la pratique contractuelle 2
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Le présent ouvrage fait suite au colloque en droit des contrats qui a lieu pour la deuxième fois à l’Université de Fribourg le 23 septembre 2010. Il entend présenter l’actualité et quelques analyses de fond en cette matière.
Les contributions réunies dans ce volume font le point sur la peine conventionnelle et l’indemnisation forfaitaire, sur la modification des circonstances et son impact sur l’adaptation du contrat, sur le sort des prestations à la fin des contrats de du-rée, sur le contrat de courtage, ainsi que sur la jurisprudence du Tribunal fédéral relative aux bonus des dirigeants à l’aune des règles de la FINMA. Le livre contient par ailleurs un résumé de la jurisprudence récente relative à l’ensemble du droit des contrats.
Edité par
Pascal Pichonnaz Franz Werro
La pratique contractuelle 2Symposium en droit des contrats
Edité par
Pascal Pichonnaz et Franz Werro
La pratique contractuelle 2
Edité par
Pascal Pichonnaz Franz Werro
La pratique contractuelle 2
Symposium en droit des contrats
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© Schulthess Médias Juridiques SA, Genève · Zurich · Bâle 2011 ISBN 978-3-7255-6418-7
www.schulthess.com
VII
Table des matières
Avant-propos V
Table des abréviations IX
FRANZ WERRO La peine conventionnelle : quelques aspects saillants de l’actualité jurisprudentielle 1
PASCAL PICHONNAZ La modification des circonstances et l’adaptation du contrat 21
CHRISTIANA FOUNTOULAKIS Le sort des prestations à la fin des contrats de durée 55
DOMINIQUE DREYER Le contrat de courtage 75
BENOÎT CHAPPUIS Bonus des dirigeants : la jurisprudence du Tribunal fédéral { l’épreuve des règles de la FINMA 91
PASCAL PICHONNAZ / FRANZ WERRO Jurisprudence choisie en droit des contrats 121
21
PASCAL PICHONNAZ*
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
Sommaire Page
I. Introduction 22
II. La définition et le fondement de la clausula par le Tribunal fédéral 24 A. Le fondement de l'abus de droit 25 B. La délimitation avec l'erreur de base et l'erreur sur les faits futurs 30
III. Le régime dans le contexte international 32
IV. La manière d’adapter le contrat 37 A. Le passage obligé par la renégociation 37 B. Le rôle subsidiaire du juge 38
V. Conclusion 41
VI. Annexe : Extraits de quelques arrêts du Tribunal fédéral 43 A. ATF 135 III 295 (consid. 6 non publié au RO, 20.03.2009, 4A.595/2008) 43 B. ATF 135 III 1/9 (4A_299/2008), consid. 2.4 ss 43 C. ATF 133 III 311 (5C.165/2006), consid. 5 (non publié au RO) 45 D. ATF 129 III 380/383, consid. 2.2 46 E. TF, 18.7.2006, 2A.232/2005 consid. 3.5 47 F. ATF 127 III 300/304 consid. 5b (SJ 2002 I 1, JdT 2001 I 329) 50 G. ATF 122 III 97/98 consid. 3a (JdT 1997 I 294, SJ 1997 I 14) 51
Bibliographie 52
* Professeur ordinaire { l’Université de Fribourg. Je tiens à remercier Mme Nathalie Adank,
assistante { la Faculté, pour l’aide { la préparation de ce texte, ainsi que M. Tristan Pannatier
pour la relecture attentive de la version finale du texte.
PASCAL PICHONNAZ
22
I. Introduction
Traiter de l’impact de la modification des circonstances sur le contrat et des condi-
tions de son éventuelle adaptation par le juge, c’est aborder la question séculaire de
la relation entre équité contractuelle et force obligatoire des conventions. Cette
question pourrait être discutée en détails1 ; nous limiterons notre présentation à
l’analyse de la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière.
L’enjeu peut toutefois être posé de la manière suivante. D’une part, selon la formule
tirées de l’art. 1134 du Code civil français « [l]es conventions légalement formées
tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». A l’instar des lois elles-mêmes, cette
« loi des parties » n’est toutefois pas nécessairement intangible et immuable,
puisque les parties elles-mêmes peuvent l’adapter d’un commun accord. C’est tout
le domaine de l’adaptation conventionnelle du contrat. D’autre part, dans son ex-
pression traditionnelle, le contrat est aussi la concrétisation de l’équité contrac-
tuelle (ou justice commutative selon Artistote2) définie par les parties à la conclu-
sion du contrat. La règle sur la lésion (CO 21) exprime d’ailleurs ce souci.
Dans ce contexte, la question qui se pose est celle de savoir si, même contre l’avis
de l’une des parties voire des deux, le juge peut modifier le contrat afin de garantir
le respect de la justice commutative lorsque les circonstances qui ont prévalu à la
conclusion du contrat se sont modifiées.
La matière est généralement affublée de l’expression latine clausula rebus sic stanti-
bus, par référence { la figure juridique qui s’est développée sous l’égide des cano-
nistes du XIVe siècle3. Elle était alors marquée par la pensée de St Thomas d’Aquin
1 Pour des analyses approfondies, cf. déjà P. PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, th. Fribourg,
Zurich 1997, p. 170 ss (pour les conditions), p. 316 ss (pour les conséquences de la clausula) et
les références, ainsi que les ouvrages mentionnés en bibliographie finale. 2 ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, livre V partie II, n° 1130b-1131a ; cf. ég. pour une analyse
J. GORDLEY, The Philosophical Origins of Modern Contract Doctrine, Oxford 1991, p. 10 ss. 3 Sur l’évolution historique, cf. P. PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, p. 17 ss ; PICHONNAZ, De
la "clausula rebus sic stantibus" au "hardship", Aspects d'une évolution du rôle du juge, in:
A. Ruelle/M. Berlingin (édit.), Le droit romain d'hier à aujourd'hui, Collationes et oblationes, Li-
ber amicorum en l'honneur du professeur Gilbert Hanard, Bruxelles 2009, p. 149 ss;
R. FEENSTRA, Impossibilitas and Clausula rebus sic stantibus. Some aspects of frustration of con-
tract in continental legal history up to Grotius, in: A. Watson (édit.), Daube Noster, Essays in
Legal History for David Daube, Edinburgh/London 1974, p. 77 s.; K. LUIG, Die Kontinuität allge-
meiner Rechtsgrundsätze: Das Beispiel der clausula rebus sic stantibus, in: Zimmermann et al.
(édit.), Rechtsgeschichte und Privatrechtsdogmatik, Heidelberg 1999, p. 171 ss, en part.
p. 177 s.; SCHERMAIER, HKK-BGB, Bd. II/1, §§ 275, n. 34 ss; RUMMEL, Die « clausula rebus sic stan-
tibus » - Eine dogmengeschichtliche Untersuchung unter Berücksichtigung der Zeit von der Re-
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
23
(1225-1274) qui retenait, en lien avec les promesses, que personne ne pouvait être
tenu de faire plus que ce qu’on pouvait raisonnablement exiger de lui : « En pareil
cas, on voit bien que l’on est dispensé de faire ce que l’on a juré. Mais on est tenu de
faire ce qu’on peut comme nous l’avons dit au sujet de l’obligation du vœu » (« Tunc
enim videtur excusatus esse a faciendo quod iuravit, licet teneatur facere quod in
se est, sicut etiam supra circa obligationem voti diximus »)4. Cela valait d’ailleurs
aussi pour les sommes d’argent5. Je le cite : « Vous aviez juré de payer une somme
d’argent, et on vous l’a arrachée par violence, ou volée. En pareil cas, on voit bien
que l’on est dispensé de faire ce que l’on a juré ». Cette idée de limiter l’obligation {
ce que le débiteur est en mesure de fournir se retrouve d’ailleurs encore aujourd’hui
dans certains aspects de la procédure pour dettes et la faillite, qui permet des amé-
nagements de ce qui est dû par le débiteur (LP 123) 6.
L’idée sous-jacente au régime du hardship du droit du commerce international n’est
pas différente. Le changement des circonstances qui existaient au moment de la
conclusion du contrat enlève au créancier le droit d’exiger la prestation promise.
Selon les régimes juridiques, cela peut entraîner plusieurs conséquences :
1° L’action en exécution réelle de l’obligation n’est plus possible. C’est le régime origi-
nel de la clausula rebus sic stantibus, conçue comme une condition implicite résolu-
zeption im 14. Jahrhundert bis zum jüngeren Usus Modernus in der ersten Hälfte des 18. Jahr-
hunderts, th. Hanovre, Baden-Baden 1991; ég. QUASS, Die Nutzungsstörung – Zur Problematik
der Störung des Verwendungszwecks und des Wegfalls der Geschäftsgrundlage, Berlin 2003, p.
38 ss. 4 TH. AQUINAS, Secunda secundae, quaest. 89, art. 7 : « Respondeo […] Si autem est talis res quae in
eius potestate non fuit, deest iuramento discretionis iudicium, nisi forte quod erat ei possibile
quando iuravit, ei reddatur impossibile per aliquem eventum ; puta cum aliquis iuravit se pe-
cuniam soluturum, quae ei postmodum vi vel furto subtrahitur. Tunc enim videtur excusatus
esse a faciendo quod iuravit, licet teneatur facere quod in se est, sicut etiam supra circa obliga-
tionem voti diximus ». (Mais il peut s’agir d’une chose qui n’était pas dans le pouvoir de celui
qui a juré de l’accomplir. C’est alors un serment où manque la capacité de discernement [de ce-
lui qui a juré] ; à moins que la chose, possible au moment du serment, soit par la suite devenue
impossible par n’importe quel événement ; par exemple, vous aviez juré de payer une somme
d’argent, et on vous l’a arrachée par violence, ou volée. En pareil cas, on voit bien que l’on est
dispensé de faire ce que l’on a juré. Mais on est tenu de faire ce qu’on peut comme nous l’avons
dit au sujet de l’obligation du vœu.). 5 Sur cette question, cf. notamment P. PICHONNAZ, Le manque d'argent et ses conséquences à
travers l'histoire, Eléments choisis, in: Mémoires de la Société pour l'Histoire du Droit et des
institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, textes réunis par Anne Girolet,
vol. 65 (2008), p. 591-610. 6 P. PICHONNAZ/F. WUBBE, Die ‚lex Celsus ait’ (D. 4,8,23) über Verzug und Unmöglichkeit, in: Zim-
mermann et al. (édit.), Rechtsgeschichte und Privatrechtsdogmatik, Heidelberg 1999, p. 284 ss;
PICHONNAZ, Le manque d’argent, p. 607 ss.
PASCAL PICHONNAZ
24
toire7. Cette conséquence rapproche alors le hardship (l’exorbitance) de
l’impossibilité.
2° Les prestations peuvent être adaptées afin d’assurer l’équilibre contractuel et
réinstaurer la justice commutative voulue par les parties. Dans ce cas, impossibilité
subséquente et exorbitance (clausula) sont distinctes dans leurs effets.
3° Le débiteur est exonéré du paiement de dommages-intérêts. Cette conséquence est
notamment celle qu’il faut retenir dans un régime de responsabilité contractuelle
causale, comme celui de la CVIM. En revanche, dans le régime du Code des obliga-
tions, fondé sur une responsabilité pour faute présumée, c’est l’absence de faute qui
justifie l’exonération et non le caractère exorbitant de la prestation du débiteur.
Toutefois, l’absence de faute dans l’inexécution découle du fait que l’on ne peut pas
reprocher au débiteur de n’avoir pas fourni sa prestation lorsque celle-ci est trop
lourde pour lui compte tenu de toutes les circonstances.
Notre brève présentation entend dès lors rappeler quelques traits essentiels de
l’équilibre entre le respect de la promesse faite et l’exigence de l’équité contrac-
tuelle. En effet, le juge est de plus en plus souvent chargé de rétablir cet équilibre
dans notre système continental. Dès lors, après un rappel de la définition et du fon-
dement de la clausula rebus sic stantibus par le Tribunal fédéral (II.), nous aborde-
rons sa transformation sous l’impact du développement de la notion de hardship
(III.) pour terminer par quelques réflexions sur la manière d’adapter un contrat
dans un tel cas (IV.).
