le livre : entre l’auteur et l’éditeur
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Liaison
Le livreEntre l’auteur et l’éditeurJohanne Melançon
L’édition franco-ontarienneNuméro 96, 1998
URI : https://id.erudit.org/iderudit/42007ac
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Éditeur(s)Les Éditions l'Interligne
ISSN0227-227X (imprimé)1923-2381 (numérique)
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Citer cet articleMelançon, J. (1998). Le livre : entre l’auteur et l’éditeur. Liaison, (96), 22–28.
t
8, s -aj
S.
t
«J'étais assis sur un banc
dans un parc et il y avait une
dame à côté de moi. Elle man
geait son lunch. A un moment,
elle a sorti L'Obomsawin. en
anglais. Elle s'est mise à lire,
puis elle s'est mise à rire...
Là. j ' a i ressenti comme un ver
tige terrible: il a fallu que je
m'en aille. J e ne voulais pas
voir son expression changer. »
(Danie l Poliquin) Photo : François Dufresne
livre : encre l'auteur et l'éditeur
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A u cœur de l'édition, il y a l'indispensable manuscrit, et bien sûr, le travail de la maison d'édition. Élargissons le cer
cle : apparaissent la réception critique, la diffusion, la d is t r ibut ion . . . et vous tous, lecteurs. Lorsqu'il a été question de préparer un dossier sur l 'édition en Ontario français, des questions ont surgi, et peut-être quelques-unes vous ont-elles déjà effleuré l 'esprit au moment où vous bouquiniez dans une librairie (si vous en avez eu la chance) ou dans une bibliothèque. Des questions pour démystifier un peu le manuscrit, pour tenter de comprendre ce qui se passe entre l'éditeur et l'auteur dans le cheminement qui va du manuscrit au livre imprimé, puis entre les livres et leurs lecteurs. Des questions pour donner la parole à ceux qui sont «derrière» le livre. Le manuscri t , le livre... ce sont des objets. Mais l'auteur? L'éditeur?
Je vous propose ici quelques rencontres; de belles rencontres, chaleureuses, enthousiastes. Avec des éditeurs d'abord : denise truax, de Prise de parole , Rober t Yergeau, du N o r d i r et Yvon M a l e t t e , des Ed i t i ons David . Puis avec des auteurs : Marguerite Andersen, Alain Bernard Marchand, Michel Ouellette, Pierre Pelletier et Daniel Poliquin.
Ensemble, nous avons parlé du manuscri t , du
travail d'édition, de la réception critique et de
vous, lecteurs...
Le manuscrit Au fa i t , q u ' e s t - c e q u ' u n bon m a n u s c r i t ? Comment les éditeurs l'évaluent-ils? Ils ont tous un comité de lecture, mais cette évaluation se fait selon quels critères? Chaque maison d'édition propose sa politique éditoriale, qui constitue sa «personnalité».
Chez Prise de parole, on a préparé une page publici taire précisant les critères d'évaluation d'un manuscrit; celui-ci sera jugé d'après le sujet et les thèmes (si le fond est clair, original, mult i -directionnel, intéressant et assumé par l'auteur), la forme et le style (communication efficace avec le lecteur) et sur la commercialisation. À cela,
denise truax ajoute qu' i l faut dis t inguer deux niveaux. Il faut d'abord définir une œuvre littéraire, avec tout ce que cela contient de subjectif; le manuscrit a beau être soumis à plusieurs lecteurs — le comité de lecture —, le choix demeure subjectif. Mais il y a aussi les cas où, à regrets, on refuse un bon manuscrit parce qu'i l n'entre pas dans les catégories d'ouvrages que publie la maison. Du même souffle, elle note que Prise de parole a beaucoup de catégories, ce qui complique la commercialisation... mais ce qui est peut-être le lot des maisons en région.
Au Nordir, Robert Yergeau affirme que les critères économiques n 'ent rent jamais en ligne de compte. La maison privilégie les manuscrits qui présentent un travail sur l'écriture; elle a un préjugé favorable à l'endroit des textes qui essaient «d'aller au-delà», tout en s'attardant au contenu au point de vue des thèmes et du traitement. Et pour le Nordir, dans le marché, le rôle du jeune éditeur est de promouvoir les nouveaux auteurs.
