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La sémiotique :
fondements, outils et conseils d’utilisation
Christine Petr
2007
Résumé : Face à l’intérêt croissant porté à la sémiotique par les professionnels et chercheurs en marketing, il s’agit ici de rappeler les fondements de cette approche méthodologique et de préciser ses outils et modalités d’utilisation. Mots clefs : Sémiotique, signe, marketing, schéma narratif, carré sémiotique, structures tensives, analyse du discours, comportement, communication Title : Semiotics and marketing: from theories to analytical tools Abstract : As more and more marketing executives and researchers are appealed by semiotics, this article describes the bases of this methodological approach and how to use its most current tools. Key words : Semiotics, sign, marketing, narrative scheme, semiotic square, tensive structures, discurse analysis, behavior, advertising
Introduction............................................................................................................................................................. 3 I. Les fondements de la sémiotique......................................................................................................................... 6 1. Le domaine d’investigation et le projet scientifique ....................................................................................... 6 2. Les postulats théoriques de l’émergence du sens ............................................................................................ 8 3. le parcours génératif de la signification ........................................................................................................ 10 4. Les perspectives sur l’analyse du sens .......................................................................................................... 13 4.1. L’opposition binaire ............................................................................................................................... 14 4.2. L’appréhension ternaire.......................................................................................................................... 15 4.3. La représentation tensive........................................................................................................................ 16
II- L’utilisation de la sémiotique........................................................................................................................... 20 1. Le matériau d’étude................................................................................................................................... 21 1.1. Le principe méthodologique : « Hors du texte, point de salut ». ............................................................ 21 1.2. Les contraintes relatives au corpus........................................................................................................... 2
2. La condensation du sens : du discours aux structures profondes .................................................................... 3 2.1. Le modèle du carré sémiotique ................................................................................................................ 3 2.1. L’utilisation du carré sémiotique.............................................................................................................. 7
3. La dilatation du sens : vers les structures de surface....................................................................................... 9 31. L’analyse narrative : l’analyse de l’histoire .............................................................................................. 9 32. L’analyse discursive : l’analyse du « discours en acte » ......................................................................... 14
Conclusion ............................................................................................................................................................ 18 Bibliographie......................................................................................................................................................... 23
La sémiotique : fondements, outils et conseils d’utilisation
INTRODUCTION
Insignes, symboles, signalétique, signaux, emblèmes, blasons, adages, aphorismes, étendards,
signatures, marques, … notre monde est perfusé de signes (Pinson, 1988)i. Ces signes, que
l’on parle des panneaux de signalisation routière, mais aussi des logos et typographies
spécifiques de marques, et de toutes formes de signalétique informationnelle et directionnelle
que l’on peut trouver dans les espaces publics et commerciaux, ces unités minimales de sens
que l’on appelle des signes sont constamment utilisées comme des outils de communication.
Un signe est un élément porteur d’un sens qui dépasse l’objet et la signification immédiate.
Ainsi, dans l’immédiateté de la représentation du « tigre », de l’ « écureuil » ou du « renard »,
il n’y a que l’animal. Mais au-delà de cet objet vivant évoqué, dénoté, par le biais d’un signe
textuel, graphique ou sonore, d’autres significations sont appelées. Ainsi, le tigre connote la
puissance. « Mettez un tigre dans votre moteur » nous disait une grande marque de carburant.
« Et le tigre est en toi » nous dit aujourd’hui Tony, le personnage de « Kellogg’s Frosties ».
De son côté, l’écureuil de la Caisse d’Epargne symbolise l’épargne et la prévoyance. Enfin, le
renard du guide touristique « le Petit Futé » fait penser à la ruse et au côté malin. Ces
pictogrammes et logotypes publicitaires animaliers permettent le transfert des dimensions
symboliques associées à ces animaux vers les produits et les consommateurs de ces produits
(voir Annexe 1). Les icônes et symboles sont donc utilisés en fonction de leur capacité à
exprimer ou illustrer certaines caractéristiques. L’usage du sens immanent des signes et des
symboles est une pratique courante des entreprises dans le cadre de leurs actions de
communication. Pour citer un autre exemple, du domaine non marchand cette fois, prenons le
cas de l’emblème de WWF. Cette espèce animale dont la menace d’extinction fut très
médiatisée dans les années 1970, est aujourd’hui portée en étendard par l’association. Au-delà
du doux herbivore menacé, l’effigie du panda permet aujourd’hui à l’association de
communiquer plus généralement sur la sauvegarde de l’environnement, tout en rappelant un
succès passé qui légitime les actions actuelles. Par suite, lorsque l’association appose ce sceau
symbolique sur des emballages de produits de consommation courante, elle labellise des
produits en leur transférant ses valeurs et principes de lutte pro environnementale.
Mais l’utilisation des symboles à des fins d’expression et de positionnement n’est pas du
registre exclusivement professionnel. Du côté des consommateurs, l’usage de signes pour
communiquer sur soi et vis-à-vis des autres est une réalité qui s’est toujours inscrite dans la
vie sociale de l’être humain. Ainsi, les archéologues et ethnologues des civilisations passées et
actuelles n’ont de cesse de démontrer que les hommes utilisent des attributs concrets, souvent
vestimentaires mais aussi mobiliers et comportementaux, pour exprimer leur statut et leurs
valeurs. Par exemple, pour démontrer à ses pairs, à ses collègues, à sa famille, que l’on
possède certaines caractéristiques, le consommateur peut choisir certains produits ou marques
plutôt que d’autres. Il peut aussi préférer certaines consommations plutôt que d’autres, ou
choisir de consommer selon des modalités différentes. Dans cette logique, par la sélection et
le choix de certains signes matériels et immatériels plutôt que d’autres, le consommateur
exprime des valeurs plutôt que d’autres. Au-delà des objets, l’individu consomme et
s’approprie des attributs symboliques pour communiquer, aux autres et à lui-même, les
valeurs sous-jacentes dont ces objets sont la trace observable.
Selon les principes de la consommation symboliqueii, dans notre monde social et commercial
perfusé de signes, c’est constamment que les consommateurs reçoivent, perçoivent et utilisent
des signes. Le consommateur a ainsi appris à exceller dans le « bricolage du sens » (Marion,
2003). Face la multiplicité des objets et des comportements et consommation codés
symboliquement, il choisit d’adopter, de s’approprier certains signes, et parallèlement
s’affranchit ou en rejette d’autres. Par ce processus de sélection, le consommateur donne alors
à voir le système de valeurs auquel il adhère habituellement, épisodiquement ou
situationnellement. Symptomatique de l’accélération du changement des codes de
consommation, les consommateurs ne sont pas seulement des utilisateurs des signes
disponibles, ils sont aussi capables de manipuler des signes existants pour créer de nouveaux
univers de sens et inventer de nouveaux signes. Du bricoleur de sens qui combine
intelligemment des signes pour exprimer un certain nombre de valeurs, le consommateur
devient un artisan de la transformation des systèmes de valeurs actuels et de la création de
nouveaux codes et signaux symboliques (Storey, 1999). Ces signes et ces systèmes
axiologiques ainsi créés par le corps des consommateurs, par manipulation et détournement,
deviennent de nouveaux codes symboliques qui, à leur tour, peuvent être appropriés et utilisés
par les consommateurs et les responsables marketing.
Le projet scientifique de la méthodologie sémiotique, tel que défini par Algidras Julien
Greimas dans le cadre du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques de Paris, est l’étude des
éléments signifiants que sont les signes textuels afin de procéder d’une part, à l’analyse
topologique du sens et d’autre part, à l’établissement d’une théorie sur les processus de
construction et de réception du sens. A ce titre, elle est un paradigme de recherche séduisant
et pertinent pour l’analyse du sens dans le monde commercial (Mick, 1986 ; Mick et al.,
2004).
C’est à Jean-Marie Floch que l’on doit son introduction dans le marketing (Heltzel et
Heilbrunn, 2003). En effet, dans un ouvrage initiateur et vulgarisateur (1990), il démontre que
la sémiotique peut être utile au marketing. Inspirée de la linguistique, de l’anthropologie et de
la logique formelle, à une période où la méthode se voyait régulièrement critiquée pour son
opacité, son vocabulaire abscons, la trop grande simplicité de ses modèles analytiques (Helbo
en 1983 parle de « boite de pandore de joujoux méthodologiques »), et la place trop
importante laissée à l’interprétation (subjective, et donc perçue comme fantaisiste), Floch a su
prouver les apports de la sémiotique structuraleiii.
Aujourd’hui, ce sont les sciences de la cognition qui ont pris la relève du structuralisme.
Parallèlement, les structures sont désormais décrites comme dynamiques. Les oppositions,
auparavant discrètes, sont définies comme des points relatifs sur des différentiels tensifs et
graduels. Par conséquent, le projet scientifique de la sémiotique se précise avec l’idée qu’il
s’agit de l’étude des ensembles signifiants « en construction et en devenir ». Ce changement
qui « ne modifie pas en profondeur les hypothèses et les méthodes qui au-delà des modes
intellectuelles, définissent en profondeur l’esprit des sciences du langage » (Fontanille,
2003:10), permet cependant un élargissement des perspectives. Répondant aux besoins
nouveaux des professionnels et chercheurs en marketing, il est désormais possible de
s’intéresser aux processus, aux opérations et aux actes, et plus seulement aux oppositions
positionnelles qui en résulte.
Dans ce contexte, la première partie de cet article rappele les fondements de cette méthode
d’investigation du sens en exposant les diverses approches analytiques des phénomènes
signifiants. Sans être un rappel de l’histoire et des moments théoriques de la sémiotiqueiv, il
s’agit d’évoquer les ancrages conceptuels qui orientent les modes d’investigation du sens. La
seconde partie présente les outils de la sémiotique et leurs modes d’utilisation.
I. LES FONDEMENTS DE LA SÉMIOTIQUE
1. Le domaine d’investigation et le projet scientifique
Les deux fondateurs de la sémiotique que furent le linguiste suisse Ferdinand de Saussure
(1857-1913) et le philosophe américain Charles Sanders Pierce (1839-1914) se distinguaient
sur la définition et la délimitation des unités du signe, et sur le projet scientifique assigné
initialement à la méthode. Saussure envisageait une relation dyadique entre le signifiant (le
signe lui-même, le representamen) et le signifié (ce que cela signifie pour le récepteur du
signe, l’interprétant). Selon lui, pour analyser comment et en quoi les signes sont utilisés dans
la vie sociale des individus, le référent (l’objet) n’avait pas nécessité d’exister (comme c’est le
cas pour les termes « dragon », « fée », « lutin », « fantôme », « martien »…). De son côté,
Peirce considérait une relation dissymétrique entre ces trois éléments, auxquels il ajoutait le
fondement (le point de vue)v, et s’attachait à définir une typologie des signes selon les
rapports entretenus avec le référent (signe icône, signe index, signe symbole) et à repérer les
processus cognitifs de reconnaissance et de génération de sens (déduction, induction,
abduction). Issue de cette école piercienne, Morris (1946) définissait alors la sémiotique
sémantique (relation signe - objet), la sémiotique syntactique (relation signe - signe) et la
sémiotique pragmatique (relation signe – interprétant). L’ « interprétant » chez Pierce, soit le
« signifié » chez Saussure, correspond à l’individu avec ses institutions sociales, sa culture et
son expérience. Ainsi, la sémiotique dépasse la linguistique dans la mesure où elle s’intéresse
à la parole plus qu’à la langue. La langue est le résultat des lois abstraites et des conventions
du langage (ou tout code) qui préexistent, alors que la parole est la manipulation du système
du langage à travers les déclarations et élocutions individuelles de tous les jours. C'est donc à
travers la parole comme expression des choix à propos des possibilités offertes par la langue
que le sens fait surface en tant que manifestation individuelle. Ainsi, à la différence de la
sémiologie des analyses barthesiennesvi, en sémiotique, les relations et les interactions entre
les mots sont prioritaires sur les mots individuels. Par analogie, il faut imaginer un échiquier
où bouger une pièce revient à changer toutes les relations entre les différentes pièces de
l'échiquier. Pour étudier la formation et la transformation du sens, ce sont donc les systèmes
de relations qui sont analysées.
