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L’ETAT D’ETRE DU THERAPEUTE DANS LA
PRATIQUE OSTEOPATHIQUE
La présence
Mémoire en vue de l’obtention du Diplôme en Ostéopathie
Soutenu le 29 septembre 2007 à Lognes Maître de mémoire : Hug VERBE Pierre LARCHEVEQUE
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REMERCIEMENTS
Je tiens tout d’abord à remercier Hug Verbe pour l’aide et le soutien qu’elle m’a apporté tout au long de ce travail.
Merci également à Pierre Tricot de m’avoir suggéré cette idée, d’avoir mis à ma disposition les traductions des textes de Rollin Becker, Viola Frymann et Hugh Milne ; merci enfin pour son aide, ses conseils et son enseignement.
Merci à Guillaume Brard pour sa traduction de l’ouvrage de Hugh Milne, pour
ses conseils avisés, merci.
Merci à Alain Andrieux, Jean-Marie Benmussa, Thierry Chatel, Bruno Conjeaud, Gilles DeCoux, Marie Fourmont, Jean-Hervé Frances, Fabienne Glock, Florence Hélary-Guillard, Dominique Jacquin, Hélène d’Hennezel, François Laurent, Gilles Vanneau et Jean Vergnaud d’avoir accepté de répondre à mon questionnaire ; merci pour la confiance, la disponibilité, et la sincérité dont ils ont fait preuve. Merci aussi pour cette bouffée d’Amour qui émanait parfois de leurs propos.
Enfin, merci à Isa, Co et JM, et Manu pour leurs nombreuses relectures, leurs conseils, leur soutien et leur présence…
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SOMMAIRE
1. INTRODUCTION
2. RESUME
3. CONCEPTS ET APPLICATIONS
3.1. William Garner Sutherland
3.2. Rollin E. Becker
3.3. Harold Ives Magoun 3.4. Viola Frymann 3.5. Pierre Tricot
3.6. Hugh Milne 3.7. Thierry Dubois & Philippe Hansroul
3.8. Une lecture par l’approche scientifique 3.9. Pour conclure
4. LA PRATIQUE DES OSTEOPATHES : Entretiens
4.1. à 4.14. Entretiens 4.15. Réflexions sur les entretiens
5. COMMENT EDUQUER LA PRESENCE ?
5.1. Les pistes de Pierre Tricot 5.2. Méthode Vittoz 5.3. La voie de l’exercice – Karlfried Graf Dürckheim
6. CONCLUSION 7. TABLE DES MATIERES ANNEXES
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1. INTRODUCTION
La mise en pratique des techniques ostéopathiques permet à l’étudiant, lors de
l’apprentissage, d’avancer vers une maîtrise technique, mais est aussi l’occasion de
découvrir des perceptions nouvelles, inattendues. Un questionnement naît alors sur le
crédit que l’on peut accorder à ces dernières, qui diffèrent parfois des sensations telles
qu’elles sont référencées. Ces informations nouvelles proviennent-elles du système
corporel du patient ou sont-elles créées d’une quelconque façon par le praticien ?
Les perceptions ne sont bien sûr pas le seul paramètre conditionnant la réussite
thérapeutique. D’autres éléments entrent en jeu : la maîtrise d’une technique, l’ « état »
des tissus du patient (toxines, stress…), ce que le patient propose au travail, ce qu’il
accepte de découvrir…
Néanmoins, il semble évident que l’état dans lequel se trouve le praticien influe
sur les techniques employées, que la relation entre thérapeute et patient, que la
compréhension par le thérapeute du cas du patient et la dynamique de transfert et
contre-transfert entre patient et thérapeute ont également une incidence sur l’issue du
traitement.
Ainsi, la rencontre avec des praticiens qui ont développé des qualités
perceptives très fines en faisant appel à la fois à leurs sensations, à leur intuition m’a
permis d’entrevoir une interaction entre le faire et l’être, entre l’exécution de
techniques et la manière d’être du thérapeute. Recherchant ce qui avait été publié dans
la littérature ostéopathique sur cet état d’être, il m’est alors apparu que des ostéopathes
parlaient d’une manière d’être là particulière en modélisant un concept de présence et
que celle-ci paraissait avoir un rôle essentiel aussi bien dans la perception que dans la
qualité de la relation thérapeutique.
Cette notion est plus souvent évoquée comme quelque chose allant de soi. Elle
est souvent présentée comme une évidence qui s’impose. Le thérapeute débutant est
alors confronté à une injonction paradoxale (« sois détendu, sois présent… »), sans que
soient précisées les conditions nécessaires à sa mise en place.
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L’objectif de ce mémoire est de tenter de comprendre ce qu’est la présence,
quelle place elle occupe et ce qu’elle peut apporter dans la pratique. Il analysera
comment les ostéopathes l’ont modélisée et quelle application en fait chacun.
Mais aussi, il semble essentiel de cerner les moyens de mettre en place et
d’exercer cette disponibilité, cette écoute perceptive. Quels sont-ils et quelle place est-il
possible de leur réserver dans le cursus de formation ostéopathique ?
La première partie du mémoire est consacrée à l’étude bibliographique de la
modélisation de la présence qu’ont faite des ostéopathes de référence comme William
Garner Sutherland, Rollin Becker, Harold Ives Magoun, Viola Frymann, Pierre Tricot,
Hugh Milne, Thierry Dubois et Philippe Hansroul. Chacune de ces modélisations
n’emploie pas systématiquement le terme de présence ; toutefois de nombreux points
communs semblent les rapprocher et choisir un terme unique m’a paru plus facile pour
rendre compte de la description de chacun. Ainsi, le terme d’ « état de présence »
regroupera l’ensemble des états particuliers dans lesquels s’immergent les thérapeutes
lors des séances de soins.
La seconde partie est constituée d’un recueil de quatorze entretiens réalisés dans le but
de comprendre quelle est la mise en pratique du concept de présence faite par les
praticiens eux-mêmes dans le quotidien de leur cabinet
Enfin, la troisième et dernière partie analyse quelques démarches susceptibles de
développer et d’exercer cet état de présence. Elle répertorie des exercices pouvant
permettre d’aider le thérapeute à améliorer la qualité de sa présence. Les approches
étudiées sont celles de Pierre Tricot, Roger Vittoz et Karlfried Graf Dürckheim.
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2. RESUME
Devant un questionnement sur les moyens d’amélioration de l’efficacité
thérapeutique dans la pratique ostéopathique (autres que purement techniques), il est
apparu que la manière d’être là du thérapeute joue un rôle important dans l’issue du
traitement. La Présence du thérapeute influe sur plusieurs niveaux : elle lui permet de
s’ouvrir à un domaine perceptif plus large et de créer un climat de confiance et de
sécurité dans la relation thérapeutique.
L’objectif de ce mémoire, au travers de publications relatives à ce sujet et d’entretiens
avec des ostéopathes, est d’analyser ce qu’est la Présence dans la pratique
ostéopathique et quels sont les moyens dont le thérapeute dispose pour la développer.
Mots-clés : Ostéopathie, Présence, Centrage, R.E. Becker, P. Tricot
ABSTRACT
Wondering about the means of improving the therapeutic efficiency (other than
technical ones) in osteopathic practice, the way of being “here and then” of the
practitioner seems to play a major role in the treatment issue. The Presence of the
practitioner has an influence upon several levels: it allows to open one’s mind to a
wider field of perceptions and to establish an atmosphere of confidence and security in
the therapeutic relationship.
The aim of this work, through publications about this subject and talks with
different osteopaths, is to analyse what the presence is in concrete terms in the
osteopathic practice and how practitioners can develop it.
Keywords: Osteopathy, Presence, Focusing, R.E. Becker, P. Tricot.
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3. CONCEPTS ET APPLICATIONS
Cette partie est consacrée à l’étude de la modélisation de la présence qu’ont
publiée des ostéopathes de « référence », ainsi qu’à une lecture possible par l’approche
scientifique. Sont exposés pour chacune des approches, modèle théorique et application
concrète. L’ordre chronologique a été privilégié.
3.1. W.G. Sutherland
William Garner Sutherland (1873-1954) a conceptualisé les fondements du
Mécanisme Respiratoire Primaire et a ensuite consacré sa vie à tenter de répandre son
concept crânien.
W.G. Sutherland n’a pas ou très peu laissé d’écrits sur l’état que doit adopter
l’ostéopathe lorsqu’il dispense ses soins. Les seules allusions à ce sujet proviennent de
citations ou de retranscriptions de conférences. On peut penser que la priorité de
l’époque concernait plutôt la description et l’explication du Mécanisme Respiratoire
Primaire, et sa reconnaissance auprès de la communauté scientifique. Néanmoins, dans
le texte ‘les doigts qui pensent’, Adah Sutherland, sa femme, décrit des moments où son
mari semblait se plonger dans une sorte de méditation :
« Plusieurs fois par jour, il se mettait dans ce qu’il appelait un « moment de silence »,
temps de calme sans activité apparente. Il faisait cela avec la plus grande simplicité et
le plus grand naturel. C’est à partir de ces oasis de contemplation que surgirent les
raisonnements et les résultats les plus fructueux. C’est pourquoi il disait avec la plus
grande sincérité : « la réflexion crânienne n’est pas la mienne. » Il aimait cette
phrase : « Ecouter le silence » et utilisait l’analogie du compositeur qui fait usage
avisé des silences autant que des sons – les « silences communicatifs ». Deux
aphorismes lui servaient à nourrir ses ressources intérieures : « Be still and know » et
« Closer is He than breathing ». Lorsqu’arriva le moment d’enseigner, il s’y référa
avec un naturel non affecté parce qu’elles faisaient partie intégrante de sa philosophie
et de sa vie quotidienne. Le Dr Sutherland ne suivait aucune voie connue, mais il en
suivait une ! » (Sutherland, 2002, 82)
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Il apparaît donc qu’il éprouvait le besoin de se recueillir en lui-même, d’« écouter le
silence », pour accéder à un état de conscience l’ouvrant sur un champ de connaissance
plus vaste. Il semble que Sutherland ait tenté de modéliser ce qu’il contactait lors de ces
moments, en reconnaissant une Puissance Supérieure, transcendante, qu’il nomme
‘Créateur’ ou ‘Grand Architecte’ :
« Plus proche de moi qu’un souffle est le Créateur du mécanisme crânien... Plus proche
du patient est le Créateur de son mécanisme crânien… Mes doigts qui pensent, sentent,
voient et savent sont guidés intelligemment par le Grand Architecte qui a conçu ce
mécanisme. L’interprétation que j’en donne importe peu, pourvu que mon trolley
mental demeure en contact avec le Fil. » (Becker, 1997, 38)
Rollin Becker rapporte également ces propos: « J’ai souvent dit que nous avions perdu
une notion en ostéopathie que le Dr Still avait essayé de transmettre : la part du
Spirituel qu’il incluait dans la science ostéopathique. » (Becker, 1997, 25.) Et
s’adressant à un groupe de proches élèves : « Dans un patient, trouvez d’abord le
fulcrum spirituel » (Becker, 2000, 231)
« Vous remontez à la Cause » disait le Dr Sutherland, et il poursuivait : « Si vous
comprenez le mécanisme, votre technique est simple. » Réfléchissez un instant aux
nombreuses implications découlant, pour le praticien, de ces deux affirmations.
(…) Quelle profonde perspicacité dans ces quelques mots : « Si vous avez compris le
mécanisme ». Ils résument tout ce dont nous avons parlé. Le praticien se doit d’avoir
une conscience clairvoyante du Créateur présent en lui-même et chez son patient. »
(Becker, 1997, 34-35)
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3.2. Rollin Becker : Le Partenaire Silencieux
Rollin E. Becker D.O. (1910-1996) fût l’un des plus proches élèves de W.G.
Sutherland et fit partie de son équipe enseignante. Tout au long de sa vie, il pratiqua
l’ostéopathie en cherchant à comprendre et approfondir les concepts édictés par W.G.
Sutherland.
3.2.1. Le Partenaire Silencieux
Rollin Becker voit dans le système corporel de chaque être, des forces de Vie
naturelles, autorégulatrices et physiologiques, s’exprimant par le mécanisme crânio-
sacré, puis s’étendant à l’ensemble du corps. Il leur donne le nom de forces bio
dynamiques. Autocorrectives et involontaires, elles oeuvrent pour la Santé au sein de
l’organisme. Et Rollin Becker voit dans ce qui se manifeste par l’involontaire, l’origine
de la vie et de la santé. Ces forces sont, chez chacun, identiques : celles du thérapeute
sont exactement les mêmes que celles du patient. Elles s’organisent et circulent autour
et au travers d’un Fulcrum (d’un point d’appui), que R. Becker nomme le ‘Partenaire
Silencieux’. C’est en fait Le point d’appui. Il est pur potentiel : c’est-à-dire qu’il est
totalement immobile tout en étant à la source de toute énergie et tout mouvement. C’est
dans son immobilité que se trouve la Puissance. Pour expliquer cette notion, Rollin
Becker propose l’image du cyclone : l’œil de l’ouragan est une zone calme, que l’on
pourrait même qualifier d’immobile au regard des vents violents qui soufflent à sa
périphérie. Dans cette zone, il n’y a pas de mouvements et pourtant, elle est la source de
la puissance des vents qui se déchaînent autour d’elle. Le Partenaire Silencieux est cet
œil ; il est immobile mais n‘est pas figé. Il a en son sein la puissance des vents…C’est
d’ailleurs, selon R. Becker, la seule source de Puissance qui existe ; c’est la Cause.
Rollin Becker dit : « c’est », et dans son approche, le travail de présence consiste à
l’accepter comme étant, et à s’en remettre à lui pour le traitement des patients. Ce
modèle de la présence implique d’accepter l’existence d’un médecin intérieur, un
‘maître mécanicien’, en qui résideraient toutes les ressources dont l’individu a besoin
pour sa santé. « Je peux entrer en contact avec mon médecin inhérent et avec les
médecins au sein des patients et apprendre à me taire et à écouter. À mon avis, le
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patient est le seul professeur. La science de l’ostéopathie et la physiologie corporelle
du patient sont les professeurs, et je suis un étudiant. » (Becker, 1997, 144). Le travail
consiste donc à s’accorder et s’abandonner à cette puissance, ce mécanisme et de le
suivre dans son processus d’autorégulation.
Rollin Becker affirme qu’il ne peut dire ce qu’est le Partenaire Silencieux oeuvrant en
chacun de nous : il est, dit-il, plus facile de l’expérimenter que de parler de sa nature. Il
en dit cependant ceci : « C’est le pur « Je » représentant qui je suis réellement. »
(Becker, 2000, 35) Jacques Andréva Duval donne cette définition : « selon Rollin
Becker, le Partenaire Silencieux représente l’individualisation du Divin en chacun de
nous. Le Partenaire Silencieux n’a pas d’ego, pas de ‘personnalité’, mais il a une
« individualité ». « L’individualité » est une manifestation locale de la totalité. »
(Becker, 2000, 234)
Le potentiel inhérent qui résulte du Partenaire Silencieux, se manifeste par la Santé.
C’est pourquoi R. Becker invite le thérapeute à se tourner vers lui. Il conseille de ne pas
se focaliser sur les problèmes, mais vers la santé : la santé est maintenant, dit-il (Becker,
1997, 247). Selon lui (et il s’inspire là de Still), tout système vivant est fait pour
exprimer la santé. C’est son mécanisme de base. De plus, il affirme que la maladie n’est
pas le problème, mais qu ‘elle n’est qu’un effet. Avec son raisonnement, le plus logique
paraît être de contacter la source de santé (le Partenaire Silencieux) et de lui permettre
de s’exprimer pleinement au sein de la physiologie corporelle du patient.
3.2.2. Fulcrums
Un fulcrum est un point d’appui. Il détient en son sein l’immobilité et la
puissance. L’immobilité n’est pas rigide, froide, sans puissance. Au contraire, elle est
fluctuante, elle « balance ». J. A. Duval compare une barre fixe à une eau calme,
immobile ; une foule humaine importante peut être immobile sans pour autant être
figée. De même, le visage de la Joconde n’est pas fixe mais immobile. C’est en
l’immobilité que réside la Puissance du mouvement. Et Rollin Becker citant W. G.
Sutherland : « Le Dr Sutherland nous a appris que pour être efficace, une force motrice
doit s’appliquer près du point d’appui d’un levier et non à son extrémité. » (Becker,
1997, 29)
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Pour expliquer l’importance pour le thérapeute d’« être » fulcrum, R. Becker déclare
qu’en restant à la périphérie, le praticien ne sera qu’aspergé, fouetté par le souffle de
l’ouragan. Or s’il parvient à aller directement au centre « et s’il porte les bonnes
lunettes », il aura une vision claire et pourra discerner le schéma du malade (Becker,
2000, 122). Le thérapeute doit se tenir immobile et tenter de rejoindre un fulcrum plus
élevé : un point à partir duquel sa vision sera plus claire. C’est cela que R. Becker
affirme lorsqu’il dit que le thérapeute doit rejoindre son Partenaire Silencieux. Le
praticien contacte l’immobilité et la puissance en lui-même et peut alors constituer un
fulcrum stable pour le patient. Il doit être fulcrum avec tout son corps.
Plusieurs types de points d’appui sont mis en place dans cette approche : des points
d’appui physiques et spirituel:
• Fulcrums matériels
1. Celui du thérapeute qui place ses mains sous le corps du malade et se sert de ses
coudes comme points d’appui. J. A. Duval parle également du point d’appui-contact :
c’est le contact entre les mains du thérapeute et les tissus des patients. La physiologie
corporelle du patient se sert immédiatement de la puissance disponible dans ces
fulcrums, pour entamer ses processus d’autorégulation, et parvenir à un still point
intérieur (fulcrum des fulcrums).
2. Le point d’équilibre atteint à l’intérieur du corps du malade et provoqué par le
point d’appui-contact du praticien et le fulcrum de ses coudes par exemple. Rollin
Becker compare ce fulcrum à celui qui apparaît lorsque l’on imprime des vibrations à
un verre d’eau. Sa recherche est l’objectif du traitement : amener la physiologie
corporelle à un point d’équilibre. Et c’est, selon lui, à ce moment, lorsque cet équilibre
est atteint, que le processus de transmutation peut se produire : les schémas lésionnels
vont se dissoudre et le malade retrouver la santé. C’est le principe de guérison
qu’emploient les forces de santé oeuvrant en chaque être vivant.
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• Fulcrum immatériel
C’est le Partenaire Silencieux : le fulcrum spirituel. Rollin Becker ne se servait
plus des points d’appui mécaniques en tant que tels, mais simplement comme des
outils. Il affirmait travailler à partir de son fulcrum spirituel vers celui de son patient.
Sutherland exhortait ses élèves à trouver d’abord le fulcrum spirituel chez leurs patients
(Becker, 2000, 231). Ce fulcrum, comme vu précédemment et selon J. A. Duval, est
l’individualisation de l’énergie divine. C’est en son sein que réside la tranquillité,
l’immobilité. Et Rollin Becker déclare que celle-ci ne peut être atteinte qu’à des points
fulcrums et ne peut être perçue par notre appareil sensitif classique : « En développant
mon toucher, je peux passer à un niveau supérieur. À travers le point d'immobilité du
fulcrum et la profondeur de mon contact digital, je peux développer une conscience
connaissante du potentiel inhérent et de la structure-fonction au sein des tissus du
corps du patient. Cette conscience me vient au-delà des sensations physiques de mes
cinq sens. » (Becker, 2000, 148) Et c’est pour cela, pour cette perception, qu’un autre
état doit être recherché et atteint par le thérapeute.
3.2.3. Mise en place de la présence
Dans cette mise place, Rollin Becker insiste lourdement sur la posture que doit
adopter le participant. Il fait référence à la position du lotus entier (Kekka fuza) utilisée
dans le Za-Zen (= assise en silence) : cette position amène le participant à s’asseoir sur
les tubérosités ischiatiques, la colonne vertébrale bien droite, le poids du corps reposant
sur les ischions et sur les cuisses. Assis ainsi, selon Rollin Becker, l’ensemble du
mécanisme respiratoire primaire est littéralement suspendu dans l’espace, permettant
alors à la force du mécanisme de s’exprimer pleinement et librement dans toutes ses
composantes. « Lorsqu’ils [les participants] se trouvent dans cette position, ils sont
littéralement dans un état d’auto traitement et ils font de ce mécanisme un facteur
vivant de fonction. » (Becker, 1997, 71) Il insiste également sur l’importance pour le
thérapeute de laisser aller sa respiration, de façon naturelle, sans effort conscient
A propos de ce qu’il appelle les effets physiques, émotionnels et mentaux qui
surviennent lors de ce type de travail, Rollin Becker conseille de les considérer comme
des nuages dérivant dans un ciel clair, de les laisser être, sans pour autant porter
l’attention dessus. De plus, dès que le praticien essaie de poser une image mentale sur
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le principe du Partenaire Silencieux, il perd le contact avec l’état qui s’y rapporte. « Je
n’ai aucune idée de ce qu’est ce quelque chose, et cela n’a aucune importance. Il s’agit
simplement d’identifier un mécanisme qui existe en chacun de nous et de le mettre au
travail ». (Becker, 1997, 17-18) J. A. Duval dit également: « Ne laissez pas votre
cerveau et vos mains prendre le contrôle. » (Becker, 2000, 234)
Si le thérapeute consacre une partie de son attention à essayer de poser un nom sur ces
choses que Rollin Becker nomme ‘mécanisme’, il reste à la lisière de la situation et en
conflit avec elle. (Becker, 2000, 85) Il s’agit de vivre avec ce mécanisme, en temps
réel, sans l’analyser.
• Ecoute du mécanisme involontaire
Une des premières étapes est de prendre conscience de son propre mécanisme
involontaire. Rollin Becker propose de ressentir successivement tous les composants
du mécanisme respiratoire primaire.
1 Ce travail débute par une écoute de la fluctuation du liquide céphalo-
rachidien. En fait, il importe peu de la ressentir réellement : il suffit d’être simplement
conscient de l’existence de ce liquide en tant que fluide dynamique qui fluctue de façon
rythmique, entrant et sortant de notre mécanisme crânio-sacré, selon un flux/reflux
comparable à celui de la marée de l’océan.
2 L’écoute se porte ensuite au niveau du fulcrum de Sutherland et consiste à
suivre les différents mouvements de la membrane dure-mérienne, de la faux du cerveau
jusqu’au sacrum.
3 Rollin Becker propose ensuite de regarder le système nerveux central
s’enrouler et se dérouler de façon rythmique, d’écouter l’enroulement des lobes
temporaux et pariétaux vers les lobes frontaux, « vers une sorte de point de fulcrum. »
(Becker, 1997, 70) Puis le déroulement et le mouvement du tronc cérébral et de l’axe
médullaire.
4 Il propose enfin de prendre conscience de ces trois composants qui balancent
doucement la synchondrose sphéno-basilaire vers la flexion et l’extension, les
temporaux, les pariétaux, les frontaux, et les os de la face en rotation externe/rotation
interne ; puis la traction de la dure-mère sur le sacrum et les mouvements de celui-ci
lors des flexion/extension.
Pour terminer, Rollin Becker étend le champ d’attention à tout le corps et propose de
ressentir « la totalité du mécanisme qui travaille. » (Becker, 1997, 70)
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• Contacter le Partenaire Silencieux
La présence, c’est la conscience, l’éveil au Partenaire Silencieux. Sur cette
partie du travail, R. Becker reste très évasif, si bien qu’il est difficile d’extraire de ses
propos, une mise en pratique et une méthodologie précise. Le plus simple est peut-être
d’abord de le laisser en parler :
« Accordez-vous à votre Partenaire Silencieux, puis au Partenaire Silencieux du
patient, abandonnez-vous et par ce moyen, devenez un participant au processus déjà
engagé... L’acte d’abandon en tant que participant vers le non-connu fait tout le
travail. » (Becker, 2000, 202)
« Quant à évoquer la manière dont on y recourt, je vous ai donné la meilleure réponse
possible, et lorsque je contacte le mien, je n’ai pas plus d’idée sur ce que je contacte
que sur l’homme dans la lune. Parce que si je le savais, ce ne serait plus le Partenaire
Silencieux. Cela le ferait être une partie de même nature que le monde limité ou tout ce
que notre mental peut appréhender. Je le contacte, je m’en remets à lui et c’est aussi
simple que cela. Si vous compliquez cela, vous êtes mort. Rien ne se produit. C’est tout
ce qu’il y a à faire. C’est ce qu’évoquait A. T. Still lorsqu’il parlait de Dieu, l’esprit de
la nature. C’est à cela qu’il se référait. » (Becker, 2000, 28-31)
Pour J. A. Duval, il y a fondamentalement deux choses à ‘faire’ :
1. S’abandonner
2. Apprendre à se mettre à l’écoute du Partenaire Silencieux
Rollin Becker travaille avec les forces bio dynamiques et bio cinétiques de
l’Être. Les forces bio cinétiques sont les forces pathologiques extérieures intégrées au
système; alors que les forces bio dynamiques sont les forces oeuvrant pour la Santé.
Elles sont en chacun et il faut ‘devenir elles’ le temps du traitement. « Nous devons
apprendre à travers [ce mécanisme] ; nous devons fonctionner comme il fonctionne »
(Becker, 2000, 199) Il convient donc de créer une réelle connexion entre deux Êtres,
une « coopération dynamique avec la physiologie corporelle du patient. » (Becker,
2000, 78) Pour rejoindre cet état, Rollin Becker parle alors d’abandon, d’un abandon
dynamique. S’abandonner au Partenaire Silencieux consiste à s’en remettre à une
conscience plus vaste, plus large, et à se donner à sa puissance. « Abandonnez-vous de
plus en plus haut, de plus en plus profond. » (Becker, 2000, 234) Une fois l’immobilité
reconnue en lui, le thérapeute cherche à la contacter au sein de son patient. Et alors,
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immédiatement, le praticien devient un participant, et la relation une fusion des deux
Partenaires Silencieux.