II. La définition et le fondement de la clausula par le Tribunal fédéral
Après avoir fondé la clausula sur l’idée de l’abus de droit (A.), le Tribunal fédéral a
évolué dans sa conception, sous l’influence de la doctrine. Cela l’a amené dans le
même temps { devoir délimiter les champs d’application respectifs de la clausula et
de l’erreur sur les faits futurs (B.).
7 STEINAUER, Le Titre préliminaire du Code civil, TDP II/1, Bâle 2009, n. 604.
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
25
A. Le fondement de l'abus de droit
Contrairement au droit allemand (§ 313 BGB8), la partie générale du Code des obli-
gations ne contient pas de règles sur le changement imprévisible des circonstances.
Comme concrétisation du principe, on évoque toutefois traditionnellement l’art. 373
al. 2 CO, qui permet d’adapter un contrat d’entreprise { prix forfaitaire9, et la juris-
prudence relative à la résiliation des contrats de durée pour justes motifs10.
Le Tribunal fédéral a toutefois évoqué la question de la clausula rebus sic stantibus
dans plusieurs arrêts récents11. Le dernier en date { notre connaissance est l’ATF
135 III 295 ; en effet, le considérant 6 non publié en parle sous l’expression « théo-
rie de l’imprévision » et la définit ainsi : « Les défendeurs invoquent la théorie de
l'imprévision, selon laquelle la partie liée par un contrat peut se dégager partiellement
ou totalement de ses obligations en cas de changement important et imprévisible des
circonstances, ayant pour effet de créer une disproportion si grave, entre sa prestation
et la contre-prestation de l'autre partie, que le maintien du contrat se révélerait abusif
(clausula rebus sic stantibus; ATF 127 III 300 consid. 5b p. 304/305; 135 III 1 consid.
2.4 p. 9/10). »12. Dans un autre arrêt, non publié au recueil officiel (TF, 18.7.2006,
2A.232/2005, c. 3.5), le Tribunal fédéral fonde d’ailleurs cette théorie de
8 § 313 BGB « [Störung der Geschäftsgrundlage]. (1) Haben sich Umstände, die zur Grundlage des
Vertrags geworden sind, nach Vertragsschluss schwerwiegend verändert und hätten die Par-
teien den Vertrag nicht oder mit anderem Inhalt geschlossen, wenn sie diese Veränderung vo-
rausgesehen hätten, so kann Anpassung des Vertrags verlangt werden, soweit einem Teil unter
Berücksichtigung aller Umstände des Einzelfalls, insbesondere der vertraglichen oder gesetzli-
chen Risikoverteilung, das Festhalten am unveränderten Vertrag nicht zugemutet werden kann.
(2) Einer Veränderung der Umstände steht es gleich, wenn wesentliche Vorstellungen, die zur
Grundlage des Vertrags geworden sind, sich als falsch herausstellen. (3) Ist eine Anpassung des
Vertrags nicht möglich oder einem Teil nicht zumutbar, so kann der benachteiligte Teil vom
Vertrag zurücktreten. An die Stelle des Rücktrittsrechts tritt für Dauerschuldverhältnisse das
Recht zur Kündigung. »; parmi d’autres QUASS, p. 38 ss; HAU, Vertragsanpassung und Anpas-
sungsvertrag, Tubingen 2003, p. 249. 9 Sur cette disposition, pour tous les autres, GAUCH, Le contrat d’entreprise, n. 1044 ss ; PICHON-
NAZ, Le prix dans la construction: quelques questions récurrentes, JDC 2009, p. 239 ss. 10 Cf. dans cet ouvrage, l’article de C. FOUNTOULAKIS, La fin des contrats de durée, p. 55 ss ; M.-N.
VENTURI-ZEN-RUFFINEN, La résiliation pour justes motifs des contrats de durée, th., Fribourg
2007. 11 ATF 135 III 295 (consid. 6 non publié, 4A.595/2008); ATF 135 III 1/9 (4A_299/2008), consid.
2.4 s.; ATF 133 III 311 (5C.165/2006), consid. 4; ATF 129 III 380/383, consid. 2.2; TF,
18.7.2006, 2A.232/2006, consid. 3.5; ATF 127 III 300/304 consid. 5b; et déjà ATF 122 III 97/98
consid. 3a ; ATF 113 II 209/211 consid. 4a; ATF 107 II 343/347 s.; ATF 104 II 314, JdT 1979 I
602 ; ATF 100 II 345, JdT 1975 I 614 ; ATF 97 II 390, JdT 73 I 80. 12 TF, 20.3.2009, 4A.595/2008, c. 6 (non publié in ATF 135 III 295).
PASCAL PICHONNAZ
26
l’imprévision sur l’art. 2 CC et reprend la même idée, selon laquelle il faut que le
maintien du contrat apparaisse comme abusif.
Ainsi, ce qui est déterminant pour le Tribunal fédéral dans l’appréciation de la
situation, c’est qu’au regard de diverses conditions, le maintien du contrat et donc
des obligations telles quelles apparaisse comme abusif. Le Tribunal fédéral utilise
à dessein, nous semble-t-il, une expression qui lui permet d’éviter de discuter le
fondement juridique de l’institution. En effet, dans des arrêts plus anciens (en parti-
culier l’ATF 122 III 97/98 c. 3a13), l’expression était plus directement liée { l’abus de
droit de l’art. 2 al. 2 CC, puisque le Tribunal fédéral considérait qu’il y avait une
situation justifiant le recours au régime de la clausula rebus sic stantibus lorsque « le
créancier exploite usurairement le déséquilibre créé et abuse manifestement
de son droit ». Il souligne d’ailleurs dans ce même arrêt que « la clausula rebus sic
stantibus n’aboutit toutefois que très rarement, selon la jurisprudence du TF, { une
résolution ou à une modification du contrat » (consid. 3a p. 98). Partant, la référence
{ l’abus de droit s’explique. Une partie de la doctrine - même actuelle - fonde
d’ailleurs le régime de la clausula sur cette idée de l’abus de droit14.
Toutefois, dans son ATF 127 III 300/30415 (consid. 5b), le Tribunal fédéral a laissé
entrevoir son hésitation sur le fondement dogmatique de la clausula compte
tenu des critiques en doctrine. Il n’utilise plus la formule précédente, mais indique
ceci : « Suivant l'opinion dominante et indépendamment du fondement dogmatique
(cf. Gauch, Auslegung, Ergänzung und Anpassung schuldrechtlicher Verträge, dans
Gauch/Schmid (éditeurs), Die Rechtsentwicklung an der Schwelle zum 21. Jahrhun-
dert, p. 234; Schwenzer, Schweizerisches Obligationenrecht, Partie générale, 2e éd.,
p. 223, avec les réf. citées par chacun d'eux), l'intervention du juge dans un contrat en
raison d'un changement de circonstances suppose que celui-ci n'était ni prévisible ni
évitable, qu'il altère gravement l'équivalence des prestations dans des cas semblables
à la présente espèce et que le contrat n'a pas été exécuté sans réserve ». Il ne parle
donc plus d’exploitation usuraire du déséquilibre qui serait abusive de droit, mais
d’une altération grave de l’équivalence des prestations qui fonde le droit { une
adaptation du contrat.
Cette différence n’est pas totalement anodine. En effet, la référence { l’altération
grave de l’équivalence met en évidence la question de l’équité contractuelle et
13 JdT 1997 I 294, SJ 1997 I 14. 14 Cf. notamment STEINAUER, Le titre préliminaire, n. 603 ss; cf. ég. sur l’ensemble GAUCH, Ergän-
zung und Anpassung schuldrechtlicher Verträge, dans in: Gauch/Schmid (édit.), Die Rechtsent-
wicklung an der Schwelle zum 21. Jahrhundert, p. 234 ; PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance,
n. 1385 ss, et les références citées. 15 JdT 2001 I 239, SJ 2002 I 1.
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
27
surtout de l’obligation pour les parties de se comporter selon les règles de la bonne
foi. Ainsi, avec d’autres auteurs16, nous considérons que l’adaptation du contrat
repose d’abord sur l’idée de bonne foi dans les affaires : Les parties devraient
prévoir l’adaptation du contrat en cas de changement imprévisible des circons-
tances ; si elles ne l’ont pas fait, leur contrat contient une lacune qui consiste en
l’absence d’indication sur ce qui doit être fait lorsque l’équilibre contractuel est
gravement altéré en raison du changement imprévisible des circonstances (Anpas-
sungslücke)17. Le juge doit alors combler la lacune en y insérant une clause
d’adaptation (CC 1 II)18. Cette clause d’adaptation prétorienne est guidée à notre
avis par l’exigence de bonne foi que se doivent réciproquement les parties ; le juge
devrait ensuite tenir compte de l’équilibre initial du contrat et de ce qui a prévalu
pour les parties. On peut parler de volonté hypothétique de celles-ci, tout en étant
conscient que les parties n’ont justement pas eu de volonté spécifique, ce qui ex-
plique d’ailleurs la lacune du contrat. Il s’agit donc d’une volonté hypothétique, mais
non d’une volonté présumée.
De ce fondement dogmatique, on peut déduire deux conditions fondamentales à
l’application des règles de la clausula :
1° L’imprévisibilité. Ainsi, adapter le contrat n’est conforme { la bonne foi que si le
changement de circonstances ayant entouré la conclusion du contrat n’était pas prévi-
sible. En effet, si le changement était prévisible, du moins par la partie affectée néga-
tivement par celui-ci, la bonne foi lui imposait de requérir l’insertion d’une règle
d’adaptation du contrat, autrement dit d’une règle de répartition de ce risque spéci-
fique.
Il ne s’agit toutefois pas d’une imprévisibilité générale, mais bien d’une imprévisibi-
lité liée { la compréhension qu’avait la partie qui invoque la règle19. Une connais-
sance spécifique du débiteur peut lui être reprochée. Par exemple, la variation des
cours de l’acier est aujourd’hui connue, mais dans les années 2007, c’était une sur-
prise. Aujourd’hui, on ne peut plus raisonnablement invoquer le caractère imprévi-
16 Cf. notamment PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, n. 1395 ; JÄGGI/GAUCH, ZKomm. n. 626,
657 ad art. 18 CO; KRAMER, BKomm., n. 327 ad art. 18 CO; TERCIER, Clausula, p. 205; cf. cep. EN-
GEL, Traité, p. 792 s., qui semble voir avant toute une lacune légale et fonde ainsi l’intervention
du juge sur l’art. 1 al. 2 CC. 17 PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, n. 1394 ; JÄGGI/GAUCH, ZKomm. n. 591 ad art. 18 CO;
KRAMER, BKomm., n. 322 ad art. 18 CO; on parle parfois de Risikolücke, cf. ULMER, AcP 174/1974
p. 184. 18 PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, n. 1395 s. 19 PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, n. 767 et 861 ss ; ég. S. SCHMIEDLIN, Frustration of
Contract und clausula rebus sic stantibus. Eine rechtsvergleichende Analyse, Bâle 1985, p. 110
ss.
PASCAL PICHONNAZ
28
sible, du moins lorsque les modifications demeurent dans des schémas conformes à
ce qui a déjà existé. Il en allait autrement pour la plupart des acteurs de la construc-
tion dans les années 2006-2007. La situation en lien avec la rupture des stocks de
papier sur le marché mondial est d’ailleurs comparable.
En outre, l’existence d’une clause d’adaptation dans le contrat n’exclut pas encore le
recours { l’imprévisibilité20. Il faut toutefois agir alors en deux temps : d’abord cons-
tater que, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, il est abusif d’invoquer la
clause d’adaptation prévue par le contrat, puis compléter le contrat comme si les
parties n’avaient pas prévu de règle d’adaptation pour cette situation spécifique.
2° La charge que représente l’exécution de sa prestation par le débiteur doit s’être
modifiée de manière importante. En effet, le principe veut que le débiteur soit
libre des moyens qu’il met en œuvre pour fournir sa prestation ; il supporte ainsi la
charge d’un mauvais calcul de ces moyens et le bénéfice d’une organisation opti-
male. Ce n’est donc que lorsqu’il n’est plus raisonnablement possible d’imposer ce
risque au débiteur qu’une adaptation du contrat se justifie.
