!—Attendezuneminute,articulaRyderd’unevoixtendue.
De toute évidence, le simple fait de maintenir ce sort lui coûtait énormément d’énergiepsychique. Son front était couvert d’une fine couche de transpiration et ses mains tremblaientlégèrement.—Quiêtes-vous?demanda-t-il.—J’aieudenombreuxcorps,réponditlachosequis’étaitemparéeducorpsdeDanny.Jesuis
chacund’entreeuxetplusqu’euxtousréunis.Sa voix paraissait gronder et ronronner à la fois. Le regard de son hôte s’était fait glacial,
reptilien.IlneressemblaitenrienàladouceurquiselisaithabituellementdanslesyeuxdeDanny.—Oùêtes-vousactuellement?demandaencoreRyder.—Ici,àLaNouvelle-Orléans.—Etquevoulez-vous?—Uncorps,uneviesemblableàlavôtre.Caitlinfrémitenpercevantledésirmalsainquiperçaitdanslavoixdelacréature.Ellevitalors
lecorpsdeDannyondulerdefaçonétrangeetcompritquelesortdeRyderavaitfonctionné: ledémonétaitbeletbienenfermédanslecorpsdeDannydontilnepouvaitsortir.—Jepourraismecontenterdececorps,déclaraalorsl’entité.Ilconviendraitparfaitementàmes
desseins…—Iln’enestpasquestion!protestavivementCaitlin.—Nevousenfaitespas,jenelelaisseraipasfaire,ditRyderd’unevoixferme.Ledémonéclataderire.—Tun’aspaslechoix,répondit-il.Mêmesituarrivesàmevaincre,d’autresviendront.Nous
sommeslégion.Laportes’ouvredéjà.—Quelleporte?neputs’empêcherdedemanderCaitlin.LecorpsdeDannys’arquadenouveausurlachaisedefaçoninquiétanteetCasepoussauncride
détresse.—Arrêtezça!s’exclama-t-il.LibérezDanny!—Non!réponditRyderd’unevoixsourde.Nousl’avonscapturéetjedevraispouvoirlebannir
définitivementàl’aided’unexorcisme.Ledémonsetournaversluietémitunsifflementmenaçant.— Pas question ! s’écria Case, horrifié. En faisant cela, vous tueriez Danny. Libérez-le
maintenant!LecorpsdeDannys’étaitredresséetsepliaitenarrièreselonunangleinquiétant.—Ryder,arrêtez,lesuppliaCaitlin.Jevousenprie.Ryderluijetaunregardtourmenté.Detouteévidence,ilavaitattendutrèslongtempscemoment
et l’idée de renoncer à cette occasion unique d’éliminer son adversaire lui était insupportable.Pourtant,ilhochalatêteàcontrecœuretsetournadenouveauversDanny.— Sis modo dissolutum exposco, validum scutum ! Diutius nec defende a manibus arcam,
intende!s’exclama-t-il.Le corps deDanny fut parcouru des pieds à la tête par un violent frisson et il s’effondra de
nouveausursachaise.Maislorsqu’ilrouvritlesyeux,quelquesinstantsplustard,sonexpressionn’étaitpluscelledudémonmaisbiencelled’unhommeterrifié,enproieàuneatrocesouffrance.Instantanément,CaseetCaitlin seportèrentà sescôtés.Case sortitde sapocheunpetit flacon
qu’ildébouchaet fit respireràDanny.Cedernier rejetaviolemment la têteenarrièreetprituneprofondeinspiration.—Toutvabien,ditCaseenluitapotantdoucementl’épaule.Toutvabien,maintenant…Dannyfitminedeseleveretfaillitbasculerenavant.—Toutdoux,luiconseillasonamienpassantunbrasautourdesesépaules.Lentement,illeguidajusqu’aucanapésurlequelDannyselaissatomber.Caitlinsetournaalors
versRyderetlutsafrustrationsursonvisage.Ildevaitpenseraudémonqu’ilvenaitdedélivreretquiétaitdenouveaulibred’alleretvenir librementsur leplanastralenattendantde trouveruneautreproieàposséder.Caitlinsesentaitlégèrementcoupabled’avoircontribuéàlalibérationdecemonstremaiselle
neregrettaitpasdel’avoirfait:laviedeDannyétaitenjeuetellenepouvaitsacrifierl’undesesamisauquelelleétaitjustementvenuedemanderdel’aide.—Ilfautquejeluiparle,déclaraalorsRyderensedirigeantversDanny.—Vousnecroyezpasquevous luiavezdéjàfaitsuffisammentdemalcommecela?protesta
vivementCase.Laissez-letranquille!RydersetournaversCaitlin.—Ilfautquejeluiparlependantquelesouvenirdecequis’estpasséestencorefraisdanssa
mémoire,déclara-t-il.Ensuite,sonesprits’efforcerad’occultercequis’estpassécesoir.CaitlinhésitaetcefutDannyquiréponditd’unevoixfaible.—Quevoulez-voussavoir?Ryderluifitface.—Oùavez-voustrouvécetteentité?demanda-t-il.UnsouriresansjoiesedessinasurleslèvresdeDanny.—Jenepeuxrépondreàunetellequestion.L’astraln’estpasunendroit.—Jeneparlaispasd’unelocalisationgéographique,objectaRyder.Dannyhochalatêteetréfléchitàlaquestion.—Jenecroispasqueledémonsetrouvaitsurleplanastrallorsquej’ysuisarrivé,déclara-t-il,
pensif.Jepensequ’ilatrouvéunhôtepermanent.—Cen’estpaspossible,protestaRyder.Lesdémonsnepeuvents’incarnerquepourunlapsde
tempstrèscourt.Ilsdétruisentlescorpsdontilss’emparentenmoinsd’unejournée.—Pascelui-ci,insistaDanny.Jecroisqu’ilaévolué,qu’ils’esttransformédefaçonàpouvoir
limitersonimpactsurlaphysiologiedesonhôte.—Admettons,concédaRyder.Avez-vousvuquiétaitcethôte?—Non.Lorsqueledémons’estemparédemoi,ilavaitmomentanémentcoupétoutcontactavec
lui.—Est-cequecelasignifiequel’hôteareprisconscience,pendantsonabsence?
—Non…Je pense qu’il se trouvedans un état catatonique lorsque le démon regagne le planastral.De cette façon, ce dernier peut reprendre le contrôle à toutmoment. Il n’a d’ailleurs pasl’intention d’abandonner ce corps d’emprunt : par son intermédiaire, il amasse une immensequantitéd’énergie.—Avez-vousentraperçuquellesétaientsesintentions?— Profiter de l’ouverture de la porte pour permettre à ses semblables de déferler sur notre
monde,réponditDannysanshésiter.—Ilaparléd’uneportequiétaitentraindes’ouvrir,acquiesçaCaitlin.Maisdequois’agit-il,au
juste?—DeSamain,réponditCasesanshésiter.— Le moment de l’année où le monde des vivants est le plus proche de celui des esprits,
renchéritDanny.—C’estunmomentpropicepourlesmétamorphes,ajoutaRyder.Ilnousdevientplusfacilede
noustransformer.—Sanscompterlefaitquelesgensfontlafête,lesoird’Halloween,repritCase.Ilyaurades
milliersdegensdanslesruesetunepartied’entreeuxserontivres.—Si tout sepasse comme l’espère cette créature, lesdémonsprofiterontde cemomentpour
déferlersurlavilleetprendrelecontrôled’unmaximumd’êtreshumains.Tousquatredemeurèrentlonguementsilencieux,accablésparcetteperspectiveapocalyptique.—Qu’est-cequecelapeutbiennousfaire,aufond?s’exclamaalorsCaseavecunepointede
défidanslavoix.Cenesontquedestouristes,aprèstout.Ryderluijetaunregardnoir.—Vousoubliezundétail,répondit-il.Pourlemoment,lespeuplesdel’ombreontlaviefacile,à
LaNouvelle-Orléans.Personneneseméfiedevousdansunevillepleinedeprêtresvaudous,demagasinsdemagieetd’originauxquiseprennentpourdesvampires.Parcontre,vousavezréussià placer un véritable vampire au sein des forces de police et vosGardiens se débrouillent pourrésoudrevosproblèmesdefaçonaussiefficacequediscrète…Caitlinneputs’empêcherdeseréjouirducomplimentqu’ilvenaitdeluiadresser.—Mais que se passera-t-il si des dizaines, voire des centaines de personnes tombent raides
morteslesoird’Halloween?Ou,pireencore,siellesseretrouventpossédéespardesdémons?Laville attirera sur elle l’attention de tous les médias nationaux et internationaux. Quelle chanceaurez-vousaprèsceladecontinueràfaireprofilbasetd’échapperàlacuriositépublique?—Ryderaraison,acquiesçaCaitlin.Rappelle-toicequis’estpasséaumomentdeKatrina:ily
avaittellementdejournalistesiciquevousaveztousdûredoublerdeprécautions.—C’estvrai,reconnutCaseàcontrecœur.Maisjenevoistoujourspascequejepourraisfaire
contreça…—Toutcequejevousdemande,c’estdegarderlesyeuxouvertsetdemerapportertoutcequi
pourrait vous sembler lié à cette affaire. Et surtout, si Danny croise de nouveau l’une de cescréaturessurleplanastral,qu’ilm’appelleimmédiatement.— Je lui transmettrai lemessage, concédaCase sans grande conviction.Mais je ne peux rien
vouspromettre.RyderconsidéraCaitlind’unairhésitantavantdesetournerdenouveauversCase.—Ilss’enprendrontàvosGardiens,voussavez,luidit-il.Ilsreprésententpoureuxundanger
dontilsn’hésiterontpasàsedébarrasser.D’ailleurs,ilsontdéjàessayédetuerCaitlin,hiersoir.Cettefois,l’indifférencedeCasevacilla,laissantplaceàdel’inquiétude.—Tunem’avaispasditça!s’exclama-t-il.Ques’est-ilpassé,exactement?Caitlinluiracontabrièvementsarencontreavecletouriste.—Maisjevaisbien,conclut-elle.Etjeredoubleraideprudence,désormais.— Je n’en doute pas, concédaRyder.Mais vous n’êtes pas la seule personne concernée : vos
sœurssontmenacées,ellesaussi.Acesmots,Caitlinsentitsapeausecouvrirdefrissonsetsoncœursemitàbattrelachamade.
Detouslesargumentsqu’ilauraitpufairevaloir,celui-ciétaitindéniablementceluiquilatouchaitleplus.—Etsil’unouplusieursdevosGardienssontabattus,lespeuplesdel’ombrenetiendrontpas
longtemps,ajoutaRyderàl’intentiondeCase.Celui-cihochalatête.—Trèsbien, répondit-il. Jevous jurequenousvousappellerons sinousdécouvronsquelque
chose.Maintenant,sicelanevousennuiepas,vousdevriezpartir.Dannyabesoinderepos.—D’accord,réponditRyderensortantunecartedevisitedelapochedesonblouson.Voicimon
numéro,aucasoùvousauriezdesrenseignementsàmetransmettre.Ryderjetauncoupd’œilinterrogatifàCaitlin.—Mercid’avoiracceptédem’aider,dit-elleàCaseetàDanny.—Toutleplaisirétaitpournous,petitesœur,réponditCase.—J’espèrequecetteséancet’aétéutile,ajoutaDanny.—Plusencorequejenel’espérais,acquiesça-t-elle.Jenel’oublieraipas.—Tâcheseulementdevenirnousrendrevisitedetempsentemps.—C’estpromis,luirépondit-elle.Elleétaitbiendécidéeàtenirparole.S’ilsparvenaientàsurvivreàHalloween…
14.
RyderetCaitlinquittèrentlaboutiquedemagieetseretrouvèrentdanslarue.—Jevaisvousraccompagnerchezvous,déclaraRyder.—Cen’estpaslapeine,objecta-t-elle.—Ecoutez,Caitlin,jecomprendsquevousvouliezfairepreuved’indépendance.C’estquelque
chosequejerespecte.Maisétantdonnélescirconstances,jecroisquenousneseronspastropdedeuxpourvousdéfendresicescréaturesdécidentdes’enprendreàvous.Ellefitminedeprotestermaisilposaleboutdesesdoigtssursaboucheetsecouadoucementla
tête.— Je vous ramène chez vous, Caitlin, insista-t-il. Ce n’est pas discutable. Si je vous laissais
rentrerseuleetqu’ilvousarrivaitquelquechose,jenemelepardonneraisjamais.Caitlinétaitbientroptroubléeparlecontactdesamainsurseslèvrespourarticulerlamoindre
objection.S’efforçantdedissimulerledésirqu’éveillaitenellecesimplecontact,ellesecontentadehocherlatête.Ryderretirasesdoigtsettousdeuxsemirentenrouteensilence.—Vousdevriezappelervossœursetleurfairesavoirquevousallezbien,luisuggéraRyderau
boutd’unmoment.Elleluijetaunregardétonné.RyderMalloryn’étaitvraimentpaslegenred’hommedelapart
duquelelleattendaitcegenredeprévenance.Constatant sasurprise, il secontentadehausser lesépaules.—Sivousnelefaitespas,c’estmoiquim’enchargerai,luidit-il.J’aieusuffisammentdemalà
convaincreFionademelaisserpartirseulàvotrerechercheetjeluidoisbiencela…Caitlinn’avaitaucunmalà imaginer la scène.Depuis lamortde leursparents, sa sœur s’était
toujoursmontrée trèsprotectriceenversShaunaetelle.Et si ellene lacontactaitpasenchemin,Fional’attendraitprobablementdevantsaporteenserongeantlessangs.Caitlins’arrêtadoncaupiedd’unréverbèreetsortitsontéléphoneportablepourcomposerun
SMS qu’elle envoya à ses deux sœurs. Elle leur indiqua que tout allait bien, qu’elle rentrait secoucheretqu’ellesdiscuteraientlelendemaindecequ’elleavaitappris.—Vousêtessatisfait?demanda-t-elleàRyder.Il ne répondit pas et tous deux se remirent enmarche. Presquemalgré elle, Caitlin se prit à
songerquecettebaladenocturneauraitpuêtreterriblementromantique.Elle se trouvait aux côtés d’un homme séduisant etmystérieux, dans une villemagnifique où
flottaitunedélicieuseodeurdelilasetdelavande.Desnotesdemusiques’échappaientdescaveauxdejazzqu’ilscroisaientenchemin.—Sicelanevousdérangepas,j’aimeraisquenousfassionsundétourparlefleuve,luiditalors
Ryder.J’aimerais sentir le vent. Il nous endirapeut-êtreunpeuplus sur cequenous réserve lajournéededemain.Caitlinhochalatête.C’étaitparl’arrivéedeceventétrangequetoutavaitcommencéetceserait
probablementluiquimettraituntermeàcecauchemarenemportantlesdémonsastrauxloind’ici.IlsobliquèrentdoncversJacksonSquarepoursedirigerversleMississippi.—Voussavezquecequevousavezfaitcesoirétaitaussidangereuxqu’insensé,remarqua-t-il
auboutd’unmoment.Caitlinneréponditpas.—Sivousn’yprenezgarde,cesdeuxmorphes risquentdevousentraîneraveceuxdans leur
chute.Ilsontderéelspenchantsautodestructeurs.—N’est-cepas le casde tous lesmorphes ? répliqua-t-elle.Vouspassez tellementde tempsà
voustransformerquevousnesavezmêmeplusquivousêtesréellement…Ryder tiquaet elle comprit qu’elle avait faitmouche.Sansdireunmot, ils traversèrent la rue
Poydas et aperçurent le Café du Monde qui, à cette heure, évoquait irrésistiblement une toiled’EdwardHopper.Unsaxophoniste jouaitdevant lecaféetRyder s’arrêtaquelques instantspourl’écouteravantdedéposerunbilletdanssonétui.Enfin, ilsatteignirent lesescaliersquipermettaientd’accéderà laMoonwalk,cettepromenade
quilongeaitlabergeduMississippi.Lavuedufleuveeutledond’atténuerquelquepeul’angoissesourdequihabitaitCaitlindepuisqu’ilss’étaienttrouvésconfrontésauchefdesdémons.Pendantplusieursminutes,Ryderetelledemeurèrentimmobiles,lesyeuxfixéssurlefleuve,se
laissantbercerparledouxclapotisdesoncoursmajestueux.Unesensationdepaixl’envahitetellepritconsciencedufaitquesoncompagnonl’observaitd’unairhésitant.—Qu’ya-t-il?s’enquit-elle.— Eh bien… Lorsque vous vous êtes séparés, Case vous a appelée « petite sœur ». Je me
demandaiscequecelavoulaitdire.Laquestionlapritdecourt.—Casem’aaffubléedebeaucoupdesurnomsaufildesannées,répondit-elleenfin.Maisjene
suispassûrequ’ilfailleyvoirquoiquecesoit…—Vousnesortezplusensemble,n’est-cepas?— Non. Comme vous avez pu le remarquer, Case a quelques problèmes avec la drogue.
Longtemps,j’aiespérépouvoirl’aideràs’ensortirmaisj’aifiniparcomprendrequec’étaitsansespoir.Ladroguen’estquelesymptômed’unmalplusprofondquejenepeuxespérerguérir.Ryderhochapensivementlatête.—Voussavez,luidit-ilenfin,touslesmétamorphesnesontpascommelui.Jevousaientendue
dire à plusieurs reprises que nous nous perdions dans un incessant jeu de masques. C’esteffectivementundangerquinousguettemaistouslesmorphesn’ysuccombentpas.D’ailleurs,cedéfautn’estpas lepropredemonpeuple : ilyadenombreuxhumainsquipassent leur tempsàmentirauxautresetàsementiràeux-mêmes.—Sansdoute,concédaCaitlinàcontrecœur.—Cequicompte,repritRyder,c’estquevousvousfassiezsuffisammentconfiancepouraller
au-delàdesapparencesetpercevoirlavéritablenaturedeceuxquivousentourent.—Jetrouveassezironiquequecesoitunmétamorphequimediseunetellechose,remarqua-t-
elle.
—Jen’aiaucuneraisondevousmentir.Je trouvejusteregrettablequ’unGardientienneensipiètreestimelepeupledontilalacharge…Caitlinsoupira:cettefois,c’étaitluiquiavaittouchéjuste.— Il n’y a pas que les métamorphes, avoua-t-elle. Je n’ai pas une très haute opinion des
vampires, loin de là. J’ai toujours eu beaucoup de mal à les supporter, même Jagger qui estpourtantlepetitamidemasœuretquelqu’undebien…—Commentsefait-ilquevousayezunesipiètreopiniondespeuplesdel’ombre?Caitlinréfléchitàlaquestion.—Est-cequevousavezvuSpiderMan?demanda-t-elleenfin.—Oui,réponditRyder,sedemandantvisiblementoùellevoulaitenvenir.—Danslefilm,legrand-pèredePeterParkerluiditqu’ungrandpouvoirimpliquedegrandes
responsabilités. Les représentants des peuples de l’ombre sont tous dotés d’immenses pouvoirsmaisilsseconduisenttropsouventcommedesenfantsgâtés:lesvampiresamassentdel’argentetdesbiensmatériels, lesmorphespassent leurvieà joueràcache-cacheet les lycanssuivent tousleurs instincts…C’estàcausedecelaquemesparentssontmortset ilmefaudradu tempspourl’accepter.Ryderdemeuralonguementsilencieux.— Je n’avais jamais considéré les choses de cette façon, déclara-t-il enfin. Et je dois bien
reconnaîtrequ’aufond,jesuisd’accordavecvous.Maisalors,pourquoicontinuez-vousàveillersurnous?Pourquoinepasavoirchoisiunevienormale?— Il y a plusieurs raisons à cela :mes sœurs, tout d’abord, qui prennent leur devoir très au
sérieux, les humains, ensuite, qui méritent d’être protégés contre des êtres dont ils ignorentl’existence…Maisjecroisqueleplusimportant,c’estlaconnaissance.Unefoisqu’onsaitquelesvampires ou les lycans existent, comment pourrait-on faire semblant de l’ignorer ? Commentpourrait-onvivrecommesiderienn’était?Etpuis,malgrécequejepeuxpenserdespeuplesdel’ombreprisdansleurensemble,jecompteenleurseinuncertainnombred’amis.—DontfontpartieCaseetDanny.— Exactement. Malgré son arrogance et son égoïsme, Case est quelqu’un de bien. Quant à
Danny,c’estunvéritablegénie. Ilpossèded’immensespouvoirspsychiquesqui luipermettraientdefairedeschosesextraordinairess’ilcessaitdes’autodétruire…—Malheureusement,c’estlecasdebiendesmétamorphes,soupiraRyder.Dans sa voix,Caitlin perçut une pointe d’amertumequi la surprit.De toute évidence, ce qu’il
disaitlerenvoyaitàuneexpériencepersonnelledouloureuse.—Ilssontincapablesdetrouverleuréquilibre.Ilyaquelquechosedegrisantdanslefaitdese
transformer.Etpasseulementparcequecelapermetdesefairepasserpourquelqu’und’autre:lasensationphysiqueestextraordinaire.Lorsqu’unmétamorphechanged’apparence,iltransiteparleplanastral,cequiluiprocureuneimpressiondelégèreté,d’immatérialitécommes’ildevenaitunpuresprit l’espacedequelques instants.Celaexpliqueengrandepartiepourquoicertainsd’entrenousnecessentdesetransformer.Etpuis,ilyaaussilepouvoirquel’onexercesurleshumains.Comment résister à quelqu’un qui peut accomplir le moindre de vos fantasmes, incarner l’êtreparfait?Celanousprocuresureuxunascendantincroyable…
Caitlin comprit queRyder était en train de parler de lui et elle aurait été prête à parier qu’iln’avaitpaspourhabitudedeseconfierdecettefaçon.— Ce pouvoir crée rapidement une véritable dépendance, reprit-il. Et pour retrouver cette
sensation, nombre de métamorphes succombent à d’autres addictions. Ils deviennent alorsparticulièrement vulnérables aux influences extérieures, y compris celles d’entités comme cellequenousavonsvuecesoir.La souffrance qui perçait dans sa voix était à présent palpable et Caitlin songea qu’il faisait
probablement référence àquelqu’unde trèsproche.Ellehésita avantdeposer laquestionqui lataraudaitdepuisquelquetempsdéjà.—Chassercescréaturesn’estpasseulementunmétierpourvous,n’est-cepas?Ilyaquelque
chosedeplus…Rydercontemplalonguementlefleuveavantdeluirépondre.— Je le fais pour ma sœur, avoua-t-il enfin. J’ai quitté la maison lorsque j’étais encore
adolescent.Jenepouvaispasresterenplaceetjenel’aivuequerarementdanslesannéesquiontsuivi.Rydersoupiraetlaregardadroitdanslesyeux.—Jenevousmentiraipas,reprit-il.Jen’aipastoujoursétéunsaint,loindelà.Acetteépoque,
j’aiuséetabusédemespouvoirspourmanipulersansvergognetousceuxquim’entouraient…Il y avait de la honte dans sa voix, des regrets aussi et Caitlin se demanda pourquoi il lui
racontaittoutcela.Cherchait-ilàlamettreengardecontreDanny?Oucontrelui-même?Ouaucontraire,tenait-ilsimplementàcequ’ellesachequiilétaitréellement?—Qu’est-ilarrivéàvotresœur?insista-t-elledoucement.—Pendantquejem’endonnaisàcœurjoieauxquatrecoinsdumonde,masœurarencontrédes
gensquidevaientressembleràvosamis.Elleasombrédansladrogueetcelaafiniparluicoûtersavieetsonâme…Biensûr,jenel’aiapprisqueplustard.Maislepire,c’estquesij’avaisétélà,jenem’enseraispeut-êtremêmepassoucié.J’avaismespropresproblèmes…Rydermarquaunepause,letempsderecouvrerunsemblantdesérénité.— Un jour, alors que je transitais dans le plan astral, j’ai entendu ma sœur pleurer. J’ai
immédiatementsuquec’étaitelleetquejedevaisallerlavoirauplusvite.Etpuis,j’aientenducedémonetj’aicomprisqu’ill’avaitpossédéeetque,quoiquejefasse,j’arriveraistroptard…LavoixdeRydersebrisaet,danslapénombre,ellecrutvoircoulerseslarmes.Elleserappela
alorslaragequ’ilavaitéprouvéelorsqueDannyétaittombésousl’emprisedecettecréature.—Jesuisrentréàlamaison,biensûr,conclut-il.Etj’aidécouvertqu’unjouroùelleavaitfumé
del’opium,masœurétaittombéesousl’emprisedecetêtre.Elleétaitsifaiblequ’ill’avaitdétruiteenl’espacedequelquesminutesseulement…Caitlinsentitsoncœurseserrerdanssapoitrine.Elleavaitdumalàimaginercequ’elleaurait
bienpuéprouversielleavaitperdudecettefaçonFionaouShauna.—Jesuisvraimentdésolée,souffla-t-elle.Ryderhocha la tête sansquitterdesyeux le fleuvequi continuait sa course inexorablevers la
mer.
15.