Pour Rollin Becker, l’acte d’abandon consiste également au renoncement de l’ego : le
praticien ne fait rien en tant que lui-même. Il ne doit rechercher aucun résultat. « Les
buts doivent disparaître, comme tout le reste. » (Becker, 200, 34-35) Le Dr Harakal cite
une analogie proposée par R. Becker : le patient, que le thérapeute approche pour son
traitement, est comme un ‘bateau de vie’ qui vogue depuis bien longtemps avant
l’intervention du thérapeute et qui voguera encore bien après son travail. L’intervention
du praticien consisterait à monter à bord de ce bateau et à l’aider à se sortir de quelques
mauvais bancs ou passes, de manière « qu’il ne se heurte pas trop violemment »
(Becker, 2000, 85)
« [R. Becker] indique par ailleurs clairement que le praticien doit s’abandonner
jusqu’au point d’accepter de ne pas savoir, et ce malgré toutes ses études et toutes ses
années d’expérience professionnelle. » (Tricot, 2006, 4)
Rollin Becker propose une approche plus subjective, plus profonde de la
relation médecin-patient : amener le médecin et le patient à ne devenir qu’une seule
unité :
« Le praticien est un mécanisme respiratoire primaire involontaire au sein d’une
physiologie corporelle volontaire vivante. Son patient est doté des mêmes qualités,
c’est-à-dire qu’il est un mécanisme respiratoire primaire involontaire au sein d’une
physiologie corporelle volontaire vivante. Par conséquent, la palpation devient un
échange vivant entre deux corps vivants. » (Becker, 1997, 138.)
La mise en place de paramètres de palpation prend alors tout son sens. Selon R. Becker,
le seul moyen de créer ce canal de communication est de rejoindre son Partenaire
Silencieux puis celui de son patient. C’est par ce biais que le thérapeute peut devenir
conscient de cet échange dont parle R. E. Becker. Etant participant dans cette relation,
les informations lui parviennent de façon directe et naturelle.
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3.3. Harold Ives Magoun
H.I. Magoun, D.O. a permis le développement de l’ostéopathie crânienne en
Europe : « Sur son lit de mort [W.G. Sutherland] a fait promettre à Magoun de
répandre le concept et le traitement crâniens en Europe (…) [et], fidèle à sa
promesse », Harold Magoun accompagné de V. Frymann et T. Schooley se rendit en
France afin d’y dispenser les enseignements de William Sutherland (Issartel, 1983, 95).
« Lors du traitement, l’ostéopathe qui n’arrive pas à rester détendu, aggrave la
fixation en essayant de forcer le mouvement. (…) L’ostéopathe, tout en poursuivant la
direction de moindre résistance, doit rester mentalement alerte pour utiliser le plus
intelligemment possible ses mains et physiquement en alerte pour déterminer le moment
le plus favorable pour que le relâchement se fasse. » (Magoun, 1994, 104)
H. Magoun fait état ici de l’influence de l’état d’être du thérapeute sur le
traitement. Il recommande un état qui est à la fois détente et vigilance et qui concerne
en un tout le physique et les dispositions mentales du thérapeute. Ces deux qualités
assurent la fluidité des gestes et du traitement et permettent, par une écoute attentive, de
rétablir le mouvement au sein de la physiologie corporelle du patient
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3.4. Viola M. Frymann – Compassion
Viola Frymann, diplômée en ostéopathie en 1949 (Los Angeles), a développé une
approche s’adressant préférentiellement aux enfants porteurs de problèmes complexes.
Le principe de présence est, pour elle, un préambule à toute communication.
C’est une manière d’être qui favorise la création d’une relation thérapeutique basée sur
la confiance, la sérénité et l’écoute. Viola Frymann ne décrit cependant pas de moyens
précis pour parvenir à ce type de relation. Elle propose simplement d’adopter une
attitude compatissante, empreinte d’Amour, grâce à laquelle le patient puisse
déposer une ‘partie de son fardeau’ et exprimer ses besoins profonds. Afin de pouvoir
capter la demande fondamentale du patient, le cas du thérapeute ne doit pas interférer.
Le médecin, pour connaître le patient, doit se connaître lui-même car la compréhension
qu’il a du patient est directement proportionnelle à celle qu’il a de lui-même. Le
thérapeute qui est limité dans son propre système ne pourra saisir que de façon très
limitée les informations émanant du patient. Viola Frymann avance même que le
patient ressent cela de façon inconsciente, et qu’il ne livre que des problèmes à la
portée du praticien. Le thérapeute doit apprendre à se connaître pour pouvoir créer une
harmonie avec le patient. Selon V. Frymann, la compassion est la première qualité
requise du praticien pour constituer ce climat d’harmonie. C’est elle qui crée ce pont
entre praticien et patient, et qui permet à ce dernier de pouvoir partager ses besoins
réels ; elle joue le rôle de catalyseur dans la relation thérapeutique. Viola Frymann la
définit comme étant « le fait de reconnaître les sentiments d’une autre personne et de
les partager » (Frymann, 1998, 73) Mais, toujours selon elle, cela implique également
que le praticien reconnaisse et s’investisse dans les problèmes du patient, qu’il lui offre
stabilité et sécurité. Cela ne signifie pas qu’il absorbe sa souffrance1 ou qu’il la vive
mais simplement qu’il en mesure la nature et l’intensité en la comprenant. La
compassion ne peut pas se créer artificiellement. Il paraît difficile de l’exercer. Il
s’agirait plutôt d’un mode de vie, d’un système de valeurs.
1 A ce propos, V. Frymann décrit l’existence d’une enveloppe vibratoire, entourant l’être humain, qui absorbe ou rejète tout ce qui parvient au thérapeute et qui n’est pas harmonie.
21
De plus, Viola Frymann inclut l’Amour dans la relation médecin/malade. La
Vie, « c’est l’amour vibrant selon une longueur d’ondes et une intensité définies. »
(Frymann, 1998, 114) Selon elle, le thérapeute doit fournir un mode d’expression, une
sortie à ce flux pour lui permettre d’agir au sein de la relation thérapeutique. Le rapport
praticien/patient devient un courant bidirectionnel : ce sont deux personnes qui
deviennent réellement attentives l’une à l’autre. Cette relation serait « une interaction
compatissante entre un praticien global et un patient global avec la présence
consciente du Grand Guérisseur. » (Frymann, 1998, 18) Ainsi, sur le mode de la
contagion de la maladie, elle croit à la contagion de la santé.
Dans cet état de compassion, l’intention du thérapeute pourrait se formuler telles ces
quelques phrases : « Laisse-moi partager ton problème, un problème partagé est deux
fois plus petit. Je veux t’aider à déposer ton fardeau. » (Frymann, 1998, 70) Ces
quelques phrases formulées intérieurement facilitent la mise en pratique de ces
concepts. Cette simple intention du thérapeute aide le patient à se sentir capable de
décharger son fardeau. C’est seulement en construisant une relation profonde, que peut
se créer un véritable canal de communication entre l’aidant et l’aidé. Et c’est ainsi que
le thérapeute s’ouvre à un domaine de perceptions auquel il n’a d’ordinaire pas accès.
V. Frymann compare le praticien qui doit appliquer les paramètres de palpation
pour rejoindre le monde du patient, son ‘réel’, à la personne qui souhaite monter dans
un tram déjà en route. Pour monter à bord, il lui est impératif de se synchroniser à la
vitesse du tram. « Si l’ajustement automatique fonctionne bien, vous accorderez
rapidement votre vitesse à celle du tram et vous partirez avec lui. Vous sentirez le
mouvement inhérent du véhicule quand il tournera dans les virages, vous sentirez ses
tensions s’il gravit une côte raide, ou la baisse de tensions s’il descend le long d’une
pente. Le mouvement est tout aussi actif chez le passager que dans le véhicule. »
(Frymann, in clinique ostéopathique dans le champ crânien, 2000, 61-62) Dans cette
image, elle parle des paramètres de palpation, mais il est possible d’étendre l’analogie à
l’état d’être du thérapeute : il doit en effet s’accorder au fonctionnement du patient pour
pouvoir saisir les informations nécessaires au traitement.
22
Pour endiguer ce qu’elle appelle une ‘disette spirituelle’ (condition étiologique
la plus répandue selon elle) et pouvoir soigner avec cette attitude compatissante, V.
Frymann invite les jeunes praticiens à se « mettre à l’écoute de la calme petite voix de
la sagesse intérieure » (Frymann, 1998, 18). C’est une claire invitation à la méditation
et au travail sur soi.
23
3.5. Pierre Tricot : La présence
Pierre Tricot D.O. fait partie des premiers ostéopathes français ; il a, dans les
années 70, reçu une formation par les pionniers français F. Peyralade et R. Quéguiner.
Au fil de sa pratique, il a créé le modèle de l’Approche tissulaire qu’il enseigne
aujourd’hui au sein de séminaires post-gradués.
Pierre Tricot a développé une pédagogie, une méthodologie précise afin
d’atteindre l’état de ce qu’il appelle la présence (c’est le fait d’être là, d’occuper
l’espace et le temps présents.) Le point de départ de ce travail semble avoir été les
difficultés de palpation qu’il a rencontrées au début de sa pratique, et que rencontre la
majorité des étudiants en ostéopathie. Ceux-ci peuvent parfois être troublés par le
décalage existant entre les perceptions qu’ils ressentent, et ce qu’il faut ressentir.
Sortant de la liste des sensations cataloguées, ces perceptions sont, au début, le plus
souvent invalidées.
C’est ensuite en s’interrogeant sur la variabilité des résultats de techniques selon les
praticiens, et chez un même praticien selon les jours, qu’il prît conscience de
l’importance ‘d’être là’.
Il a ainsi bâti une approche dans laquelle le fait d’être là conditionne l’efficacité du
travail du thérapeute. Son modèle considère le système corporel comme conscient,
donc communicant. Le thérapeute et le patient sont tous les deux des systèmes
conscients, communicants. P. Tricot affirme ainsi que le thérapeute, en se syntonisant
au ‘réel’ du patient, peut entretenir un véritable dialogue avec les consciences du
malade. Trouver ce réel consiste à la mise en place de différents paramètres objectifs
(densité, tension et vitesse), et subjectifs (présence, dont découlent attention et
intention). L’état de présence consiste à rechercher ce réel afin que thérapeute et
malade soient sur une même ‘longueur d’onde’. La méthodologie employée pour
rejoindre cet état est un travail de centrage du thérapeute sur lui-même, par deux
paramètres que sont enracinement et lâcher prise. Il devient alors fondamental de
comprendre en quoi, selon ce modèle, le système corporel est communicant.
24
C’est une autre façon d’aborder le corps humain : le thérapeute ne peut plus considérer
le corps humain comme un objet sur lequel agir, mais plutôt comme un sujet avec
lequel communiquer. La mise en place de la présence découle de cette compréhension.
3.5.1. Conscience
Conscience : principales propriétés
Notons tout d’abord que pour P. Tricot, la cellule peut être envisagée comme
une conscience, centrée par un fulcrum, je, et délimitée par une membrane.
La notion de conscience est indissociable de celle de Vie, d’Être. La conscience est
définie comme étant la conséquence de la décision d’être. Tout être vivant est donc
conscient. Il va ensuite tout faire pour conserver sa conscience, son état d’être. Il
cherchera sans cesse à vérifier sa sensation d’exister. Une personne plongée dans un
bain chaud et immobile depuis un certain temps, perd la sensation physique qu’elle a
d’elle-même. Le seul moyen pour elle de la retrouver, est de bouger afin de créer un
courant d’ondes sur la surface de sa peau. C’est bien lorsqu’un échange se crée entre la
conscience (la personne dans son bain) et son environnement (l’eau du bain), que la
sensation d’être peut apparaître.
Selon Pierre Tricot, la conscience va échanger de l’énergie avec son environnement.
Cette énergie est définie comme de l’information en mouvement. A l’échelle d’une
simple conscience, l’information échangée reste simple. Mais, telle une cellule du corps
humain qui se joint à d’autres pour former des tissus, organes puis organisme, la
conscience va s’agréger à d’autres pour former des systèmes, puis des systèmes de
systèmes. L’information échangée puis traitée2 devient alors de plus en plus complexe
au fur et à mesure de cette évolution. Devant la complexité de cette organisation, la
mise en place de la présence devient primordiale, comme préalable à une
communication fiable et juste : « La présence est bien entendu un préalable à toute
communication. » (Tricot, 2002, 116)
2 La cellule-conscience établit ainsi des cycles d’échanges successifs avec son environnement : elle crée autant de ‘présents’ successifs, lors desquels de l’information a été échangée et stockée. Lorsqu’elle expérimente ensuite l’instant présent, l’énergie échangée est immédiatement comparée aux informations stockées antérieurement. C’est ainsi que P. Tricot modélise le phénomène de mémoire.
25
3.5.2. Fulcrums
Un fulcrum est défini comme centre, immobile, par rapport à une périphérie en
mouvement. C’est un point d’appui. Dans ce modèle, je est le fulcrum centrant la
conscience. Les consciences s’agrègent les unes aux autres pour former des systèmes.
Ces mêmes systèmes sont eux aussi centrés par un fulcrum… et ainsi de suite jusqu’au
niveau de l’organisme qui lui, serait centré par Je, le Fulcrum de l’individu, la
Conscience. Une partie de la recherche de l’état de présence consiste à reprendre
contact avec ce Je.
Pierre Tricot citant Aivanhof, explique ainsi que le travail de présence consiste à
rejoindre le Fulcrum (Je), le centre d’un cercle : celui-ci par projection correspond au
somment d’un cône. « Du sommet, il n’y a plus d’obstacle pour le regard ; quand on
est au sommet d’une montagne, on voit tout alentour, on est donc plus lucide, (…) on se
sent paisible, dilaté, (…) on devient puissant. » (Tricot, 2002, 77)
Il existe, dans l’approche tissulaire, deux types de fulcrums : matériels ou mécaniques,
et immatériels, relatifs aux consciences. Être présent revient donc ici à rejoindre chacun
des deux types de fulcrums, et à les réunir ; l’enracinement tendant plutôt vers la
matière, le lâcher prise vers l’immatérialité, et le centrage en serait la réunion.
Fulcrums matériels : organisation mécanique
Il existe ainsi une multitude de fulcrums mécaniques, objectifs, eux-mêmes centrés par
un fulcrum, le fulcrum de Sutherland. L’enracinement permet de se relier à ces
fulcrums plutôt matériels.
Fulcrums de conscience : fulcrums spirituels
Il a précédemment été vu que la conscience détermine un espace, centré sur un fulcrum
(subjectif). Les consciences s’agrègent entre elles jusqu’à former des formes, des
systèmes. C’est la pratique du lâcher prise qui permet de se relier à ce type de fulcrums.
A cette classification, il est possible d’en juxtaposer une autre : P. Tricot décrit
des fulcrums physiologiques (intégrés au système) et des fulcrums non-physiologiques
(extérieurs, perturbateurs, importés de force dans le système, le contraignant à les
intégrer.)
26
3.5.3. « Pour communiquer, il faut trouver le réel »
Trouver le réel de l’entité consciente avec laquelle on désire communiquer,
revient à se placer sur la même longueur d’ondes qu’elle : la rejoindre dans sa propre
réalité, sur son propre terrain. C’est alors lui montrer qu’on l’accepte, telle qu’elle est.
• ‘Syntonisation’
P. Tricot prend l’exemple de deux personnes se rencontrant : avant d’entamer
un dialogue sur ‘le fond’, elles vont débuter la conversation sur un sujet qu’elles ont en
commun, leur prouvant en quelque sorte qu’elles expérimentent une seule et même
réalité. Elles vont parler de sujets banals : le temps qu’il fait, l’actualité du moment…
Une fois ‘syntonisées’, elles pourront entamer la partie de leur dialogue portant sur ‘le
fond’. Les paramètres de palpation objectifs et subjectifs sont ces préambules à la
communication.
• Paramètres subjectifs
Ainsi, ce modèle développe l’idée d’une structure vivante avec laquelle il est
possible de communiquer, même de dialoguer. L’état de présence serait une voie
permettant d’établir un contact avec ces consciences. P. Tricot propose l’utilisation de
paramètres objectifs (densité, tension et vitesse) et subjectifs (présence, attention,
intention) pour se syntoniser au réel de la structure vivante. Le paramètre de présence
gouverne la qualité des deux autres paramètres subjectifs : si la présence n’est pas de
bonne qualité, attention et intention, lui étant consécutifs, ne le seront pas non plus.
Le travail sur l’attention et l’intention ne vise en fait qu’à rendre conscient des
mécanismes que chacun utilise quotidiennement mais de façon inconsciente. Lors d’une
conversation entre deux personnes dans un environnement bruyant, chacune d’elles
dirige son attention sur l’autre, négligeant volontairement les bruits l’entourant. Ces
personnes concentrent alors leur attention l’une vers l’autre.
L’attention : c’est la projection de l’être (Je), de la conscience vers l’espace physique.
L’être crée ainsi un espace virtuel, un champ d’attention, spécifiant les informations qui
l’intéressent.
27
L’intention : c’est une modulation de l’attention. C’est lui donner un sens. Par
l’intention, une information est envoyée dans le champ virtuel bien limité créé par
l’attention.
La présence : c’est le fait d’être là, d’occuper le temps et l’espace présents. Elle
correspond au paramètre de base pour toute communication. Elle gouverne la qualité
des deux paramètres précédents.
• Intuition et présence
La racine latine du mot intuition est intueri qui signifie ‘regarder
attentivement’. L’intuition correspond à la réception d’information dont on ignore la
provenance. La prise de conscience de ces informations nécessite un certain état de
présence. L’homme est conditionné, distrait par le monde extérieur. Il se place en état
d’émissivité, se coupant alors de ce qui se passe à l’intérieur de lui, et dont la prise de
conscience nécessite un état de réceptivité3. N’étant plus à l’écoute de son monde
intérieur, il n’a plus accès aux informations qu’il reçoit de son environnement. En se
recentrant, en devenant plus présent au patient et à la relation thérapeutique, le praticien
peut à nouveau retrouver la conscience de toutes les informations qu’il reçoit.
Cependant, pour que ces informations aient un sens, il faut qu’elles fassent écho chez le
thérapeute à des informations déjà rencontrées. Le praticien ne pourra les interpréter
que s’il en a déjà eu une expérience. P. Tricot parle alors de l’importance du savoir
comme la partie immergée de l’iceberg. Il est fondamental d’avoir intégré ce qu’est une
torsion crânienne ou l’existence de tel ou tel élément anatomique pour pouvoir en
percevoir l’expression dans le système corporel du patient. Ce savoir est indispensable
mais doit trouver sa place juste, cachée.
3 Ces concepts sont plus largement développés dans le chapitre consacré à la méthode Vittoz (4.2. La méthode Vittoz).
28
3.5.4. Mise en pratique
Par ces exercices, le thérapeute peut expérimenter le principe de la structure
vivante consciente, communicante, sur lui-même puis avec un patient.
1. Expérimenter sur soi
Les exercices proposés ici consistent à ce que le thérapeute se mette à l’écoute
de sa propre impulsion rythmique tissulaire (IRT) en portant l’attention sur son
système corporel. Le participant est bien assis (support dur), se tient droit sur ses
ischions ; il tient un ballon gonflé entre ses mains, placées en opposition l’une de
l’autre. La description la plus fréquente des perceptions est une succession de cycles
d’alternance d’expansion/rétraction (variabilité de rythme, d’amplitude, et de symétrie).
La sensation d’un mouvement si ample semble pouvoir s’expliquer par la position des
deux mains, en opposition, répercutant ainsi le mouvement de l’IRT. Il est aussi
possible que les qualités élastiques du ballon augmentent la perception des mouvements
de l’IRT. Outre l’amplification des perceptions, le travail avec le ballon permet d’avoir
à chaque instant un retour sur les informations ‘lancées’ au système corporel.
En plus des informations apportées par le ballon, le participant peut ressentir les
modifications qui surviennent en lui-même ; il pourra ainsi retrouver l’état de présence
sans avoir besoin de tenir un ballon entre les mains.
• La présence à soi
Il est d’abord proposé au thérapeute de mettre en place la présence selon ses
habitudes et à l’aide du système qui lui est propre. Pierre Tricot souligne également que
les paramètres qu’il propose lui sont propres et témoignent de son parcours. Ainsi, il
encourage toutes les personnes à qui ce modèle ne convient pas (ou moins bien que le
leur) à développer leur propre approche de la présence.
Dans ce modèle, la mise en place de la présence comporte trois paramètres :
enracinement, lâcher prise et centrage.
29
1. L’enracinement consiste à se laisser attirer vers le sol ou le centre de la
Terre. Il est important que ce processus soit ‘passif’ : il ne s’agit pas d’un effort ou
d’une concentration, mais bien d’un ‘laisser-aller’ dans l’enracinement ou l’ancrage. Le
principe est de ressentir le corps devenir de plus en plus pesant, lourd. « Dans
l’enracinement, Je porte délibérément son attention vers la matière, le pesant et s’y
relie volontairement. On pourrait dire aussi qu’il met sa conscience dans la matière. »
(Tricot, 2006, 8)
2. Une fois qu’un certain confort dans la sensation de lourdeur a été atteint, la
seconde étape consiste à se laisser aller vers le lâcher prise, « comme si l’être
abandonnait le corps, passivement aspiré vers le haut. » (Tricot, 2002, 75) C’est le
processus de lâcher prise. « Dans le lâcher prise, il porte délibérément son attention
vers sa nature d’être spirituel. La partie lâcher prise peut alors s’interpréter comme le
renouement conscient à notre être profond, notre Je. » (Tricot, 2006, 8)
3. Une fois atteinte la sensation d’un certain confort dans le lâcher prise, il
conviendra ‘d’ajuster le curseur’ entre lâcher prise et enracinement, afin de permettre à
Je de trouver sa place juste, afin de synchroniser ces deux parties. C’est le centrage4.
Cela permet « d’être à la fois relié à son être profond et en contact avec le réel
corporel physique. » (Tricot, 2006, 8)
Bien sûr, la position de ce curseur dépend de chacun et du moment…
De plus, P. Tricot décrit un centrage dans la relation thérapeutique. Schématiquement,
il voit en chacun des deux acteurs de cette relation, un couple guérisseur/blessé. Chez le
thérapeute, c’est le pôle guérisseur qui est actualisé, alors que le patient actualise sa
‘part de blessé’. L’objectif du thérapeute est de stimuler, de faire grandir et d’amener à
la conscience du patient la part de guérisseur qu’il a en lui. Chez le thérapeute, la part
de centrage dans cette relation consiste à reconnaître son pôle blessé (resté dans
l’ombre) et de trouver l’équilibre entre ces deux parties de lui-même. L’équilibre est
subtil : s’il actualise trop ce pôle, s’il s’implique trop, les problèmes du patient risquent
de devenir les siens. Mais au contraire, s’il n’actualise pas suffisamment cette partie, il
n’adoptera pas l’attitude de compassion et d’empathie nécessaire pour que le pôle
guérisseur du patient s’actualise.
4 Pierre Tricot avance que l’homme serait double : Je, qui serait son être véritable ; et son corps, animé par Je. Le travail de présence par le centrage reviendrait à tenter de réunir ces 2 pôles. On retrouve un modèle similaire dans les philosophies orientales : l’image du cocher et de son attelage…
30
Interprétation
L’état de présence s’exprime toujours, dans le ballon, par un ralentissement du
rythme et une augmentation de l’amplitude, et ce, qu’elle que soit la voie empruntée par
le participant pour accéder à cet état. Il est important de noter que c’est la perception de
l’IRT qui est modifiée et non l’IRT elle-même. Les différents rythmes que le thérapeute
peut percevoir continuent probablement d’exister sans qu’il en ait pour autant
conscience. En fonction du niveau de conscience sur lequel le thérapeute se placera, il
‘accrochera’ tel ou tel rythme.
La recherche de l’état de présence consiste donc à rejoindre un état de conscience plus
élevé. Cela explique le changement de perception de l’IRT dans le ballon. « Lorsque le
Je accepte de lâcher prise, il se désolidarise en partie du véhicule corporel, il cesse
d’être le corps et ne se syntonise plus aux rythmes corporels. Il se relie à d’autres
fulcrums, (…) de nature moins matérielle. (…) Il induit inconsciemment d’autres
rythmes sur le corps et assume un point de vue plus causal. » (Tricot, 2002, 76)
Tout comme Rollin Becker, Pierre Tricot voit le centrage comme un abandon à une
puissance supérieure :
« Pour tenter de mieux comprendre ce qui se produit dans cette relation, on pourrait
voir le praticien comme une sorte de plénipotentiaire des consciences ou de La
Conscience. Ainsi, dans cette action, il se transcende, potentialise son ego qu’il met au
service d’une conscience plus vaste, il s’abandonne, comme le dirait Becker à plus
vaste conscience, devenant une sorte de missionnaire de La Conscience. C’est un
lâcher prise parce qu’il abandonne une partie de lui-même pour s’en remettre à plus
vaste, à plus puissant, etc.