Pour apprécier l’ampleur nécessaire de la variation des coûts qui serait constitu-
tive d’une modification importante, on peut essayer de fixer des pourcentages,
même si les Tribunaux ont cherché à juste titre à ne pas adopter une approche trop
rigide. Ainsi, le Tribunal fédéral a admis – selon les cas – que des situations d'aggra-
vation des frais allant de 24 % à 60% pouvaient être suffisantes21. De même, dans
certains principes des contrats internationaux (les Principes UNIDROIT sur les
contrats commerciaux internationaux), on estime qu'il faut une modification de plus
de 50% pour admettre un cas d’exorbitance (hardship)22. Il n'est toutefois pas pos-
sible d'opérer avec des critères généraux. Il s'agit plutôt d'une question d'équité qui
doit être déterminée de cas en cas (CC 4), en appréciant { partir de quand il n’est
20 PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, n. 1385 ss et les références. 21 ATF 45 II 31 s., n.p. (24% d'augmentation du prix de la bière sur une courte période); ATF 48 II
249, JdT 1922 I 472 (52,33% de perte de recette pour le fermier d'un navire en raison de la
guerre); ATF 50 II 158/165, np. (augmentation de 60% des frais de réalisation d'un ouvrage);
ATF 60 II 205/214, JdT 1934 I 626 (48% de perte de chiffre d'affaires entre 1931 et 1933); ég.
pour des chiffres, cf. J. BISCHOFF, Vertragsrisiko und Clausula rebus sic stantibus, th. Zurich
1983, p. 192; BURKHARDT, Vertragsanpassung, p. 258 ss; PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance,
n. 765. 22 Cf. Principes UNIDROIT, commentaire ch. 2 ad art. 6.2.2 (la mention expresse des 50% a été
abandonnée dans la nouvelle édition, mais elle demeure un point de repère important) ; cf. no-
tamment MCKENDRICK, in : S. Vogenauer/J. Kleinheisterkamp (édit.), Commentary on the
Unidroit Principles of International Commercial Contracts (PICC), Oxford 2009, n. 8 ad art. 6.2.2
PICC.
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
29
plus conforme { la bonne foi en affaires d’insister sur le prix convenu malgré le chan-
gement des circonstances.
Seules ces deux conditions sont fondamentales. Ainsi, lorsque le débiteur est
responsable du changement des circonstances, cela n’empêche pas d’admettre en
soi qu’il est contraire { la bonne foi d’exiger l’exécution de la prestation telle quelle.
Toutefois, la perte que subit alors le créancier est le résultat d’une violation par le
débiteur de certains de ses devoirs contractuels ; cette faute ouvre la voie à une
indemnisation du dommage. En d’autres termes, s’il n’est plus raisonnable d’exiger
l’exécution réelle sans une adaptation du contrat, celle-ci est contrebalancée par
l’indemnité { laquelle peut prétendre le créancier qui souffre de la non-exécution de
la prestation telle qu’elle a été prévue initialement. Dans une telle hypothèse,
l’adaptation du contrat n’a pas de réel intérêt pour le débiteur.
En outre, la question de la durée du contrat, mentionnée expressément par l’ATF
127 III 300/304 c. 5b/cc23, n’est pas une condition indépendante de l’application du
régime de la clausula24. Plus la durée entre la conclusion du contrat et les change-
ments de circonstances est courte, plus il sera difficile de démontrer que ces chan-
gements n’étaient pas prévisibles ; ainsi, la durée joue un rôle, mais il ne s’agit pas
d’une exclusion de certaines obligations a priori. On peut ainsi imaginer des situa-
tions pour lesquelles le changement de circonstances était imprévisible, même s’il
se produit quelques temps après la conclusion d’un contrat comportant des presta-
tions instantanées ; p. ex. la conclusion d’un contrat de vente d’un avion conclue le
10 septembre 2001, dont l’exécution devait avoir lieu le 15 septembre 2001. Les
conséquences économiques liées à la destruction des deux tours du World Trade
Center { New York auraient certainement permis l’application du régime de la clau-
sula25. L’élément central reste donc bel et bien celui de l’imprévisibilité du change-
ment des circonstances.
23 JdT 2001 I 239, SJ 2002 I 1. 24 Pour certains auteurs toutefois, le régime de la clausula ne s’applique qu’aux contrats de durée,
notamment FRICK, Arbitration and Complex International Contracts : with special emphasis on
the determination of the applicable substantive law and on the adaptation of contracts to
changed circumstances, th. habil., Zurich 2001, p. 205; contra à juste titre, WIEGAND, Clausula,
p. 453 ; BRUNNER, Force Majeure and Hardship, p. 438; PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance,
n. 771; MERZ, BKomm. n. 224 ad. art. 2 CC ; KRAMER, BKomm., n. 334 ad art. 18 CO ; JÄGGI/GAUCH,
ZKomm., n. 688 ss ad art. 18 CO. 25 Pour cet exemple, cf. WIEGAND, Clausula, p. 453.
PASCAL PICHONNAZ
30
B. La délimitation avec l'erreur de base et l'erreur sur les faits futurs
L’erreur est généralement définie comme la divergence entre la représentation
interne d’une partie et la représentation objective d’un fait (qu’on appelle la réali-
té)26. L’erreur porte ainsi sur un fait passé ou présent dont une partie a cru à tort
qu’il existait ou non. Si, par la suite, la partie se rend compte de cette fausse repré-
sentation des circonstances au moment de la conclusion, il y a bien un changement
des circonstances par rapport à sa représentation interne au moment de la conclu-
sion du contrat, mais il n’y a pas de modification de la réalité (la « représentation
objective »). Cette divergence entre la représentation subjective et la réalité – si elle
est essentielle – ouvre alors la voie à l’invalidation (même partielle par applica-
tion analogique de CO 20 II27) du contrat pour cause d’erreur28. En revanche, la
clausula rebus sic stantibus ne s’applique pas, car les circonstances « objectives » (la
réalité) ne se sont pas modifiées.
La question de l’erreur sur un fait futur peut exister lorsque les parties ont antici-
pé la survenance d’un fait futur en ayant la certitude qu’il se produirait (p. ex.
l’octroi d’un permis de construire pour ainsi dire assuré). Lorsque le fait anticipé ne
se produit finalement pas, « ce fait futur anticipé » ouvre la voie selon la jurispru-
dence du Tribunal fédéral29 et une partie de la doctrine30 { l’invalidation pour cause
d’erreur (CO 31). A notre avis, il est plus judicieux dans un tel cas d’appliquer
26 TERCIER, Le droit des obligations, 4e éd., n. 803. 27 TERCIER, Le droit des obligations, n. 773 ; SCHWENZER, OR AT, n. 39.08; SCHWENZER, BaKomm.,
n. 11 ad art. 23 CO; SCHMIDLIN, CR CO I, n. 58 ad art. 23/24 CO; SCHMIDLIN, BKomm., n. 148 ss ad
art. 23/24 CO. 28 TERCIER, n. 784 ss ; SCHMIDLIN, CR CO I, n. 21 ss ad art. 31 CO; SCHMIDLIN, BKomm., n. 119 s. ad
art. 31 CO avec d’autres références; sur l’origine historique de la solution suisse, cf. notamment
SCHMIDLIN, Le sort du contrat résolu ou annulé: l’effet ex tunc ou la restitution post-
contractuelle, in: Mél. Cannata, 1999, p. 333 ss (réimpr. in: Schmidlin B., Der Vertrag im europä-
ischen Zivilrecht / Le contrat en droit civil européen, Genève/Zurich/Bâle 2011, p. 179 ss). 29 TF, 4C.34/2000, consid. 3c/bb, dont le point bb/ n’est pas publié in ATF 127 III 300 consid. 3c,
JdT 2001 I 239; cf. ég. ATF 123 III 200 et B. SCHMIDLIN/R. MEYER-PRITZL, Interessenabwägung bei
der Irrtumsanfechtung und Irrtum über künftige Sachverhalte : BGE 123 III 200-204, recht
1997, p. 256 ss. 30 SCHMIDLIN, BKomm., n. 200, ad art. 23/24 CO; KRAMER, BKomm., n. 306 et 309 ad art. 18 CO;
PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, n. 1406 ss., SCHWENZER, BaKomm., n. 19 ad art. 24 CO;
SCHWENZER, OR AT, n. 39.07; SCHMIDLIN, CR-CO I, n. 33 ss. ad art 23/24 CO.
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
31
les règles sur l’imprévision31, pour autant que le fait futur « anticipé » ne soit pas
de nature spéculative, risquée ou incertaine32.
Depuis l’arrêt ATF 129 III 320 (Klärschlamm), on traite de la même façon la résolu-
tion d’un contrat de durée pour cause d’exorbitance (clausula) ou d’une erreur sur
un fait futur ; en effet, dans les deux cas, le Tribunal fédéral entend appliquer les
règles d’une résiliation ex nunc33. La principale différence réside dès lors dans la
faculté d’adapter le contrat pour cause de changement des circonstances (exorbi-
tance, clausula), ce qui n’a pas (encore ?) été proposé pour le régime de
l’invalidation pour cause d’erreur.
Avec WIEGAND, on peut imaginer que la partie qui veut exclure toute adaptation du
contrat invoque dès lors l’erreur sur les motifs plutôt que la clausula. Cela n’est
cependant pas nécessaire pour limiter le pouvoir du juge. En effet, si, comme nous le
pensons, le juge est lié par les conclusions des parties, en particulier par le fait que
la partie affectée négativement par le changement des circonstances ne requiert que
la résolution et non l’adaptation du contrat, on obtient le même résultat, que l’on
passe par le régime de la clausula ou par celui de l’erreur.
En lien avec les contrats instantanés, la situation est différente. En effet, l’erreur
entraîne alors toujours la nullité relative ex tunc selon le Tribunal fédéral et une
partie de la doctrine34. En revanche, l’exorbitance permet de considérer le contrat
comme conclu, mais d’en adapter les obligations respectives des parties. Il nous
semble préférable de laisser plus de latitude aux parties sur le sort du contrat affec-
té par le changement des circonstances et donc de retenir le régime de la clausula
en présence d’une erreur sur les faits futurs, plutôt que d’imposer une solution
radicale, { savoir l’invalidation du contrat pour cause d’erreur35. La solution du
recours à la clausula est plus souple, elle tient compte du fait que le vice (l’erreur)
n’apparaît que plus tard, lorsque la situation évolue et est ainsi plus équitable dans
l’allocation des risques entre les parties36.
31 Cf. déjà, PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, n. 1413. 32 Arrêt du TF, 18.7.2006, 2A.232/2005, consid. 3.5. 33 Dans ce sens, WIEGAND, Clausula, p. 452. 34 Cf. notamment ENGEL, Traité, p. 339 s. ; GAUCH/SCHLUEP/SCHMID, OR AT I, n. 890 ss; TERCIER, Le
droit des obligations, n. 773. 35 Cf. déjà PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, n. 1413 ss. 36 Pour ces arguments, cf. déjà PICHONNAZ, Impossiblité et exorbitance, n. 1414 ss.
PASCAL PICHONNAZ
32
III. Le régime dans le contexte international
Le régime de la clausula rebus sic stantibus entraînait { l’origine l’exonération de
l’exécution de la prestation. La situation est plus variée dans le contexte internatio-
nal. D’une part, les contrats du commerce international prévoient souvent des
clauses permettant de tenir compte du changement ultérieur des circonstances,
qu’il s’agisse des clauses de force majeure ou des clauses de hardship. On en trouve
sous diverses formes37. D’autre part, divers groupes ont rédigé des Principes { voca-
tion internationale régissant la force majeure ou le hardship. Nous allons principa-
lement nous attacher à relever les aspects importants de cette dernière catégorie.