Chez David, le manuscrit doit offrir une qualité d'écriture. Des chiffres? Approximativement, sur 10 manuscrits, cinq sont retournés, deux sont acceptés sans changements et trois seront modifiés à par t i r de quelques conseils. En ce qui concerne les textes critiques, le comité, qui peut alors faire appel à une expertise externe, s'assure que la méthodologie est valable. Pour la création, le manuscrit doit présenter quelque chose d'original, se démarquer (dans les images, par exemple). Un jumelage, sur l ' ini t ia t ive de la jeune maison d'édition, permet à des auteurs qui ont envoyé leur manuscrit de travailler leur texte et de le parfaire, avec l'aide d'un auteur qui a déjà publ ié . Au bout du compte , croit Yvon Mallette, c'est le lecteur qui y gagne.
Le travail de révision et de correction se fait alors en concertat ion avec l 'auteur. Avec de jeunes a u t e u r s , c 'est parfois diff ici le , no te Robe r t Yergeau. L'émotivité, la créativité, la subjectivité, tout cela entre en ligne de compte. C'est délicat. Il faut instaurer une relation de confiance. Et de ce point de vue, les éditeurs sont unanimes. «Confiance» est un mot-clé.
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Chez David, on qualifie la relation d'excellente. Une fois le manuscrit accepté, il y a rencontre avec l'auteur et celui-ci reçoit carte blanche : il peut habiller son «enfant»; on lui accorde liberté entière pour déterminer le format du livre, la quali té du papier, la facture de la couverture, etc. À l'intérieur d'un budget réaliste, bien sûr. L ' éd i t eur c ro i t que ce t t e i n i t i a t i v e est son «meilleur coup» depuis deux ans et lui permet de donner une personnalité au livre - ce que ne pourrait pas se permettre une plus grande maison d'édition.
Et qu'est-ce qui motive un auteur à envoyer son manuscrit à un éditeur? Pourquoi choisir tel éditeur plutôt qu'un autre? Selon quels critères?
Margueri te Andersen s'exclame : «Mais je ne veux pas le garder dans mon tiroir!» Elle choisit son édi teur en fonction de ce qu ' i l ou elle a publié auparavant. Ce doit être quelqu'un en qui elle a confiance, qui lui offre un «contrat comme il faut» et qui saura s'occuper de la distribution.
«La qualité du travail de l'éditeur, très certainement» , répond Alain Bernard Marchand qui a pub l i é tous ses ouvrages aux Herbes rouges (Montréal) depuis 1992, à cause de l'admiration qu'il porte à cette maison d'édition qui «publie strictement selon des critères littéraires». Pour son premier ouvrage, en 1982, il avoue que des «raisons romantiques» l'avaient amené à publier dans la collection «L'Astrolabe». Aujourd'hui , son choix est davantage conscient, remarque-t-il, et basé sur la qualité de la production et la politique éditoriale de la maison, critères auxquels il ajoute la beauté matérielle des livres.
Pour Michel Ouellette, c'est un concours de circonstances qui l'a amené à publier. Il faut dire que le texte de théâtre fait un peu «genre à part» puisqu'il est d'abord destiné à être joué. Mais sa publication permet de perpétuer la mémoire de la pièce, permet aussi de la considérer comme une œuvre littéraire et de donner de l 'importance au texte.
Pierre Pelletier croit qu'il faut d'abord répondre à la question : «pourquoi on écrit?» «Pour acclimater certaines idées obsessives ou des émotions t rop fortes qu 'on ne peut contenir.» Ensuite, vient le désir d'être lu, publié, de partager ces émotions. La complicité est importante, l'amitié aussi. L'auteur voudrait que ce soit toujours le même éditeur, mais à la recherche d'une complicité plus grande, il ira voir d'autres éditeurs. «Un auteur qui grandit avec la même maison, qui, comme le bon vin, vieillit bien, c'est beau.» Mais dans tous les cas, il faut qu'il y ait beau
coup de place pour l'auteur.
C'est «la conviction qu'il est terminé, qu'on a besoin d'aide» qui motive Daniel Pol iquin à soumettre son manuscrit à un éditeur. Pour lui, c'est le moment où l 'œuvre devient collective. Au début, on prend le premier éditeur qui passe; ensuite, on choisit : selon l'aide technique dont on a besoin, le public que l'on veut rejoindre, et les gens qui sont là. Et changer d 'éditeur, ce n'est pas une question de fidélité ou de trahison : c'est la loi du marché, la liberté.