Caitlin etRyder reprirent en silence le chemin de lamaison desMacDonald. Lemétamorpheparaissaitplongédanssespenséesetellenesavaitquedirepouratténuerlasouffrancequ’avaitdûéveillerenluicetteconfessioninattendue.Aussisesentit-ellepresquesoulagéelorsqu’ilsparvinrentenfinàdestination.—Mercidem’avoirraccompagnée,luidit-elle.—Iln’yapasdequoi,répondit-il.Maissicelanevousennuiepas,j’aimeraisallerdirebonsoir
àvossœurs.Sans attendre sa réponse, il poussa le portail qui donnait sur la cour et entra. Réprimant un
soupirderésignation,Caitlinlesuivitàl’intérieur.Sessœursavaientdûguetterleurretourcarlaportedelamaisons’ouvritpresqueaussitôt,révélantShaunaetFionaquiparaissaienttoutesdeuxtrèsinquiètesmalgrélemessagequ’elleleuravaitenvoyé.—Commentas-tupufairequelquechosed’aussistupideetégoïste?s’emportaleurbenjamine,
furieuse.Fionaposasursonépauleunemainquisevoulaitapaisante.—L’essentiel,c’estqu’ellesoitsaineetsauve,luidit-elleenadressantunregardreconnaissantà
Ryder.S’approchantdeCaitlin,ellelapritdanssesbrasetlaserracontreelle.Celle-cifutenvahiepar
un brusque accès de culpabilité. Si elle avait caché à ses sœurs son intention d’aller consulterDanny, c’était avant tout parce qu’elle espérait grâce à cette visite réparer l’erreur qu’elle avaitcommiseensefaisantenleverquelquesmoisauparavant.Ellen’avaitpasréfléchiaufaitqu’enquittantlamaisonsanslaisserdemessageoud’explication,
ellerisquaitplusd’inquiétersessœursquedelesimpressionner.—Jesuisdésolée,murmura-t-elleàl’intentiondeShauna.—Maisoùétais-tu?s’exclamacelle-ciquin’entendaitvisiblementpassecontenterdesimples
excuses.—Caitlinaeul’idéedeconsulterl’undesesamisquipossèdeunegrandeaffinitéavecleplan
astral,expliquaRyder.Caitlin le considéra avec étonnement. Le ton qu’il avait employé semblait sous-entendre qu’il
s’agissaitd’unebonneidéealorsqu’ill’avaitdésapprouvéeauparavant.Maisilavaitapparemmentdécidédeprendresadéfense,cequiprouvaitunefoisdeplusqu’ilétaitimprévisible.—L’amienquestionaréussiàcontacterlechefdesdémonsquenousrecherchions,ajouta-t-il.—Jevaisvouslaisserleurexpliquertoutcela,intervintCaitlin.Quantàmoi,jesuisépuiséeetje
croisquejeferaismieuxd’allermecoucherdirectement.Sanslaisseràpersonneletempsd’émettrelamoindreobjection,Caitlinsefaufilaàl’intérieur.
Elle traversalehallàgrandspasetgagnadirectementsachambreoùelleentrepritdedélacer larobequ’elleportait.Cefaisant,ellehumal’odeurécœurantedecrackquis’yaccrochait.
Cettesensationravivalesouvenirdelaséancedespiritismeàlaquelleellevenaitdeparticiperetellefutfrappéerétrospectivementparlahaineetlacruautédelacréaturequis’étaitexpriméeparlabouchedeDanny.Réprimantdifficilementunaccèsdenausée,ellerejetalevêtementetenfilasonpeignoiravant
desortirsurlebalconpourprendrel’air.Jusqu’à présent, elle n’avait pas réellement pris la mesure du danger que représentaient ces
entités.Ladescriptionqu’enavaitfaiteRyderluiavaitdonnél’impressionqu’ellesn’agissaientquepour satisfaire leur soif de sensations et que leurs actions n’étaient que l’expression de leurspulsionsimmédiates.Maislacréatureaveclaquelleilss’étaiententretenusétaitd’unetoutautrenature:elleavaitun
projetprécisetunpland’actionquiavaitvisiblementfaitl’objetd’uneréflexionrationnelle.Celaenfaisaitunennemibienplusretorsetdangereux.De plus, il s’agissait de l’entité qui avait assassiné la sœur de Ryder, plusieurs décennies
auparavant, ce qui prouvait qu’elle vivait depuis longtemps et avait donc pu acquérir une solideexpérience.Caitlindemeuralonguementimmobile,leregardperdudanslecielpiquéd’étoiles.Lorsqu’elle
sentitenfinrefluerlasensationdenauséequil’habitait,ellesedétournapourréintégrersachambreetneputreteniruncridefrayeurendécouvrantRyderàl’intérieur.—Nemeditespasquevouspouvezpasseràtraverslesmurs!s’exclama-t-elle.—Nonmaisjesuiscapabledemetransformerenaraignée.Cen’estpaslaformequejepréfère,
loindelà,maiscestemps-ci,nécessitéfaitloi.—Peuimporte!s’emportaCaitlin,agacée.Quellequesoit lafaçondontvousprocédez,vous
n’avezpasledroitdevousintroduirechezlesgensdecettefaçon!Ellefitminedelecontournermaisilsedécaladefaçonàluibarrerlepassage.— Je partirai si c’est vraiment ce que vous voulez.Mais neme jetez pas dehors simplement
parcequejesuisunmétamorphe.Ilavançad’unpasverselleetellesentitlesbattementsdesoncœurs’emballer.—J’aitrèsenviedevous,Caitlin,reprit-ild’unevoixtrèsbassequilafitfrissonnerdelatête
auxpieds.Etjecroisquevousaussi,vousavezenviedemoi.Ilfitunpasdeplusdanssadirectionetellesongeaqu’elleauraitdûs’écarter.Maissoncorps
refusaitdesuivrelesinstructionsqueluidictaitsonespritetelledemeuraparfaitementimmobile.—Jevaisvousembrasser,luidit-il.Sivousnevoulezpasquejelefasse,ilestencoretempsde
meledire…Ilavançaencoreetleurscorpssefrôlèrent.Caitlinouvritlabouchepourlerepoussermais,sur
le moment, elle ne trouva aucune raison sensée de le faire. Pourquoi se serait-elle privée dequelquechosedontelleavaittantenvie?Il lui sembla queRyder semouvait au ralenti, comme s’il voulait lui laisser tout le temps de
prendresadécision.Sonvisageserapprochadusienetellefermalesyeux.Uninstantplustardseslèvres se posèrent sur les siennes et, à ce simple contact, elle eut l’impression qu’une violentedéchargeélectriquelaparcouraitdepartenpart.LesbrasdeRyderserefermèrentsurelleetillaserracontreluialorsqueleurbaisersefaisait
plusintense,pluspassionné.Caitlins’entenditpousserungémissementrauque,presqueanimal,quitrahissaitledésirfulgurantqu’elleéprouvaitencetinstant.Elleavaitl’impressionquesoncorpstoutentiersedissolvaitdel’intérieurtandisqu’unechaleur
presqueintolérablel’envahissait.SanslesoutiendeRyder,elleseseraitprobablementeffondrée.Ellesentitalorssamainremonterlelongdesonflancpourvenirseposersurl’undesesseins
qu’ilentrepritdemasserdoucement,alimentantencoreleflotdeplaisirquimontaitenelle.Lorsqu’il écarta le pan de son peignoir, elle renversa la tête en arrière pourmieux offrir sa
poitrine à ses lèvres brûlantes qui traçaient sur sa peau des sillons incandescents. Et quand ilentrepritd’agacersontétondel’extrémitédesalangue,ellemanquadéfaillirdeplaisir.Jamais son corps n’avait réagi de façon aussi intense et débridée aux caresses d’un homme.
C’était d’autant plus incroyable qu’elle le connaissait à peine et n’était pas femme à se livreraisément.Maisquelquechoseen luiéveillaitunéchoauplusprofondd’elle-même.C’était commes’ils
s’étaientconnusdansunevieantérieureetseretrouvaientenfinaprèsdessièclesdeséparation.Rydersefitplusaudacieuxencore,laissantremontersesdoigtslelongdesajambepourvenir
seposerenfinaucreuxdesescuisses.Saréactionfutaussiimmédiatequ’indomptableetelleneputretenir un cri tandis qu’une vague de plaisir déferlait en elle, ne lui laissant aucune chance derésister.Illuilaissaàpeineletempsdeseremettreavantdereprendresonexplorationavecunmélange
d’impétuositéetdedouceurquiluifitdenouveauperdrelecontrôled’elle-même.Cettefois,soncri se perdit entre les lèvres de Ryder dont le baiser trahissait mieux que des mots l’envieimpérieusequ’ilavaitd’elle.Lentement,illafitreculerjusqu’aulitsurlequelellebascula.Ilsedéshabilla,luilaissantainsile
tempsdereprendreunsemblantdecontrôledesoietd’admirerlecorpsathlétiquequisedévoilaitàelle.Etlorsqu’ilseretrouvaenfinnu,elleputappréciertoutel’intensitédesondésir.Lorsque leurs regardssecroisèrent,elle frissonnadenouveau, frappéepar la façondont il la
dévoraitdesyeux.Jamaisellenes’étaitsentieaussiconvoitéequ’encet instant.Etcettecertitudebalayalesderniersvestigesd’incertitudequis’attardaientencoreenelle.Elle comprit alorsque laméfianceque lui avait inspiréeRyder tenait engrandepartie au fait
qu’elleavait trèsvitepressenti l’ascendantqu’ilpourraitprendresurelle.Car les réactionsqu’ilfaisaitnaîtreenelledépassaientlesimpledésirphysiqueetellesutalorsqu’untelhommepouvaitlapossédercorpsetâme.D’unemain tremblante, elle dénoua la ceinture de son peignoir dont elle se défit entièrement
pour s’offrir à lui.Agrippant ses chevilles, il l’attira vers lui avant de plaquer ses poignets au-dessusdesatête.Il s’attarda dans cette position, laissant sa hampe gorgée de désir effleurer son entrejambe
jusqu’àcequ’incapabledesupportercedélicieuxsupplice,elleluidemanded’entrerenelle.D’ungestelentetpuissant,illapénétra,luiarrachantuncrid’extase.Ellesentitsoncorpstout
entiersetendrecommelacorded’unarctandisqu’ils’enfonçaittoujoursplusloindanslesreplislesplussecretsdesachair.Ecartelée,ellelesentitalorsbougerenelle,trèsdoucementd’abord,commes’ilavaitpeurde
lui faire dumal. Puis, encouragé par ses cris et ses gémissements, il se fit plus impétueux, lesentraînanttousdeuxtoujoursplusloin.Caitlin répondait à chacune de ses impulsions, se creusant pour l’attirer plus loin encore,
enserrantsatailledesescuisses, labourantsondosdesesongles…Ellenesecontrôlaitplus,secontentantdesuivrelerythmesauvagedecetteétreinteardente.Ryder et elle semblaient ne plus faire qu’un seul être et elle aurait été incapable de dire où
s’arrêtaitsoncorpsetoùcommençaitlesien.Emportésparleurpassion,ilsbasculèrentensembledansunmondesurlequelletempslui-mêmesemblaitn’avoiraucuneprise,unmondeoùn’existaitquel’évidenceabsoluedufaitqu’ilsétaientdestinésl’unàl’autredetouteéternité.
16.
Caitlindérivaitentreveilleetsommeil.Ryderetellevenaientdefairel’amourpourladeuxièmefoisetsoncorpstoutentierrésonnaitencoreduplaisirqu’illuiavaitprocuré.Etpourtant,ledésirqu’elleavaitdeluiétaittoujoursintact.Lorsqu’elle sentit sa main se poser sur sa poitrine, elle soupira doucement. Ses tétons se
dressèrentsoussescaressesetelleécartalégèrementlescuisses,luipermettantainsideplongersesdoigtsenelle.Ellegémitdeplaisiretl’entouradesesjambespourl’attirerenelle.Ryderglissaalorssesmains
soussesfessesetlapénétra, laclouantaumatelas.Rouvrantlesyeux,elles’aperçutalorsquecen’était pas lui qui était en train de faire l’amour avec elle mais une créature démoniaque etsquameusedontlesyeuxluisaientd’unejoiemalsaine.Unsouriresadiquesedessinaalorssurseslèvres,révélantdeuxrangéesdedentspointuesaussi
effiléesquedeslamesderasoir.Acettevue,Caitlinneputretenirunhurlementdepureterreur.—Cait!C’estmoi!Cait,réveille-toi…Horrifiée,ellesedébattitetseblottitcontrelecadredulit.—Cait,réveille-toi,luiintimaunevoixquiluiparutvaguementfamilière.Rouvrantlesyeuxpourlasecondefois,elleconstataqueRydersetenaitàgenouxàsescôtés,la
mainposéesursonépaule.—Ce n’était qu’unmauvais rêve, lui dit-il. Je ne sais pas ce que tu as vumais ce n’était pas
réel…Haletante, Caitlin passa la main dans ses cheveux pour tenter de chasser le souvenir de la
créaturequiluiétaitapparueensonge.—MonDieu,articula-t-elled’unevoixblanche.ElletremblaitdetoussesmembresetRyderlapritdanssesbraspourlaserrercontrelui.Elle
posaalorslatêtesursapoitrineetfermalesyeuxpourseconcentrersurlesbattementsrassurantsdesoncœur.—Jesuisdésolée,murmura-t-elle.—Iln’yapasdequoi,objectaRyderens’écartantlégèrementdefaçonàpouvoirlaregarder.
Aprèstoutcequetuastraverséaucoursdecesderniersjours,ilestparfaitementnaturelquetutesenteseffrayée.Trèsfranchement,jetrouvemêmecelarassurant.Sesentantbrusquementtrèsvulnérable,ellefitminedes’écarterdeluimaisilnelalaissapas
faireetlarepritdanssesbras.—Resteauprèsdemoi,luidit-il.Il laberçadoucementjusqu’àcequ’ellerenonceàcontrôlerlasensationdesoulagementetde
bien-êtrequil’envahissaitpourselaisserfaire.Ilembrassaalorssescheveux.—J’aivulachosequiaprispossessiondeDanny,articula-t-elled’unevoixhachée.Elleentrait
enmoi…C’étaithorrible…
EllesentitdeslarmesbrûlantescoulerlelongdesesjouesetRyderl’attiraencoreunpeupluscontrelui.—J’aisentiqu’ellevoulaitmetuer,ajoutaCaitlin.Elles’écartalégèrementdeluidefaçonàpouvoirleregarderdroitdanslesyeux.— Il faut que nous les arrêtions, lui dit-elle gravement. Nous devons tout faire pour les
empêcher de nuire. Car je suis convaincue que tant que nous ne les aurons pas éliminés, ilscontinuerontàsemerlamortetladestructionsurleurpassage.Cen’estpasseulementuneffetdelapossession.Ilsaimentça…—Jesais,acquiesçaRyder.Jelesaidéjàvusfaire…Maisjeteprometsquenouslesarrêterons.
Laseulequestionestdesavoirquelleestlameilleurefaçondeprocéder.Unexorcismedemasse?Leslierdéfinitivementauxcorpsqu’ilshabitentdefaçonàcequ’ilssedétruisentd’eux-mêmes?Jamais je ne m’étais trouvé confronté à un si grand nombre de ces entités. Jusqu’à présent, jen’avaisqu’àendétruireuneoudeuxàlafois,pasdesdizaines…—Jecroisquenousdevrionsréunirleconcile,déclaraCaitlin.—Leconcile?répétaRyderenhaussantunsourcilinterrogatif.—C’estuneassembléequiregroupedesreprésentantsdetouslespeuplesdel’ombre.Elleest
habilitéeàprendredesdécisionsimportantesetàlesfaireappliquer.—Tuveuxdire que les vampires, lesmétamorphes et les lycans deLaNouvelle-Orléans ont
acceptédesiégerensemble?s’étonnaRyder.—Oui.C’estl’unedeschosesquim’amènentàpenserquemesparentsnesontpasmortspour
rien.Ryderlaissaéchapperunpetitsifflementadmiratif.—Jamaisonn’aurait imaginéune chosepareille, la dernière fois que je suis venudans cette
ville,déclara-t-il.Tesparentsonteffectivementaccompliunvéritablemiracle!—Quoiqu’ilensoit,certainsmembresduconcileaurontpeut-êtredesidées.Ilyadesvampires
âgésdeplusieurssièclesparmil’assemblée.Ryderserembrunitlégèrement.—Qu’ya-t-il?s’enquitCaitlin,inquiète.— Eh bien… A dire vrai, je ne suis pas habitué à travailler en équipe. Et encore moins à
collaboreravecdesmembresd’autresespèces.—C’estpourtantnotremeilleurespoir,remarqua-t-elle.Ryderneréponditpasmaislaserraunpeuplusdanssesbras.Ellefermabrièvementlesyeux,
regrettantdenepouvoirresterlàpourl’éternitéàsavourercetteétreinteetl’impressiondesécuritéetdeplénitudequ’elleéveillaitenelle.—Tu as raison,murmura enfin Ryder. En fait, c’est peut-êtremême le seul espoir qui nous
reste…
***
Lorsque Caitlin ouvrit les yeux, ce matin-là, Ryder la tenait toujours serrée contre lui. Elledemeuralonguementimmobile,fascinéeparlepoidsdesoncorps,parladouceurdesapeauetparlapuissancequisedégageaitdelui.SiCase,sonpremierpetitami,étaitunéterneladolescent,Ryderétaitindubitablementunhomme
danstoutelasplendeurdesamaturité.C’étaitaussiunamantextraordinairequisavaitéveillerenelleundésirsanscesserenouvelé.Mêmeencetinstant,lesimplesouvenirdeleurseffusionspassionnéessuffisaitàranimerenelle
un désir insidieux qui se répandait dans tout son corps, du creux de son ventre à l’extrémité dechacundesesmembres.Ellesemblaitnejamaisdevoirserassasierdeluiet,fortheureusement,laréciproqueparaissaitvraie.Elle avait perdu le compte de leurs étreintes mais se rappelait avec un brin de gêne son
insatiabilité.Elles’étaitabandonnéeàluisansaucuneretenue,sansaucunefaussepudeur,goûtantpleinementauplaisirqu’ilsavaitluiprocurer.Etàprésentquelejours’étaitlevé,ellecommençaitàcomprendreavecunepointed’angoisse
combienelleétaitdevenuedépendantedeluienquelquesheuresseulement.Elleavaitl’impressiond’avoirgoûtéàunedroguedontilluiseraitdésormaistrèsdifficiledesepasser.OrRydern’avaitprisaucunengagementàsonégard.Atoutmoment,sonmétierdechasseurde
primespouvaitlepousseràquitterlavilleetàl’abandonnersanslemoindreétatd’âme.Aprèstout,ilétaitunmétamorpheetellesavaitpertinemmentcombienceux-cipouvaientserévélercapricieuxetvolages…Lentement,précautionneusement,elles’arrachaàl’étreintedesesbras.Lorsqu’elleparvintenfin
àquitter le litsansleréveiller,ellesesentit incomplèteetfrustréeetdutfairepreuvedevolontépournepasretournerseglisserdanssonlitàsescôtés.Elle se força pourtant à se détourner et à gagner la salle de bains pour prendre une douche
brûlanteetfairedisparaîtrel’odeuraffolantedeRyderquis’accrochaitencoreàsapeau…
***
LorsqueRyderouvritlesyeux,cematin-là,lapremièrechosequ’ilsentitfutl’odeurdeCaitlinquis’accrochaittoujoursàsapeauetfitnaîtreenluiunbrusqueaccèsdedésir.Setournantverslaplace qu’elle avait occupée durant la nuit, il constata qu’elle n’était plus là et ne put retenir ungrognementdefrustration.Il se redressaetplissa lesyeux,momentanémentaveuglépar laclartéqui filtrait à travers les
fenêtres.Tendant l’oreille, il chercha lemoindrebruit susceptiblede lui indiqueroùétaitpasséeson insatiablemaîtressemais legoutte-à-gouttedurobinetde lasalledebains lui indiquaque labelles’étaitdéjàenvolée.
***
CaitlinétaitassisedanslacuisinedeFionaetbuvaitensilenceunetasseremplieàrasborddecafé fraîchement passé. Elle avait énormément de mal à conserver une expression neutre etdécontractéealorsquesoncorpstoutentierluirappelaitlesdélicieusestorturesauxquellesRyderl’avaitsoumisedurantunebonnepartiedelanuit.Fort heureusement, Shauna était d’humeur très diserte et devisait de tout et de rien en se
contentantderéponsesmonosyllabiques.Fiona,parcontre,luijetaitparintermittencedesregardspensifsquiindiquaientclairementqu’ellesoupçonnaitquelquechosed’anormal.Pour se donner une contenance, Caitlin entreprit de tartiner méticuleusement de beurre un
morceau de pain. Shauna s’interrompit brusquement et tendit l’oreille. Ses sens aiguisés avaientrepérélebruitdedeuxvoixmasculinesquiserapprochaient.Quelques instants plus tard, Jagger pénétra dans la cuisine, suivi de prêt par Ryder. Le
métamorphe avait pris une douche et s’était rasé. Il portait un jean et un blouson de cuir quisoulignaientsavirilitéetdonnèrentenvieàCaitlindeseprécipitersurlui.—Regardezquij’aitrouvédanslarue!s’exclamaJagger.Ryderjetauncoupd’œilcompliceàCaitlinetellesesentitrougirjusqu’àlaracinedescheveux.
IlyavaitdanssonregarduneformedetendresseteintéedepossessivitéqueFionanemanqueraitcertainementpasd’interpréterjudicieusement.Terriblementembarrassée,elledétournalesyeuxetavalaunegorgéedecaféaveclaquelleelle
faillits’étrangler.— Je suis ravie de vous revoir, Ryder, déclara Fiona en lui décochant un sourire des plus
chaleureux.Voulez-vous que je vous prépare une omelette ? Sinon, il y a des croissants, et despâtisseriessurlatable.Vousavezdelachance:Shaunan’apasencoretoutdévoré.—Jeprendraijusteuncafé,réponditRyder.Iljetauncoupd’œilinterrogatifàJaggerquihochalatête.Ryderremplitdeuxtassesetentendit
uneauvampire.—Est-cequetuasdesnouvellesdel’autopsie?demandaalorsShaunaàJagger.—Malheureusement, il y a un certain nombre de points de concordance dont une présence
importanted’adrénalinedanslesangayantpuentraînerunarrêtcardiaque,répondit-il.—C’étaitdoncbienl’undecesdémons,conclutShauna.—Etcelaprouvequelesautrespeuplesdel’ombresonttoutaussiexposésquelesmorphes.—Sicequenousavonsdécouvertestvrai, remarquaRyder, si l’entitémaîtresseestvraiment
capable d’habiter durablement un hôte, il y a de fortes chances pour qu’elle ait choisi unreprésentant des peuples de l’ombre. Pourquoi choisir un être humain quand on peut bénéficierd’unerésistanceetdepouvoirsinfinimentsupérieurs?—Etilpeuts’agirden’importequi,soupiraJagger.—Exactement.—Ilestimpératifderéunirleconciledèscesoir,déclaraCaitlin.—Jesuisd’accord,acquiesçaJagger.ShaunaetFionamarquèrentleurapprobationetRydersecontentadehausserlesépaules.—Trèsbien,conclutFiona.Danscecas,c’estdécidé.
Caitlin vit Ryder et Jagger échanger un coup d’œil. Puis le métamorphe fit un signe de têtepresqueimperceptibleendirectiondelaporte.Jaggeracquiesçaavantdes’avancerversFiona.—Sicelanet’ennuiepas,jevaisdevoiryaller,luidit-il.J’aiunelonguejournéeenperspective.
Est-cequejepeuxfairequelquechosepourtoi?—Cen’estpaslapeine.File!JevaisappelerdirectementArmandetilenverrauneconvocation.
Toutcequetuaurasàfaire,cettefois,c’estarriveràl’heure.CommeFionaprenaitJaggerparlebraspourleraccompagnerjusqu’àlaported’entrée,Ryder
setournaversShauna.—Oùsontlestoilettes?luidemanda-t-il.—C’estlapremièreportesurlagaucheensortant,répondit-elle.Ryderlaremerciaetsortit.Caitlinattenditquelquesinstantsavantdelesuivre.Ellearrivadansle
couloir juste à temps pour le voir se transformer. Elle avait déjà vu Case et Danny le faire àmaintesreprisesmaisjamaisellen’étaitparvenueàs’yhabituervraiment.Unepersonnemoins sensibleauxempreintespsychiquesn’auraitpeut-êtrepasétéaussigênée
parceprocessusmaiselle-mêmepercevaitnonseulementlatransformationdumétamorphemaisaussicellequ’ilimposaitàsonenvironnementimmédiat.L’espace d’un instant, il lui semblait que la réalité se déchirait localement avant de se
reconstituer. Ilenrésultaitunesensationdevertigequipouvaitaller jusqu’à lanausée.Cettefoisencore,elledutseconcentrerpourluttercontrecetteimpressiondemalaise.Lorsqu’ellerecouvralapleinemaîtrisedesoi,Ryderavaitdisparu,remplacéparunecorneille
quis’envolaàtire-d’aileparlafenêtreouverte.Caitlinseforçaàfaireabstractiondesontroublepersistantetseprécipitaversl’escalierdontelledévalalesmarchesquatreàquatre.
***
Jagger patientait dans la rue, près de la petite porte menant à la cour. Il suivit des yeux latrajectoiredel’oiseauquis’étaitenvolédel’unedesfenêtresdelamaisonetvintseposerpresqueàsespiedsavantdesetransformerenhomme.—J’ail’impressionquetun’aspasétéenthousiasméparlapropositiondeFiona.Rydersoupira.—Disonsquej’aisouventremarquéqueplusilyavaitdepersonnesimpliquéesetplusilétait
difficiledetrouverunesolutioncommune.—C’estvrai,concédaJagger.Maisc’estlafaçondontfonctionnecettevilleetc’estàceprixque
noussommesparvenusàmaintenirlapaixentrelesdifférentescommunautés.—Toutcelaestparfaitmaisjenesuispasicipourfairedelapolitiqueoubrosserlesgensdans
le sens du poil. La seule chose quim’importe, c’est de débarrasser au plus vite la ville de cescréatures.—Ecoute,riennet’obligeàvenir,cesoir.Jecomprendraisquetunelefassespas:tunousas
toi-mêmelaissésentendrequetutemoquaiscommed’uneguignedecequipouvaitarriveràcette
ville.Cen’estsansdoutepaslameilleurefaçondet’attirerlesbonnesgrâcesdeCaitlinquiaimeLaNouvelle-Orléansavecpassion,maisça,c’esttonproblème.—Merci pour tes conseils, ironisaRyder.Mais puisque tu parles deCaitlin, justement, il y a
quelquechosequetudoissavoir : lespersonneslesplusexposéesdanscettehistoire,cesontlesGardiens.Ledémonquiaprislecontrôledecettecohortel’adéjàmenacéeàdeuxreprises.Ilsaitqu’elleferatoutcequiestensonpouvoirpourcontrecarrersesplansetprotégerlesmétamorphesde son influence. J’ignore s’il a connaissance de l’existence des autres Gardiens mais ill’apprendra tôtou tardet iln’aurapasdecessequ’ilne se soitdébarrasséd’ellesune foispourtoutes.AlorstâchedeconvaincreleconcilequechaqueminutepasséeàdébattreaulieudesebattreexposeunpeupluslesGardiens.Etc’estvraipourtapetiteamieautantquepourlamienne!