L’être praticien lâche ce qui n’est pas son essentiel (pas fondamentalement lui) pour
rejoindre sa nature profonde, celle d’un être. Il reprend contact avec La Conscience et
en même temps, il peut reprendre connaissance... Ainsi relié, ce n’est plus lui, ego qui
agit, mais les consciences ou La Conscience, avec en même temps une puissance
décuplée. » (Tricot, 2006, 17)
31
• L’attention
- Le thérapeute est confortablement installé et a mis en place tous les paramètres
lui permettant d’être présent. L’attention est portée sur l’ensemble du système corporel
(ou sur le ballon).Une fois la perception de l’impulsion rythmique tissulaire dans le
ballon bien établie, le thérapeute porte son attention sur une région de son corps. Il ne
s’agit pas de se créer une image mentale de la zone concernée mais simplement de
focaliser l’attention dessus (cela peut être la région du foie, du cœur…) ; il note alors la
perception qu’il obtient et place à nouveau son attention sur le système corporel.
P. Tricot déclare qu’il est décrit, chez tous les participants, une modification de l’IRT
lorsque l’attention est focalisée sur une partie spécifique du corps. Ces changements
varient en fonction de la région concernée et des individus : il peut s’agir de variations
de rythme et/ou d’amplitude, et aller vers l’augmentation comme vers la restriction.
-Une fois la perception d’une alternance de cycles réguliers
d’expansion/rétraction revenue, le thérapeute pense à une personne avec qui la relation
est difficile ou tendue. Il note alors la perception qu’il obtient et laisse revenir au neutre
en plaçant son attention sur l’ensemble du système corporel. Il répète l’exercice mais
cette fois avec une personne avec qui la relation est particulièrement harmonieuse et
note la perception correspondante.
- Le même exercice est maintenant réalisé avec une situation. Sont
successivement évoquées des situations positives puis négatives (ou posant problème)
avec un retour au neutre entre les deux s’exprimant par une perception stable de l’IRT.
Lorsque le participant porte son attention sur la situation négative ou sur la personne
avec qui la relation est problématique, la description la plus fréquemment donnée des
perceptions alors obtenues va dans le sens de la restriction de l’IRT, qui est aussi
parfois accompagnée d’un mal-être corporel. A l’inverse, l’évocation des relations et
situations positives provoque une augmentation de l’amplitude et une diminution du
rythme.
32
• L’intention
Le thérapeute est comme précédemment confortablement assis et a mis en place
tous les paramètres lui permettant d’être présent. La perception stable de l’IRT est bien
établie.
- Le thérapeute débute l’exercice en demandant verbalement mais mentalement,
avec une forte détermination, à sa structure corporelle une expansion et écoute la
réponse dans le ballon. Le thérapeute, après retour au neutre, réitère l’injonction mais
cette fois vers la rétraction.
Il est toujours décrit une tendance à la réponse à cette injonction. La réponse peut en
revanche être plus franche vers l’un des deux paramètres. Il est important de noter que
ce qui importe n’est pas le mot employé mais bien l’information, le sens qu’il véhicule.
- Le même exercice est proposé avec la verbalisation mentale d’une torsion de
la SSB. Le thérapeute induit d’abord un côté (au choix) puis l’autre.
Il est toujours décrit l’apparition d’une torsion dans le ballon en réponse à l’injonction ;
il peut cependant exister une asymétrie dans ces mouvements. Il faut noter que la
structure vivante va répondre à l’injonction lancée par le thérapeute mais dans les
limites de ses possibilités du moment. Ceci peut expliquer l’asymétrie de la réponse
lors de l’induction de la torsion.
- Le thérapeute peut maintenant effectuer un empilement des différents
paramètres de lésions de la synchondrose sphéno-basilaire. Il induit, toujours
verbalement mais mentalement, successivement chacune des dysfonctions de la SSB
(flexion/extension, torsions, SBR, strains) et maintient le ballon dans la position
privilégiée... Le thérapeute s’aperçoit alors qu’un mouvement, né de cet empilement,
s’opère ; il le suit jusqu’à l’obtention d’un still point et d’une grande expansion, parfois
accompagnée d’un profond relâchement corporel.
Cette pratique montre bien comment le thérapeute, par une juste maîtrise des
paramètres subjectifs, peut agir sur et avec la structure vivante. Les changements
entraînés dans la structure du praticien semblent cependant transitoires et son système
corporel retourne alors vers une direction et un rythme qui lui sont propres.
33
Il semble également primordial de conscientiser ces phénomènes afin de les
comprendre et de les maîtriser le mieux possible ; ceci dans l’intérêt du patient. Les
négliger amènerait le thérapeute à courir le risque de voir se multiplier des échanges
d’informations à son insu.
2. S’exercer avec un sujet
• L’attention avec un sujet
Le thérapeute se place à la tête du sujet allongé, met en place la prise de mains
utilisée en approche crânienne classique, et applique tous ses paramètres de présence.
- Une fois perçue l’IRT, il accompagne le plus fidèlement possible les
mouvements d’expansion/rétraction, puis focalise son attention sur une région du corps
du sujet. Il note les changements survenus et, avant de passer à une autre région, laisse
le système revenir au neutre en plaçant son attention sur l’ensemble du système
corporel.
Il est rapporté, comme lors de l’expérimentation sur soi avec le ballon, que chaque
évocation entraîne une modification de la perception de l’IRT (changements vers une
amélioration ou une dégradation…).
- Maintenant, le sujet va successivement et mentalement évoquer une situation
difficile et harmonieuse, puis une personne avec qui la relation est problématique et une
avec qui la relation est harmonieuse. Pour faciliter l’exercice, le sujet attendra, avant
chacune de ses évocations, que le thérapeute lui ait confirmé la bonne synchronisation
avec son IRT. Il sera donc également nécessaire de laisser les tissus revenir ‘à leur
neutre’ entre chaque évocation.
P. Tricot rapporte que presque tous les participants savent à quel moment le sujet
évoque une situation douloureuse ou au contraire heureuse.
• L’intention avec un sujet
Le thérapeute se trouve à la tête du sujet et l’aborde comme il le ferait lors de
l’approche crânienne classique.
- Une fois la communication bien établie avec le système corporel du sujet, le
thérapeute verbalise mentalement avec détermination à la structure corporelle de son
sujet d’entrer en expansion. Il note les effets et laisse les tissus revenir au neutre.
34
- Le thérapeute répète l’exercice en induisant maintenant successivement les
différentes dysfonctions de la SSB. Il commence par verbaliser les dysfonctions de
flexion/extension et note le sens de plus grande facilité. Il encourage alors la structure à
aller au maximum vers cette direction et l’y accompagne. Sans « donner de mou », il
verbalise ensuite une torsion de chaque côté (au choix) et garde le côté de plus grande
liberté, etc…
Le thérapeute s’aperçoit alors qu’un mouvement, né de cet empilement, s’opère ; il le
suit jusqu’à l’obtention d’un still point et d’une grande expansion. Le sujet ressent
parfois un grand bien être corporel et la sensation d’un profond relâchement.
Les réponses suivant les inductions réalisées par le thérapeute sont très rapides. A peine
est évoquée la demande que les tissus la suivent. Ces mêmes expériences ont été
menées mais les inductions étaient réalisées cette fois par le sujet. Elles montrent des
résultats tout aussi significatifs mais ne correspondant pas à la relation thérapeutique
réelle, cette voie n’a pas été plus explorée. Cela signifie que le sujet aussi, en fonction
de son attention et de son intention, peut modifier la perception de l’IRT au cours du
traitement
3. Avec les holons
Dans le second tome de l’approche tissulaire, P. Tricot complète la mise en
place de la présence. Il y ajoute la prise de conscience des différents niveaux de
conscience dont, selon lui, le système corporel est constitué. Pour comprendre cette
partie de la pratique, il est essentiel d’entrevoir la notion de ‘holon’.
• Holons
A partir du modèle de la conscience, P. Tricot s’inspire du travail d’Arthur
Koestler, qui apporte la notion de « holon ». Il s’agit d’un néologisme formé à partir du
préfixe ‘holos’ (tout) et du suffixe ‘on’ désignant une particule, une partie. Un holon est
un concept sans réalité matérielle : il peut s’appliquer aux systèmes vivants comme aux
systèmes sociaux, et concrets comme abstraits. Voici ce qu’en dit Koestler : les holons
se comportent « partiellement comme une totalité ou totalement comme une partie,
selon la manière dont on les regarde » (Tricot, 2005, 58) Donc, toujours selon
Koestler, touts et parties n’existent pas. C’est en fonction du niveau hiérarchique sur
35
lequel on se place et selon le point de vue que l’on adopte, qu’un holon assure son ‘rôle
de partie’ ou son ‘rôle de tout’. Il n’assure bien sûr jamais ni tout l’un, ni tout l’autre,
mais toujours une association des deux. De plus, un holon a une double tendance :
« conserver et affirmer son individualité en tant que totalité quasi autonome (assertion,
affirmation), et (…) fonctionner comme partie intégrante d’une totalité plus vaste,
existante ou en cous d’évolution (participation). » (Tricot, 2005, 70) Il actualise sans
cesse l’une de ces deux tendances, l’une ‘au détriment’ de l’autre : lorsque sa tendance
à l’affirmation s’actualise (actualisation = passage de l’état virtuel (potentiel) à l’état
manifesté (Tricot, 2005, 247)), la participation au système se potentialise. P. Tricot
applique les propriétés des holons aux consciences : le holon va, comme la conscience,
s’agréger à d’autres pour former des systèmes, puis des systèmes de systèmes. Cet
agrégat constitue alors une hiérarchie (ou holarchie). Il est possible de déterminer dans
une hiérarchie, une profondeur et une envergure (la profondeur correspondant au
nombre de niveaux, et l’envergure au nombre d’éléments sur chaque niveau). Plus on
descend dans la profondeur, plus l’envergure augmente. C’est en utilisant ce concept
d’holarchie que Pierre Tricot développe plus profondément la troisième partie du travail
sur la présence qu’il nomme centrage.
• Mise en pratique
La pratique de la présence appliquant le principe d’holarchie, s’incorpore à celle
vue plus haut :
Ainsi P. Tricot propose, une fois atteinte une certaine harmonie dans
l’enracinement, de reconnaître, de s’adresser aux holons constituants les différents
niveaux hiérarchiques corporels. Le participant, son attention placée sur l’ensemble du
système corporel, débute par le niveau hiérarchique le plus bas en formulant
verbalement mais mentalement : « Je m’adresse aux micro-particules qui constituent
mon système corporel. » Sa seule intention est de s’adresser à ce niveau de consciences.
Il note alors les changements perçus dans le ballon et s’il évalue que la réponse n’est
pas assez franche, il réitère l’injonction. Ceci jusqu’à l’obtention d’un retour au neutre,
still point et d’une expansion franche et ample, accompagnée d’un bien-être évident. Il
est important de répéter l’opération jusqu’à ce qu’elle n’entraîne plus de réponse dans
le ballon. Une fois cette communication établie, le participant envoie un accusé de
réception aux consciences de ce niveau, destiné à reconnaître leur existence (« merci »
ou « merci pour le service rendu »…). De la même façon, il convient de répéter cette
36
formule jusqu’à ce qu’elle n’amène plus de réponse dans le ballon, et que le participant
ressente une grande paix intérieure. Le niveau le plus profond traité, il est demandé à la
personne participante de monter d’un cran dans la hiérarchie des holons corporels, et
d’établir la communication avec les macro-particules en procédant de la même façon
que pour le premier niveau : mise en communication, accusé de réception puis
possibilité de ressentir d’un grand bien être et d’un mouvement ample et calme dans le
ballon. Le participant poursuit sa remontée dans la hiérarchie en reconnaissant
successivement ‘les corps chimiques complexes’, ‘les molécules simples et complexes’,
‘les virus et monocellulaires’, ‘les cellules’, ‘les tissus’, ‘les organes’, ‘les systèmes’, et
enfin ‘le système corporel’ en tant que « véhicule » de Je.
Dans cette partie, Je établit une communication consciente avec ses holons les plus
matériels. La seconde partie du travail va consister à reconnaître les holons plus subtils.
Cette partie intervient alors que le thérapeute a atteint un certain confort dans le
processus de lâcher prise. De la même manière que pour l’enracinement, le participant
peut remonter de niveau en niveau, en s’adressant à des consciences de plus en plus
subtiles, et en reconnaissant leur existence et l’aide qu’elles apportent. Ceci en suivant
la même méthodologie que précédemment.
A partir des pratiques d’enracinement et lâcher prise, le participant effectue
deux types de centrages : horizontal et vertical.
- Le centrage horizontal concerne la reconnaissance des holons sur chaque niveau
hiérarchique : « A chaque niveau traité, Je, le patron du système corporel, rencontre les
holons de ce niveau pour établir avec eux une communication. » (Tricot, 2005, 130)
- Le centrage vertical correspond, lui, à la remontée dans la pyramide hiérarchique de
niveau en niveau et crée ainsi un lien vertical. « Par rapport à cette relation verticale,
nous utilisons l’image d’une ligne virtuelle reliant haut (lâcher prise) et bas
(enracinement) et sur laquelle Je peut se déplacer, comme le ferait un curseur. »
(Tricot, 2005, 131)
• Affirmation et participation
Les perceptions de paix intérieure lors de la reconnaissance des différents
niveaux hiérarchiques, peuvent être interprétées par le concept des holons. En effet,
lorsque le participant reconnaît l’existence d’un niveau de conscience, il reconnaît sa
tendance d’affirmation : « c’est le reconnaître en tant que Je. Cette reconnaissance fait
37
partie de son objectif de base : se sentir exister.» (Tricot, 2005, 129) Reconnaître
ensuite le service qu’il rend, revient à reconnaître « la seconde partie de son être, la
participation ». (idem.) P. Tricot parle alors de la création d’un unisson de présence : il
imagine que les consciences ne sont plus seulement présentes à elles-mêmes
(partiellité), mais aussi à l’ensemble du système (totalité).
38
3.6. Hugh Milne – « Passer en glamour »
Après une formation d’ostéopathe classique et plusieurs séjours en Inde, Hugh
Milne développe son modèle qu’il nomme thérapie crânio-sacrée visionnaire. Il exerce
aujourd’hui aux USA et propose des séminaires post-gradués entre l’Europe et les
USA.
• « Passer en glamour »
« La présence est plus importante que la technique. » (Milne chp 8 p.1) Hugh
Milne ajoute que la technique ne peut pas provenir d’un manuel ou d’un enseignant :
c’est le corps du patient qui le communique au thérapeute. Il est alors fondamental pour
le praticien de se trouver dans un état de réceptivité particulier, permettant une écoute
pure. « Passer en glamour » revient à rejoindre un état de conscience particulier, élargi,
une sorte de transe consciente où la personne est totalement immergée dans son
activité, où elle est uniquement et simplement là. Selon H. Milne, c’est en rejoignant
cet état durant ses soins que le thérapeute pourra percevoir les changements profonds et
subtils qui interviennent au sein du patient. « Passer en glamour » demande une
préparation et une pratique : elles sont appelées centrage ou enracinement.
• ‘Prendre son espace’
Pour réaliser ce centrage, Hugh Milne invite avant tout chacun à trouver ses
propres dispositions pour établir le calme en soi. Il décrit cependant son rituel de
centrage personnel. Il commence par s’asseoir dans le calme, puis rentre légèrement le
menton, allongeant ainsi la nuque, afin d’ouvrir un point énergétique nommé ‘Palais du
vent’ (16 VG). Il cherche ensuite par de très fins mouvements l’ouverture juste du canal
entre ce point énergétique et la glabelle. Il détend enfin sa mâchoire et ses épaules.
C’est par ce rituel que H. Milne parvient à ‘prendre son espace’ : c’est-à-dire qu’il
occupe pleinement la portion espace-temps présente. H. Milne poursuit en portant son
attention sur sa respiration. Il instaure entre chaque cycle respiratoire, des still points,
dans lesquels un silence intérieur peut s’installer et sur lesquels il peut se reposer. Il
trouve ainsi son still point interne. L’intention de ces exercices respiratoires est orientée
vers l’expansion : à chaque inspiration, il repousse ce qu’il nomme son champ un peu
plus vers l’extérieur jusqu’à ce qu’il perçoive qu’il entre en état de glamour.
39
Une fois la tranquillité installée en lui, Hugh Milne invite le patient à s’asseoir en
silence quelques instants. Il profite de ces moments pour étendre encore son glamour :
c’est son ‘moi élargi’. Il parle alors de vision grand angle : cela permet de préparer aux
perceptions à partir de ‘l’œil intérieur’ (canal perceptif extra-sensoriel). « Être sensible
à l'œil intérieur signifie avoir la capacité de voir ou d'entendre l'autre côté du
voile. » (Milne, chp 8) Pour ‘voir’, il faut porter attention à tout : voir avec l’œil
intérieur nécessite de ne faire que voir : sans analyser, interpréter, juger. C’est une
attention sans mental.
Cette préparation permet d’accueillir le patient tel qu’il est, sans jugement ni a priori.
Afin de renforcer ce climat de confiance et d’accueil, H. Milne invite le thérapeute à
toucher dans un état de révérence. Le toucher révérenciel consiste à contacter le patient
avec le plus grand respect envers son intégrité ; ainsi aucun contact ne peut être mal
interprété.
• Méditer
La méditation est l’occasion pour l’homme de se ressourcer auprès de son être
profond, de se mette à l’écoute de l’œil et de l’oreille intérieurs. C’est aussi rechercher
la tranquillité, l’immobilité à partir de laquelle un travail efficace est possible. La
méditation est l’art d’être présent ici et maintenant, de ne faire qu’un avec soi et
l’environnement. Durant l’exercice de méditation, les ondes alpha s’approfondissent et
s’enracinent peu à peu. Concernant les pensées qui surviennent lors de la méditation, H.
Milne, reprenant un vieil adage indien, conseille simplement ceci : « Si une pensée
vient, souhaitez-lui la bienvenue – mais ne l'invitez pas à rester prendre le thé » (Milne
chp 2) Leur souhaiter la bienvenue montre selon lui, que les pensées n’appartiennent
pas à l’homme, qu’elles sont étrangères à lui, résultats de ses conditionnements, de ses
stratégies de soutien de la pression de la vie quotidienne. Rester présent lors de ces
exercices peut également être facilité par la focalisation sur la respiration.
40
• Le pacte thérapeutique
Hugh Milne évoque un contrat implicite passé entre thérapeute et patient, et par
le thérapeute envers lui-même. Le praticien se doit de tenter de comprendre le plus
profondément possible le problème qui agite le patient. De plus, le thérapeute centré qui
a compris ses propres besoins en tant qu’individu et guérisseur, pourra plus facilement
gérer la dynamique de transfert et contre-transfert. « Notre capacité à travailler avec
les autres est limitée si nous entretenons des jugements sévères et des peurs profondes.
Acceptez et tolérez avec compassion ce qu'il y a de pire en vous, afin d'en faire autant
envers les autres. » (Milne chp6)
Une des facettes de ce pacte est la disponibilité que le thérapeute doit apporter afin que
le patient puisse se sentir écouté et reconnu. Selon H. Milne, se rendre disponible
demande d’exclure la création d’une quelconque protection de la part du thérapeute. Le
fait de se centrer, de se relier à son être profond de chercher à se comprendre en tant
qu’individu, suffit à créer un climat positif plus puissant que des énergies négatives.
Hugh Milne parle alors de la création d’un espace sacré. En fait, le thérapeute centré
n’a pas besoin d’ériger des barrières quelconques.
Le thérapeute doit sans cesse chercher sa propre homéostasie, reconnaître et respecter
l’équilibre entre ses besoins intérieurs et extérieurs.
« « Celui qui agit à partir d’une telle profondeur ne commet pas de faute » est une
citation du Yi King » (Milne chp2).
Le texte suivant, intitulé Motifs, est exposé par H. Milne en introduction à son ouvrage. Il résume parfaitement ses principes.
« Motifs
- Apprenez à être assis, tranquilles, à attendre jusqu'à ce que votre poussière soit
retombée, et que votre air se soit éclairci. Attendez la profonde tranquillité. Alors,
commencez.
- Par-dessus tout, allez lentement.
- Développez une perception et une compréhension intuitives de chaque chose. Prêtez
attention à toute chose, particulièrement aux petites. Changer les petites choses permet
souvent de grandes améliorations.
41
- Traitez chacun et chaque partie de chacun de la même manière. Chaque cellule du
corps possède une conscience. Chaque minuscule structure du corps est un
hologramme.
- Plus nous focalisons notre conscience dans le présent, plus notre perception du temps
ralentit, plus grande devient notre perception du mouvement crânien. Cela est une
expansion de conscience, un « élargissement du moi ». Dans cet état, vous voyez ce qui
trouble chacun. Ne tentez même pas cela en état de conscience ordinaire.
- La présence est beaucoup plus importante que la technique. Les débutants veulent
apprendre toujours plus de techniques. Lorsque vous deviendrez un maître, une seule
technique suffira.
- C'est merveilleux de voir combien peu peut faire beaucoup.
- Demandez la permission de toucher la tête du patient. Alors, placez vos mains et
attendez. Attendez que la tête vous dise quoi faire. Si elle vous dit de ne rien faire, ne
faites rien.
- Vous ne pouvez pas aller trop profond, seulement trop vite.
- Demandez de l'aide spirituelle après que vous avez fait de votre mieux. Lorsque vous
ne savez pas quoi faire, allez boire une tasse de thé.
- Méditez, vivez simplement, soyez en repos, et faites votre travail avec maîtrise.
- Faites votre travail, puis retirez-vous. »
42
3.7. Thierry Dubois et Philippe Hansroul –
Centrage et relation thérapeutique empathique
Thierry Dubois et Philippe Hansroul sont deux ostéopathes belges, co-auteurs
d’un ouvrage traitant de la thérapie somato-émotionnelle incluse dans la pratique
ostéopathique. Ce livre insiste sur l’état d’être que le thérapeute adopte lors de ce type
de travail, ainsi que sur les moyens qu’il a à sa disposition pour améliorer la qualité de
son centrage, et approfondir et stabiliser la relation thérapeutique.
3.7.1. Centrage et empathie
La thérapie somato-émotionnelle demande de posséder, de la part du thérapeute,
une grande disponibilité et une bonne qualité d’écoute. T. Dubois et P. Hansroul
affirment que c’est de la qualité du centrage du praticien que va dépendre l’issue de
la séance. Et ceci par deux phénomènes : le thérapeute centré percevra plus facilement
les informations, notamment émotionnelles, émanant du système corporel du patient, et
il trouvera naturellement le canal de communication correspondant au fonctionnement
du patient. Le premier permettant le second, une relation stable et sereine s’établit entre
patient et praticien. Se centrer, c’est également permettre à chacun de trouver sa juste
place dans cette rencontre. Cette démarche demande une implication et une
transformation de la personne entière : « le passage de l’homme qui a un titre
d’ostéopathe à l’ostéopathe qui accepte son statut d’homme » (Dubois-Hansroul, 2006,
9)
L’état de centrage est la recherche de la paix intérieure. Il permet au praticien
de posséder la disponibilité et l’écoute requises pour le travail somato-émotionnel. Une
qualité d’écoute très éveillée permet, en plus de la création d’un climat calme et
sécurisant pour le patient, de capter ses signaux émotionnels. C’est un affinement de la
sensibilité du thérapeute : cela lui permet de percevoir les émotions sans en être affecté
pour autant. Le thérapeute se trouve alors dans un état de sérénité. Thierry Dubois en
43
parle ainsi : « Nul besoin ni envie de prouver ou justifier quoi que ce soit. Je suis
simplement là en train d’être présent. Ce que j’ai fait la veille et ce qui m’attend
demain ne traverse même pas mon esprit. » (Dubois-Hansroul, 2006, 145)
Il est fondamental, dans cette approche, que le patient puisse prendre confiance
et se détendre ; éléments que l’attitude du thérapeute va conditionner. L’attitude juste
du soignant permet également de focaliser la relation thérapeutique sur « l’unité
patient/symptôme plus que sur la relation thérapeute/patient ou
thérapeute/symptôme ». (Dubois-Hansroul, 2006, 147) Le praticien peut ainsi recadrer
la relation thérapeutique s’il perçoit que les mécanismes de défense du patient vont
l’éloigner de la résolution de son problème. L’attitude du thérapeute doit tendre vers la
création d’une relation thérapeutique empathique. C’est le centrage du thérapeute qui
lui permet de conserver le caractère empathique de la relation thérapeutique et de ne
pas glisser dans la sympathie. L’empathie est ici définie comme consistant à se mettre à
la place du patient sans pour autant éprouver ses émotions. Par l’attitude empathique du
thérapeute, le patient doit pouvoir se sentir écouté, « reconnu dans son identité, dans
son histoire, ses croyances et ses souffrances » (Dubois-Hansroul, 2006, 158), sans
jugement ni interprétation. A l’inverse, la sympathie serait le fait d’éprouver les
émotions du patient sans forcément se mettre à sa place. Elle ne peut pas constituer un
préalable à une relation juste et constructive. L’empathie « est une attitude d’écoute
qui permet de comprendre ce que peut vivre le patient au plus profond de lui. »
(Dubois-Hansroul, 2006, 153) Par le centrage, le thérapeute est donc à la fois
pleinement recueilli en lui et totalement disponible et ouvert aux sollicitations
provenant de l’extérieur.