Et la révision? C'est le «travail de l'amitié» pour Margueri te Andersen. Au théâtre, cela se fait avec le ou la metteur(e) en scène, mais il faut l ' é c r i r e , t r a n s c r i r e l ' o r a l , s o u l i g n e M i c h e l Ouellette.
La réécriture, c'est beaucoup de travail, remarque Pierre Pelletier. «Mais nos lecteurs privilégiés, ce sont des amis; pour aller plus loin, pour dépouiller, arriver à l 'essentiel. Ensui te , c'est l 'éditeur, pour la tuyauterie, la cohésion.» La relation avec l 'éditeur à ce stade? «Aussi passionnante que celle où on écrit seul dans son coin.»
Le travail de réécriture ou de révision est souvent une in i t ia t ive de l 'auteur . . . à pa r t i r du moment où il a envoyé son manuscrit. «Si on ne l'a pas envoyé à l 'éditeur, si on ne se sent pas j u g é , on n ' e s t pas c r i t i q u e » avoue D a n i e l Po l iqu in . C'est qu ' à ce m o m e n t - l à , l ' au teur devient un lecteur. «C'est pour cela que, quand on se sent prêt, on se dit : «bien là il faut!» C'est comme si on se disait : «bien là, je fais partie d'une équipe et je ne suis qu'un des membres.» Mais «l'auteur reste quand même le seul maître à bord. Il a invité des gens à monter sur son bateau, pour mieux naviguer. Parce qu'il s'en va en haute mer. Mais il garde le gouvernail.»
Le travail d'é< Qu'est-ce qu'un éditeur aime ou recherche dans le métier d'éditeur?
«Si j'en avais la possibilité, avoue denise truax, je ne serais qu'éditeur, et non pas aussi directrice de maison d'édition. J'adore être la première lectrice, j 'adore le rapport à l 'œuvre, le rapport à l'auteur.» Le travail d'éditeur est une grande responsabilité : faire les meilleurs livres, faire de ces ouvrages les meilleurs livres possibles, et les mettre entre le plus de mains possibles. C'est tout simple, mais tout un défi à la fois.
Le N o r d i r , c o m m e é d i t e u r l i t t é r a i r e joue — modestement, précise Robert Yergeau — un rôle de carrefour, d'animateur. Du manuscrit au livre,
«Si j 'en avais la possibilité,
je ne serais qu'éditeur.
J'adore être le premier lecteur :
j'adore le rapport à l'œuvre
et à l'auteur. »
(denise t ruax )
«Mes lecteurs?... Ce doit être
des gens qui aiment bien ma
façon de regarder le monde
d'un œil un peu critique ou
ironique... Ceux qui aiment
qu'il y ait de l'ironie, du sar
casme, un sens de l'humour, un
peu de féminisme aussi... »
(Marguerite
Andersen) Photo : Tinnish
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«L'éditeur, c'est quelqu'un qui
nous escorte, qui lit le manus
crit, qui nous pousse plus loin.
I l est très important qu'un édi
teur soit complice. »
(Pierre Pelletier)
« Tout à fait par hasard, j ' é tais en train d'attendre une amie à une terrasse et quelqu'un lisait un de mes livres : je me suis rendu compte, tout à coup, que mon livre avait une existence qui m'échappait. J ' a i toujours l'impression que personne ne lit mes livres, que personne ne va les lire. Cela m'a rassuré. »
(Alain Bernard Marchand)
Photo : Laboratoire IdéeClic
il y a un travail prodigieux à accomplir. Et il ne faut jamais perdre de vue, souligne l'éditeur, que le manuscrit et l'auteur sont la matière première. Il faut noter aussi qu'au Nordir, pour les deux éditeurs - Yergeau à Ottawa et Jacques Poirier à Hearst —, il s'agit d'un deuxième travail. «C'est un peu fou» avoue Robert Yergeau. «Ce qui me motive à continuer, c'est la lecture des manuscrits, la découverte de manuscrits. Être étonné, surpris.» Il est important aussi que le livre soit un bel objet. Et à chaque parution, il y a une «fébrilité certaine lorsqu'on le déballe». Il est important aussi que l'auteur soit content.
