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Les Agonies primitives
« Tant qu’on ne peut définir des sentiments, s’expliquer clairement à leur sujet, on
n’est pas libre »
Marguerite Yourcenar
Ma présentation s’articule autour de la théorie des Agonies primitives de Donald Woods
Winnicott, des blessures identitaires narcissiques de René Roussillon, de la synthèse faite par
Jean-Marc Henriot. J’ajouterai quelques apports d’autres auteurs. Je parlerai des spécificités
que ces blessures identitaires narcissiques demandent dans une cure thérapeutique et de ce
que peut apporter le Rêve éveillé en particulier.
Donald Woods Winnicott
1/Introduction
2/ La construction psychique dans l’enfance
- 1/Fusion originelle
- 2/ Phase de différenciation.
- 3/ Les Paradoxes.
- 4/ L’espace transitionnel.
3/ La faillite de l’environnement : les Agonies primitives
4/Processus thérapeutique des patients ayant souffert d’agonies primitives
René Roussillon
1/Introduction
2/ les patients à blessures narcissiques identitaires
3/ Particularités thérapeutiques des patients à blessures narcissiques
identitaires
Jean-Marc Henriot
1/Introduction
2 / Particularités du rêve éveillé en cure : AIRE (analyse intégrative et
rêve éveillé)
Bibliographie
LA HONTE
Les trois faces de la honte
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Donald Woods Winnicott
1/Introduction
Donald Wood Winnicott (1896-1971) éminent psychanalyste anglais, était aussi
pédiatre, .Il va établir ses théories en observant les bébés en relation avec leurs mères
principalement. .
Pour lui, l’activité pulsionnelle décrite par Freud, Abraham et Mélanie Klein chez
l’enfant ne suffit pas pour rendre compte de la formation de l’identité de la personne.
Il va prendre en compte la réalité vécue du bébé dans son lien à sa mère alors que
Mélanie Klein va s’intéresser aux fantasmes du bébé (Mélanie Klein : positions
schizo-paranoïde et dépressive).Il pense que pour qu’un enfant ait une bonne
capacité de développement, une potentialité créative, il faut qu’il y ait eu un
environnement favorable dès le début.
Winnicott a voulu s’occuper de l’accès à une certaine sécurité du sentiment
d’existence
Il a travaillé entre autres sur les souffrances presque impensables :
« Les Agonies primitives »
C’est peut être une souffrance chez lui qui lui a donné cette sensibilité particulière :
À 67 ans, il envoie un poème à son beau-frère intitulé « The Tree (l’Arbre) » (qui
semble parler de la relation à sa mère), (texte en anglais à la fin)
Mère sous l’arbre pleure, pleure, pleure
C’est ainsi que je l’ai connue
Un jour étendu sur ses genoux
Comme aujourd’hui dans l’arbre mort
J’ai appris à la faire sourire.
À arrêter ses larmes
À abolir sa culpabilité
À guérir sa mort intérieure
La ranimer me faisait vivre
Hypothèse : avait il lui-même vécu des agonies primitives avec une mère
dépressive ?
Winnicott va publier peu de temps avant sa mort un texte :
« Fear of breakdown » (Nouvelle revue de psychanalyse Gallimard 1975 n11)
Traduit en français par « La crainte de l’effondrement ».
Une peur de craquer, de s’effondrer existe chez certains patients, centrale dans les
pathologies telles que les psychoses, l’autisme, les personnalités états limites,
narcissiques, anti sociales, plus incidente dans les pathologies psychosomatiques.
L’effondrement est le risque de revivre les agonies primitives avec leur détresse,
désespoir parfois insoutenables voire de véritable « mort psychique ».
Cette crainte de l’effondrement est « Liée à l’expérience antérieure de l’individu et à
l’inconstance de l’environnement » Winnicott
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Elle concerne une expérience traumatique passée qui n’a pas pu être symbolisée à ce
moment là, ni vraiment après coup car le sujet s’était clivé, coupé de celle-ci : il ne
pouvait l’éprouver.
Winnicott, dans ce texte, théorise que cet effondrement a déjà eu lieu
« Je soutiens que la crainte clinique de l’effondrement est la crainte d’un
effondrement qui a déjà été éprouvé » Winnicott
C’est un fait que le patient porte caché, « clivé » dans l’inconscient : au moment de
l’expérience traumatique, le Moi était trop immature pour l’assimiler et
« Il y a des moments où le patient a besoin qu’on lui dise que l’effondrement dont
la crainte mine sa vie a déjà eu lieu » Winnicott
En thérapie, pour que le Moi puisse faire entrer ce vécu dans le temps afin d’éviter la
crainte de sa répétition, il faut que l’agonie puisse être éprouvée, ce, grâce au soutien
du thérapeute, à l’analyse du transfert et du Contre transfert (et aussi en thérapie
AIRE : au Rêve éveillé).
« L’expérience originelle de l’agonie primitive ne peut être mise au passé que si la
Moi peut d’abord la faire entrer dans sa propre expérience du temps présent et
dans la maîtrise toute puissante actuelle » Winnicott
2/La construction psychique -1/ Fusion originelle
« Un bébé seul, ça n’existe pas, il y a un bébé et quelqu’un d’autre » Winnicott
Un bébé ne peut être indépendant d’un objet (le plus souvent sa mère) et d’un
environnement pour exister.
Un bébé, sans troubles psychiques ni neurologiques aura une tendance innée à se
développer jusqu’à devenir une personne totale, créatrice, qui croit en la vie. Pour
que cela soit possible, il est indispensable que l’environnement dans lequel il grandit
soit « suffisamment bon » pour lui.
L’environnement : c’est la plupart du temps sa mère, mais, cela peut englober aussi le
père ou tout autre personne s’occupant de lui. Le père est là aussi pour préserver la
relation mére-enfant si particulière au début en toute quiétude. La mère, pour être
« suffisamment bonne » (« good enough mother ») doit bénéficier aussi pour elle
d’un bon environnement, se sentir en sécurité et aimée.
La plupart du temps, la mère, à la fin de la grossesse, acquiert la capacité particulière
de « préoccupation maternelle primaire » concept de Winnicott. (Préoccupation qui
va normalement se développer quelques semaines après la naissance et diminuer
peu à peu).Au cours de cette étape : la mère vit dans un état qui lui permet d’être au
plus près de son bébé, de ressentir ses affects, ses besoins, elle est comme « repliée »3
autour de son bébé. Elle doit être « suffisamment bonne et dévouée » à son bébé pour
qu’il ait un environnement facilitant ses besoins propres et qu’il ait un sentiment de
continuité : comment elle lui répond, le stimule, le calme, comment elle se laisse
transformer par lui et devenir mère .Elle va montrer une adaptation très sensible aux
besoins du bébé qui doit faire l’expérience illusoire de l’omnipotence : ce qu’il trouve
(ex : le sein), il l’a créé. Il n’est pas conscient à ce stade qu’il est dépendant
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(Winnicott : « dépendance absolue ») .il n’y a pas de différence entre lui et sa mère :
comme une fusion originelle.
« Pour que cette illusion (trouvé/créé) se produise dans l’esprit du petit enfant, il
faut qu’un être humain se donne le mal de mettre constamment le monde à la
portée de l’enfant sous une forme limitée qui convient à ses besoins »Winnicott
L’objet (la mère) créé par l’enfant (trouvé/ créé) est la qualité de la mère dans sa façon
de le porter : holding : (environnement stable, ferme, capable de porter
physiquement et psychiquement l’enfant) de le bercer : handling et de lui présenter
le sein : presenting object.
La mère doit être « suffisamment adéquate » pour être trouvée quand l’enfant
éprouve un fond de mal être, une tension sans le désillusionner trop vite. Les soins
doivent posséder des caractéristiques de continuité, de fiabilité et d’adaptation
progressives aux besoins du bébé.
Au départ, le Moi du bébé est non intégré :
« La première organisation du Moi provient du vécu des menaces d’annihilation
qui n’entraîne pas d’annihilation véritable et dont on se remet chaque fois. Grâce à
ces expériences, la confiance dans la guérison conduit petit à petit le Moi à faire
face à la frustration »
Winnicott (de la pédiatrie à la psychanalyse)
Au début, le bébé a un vécu « morcelé » de son corps : chaque morceau de son corps
est le siège de pulsions, de tensions sans lien entres elles (son ventre fait du bruit, sa
bouche crie.). Cela l’angoisse. Les premières expériences ne sont pas reliées entre
elles ni vécues comme une unité. Le rôle de la mère (objet primaire) est essentiel pour
que le bébé accède à l’intégration. La mère suffisamment bonne va offrir à son bébé
une sorte de nidation extra corporelle après la vie intra utérine pour le préserver de
l’angoisse, de la désintégration.
Pour Freud, ce qui est traumatisant pour le bébé est la trop grande quantité
d’excitations avec l’effraction du pare excitation. Pour Winnicott, ce sont la
présence,les soins, les paroles, les soins de sa mère « suffisamment bonne », dévouée
qui vont donner au bébé un environnement facilitant, un « contenant pare
excitation ». La « satisfaction » du bébé ne concerne pas uniquement le besoin
corporel (comme le pensait Freud), mais aussi, à l’occasion de la satisfaction du
besoin corporel, la satisfaction d’une série de besoins psychiques et de désirs
psychiques. Sinon, la satisfaction des besoins corporels ne donnera pas de traces
mnésiques satisfaisantes.Si ce premier environnement du bébé est suffisamment4
favorable, une première unité va se créer, l’enfant va se rassembler et pouvoir se
servir de son énergie libidinale. (Narcissisme primaire .Freud).