***
Embusquéederrièrelaportequidonnaitsurlarue,Caitlinavaitécoutétoutecetteconversationavec intérêt. Et comme Ryder concluait son plaidoyer, elle eut beaucoup de mal à retenir uneexclamationdestupeur.Ainsi,Ryderlavoyaitvraimentcommesapetiteamieetnoncommeunesimpleconquêted’unsoir…—Tapetiteamie? répéta Jagger.Nemedispasque tucomptes t’installerenville lorsque tu
aurasterminétamission!Ryder ne répondit pas et Caitlin sentit son enthousiasme refluer, remplacé par une profonde
déception.—Cequejedécideraidefaireetoùjedécideraidevivreneteregardepas,vampire,déclara-t-il
enfin.—Tutetrompes,monvieux.Caitfaitpartiedemafamille,àprésent.Unnouvelaccèsde stupeurenvahitCaitlin : jamaisellen’aurait imaginéqueJaggerpuisse la
considérerdecettefaçon.—Tuignorespeut-êtrecequecelapeutbiensignifier,poursuivitlevampired’untonmordant,
maisjeteprometsquesiquelqu’unluifaitdumal,jeletueraidemespropresmains!Contrairementàsonhabitude,Ryders’abstintderépondreparunemoquerieouuneprovocation
etdemeurasilencieux.Caitlinrepensaàcequ’illuiavaitditausujetdesasœur.Peut-êtreregrettait-ilencetinstantquequelqu’uncommeJaggern’aitpasprissadéfense,àl’époque.Maiscederniersemépritsurlesraisonsdesonsilence.— C’est bien ce que je pensais, souffla-t-il. Tout ceci te dépasse probablement. Sache donc
seulementquesitesintentionsnesontpashonorables,tuferaismieuxdelaisserCaitlintranquille.Laisse-latrouverlebonheur.C’estquelqu’undebienetelleleméritevraiment.Caitlinsesentitétrangementémueparceplaidoyerinattendu.ElleattenditqueRyderyréponde
maisildemeuraobstinémentsilencieux,attisantlesdoutesquilarongeaientintérieurement.Maisquandilparlaenfin,elleseditqu’elleauraitpréféréqu’ilgardelesilence.—Jelalaisseraitranquille,déclara-t-il.Quantàtoi,tâcheseulementdenepasinterférerdansle
bondéroulementdemamission.
Acesmots,Caitlinsentitsesillusionssebriserd’unseulcoup,luilaissantl’atrocecertitudequeJagger avait eu raison et que, comme la plupart des métamorphes, Ryder était incapable des’engagerdansunerelationsérieuse.L’intensitédesadéceptionlapritdecourt.Ilsn’avaientpasséqu’unenuitensemblemaisellese
sentaittrahieauplusprofondd’elle-même.—Trèsbien,conclutJagger.Est-cequetuseraslà,cesoir?—Pourquoipas?Jeseraiscurieuxdevoiràquoipeuventressemblercesfameuxconciles.—Acesoir,donc.Caitlin entendit alors des bruits de pas s’éloigner dans deux directions opposées. Elle-même
restaadosséecontrelaportelongtempsaprèsqu’ilseurentdisparu.Sachantqu’ens’attardant ici indéfiniment,elle finiraitpar inquiétersessœurs,Caitlin regagna
lesappartementsdeFiona.Elle trouva sesdeux sœurs installéesdans le salon.Commeà sonhabitude,Shauna faisait les
centpascommeunanimalencage.Elles’immobilisabrusquementlorsqueCaitlinpénétradanslapièce.—Oùdiableétais-tupassée?s’exclama-t-elle.Tuasdisparuenmêmetempsquelechasseurde
primes.Est-cequ’ilyaquelquechoseentrevous?Caitlinjetauncoupd’œilàladérobéeàFionaquil’observaitattentivement.Detouteévidence,
ses sœurs continuaient à s’inquiéter pour elle. Elle ne pouvait d’ailleurs pas le leur reprocher :aprèsêtrealléetrouversecrètementCaseetDanny,laveilleausoir,elleavaitfaussécompagnieàFionaetShauna,laissantàRyderlesoindeleurracontercequis’étaitpassé.—Iln’yariendepersonnel,sic’estcequetuveuxsavoir,répondit-ellefroidement.MaisRyder
estlapersonnequiconnaîtlemieuxcesdémonsetnousavonsbesoindesinformationsqu’ildétientàleursujetsinousvoulonslutterefficacementcontreeux.C’estàcelaqueselimitentnosrelations.— Très bien, acquiesça Fiona qui ne paraissait cependant pas très convaincue par ce qu’elle
venaitdeleurdire.Nousferionsmieuxdenousconcentrersurleconcilequinousattendcesoir.Rydera-t-ilévoquélameilleurefaçondedétruirecescréatures?—Ilasuggérédeuxpossibilités:effectuerunexorcismedemasseoubienlaisserlesdémons
s’incarneravantdeleslierdéfinitivementàleurscorpsd’emprunt.Malheureusement,jenesuispassûrequequiquecesoitpossèdedespouvoirsassezpuissantspourbanniroulierautantd’entitésd’unseulcoup.—EtRyderestcertainquel’attaqueseproduiradurantlanuitdeSamain?— Il en est convaincu, acquiesça Caitlin. Et tout ce que j’ai appris tend à confirmer cette
hypothèse.Sinousnefaisonsrien,Halloweenseraunvéritablebaindesang.
17.
DepuisquelecélèbrerestaurateurArmandSaint-PierreavaitprislaplacedeJennieMahoneyentant que représentant des métamorphes, c’était généralement lui qui accueillait les réunionsordinaires et extraordinaires du concile au premier étage du Viola, son établissementgastronomiquequiétaitl’undesjoyauxdeJacksonSquare.Ilétaitinstallédansunsuperbehôtelparticulierdestylecréoleetétaitrapidementdevenucélèbre
pour ses brunchs dominicaux qui, outre une cuisine élégante et raffinée, offraient au client unaccompagnementmusicaldechoix.LesgroupesquisesuccédaientauViolaconstituaientlacrèmedujazzdeLaNouvelle-Orléans.Lerez-de-chausséedumanoirabritaitlasalleprincipaleetlescuisinesmaisl’étageétaitréservé
à l’organisationdebanquetsetde réceptions. Il étaitpossibled’yaccéderdirectementenpassantparuneentréesecondairebienplusdiscrètequecellequidesservaitlerestaurant.L’endroitétaitplusappropriépouraccueillir lesconcilesquel’ancienneéglisetransforméeen
boîte de nuit que possédait DuLac, le porte-parole des vampires, et que les peuples de l’ombreutilisaientauparavant.Etsicertainsregrettaientl’ambiancegothiquedecelieu,tousreconnaissaientquelesrepasetles
vinsservisaucoursdesconcilesétaienttoujoursremarquables.Caitlin, quant à elle, appréciait surtout l’atmosphère atemporelle qui caractérisait leViola. La
plupartdesplanchers,desboiseries,deslustresetdesappliquesétaientd’époqueetArmands’étaitdonnébeaucoupdemalpouracquérirdesmeubles,destapisseriesetdestapisparfaitementassortisaustyledelamaison.Lemaîtredes lieuxexigeait égalementque la tenuede seshôtes soit adaptéeàcetteambiance
compassée.Leshommesétaientdonctenusdeporterunsmokingetlesfemmesunerobedusoir.Nombre de lycans avaient grommelé en apprenant la nouvelle mais la plupart d’entre eux
avouaientàdemi-motqu’en fait, cecodevestimentaireavait leméritedemettre tout lemondeàégalité.Les trois Gardiens se pliaient également à la règle, y compris Shauna dont la garde-robe
habituelleselimitaitàquelquesjeansetuneimpressionnantecollectiondeT-shirtsetdepairesdebaskets.Cesoir-là,ellesseréunirentdonccommedecoutumedanslachambredeFionapourenfilerles
tenues qu’elles avaient choisies. Mais tout en se préparant, Caitlin ne cessait de repenser à laconversationqu’elleavaitsurpriselematinmêmeentreJaggeretRyder.Enréalité,cettediscussionavaitoccupésespenséesdurantunebonnepartiedelajournée,ceque
Fionan’avaitpasmanquéderemarquer.Mais,pourlemoment,sasœuraînées’étaitbiengardéedetoutcommentaire.Enfait,elleattenditqueShaunaaitfinides’habilleretqu’elleaitquittélapiècepourévoquerlesujetàsafaçon.—Cetterobetevaàmerveille,déclara-t-elled’untonfaussementdétaché.Caitlin jeta un coup d’œil dans le miroir qui lui faisait face et dut bien reconnaître que le
vêtement lui seyait àmerveille.Mais à quoi cela lui servirait-il si l’hommedont elle aurait tantvouluattirerl’attentionétaitcapablederenonceràelledujouraulendemain?—Jesuiscertainequetouts’arrangeraenfindecompte,déclaraFionacommesielleavaitlu
danssespensées.—Dequoiparles-tu?luidemandaCaitlin.—DeRyderettoi,biensûr.—Nesoispasridicule!Quelavenirpourrais-jeattendred’uneliaisonavecunmétamorphe?
J’ail’impressionquetespropresamoursontfiniparfaussertonjugement.Fionapoussaunsoupirquitrahissaitautantd’agacementquedecompassion.— Caitlin, nous sommes des Gardiens. En tant que tels, nous sommes amenés à côtoyer
continuellementlespeuplesdel’ombre,àvivreaveceux.Notremondeestbienplusprocheduleurquedeceluidesautreshumainsqui ignorent toutde leurexistenceoulesconsidèrentcommedesimpleslégendes.Nouspartageonstoutaveceux:leursmomentsheureuxcommeleurspériodesdifficiles, leurs doutes, leurs espoirs… Alors pourquoi nous interdire de les aimer ? Cela n’aaucunsens.Fionaserapprochadesasœuretposaunemainsursonépaule.—Jesaisquetuassouffert,reprit-elled’unevoixtrèsdouce.Maisceluiqui t’ablesséeaurait
toutaussibienpuêtreunhumain.Enamour,nouscommettonstousdeserreurs.Etc’estainsiquenousfinissonsparcomprendrecequiestréellementimportantpournousetquelgenredepersonnepeutnousl’apporter.—N’ya-t-ilpasmoyend’yparvenirsanssefaireautantdemal?objectaCaitlinavecuntriste
sourire.—Certainespersonnesontpeut-êtrecettechance,réponditFiona.Maiscen’estpaslamajorité.—Voilàquin’estguèrerassurant…—L’amourn’estjamaisrassurant.Depuisquej’airencontréJagger,jesuisterrifiée!Jenecesse
demedire qu’il va finir par comprendre qu’il perd son temps avecmoi ouqu’il va rencontrerquelqu’und’autre…Fionasecouadoucementlatête.—Maiscequicompteleplus,dansuncouple,çan’estpasd’êtrerassuré.Leplusimportant,je
crois,c’estquelapersonneavecquil’onvitnousvoiepourcequenoussommes.C’estpeut-êtrecelal’amour:unepersonnequinouscomprend,quiaparfaitementconsciencedenosdéfautsetquinousachoisiemalgréeux.OrjecroisqueRydertecomprendvraiment.Tun’espourtantpasunepersonnetrèsfacileàcernermaisj’ail’impressionqu’ilyparvientassezbien.Caitlinnesutquerépondreàcela.ElleauraitvoulucroirecequeluidisaitFionamaisnepouvait
oublierlesmotsdeRyderlui-même.Se pouvait-il que les deux soient vrais ? Que Ryder l’aime à sa façon, mais pas assez pour
vouloirs’impliquerréellement?Cettepossibilitéluiparaissaitpresqueplustristequel’idéequ’ilnel’aimepasdutout.—Toutceque jeveux, reprit sa sœur,c’estque tu soisheureuse,machérie.Et tune le seras
qu’avec quelqu’un que tu considéreras comme ton égal, quelqu’un que tu respecteras et que tuadmirerasmême si vous n’êtes pas toujours d’accord,même s’il vous arrive de vous disputer.
Alorsjet’incitejusteànepasrepousserRydersimplementparcequec’estunmétamorphe.
***
Enpénétrant dans les salons duViola, ce soir-là,Ryder eut l’impression de faire un bond enarrièredansletemps.Lavuedetousceshommesenfracouensmokingetdecesfemmesenrobedusoirluirappelalessoiréesauxquellesilserendait,plusd’unsiècleauparavant.Depuisqu’ilétaitarrivéenville, ilcomprenaitmieux laraisonpour laquelle tantdevampires
avaientchoisides’yinstaller.Del’Amérique,LaNouvelle-Orléansavaithéritésadécontractionetsonabsencedepréjugés.Maissonsensdustyleetdelatraditions’inscrivaitrésolumentdansunelonguehistoiredontlesracinesplongeaientaucœurmêmedelavieilleEurope.Asafaçon,lavilleétaitplusintemporelleencorequelesgrandescapitaleseuropéennescomme
Londres, Paris ouBerlin. Si elles conservaient la trace de leur passé glorieux, ces villes étaientrésolumenttournéesversl’avenir.La Nouvelle-Orléans, au contraire, rêvait toujours à un passé fantasmé qui n’avait peut-être
jamaisexistémaisquiinvestissaitpourtantchaquemomentdelaviedeseshabitants.Unvampirequiseseraitendormiausiècledernierneseseraitprobablementpassentidéplacé
dans une soirée telle que celles qu’organisait Armand Saint-Pierre. Cela faisait des mois, desannéesmême,qu’iln’avaitpasassistéàuneréceptiondecegenre.Leurhôteavaitdéployédestrésorsd’imaginationpourcomposerunbuffetquimêlaitdesstyles
culinaires d’époques et de pays différents, créant des alliances de goût aussi variées quesurprenantes.Ryderétaittoutaussiétonnéparlafaçondonttouscesreprésentantsdespeuplesdel’ombrese
mêlaient les uns aux autres et discutaient entre eux. Cettemixité était rare, la plupart des villespréférantopterpourunestricteségrégationentrelespeuples.Mais la guerre dont lui avait parlé Caitlin et la mort des précédents Gardiens avaient
apparemment altéré en profondeur les relations entre les différentes espèces. Le simple fait queFionaetJaggern’aientpasàcacherleurliaisontenaitensoidumiracle.Ryder aurait bien voulu pouvoir profiter de cette soirée pour engager la conversation avec
certainsdesinvitésmaisilpréféraitdemeurersursesgardesaucasoùlechefdesdémonsauraitdécidédeprendrepossessiondel’undesconvives.Ilsetenaitdoncunpeuàl’écartetobservaitdiscrètementlapetitefoulequisepressaitdansles
salonsde réceptionduViola.C’est ainsi qu’il assista à l’arrivéedes troisGardiens.L’espacedequelques instants, iloubliasamission, lesrisquesquecourait lavilleetmêmesapropresoifdevengeance.IlnevoyaitplusqueCaitlin,plusresplendissantequejamaisdanslasuperberobedusoirqu’elle
portait.Unefoisdeplus,ils’émerveilladecemélangedegrâce,d’éléganceetdeforcequiémanaitd’elle.De toutes les femmes qu’il lui avait été donné de rencontrer en près de deux cents ans
d’existence,elleétaitlaplusfascinanteàsesyeuxetilneselassaitpasdelacontempler.
***
Caitlin se tintquelques instants immobile sur le seuilde lapièce,admirant l’élégance raffinéedeslieux.Unefoisdeplus,Armands’étaitsurpassé,transformantunesimpleréunionenvéritablefêtepourlessens.L’éclairage tamisé mettait parfaitement en valeur la beauté de ces salons amoureusement
rénovés.Legrandbuffetdresséaufonddelasalleconstituaitunevéritablefêtepourlessens:lesamuse-bouches savamment disposés, les pyramides d’accras aux crevettes et les petits canapésmulticoloresformaientunvéritablepaysagedefriandises.Ilyavaitaussidepetitsbolsdesoupedecrabeetdegumbodont l’odeurappétissantedérivait
jusqu’àelle.Ellesemêlaitàcelledesfleurscoupéesquiétaientdisposéesunpeupartoutdanslapièce.Letintementdesverresencristal,lebrouhahadesvoixetdesriressemêlaientauxnotesdejazz
quediffusaientlesenceintessavammentdissimuléesdanslesboiseries.Caitlinsecouadoucementlatête,impressionnée.Enpénétrantdanscetuniversde luxeetde raffinement, il étaitdifficiledecroirequ’une telle
soiréeaitpuêtreimproviséeenl’espaced’unejournéeseulement.MaisArmandSaint-Pierreavaitcoutumededirequ’ilvalaitmieuxnerienfairequemalfaire…Caitlin s’immobilisa brusquement en découvrant RyderMallory. Le smoking qu’il portait ce
soir-làluiallaitàmerveille,soulignantsatailleminceetsacarrureathlétique.Ilémanaitdeluiunmélange d’élégance et de désinvolture, une forme d’assurance tranquille que peu de genspossédaient.Maiscequilafrappaleplus,cefutsonregard.Résolumentbraquésurelle,iltrahissaitundésir
si intense, si explicitequ’elleneput s’empêcherde frissonnerde la tête auxpieds.L’enviequ’ilavaitd’ellelapritdecourt,ajoutantencoreàl’incertitudequil’habitaitdepuisqu’elleavaitsurprissonéchangeavecJagger.Puis il s’avançaverselleet s’inclina légèrement, faisantpreuved’unformalismeparfaitement
adaptéaucadredanslequelilssetrouvaient.—J’étaisentraindemedirequetuétaislaplusbelledetouteslesfemmesprésentescesoir,lui
dit-il en souriant. Et certainement la plus séduisante de toutes celles qu’il m’ait été donné derencontrer.RydersemblaitsincèreetCaitlinsentitsagorgesenouer.Ellenesavaitplusquepenserdelui,de
leurrelationetdel’avenirquis’offraitàelle.Fortheureusement,ilyavaittropdemondeautourd’euxpourqu’ilspuissentparlerlibrement.
Carellenesesentaitpasencoreprêteàdiscuterdetoutcelaaveclui.—Nousavonsdutravail,luidit-elle.Ryderhochalatête.—C’estvrai, répondit-il. J’aidéjà commencéà faire le tourde lapiècepourvoir si certains
convivesavaientuneattitudesuspecte.—Tucroistoujoursquecesdémonsessaierontd’infiltrerlasoirée?—Jenesaispasdansquellemesureilssontcapablesdemaîtriserleurspulsions,réponditRyder.
Maissic’estlecas,ilsontintérêtàécoutercequisediracesoirdefaçonàpouvoircontrecarrernosplans.—Encore faudrait-il que nous en ayons, soupiraCaitlin. J’ai réfléchi aux solutions que tu as
suggéréeset,pourlemoment,aucunedesdeuxnemesembleréalisable.—Ellesnécessiteraienteffectivementpasmaldecoordinationdenotrepartsinousvoulonsêtre
capablesdebanniroudeliertouslesdémonsenmêmetemps,reconnutRyder.— Ce qu’il faudrait, en fait, c’est trouver un moyen de leur tendre un piège. Mais j’ignore
commentnouspourrionsprocéder…— L’un des membres du concile aura peut-être une idée à ce sujet, répondit Ryder. Mais
explique-moiplutôtcommentleschosessedéroulentgénéralement.— Lorsqu’il a accepté d’accueillir les conciles, Armand a imposé une règle : la réunion
proprementditene commencequ’aumomentdudessert de façonà ceque tout lemondepuissemanger et discuter tranquillement.Mes sœurs etmoi avons considéré que c’était une excellenteidée : elle permet de renforcer les liens au sein de la communauté et de pousser les différentspeuplesàsemélangerdetempsentemps.—Trèsbien.Celadevraitnous laisserencoreunpeude tempspournousmêleraux invitéset
découvrirsicertainsd’entreeuxsontpossédésavantquelesdiscussionssérieusesnecommencent.—Commentcomptes-tuprocéder?—Sij’étaisl’undecesdémons,jechoisiraisdepossédersoitl’undesGardiens,soitlechefde
filede l’unedescommunautés,remarquaRyder.NoussommesdéjàcertainsquelesGardiensnesontpascontaminés.Parle-moidoncdecestroisleaders.—Ehbien,tuassansdoutedéjàrencontréArmand,réponditCaitlinendésignantlemorpheaux
cheveuxargentésquisetenaitàquelquespasdelàets’entretenaitavecungrouped’invités.—Nousnoussommescroiséstoutàl’heure,acquiesçaRyder.Avraidire,j’avaisdéjàrencontré
Armand,ilyalongtempsdecela…,ajouta-t-ild’untonmalicieux.—Pourquoicesourire?— Parce que M. Saint-Pierre n’a pas toujours été l’hôte respectable qu’il est aujourd’hui,
réponditRyder.Savais-tuqu’auxixesiècle,ildirigeaitunemaisondetolérance?Caitlinlecontemplaavecstupeur.—Armand?Tuessûr?— Absolument certain. C’était un établissement très couru, notamment parce qu’il avait la
réputationdepouvoirsatisfairetouslesfantasmes,ycomprislesplusétranges.Cequelaplupartdes gens ignoraient, en revanche, c’est qu’Armand lui-même se servait de ses pouvoirs demétamorphespourlessatisfaire…—Incroyable,murmuraCaitlin.Jamaisjen’auraisimaginéunechosepareille…Quoiqu’ilen
soit,ajouta-t-elle,tuasdéjàrencontrélereprésentantdeslycans,AugusteGaudin.Elleluidésignacedernierquis’entretenaitavecFionaetJagger.—Augusten’appartientàaucunedesmeutesdelycans,cequiluidonneunstatuttrèsparticulier.
Lessix chefs de la région sont totalement indépendants et libres demener leur clan comme ilsl’entendent. Auguste sert d’intermédiaire entre eux et d’émissaire vis-à-vis des autres peuples.
Evidemment, au quotidien, les chefs de meute lui demandent très souvent conseil et suiventgénéralement ses recommandations. Il est également très respecté par les métamorphes et lesvampires ; notamment parce qu’il se montre toujours très respectueux des coutumes et desspécificitésdechacun.—Jevois,acquiesçaRyderenobservantattentivementlelycan.Ildonnaiteneffetuneimpressiondecalmeetdemaîtrisedesoiquicontrastaitavecl’ardeuret
l’impatiencehabituellesdesessemblables.CaitlinluidésignaensuiteunjeunehommeauxcheveuxbrunsquidiscutaitavecShauna.—Voicijustementl’undeschefsdemeute,indiqua-t-elle.DanyonStone,ilcommandeleclande
lariveouest.Ryderreconnutlelycanquil’avaitsurprisprèsducadavredeLouis.—Nousnoussommesbrièvementrencontrés,acquiesça-t-il.Ondiraitquetasœurneluiestpas
indifférente.—Vraiment?s’étonnaCaitlin.Qu’est-cequitefaitdirecela?—Lafaçondontillaregarde,réponditRyderenhaussantlesépaules.Illadévorelittéralement
desyeux.—Tuexagères,réponditCaitlin.Elleluimontraunejeunefemmequisetenaitunpeuàl’écartdugroupe,unverredevinrougeà
lamain.—Elle,c’estKaraMatiste,indiqua-t-elle.Ellecommandelameutedelariveest.—Unefemmechefdemeute?s’étonnaRyder.JenesavaispasqueleslycansdeLaNouvelle-
Orléansétaientdevenussiprogressistes!—Ilsnelesontpastantquecela,réponditCaitlinensouriant.Enfait,c’étaitlecompagnonde
Karaquicommandaitlameutemaisilestmort,ilyaquelquetemps.—Jesuistoutdemêmesurprisqu’ilsn’aientpaschoisiunautremâlepourleremplacer.—Qui sait ? Le fait d’avoir une femme commeGardien les pousse peut-être à reconsidérer
leurstraditionsrétrogrades,ironisaCaitlin.—Peut-être,acquiesçaRyder.Ceneseraitpasunemauvaisechose.En toutcas, les lycansont
déjàbeaucoupchangédepuisletempsoùjevivaisici.Al’époque,laplupartd’entreeuxn’étaientquedesbrutesmaldégrossiesquin’auraientjamaisvouluparticiperàunesoiréecommecelle-ci,sansparlerdecollaboreravecquiquecesoit!—Jecroisquecelatientpourunebonnepartàl’influenced’Auguste.Ilabeaucoupœuvrépour
queleslycanss’impliquentplusdanslaviedeLaNouvelle-Orléans.Onentrouveàprésentàtouslesniveauxdelasociété.—Etqu’enest-ildesvampires?Est-cequeJaggerestleurporte-parole?—Non,réponditCaitlinenobservantceluiquiseprétendaitsonbeau-frère.Jaggern’ajamais
vouludetellesresponsabilités.C’estprobablementl’undesraresvampiresquejeconnaissequinesesoucientpasd’accumulerdupouvoiroudelarichesse.Paradoxalement,c’estcequifaitdeluil’undesvampires lesplusappréciéset lesplus respectésde laville.Le faitqu’il ait contribuéàrésoudrelesmeurtresensériecommisilyaquelquesmoisn’afaitqu’ajouteràsonprestige.