44
T. Dubois et P. Hansroul décrivent trois grands types de patients, définis selon
leur mode relationnel dans la situation thérapeutique : les patients dits de type passif,
ceux dits de type relationnel et ceux dits ‘fermés’5. Selon ce modèle, le thérapeute
devra en tenir compte et ajuster son attitude en fonction de chacun de des trois types. La
relation thérapeutique n’est qu’un aspect particulier de la relation humaine. « Si la
relation humaine n’est déjà en soi pas quelque chose de facile, la relation
thérapeutique d’empathie tient parfois de la jonglerie. » (Dubois-Hansroul, 2006, 153)
Le praticien appartient lui aussi de façon préférentielle à l’un des ces types relationnels.
Le centrage lui permet alors d’éviter de briser la relation d’empathie construite jusque
là, en tombant dans un processus de transfert/contre-transfert négatif qui ne sera
bénéfique à aucun des deux participants. Il permet au thérapeute de pouvoir choisir de
façon juste la position de communication adaptée au type relationnel du patient, de
cerner son référentiel et de s’exprimer et d’agir en fonction de lui. Autrement dit, le
centrage permet de trouver le réel du patient. En pratique, l’ouverture d’un canal de
communication stable peut être renforcée par une technique de PNL : la technique de
synchronisation consiste à adopter les gestes et attitudes de l’interlocuteur. Le
thérapeute peut par exemple ajuster son débit de parole, le ton et l’intensité de sa voix à
ceux du patient.
5 Voici, selon cette approche et très schématiquement les trois grands types de patients et l’attitude relationnelle et thérapeutique qui leur correspondrait : Le patient passif : il donne au thérapeute le pouvoir exclusif de la guérison. Il s’en remet à lui et attend d’être totalement pris en charge. De plus, il entretient une relation d’objet avec son corps : c’est un instrument qui doit lui obéir. Il serait conseillé d’amener le patient à se recentrer sur lui-même et à redécouvrir ses sensations corporelles oubliées. Le patient relationnel : à l’inverse du patient passif, c’est la relation thérapeutique qu’il prend pour objet : il cherche à tisser une relation dans laquelle il détient le pouvoir. Il est souvent qualifié de séducteur, manipulateur ou plaintif. Le plaintif a constamment besoin d’être réassuré : le thérapeute adoptera préférentiellement une position haute (sans tomber dans une relation de pouvoir). Les patients manipulateurs ou séducteurs nécessiteront plutôt une position basse de la part du thérapeute. Le patient fermé : il porte généralement un vécu d’agressions ou d’abus. Le recadrage est à effectuer au niveau de l’intention que le thérapeute place dans sa main. La position à adopter serait plutôt celle de l’accompagnement.
45
3.7.2. Mise en pratique
T. Dubois et P. Hansroul propose de travailler sur deux plans :
- hygiène de vie : commencer par soigner la qualité du sommeil et l’équilibre
diététique.
- exercices de centrage
Les exercices de centrage proposés ont tous en commun la prise de conscience des
sensations corporelles avec ou sans mouvement et celle de la respiration. Ils ont pour
objectif l’amélioration de la présence du thérapeute à lui-même ainsi que dans la
relation thérapeutique. L’état de présence auquel ils permettent d’aboutir, facilite la
création de la relation thérapeutique empathique. Il est conseillé de pratiquer ces
exercices de façon quotidienne. Par ailleurs, T. Dubois et P. Hansroul proposent des
exercices adaptés à chacun des trois types constitutionnels de la médecine ayurvédique
(Vata, Kapha, Pita). Les exercices peuvent être nuancés pour toucher plus précisément
chacune des constitutions.
• La marche et la course méditatives
Le principe d’écoute des sensations corporelles évoqué ci-dessus est applicable
à toutes les actions que l’homme entreprend dans sa vie quotidienne : la marche en fait
partie. L’exercice débute en écoutant, à chaque pas, la façon dont les pieds reposent sur
le sol, et comment le poids du corps s’y répartit. Une fois que la sensation d’une égale
répartition du poids sur le sol paraît homogène, l’écoute se déplace au niveau des
genoux puis des hanches, et se focalise sur le mouvement de ces articulations lors de
chaque pas. Enfin, l’attention est portée sur le bassin et sur le mouvement de torsion au
niveau des sacro-iliaques. C’est la première phase : l’enracinement.
L’exercice se poursuit en portant successivement l’attention sur la colonne vertébrale,
le thorax, la ceinture scapulaire, les membres supérieurs et les temporaux : leur
mouvement est semblable à celui de torsion entre les ailes iliaques.
La marche est entrecoupée d’arrêts durant lesquels la personne pratiquante s’éveille à
ses sensations. Une plus grande sensation de présence à soi et au monde peut
apparaître.
46
La course méditative correspond au même principe que la marche méditative.
L’objectif est de prendre conscience des sensations corporelles lors du mouvement. Elle
présente un avantage supplémentaire par la respiration spontanée qui se met en place
durant la course.
• La technique du corps-axe
La personne est allongée sur le dos, et confortablement installée dans un
environnement calme.. Elle laisse peu à peu les perceptions intérieures parvenir à sa
conscience. Une fois un certain calme établi, elle imagine une ligne allant du sommet
de son crâne jusqu’entre ses deux pieds ; son corps est comme divisé en deux. En
commençant par les pieds, elle cherche à créer une symétrie de chaque côté de la ligne :
« Il faut se poser la question : ‘Est-ce que ce pied est plus rapproché ou éloigné de cet
axe ?’ Si oui, on rapproche le pied éloigné ou on écarte le pied trop près de l’axe. »
(Dubois-Hansroul, 2006, 245) Après les corrections, la sensation d’une symétrie
parfaite doit apparaître. La personne passe ensuite au bassin, au thorax et termine par la
tête. Il suffit ensuite de rester quelques instants dans cette position pour percevoir la
sensation d’être centré. Celle-ci peut parfois s‘exprimer par une grande inspiration.
47
3.8. Une lecture par l’approche scientifique
C’est à partir des années 70 que les premières études sur l’état dans lesquels
se plongent les praticiens exerçant le toucher thérapeutique ont été menées. Il semble
cependant que les phénomènes que cet état engendre aient déjà été décrits notamment
par Mesmer en 17796, mais il a fallu 200 ans pour que la communauté scientifique
reconnaisse la valeur de ses hypothèses. Lorsqu’il dispensait des soins, Mesmer a décrit
des phénomènes similaires aux expériences menées par J. Zimmerman et Seto.
3.8.1. Les ondes cérébrales
Chaque organe du corps émet un train d’ondes. Elles sont caractérisées par une
fréquence qui est propre à chaque organe. L'intensité de l'activité cérébrale se manifeste
donc par des ondes ou rythmes et il est possible de les mesurer par des électrodes
posées sur le cuir chevelu et reliées à un EEG. Ces vibrations oscillent sans cesse et
reflètent l’état dans lequel se trouve la personne. On distingue quatre principales
catégories d’ondes définies par leur fréquence :
- le rythme delta (0,5 à 3 cycles par secondes) caractéristique du sommeil lent et
profond,
- le rythme thêta (4 à 7 c/s) qui apparaît dès l'installation du sommeil, et lors de
méditation profonde,
- le rythme alpha (8 à 12 c/s), qui caractérise l'état de veille calme ou la relaxation
légère, les yeux fermés,
- le rythme bêta (12 à 50 c/s) qui apparaît dans des conditions d'éveil actif et de
sommeil paradoxal.
6 Mesmer A, 1948, mesmerism. Macdonald, London.
48
3.8.2. Champs bio magnétiques chez les thérapeutes manuels
James Oschman décrit, dans son livre ‘Energy medecine, the scientific basis’, les
expériences menées par John Zimmerman, au cours des années 807, sur les champs bio
magnétiques émanant des thérapeutes manuels lors de séances de soins. La mesure de
ces champs est effectuée par un supra conducteur à interférence quantique nommé
SQUID. La particularité de cet appareil est d’être sensible à des champs magnétiques
très fins. Il est classiquement utilisé dans la mesure des champs bio magnétiques
produits par le cerveau et le cœur.
L’expérience débute lorsque le praticien approche ses mains près du corps du patient :
l’enregistrement montre alors un tracé de base de faible intensité. Le thérapeute rejoint
ensuite un état méditatif, un état d’écoute, caractéristique des approches utilisant le
toucher thérapeutique. Le SQUID détecte immédiatement un signal d’intensité bien
supérieure. L’amplitude des fréquences mesurées varie de 0.3 à 30 Hz, avec cependant
une stabilisation autour de 7-8 Hz. Il est à noter qu’au cours des expériences antérieures
de John Zimmerman, les sujets non-thérapeutes étaient incapables de produire de telles
intensités : il semble donc qu’elles soient dues à l’état dans lequel se placent les
praticiens.
Au Japon, des expériences similaires ont été menées8 avec des pratiquants d’arts
martiaux (QiGong, yoga, méditation, zen…). L’intensité des ondes enregistrées était
très nettement supérieures à celles émises par le cœur et le cerveau. Leur fréquence
était, comme dans les expériences de Zimmerman, centrées autour de 7-8 Hz.
La fréquence autour de laquelle les ondes oscillent (7-8 Hz) correspond à la jonction
entre ondes alpha (8-12 Hz) et thêta (4-7 Hz). L’état dans lequel se plongent les
thérapeutes qui ont participé à cette étude est donc à la frontière entre l’état de
relaxation légère et celui retrouvé lors de profondes méditations.
7 Zimmerman J, 1990, laying-on-of-hands healing and therapeutic touch: a testable theory. BEMI currents, Journal of the bio-electro-magnetics institute. 8 Seto A, Kusaka C, Nakazato S et al., 1992, detection of extraordinary large bio-magnetic field strength from human hand. Acupuncture and electro-therapeutics research international journal.
49
3.8.3. Effets de l’exercice sur les ondes cérébrales
Certains musiciens décrivent que, lorsqu’ils jouent de leur instrument, ils
rejoignent un état particulier, dans lequel la perception de l’espace et du temps semble
modifiée. Tout devient alors plus fluide et les facultés intuitives peuvent s’exprimer
pleinement, permettant au musicien de réaliser des improvisations qu’il ne lui serait pas
ordinairement possible d’effectuer. Cet état semble se rapprocher de celui dans lequel
glisse le thérapeute lors de ses séances de soins. Il est également semblable à la
préparation que mettent en place certains sportifs avant une épreuve.
Une étude portant sur un groupe d’instrumentistes à corde a été menée par Elbert et al
en 19959. Il a alors été démontré qu’il y avait une corrélation entre le nombre d’années
d’exercice de l’instrument et l’intensité des ondes émises par le cerveau. Chez les
musiciens expérimentés, le nombre de cellules des régions cérébrales motrice et
sensitive impliquées dans l’action de jouer semble être plus important que chez le non
pratiquant. J. Oschman avance que ce phénomène est transposable aux praticiens
exerçant le toucher thérapeutique : après plusieurs années d’exercice, le thérapeute
émet des ondes d’intensité plus forte. Une des explications consiste à ce que, comme
pour les musiciens, la pratique de soins manuels active des zones cérébrales
spécifiques, augmentant ainsi l’intensité des ondes perçues par le SQUID.
Il semble, en définitive, que l’augmentation de l’intensité du signal émis par
le cerveau des praticiens exerçant le toucher thérapeutique soit explicable par deux
phénomènes. Le premier est l’état dans lequel ils se placent pour favoriser une écoute
attentive. Le second est l’entraînement qui accroît le nombre des cellules corticales
impliquées dans l’acte de traiter, et augmente ainsi l’intensité du champ. Il est donc
clair que le praticien souhaitant renforcer la qualité de sa présence possède dans
l’entraînement (la méditation quotidienne, par exemple) un outil efficace.
9 Elbert T, Pantev C, Weinbruch C, Rockstroh, Taub E, 1995, Increased cortical representation of the fingers of the left hand in string players. Science.
50
3.9. Pour conclure
Dans toutes les approches étudiées, il est fait une part importante à l’état
d’être du thérapeute. Dans la description de cet état d’être, de cette « présence », des
points communs apparaissent.
La plupart de ces ostéopathes cherche à se relier aux forces de santé ou
d’auto guérison, à une Force ou Conscience qui les dépasse. Rejoindre l’état de
présence implique, selon certains des ostéopathes cités, de reconnaître une Intelligence
du vivant, à laquelle le thérapeute se remet et par laquelle il se laisse guider lors des
séances de soins. Il s’agit du Partenaire Silencieux, de la Conscience, du Grand
Architecte, du Créateur, ou du Grand Guérisseur… Ces dénominations sont propres à
chacun, mais il semble s’agir d’un seul et même phénomène. Cela nécessiterait
toutefois une étude complémentaire.
Toutes ont en commun de considérer le corps comme un système communiquant,
système dont il faut trouver le mode de communication et auquel il faut s’accorder.
L’état de présence facilite fortement cet accord.
Passer en état de présence signifie rejoindre un état de conscience élargie où
l’activité rationnelle du mental est réduite laissant la place à une disponibilité entière et
à une écoute attentive. D’un point de vue pratique, tous ces thérapeutes visent le même
but : chacun cherche à se constituer fulcrum, base stable à partir de laquelle une relation
thérapeutique profonde pourra se développer. Le thérapeute peut alors recevoir des
informations plus subtiles et ainsi trouver le mode de fonctionnement propre au patient.
En plus d’un affinement des perceptions, cet état permet de créer un climat de
confiance et de sécurité dans lequel le patient se sentira accepté pour ce qu’il est. C’est
cette présence qui permet à la fois la « compréhension du mécanisme » (Sutherland) et
l’ouverture optimale.
En revanche, les moyens pour y parvenir varient en fonction de chaque
modèle, mais des notions communes apparaissent cependant. Les pratiques
d’enracinement, de lâcher prise ou d’abandon ainsi que les rituels de centrage sont
récurrents. L’attitude compassionnelle ou empathique est également souvent citée.
Enfin, chacun des ostéopathes cités ci-dessus insiste sur l’importance du travail que le
thérapeute doit effectuer pour se connaître, pour reconnaître ses limites, sa part
51
d’ombre. La relation thérapeutique n’en sera que facilitée et rendue plus sereine. La
plupart invite également à l’exercice de la méditation dont l’« objectif » est d’être
simplement et uniquement présent. Certains comparent même l’état de présence à un
état méditatif. La partie suivante va tenter d’analyser la mise en pratique de la présence
faite par les ostéopathes eux-mêmes dans leur pratique quotidienne.
52
4. LA PRATIQUE DES OSTEOPATHES – Entretiens
Cette partie rassemble quelques illustrations du concept de présence dans la pratique
ostéopathique. Le but est d’enrichir le mémoire en rassemblant ce que d’autres
praticiens disent de la présence et d’observer les similitudes ou les divergences avec les
concepts développés dans la partie précédente ; la diversité de ces pratiques permet
d’ouvrir à d’autres pistes. Les thérapeutes questionnés sont tous ostéopathes D.O. sauf
l’un d’entre eux, sage-femme, qui a développé le toucher ostéopathique dans le cadre
de sa pratique. Les « interviews » qui ont permis de récolter ces informations ont été
réalisées soit en présence du thérapeute, soit par téléphone, soit par mail. Dans cette
partie, les citations entre guillemets correspondent aux paroles du praticien à qui le
chapitre est consacré.
Le questionnaire qui a servi de base aux entretiens se trouve en Annexe II.
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4.1. Praticien 1
4.1.1. L’état de présence
Dans sa pratique, le principe de présence est fondamental sous plusieurs
aspects :
Pour le thérapeute : se centrer lui donne accès à un champ de perceptions plus
vaste. L’état qui découle du centrage est nommé présence constante. Il permet au
thérapeute de créer une interface avec le patient, un courant de communication
privilégiée. Il est également nommé ‘contact aimant’ : cette expression regroupe la
notion de contact rapproché particulier, bienveillant mais aussi et surtout celle de don
d’Amour.
Dans la relation thérapeutique : dans ce modèle, le thérapeute ne doit absolument
pas imposer un traitement préconçu au patient. « Il doit refuser le projet
thérapeutique. » Selon lui, si le thérapeute aborde le patient avec une intention, il
sentira ce qu’il cherche. Le thérapeute se refuse à l’interprétation et se place
simplement dans une attitude de réception. Alors, se constituer fulcrum neutre revêt
toute son importance. Il convient ici de chercher et de trouver le neutre relatif au
patient ; autrement dit, de se syntoniser au patient en acceptant ce qu’il est réellement.
Pour cela, le thérapeute doit d’abord prendre conscience de qui il est vraiment, avant de
pouvoir aider le patient. Sachant qui il est, le thérapeute sait également qui il n’est pas :
il peut ainsi, dans ses perceptions, différencier s’il s’agit d’une projection de sa part ou
d’une information provenant du système corporel du patient.
4.1.2. Le centrage du thérapeute
Reconnaître sa mobilité : Le thérapeute, en se centrant, prend conscience des
forces bio cinétiques et bio dynamiques qui l’animent ( c’est-à-dire des zones en lui qui
lui semblent hypo-mobiles et celles qui au contraire lui apparaissent pleines de vie).
Ainsi, il doit reconnaître le mouvement qui l’anime : « Comment je me mobilise ?
Comment je peux me situer en dedans de moi pour pouvoir ensuite mobiliser cette
force ? » En reconnaissant sa mobilité physiologique et ses mécanismes lésionnels, en
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sachant ce qu’il est, le praticien diminue grandement les risques de projection. De la
même façon, sur un autre plan, il ‘dépose’ en quelque sorte ses effets émotionnels.
Trouver le neutre en soi : cela signifie reconnaître l’immobilité en soi. L’objectif
est ainsi de devenir neutre dans le regard et dans la façon d’être. Concrètement, la
technique employée est appelée regard postérieur : cela consiste à laisser aller le regard
dans le vague, à regarder sans regarder, en laissant s’installer une divergence oculaire
(l’œil droit regarde vers la droite, le gauche vers la gauche) ; puis le thérapeute laisse
son regard intérieur partir vers l’arrière, jusqu’à pouvoir ‘visualiser’ la distance entre
ses yeux et l’occiput. Alors, intervient comme une impression de se poser en soi, de
descendre dans son bassin. Ce rituel de centrage correspond également à une activation
du cerveau droit au détriment du cerveau gauche (activé lorsque le regard est fixe) et du
lobe frontal.
Tout ceci revient à trouver la longueur d’onde du patient pour s’y accorder et
pouvoir ainsi lui donner la chance de vivre ce qu’il a besoin de vivre. Dans cet état
d’esprit, le thérapeute crée toutes les conditions d’un accueil des informations que le
patient lui transmet.
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4.2. Praticien 2
4.2.1. L’Amour dans la relation thérapeutique
Le thérapeute cherche ici à créer une interrelation profonde et intime avec le
patient. Son objectif est l’accueil de ce que donne et de ce qu’est le patient. La
disposition qui permet de créer ce climat est l’Amour.
Selon lui, le patient livre son problème ou dévoile son besoin le plus profond grâce à
deux éléments :
- le traitement ostéopathique, en lui-même, qui lui permet de reconquérir une certaine
homéostasie, de retrouver une cohérence, et d’être de nouveau présent à lui-même ;
- la qualité d’écoute du thérapeute qui découle du principe de don d’Amour permet au
patient de sentir qu’il peut se confier sans être jugé.
Un tel degré d’ « intimité » dans la relation thérapeutique permet de passer à un niveau
de communication infra-verbale. Ainsi, le travail de présence permettrait d’amener à la
conscience du thérapeute les modifications qui s’opèrent au sein du patient et qui lui
étaient jusqu’alors inaccessibles.
4.2.2. Le centrage du thérapeute
Le praticien a pour objectif de permettre au patient de retrouver sa cohérence. Pour
cela, il doit lui-même être dans un état traduisant cette cohérence. Cela implique qu’il
fasse un certain travail sur lui pour tenter d’établir en lui cet équilibre. Alors, une fois la
stabilité ancrée en lui et intégrée dans sa vie quotidienne, travailler avec ce principe de
soin ne relève plus d’un effort, mais revient à laisser s’exprimer naturellement sa façon
d’être profonde.
Se centrer réellement sur le patient, créer une communion avec lui tout en gardant
une barrière souple, permet de faire abstraction de l’environnement ; celui-ci s’élimine.
L’extérieur s’organise pour ne pas troubler la relation créée entre thérapeute et malade.
Au-delà du fulcrum que le thérapeute crée pour la stabilité de la relation avec le patient,
c’est la relation elle-même qui devient un fulcrum à partir duquel l’environnement va
s’organiser.
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4.2.3. Place de la présence dans le cursus ostéopathique
Selon ce praticien, ce travail relève de la démarche personnelle. Ainsi, chacun ne
pourra l’entamer que lorsque la prise de conscience de l‘importance de cet état sera le
fruit de son expérience. Proposer ce type de travail dès le début du cursus risquerait
donc, selon lui, de dérouter quelques étudiants trouvant cette approche au mieux
rébarbative, au pire ‘détournante’.
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4.3. Praticien 3
4.3.1. Conditions d’une relation thérapeutique empathique
L’état d’être du thérapeute nécessaire à l’établissement d’une relation stable et
profonde est conditionné par trois éléments : l’empathie, l’état de dynamique vitale et
l’esprit de l’ostéopathe.
• Une attitude empathique :
C’est le pôle mental du centrage du thérapeute. Elle est la donnée de base de la
relation thérapeutique. L’empathie, « c’est se mettre à la place du patient », pour
entrevoir sa souffrance, sans pour autant l’absorber. Se mettre en relation avec le niveau
de douleur du patient peut permettre au thérapeute de trouver la force d’aller, avec le
patient, puiser cette souffrance.
Avec l’établissement du lien empathique dans la relation thérapeutique, le patient sera
mieux disposé à lever ses mécanismes de défense (revendication, masque social,
séduction, inhibition…). Il se sentira accueilli par le thérapeute et pourra percevoir la
sécurité dans ce lien. Cette attitude fait que le patient se sent écouté. Il sait par un canal
infra-verbal qu’il est entendu à tous les niveaux de son être. Le patient pourra alors
pleinement prendre part à la relation thérapeutique en s’incluant dans le processus de
guérison.
Par cette attitude, le thérapeute constitue un point d’appui pour le patient, une référence
de constance, de connaissance, de sécurité et de vacuité (la vacuité étant ici la capacité
à être disponible pour recevoir et entendre).
De plus, afin de favoriser ce climat de confiance, il est important de noter que la pièce
de consultation joue le rôle d’une enveloppe : la façon dont le thérapeute l’habite est
donc primordiale.
Avec certains patients, la mise en place de l’attitude empathique est immédiate et facile.
Avec d’autres, elle est plus difficile : cela semble s’expliquer par la notion de contre-
transfert négatif de la part du thérapeute. « L’ombre masque l’empathie. » Le travail sur
soi du thérapeute semble pouvoir permettre d’améliorer la qualité de son centrage, et
faciliter la mise en place de la relation empathique : « L’important, c’est d’être vrai. »
58
• Une bio dynamique vitale
C’est l’état corporel du thérapeute. Avant de prendre soin du corps des autres, il
paraît fondamental de prendre soin de son propre corps. Plusieurs éléments sont
proposés pour améliorer ou maintenir cet état à un niveau élevé :
Le traitement ostéopathique régulier
L’arrêt des toxiques
L’exercice d’une pratique corporelle équilibrante (art martial…)
• L’esprit du thérapeute
« L'esprit se réfère au " sens ", au symbolique, à l' infini, contrairement à la psyché
et au corps qui sont de l'ordre du fini. » Ce thérapeute ne décrit aucune méthodologie
d’ancrage sur ce niveau, évoquant le risque de schématisation et de réduction : « Tout
est une question de personne et de vécu, d'expérience et de pratique personnelle. » Il
propose cependant une formule qui lui semble résumer cette notion : « (…) je dirais
qu'il s'agit de rester dans l"OUVERT". »
4.3.2. Distance juste et écoute attentive
• Distance juste
Plusieurs qualités sont associées à l’attitude juste que ‘devrait’ adopter tout
thérapeute : équanimité, stabilité, mesure, concentration, point d’appui, disponibilité.
Elles lui permettent de trouver la distance juste. Il existe trois pôles dans la relation
thérapeutique : celui du patient, du praticien et celui qui constitue l’équilibre entre les
deux, formé par leur alliance (c’est la relation en elle-même). Cette alliance devient un
fulcrum mobile, non fixé, pour le couple praticien/patient. « Cet entre-deux permet à
autre chose de circuler. » Trouver la distance juste, c’est trouver l’équilibre entre deux
attitudes, entre être recueilli en soi et basculer dans le patient, être dans le patient. Il est
possible d’illustrer cette notion par l’équation : 1 + 1 = 3 : la rencontre du thérapeute et
du malade forme une troisième entité, correspondant à un espace de latence, et qui
permet la circulation allégée d’énergie. Cette mise en mouvement facilitant les
échanges énergétiques libère alors intuition et lâcher-prise. La création du troisième
pôle implique également le patient : se sentant porté par cette circulation et envahi par
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la présence du praticien, il laissera lui aussi plus de place à la créativité et à l’intuition.
Par la mobilité qu’ils entraînent, les échanges qui s’effectuent ont, chez les deux
protagonistes de la relation, des effets curatifs.
« Si la distance juste entre praticien et patient est trouvée, s’établit une troisième entité,
un vecteur de rencontre au-delà de la notion de bienveillance. »
La notion de 3ème pôle est également applicable au centrage du thérapeute : une
difficulté peut être, au début, de porter attention au système corporel du patient tout en
conservant la qualité du centrage. Trouver l’équilibre entre les deux apporte une
solution à ce problème : de la même façon que le thérapeute trouve l’espace juste entre
lui et le patient, il cherche l’équilibre entre ses mains et son Hara. Cela revient en
quelque sorte à diviser l’attention entre ces deux éléments de façon à ce qu’aucun n’en
soit privé.