Le premier amour de l’enfant est sans pitié, la première relation que l’enfant établit
avec sa mère sera « impitoyable » et cruelle (cela se retrouve dans les pathologies
psychotiques et perverses).
Winnicott souligne que tout humain a peur de la folie et se défend de son ancienne
capacité à être non intégré, à se sentir dans un monde irréel.
La mère transmet la capacité d’être. En effet, il va y avoir un rapport entre l’intensité
de la carence primaire maternelle (ou de la personne qui a pris soin du bébé) et la
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gravité pour l’enfant de la perturbation de la personnalité. Les 6 premiers mois sont
fondamentaux : c’est là que se fondent les bases de la santé mentale et où s’originent
les psychoses (sans oublier, dans ces pathologies psychotiques : l’hérédité et les
atteintes organiques possibles).
2 /Phase de différenciation
Après cette période de fusion initiale mère- bébé, la mère doit peu à peu modérément
frustrer l’enfant, avoir des défaillances légères pour que l’enfant soit « désullisionné »
progressivement dans son « trouvé/créé » et puisse sortir de cette « symbiose
initiale » et accepter peu à peu la réalité plus frustrante.Il sera en rage , il va imaginer
détruire la mère à cause de la frustration .Il va détruire la mère de façon imaginaire
puis , la mère sera retrouvée.Elle « survit » .Elle sera alors découverte et investie
comme objet différent de lui, externe.
Ce qui paraît à Winnicott nécessaire à l’évolution favorable de l’enfant sera de très
nombreuses petites frustrations. Si l’amour de la mère est excessif, possessif, cela sera
dommageable pour l’enfant.
Ce dégagement progressif ne se fera que si la mère apporte à l’enfant un
environnement stable et prévisible en plus de répondre à ses besoins vitaux. Si ces
conditions se réalisent, l’enfant découvrira ses limites corporelles, son Moi et pourra
partir à la découverte de son environnement.
Dans la deuxième partie de sa première année de vie, l’enfant va, normalement,
vivre l’ « angoisse de l’étranger » (vers le 8ème mois) en réalisant peu à peu qu’il a une
identité propre.
Cette découverte de l’extériorité ne peut se faire qu’avec le consentement de la mère,
la mère doit accepter cette séparation progressive. Sinon, le risque est important d’un
vécu de séparation intolérable et de haine destructrice, avec un sentiment d’horreur
qui apparaît , un désespoir face à l’incapacité d’être soi-même.
Progressivement, l’enfant va se rendre compte que sa mère n’est pas une partie de
lui, qu’il a une existence propre et qu’il y a une réalité extérieure à lui sur laquelle sa
pensée n’a pas de prise. Il prend la mesure de sa dépendance et va adapter sa
capacité de faire savoir à son environnement quand il a besoin de lui.
La mère va peu à peu se tourner vers le père de l’enfant, vers son partenaire sexuel
ou tout « Autre de la mère » qui sera objet de son désir. Elle doit avoir investi5
d’autres objets d’amour. .Grâce à cela, elle va ouvrir cette symbiose initiale et
permettre la triangulation (le père sera « tiers séparateur »)
L’enfant va alors pouvoir agir sur cette réalité extérieure et choisir ses objets d’amour
.Il va commencer à s’attacher à ceux-ci .Peu à peu, sa libido jusque là orientée sur lui
(Libido de Moi : celle qui sert à s’aimer.Freud) va se déplacer et investir aussi le
monde extérieur (Libido d’objet : celle qui sert à aimer les autres.Freud).
(Narcissisme secondaire)
En même temps, l’enfant a acquis la capacité d’halluciner son besoin et la capacité à
arriver à le différer (par exemple, s’il a faim et qu’il entend la mère préparer le repas,
il peut attendre, il sait que bientôt il mangera) .Plus jeune, il n’aurait pas été capable
de comprendre et aurait vécu cette attente de façon très angoissante.
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Pour Winnicott, l’agressivité est précoce (avant l’intégration) et, il la relie, comme
Freud, à la motricité (coups de pieds du fœtus, morsure du sein par le bébé.) A ce
stade, le bébé n’est pas inquiet, il ne se rend pas compte que ce qu’il détruit c’est la
même chose que ce qu’il aime (Mécanisme normal du Clivage entre le « bon objet »
source de gratification que le bébé gardera à l’intérieur et du « mauvais objet » source
de frustration qu’il va expulser à l’extérieur. M Klein) .L’agressivité fait partie de
l’amour à ce stade .L’amour va jusqu’à une attaque imaginaire du corps de la mère
de l’extérieur de soi. Ce stade de l’agressivité doit pouvoir être vécu pleinement .S’il
n’existe pas ou s’il disparaît trop tôt, l’enfant ne sera pas capable d’aimer et
n’arrivera pas à établir des relations avec d’autres personnes .Pour que cela se fasse,
il faut que la non inquiétude puisse être vécue pleinement par l’enfant.
Pour Winnicott, cette agressivité se rattache à une « force de vie ».
C’est, chez l’enfant, la tentative de supprimer le mauvais en lui (localisé dans une
partie du corps), ce mauvais qui lui fait craindre la mort intérieure insupportable.
Il s’en sort normalement par son agressivité fantasmée explosive. La bonne santé
réside alors à bien utiliser l’agressivité pour défendre ce qui est aimé contre les
attaques extérieures avec le maintien de l’objet d’amour.
L’enfant passe de la Relation d’objet à l’utilisation de l’objet et à l’expérience de
l’altérité.
Cette étape est celle de la destruction de l’objet par le sujet
Pour cela, l’enfant doit avoir la possibilité de communiquer avec un objet présent
pour le recevoir, avoir la possibilité de le détruire par amour.Cela va inaugurer le
fantasme inconscient et la possibilité d’utiliser l’objet qui a survécu. En effet, les
limites et les freins de la réalité extérieure ainsi que ses apports en satisfaction vont
permettre et aussi obliger l’enfant à des productions fantasmatiques .Ces fantasmes
archaïques vont rendre « alarmants » les effets de l’amour et de la haine. Pour
Winnicott, c’est la réalité humanisée par l’amour maternel qui va atténuer la dureté
de la vie fantasmatique.
La mère, bien que cela lui fasse mal et l’épuise, doit supporter l’agressivité, la
destructivité de son enfant sans rétorsion, représailles, ni retrait, sans se
désorganiser. La mère doit survivre, ne pas se venger. La colère de l’enfant, liée aux6
frustrations pourra ensuite être éprouvée quand la capacité d’utiliser l’objet aura été
acquise.
Quand la colère ne se transforme pas en désespoir,c’est ce qui se passe quand
l’enfant a vécu des agonies primitives,cette colère peut alors procurer de la
satisfaction. Si la mère survit, l’enfant donne un sens nouveau au terme « aimer »
« Le code moral inné du nourrisson est si féroce, si brutal et si mutilant (…) l’objet
pourrait mordre comme l’enfant excité par l’objet (..).Les peurs brutes
s’humanisent principalement au travers des expériences de chaque enfant, par
rapport aux parents qui désapprouvent et sont en colère, mais qui ne mordent pas,
ne noient pas, ne brûlent pas l’enfant dans un châtiment correspondant
exactement à sa pulsion et à son fantasme » Winnicott.
Cette capacité à se développer de façon saine dépend de la survie de l’objet (la mère
la plus souvent).
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Ainsi, la mère devient un objet non-Moi, elle est placée à l’extérieur de l’enfant .Elle
peut être utilisée .Elle constitue un premier écran pare excitation.L’enfant peut faire
partie du Monde, utiliser le monde, y participer.
« L’enfant devient capable de vivre une existence personnelle satisfaisante, alors
qu’il s’engage dans les affaires de la société » Winnicott (Processus de maturation
chez l’enfant)
Cette agressivité va apparaître dans le jeu. Si la mère ne la supporte pas, l’enfant va
devoir dissimuler son agressivité .Normalement, si la mère supporte cette agressivité
primitive, celle-ci va diminuer et va donner accès à la culpabilité et à la Sollicitude
vis-à-vis de la mère (Gratitude de Mélanie Klein).
Winnicott fait remonter la capacité de Sollicitude (concern) à un stade pré oedipien,
où l’enfant a déjà reconnu sa mère comme une personne totale non–Moi. Dans
l’esprit de l’enfant vont fusionner la « mère objet de cruauté pulsionnelle primitive
sans pitié » avec la « mère environnement ». Il aboutit alors à l’ambivalence.
Mais pour cela, il faut que la mère « survive » à l’agressivité de son enfant.
« Les pulsions instinctuelles conduisent à un usage sans pitié des objets et ensuite
à un sentiment de culpabilité qui est contenu et se trouve apaisé par l’offrande à la
mère-environnement que le nourrisson pourra faire à certaines heures. Par
ailleurs, les occasions de donner, de réparer que la mère environnement assure par
sa présence régulière permettent à l’enfant de vivre les pulsions du ça avec de plus
en plus de hardiesse et, en d’autres termes, le libère de la vie pulsionnelle »
Winnicott
3/Les paradoxes (Winnicott)
Ce sont des solutions utilisées par l’enfant pour pouvoir vivre cette nécessaire
discontinuité entre le dedans et le dehors .Les paradoxes doivent être totalement
acceptés par l’environnement pour le bon développement psychique de l’enfant.