—Etquepensentlespeuplesdel’ombredesonunionavecl’undesGardiens?demandaRyder.Caitlincompritquelaquestionn’avaitriend’innocent.Aprèstout,tousdeuxsetrouvaientdans
unesituationrelativementcomparable.— C’est très variable, répondit-elle, gênée. Les plus conservateurs dénoncent cette union,
rappelantquec’estjustementuneliaisondecegenrequiaprovoquéladernièreguerre.Lesautresrétorquentquejustement, laditeguerren’auraitpaseulieusi lesunionsmixtesn’avaientpasfaitl’objetd’unteltabou.Ledébataétéranimétrèsrécemmentpuisquelesmeurtresensérieontétécommispardeuxsœursquivoulaientvengerleursparents,uncouplemixtequiavaitétécondamnéàmortpourcequiétaitalorsuncrime…—Ettoi,qu’est-cequetuenpenses?s’enquitRyderenlaregardantdroitdanslesyeux.—Jen’aijamaiscachémonopinionàcesujet,soupiraCaitlin.Jusqu’àprésent,jepensaisque
s’ilétaitcruel,injusteetrétrogradedemettreàmortuncouplemixte,ilnefallaitpaspourautantencourager ce genre de pratiques. Mes parents sont morts parce qu’un vampire est tombéamoureux d’unemétamorphe. Le problème, c’est que les peuples de l’ombre sont organisés defaçoncommunautaire.— Justement, ne penses-tu pas que les couples mixtes pourraient contribuer à apaiser les
relationsentrelesdifférentescommunautés?—C’estexactementcequedisentFionaetJagger.Maisilestégalementpossiblequ’ilsfinissent
aucontraireparfairedisparaîtrecesensdelacommunautéquiconstituel’uniquecimentsocialdumondedel’ombre…—Jenetesavaispassipessimiste,remarquaRyder.Maisrevenons-enauxvampires.SiJagger
n’estpasleurporte-parole,quiest-ce?—DavidDuLac,réponditCaitlinendésignantcedernier.Iltientuneboîtedenuitquisedouble
d’unrestaurant,d’unesalled’expositionetd’unclubdejazz.C’estprobablementlemeilleuramideJagger.—Etquiestlevampireavecquiilestentraindediscuter?UnemouededégoûtsedessinasurlevisagedeCaitlin.—Ils’appellePeterDarbois,répondit-elle.—Tun’aspasl’airdel’apprécier.— Je n’aime pas beaucoup les vampires, concéda-t-elle.Mais je suis prête à reconnaître que
certains comme Jagger ou David s’efforcent d’être des gens bien, vis-à-vis de leur proprecommunauté comme vis-à-vis de La Nouvelle-Orléans en général. Mais Peter se moquecomplètementdesautres.Ilnepensequ’àluietilestdénuédetoutemorale.—Commentsefait-ilqu’ilfassepartieduconcile,danscecas?s’étonnaRyder.—Ilyadeuxraisonsàcela:toutd’abord,ilappartientàl’unedesplusvieillesfamillesdela
ville,cequifaitdeluiunepersonnalité.D’autrepart,ilestconsidéréparunefractiondesvampirescommelemeilleurreprésentantdeleursvaleurstraditionnelles.—Etquellessont-elles?—Encaricaturantunpeu:laissez-nousmangerenpaix.Peteretsessemblablessontconvaincus
quelesvampiressontnaturellementsupérieursàtouslesautresetqu’ilsdevraientavoirledroitdeboirelesangdequiilsveulentquandilsveulent…
—Charmant.—Jenetelefaispasdire.—Est-cequecePeterDarboisesttoujoursaussinerveux?— C’est quelqu’un de très tendu, acquiesça Caitlin. Il parle beaucoup, s’agite beaucoup et a
toujourslesnerfsàfleurdepeau.—Iln’yadoncpasderaisondesupposerqu’ilpuisseêtrepossédéparl’undecesdémons.—Celaexpliqueraitbiendeschoses,réponditCaitlinavecunepointedemalice.—Remarques-tuquiquecesoitdanscettepiècequinetesemblepasagirdefaçonordinaire?Caitlin passa longuement en revue les convives qui se trouvaient dans la pièce. Elle observa
chacund’entre eux, s’efforçantde comparer leursgestes et leurs expressions à cequ’elle savaitd’eux.—Jenevoisrienquimeparaisseanormal,répondit-elleenfin.Riend’évident,entoutcas…—Ilyaunechosequim’étonne,moi,remarquaalorsRyder.—Quoidonc?— Je peux me tromper, bien sûr, mais j’ai l’impression qu’il y a nettement moins de
métamorphes que de vampires ou de lycans. Sont-ils moins représentés dans la population deLaNouvelle-Orléans?—Non. Ilyaunpeuplusde lycansmaisàpeuprèsautantdemétamorphesquedevampires.
Pourtant, tu ne te trompes pas : il est très difficile de convaincre lesmorphes de participer auxréunionsduconcile.—Sans doute parce que nous sommes pour la plupart bien trop égoïstes et narcissistes pour
noussoucierdubiencommun.—Cen’estpascequejevoulaisdire,protestaCaitlin.—Mais c’est ce que tu penses. Et tu as parfaitement raison.Mais il vaut peut-êtremieux que
notrepeuplenesoitpassurreprésenté.Laplupartdesmétamorphespassentleurtempsàmentiretàse fairepasserpourcequ’ilsnesontpas,cequin’estguèrecompatibleavec lesmissionsdececoncile.—Peut-être, concédaCaitlin.Mais si nous parvenons à combattre les démons qui sont sur le
pointdenousattaquer,jeveilleraiàcequepersonnen’oubliequec’estjustementunmétamorphequinousasauvélavie.
18.
Lorsque tous les membres du concile se trouvèrent réunis, Armand Saint-Pierre fit ouvrirl’immensedoubleportequi reliait l’enfiladede salonsà la salle àmanger.Cettepièce immenseétaitincontestablementlaplusimpressionnantedetoutes.Particulièrement haute de plafond, elle était éclairée par deux énormes lustres de cristal qui
scintillaientdemillefeux.Leparquetd’origineavaitétémagnifiquementrestauréetunsoin toutparticulieravaitétéapportéàlarosacecentralefaited’unedizainedeboisprécieuxdifférents.Lesmurs étaient tendus d’une tapisserie d’unbleu très profondpiqueté à intervalles réguliers
d’étoilesdorées.Aufonddelapiècesedressaitunemagnifiquecheminéedemarbreoùbrûlaitunfeudeboisdélicieusementodorant.La table immense à laquelle les convives devaient prendre place était disposée en rectangle.
Troisdescôtésétaientoccupéspar les représentantsdechaquepeuplede l’ombre.Lequatrièmeregroupait le directoire formédeSaint-Pierre,Gaudin,DuLac et les troisGardiens.S’y ajoutaitRyderentantqu’invitéd’honneurduconcile.Jagger,quantà lui,étaitassisavecsessemblablesetRyderpritunmalinplaisir à l’agaceren
redoublantd’attentionsenversFiona,savoisinededroite.Celle-ciparaissaitbeaucoupl’apprécier,cequ’ilconsidéraitcommeunechancepuisquelajeunefemmeétaitàlafoislepère,lamère,lasœuretlameilleureamiedeCaitlin.IlappréciaitaussibeaucoupShaunaquiétaitàlafoisplusterreàterreetplusdécontractéeque
sesdeuxsœursetquiétaitunpeulegarçonmanquédelafratrie.Lerepasquileurfutservicesoir-làétaitsucculentmaisRydereutdumalàs’intéresserauxplats
quisesuccédaientdevantlui.IlétaitbientropdéconcentréparCaitlinquisetrouvaitsursagaucheetdontlasimpleprésenceéveillaitenluiundésirlancinant.Il aurait préféré se retrouver en tête à tête avec elle pour explorer à loisir cette attirance
réciproque. Hélas, il ne pouvait guère espérer s’éclipser discrètement alors que tous deux setrouvaientàlatabled’honneuretqu’ilsétaientcenséss’exprimerdevantleconcile.Ryder n’était toujours pas convaincu que cette réunion changerait quoi que ce soit. Son
expériencel’incitaitàseméfierdecegenredecomités:plusilyavaitdemondeimpliquéetplusilétaitdifficiledetrouverunaccordetdeprendredesdécisionsconcrètes.D’unautrecôté,c’étaitlapremièrefoisqu’ilsetrouvaitconfrontéàlaperspectived’uneattaque
àunetelleéchelleetilétaitévidentqu’ilnepourraitlarepousserseul.DétournantàcontrecœurlesyeuxdubeauvisagedeCaitlin,illaissaglissersonregardsurles
visagesdeceuxquisetrouvaientlà.Unefoisdeplus,ils’étonnaducaractèresereinetcivilisédecetteréunion.Parmi les convives, il se trouvait pourtant de nombreux individus qui auraient pu semer la
terreur et la dévastation dans cette ville pour satisfaire la moindre de leurs envies sans quepersonnesoitdetailleàlesarrêter.Qu’aurait pu faire la police de La Nouvelle-Orléans contre une meute de loups-garous, un
métamorphecapabledechangerd’apparenceàvolontéouunvampirequasimentimmortel?Pourtant, chacundeces êtres avait choisidedemeurerdans la légalité etde jouer le jeu.Non
seulementilsrespectaientlesloishumainesmais,deplus,ilsavaientcréélesleurspourgarantirlapaix.Ilsavaientréussiàdominerleursinstinctsetleursdifférendspourcollaboreràl’avènementd’unmondenouveau.OrRydernesefaisaitaucuneillusion:silamortdesMacDonaldavaitcertainementcontribuéà
enclencheruntelprocessus,c’étaientleursfillesquil’avaientmenéjusqu’àsonterme.Dèsleurplusjeuneâge,ellesavaientluttépourquetriompheleurvisiondelajusticeetdudroit
etellesétaientparvenuesàyassociertouscesêtresquerienneprédisposaitàlesaider.Celane faisait que renforcer l’admiration et le respect qu’il avait déjàpour ces trois femmes
horsducommun.Maiscurieusement,ilsesentaitaussiattiréparl’idéed’uneuniondespeuplesdel’ombreauseindelaquellechacuncollaboraitaubiencommun.Ainsi qu’il l’avait expliqué àCaitlin, lesmétamorphes finissaient souvent par souffrir de leur
égocentrisme.Rydern’avaitvécupendantdesdécenniesquepoursevengerdescréaturesqui luiavaient pris sa sœur. Peut-être était-il temps pour lui de s’installer quelque part et de fonder unfoyeraulieudecourirlemonde.Au cours de ces derniers jours, il en était venu à se demander si son retour à La Nouvelle-
OrléansetsarencontreavecCaitlinn’étaientpaslesignequ’unenouvellepagedesaviepourraitbientôtcommencer.Ilignoraitencores’ilseraitvraimentcapabledes’engagerdecettefaçon,des’impliquerdansun
coupleetunecommunautécommel’avaientfaitlesparentsdeCaitlin,parexemple.Maisunepartiedeluibrûlaitdedécouvrirlaréponseàcettequestion…Ses réflexions furent brusquement interrompues par le tintement d’une fourchette contre un
verre de cristal. Presque instantanément, les rires et les conversations s’éteignirent pour laisserplaceàunsilenceattentif.ArmandSaint-Pierreselevaalorsetgagnal’estradequiavaitétédresséeaufonddelapièce.—Frèreset sœurs,commença-t-ild’unevoix retentissante, jevoussouhaite labienvenueàce
concile.LesGardiensdenotrebellevilleetlevampireJaggerDeFargel’ontconvoquéenurgenceafin de discuter d’un danger qui nous guette tous. Puissions-nous prendre les mesures quis’imposentpourprotégerLaNouvelle-Orléansetseshabitants.Unmurmured’approbationsefitentendreetRydersedemandas’ilnes’étaitpastrompéausujet
decetteréunion.Peut-êtreyavait-ilquelquechoseàenattendre,aprèstout.—JevaisàprésentdemanderaumétamorpheRyderMallorydevousexposerlesfaitspuisque
c’estluiquilepremieraportéàlaconnaissancedesGardiensl’existencedecedanger.Ryder se leva et, sous les applaudissements chaleureux de l’assistance, il se dirigea vers le
podium.ArmandSaint-Pierreluicédasaplaceetregagnalatabled’honneur.—Bonjourà tousetmercidem’avoirpermisdem’exprimerdevantvouscesoir,commença
Ryderenparcourantlasalledesyeux.J’imaginequevousconnaisseztousl’existenceduplanastralparlequeltransitent lesmétamorphesaucoursdeleurtransformation.Peut-êtresavez-vousaussiqueceniveausupérieurdelaréalitén’estpasvide:onytrouvetoutessortesd’espritsquiyontéludomicile, volontairement ou non. La plupart du temps, ces esprits sont inoffensifs car ils n’ontaucuneprisesurlemondematériel.Maiscen’estpaslecasdeceuxquinousintéressentcesoir.
Ceux-là, je les ai surnommés démons parce que leurs pouvoirs évoquent ceux de ces créaturesmythiques.Ilsonteneffetlacapacitédeposséderleursvictimesetdeleurimposerleurvolonté…
***
TandisqueRyderexposaitàl’assembléelafaçondontsemanifestaientlesdémonsetdétaillaitleurmigrationqu’ilavaitsuivieàtraverslemonde,ArmandSaint-Pierrevintsepencheràl’oreilledeCaitlin.—Machère,ilfautabsolumentquejevousparle,luisouffla-t-il.Surprise, elle leva les yeux vers lui et avisa l’expression préoccupée qui se peignait sur son
visage.—Quelquechosenevapas?luidemanda-t-elle,inquiète.—C’est lemoinsque l’onpuissedire,acquiesça-t-ilen jetantuncoupd’œilàRyder.C’estau
sujetduchasseurdeprimes.Ilyacertaineschosesquej’aiapprisessurcequiestarrivéàsasœuretcelajetteuntoutautreéclairagesursontémoignage…Deplusenplusanxieuse,Caitlinse levade table.Fiona luiadressauncoupd’œil interrogatif
auquelelleréponditparunhochementdetêtequisevoulaitrassurant.Armandluidonnaalorslebrasettousdeuxs’éclipsèrentaussidiscrètementquepossibleparl’unedesporteslatérales.Ils remontèrentuncouloirquidesservaitplusieursportes.Armand tiraunecléde sapocheet
ouvrit la dernière. Il s’effaça pour laisser passer Caitlin qui pénétra dans ce qui s’avéra être lebureaupersonneld’Armand.Comme le reste des lieux, la pièce était meublée avec soin dans un style classique. Ce qui
impressionnaleplusCaitlin,cefutlagrandebibliothèquequioccupaittoutunmuretcontenaitungrandnombredemanuscritsetd’incunables.Mais elle était troppréoccupéepar les révélations auxquellesArmandvenait de faire allusion
pours’attardersurcetteremarquablecollection.—Qu’avez-vousapprisausujetdeRyder?luidemanda-t-elledebutenblanc.Armand lui décocha un sourire charmant et désigna les sièges qui se trouvaient devant son
bureau.—Machère,vossœursetvousnecessezdem’étonner,luidit-il.Cettevilleararementétéende
meilleuresmainsqu’aujourd’huietjamaisendeplusgracieuses.Caitlinavaittoujoursétéfrappéeparlestournuresarchaïquesqu’affectionnaitArmand.Leplus
étrangeétaitqu’ilnelesemployaitpasparaffectationmaisparcequec’étaitainsiqu’ilavaitapprisàs’exprimerdanssajeunesse,plusieurssièclesauparavant.—Jenemâcheraipasmesmots,reprit-ilcommes’ilvenaitdeliredanssespensées.Jeconnais
ce chasseur de primes depuis très longtemps. Et j’ai de sérieux doutes quant à la véracité del’histoirequ’ilvousaracontée.Caitlinsentitsoncœurseserrer.Jusqu’alors,elleavaitespéréqueRyders’étaitmontréhonnête
envers elle. Mais elle aurait dû écouter son intuition initiale et savoir qu’elle ne pouvait faire
confianceàunmétamorphe.Armandl’observaitfixementetellecompritqu’ilavaitdûpercevoirl’intensitédesadéception.
Avait-il deviné pour autant que ses rapports avec Ryder n’étaient pas de nature exclusivementprofessionnelle?—Ladernièrechosequejesouhaite,reprit-il,c’estquevousoul’unedevossœurssoyezmises
en danger. Vous nous avez déjà fait bien assez peur, il y a quelques mois !Mais cela m’a faitprendre conscienced’une chose : contrairement à ceuxdont ils ont la charge, lesGardiens sontfragiles.Ilssetrouventàlamercideceuxqui,parminous,ontintérêtàlesvoirdisparaître.Etc’estexactementcequisepasseaujourd’hui,j’enaipeur…L’angoissedeCaitlinsechangeaenuneterreursourde.Detouteévidence,elles’étaitmépriseau
sujetdeRyderbienplusencorequ’ellenel’avaitredouté.Etilneluirestaitplusqu’àespérerquesonerreurnecoûteraitpastrèscheràl’ensembledelacommunauté.—Nousdevonsabsolumentnousdébarrasserdecechasseurdeprimes,déclaraArmand.Acesmots,Caitlinsentitundoutel’envahir.ElleétaitprêteàcroirequeRydernel’aimaitpas,
qu’ils’étaitservid’ellepourparveniràsesfinsetmêmequ’ilsemoquaitéperdumentdecequ’ilpouvaitbienadvenirdeLaNouvelle-Orléans.Maisellenepouvaitimaginerqu’ilpuisseavoirl’intentiondelatueroumêmedecommettreun
actedélibérémentmaléfique.—RyderMalloryreprésenteunemenacepourlespeuplesdel’ombreetplusencorepourvos
sœursetvous,insistaArmand.Il s’était exprimé avec une apparente sincérité mais Caitlin avait cru percevoir dans sa voix
l’ombred’unsifflementfamilier.Unesueurglacées’écoulaentresesomoplatesetellesentitsoncœurs’emballer.Pourtant,elleseforçaàconserverunvisageimpassible.— J’ai toujours pensé queRyder était quelqu’un de dangereux, articula-t-elle.Que suggérez-
vousquenousfassions?—Jenevoisqu’unesolution:ildoitmourir.Hélas,c’estaussivotrecas,désormais…IlfallutquelquesinstantsàCaitlinpourréalisercequ’ilvenaitdeluidireetquelquesinstantsde
plusencorepourappréhenderlefaitqu’ilvenaitdesetransformersoussesyeuxenunecréaturedecauchemarquitenaittoutautantdufélinquedureptile.Elleétaitdifforme,paraissantdéfiertouteslesloisdelabiologieetpourtant,Caitlinsavaitqu’un
métamorphenepouvaitcopierqu’unêtrequ’ilavaitvudesespropresyeux.Ellenepouvaitdouteràprésentdufaitqu’elleavaitaffaireàundémoncarseuleslesstrateslesplusreculéesdel’enferpouvaientabritercegenred’abomination.La créature, dont le corps ressemblait à un serpent recouvert d’aiguilles acérées et suintantes,
s’avançaverselled’unpassoupleetglissant.SonodeurétaitpresqueplusatroceencorequesonapparenceetCaitlinneputréprimerunhaut-le-corps.Puis lemonstre ouvrit la bouche et lui parla.Et sa voix était celle qui s’était expriméepar la
bouchedeDanny.Unevoixplusancienne,peut-être,quelemondelui-même.Unevoixsiglacialequelatempératuredelapièceparuts’abaissersoudaindeplusieursdegrés.—Ilesttempspourtoidemourir,Gardien,dit-ilsimplement.Puisilbonditsurelle.
***
Alafindesondiscours,RyderavaitétérejointàlatribuneparJaggerDeFargequi,enquelquesmots, avait assuré à l’assistanceque lesGardiens et lui-mêmeaccordaient foi au témoignagedeRyderetqu’ilsavaienteux-mêmespuconstaterlaréalitédesphénomènesqu’ilvenaitd’exposer.—Aprésent,conclut-il,Ryderetmoiallonsrépondreàtouteslesquestionsquevousvousposez
sansdoute.Puisnousdébattronsdelameilleurefaçondecombattrecesentités.Unhommequisetrouvaitattabléparmilesvampiresselevapourprendrelaparole.—Pourceuxquinemeconnaîtraientpasencore, jesuisMateasGrenard, récemmentarrivéà
LaNouvelle-Orléans.Sij’aibiencompriscequevientdenousexpliquerM.Mallory,cesdémonsne s’en sont pris qu’à quelques touristes humains, pour le moment. En quoi cette affaire nousconcerne-t-elle plus qu’une vague demeurtres ou une épidémie quelconque ?D’ordinaire, nousévitonsdenousmêlerdesaffaireshumaines.RydervitunepointedecolèrepasserdansleregarddeJagger.Ildemeurapourtantparfaitement
cordialàl’égardduvampirequivenaitdeposerlaquestion.— Le fait que des dizaines de touristes puissent mourir dans des circonstances aussi
inexplicablesnemanquerapasd’attirerl’attentiondesmédias,expliqua-t-il.Etvoussavezcommemoiqueplusilss’intéressentauxmystèresdeLaNouvelle-Orléans,plusilsrisquentdedécouvrirl’existencedespeuplesdel’ombre.—Deplus,intervintDanyonStone,leshumainsnesontpluslesseulesvictimes.Hiermatin,un
lycanestmortdelamêmefaçonquecestouristes.Desgrondementsmenaçantssefirententendreàla tabledeslycans.C’étaitd’ailleurslaraison
pour laquelle Ryder avait préféré éviter de mentionner ce détail : il craignait que la colère nepousseleslycansàréagirdefaçontropinstinctive.Aumoins,songea-t-il,cettetensionpermettraitpeut-êtrededémasquerleoulesdémonsquise
trouvaientéventuellementparmieux.Maisdéjà,Shaunas’était levéepoursedirigerversla tabledeslycansqu’elletentadecalmer.Fiona, quant à elle, s’entretenait à voix basse avec David, le porte-parole des vampires. Il
cherchaCaitlindesyeuxmaisnelavitpas,cequinemanquapasdel’étonner.Ilétaitpeuprobablequ’elle se soit éclipsée au cours d’un débat aussi décisif, d’autant qu’elle s’était déjà beaucoupimpliquéedanscetteaffaire.Oùétait-elledoncpassée?— Il y a quelque chose que je trouve étrange, intervint alors Kara Matiste. Jusqu’à présent,
personnen’avaitentenduparlerdecesdémons,nivuquiquecesoitsefairetuerpareux.Toutceciacommencéà seproduiredepuis l’arrivéedecemorphe.Est-cevraimentunecoïncidence?Nepourrait-ilpasêtrelevéritableresponsabledecesmortsensérie?RyderfitminederépondremaisJaggerluiadressaunpetitsignedelatêtepourleconvaincrede
n’enrienfaire.—Ilnes’agitnullementd’unecoïncidence,répondit-il.Malloryestunchasseurdeprimesqui
traquecescréaturesà travers lemondeentier. Il lesasuivies jusqu’ici.D’ailleurs, lespremièresvictimesontétéretrouvéesavantsonarrivée.
—Commentlesavez-vous?protestaKara.Ilauraittrèsbienpuarriverunpeuavantetsecacher.Peut-ilseulementprouverlecontraire?—Jesuisarrivéparavion,réponditRyder.Ilnedevraitpasêtredifficilederetrouvermonnom
surlemanifestedespassagers.—Queprouveraituntelnomalorsquenousavonsaffaireàunmétamorphe?objectaKara.Ila
trèsbienpuprendrel’identitéd’undecespassagers…Rydern’entenditpaslasuitedecettedémonstration.Unbrusqueaccèsdeterreurvenaitdefondre
sur lui, le faisant frissonner de la tête aux pieds. Très vite, il comprit qu’il s’agissait d’unphénomènedesympathie.Quelqu’un de très proche était en danger à cet instant même et son angoisse lui avait été
transmise par l’intermédiaire du plan astrale. Or il ne voyait qu’une personne susceptible deprovoquerchezluiunetelleréaction.Caitlinétaitendanger.Sans se soucier de Kara qui paraissait attendre une réponse à une question qu’il n’avait pas
entendue,Ryder observa rapidement la salle et constata que la jeune femmen’était toujours pasrevenue.—Quesepasse-t-il?luidemandaalorsJagger,inquiet.Rydernepritpasletempsdeluirépondreets’élançaencourantversladoubleportedelasalleà
manger.
19.
L’instinctdesurviedeCaitlinpritledessussurlaterreurqu’elleéprouvaitetquilamaintenaitclouéesurplace.Sansréfléchir,elleseprécipitaverslaportedubureaud’Armand.Emportéparsonélan,lemonstreatterritlourdementsurlesoletpercutadepleinfouetlecanapé
quisedésintégralittéralementsousl’effetduchoc.LacréaturepoussaunhurlementderagemaisCaitlinneseretournapas.Elleavaitdéjàlamainposéesurlapoignéedelaportemais,lorsqu’elletentadel’ouvrir,elle
découvritaveceffroiqu’Armandavaitprissoindelarefermeràcléderrièreeux.Elleentenditlemonstresereleveretcompritqu’ilneluirestaitquequelquesinstantspouragiravantqu’ilnesejettedenouveausurelle.Lecœurbattant,elletiraviolemmentsurlecordonquiretenaitlepetitsachetcontenantsesgris-
grispréférés.Ilcédaetelleleplaquacontrelaserrureenespérantquelepasse-partoutdeRyderpourraitagiràtraverslecuir.Asongrandsoulagement,uncliquetiscaractéristiquesefitentendre.Ellepoussaaussitôtlaporte
etseruadanslecouloirtandisqu’unnouveauchocsourdsefaisaitentendreàl’endroitoùellesetrouvaituninstantseulementauparavant.Ellecontinuasacourseverslasalleàmanger.Juste derrière elle, la bête se mit à courir et elle comprit qu’à moins d’un miracle, elle ne
tarderaitpasàlarattraper.Etcettefois,ellen’auraitaucunechanced’échapperàcettecréaturequisemblaitsortiedesabysses.
***
Dans la salle àmanger, Shauna s’efforçait de calmer la colère des loups-garous qui venaientd’apprendre la mort de l’un des leurs. Comme souvent, hélas, ils n’étaient que trop prompts àaccuserlesautrespeuples.—Nesoyezpasridicules!s’exclamaShaunasansselaisserimpressionnerlemoinsdumonde
parleslycansquiladépassaienttousd’aumoinsunetête.Louisn’aététuéniparunmorpheniparunvampire.N’avez-vousdoncrienécoutédecequ’aracontéMallory?Comme elle achevait de prononcer cesmots, leditMallory se rua vers la porte de la salle à
manger.A l’instantprécisoù il l’ouvrit,Caitlinseprécipitaà l’intérieurde lapièceet lui tombadanslesbras.—Quesepasse-t-il?luidemanda-t-il.Qu’est-ilarrivé?—C’estArmand,articula-t-elle.IlestpossédéparledémonqueDannyacontacté…—Ilt’aattaquée?—Ilad’abordessayédemeconvaincrequetucherchaisànoustrahir.Puis,voyantquejenele
croyaispas,ilatentédemetuer.