Aujourd’hui, pour dépasser ces divergences sur les dimensions de signe, il est préférable de
définir la sémiotique par son domaine d'investigation et son projet scientifique. Son domaine
d’investigation est le sens. La science des signes vise ainsi à organiser et à rendre intelligible
la matière informe qu’est le sens contenu dans les langages (tous les langages) et les pratiques
sociales signifiantesvii. Son projet scientifique est de découvrir le système de relations qui
permet aux signes de signifier. Le projet sémiotique n'est donc pas l'étude du système des
signes mais l'étude de la structure des systèmes de relations entre signes car ces relations sont
premières et les signes ne sont qu’intersections de relations (Floch, 1989). Ainsi, d’une
branche de la linguistique tel que le concevait Saussure (1990[1916]), ou d’une taxonomie
logique des signesviii et de leurs relations tel que le définissait Pierce (1978), la sémiotique est
aujourd’hui reconnue par tous comme la science qui étudie la structure de tous les signes et de
tous les systèmes de signes (Jakobson, 1966) et dont le projet d’établir une théorie générale
de la production et de l’interprétation des signes (Ceriani, 2003).
2. Les postulats théoriques de l’émergence du sens
Quatre postulats structurent le cadre conceptuel de la sémiotique (voir tableau 1).
Tableau 1 - Les postulats de la sémiotique et les conséquences méthodologiques
Postulats Précisions Conséquences méthodologiques
Intelligibilité des signes Les événements sont intelligibles et clairement explicables.
Il est possible de décrire les conditions de production et de saisie du sens.
Immanence des signes
Les signes sont des unités de surface qui expriment une signification sous-jacente.
Les signes ne sont que le point de départ des recherches sur le système de relations sous-jacent.
Variabilité des signes mais permanence des significations
Les signes sont des manifestations qui varient en dimensions et en matière, mais qui restent relativement interchangeables dans leur signification.
Il faut “ dépasser les signes et regarder ce qui se passe sous les signes ” (Arrive et Coquet, 1987) pour identifier les significations sous-jacentes. Il faut rechercher “ l’invariance dans la variation ”.
Hiérarchisation des niveaux de signification
Le processus de génération du sens est hiérarchisé depuis la naissance d’une signification (niveau profond) jusqu’aux signes manifestes (niveau perceptuel).
Il est possible de retrouver l’invariant du sens à chacun des niveaux de signification que l’on distingue en fonction de leur position sur le “ parcours génératif de la signification ”.
Source : Petr, 2001.
Le premier postulat est que le monde du sens est intelligible. La sémiotique cherchant à
décrire les conditions de production et de saisie du sens, elle part du principe que les
événements sont intelligibles et clairement explicables, à l'inverse de certaines considérations
esthétiques.
Le second postulat est que le monde du sens est caractérisé par le principe d'immanence des
signes. Les signes ne sont que des unités de surface à partir desquelles il s'agit de découvrir le
jeu des significations sous-jacentes car il convient de « dépasser ces signes et de regarder ce
qui se passe sous les signes » (propos de Greimas cité par Arrivé et Coquet, 1987). Cette
conception du signe n’est pas nouvelle car Hippocrate, Platon ou Aristote identifiaient déjà
des symboles manifestés (signes) comme convoyeurs de messages sur les états mentaux et
physiques des individus.
Le troisième postulat aborde l’idée d’invariant. Parlant d'invariance dans la variation, il faut
comprendre que les signes varient en dimensions et en matière. Pour exprimer un même sens,
les signes disponibles pour l’énonciateur sont nombreux et relativement interchangeables. Par
exemple, pour exprimer l’idée du salut interpersonnel, on peut se serrer la main, s’embrasser,
se saluer de la tête, ou faire un signe de la main, autant de modalités diverses pour une même
signification. Ce sont le cadre culturel (société indoeuropéennes, sociétés asiatiques, etc) et la
situation (relations intimes, familiales, professionnelles, contexte d’achat, de prescription, de
consommation, âge des deux parties, différentiel d’âge, etc) qui déterminent les codes de
conduite à privilégier. Au sein de ces codes et coutumes qui sont la variation, la signification
du salut est la constance : c’est l’invariant dans la variation. Repérer ces invariants sous-
jacents est particulièrement important pour le marketing interculturel, qu’il s’agisse de
programmes internationaux ou inter-tribus affectuelles.
Le quatrième et dernier postulat est qu’il existe différents niveaux dans les invariants de
communication et de pratique sociale. Ceci permet d’introduire les notions de paradigme et de
syntagme. Les choix paradigmatiques sont soumis aux lois ou conventions de la combinaison
des signes telles que la grammaire. Toutefois, l’intentionnalité de transmettre une signification
plutôt qu’une autre est repérable via l’analyse du message formé (le syntagme). Ce qui est
obtenu et récolté par l’analyste (le discours du consommateur, le texte publicitaire, le
comportement qui est observé) est le résultat des choix paradigmatiques (choix d’une unité de
sens au sein du paradigme) et syntagmatiques (combinaison des unités de sens issues de
divers paradigmes) de l’énonciateur (le consommateur, l’entreprise communicante, l’individu
observé). Au sein d’un paradigme, tous les signes permettent d’exprimer une même idée ou
un même concept. Toutefois, par le jeu des combinaisons et des associations avec d’autres
signes, chaque signe prend des connotations légèrement différentes. Ainsi, le coq représente le
symbole de la France mais il exprime aussi, selon la mise en contexte et la présence d’autres
éléments signifiants, la fierté, la vanité ou le chauvinisme. Dès lors, les choix paradigmatiques
faits par l’énonciateur quand il sélectionne certains signes plutôt que d’autres, sont des choix
de significations. A travers les différences qui existent entre les signes choisis et ceux non
choisis et à travers la combinaison des signes choisis, il y a construction du sens. A titre
d’illustration, prenons l’exemple d’un publicitaire qui souhaite arguer sur les bienfaits
buccodentaires de son dentifrice. Il peut soit se positionner sur des paradigmes de beauté et de
forme, en présentant des visuels de sourires dont l’éclat, la blancheur ou l’émail servent de
signes démonstratifs, soit choisir un discours médical et scientifique en faisant apparaître un
visuel de laboratoire de recherche et le témoignage d’un scientifique en blouse blanche. Au-
delà de la variation, l’invariant du message reste la démonstration des qualités sanitaires du
produit.
3. le parcours génératif de la signification
Pour aider au repérage et à l’interprétation des invariants des communications langagières et
sociales des individus, les sémioticiens recommandent de distinguer et de hiérarchiser les
différents niveaux d’invariant. Pour ce faire, l’analyste peut s’appuyer sur le modèle du
parcours génératif de la signification diffusé par l’Ecole de Paris. Ce modèle (voir figure 1)
représente les différents stades de construction du sens depuis l’intention d’exprimer une
signification jusqu’à son émergence au niveau du manifesté tel un texte, un comportement,
une action, une communication, etc. Il suggère l'enrichissement du sens selon une procédure
dynamique tout en détaillant les phases d’élaboration du sens. Aussi, en le parcourant dans le
sens ascendant, un publicitaire peut construire un message qui exprime les sens et valeurs
qu’il souhaite associer à un produit ou à une marque. En suivant le sens descendant, un
chercheur ou un professionnel peut déconstruire un message, que ce soit un comportement du
consommateur ou une opération commerciale d’un concurrent, pour en chercher la
signification profonde. Le chemin ascendant permet de proposer du « visible » quand le
chemin descendant permet d’analyser « l’invisible » (Ceriani, 2003). Pour employer une
métaphore pédagogique, les sémioticiens décrivent le chemin ascendant comme la dilatation
du sens et le chemin descendant comme la condensation du sens.
Figure 1 - Schéma du parcours génératif de la signification
Vers la manifestation
(la "surface des signes")
Structures discursives
(structure narrative)
Structures sémio-narratives
(structures élémentaires de la signification)
niveau superficiel
niveau profond (le carré sémiotique)
Acteurs, Temps, Espaces
Actions, Rôles (le programme narratif)
Parcours Opérations
Syntaxe
Univers figuratif
Systèmes de valeurs
Positions interdéfinies Relations
Sémantique
Source : FLOCH, 1990.
En suivant le sens de la flèche dans la figure 1, on voit comment la signification est élaborée
par l'enrichissement du sens au cours du passage par divers niveaux de constitution du sens.
Selon un processus d’articulation et de complexité croissantes, il y a passage par les structures
sémio-narratives puis par les structures discursives. La distinction se comprend par rapport à
l'énonciation qui est la prise en charge par l’énonciateur des virtualités que lui offre le langage
ou le système de signification qu'il utilise. En amont de l’énonciation, il y a les structures
sémio-narratives ; en aval, les structures discursives. Rebondissant sur les concepts de
paradigme et de syntagme, relevons que les structures sémio-narratives correspondent à
l'ensemble des virtualités dont dispose l’énonciateur, c'est-à-dire le stock des valeurs et des
programmes d'action dans lequel il lui est possible de puiser pour raconter une histoire ou un
propos ; et les structures discursives, à la sélection et à l'agencement de ces virtualités dans un
univers de référence (une sorte de décor), une forme de gestion des temps, des espaces et une
distribution des rôles.
Pour analyser un phénomène, le préalable consiste donc à distinguer les éléments qui relèvent
de ces différents niveaux constitutifs du sens comme cela est illustré dans la figure 2 à propos
de l’expérience de fréquentation d’un magasin.
Figure 2 – Des composantes du comportement de fréquentation aux aspirations vis à vis
de la visite du magasin
Structures de surface : Les éléments de la manifestation du comportement de fréquentation en magasin. Les éléments observables tels que le parcours, les hésitations, les arrêts, les temps de réflexion, les aller - retours, les changements de direction, l'allure et le rythme donnés aux déplacements, les discussions, l’autonomie par rapport au caddie, les postures et mimiques, les préhensions, la recherche et la lecture des prix... Structures discursives : Les séquences temporelles, spatiales et actorielles du magasinage. La prise de contact et la rupture avec l’espace de vente (découpage temporel entre l'arrivée et le départ), la relation avec les accompagnants, l'aspect ludique et hédoniste du parcours de fréquentation (pauses à l’espace livre, écoute CD, manipulations divertissante des produits...) versus du sérieux dans l'activité de marchandisage (manipulation test des produits, parcours optimisé…) le rapport aux autres clients, l'attitude vis-à-vis du personnel... Structures sémio-narratives : Les aspirations vis-à-vis de l'activité en magasin. Sélection et hiérarchisation des attentes à l'égard de l'offre, par linéaire et globalement. Logique de choix et de valorisation d'une certaine philosophie de ce que doit être l’activité d’approvisionnement en magasin. Système relatif aux diverses conceptions de la visite d’un magasin.