Les Principes internationaux tiennent d’abord compte du changement des circons-
tances en cas d’action en exécution. C’est le cas notamment de l’art. 9 :101 PECL38,
qui traite des sommes d’argent, et qui dispose { l’al. 2 que « [l]orsque le créancier n'a
pas encore exécuté sa propre obligation et qu'il est manifeste que le débiteur n'accep-
tera pas de recevoir l'exécution, le créancier peut néanmoins passer à l'exécution et
obtenir paiement de toute somme exigible en vertu du contrat à moins (a) [..](b) ou
que l'exécution de son obligation n'apparaisse déraisonnable eu égard aux circons-
tances. ».
L’art. 9 :102 PECL prévoit une règle comparable pour les obligations autres que de
somme d'argent : « (2) Toutefois, l'exécution en nature ne peut être obtenue lorsque
(a) l'exécution serait impossible ou illicite ;(b) elle comporterait pour le débiteur des
efforts ou dépenses déraisonnables […]».
On retrouve une idée similaire { l’art. 7.2.2 PICC, consacré { l’exécution des obliga-
tions non pécuniaires : « A défaut par le débiteur de s’acquitter d’une obligation autre
que de somme d’argent, le créancier peut en exiger l’exécution, sauf lorsque: (a)
l’exécution est impossible en droit ou en fait; (b) l’exécution ou, s’il y a lieu, les voies
d’exécution exigent des efforts ou des dépenses déraisonnables;[…] ».
En outre, depuis plusieurs décennies, les contrats du commerce international pré-
voient des clauses d’adaptation des contrats pour cause de modification des cir-
37 Pour des exemples, cf. M. FONTAINE/F. DE LY, Droit des contrats internationaux, Analyse et
rédaction de clauses, 2e éd., Bruxelles 2003, p. 435 ss (clauses de force majeure), p. 487 ss
(clauses de hardship) ; ég. PICHONNAZ, Impossiblité et exorbitance, p. 306 ss (modifications con-
ventionnelles de l’impossibilité), p. 219 ss (les aménagements contractuels de l’exorbitance –
hardship) ; S. MARCHAND, Clauses contractuelles, Du bon usage de la liberté contractuelle, Bâle
2008, p. 205 ss (clauses de force majeure), p. 208 ss (clauses de hardship). 38 PECL = Principles of European Contract Law ou Principes européens de droit des contrats ou
« Principes Lando ».
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
33
constances, appelées clauses de hardship39. Vu la fréquence de telles clauses, les
rédacteurs des Principes UNIDROIT relatifs aux contrats commerciaux internatio-
naux (PICC) ont proposé un régime spécifique d’adaptation pour cause de hardship.
Par la suite, d’autres projets ont repris l’idée. Il en va ainsi des Principes Européens
de droit des contrats (PECL ou Principes Lando) { l’art. 6:111 PECL40, qui contient
toutefois quelques variations, notamment par rapport au droit de demander des
dommages-intérêts en cas de rupture des négociations de mauvaise foi. Le Draft
Common Frame of Reference (projet de Cadre commun de référence – autrement dit
projet de Code civil au niveau européen, DCFR) contient également un tel régime
(Art. III. – 1:110 DCFR41).
39 FONTAINE/DE LY p. 487 ss ; MARCHAND, Clauses contractuelles, Du bon usage de la liberté con-
tractuelle, Bâle 2008, p. 208 ss; PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, n. 952. 40 Art. 6 :111 PECL : « [Changement de circonstances] (1) Une partie est tenue de remplir ses
obligations, quand bien même l'exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de
l'exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué. (2) Cependant,
les parties ont l'obligation d'engager des négociations en vue d'adapter leur contrat ou d'y
mettre fin si cette exécution devient onéreuse à l'excès pour l'une d'elles en raison d'un chan-
gement de circonstances : (a) qui est survenu après la conclusion du contrat, (b) qui ne pouvait
être raisonnablement pris en considération au moment de la conclusion du contrat, (c) et dont
la partie lésée n'a pas à supporter le risque en vertu du contrat. (3) Faute d'accord des parties
dans un délai raisonnable, le tribunal peut (a) mettre fin au contrat à la date et aux conditions
qu'il fixe, (b) ou l'adapter de façon à distribuer équitablement entre les parties les pertes et
profits qui résultent du changement de circonstances. Dans l'un et l'autre cas, il peut ordonner
la réparation du préjudice que cause à l'une des parties le refus par l'autre de négocier ou sa
rupture de mauvaise foi des négociations. » 41 Art. III. – 1:110: « [Variation or termination by court on a change of circumstances ] (1) An
obligation must be performed even if performance has become more onerous, whether because
the cost of performance has increased or because the value of what is to be received in return
has diminished. (2) If, however, performance of a contractual obligation or of an obligation
arising from a unilateral juridical act becomes so onerous because of an exceptional change of
circumstances that it would be manifestly unjust to hold the debtor to the obligation a court
may: (a) vary the obligation in order to make it reasonable and equitable in the new circum-
stances; or (b) terminate the obligation at a date and on terms to be determined by the court.
(3) Paragraph (2) applies only if: (a) the change of circumstances occurred after the time when
the obligation was incurred; (b) the debtor did not at that time take into account, and could not
reasonably be expected to have taken into account, the possibility or scale of that change of cir-
cumstances; (c) the debtor did not assume, and cannot reasonably be regarded as having as-
sumed, the risk of that change of circumstances; and (d) the debtor has attempted, reasonably
and in good faith, to achieve by negotiation a reasonable and equitable adjustment of the terms
regulating the obligation. »
PASCAL PICHONNAZ
34
L’usage du terme anglais « hardship » dans la version française est directement
lié à la rédaction des clauses dites de hardship dans les contrats internationaux42. Ce
choix terminologique est toutefois surprenant dès lors qu’en droit anglais, le
hardship ne donne justement pas lieu à révision43 !
Quel est donc le rôle réservé au juge dans les Principes UNIDROIT ? Certes, les
Principes Unidroit ne sont pas contraignants, mais ils sont de plus en plus utilisés
par les arbitres internationaux pour résoudre certaines difficultés liées au change-
ment des circonstances44. Un aperçu de leur approche est ainsi révélateur d’une
position actuelle dans le domaine des contrats internationaux.
Ainsi, après avoir rappelé le principe de la fidélité contractuelle (Art. 6.2.145), les
PICC retiennent qu’il y a hardship « lorsque surviennent des événements qui altèrent
fondamentalement l’équilibre des prestations, soit que le coût de l’exécution des obli-
gations ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué, et a) que
ces événements sont survenus ou ont été connus de la partie lésée après la conclusion
du contrat; b) que la partie lésée n’a pu, lors de la conclusion du contrat, raisonnable-
ment prendre de tels événements en considération; c) que ces événements échappent
au contrôle de la partie lésée; et d) que le risque de ces événements n’a pas été assumé
par la partie lésée. » (Art. 6.2.2 PICC).
Dans un tel cas, une partie peut demander l’ouverture de négociations en vue
d’obtenir l’adaptation du contrat et, en cas d’échec, demander au juge d’adapter le
contrat. Le régime est ainsi lié à la bonne foi, même si le terme n’est pas utilisé dans
42 Pour des exemples, cf. notamment M. FONTAINE/F. DE LY, Droit des contrats internationaux:
Analyse et rédaction des clauses, 2e éd., Bruxelles 2004, p. 387 ss ; ég. S. MARCHAND, Clauses con-
tractuelles, Du bon usage de la liberté contractuelle, Bâle 2008, p. 209 s. 43 On trouve ainsi l’expression dans des arrêts anglais très célèbres en lien avec la notion
d’impossibilité, que le droit anglais appelle la frustration. Dans l’arrêt Davis Contractors Ltd v
Fareham Urban DC, on peut ainsi lire : « It is not hardship or inconvenience or material loss it-
self which calls the principle of frustration into play. There must be as well such a change in the
significance of the obligation that the thing undertaken would, if performed, be a different thing
from that contracted for » (Ce n’est pas le hardship ou l’inconvénient ou la perte matérielle en
tant que tels qui appellent la mise en oeuvre du principe de la frustration. Il doit y avoir égale-
ment un changement dans l’importance de l’obligation, de sorte que ce qui a été assumé, s’il
était exécuté, serait quelque chose de différent de ce qui a été convenu par contrat.) ; Davis Con-
tractors v Fareham Urban DC [1956] A.C. 696 at 729 ; [1956] 3 W.L.R. 37 (H. L.). 44 M. J. BONELL, An International Restatement of Contract Law, The UNIDROIT Principles of Inter-
national Commercial Contracts, 3e éd., New York 2005, p. 192 ss ; IDEM, Towards a Legislative
Codification of the UNIDROIT Principles? in: Uniform Law Review, 12 (2007), p. 233 ss, en part.
p. 234 s. 45 Art. 6.2.1. PICC : « [Respect du contrat] Les parties sont tenues de remplir leurs obligations,
quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, sous réserve des dispositions
suivantes relatives au hardship. ».
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
35
cet article46. En effet, lorsque l’allocation des risques du contrat s’est faite sans pou-
voir tenir compte de faits raisonnablement imprévisibles (let. b) et sur lesquels une
partie n’a pas pu avoir d’influence (let. c), alors il est juste de prévoir spécifiquement
l’allocation de ces nouveaux risques. Cette allocation doit se faire d’abord d’un
commun accord et, en cas d’échec, par le juge, dont le pouvoir peut aller jusqu’{ la
résolution de l’accord (art. 6.2.347).
On le voit, ce régime ne prévoit pas une condition implicite résolutoire de
l’accord, qui sous-entendrait que la ratio – la justification du contrat – a disparu.
L’idée d’une condition résolutoire implicite est { la base du régime originel de la
clausula rebus sic stantibus (une condition implicite que les circonstances [rebus]
demeureront ainsi). Trop souvent encore48 l’analyse en droit suisse de l’exorbitance
ou de la clausula se fait dans cette perspective. Toutefois à ce jour, la réflexion juri-
dique est allée plus loin, { l’image des Principes UNIDROIT : L’idée est ainsi que
l’équilibre contractuel envisagé par les parties a été rompu à un point tel que la bonne
foi justifie que le juge intervienne pour le rétablir.
Ainsi de l’idée de « frustration », d’absence de cause, on est passé { la recherche de
l’équité dans l’échange49. C’est un changement fondamental !
L’aspect important, et salutaire nous semble-t-il, des Principes UNIDROIT tient au
fait que le juge n’intervient pas immédiatement. Il laisse la possibilité aux parties de
corriger elles-mêmes le déséquilibre. Elles savent toutefois qu’il pourrait intervenir
en cas d’échec des négociations et opérer lui-même le rééquilibrage. Elles sont donc
beaucoup plus motivées { trouver une solution { l’amiable que s’il s’agissait sim-
plement de mettre un terme au contrat.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il nous semble que la solution des Prin-
cipes UNIDROIT a tiré les enseignements de l’évolution historique. Il faut souligner
que ni le droit anglais (qui refuse toute adaptation du contrat), ni le droit continen-
tal dans son évolution historique, qui n’affectait le contrat que d’une condition réso-
46 E. MCKENDRICK, in : S. Vogenauer/J. Kleinheisterkamp (édit.), Commentary on the Unidroit
Principles of International Commercial Contracts (PICC), Oxford 2009, n. 1 ad art. 6.2.3 PICC. 47 Art. 6.2.3 (« Effets ») : « 1) En cas de hardship, la partie lésée peut demander l’ouverture de
renégociations. La demande doit être faite sans retard indu et être motivée. 2) La demande ne
donne pas par elle-même { la partie lésée le droit de suspendre l’exécution de ses obligations.
3) Faute d’accord entre les parties dans un délai raisonnable, l’une ou l’autre peut saisir le tri-
bunal. 4) Le tribunal qui conclut { l’existence d’un cas de hardship peut, s’il l’estime raison-
nable: a) mettre fin au contrat { la date et aux conditions qu’il fixe; ou b) adapter le contrat en
vue de rétablir l’équilibre des prestations. ». 48 Parmi d’autres, cf. STEINAUER, TDP, n. 604. 49 Pour une analyse des enjeux, cf. parmi d’autres GORDLEY, Equality in Exchange, 69 (1981) Cal. L.
Rev. 1587 ss.
