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LE TRAITEMENT JURISPRUDENTIEL DU TRAFIC DE MIGRANTS : UN DÉSAVEU DES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES CANADIENNESLouis-Philippe Jannard

Chaire Hans et Tamar Oppenheimer en droit international public, Université McGill

Acfas – 13 mai 2010

PLAN

1. La sécurisation des migrations internationales et le trafic de migrants.

2. Impacts différenciés pour les trafiquants et les migrants au Canada.

3. Un traitement contrasté à l’étranger.

4. De nécessaires modifications législatives.

1. LA SÉCURISATION DES MIGRATIONS INTERNATIONALES ET LE TRAFIC DE MIGRANTS

LA SÉCURISATION DES MIGRATIONS INTERNATIONALES ET LE TRAFIC DE MIGRANTS

Les impacts de la mondialisation, combinés au développement des communications et des transports, incitent les gens à migrer.

Les flux migratoires se composent à la fois de migrants économiques et de réfugiés.

En réponse à ce phénomène, les États cherchent à « reprendre » le contrôle des frontières afin d’assurer la « sécurité » du pays.

Le durcissement des politiques migratoires crée un environnement propice aux migrations irrégulières et au trafic de migrants.

LA SÉCURISATION DES MIGRATIONS INTERNATIONALES ET LE TRAFIC DE MIGRANTS

Le Canada et la communauté internationale ont opté pour une approche sécuritaire pour faire face aux migrations irrégulières.

Au Canada, l’adoption de mesures de contrôle des frontières provoque une érosion des droits des migrants (Crépeau et Nakache 2006).

L’approche sécuritaire teinte fortement la lutte contre le trafic de migrants.

TRAFIC DE MIGRANTS : CADRE JURIDIQUE

En 2000, la communauté internationale adopte de Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer.

Le trafic de migrants est défini comme « le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État Partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État ».

TRAFIC DE MIGRANTS ET TRAITE D’ÊTRES HUMAINS

Deux phénomènes distincts : Le trafic implique le passage d’une frontière

internationale; Ce passage est nécessairement clandestin; Le trafic ne comprend pas d’élément de tromperie ou de

coercition; Le trafic n’implique pas l’exploitation d’une personne.

Confusion linguistique.

TRAFIC DE MIGRANTS : CADRE JURIDIQUE

Au Canada, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) stipule que « [c]ommet une infraction quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes non munies des documents – passeport, visa ou autre – requis par la présente loi ou incite, aide ou encourage une telle personne à entrer au Canada ».

Les peines maximales augmentent drastiquement lors de l’entrée en vigueur de la LIPR en 2002: de dix ans de réclusion à la prison à perpétuité.

TRAFIC DE MIGRANTS : CADRE JURIDIQUE

Infraction Sentence maximale

Moins de dix migrants – 1re infraction

Dix ans de prison et/ou 500 000$

Moins de dix migrants – récidive Quatorze ans et/ou 1 M$

Dix migrants et plus Emprisonnement à vie et/ou 1 M$

QUESTIONNEMENT ET HYPOTHÈSE

L’adoption de nouvelles sanctions laisse supposer un traitement conséquent de la part des tribunaux.

Pourtant, les sentences imposées de 2002 à 2004 ne correspondent pas à l’échelle de peines prévues par la loi (Jiménez 2006).

Hypothèse : les dispositions législatives sont inadéquates. Elles cherchent moins à réprimer une activité criminelle présumée dangereuse qu’à contribuer à dissuader l’immigration irrégulière.

2. IMPACTS DIFFÉRENCIÉS POUR LES TRAFIQUANTS ET LES MIGRANTS AU CANADA

IMPACTS DIFFÉRENCIÉS AU CANADA : LES TRAFIQUANTS

Le discours législatif : le trafic de migrants est puni par la même sanction que le crime contre l’humanité et le crime de génocide.

Le discours des tribunaux se fait l’écho du discours législatif: Un crime d’une gravité considérable; Un crime avec de nombreux impacts sur l’intégrité du

système d’immigration, la sécurité nationale, la souveraineté territoriale, la réputation internationale du Canada et la sécurité des migrants.

IMPACTS DIFFÉRENCIÉS AU CANADA : LES TRAFIQUANTS

Jiménez (2006) : De 2002 à 2004, les peines varient entre 160 heures de

travail communautaire et trois ans d’emprisonnement. Une double conclusion :

Les peines ne reflètent pas la sévérité attendue par le Parlement et le discours des tribunaux;

Il n’y a pas de corrélation entre la gravité présumée du trafic et les peines infligées.

IMPACTS DIFFÉRENCIÉS AU CANADA : LES TRAFIQUANTS

De janvier 2005 à juillet 2009 : dix décisions repérées.

Les peines varient entre 90 jours de prison à purger de façon intermittente et sept ans de réclusion.

R. c. Min : sept ans et quatre ans de réclusion. Facteur aggravant : récidive.

R. c. Alzehrani : quatre ans et demi et quatre ans de prison. Facteurs aggravants : mort d’un migrant et abandon d’un

groupe de migrants.

IMPACTS DIFFÉRENCIÉS AU CANADA : LES TRAFIQUANTS

Longueur moyenne d’emprisonnement : Si l’on fait exception des cas Min et Alzehrani, caractérisés

par des facteurs aggravants importants, la peine d’emprisonnement moyenne est de 17.5 mois.

En incluant ces décisions, la moyenne augmente à 29.6 mois.

Les conclusions de Jiménez (2006) sont confirmées. Comment expliquer la contradiction entre les

discours législatif et judiciaire et les faibles peines infligées par les juges?