Ils sont essentiels et vont établir un espace transitionnel indispensable à la
« continuité d’être de l’enfant ».Ils vont viser à préserver l’enfant de la menace des
agonies primitives qui peuvent le menacer.
Ces paradoxes sont
-Trouvé/ créé l’objet dans la relation d’objet primaire,
- Détruit/ retrouvé dans l’utilisation de l’objet,
- Retournement passif/actif dans le jeu de la spatule de Winnicott (ou le For/Da
de Freud)
Jeu de la spatule : l’enfant jette la spatule que quelqu’un lui ramasse et ainsi de
suite.Par son geste, il va extérioriser une mère intérieure dont il craint la perte,
pour se démontrer que cette mère intérieure que représente la spatule sur le
sol n’a pas disparue de son monde intérieur et donc qu’elle n’a pas été détruite
par l’acte d’incorporation.Elle est encore bienveillante et veut bien que l’on
joue avec elle.
Lors de cette expérience de retournement passif /actif se matérialise la
symbolisation primaire.
- Seul en présence de la mère :
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Pour un développement sain, il n’est pas seulement nécessaire d’avoir eu une mère
suffisamment bonne, avoir eu un bon Holding, mais, il est aussi essentiel d’avoir pu
intégrer l’Absence de la mère.
Si la représentation de la mère en son absence n’est pas stabilisée, la représentation
de Soi ne peut plus se structurer.Pour cela, la mère doit être suffisamment bonne,
attentive au bébé, pour créer l’illusion primaire (trouvé/créé) illusion pour le bébé
qu’il est le prolongement de la mère, qu’il a créé cette mère pour ses besoins.Illusion
fondamentale pour la continuité d’être.
La mère doit être présente pour que l’enfant soit capable de supporter l’absence .Etre
seul nécessite l’appui sur la certitude de l’existence ininterrompue de la mère.
Ensuite cette expérience pourra être intériorisée et qu’être seul renverra toujours
paradoxalement à une présence.
L’enfant, pour pouvoir être suffisamment seul avec l’autre, en relation avec lui, doit
être suffisamment seul en toute sécurité .Il doit bénéficier de ce que l’autre lui
apporte sans pour autant renier sa propre identité.
S’il a eu des agonies primitives importantes, le sujet ne peut s’abstraire du poids de
la présence de l’autre , soit il est tout entier contre cette personne qu’il ressent comme
traumatique pour lui, soit il se sent sous l’influence de l’autre.
4/L’espace transitionnel et la « continuité d’être de l’enfant »
C’est un espace paradoxal ni à l’intérieur ni à l’extérieur situé entre le bébé et sa mère
qui va permettre la séparation de l’enfant et de sa mère.
Cette séparation advient et chacun en bénéficie dans la majorité des cas .Et ceci, bien
qu’une partie de l’enfant ne souhaite pas cette séparation. Il faut accepter le
paradoxe
Dans l’expérience de vie de l’enfant en relation avec la mère s’institue habituellement
une confiance croissante en la fiabilité de la mère. L’amour d’une mère suffisamment
bonne ne signifie pas seulement répondre aux besoins de dépendance, mais aussi
fournir à cet enfant la possibilité d’aller de la dépendance à l’autonomie.
« C’est la confiance du bébé dans la fiabilité de la mère et à partir de là de celle
d’autres personnes qui rend possible le moment de séparation entre le Moi et le
Non Moi .Dans le même temps, on peut dire que la séparation est évitée grâce à
l’espace potentiel qui se trouve rempli par le jeu créatif, l’utilisation des symboles
et par tout ce qui finira par constituer la vie culturelle »
Winnicott (Jeu et Réalité)
Dans cet espace vont se développer l’aire de jeu et la créativité permettant une bonne
maturation psychique.
Le Jeu (playing) nécessite un environnement facilitateur pour soutenir et maintenir
celui-ci.
Le mode de symbolisation primaire prend sa source dans le jeu qui va se dérouler
entre le dehors et le dedans, mêlant le trouvé externe et le créé interne .Cette
symbolisation primaire ne pourra se faire que s’il y a eu une bonne relation primaire
mère bébé avec une mère suffisamment bonne.
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Cet espace va jouer un rôle essentiel de représentation et de symbolisation et va
permettre le décollement d’avec la mère, et donc, un premier mouvement de l’enfant
vers l’indépendance.Cet espace est le fondement de la bonne santé psychique et il
ouvre aux véritables richesses de l’être humain : art, culture, créativité.
Quand l’enfant fait usage d’un objet transitionnel, c’est le premier usage du symbole
pour l’enfant et la première expérience de jeu.Les phénomènes transitionnels sont au
fondement des activités de penser .Le bébé va, grâce à eux, intégrer les objets « autres
que Soi ». Quand le développement de l’espace transitionnel est précocement
perturbé, voire empêché, l’adaptation de l’enfant à son environnement est
compromise.
La psyché suppose une conscience du sujet qui peut s’approprier ce qui se produit
inconsciemment en lui. Cette activité représentative inconsciente ne va pas de soi :
elle dépend de l’environnement facilitant pour l’enfant.
3/La faillite de l’environnement : les agonies primitives
« C’est, selon moi, une angoisse primitive très réelle, très antérieure à toute
angoisse qui inclut le mot mort dans sa description » Winnicott
Agonie : lutte, angoisse, détresse, désespoir importants pouvant aller jusqu’à la
« mort psychique ».
Agonies primitives (Fear of Breakdown)
- Angoisse extrême de retour à un état non intégré (défense : désintégration,
morcellement)
- Angoisse extrême de ne pas cesser de tomber (défense : auto maintien : self-
hoding)
- Angoisse extrême de perte de la relation avec son corps (défense :
dépersonnalisation).
- Angoisse extrême de perte du sens du réel (exploitation du narcissisme primaire).
- Angoisse extrême de perte de la capacité à établir une relation d’objet (défense :
autisme, personnalités narcissiques)
- Angoisse extrême de mort
- Angoisse extrême du vide :
Certains patients vont éprouver un vide appartenant au passé, à l’époque où leur
immaturité psychique n’avait pas permis l’expérience du vide.
« Rien ne se passe, alors que quelque chose aurait pu utilement se passer »
Winnicott
Ces patients vont redouter le caractère effrayant de ce vide.Ils vont alors, en défense,
organiser un « Vide contrôlé » (en ne mangeant pas, en n’apprenant pas, ou au
contraire, en mangeant constamment). En thérapie, quand ces patients arrivent à
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aller jusqu’au vide, avec l’appui et le soutien du thérapeute, alors, ils pourront
« absorber » avec plaisir (manger, apprendre).
Normalement, le Vide est une condition préalable au désir de recueillir, de recevoir.
Mais, pour cela, il faut qu’ « avant et ailleurs » (Nabati), l’enfant ait pu accéder à un
degré de maturité suffisant pour pouvoir « illusionner » ce vide de rencontre.
Ceci n’est pas possible s’il a vécu une interruption du sentiment de continuité de
façon excessive avec une menace d’annihilation, de mort psychique (à cause de
carences maternelles) :c’est à dire des agonies primitives.
L’expérience des agonies primitives arrive sur un Moi immature.
Dans la fusion initiale mère bébé, le bébé ne différencie pas encore Moi et Non Moi
.Si la mère répond à ce qui se manifeste comme l’expression de l’omnipotence du10
bébé (trouvé/créé), à chaque occasion, elle lui donne une signification à cette illusion
d’omnipotence et participe alors à l’établissement du Vrai Self (Sentiment d’unité et
de continuité de la personnalité.C’est la part vivante, spontanée, pulsionnelle et
inventive du sujet).
La mère permet au bébé de faire l’expérience de l’illusion de l’omnipotence
(trouvé/Créé) et cela permet l’établissement des phénomènes transitionnels.
« After being, doing and being done to, but first being » Winnicott
(Après être, faire et accepter qu’on agisse sur soi, mais, d’abord être).
Etre est fondamental pour une bonne construction psychique.
Si la mère est incapable de répondre à cette manifestation d’omnipotence à cause de
son insuffisance d’investissement ou son excès, ses excès d’exigences, elle va
substituer son geste à celui spontané du bébé. Le bébé est alors contraint de s’y
soumettre par peur de désintégration.
Quand les défaillances maternelles sont excessives en intensité et en durée, le bébé
ne peut ressentir la destructivité vis-à-vis de l’objet défaillant comme possible, il ne
peut rétablir son sentiment de continuité d’être
.Si ces défaillances excessives se répètent de nombreuses fois, cela va participer, pour
Winnicott à la création d’un Faux Self : défense du Moi contre l’agonie primitive.
Les patients à faux Self ne s’aiment pas, ne se respectent pas, ils ont une faible estime
d’eux-mêmes.Ils pensent que l’autre est plus intéressant.Ils ne savent pas ce qu’ils
ressentent ou pensent.Il y a chez eux un désaccord entre leur façon d’être et leurs
besoins profonds. Il existe chez eux une coupure, un clivage entre les sensations
corporelles et celles de l’esprit. Ils ont comme une personnalité d’emprunt qui pourra
être très bien adaptée à la société, mais qui leurs laissera toujours un sentiment
d’inutilité, de vide, de néant, de futilité.