Chez David, Yvon Malette croit aussi qu'il a un rôle d 'animateur culturel . L'édition, c'est une aventure, «celle qui me permet le plus de remettre à la société ce que j'ai reçu.» La maison est fière d'offrir une voie parmi d'autres pour les jeunes auteurs. Cependant , il y a souvent des frustrations, confie-t-il, lorsqu'il tente de concilier le côté plus «intellectuel» de l'édition et le côté p r agma t ique de l ' homme d'affaires. Car Yvon Malette croit qu'il faut développer un sens des affaires qui libère des subventions; il faut viser l ' au tonomie , exploi ter d 'autres avenues pour le financement, comme la participation de l'entreprise privée. Le milieu des affaires franco-ontarien a cette responsabilité, croit-il. Et il est assez fier de ses succès de ce côté. Chez David, l 'éditeur est aussi un entrepreneur dynamique qui cherche à innover.
À un point de vue plus matériel, plus technique, c'est-à-dire dans le passage du manuscri t à la maquette du livre, si David accorde carte blanche à l'auteur, chez Prise de parole, on travaille en collaboration avec celui-ci, lui suggérant des maquettes (surtout qu'on veut uniformiser certains formats). Au Nordir, on préfère que l'auteur participe à cette étape, qu'il y ait une collaboration très étroite... pour éviter une déception.
Tous les auteurs ont souligné l'importance d'établir une relation de confiance avec l'éditeur. «Il n'y a pas de publication sans confiance», remarque Daniel Poliquin. Pierre Pelletier parle de «complicité». Mais à cette étape, qu'est-ce que l'auteur attend de son éditeur?
«Qu'il s'assure qu'il n'y a pas de coquilles, qu'il soit rapide dans ses décisions, qu'il s'assure de la beauté du livre» répond Marguerite Andersen, très pragmatique. Pour elle, le travail avec l'éditeur se fait dans l'amitié.
La discrétion, une relation très sobre qui laisse beaucoup de l ibe r t é , r ésume Alain Bernard Marchand qui apprécie aussi de pouvoir créer sa
page couverture, participant ainsi à la réalisation matérielle du livre. La relation avec l'éditeur est très précieuse, souligne-t-il. «Je pense que toute relation d'un auteur avec son éditeur est précieuse, en ce sens que, surtout quand on travaille dans un pet i t marché comme le nôtre, que ce soit au Québec, encore pire en Ontario français, un des seuls plaisirs qu'on a, c'est d'avoir un lecteur sérieux. Puis on peut toujours compter, on doit pouvoir croire qu'on peut compter sur son é d i t e u r c o m m e é t a n t son p r e m i e r l e c t e u r sérieux. Et si lui croit en notre livre, c'est déjà quelque chose d'énorme parce qu'écrire est un travail qui se fait dans une extrême solitude et la réception critique n'est pas toujours évidente.»
L'éditeur est un lecteur privilégié, mais c'est son professionnalisme et, au-delà de l'édition comme telle, son effort pour faire la mise en marché qui sont importants pour Michel Ouellette.
Pour Pierre Pelletier, «l'éditeur, c'est quelqu'un qui nous escorte, qui lit le manuscrit, qui nous pousse plus loin.»
Pour Daniel Pol iquin , l 'édi teur est un «conseiller privilégié». «L'auteur qui aime son livre le voit grandir du début à la fin, puis il va intervenir plus ou moins selon certaines compétences qu'il a... mais en se fiant à l'éditeur.»
La réception critique Lorsqu'on leur demande s'ils sont satisfaits de la réception critique, les éditeurs hésitent.
«C'est une quest ion ex t rêmement complexe» avoue denise t ruax, avant d 'ajouter : «Est-ce qu 'on peut vraiment parler de réception cri t ique? Il n'y a pas grand-chose, et il est extrêmem e n t difficile d ' in téresser les q u o t i d i e n s de Montréal.» Même Le Droit est frileux, offrant peu de recensions.
Chez David, la réponse est plus catégorique : «Pas du tout» . Les critiques ne font pas suffisamment leur travail. Il y a bien quelques exceptions, des revues spécialisées, mais encore.