4. Les perspectives sur l’analyse du sens
Le sens est une « matière » (purport chez Hjelmslev, 1968) dont la nature est physique,
psychologique, sociale ou culturelle, et qui est traversée de tensions et de directions.
L’objectif de l’analyste est donc de passer du sensible, ce qui est perçu et reçu, à l’intelligible,
ce qui est exprimé et compris. Pour ce faire, il existe trois manières pour appréhender les
structures constitutives du sens. Chacune de ces approches permet d’envisager des modes et
des outils d’investigation du sens différents et souvent complémentaires.
4.1. L’opposition binaire
Selon Seung (1982), tous les langages sont gouvernés par la structure binaire qu’il qualifie
d’universelle dans la mesure où elle correspondrait à la structure fondamentale de l’esprit
humain. Selon Saussure ([1916] 1990), « Il n'y a de sens que dans et par la différence ». Dès
lors, la représentation binaire des structures signifiantes s’appuie sur le principe de
l’opposition privative. Il y a présence ou absence d’un trait, et c’est par cette différence que le
sens peut apparaître. A titre d’exemple, on ne peut exprimer l’idée d’un comportement
moralement adéquat que parce que les notions contraires du « bien » et du « mal » existent. Si
le monde n’était peuplé que d’êtres aux comportements louables, la notion de bien n’aurait
pas de sens. Pour composer des catégories sémantiques signifiantes (le « terme complexe »),
il faut donc des systèmes d’oppositions entre termes. Ces oppositions sont schématisées
comme les deux extrémités d’un axe sachant que les caractéristiques du terme positionné à
l’une extrémité de l’axe sémantique présupposent un terme explicitant leurs contraires sur
l’autre extrémité. Ainsi, le bien ne peut exister que si le mal existe, et le bien est le contraire
du mal, et inversement.
D’un point de vue pratique, l’apport des structures binaires est double. D’une part, elles
imposent de chercher des oppositions dans le corpus, que ce soit un récit, un comportement ou
tout autre structure textuelle. Sur la base des oppositions binaires observées et identifiées, le
chercheur peut alors découvrir comment le sens est produit et construit dans le cas du
phénomène étudié. D’autre part, les structures binaires sont à la base du carré sémiotique qui
est un modèle logique et sémantique que l’on construit à partir de l’opposition privative
principale découverte. A ce stade, la difficulté majeure est d’identifier des éléments qui
répondent bien au principe d’isotopie. L’isotopie de signification est validée si les termes
renvoient l’un comme l’autre à un même vocable ou à une même utilisation grammaticale
(forme active, adjectifs, adverbes…).
4.2. L’appréhension ternaire
L’approche ternaire des structures signifiantes s’inscrit dans la lignée des travaux de Peirce
lorsqu’il définissait les différents niveaux d’appréhension du sens de la priméité, la secondéité
et la terceité (firstness, secondness et thirdness). Le premier niveau correspond à l’ensemble
des possibles sensibles et perceptifs d’un langage. Le second niveau comprend les modalités
factuelles qui permettent d’ancrer l’action et de transformer des états perceptuels et sensibles.
Enfin, le troisième niveau comprend toutes les lois, règles et usages qui programment
l’existence du sens et ses transformations. Au-delà des nombreuses interprétations
complémentaires ou concurrentes qui ont été données à ces trois niveaux peirciens, deux
principes doivent être relevés pour l’utilisateur de la méthode sémiotique.
En premier lieu, il est important de s’attacher au repérage et à l’analyse des modalités de
présence du sens dans le discours. Au sein du texte qui est écrit, l’actualisé et le réalisé,
quelles sont les significations qui sont virtualisées et potentialisées, et quelles sont celles qui
seront effectivement reçues et interprétées par le récepteur du message (l’énonciataire) ?
En second lieu, chacun de ces niveaux possède des propriétés spécifiques d’élaboration du
sens. Ces propriétés modales permettent de décrire comment la signification peut être
construite et articulée pour devenir présente et sensible. Du point de vue de l’énonciateur
(l’émetteur du message), ce regard porté aux modes d’existence du sens dans le langage
favorise l’élaboration de textes capables de rendre compte du message voulu compte tenu
d’un énonciataire idéal (ou récepteur idéal). Dans cette perspective analytique, il s’agit donc
de faire appel aux diverses propriétés modales telles les modalités aléthiques (le possible), les
modalités factuelles (vouloir, savoir, pouvoir faire) et les modalités déontiques (le devoir, la
loi, la règle…) comme le propose le modèle du schéma narratif.
4.3. La représentation tensive
Lorsqu’on décrit au néophyte un axe sémantique avec à l’une des extrémités la présence d’un
trait « A » qui est totalement absent sur l’autre extrémité de l’axe, et que pour le trait « B »
son contraire, la situation est symétrique, il imagine quelque chose qui ressemble au schéma
de la figure 3.
Figure 3 – L’opposition selon la sémantique continue
« A » = Absent
Score « A » = 0
TRAIT « B » « B » = Présent Score « B » = 100
Axe sémantique
« A » = Présent
Score « A » = 100
TRAIT « A »
« B » = Absent Score « B » = 0
Bien que cette représentation continue et polarisée de l’axe sémantique soit facilement
envisagée de manière intuitive et qu’elle soit cohérente avec les démarches de repérage et de
formation des systèmes de valeursix, son introduction dans l’appareillage du sémioticien est
plus récente. Son fondement part du principe que « pour identifier une figure du monde
naturel, ou même une notion ou un sentiment, nous percevons […]sa présence [domaine du
sensible], c'est-à-dire quelque chose qui, d’une part, occupe une certaine position, et une
certaine étendue, et qui d’autre part, nous affecte avec une certaine intensité ; quelque chose
qui, en somme, oriente notre attention, qui lui résiste ou qui s’offre à elle » (Fontanille,
2003:38).
Cette conception des structures soumises à des tensions donne lieu à la prise en compte de
deux opérations clefs : la visée et la saisie. La première opération, la visée, s’attache à
l’intensité et à la direction de la tension qui existe entre l’individu et le monde qu’il perçoit
(domaine du sensible). En fonction de la visée (intensive et affective) qui est intentionnelle de
la part de l’énonciataire, le même objet tel un texte, une publicité, un comportement, ne sera
pas interprété de la même manière (domaine de l’intelligible). La seconde opération, la saisie,
s’intéresse donc aux limites et propriétés de ce qui est visé. Ainsi, la saisie (extensive et
cognitive) embrasse, en tant qu’investissement sémantique, une figure de sens plus ou moins
étendue. Si l’on prend l’exemple de l’analyse des publicités Levi’s (Semprini, 1992), lorsque
le consommateur voit dans une scène publicitaire le torse d’un homme, il peut saisir le champ
sémantique de la nudité mais aussi celui de la jeunesse. En fonction de la prise de position de
l’énonciataire, ces champs sémantiques appelleront différemment les systèmes de valeurs de
l’anti-conformisme, de la liberté d’être, et de la virilité masculine qui sont exprimés dans la
publicité. En terme de conclusion, on peut dire que la présence sensible du sens se traduit par
une intensité et une étendue particulières qui sont organisées lors de la prise de position de
l’énonciataire. L’intensité correspond à la tension entre l’énonciataire et le monde, ce qui est
visé, et l’étendue correspond à l’ampleur du champ conceptuel qui est saisi pour résoudre
cette tension.
Une des conséquences de cette perspective tensive est de faire passer la représentation de
l’opposition privative comme un axe entre « présent versus absent », à une double opposition
entre « diffus versus concentré » et « vague versus précis ». Fontanille (2003) propose alors
de représenter les éléments de la signification comme un nuage de points entre deux axes
d’intensité et d’étendue. Par le repérage des manières avec lesquelles la visée et la saisie sont
corrélées, positivement ou négativement, fortement ou faiblement, on peut placer les 4
principaux styles de catégorisation en fonction de leurs gradients dans le monde du
perceptible et du sensible (voir figure 4).
Figure 4 – Les 4 principaux styles de catégorisation
« File »
« Série »
Axe de l’intensité
VISEE
« Agrégat »
« Famille »
Axe de l’étendue
SAISIE
Ces styles de catégorisation sont la « file » (réunion derrière un chef de file, le meilleur
exemplaire), la « série » (réunion par un ou plusieurs traits communs), la « famille » (réunion
par un « air de famille ») ou l’ « agrégat » (réunion autour d’un terme de base). Toujours
spécifiques au discours ou à la culture étudiée, ces styles de catégorisation doivent être connus
à la fois pour construire un message adapté à la culture de la cible visée et au média utiliséx, et
pour comprendre le point de vue des actants d’un phénomène. Dans ce dernier cas, ces styles
de catégorisation représentent une forme de « grammaire » permettant de « traduire » plus vite
le sens que les consommateurs attribuent à une pratique de consommation ou à un texte
commercial.
D’un point de vue pratique, les structures tensives permettent de réaffirmer le rôle essentiel de
la position de l’individu récepteur du message et sur son rôle dans l’énonciation. Si
l’énonciateur, son concepteur, analyse et prévoit les actes élémentaires de la visée et la saisie
qui seront opérés par l’énonciataire pour construire l’espace intelligible, il reste toujours une
part d’imprévisible. En raison de son contexte personnel, du macro contexte de la réception, le
Les dimensions du sensible et de l’intelligible
Le domaine de l’expression
lecteur a toujours une saisie imparfaite de ce qui est visé par l’énonciateur, qui lui a construit
un message sur la base d’une réception dans des conditions idéales (Ceriani, 2003). Par le
rappel du rôle du contexte de l’énonciation du message, il s’agit là d’affirmer la nécessité
d’une analyse contextualisée des messages et des phénomènes. Ainsi, grâce à la mention d’un
scénario de lecture (« vous êtes un dimanche après midi, à la maison et… »), ou par la
création d’environnements s’approchant le plus du contexte réel de la future réception du
message (magasin test pour un nouveau packaging, univers virtuels pour les évaluations d’une
publicité 4X3…), les dimensions sensibles de l’intensité et de l’étendue seront les plus
proches de la réalité et, par suite, les constructions de la signification faites par les répondants
d’un pré-test pourront plus aisément être envisagées comme ce qui sera effectivement traité et
compris par les consommateurs.
En terme de conclusion, le tableau 2 récapitule, selon les manières d’aborder les phénomènes
signifiants, les principes et conséquences sur l’analyse du sens.
Tableau 2 – Les fondamentaux de l’analyse du sens
Mode d’appréhension de l’analyse du sens
Fondamentaux
Conséquences pour l’analyste
Les structures binaires
Les catégories sémantiques sont construites par des système d’oppositions.