• Silence intérieur
L’écoute nécessite un retrait de soi et un état de silence intérieur, préalables au
centrage. Ces paramètres apportent stabilité et neutralité au thérapeute. Il est de plus,
primordial de stopper le flot de pensées, qui constitue un véritable écran entre
thérapeute et patient, mais également pour le thérapeute lui-même : il atteindra plus
difficilement l’intériorité nécessaire à une écoute attentive. Le phénomène est identique
avec les paroles du patient. Le silence intérieur respecté mène à des états dans lesquels
la vigilance et la créativité sont accrues aux deux pôles de la relation. Cela se traduit,
pour le praticien, par une intuition plus développée, par la sensation d’une plus grande
transparence et même parfois d’une clairvoyance dans ses perceptions.
Il peut être difficile de passer d’un flux de pensées à un silence intérieur stable. Un pont
entre ces deux états peut être la focalisation : placer le mental sur un point (l’anatomie
par exemple) constitue un état intermédiaire entre agitation et silence.
Cet ostéopathe utilise, comme exercices de centrage permettant d’accéder au silence
intérieur, le yoga et la méditation de façon quotidienne.
Enfin, il n’y a pas de sensations particulières qui signent l’état de présence. Le manque
de fluidité et la fatigue signent à l’inverse l’absence de cet état. Ce qui prouve, selon ce
thérapeute, qu’instaurer un certain état d’être est indispensable au travail palpatoire, est
que sans lui, il n’y a rien.
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4.4. Praticien 4
Pour ce D.O., au cours du traitement, il existe un déclic, un passage d’un état à un
autre, qui traduit une plus forte implication du praticien dans la relation. Toute son
attention est alors focalisée sur le patient et ses problèmes. La mise en place de cet état
ne nécessite pas un effort ni une préparation particuliers (sauf lorsque le thérapeute se
décentre : la notion d’effort intervient alors pour retrouver l’état de présence). De plus,
dans cet état, la perception de l’espace et du temps est modifiée, souvent dans le sens
du ralentissement.
Dans certains cas, ce déclic n’intervient pas ou l’intensité de la présence est moins
importante. Ceci semble pouvoir s’expliquer par l’intérêt que peut susciter le cas du
patient pour le thérapeute. Certains patients réclament une plus grande attention, une
présence de meilleure qualité. La plus ou moins forte implication du thérapeute dans la
séance dépend de deux éléments : elle peut s’expliquer sur un plan physique, par
l’importance de la fixation des dysfonctions du patient, mais également sur le niveau
relationnel : certains patients nécessitent que le thérapeute élève son niveau d’empathie,
qu’il s’investisse davantage « humainement ». Quand le déclic s’opère, l’investissement
que nécessite cet état entraîne plus de fatigue après la séance : le praticien est plus
fatigué, « plus vidé d’énergie. »
Au début de sa pratique, le débutant doit exercer et mobiliser consciemment l’état de
présence et sa capacité à faire le vide pour se centrer sur le souci du patient. La routine
développée avec l’expérience peut devenir un obstacle dans la mesure où elle peut
dispenser le praticien de cette recherche.
Enfin, ces notions ont été abordées durant son cursus d’études ostéopathiques,
notamment par l’enseignement de Pierre Tricot.
61
4.5. Praticien 5
L’état de disponibilité correspond à un centrage du thérapeute sur lui-même. La
première étape est d’assurer une assise stable, par un processus d’enracinement des
appuis dans le sol, base sur laquelle l’état nécessaire à l’accompagnement du malade
pourra se développer. Cet état est caractérisé par la détermination du thérapeute à
comprendre en profondeur comment il va pouvoir aider le patient. Il s’agit de se rendre
disponible en laissant « le reste là où il se trouve », de faire disparaître toute
préoccupation extérieure. Cela se traduit par la sensation que le praticien se rassemble
en lui puis dans l’espace du patient. La perception d’écoulement du temps est
également modifiée. Les changements qu’engendre l’état de présence se situent au
niveau de la rapidité des relâchements et de l’efficacité du traitement, et des sensations
éprouvées.
Le travail sur soi du thérapeute est, selon ce praticien, fondamental et a « tout changé »
dans sa pratique.
La facilité que le thérapeute éprouve à travailler est directement proportionnelle à la
présence du patient à lui-même et aux changements qui s’opèrent au fur et à mesure du
traitement.
62
4.6. Praticien 6
L’investissement du thérapeute dans la séance varie en fonction de chaque
patient et est difficilement produit de façon artificielle. Il semble que l’histoire, le vécu
(notamment, ici, 15 ans d’expérience en psychomotricité) du thérapeute soit un facteur
plus important que des exercices réguliers. L’état de communion surgit de façon
spontanée, en fonction de la souffrance qu’exprime le patient, du moment et de l’état du
thérapeute, de ce qu’évoque le cas du patient (« s’il fait vibrer ou non »). La création de
cet état nécessite cependant quelques conditions :
- la posture du praticien : être assis sur les ischions et le plancher pelvien afin de trouver
la juste verticalité du tronc.
- « aimer la personne » : ceci permet de recevoir de façon directe des informations sur
son caractère, sa façon de fonctionner, et même des images de scènes du vécu du
patient.
Ces deux éléments posent une base à l’état de communion. L’expérience du thérapeute
agit également de façon importante : l’accès à ces informations n’était pas possible au
début de sa pratique.
La conscience que le patient a de son corps et la présence qu’il dégage durant la séance
modifient les perceptions du thérapeute en les rendant plus claires, plus simples. Aider
le patient à conscientiser ses sensations corporelles permet de pousser plus loin et de
façon plus rapide les relâchements lors du traitement. Cet état engendre également une
modification de la perception de l’espace et du temps.
Ces notions ont été abordées durant le cursus d’études ostéopathiques de ce thérapeute
par l’un de ses enseignants, Franck Gilly.
63
4.7. Praticien 7
L’état de présence correspond ici à une prise de conscience de la position du
thérapeute entre ciel et terre. Le praticien est comme attiré vers ces deux pôles ; comme
un corps situé entre deux aimants, il est étiré selon une verticale. Rejoindre cet état
pourrait également s’exprimer par un zoom arrière ; une prise de recul qui permettrait à
l’homme de se retirer pour qu’il ne reste plus que le thérapeute dans la relation. Cet état
correspond de plus, à un centrage du praticien par rapport à son environnement.
Cependant, il est presque impossible de maintenir, dans le temps, un tel niveau de
présence. En effet, les exigences existentielles (emploi du temps trop chargé…) et
parfois le cas de certains patients empêchent la personne de se retirer totalement lors de
la séance.
Proche de l’état de la personne dans la vie quotidienne, l’état de présence s’atteint, ici,
de façon relativement spontanée ; il nécessite cependant quelques conditions. Une fois
une verticale trouvée, le centrage entre terre et ciel réalisé, le thérapeute adopte un état
d’esprit particulier : avoir la volonté de comprendre ‘où est le chemin du patient’. C’est
chercher à comprendre le besoin profond du patient.
Un travail sur soi est indispensable pour proposer un appui stable dans la relation
thérapeutique. Les ‘épreuves de la vie’ et l’expérience semblent être des facteurs
importants dans l’amélioration de l’état de présence.
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4.8. Praticien 8
4.8.1. Centrage
Toute pratique est introduite par un moment de centrage. Il est constitué de
rituels personnels acquis, pour la plupart, au cours des expériences d’accompagnement
à la naissance à domicile. C’est dans ces moments que la nécessité d’une présence à
100% du thérapeute est apparue. Le centrage s’effectue par une attention totale
focalisée sur le patient, ainsi qu’une intention neutre : sans désir de guérison.
L’intention du thérapeute est de ne constituer qu’un point d’appui. Avant chaque
séance, une mise à niveau est effectuée par quelques phrases : Vais-je être pleinement
neutre ? Puis-je travailler dans mon état ? L’état de présence s’exprime par la
sensation d’être vraiment présent de tout son corps. Cette sensation est accompagnée
d’impression d’harmonie et d’accord. Cet état requiert un silence intérieur, un
recueillement en soi, et sa qualité ne dépend pas du patient, mais bien de la capacité
qu’a le thérapeute à se centrer.
L’état de présence s’est affiné avec l’expérience. Il a pris une part de plus en plus
importante dans la pratique et, en parallèle, dans la vie quotidienne. Son exercice est
très lié à une recherche spirituelle, et est constitué de moments de méditation.
4.8.2. Perceptions
Rejoindre cet état est ici indispensable pour pratiquer et avoir accès à un domaine
perceptif plus large. Cela permet en effet des perceptions intuitives extra-sensorielles,
dont la nature varie selon chaque patient (scènes, images, odeurs, sensations corporelles
de ce que ressent le patient…) L’état de présence agit comme un stimulant des sens.
L’état de présence permet de percevoir où le patient en est dans l’instant et ainsi
d’adapter le traitement à ses possibilités du moment. Cela permet d’éviter d’aller en
force et d’aborder des éléments que le patient n’est pas prêt à travailler. Cela revient à
rejoindre le réel du patient et s’y adapter pour un plus grand respect de sa personne…
La présence que dégage le patient et la conscience qu’il a de lui-même permet de
conforter les pistes pressenties intuitivement et de travailler plus en profondeur.
65
4.9. Praticien 9
4.9.1. L’état de présence
L’état de présence correspond ici à une attention élargie, à laquelle n’échappe
aucun détail, de sorte qu’il augmente grandement la finesse des perceptions reçues par
l’ostéopathe. De plus, il n’y a pas d’intention particulière mais tous les sens sont en
éveil de façon à ce que le thérapeute soit prêt à accueillir toutes les informations en
provenance du système corporel du patient. Il s’agit paradoxalement d’une sorte
d’ « absence » : le praticien « laisse traîner » ses sens, comme on laisserait traîner les
yeux sur un paysage. Cette ‘absence’ semble correspondre à un lâcher-prise dans lequel
le thérapeute est totalement disponible, ouvert à la perception.
Il n’y a pas de paramètres précis concernant la mise en place de l’état de présence : il
semble que ce soit plutôt l’expérience et diverses rencontres qui aient permis à ce
praticien de travailler et de renforcer cet état. Quelques conditions apparaissent pourtant
nécessaires : instaurer un silence intérieur (et travailler dans un environnement calme
peut y aider), adopter une posture juste et droite.
4.9.2. Place dans le cursus ostéopathique et exercices
La rencontre avec certaines personnes (entre autres, Alexandre Lagoya, Alberto
Ponce, Pierre Tricot, Viola Frymann, James Jealous, Masamichi Noro, Franck Gilly) a,
dit-il, aidé à la prise de conscience de l’importance que peut prendre l’état de présence
dans la pratique ostéopathique. Toutefois, les paramètres de mise en place de la
présence lui semblent trop complexes et subtils pour être décrits ou modélisés.
Dans cette approche, la présence du patient, son investissement peuvent faciliter le
traitement. S’adapter à lui, l’admettre tel qu’il est, est donc important : « Franck Gilly,
merveilleux enseignant, disait du patient : « il est le thérapeute absolu de notre
relation… » ». Et toujours à propos du patient : « Sur la mer le seul élément stable est
le vent, puisque c’est par rapport à sa force, sa direction, son absence ou sa présence
que l’on établit le programme du bateau, rien de plus aléatoire, n’est-ce pas ? Pourtant
sans lui rien ne se passe, on peut faire les meilleurs réglages du monde, agiter la barre
dans tous les sens, pas de vent pas de vie ! Je ressens le patient comme ce vent que l’on
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ne contrôle absolument pas, mais sans qui l’on ne peut rien faire. Essayez de travailler
sur une bûche, vous verrez la différence ! »
La musique et la pratique de l’Aïkido sont deux des éléments qui semblent avoir un
impact sur l’état de présence de ce thérapeute, constituant peut-être en quelque sorte
des exercices. Ce thérapeute met en parallèle la pratique instrumentale et celle de
l’ostéopathie : les deux nécessitent une parfaite maîtrise technique « oubli[ée] » à partir
de laquelle peut croître une écoute « de l’éphémère, du volatile, de l’impalpable ».
C’est sur une base technique stable que peut se développer une écoute intuitive.
67
4.10. Praticien 10
4.10.1. L’état de présence
L’état de présence est nommé, par ce thérapeute, état de reliance ou de
présence thérapeutique. Cet état signifie davantage que de se relier simplement au
patient : c’est chercher à l’aider à dévoiler son besoin le plus profond. Pour cela, il
s’agit de mettre à la disposition du patient, savoir, patience et compassion. Et c’est
selon lui plus que de la simple empathie. Rejoindre cet état pourrait revenir à trouver la
juste place entre concentration et distance.
Traiter selon ces dispositions occupe, dans sa pratique, une place importante. Par
l’expérience, il parvient à rendre l’état de reliance quasiment permanent. Et le seul fait
d’accepter, de se « pardonner » d’avoir, quelques instants, quitté l’état de reliance suffit
immédiatement à replonger en totale disponibilité.
Selon lui, une phrase peut résumer ce qui lui permet de rejoindre cet état : « Si c’est
possible, je le ferai… » Un autre élément paraît accroître la facilité qu’il possède
aujourd’hui à rejoindre cet état : c’est l‘Amour qu’il porte à son travail. Et cela semble,
chez lui, primordial.
L’état de reliance lui procure une grande clarté d’esprit, une profonde tranquillité et la
capacité de ressentir ce que le patient veut profondément ou inconsciemment
communiquer. Ses perceptions sont, de plus, clairement facilitées par une bonne qualité
de présence.
4.10.2. Le travail sur soi du thérapeute L’exercice et la répétition permettent d’améliorer la qualité de présence du praticien.
Mais un autre élément entre en jeu : la connaissance et la compréhension que le
thérapeute a de sa part d’ombre. Les qualités que cet état requiert demandent donc de
la part du praticien un travail sur lui pour lui permettre d’« être en quelque sorte
dénudé, complètement épuré, débarrassé de ses problèmes personnels, qu’ils émanent
de [son] passé, de [sa] vie courante ou d’une certaine peur de ne pas résoudre le
68
problème du patient ». Plusieurs thérapies ont permis à cet ostéopathe de prendre
conscience de sa part d’ombre et de la comprendre.
« Il convient avant de désirer oeuvrer pour les autres de travailler quelque peu sur soi-
même : « Médecin, guéris-toi toi-même… ». Je crois que c’est une phrase de la Bible
attribuée à Jésus. »
4.10.3. Place dans le cursus ostéopathique et exercices
Sa rencontre essentielle sur ce thème a été celle avec Pierre Tricot. C’est par elle
qu’il affirme avoir pris conscience de l’importance de la présence : c’est, selon lui, de la
qualité de cet état que dépend la réussite de la séance. Le travail d’ « ancrage du
praticien » réalisé avec P. Tricot lui a permis d’acquérir « constance, stabilité et
permanence » dans sa façon d’être là.
Ce praticien insiste sur la nécessité d’apaiser le rythme de la vie quotidienne : il
pratique en effet « une demi-heure de méditation quotidienne depuis plus de 20 ans,
plus une heure de marche et assez souvent du Taï Chi ou du Qi kong ». La pratique de
la sophrologie lui a également beaucoup apporté en matière de concentration
4.10.4. L’aide des patients
La plus ou moins grande qualité de présence des patients et la conscience qu’ils
ont d’eux-mêmes modifient de façon sensible la facilité qu’a le thérapeute à rejoindre
cet état. Les patients qui portent de grandes colères ou des sentiments très négatifs en
eux créent un véritable écran, une projection magnétique entre eux et le thérapeute. Ces
relations deviennent coûteuses en énergie car elles demandent de la part du praticien un
effort supplémentaire pour dépasser ces barrières, ce transfert. « Avancer avec ce type
de patient demande énormément de recul, d’expérience, de patience et de
compassion. » Se formuler intérieurement la phrase suivante peut aider à surmonter
l’écran constitué par des réactions négatives : « Ce n’est pas à moi qu’ils en veulent, et
c’est à moi qu’ils demandent aide. » A l’inverse, les patients ayant déjà réalisé un
travail sur eux s’avancent vers le thérapeute en « s’offrant à son ressenti », se laissant
déchiffrer par sa palpation. Ce praticien en déduit de façon schématique et globale deux
grands types de patients : les centrifuges et les centripètes, « ceux qui acceptent d’aller
69
vers l’extérieur et ceux qui se retirent en eux-mêmes en tentant d’interposer cuirasse et
résistances. (La célèbre tactique du bigorneau) »
70
4.11. Praticien 11
4.11.1. Le centrage vers la disponibilité
L’état de présence s’exprime chez ce thérapeute par une mise en disponibilité
d’esprit et physique dans le but d’affiner les capacités perceptives. Se rendre
disponible correspond à se mettre au service du patient ; cette disposition inclut la
notion de bienveillance. Rejoindre cet état nécessite de se donner un temps
préparatoire, durant lequel le praticien va chercher à s’apaiser pour mieux s’accorder
au patient : c’est par la volonté, l’intention de se rendre disponible, à accueillir, que le
thérapeute s’accorde au patient. Trouver la posture juste facilite la mise en place de cet
état : se tenir assis de façon droite, sans crispation, en se relâchant dans les trapèzes, par
exemple, lors de l’expiration. De plus, assurer une posture juste permet de libérer la
mobilité des doigts, de les rendre aussi disponibles aux changements qui s’opèrent au
sein du patient que l’est l’esprit du thérapeute.
Rejoindre cet état facilite entre autres une communication fine infra verbale avec le
système corporel du patient (interrogation tissulaire mentale). L’état d’apaisement a
également une incidence sur la qualité de la relation thérapeutique : il permet une plus
grande profondeur et une stabilité accrue. Le patient livre alors plus facilement son
besoin le plus profond.
4.11.2. Développement de la présence
Ces notions ont été évoquées durant sa formation ostéopathique, l’accent étant
mis sur l’intérêt du contrôle de l’attention et de l’intention.
Une psychothérapie a permis à ce praticien d’atteindre l’état d’apaisement vu plus haut
dans sa pratique ostéopathique ainsi que dans sa vie quotidienne. Il considère par
ailleurs l’épanouissement auquel peut conduire ce type de travail psychothérapeutique
comme fondamental dans sa pratique ; ces deux notions d’épanouissement de la
personne et d’apaisement étant étroitement liées. Enfin, la thérapie lui a également
permis de diminuer la dynamique de contre-transfert, atténuant ainsi l’impact que le
patient pouvait avoir sur son état de disponibilité.
71
Le chant et l’écriture pratiqués de façon régulière participent eux aussi à cet
épanouissement : ils peuvent en cela constituer des champs d’exercice pour cultiver la
présence.
72
4.12. Praticien 12
4.12.1. L’état de présence
Ce praticien définit l’état de présence comme « un état dans lequel l’attention
est entièrement disponible à une perception, à une impression, à une information. » Il
parle également de vacuité, proposant l’image d’un coffre vide, « capable d’accueillir
le contenu que l’on veut y mettre ». Il s’agit selon lui d’un état de conscience différent
de celui de la vie quotidienne ; son modèle explicatif est alors emprunté à KG
Dürckheim. Celui-ci différencie deux types de consciences : la conscience flèche et la
conscience coupe. La première correspond à l’état dans lequel l’homme se trouve au
quotidien, lorsqu’il recherche un objectif, un résultat : c’est la conscience du faire. Par
opposition, la conscience coupe est celle du non-faire : « Le non-faire est le choix
indispensable pour être disponible à la perception. Celle-ci est recueillie par la
conscience coupe (le coffre vide). » De plus, Dürckheim localise la conscience flèche à
l’avant de la tête et la conscience coupe à l’arrière ; ce thérapeute ajoute que l’os frontal
pourrait figurer la conscience flèche, l’os occipital la conscience coupe.
Ce praticien considère l’immersion dans cet état comme primordiale dans sa pratique.
Avec l’expérience, le rejoindre s’avère plus facile. Un rituel de centrage lors du premier
contact (toucher) avec le patient s’est mis en place et s’effectue maintenant de façon
quasi-automatique. La sensation d’avoir atteint l’état juste s’exprime lorsqu’il perçoit
une sensation de détente physique et d’amplification.
Concernant les paramètres précis de la mise en place de l’état de présence, le plus
simple est tout d’abord de laisser ce praticien en parler :
« (…) je vous invite à faire l’expérience suivante, sans réfléchir.
1- Quelle partie de votre tête percevez-vous spontanément, de la façon la plus
évidente ? Pour que la démonstration soit réussie j’aimerais que vous répondiez
le front, le visage ou en tout cas la partie antérieure de la tête. C’est sûrement
le cas si vous êtes au moment de l’essai dans le mode de fonctionnement le plus
habituel, qui nous concerne tous, particulièrement dans la société où nous
vivons.
73
2- Pour la deuxième partie de l’expérience, sans analyser davantage, essayer de
projeter cette sensation à l’arrière de votre tête et si vous y parvenez, essayez
d’enregistrer les sensations qui accompagnent ce transfert. Quelles sont-elles ?
Sur le plan corporel, vous devriez éprouver de la détente, une grande détente.
3- Si c’est le cas, alors, remerciez, remerciez sincèrement de tout votre cœur et
enregistrez ce qui se passe dans votre corps. »
Il décrit de plus, différentes intensités de présence : à partir d’un état de présence
considéré comme moyen et en fonction des besoins qu’a le patient avec lequel il
travaille, le praticien pourra s’enfoncer plus profondément dans cet état de perception,
dans la conscience coupe.
Le silence intérieur est le résultat de cette démarche ; il sert également à prendre de la
distance avec le mental, en action dans l’état de conscience ordinaire. L’agitation
mentale constituerait un obstacle à la présence. Ainsi, tout ce qui n’est pas en lien avec
la relation thérapeutique, toute émotion, préoccupation persistante ou fatigue qui
pourraient gêner tout praticien dans sa phase de centrage, pourront être éloignés.
Enfin, la posture revêt un rôle important : rejoindre l’état de présence est plus facile si
le praticien se tient assis, le dos droit, les épaules relâchées et la respiration calme et
circulant librement. Fermer les yeux peut également faciliter la mise en place de cet
état.
4.12.2. Prise de conscience et exercices
Ce thérapeute affirme que la pratique d’un art martial (le Kung fu) lui a permis
de prendre contact avec ce que les Japonais nomment le Hara10, selon lui, le principal
fulcrum de l’homme. Il ajoute qu’ « être présent implique une perception assez claire
du Hara ». De plus, selon ce thérapeute, toute forme de psychothérapie, pourvu qu’elle
permette de prendre de la distance avec le mental, peut être bénéfique au praticien qui
recherche une meilleure qualité de présence. Enfin, « la conscience de son propre corps
est une aide indispensable apportée par certaines pratiques physiques ou encore la
pratique de la relaxation ou d’une approche de la méditation. »
10 Voir chapitre 4.3. La voie de l’exercice – KG Dürckheim
74
Il affirme que le début de sa pratique était guidé par la volonté de faire alors que c’est
par le non-faire que, selon lui, le thérapeute peut se placer dans de bonnes conditions
pour accueillir les perceptions. L’état de présence « (…) est quelque chose qui s’est
éduqué peu à peu, par nécessité, tout d’abord pour être ou essayer de trouver un
accord avec [son] « guide suprême » : « la vérité est dans les tissus ». Suivre les tissus
imposait l’écoute sans volonté de faire. » C’est l’amplification des perceptions qui a
permis la véritable prise de conscience de l’importance de cet état. C’est, dit-il, la
rencontre avec le potentiel, cette forme de présence en chacun, qui permet au thérapeute
de comprendre que c’est cette ‘réunion’ qui fait tout le travail, que Cela fait tout le
travail. Il ajoute : « Et Cela se fait d’autant mieux que le praticien accepte justement
que ce ne soit pas lui qui transforme ; il accompagne simplement cette transformation.
Essayez aussi « d’accepter », de dire les yeux fermés aussi sincèrement qu’il vous est
possible de le faire : « oui à ce qui est. » »
L’attitude de certains patients peut renvoyer le praticien à ses propres difficultés, créant
alors un obstacle à la mise en place d’une présence de qualité. Le travail sur soi du
thérapeute pour se libérer de son cas prend encore une fois tout son sens. Le patient
apporte d’autant plus d’aide qu’il se relâche dans son corps, qu’il en prend conscience,
acceptant d’être là où il est. L’attitude inverse se traduit par une forme de résistance
(involontaire ou non).
75
4.13. Praticien 13
Ce praticien nomme l’état de présence passage en onde alpha et est pour lui
fondamental. Sa mise en place s’effectue au premier contact avec le patient, dès
l’anamnèse, puis se prolonge tout au long du travail. Il parvient à cet état par une
pratique corporelle personnelle et en installant un silence intérieur. Il soigne pour cela
sa posture corporelle à la fois intérieurement et extérieurement, les yeux fermés
facilitant également la mise en place de l’état de présence.
Lors d’une rencontre précédente avec cet ostéopathe, j’ai pu découvrir un moyen de
centrage particulier : l’exercice commençait en se tenant debout, droit. Une fois un
certain silence intérieur atteint, ce praticien proposait d’accepter de laisser tomber le
bas-ventre en le relâchant. Il proposait ensuite d’imaginer et de ressentir le
développement d’une queue partant du coccyx et allant jusqu’à reposer sur le sol, en
arrière. Il s’agissait enfin de chercher l’équilibre entre les deux, par de légères
oscillations antéro-postérieures. Peut alors survenir l’impression de reposer, de
s’asseoir dans le bassin.