«On la souhaite plus grande, plus di thyrambique, mais... il y en a peu, c'est inévitable... il faut se tourner du côté du Québec et il y a ambiguïté», analyse Robert Yergeau. Il ajoute cependant qu'i l ne publie pas pour ça : la réception critique ne détermine pas ce qu'il publie. Ça fait par t ie du jeu et il l 'accepte. Dans le cas des librairies, l'espace est limité, surtout occupé par les best-sellers américains, français et même québécois. Il y a peu de place pour la l i t térature
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franco-ontarienne. «C'est malheureux, mais il ne faut pas être naïf». Le marché scolaire serait la voie du succès. Pour l'enseignement, étant aussi professeur à l 'Université d 'Ottawa, R. Yergeau parle de gouffre, de malaise : des adultes viennent suivre des cours de littérature franco-ontarienne et ils ne connaissent parfois aucun des titres qui sont proposés... Faut-il des représentants dans les écoles? Une plus grande conscientisation au niveau des commissions scolaires? Plus d'animation?
Comment les auteurs perçoivent-ils la réception critique? Est-elle constructive? Arrive-t-elle à leur faire voir certains aspects de leur œuvre?
Ils sont tout aussi sceptiques que les éditeurs. «La vraie critique est difficile», note Marguerite Andersen. «C'est une quest ion délicate parce que nous ne sommes pas tellement nombreux en Ontario français. Il faut faire attention de ne pas offenser les gens, mais il faut quand même leur dire.» Mais elle n'apprend pas vraiment des critiques. «Il faudrait davantage d'outils critiques en Ontario pour faire bouger les choses».
Alain Bernard Marchand souligne qu'il est toujours très agréable d'avoir une bonne réception cr i t ique, mais que cela ne justifie pas l'effort qu 'on a investi dans la création d 'une œuvre. D'un autre côté, la critique est nécessaire parce que c'est une des seules façons d'assurer une certaine visibilité, une existence publique au livre... dans la mesure où les lecteurs n'ont pas droit de parole. «C'est le rôle de la critique universitaire de nous dévoiler des pans de notre œuvre, tout comme une conversation avec un lecteur peut nous dévoiler des aspects de notre œuvre, nous mettre sur des pistes dont on ne soupçonnait pas l'existence. Mais la critique telle qu'elle se pratique en O n t a r i o , au Québec et au Canada en général, reste essentiellement un outil de market ing, un outil promotionnel.» Pas de crit ique, pas de longévité. Aussi, le cr i t ique est paresseux : il ne se soucie pas de repérer de nouveaux talents. Il faut déplorer aussi qu'il y a de moins en moins d'espace pour la critique universitaire.
Pour le théâtre, la problématique est légèrement différente puisque souvent la pièce a été jouée et sa représentation a fait l 'objet d 'une cri t ique. Mais la critique de la pièce représentée ne tient pas toujours compte du texte, remarque Michel Ouellette. C'est donc important pour la pièce en tant qu 'œuvre littéraire. Et «la cri t ique va te faire voir des choses que tu n'as pas nécessairem e n t vues . . . Le t héâ t r e est un art ouver t à l'interprétation. Je suis toujours très étonné, surpr is , charmé, lorsque les gens ont découvert
autre chose.»
«C'est d o m m a g e , mais il n'y en a pas beaucoup», renchérit Pierre Pelletier. «La cr i t ique devrait être capable d'entrer dans la démarche d'un auteur, de le lire du dedans, d'adopter un ton serein pour le comprendre du dedans... Ce n 'est pas une ques t ion d 'a imer ou de ne pas aimer : cela relève du commentaire mondain , journalistique.» Et ce ne sont jamais les critiques officielles qui font découvrir des choses sur l 'œuvre, mais plutôt «un commentaire personnel, qui va droit au cœur; un lecteur qui dit : j'ai aimé parce que ça m'a parlé, touché, dit quelque chose; ça me rattache à une expérience que j'ai déjà vécue. C'est le genre de commentaire qui t ' indique que tu es sur la bonne piste, que tu as réussi à partager une émotion. Un commentaire g r a t u i t est un beau c o m m e n t a i r e : c 'est la meilleure critique.»
Daniel Poliquin voit la critique en démocrate... «Il y a une l iberté de parole qui existe, une liberté d'expression. Et cette parole-là, chez le critique, elle doit être entière. Mais elle ne l'est pas toujours . . . il y a de la compla isance , de l ' inimitié, différentes écoles de pensée... Il faut laisser les gens libres... Pour moi, la cri t ique, c 'est un peu c o m m e l ' équ ipe éd i to r i a le qu i s'élargit. Sauf qu'elle n'est pas là pour vous aider nécessairement; elle est là pour dire ce qu'elle pense. Puis , il faut, bien sûr, dépar tager les mo t iv a t i o n s .» Et la c r i t i q u e où l ' au t eu r va apprendre des choses sur lui-même, c'est celle des revues spécialisées où on fait une lecture beaucoup plus profonde du livre. Mais cette critique-là, note-t-i l , a les mêmes défauts que la critique journalistique.