� Rechercher les oppositions � Vérifier l’isotopie sémantique � Valider le principe de contrariété privative
L’analyse ternaire Il existe différents niveaux
d’appréhension de la signification.
� Distinguer dans le texte ce qui est virtuel, actuel (actualisé) et potentiel.
� Identifier l’instance de l’énonciation: quelle est la prise de position du sujet récepteur (réelle /idéale) en fonction du contexte et du macrocontexte ?
L’approche tensive
La catégorie sémantique est polarisée. Le niveau de présence et la saisie de la signification est soumise aux évènements du discours.
� Dé-discrétiser l’opposition privative en deux axes continus
� Relever les évènements du discours pour évaluer leurs impacts sur la présence et la saisie du sens
� Repérer les variations dans la perception sensible
� Définir l’intensité et l’étendu des univers de sens abordés
Après ce rappel des fondamentaux de la sémiotique, la seconde partie présente les principaux
outils et la démarche à suivre pour les mettre en œuvre.
II- L’UTILISATION DE LA SÉMIOTIQUE
La sémiotique étant une méthode, un « faire » disait Greimas, elle a développé des outils et
concepts opératoires pour atteindre ses objectifs. Quand le chercheur en marketing devient
utilisateur de la méthode, son propos n’est pas de participer à l’établissement d’une théorie
générale de la production et de l’interprétation des signes, mais d’utiliser ces outils et
concepts au service de ses propres objectifs. Pour ce faire, deux modes d’approche sont
disponibles. Le premier vise la compréhension du sens de certaines pratiques et
comportements à partir des « textes » récoltés sur ces pratiques et comportements. Il s’agit de
partir du manifesté pour comprendre le sens sous-jacent, ce qui reprend l’idée de la
condensation du sens. Le second mode d’approche s’attache à repérer, via l’utilisation de
schémas narratifs et discursifs canoniques, les modalités d’expression du sens. Connaissant
les programmes d’action sous-jacents qui préexistent à tout texte, il s’agit de voir de quelle
manière ils se manifestent dans le cadre précis du « texte » analysé (publicité, récit de
consommation, discours d’un chef d’entreprise, d’une personnalité politique, …). Comme le
chercheur part d’une structure connue du sens pour identifier comment les significations sont
déclinées et exprimées dans un récit, il est question de la dilatation du sens.
Dans un cas comme dans l’autre, le « texte » reste le matériau de base de l’analyste. Cette
tradition trouve son explication dans l’origine linguistique des premières réflexions
sémiotiques. Toutefois, dans le cadre de l’extension de ces champs d’application, il faut
désormais considérer qu’un texte peut être autre chose qu’un texte littéraire. Après avoir
précisé ce que l’on entend par « texte » dans le cadre d’une analyse sémiotique et la manière
de l’obtenir, les outils sémiotiques de condensation et de dilatation du sens sont présentés.
1. Le matériau d’étude
1.1. Le principe méthodologique : « Hors du texte, point de salut ». L’analyse sémiotique consiste à analyser les structures de sens d’un texte en repérant les
récurrences narratives, les similitudes des programmes d'action, l'identité des valeurs et en
cherchant en quoi celles-ci sont niées par d'autres programmes d'action. Dès lors, « Hors du
texte, point de salut » (Greimas, 1966), il faut disposer d’un texte. Le texte étant ce qui sera
appréhendé à propos des faits et phénomènes à analyser.
Si tel un comportement, le phénomène n’est pas immédiatement exprimé par un texte, il faut
donc le transcrire en une structure narrative. C'est ainsi que FLoch dans son étude sur les
comportements de fréquentation d’un hypermarché (1989) ou dans celle sur le métro parisien
(1990), a obtenu des discours (des micro-récits) sur les trajets et comportements effectués à
partir d’une observation détaillée et d’une notation rigoureuse des différentes phases du
parcours au sein du lieu étudié.
Ainsi, un comportement mais aussi un film, un échange téléphonique, une publicité, etc,
peuvent être considérés comme des objets d’analyse sémiotique dès lors qu’ils peuvent être
abordés comme un « texte », c'est-à-dire qu’ils remplissent trois conditions : ils doivent
posséder une entrée et une clôture ; ils peuvent être l'objet d'une segmentation en différents
moments spatiaux, temporels ou actoriels (prenant en compte l'apparition ou la disparition des
autres acteurs en jeu) ; et ils sont caractérisés par une orientation puisque l’on peut y repérer
une suite finalisée entre le début et la fin.
Lorsque Floch présente son étude sur les comportements des voyageurs du métropolitain
parisien (1990), il détaille comme suit. Premièrement, ces comportements possèdent une
entrée et une clôture. A l’instar d’un récit, le début et la fin de l’expérience étudiée sont
clairement marqués et repérables. Ces entrées et clôtures de l’histoire peuvent être formalisées
par des entrées et sorties physiques comme les portes d’entrée d’un magasin ou d’une galerie
marchande, mais elles peuvent aussi être plus floues comme dans le cas d’une étude de la
totalité de l’expérience de magasinage. Comme il est coûteux de s’astreindre à observer le
comportement de l’individu depuis son départ de son domicile jusqu’à son retour, les
chercheurs préfèrent en général se centrer sur un lieu de shopping ou un magasin précis
(Lombart, 2001 ; Bonnin, 1999). Deuxièmement, ces pratiques soumises à retranscription
peuvent faire l'objet d'un fractionnement. Il peut être question de divisions spatiales et
temporelles mais aussi actorielles, c'est-à-dire des divisions qui prennent en compte
l'apparition ou la disparition des autres acteurs en jeu. Cette logique du découpage reprend
l’idée que la narration peut être étudiée à travers le scénario et les différentes scènes qui le
construisent. Troisièmement, ces comportements sociaux sont caractérisés par une orientation.
En accord avec le fait que la narration est toujours construite autour d’une intention de son
auteur, il s’agit de considérer que les comportements sont l'expression d'une certaine logique
de l’acteur, logique qu’il convient de découvrir et de comprendre.
A titre d’exemple, le tableau 3 montre comment on passe de la collecte des données
comportementales à leur traduction en un texte dans le cas de la fréquentation d’un centre
ville commercial.
Tableau 3 – Obtenir un « texte » : un exemple avec les comportements de fréquentation d’un centre ville
Etapes Exemple
1) Préparation et collecte des données
Un corpus de comportements de fréquentation dans un centre-ville commercial
Choix des modes de collecte
Trois modes de collecte : a) Enregistrements vidéo avec retranscriptions manuelles immédiates b) Dessins schématiques du parcours réalisé dans le lieu (notation papier crayon avec minutage) c) Interviews (en cours, à la fin ou après) : questions ouvertes + demande d’un dessin du parcours effectué � Nature du corpus :
� Créés par l’enquêteur = comportements, récits, dessins du parcours … � Obtenus du sujet = discours, réponses à des questions ouvertes, dessins du parcours
Définition des points d’entrée et de clôture du phénomène
Précision sur la cible : Les non habitants du centre ville �Délimitation infra communale de la zone étudiée et des points d’accès :
� accès piétonnier (rues limitrophes) � accès par les transports en commun et privés (bouches de métro, arrêts de bus, parkings)
2) Traduction du phénomène en texte
et
Données contextuelles
� Retranscription ex-post : Rédaction d’un texte représentant le récit du parcours à partir des éléments a) et b) récoltés � Données « objectives » complémentaires : - Repérage des limites et caractéristiques d’usage des zones : % d’espace couvert, qualification des espaces selon leur taux d’occupation temporelle, en nombre de sujets,… - Questionnements auprès des répondants : Caractéristiques sociodémographiques et description du contexte de la pratique (motivation de venue, accompagnants, sexe, âge…) - Notation des caractéristiques macro-contextuelles : jour de la semaine, météorologie, animation culturelle ou commerciale…
Il arrive que la mention à cette phase de retranscription ne soit pas décrite ou explicite. Cet
oubli est regrettable car il peut donner à croire que cette étape n’est pas nécessaire. Elle est au
contraire fondamentale puisqu’elle permet de formaliser selon une même procédure
l’ensemble des expériences et pratiques observées.
Cette retranscription implique une réécriture du phénomène par l’observateur qui font rentrer
en jeu des éléments subjectifs liés à son individualité. Cette subjectivité est une donnée depuis
longtemps acceptée en méthodologie qualitative où l’on considère qu’il est moins dangereux
de l’intégrer comme une des variables de l’équation plutôt que de la nier (Tissier-Desbordes,
1998). Dès lors, la notation du parcours par l’observateur étant une construction sur le trajet
que l’on ne peut éviter, deux types de précautions doivent être prises. La première est de
connaître les spécificités de l’observateur et de comprendre de quelle manière son
individualité peut influencer sa perception du phénomène à observer. Cette exigence de
compréhension des caractéristiques des observateurs, valable même dans la situation idéale de
triangulation des observateurs, se traduit par l’obligation de répondre à un questionnaire
descriptif des caractéristiques sociodémographiques, voire de personnalité, et de rédiger un
texte exposant ses points de vue, impressions et certitudes sur le phénomène11. Un entretien
de débriefing post-collecte est aussi utile pour repérer les prises de positions conscientes ou
inconscientes. Enfin, dans le cas d’observations étalées dans le temps, il est conseillé de faire
tenir un carnet de bord aux observateurs afin qu’ils puissent y exposer, sur le principe d’un
journal intime, leurs avis et humeurs sur le sujet d’étude et sur eux-mêmes. De cette manière,
à défaut de les éviter, les possibles biais de perception et de retranscription par les
observateurs sont identifiés et compris. Une seconde précaution tient dans les règles de
retranscription qui sont données. La transcription d'un phénomène non textuel en un micro-
2
récit doit en effet être réalisée de manière à s’assurer de la validité du corpus tel que cela est
détaillé dans le point suivant.
En conclusion, le sémioticien travaille toujours à partir d'un texte, qu'il s'agisse directement du
sujet de la recherche ou qu'il s'agisse d’une transcription narrative (élément intermédiaire)
d'une manifestation signifiante observée (le sujet de la recherche). Que la nature textuelle soit
première ou seconde, les exigences relatives au corpus restent identiques.
1.2. Les contraintes relatives au corpus
Selon Roland Barthes (1985:80-81), un corpus est valide sous conditions d’être homogène et
représentatif. De son côté, Baudrillard (1968) insiste sur la nécessité de prendre en compte le
contexte quitte à le traiter, lui aussi, de manière textuelle. Ces trois contraintes et les moyens
d’y répondre sont détaillés comme suit.
Répondre à l’exigence d’homogénéité passe en particulier par la définition d’une forme
narrative commune à l’ensemble des unités du corpus. Cela peut consister à choisir des
discours publicitaires qui utilisent le même média (publicités télévisées en un seul épisode ou,
au contraire, publicités télévisées avec teasing) mais cela passe aussi, dans le cadre d’une
retranscription d’un phénomène, par le respect de règles de retranscription. Ces règles doivent
permettre en particulier de retranscrire le phénomène sous une même forme narrative (récits
ou micro-récits identiques) pour répondre à l’exigence d’homogénéité du corpus. En
complément de l’homogénéité narrative, l'homogénéité temporelle doit aussi être observée
pour éviter les effets historiques.