Certains éléments rendent plus difficile le passage en onde alpha pour ce
thérapeute : une fatigue personnelle et des patients entrant en résonance avec son propre
cas, par exemple. C’est la difficulté à différencier toutes les informations provenant du
système corporel du patient et à gérer certains patients ‘difficiles’ qui a permis la prise
de conscience de l’importance de cet état. Enfin, les patients possédant une conscience
d’eux-mêmes affinée apportent une aide en permettant un travail plus en profondeur ; la
notion de plaisir, de partage joue dans ce cas un rôle important.
L’état de présence a été développé par des exercices d’apprentissage de passage
en onde alpha. Cette notion étant absente de son cursus ostéopathique, son
développement lui a été possible par des rencontres avec d’autres thérapeutes et un
travail de développement personnel.
76
4.14. Praticien 14
Les paramètres de présence occupent une place principale dans la pratique de
cet ostéopathe ; il les nomme « syntonisation ». C’est selon lui « la base de
garantie de pouvoir être ». Les principaux paramètres permettant d’accéder à
l’état de syntonisation sont enracinement et lâcher prise, aidés par la mise en
place de l’attention et de l’intention.
L’atteinte d’un bon niveau de présence s’exprime, pour lui, par une sensation
d‘ouverture au niveau du cœur. Un silence intérieur s’établit spontanément.
Des sensations émergent alors du système corporel du patient : « elles sont
multiples et variées (images, mots, couleurs). Leur perception est plus que
facilitée par l’état de présence, elle n’est possible que par l’état de présence. »
L’environnement ou la plus ou moins bonne conscience que le patient a de lui-
même ne semblent pas modifier la qualité de présence de ce thérapeute, ni rendre
plus ardue la mise en place de l’état de syntonisation.
L’importance de la mise en place de cet état lui est apparue progressivement
lorsqu’il débuta sa pratique en cabinet. Sa rencontre avec Pierre Tricot a
également facilité cette prise de conscience.
Cet ostéopathe affirme qu’un travail sur son ‘cas’ lui a permis d’améliorer la
qualité de sa syntonisation au patient. Il pratique des exercices de centrage à
l’aide de ballons…
77
4.15. Réflexions sur les entretiens
Malgré la diversité des pratiques de la présence évoquées ci-dessus, il est
possible de repérer des constantes, des lignes de force ou au contraire des styles
différents dans la mise en place de l’état de présence. Il ne s’agit à aucun moment
d’installer une hiérarchie dans ces pratiques mais simplement de tenter de faire ressortir
les pôles d’opposition ou au contraire les propriétés communes.
4.15.1. Le centrage
Les effets positifs du centrage sont unanimement reconnus par les praticiens
questionnés – ce qui n’est en soi pas significatif puisque ceux-ci ont été contactés pour
l’importance présumée qu’ils accordaient à cet état d’être.
Mettre en place cet état de présence procure au thérapeute de nombreux
bénéfices. Le centrage modifie les perceptions du thérapeute en lui donnant accès à un
champ perceptif plus large – la notion d’élargissement étant souvent citée en ces
termes. Elle permet de recevoir les informations de façon plus directe et naturelle, voire
même d’accéder à une clairvoyance dans ces perceptions. Ainsi s’établit un canal de
communication infra-verbale libérant intuition et créativité. Se centrer entraîne, de plus,
chez le thérapeute une modification de la perception de l’écoulement du temps en
comparaison avec celle correspondant à l’état de conscience de la vie quotidienne : à
plusieurs reprises, l’accent est mis sur un ralentissement.
Le centrage permet de créer une interface, un courant de communication
privilégié dans lequel le patient se sentira écouté et reconnu : il pourra ainsi abaisser ses
mécanismes de défenses et lever son ‘masque social’ pour dévoiler son besoin profond.
Cette communion impliquera plus encore le patient dans la relation thérapeutique lui
permettant de s’investir entièrement dans son processus de guérison.
4.15.2. La mise en place de la présence
1. Des attitudes différentes dans la relation thérapeutique
La rencontre thérapeutique peut se concevoir comme une relation triangulaire,
où chacun des trois pôles est régi par les deux autres et en même temps les influence.
Le patient, le thérapeute et la relation elle-même constituent les trois pôles de cette
rencontre.
Relation thérapeute -patient
Patient Thérapeute
Il est intéressant de voir que pour définir l’état de présence, les thérapeutes
privilégient l’un de ces pôles mettant l’accent préférentiellement sur la personne du
thérapeute lui-même, sur le patient, et/ou sur la relation thérapeute/patient. On peut se
demander si un tel positionnement ne correspond pas à des styles thérapeutiques
différents, question qu’il serait intéressant d’approfondir avec un nombre plus
important d’entretiens.
Une telle classification n’est absolument pas rigide : certains thérapeutes mêlent
plusieurs de ces orientations, mais des dominantes apparaissent clairement. En outre,
ces différents types de centrage semblent être les différentes étapes d’un seul et même
processus.
78
79
• Le centrage sur le ‘pôle-thérapeute’ demande que le thérapeute « [fasse] le
plein » en lui. Se mettre dans un état de présence implique qu’il contacte d’abord sa
propre personne. Avant de s’ouvrir aux perceptions de l’autre, le thérapeute
intensifie les sensations liées à la présence à son système corporel : il se rend
présent à lui avant de s’ouvrir à l’autre. C’est par la prise de conscience de son
propre mécanisme que le thérapeute peut ensuite rencontrer et porter son attention
vers le système corporel du patient. Ainsi, les ostéopathes utilisant ce mode de
centrage insistent sur l’importance de créer une harmonie en soi, de percevoir la
mobilité de leur propre corps et d’y reconnaître les zones d’hypomobilité… Ceux
qui privilégient cette démarche insistent souvent sur la nécessité d’installer une
neutralité intérieure et même de projeter une intention neutre. Négliger cette
dernière étape risquerait, selon certains, de projeter sur le patient les conflits
internes du praticien ou de ne simplement pas lui procurer le point d’appui stable
dont il a besoin. C’est pour cela que ces thérapeutes insistent sur le travail,
notamment psychothérapeutique, que le praticien doit effectuer sur lui.
Se centrer de cette façon pourrait correspondre au processus d’enracinement.
• Focaliser le centrage sur le ‘pôle-patient’ de la relation demande d’éprouver de
l’empathie à son égard. Il s’agit, ici, de se mettre à la place du patient. Ceux qui
semblent privilégier ce pôle insistent sur la nécessité d’un retrait de soi lorsque le
thérapeute fait le vide pour rejoindre le système corporel du patient. Dans ce type de
centrage, l’état d’être du patient joue un rôle important : c’est en fonction de lui et
de l’empathie qu’éprouve le thérapeute que dépendra le niveau de présence du
praticien. Il est donc apparu que rejoindre cet état s’effectue, dans ce cas, de façon
relativement spontanée et qu’il semble difficile de le créer de façon artificielle –
ceci est d’autant plus marqué que les défenses du patient sont importantes.
On retrouve là le processus de lâcher-prise : une fois le thérapeute enraciné (style de
centrage précédent), une fois qu’il s’est retrouvé, il peut s’ouvrir et rejoindre le
patient.
80
• Les ostéopathes qui, pour accéder à l’état de présence, mettent l’accent sur le
centrage sur la relation, utilisent les termes d’Amour et d’empathie et recherchent
la création d’une communion, avec le patient. De par le fait qu’ils se centrent sur un
« entre-deux », sur la relation elle-même, ils doivent rechercher la tension juste
entre eux-mêmes et le patient ; cette tension est en quelque sorte la distance qui les
sépare. L’équilibrer nécessite de trouver la distance juste, le centrage juste, partagés
qu’ils sont entre la nécessité d’être présent au système corporel du patient et le fait
de ressentir la présence de leur propre système. Cet équilibre revient à trouver le
juste milieu entre concentration et distance.
Cette phase pourrait enfin symboliser le centrage entre enracinement et lâcher prise.
2. Quelles démarches, quelles procédures sont mises en place ?
La mise en place de l’état de présence implique chez un certain nombre de
thérapeutes la mise en place de rituels.
• Un axe vertical ou un axe antéro-postérieur
Pour se centrer dans leurs corps, les thérapeutes utilisent deux axes différents :
vertical et horizontal antéro-postérieur.
Certains thérapeutes voient le centrage comme le fait de trouver sa place entre terre
et ciel (entre enracinement et lâcher-prise). Ils recherchent la verticalité de leur corps.
Lors des entretiens, et au moment où la position physique qu’ils adoptent est abordée,
on voit alors leur corps se redresser, en assurant de bons appuis sur les ischions (ou sur
le plancher pelvien) et au niveau des pieds, donnant l’impression de trouver
immédiatement et naturellement la verticalité juste. Se centrer, c’est donc retrouver sa
verticalité : on retrouve un exercice similaire chez R. Vittoz11 quand il propose à ses
patients de tracer un 1 mental.
D’autres préfèrent fonctionner sur un modèle de centrage antéro-postérieur selon un
axe horizontal (par ailleurs souvent localisé au niveau du crâne). Cela consiste la
plupart du temps à visualiser et prendre conscience de l’espace compris entre frontal et
occiput ; c’est un mouvement arrière, une prise de recul. Sa symbolique consiste à
prendre de la distance.
11 Voir l’exercice de concentration sur le « 1 » (4.2.2. Mise en pratique)
81
Il serait intéressant de vérifier si ce mode de centrage corporel est en lien avec les
styles thérapeutiques ébauchés ci-dessus : le centrage vertical concernant plus ceux qui
privilégient le pôle thérapeute et l’axe horizontal ceux qui privilégient le patient. Mais
le nombre d’entretiens n’est pas suffisant pour confirmer cette hypothèse
• Le silence intérieur
De ces trois styles de centrage émergent des points communs : le silence intérieur
en fait partie. C’est l’une des conditions les plus souvent citées. Il consiste pour le
thérapeute à faire cesser le discours interne. Il est pour certains considéré comme un
résultat du centrage, pour d’autres comme une condition, un préalable à son succès. Les
notions de concentration et de disponibilité sont également récurrentes.
• Les absents
Il est intéressant de constater que le contrôle de la respiration comme moyen
d’apaisement et le lâcher prise à ce niveau sont très rarement cités. De même, rares sont
ceux qui insistent sur l’importance d’un enracinement et qui disent commencer par un
rituel qui implique une prise de contact avec le sol, un peu à la façon adoptée par
certains chanteurs pour prendre racine avant de chanter. Pour en tirer des conclusions
plus précises, il serait là encore nécessaire d’affiner un questionnaire en soumettant à
des thérapeutes une liste de propositions fermées de rituels adoptés pour privilégier la
mise en place de l’état de présence pour approfondir cette question.
3. Faire ou ne pas faire
Enfin, on peut faire ressortir une autre opposition : ceux qui privilégient le faire et
ceux qui se situent dans le non-faire.
Certains praticiens qui se centrent d’abord sur eux avant de rejoindre le patient
paraissent adopter une attitude de ‘non-faire’ : « ne pas vouloir guérir », se refuser à
adopter « un projet thérapeutique ». C’est peut-être là un moyen intéressant de se
libérer de la peur de ne pas réussir à guérir le patient, cette peur étant un obstacle à la
82
présence. Eugen Herrigel12 développe une notion similaire et paradoxale dans l’art du
tir à l’arc dans la tradition zen bouddhiste japonaise : le souci de réussir l’action (la
volonté de mettre la flèche au centre de la cible) et son corollaire (la peur d’échouer),
conduisent à l’échec. C’est seulement lorsque l’homme s’est défait de l’emprise de son
Moi (qu’alors, Cela tire), que le désir de réussir ou la crainte d’échouer disparaît : alors,
l’action se fait, elle n’est plus faite.
4.15.3. Educable ou inné ?
De l’étude de cette question ressortent encore une fois plusieurs réponses possibles.
• Tout vient avec le temps et l’expérience
Selon certains des ostéopathes questionnés, l’état de présence se développe par
l’expérience aussi bien professionnelle que personnelle. C’est pour eux plutôt par la
répétition que la qualité de la présence s’affine. Ils font souvent partie des thérapeutes
pour qui la survenue de cet état s’effectue de façon spontanée et qui n’éprouvent pas la
nécessité de faire appel à un rituel.
Les thérapeutes pour qui la place de l’état de présence dans leur cursus d’études
ostéopathiques n’est pas mentionnée, n’ont pas reçu d’enseignement à ce sujet durant
ce cursus.
• La nécessité d’un travail sur soi du thérapeute
Pour quelques uns, une des démarches les plus efficaces pour le développement
de la présence est le travail sur soi du thérapeute : le praticien libéré de ses ancrages
personnels sera d’autant plus disponible à l’écoute du patient. Ceux-ci font alors
allusion à un travail guidé par un thérapeute (de type psychothérapeutique ou autre).
Pour d’autres, une des conditions est de soigner son propre corps : hygiène de
vie, soins ostéopathiques réguliers sur sa propre personne.
12 Eugen Herrigel (1884-1955), philosophe allemand, est parti au Japon pour étudier le Zen. Il lui est alors apparu que la façon la plus sûre de rencontrer le Zen était d’en faire l’expérience. Il a ainsi suivi l’enseignement d’un Maître de tir à l’arc, Kenzo AWA.
83
• Exercer l’état de présence à travers des activités spécifiques
Enfin, pour une majorité, c’est l’exercice qui permet de cultiver et de
développer l’état de présence. Les moyens pour y parvenir sont variés : pratique de la
sophrologie, pratiques corporelles diverses, voire pratique artistique (musique,
écriture). A ceci est souvent couplé un travail plus spirituel à travers la pratique de la
méditation ou des arts martiaux.
84
5. COMMENT EDUQUER LA PRESENCE ?
L’objectif de cette partie n’est en rien de tenter de donner une vision exhaustive de
ce qui peut permettre d’améliorer la qualité de présence du thérapeute. Il s’agit
simplement de présenter quelques approches travaillant sur le phénomène de présence
et pouvant constituer des pistes pour l’exercer. Il est évident que tout travail cherchant à
libérer la personne des ancrages de son vécu l’empêchant d’être totalement présente est
bénéfique.
5.1. Les pistes de Pierre TRICOT
P. Tricot affirme que deux éléments peuvent améliorer la présence : la répétition
(ou l’entraînement) et la libération du cas du praticien. L’entraînement est
indispensable mais ne permet pas forcément de dissoudre les attaches constituées par
les vieilles blessures non traitées du thérapeute.
5.1.1. Le cas du praticien
La conscience utilise la perception pour échanger et se savoir exister. Ainsi
n’est réel pour elle que ce qu’elle perçoit. Ce modèle postule que l’être humain est un
agrégat de consciences organisées, centré par un fulcrum Je. Je perçoit l’extérieur par
l’intermédiaire du système corporel, donc par le système sensoriel formant ainsi une
interface entre les mondes intérieur et extérieur. Si l’interface est faussée, elle va
modifier la perception que la personne a du monde, lui faisant croire que ce qu’elle
perçoit est la réalité.
85
• De la rétention au cas
Ce modèle conçoit la rétention dans le système corporel conscient (source de la
dysfonction) comme étant causée par un trop plein d’influx d’énergie que le système
corporel n’a pas eu le temps de gérer13. Or l’énergie a été définie comme de
l’information en mouvement. Ainsi, le contenu de la rétention est de l’information,
relative à l’espace-temps passé : celui de la rétention. Lors des échanges ultérieurs, la
conscience va systématiquement comparer l’information actuelle avec celle déjà reçue.
Ainsi, peu à peu, de rétention en rétention, se crée le cas de l’individu. La perception du
réel est donc déformée, filtrée par le cas de la personne : l’information qui parvient à la
conscience de la personne est analysée et interprétée. Elle la voit non pas telle qu’elle
est, mais au travers de son propre cas. L’homme est « tiraillé, emprisonné dans un
réseau de vieux cycles non terminés qui le maintiennent en partie dans le passé. »
(Tricot, 2002, 246) Il ne peut pas être totalement disponible dans le présent car n’y vit
pas vraiment.
• Dans la relation thérapeutique
Le patient est en recherche de stabilité, de fulcrum car c’est au travers d’un point
d’appui que l’énergie de ses rétentions pourra s’écouler. Ainsi, un thérapeute fixé dans
son cas pourra aider des patients, leur procurant un fulcrum d’autant plus stable qu’il
est rigidifié dans son cas. Seulement, il ne pourra aider que les patients avec qui la
syntonie est naturelle. Plus le thérapeute est mobile et capable de s’adapter, plus
facilement il pourra rejoindre le réel du patient. De plus, travailler sur ses rétentions
permet à l’agrégat de consciences d’être pleinement présent : P. Tricot décrit que se
crée alors un unisson de présence entre praticien et patient. Une relation profonde est
constituée. Une solution pour devenir plus présent est donc de commencer par travailler
sur son propre cas.
P. Tricot propose plusieurs approches presque toutes centrées sur un processus de
régression consciente (rebirth, thérapie primale, approches somato-émotionnelles…). Il
insiste sur la nécessité de conscientiser ce travail. La décision de refuser de vivre une
13 La réponse de la conscience à un tel processus est la fermeture, le repli sur soi. En effet, le danger étant perçu comme provenant de l’extérieur, la conscience va réduire ses échanges avec lui : la rétention est caractérisée par le refus de communiquer.
86
situation (ce qui est la source de la rétention) a été prise par le patient et lui seul est
donc capable de trouver les solutions à son problème. « Même dans le mental, ‘seuls les
tissus savent’. » (Tricot, 2002, 250)
En plus d’améliorer la qualité de sa présence, ce travail permettra au thérapeute d’éviter
les mises en résonance. En clarifiant les cycles non clos du passé, le thérapeute dissout
les points d’ancrage sur lesquels l’information contenue dans les rétentions du patient
pouvait entrer en résonance. La nécessité pour le thérapeute de mettre en place des
mécanismes de protection disparaît alors.
5.1.2. La maintenance du praticien
Une partie du travail que P. Tricot propose concerne le cas du thérapeute. Une
autre consiste en un travail de ‘maintenance’ du thérapeute. Pierre Tricot propose
quelques exercices que le praticien peut s’administrer lui-même.
• Auto-compression occipitale
Pierre Tricot propose de réaliser une auto-compression occipitale. La compression
occipitale est la technique de compression du 4ème ventricule qu’il a modifiée et
rebaptisée ainsi. Cela consiste à s’allonger sur un support assez rigide et à placer deux
balles de tennis ‘regroupées dans une chaussette et fermement collées l’une à l’autre
sous l’occiput. Le sujet assure alors présence, attention (placée sur l’ensemble du
système corporel) et intention (se recentrer). A partir des perceptions directes qu’il
reçoit de son corps, il place son attention sur les zones qui lui paraissent en rétention. Il
les laisse alors se dissiper (cela peut se traduire par tiraillement, traction, sensations de
chaud/froid…) jusqu’à ce qu’il ressente une libération souvent exprimée par une grande
inspiration. « La perception d’un bon relâchement et d’une fluidité dans l’ensemble du
corps » (Tricot, 2002, 249) signe la fin de la technique. Il est ensuite conseillé
d’effectuer un crâne-bassin-crâne pour recentrer la personne sur son axe dure-mérien.
87
• Crâne-bassin-crâne
Dans ce modèle, l’organisation mécanique du système corporel est centrée sur l’axe
dure-mérien. Son relâchement permet donc une harmonisation de tout le système.
Le thérapeute est bien installé, et tient un ballon entre ses mains. Après avoir assuré la
mise en place des paramètres de présence, il place son attention sur le crâne de façon
globale et il suit les mouvements spontanés s’exprimant dans le ballon. L’exercice peut
aussi s’effectuer en réalisant un empilement de SSB. Une fois une sensation de
relâchement obtenue au niveau du crâne, l’attention est placée au niveau du bassin et le
processus est le même. La dernière étape est identique à la première.
88
5.2. La méthode Vittoz
Le Dr Roger Vittoz (1863-1925) a créé cette méthode de soins, à l’origine, pour
le traitement de troubles d’origine psychique. C’est devant l’incapacité de la médecine
à percevoir ‘à l’extérieur’ les symptômes internes parfois intenses des malades
psychiques, que le Dr Vittoz a cherché un mode de diagnostic manuel. Il a ainsi mis en
place la palpation d’un pouls cérébral. Par cet outil, le thérapeute peut guider le patient
vers son unité dans le lieu et le moment.
5.2.1. La méthode
• Les bases
La méthode Vittoz aide le patient à retrouver « la fonction maîtresse de l’équilibre
psychique » (Bron-Velay, 1993, 9) : le contrôle cérébral. Il est, selon le Dr Vittoz,
l’origine de certaines névroses. Tous les individus souffrent un jour de troubles
psychiques mais ceux-ci sont le plus souvent absorbés et assimilés grâce à ce contrôle.
La pathologie intervient lorsque le contrôle cérébral est défectueux : le cerveau est alors
dans un état passif. La rééducation du contrôle va permettre à la personne de recouvrer
son « unité en elle-même, dans l’espace [ici] et dans le temps [maintenant] » (Bron-
Velay, 1993, 11). Elle agit par deux procédés simples : des actes de la vie quotidienne
rendus conscients, et des exercices mentaux auxquels des moments de la journée sont
consacrés. « Les exercices sont un entraînement, les actes conscients un mode de
vivre. » (Bron-Velay, 1993, 13)
Les actes conscients sont dits ‘sentis’ : lors de ces actions, toute l’attention du sujet doit
y être concentrée. C'est une prise de conscience des sensations éprouvées Il ne s'agit
pas de convertir tous les gestes de la journée en actes conscients mais par exemple, d'y
revenir toutes les heures. Peu à peu, ils permettent de recréer l’harmonie de la personne
en elle-même et avec le monde.
Les exercices sont, eux, destinés à retrouver les deux aptitudes fonctionnelles du
cerveau : la réceptivité et l’émissivité. La santé psychique s’exprime toujours par un
équilibre entre ces deux processus.
89
- La réceptivité correspond à la réception de sensations par le cerveau. Pour expliquer
la manière par laquelle il ‘faut’ procéder, le Dr Vittoz invitait à regarder « comme
l’enfant au réveil ». Il s’agit là d’une réception gratuite, sans jugement, sans
comparaison, sans filtre. Sa rééducation revient à redonner au conscient sa
prépondérance sur l’inconscient ; autrement dit, à laisser le cerveau recevoir les
sensations sans filtre déformant. Cependant, la réceptivité n’est pas un état passif mais
bien actif, dans lequel la personne a une pleine conscience de tout ce qui l’entoure. De
plus, l’état de réceptivité correspond à une suspension des pensées, de l’émissivité.
- L’émissivité est l’émission de pensées par le cerveau. Elle peut être développée dans
des exercices sur la concentration, « l’élimination lucide d’idées et d’états négatifs (…)
et dans l’utilisation réfléchie de la volonté. » (Bron-Velay, 1993, 10)
• Le pouls cérébral
Le pouls cérébral permet au thérapeute de percevoir les mouvements du cerveau au
travers de la boîte crânienne : ils « se tradui[sent] par une série de chocs répétés,
donnant la sensation d’une ondulation ou d’une vibration particulière. » (Bron-Velay,
1993, 16) Dans cette méthode, le praticien place sa main, par un contact léger, sur le
front du patient (ou sur toute autre partie du corps du sujet ; sachant que plus il
s’éloigne du cerveau, plus le temps de réponse entre l’exécution de l’exercice et la
perception des vibrations sera important). Les ondes perçues reflètent le comportement
du cerveau, et varient selon le nombre, la vitesse, l’ampleur, la force et les formes chez
un même individu en fonction de l’ « état » de son cerveau.
Pour illustrer les principes de ce travail, Louise Bron-Velay14 prend l’exemple de
l’anxiété : lorsque le sujet anxieux accomplit un exercice de réceptivité, ses ondes
cérébrales s’harmonisent. En effet, l’anxiété est caractérisée par un déséquilibre vers
l’émissivité : elle est émissivité. Or il ne peut y avoir à la fois réceptivité pure et
émissivité. Cette dernière est donc interrompue durant l’exercice. Avec la répétition, la
courte interruption se prolonge par un train d’ondes normales, s’allongeant au fur et à
mesure du travail. La réceptivité pure inhibe le filtre du ‘petit moi’ déformant,
permettant alors d’appréhender la réalité sans préjugé ni interprétation personnelle. Une
pensée peut leurrer mais une sensation ne trompe pas. La réceptivité peut ainsi jouer
14 L. Bron-Velay est l’auteur d’un livre exposant le concept et la mise en pratique de la méthode Vittoz, respectant la description originale qu’en a faite R. Vittoz.
90
son rôle actif de contrôle. De plus, l’état de réceptivité permet d’expérimenter la notion
d’abandon. Il ne s’agit ici ni de laisser-aller ou de dissolution. C’est au contraire un
processus actif qui conduit du connu vers l’inconnu : « il faut oser se quitter en quelque
sorte » (Bron-Velay, 1993, 43). Cela revient à se quitter pour mieux se retrouver. Cet
abandon actif semble très proche du processus de lâcher-prise vu jusqu’ici.
Cette approche n’étant pas analytique, elle réduit le rôle du thérapeute dans la cure. Le
traitement amène le sujet à reprendre conscience des forces positives qu’il possède mais
auxquelles il a perdu accès. Il s’agit d’une véritable auto-rééducation. Le thérapeute ne
joue alors que le rôle de guide ; il accompagne le patient en l’aidant à trouver les
exercices qui lui sont le plus adaptés.