PASCAL PICHONNAZ
36
lutoire50, n’ont véritablement réussi { résoudre la difficulté. Celle-ci ne porte en
effet pas tant sur l’idée que le contrat passé est devenu fondamentalement différent
en raison du changement des circonstances (ce serait plutôt le rôle de la force ma-
jeure), mais bien que l’équilibre recherché par les parties dans leur accord a été
rompu par des circonstances qu’elles n’avaient pas prises en compte (et qu’elles
n’avaient pas pu prendre en compte). Quoi de plus juste, dès lors, que de les inciter à
trouver un accord pour rétablir cet équilibre ou, { défaut d’une possibilité de
rééquilibrage, de mettre un terme au contrat.
Comme on peut le constater, le régime tend donc à faire adapter les prestations qui
sont exorbitantes (« exécution devient onéreuse à l'excès » - art. 6 :111 PECL) lorsque
cela se justifie compte tenu des circonstances et de l’allocation des risques faite { la
conclusion du contrat.
Ce mouvement résultant de réflexions principalement académiques s’est concrétisé
dans plusieurs régimes nationaux51. Même en France, l’idée a fait son chemin. Dans
le projet actuel (mai 2009) de la Chancellerie, l’adaptation du contrat pour cause
d’imprévision est réglementée, en dépit du fait que pendant des décennies, doctrine
et jurisprudence s’y étaient opposées en droit privé.
Récemment, une décision de la Cour de cassation belge du 16 juin 200952 a inter-
prété l’art. 79 CVIM (Convention de Vienne sur la vente internationale de mar-
chandises), afin de déterminer si une modification des circonstances, qui n’était pas
raisonnablement prévisible lors de la conclusion du contrat et qui est incontesta-
blement de nature { aggraver la charge de l’exécution du contrat, pouvait justifier
non pas une simple exonération de dommages-intérêts, mais une obligation de
renégocier le contrat en vue de son adaptation. Comblant la lacune qu’elle a vue
dans l’art. 79 al. 1 CVIM, la Cour de cassation belge a utilisé les Principes UNIDROIT
pour fonder une telle obligation de renégociation. Cette décision a été saluée à
divers égards53. En outre, comme la CVIM doit s’interpréter de manière autonome
(art. 7 al. 1 CVIM), on peut tout { fait invoquer cette décision belge { l’appui d’une
solution comparable lors de l’application de l’art. 79 al. 1 CVIM en Suisse.
On le voit, sous l’influence de la bonne foi en affaires, le droit { des négociations en
cas de changement des circonstances affirme sa place, d’abord au niveau interna-
50 PICHONNAZ, De la « clausula rebus sic stantibus » au « hardship », Mél. Hanard, p. 165 ; SCHER-
MAIER, HKK-BGB, Bd. II/2, vor §§ 275, n. 36; FINKENAUER, HKK-BGB, Bd. I, §§ 158-163, n. 11. 51 Tout récemment d’ailleurs dans le nouveau Code des obligations turc (art. 138 COT), qui entre-
ra en vigueur le 1er juillet 2012. 52 Annexe 3, p. 44. 53 A. VENEZIANO, UNIDROIT Principles and CISG: Change of circumstances and duty to renegotiate
according to the Belgian Supreme Court, in: Uniform Law Review 2010, p. 137 ss.
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
37
tional, mais { travers les Principes et l’interprétation de la CVIM dans le droit natio-
nal également. On peut dès lors s’inspirer des réflexions, de plus en plus nom-
breuses au niveau européen et international, pour déterminer les différents critères
d’application de l’imprévision en droit suisse.
IV. La manière d’adapter le contrat
Après avoir relevé que la renégociation est un passage obligé en droit suisse (A.),
nous examinerons quel est le rôle (subsidiaire) du juge (B.).
A. Le passage obligé par la renégociation
Comme nous l’avons vu avec les développements internationaux, si l’on fonde
l’adaptation du contrat non sur l’abus de droit mais sur les exigences de la bonne
foi en affaires, il est juste d’imposer aux parties d’adapter elles-mêmes leur contrat.
En effet, qui mieux qu’elles peut déterminer l’équilibre subjectif qu’elles avaient
recherché et ce qu’il faut pour maintenir ce même équilibre contractuel ? Ainsi, pour
tendre vers une justice commutative dans le cas concret, les parties doivent pouvoir
exiger la renégociation.
Si la renégociation est fondée sur l’exigence de bonne foi (c’est le cas aussi en droit
allemand54), alors il faudrait être conséquent et admettre que cela justifie d’opposer
à toute action en exécution de la prestation l’exceptio non adimpleti contractus. Il
doit y avoir à notre avis suspension du droit { l’exécution durant la phase de négo-
ciations, du moins tant qu’elle a lieu de bonne foi. De même, il se justifierait de sus-
pendre la prescription durant les négociations par accord, puisque le droit positif
ne semble pas le permettre pour l’instant55.
En revanche, le refus d’entrer en négociations ne peut que difficilement donner lieu
à des dommages-intérêts. En effet, même si l’on devait admettre que la violation
des règles de la bonne foi justifie l’existence d’une faute, il faudrait encore pouvoir
54 J.D. HARKE, Allgemeines Schuldrecht, Heidelberg 2010, n. 99 ; LORENZ/RIEHM, Lehrbuch zum
neuen Schuldrecht, Münich 2002, n. 385. 55 Cf. PICHONNAZ, CR-CO I, n. 20 ad art. 134 CO ; PICHONNAZ, La prescription de l’action en dom-
mages-intérêts : Un besoin de réforme, in : Le temps dans la responsabilité contractuelle,
F. WERRO (dir.), Berne 2007, p. 98 ss ; SPIRO, Begrenzung, § 108.
PASCAL PICHONNAZ
38
déterminer quel est le dommage subi par le refus de négociation. Or, une telle appré-
ciation dans le cas d’espèce est très difficile56.
B. Le rôle subsidiaire du juge
Ainsi, ce n’est qu’en l’absence d’un accord entre les parties qu’une adaptation du
contrat par le juge est possible. Le rôle du juge ne doit ainsi être que subsidiaire.
Non seulement, les parties sont les mieux à même de renégocier leur accord, mais
en garantissant le recours au juge, on augmente les chances d’un accord entre elles.
La peur de voir un juge prendre une décision d’allocation des risques qui ne soit pas
satisfaisante devrait inciter les parties à préférer un accord, même insatisfaisant, à
l’intervention du juge dans leur contrat.
Dans le processus d’adaptation du contrat, le juge doit tenir compte d’un certain
nombre de points 57:
1° Il est lié par les conclusions des parties58. Si la partie qui requiert une
adaptation pour hardship laisse l’adaptation totalement { la discrétion du juge, alors
celui-ci dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’ampleur et dans la manière
d’intervenir ; il devra toutefois respecter les principes évoqués ci-dessous. Le prin-
cipe « ne eat iudex ultra petita partium » qui interdit au juge d’aller au-delà des con-
clusions des parties (CPC 58 I) implique toutefois que si la partie qui requiert
l’adaptation a exclu implicitement la résolution en demandant uniquement une
réduction de la prestation due, le juge ne pourra pas décider de résilier ou résoudre
le contrat en question. Il pourra bien entendu octroyer une réduction moins impor-
tante que celle-ci qui est requise. Il peut aussi s’agir d’une question d’interprétation
que de déterminer ce que le juge peut exactement faire pour respecter le principe
ultra petita ; la question de l’interprétation des conclusions des parties n’est pas
toujours simple en pratique. Nous ne l’abordons toutefois pas ici.
2° Le juge doit ensuite chercher à établir la volonté hypothétique des par-
ties, en déterminant la solution qu’elles auraient adoptée de bonne foi si elles
avaient prévu la modification des circonstances au moment de la conclusion du
contrat59. C’est le point le plus délicat. L’idée est de répartir les conséquences finan-
56 Dans ce sens ég. récemment, V. MONN, Die Verhandlungsabrede : Begründung, Inhalt und
Durchsetzung von Verhandlungspflichten, th., Zurich 2010, p. 431 ss. 57 PICHONNAZ, Impossibilité et exorbitance, n. 1397 ss. 58 Ch. BRUNNER, Force majeure and Hardship under General Contract Principles, Exemption for
Non-Performance in Internation Arbitration, 2009, p. 502 ss. 59 Ch. BRUNNER, Force majeure and Hardship, p. 500.
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
39
cières négatives entre les parties en respectant le principe de la bonne foi en affaires
(CC 2 I).
3° Ce qui précède implique de renoncer à un partage systématique par moi-
tié de la charge supplémentaire. En concluant un contrat, une partie assume le
plus souvent une part de risque contractuel ; dans un tel cas, le juge ne doit pas
répartir le risque lié au changement des circonstances à parts égales entre les deux
parties, mais bien rétablir l’équilibre contractuel dans l’aménagement du risque con-
tractuel, tel qu’il était envisagé par les parties60, à savoir en tenant compte du fait
qu’une partie du risque réalisé était assumée par une des parties. C’est l{ toute
l’expression du principe de la bonne foi qui limite la prise en charge du risque au-
del{ d’une certaine limite. C’est { juste titre que certains tribunaux ont ainsi consi-
déré qu’il fallait adapter le contrat pour rendre l’exécution de la prestation encore
supportable61. On retrouve l’idée développée par la jurisprudence et la doctrine {
l’art. 373 al. 2 CO. En effet, on ne peut pas admettre que le débiteur soit tenu de la
prestation originelle tant qu’un certain niveau de difficulté d’exécution n’est pas
atteint, puis lui permettre d’être placé { nouveau dans la situation originelle dès que
la difficulté d’exécution dépasse ce seuil ; au-del{ d’une limite, le débiteur
n’assumerait tout { coup plus aucun risque. On pourrait au moins partir d’un par-
tage moitié-moitié. En revanche, il existe également des situations dans lesquelles
les parties ont fondé leur relation sur l’idée d’un partage des bénéfices et des pertes,
{ l’image du contrat de société simple (p. ex. relational contract) ; dans un tel cas, un
partage par moitié de la charge supplémentaire se justifie pleinement.
4° Lorsque plusieurs solutions sont possibles, le juge doit choisir la moins
intrusive dans l’aménagement contractuel existant62. Il ne s’agit plus l{ de
l’ampleur, mais de la manière d’aménager le contrat. Si la question est monétaire
dans son impact, la manière de réaménager la contre-prestation peut parfois être
différente : réduction de la durée d’une prestation, échelonnement d’un paiement
sous forme différente, adaptation d’une clause d’adaptation du prix, modification du
lieu de la prestation, fixation d’une compensation financière par le créancier de la
60 ATF 127 III 300/307, JdT 2001 I 239 ; dans un sens comparable pour les Principes internatio-
naux, Ch. BRUNNER, Force majeure and Hardship, p. 499. 61 P. ex. Tribunal arbitral, ICC Case n° 2508 de 1976, in : Collection of ICC Awards I, p. 292/294:
« La demdande du [vendeur] […] devrait d’ailleurs, conformément { la bonne foi, se limiter non
seulement à ce qui était raisonnable, mais encore, à ce qui était strictement nécessaire pour que
l’exécution du contrat ne devienne pas manifestement inéquitable ». 62 Ch. BRUNNER, Force majeure and Hardship, p. 500.
PASCAL PICHONNAZ
40
prestation devenue exorbitante. En revanche, le principe de retenue dans le réamé-
nagement contractuel doit empêcher le juge de réécrire l’ensemble du contrat63.
5° Le juge doit en outre fixer la date à partir de laquelle le contrat est considé-
ré comme adapté ; l’adaptation sera en principe fixée pour le futur, mais elle peut –
et parfois doit – l’être aussi pour le passé, afin de rétablir un équilibre. Cette pre-
mière date fait partie du processus de rééquilibrage. En outre, le juge doit fixer le
début de l’exigibilité des prestations. Ce point est d’importance. En effet, d’une part,
il déterminera la fin de la suspension de la prescription (cf. supra) et, d’autre part,
lorsque la prestation a été modifiée, il posera le point de départ des nouveaux délais
de prescription. Ceux-ci ne correspondront pas nécessairement au moment à partir
duquel la prestation a été adaptée ; le délai d’exigibilité sera alors souvent ultérieur
à la date de modification lorsque cette dernière était rétroactive.