—Oùest-ilàprésent?—Jenesaispas,articula-t-elle.Ilétaitderrièremoimaisilabrusquementdisparu.Ryder se tourna alors vers les membres du concile qui s’étaient rapprochés pour écouter le
témoignagedeCaitlin.—ArmandSaint-Pierreestpossédé,résuma-t-il.Encemomentmême,ilsetrouvequelquepart
danscebâtiment.Etilnousfautimpérativementleretrouveravantqueledémonquilepossèdenedécidedequittersoncorps.—Cela ne devrait pas être difficile, ajouta Caitlin. Il s’est transformé en un animal qui tient
autantdufauvequedureptileetpossèdeunequeuehérisséedepiques.—Malheureusement, Saint-Pierre est un métamorphe, lui rappela Ryder. Et le démon qui le
possèden’hésiterapasàseservirdesespouvoirs.Ilpeutdoncprendrel’apparenceden’importequi,ycomprisl’und’entrenous.Unsilencepesantaccueillitcettemiseengardeetnombredepersonnesprésenteséchangèrent
des regards suspicieux. Caitlin comprit alors que s’ils parvenaient à s’incarner comme ilsprojetaientdelefaire,lesdémonsn’auraientaucunmalàsemerletroubleauseindespeuplesdel’ombreetàréveillerdevieillesquerelles.Les efforts que ses sœurs et elle avaient déployés pour rétablir la paix et rapprocher les
différentescommunautésseverraientalorsréduitsànéant.—Cait,repritRyderd’unevoixtrèsdouce,ilfautabsolumentquetunousdisessituasremarqué
lemoindreindicesusceptibledenousaideràtrouvercedémon.Caitlinréfléchitàlaquestion,cherchantdésespérémentunsignequiauraitpulesaider.—Non,murmura-t-elleenfind’unevoixdéfaite.Jenevoisrien…Elles’invectivaintérieurement.QuelgenredeGardienétait-elledonc,ellequin’étaitmêmepas
capabledediscernerlaprésenced’undémon?—Ilestinutiledet’accablerdereproches,luiditRyderquiparaissaitavoirdevinélecoursde
sespensées.NousavonstousdiscutéavecArmandetpasunseuld’entrenousnes’estdoutédequoiquecesoit.Caitlin ne put s’empêcher de frissonner en mesurant rétrospectivement l’ampleur de cette
duperie.— La créature à laquelle nous sommes confrontés est redoutable et elle apprend vite, ajouta
Ryderàl’intentiondelapetiteassemblée.Ellen’hésiterapasàutilisernosdissensionscontrenous.—Quesuggérez-vous?luidemandaalorsAugusteGaudin.Ryderréfléchitdurantquelquesinstants.—Lemieuxseraitquenousnousrépartissionspargroupedetrois,déclara-t-ilenfin.Ilfautun
groupedevant chaqueporte, devant chaque fenêtre afindebloquer toute retraite.Maisn’oubliezpasqueSaint-Pierrepeutsetransformeràvolonté.Nelaissezpasmêmepasserunemouche!Lesautrespasserontlamaisonaupeignefin.—Qu’est-ce qui te fait croire que Saint-Pierre se trouve toujours dans le bâtiment ? s’enquit
Jagger.— Je pense que si ce démon a pris le risque de posséder Saint-Pierre ce soir, ce n’est pas
uniquementpournousespionner.IltientlàuneoccasionuniquedesedébarrasserdesGardiens,cequiaffaibliraitnettementlespeuplesdel’ombreetlesempêcheraientderéagirdefaçonorganiséeetcohérenteàl’attaquequiauralieudurantlanuitdeSamain.C’estpourcetteraisonquejevaisresterdanscettepièceavecunedizained’entrevouspourveillersurlestroisGardiens.—Iln’estpasquestionquenousrestionsicisansrienfaire!s’exclamaShauna.Nouspouvons
vousaideràretrouverArmand.—Etqueferez-vous,lorsquevousserezfaceàlui?répliquaRyderavecunepointed’agacement
danslavoix.Vousêtespeut-êtredesGardiensmaisvousn’enrestezpasmoinshumaines.OrSaint-Pierreestunmétamorphepossédéparundémon.Croyez-vousêtredetailleàl’affronter?Shauna ne répondit pas mais son expression trahissait clairement ce qu’elle pensait de sa
suggestion.—Ryderaraison,intervintalorsFiona.Deplus,pourquesonplanfonctionne,ilfautquenous
servionsd’appât.Enrestantici,nousattireronspeut-êtrelacréaturequipossèdeSaint-Pierre…—Ilyajusteunproblème,remarquaalorsJaggerd’unevoixinquiète.—Lequel?s’enquitRyder.—Iln’yaplusiciquedeuxGardiens.Rydersetournaversl’endroitoùsetrouvaitCaitlinets’aperçutqu’elleavaitdisparu.Constatant
quelaportedelasalleàmangerétaitdésormaisentrouverte,illâchaunebordéedejuronshautsencouleur.
***
Lecouloirquimenaitaubureaud’ArmandSaint-Pierreétaitparfaitementsilencieux.Les seuls sons que percevait Caitlin, en cet instant, c’était le bruit de sa propre respiration
légèrementhaletanteetceluidesoncœurquibattaitdefaçontropprécipitée.Elleétait terrifiéemaisbiendécidéeàassumersesresponsabilitésdeGardienplutôtquedese
terrerlâchementainsiquel’avaitsuggéréRyder.EllecomptaitbienégalementracheterlanaïvetédontelleavaitfaitpreuvefaceàSaint-Pierre.Quoiqu’endiseRyder,elleauraitdûcomprendreplustôtàquielleavaitaffaire.Maisaulieude
cela, elle s’était laissé berner et en était même venue à douter de l’homme dont elle étaitamoureuse.Carellenepouvaitplussementiràcesujet.Al’instantoùledémonavaitbondisurelleetoù
elle s’était crue condamnée, sa seule pensée avait été pourRyderMallory. L’idée qu’elle puissemourirsansl’avoirrevuunedernièrefoisluiavaitsembléintolérableetc’estalorsqu’elleavaitcomprislavéritablenaturedesessentimentspourlui.Etsiellenesefaisaitaucuneillusionsurl’avenirdeleurrelation,elleétaitaumoinsdécidéeà
luiprouverqu’elleétaitdignedutitredeGardiendontelleavaithérité.Fortedecettedécision,ellecontinuaàprogressersurlapointedespiedsjusqu’àl’endroitoùle
monstrequilapoursuivaitavaitdisparu.
Leresteducouloirportaitlamarquedesonpassage:letapisavaitétélabouréparlesgriffesdelacréaturequidanssarageavaitégalementarrachédeslambeauxdepapierpeintdumur.Enavisantl’ampleurdesdégâts,Caitlinremerciasabonneétoile.Carunseulcoupdecesgriffes
redoutablesaurait suffi à la tuer.Comprenantqu’ellen’auraitprobablementpas lamêmechancedeuxfoisdesuite,Caitlinseconcentrapourlancerlesortd’invisibilitéqueluiavaitenseignéCase.Curieusement, cela lui parut plus aisé que d’ordinaire. Mais peut-être ressentait-elle déjà les
effets de la nuit de Samain qui approchait. Malheureusement, ce tour ne la protégerait pasforcément.Certainsmétamorphesétaientcapablesdepercercegenred’illusions.Oraucoursdesalongue
existence,Saint-Pierreavaiteutoutletempsdeperfectionnersamaîtrisedelamagie.Il était également possible que le démon qui l’habitait ait déjà abandonné son corps pour
regagnerleplanastrald’oùilpouvaitlasurveillertoutàloisir,qu’ellesoitvisibleounonsurleplanmatériel.Refusantdeselaisserdécouragerpardetelleséventualités,Caitlinpressalepaspourgagnerle
bureau de Saint-Pierre. La porte était toujours entrouverte et elle s’immobilisa dans le couloir,prêtantl’oreillepourguettertoutbruitsuspect.Mais aucun son ne vint troubler le silence, si profond qu’il en devenait oppressant. Caitlin
rassembla son courage et pénétra dans la pièce. Là, elle eut beaucoup de mal à retenir un crid’effroi.Carlemonstrequil’avaitpoursuivieavaitintégralementdévastéleslieux.Lecanapéétaitdéchiqueté,lebureaubriséendeuxetleschaisessetrouvaientàprésentréduitesà
l’étatdepetitbois.Letapisetlebattantdelaporteavaientétélabourésàcoupsdegriffes.Enfait,seulelabibliothèqueparaissaitavoiréchappéàcettevaguededestruction.Unefoisdeplus,Caitlins’émerveillad’êtretoujoursenvie.Elleinspectarapidementleslieuxà
la recherche dumoindre indice concernant la créature, Saint-Pierre ou le démon qui habitait cedernier.Maisellenetrouvariendeconcluant.Commeelles’apprêtaitàquitterleslieux,ellesentitunbrusquecourantd’airbalayerlapièce.La
fenêtrequisetrouvaitderrièrelebureauétaitfermée,cequisignifiaitquecetétrangecoupdeventnepouvaitprovenirqueducouloir.Lecœurbattant,Caitlins’avançaverslaporteetjetauncoupd’œildanslecouloir.Iln’yavait
toujourspersonnemaislatapisseriequiétaitaccrochéesurlemurd’enfacefaseillaitlégèrementcommesiquelqu’unétaitpassédevantencourant.Elleétaitpourtantcertainedenepasavoirentendudebruitdepas.Sepouvait-ilqueSaint-Pierre
aitprislaformed’unoiseau,d’unechauve-sourisoud’uneautrecréatureailée?Unechoseaumoinsétaitrassurante:quellequesoitsonapparenceactuelle,lacréaturenel’avait
pas vue, ce qui signifiait peut-être qu’elle n’était pas immunisée contre le sort d’invisibilité queCaitlinvenaitdelancer.Elles’engageadoncdanslecouloiretsedirigeaversl’autreextrémité.Ellearrivasurlepalier
sur lequel débouchait l’escalier principal. En contrebas, il lui sembla percevoir un légerbruissement d’ailes. Sans hésiter, elle dévala lesmarches quatre à quatre et se retrouva dans lagrandeentrée.Sur sagauches’ouvrait la salleprincipaledu restaurantquiétaitdéserteet silencieuse,àcette
heure avancée de la nuit. Sur sa droite, un couloir permettait d’accéder aux toilettes del’établissementainsiqu’àplusieursportessurlesquellesétaitmarqué:«Privé».L’uned’elleétaitentrouverte.S’efforçantdefaireabstractiondel’angoissequil’étreignait,Caitlins’approchaàpasdeloupet
risqua un coup d’œil à l’intérieur. Elle découvrit une pièce peu spacieuse dont lesmurs étaientpresqueentièrementdissimuléspardetrèshautsplacards.Aucentresedressaitunmiroirenpiedenformedetriptyqueaupiedduquelétaitétendulecorps
d’ArmandSaint-Pierre.Une autre silhouette était penchée sur lui etCaitlin ne put retenir un crid’alarmeenavisantlecouteauqu’iltenaitàlamain.PeterDarboisse tournaalorsverselleet laconsidéraavecétonnement.Caitlincompritquele
miroirquisetrouvaitdevantcettepièceétaitprobablementmagiqueetqu’ilavaitdissipésonsortd’invisibilité.—Qu’est-cequevousfaitesici?demanda-t-elleauvampirequiagrippaittoujourslemanchede
soncouteau.—J’airetrouvéSaint-Pierre,ditPeter.Sescaninesétiréesindiquaientclairementqu’ellel’avaitsurprisalorsqu’ilétaitsurlepointde
viderArmanddesonsang.Levampirelevaalorssonarmeetsepréparaàl’abattresurArmand.—Non!s’écriaCaitlin.Petertournaverselleunregardincrédule.—Maispourquoivoulez-vousprotégerquelqu’unquiaassassinéunlycanetabienfaillivous
tuer,ilyaquelquesminutesàpeine?—Ilétaitpossédéparundémon,protesta-t-elle.Cen’étaitpasvraimentArmand.Jetant un coup d’œil au corps de ce dernier, elle constata que ses membres présentaient une
postureétrangeettorturéecaractéristique.—Jecroisqueledémonestparti,àprésent,ajouta-t-elle.—Mieuxvautnepasprendrederisques,objectaPeterenbrandissantdenouveausoncouteau.—Maisjevousjurequec’estArmand,insista-t-elle.Peterhaussalesépaulesetellecompritqu’ilsemoquaitcomplètementdesavoirsiSaint-Pierre
étaitencorepossédéounon.Ildevaitpenserqu’enletuant,ilferaitcoupdouble.D’unepart,ilseraitconsidérécommeunhérosquiavaitétécapablederenvoyerundémonsur
leplanastral.D’autrepart,ilcréeraitauseinduconcileunenouvellevacancequ’ilseraitdifficileàcombleraprèslamortsuccessivedesdeuxporte-paroledesmétamorphes.Lapérioded’incertitudeetdetensionquis’ensuivraitnepouvaitêtrequebénéfiquepourPeter
qui,pourlemoment,étaitmisenminoritéparlespartisansdeDavidDuLacquiprônaientavecuncertainsuccèslapaixetlacoopérationentrelespeuples.Siellevoulaitleconvaincred’épargnerSaint-Pierre,Caitlinallaitdoncdevoirredoublerdetact
etdesubtilité.Carunsimplecoupdecouteaupouvaitmettreuntermeàl’existenceduporte-paroledes métamorphes. Ceux-ci n’étaient en effet pas beaucoup plus résistants que des humains tantqu’ilssetrouvaientsouscetteforme.Peter,aucontraire,commetouslesvampires,étaitbienplusrapideetplusfortqueCaitlinquine
pouvaitdoncespérerleprendredevitesseouledésarmer.—Nevaudrait-ilpasmieuxlaisserleconciledécider?luidemanda-t-elle.Jesaisquelalenteur
dontilfaitpreuvepeutvoussemblerfrustrante,parfois.Lesmembressontsansdouteunpeutropobsédés par les règles et les protocoles à respecter. Pourtant, vous savez comme moi qu’ilsn’apprécientguèrequ’undeleurmembredécidedefairejusticelui-même.Certainsontmêmeétécondamnésàmortpourcela,parlepassé.—Maiscedémondoitmourir!insistaPeter.Caitlincompritqu’elleallaitdevoirchangerdestratégiesouspeined’épuisersapatience.—Je suisd’accord, répondit-elled’unevoixqui sevoulaitdureet résolue.Mais siquelqu’un
peut procéder à une telle exécution en toute légitimité, c’est moi. Laissez-moi prendre laresponsabilitédecetacteetvousconserverezlagloired’avoirappréhendéetmishorsdecombatledémon.Peter s’immobilisa et considéra cettepropositionquinemanquaitpasd’intérêt à sesyeux.En
acceptant,ilrécoltaitleshonneurssansprendrederisque.Tandisqu’ilhésitait,Caitlinsedécidaàforcerlachanceets’avançaverslui.Ellelevalentement
lamain,paumetournéeverslehautpourqu’ilydéposelecouteau.
***
Danslehall,Rydertendaitl’oreille,espionnantlascènequiétaitentraindesedéroulerdanslevestiairesansparveniràsedécider.Soninstinctluidictaitdeseruerdanslapièce,dechargerlevampireetdeledésarmer.MaisCaitlin semblait sedébrouiller trèsbien toute seule.Or il avait acquis la convictionque,
pouruneraisonquiluiéchappait,elleavaitbesoindeseprouveretdeprouverauxautresqu’elleétaitunbonGardien.Lui-mêmeenétaitconvaincu,biensûr,etc’étaitprobablementlecasdelagrandemajoritédes
métamorphes.Elleprenait ses responsabilités à cœur,neménageait jamais ses efforts et était unmodèledeprobité.C’étaitdéjàbienplusquelamajoritédesGardiensqu’ilavaitconnus.Pourtant,celaneluisuffisaitpas.Renonçantàlapriverd’unevictoireméritée,Ryderserésigna
doncàattendrequ’elleparvienneàsesfins.Lecœurbattant,iltenditl’oreillepourécouterlasuitedelaconversationquis’étaitengagéeentreCaitlinetPeter.—Leconcilesemêledecequineleregardepas,déclaracedernier.—C’estvrai,acquiesçaCaitlinenposantdoucementl’extrémitédesesdoigtssursonpoignet.
Maisvotreheureviendrabientôt,Peter,etvousleurmontrerezcommentilconvientdeprocéder.LesdoigtsdePetersedétendirentsurlagardeducouteauetCaitlinleluiôtaendouceur.Jugeant
qu’elleavaitpleinementdémontrésacapacitéàréglerleproblème,Ryderpénétradanslapièce.Lapremièrechosequ’ilaperçut,cefutlecorpsdisloquéquigisaitauxpiedsdeCaitlin.IlremarquaensuitequelacolèredePetern’avait toujourspasreflué,commel’indiquaientses
dentsdistenduesdefaçoninquiétante.
—Félicitations!s’exclamaRyderàl’intentionduvampire.Vousavezréussiàleneutraliser!Caitlinluijetaunregardétonnémaiscompritaussitôtquellesétaientsesintentions.—Peteraétémerveilleux,renchérit-elleavecenthousiasme.Jeviensjusted’arrivermaisj’aipu
constaterqu’ilétaitparvenuàmettreSaint-Pierrehorsdecombat.Un sourire orgueilleux se dessina sur les lèvres du vampire qui acceptait ces compliments
commes’ils luiétaientbeletbiendus.Pourtant, ilneparaissait toujourspasavoirrenoncéàsespulsionshomicides.—Jesuissûrquelechasseurdeprimesserademonavis,déclara-t-il.Saint-Pierredoitmourir
pourlescrimesqu’ilacommis.Etmaintenantqu’ilyaparminousleGardiendesmétamorphesetunmorphe,jepensequenousavonstoutelégitimitépourl’exécuterdansl’intérêtdetous.Rydervints’agenouillerauprèsd’Armandetsoulevalatêtedecedernierpourfairesemblantde
l’examinersoustouteslescoutures.—Entantqu’expertenmatièredepossession,jepuisvousassurerqueledémonquipossédait
cethommeaquittésoncorps.Peterplissalesyeuxd’unairsuspicieux.—Ilpourraittrèsbienfairesemblant,objecta-t-il.—Certes,concédaRyderquinetenaitpasàlecontredire.Maissic’était lecas, iln’auraitpas
hésitéàattaquerCaitlinparsurprisepoursedébarrasserd’elle.Lefaitqu’iln’aitpasagidelasorteprouveàmonsensqueledémonestparti.ArmandSaint-Pierre,parcontre,agrandbesoind’uneassistancemédicale.Quantànous,nousdevrionsinformerleconcileauplusvitedecequivientdesepasser.Caitlinfronçalessourcils.—CethonneurrevientàPeteretàpersonned’autre,déclara-t-elled’untonréprobateur.Vouset
moinesommesquedesimplestémoinsdanscetteaffaire.Ellesetournaalorsverslevampireauquelelles’adressaavecdéférence.—C’estvousquiavezréussiàfairefuirledémon.Ryderadmiralesensdeladiplomatiedontellefaisaitpreuve:enoffrantàPeterlapossibilitéde
tireravantagedelasituationsurleplanpolitique,ellefaisaitdeluiunalliéobjectif.—C’estvrai,déclaralevampireavecmorgue.Jevaisallerinformerleconcile.Ryderconstataavecsoulagementquesesdentss’étaientrétractéesetqu’iln’étaitplussousl’effet
de la colère. Peter se détourna brusquement et, d’un pas assuré, il se dirigea vers la porte duvestiaire.Lorsqu’ilsefutsuffisammentéloignépourêtrehorsdeportéedevoix,CaitlinsetournaversRyder.—Mercid’avoirjouélejeu,luidit-elle.Rydersecouadoucementlatête.— Tout le mérite te revient, lui dit-il. Je suis très impressionné par l’aplomb dont tu as fait
preuvefaceàunvampirearméetassoiffédesang!Tul’asvraimentmanipuléenbeauté.Un sourire réjoui se dessina sur les lèvres de Caitlin et Ryder se demanda une fois encore
commentunefemmeaussiextraordinairepouvaitêtreparfoissipeusûred’elle.Ellebaissaalorslesyeuxverslecorpsd’Armand.
—Est-ce qu’il va s’en sortir ? lui demanda-t-elle en s’agenouillant à son tour aux côtés dublessé.—Ilasubiungravechoc,réponditRyder.Ilsoulevadoucementl’unedespaupièresdumétamorphe.—Mouvementanormaldelapupille,constata-t-il,respirationfaible…J’aiaussiremarquédes
frémissements.Ryderpritlapaumed’Armandetenfonçal’ongledesonpoucedanslachair.Armandnebougea
pasd’unpouce.—Pasderéactionàladouleur,poursuivitRyderd’unairsombre.Toutcecitendraitàindiquer
qu’ilestdanslecoma.—Jenesavaispasquetuavaisuneformationmédicale,remarqua-t-elle.—J’aiapprissurletas,réponditRyderenhaussantlesépaules.Situsavaiscombienj’aivude
gens blessés ou tués par ces abominations au fil des années…Mais l’état dans lequel se trouveArmand dépasse de loinmes compétences. Il va lui falloir unmédecinmétamorphe. Est-ce quevousenavezun?—Biensûr!s’exclamaCaitlin,visiblementchoquéequ’ilpuisseenvisagerlecontraire.C’estun
payscivilisé,ici!—Tantmieux, répondit Ryder en souriant. Tu devrais envoyer quelqu’un le chercher. Il faut
aussiprévenirDeFarge:Armanddevraêtregardénuitetjourcars’ilreprendconscience,ilaurapeut-êtredesrévélationstrèsintéressantesànousfaireausujetdecescréatures.Caitlinfronçabrusquementlessourcils.—C’estétrange,murmura-t-elle.Lesautresdevraientdéjàêtreici…Rydertenditl’oreilleetneperçuteffectivementaucunbruitindiquantquequiconquevenaitdans
leurdirection.Ilneluifallutquequelquessecondespourréaliserpourquoi.—MonDieu,murmura-t-il,rétrospectivementhorrifiéparcequiauraitpuseproduire.—Qu’ya-t-il?—Peternelesapasprévenus!s’exclamaRyder.Etpourcause:ledémons’estservideluipour
nouséchapper!LevisagedeCaitlindevintlivide.—Cen’estpaspossible,articula-t-elled’unevoixblanche.Elleréfléchitquelquesinstantsavantdesecouerlatête.—Sic’était lui,pourquoin’a-t-ilpasprofitédel’occasionqui luiétaitdonnéedemetuer?Il
avaitunearmeàlamain.—Jenesaispas,concédaRyder.Cemiroircontientpeut-êtreunenchantementdeprotectionqui
l’empêchaitd’utilisersespouvoirs.Ilavaitpeut-êtresentimaprésencederrièrelaporte.Deplus,ilsepeutqueletransfertd’uncorpsàl’autreluiaitcoûtétropd’énergiepsychiquepourqu’ilcourreuntelrisque…—Entoutcas,celasignifiequ’ilnousafiléentrelesdoigtsalorsquepourunefois,nousavions
unechancedenousendébarrasser,murmuraCaitlin,accablée.
Ryderlaissaéchapperunjuron.Ilavaitparcourudesmilliersdekilomètresàlapoursuitedecetêtreetvoilàqu’ils’échappaitsoussesyeux.—C’est bien ce que tu disais, souffla-t-il. Il n’y a vraiment aucun signe, rien qui trahisse sa
véritablenature lorsqu’iloccupe lecorpsdequelqu’und’autre.Commentunêtreaussi frustreetindisciplinéa-t-ilpuacquérirunetellemaîtrisedesoi?—Cen’estpascequimepréoccupeleplus,objecta-t-elle.—Vraiment?—Vraiment.Lepire,danscettehistoire,c’estquecedémonauraitpus’enprendreàn’importe
lequeld’entrenous.Oriln’apaschoisiunvampireouunlycanmaisunmétamorpheâgédeplusdedeuxcentsans.Detousceuxquisetrouvaient làcesoir,Armandétaitprobablementceluiquiavaitleplusdechancedeluirésister.—Sansdoute,concédaRyderàcontrecœur.— Il n’y a que deux explications possibles et je ne sais vraiment pas laquelle est la plus
inquiétante:soitilsejouedenousparcequ’ilestconvaincuquenousnesommespasdetailleàluirésister,soitilnoustestait,auquelcasilestprobablementparvenuàlamêmeconclusion.Quisait?Peut-êtreétait-ilcapabledemetuer,toutàl’heure,maisa-t-iljugécelainutile…— A moins que ça ne l’ait amusé, compléta Ryder de plus en plus mal à l’aise. Ce que tu
suggèresnesetienthélasquetropbien.Noussavonsquecontrairementàsessemblables,cetêtreadéveloppéunevolontépropreetmêmeuneintelligencestratégique.Ilestdonccompréhensiblequesesplaisirssoientégalementdevenusplusraffinés,pluscomplexes.Lorsquelesautresdémonssecontententdetuer,luimanipule.Lorsqu’ilssatisfontleurssens,luiaiguillonnesonintellect…—Cela signifie qu’il ne se contentera pas d’un simple bain de sang à l’occasion de Samain,
conclutCaitlin.—Ilseraitnotammentcapabledeprendrelecontrôled’uneouplusieursdenoscommunautés,
acquiesçaRyder.Ouderetournerleshumainscontrenous,sicelal’amuse…—Toutelaquestionestdesavoirsinousdevonseninformerleconcile.Tantquenousn’avons
pas de solution à proposer, une tellemise en garde risque surtout de provoquer un affolementgénéralisé…—C’esttaville,réponditgravementRyder.Tuesmieuxplacéequemoipourprendreunetelle
décision.Caitlindemeuralonguementsilencieuse,pesantlepouretlecontre.—Etmoiquivoulaisprouverque j’étaiscapabled’êtreunbonGardien,murmura-t-elleavec
une pointe d’autodérision. Si j’avais su que cela me conduirait à prendre une décision aussimonumentale…—N’est-cepastoiquim’asrappeléqu’ungrandpouvoirimpliquaitdegrandesresponsabilités?
luirépondit-ilavecunpâlesourire.—J’auraissansdoutemieuxfaitdemetaire,soupira-t-elle.Quoiqu’ilensoit,noussommesà
présentbienplacéspoursavoirqu’unetellepossessionnepeutêtredétectéeparuntiers.Qu’enest-ildelavictime?Penses-tuqu’ellesentevenirl’attaque?Ryderconsidéraattentivementlaquestionavantdeluirépondre.—C’est peu probable, lui dit-il. Ces démons évoluent sur le plan astral. Il n’y a donc aucun
moyendelessentirapprocherjusqu’àcequ’ilspassentàl’attaque.—Cela exclut donc toute forme de défense physique, acquiesça Caitlin. Pourrait-on dès lors
imaginerdesedéfendrepsychiquement?—Peut-être,concédaRyder.MaissiArmandn’enapasétécapableetquepersonneautourdelui
nes’estrenducomptederien, jenevoispasvraimentquelprocédénouspourrionsutiliserpourcela.—Enfait,toutcequenoussavons,c’estquel’alcool,ladrogueetlesexerendentleshumains
plusvulnérablesàcegenredepossession.—Commeàtouteformed’attaquepsychique,précisaRyder.—Iln’estpasdéraisonnabledepenserquecequiestvraideshumainsl’estaussidespeuplesde
l’ombre.—C’est assez probable, concédaRyder.Qui sait ?SiPeterDarbois n’avait pas bu ce soir, la
créaturequipossédaitArmandn’auraitpeut-êtrepasréussiàs’emparerdesonesprit…—Dans ce cas, c’est cela que nous devons dire au concile : les représentants des différents
peuples devront faire savoir aux leurs que l’excès d’alcool, de drogue ou de sexe accroît lavulnérabilité d’un individu. Il est primordial que chacun de nous reste sobre lors de la nuit deSamain.—C’estundébut,concédaRyder.Nouspourrionségalementconseilleràceuxquionl’habitude
delefairedeprieroudeméditerpourrenforcerleursdéfensespsychiques…—Excellenteidée,approuvaCaitlin.Est-cequetuastonportable?Ryderlesortitdelapochedesavesteetleluitendit.Immédiatement,CaitlincomposaunSMS
qu’elleenvoyaàsessœurs,leurindiquantoùellesetrouvaitetleurdemandantdevenirauplusviteencompagniedeJaggeretdeSamidha,lemédecinmétamorphe.Quelquesinstantsplustard,ilsentendirentdesbruitsdepasdansl’escalieretfurentrejointspar
lepetitgroupe.PendantqueSamidhaexaminaitArmand,Caitlinentrepritderésumeràl’intentionde ses proches ce qui s’était passé depuis qu’elle avait quitté la salle à manger ainsi que lesconclusionsauxquellesRyderetelleétaientparvenus.—Dans le pire des cas, conclut-elle, les démons pourraient prendre le contrôle de plusieurs
représentantsdespeuplesdel’ombreetleslancercontreleshumains.Ceux-ci,prenantconsciencedudanger,netarderaientpasàréagir,éliminantprobablementunebonnepartiedesvampires,deslycans et des métamorphes de la ville. Débarrassé des seules personnes conscientes de leurexistenceetdeleurnatureexacte,lechefdecesdémonsn’auraitplusalorsaucunmalàprendrelecontrôletotaldecetteville.Jevouslaisseimaginerlerésultat…Rydern’avaitaucunmalà le faire.Car si lacréatureà laquelle ilsavaientétéconfrontésétait
dotéed’unraffinementintellectuelpervers,teln’étaitpaslecasdesautresdémons.Une fois qu’ils seraient lâchésdansLaNouvelle-Orléans, l’anéantissement total de la ville ne
seraitprobablementplusqu’unequestiond’heures.