Pour obéir au principe de représentativité, le chercheur doit s’obliger à choisir des
énonciateurs (consommateurs, narrateurs, journalistes, publicitaires, experts, etc) différents en
fonction de critères pertinents et adaptés à sa recherche. Pour ce faire, il peut varier les lieux
de sélection des acteurs qui seront sollicités pour raconter leur histoire. Il peut aussi varier les
lieux et moments d’observation dans le cas de comportements sociaux à retranscrire. Il peut
3
enfin varier les sources de ces récits et narrations qui seront à étudier par exemple en
choisissant des articles issus de revues et magazines différents, etc. Ceci répond aux conseils
de multi angulation des perspectives adoptées dans le cadre des explorations qualitatives.
Enfin, pour justifier la prise en compte du contexte du phénomène, il faut garder en mémoire
le fait suivant. Le récit raconté par le consommateur quand il parle d’un produit, d’une
marque, d’une entreprise ou d’une expérience de consommation est à l’interface entre sa
culture, dimension contextuelle et générale, et ses croyances, désirs et espérances, dimension
individuelle. Aussi, ce récit est un révélateur des pensées de l’individu dans le contexte précis
du moment et du lieu où elle est racontée. C’est en partie grâce et par le contexte que la
narration prend tout son sens. Il faut donc l’intégrer dans l’analyse, ce qui peut exiger de le
verbaliser à son tour. Souvenons-nous qu’un texte n’est pas seulement une manifestation
langagière, mais une manifestation langagière dans un certain contexte (Marti, 2003). Ainsi,
et tel que cela a été présenté pour la fréquentation d’un centre ville (tableau 3), il est essentiel
de conserver des informations sur les caractéristiques contextuelles. Ces données de contexte
et de macro contexte peuvent en effet offrir des perspectives de compréhension et
d’explication du phénomène.
2. La condensation du sens : du discours aux structures profondes
2.1. Le modèle du carré sémiotique
Le carré sémiotique est un modèle sur les conditions minimales de production et de saisie de
la signification, constitué d'éléments statiques (les positions différentielles), et d'éléments
dynamiques (les parcours réalisables selon certaines règles). Il permet d’organiser la
cohérence d'un univers conceptuel en permettant la prévision des parcours et positions
possibles du sens selon les trois relations logico-sémantiques et les deux opérations qu’il
résume.
4
Ces relations et opérations, exposées dans la figure 4, sont comme suit : 1- la relation
horizontale, celle de la contrariété, correspond à l'axe sémantique ; 2- la relation oblique, celle
de la contradiction, est établie par l'opération de négation. ; 3- la relation verticale, celle
d'implication (ou de complémentarité), est obtenue à partir de l'opération d'assertion.
Figure 5- Les relations et opérations du carré sémiotique
Légende : Structure du carré sémiotique :
Relations : o Contrariété o Contradiction o Implication
« Trait B » « Trait A »
Pas « Trait A » Pas « Trait B »
Opérations :
o Négation
o Assertion
« Trait B » « Trait A »
Pas « Trait A » Pas « Trait B »
Le carré sémiotique est donc un modèle simple et économique qui permet de rendre compte
de l’interprétation du chercheur de manière cohérente, exhaustive et simple (Marion, 2003).
Revers de la médaille, le fait qu’il comprenne en tout et pour tout, deux opérations et trois
relations explique les critiques dont il a pu faire l'objet, sa structure étant parfois jugée trop
élémentaire, voire simplificatrice ou réductrice. Pour contrebalancer cette impression, il
convient de rappeler deux de ses qualités majeures.
En premier lieu, l’utilisation du carré sémiotique oblige à une très grande rigueur. En effet, en
le maniant, il faut faire l'effort de suivre le principe d'isotopie et de s’assurer de la cohérence
systémique. Cela signifie que les éléments étudiés doivent présenter une homogénéité de
5
niveau créée par l'itération d'une même unité de sens tout au long du texte, ce qui n’est pas
toujours aisé. De même, il faut vérifier la cohérence interne du système. Ce test de la
cohérence interne du carré sémiotique est aussi un travail formel de lexicalisation logique qui
s’avère très utile pour établir des définitions performantes sur les concepts constitutifs d’un
phénomène (Darpy, 2000).
En second lieu, la construction du carré sémiotique suggère et favorise l’établissement de
typologies. L’idée est qu’il y a présupposition réciproque entre sujet et objet. Ainsi, le
chercheur considère que ce qui est manifesté aux quatre positions maîtresses du carré
présuppose quatre types d’acteurs sociaux et/ou de comportements sociaux. Quand cette
possibilité est utilisée en marketing, le carré sémiotique est « un moyen et non une fin »
(Marion, 2003). Toutefois, deux limites ou précautions doivent être soulignées. Premièrement,
la typologie obtenue reste « virtuelle » dans le sens où un même consommateur a de fortes
chances de ne pas investir seulement un type de valeur au cours de ses expériences de
consommation. Comme le rappelait Floch (1989) dans le cas de la visite d’un hypermarché,
on retrouve ici la distinction entre acteurs et actants: « chaque consommateur fréquentant
l'hypermarché est un acteur, un "personnage", conjuguant au moins un rôle thématique (mère
de famille, épouse, femme "active" si l'on prend l'exemple de la consommatrice), et au moins
un rôle actantiel ([...] sujet d'un programme d'action logistique, et/ou sujet d'un programme
ludique, utopique... ». Les types identifiés ne correspondent donc pas nécessairement à des
segments de consommateurs mais à des logiques de consommation qui sont différemment
appropriées par les consommateurs. Deuxièmement, le nombre prédéfini et limité d’une
typologie composée, toujours et seulement, de quatre types peut poser un problème. Dans ce
cas, le chercheur en marketing va s’appuyer sur le carré sémiotique mais aussi s’en affranchir.
Il utilise les 4 positions du carré sémiotique pour situer certains des types de la typologie, et
place les autres, si le nombre de types préalablement observés dépasse quatre, aux
6
emplacements qui leur correspond le mieux. Ainsi, dans le cas d’une typologie des
consommateurs vis-à-vis du packaging, Dano (1998) place deux types sur l’une des positions
axiologiques du carré quand, à propos des logiques de consommations dans les espaces
culturels, Petr (1997, 1998) opère un « dépliage » du carré sémiotique sur la base d’une
interprétation attitudinale unidimensionnelle du phénomène.
7
2.1. L’utilisation du carré sémiotique
La figure 6 résume la démarche d’utilisation du carré sémiotique. Dans un premier temps
(phases A et B), il s’agit des étapes de la démarche d’identification du sens depuis les données
collectées jusqu’à la construction du carré sémiotique. Dans un second temps (phases C et D),
ce schéma souligne la nécessité du retour aux données initiales.
8
Le retour au corpus est doublement justifié. Premièrement, il est fondamental de vérifier
la validité12 des interprétations proposées en les soumettant à l’épreuve des données. Le
principe est de proposer une interprétation du phénomène et de la confronter aux données du
corpus13. L’interprétation axiologique dont les isotopies ont été au préalable vérifiées en se
référant à des dictionnaires linguistiques et dont les quatre positions axiologiques répondent
bien aux exigences de la construction logico-sémantique et systémique du modèle (phase B,
étapes 5 et 6), est donc soumise à une vérification par un retour aux données initiales. En
particulier, le chercheur doit retrouver au sein de chacun des modes d’expression sensibles du
phénomène (identifiés et classés en typologie à l’étape 3), des éléments qui caractérisent et
expriment effectivement les valeurs (positions axiologiques) auxquels chaque mode se réfère.
Cette tâche, difficile pour le chercheur dans la mesure où il s’agit de potentiellement rejeter
l’interprétation qu’il a faite du phénomène, passe en particulier par la présentation des
résultats à ses pairs (workshops intra ou inter universités et laboratoires) et par la récolte de
leur remarques. L’absence d’investissement dans la recherche et le recul dont ils peuvent faire
preuve, leur permettent de relever les défauts de cohérence logique de l’interprétation. Source
de déstabilisation, ces échanges sur une « interprétation en devenir » permettent cependant
son amélioration. Cette démarche est nécessaire jusqu’à ce que l’on puisse dire que
l’interprétation systémique fonctionne correctement, ou de manière humoristique, que « le
carré tourne ».
Deuxièmement, le retour aux données sensibles est pertinent pour celui qui situe l’analyse
sémiotique comme l’une des étapes intermédiaires d’un programme de recherche. Elle va lui
permettre de construire des hypothèses et d’identifier des axes de recherche complémentaires.
Quand elle vise ainsi à rendre intelligible des phénomènes complexes, les résultats
d’interprétation sémiotique ont pour mission d’aider le chercheur à aller plus avant dans
l’analyse du phénomène qui l’intéresse. Dans ce contexte, ils peuvent l’aider à identifier un
9
critère de segmentation d’ordre phénoménologique. Qu’il soit question des discours sur la
relation et la perception d’une marque, sur les relations avec un des attributs exogènes du
produit, ou sur l’observation de comportements de fréquentation, l’interprétation de
l’opposition sémantique structurante permet souvent de faire émerger la variable retraçant les
variances du phénomène. Mesurée par des indices comportementaux ou textuels (en fonction
des données collectées), ou par une échelle de mesure psychométrique, construite et testée a
posteriori, cette variable constitue alors un critère pertinent pour segmenter les individus. Par
suite, quand le chercheur connaît l’appartenance principale des individus aux segments, toutes
les analyses complémentaires (descriptives, explicatives, prédictives ; qualitatives ou
quantitatives) permettant d’affiner la connaissance et la compréhension du phénomène et
favorisant l’application ultérieure de stratégies de marketing différencié, sont possibles.
Enfin, une application de la condensation du sens qui n’exige pas d’aller jusqu’au bout de
l’interprétation logico-sémantique par le carré sémiotique, est d’orthogonaliser les oppositions
sémantiques les plus saillantes sur un plan (mapping) pour ensuite y positionner, non pas les
consommateurs, mais les entreprises ou les marques. Ceci permet d’améliorer le
positionnement des marques et de définir des positionnements qui apparaissent inexploités
(Fritz, 1994, cité par Pasquier, 1999). On retrouve ici un exemple de la sémiotique générative,
celle qui vise à agir sur les phénomènes de consommation, à la différence de la sémiotique
compréhensive dont la mission s’arrête à l’établissement d’une intelligibilité des
significations associées aux phénomènes étudiés.
3. La dilatation du sens : vers les structures de surface
31. L’analyse narrative : l’analyse de l’histoire
L’analyse de la structure narrative du récit consiste à rechercher dans un récit (publicité,
discours écrit ou oral de consommateur, documents diffusés par l’entreprise,…) les logiques
qui y sont à l’œuvre ainsi que les principes de leurs transformations.