« Le développement d’un Faux Self est l’une des organisations de défense les plus
réussies en vue de protéger le noyau du vrai Self. » Winnicott
Seul le contact, même partiel avec le vrai Self, grâce au travail thérapeutique,
redonnera le sentiment que « La vie vaut la peine », qu’elle est réelle et que ce que le
sujet ressent (aussi agressif soit il) est réel et sera plus tard bon.
Les Agonies primitives sont donc dues à l’absence de prise en compte de certains
besoins du Moi du bébé, voire de l’entrave de ceux-ci, une rupture répétée de
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l’interaction mère bébé, une adaptation insuffisante de l’environnement premier et
des soins maternels.Le bébé ne reçoit pas en retour ce que lui-même est en train de
donner .Sa propre capacité créative commence alors à s’atrophier.
L’excitation pulsionnelle va se développer en débordant les capacités psychiques du
moment de la vie du bébé et, celui-ci, pour s’en défendre et survivre, va se retirer de
l’expérience d’agonie, se couper, se « cliver » de manière excessive et, en faisant cela,
il va se séparer d’une partie de lui-même.
Ceci avant toute symbolisation et représentation.L’angoisse ne peut plus s’organiser
sur le mode de signal d’alarme protecteur, point de départ d’une symbolisation.
L’expérience traumatique n’a pas pu laisser de mémoire .Le sujet ne peut rien en
dire. Il s’est clivé, coupé de ce qui s’est passé. Il n’y a plus de trace consciente.
Il va « geler sa vie affective » Ses affects seront bloqués, coincés. (Nabati parle de
« perturbation du thermostat affectif ») et tout ce qui a été vécu sans pouvoir être
symbolisé.
« Ce qui hante les alcôves de la psyché, errant, en quête d’une forme, en quête
d’une représentation, en quête d’une simple capacité de présence ».Winnicott
Dans ce lieu clivé, se trouvent aussi les capacités créatives du sujet qui auraient pu se
développer si elles avaient été prises en compte par l’environnement facilitant.
Ces agonies vont appauvrir le Moi et le développement personnel de toute
l’énergie utilisée pour tenter de les juguler ou de modérer leur impact. » Winnicott
Les traces de ces agonies primitives vont être soumises à la « contrainte de
répétition » dans une tentative permanente de parvenir à ce qu’elles puissent être
intégrées et symbolisées.
Le sujet va alors tenter d’immobiliser, de geler le risque de répétition.Pour cela, il va
appauvrir son appareil psychique. Cependant, à l’intérieur de lui, la répétition du
traumatisme se fera automatiquement comme « Au delà du principe de plaisir »
(Freud). .Ce risque de répétition va le harceler.
. Seule une thérapie profonde pourra parvenir à intégrer et symboliser les traces de
ces agonies primitives avec la nécessité de savoir reconnaître les situations où se
répètent ces carences prématurées.
« Ces agonies hantent la vie du sujet quand elles cherchent à faire reconnaître
leurs traces.Quand elles cherchent à infiltrer ces traces dans le présent. Le Pire est
ce qui a eu lieu, mais n’arrive pas à faire reconnaître sa présence fantomatique
dans le tréfonds de soi » Winnicott
Quand ces agonies sont majeures, en défense se développeront les psychoses
(schizophrénies, autisme).
Pour d’autres personnes : La menace du retour de l’expérience traumatique , donc
des agonies primitives, la crainte de l’effondrement va nécessiter une solution de
localisation psychique « économique » pour éviter que toute la psyché soit
envahie.Ce pourra être :
- Une phobie localisée.
- Des troubles psychosomatiques : cela fait souffrir, mais cela est localisé et,
souvent reconnu socialement, entraînant même des bénéfices secondaires.
- Une localisation dans la sexualité (même si le traumatisme n’a pas été
sexuel) .Par exemple, si le sujet est face à un séducteur sexuel, il risque
12
d’être agressé ou violé car, chez lui, il ne va pas se déclencher l’angoisse
d’alarme normale protectrice.
- Des comportements pervers, des personnalités antisociales et violentes : ce
que le sujet a vécu passivement, il va le faire vivre activement à autrui par
« retournement passif/ actif », n’ayant pu l’intégrer.
- Des pathologies destructives : les toxicomanies, les autres formes
d’addiction.
- L’anorexie
- Les personnalités dites « états limites »
4/Processus thérapeutique des patients ayant souffert d’agonies
primitives
Parfois une analyse commence bien, mais thérapeute et patient se complaisent dans
l’analyse de noyaux névrotiques, alors, qu’en fait, en dessous, il y a des noyaux plus
archaïques liés à des vécus traumatiques ayant entraînés des agonies primitives.
Alors, le risque est fort que chaque progrès se termine par la destruction.Le patient
ne peut aborder la chose qu’il craint, ce contre quoi il a toujours lutté.
L’expérience traumatique doit être revécue et éprouvée.
Le patient doit pouvoir s’effondrer avec le soutien du thérapeute et une
compréhension profonde de cette nécessité de la part du patient et du thérapeute de
revivre cet effondrement dont le patient ne peut se rappeler.
« Cette chose du passé qui ne s’est pas encore produite parce que le patient n’était
pas là pour que cela arrive » Winnicott.
Il va vivre une agonie primitive notamment face aux « faillites » du cade : retard du
thérapeute, vacances vécues comme des abandons….Le thérapeute doit reconnaître
intérieurement qu’il a, à ce moment là, laissé reproduire l’environnement défaillant
dont le patient a autrefois souffert. Le patient va avoir pour la première fois
l’expérience d’effondrement dans le présent, cela créera une issue avec une
inscription dans le temps à ce qui historiquement n’en avait pas et pour cela se
répétait.
Processus thérapeutique
Il y aura d’abord, création de la « symbiose thérapeutique » (Searles).
Un lien étroit doit se nouer entre les deux psychismes thérapeute- patient similaire à
celui que la mère et l’enfant vivent ensemble. Cela permet de retrouver un cadre
naturel, facilitant, un bon « holding ».
Le patient doit se sentir en sécurité avec un thérapeute s’adaptant à ses besoins et
acceptant d’être impliqué. Le patient doit pouvoir exprimer sa détresse.Il doit avoir
le sentiment d’être totalement accepté, soutenu.Il aura confiance et ne sentira pas de
culpabilité face à cet état de dépendance.
Le thérapeute doit saisir le rythme de son patient .Il doit être trouvé au moment où le
patient créé : pour cela, il est essentiel de ne pas faire d’interprétation prématurée
13
(risque de suggestion ou d’intrusion), pas d’interprétation trop tardive ni trop
fréquente.
Le thérapeute aura une fonction de miroir et de soutien pour le patient : il va donner
à long terme en retour ce que le patient a apporté. Ceci, pour que le patient puisse se
retrouver lui-même et se reconnaître dans les paroles du thérapeute, comme jadis le
bébé qu’il était aurait du l’être dans le regard de sa mère.
Le patient ne sera pas confronté à nouveau au visage vide, absent, indifférent,
hostile d’une mère déprimée ou endeuillée (Mère morte .A.Green)
« Ce que voit le bébé quand il tourne son regard vers le visage de la mère ?
Généralement, ce qu’il voit, c’est lui-même.En d’autres termes, la mère regarde le
bébé et ce que son visage exprime est en relation directe avec ce qu’elle voit(…) les
bébés dont la mère ne refléterait que son propre état d’âme ou pis encore, la
rigidité de ses propres défenses(..) ces bébés se trouvent longtemps confrontés à
l’expérience de ne pas recevoir en retour ce qu’eux-mêmes sont en train de
donner.Ceux-là regardent mais ne se voient pas eux-mêmes(..) leur propre capacité
créative commence à s’atrophier et d’une manière ou d’une autre, ils cherchent un
autre moyen pour que l’environnement leur réfléchisse quelque chose d’eux-
mêmes » Winnicott
Chez ces patients, l’interprétation est souvent prise au pied de la lettre et non dans le
« comme si » du transfert. Avec eux, il est souhaitable d’éviter le silence qui pourrait
être vécu comme une forme d’emprise ou être angoissant (La « Peau de
mots »Anzieu).
Freud, en analyse, s’appuyait sur les rêves, l’association libre, les lapsus, les actes
manqués pour découvrir l’activité représentative.
Winnicott, en plus de cela, va s’appuyer sur le Jeu qui va permettre de découvrir ce
que l’activité représentative doit aux objets de l’environnement primaire.
« C’est en jouant et seulement en jouant que l’individu (...) est capable d’être
créatif et d’utiliser sa personnalité toute entière .C’est seulement en étant créatif
que l’individu découvre le Soi. »
Winnicott Jeu et réalité
En thérapie, il cherchera des dispositifs thérapeutiques (jeu de la spatule, squiggle
game et autres) pour arriver à soigner les patients qui ont souffert de façon centrale
d’agonies primitives.Pour eux, il est nécessaire d’aménager les séances, comme une
bonne adaptation de l’environnement (là où la faillite de l’environnement primaire
est responsable des distorsions survenues dans le développement psychique du
patient) :
- Pendant la phase de régression, les séances seront plus longues.
- Winnicott propose un plaid, de l’eau à disposition du patient.
Seule la régression du patient au cours du processus permet d’atteindre le noyau du
Self et de promouvoir un vrai changement. Le cadre va s’apparenter à la scène des
soins maternels.