20.
AprèsavoirtransportéArmanddanslachambreàcoucherqu’ilavaitaménagéeàl’étage,RyderetJaggerl’abandonnèrentauxbonssoinsdeSamidhaetrejoignirentFiona,CaitlinetShaunadanslasalleàmanger.—ArmandSaint-Pierreestplongédans lecoma, indiquaJaggerenréponseauxquestionsqui
fusaientde toutesparts.D’aprèsSamidha,ses joursnesontpasendangermaissoncorpsetsonespritontété trèsdurementaffectésparcettepossession.Elle ignorequandilsortiraducomanimêmesicelaseproduiraeffectivement.Desmurmures de compassion et d’inquiétudemêlées se firent entendre dans la pièce. Caitlin
s’avançaalorsfaceàlapetiteassemblée.—S’ilrestaitundouteàquiquecesoit,levoilàlevé.Aprèss’enêtreprisàLouisGrenvilleetà
Armand,cesoir,ledémonaprobablementprispossessiondePeterDarboispourquitterleslieux.Ilestàprésentavéréquenonseulementilestcapabledeposséderl’und’entrevousmaisencorequ’ilpeuts’agiraussibiend’unlycan,d’unmétamorpheoud’unvampire.—Quesuggérez-vousdoncquenousfassions?demandaalorsMateasGrenardquiparaissait
brusquementmalàl’aise.CefutFionaquiluirépondit.—Toutes les communautés doivent se tenir en état d’alertemaximal. Il serait préférable que
vous vous rassembliez par petits groupes durant la journée et la nuit de Samain. Evitez deconsommer de la drogue, de l’alcool ou tout autre substance susceptible de vous rendrevulnérablesauxattaquespsychiques…—Evitezégalementlesrelationssexuelles,poursuivitShauna.Etutiliseztoutcequipeutvous
renforcerspirituellement,qu’ils’agissedeprières,deméditation,decharmesoudegris-gris.Touslesmoyenssontbons.N’oubliezpasquelesclochesetl’encenssontcensésrepousserlesmauvaisesprits…—Pourlemoment,conclutCaitlin,retournezchacunauseindevotrecommunautéetinformez
autantdemondequevouslepourrezdelamenacequipèsesurnousencettejournéedeSamain.Faites aussi le compte de tous ceux qui au cours des semaines précédentes sontmorts de façonsuspecte, ont brusquement changé d’attitude, ont contracté une maladie ou ont disparu. S’ils semanifestentdurantlanuitdeSamain,repoussez-lessanslemoindreétatd’âme.Ilnes’agiraitpasd’introduireleloupdanslabergerie…—Nousnousretrouveronstousdemainmatinàl’Enfer,laboîtedenuitdeDavidDuLac,ajouta
Jaggerenjetantuncoupd’œilinterrogatifàcedernierquihochalatêtesanshésiter.Disonsvers9heures,poursuivitJagger.Là,nousprépareronsensemblenotreplandebataillepourlanuitdeSamain.L’assemblée approuva cette décision et, en l’espace de quelques minutes, les convives se
séparèrentpourallerretrouverleursprochesauplusvite.
***
DanslejardindessœursMacDonald,leventmauvaissoufflaitsansrépitentrelesbranchesdesgrandsmagnolias,rappelantàCaitlinlerêvequ’elleavaitfaitquelquesjoursauparavant.Commesouvent,lestroissœurss’étaientréuniesdanslacuisinedeFionapourprendreleurpetit
déjeuner.Etc’estlemomentqueJaggeravaitchoisipourleurannoncerladécisionqu’ilavaitprisesansmêmeleurdemanderleuravis.—J’espèrequetuplaisantes!s’exclamaCaitlinenlefusillantduregard.— Pas le moins du monde, répondit le vampire. Il n’est pas question que vous sortiez d’ici
durantcettejournéeetafortioriaucoursdelanuit.Caitlinjetauncoupd’œilàRyder,espérantqu’ilcomprenaitl’absurditédecettedécision.Mais
cedernierdemeuraadosséau réfrigérateur, lesbrascroisés, incarnantàmerveille leconceptdesolidaritémasculine.Fionareposalepotdecaféqu’elletenaitàlamain,Shaunas’arrêtadefairelescentpascomme
unanimalencageetCaitlinbonditlittéralementdesachaise.Leurconcertdeprotestationsfutaussivifqu’unanime.—Tun’aspasledroitdenousdirecequenousdevonsfaireoupas!s’exclamaCaitlin.— Nous sommes capables de décider par nous-mêmes de ce qui est préférable pour les
communautésdontnousavonslacharge,renchéritShauna.—Ellesontraison,Jagger.Tunepensestoutdemêmepasquenousallonsnousteniràl’écartle
tempsqueledangersoitpassé?—Biensûrquesi ! répondit-il sanshésiter. Il seraitmêmeabsurded’agirautrement.Nousne
pouvonspas courir le risquedevousperdre.Laville elle-mêmenepeut courir ce risque.C’estvous et vous seules qui garantissez l’équilibre entre les diverses factions ainsi que l’étanchéitéparfaiteentrelemondedeshumainsetceluidespeuplesdel’ombre.Sinousvousperdons,quisaitcequ’ilresteraàsauver?—Jaggeraraison,approuvaRyder.Vousnepouvezvouspermettredemettreendangercepour
quoi vos parents se sont sacrifiés, ce pour quoi vous vous êtes battues durant toutes ces années.Votre famille a sauvé àplusieurs reprises lespeuplesde l’ombre.C’est à euxdevous rendre lapareille,aujourd’hui.—Etqu’est-cequivousfaitcroirequevousserezcapablesderésisteràcescréatures?—Nous ne leur résisterons pas, réponditRyder.Dumoins, pas longtemps. Tout ce que nous
pourronsfaire,c’esttenterdelimiterlesdégâtspendantquevouschercherezunesolution.Carcecombat ne se réglera pas dans la rue. Ce qu’il nous faut, c’est une réponse métaphysique etmagique.—Ilaraison,tusais,intervintFiona.CaitlinetShaunaluijetèrentunregardchargédereproches.—Tunecomprendsdoncpas?s’exclamaCaitlinavechumeur.Cequ’ilssontentraindenous
dire, c’est qu’ils comptent se sacrifier pendant que nous resterons enfermées ici comme deslâches!
—Ceseraitmalmeconnaître,répliquaRyder.Jaggeretmoiallonstenterdelocaliserlechefdecesdémons.Sinousparvenonsàl’éliminer,ildeviendrabeaucoupplusfaciledeluttercontresesséidesquin’ontnil’intelligencenilapatiencedesebattreavecméthode.Maiscelanesuffirapasetc’estlàquevousintervenez:ilfautquevouscoordonniezunritueldebannissementquiécarteraledangerunebonnefoispourtoutes.— Vous voulez parler d’un cercle magique ? s’exclama Shauna, sidérée. D’un pentacle de
protectionàl’échelled’uneville?—Celaadéjàétéfaitparlepassé,acquiesçapensivementFiona.Ilyavaitdanssonregardunmélanged’excitationetdedouteà l’idéed’écrireetdemettreen
œuvreunritueld’unetelleampleur.Caitlin,quantàelle,étaitabasourdieparl’audaced’unetelleentreprise.Ilétaitdéjàsidifficiled’utilisercegenredemagiedeprotectionàl’échelled’unindividuqu’elle
n’osait imaginer ce que serait son extension à l’échelle d’unemétropole telle queLaNouvelle-Orléans.—Jamaisnousnedisposeronsd’assezd’énergie,objecta-t-elle.—J’yai réfléchi, réponditRyder.Et jepenseque ladatequ’ontchoisienosennemispourrait
fortbienseretournercontreeux,endéfinitive…—Bien sûr ! s’exclama Shauna, enthousiaste. L’usage de lamagie se trouvera facilité par le
rapprochementdumondematérieletdeceluidesesprits.—Ilfaudranéanmoinsquelesinitiésdetouteslescommunautéscollaborentétroitement,opina
Fiona.—C’estjustementpourcelaquenousavonsbesoindevous,déclaraJagger.Vousseulesaurezla
légitimiténécessairepourorganiserunrituelréunissanttantdepersonnesdifférentes.—Peut-être,concédaCaitlinàcontrecœur.Maisiln’enrestepasmoinsquecettecérémoniene
serviraàrientantquenousn’auronspasdétruitlechefdecesdémons.Or,endehorsdeRyder,jesuislaseuleàluiavoirparlé.Quisait?Jeparviendraipeut-êtreàl’attirerdansunpiège…—Pasquestion!s’exclamèrentlesquatreautresàl’unisson.FionaetJaggeréchangèrentunregardentendu.—Caitlin,plaidasonaînée,nousnepourronspastracerlecerclesansl’aidedesmétamorphes.
C’estparmieuxquel’ontrouvelesmagicienslespluspuissants.Ettueslamieuxplacéepourlesconvaincredecoopéreretdirigerleuraction.— J’ai demandé à Auguste de venir lui-même veiller sur vous, indiqua Jagger. Il arrivera
probablement avec un groupe de guerriers d’élite mais, en attendant, j’ai placé deux lycans enfactionprèsdesportesdonnantsurlarue.—Contactez-nousdèsqueleplanducercledeprotectionseramisaupoint,ajoutaRyder.Nous
désigneronsalorsdesgroupesdecombattantspourescorterceuxquidevrontserendreauxquatrecoinsdelavillepourletracer.Surce, lesdeuxhommesquittèrent lapièceetdescendirent l’escalierquiconduisaitaurez-de-
chaussée.CaitlinsetournaalorsversFiona.
—Nevois-tupascequ’ilssontentraindefaire?s’exclama-t-elle,révoltée.—Ilsnousprotègentpourquenouspuissionsànotretourprotégerlaville,réponditgravement
Fiona.C’estnotredevoirdeGardiens.—UnGardienn’estpascenséresterlesbrascroiséspendantquelespeuplesqu’ilestsupposé
défendre se battent et meurent pour le sauver ! protesta Caitlin. Et tu n’as pas le droit de nousimposeruneconduiteaussiinfamante!Surce,Caitlin seprécipitaà son tourvers l’escalier sans tenircomptedesprotestationsdesa
sœur.Elledébouchaencourantdans lehall etcourut jusqu’à laported’entrée.Là,elle retrouvaJaggeretRyderalorsqu’ilsétaiententraindetraverserlejardin.—Vousnepouvezpasnouslaisserici!leurcria-t-elle,toujoursaussifurieuse.—C’estcequenousallonsvoir,réponditRyderenhaussantlesépaules.Jaggertentadesemontrerunpeuplusconciliant.—Caitlin,cedémont’amenacéeàdeuxreprisesdéjà.Tuasrêvéqu’ilétaitàtapoursuite.Ilt’a
même attaquée physiquement dans la rue et chezArmand.Ne comprends-tu pas que sortir d’iciseraitdusuicide?Aucund’entrenousnepeuttelaisseragirdefaçonaussiirraisonnée.Toutenparlant,ilsavaientatteintlapetiteportequidonnaitsurlarue.Jaggerl’ouvritetCaitlin
continuaàavancer,résolueàs’engouffrerparl’ouverture.MaisRyders’interposaalorsentreelleetlaporte.Refusantdeselaisserimpressionner,ellefonçasurlui,biendécidéeàprofiterdel’effetdesurprisepourlebousculeretsortir.Hélas,elleeut l’impressiondepercuterunmurdeplein fouetet ilnebougeapasd’unpouce.
Avant qu’elle ait pu s’écarter, il la ceintura au niveau de la taille et la souleva de terre aussifacilementquesielleavaitétéunenfant.Illatransportaainsijusqu’àlafontainesurlamargelledelaquelleill’assitdeforce.Puisilse
penchaverselleet l’embrassaavecardeur.Désemparéeparcetassautpassionné,ellenecompritpastoutdesuitecequisepassaitlorsqu’ildisparutsoussesyeux.Mais l’impressiondenauséequi l’envahit luiappritqu’ils’était transformé.Baissant lesyeux,
ellevitunguépards’élanceràunevitessevertigineuseendirectiondelaporte.Ill’atteignitavantmêmequ’ellen’aiteuletempsdeseredresser,repritformehumaineetclaqualebattantderrièrelui.Caitlinseruaverslaportemais,sanssurprise,ellelatrouvaferméeàclé.Sanssedémonter,elle
regagna la fontaine et souleva labrique sous laquelle était cachéeunecléde secours.De retourface au porche, elle la glissa dans la serrure mais ne parvint pas à la déverrouiller. De touteévidence,Ryderavaitdûutiliseruncharmepourlafermermagiquement.Follederage,elle tambourinadetoutessesforcescontrelebattantmétallique.Maiscetassaut
rageurn’eutpasplusd’effetetellecompritqueJaggeretRyderétaientprobablementdéjàloin.Pourfairebonnemesure,ellelâchaquelquesjuronsbiensentispuis,vaincue,elles’adossaàla
portepourréfléchiràlasituation.Elle avait toujours du mal à accepter que Jagger et Ryder puissent les traiter comme des
prisonnières dans leur propre demeure. Car quoi qu’ils puissent en dire, c’était exactement cequ’ellesétaient.Cetétatdefaitétaitaussiexaspérantqu’humiliant.Carquellecrédibilitéconserveraient-elles,une
fois que ce détestable épisode serait clos ?Comment pourraient-elles imposer leur autorité auxpeuplesdel’ombres’ilssavaientqu’illeursuffisaitpouravoirlapaixdelesenfermerchezelles?Apparemment,Fionan’avaitpasconsidérécetaspectduproblème.Maispeut-êtreétait-elleun
peutropaveugléepar lessentimentsqu’ellevouaitàcefourbedeJagger.EtsiRyderespérait lamanipuleraussifacilement,ilsetrompaitlourdement.C’était unmétamorphe qui lui avait parlé de ces démons, un autre métamorphe qui lui avait
permisdecontacter leurchef,unautreencorequiavait faillipérirdurant lanuit.Orelleétait leGardien desmétamorphes et il était hors de question pour elle de rester là les bras croisés enattendantqued’autresrèglentlaquestionàsaplace.Commeellesefaisaitcetteréflexion,elleentenditunbruitdepassursadroite.Setournantdans
cettedirection,elleavisaunjeunehommeauphysiqueathlétiquequiarboraituneexpressionaussitimidequerespectueuse.—Bonjour,mademoiselleMacDonald,luidit-il.JesuisDarryl,l’undesgardesquel’inspecteur
DeFargeachargésdeveillersurvousetsurvossœursenattendantl’arrivéed’Augusteetdeseshommes.Sijepuismepermettre,mademoiselle,vousdevriezresteràl’intérieur.Vousseriezplusensécuritédanslamaison…Bouillonnantintérieurement,Caitlinchoisitcependantdesuivrececonseil,letempsderéunirce
dontelleavaitbesoinetdemettreaupointunpland’évasion.
***
De retour dans ses appartements, Caitlin décida de mettre à profit les deux heures qui laséparaient de la fin de la réunion qui se tenait en ce moment même chez David DuLac et del’arrivéed’AugusteGaudinetdeseshommes.Aprèsavoir troqué la robequ’elleportait contreun jeanetun sweat-shirtnoirs, elle enfila la
vieillepairederangersqu’ellemettaitgénéralementlorsqu’elleserendaitàunconcert.Dansunsacàdos,elleglissa,outresonportefeuille,sontéléphoneetlechargeurdecedernier,
unordinateurportable,uncouteauqueluiavaitoffertCaseetdontellenes’étaitjamaisservie,unepetite paire de jumelles, une trousse à pharmacie, une bouteille d’eau et quelques barres decéréales.Nesachantquandelleaurait l’occasiondeserestaurer,ellesepréparaensuiteunsoliderepas.
Lorsqu’elle se sentit fin prête, elle utilisa samagie pour se rendre invisible et ressortit dans lejardin.QuatregénérationsdeMacDonalds’étaientsuccédésurcettepropriétéetchacuneavaitcomporté
un ou plusieurs Gardiens. Ceux-ci avaient donc fait aménager plusieurs passages dérobés quipermettaient d’évacuer les lieux en cas de danger ou de faire entrer divers représentants despeuplesdel’ombresansattirerl’attentiondesvoisinshumains.Malheureusement pourCaitlin, Fiona avait apparemment partagé tous leurs secrets de famille
avecJaggeret,devantchacundecesaccès,elletrouvaunlycanouunvampireenfaction.S’il s’était agi de gardes ordinaires, elle aurait pu essayer de se glisser derrière eux.
Malheureusement,sonsortd’invisibilitén’étouffaitpaslebruitqu’ellefaisaitenmarchant.Orlesvampiresetleslycansétaientdotésd’uneouïebiensupérieureàcelledeshumains.Deplus,elleseméfiaitdecefameuxsixièmesensdontellelesavaitsouventvusfairepreuve.
Elle savait qu’elle n’aurait qu’une seule chance de réussir : si l’un des veilleurs détectait saprésence,ellerisquaitdeseretrouverenferméeàclédanssachambreetilétaitàpeuprèscertainqueFionaneferaitrienpourlasortirdelà.Comme elle se faisait cette amère réflexion,Chloe, la chatte de sa sœur aînée, vint se frotter
contresesmollets.Detouteévidence,lefaitqu’ellesoitinvisiblenelaperturbaitpasoutremesure.MaiscommeCaitlins’apprêtaitàlarepoussergentimentmaisfermement,uneidéegermadans
sonesprit.
***
Darrylfaisaitnerveusementlescentpasdevantl’entréeprincipale.Lefaitd’avoirétéchargédegarder la demeure des Gardiens était un grand honneur à ses yeux. Mais pour un jeune lycancommelui,cetteinactivitéforcéeétaitégalementsourcedetourment.Maissoudain,unbruitdepasimperceptibleattirasonattention.Tendantl’oreille,Darrylcomprit
qu’ilprovenaitdelasurfacedalléequientouraitlafontaine.Sansattendre,ilseprécipitadanscettedirection,prêtàsejetersurtoutintrusquiseseraitintroduitlàsansautorisation.Maislorsqu’ilcontournalafontaine,ilseretrouvanezànezavectroischatsquiluijetèrentun
regardméfiant.
***
Pendant que Darryl observait les chats d’un air suspicieux, Caitlin quitta le sol dallé et, enprenantsoindedemeurersur lapelouse,ellecourut jusqu’à laported’entrée.Utilisant lepasse-partout queRyder lui avait donné, elle l’ouvrit et semit à courir aussi vite qu’elle put pour nelaisseràDarrylaucunechancedelarattraper.
21.
Cette année-là, Halloween tombait un samedi et les habitants de La Nouvelle-Orléans avaientapparemment décidé de profiter de ce hasard pour organiser un second carnaval.Malgré le faitqu’ilétaitencoretôt,larueBourbonétaitdéjàrempliedepromeneursdontlaplupartportaientdesdéguisementsdecirconstance.Sorcières,momies,loups-garousetvampiresd’opérettedetousâgessepressaientdanslesrues,
s’attroupaientdevantlesmusiciensambulants,entraientetsortaientdesbarsetdesboutiquesquisepréparaientsansdouteàbattredenouveauxrecordsdefréquentation.Toujoursprotégéeparsoncharmed’invisibilité,Caitlins’efforçaitd’éviterlegrosdelafoule.
ToutentraversantleVieuxCarré,ellesedemandaitsiellenevenaitpasdecommettreuneénormeerreur.Elleétaitsuffisammentlucidepoursavoirquesadécisiondequitterlamaisonavaitétéenpartie
motivéeparlacolèrequeluiinspiraitl’arrogancedontavaientfaitpreuveRyderetJagger.Elleavaitaussivouluseprouverunefoisdeplusqu’elleétaitdignedesesparents,desonrôle
deGardienetdelaconfiancequelespeuplesdel’ombreavaientplacéeenelle.Maissesmotivationsneselimitaientpasàcela.ElleétaitfermementconvaincuequeRyderetJaggersetrompaient:enerrantauhasarddesrues
à la recherche du chef des démons, ils perdraient leur temps. Cette créature était bien tropintelligentepourselaisserdébusquerfacilement.Caitlinavaitdoncdécidéd’aborderleproblèmedefaçonradicalementdifférente:plutôtquede
cherchercetêtresurleplanmatériel,ellecomptaitbienlepistersurleplanastral.Et pour cela, elle avait besoin de Danny. Car il était le seul qui soit déjà parvenu à prendre
contactaveccettecréature. Il avait immédiatement trouvé lameilleure façondeprocéderpouryparvenir et, en l’espacedequelquesminutes seulement, il avait réussi à l’attirer jusqu’à lui, à leforceràs’incarneretàleurparler.Celanesurprenaitd’ailleurspasCaitlinlemoinsdumonde.Dannyavaittoujoursétéunmédium
extraordinaire.Dèssonplusjeuneâge,ilavaitapprisseull’artsubtildelaprojectionastrale.Nedisait-ilpastrèssouventqu’ilmarchaitàchevalentrelesdeuxmondes?Qu’ilavaitautantd’amisdansl’unquedansl’autre?Caitlin avait donc l’intention de le localiser le plus rapidement possible, de le ramener à la
maison familiale et d’invoquer grâce à lui le chef des démons.Ryder pourrait alors achever lerituel qu’il avait entamé lors du premier contact et bannir à jamais ce monstre hors du planmatériel.Unefoisqueceseraitfait,ilspourraientpréparerlepentacledebannissementdesautresentités
etprotégerainsil’ensembledelaville.Bien sûr, Caitlin ne se faisait aucune illusion : le plan qu’elle avait conçu serait sans doute
nettementplusdifficileàmettreenœuvre.Elledevraitcertainementfairefaceàdescomplicationsencoursderoute.Maiselledemeuraitconvaincuequesaméthodeavaitplusdechancedeporter
sesfruitsquecellequ’avaientmiseaupointRyderetJagger.Tandisqu’elleremontaitlarueBourbon,Caitlinremarquadeuxchosesquinemanquèrentpasde
l’inquiéter.D’unepart,leventétrangequ’elleavaitvuenrêvesoufflaitcejour-làsurlavilleavecune force redoublée.D’autrepart, ellepercevait dans l’air une formed’excitationmalsaine, uneviolence qui, si elle était parfaitement contenue pour le moment, pouvait à tout momenttransformercettefêtebonenfantencarnavalmacabre.Illuisemblaitnotammentquelescostumess’étaientfaitsplussanglants,plusprovocateursque
parlepassé.IlyavaitmoinsdeHarryPotteroud’hommesinvisiblesquedetueursensérietoutdroitsortisdefilmsplusréalistesetdérangeants.Curieusement, il y avait aussi un nombre impressionnant de zombis cette année, comme si le
projetdesdémonsastrauxavaitéveilléunétrangeéchodansl’inconscientcollectifhumain.Caitlinn’avaitjamaiscomprispourquoilafêteceltedeSamainavaitétéréduiteàsesaspectsles
plussombres.Aprèstout,ils’agissaitégalementd’untempssacréetlaproximitéentreleroyaumedesvivantsetceluidesmortspermettaitd’entrerencontactaveclesespritsdesesancêtres.PourCaitlin,ils’agissaitdoncplutôtd’untempsderecueillementetdeméditation,d’untemps
propiceàlacélébrationdelaterreetdesesmystères.Elle avait également conscience du danger que constituait cette fête débridée qu’était devenue
Halloween.Car les énergies libérées aucoursdecettenuit semanifestaientbienplus facilementque d’ordinaire. Or qui tenait vraiment à voir les pulsions les plus morbides de l’être humainprendrecorps?Hélas, si les peuples de l’ombre n’agissaient pas très rapidement, c’est précisément ce qui
risquaitdeseproduire.Etelleétaitprêteàparierqueceux-làmêmesquijouaientàsefairepeurcejour-làbasculeraientdanslafolielorsqu’ilssetrouveraientconfrontésàdevéritablesdémons.Lepire,songea-t-elle,c’estquelaplupartdesgensn’avaientmêmepascommencéàboire.Mais
quand l’alcool commencerait à couler à flots, la ligne de partage entre lemonde des vivants etceluidesmorts,entrelerêveetlaréalitéseferaitplusfloueencore.Ryderavaitvujusteaumoinssurcepoint : lesdémonsnepouvaientchoisirmeilleurmoment
pourdéferlersurlaville.Autourd’elle, la foule était devenue si densequ’il lui était presque impossiblede continuer à
progresser. L’intersection qu’elle venait d’atteindre voyait converger des gens venus des quatredirectionsetilss’entassaienttoujoursunpeuplusdanscegoulotd’étranglement.Jusqu’à présent, Caitlin n’avait pas eu à s’inquiéter de frôler un éventuel passant. Il y avait
suffisammentdemondequisecroisaitdanstouslessenspourquelapersonneenquestionpuisseattribuerlabousculadeàquelqu’und’autre.Maiselleétaitàprésentpresséedetouscôtésetquelqu’unfiniraitbienparserendrecompteque
quelquechosedetrèsétrangeétaitentraindeseproduire.Lepire,c’estquelaplupartdeceuxquil’entouraientétaientplusgrandsqu’elleetqu’ellenedistinguaitmêmeplusoùelleallait.Chaque instant qui s’écoulait accentuait un peu plus son malaise. Elle comprit soudain que
quelque chose n’allait pas : elle était à présent cernée de toutes parts, plaquée contre ceux quil’entouraientetaucund’entreeuxnesemblaits’apercevoirdesaprésence.Tordant le cou vers la droite puis vers la gauche, elle ne tarda pas à découvrir avec effroi
l’explicationdecemystère.Tousceuxqui l’entouraientavaient lemêmeregard fixe, lesmêmespupillesdilatéesetlesmêmesgestessaccadésqueDannydurantlaséancelorsdelaquelleilavaitétépossédé.Ettouslaregardaientfixement.Detouteévidence,lesdémonsduplanastralétaientimmuniséscontrelescharmesélémentaires
commeceluiqu’elleavaitutilisé.Caitlinouvritlabouchepourappeleràl’aidemaisl’unedescréaturesluijetaunmanteausurle
visageavantdelasouleverentresesbraspourl’emporter.Ilyavaitbientropdebruitauxalentourspourquequiquecesoitpuisseentendresescrisdedétresse.Toujoursportéeparledémonetprivéedelavue,ellen’avaitaucuneidéedeladirectionqu’ils
prenaient.Legroupecommençaparsefrayeruncheminàtraverslafoulecompactepuisellesentitle bruit diminuer rapidement alors qu’ils s’engageaient dans une ruelle secondaire moinsfréquentée.Ils continuèrent à avancer durant quelquesminutes jusqu’à ce qui devait être un vaste hangar
munid’uneportequiserefermaderrièreeuxavecunclaquementmétalliqueinquiétant.