10
La réalisation d'une analyse narrative est subordonnée à l'acceptation de quatre principes. Le
premier est qu’il existe une forme canonique valable pour la notation de tous les énoncés
narratifs, ce que l’on appelle le schéma narratif (P1). Ce schéma propose donc une structure
qui reprend la façon dont le récit est organisé en une suite ordonnée d'épisodes formels
interdéfinis. L'identification de ces épisodes et de la logique de leur succession s’effectue par
une lecture à rebours du texte. Dans le cadre du schéma de la quête, qui a été diffusé grâce
aux travaux de Greimas, ce schéma est une réécriture des conclusions de Propp (1970) à
propos de la structure des contes populaires russes. Ce chercheur avait relevé d’une part,
l’existence de 31 fonctions14 attribuables aux éléments d’une narration, que ce soit des choses,
des animaux ou des êtres humains, et d’autre part le fait qu’elles soient enchaînées de manière
très stéréotypée sur le modèle suivant : contrat, compétence, performance, sanction (voir
figure 7).
Figure 7- Le schéma narratif de la quête
Contrat
Dans le cadre d'un système de valeurs, proposition par le
Destinateur et acceptation par le Sujet d'un
programme à exécuter
Compétence Acquisition de l'aptitude à réaliser un programme, ou "épreuve qualifiante"
Cette aptitude se décompose en 4 modalités :
1) devoir (les "obligations")
2) vouloir (le "désir ou volonté)
3) savoir (l'expérience par exemple)
4) pouvoir (les moyens acquis ou offerts)
Performance Réalisation du
programme, ou "épreuve décisive"
Sanction
Comparaison du programme réalisé avec le contrat à
remplir :
- "épreuve glorifiante" (côté Sujet)
et
- "reconnaissance" (côté Destinateur/Judicateur)
Source : FLOCH, 1990.
11
Le second principe est qu’il existe des projections paradigmatiques au sein du récit (P2). Ces
projections correspondent à des couplages à distance de certaines fonctions entre elles. Par
exemple, on peut repérer des couples comme « départ -versus- retour», « création d’un
manque -versus- annihilation du manque », etc. Ces projections recouvrent le déroulement du
récit pour permettre le développement de l’intrigue15. En l’absence de contiguïté textuelle,
c’est donc une fois la totalité de la lecture effectuée, une fois l’intégralité du récit raconté ou
visionnée, que le repérage de ces fonctions organisatrices du discours est possible.
Le troisième principe est qu’il existe une intentionnalité du discours narratif (P3). Cette
intentionnalité s’observe par une relecture centrée sur la logique de l'agencement du récit.
C'est ainsi que, dans le schéma narratif de la quête (Figure 7), la récurrence et la progression
des épreuves que le héros réalise, ce héros pouvant être une marque (Heilbrunn, 1998),
trouvent leur signification lorsque le sujet se rend compétent avec l'épreuve qualifiante, puis
lorsqu’il s'accomplit grâce à l'épreuve décisive, et enfin, lorsqu’il obtient la reconnaissance de
ce qu'il a fait lors de l'épreuve glorifiante.
Enfin, le quatrième principe est que le parcours du sujet n'a un sens qu'en fonction du
parcours, possible ou réel, d'un anti-sujet (P4). Tel que le présente le tableau 4, dans le
schéma de la quête, cet autre sujet est l’anti-héros, les épisodes précédents sont l'engagement
du héros et l’acquisition de ses performances, et l’épisode suivant est la sanction. Dans le
schéma de l’épreuve, cet autre sujet est l’opposant (ou sujet B) et les épisodes sont,
précédemment, la confrontation des sujets et de leurs programmes d’action et la mise en
évidence d’une nécessaire confrontation pour l’obtention d’un objet désiré (le choix final du
consommateur dans le cadre d’une publicité comparative, sa préférence dans le cadre d’une
concurrence) ; et subséquemment, l’appropriation de l’objet désiré pour le vainqueur et la
dépossession pour le vaincu.
12
Tableau 4 – les schémas narratifs canoniques et leurs principales alternatives
Les schémas Les épisodes Descriptif
1) Le schéma de
l’épreuve
1) Confrontation 2) Domination 3) Appropriation / dépossession
Schéma général : la rencontre entre deux programmes narratifs concurrents : deux sujets se disputent un même objet (antagonisme) 1) la mise en présence des actants et de leurs programmes 2) la comparaison des forces, l’opposition et la prise de position dominante de l’un des sujets 3) l’acquisition de l’objet de désir par l’un et la dépossession pour l’autre (un vainqueur et un vaincu)
1b) Les schémas
alternatifs de
l’épreuve
a) Le schéma de
collusion
b) Le schéma de
dissension
c) Le schéma de
négociation
Toujours deux sujets qui s’affrontent mais dans une relation à l’identité
a) les deux sujets acceptent de se réunir (échange de traits d’identité et
de bons procédés)
b) l’un des sujets revendique une position, des traits d’identité et des
programmes différents de l’autre (cohabitation)
c) les sujets rapprochent leurs positions et identifient des traits
d’identité et des programmes communs (création d’une
intersubjectivité)
2) Le schéma de
la quête
1) Contrat (Manipulation) 2) Compétence 3) Performance 4) Sanction (Conséquence)
Schéma général : Mise en relation de 4 types d’actants : le Destinateur et le Destinataire, le Sujet (souvent le Destinataire) et l’Objet. L’apport de ce schéma par rapport à celui de l’épreuve est d’offrir un niveau axiologique dans le récit : le Destinataire accepte les valeurs (définition et actualisation des valeurs du Destinateur) pour donner un sens à son parcours en tant que sujet. Le modèle culturel sous-jacent est celui du manque. Détails via les épisodes : 1) Acceptation d’un programme à réaliser 2) Acquisition des compétences nécessaires 3) Réalisation du programme 4) Evaluation de la réalisation
2b) Les schémas
alternatifs de la
quête
a) Les schémas de
la satiété
b) Les schémas du
pharmakon
a) la répétition et l’accumulation des objets leur font perdre leur valeur,
leur présence devient oppressante, il y a désir de fuite et recomposition
(récit de plénitude), désir d’apprendre à canaliser la présence
envahissante des objets (récit de tri/mérite), désir d’inventer de
nouveaux systèmes de valeurs en vue de quêtes inédites (récit
d’inanité/quête du risque, récit de vacuité/quête de la dégradation)
b) le médicament est aussi un poison : le sujet doit donc par des
parcours de résistance, de contention ou de mérite, parvenir à préserver
la présence bénéfique de l’objet et empêcher la présence maléfique
Source : Adapté de Fontanille (2003)
Ainsi, c'est au moment de l'étude du noyau central du récit (la performance du héros dans le
schéma canonique de la quête ; la domination dans le schéma canonique de l’épreuve), que les
épisodes précédents du récit se comprennent par comparaison avec le parcours, intégré au
récit ou seulement supposé, d'un autre sujet. N'oublions pas que le sens n'émerge que grâce à
l'échange et à la comparaison entre les signes choisis et ceux non choisis (ceux choisis
respectivement par les deux sujets : héros et anti-héros pour la quête, sujet A et sujet B pour
l’épreuve). Aussi, idéalement, il faut dédoubler le récit en fonction du sujet et de l'anti-sujet.
13
De cette façon, on croise les deux parcours et les deux logiques de valorisation pour identifier
l'encadrement axiologique général.
En complément de ces deux schémas canoniques qui permettent d’analyser la majorité des
discours, il existe des schémas alternatifs. Rapidement décrits dans le tableau 4, ils ouvrent
des perspectives analytiques pour les discours publicitaires originaux tels ceux du marketing
social sur la lutte sanitaire contre les addictions comportementales (tabac, alcool, drogues
illégales) et contre les déviances comportementales (maltraitance, incivisme, etc). De plus, ces
schémas alternatifs peuvent aider à comprendre des discours de consommateurs qui
positionnent certains de leurs actes et de leurs opinions en dehors du modèle culturel
dominant du « manque à combler » (Fontanille, 2003). Dans ce modèle culturel des années 60
et 70, qui a été le cadre de développement des schémas canoniques présentés, le sujet narratif
sait, ou découvre au fil du récit, l’existence d’un objet de valeur dont le manque déclenche la
quête ou oblige à l’épreuve. Depuis, le modèle culturel dominant a perdu de son impérialisme
et des discours alternatifs foisonnent. Alter mondialisme, retour aux valeurs de lien, négation
ou déni du matérialisme, autant de modes d’expression d’une évolution ou d’une
transformation du cadre culturel dans lesquels les individus s’inscrivent. Dès lors, le
chercheur en comportement du consommateur a intérêt à connaître ces schémas alternatifs
que les sémioticiens ont repérés et analysés au sein d’autres sources de littérature. Ce sont des
outils de lecture, des grilles analytiques, des phénomènes de consommation particulièrement
intéressants. Le chercheur peut alors évaluer le potentiel de chacun des schémas narratifs dans
la compréhension du phénomène qu’il étudie, sélectionner le plus performant en terme d’outil
compréhensif. Il peut aussi s’attacher à identifier quelles sont les variables individuelles ou
contextuelles qui donnent lieu à des points d’inflexion ou des ruptures dans l’usage par le
consommateur de tel ou tel schéma narratif.
14
En terme de synthèse, rappelons que l’analyse du schéma narratif consiste à repérer les
logiques d’un récit et les principes de transformations. Ceci est d’autant plus aisé que la
position de l’instance de discours coïncide avec la phase terminale dans la mesure où la fin du
discours neutralise tous les possibles par la réalisation d’une signification unique. L’analyste
peut alors chercher les transformations qui ont été accomplies sur la base de faits relativement
objectivables. En revanche, lorsque l’on prend l’option d’une analyse du « discours en acte »,
des schémas analytiques complémentaires doivent être appelés.
32. L’analyse discursive : l’analyse du « discours en acte »
Avec l’analyse du discours en acte, l’idée d’un processus continu de prise de position est
envisagée. Il n’est plus seulement question du résultat : le bon a tué le méchant, la princesse a
trouvé son prince, la consommatrice est satisfaite de la crème X qui lui fait la peau douce ou
récompensée par le sourire de ses enfants quand elle leur a offert les friandises Y. Désormais,
les évènements qui rythment l’histoire sont eux aussi importants et pris en compte.
Cette approche s’intéresse aux modalités de l’énonciation. Dès lors, les évènements qui
rythment un texte sont importants pour leurs effets sur le sujet récepteur et sur l’orientation
subséquente qu’ils impriment à ce sujet dans la suite de sa prise de position et donc, dans
l’étendue et la visée qu’il consacre à la suite du message. L’intérêt de ce type d’approche est
de permettre aux outils sémiotiques d’analyser des processus pour lesquels auparavant ils
n’étaient pas préparés. Ainsi, les figures humoristiques ou angoissantes introduites dans des
messages publicitaires étaient difficilement traitées alors que, dans le cadre français, l’usage
de l’humour dans la publicité est ancien et courant, et que l’usage de la peur augmente pour la
défense des causes sociales (Gallopel, 2002).
Dans ce contexte de l’analyse des évènements du discours et de leurs effets sur l’énonciataire,
l’étude du discours propose l’analyse de trois niveaux différents16 : celui de l’action, celui de
la passion et celui de la cognition.