Chez les patients qui ont vécu des agonies primitives, dans la construction
psychique, une partie n’a pas pu être représentée .Le travail de symbolisation doit
être repris dans la thérapie .Le patient doit arriver à
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« Se révéler à lui-même ce qu’il sait depuis toujours sans savoir qu’il sait, sans
pouvoir se le dire ou se le laisser vivre » Winnicott
Le patient va peu à peu retrouver la capacité à donner vie et sens à son monde
intérieur, à créer ce qu’il trouve, à « trouver » ce qu’il a été.
Le thérapeute doit faire en sorte de maintenir ou de rétablir l’espace transitionnel
dans le processus thérapeutique pour permettre « une continuité d’être ».
« Même en cas de soumission extrême et d’établissement d’une fausse
personnalité, il existe cachée quelque part, une vie secrète qui est satisfaisante
pour sa créativité ou propre à l’être humain dont il s’agit » Winnicott
Le thérapeute, pour cela, doit se rendre en quelque sorte « utilisable » (Marion Milner
parle de « Médium malléable ») comme un « objet transitionnel »qui se prête à la
création du patient pour arriver à ce que le non représenté prenne sens.
C’est l’expérience fondamentale de l’objet trouvé/créé qui va ouvrir le champ de
l’espace transitionnel ni dedans ni dehors à partir duquel les objets transitionnels et
le monde sont créés et qui débouchera sur l’Identification.Illusion vitale et nécessaire
pour mener une existence créative.
Pour que l’ « appropriation subjective » puisse avoir lieu chez le patient, il faut que
ce que pourrait révéler le thérapeute, le patient ait l’impression de l’avoir trouvé/créé
par lui.
Le patient va alors découvrir la pertinence de la symbolisation de ses états internes,
ceux qui ont eu lieu et ceux qui n’ont pas encore eu lieu.
Le patient doit pouvoir aussi détruire / retrouver .Détruire : ce que l’analyste propose
comme prêt à penser pour être « trouvé » dans sa propre pertinence .L’analyste, pour
cela, doit « survivre » aux attaques destructrices du patient (par exemple : envie, rage
puissante chez le patient à personnalité narcissique).
Le transfert négatif sera, pour le patient, un des ressentis essentiel de l’appropriation
subjective.
La colère, la rage vont apparaître alors que, normalement le patient les refoule à
cause justement de la carence primitive.
Pour que le patient accède à une autonomie, il faut que lui et le thérapeute soient
différenciés
.Pour cela, il faut que le patient ait eu la possibilité de « détruire le thérapeute » et de
reconnaître que, même détruit, il est toujours là .Le thérapeute doit se laisser utiliser
sans se laisser détruire, sans se désorganiser ni exercer de représailles, et sans
désinvestissement.C’est le fait que le thérapeute survive à la destruction qui est à la
fois la promesse du changement et sa conséquence.
.Cela permet quelque chose de nouveau : le commencement d’une nouvelle relation
où le thérapeute sera considéré comme « suffisamment bon ». Le patient peut
commencer désormais à entrer par imagination dans la peau du thérapeute et, en
même temps, il est bon pour le thérapeute de se mettre dans la peau du patient (tout
en gardant un pied sur la rive).Le transfert va évoluer grâce à la continuité du
processus analytique.Le patient va éprouver le besoin de se libérer et d’atteindre
l’autonomie.
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C’est un processus douloureux. Tout comme le bébé avec sa mère, le patient ne peut
devenir autonome que si le thérapeute est prêt à le laisser aller.
Le patient commence à saisir que le souci que son thérapeute a de lui n’émane pas du
besoin de maintenir la dépendance, mais bien d’une capacité de s’identifier à lui sur
le mode « si j’étais dans votre peau.. ».
L’amour du thérapeute ne signifie pas seulement répondre aux besoins de
dépendance, mais en vient à vouloir dire autre chose : fournir l’opportunité d’aller de
la dépendance à l’autonomie.
Il est indispensable pour cela que l’analyste soit capable d’analyser ses ressentis, les
éprouvés de son patient (que le patient va projeter au début sur lui) son Contre
transfert, à fantasmer, à rêver pendant la séance, états proches de ceux qui sont vécus
par la mère lors de sa « capacité de rêverie ».
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René Roussillon
1/Introduction
René Roussillon : psychanalyste, professeur de psychologie clinique à l’université
Louis Lumière de Lyon, a écrit concernant les Agonies primitives, entre autres :
« Agonie, clivage et symbolisation » (Edition Puf 2008)
Selon lui, l’Identité est un processus qui repose sur la mise en œuvre de capacités
réflexives conscientes et inconscientes .Elle repose sur la possibilité d’être capable de
se sentir soi-même, et par là de se voir et de s’entendre. Si la psyché n’a pas
d’information « fiables » sur elle-même, elle ne pourra pas traiter les problèmes
venant de son environnement extérieur et interne.
C’est ce que vivent les sujets à Blessures identitaires narcissiques, ceux qui ont vécu
des terreurs agonistiques, de façon centrale pour les psychotiques .Ils ne peuvent se
sentir et ont une confusion identitaire.
Il y a eu dans la vie de ces sujets une expérience de « terreur agonistique » qui n’a pas
pu se représenter allant jusqu’à détruire l’appareil psychique chez les psychotiques.
L’Agonie primitive de Winnicott sera appelée par Roussillon : « Terreur
agonistique », « Situation extrême » chez Bettelheim et « Terreur sans nom » chez
Bion, chacun ajoutant quelques spécificités.
Terreur agonistique : « Souffrance psychique extrême mêlée à une terreur de cet
éprouvé » Roussillon
2/ Les blessures narcissiques identitaires
Ce sont des pathologies du narcissisme qui mettent en difficulté la possibilité de
symbolisation .Elles sont dues aux Agonies primitives.Elles ont été étudiées en
premier par l’école anglaise notamment Winnicott, mais aussi ,entre autres, par
Mélanie Klein, Bion, Balint, Anzieu et Joyce MC Dougall.
« Elles sont à l’origine du manque à être que toute cure de psychanalyse rencontre
à un moment où à un autre de son parcours de manière centrale ou incidente »
Roussillon.
Ces pathologies affectent l’organisation des processus de symbolisation primaire.
Perceptions et sensations viennent se substituer à la capacité représentative.Ces
blessures vont toucher l’Identité de base : Moi, L’Autre, la frontière entre Moi et
l’Autre, le contenu psychique.
Elles sont dues à ce qui s’est passé chez l’enfant dans des situations qui ont pu
paraître non maltraitantes par les personnes présentes, maltraitances cachées, suite
de micro traumatismes ou dues à des carences en « négatif »par absence de réponse
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de la part de l’environnement aux besoins physiologiques et psychologiques de
l’enfant à un âge donné (il y a des périodes plus « critiques »), à son type de
fonctionnement personnel .La situation a pu aussi être spectaculaire.Le traumatisme
a été vécu d’autant plus intensément que l’environnement ne le reconnaît pas.
L’Angoisse signal d’alarme protectrice qui, normalement, prévient le Moi d’une
menace de désorganisation, s’il y a des agonies primitives ne va plus fonctionner.
Si le traumatisme vient de la personne dont l’enfant dépend totalement (le plus
souvent la mère), celle qui devrait le soutenir, le protéger, il sera d’autant plus
impréparé et surpris face à celui-ci.
L’enfant devient alors très vulnérable, désespéré, très seul aussi, comme s’il ne faisait
plus partie de l’humanité. L’effraction du pare excitation a été étendue, répétée,
profonde et a entraîné une douleur psychique intense. Cette effraction du pare
excitation peut être due soit à une défaillance biologique chez l’enfant qui ne
parvient pas à faire fonctionner normalement le psychisme, soit à la défaillance de
l’environnement qui amène une trop forte charge d’excitation dépassant les capacités
(ou qui entrave ces capacités) de liaison de l’enfant. Il va se produire une angoisse de
débordement.
Cette angoisse de débordement ne peut être transformée en angoisse d’alarme pour
éliminer son intensité
L’agonie primitive est alors extrême, sans fin (les organisations du temps ne sont pas
encore constituées), sans issue : l’enfant n’a plus la possibilité d’utiliser ses ressources
personnelles et l’environnement lui est défaillant. L’enfant, vu son immaturité, ne
peut se représenter ce qu’il lui arrive, il ne peut mettre en sens, il n’y a pas de
symbolisation possible.Cette situation traumatique va être pour lui une menace de
mort.
Alors, pour survivre, l’enfant se retire de l’expérience traumatique par clivage.
Grâce à ce clivage, il ne va plus sentir cet état de détresse extrême, mais, il ne se sent
plus là où il est, il est comme « déchiré » de lui-même.
.C’est le paradoxe de ce clivage, ici défense extrême, qui est une coupure entre une
partie représentée et une non représentable qui « devrait appartenir au Moi ».Des
pans entiers de la vie psychique ne peuvent être refoulables car ils ne sont pas
représentés ou intégrés dans la subjectivité.
Et, cette agonie primitive laisse des traces intérieures.
Ces traces vont être soumises à la « contrainte de répétition » Le retour de ce qui est
clivé se fera en actes, en somatisations et va reproduire l’état traumatique lui-même.
L’enfant va organiser des défenses contre le retour de cette expérience traumatique :
Soit en ne pensant d’autre réalité que soi-même (automaintien, exploitation du
narcissisme primaire, attaque des liens pouvant aller jusqu’à l’autisme).