***
—Trèsfranchement, jedoutequ’ellereste tranquille très longtemps,déclaraRyder tandisqueJaggeretluisefrayaientdifficilementuncheminlelongdelarueBourbon.Jamais il n’avait vu autant de monde déambuler dans les quelques kilomètres carrés qui
formaientleVieuxCarré.Seulleurphysiqueimposantetl’expressionpeuamènequ’ilsarboraientencetinstantleurpermettaientdeprogresseraumilieudecettefouledigned’unjourdecarnaval.—Net’inquiètepasausujetdeCaitlin,réponditJagger.Ellen’estpasfacilemaisjesuissûrque
Fionaparviendraàlaconvaincrequec’estlameilleuresolution.Rydernepouvaitnier le faitque l’aînéedesMacDonaldparaissaitêtrecapabledegéreràpeu
près n’importe quelle situation. Malheureusement, il n’était pas convaincu que c’était le cas decelle-ci.CarsiCaitlinétaitsirésolumentdécidéeàprouversavaleurentantqueGardien,c’étaitengrandepartievis-à-visdeFionaàlaquelleellevouaituneadmirationsansbornes.Si Caitlin décidait de passer à l’action malgré les mesures qu’ils avaient prises pour l’en
empêcher,ilétaitdoncpeuprobablequ’elleeninformesonaînée.Etcetteidéenefaisaitqu’ajouteraumalaisequil’habitait.—C’estdelafolie,commenta-t-ilenobservantlafoulequisepressaitautourdelui.Sesmotsseperdirentdanslebrouhahaambiantetjamaisunêtrehumainn’auraitétécapablede
les entendre. Mais Jagger était un vampire et son ouïe particulièrement développée pouvaitprobablementisoleretidentifierlemoindresonàplusieursvingtainesdemètresàlaronde.IlhochasobrementlatêtemaissonexpressioninquièteindiquaàRyderqu’ilcraignaitcomme
luiquelesdémonsn’attendentpaslatombéedelanuitpourpasseràl’offensive.Sansmêmeavoirbesoindeseconsulter,lesdeuxhommespressèrentlepas.Ilsavaientdécidéde
serendreauBonTemps,leclubquefréquentaientd’ordinairelesdeuxamismusiciensdeCaitlin.
Car après réflexion, Ryder avait fini par conclure que le meilleur moyen pour localiserrapidementlechefdesdémonsétaitdefaireappelàDannyquiavaitdéjàréussiàlefaireunefois.Ilcomptaittenterdeconvaincrecedernierd’organiserunenouvelleséanceetprofiterdecelle-ci
pourparacheverleritueldebannissementquiavaitétéinterrompulapremièrefois.Evidemment,ilfaudraitpourcelaqueDannyacceptedecollaborer.MaisRyderavaitbonespoir
deparveniràleconvaincreenluiracontantlafaçondontCaitlins’étaitfaitattaquerdenouveau.Ce simple souvenir suffit à éveiller en lui un frisson glacé. Et s’il savait qu’elle devait être
furieusecontrelui,àl’heureactuelle,ilétaitprêtàendurersacolèretantquecelaluipermettraitdelateniràl’écartdudanger.Iln’étaitpasquestionquelesdémonsluivolentunefoisdeplusquelqu’unqu’ilaimait.Orilne
pouvaitplusdouterdelanaturedesessentimentsenverselle:RyderétaitéperdumentamoureuxdeCaitlinMacDonald.Etilferaittoutcequiétaitensonpouvoirpourlaprotégeretprotégersessœurs.
***
Toujoursfermementretenueparsesravisseursetaveugléeparlemanteauqu’ilsavaientjetésursatête,Caitlins’efforçaitderésisteràlapaniquequimenaçaitàtoutmomentdelasubmerger.Pournepasycéder,elleseconcentrasurcequ’ellepouvaitpercevoirdesonenvironnement.La
façondontlessonsseréverbéraientautourd’elleluidonnaitlaconvictionqu’ellesetrouvaitdansunhangarouunentrepôtassezvaste.Ilflottaitdansl’aircettelégèreodeurdemoisiquel’onretrouvaitdanslesbâtimentsduVieux
Carrédepuislepassagedel’ouraganKatrina.L’airétaitchargéd’humidité.Lorsquelesdémonslapoussèrentenavant,elleremarquaquelesolsoussespiedsétaitduret
parfaitement lisse. Ils traversèrent une première pièce qui ne devait pas contenir grand-chose ets’arrêtèrentdevantunenouvelleportemétalliquequesesgeôliersouvrirentavantdelapousserdenouveauenavant.Lapiècedanslaquelleellepénétraalorsluiparutdifférente.Cequilafrappatoutd’abord,cefut
l’odeurécœurantedesoufre,d’ammoniaqueetdesueurquisemêlaitàcelledumoisi.Ellecompritégalementqueplusieurspersonnessetrouvaientdéjàici.Sanssavoirpourquoi,elle
étaitmême convaincue qu’il y avait beaucoup de gens. Ils étaient pourtant silencieux et tout cequ’ellepouvaitpercevoird’eux,c’étaitlebruitdeleurrespiration.Unevisiondecauchemarenvahitsonesprit:elles’imaginaentouréed’unearméedezombis,de
corpspossédésparcesdémonsauxyeuxvidesquiattendaientdedéferlersurlaville.Elle comprit alors pourquoi l’odeur d’ammoniaque qu’elle avait cru percevoir lui était
vaguement familière.En réalité,elle l’avait sentiepeude tempsauparavant, lorsdesaséancedespiritismeavecDannyetCase.C’étaitcelleducrack.Les ravisseurs de Caitlin s’immobilisèrent enfin et elle les sentit s’écarter légèrement d’elle
commes’ilsétaientconvaincusàprésentqu’ellenepourraits’enfuir.Lecœurbattant,elleentenditdespasserapprocherpuisquelqu’unluiôtalemanteauquil’aveuglait.
Elle vit alors qu’elle ne s’était pas trompée : elle se trouvait dans un vaste entrepôt quen’éclairaientquequelquesfenêtresétroitessituéestrèsenhauteur.Apparemment, l’endroitn’étaitplus entretenu depuis longtemps : des tahes d’humiditémaculaient le sol en béton et les tuyauxqu’ellevoyaitcourirlelongdesmursétaientmangésparlarouille.Et pourtant, il était évident que cet entrepôt était habité. Autour d’elle, elle pouvait voir de
nombreuxmatelastachésainsiquedestasdecartonsquidevaientégalementtenirlieudepaillasse.Çàetlà,ondistinguaitunvieuxréchaud,quelquesboîtesdeconserve,unchariotdesupermarchéemplidevieuxvêtementsetunnombreimpressionnantdebouteillesvides.L’air était envahi de cette fumée de crack si caractéristique, à la fois obsédante et écœurante.
Autourd’elle,elleperçutd’ailleurslegrésillementdeplusieurspipes.Mais ce qui l’horrifia le plus, c’était l’apparence des habitants de cet endroit. Ils étaient des
dizaines,descentaines,peut-être,offrantunpanoramaaussi completqu’édifiantde ladéchéancephysiqueetmentaleàlaquellepouvaitconduireladépendanceaucracketàlaméthamphétamine.Lagorgeserréeparledégoûtetlapeur,Caitlinobservacesfantômes,cesombresd’hommeset
de femmesquipour laplupart ne la regardaientmêmepas.Sansdoutene regarderaient-ils plusjamaisrienquelenéantdeleurexistence,cevidequ’aucunedroguenesuffiraitàremplir.Ilétaitimpossibledenepascomparerleursvisagesauxmasquesdezombisqu’elleavaitcroisés
toutaulongdelamatinée.Ilsreflétaientlamêmevacuité, lamêmeabsenced’émotionàlaquelles’ajoutaient les terrifiants stigmates de la drogue : maigreur squelettique, dents gâtées etdéchaussées,calvitie…Bien sûr, elle avait toujours su que de tels endroits existaient. Mais jamais elle n’avait eu
l’occasiondevisiterl’unedecesantichambresdel’enferquisemblaientexisteràmi-cheminentrelavieetlamort.Ellevitalorsunesilhouettes’avancerverselle.Ellesedéplaçaitavecunetellegrâce,unetelle
légèretéqu’elleparaissaitdanser.Lesdroguéslaregardaientpasseravecunefascinationpresquereligieusemais Caitlin percevait distinctement l’auramaléfique qui nimbait cet être. Elle reculainstinctivement, mais se heurta aux démons qui l’avaient conduite jusqu’ici et qui se tenaienttoujoursderrièreelle.Curieusement, ils luiparurentpresque rassurants au regardde la terreurque lui inspirait leur
maître.Ils’immobilisaalorsetposasurellesesyeuxauxpupillesdilatées.—Bienvenue,Gardien,luidit-ildecettevoixlégèrementsifflantequifitnaîtresursapeauun
frissondeterreur.JevoussouhaiteunjoyeuxHalloween.Lesourirequisedessinaalorssurseslèvresreflétaitunecruautéquin’étaitpasdecemonde.
Jamaisellen’auraitcruquelevisageangéliquedeDannypuisseéveillerenelleunetellesensationd’horreur.
***
RyderetJaggervenaientdetraverserlaruedeToulouseetapprochaientduBonTempslorsquelemétamorphes’arrêtanet.
—Quesepasse-t-il?luidemandaJagger.—Tun’aspasentenducecri?Le vampire le considéra avec étonnement. Autour d’eux, les cris, les rires et la musique se
mêlaientenunvacarmeassourdissant.Certainscriaientpoursefaireentendre,d’autreschantaientàtue-tête,d’autresencorehurlaientpourlesimpleplaisirdehurler.—J’aientenduquelqu’uncrier,articulaRyder,inquiet.Jecroisquec’étaitCait…Jaggernesongeamêmepasàmettreendoutesaparole.—Queveux-tuquejefasse?Ryders’efforçadedominerlapaniquequimontaitenlui.Ilsavaitqu’iln’auraitpasdûentendrececrietqu’iln’avaitaucuneraisondes’inquiéterausujet
deCaitlin.Etpourtant,ilsentaitauplusprofonddelui-mêmequ’elleétaitendanger.—AppelleFionaetdemande-luisiCaitlinesttoujoursavecelle.Jaggersortitsontéléphoneetcomposalenuméro.—Fiona?C’estmoi…Ryderneputentendreceque lui répondit lasœurdeCaitlinmais ilvit levisagedeJaggerse
rembrunir.—D’accord,conclutlevampire.Jeterappelledèsquenousavonsdunouveau.IlraccrochaetlevalesyeuxversRyder.—Caitlinadisparu,luidit-il.Fionaignoreoùelleapualler.Rydersentitsonangoisseredoubler.—RetourneauprèsdeFionaetShaunaetveille surelles, articula-t-il. Je saisqu’ellesdoivent
s’inquiéter pour leur sœurmais il faut absolument que tu les convainques de ne pas partir à sarechercheetdecontinueràtravailleràl’élaborationdupentacle.Ilfautimpérativementqu’ilsoitprêtd’icicesoir!—Compris,acquiesçaJagger.Ettoi?Qu’est-cequetuvasfaire?—Poursuivrelamissionquenousnoussommesfixée:retrouverDannyauplusvite.Caitlinest
intelligente et elle doit savoir que c’est notremeilleurepiste. Il y a des chancespourqu’elle aitcherchéàlecontacter,elleaussi.—Etsicen’estpaslecas?—Alors je demanderai à Danny de m’aider à trouver le chef des démons. Si Caitlin est en
danger,c’estpeut-êtreparcequ’elleest tombéeentresesmains.Garde ton téléphoneàportéedemainetdemandeàAugustederéuniruneéquipedecombattantslycans:j’auraipeut-êtrebesoinderenforts.—Ceserafait,promitJagger.Bonnechance.Ryder répondit d’un sobre hochement de tête avant de s’engouffrer dans le club que
fréquentaientCaseetDanny.
22.
IlétaitencoretôtmaisilrégnaitauBonTempscommedanstoutleVieuxCarréuneambiancesurvoltée.Detouteévidence,laplupartdesclientsn’avaientpasattendul’heuredudéjeunerpoursemettreàboireetuneodeurcaractéristiquedesueuretdebièremêléesflottaitdéjàdansl’air.Ryder se fraya un chemin sans ménagement au sein de la foule de clients qui dansaient,
chantaient, riaientethurlaientà l’unisson.Malgré la tensionqui l’habitaitencet instant, ilsentaitconfusémentquecetteatmosphèrehystériquenetenaitpasseulementàlaconsommationd’alcool.Ilyavaitquelquechosedans l’air,commesiquelqu’unavait lancéuncharmesur laville tout
entière.Ryderlâchaunjuronenréalisantquec’étaitprobablementlecas.Le démon ne s’était sans doute pas contenté d’attendre patiemment le moment de lancer son
offensive.Commetouteslescréaturesissuesduplanastral,ildevaitavoirundonparticulierpourlamagieets’enétaitservipourpréparersonentréeenlice.Enentrantdansleclub,Ryderavaitaussitôtreconnulavoixduchanteur.Ilmanœuvradoncpour
serapprocherdelascènesurlaquelleofficiaitCase.Malheureusement,sonclaviéristen’étaitpasaveclui.Ryder observa attentivement l’ex-petit ami de Caitlin. Ce dernier était doté d’une voix
extraordinairedontilsavaitjoueràmerveille.Maiscequiétaitplusimpressionnantencore,c’étaitlafaçondontilusaitdesonpouvoirdemétamorphe.Ilfallaitunemaîtrisesingulièrepourparveniràcréeretàmaintenirunetransformationpartielle
de son visage de façon à évoquer celui de quelqu’un d’autre sans provoquer la suspicion desspectateursdupremier rangquine lequittaientpasdesyeux.Le faitqueCasepuisseyparveniralorsqu’ilavaitbuetconsommédeladrogueétaitd’autantplusimpressionnant.Etmalgrélaconcentrationquedevaitluidemanderunetelleperformance,ildemeuraitconscient
de son environnement. Il ne lui fallut que quelques secondes avant de remarquer la présence deRyderauseindupublic.Lorsqueleursregardssecroisèrent,cedernierenvoyaunmessagementalaujeunemétamorphe.
Ilnes’agissaitpasd’unedemandemaisd’unordreetilvitleregarddeCasesedurcir.Pas plus queCaitlin, il ne semblait apprécier de recevoir des ordres.Ryder n’avait d’ailleurs
aucunmalàimaginerquec’étaitprécisémentcequilesavaitrapprochés.Aufond,chacunàleurfaçon,tousdeuxétaientdesrebelles.Curieusement,Rydern’éprouvaitaucunejalousieàl’égarddeCase.Peut-êtreétait-ceparcequ’il
étaitconvaincuquecedernieravaitjouévis-à-visdeCaitlinunrôlequis’apparentaitplusàceluid’unfrèrequed’unpetit ami.Peut-être lui rappelait-il aussi le jeunehommeque lui-mêmeavaitété,ilyatrèslongtemps.Casedutsentircecourantdesympathieetsemblasedétendreunpeu.Ilhochaimperceptiblement
latête,marquantainsisonaccord.Rydersedétournaalorsetsefrayauncheminjusqu’àlaportequimenaitàlapetitecourintérieure.Là, incapable de rester immobile, il semit à faire les cent pas en réfléchissant à la situation.
Comment avait-il pu être assez stupide pour croire que Caitlin se contenterait de rester biensagement chez elle ? Il aurait dû savoir que l’obliger à le faire était le meilleur moyen de labraquer.Caitlinétaitquelqu’undefieretquipossédaitunprofondsensdudevoir.Enluiforçantlamain
commeill’avaitfait,ill’avaitpousséeàréagiretelles’étaitjetéedanslagueuledulouppourseprouver qu’elle était digne de son rôle de Gardien et qu’elle ne laissait personne lui dicter saconduite.Ryderauraitdûprendreletempsdelaconvaincreaulieudelacontraindre.Maisilétaitnéau
milieu du xixe siècle et avait encore parfois du mal à intégrer la véritable révolution desconsciencesquis’étaitopéréedanslesrelationsentrelessexes.Ilsepromitpourtantque,siCaitlinetluisortaientvivantsdecetteépreuve,ilnecommettraitplus
jamaisl’erreurdenepaslatraiterenégale…Ses réflexions furent interrompues par l’arrivée de Case qui commença par s’allumer une
cigaretteavantdes’approcherd’unpas faussementdésinvolte.Lesdeuxhommesse regardèrent,chacund’entreeuxprenantlamesuredel’autre.CefutCasequiparlalepremier.—Qu’est-cequetumeveux?demanda-t-ild’untonunpeutropindifférentpourêtrevraiment
crédible.—Caitadesproblèmes,réponditposémentRyder.Le visage du jeunemétamorphe ne trahit aucune émotion particulièremais Ryder sentit plus
qu’ilnevitlatensionquil’envahitbrusquement.— J’ai effectivement l’impression qu’elle en a beaucoup plus depuis qu’elle t’a rencontré,
acquiesçaCase.Ryder perçut alors l’odeur demarijuana de sa cigarette. Sans doute avait-il l’habitude de les
tremperdansdel’huiledecannabis.Malgrélui,ilneputs’empêcherdedéplorertoutcepotentielgâché.MaislemomentétaitmalchoisipourfairelaleçonàCaseoutenterdeleconvaincredechanger
demodedevie.Laseulechosequiimportait,pourlemoment,c’étaitderetrouverCaitlinauplusvite.Etpourcela,ilallaitdevoirconvaincreCasedel’aider.—Ellaadisparu,reprit-ilens’efforçantdemaîtriser l’impatiencequimontaitenlui.Jepense
qu’elleestalléevoirvotreamicommun,Danny.—Etalors?—Elleestendanger,Case.TutesouviensdelacréaturequeDannyacontactée,l’autrejour?
Cellequiavaitessayédelatuer?Ellearecommencéhiersoir.Ducoup,j’aidemandéàCaitlindenepassortirdechezelleaujourd’huimaistulaconnais:ellen’arienvouluentendre.—Jenevoispasenquoicelameconcerne,objectaCase,feignantdenouveaul’indifférence.—Jesaisquetutiensàelle,répliquaRyder.Jeseraismêmeprêtàparierquetut’enveuxdelui
avoirfaitautantdemallorsquevoussortiezensemble.Casesefenditd’unsourireironique.—Bienvu,Sigmund,rétorqua-t-il,sardonique.Maisc’estvraimentl’hôpitalquisemoquedela
charité!Parcequetout lemalquej’aipuluifaireestvraimentnégligeable,comparéauxdégâtsquetut’apprêtesàcauserdanssavie…Moi,aumoins,j’aiassumécequej’étais.Jen’aijamaisfaitdepromessesquejen’étaispascapabledetenir.Peux-tuendireautant?Ryderdemeurasilencieux,frappéparlaperspicacitédontlejeunehommevenaitdefairepreuve.Car s’iln’avaitpas faitdepromessesexplicitesàCaitlin, il lui avait assez lâchement laissé le
soind’imaginercequ’ellevoulaitausujetdeleurrelation,secontentantdeprofiterdelasituationsansprendreaucunengagement.OrilsavaitpertinemmentqueCaitlinn’étaitpaslegenredefemmeàs’engageràlalégère.Si
elleavaitacceptédesortiraveclui,c’estprobablementparcequ’ellepensaitqueleurrelationavaitunavenir.Jusqu’àprésent,lui-mêmeavaitsoigneusementévitédes’interrogeràcesujet…Casetiraunelongueboufféesursacigaretteetsecouadoucementlatête.—Netefaispastropdereproches,luidit-il.L’inconstanceestdansnotrenature,aprèstout.Et
quilesaitmieuxqueCait?Ryderneréponditpas.—Alorsnevienspasmefairecroirequej’aimapartderesponsabilitédanscettehistoire,reprit
Case.Tuluiasfaitcroireàunebellehistoired’amourmais,aufondd’elle-même,ellesaitquetuneresteraspas,quecommenoustous,tuesincapabledet’engager.Celadoittellementladéprimerqu’elles’estsansdouteditqu’ellen’avaitplusrienàperdreenallanttirerlediableparlaqueue…D’unepichenette,Casepropulsa la findesacigarettesur lesol, faisantnaîtreunepetitegerbe
d’étincelles.Puisill’écrasadutalondesabotte.—Tun’arriveraspasàmefaireculpabiliser,monvieux,conclut-il.Pourlapremièrefoisdema
vie,j’ail’impressiond’êtrelemoindrededeuxmaux!SiRyderavaitécoutésoninstinct,encetinstant,ilseseraitjetésurlejeunemétamorphepourle
rouer de coups. Mais il savait que l’intensité de sa colère était proportionnelle à celle de laculpabilitéqu’iléprouvait.Ilseforçadoncàrespirerprofondémentetàdominersesémotions.— D’accord, répondit-il enfin. Nous nous sommes tous les deux mal conduits à l’égard de
Caitlin.Etnousluiavonstouslesdeuxfaitdumal.Laquestion,maintenant,c’est:comptes-tufairequelquechosepourelle?Parcequemoi,oui.— C’est toute la différence entre nous. Je suis parfaitement capable d’assumer mon rôle de
salaudetjen’aipasbesoindemeprouverquejesuisunhéros.—Cen’estpasdehérosqueCaitlinabesoin,objectaRyder.— Vraiment ? Et que comptes-tu faire, lorsque tu auras trouvé la chose qui lui en veut ?
L’envoyeraucoin?Lapriverdedessert?Parcequesij’aibiencompris,ilestquestiond’affronterundémon!—Plusieursdémons,enfait,objectaRyderavecundemi-sourire.Ilestprobablequeceluiavec
quinousnoussommesentretenusladernièrefoisestvenuavecdesamisàlui.Caselecontemplad’unairabasourdiavantdesecouerlatête.—Tu es complètement fêlé ! s’exclama-t-il.Tupenses vraiment quenous sommesde taille à
affronterça?—Non,reconnutRyderenleregardantdroitdanslesyeux.Maisjepensequenousn’avonspas
lechoixparceque,chacunànotre façon,nousaimonsCaitetquenousnevoulonspasqu’il luiarrivemalheur.—Peut-être,concédaCase.Maisjenesuispassuicidaire!Rydersefenditd’unsourireironique.—On ne le dirait pas, pourtant, remarqua-t-il. Combien de temps comptes-tu vivre, au juste,
étantdonnétouteslessaletésquetuingèresàlongueurdejournée?Casesecontentadehausserlesépaules.—Maislaquestionn’estmêmepaslà,repritRyder.Tuespeut-êtreunmétamorpheetunjunkie
maistunelaisseraisjamaistomberunamidanslebesoin.—Vraiment?Etcommentlesais-tu?—J’aiachetél’albumquetuasproduitavecRazorblade,réponditRyderenhaussantlesépaules.