Le lectorat Lorsqu'on leur demande de dresser un portrait de leur lectorat, les éditeurs avouent ne pas vraiment les connaître. «On en connaît certains», dit denise truax. «J'imagine qu'il s'agit d'un lecteur plutôt lettré, un amateur de l i t térature», risque Robert Yergeau. Dans les salons, les lancements, il arrive que l'éditeur retrouve le public qui lui est fidèle, qu'il puisse mettre un visage sur le lecteur et que celui-ci exprime sa satisfaction... ou son déplaisir.
Les auteurs arrivent plus facilement à dresser le portrai t de leurs lecteurs. Les rencontres avec leurs lecteurs, dans les salons entre autres, sont importantes.
Certains avouent ne pas les connaître, comme Alain Bernard Marchand : «Quand j 'écris , je veux émouvoir, faire traverser l'émfltionjDar un
«Pour nous, au Nordir,
{l'édition} c'est un deuxième
travail. C'est un peu fou.
Ce qui me motive à continuer,
c'est la lecture des manuscrits,
la découverte de manuscrits.
Être étonné, surpris. »
(Robert Yergeau) Photo : Archives de Liaison
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(Suite de la page 2 5 )
lecteur, mais je ne sais pas qui est ce lecteur. Ce n'est peut-être pas important.»
«Ce doit être des gens qui aiment bien ma façon de regarder le monde d 'un œil un peu cr i t ique ou i ronique». L'ironie, le sarcasme, le sens de l 'humour, un peu de féminisme aussi, suppose Marguerite Andersen.
«C'est é m o u v a n t de rencon t re r ses l ec teurs , confie Michel Ouellette. Souvent, ils ont vu la pièce. Ils ont toujours une pe t i te histoire; c'est touchant . Ce sont des moments privilégiés où on peut sentir que l 'œuvre est importante.»
Pierre Pelletier esquisse un portrait de ses lecteurs : «Ce sont ceux qui apprécient et recherchent les littératures marginales, qui n'ont pas peur de vivre leurs émotions. Quand tu prends un de mes livres, tu t'attelles pour travailler avec moi.» On peut toujours aller chercher quelque chose quelque part dans une rencontre fortuite, quelque chose de neuf, ajoute-t-il. «Dans les rencontres, il y a de belles choses.»
Pour Daniel Pol iquin , «c'est le plus beau dans l 'acte d'écrire, la rencontre avec le lecteur. Parce que c'est l'inattendu. Tout le temps. J'ai fait les rencontres les plus singulières de ma vie à cause de cela.» Dans les lancements, on connaît ses lecteurs. Dans les salons, il y en a de tous les genres : ceux qui viennent vous dire qu'ils ne vous aiment pas ou qu'ils vous aiment... Mais «les meilleures rencontres, ce sont celles où on fait des lectures publiques. Au Canada français, ça ne se fait pas assez et les éditeurs eux-mêmes ne l 'encouragent pas suffisamment.» Lors de ces lectures publiques, l'auteur est obligé de communiquer, c'est-à-dire de «mettre en commun». Il peut alors voir comment les gens réagissent. Et c'est impitoyable : on ne peut pas manquer son coup. Poliquin donne l'exemple d'une lecture publique de son dernier roman L'Homme de paille. «Cela a extrêmement bien marché. Et il y a eu des réactions qui m'ont permis d'enrichir encore.» Finalement , «le contact avec le public est encore meilleur lorsqu'il est hors-livre... c'est-à-dire qu'on n'est pas là pour lire un livre; on est là pour parler d'un autre sujet». En abordant un sujet quelconque, «on va découvrir des choses les uns sur les autres, puis ça, c'est vraiment excellent.»
Voilà de belles rencontres, n'est-ce pas? Elles ont permis de soulever le voile - même si ce n'est que t imidement — sur la relation entre l'auteur et l'éditeur, et même le lecteur, dans cette aventure qu'est le passage du manuscrit au livre. Auteurs et éditeurs nous ont parlé, mais peut-être que vous, lecteurs, avez envie d'y ajouter quelques commentaires?
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