Soit il se retire de l’expérience par retournement passif en actif (organisation d’un
« vide contrôlé », morcellement du Moi de façon active : patients psychotiques).
Ces défenses sont décevantes pour le sujet car elles rendent malgré tout l’Agonie
primitive toujours présente et vont en interdire l’accès. Elles deviennent permanentes
sans réduction d’intensité.
Seule la cure psychanalytique pourra permettre l’actualisation de l’Agonie primitive.
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Le patient, avec l’aide du thérapeute, et, grâce à un processus thérapeutique
spécifique, si la blessure identitaire narcissique est centrale, va utiliser les capacités
actuelles de son Moi pour revivre cette agonie passée et la terminer différemment
pour ne plus qu’elle se répète.
Après l’Angoisse, la violence et la culpabilité primaire inconsciente se retrouvent
chez les sujets à blessures identitaires narcissiques.
« A la place de la forme matricielle de l’illusion narcissique primaire « je suis le
sein » (Freud1938), s’instaure une illusion négative à l’origine de la culpabilité
inconsciente « je suis le mal »Roussillon
L’enfant (puis l’adulte) va se sentir coupable : il s’est passé quelque chose à un
moment où il ne pouvait réagir.Il se sent « mauvais » à l’intérieur.
Les objets de l’environnement n’ont pas pu donner de réponses adéquates à l’enfant
en proie à ses expériences traumatiques. L’enfant a essayé par des mouvements de
destructivité d’externaliser l’Agonie primitive et, les objets de l’environnement ont
alors répondu en se retirant ou en utilisant la rétorsion relationnelle.Cela a entraîné
une sidération psychique chez l’enfant. Les objets ont alors réagi par un sentiment de
blessure ou d’ingratitude qui a culpabilisé l’enfant et qui a provoqué une inhibition
de ce processus de destructivité pour externaliser l’agonie.
De là, en découle un noyau de culpabilité primaire (culpabilité inconsciente de
l’enfant innocent .Nabati) avec une impossibilité de devenir sujet de sa vie et de son
identité.
L’enfant ne peut s’autonomiser.
Violence et culpabilité sont des mesures défensives contre les agonies primitives :
Freud 1916 « L’inquiétante étrangeté et autres essais » dit que certains criminels le
seraient par sentiment de culpabilité.
Ce sentiment serait lié à l’échec du deuil du processus de séparation d’avec l’objet
dans la position mélancolique.
Pour Roussillon, ce sentiment de culpabilité inconsciente n’est pas simplement
refoulé, il est présent, il harcèle, il nécessite des mécanismes de défense pour tenter
de l’oublier (Névrose traumatique Freud) ou de l’agir (par retournement passif/actif).
Comme chez les criminels par sentiment de culpabilité, l’expérience traumatique est
inoubliable mais pas liable car non représentable.Elle est soumise à la répétition et est
réactivée de façon permanente.
Ce sentiment de culpabilité primaire inconsciente précède l’organisation de la
différenciation sujet-objet.
3/ Particularités thérapeutiques des patients à blessures identitaires
narcissiques
Dans le modèle de la Névrose (inventé par Freud) le conflit actuel entre en
résonance avec un conflit historique lié à la sexualité infantile.Un conflit qui n’a pu
être réglé à l’époque que grâce au Refoulement .Le refoulé reste actif et menace de
19
retour des mouvements pulsionnels refoulés et des représentations. Le Moi se sent
menacé et il organise des défenses et des satisfactions substitutives : les
symptômes.Ce traumatisme peut être dit « secondaire » car la situation a été vécue, a
été représentée puis a été secondairement refoulée.Le patient à pathologie névrotique
a à faire avec des problèmes oedipiens essentiellement (agressivité vis-à-vis du
parents du même sexe, désir de séduire celui de sexe opposé,difficile acceptation de
la différence des sexes, de la différence générationnelle, de la mortalité, des interdits
de l’inceste, de tuer..).
Il a « refoulé » et, en thérapie, il vient tenter de montrer ce qu’il n’entend pas de lui
mais qu’il sait confusément , ce qui se manifeste en lui, déguisé,( rêves, lapsus, actes
manqués)et qui demande à être conscientisé.
A la différence, le patient à blessure identitaire narcissique va venir
« Faire sentir ou voir un pan de lui qu’il ne perçoit pas, qu’il ne sent pas, qu’il ne
voit pas, mais dont il peut mesurer les effets indirects sur les autres ou sur lui-
même » Roussillon
Le thérapeute sera pour lui « le miroir du négatif de Soi » : c’est le « non advenu de
soi qui se pose ».
La thérapie de ces patients à blessures identitaires narcissiques sera difficile.
La froideur affective des patients, les désorganisations de la cognition (attaque contre
les liens et la pensée .Bion) sont des effets de l’impossibilité à sentir et à se sentir dues
à la défense contre les agonies primitives.
Chez eux, le thérapeute va trouver des confusions, des paradoxes qui viennent de
modes d’interaction antérieurs très chaotiques ou en « double-bind ».
Dans un premier temps, il sera nécessaire de démonter, de déconstruire ces
confusions et ces paradoxes qui vont envahir le transfert et arriver à s’approcher des
expériences psychiques qui n’ont pas apporté de satisfaction.
Pour cela, il faut essayer d’établir un contact avec ce qui, chez le patient, est clivé des
états du Moi.
Ce qui harcèle le patient ne viendra pas au jour dans une représentation.
Le thérapeute doit prendre l’initiative de construire la scène du lien (Freud
« construire en analyse 1938) : Les événements traumatiques sont arrivés avant le
langage .Ils ont été conservés à l’état de traces sans jamais avoir pu être symbolisés.
Ils vont envahir le patient qui ne peut repérer l’origine de ce qu’il éprouve ou perçoit.
Dans le travail de construction, le thérapeute n’aura pas de confirmation directe de la
vérité de celle-ci : elle rappelle trop au patient sa dépendance première, sa détresse,
ses agonies primitives.
C’est dans la manière dont la négativité et la destructivité vont se développer dans la
cure que le thérapeute va chercher la confirmation indirecte du vrai de sa
construction. La construction va être petit à petit établie dans la mesure où elle
accepte d’être détruite et transformée par le patient.
Quand, chez le patient, il y a difficulté à établir des liens, le travail de construction se
présente comme le jeu de la spatule de Winnicott : le patient va la jeter, va l’éloigner,
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le thérapeute va la ramener, la restituer, la transformer, ainsi de suite .Petit à petit, le
patient va se rendre compte de la solidité du lien avec son thérapeute (détruit/
retrouvé).
Quand, chez le patient il y a risque de désintégration, le travail de construction se
présentera comme un jeu de cubes, un puzzle. Par exemple, le symptôme
psychosomatique sera
« Une solution biologique à ce qui ne parvient pas à être lié dans et par la
symbolisation » Roussillon
Il n’y a pas possibilité de solution psychologique .Le maintien du Clivage, défense
extrême contre l’agonie primitive, permet ainsi de conserver pendant un temps
l’illusion d’une solution satisfaisante.
Cependant, les patients psychosomatiques souffrent de carences représentatives ou
d’une désorganisation de la capacité représentative. Les troubles somatiques arrivent
quand une perception n’arrive pas à être signifiée psychiquement .L’effort répété des
patients pour formuler et décrire leurs perceptions, leurs sensations corporelles
associées à leur symptôme permet au thérapeute un travail de construction des
traumatismes corporels et des défaillances relationnelles de l’environnement
premier.
Roussillon va chercher à trouver dans la thérapie ce qui permettra au mieux le
processus de symbolisation.
Le dispositif divan-fauteuil classique en psychanalyse, selon lui, va mieux convenir
aux patients qui ont la capacité de se sentir, s’auto-affecter, se voir, s’entendre eux-
mêmes de façon suffisante.
Le face à face peut être une solution plus satisfaisante quand ces capacités ne sont
pas acquises à cause d’un clivage trop important, avec une symbolisation primaire
très difficile et une symbolisation secondaire qui tourne à vide. Le besoin principal
de ces patients est alors de venir
« se faire sentir ou de se sentir autrement, de se faire voir ou de se voir autrement,
ou de venir faire sentir ou voir d’eux ce qu’ils ne peuvent s’approprier de leur
histoire subjective clivée, et ils ne peuvent transformer dans le langage cette
démarche » Roussillon.
Le para verbal va apporter au langage des messages psychiques en les confirmant ou
en les démentant (mimiques, tics, modification de posture, détournement du regard,
gestes machinaux…)
Pour Roussillon, le para verbal est un des modes d’expression privilégié de ce qui est
clivé, ce qui ne se perçoit pas de soi. Ces patients ont besoin de dire avec leur corps,
avec ces messages para verbaux, ce que le langage ne peut dire avec justesse.
Le travail du Contre transfert sera majeur.
Le thérapeute doit augmenter ses capacités à se sentir lui-même, à se voir, à être plus
vigilant par rapport à ce qu’il va montrer de ses propres mouvements psychiques
non intégrés.
Il va utiliser sa sensibilité, sa sensorialité, ses éprouvés corporels tout autant qu’il va
écouter parler .Il percevra une « ambiance d’être » .Le patient va éprouver des affects
21
de rage impuissante au constat de la limite de ses capacités représentatives, voire des
affects de Honte.