5.2.2. Mise en pratique
• Exercices de réceptivité
Le but de ces exercices est de « sentir au lieu de penser » (Bron-Velay, 1993, 44).
Ils sont basés sur la prise de conscience des informations parvenant au sujet et
empruntant ses canaux sensoriels. Il s’agit, quel que soit le sens qui sert de support à
l’exercice, de ne pas interpréter mais d’accepter, de recevoir la sensation telle qu’elle
vient.
- la vue : le principe de cet exercice est de recevoir l’image sans effort ni analyse,
comme si elle frappait le sujet pour la première fois. Louise Bron-Velay décrit cet
exercice en trois phases :
1. Ouvrir les yeux. Enregistrer l’image qui se présente comme le ferait un appareil à
photographier. Refermer les yeux.
2. Ouvrir les yeux. Les promener et les arrêter sur une couleur sans l’associer à l’objet,
mais considérée comme une tâche. Nommer cette couleur. Passer à une autre, à une
troisième, etc…
3. Ouvrir les yeux. Prendre conscience d’une image. Fermer les yeux. Rappeler l’image
qui doit revenir spontanément, telle qu’elle est apparue, non en la décrivant
mentalement. (Bron-Velay, 1993, 44)
- l’ouïe : le principe est le même. Pour obtenir une ouïe consciente, le sujet doit
recevoir le son, sans l’interpréter. Un exercice pourrait être d’écouter les bruits de
l’extérieur (de la rue par exemple) puis, à partir de cette sensation, d’écouter le silence
91
relatif de la pièce dans laquelle le sujet se trouve.
- le toucher : le sujet ferme les yeux et touche un objet dont il ne découvre les formes
uniquement par sa palpation et non par l’idée qu’il s’en fait. Un autre exercice consiste
à ce que le sujet sente chaque point de contact avec le siège qui l’ « accueille » : pieds à
plat au sol, sensation des accoudoirs, du dossier…Puis il étend son attention à
l’ensemble de son corps. Enfin il y ajoute la réceptivité de la vue et de l’ouïe (= du
lieu), puis celle du moment. C’est alors que peut surgir la sensation d’unité.
- les exercices se déclinent avec les autres sens, en accueillant simplement les
sensations sans comparaison ni critique. Le même exercice se poursuit également avec
les mouvements, les actes et les sentiments et émotions : il s’agit de sentir une émotion
sans la penser. Ainsi le sujet peut observer sa colère, sa joie, sa tristesse…cela revient à
« les vivre, et non les subir. » (Bron-Velay, 1993, 46) Il devient alors possible d’étendre
ce concept à la relation à autrui…
- la prise de conscience qui résulte de ces exercices permet au sujet de prendre
suffisamment de recul sur ses attitudes pour, en quelque sorte, se détacher de son ‘petit
moi’. En redonnant aux évènements leur juste valeur (en les sentant), la qualité des
perceptions relatives aux relations au monde extérieur s’améliore nettement. L. Bron-
Velay affirme que la réceptivité est « le seuil de la sincérité. » (Bron-Velay, 1993, 46)
• Exercice sur l’émissivité
- Le contrôle de la volonté : Louise Bron-Velay définit la volonté comme une
force vitale qui, née du centre de l’être, le conduit avec énergie et contrôle jusqu’à
l’accomplissement de l’action sans tension ni effort (Bron-Velay, 1993, 74). Le
contrôle de la volonté permet une meilleure maîtrise de l’intention, en la focalisant de
façon bien précise sur un objectif, tout en maintenant son intensité dans le temps. Trois
conditions sont nécessaires pour la mise en place de la volonté : Savoir :
1. Ce que l’on veut : c’est la définition précise de l’objet à accomplir : que veux-je ?
2. Que c’est possible : le puis-je ?
3. Qu’on est sincère : suis-je sincère ?
Roger Vittoz propose un exercice pour entraîner la volonté. Il s’agit de commencer
par choisir un acte conscient. L’exemple pris par L. Bron-Velay est celui de se lever :
Il est proposé de se lever de façon consciente, en se sentant se lever ; puis, de
recommencer ce geste en répondant aux questions qui correspondent aux trois
92
conditions : Que veux-je ? Me lever. Le puis-je ? Oui (je viens de le faire). Suis-je
sincère ? Si l’on se sent pleinement décidé, inspirer légèrement, répondre oui, je veux
me lever, puis se lever. Il est conseillé de débuter par un geste très simple, puis
d’étendre le concept aux gestes de la vie quotidienne : « Veuillez toutes choses qui vous
arrivent. » (Bron-Velay, 1993, 75) Alors, la personne écoute très attentivement son
corps obéir à ses ordres, et devient un avec lui.
- L’exercice de concentration sur le un (1) : il permet de rétablir l’unité au sein
de la personne. Cet exercice consiste « à rassembler mentalement toutes ses idées et de
les fixer pour ainsi dire sur le 1. » (Vittoz, 1992, 85) Louise Bron-Velay propose une
démarche facilitant l’exécution de cet exercice.
Il est proposé de commencer en tenant les deux index levés devant soi. La personne
les rapproche jusqu’à ce qu’ils se confondent, et qu’il soit possible de n’en voir plus
qu’un. Elle prononce alors oralement : « 1 ».
Elle trace ensuite sur une feuille de papier vierge un grand 1, prononçant
simultanément « un » et regardant le trait apparaître. Elle recouvre le 1 par une feuille
de papier vierge, et réitère l’exercice plusieurs fois.
La personne trace mentalement un 1 et, en état de réceptivité, sent le mouvement de
la main qui tracerait le un, voit le trait et s’entend prononcer le un.
Elle trace ensuite mentalement un 1, l’efface, et toujours en réceptivité, respire une
fois profondément. Elle renouvelle l’opération tant qu’elle ne se fatigue pas.
Enfin, elle remplace la respiration par un silence : ni réceptivité, ni émissivité. Cet
exercice se déroule au départ dans le calme et la solitude mais s’applique peu à peu
dans des environnements bruyants, avec des personnes, lors de relations difficiles… Il
permet donc d’installer l’unité en soi y compris sur le plan physique : il permet de
tendre vers une verticalité juste.
93
5.2.3. Application à la pratique ostéopathique
La méthode Vittoz propose au thérapeute de (re-)trouver par lui-même sa
dynamique spatio-temporelle et de s’y maintenir par des exercices simples. Elle permet
d'être dans l'acte accompli, « de sentir son corps et son esprit en plein accord et de
vivre en unité dans le temps et dans le lieu » (Bron-Velay, 1993, 85): d'être présent.
Elle peut constituer un entraînement quotidien afin de développer la qualité de la
présence, et peut également servir de moyen de centrage et de syntonisation lors de la
séance en présence du patient.
L’état de réceptivité pure semble très similaire à celui qui est nécessaire pour obtenir
une écoute attentive dans la palpation. Il permet de recevoir les informations émanant
du système corporel du patient sans analyse ni interprétation. Cela favorise donc le
climat de compassion dont parle V. Frymann : climat dans lequel le patient ne se sent
pas juger et, confiant, peut ‘déposer son fardeau’. L’état de réceptivité allie donc à la
fois un état de recueillement en soi-même et une écoute d’une grande qualité.
Le travail sur le contrôle de l‘émissivité permet d’affiner l’utilisation de l’intention
dans la pratique ostéopathique. En contrôlant l’émissivité, par l’exercice sur la volonté
par exemple, le thérapeute peut contrôler de façon plus précise le paramètre d’intention
et peut ainsi maintenir plus longtemps les bases d’une communication fiable avec le
système corporel du patient.
94
5.3. La voie de l’exercice – KG Dürckheim
Karlfried Graf Dürckheim (1896-1988) était un philosophe et psychologue
allemand. Il s’est initié, au cours de ses séjours au Japon, au bouddhisme zen en
pratiquant l’art du tir à l’arc et du za zen (assise en silence). A son retour, il a développé
un zen adapté à la culture et à la tradition occidentales et a mis en place les bases de ce
qu’il a appelé la ‘Personale Leibtherapie’.
Il propose de faire du quotidien un exercice sur la voie de l’épanouissement de
l’homme.
* En effet K.G.Dürckheim estime qu’en Occident la sagesse n’est qu’affaire de
philosophie, de pensée, alors qu’en Orient la sagesse est indissociable d’un travail
corporel continu qui fait du corps le médiateur et le support de la vie spirituelle.
L’approche du corps que propose Dürckheim fait du corps un sujet : le corps que
l’homme est. Dürckheim s’étonne de voir le rapport qu’entretient l’occidental à son
corps : c’est, selon lui, une relation d’objet, l’homme considérant le corps qu’il a.
* Il propose donc des « exercices » qui s’appuient sur un travail corporel pour
permettre à la personne de s’enraciner en elle-même et de s’ouvrir au moment-lieu
présent. Ils peuvent en cela intéresser le thérapeute qui est en recherche d’une meilleure
qualité de présence.
Mais il faut toujours garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas de simples exercices
physiques : l’objectif est la réalisation de la personne. Pour cela, il convient de les
réaliser selon un certain état d’esprit.
95
5.3.1. Le Hara
• L’être essentiel et existentiel
K.G. Dürckheim conçoit l’être humain comme en constante tension entre son
être essentiel supra spatio-temporel et son être existentiel qui, lui, est soumis aux lois de
l’espace et du temps. Il appelle être essentiel, la part inconditionnée de l’homme, qui
est au-delà de l’espace et du temps et par laquelle l’Etre15 cherche à s’exprimer en
chacun. Il définit ensuite l’être existentiel comme étant la part de l’homme conditionnée
par sa famille, ses études, ses échecs, ses succès, ses tristesses et par la position qu’il
occupe dans le monde, son Moi. « L’être essentiel est le mode par lequel l’Être, en
l’homme, cherche à se manifester dans le monde. » (Dürckheim, 1997, 81) L’être
essentiel tend sans cesse à se manifester en cherchant à percer le carcan dans lequel
l’être existentiel, enclin à la fixation, tente de scléroser l’homme.
Entre ces deux pôles est l’ « ombre ». Il s’agit d’impulsions provenant de l’être
profond, traduisant ce que l’homme souhaite véritablement vivre et que les exigences
existentielles (ce que K.G. Dürckheim nomme l’éthique de comportement) ne
permettent pas. Ces pulsions, à force de refoulement, deviennent négatives. L’important
est de reconnaître cette part d’ombre et de l’accepter (ce qui ne signifie pas forcément
la vivre).
Le conflit qui naît entre ces deux pôles « est le problème central de l’homme. »
(Castermane, 2004, 52) Il va s’accentuer tout au long de sa vie sauf s’il le surmonte par
l’union du moi existentiel et de l’être essentiel. Et c’est par l’exercice que l’homme
peut se libérer de l’emprise de son moi, et qu’il peut exprimer l’Être dans son existence.
C’est, selon K.G. Dürckheim, le devoir de l’homme. Mais la transparence à l’Etre n’est
possible que pour celui qui possède le Hara.
15 L’Etre est la part de divin présente en chaque homme. Cela dit, le travail de Dürckheim n’est pas un travail religieux : « Ce travail n’est pas chrétien… mais n’est pas non chrétien; il n’est pas bouddhiste… mais il n’est pas non bouddhiste. » (Castermane, 2004, 30) Il s’intéresse à l’expérience religieuse qui est au-delà des religions. L’expérience de l’Etre est possible non pas parce que l’homme qui la vit est chrétien ou bouddhiste, mais bien parce qu’il est un homme.
96
• Le Hara
K.G. Dürckheim différencie la force qui émane de l’homme et qui dépend de sa
volonté personnelle, force qu’il fabrique, et une force qui le dépasse et qu’il ne peut pas
contacter par un effort volontaire. Le Hara est le siège de cette force. « C’est une force
dont on participe, à laquelle on peut apprendre à accéder et dont on peut apprendre à
disposer » (Dürckheim, 2002, 20-21) Selon une métaphore classique, pas plus qu’on ne
peut tirer sur l ‘herbe pour la faire pousser, on ne peut se centrer, entrer en contact avec
le Hara de façon volontariste.
Le Hara correspond au centre de gravité et est situé juste en dessous de l’ombilic. Il
est le centre de la personne. L’homme, à travers son corps, exprime un certain rapport
avec le ciel et la terre : le hara constitue le lien entre ces deux pôles. C’est dans ses
fondements que l’homme peut puiser la force nécessaire, la sève pour suivre son attrait
vers le ciel ; et inversement. Il doit vraiment les relier. « L’homme ne peut pas voler
(…) mais n’est pas obligé de ramper. » (Dürckheim, 1997, 73) Il doit trouver le centre
qui relie ciel et terre ( : il doit trouver la juste ‘place du curseur’ entre enracinement et
lâcher prise.) K.G. Dürckheim affirme que l’occidental n’a pas conscience de cette
nature bipolaire et que son centre de gravité est le plus souvent déplacé vers le haut du
corps. Que le centre soit déplacé vers le haut, vers le bas ou soit absent, amène
l’homme à devenir la proie de forces intérieures comme extérieures menaçant une
dissolution de la personne entière. Travailler enracinement et lâcher prise revient donc à
chercher le centre juste.
Le Hara permet à l’homme de réaliser le véritable sens de la vie : manifester l’Être dans
l’existence. Celui qui possède le Hara accède à la force qui lui permet de maîtriser la
vie dans le monde. Autrement dit, l’accès à cette force témoigne que l’homme a établi
le contact avec son être essentiel. Cette force universelle et surnaturelle est nommée ki.
K.G. Dürckheim affirme que la transparence à l’Être ne peut être possible que si
l’homme réalise dans le monde sa forme, sa présence, sa façon d’être physiquement là,
de façon juste. Autrement dit, s’exercer à la posture juste permet de trouver peu à peu la
forme juste, la manière d’être (gestalt) juste, qui à son tour exprime l’être essentiel :
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« Favoriser l’enracinement conscient dans ce centre d’où peut alors surgir quelque
chose de nouveau, permettre sa réalisation, sa consolidation et en témoigner, tel est le
sens de la « pratique du Hara. » » (Dürckheim, 1997, 113)
Ancré dans son centre de gravité, dans le Hara, un homme peut difficilement être
soulevé ou poussé. Il se trouve ancré plus profondément dans le sol. Cet équilibre qui
lui permet de trouver l’aplomb – l’image du fil à plomb peut ici faire sens – permet
d’échapper à la fois aux crispations et au laisser aller et de trouver un juste équilibre
entre les deux.
Pour résumer, être présent signifie être présent à partir de son centre, de son être
essentiel, et cela n’est possible que si l’on possède le Hara.
Castermane exprime cela autrement : « Vous êtes dans une pièce vide. Si elle se
transforme en étable ou en temple, c’est votre façon d’être là qui en est la cause. »
(Castermane, 2004, 169)
• Hara et sens des exercices
Sérénité et confiance
L’exercice permet au moi dépendant du monde de lâcher prise et de s’ouvrir à
une réalité plus vaste. La pratique du Hara permet à l’homme de trouver en lui une
confiance qui dissout les tensions engendrées par la peur, et une attitude intérieure
sereine.
Condition nécessaire à la réussite de l’action humaine
« (…) On peut voir dans la condition nécessaire à la réussite de l’action
humaine le sens véritable de cette action ; celle-ci vise certes à un résultat concret,
mais le sens en est l’homme et plus précisément l’état intérieur dans lequel il se trouve
au moment où il accomplit son acte. » (Dürckheim, 2002, 74)
Ainsi, K.G. Dürckheim propose de commencer par les formes les plus simples : la
façon de se tenir droit, assis, de marcher afin d’acquérir l’attitude juste, le but étant
d’acquérir et de maîtriser parfaitement une technique dont on puisse faire usage dans la
vie courante.
98
5.3.2. Mise en pratique
Cette partie apporte un autre éclairage sur la pratique de l’enracinement et du
lâcher-prise vue dans l’approche tissulaire. L’accent est ici mis sur le processus de
transformation de soi que ces exercices permettent d’engager.
Les trois fonctions fondamentales dans la recherche du centre juste
C’est le « geste pur » qui doit être recherché car il traduit la transparence à
l’Être, et sa réalisation est régie par trois éléments : respiration, attitude juste et rapport
entre tension et relâchement. Ce sont ces trois fonctions que l’exercice dirigé vers la
progression intérieure cherche à développer.
K.G. Dürckheim précise qu’un « organe nouveau » doit être développé : la perception
intérieure, servant à ressentir le corps intérieur, le corps que l’on est. Poser l’attention
sur la respiration et son mouvement de va-et-vient peut faciliter cette écoute.
Ces trois exercices sont interdépendants et indissociables. Il n’est pas possible de
pratiquer l’exercice de la respiration si tension et attitude justes ne sont pas ‘en place’ ;
et inversement, l’exercice de respiration retentit directement sur la détente et la posture
centrée sur le Hara.
Attitude de départ : Tout commence avec l’exercice du centre de gravité juste. Le sujet
se tient debout, droit, les jambes fermes et légèrement écartées, les bras ballants et le
regard porté vers l’infini. Dürckheim précise que toute pratique devra débuter par cet
exercice dans lequel le sujet doit prendre conscience qu’il est à la fois bien ancré en lui-
même et relié au monde. Le sujet peut, au début de sa pratique, poser un livre sur sa tête
afin de toujours garder un contrôle sur la verticale à respecter.
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1. Respiration
S’exercer à la respiration, c’est apprendre à la laisser venir, la laisser exprimer
son mouvement de va-et-vient sans contrôle de la volonté : Cela doit respirer ! C’est
retrouver une respiration diaphragmatique et donc réduire l’usage des muscles
respiratoires auxiliaires. Ce mouvement va alors pouvoir aller et venir simplement, au
niveau du bas ventre.
Une respiration ‘fausse’ est une respiration qui ne se situe pas dans le bas-ventre, ne
laissant pas toute sa place à l’expiration, permettant ainsi le léger temps d’arrêt duquel
pourra surgir, naturellement, l’inspiration. Elle traduit une mauvaise façon de respirer
physiquement, mais également une attitude fausse de la personne tout entière, « c’est à
dire qu’elle n’est pas dans la forme juste » (Dürckheim, 1997, 161) Ainsi, la
‘rééducation’ de la respiration de façon juste touche la personne sur tous les niveaux.
• Les différentes étapes de la respiration/transformation personnelle
La respiration est l’expression première du changement (abandon des
fixations du moi) : à chaque cycle respiratoire, l’homme laisse une forme pour en
trouver une nouvelle. Une respiration troublée devient alors un « obstacle au
mouvement de transformation de sa personne et l’[empêche] ainsi de devenir ce qu’il
est au fond de lui, dans son être essentiel. » (Dürckheim, 1997, 162) Les différentes
phases de la respiration peuvent être décrites ainsi : « se lâcher, se livrer, s’unir avec le
fond (s’abandonner), se retrouver dans une forme renouvelée, se lâcher de nouveau,
etc… » (Dürckheim, 1997, 173)
• L’exercice de la respiration
La première étape de cet exercice est un lâcher prise, une expiration profonde,
accompagnée par une descente vers le bas, vers l’enracinement, permettant ainsi
naturellement à l’inspiration de trouver sa place juste. Le lâcher prise dont parle K.G.
Dürckheim signifie que la personne ne doit pas respirer de façon volontaire : elle doit se
laisser respirer. Pour cela, il suffit de ne faire qu’écouter et ressentir le mouvement
respiratoire, sans chercher, dans un premier temps, à le modifier.
100
Puis, peu à peu, l’expiration va prédominer sur l’inspiration jusqu’à l’obtention d’un
rapport de trois à un. La personne se trouve alors installée dans son bassin. Elle peut
entamer de façon consciente les différentes phases de la respiration, considérées comme
les différentes « étapes du mouvement de la transformation personnelle. » (Dürckheim,
1997, 174) : durant l’expiration, l’homme va se donner, s’abandonner, lâcher la ‘forme
ancienne’, en venant encore s’installer dans son bassin et ceci, jusqu’au bout de
l’expiration. A ce moment et avant l’inspiration, le « Moi s’étant totalement
abandonné, le sujet [étant] libéré de cette forme ancienne » (Dürckheim, 1997, 175), se
produit ce que Dürckheim nomme ‘l’union, la fusion avec le fond de l’être’. Cela se
traduit par un moment de silence où tout l’être est immobile. C’est de là, de ce ‘still
point’, que l’inspiration naît de façon naturelle. Par l’inspiration, se produit une
remontée de toute la personne, manifestant une forme nouvelle, qu’elle va de nouveau
lâcher lors du cycle suivant…
L’exercice consiste ensuite à compter les cycles respiratoires de un à dix. Dürckheim
décrit alors que le sujet est envahi par une vibration, un rythme qui dépasse le rythme
produit par le travail intellectuel qui consiste à compter. Ce mouvement remplace la
sensation d’écoulement du temps. C’est une façon d’être là qui est au-delà du temps et
de l’espace.
2. Détente/tension
Pour bien comprendre comment un exercice de détente peut permettre à la
personne d’être ‘plus là’, d’améliorer la qualité de sa présence, il est important de
définir ce qui est entendu par les termes tension et détente. K.G. Dürckheim oppose
deux ‘couples’ : d’un côté crispation (ou contraction) et laisser aller (ou dissolution) qui
s’opposent, et d’un autre tension et détente qui sont deux états complémentaires.
La tension sert et vise au mûrissement de la personne en chemin. Elle est l’expression
du processus qui relie une forme provisoire à son devenir ; elle est inhérente à la vie.
L’homme a cependant tendance à se fixer, à s’immobiliser dans l’état et la forme
acquis : ceci est nommé ‘tension de résistance’, et est bien différent de la tension juste.
Ainsi, toute crispation du corps constitue un barrage à l’épanouissement de la personne
entière. Selon K.G. Dürckheim, elle traduit en général, une fixation, une sclérose « due
à la volonté d’affirmation de soi et de sécurisation propre au Moi existentiel. »
(Dürckheim, 1997, 142) « Toute crispation, même partielle, affecte l’homme tout entier,
101
car elle s’oppose au mouvement de transformations. » (Dürckheim, 1997, 145) Se
détendre signifie donc dissiper une tension physique mais aussi permettre à l’homme
d’avancer vers la transcendance à l’Être. Grâce à un état de détente totale, il peut faire
se dissiper les tensions fausses pour trouver la tension juste.
Exercer la détente consiste par exemple à porter toute son attention
alternativement sur chacun de ses membres et à ressentir toute la tension qui s’y est
accumulée. Selon K.G. Dürckheim, c’est seulement lorsque la personne s’exerçant a pu
se laisser glisser dans ses membres devenus lourds et alors écouter attentivement le
changement qualitatif de sa façon d’être là, que la détente peut prendre pour elle tout
son sens, sa réalité profonde. Cela implique que la personne puisse rester totalement
immobile un certain temps. Alors seulement, elle peut ressentir cette sensation d’être
portée par une force qui la dépasse « et grâce à laquelle [elle] ‘est là’ plus que
jamais. » (Dürckheim, 1997, 151) La personne peut revenir à l’existence par une grande
inspiration ou un bâillement, mais il est conseillé d’éviter de terminer l’exercice en
employant une tension issue de la volonté.
Cet exercice permet d’acquérir la conscience corporelle en dissipant les tensions
fausses au profit de la tension juste. C’est être particulièrement là et en même temps
profondément recueilli en soi, à l’écoute de soi.
3. L’attitude juste
• En position debout
Sans pour autant modifier son attitude de départ, le sujet se laisse doucement
glisser dans l’expiration, qui devient naturellement plus longue que l’inspiration. Ceci
jusqu’à ce que se produise le premier mouvement, ce que Dürckheim nomme le lâcher-
prise, qui signifie pour lui arrêter de résister :
1. Au début de l’expiration, le sujet se relâche alors dans les épaules16. Il ne
pousse pas les épaules vers le bas mais se relâche dans les épaules. Le sujet peut s’aider
avec l’image que ses doigts vont en quelque sorte se prolonger jusqu’au sol.
2. Ce premier mouvement s’accompagne immédiatement du second : l’assise.
Cela consiste, à la fin de l’expiration, à s’asseoir dans son bassin, à se laisser s’installer
16 La distinction est bien faite entre ‘relâcher les épaules’ et ‘se relâcher dans les épaules’. Les épaules ne sont ici pas un objet à relâcher : cette approche voit le corps que l’on est et non que l’on a.
102
dans son bassin. Ces deux temps correspondent en fait à un seul et même mouvement,
de haut en bas.
3. Le troisième et dernier mouvement de cet exercice consiste à trouver
« l’acceptation juste du bas ventre ». Il ne s’agit pas de gonfler le bas ventre ou de le
laisser tomber, mais simplement de le libérer de toute tension. Il convient ensuite d’y
mettre un peu de force. Pour cela, K.G. Dürckheim propose un exercice simple :
enfoncer doucement son poing fermé au-dessous du nombril, puis tenter par la seule
force de la musculature du bas ventre de faire sortir le poing d’un petit coup brusque.
Dans cet exercice, une erreur serait de contracter l’épigastre qu’il faut plutôt conserver
détendu (tout en maintenant le bas ventre légèrement tendu, d’une tension consciente).
Jacques Castermane, qui fut l’un des plus proches élèves de K.G. Dürckheim,
apporte un éclairage différent sur cet exercice. Le travail consiste à être son poids, à
être soi-même. Peser son poids correspond, lors de chaque expiration, à descendre vers
l’enracinement dans le bassin, à se laisser attirer vers le centre de la terre. Peu à peu,
d’expiration en expiration, le sujet gagne en enracinement jusqu’à finalement avoir la
sensation que ses pieds pourraient laisser une profonde empreinte dans le sol.