Il suffit d’écouter les paroles des chansons pour comprendre que sous tes dehors cyniques etrebelles,tuesunindécrottableidéaliste…
23.
Atraverslafuméedecrackquiflottaitdanslehangar,CaitlinobservaitledémonquiavaitprispossessiondeDanny.Ilyavaitdanssafaçondesemouvoirquelquechosedeterrifiant,commesil’êtrequihabitaitcecorpsavaitdumalàs’habitueràunemorphologiequin’étaitpaslasienne.Elles’efforçadenepaspenseràcequepouvaitêtresavéritableapparence.Si lemonstrequi
l’avaitattaquéechezArmandSaint-Pierreétaitsoussonapparenced’origine,ellepréféraitévitertoutnouvelaperçudelafaunelocale.Comme s’il avait lu dans ses pensées, ce qui était peut-être le cas d’ailleurs, le démon lui
décochaunsourirequin’enétaitpasun.— Ne vous en faites pas, lui dit-il, je suis parfaitement satisfait de ce nouveau corps. Ses
pouvoirssontbeaucoupplussubtilsqueceluiduvieilhomme.Votreamidevaitêtrequelqu’undevraimentremarquable.CetteallusionàDannyéveillaenCaitlinuneprofondetristesse.Etait-ilmort,àl’heureactuelle?
Oubien se trouvait-il prisonnier de son propre cerveau, témoin impuissant de ce que le démonfaisaitdesoncorps?Cetteidéeluidonnalanausée.—Jepenseaussiqu’ilmedonnerabeaucoupplusdesatisfactionssurleplansensuel,ajoutala
créatureenlaissantglissersonregardsurlecorpsdeCaitlinquineputréprimerunfrémissementdedégoût.L’idéedesefaireviolerparcemonstrelarévoltaitetlefaitqu’ilutiliselecorpsdeDannypour
celal’emplissaitd’uneimmensetristesse.—Malheureusement,j’aibienpeurdedevoirchangerunefoisdeplusd’enveloppecorporelle,
ajoutaledémonenluicaressantdoucementlajoue.Comprenantcequ’ilavaitentête,Caitlinsentitsonsangseglacerdanssesveinestandisqueson
cœursemettaitàbattrelachamade.Leviolqueprojetait ledémonn’étaitpasphysique:cequ’ilvoulait,enréalité,c’étaitprendrepossessiond’elle.Iln’étaitpasdifficilededevinercequ’il feraitensuite : se faisantpasserpourelle, ilpourrait
pénétrer sans la moindre difficulté dans la maison desMacDonald. Là, il n’aurait aucunmal àmettreàprofitl’effetdesurprisepourassassinersesdeuxsœurs.Un mélange de terreur et de culpabilité s’insinua en elle. Car en désobéissant à Ryder, non
seulementelles’étaitfaitcapturermais,pireencore,ellerisquaitàsoncorpsdéfendantdetuersespropressœursetd’anéantirlaconceptiondupentacledeprotectionauquelellestravaillaientetsurlequelreposaittouteleurstratégiededéfense.Il était cependant trop tard pour regretter les décisions hasardeuses qu’elle avait prises. Par
contre,illuirestaitpeut-êtreunechancedecontrecarrerlesprojetsodieuxdecetêtre.Caitlinselaissaprogressivementgagnerparunedéterminationglacée:ellemourraitplutôtque
deselaisserposséder.Ledémondutsentircebrusquerevirementcarsoussesyeux,iltransformalecorpsdeDannyen
uncadavreauxchairspourrissantesd’oùémanaituneodeurputridequiluiarrachaunequintede
toux.—Croyez-vous que je vous laisseraimourir ? lui demanda cette hideuse apparition.Croyez-
vous vraiment que je vais renoncer à ce précieux sésame ? Vous êtes l’arme quime permettrad’abattrelesGardiens.Etlorsquevossœursetvousaurezdisparu,cettevilleseramienneetriennipersonnenepourrapluss’opposeràmesprojets.Surmontant la terreur qui la clouait sur place, Caitlin chercha des yeux une arme qui lui
permettraitdemettreuntermeàsonexistence.—Tenez-la!s’exclamaledémonquiavaitreprisl’apparencedeDanny.Deux des zombis qui l’avaient conduite jusque-là s’avancèrent et se saisirent de ses bras.
Comprenantqu’ellenepourrait luttercontreunadversairecapablede liredans sespensées, ellesentitunprofonddésespoirl’envahir.—Netelaissepasfaire,luisoufflal’undeszombis.Bats-toi.Reconnaissant la voix deRyder,Caitlin sentit un tressaillement d’exaltation la parcourir. Sans
chercheràcomprendrecommentilavaitpuarriverjusqu’ici,ellecommençaàsedébattredetoutessesforces.—Ne la laissez pas s’enfuir ! s’écria le démon, visiblement surpris par ce sursaut d’énergie
inattendu.Lesdeuxhommesquilatenaienttoujoursparlesbrasfirentminedelutteravecelleenprenant
soin de ne pas la blesser. Elle s’aperçut alors avec une stupeur grandissante que son secondagresseurn’étaitautrequeCase.Puis,brusquement, tousdeux se transformèrent aumême instant.Prisedans le sillagedecette
doublemétamorphose,elleeutbeaucoupdemalàcontrôlersanauséeetunmaldecrânefulgurant.Elleserenditcomptealorsqu’ellesebattaitàprésentcontredeuxautresCaitlin.Lechocqu’elle
éprouva alors faillit la faire tomber à la renverse. Certes, elle s’était souvent regardée dans unmiroir mais cette expérience était complètement différente. C’était un peu comme le fait de serencontrerenrêve:lecorpsetlevisagedecesdeuxfemmesétaientidentiquesauxsiensmaiscequilasurpritvraiment,c’étaitleurexpression.Pour la première fois, elle put se contempler telle que la voyaient les deux hommes qui
l’aimaient:belle,désirable,farouche,indomptableetvulnérableàlafois…Maiscequilafrappaleplus, c’était l’impressiondepouvoir qui émanait de ces étranges jumelles.Etait-elle vraimentaussiforte?Ecartantcettequestiondesonesprit,elleseconcentrasurcequiétaitentraindeseproduire.Les
deux autres Caitlin avaient cessé de faire semblant de se battre et toutes trois se placèrentinstinctivement dos à dos en triangle de façon à pouvoir se défendre contre n’importe queladversaire.—Attrapez-la!ordonnadenouveauledémon.Mais les autreszombisdemeurèrent immobiles, sedemandant sansdoute laquelledeces trois
femmesilsétaientcenséscapturer.— Et maintenant ? demanda Caitlin-Case d’une voix ironique. Que propose notre brillant
stratège?—Nousnousdébarrassonsd’abordduchef,réponditRyder-Caitlin.Donnez-moivosmains.
—Neletuepas,jet’enprie,supplialavéritableCaitlin.Caitlin-Ryderhochalatêteet luiprit lebrastandisqueCaitlin-Casefaisaitdemêmedel’autre
côté.ToustroisformaientàprésentunpentaclevivantquipermettraitàRyderdepuiserdansleursréservespsychiquess’ilenavaitbesoin.—Esprit de perdition, s’exclama-t-il avec la voix deCaitlin, qui que tu sois, je t’ordonne de
m’écouteretdem’obéir!Malgrémesimpuretésetmesimperfections,voisenmoilemessagerdelalumière.Etjetesommedeneplustoucherniàceuxquilaserventniauxtémoinsinnocents!Tuesliéparmesparoles!Ecoutemonmessage!Quodperditumest,invenieturTeimplor,Doamne,nuignoraaceastarugaminte.Nicimort,nicial fiintei…Lasorbitasafievasulcare-ivatransporta,sufletullael.Asasafie!Asasafie!Acum!Acum!Caitlinsentaitàprésentl’énergiemagiquequiémanaitdeRyder.Ilserépandaitenelle,lafaisant
frissonner convulsivement. Jamais jusqu’à présent elle n’avait imaginé qu’il puisse détenir unetellepuissancemaisilétaitévidentquesamaîtrisedesmotsdepouvoirétaitaumoinsaussigrandequecelledeDanny.Unefoisdeplus,elleavaitéténaïvedesous-estimerunhommequivivaitdepuisplusdedeux
centsansetavaitpassélamajeurepartiedecetempsàpourchasseràtraverslemondedesdémonscommeceluiauquelilsétaientconfrontés.—Jetebannis,espritdéchu,reprit-ilalors.Etjebannisavectoitouteslescréaturesdesténèbres
et tous les spectres infernaux qui te servent ! Partez d’ici, je vous l’ordonne ! Entends-moi ettremble, corrupteur des vivants, fléau du bien, ennemi de la justice, source de toute chosemauvaise!Les zombis qui s’étaient regroupés autour d’eux commencèrent à reculer en gémissant tandis
que lecorpsdeDannysemblaitàprésentparcourudevaguesqui roulaientsoussapeaucommeunemassedeserpentsdevenusfous.EtRyderpoursuivitsalitanie,puisantàprésentl’énergiedeCaseetdeCaitlinqu’ilmêlaitàla
siennedefaçonàrenforcersonincantation.— Tu es coupable devant l’humanité. Tu es coupable devant chacun des peuples de l’ombre.
CoupableaussidevantleslégionsdelalumièreetdevantlaDéesse!Voiletaface,transgresseur,séducteur,pourvoyeurdemensonges,pèredetouteslesperversionsetdetouslesvices!Détourne-toi, engeance infâme, créature des abysses. Je te bannis dans les ténèbres extérieures où je tecondamneàerrerpourmillefoismilleans.CaitlinetCasereprirentàl’unissonlemantraquiconcluaitcettelitanie.— Je te bannis dans les ténèbres extérieures où je te condamne à errer pourmille foismille
ans…LecorpsdeDannyfutprisdeviolents soubresautscommesi l’entitéqui l’habitait cherchait à
échapperàcetteenveloppedevenueprison.— Je te bannis dans les ténèbres extérieures où je te condamne à errer pourmille foismille
ans…Lescorpsdeszombiss’affaissèrentmollementtandisquelesmouvementsdeDannysefaisaient
deplusenplusspasmodiques,deplusenplusviolents.— Je te bannis dans les ténèbres extérieures où je te condamne à errer pourmille foismille
ans…Caitlin s’aperçut alors que quelque chose clochait : sous leurs yeux, le démon reprenait
inexorablementlecontrôledececorpsquineluiappartenaitpas.Brandissantunpoingtremblantdansleurdirection,illeurdécochaunsourirehideux.—Jesuistoujourslà,messager!articula-t-ild’unevoixcaverneuse.Etc’esttoiquivasmourir!Caitlin comprit soudain qu’ils ne parviendraient pas à vaincre leur adversaire sans aide
extérieure.—Danny!s’exclama-t-elle.Ilfautquetutebattesavecnous.Ilfautquetulerepousses.TandisqueRyderetCasepoursuivaientleurincantation,Caitlincontinuaàencouragersonami.—Danny,aide-nous!Nousn’yarriveronspassanstoi!— Je te bannis dans les ténèbres extérieures où je te condamne à errer pourmille foismille
ans…Brusquement,ledémonrenversalatêteenarrièreetpoussaunhurlementdéchirant.Caitlinsentit
distinctementunequatrièmeforcequisejoignaitauxleurs.Ledémonsedébattit,frappantcecorpsquirefusaitsoudaindeluiobéiretlerepoussaitàsontour.— Je te bannis dans les ténèbres extérieures où je te condamne à errer pourmille foismille
ans…Unnouveaucrisefitentendreet,cettefois,iln’avaitplusriend’humain.L’intensitédelarage,
delafrustrationetdelaterreurqu’iltrahissaitauraitrendufolletoutecréatureterrestre.LecorpsdeDannyvibraitàprésentcommes’ilétaitsurlepointdesedésintégrercomplètement.
Unefoisdeplus,ilrenversalatêteenarrièreetCaitlineutl’impressiond’entrevoirquelquechosequiémergeaitdelabouchedeDanny,quelquechosedepresqueimmatérielquidemeurasuspendulà,l’espaced’uninstantavantdedisparaîtredanslesténèbresextérieures.Ellen’auraitsudirecedontils’agissaitet jamaiselleneparvintàledécrire.Maisdesannées
plus tard,aucœurdelanuit, il luiarriveraitencoredeseréveillerenhurlant, lecorpsmoitedetranspiration et le souffle court, convaincue qu’une fois dans sa vie elle avait entrevu l’essencemêmeduMal.Dannys’effondraalorssurlui-mêmecommeunemarionnettedontonauraitsoudaintranchéles
fils.L’espacedequelquessecondes,unsilencedeplombrégnasurl’entrepôt.Letempsparaissaitcommesuspendu.Puisl’unedesdroguéesquiavaitassistéàlascènepoussaunhurlementdeterreuretseprécipita
verslaporteduhangar,bientôtsuiviepartousceuxquiétaientenétatdemarcher.Caitlin, Case et Ryder s’avancèrent alors vers Danny qu’ils entourèrent. Les paupières de ce
dernierpapillonnèrentets’ouvrirenttrèslentement.—Je feraispeut-êtremieuxde leverunpeu lepied,murmura-t-il pensivement en découvrant
troisCaitlinquisepenchaientsurlui.Jefaisvraimentdesrêvesbizarres,cestemps-ci…Surce,ilrefermalesyeuxetsombradansunprofondsommeil.
24.
L’après-miditouchaitàsafinlorsquelespeuplesdel’ombres’assemblèrentparpetitsgroupessur les lieuxdepouvoirquientouraientLaNouvelle-Orléans.Malgré l’inquiétudeque leuravaitinspirée la disparition de leur sœur, Fiona et Shauna avaient travaillé sans relâche, déterminantavecprécisionlesnœudsd’énergiecosmotelluriquequiformeraientlesextrémitésd’unimmensepentacledeprotection.Aprèsavoirprononcélesincantationsnécessaires,chacundecesgroupescommençaàpousser.
Ensemble,humains,lycans,métamorphesetvampiresfirentpressionmentalementpourrefoulerlemalquiavaitenvahilacitéqu’ilsaimaient.Chacunpuisaitdanslespouvoirsquiluiétaientpropres,dansl’amourqu’ilvouaitàsafamille,à
sesamisouàcettevillemerveilleusequilesavaitaccueilliscommesespropresenfants.Ettouscescourantsvenaients’ajouterlesunsauxautres,s’entremêler,serenforcerpourformer
unevagued’énergieimmensequidéferlasurlavillesouslaformed’unventsacréquibalayalesrues,emportantsursonpassagecesdémonsquiavaientcrupouvoirprendrepieddanslemondematériel.Ceventpurificateur lesentraîna loindeLaNouvelle-Orléans, franchissant la finebarrièrequi
séparaitlesdeuxmondesencejourdeSamainpourlesramenersurleplanastralqu’ilsn’auraientjamaisdûquitter.Alimentépar l’attachement farouchedespeuplesde l’ombrepour leurcitébien-aimée, levent
souffladurantprèsdetroisheures.Etl’onditqu’ilemportabienplusquelesdémonsquiétaientapparuscejour-là.Lors des semaines qui suivirent, La Nouvelle-Orléans connut un étrange âge d’or. Le crime
semblaitavoirdisparudesruesdelavilleetilyrégnaitunesurprenanteimpressiondecalmeetdesérénité. Les mariages se multiplièrent. Nombre de personnes trouvèrent la foi. Le nombre desuicidesetdemortsparoverdoses’effondramystérieusement.Biensûr,cetétrangeprintempsdenovembrenedurapasetlaréalitéreprittrèsvitesesdroits.Aprèsavoirbannilemalquiinfestaitleurcité,lespeuplesdel’ombreentreprirentd’érigerune
barrièrepourlaprotégerdetoutenouvelletentativedelapartdesdémons.Enchacundesnœudsdepouvoiroùilss’étaientréunis,ilscréèrentunautelqu’ilsconsacrèrentauxforcesdubienetdelalumièreauxquelleschacuncroyait.Ilsleschargèrentenénergiemagiqueetlesalignèrentdefaçonàcequ’ilspuissentseressourcer
dans les courants d’énergie cosmotellurique sur lesquels ils étaient bâtis. Ils formaient ainsi unpuissantcercledeprotectionquiétendaitsoninfluenceàtoutelarégionetlapréserveraitdetouteattaqueastrale.Puis tous les groupes qui avaient participé à cette double cérémonie se regroupèrent sur une
propriétéquepossédaitDavidDuLacdanslebayou.Là,ilscélébrèrentensembleleurvictoiresurles ténèbres, oubliant pour un soir les dissensions et les querelles qui avaient si souvent faillicauserleurperte.
***
En quittant l’entrepôt,Case etCaitlin avaient emmenéDanny chez lesMacDonald et l’avaientinstallédans l’unedeschambresd’amispourqu’ilpuissese reposeret reprendre tranquillementsesforces.Samidha, lemédecinqui s’était égalementoccupéd’Armand, s’étaitdéclarée trèsoptimisteau
sujetdujeunemétamorphe.Ellesemblaitmêmedécidéeàprofiterdesontraitementpourlesevrerd’uncertainnombredesubstances.Pendant ce temps, Ryder avait conduit Jagger et une poignée de policiers et de secouristes
jusqu’àl’entrepôtoùCaitlinavaitétéretenueenotage.Là,ilsavaientprisenchargelestouristesdéboussolésqui s’étaient réveillésde leurpossessionaubeaumilieud’unhangarhabitépardesfumeursdecrack.Ces derniers pour la plupart étaient pris en charge par les services sociaux de la ville. Fort
heureusement, personne n’accordait beaucoup de crédit à leur étrange récit peuplé de démonscapablesdechangerdeformeetdetripléesdotéesdeformidablespouvoirsmagiques.Puis Jagger et Ryder étaient rentrés chez les MacDonald où Fiona et Shauna achevaient de
coordonnerlacérémonierituellegrâceàleurstéléphonesportables.TousavaientdécidéensuitedeserendreàlafêteorganiséeparDavid.Aucoursdelasoirée,RyderallatrouverCasequiétaitassisunpeuàl’écartetfumaitcigarette
sur cigarette en sirotant une cannette de bière.Craignant que le jeunemétamorphe ne prenne lafuite,Ryderpritsoindemaintenirunecertainedistanceentreeux.—Nousavonsfaitdubonboulot,aujourd’hui,luidit-il.Case lui jetaunregardétonné,commes’ilnes’étaitpasattenduàcequequelqu’unviennelui
adresserlaparole.—Ouais,marmonna-t-il.Ryder avala une gorgée de bière et contempla les lumières de LaNouvelle-Orléans que l’on
discernaitauloin.— Evidemment, aucune magie ne dure éternellement, remarqua-t-il. Et ces salopards sont
patients.Ilsattendentdéjàquenousbaissionslagarde.Alors,ilsessaierontderecommencer…—Tudis«nous»commesitucomptaisresterlà,remarquaCase.Tuasdoncdécidédeprendre
racine?—Disonsplutôtque j’ai retrouvémes racines, réponditRyder.C’est icique jevivais lorsque
j’avaistonâge.—LaNouvelle-Orléans…,murmuraCaseavecunsourireàlafoismélancoliqueetironique.On
ditqueceuxquiysontnésyreviennenttoujours.—Ettoi?Tucomptesresterici?Casehaussalesépaules.—Oùvoudrais-tuquej’aille?—Oùtuveux.Tuesjeune,tueslibreettuasénormémentdetalent.Etjeneparlepasquedela
musique. Avec les dons que tu possèdes, tu peux vraiment façonner ton existence comme tu
l’entendsaulieudetelaisservivre…Toutenprononçantcesmots,Ryderneputs’empêcherderepenseràcequ’ilavaitéprouvéle
jouroùsonmentorluiavaittenucediscourspourlapremièrefois.Casedevaitêtreentraindeleprendrepourunvieuxcon.Paradoxalement,iltrouvaitl’idéeréjouissantecarcelasignifiaitqu’ilallaitenfinpouvoirrendre
unpeudecequ’onluiavaitdonné.—Jenememêlepasdetesaffaires,réponditCase.Alorslaisse-moim’occuperdesmiennes.—Mêmesiellestemènentdroitverslatombe?—Qu’est-cequecelapeutbientefaire?—Amoi?Pasgrand-chose.MaisCaitlint’aimebienetjesuissûrqu’elleseraittristededevoir
assisteràtonenterrement.Jepréféreraisluiéviterça.—Etcommentcomptes-tut’yprendre?ironisaCase.—C’esttrèssimple.Accorde-moisixsemaines.Jenetedemandequ’unmoisetdemidetavie
pourtemontrercertaineschosesquemonmaîtrem’aappriseslorsquej’avaisàpeuprèstonâge.—Legenredechosesquit’ontpermisderenvoyercedémondanslesténèbresextérieures?—Entreautres.Tun’as riend’autreàperdrequ’unpeude temps.Si tun’aimespasceque tu
verras,tun’aurasqu’àmedirequ’enfindecompte,tun’espasintéressé…Caseluijetaunregardàlafoisamuséetintrigué.—Serais-tuentraind’essayerdesauvermonâme?luidemanda-t-il.—Tapeau,plutôt,réponditRyder.Quantàtonâme,c’esttonproblème,paslemien.Lesdeuxhommess’observèrentlonguement.—Jevaisyréfléchir,déclaraenfinCase.Ryderhochalatête.Case se transforma alors en faucon et s’envola à tire-d’aile en direction de la ville.Ryder le
suivit des yeux en souriant. Le jeune métamorphe ne se doutait certainement pas de ce quil’attendait. Au cours des six semaines que durerait son initiation, il regretterait souvent d’avoiracceptésaproposition.Maisl’illuminationnes’obtenaitpassansquelquessacrifices…
***
Caitlinétaitassiseàl’unedestablesdeboisquientouraientlapistededanseetelleregardaitsesdeuxsœurstenterd’initierMateasGrenardauxdansestraditionnellescajuns.LascènenemanquaitpasdeseletFionaetShaunariaientàgorgedéployée.Caitlin était heureusede lesvoir si joyeuses après les épreuvesqu’ellesvenaientde traverser.
Comme tous ceux qui se trouvaient là ce soir-là, elle-même éprouvait un profond sentiment desatisfaction,lacertituded’avoirœuvrépourletriomphedubienetdelalumièredansunmondeoùlesténèbresl’emportaientsisouvent.
En renforçant leur cité, les peuples de l’ombre avaient également renforcé les liens qui lesunissaientetlapaixquelesparentsdestroisfillesavaientpayéedeleursang.Etpourtant,malgrétoutescesraisonsqu’elleavaitdeseréjouir,Caitlinavaitdumalàretenirses
larmes.Carellesavaitque la tacheques’était fixéeRyderenvenantàLaNouvelle-Orléansétaitdésormaisaccomplieetqu’ilnetarderaitpasàpartirversdenouveauxhorizons.Bien sûr, elle avait toujours su que les choses se termineraient de cette façon. Mais jusqu’à
présent,ellen’avaitpaseuletempsderéfléchiràcequecelasignifieraitréellementpourelle.Pourtant,depuisqu’elleavaitlaisséRyderattendreJaggerdanslehangaroùilsavaientdéfaitle
démon,ellen’avaitcessédepenseràl’imminencedeleurséparation.Etcettesimpleidéelarendaitmalade.Celaparaissaitabsurde,biensûr.Aprèstout,elleneconnaissaitRyderquedepuisquelquesjours
etilsn’avaientpasséquedeuxnuitsensemble.Maisils’étaitpasséentreeuxtantdechosesqu’elleavaitl’impressiondeleconnaîtredepuistoujours.Commeelles’efforçaitdeseconvaincrequel’onnemouraitpasd’unepeinedecœur,ellevit
Ryders’avancerverselleensouriantetsentitsoncœursedéchirer.Ilvints’asseoiràcôtéd’elleàchevalsurlebancetpritdoucementl’unedesesmainsentrelessiennes.—Félicitations,Gardien, luidit-il en la regardantdroitdans lesyeux.Sinous sommes ici ce
soiretquelavilleestsauve,c’estengrandepartiegrâceàtoi.Tesparentsseraientfiersdevoustrois,aujourd’hui.—Merci,luidit-elle,luttantcontrel’émotionquimenaçaitdeluifaireperdretoussesmoyens.—J’aitoujourssuquetuseraisàlahauteur.Net’ai-jepasditquetuétaisdouée,lapremièrefois
quejesuisvenutevoiràlaboutique?— Si, répondit-elle d’un ton qu’elle voulait léger. Mais tu n’avais pas l’air complètement
convaincu.—Jelesuis,àprésent.En silence, ils regardèrent les couples qui évoluaient sur la piste de danse. Shauna dansait
toujoursavecGrenardmaisFionaavaitétéenlevéeparJaggerqui,toutendansant,necessaitdeluivolerdesbaisers.—Alors?luidemandaRyder.Tuledétestestoujoursautant?—Jagger?Non.Aufond,iln’estpassimal…pourunvampire.Caitlins’éclaircitlégèrementlagorgeavantdeposerlaquestionquiluibrûlaitleslèvres.—Quandcomptes-tupartir?parvint-elleàarticulersansmêmeoserleregarder.Ildemeurasilencieuxdurantsi longtempsqu’elle finitpar tourner la têtevers lui. Ilne l’avait
apparemmentpasquittéedesyeuxetellefutfrappéedepleinfouetparl’intensitédesonregard.— A vrai dire, répondit-il enfin, je pensais rester quelque temps à La Nouvelle-Orléans,
répondit-il.—Combiendetemps?Lesourirequ’illuidécochaétaitpresquepenaud.—Tantquetuvoudrasbiendemoi,enfait.Ellelecontemplad’unairincrédule,sedemandants’ils’agissaitd’uneplaisanteriecruelle.Mais
il paraissait aussi sérieux qu’impatient d’entendre sa réponse. Et pour la première fois depuisqu’elleleconnaissait,ellecrutliredelapeurdanssonregard.Ilparaissaitmêmeterrifiéàl’idéequ’ellepuisselerepousser.Trop émue pour articuler lemoindremot, Caitlin se serra contre lui de toutes ses forces. Et
lorsqu’ellesentitsesbrasserefermersurelle,ellecompritquetousdeuxavaientenfintrouvéleurplaceencemonde.
top related