Pour Roussillon, la découverte que l’objet (ici le thérapeute) est extérieur à soi va
dépendre de la capacité de l’objet à survivre à la destructivité du sujet. En plus de
l’absence de retrait, de rétorsion face à cette destructivité, l’objet doit accepter et
montrer que cette destructivité va permettre au sujet de se transformer, de créer.
Sinon, le sujet va se disqualifier ou redoubler son mouvement destructeur.
C’est pour cela que le thérapeute doit bien prendre en compte et analyser le transfert
négatif.
« Le destin le plus funeste du « mal » que la destructivité et la violence drainent est
de n’être pas entendu et interprété que comme mal, mal absolu » Roussillon
Face à la destructivité, il doit toujours y avoir un sens latent à celle-ci en souffrance
de représentation.
Par exemple, face à la violence humiliante reçue, le thérapeute va devoir « survivre
contre transférentiellement »pour pouvoir interpréter cela comme une projection.
Le patient évacue de sa subjectivité ce qui lui est intolérable, ce qu’il répudie : ses
expériences d’agonies primitives (ce qu’il n’a pas pu vivre de son histoire car il a été
clivé de ses capacités d’intégration). Il le fait vivre au thérapeute
Le transfert se fait par « Retournement ».
Cette violence humiliante envers le thérapeute sera analysée comme l’effort du
patient pour tenter de sortir de la confusion psychique d’un vécu d’indifférenciation
du aux agonies primitives. (« L’effort pour rendre l’autre fou »chez les patients
schizophrènes Searles).Cela aboutira à « l’appropriation subjective »
22
Jean-Marc Henriot
1/ Introduction Jean-Marc Henriot Psychanalyste, fondateur de l’Ecole :
Analyse intégrative Rêve éveillé : AIRE
.Auteur du « Cœur métamorphe » (ed : Souffle d’Or 2003)
Dans la construction psychique normale
Avant le langage, l’enfant va avoir une pensée primaire, archaïque, des sensations,
des perceptions, des images, des paradoxes. Il est, à cette époque « débordé » à la fois
par des pulsions internes fortes (fantasmes archaïques de M Klein) et par une réalité
externe incompréhensible.Il a des désirs sauvages, une pulsionnalité, animale, sans
freins, sans limites, un Amour et une Haine intenses. Il oscille entre l’impuissance et
l’omnipotence. Le dedans et le dehors ne sont pas clairement repérés.Il n’y a pas
encore d’intégration.
Ensuite, si la mère est suffisamment bonne (si l’enfant n’a pas vécu d’agonies
primitives), il y aura une mise en pensée de ce que veut dire le fantasme
(représentant telle pulsion, tel interdit). C’est ce travail de mise en pensée qui va
réussir à contenir ces vécus et à symboliser.
Cette mise en pensée va éviter le passage à acte et la symptomatisation .L’enfant
passe alors de la « représentation de choses à la représentation de mots » (Freud) La
pensée vraie est reliée aux fantasmes, aux pulsions, aux sensations, aux affects. La
mise en pensée est un processus long à acquérir
L’enfant peut vivre des Agonies primitives : peur de se morceler, peur de devenir
fou, peur de basculer dans le non-sens, peur d’être submergé par des choses
impossibles à contrôler, peur de ne pas avoir de limites avec un vécu de détresse, de
désespoir, d’affects très violents, parfois de « mort psychique » (par exemple : chez
les psychotiques quand l’agonie primitive est centrale).
L’enfant fait l’expérience de ces vécus traumatiques si la mère est défaillante (abus,
intrusion, carences, surstimulation) si elle n’a pas la fonction pare excitation, si elle ne
peut « contenir » et « détoxiquer » les vécus pour l’enfant (si elle ne peut transformer
pour l’enfant les éléments Bêta en éléments Alpha .Bion).
L’enfant ne peut apprendre à décrypter correctement ses émotions .Il est débordé par
sa vie pulsionnelle.
En réaction à ces vécus d’Agonies primitives, l’enfant va se cliver des vécus
traumatiques, de ses affects pour survivre, essayer d’éloigner ces vécus désespérants
et affolants.
.Il va « geler » son affectivité pour ne plus les ressentir et par là même, se couper
d’une partie de lui-même, sa partie la plus créative.Sa boussole interne ne sera plus
fiable.
Quand l’enfant a vécu des agonies primitives, il ne peut réaliser la mise en pensée, le
travail de symbolisation .Coupé de ses fantasmes, pulsions, sensations, affects, il aura
une « apparente pensée », une mentalisation, avec création d’un « Faux Self »
23
2 / Particularités du rêve éveillé en cure : AIRE (analyse intégrative et
rêve éveillé)
Chez les patients à blessure narcissique identitaire
Dans un premier temps
Il est nécessaire de créer une bonne Alliance de base le « système à deux » qui
correspond à la « fusion initiale » mère bébé. Pour cela, le patient doit avoir une
réelle motivation. Il doit être en crise, déstabilisé.Le thérapeute va alors s’adresser au
« bébé » du patient .Ce « bébé » aura besoin d’un « bon miroir maternel » en la
personne du thérapeute : un « bon lait intériorisé donnant la vie ».Le patient
acceptera alors de régresser en toute confiance.Pour établir cette alliance positive de
base, le thérapeute devra : connoter positivement les dires du patient, lever les
désignations qui lui sont allouées et faire du recadrage positif. Cela permet de
reconstituer les bases mêmes de l’identité (constituées dans les premiers temps) une
sécurité du lien pour la création d’une bonne imago maternelle chez le patient .Le
thérapeute sera un bon miroir pour le patient, une présence affective, empathique.
Pour cela, le positionnement du thérapeute sera juste : une relation d’Equivalence
(humilité, bienveillance coopérative)
Ensuite Il est important de travailler sur les conflits internes oedipiens
(Plaisir/ déplaisir, Eros/Thanatos) et d’abaisser les mécanismes de défense liés à cette
étape.
Les conflits vont se revivre dans le transfert. Il va y avoir évolution du
positionnement du thérapeute vers une bienveillance inflexible. Bienveillance : avoir
des sentiments maternels et paternels internes pour le patient. : Inflexible vis-à-vis
des mécanismes de défenses, du « saboteur interne » du patient.Inflexibilité
intérieure pour éviter les « acting » contre transférentiels.
Ensuite va apparaître de façon plus ou moins importante une zone plus
« archaïque », prégénitale à base d’images, d’affects parfois violents et paradoxaux,
ceux qui ont constitué la base du psychisme de l’enfant.
L’imago maternelle y est à la fois omnipotente et persécutrice voire mortifère (« Ce
ventre qui contient tout » M Klein) avec une introjection mortifère et persécutrice
envers soi -même: un Surmoi archaïque violent et persécuteur d’autant plus que le
patient a vécu des agonies primitives.
Le lieu (le cadre) et le lien au thérapeute doivent être sécurisants et investis afin que
le patient à blessure identitaire narcissique puisse aller vers sa douleur. Cette douleur
inaccessible qu’il a jusqu’à présent enfouie du fait du clivage .Le revécu de cette
douleur sera chargé d’affects terrifiants (peur de mourir, de devenir fou, d’éclater en
morceaux, colère, désespoir, chute sans fin)
Le thérapeute aura à reformuler le négatif (le transfert négatif doit trouver sa place).
Il travaillera sur les résistances, il amplifiera l’émotionnel.
Le thérapeute devra survivre (quand le patient commence à être destructeur,
agressif, envieux) sans rétorsion, retrait, sans se désorganiser. Il va devoir traverser
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une zone floue de la pensée primaire, sans être facilement bouleversé, sans se
désorganiser. (Grâce au cadre et à sa propre sécurité interne) Dans cette zone floue,
archaïque, le thérapeute peut ne pas comprendre, ses repères théoriques classiques
seront plus un handicap qu’un atout.
Le thérapeute doit être un fond contenant, et accompagnant, comme un « écran
blanc ».Cela va permettre au patient d’être seul avec ses vécus archaïques, très
perturbants, mais seul en présence du thérapeute.
L’ « écran blanc » sur lequel peut se dérouler le rêve est lié à une bonne imago
maternelle interne (rêve nocturne pour Bertram Lewin 1946). Cet écran est
indispensable pour que l’enfant puisse s’abandonner en toute sécurité dans le
sommeil et que l’expérience du rêve se déroule.
Cet écran projectif, propice au Rêve éveillé, nécessite aussi que chez le patient ait pu
développer une suffisante bonne sécurité interne, une bonne imago maternelle de
base qui sera mise en place au début de la cure dans le « Système à deux ».
Rêve éveillé : RE « état de conscience particulier dans lequel le patient se voit et se
sent vivre une « aventure » extraordinaire, qui le surprend lui-même » J-M Henriot
Le travail avec le rêve éveillé commencera environ à la 6ème séance.Il va permettre un
ajustement du cadre propice aux patients à blessures narcissiques identitaires dues à
des agonies primitives. Grâce au RE, il y a mise en symbole de la partie clivée : ce qui
d’habitude est mis en acte ou en symptôme.
C’est une expérience qui permet de revivre les affects clivés de l’expérience
traumatique et de terminer cette expérience différemment. Le Moi adulte doit oser
agresser en RE, affronter la peur.
Le travail d’association sur le RE est fait avec le thérapeute à la séance suivante. Il va
permettre la mise en pensée, mise en sens, en s’aidant si nécessaire de l’interprétation
métaphorique .C’est comme un jeu partagé.