IMPACTS DIFFÉRENCIÉS AU CANADA :L’APPLICATION INÉGALE DES DISPOSITIONS

Faible influence du nombre de migrants trafiqués sur la longueur des sentences.

Poids variables des circonstances atténuantes et aggravantes.

IMPACTS DIFFÉRENCIÉS AU CANADA : LES MIGRANTS

Selon la définition du Protocole, la recherche d’un « avantage financier ou autre avantage matériel » constitue un élément essentiel de l’infraction.

Contrairement au droit international, la LIPR fait de cet élément un simple facteur à considérer lors de l’imposition de la peine.

Cette omission criminalise toute forme d’aide à la migration.

IMPACTS DIFFÉRENCIÉS AU CANADA : LES MIGRANTS

Des travailleuses humanitaires menacées de poursuites pénales : Mme Janet Hinshaw-Thomas; Mme Margaret de Rivera,

R. c. Bejashvili : la criminalisation de l’aide aux réfugiés.

IMPACTS DIFFÉRENCIÉS AU CANADA : CONCLUSION

D’abord, les tribunaux imposent des sentences bien en-deçà de ce que prévoit la loi: on surestime la gravité du crime.

Ensuite, le nombre de migrants trafiqués n’a que peu d’influence sur la sentence, et les circonstances ont un poids variable.

Enfin, les dispositions criminalisent toute forme d’aide à la migration.

Il en résulte des impacts différenciés pour les trafiquants et les migrants.

3. UN TRAITEMENT CONTRASTÉ À L’ÉTRANGER

UN TRAITEMENT CONTRASTÉ À L’ÉTRANGER : DES LOIS PLUS RÉALISTES À L’ÉGARD DES TRAFIQUANTS

Pays Moins de dix personnes Plus de dix personnes

Australie Dix ans (moins de cinq personnes).

Vingt ans (cinq personnes ou plus).

Canada Dix ans. Prison à perpétuité.

France Cinq ans. Cinq ans.

États-Unis Dix ans (une ou deux personnes).

Quinze ans (trois personnes ou plus).

Royaume-Uni Quatorze ans. Quatorze ans.

UN TRAITEMENT CONTRASTÉ À L’ÉTRANGER : DES LOIS AUX EFFETS INDUS SUR LES MIGRANTS

De même qu’au Canada, la recherche d’un avantage financier ne constitue pas un élément essentiel de l’infraction.

Une exception existe en Grande-Bretagne, lorsqu’il s’agit de demandeurs d’asile.

En France, malgré une exemption dans la loi, existe le « délit de solidarité » (Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme 2009).

UN TRAITEMENT CONTRASTÉ À L’ÉTRANGER : DES PEINES PLUS SÉVÈRES EN AUSTRALIE

Nombre de condamnations assez faible : 26 pour la période 2001-2009.

Sentences prononcées assez sévères : Pour les infractions visant un groupe de moins de cinq

personnes : de trois ans à huit ans. Pour les infractions visant un groupe de cinq personnes

ou plus : de trois ans à dix ans. Explications pour la sévérité des sentences :

Le nombre parfois très élevé de migrants; Peine minimale de cinq ans d’emprisonnement pour le

trafic de cinq personnes et plus.

UN TRAITEMENT CONTRASTÉ À L’ÉTRANGER : AILLEURS, DES SENTENCES INFÉRIEURES

En France, au Royaume-Uni et aux États-Unis, les peines demeurent généralement plus faibles qu’au Canada : En France, entre 2000 et 2006, la sentence moyenne varie

entre 5.7 et 6.5 mois. Aux États-Unis, entre 2001 et 2008, la sentence moyenne

oscille entre 13.5 et 16.8 mois. Au Royaume-Uni, entre 2001 et 2007, la sentence

moyenne diminue de 14.1 à 7 mois. Pourtant, les condamnations s’y comptent par

milliers.

UN TRAITEMENT CONTRASTÉ À L’ÉTRANGER : CONCLUSION

Les lois étrangères : Des pénalités relativement moins sévères qu’au Canada; Un point commun : l’exclusion de la recherche d’un

avantage financier. Le traitement des tribunaux :

Des peines plus sévères en Australie. Des sentences inférieures en France, aux États-Unis et au

Royaume-Uni. Constat contradictoire en regard du nombre de

condamnations. Un point commun : peines franchement inférieures à ce

que prévoit la loi.

4. DE NÉCESSAIRES MODIFICATIONS LÉGISLATIVES

DE NÉCESSAIRES MODIFICATIONS LÉGISLATIVES

Les dispositions de la LIPR ne correspondent pas au droit international.

Elles ne sont pas appliquées par les tribunaux qui imposent des sentences bien en-deçà des sanctions maximales.

Les lois étrangères prévoient des peines inférieures. La pratique des tribunaux étrangers demeure

généralement plus clémente.

DE NÉCESSAIRES MODIFICATIONS LÉGISLATIVES

Impacts indus sur les migrants : l’inclusion de la recherche d’un avantage financier dans la définition de l’infraction.

On surestime la gravité du crime : des sanctions maximales revues à la baisse.

Le nombre de migrants n’est pas le facteur aggravant le plus important : une autre modulation des peines.

DE NÉCESSAIRES MODIFICATIONS LÉGISLATIVES

Le recours à des sanctions excessives reflète moins le désir de lutter contre une forme dangereuse de criminalité organisée que celui de contribuer à dissuader l’immigration irrégulière.

Ce type de mesures a des conséquences néfastes pour les migrants et les réfugiés.

MERCI DE VOTRE ATTENTION!

Questions, commentaires :

louis-philippe.jannard@mcgill.ca

oppenheimer.mcgill.ca

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