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LES TRACES DU SACRE EN CHIRURGIE

____

Dr Michel Caillol Hôpital Ambroise Paré (Marseille)

Espace Ethique Méditerranéen

La différence entre Dieu et un chirurgien? → Dieu, lui, ne se prend pas pour un

chirurgien !

•  « Etre homme c’est tendre à être Dieu ; ou si l’on préfère, l’homme est fondamentalement désir d’être Dieu ».

J-P Sartre (L’être et le néant)

► Il y a-t-il oubli du caractère sacré de la

chirurgie ? ►et en quoi il y a-t-il du

sacré ?

Qu’est ce que le sacré ? •  Sacer : ce qui est séparé et supérieur

► ce qui est transcendant, indisponible → donc ce qui est interdit (« les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent »)Durkheim ► l’interdit appelle la transgression → le sacré peut être profané…

•  Le sacré est comme « un mode d’être dans le monde »M. Eliade

•  Rudolf Otto : « numineux », le sacré est

un tout-autre (ganz andere). La chose sacrée se distingue de la chose profane en ce sens qu’elle en est toute différente.

► Or on parle d’une « désacralisation du

monde » …?

•  JF Mattéi parle « d’une véritable crise de l’Esprit » (Esprit qui, selon Hegel se manifeste par l’art, la religion et la philosophie)

•  attestée par trois pertes :

- le divin dans l’art - le sacré dans la religion (« penser Dieu sans l’être » Heidegger) remonter de Dieu à la divinité, de la divinité au sacré et du sacré à la vérité de l’être - le sens (transcendance) dans la philosophie

•  Et Nietzsche (Le Gai savoir, L’insensé) : « deux mille ans déjà et pas un Dieu nouveau ! », précisant : « Dieu est mort. Et c’est nous qui l’avons tué »

→ « Il y a dans nos sociétés une volonté de donner un contenu scientifique à l’interdit or c’est l’interdit qui fonde –donne accès à – la raison »

(Monette Vaquin citant P. Legendre)

Pourtant… •  « …semblent espérer qu’une prise de

conscience du caractère radicalement profane du monde et de l’existence humaine est capable de fonder…un nouveau type d’expérience religieuse »

► « L’originalité radicale de l’occident moderne tient toute à la réincorporation au cœur du lieu et de l’activité des hommes, de l’élément sacral qui les a depuis toujours modelés du dehors » M. Gauchet

Sur les traces du sacré en chirurgie….

► Les trois spécificités de la chirurgie

► Une approche de son essence

► Les moyens de la transformation de l’homme par la chirurgie

► La question de la nature de l’homme et de son caractère sacré

Les trois spécificités de la chirurgie

Ø  Le chirurgien a deux casquettes Ø  La chirurgie est agressive

Ø  La chirurgie ouvre la porte de l’extra médicalité

Première spécificité de la chirurgie

Le chirurgien a deux casquettes:

► c’est d’abord un médecin…

► c’est ensuite un technicien…

Chirurgien comme médecin… Ø Il re-médie : « … achève ce que la nature n’a

pu mener à bien » (Aristote)

Ø Prenant en charge une « personne » (un être humain qui est un fin en soi)

Ø À l’aide de ses mains (kheir-ourgia) : la « corproprioception » (Michel Henry)

Ø Par une action immédiate (le corps de l’autre est abordé directement)…

La « médiation » de la médecine… ► La santé comme « capacité normative » La normativité : la vie lutte en créant ses propres normes, (la normalité en soi « est la forme dominante de tout vivant ».

► La santé comme un « mode d’être là, un être dans le monde, un être parmi les hommes » ; un « pouvoir-être ». Gadamer

► « respecter la personne qui est dans l’homme

La personne humaine…

•  « Cette personne humaine, dont la définition est comme la pierre de touche d’après laquelle le bien se doit distinguer du mal, est considérée comme sacrée, au sens rituel du mot pour ainsi dire » Durkheim

•  « Il n’y a rien de sacré dans la personne humaine » Ingelhardt ► Réduction de la personne à un sujet !

Les mains du chirurgien…

« Je suis mon corps » M. Henry ► la chair est plus que le corps inerte qui

ne ressent rien : « L’incarnation consiste dans le fait d’avoir une chair – davantage peut-être – d’être chair… »

► Ses mains « sont » le chirurgien !

Elles sont son « outil »….

« L’immédiateté »de la chirurgie…

•  Le malade est un « corps vivant » (lebenkörper) qui ressent

•  L’acte chirurgical est quasi immédiat :

- dans son exécution (la main qui « s’approprie ») - dans son résultat (très vite et très facilement « perçu »)

Chirurgien comme technicien…

Nécessité éthique d’objectivation (réduire le patient à son corps-objet)

► mais c’est une abstraction… dont il faut savoir se libérer…

Car le corps opéré est vivant…

L’objectivation… •  Pour Levinas « L’éthique est première »

ce qui interdirait l’objectivation

•  Mais l’objectivation peut être une « totalisation agressive » qui libère le soignant (A.L. Boch) ► Car le soin reste une agression du

corps… donc de la personne…

L’objectivation est une abstraction…désacralisation ?

Comme en peinture la perspective est illusion… …comme:

« …l’aménagement d’un nouveau monde imaginaire » « un univers construit à la mesure des nouvelles possibilités techniques ».Arasse

Chirurgien comme technicien…

Nécessité d’un environnement technique (CAO, ancillaire, etc…)

► risque d’être

« requis » par le Système Technique…

► Le moyen pris pour la fin : opérer pour opérer…

Le chirurgien médecin…technicien…

Équilibre difficile !