En présence d’une règle conventionnelle de hardship (d’adaptation du contrat), il
faut bien sûr toujours examiner si celle-ci peut s’appliquer au changement considé-
ré. En effet, comme nous l’avons vu, il peut être abusif de droit d’insister sur la mise
en œuvre d’une telle clause, dans certaines circonstances particulières. En revanche,
si la règle doit s’appliquer, alors seul le mécanisme fixé par les parties doit
s’appliquer. On pourrait toutefois envisager qu’il doive être complété parce qu’il est
lacunaire.
La littérature propose diverses clauses-modèles tirées des contrats internatio-
naux64. La Chambre de commerce internationale à Paris propose également une
clause-type dans sa version officielle en anglais65.
En nous inspirant de diverses sources, nous proposons la clause suivante :
« 1° Si des événements qui ne pouvaient être raisonnablement prévus par les
Parties lors de la conclusion du contrat surviennent et modifient substantiellement
l’équilibre de celui-ci, en rendant son exécution difficile ou coûteuse { l’excès pour
une Partie, cette dernière peut demander une adaptation du Contrat.
2° La demande d’adaptation doit être adressée { l’autre Partie, avec une indica-
tion des faits sur lesquels elle se base. Les Parties s’engagent { se rencontrer dans le
but d’adapter le Contrat sur des bases équitables, en évitant que l’une d’elles ne soit
excessivement défavorisée par cette adaptation.
63 LANDO/BEALE, Principles of European Contract Law, Parts I and II, La Haye/Boston/Londres
2000, Comment D ad Art. 6 :111 PECL, p. 327. 64 En particulier FONTAINE/DE LY, p. 497 ss ; MARCHAND, p. 209 s. 65 ICC Force Majeure Clause 2003 and ICC Hardship Clause 2003, ICC Publication n° 650 (E), ISBN
92.842.1319.3.
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
41
3° Si les Parties ne parviennent pas { un accord sur l’adaptation nécessaire du
Contrat, chacune d’elles peut initier la procédure prévue { l’art. XX et déposer une
requête d’arbitrage conformément { l’art. XXX [alternative : chacune d’elles peut
initier une procédure devant le juge compétent conformément { l’art. XX]. Le Tribu-
nal arbitral aura la compétence d’adapter le Contrat en équité, en tenant compte de
la nature du contrat, de la répartition des risques initiale et des volontés respectives
des parties. »
V. Conclusion
Il n’y a que très peu d’arrêts du Tribunal fédéral qui reconnaissent une situation
d’exorbitance justifiant l’adaptation du contrat. Ce constat est en partie lié { la con-
ception qui a longtemps prévalu pour notre Haute Cour, selon laquelle seul l’abus de
droit peut justifier une adaptation du contrat. Nous avons vu qu’il faut au contraire
fonder le droit { l’adaptation du contrat pour changement imprévisible de circons-
tances sur le principe de la bonne foi en affaires, ce qui impose de mieux tenir
compte des besoins d’équilibre et d’équité contractuels et des intérêts des parties.
Toutefois, le faible nombre d’arrêts est aussi lié au fait que si le droit { une adapta-
tion fonctionne, il y a souvent renégociation et partant absence de procédure judi-
ciaire. Du moins, si l’on admet que les parties sont « raisonnables ». Tel n’est pas
toujours le cas.
En reconnaissant clairement le droit à une renégociation, tout en donnant au juge la
possibilité d’adapter le contrat, on incite néanmoins les parties à trouver des
accords dans l’intérêt bien compris des relations commerciales et de la bonne foi en
affaires.
Ainsi, les cas pathologiques relevés par la jurisprudence ne doivent pas nous leur-
rer. De nombreux contrats contiennent des clauses de renégociation et d’adaptation
(clause de hardship). En outre, une partie peut toujours faire obstacle à une clause
contractuelle de renégociation ou d’adaptation qui serait totalement inappropriée
pour appréhender les conséquences d’un changement de circonstances ; en effet,
elle peut alors objecter que le fait d’invoquer une telle clause est constitutif d’un
abus de droit, mais la voie est très étroite. Si l’abus de droit est admis, le juge doit
compléter le contrat par une autre clause d’adaptation, imposant une renégociation
et une adaptation judiciaire subsidiaire.
Enfin, même lorsque le juge doit adapter le contrat, il reste lié par les conclusions
des parties, par leur volonté hypothétique et par le souci de ne pas déséquilibrer
l’allocation des risques faite initialement. Cela impliquera donc souvent de ne pas
PASCAL PICHONNAZ
42
systématiquement répartir la charge supplémentaire par moitié, mais d’examiner
quelle part de celle-ci était déjà assumée contractuellement par l’une des parties.
Volonté et intérêts spécifiques des parties, ainsi que pouvoir d’appréciation du juge
sont au cœur du régime de l’adaptation du contrat pour changement des circons-
tances. Partant, force est de constater qu’il n’est pas possible en ce domaine
d’apporter des solutions « prêtes à appliquer ». Nous avons néanmoins cherché à
donner des pistes, y compris en proposant une clause de hardship, dans une version
la plus simple possible.
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
43
VI. Annexe : Extraits de quelques arrêts du Tribunal fédéral
A. ATF 135 III 295 (consid. 6 non publié au recueil officiel; TF, 20.03.2009, 4A.595/2008)
6. En raison de la mésentente qui s'est élevée entre les parties, la cohabitation dans
le bâtiment n° 99 de S.________ est devenue prétendument impossible. Les défendeurs
invoquent la théorie de l'imprévision, selon laquelle la partie liée par un contrat peut
se dégager partiellement ou totalement de ses obligations en cas de changement im-
portant et imprévisible des circonstances, ayant pour effet de créer une disproportion
si grave, entre sa prestation et la contre-prestation de l'autre partie, que le maintien
du contrat se révélerait abusif (clausula rebus sic stantibus; ATF 127 III 300 consid. 5b
p. 304/305; 135 III 1 consid. 2.4 p. 9/10). Selon cette même théorie, s'il s'agit d'un
contrat complexe prévoyant plusieurs prestations différentes entre les parties, ce
contrat ne peut pas être entièrement résolu au motif qu'une seule de ces prestations
se trouve dévaluée par un fait imprévisible; le contrat doit plutôt être adapté, au
besoin par le juge, en tenant compte de son économie et de son but, et de l'ensemble
des circonstances (ATF 107 II 144 consid. 3 p. 148; arrêt 4C.43/2000 du 21 mai
2001, SJ 2001 I p. 541, consid. 2e p. 548).
En l'espèce, il n'est pas établi que le conflit des parties ait pour conséquence que le
logement dans le bâtiment n° 99 soit devenu réellement insupportable pour les
défendeurs, et que le droit d'habiter prévu dans la promesse de vente ait ainsi perdu
toute valeur pour eux. Une situation si dégradée justifierait, le cas échéant, que les
parties s'accordent enfin sur la solution du « chalet », ou, à défaut, que la rente via-
gère soit augmentée d'un montant correspondant à la valeur du droit d'habiter.
Conformément à la décision de la Cour civile, il incombe d'abord aux parties de
négocier et de régler ce point dans le cadre de l'exécution de la promesse de vente;
pour le surplus, la validité de ce contrat subsiste nonobstant la dissension de ceux
qui l'ont conclu.
B. ATF 135 III 1/9 (4A_299/2008), consid. 2.4 ss
2.4 Verträge aus gültig zustande gekommenen Verträgen sind so zu erfüllen, wie sie
vereinbart worden sind ("pacta sunt servanda"), soweit die Parteien nicht einver-
nehmlich eine neue Vertragsregelung treffen. Zwar ist nach der so genannten "clausu-
la rebus sic stantibus" eine richterliche Anpassung auch gegen den Willen einer Partei
PASCAL PICHONNAZ
44
möglich, wenn sich die Umstände nach Vertragsabschluss so grundlegend ändern, dass
eine gravierende Äquivalenzstörung eintritt (vgl. BGE 127 III 300 E. 5b S. 304 f. mit
Hinweisen). Eine Anpassung der vertraglich bestimmten Leistungen ist gesetzlich
etwa für den Werkvertrag bei unvorhersehbaren ausserordentlichen Umständen
vorgesehen (Art. 373 Abs. 2 OR). Aus wichtigen Gründen wird den Parteien beim
Arbeitsvertrag (Art. 337 Abs. 1 OR) und beim Mietvertrag (Art. 266g Abs. 1 OR)
sodann von Gesetzes wegen ein ausserordentliches Kündigungsrecht eingeräumt.
Für Dauerverträge hat die Rechtsprechung zudem regelmässig ein Kündigungsrecht
aus wichtigem Grund angenommen (BGE 128 III 428 E. 3 S. 429 mit Hinweis). Vo-
raussetzung für eine richterliche Vertragsanpassung nach der "clausula rebus sic
stantibus" ist, dass die Verhältnisänderung beim Abschluss des Vertrags weder
voraussehbar noch vermeidbar war (BGE 127 III 300 E. 5b S. 304 f. mit Hinweisen).
2.5 Rechnen die Parteien bei Vertragsabschluss mit künftigen Ereignissen, können
sie für diesen Fall eine Anpassung vertraglich vorsehen. Dadurch wird der einen
Partei das (Gestaltungs-)Recht eingeräumt, vom Prinzip der Vertragstreue abzuwei-
chen und einseitig die Vertragsbestimmungen zu ändern. Damit Anpassungsklau-
seln aber überhaupt gültig sind, müssen regelmässig sowohl das erwartete Ereignis
als auch der Umfang der Anpassung vertraglich bestimmt werden, denn ein Vertrag
kommt nur zustande, wenn Leistungsinhalt sowie -umfang mindestens bestimmbar
sind und so auch erfüllt werden können (BGE 84 II 266 E. 2 S. 272; vgl. KRAMER,
a.a.O., Allgemeine Einleitung, N. 74 f.; BUCHER, a.a.O., N. 22 ff. zu Art. 1 OR; von
Tuhr/Peter, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, Band I,
3. Aufl. 1979, S. 51 f.; Gauch/Schluep/Schmid, a.a.O., Rz. 344 ff.; KOLLER, Schweize-
risches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, Band I, 2006, S. 101 ff.; HANS Merz,
Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, in: Schweizerisches Privatrecht, Band VI/1,
1984, S. 119 f.; vgl. auch BGE 118 II 32 E. 3a S. 33 zur Bestimmtheit des Vorvertrags
sowie Kramer, a.a.O., N. 87 f. zu Art. 22 OR und Bucher, a.a.O., N. 33 zu Art. 22 OR).
Ein undefiniertes Gestaltungsrecht zur einseitigen Abänderung vertraglicher Leis-
tungspflichten widerspräche der Natur und dem Zweck des Vertrags, mit dem Rechte
und Pflichten jeder Vertragspartei gerade definiert werden sollen.
2.6 Nicht jede zulässige - inhaltlich bestimmte oder bestimmbare - Anpassungsklau-
sel ist üblich im Sinne der Ungewöhnlichkeitsregel. In gewissen Branchen dürfte es
zwar durchaus üblich sein, bei bestimmten Verträgen eine Anpassung vereinbarter
Preise an die Teuerung nach einem bestimmten Index vorzusehen. Ist ein künftiges
Ereignis jedoch zu wenig definiert oder nicht hinreichend bestimmt, räumen sich
die Parteien regelmässig ein Kündigungsrecht ein. So kann der Vermieter bzw. der
Krankenversicherer nach Art. 269d OR bzw. Art. 7 Abs. 2 KVG den Vertrag einseitig
anpassen, wobei dem Mieter bzw. dem Krankenversicherten - unabhängig vom
Ausmass der Änderung - das Kündigungsrecht zusteht (vgl. auch BGE 132 III 24 E.
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
45
3.2 S. 27, wonach der Umstand, dass einseitige Vertragsänderungen im laufenden
Mietverhältnis in Abweichung vom Grundsatz "pacta sunt servanda" zulässig sind,
nach besonderen Schutzvorschriften des Mieters ruft). Bei Dauerverträgen ent-
spricht es der allgemeinen Erwartungshaltung, dass eine Anpassungsklausel mit
einem Kündigungsrecht verbunden ist, wenn sie auf einem nicht hinreichend be-
stimmten Ereignis beruht.