15
Le niveau d’analyse de l’action va consister à repérer les différents programmes d’action en
remontant les parcours de transformation à partir des résultats obtenus et attendus. Ceci n’est
pas distinct de la démarche analytique narrative, si ce n’est que l’introduction de la
perspective tensive suggère de centrer la recherche des transformations sur l’actant (agent,
bénéficiaire, objet) en observant en priorité la nature de la relation qu’il entretient avec la
force transformatrice (En est-il le siège, le vecteur ou l’objet ? Est-il favorisant, opposant ou
acceptant ?). Il s’agit ainsi de repérer où est située la force de transformation ainsi que ses
opposants et ses favorisants. Sachant que la victoire a d’autant plus de valeur que la résistance
est considérée comme forte, certains discours publicitaires insistent au début de leur histoire,
sur la position plutôt défavorable ou dubitative de l’actant vis-à-vis du produit.
Le niveau d’analyse de la passion s’attache à ce qui est éprouvé par l’énonciataire, au ressenti,
aux effets de discours qui contribuent à créer une expérience sensible, et va dès lors
s’intéresser à la rhétorique et à la stylistique. Parmi les schémas élémentaires intéressants à
repérer à ce niveau d’analyse, il y a les différents schémas de tensions et la présence possible
du schéma passionnel canonique. Les schémas élémentaires de tensions sont l’amplification,
l’ascendance, l’atténuation, et la décadence (voir tableau 5).
16
Tableau 5- Les schémas élémentaires de tension
Dénomination
et effets tensifs
Relations entre la visée (le
sensible) et la saisie
(l’intelligible)
Exemples
Le schéma descendant ou
schéma de la décadence : L’abaissement de l’intensité conjugué au déploiement de l’étendue procure une détente cognitive
Intensité (visée)
Etendue (saisie)
� Partir d’un choc émotionnel, d’un accent d’intensité pour ensuite proposer une explicitation.
Dans une affiche, l’accroche est le concentré d’intensité, qui est développé ensuite par le reste de texte et de visuel Modèle des comédies
Le schéma de
l’ascendance : L’augmentation de l’intensité conjuguée à la réduction de l’étendue procure une tension affective
Intensité (visée)
Etendue (saisie)
� Conduire progressivement à une tension finale qui doit s’exprimer avec éclat
� Principe de la « chute » dont l’inattendu va imposer une relecture cognitive de l’ensemble du parcours (remise en cause) et qui réactive l’émotion
Proposer une montée progressive de la peur, créer du suspense, …
Le schéma de
l’amplification : L’augmentation de l’intensité conjuguée au déploiement de l’étendue procure une tension affective et cognitive
Intensité (visée)
Etendue (saisie)
� Faire augmenter de concert l’information et l’émotion : l’accroissement de l’information ne provoque pas d’abaissement de l’intensité
Principe de « l’emphase » Modèle des tragédies
Le schéma de
l’atténuation : L’abaissement de l’intensité conjuguée à la réduction de l’étendue procure une détente générale
Intensité (visée)
Etendue (saisie)
� Aller vers des positions neutres : rendre l’intensité la plus faible possible et proposer des informations les plus génériques possibles
Peu d’usages en communication commerciale Utile dans le cadre de la gestion de conflits et réclamations clients
Source : adapté de Fontanille (2003 :111-112)
Ces schémas élémentaires se combinent pour donner lieu à des séquences discursives plus
élaborées qui servent l’intention de signification de l’énonciateur. Ainsi, les auteurs de
tragédies classiques utilisaient une séquence en trois phases : l’ascendance, l’atténuation puis
l’amplification. De nombreuses autres séquences discursives étant possibles, charge à celui
qui analyse le message commercial d’identifier celle utilisée. Dans une perspective de
sémiotique générative, le concepteur du message doit choisir et construire la séquence qui
convient le mieux au triptyque intention de signification - cible - média. Pour l’aider dans
17
cette tâche créatrice, il peut se référer au schéma canonique passionnel que nous propose
Fontanille (2003). Ce schéma comprend 5 actes : l’éveil, la disposition, le pivot passionnel,
l’émotion et la moralisation. L’éveil est le moment où l’actant est touché ; la disposition
correspond à la phase où l’actant prouve sa capacité à rentrer dans le schéma passionnel (de
l’imagination pour un jaloux par exemple) ; le pivot passionnel est le moment de la
transformation (le jaloux suit-il ses certitudes et va-t-il exprimer sa jalousie à l’être aimé ou
choisit-il d’accepter un possible abandon ?) ; l’émotion est la conséquence observable du
pivot passionnel (expression dans son corps et dans ses actes : dépression, relâchement,
pleurs…) ; enfin la moralisation est le moment où l’actant fait le bilan de la passion qu’il a
éprouvé et l’évalue d’un point de vue axiologique. Cette dernière étape correspond en
définitive à la manifestation observable des valeurs qui sous-tendaient la passion mise en
récit. Dans le cadre d’une communication commerciale, c’est à ce moment là que les valeurs
de l’entreprise apparaissent clairement aux regards des consommateurs énonciataires. Dans un
contexte où les entreprises et les marques s’attachent de plus en plus à communiquer sur leurs
valeurs afin de se distinguer, l’usage de ce modèle canonique passionnel est tout à fait
approprié.
Pour finir, on notera que pour favoriser un éprouvé au sein d’un message publicitaire, on peut
aussi choisir de créer un malaise chez l’énonciataire en introduisant une déviance, ou en
insistant sur une incomplétude, par rapport au schéma passionnel ou narratif attendu. Sur le
principe, il faut proposer un message dont la structure narrative est a priori connue. Il peut
s’agir, par exemple, du schéma de la quête, mais pourtant, au lieu d’arriver à une sanction
positive pour le héros, on peut imaginer soit une sanction négative, soit un arrêt pur et simple
de l’histoire. Le fait de ne pas répondre aux attentes narratives en créant une rupture dans le
schéma attendu est alors une piste pour engendrer cette émotion négative que le responsable
d’une cause sociale essaie de créer et de faire transférer sur l’acte délictueux. Face à des
18
espaces publicitaires hyperconcurrentiels et surchargés, de plus en plus de responsables de
communication s’engagent dans cette voie et pas seulement dans le domaine social. La
recherche des ruptures, transgressions et déviances narratives devient une piste
supplémentaire pour attirer l’attention des consommateurs bien que leurs effets sur la prise de
position du consommateur énonciataire ne soient pas toujours envisagés et puissent être
inverses de ceux espérés.
Le dernier niveau d’analyse est celui de la cognition, celui qui s’attache à comprendre
comment l’actant du récit découvre et valorise les objets cognitifs, et comment l’énonciataire
les traite. Ces objets cognitifs appartiennent soit au domaine des savoirs, soit au domaine des
croyances. La différence entre le savoir et le croire étant l’existence ou non d’assomptions. Si
l’objet cognitif est comparé à d’autres savoirs pour en évaluer l’apport de connaissance, c’est
un savoir. S’il est intégré dans l’univers de croyance de l’actant, il y a assomption directe. S’il
est intégré à des univers de croyances assumés par d’autres actants sur la base de la confiance
qu’il leur accorde, il y a assomption indirecte. En cas d’assomption, directe ou indirecte,
l’actant s’inscrit dans le croire et non le savoir. Le pouvoir de crédibilité de l’actant
« croyant », qui peut être aussi bien un fanatique qu’un crédule, est nettement moins bon que
celui du « savant ». En terme de communication commerciale, il faut donc être vigilant sur les
actes de cognition des actants qui sont représentés. Idéalement, il est préférable de valoriser le
« savant » et de limiter le « croyant » (se référer à un scientifique en blouse blanche, croire ses
voisins…) même si, dans la culture publicitaire française, l’école de la démonstration
« savante » des qualités du produit semble moins utilisée que celle de l’esthétique
émotionnelle du message.
CONCLUSION
En préambule de cette conclusion, il convient de rappeler que cet article n’a jamais eu pour
ambition d’être une revue de littérature sur les travaux marketing qui utilisent les outils et la
19
méthode sémiotique. D’autres s’y sont déjà essayés et ont fort bien réussi. Reproduire
aujourd’hui cette entreprise aurait donc été inutile. En revanche, pour le lecteur qui souhaite
se pencher sur cette revue de littérature, nous lui conseillons vivement le travail collectif de
Mick et al. (2004). Outre la synthèse de plus de 600 travaux, cet article détaille les
problématiques et propose des voies de recherche futures quand il est question d’utiliser la
sémiotique pour analyser le sens dans le monde commercial. Ici, seuls quelques travaux ont
été cités pour répondre à des besoins illustratifs. Ils ont été choisis parce qu’ils permettaient
de pointer les possibilités de la méthode dans le cadre original de l’analyse des
comportements, ou parce qu’ils abordaient les modalités d’utilisation, dans la suite d’un
programme de recherche, des typologies et résultats compréhensifs que la sémiotique permet
d’obtenir, ou enfin, parce qu’ils donnaient à voir de quelles manières on peut utiliser avec
rigueur la méthode tout en s’affranchissant d’une utilisation trop rigoriste de ses outils17.
La sémiotique est utilisée de plus en plus régulièrement et facilement par les chercheurs et
praticiens du marketing. Elle ne se limite plus aux seuls travaux en communication, son
domaine initial de prédilection. Elle concerne désormais tous les domaines de la recherche
marketing. Mick et al. (2004) ont en effet montré que l’usage de la sémiotique concerne à la
fois des travaux relatifs au produit (design et fonctions), des travaux centrés sur les éléments
concourant au « tout commercial » du produit (packaging, noms de marques, logos, noms
d’enseignes, publicité), des travaux relatifs aux lieux, physiques et virtuels, d’achat et de
consommation (galeries commerciales, hypermarchés, magasins de détail, sites Internet,
restaurants, parcs d’attraction) et des travaux qui s’attachent à comprendre les expériences de
consommation, de possession et d’utilisation des produits (produits de loisirs tels les films, les
émissions télévisées, les jeux vidéo, mais aussi l’habillement et la mode, l’alimentation, et des
produits aussi divers que les véhicules, les jouets, les cosmétiques, les fournitures
domestiques, les timbres de collection, et même les animaux de compagnies).
20
Grâce aux évolutions constantes de ses outils et de ses perspectives théoriques, telles le
passage des positions à des points relatifs sur des différentiels tensifs et graduels et
l’acceptation du caractère dynamique des phénomènes, les champs d’applications de la
sémiotique ne sont étendus et répondent toujours mieux aux besoins des marketers. Ainsi, en
vertu du pluralisme épistémologique (Feyerabend, 1979), allant plus loin que Marion (2003)
qui déclare que « le carré sémiotique, utilisé comme un moyen et non une fin, est un
instrument heuristique qui mérite largement de faire partie de l’arsenal méthodologique », il
nous semble que c’est l’ensemble de la méthode et de ses outils qui mérite de faire partie de la
boite à outils du chercheur en marketing.
Pour autant, il ne s’agit pas d’être des fanatiques de la méthode. A l’instar de toute démarche
méthodologique, si la sémiotique présente des qualités, elle a aussi des déficiences. En
rappelant ici les unes comme les autres, il s’agit de permettre au lecteur d’envisager le choix
de la sémiotique, ou son renoncement, sur la base d’une évaluation raisonnée.
