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Libération 16 janvier 2017
ORPHÉE AS-TU DU CHŒUR?
Par Guillaume Tion— 16 janvier 2017 à 18:37
L'actualité choisie de la grande musique traitée en de petites formes. Cette semaine, de
l'Orphée, de l'Eurydice et du Balcon.
Cette semaine, une nouvelle production d’Orphée et Eurydice,qui après avoir été présentée
à l’Opéra de Dijon tourne à Besançon, le spectacle matutinal total du Balcon, C’est déjà le
matin, et un concert.
L’opéra : Orphée et Eurydice
Orphée arrive aux enfers - en réalité c’est la scène de l’auditorium de Dijon, pas de méprise. (Photo
Gilles Abegg)
Il y a forcément une mode Orphée pour que le mythe, via l’opéra, soit tant repris cette année. Du côté de
l’Auditorium de Dijon, qui célèbre pourtant une saison à l’heure américaine, on a trempé dans le Styx deux
nouvelles productions de saison : un Orféo de Monteverdi en septembre-octobre mis en scène par Yves Lenoir,
qui avait déjà signé un Castor et Pollux de Rameau en 2014 dans cette même maison, et en ce début d’année
un Orphée et Eurydice de Gluck, qui marque le premier travail opératique de la metteure en scène et comédienne
Maëlle Poésy. La corrélation tient presque du hasard. «En fait je ne savais pas lequel programmer, blague
Laurent Joyeux, directeur de l’Opéra de Dijon. Nous avions entamé un cycle Monteverdi, d’où le
premier Orfeo. Et puis les deux œuvres n’avaient jamais été jouées à Dijon.» Cette deuxième œuvre est donnée
cette semaine aux 2 Scènes à Besançon.
Poésy a fait ses gammes au théâtre, et sa façon d’habiller l’espace est le point fort de son Orphée et Eurydice :
les scènes de chœurs d’ouverture et de finale - les deux mariages d’Orphée et d’Eurydice - sont justement
organisées comme des scènes chorales où une trentaine de personnes s’agitent chacun dans sa motivation, son
périmètre et son énergie. D’ordinaire, les choristes sont une masse et se déplacent en coulée. Ici, les chanteurs
dissociés jouent chacun un personnage et créent en électrons libres une richesse de plateau d’ordinaire théâtrale
ou cinématographique. Au milieu de cet emballement s’efface Eurydice, qui tombe, mordue par un serpent dans
les textes, à l’instant qu’on imagine être celui du «oui» lors de la cérémonie de mariage. Maëlle Poésy parvient
alors, dès l’ouverture, à entrer au cœur de l’œuvre, que l’on peut considérer comme celle de l’insatisfaction et du
ratage (1). A la fin de l’ouverture, Eurydice s’écroule et l’intérêt du public s’éveille.
Par la suite, malgré quelques bonnes idées fondées sur des effets scéniques comme le sable ruisselant des parois
du théâtre pour signifier l’enfoncement aux enfers, ou sur des promesses non développées tels ces morts qui
ressemblent à des mannequins de grand magasin, la mise en scène tient davantage de la mise en espace. Maëlle
Poésy est bien plus prudente qu’Orphée. Et son talent est alors de laisser celui des autres s’exprimer, en premier
lieu celui du chœur.
Laurent Joyeux est donc un homme de chœur, qu’il s’est attaché à développer depuis qu’il a pris les rênes de
l’établissement il y a une dizaine d'années, et il a bien fait : que ce soit dans le chant ou dans la présence, les
choristes de l’Opéra de Dijon font excellente figure. «Il était question de supprimer le chœur, mais j’ai refusé.
Au contraire, je veux l’amener vers l’excellence. C’est une fierté de voir qu’il peut aujourd’hui aborder des
œuvres de Gluck à Berg», explique Joyeux, en évoquant un Wozzeck monté l’an dernier. Il voit dans cet Orphée
et Eurydice une présence dramatique du chœur essentielle, dans la lignée du chœur antique, plus narrateur
qu’illustrateur ponctuel (comme chez Verdi par exemple). Et, de fait, les choristes et les trois danseurs font
office de cadre au spectacle dans cette scénographie nue. Ils en sont les structures.
Eurydice aux enfers - quoique toujours à Dijon. (Photo Gilles Abegg)
Le plateau aussi ne démérite pas. Le Suédois Anders Dahlin, de sa voix de haute-contre à la française travaillée
notamment chez Christophe Rousset (qui passera en mars à Dijon diriger une Flûte enchantée), assez magique
tant elle est légère mais peut être charnue, nous fait traverser un premier acte assez terne où, tel Orphée qu’il
interprète, il se retrouve bien seul. Dans la grisaille de la scène jouant alors le ressenti psychologique par un goût
d’obscurité, chacune de ses interventions a l’éclat d’une lumière qu’on allume. De son côté, Eurydice, après un
démarrage brutal à froid, fait valoir sa hauteur. Elodie Fonnard, venue elle aussi du baroque et qu’on a pu voir
auprès des Arts florissants, s’en tire avec prestance.
Mais de ce baptême aux enfers en demi-teinte, touché par une mise en scène très sage, c’est paradoxalement la
pirouette finale de Maëlle Poésy qu’on retient. La version de Gluck et de son librettiste Ranieri de' Calzabigi
diffère de l’Orfeo de Monteverdi, mais surtout du mythe tel qu’on le trouve chez Virgile et Ovide, par son
finale : Amour a pitié d’Orphée et ramène des enfers Eurydice. La mini-scène de ménage qu’ils avaient entamée
au royaume des morts s’achève en grand bonheur… alors que dans le mythe Eurydice disparaît et Orphée est tué,
dépecé, au meilleur des cas envoyé au ciel. Poésy, à la dernière seconde du spectacle, s’amuse à y ajouter un
éclairage différent, aussi profond que charmant et qu’on ne dévoilera pas ici.
Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck, dir.mus. Inaki Encina Oyon, ms Maëlle Poésy, les 17
et 19 janvier aux 2 Scènes, scène nationale de Besançon.
(1) Nous avons tenté bien illusoirement de faire le tour du mythe dans une chronique sur France
Musique en partenariat avec Libération.
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