C. ATF 133 III 311 (5C.165/2006), consid. 5 (non publié)
5.1 Les demandeurs critiquent enfin le rejet par la cour cantonale de leur conclu-
sion relative à la nullité de la clause de «valeur zéro» des bâtiments dans les diffé-
rents contrats conclus par leur père. Ils soutiennent que le raisonnement de la Cour
de justice, qui l'a conduite à considérer que les circonstances ne s'étaient pas modi-
fiées de manière telle que l'adaptation du contrat s'imposait, reposerait sur une
confusion entre deux actes, à savoir un acte authentique et un acte sous seing privé,
qui ont tous deux été passés le 20 janvier 1960, et dont la Cour de justice aurait cru
à tort, par une inadvertance manifeste, qu'ils avaient un contenu identique. En réali-
té, les citations que fait la cour cantonale de ce qu'elle appelle "l'acte notarié de
convention de partage du 20 janvier 1960" proviendraient de l'acte sous seing privé
intitulé "partage général des terrains de Y.________ entre les consorts A.________". Cette
confusion aurait amené la Cour de justice à ignorer une clause figurant dans l'acte
authentique du 20 janvier 1960 - mais pas dans l'acte sous seing privé - qui pré-
voyait la constitution d'une servitude de non-bâtir au profit de l'Etat de Genève sur
une grande partie de l'une des deux parcelles attribuées à A.________. Partant, ce
serait de manière erronée, par une inadvertance manifeste au sens de l'art. 63 al. 2
OJ, que la cour cantonale a retenu que la mère des défendeurs a accepté, pour une
durée indéterminée et sans aucune contre-prestation, une entrave importante à son
droit de propriété, alors qu'il n'en allait pas de même pour ses co-héritiers qui ont
obtenu des parcelles libres d'une telle restriction.
L'état de fait de l'arrêt attaqué devrait dès lors être corrigé en ce sens qu'en 1960,
pour que dame D.________ et A.________ reçoivent des parts égales dans le partage, les
parties ont voulu que tous deux reçoivent notamment une parcelle qu'ils ne pour-
raient temporairement pas mettre en valeur par des constructions nouvelles: pour
dame D.________, il s'agissait de l'attribution d'une parcelle sur laquelle étaient édi-
fiés des bâtiments de la fin du XIXe siècle destinés à être ultérieurement démolis,
tandis que A.________ recevait une parcelle grevée d'une servitude de non-bâtir qui
serait radiée à la démolition des bâtiments sis sur la parcelle attribuée à dame
D.________, puisque c'était à cause des dimensions insuffisantes de cette parcelle au
PASCAL PICHONNAZ
46
regard de l'indice d'utilisation du sol que des terrains alentours devaient être grevés
d'une interdiction de bâtir.
Dans ces conditions, il y aurait lieu d'appliquer la clausula rebus sic stantibus, dès
lors que l'inscription en 1987 des bâtiments objets du droit de superficie à l'inven-
taire des immeubles dignes d'être protégés - décision totalement imprévisible pour
les parties lors du partage de 1960 - aurait fondamentalement déséquilibré le par-
tage en ce qui concerne dame D.________ et A.________. En effet, l'obligation de mainte-
nir les bâtiments aurait désormais pour conséquence qu'à la fin de la servitude de
superficie, ceux-ci feront retour aux défendeurs, successeurs universels de dame
D.________, qui se retrouveront alors avoir obtenu dans le partage une parcelle sur
laquelle sont édifiés des bâtiments bien plus importants que ne le permettrait
l'indice d'utilisation du sol, tandis que l'une des parcelles attribuées à A.________,
dont les demandeurs ont hérité, demeurera grevée d'une servitude de non-bâtir.
[…] Il s'ensuit que l'argumentation des demandeurs tombe { faux, dans la mesure où
elle repose sur un état de fait qui n'est pas celui retenu par la cour cantonale et sur
lequel le Tribunal fédéral doit se fonder (art. 63 al. 2 OJ). Cela étant, au regard de
l'état de fait retenu, les considérations qui ont amené les juges cantonaux à retenir que
l'inscription des bâtiments nos aa, bb et cc à l'inventaire des immeubles dignes d'être
protégés n'a pas rompu gravement l'équilibre contractuel en défaveur des deman-
deurs, d'une manière qui entraînerait l'invalidité de la clause de «valeur zéro» des
bâtiments en application de la clausula rebus sic stantibus, ne prêtent pas le flanc à la
critique.
D. ATF 129 III 380/383, consid. 2.2
2.2 In aller Regel liegt der wichtige Grund in einer Vertragsverletzung der gekündig-
ten Partei. Lehre (STAEHELIN, Zürcher Kommentar, N. 24 zu Art. 337 OR; BRÜHWI-
LER, Kommentar zum Einzelarbeitsvertrag, Bern 1996, N. 7b zu Art. 337 OR; ALE-
XANDRE BERENSTEIN/PASCAL MAHON, Labour Law in Switzerland, Bern 2001, Rz.
393) und Rechtsprechung (BGE 114 II 279 E. 2d/cc S. 284) sind sich aber weitge-
hend einig, dass auch objektive Gründe eine fristlose Kündigung rechtfertigen kön-
nen. Vereinzelte Stimmen in der Lehre scheinen dies immerhin abzulehnen, weil sie
befürchten, dass so das Betriebsrisiko auf den Arbeitnehmer übertragen werde
(STREIFF/VON KAENEL, Arbeitsvertrag, 5. Aufl., Zürich 1992, N. 6 zu Art. 337 OR).
Sie verkennen indessen, dass Art. 337 Abs. 2 OR den wichtigen Grund umschreibt,
ohne eine Vertragsverletzung oder gar ein Verschulden einer Partei vorauszusetzen.
Würde für eine fristlose Vertragsauflösung eine Vertragsverletzung vorausgesetzt,
wäre zudem die Bestimmung von Art. 337b Abs. 2 OR, welche die vermögensrecht-
lichen Folgen der gerechtfertigten fristlosen Vertragsauflösung aus anderen Grün-
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
47
den als einer Vertragsverletzung regelt, sinnlos. Auch von den Parteien nicht zu
verantwortende und nicht erwartete Ereignisse oder Umstände können ausnahms-
weise eine ausserordentliche Vertragsbeendigung rechtfertigen, wenn sie die we-
sentlichen Grundlagen der vertraglichen Bindung derart erschüttern, dass eine
Fortsetzung der vertraglichen Beziehung subjektiv und objektiv als nicht zumutbar
erscheint. Die ausserordentliche Vertragsauflösung nach Art. 337 OR konkretisiert
damit die clausula rebus sic stantibus (BERENSTEIN/MAHON, a.a.O., Rz. 392 mit
Hinweis auf BGE 101 Ia 545 E. 2c S. 548 f.). Objektiver Grund für eine fristlose Entlas-
sung kann deshalb ein Ereignis sein, mit dem die Parteien bei Vertragsbegründung
weder rechnen konnten noch rechnen mussten (vgl. BGE 127 III 300 E. 5b mit Hin-
weisen). Insofern fallen der schlechte Geschäftsgang und weitere Umstände, deren
Eintritt zu den jedem wirtschaftlichen Unternehmen inhärenten Risiken gehört,
ausser Betracht. Überdies ist auch bei den objektiven Gründen grosse Zurückhal-
tung zu üben. Mit dem Begriff der Zumutbarkeit in Art. 337 OR verweist das Gesetz
auf ein wertendes Kriterium. Es genügt nicht, dass die Fortsetzung des Vertrages
bloss der kündigenden Partei unerträglich ist. Vielmehr muss diese Einschätzung
auch von einem objektiven Standpunkt aus als angemessen erscheinen.
E. TF, 18.7.2006, 2A.232/2005 consid. 3.5
3.5 La recourante fonde également sa demande de remboursement sur la clausula
rebus sic stantibus (ci-après également citée clausula) que la terminologie française
a consacrée sous le nom de théorie de l'imprévision.
Cette institution juridique tirée du droit privé (cf. art. 2 CC) veut que, par exception
à la règle pacta sunt servanda, la partie à un contrat à exécution différée - soit, en
principe, un contrat de durée - peut se délier partiellement ou totalement de ses
obligations en cas de changement important et imprévisible des circonstances ayant
pour effet de créer une grave disproportion entre sa prestation et la contre-
prestation de l'autre partie, au point que le maintien du contrat apparaît abusif (cf.
ATF 129 III 380 consid. 2.2 p. 383; 127 III 300 consid. 5b p. 304/305; 122 III 97
consid. 3a p. 98; 113 II 209 consid. 4a p. 211; 107 II 343 p. 347/348; 101 II 17 con-
sid. 1a p. 19; 97 II 390 consid. 6 p. 398). Le Tribunal fédéral n'exclut pas, sur le prin-
cipe, l'application par analogie de la clausula rebus sic stantibus à certaines rela-
tions de droit public (cf. ATF 122 I 328 consid. 7b p. 340/341; 103 Ia 31 consid. 3b
p. 37; voir aussi ATF 131 II 306 consid. 4.3.2 p. 324). Jusqu'ici, il ne s'est, toutefois,
pas encore exprimé sur l'applicabilité du principe au droit des concessions, au con-
traire de la doctrine qui paraît acquise à cette idée (cf. Jacques Fournier, Vers un
nouveau droit des concessions hydrauliques, thèse Fribourg 2002, p. 208; Tomas
Poledna, Staatliche Bewilligungen und Konzessionen, Berne 1994, nos 173 et 236;
PASCAL PICHONNAZ
48
Pierre Moor, Droit administratif, vol. III, Berne 1992, p. 131; Blaise Knapp, Précis de
droit administratif, Bâle 1991, nos 1428 ss; Michel Hanhardt, La concession de ser-
vice public, Etude de droit fédéral et de droit vaudois, thèse Lausanne 1977, p. 153
ss). La question peut demeurer indécise.
L'application de la clausula rebus sic stantibus suppose en effet que le changement
déterminant des circonstances survienne après la conclusion du contrat (cf. ATF
101 II 17 consid. 1a p. 19; 97 II 390 consid. 6 p. 398) et, en principe, que l'obligation
devenue trop onéreuse n'ait, à ce moment-là, pas déjà été exécutée (cf. Pierre Ter-
cier, La «clausula rebus sic stantibus» en droit suisse des obligations, in: JdT 1999 I
p. 194 ss, 196; Bruno Schmidlin, Commentaire bernois, no 273 ad art. 18 CO;
Jacques Bischoff, Vertragsrisiko und clausula rebus sic stantibus, thèse Zurich 1983,
p. 219 s.; Emile Georges Thilo, Clausula rebus sic stantibus, De la revision des con-
trats pour cause d'imprévision, in: JdT 1937, p. 66 ss, 76). C'est que des obligations
de longue durée complètement ou partiellement exécutées ne peuvent, d'ordinaire,
être modifiées (ou résiliées) qu'avec effet ex nunc (cf. ATF 129 III 320 consid. 7.1.2
p. 328 s.). Or, dans le cas d'espèce, la totalité de la redevance a été payée en une fois,
aussitôt après l'octroi de la concession en juin 2000, si bien que, pour ce motif déjà,
la théorie de l'imprévision n'est pas de nature à fonder la prétention de la recou-
rante.