Cela revient à replacer le centre de gravité à sa juste place, dans le bas ventre, le bassin,
au centre de la personne. Le bassin est ici l’assiette de la personne. L’expression qui
parle d’être ou non dans son assiette, prend alors tout son sens…
Une fois le premier mouvement du haut vers le bas bien réalisé, de lui-même va naître
un mouvement du bas vers le haut.
Une fois une sensation de confort atteinte dans l’enracinement, J. Castermane
propose de se grandir, d’oser être soi-même, sans timidité. En gagnant sa taille, il
convient de conserver l’assise acquise jusque là : grandir sans perdre l’enracinement et
s’enraciner sans perdre la grandeur. J. Castermane explique que c’est là une expérience
de l’humilité : « ne pas se faire plus grand que l’on est (…) [mais] ne pas se faire plus
petit que l’on est non plus… » (Castermane, 2005, 74)
C’est parce que le sujet est bien enraciné dans son bassin que peut alors surgir cette
ouverture vers le haut, l’ouverture du corps mais aussi de la personne dans son
ensemble. K.G. Dürckheim affirme que l’on sent monter depuis le bassin, la force dans
le dos puis s’étendre dans tout le corps. La verticale ainsi créée n’est, selon lui, pas le
produit de la volonté, mais plutôt le fruit du Hara.
103
Une fois la position juste trouvée, K.G. Dürckheim propose de « sentir encore plus
fort » la terre et le ciel, et de prendre conscience de l’espace qui entoure, puis de se
sentir soi-même au centre de tout cela. Alors, le sujet peut avoir la sensation qu’il peut
rester ainsi, immobile, pendant des heures ; et cela est vrai seulement dans la
position juste. L’objectif est de tenir le plus longtemps possible ces positions, en
restant totalement immobile. Et si l’attitude juste n’est pas trouvée, tenir la position
même quelques minutes devient vite impossible.
• L’assise
La position assise, comme toutes les manières d’être que l’homme manifeste par
son corps, peut être vue comme un exercice vers l’amélioration de la présence. Etre
assis de façon correcte signifie trouver l’attitude ‘juste’ dans la position assise, chercher
à la conserver en tout lieu et toute circonstance et enfin la pratiquer comme exercice.
Dans le bouddhisme zen, cet exercice constitue même la base de la pratique qui mène à
l’état de Satori (l’Illumination).
1. La première condition pour utiliser la position assise comme exercice est de
s’asseoir de façon à ce que les genoux soient en dessous du bassin. Si ce n’est pas le
cas, la force du Hara ne pourra pas s’ancrer et s’exprimer correctement dans le bassin.
De plus, oreilles, épaules, et os iliaque doivent former une verticale.
2. Une fois que le sujet a ainsi expérimenté sa verticale, sa véritable hauteur, il
va se « lâcher » dans son bassin. Il s’agit de se laisser aller dans l’enracinement, comme
si, attiré vers le centre de la terre, le sujet s’installait dans son bassin, sans pour autant
perdre la verticale constituée précédemment. Le bassin peut donner la sensation que,
s’élargissant, il devient lourd, très pesant ; le haut du corps paraît alors léger et semble
s’ouvrir. K.G. Dürckheim précise que c’est à ce moment toute la personne qui s’ouvre
et oscille à partir de ce centre. L’image utilisée est celle du brin d’herbe qui « vibre
autour d’un axe secret » (Dürckheim, 1997, 136), en opposition avec celle du bâton
planté en terre, rigide.
3. Pour s’exercer à la position juste, le sujet peut croiser les bras sur son thorax
et se balancer légèrement d’avant en arrière pour trouver l’alignement juste. Il réduit
peu à peu l’amplitude du mouvement jusqu’à atteindre la position juste. Suivant ces
indications, le sujet peut s’exercer à chaque fois qu’il prend cette position.
104
4. A cet exercice de l’assise peut être couplé celui de la respiration. L’assise
juste donne le support à l’exercice de la respiration. La personne qui a trouvé la posture
juste dans l’assise peut alors pratiquer en tenant la position longtemps et sans douleur.
4. Autres exercices
• La voix
La voix trahit l’état intérieur. Elle est le témoin de l’ancrage de l’homme dans son
centre vital ou à l’inverse de l’envahissement plus ou moins important de son moi
existentiel sur sa personne. Elle exprime également sa part d’ombre. Ainsi une voix
trop haute, mal placée traduit généralement, selon K.G. Dürckheim, une respiration mal
centrée, bloquée dans le haut du corps. La voix, pour celui qui s’exerce, devient un
miroir de sa réalité intérieure et un support aux exercices méditatifs. L’exercer et la
corriger sans cesse peut lui permettre de trouver les conditions préalables à la
transparence de l’être.
• Le Kin-hin (ou marche méditative)
Cet exercice est utilisé en alternance avec le za zen, durant les sessions de
méditation. Il débute par la position debout juste ; le sujet place alors la main gauche, le
poing fermé, le pouce à l’intérieur, contre son plexus solaire, les jointures orientées vers
le haut. La main droite vient alors se placer de façon à juste reposer sur la gauche. Les
bras sont à l’horizontal et les épaules relâchées. L’exercice consiste à marcher à petits
pas, le plus lentement possible sans jamais marquer de temps d’arrêt afin d’être comme
entraîné par un rythme intérieur. Ce rythme est marqué par la respiration : au départ,
trois secondes pour une expiration, une pour une inspiration ; plus tard, la longueur du
temps expiratoire peut augmenter. Lors du début de l’expiration, le sujet contacte le sol
par son talon droit et répartit le poids du corps jusqu’aux orteils. A la fin de
l’expiration, il décolle le talon de l’autre pied et lorsque tout le poids est réparti sur le
premier pied (droit), il soulève le pied gauche en inspirant. Le talon gauche touche le
sol au moment où commence l’expiration suivante…
105
• La Méditation
Chacun de tous ces exercices peut constituer un exercice de méditation. Le sens de
ce mot n’est pas exactement celui qu’on lui donne couramment. Méditer, c’est
demeurer, c’est exercer les sens en les orientant vers l’intérieur. Alors, l’espace et le
temps prennent une toute autre dimension, une qualité différente. Pour percevoir cette
‘supra qualité’, l’homme doit « se mettre à l’écoute, ce qui représente bien autre chose
que d’essayer d’entendre. (…) [C’est] la faculté de l’homme qui lui permet d’être en
contact avec l’Être. » (Castermane, 2004, 113) L’écoute n’est possible que si la
personne ‘demeure’ (ce qui est différent de l’arrêt). C’est en demeurant qu’elle peut se
syntoniser à l’Être présent au fond d’elle. K.G. Dürckheim explique que celui qui a
appris à demeurer, sait se mettre à l’écoute de la profondeur : « c’est comme si un
rideau se levait ou comme si un mur tombait. » (Castermane, 2004, 113)
La méditation est un travail permettant le développement de l’organe dont l’homme a
besoin pour ressentir cette qualité particulière. « Le son de l’Être est toujours là. Et il
dépend de l’homme de s’accorder lui-même en tant qu’instrument afin que résonne, en
lui, le son de l’Être. » (Castermane, 2004, 165) La phase qui mène à l’état méditatif
(dans lequel le moi objectivant donnant naissance aux concepts s’est retiré) importe
peu, pourvu qu’elle permette au sujet de trouver un état de concentration juste,
préalable à l’ouverture à une autre façon d’être.
Et l’exercice de la méditation amène l’homme à établir une paix intérieure et à prendre
conscience de son appartenance au ‘Grand Tout’, « à un ensemble dépassant les limites
de sa propre personne. » (Dürckheim, 2002, 80) Et c’est une des caractéristiques de la
façon juste d’être là. « La goutte sait bien qu’elle est dans l’océan, mais souvent, elle ne
sait pas que l’océan est également en elle-même. » (Dürckheim, 2002, 80-81)
106
5.3.3. Application à la pratique ostéopathique
Le parcours que propose K.G. Dürckheim est initiatique. En cela il se rapproche
de celui de l’ostéopathe, toujours en recherche, et qui construit son expérience par lui-
même. Les exercices d’ancrage et de lâcher-prise proposés par K.G. Dürckheim
correspondent aux exercices d’enracinement/lâcher-prise de l’approche tissulaire et à
l’abandon au Partenaire Silencieux dont parle Rollin Becker.
Dans toutes ces approches, l’exercice s’adresse à toute la personne et l’objectif
est qu’elle trouve le centre juste. Ceci lui permet d’être présente dans l’instant et de
pouvoir ainsi être parfaitement consciente de l’échange qui s’opère dans la relation
thérapeutique. De plus, de même que P. Tricot insiste sur la nécessité pour le thérapeute
de travailler sur son cas, K.G. Dürckheim affirme que « l’ombre » de l’homme
l’empêche d’être totalement présent, d’exprimer la part de lui qui est au-delà de
l’espace et du temps. Par la recherche de l’attitude juste, le Moi s’efface et l’ombre qui
lui est associée peut alors être reconnue et négociée.
De son côté, Rollin Becker préfère insister sur l’immobilité, et la puissance
qu’il y puise. R. Becker différencie immobilité dynamique et immobilité froide, rigide,
dans une démarche analogue à celle de Dürckheim quand celui-ci distingue s’arrêter et
demeurer. Demeurer permet de se mettre à l’écoute de la profondeur.
Par ailleurs, Dürckheim voit le corps que l’homme est et non le corps que l’homme a.
C’est le passage du corps objet, outil, au corps sujet. Cette vision du corps est similaire
à une certaine vision ostéopathique du corps humain.
De nouveau, K.G. Dürckheim recommande de « demeurer », c’est-à-dire aussi de se
syntoniser avec l’Être. W.G. Sutherland lui-même ne suggérait-il pas de s’en remettre
au Grand Architecte, ne respectait-il pas de longues périodes de silence méditatif d’où
émergeaient des éclairs de génie ?
L’approche proposée par K.G. Dürckheim peut offrir, sous plusieurs aspects, une aide
précieuse à celui qui désire améliorer la qualité de son centrage et de sa présence.
107
6. CONCLUSION
Au cours de ces lectures et de ces rencontres, l’état de présence du thérapeute
s’est précisé de même que son importance dans le travail de l’ostéopathe. Les mêmes
thèmes étaient repris par de nombreux ostéopathes : celui du centrage et de son apport
essentiel à la fois à la relation thérapeutique et aux perceptions, celui d’une force sur
laquelle le thérapeute s’appuie, enfin, celui d’une référence à un système d’explication
philosophique parfois spirituel.
La modélisation est utile à la compréhension d’un phénomène mais tant qu’elle
n’a pas été soumise à l’expérimentation, tant qu’elle reste au stade de théorie et non de
connaissance intérieure, elle ne présente que peu d’intérêt. « Rollin E. Becker croyait
fermement qu’une philosophie, aussi profonde qu’elle apparaisse, était inutile si elle ne
s’exprimait pas dans la pratique. Étant donné cette conviction, l’ostéopathie procura à
la réalisation de sa vie, un parfait terrain d’accomplissement. La philosophie de
l’ostéopathie est particulièrement profonde, et son application au traitement du patient,
directe. La compréhension ostéopathique, telle qu’elle est énoncée par son fondateur,
Andrew Taylor Still englobe toute chose allant de la structure physique du corps aux
forces universelles gouvernant la nature dans son ensemble. » (Becker, 2000, 11)
Une grande partie des thérapeutes interrogés ou étudiés affirment se plonger
dans un état de conscience particulier lors des séances de soins ; état souvent différent
de celui de la vie quotidienne. Ils décrivent une manière d’être définie par certaines
qualités : sérénité, écoute, disponibilité, détachement de soi… La notion de présence est
donc commune à tous les ostéopathes interrogés mais sa modélisation et sa mise en
place diffèrent en fonction de chaque thérapeute. Certains ont modélisé de façon précise
l’état qu’ils rejoignent alors que d’autres s’y plongent de façon relativement spontanée.
Ainsi, pour certains, sa mise en place nécessite des exercices et des rituels ; d’autres
privilégient une approche plus intuitive. Quel que soit le type de centrage utilisé, il est
apparu que travailler en état de présence était motivé par la volonté d’entrer en
communication avec le système corporel du patient. Cela implique une vision
particulière du corps, sujet ou conscience, qui fait pour certains référence, en définitive,
à une force de Vie à laquelle le thérapeute se connecte ; force qui le traverse sans pour
108
autant dépendre de sa volonté. Et pour tous encore, la qualité de la relation
thérapeutique est alors améliorée de façon consciente ou non ; ceci grâce à l’écoute et à
la disponibilité inhérentes à l’état de présence.
Les techniques de centrage qui mènent à l’état de présence sont variées,
l’objectif étant systématiquement que le praticien se constitue fulcrum au service du
patient. Il a été possible de ressortir de cette étude un processus de centrage, composé
de plusieurs phases. Les thérapeutes mettent l’accent de façon privilégiée sur l’une ou
l’autre, ou sur plusieurs simultanément. Certains se centrent donc d’abord sur eux-
mêmes avant de rejoindre le système corporel du patient, d’autres se centrent sur la
relation thérapeutique, et enfin d’autres directement sur le patient. Les rituels qui
permettent d’accéder à l’état de présence sont également multiples.
Les éléments qui permettent l’exercice et le développement de l’état de présence
concernent essentiellement un travail que le thérapeute effectue sur lui-même. Ils
peuvent consister en un travail (de quelque nature qu’il soit) visant à libérer le praticien
des fixations de son cas, ou en des exercices pratiqués quotidiennement (Arts martiaux,
méditation et toute pratique équilibrante). Le but est de permettre au thérapeute d’être
pleinement ici et maintenant.
Serait-il judicieux d’insérer des éléments de centrage dans le cursus de
formation ostéopathique ? Certains répondent que ce ne serait pas le lieu de ce type de
travail. D’autres estiment que cet apprentissage faciliterait grandement la progression
de l’étudiant dans le domaine des perceptions. Sans aller jusqu’à encourager chaque
étudiant à entreprendre un travail personnel poussé, il serait peut-être intéressant de
proposer quelques techniques simples de pose, voire de centrage…
Les recherches que ce travail m’a demandées m’ont permis d’approfondir
certaines approches et de pouvoir ainsi mieux cerner la pensée de leurs auteurs. La
diversité des applications du concept de présence a été pour moi une source
d’enrichissement et de découvertes et m’a ouvert à des pratiques différentes. La
réflexion et la recherche sur le thème de la présence m’apparaissent aujourd’hui sans
limites.
109
Ce mémoire a exploré le concept de présence à travers différentes pistes. Il
pourrait être prolongé par une étude plus approfondie sur la relation thérapeutique, ainsi
que sur les visions du corps que le concept de présence implique.
110
7. TABLE DES MATIERES 1. INTRODUCTION...................................................................4 2. RESUME .................................................................................9 3. CONCEPTS ET APPLICATIONS .....................................10
3.1. W.G. Sutherland .............................................................................10 3.2. Rollin Becker : Le Partenaire Silencieux .....................................12
3.2.1. Le Partenaire Silencieux .............................................................................. 12 3.2.2. Fulcrums ...................................................................................................... 13 3.2.3. Mise en place de la présence........................................................................ 15
3.3. Harold Ives Magoun.......................................................................19 3.4. Viola M. Frymann – Compassion .................................................20 3.5. Pierre Tricot : La présence ............................................................23
3.5.1. Conscience ................................................................................................... 24 3.5.2. Fulcrums ...................................................................................................... 25 3.5.3. « Pour communiquer, il faut trouver le réel ».............................................. 26 3.5.4. Mise en pratique........................................................................................... 28
3.6. Hugh Milne – « Passer en glamour » ............................................38 3.7. Thierry Dubois et Philippe Hansroul – Centrage et relation thérapeutique empathique ....................................................................42
3.7.1. Centrage et empathie.................................................................................... 42 3.7.2. Mise en pratique........................................................................................... 45
3.8. Une lecture par l’approche scientifique .......................................47 3.8.1. Les ondes cérébrales .................................................................................... 47 3.8.2. Champs bio magnétiques chez les thérapeutes manuels.............................. 48 3.8.3. Effets de l’exercice sur les ondes cérébrales................................................ 49
3.9. Pour conclure ..................................................................................50 4. LA PRATIQUE DES OSTEOPATHES – Entretiens........52
4.1. Praticien 1........................................................................................53 4.1.1. L’état de présence ........................................................................................ 53 4.1.2. Le centrage du thérapeute ............................................................................ 53
4.2. Praticien 2........................................................................................55 4.2.1. L’Amour dans la relation thérapeutique ...................................................... 55 4.2.2. Le centrage du thérapeute ............................................................................ 55 4.2.3. Place de la présence dans le cursus ostéopathique....................................... 56
4.3. Praticien 3........................................................................................57 4.3.1. Conditions d’une relation thérapeutique empathique .................................. 57 4.3.2. Distance juste et écoute attentive................................................................. 58
4.4. Praticien 4........................................................................................60 4.5. Praticien 5........................................................................................61 4.6. Praticien 6........................................................................................62 4.7. Praticien 7........................................................................................63
111
4.8. Praticien 8........................................................................................64 4.8.1. Centrage ....................................................................................................... 64 4.8.2. Perceptions................................................................................................... 64
4.9. Praticien 9........................................................................................65 4.9.1. L’état de présence ........................................................................................ 65 4.9.2. Place dans le cursus ostéopathique et exercices .......................................... 65
4.10. Praticien 10....................................................................................67 4.10.1. L’état de présence ...................................................................................... 67 4.10.2. Le travail sur soi du thérapeute.................................................................. 67 4.10.3. Place dans le cursus ostéopathique et exercices ........................................ 68 4.10.4. L’aide des patients ..................................................................................... 68
4.11. Praticien 11....................................................................................70 4.11.1. Le centrage vers la disponibilité ................................................................ 70 4.11.2. Développement de la présence................................................................... 70
4.12. Praticien 12....................................................................................72 4.12.1. L’état de présence ...................................................................................... 72 4.12.2. Prise de conscience et exercices ................................................................ 73
4.13. Praticien 13....................................................................................75 4.14. Praticien 14....................................................................................76 4.15. Réflexions sur les entretiens ........................................................77
4.15.1. Le centrage................................................................................................. 77 4.15.2. La mise en place de la présence................................................................. 78 4.15.3. Educable ou inné ? ..................................................................................... 82
5. COMMENT EDUQUER LA PRESENCE ? ......................84
5.1. Les pistes de Pierre TRICOT ........................................................84 5.1.1. Le cas du praticien ....................................................................................... 84 5.1.2. La maintenance du praticien ........................................................................ 86
5.2. La méthode Vittoz ..........................................................................88 5.2.1. La méthode................................................................................................... 88 5.2.2. Mise en pratique........................................................................................... 90 5.2.3. Application à la pratique ostéopathique....................................................... 93
5.3. La voie de l’exercice – KG Dürckheim.........................................94 5.3.1. Le Hara......................................................................................................... 95 5.3.2. Mise en pratique........................................................................................... 98 5.3.3. Application à la pratique ostéopathique..................................................... 106
6. CONCLUSION ...................................................................107 7. TABLE DES MATIERES..................................................110
112
ANNEXE I
BIBLIOGRAPHIE Becker, Rollin, 1997. Life in Motion. Rudra Press, Portland. ISBN : 0-915801-82-5. Becker, Rollin, 2000. The Stillness of Life. Rudra Press, Portland. ISBN : 0-9675851-
1-2. Bron-Velay, Louise, 1993. Pratique de la méthode Vittoz. L.E.V., Lyon. ISBN: 2-
84051-002-2. Castermane, Jacques, 2004. Le centre de l’être, KG Dürckheim. Albin Michel, Paris.
ISBN : 2-226-06090-1. Castermane, Jacques, 2005. La sagesse exercée. La Table Ronde, Paris. ISBN : 2-
1703-2760-0 Dürckheim, Karlfrield Graf, 1980. Pratique de la voie intérieure – le quotidien
comme exercice. Le Courrier du Livre, Paris. ISBN : 2-7029-0093-3. Dürckheim, Karlfrield Graf, 1997. Hara, centre vital de l’homme. Le Courrier du
Livre, Paris. ISBN : 2-7029-0059-3. Dürckheim, Karlfried Graf, 2002. Exercices initiatiques dans la psychothérapie. Le
Courrier du Livre, Paris. ISBN : 2-7029-0049-6. Dubois, Thierry ; Hansroul, Philippe, 2006. Vivre l’émotion, retrouver l’énergie.
Satas, Bruxelles, ISBN : 2-87293-092-2. Duval, Jacques Andréva, 1976. Introduction aux techniques ostéopathiques
d’équilibre et d’échange réciproque. Maloine, Paris. ISBN : 2-224-00266-1. Feely, Richard Alan, 2000. Clinique ostéopathique dans le champ crânien. Frison-
Roche, Paris, ISBN : 2-87671-305-5. Frymann, Viola M., 1998. Papers of Viola Frymann. Legacy of osteopathy to
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Paris. ISBN : 2-221-01278-X Magoun, Harold Ives, 1994. L’ostéopathie dans la sphère crânienne, Editions
Spirales, Montréal.
113
Milne, Hugh, 1995. The heart of listenning – A visionary approach to craniosacral work (vol.1). North Atlantic Books, Berkeley (Californie). ISBN: 1-55643-280-1
Oschman, James L., 2006. Energy medecine, the scientific basis. Churchill
Livingston, ISBN: 0-443-06261-7 Sutherland, William Garner, 2002. Textes fondateurs de l’ostéopathie dans le champ
crânien. Sully, Vannes, ISBN : 2-911074-42-4. Tricot, Pierre, 2002. Approche tissulaire de l’ostéopathie - Livre 1. Sully, Vannes,
ISBN : 2-911074-40-8. Tricot, Pierre, 2005. Approche tissulaire de l’ostéopathie - Livre 2. Sully, Vannes,
ISBN : 2-911074-80-7. Tricot, Pierre, 2007. Partenaire Silencieux et approche tissulaire. Article paru sur le
site personnel de P. Tricot. Adresse : http://perso.orange.fr/pierre.tricot/ Vittoz, Roger, 1992. Traitement des psychonévroses par la rééducation du contrôle
cérébral. Téqui, Paris. ISBN : 2-7403-0073-5
114
ANNEXE II
QUESTIONNAIRE SUR LA PRESENCE Comment nommez-vous cet état ? 1. L’état de présence S’agit-il d’un état particulier ? Quelle place occupe-t-il dans votre pratique ? Qu’est-ce qui vous permet d’être présent à votre patient ? Comment le ressentez-vous ? Par quel signe intérieur ressentez-vous que cette présence est en place ? Par quelle sensation corporelle ou autre signe ? Comment les sensations (émanant du patient) émergent en vous ? Images, phrases, sensations corporelles d’une partie du corps ? Et leur perception est-elle facilitée par l’état de présence ? 2. Les conditions de sa mise en place Comment parvenez-vous à créer cet état en vous ? Avez-vous besoin du silence, d’un silence intérieur ? Y a –t-il une attitude corporelle qui la favorise ? Position du corps ? Yeux ouverts, fermés ? Avez-vous besoin d’un contact particulier avec le patient ? Y a-t-il des jours, des circonstances, des patients qui rendent plus incertain ce sentiment de présence ? Lesquels ? 3. Sa place dans votre cursus personnel de formation Est-ce qq chose qui a été en place dès le début de votre pratique ? Ou est-ce qq chose que vous avez éduqué peu à peu ? Qu’est-ce qui vous a permis de prendre conscience de l’importance de cet état ? Ces questions sont-elles apparues dès le début de votre formation d’ostéo ou ont-elles surgi peu à peu ? A quelle occasion ? 4. Comment l’exercer ? Don ou résultat d’un exercice personnel Quelles démarches personnelles vous ont permis de développer ce sentiment de présence ?
115
Avez-vous une pratique personnelle quotidienne qui vous permette de développer cette présence ? Ce travail personnel a t-il modifié la qualité de votre perception ? 5. Le rôle du patient Quelle « aide » le patient vous apporte-t-il ? La plus ou moins grande présence du patient à ses sensations corporelles modifie-t-elle cet état de présence en vous ?
116
RESUME
Devant un questionnement sur les moyens d’amélioration de l’efficacité thérapeutique dans la pratique ostéopathique (autres que purement techniques), il est apparu que la manière d’être là du thérapeute joue un rôle important dans l’issue du traitement. La Présence du thérapeute influe sur plusieurs niveaux : elle lui permet de s’ouvrir à un domaine perceptif plus large et de créer un climat de confiance et de sécurité dans la relation thérapeutique. L’objectif de ce mémoire, au travers de publications relatives à ce sujet et d’entretiens avec des ostéopathes, est d’analyser ce qu’est la Présence dans la pratique ostéopathique et quels sont les moyens dont le thérapeute dispose pour la développer.
Mots-clés : Ostéopathie, Présence, Centrage, R.E. Becker, P. Tricot
ABSTRACT Wondering about the means of improving the therapeutic efficiency (other than technical ones) in osteopathic practice, the way of being “here and then” of the practitioner seems to play a major role in the treatment issue. The Presence of the practitioner has an influence upon several levels: it allows to open one’s mind to a wider field of perceptions and to establish an atmosphere of confidence and security in the therapeutic relationship.
The aim of this work, through publications about this subject and talks with different osteopaths, is to analyse what the presence is in concrete terms in the osteopathic practice and how practitioners can develop it. Keywords: Osteopathy, Presence, Focusing, R.E. Becker, P. Tricot.
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