→ Prendre conscience du

caractère « sacré » :

► de l’acte même que d’opérer…

► du corps d’un homme qui en est l’objet…

Deuxième spécificité de la chirurgie

Chirurgie et douleur → Anesthésie Chirurgie et infection → Asepsie (puis

antisepsie)

La chirurgie est la partie de la médecine la plus agressive

→ « Ça n’est pas le corps qui souffre mais l’individu entier » (Leriche)

Son caractère « agressif » est lié encore lié à sa caractéristique d’être une transgression… ► le chirurgien « inter-vient » ► la « peur » de l’intervention…

Troisième spécificité de la chirurgie

La chirurgie ouvre la porte de l’extra-médicalité…

…l’extra-médicalité… La question du désir… ► le chirurgien

instrumentalisé par le désir (jamais assouvi) du patient et de la société ?....

« Catman »

II - Une approche de l’essence de la chirurgie…

Ø La chirurgie recèle un caractère sacré

Ø Elle est concernée par le tabou du sang

Ø Elle comporte une dimension violente

► C’est dire que la chirurgie est plus que l’action même d’opérer !

1) Les traces du sacré en chirurgie…

•  Le bloc opératoire « sanctuarisé »

•  Les « habits »

sacrés (la blouse, les sabots…)

•  La déification du chirurgien ►

Chris Barnard - 1967

1) Les traces du sacré en chirurgie…

La symbolique sous jacente…. Les greffes :

►Le cœur ► Les mains ► Le visage…

Quid ? ► Des reins, ► Des poumons, ► Du foie… ►« La dé-symbolisation est ouverture au

chaos » M. Vaquin

2) Le tabou du sang Le sang est impur…

« Ecclesia abhorret a sanguine »

► le sang du Christ ► le sang du

cadavre ► le sang des règles ► le sang et la

nourriture

→ inviolabilité du corps humain

→ impureté du sang animal

2) Le tabou du sang Son contact est réservé aux incultes…

Ø  Les barbiers

Ø  Le bourreau

2) Le tabou du sang le sang

est signe de violence

La violence appelle la vengeance…Le sacrifice ritualisé calme le cycle infernal (René Girard)

Le sang « chirurgical » comme « remède »?...

3) Violence et chirurgien ► il est en contact avec le sang ►le chirurgien « transgresse » et

« agresse » … ► il « désacralise » le corps humain

(réputé inviolable)… « il n’est plus pour vous cet objet clos, ce vase fermé, sacré… » (Paul Valéry)

►Le chirurgien est bien « sacré-maudit »

Ces traces manifestes de la sacralité de l’action

chirurgicale… •  « Il résulte des actions des hommes

quelque chose d’autre que ce qu’ils ont projeté et atteint » (Ricoeur)

•  « L’homme a moins absurdement tenté

de se voir en Dieu qu’en autrui, car le reflet ne nous présente qu’une connaissance, et la conscience est de l’ordre de la croyance » (Vignaux)

C’est « l’expérience herméneutique » dont parle Gadamer.

►L’homme est « un animal herméneutique » (en plus de posséder la parole) car il recherche le sens aux phénomènes (internes comme nos états de conscience et externes comme les objets d’expérience).

► la sacralité en chirurgie en manifeste

le sens, son oubli la rendrait absurde !

III - Les moyens de la transformation de l’homme

•  Réparation ou reconstruction ? (pallier ou amplifier…)

•  Implants ou prothèses ? (intériorité spatiale ou substantielle…)

•  Transplantations ou implantations ?

► Pour qui ?...Pourquoi ?

Où sont les limites ?

Claudia Mitchell

Ø Réparation

Ø Augmentation

Ø Trans-formation ?

Quid du « transhumanisme » ?

Où sont les limites ?

Le chirurgien « comme maître et possesseur du corps humain »…

pour le meilleur ou pour le pire ?

► risque de démesure (« hybris »)

C’est faire la distinction entre :

•  La médicalisation de la technique ► les progrès techniques créent de nouveaux outils, utiles, utilisables par la médecine…

•  La technicisation de la médecine

► la technique utilise la médecine à des fins purement techniciennes, non médicales (inutiles à la médecine)…

IV - Le problème de la nature de l’homme…

•  L’homme est cet étant particulier pour lequel il est dans son être question de cet être qu’il est (l’ontologie fondamentale de Heidegger)

•  La Modernité ne tient compte que de l’étant et dans cette logique, la chirurgie risque

d’oublier l’être derrière l’étant qu’elle croit prendre seul en charge…

•  « L’être est réduit à l’ordre du productible,

camouflant ainsi (son)indisponibilité… »

•  « la contingence de la question du corps, plus profondément la contingence du fait même de l’appartenance d’un corps à la réalité humaine, sont insurmontables s’il est vrai que ce corps représente, par rapport à la subjectivité transcendantale elle-même quelque chose d’hétérogène et d’irréductible » M. Henry

IV - Le problème de la nature de l’homme…

•  Progrès ou « méliorisme » ? « la science ne pense pas » Heidegger

→ Transformation = bonheur ?... → l’équation de Condorcet : science = progrès

progrès = bonheur !

•  L’essence de l’homme ? → « le seul être moral… » Jonas

► « améliorer » sa condition vaut-il de

« transformer » sa nature ?....

« l’impératif éthique que la médecine soit vraiment médecine…

est indissociable de l’impératif médical que l’éthique de la médecine soit vraiment éthique »

Dominique Folscheid

CONCLUSION •  Le chirurgien ne doit pas se prendre pour

Dieu…

•  La banalisation de son action (le geste : intervenir ) et de son objet : le corps

pourrait en cacher le caractère irréductiblement sacré…qui interdit cette banalisation !

•  Car Dieu n’est pas chirurgien…

►…Mais peut-être aurait-il pu ?....

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