Au demeurant, la clausula n'est applicable que si le changement déterminant des
circonstances peut être qualifié d'imprévisible, soit si les parties ne pouvaient ou ne
devaient pas déjà le prévoir lors de la conclusion du contrat. Il s'ensuit notamment
qu'un plaideur ne saurait tirer argument de la clausula pour demander l'invalidation
ou la modification d'un contrat au motif que de simples espérances ou spéculations ne
se sont pas réalisées, car il pouvait et devait compter avec une telle éventualité, même
s'il ne la souhaitait pas (cf. 107 II 343 consid. 2 p. 347/348; ATF 69 II 139 consid. 4b
p. 144; 59 II 372 consid. 4 p. 380 et les arrêts cités; Tercier, op. cit., p. 209; Bischoff, op.
cit., p. 213 ss). De la même manière, dans un contexte voisin parfois difficile à distin-
guer de la clausula (cf. Wolfgang Wiegand, Clausula rebus sic stantibus - Bemerkun-
gen zu den Voraussetzungen ihrer Anwendung, in: Richterliche Rechtsfortbildung in
Theorie und Praxis, Festschrift für Hans Peter Walter, Berne 2005, p. 443 ss, 447 ss),
des faits de nature spéculative, risqués ou incertains ne sont, en principe, pas suscep-
tibles de fonder une erreur essentielle au sens de l'art. 24 al. 1 CO (cf. ATF 117 II 218
p. 224; 109 II 105 p. 111; Bruno Schmidlin, Commentaire romand, Bâle 2003, nos 35 ss
ad art. 23-24 CO).
En l'espèce, la recourante voudrait voir un changement imprévisible des circons-
tances dans le fait que, contrairement aux attentes du marché au printemps 2000, le
système WLL ne s'est pas imposé comme une alternative sérieuse au dernier kilo-
mètre de Swisscom et s'est révélé un échec commercial. Elle relève qu'alors qu'elle
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
49
tablait à l'époque sur un chiffre d'affaires de 114.6 millions de francs pour l'exercice
2006 qui devait passer à 219.3 millions pour l'exercice 2010, elle n'escompte au-
jourd'hui, malgré ses efforts, pas réaliser un chiffre d'affaires supérieur à 120'000 fr.
La recourante ne donne cependant aucune indication précise permettant de com-
prendre les raisons de cette profonde déconvenue commerciale, pas plus qu'elle ne
fournit de détails concernant les prémisses sur lesquelles elle avait fondé ses mau-
vaises prévisions. Selon la ComCom, si celles-ci ne se "sont malheureusement pas
confirmées (c'est) notamment en raison de l'évolution de la conjoncture" (cf. rap-
port annuel 2002 de la ComCom).
Au vu de ces éléments, il apparaît que, davantage qu'à un changement imprévisible
des circonstances, l'on ait ici simplement affaire à des attentes ou des espoirs déçus
en raison de prévisions économiques trop optimistes qui se sont a posteriori révé-
lées fausses. Or, de telles prévisions recèlent, de manière intrinsèque, un caractère
spéculatif relativement marqué de nature à exclure, par principe, l'application de la
clausula. Cette conclusion s'impose d'autant plus en l'espèce que le marché portait
sur une technologie nouvelle pour laquelle il ne pouvait, par la force des choses, pas
exister de projection sûre ou fiable quant au potentiel économique du système WLL,
faute de points de comparaison. Du reste, la recourante admet, du moins implicite-
ment, que ses prévisions ne reposaient sur aucune base solide, les qualifiant de
"très enthousiastes et optimistes", et soulignant qu'elles s'inscrivaient dans un mar-
ché "euphorique" (recours, p. 33 et 39). La ComCom a confirmé que le montant de
plus de 580 millions de francs atteint par les enchères en Suisse avait constitué une
"surprise générale", notamment par comparaison à d'autres pays où, selon les mo-
ments, les concessions WLL ont été adjugées à des prix "très bas" et ont peu rappor-
té, soit 99 millions de francs en Grande-Bretagne en novembre 2000 ou deux mil-
lions de francs en Autriche en janvier 2001 (cf. rapport annuel 2000 de la ComCom,
p. 17). A ces circonstances qui plaident contre l'application de la clausula, s'ajoute le
fait que les nouvelles technologies sont, par nature, un domaine en rapide évolution
et en constante mutation, ce qui implique une prise de risque importante de la part
des acteurs économiques opérant sur un tel marché avec, en contre-partie, des ex-
pectatives de profits substantiels en cas de succès commercial; d'ailleurs, il ressort
des chiffres de "l'analyse de projet" du 1er juillet 2005 qu'elle a versée en cause, que
la recourante escomptait initialement réaliser un bénéfice net cumulé de 239 mil-
lions de francs à l'expiration de la concession en 2010 (pièce précitée, p. 8), soit un
chiffre représentant plus de cinq fois le prix de la redevance.
Dans ces conditions, force est d'admettre que l'intéressée savait ou devait savoir,
lorsqu'elle a acquis la concession litigieuse par voie d'enchères, qu'elle se lançait
dans une opération incertaine et même relativement risquée. Elle ne pouvait pas
exclure que ses attentes, fondées sur des prévisions pour le moins optimistes, ris-
PASCAL PICHONNAZ
50
quaient d'être déçues. Elle devait au contraire envisager que l'exploitation de la
concession pourrait n'être pas rentable. Du reste, l'acte de concession prévoit ex-
pressément que le concessionnaire peut à tout moment renoncer avant terme à la
concession, mais qu'il n'a alors droit à aucun remboursement (clause 2.2.4 de l'acte
de concession). Or, il ne fait pas de doute que cette hypothèse vise de manière impli-
cite en priorité la situation dans laquelle l'exploitation de la concession est défici-
taire. Dans la mesure où les parties ont envisagé et réglé les conséquences d'une
telle éventualité, leur volonté doit dès lors s'appliquer et il n'y a, pour ce motif éga-
lement, pas de place pour la clausula rebus sic stantibus (cf. ATF 127 III 300, consid.
5b p. 305 ss; Bénédict Winiger, Commentaire romand, Bâle 2003, nos 206-207 ad
art. 18 CO; Fournier, op. cit., p. 214).
F. ATF 127 III 300/304 consid. 5b (SJ 2002 I 1, JdT 2001 I 329)
5b) Suivant l'opinion dominante et indépendamment du fondement dogmatique (cf.
Gauch, Auslegung, Ergänzung und Anpassung schuldrechtlicher Verträge, dans
Gauch/Schmid (éditeurs), Die Rechtsentwicklung an der Schwelle zum 21. Jahrhun-
dert, p. 234; Schwenzer, Schweizerisches Obligationenrecht, Partie générale, 2e éd.,
p. 223, avec les réf. citées par chacun d'eux), l'intervention du juge dans un contrat
en raison d'un changement de circonstances suppose que celui-ci n'était ni prévisible
ni évitable, qu'il altère gravement l'équivalence des prestations dans des cas sem-
blables à la présente espèce et que le contrat n'a pas été exécuté sans réserve (cf. ATF
122 III 97 c. 3a et les réf., JdT 1997 I 294 c. 3; parmi de nombreux auteurs,
Schwenzer, op. cit., p. 223; Gauch/Schluep/Schmid, Schweizerisches Obligationen-
recht, Partie générale, 7e éd., n. 1298 ss; Baumann, Commentaire zurichois, n. 455
ad art. 2 CC; Wiegand, Commentaire bâlois, n. 99 ss ad art. 18 CO; Kramer, Commen-
taire bernois, n. 337 ss ad art. 18 CO).
aa) La juridiction cantonale a relevé en fait que les parties n'avaient pas imaginé
lors de la conclusion du contrat que les parcelles grevées du droit de superficie
seraient attribuées à la zone de réserve. Elle n'a toutefois pas tranché si le change-
ment de circonstances était imprévisible; il s'agit d'un point de droit (Jäggi/Gauch,
Commentaire zurichois, n. 666 ad art. 18 CO).
D'après la jurisprudence, les parties à un contrat de longue durée doivent s'attendre
que les conditions existant au moment de sa conclusion évoluent avec le temps. Les
modifications légales notamment ne sont en principe pas considérées comme im-
prévisibles (Wiegand, Commentaire bâlois, n. 103 ad art. 18 CO; Kramer, Commen-
taire bernois, n. 339 ad art. 18 CO). Si les parties prennent expressément ou implici-
tement en compte l'influence de telles modifications sur leurs prestations réci-
La modification des circonstances et l’adaptation du contrat
51
proques, il est en principe conforme à la nature du contrat d'être exécuté comme il a
été conclu ( ATF 107 II 343 c. 2, p. 347, JdT 1982 I 272 c. 2, p. 277; ATF 104 II 314
c. II/1a, p. 315, JdT 1979 I 602 c. a, p. 603). Si les circonstances ultérieures n'étaient
toutefois pas prévisibles, il ne saurait être question d'une renonciation expresse ou
implicite à l'adaptation du contrat. Le caractère prévisible doit aussi être nié lors-
qu'un changement de circonstances, comme la modification des bases légales, était
certes prévisible en tant que tel, mais non sa nature, son ampleur et ses effets sur le
contrat (Jäggi/Gauch, Commentaire zurichois, n. 670 ad art. 18 CO; Kramer, Com-
mentaire bernois, n. 340 ad art. 18 CO).
G. ATF 122 III 97/98 consid. 3a (JdT 1997 I 294, SJ 1997 I 14)
3a. L'autorité cantonale n'a ni réduit ni supprimé la rente d'assistance au sens de
l'art. 152 CC parce que le demandeur, dans la convention relative au divorce, avait
consenti à une renonciation à la modification. Le demandeur se prévaut par contre
de la clausula rebus sic stantibus, respectivement de l'art. 27 CC, en faisant état des
modifications radicales dans le marché de la construction et de l'immobilier, modifi-
cations imprévisibles et ruineuses pour lui.
Une renonciation à demander la modification est en principe admissible et par
conséquent obligatoire (ATF 67 II 6 ss, JdT 1941 I 638, rés; Bühler/Spühler, n. 19 ad
art. 153 CC et réf. et Spühler/Frei- Maurer, n. 19 ad art. 153 CC). Il semble pourtant
justifié d'appliquer à une telle convention -- en tout cas par analogie car elle ne
repose en soi pas sur le principe de la prestation et contre-prestation -- la clausula
rebus sic stantibus fondée sur l'art. 2 CC (cf. à cet égard. g. Merz, Berner Kommentar,
n. 237, 239 et 240 ad art. 2 CC). Une telle convention tombe également sous le coup
de la réserve de l'art. 27 al. 2 CC ( ATF 82 II 369, JdT 1957 I 489, rés; cf. ég. Hinder-
ling/Steck, Das schweizerische Ehescheidungsrecht, 4e éd. 1995, pp. 517 s., n. 11);
l'interdiction de l'abus de droit de l'art. 2 CC peut ainsi être conçue comme un cas
d'application de la première disposition (Bucher, Berner Kommentar, n. 197 ad
art. 27 CC et, dans le même sens ATF 113 II 209 c. 4a, JdT 1988 I 160, rés). La clau-
sula rebus sic stantibus n'aboutit toutefois que très rarement, selon la jurisprudence
du TF, à une résolution ou à une modification du contrat (Bucher, op. cit., n. 195 avec
réf. à la jurisprudence). Une telle solution n'entre en ligne de compte que si l'équilibre
entre prestation et contre-prestation en raison d'une modification extraordinaire et
imprévisible des circonstances est à ce point rompu qu'en ne renonçant pas à ses pré-
tentions contractuelles, le créancier exploite usurairement le déséquilibre créé et
abuse manifestement de son droit (ATF 100 II 345 c. 2b, JdT 1975 I 614 ; ATF 101 II
17 c. 2, JdT 1976 I 63 rés; ATF 107 II 343 c. 2, JdT 1982 I 272 , chacun avec réf.).
PASCAL PICHONNAZ
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Le présent ouvrage fait suite au colloque en droit des contrats qui a lieu pour la deuxième fois à l’Université de Fribourg le 23 septembre 2010. Il entend présenter l’actualité et quelques analyses de fond en cette matière.
Les contributions réunies dans ce volume font le point sur la peine conventionnelle et l’indemnisation forfaitaire, sur la modification des circonstances et son impact sur l’adaptation du contrat, sur le sort des prestations à la fin des contrats de du-rée, sur le contrat de courtage, ainsi que sur la jurisprudence du Tribunal fédéral relative aux bonus des dirigeants à l’aune des règles de la FINMA. Le livre contient par ailleurs un résumé de la jurisprudence récente relative à l’ensemble du droit des contrats.
Edité par
Pascal Pichonnaz Franz Werro
La pratique contractuelle 2Symposium en droit des contrats
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