Cela va permettre de « consteller le pré conscient » : les messages sont presque
conscients, mais pas encore .Ils vont s’inscrire progressivement dans le psychisme du
patient par le fait même qu’on fasse un travail métaphorique et vont préparer la mise
en pensée définitive.
L’expérience du RE est un 3ème pôle : patient-thérapeute-RE. Elle apporte des
éléments que le thérapeute ou le patient n’auraient pas trouvés eux-mêmes.
Paradoxalité du Rêve éveillé : on retrouve les paradoxes de Winnicott
-Trouvé/créé
Il est codépendant du thérapeute.Le lien avec le thérapeute, le contexte ont
une influence sur le RE.Il se fait seul en présence du thérapeute.Il y a comme
un partage des inconscients : l’inconscient dit quelque chose qui est coloré du
psychisme du thérapeute.
-Détruit/retrouvé :
Dans le RE, le patient peut « détruire »une figuration symbolique du
thérapeute sans que le thérapeute/mère en soit détruit. Pour cela, le RE doit
être bien « entre guillemets » (éteindre le plafonnier, baisser le store….)
-Patient est à la fois passif/actif
Passif : Il laisse venir une scène, un lieu imaginaire, laisser dérouler le scénario
Et actif : Il voit, il vit l’expérience et il la verbalise
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Autre paradoxe : les RER : rêves éveillés restaurateurs.
L’imaginaire a un impact sur le réel. Le Rêve éveillé restaurateur sera vécu comme
une expérience nouvelle que le patient aurait réellement faite.C’est un mouvement
de changement important.Le patient vit du vécu infantile en pensant que cela est du
vécu actuel. Cela suppose un minimum de transfert positif. L’expérience du Rêve
éveillé ne pourra se faire si d’emblée le transfert négatif est massif, si le patient est
méfiant.
Le RE doit être à la bonne distance du conscient pour que la personne se laisse
surprendre.
Le RE va permettre une représentation de l’ « impensable, impensé », une « mise en
pensée » puis une formalisation de cet impensable impensé : il se met en forme par
des mots.
Les vécus traumatiques responsables des agonies primitives
Sont non inscrits dans le temps et soumis à la contrainte de répétition. Il y aura
répétition dans les rêves nocturnes et dans les RE. Il est nécessaire aux patients à
blessures identitaires narcissiques de revivre le trauma, de revivre l’affect lié à ce
trauma dans le RE pour pouvoir le situer dans le temps et le terminer autrement. Ce
que le patient vit en RE, c’est l’enfant en lui Il doit aller vers la douleur, vers le
trauma fui et enfoui et, ce, grâce à son Moi adulte actuel, grâce au cadre, au lieu
sécurisant et investi par le thérapeute fort, stable et rassurant.Ce clivage pompait
toute l’énergie de réalisation, de créativité.C’est un travail à deux patient/thérapeute :
une sorte de mélange des psychismes Avec le RE, le patient va pouvoir faire
l’expérience de « revivre » le vécu traumatique en direct pour s’en approcher de
manière symbolique (voir, vivre, verbaliser) et le terminer différemment .Il en restera
une blessure cicatrisée.
Face à cette blessure cicatrisée : le patient sera bienveillant, il aura une bonne sécurité
interne, une mise en sens qui lui permettront de reconnaître sa blessure singulière
sans la fuir, sans utiliser à nouveaux les mécanismes de défense qui avaient été utiles
avant. Le patient va redécouvrir ses sentiments, ses odeurs, une vie plus riche, qui
mérite d’être vécue.
Images, impressions, pulsionnel, puissance, animalité, séduction, sexualité,
agressivité sont restaurés par le RE.Cela permet de sortir du clivage, de récupérer le
pulsionnel, les affects, les émotions, les sentiments et de ce fait de diminuer
l’angoisse.
Le RE va dire ce qui est juste, c’est l’inconscient du patient qui sait le mieux.
L’inconscient mène là où le patient doit aller .Il est nécessaire que thérapeute et
patient respectent le RE.
« Comme porteur d’une vérité où il y a quelque chose en lui (le patient) qui sait ».
J.M.Henriot
Spécificité des patients à blessures identitaires narcissiques
Ces patients ont souvent comme mécanisme de défense : la mentalisation, un clivage
de leurs affects, peu d’émotion en séance.
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Le travail métaphorique va éviter de se laisser entraîner par le mental, les
interprétations du patient .Ce travail métaphorique va « court-circuiter le mental ».Il
y aura accrochage aux images à défaut de ressentir dans un premier temps.
Le thérapeute aura à être pour eux une sorte de Moi auxiliaire. Il devra sentir
intérieurement les émotions, noter les images, les intuitions qui lui viennent, être
« brassé » intérieurement par la séance. Il devra accepter tout transfert négatif
(comme porteur de la blessure) ou amoureux. Il devra se faire des hypothèses
psychanalytiques, analyser le transfert, le Contre transfert, voir ce qui se dit en
profondeur. Il devra penser « symbolique ». Cela va l’aider à comprendre ce qui est
en train de se jouer Le vécu actuel de son patient étant un revécu infantile.
Il aura à réaliser comme une « Peau de mots » (Anzieu) : éviter des silences trop
longs. En effet, souvent, en dehors du mental : c’est le vide pour un patient clivé
Si le patient a une pensée opératoire, parle de choses très factuelles : le thérapeute
aura à reformuler tout élément chargé de sens émotionnel et à rester silencieux
quand cela est factuel.
Le patient va oser aller dans sa souffrance si le thérapeute y est allé lui-même dans sa
propre cure.
Le thérapeute doit avoir été le plus loin possible dans la compréhension de lui-même
(les zones archaïques, les pulsions très primitives, très animales, les fantasmes
archaïques, le plus spirituel aussi)
Le thérapeute aura la capacité d’accueillir la souffrance du patient
- d’une part en en reconnaissant sa nécessité dans la cure (métaphore de l’abcès
qui doit d’abord mûrir, être crevé pour guérir) et,
- d’autre part sans en être totalement identifié « un pied sur la rive ».
La fin de cure sera proposée
Quand le patient aura intégré une sécurité interne forte, une capacité de s’auto
repérer.Chez lui, une énergie va être libérée qui servira à sa propre créativité et sera
au service de son autonomie. Il réglera de façon plus « légère » ses difficultés.
Sa vie évoluera en mieux avec moins de symptômes.
Ses rêves nocturnes ne répéteront plus l’ancien traumatisme. Les RE seront
pulsionnels et restaurateurs : un mouvement de « reconstruction » de l’histoire
ancienne du patient.
Le transfert aura évolué sous la forme d’une « égalité collaboratrice », une alliance de
travail entre adultes.
La cure lui aura permis d’accéder à son identité, de se sentir, de se voir de
s’entendre : de devenir un sujet. C’est comme une « re naissance »
En conclusion
Je pense que l’expérience que représente le Rêve éveillé est une spécificité
thérapeutique essentielle pour les patients ayant vécus des Agonies primitives.
Il me semble que, parfois, quand le patient a une pathologie « état limite » ou
« psychosomatique », il est utile de le garder un temps plus long en face à face afin de
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pouvoir construire cet écran protecteur sans lequel aucun véritable rêve éveillé ne
peut se faire. La bonne imago maternelle va peu à peu être restaurée pour devenir
suffisamment présente en lui. En effet, pour que le RE soit une expérience vécue dans
une sécurité complète, il faut que l’écran du rêve soit rassurant et maternant
(renvoyant de façon hallucinatoire au bon sein maternel) .Ce écran devant être
surface de protection contre l’excès d’excitations et de pulsions destructrices (comme
dans l’écran blanc du rêve nocturne). Si cet écran n’est pas assez maternant, le patient
aura peur de se laisser aller, de ne pas contrôler ses images, ses pulsions dans le RE.
Il sera très méfiant et le transfert négatif sera massif retardant d’autant plus
l’installation du Rêve éveillé.
Bibliographie
« La psychanalyse de Freud à aujourd’hui » Dominique Bourdin. ED : Bréal 2000
« Jeu et réalité » D.W.Winnicott ED : folio essais 1971
« De la pédiatrie à la psychanalyse » D.W.Winnicott ED : Payot 1969
« Processus de maturation chez l’enfant » D.W.Winnicott
ED : petite bibliothèque Payot 1983
« Figures du vide » « La crainte de l’effondrement » D.W.Winnicott
ED : Nouvelle revue d »e psychanalyse numéro 11
printemps 1975
« Le paradoxe de Winnicott » A Clancier J Kalmanovitch ED : In Press 1999
«Envie et gratitude » M Klein ED tel Gallimard 1968
« Aux sources de l’expérience » W.R. Bion ED : puf 1979
« Le Moi Peau » D.Anzieu ED : Dunod 1985
« Agonie, clivage et symbolisation » R.Roussillon ED : puf 1999
« Théâtre du corps » J. McDougall ED : folio essais 1989
« Le Contre transfert » H.Searles ED : folio essais 1979
« L’effort pour rendre l’autre fou » H.Searles ED: folio essais 1965
« Le cœur métamorphe » J-M Henriot ED : Le souffle d’Or 2003
« Guérir son enfant intérieur » M.Nabati ED : Le livre de Poche 2008
The Tree
Mother below is creeping, weeping, weeping
Thus I knew her
Once stretched out on her lap
As now at dead tree
I leraned to make her smile
To stem her tears
To undo her guilt
To cure her unword death
To enliven her was my living
Donald Woods Winnicott
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