Selon Hirschman (1988), les qualités générales de la sémiotique sont au nombre de cinq.
Particulièrement valable dans le cadre de l'étude des consommations symboliques, elle offre
premièrement un niveau sociologique d'analyse dans la mesure où les signes et symboles
requièrent un accord et un consensus sur leur sens pour qu’ils puissent être utilisés dans la vie
sociale. Deuxièmement, elle dirige l’attention du chercheur à la fois sur la production et sur la
consommation de symboles rebondissant ainsi sur le paradigme du consommateur producteur
de sens. Troisièmement, elle suggère de s’intéresser à la rhétorique des signes et à ce qui
contrôle leurs sens au cours du temps, introduisant par là même l’idée du macro contexte et de
sa variabilité. Quatrièmement, elle encourage un degré de rétrospective et d'ouverture d'esprit
à propos des théories et méthodes dominantes auxquels nous sommes habitués. Dès lors, elle
permet d'identifier les éventuelles ornières conceptuelles et prône l’usage de modes multiples
de recherche. Enfin, cinquièmement, comme nous sommes à la fois chercheurs et
21
consommateurs des signes de notre temps, la sémiotique peut faire de nous de meilleurs
communicateurs avec nos sujets et à propos de nos résultats.
D’un point de vue pragmatique, nous pouvons ajouter le fait que la sémiotique offre des outils
particulièrement adaptés aux besoins du marketer dans sa compréhension du consommateur et
des marchés. Les divers outils qui ont été présentés dans cet article sont des aides à la lecture
fort utiles pour rendre intelligibles les phénomènes sociaux et de consommation complexes
qui sont régulièrement interpellés par le marketing. Ces outils peuvent être utilisés comme des
instruments de connaissance et de compréhension des comportements et pensées des
consommateurs, mais aussi comme des instruments d’analyse des faits de la concurrence.
Ainsi, Ceriani (2003) montre à travers des exemples que la sémiotique peut être utile pour
l’entreprise qui souhaite évaluer et corriger ses actions marketing envisagées alors comme des
effets de sens dont l’image coordonnée doit être cohérente. Selon cette auteur, la sémiotique
permet aussi de lire le projet marketing des concurrents à partir des indices du mix qui sont
manifestés.
Mais, nous l’avons vu, la sémiotique peut aussi remplir une mission plus proche du quotidien
du manager lorsque son modèle logico-sémantique ainsi que les schémas canoniques que les
sémioticiens ont découverts, sont utilisés comme des outils d’aides à l’action marketing. On
parle alors de sémiotique générative. Au niveau stratégique, elle permet entre autres d’évaluer
et de guider des positionnements. Au niveau opérationnel, elle intéresse surtout la
communication et la publicité en participant à la création de messages dont les structures
narratives, discursives et tensives, vont effectivement produire les significations voulues.
En ce qui concerne les déficiences de la méthode sémiotique pour le marketing, Pasquier
(1999) les liste comme suit. Il estime en premier lieu qu’il se pose des problèmes liés aux
différentes orientations épistémologiques du marketing, plutôt positiviste, et de la sémiotique,
plutôt constructiviste. En second lieu, les déficiences de la sémiotique viennent de la méthode
22
elle-même et de ses dérives : ésotérisme et jargonnage à vocation protectionniste,
réductionnisme excessif de la période structurale, oubli du potentiel explicatif du contexte et
macro contexte.
De notre point de vue, les défauts majeurs de la sémiotique font écho à ceux évoqués à
l’instant sans les recouvrir tout à fait. Ainsi, concernant les différences de point de vue
épistémologiques, il nous semble que la difficulté principale tient surtout à leur mise en
relation. Mick et al. (2004) ont relevé que les travaux en sémiotique sont aussi bien qualitatifs
que quantitatifs. Dès lors, le problème n’est pas forcément dans le cadre épistémologique mais
certainement dans le cadre méthodologique. C’est la mise en œuvre, l’utilisation et
l’opérationnalisation des résultats des interprétations sémiotiques qualitatives, dans d’autres
cadres méthodologiques qui est difficile. Difficile mais non impossible (Petr, 2001). Sachant
que les orientations épistémologiques sont incommensurables, quatre conseils de base seraient
à donner au chercheur pragmatique : 1) d’utiliser, pour chacun des développements
méthodologiques, les critères d’évaluation adéquat ; 2) d’accepter de plus les démarches de
validations croisées entre méthodes tels que l’ont fait Chandon et Dano (1997) ou Pasquier
(1999) ; 3) d’admettre que les résultats obtenus ne sont que « virtuels », à la fois tant qu’ils ne
seront pas revérifiés par d’autres études et parce que le chercheur saisit des logiques de
consommation et de discours, des investissements de sens possibles, et non pas
immédiatement des segments de consommateurs ; 4) et enfin, de fournir aux lecteurs de ses
travaux les moyens de les reproduire par un relevé précis de son raisonnement et de sa
démarche.
Concernant les déviances de la méthode sémiotique elle-même, il nous semble que c’est
plutôt son utilisation mécaniste qui est dangereuse. A ce sujet, il semble important d’aborder
les espoirs, quelque peu revus à la baisse, d’universalité des schémas analytique produits par
les sémioticiens. Par exemple, si l’application des schémas canoniques est une aide précieuse
23
pour lire un phénomène, il faut aussi prendre le temps d’évaluer la pertinence des dits
schémas dans le contexte culturel du phénomène qui est à étudier. Ainsi, le schéma de la
quête, établi dans un certain contexte culturel dominant (société indo-européenne, années
1960-70, dominance masculine18), n’est plus forcément le seul valide pour étudier les
phénomènes de la société actuelle et plurielle, ni forcément celui qui convient pour lire les
discours de toutes les sociétés. Par cette remarque, il n’est pas question de tomber dans le
relativisme absolu. Les outils de la sémiotique, comme le carré sémiotique ou l’analyse des
niveaux d’appréhension, transcendent les variances interculturelles. En revanche, n’oublions
pas que les objets sur lesquels travaillent les sémioticiens sont des « objets culturels
construits » (Hetzel et Marion, 1993). N’oublions pas non plus qu’une modélisation gagne en
universalité si elle perd en précision, et inversement.
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Annexe 1- Exemples d’icônes et logotypes publicitaires animaliers
L’animal
Visuel publicitaire de la marque Descriptif � Connotations
Tigre
(Kellogg’s)
Personnage - Format : image de dessin animé � Puissance
� Force Expression courante : « Mettre un tigre dans… » � Effet catalyseur d’énergie
Ecureuil
Logotype & Personnage - Format : image 3 Dimensions
� Epargne
� Prévoyance
Renard
Logotype
� Astuce
� Ruse
� Débrouillardise
30
i « Les chercheurs en comportement du consommateur ont depuis longtemps reconnu la nature symbolique de la consommation et l'importance de l'étude des sens implicites et explicites attribués par le consommateur aux divers signes linguistiques et non-linguistiques disponibles sur la place du marché. Une fois que l'on sait que le monde du consommateur est perfusé de signes et que tout acte de communication présuppose l'existence d'un système de la signification, la sémiotique apparaît comme un paradigme de recherche naturel et évident pour l'étude des communications mercatiques. » (traduction libre, Pinson, 1988). ii Belk, Bahn et Mayer, 1982 ; De Certeau, 1990 ; Hetzel, 2002 ; Hirschman, 1988 ; Hirschman et Holbrook, 1992 ; Holt, 1995, 1997 ; Kehret-Ward, 1987 ; Lévi-Strauss, 1978 ; Levy, 1959, 1981 ; MacCracken, 1986, 2005 ; Marion, 2003 ; Solomon, 1983 ; Thompson, 1997, etc. Cette liste n’est qu’indicative. Nombreux sont les auteurs qui s’inscrivent dans cette perspective de la « consommation symbolique » ou « productive » (De Certeau, 1990) dans la mesure où, via la consommation, il y a à la fois consommation et production de sens. iii Le mouvement structuraliste commun à l’ensemble des sciences du langage a apporté à la sémiotique des outils méthodologiques formalisés dont le plus emblématique est le carré sémiotique. iv Le lecteur intéressé pourra se référer à Hetzel et Marion (1993). v Un signe est « quelque chose (representamen) qui tient lieu pour quelqu’un (interprétant) de quelque chose (objet) sous quelque rapport et à quelque titre (fondement) ». vi En 1957, Roland Barthes analyse le sens de récits commerciaux et de faits et d’objets de consommation selon une approche sémiologique. A travers 52 textes, il présente des interprétations brillantes mais dont la subjectivité et l’ancrage parfois idéologique, prêtent le flanc à la critique. Aussi, aujourd'hui, le terme sémiologie reste utilisé quand il est question d’analyses centrées sur l’interprétation des connotations de termes individuels et des figures de rhétoriques sans prendre en compte la notion de texte. A l’inverse, possédant outre une consonance anglo-saxonne qui favorise la diffusion internationale, le terme sémiotique possède et suggère une attention aux rapports de sens et à la dynamique de production du sens du texte pris dans sa totalité organique (Ceriani, 2003). vii La sémiotique n’a donc pas d’objet d’étude propre, elle emprunte celui des autres disciplines ce qui explique la constante expansion des champs d’application (Pasquier, 1999). viii « Dans une lettre à Lady Welby, Pierce se félicité de pouvoir réduire ( !) les 59 049 classes de signes arithmétiquement calculables à 66 classes réellement pertinentes » (Fontanille, 2003 :26). ix Les valeurs vues comme des positions relatives, des différences de positions au sein du système axiologique. x A propos des contrats de lecture spécifique aux médias utilisés, se reporter à Veron, 1985. 11 Surtout s’il s’agit du chercheur porteur du projet d’étude. 12 Les puristes diront avec raison qu’il est préférable de parler des critères alternatifs de crédibilité, de transférabilité, de confiance et de confirmabilité (Hirschman, 1986) et d’intégrité (Wallendorf et Belk, 1989). 13 Sans oublier, dans l’idéal, un retour auprès des sujets qui ont participé à l’étude. 14 Une fonction est « l’action d’un personnage définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue » (Propp, 1970 : 31). 15 La pensée narrative implique des règles de connectivité et d’enchaînement des évènements (Ricoeur, 1981). Cet ordre des événements, l’intrigue, différencie la narration des autres données. Pour autant, la continuité du récit narratif n’est pas nécessairement le même que l’ordre d’apparition des évènements car « le narré apparaît comme une abstraction renvoyant non pas au réel mais à une représentation qui en constitue une reconstruction » (Fayol, 1985). 16 Programme de recherche du CERES : Centre de Recherche Sémiotique, FRE CNRS 2208, Université de Limoges 17 Pasquier (1999: 215) rappelle que Greimas ou Courtès, deux éminents chercheurs en sémiotique, étaient les premiers à considérer que « les modèles sémiotiques doivent être adaptés au matériel étudié et qu’une application mécanique de ceux-ci dessert plus la sémiotique qu’elle ne la sert ». 18 Voir en particulier les suggestions de Stern (1993) pour une introduction plus systématique de schémas de lecture empreint de féminité.
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