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Directeur de la publication Jacques Richardson
Consultants pour ce numéro Georges Fradier Dimitris Zois
Illustrations Christophe Ibach
Frontispice Nelly Charbonneaux Hendrik Matthes
Préparateur de copie Jacques Lagrue
Secrétaire de rédaction Ariette Pig nolo
Collaboration rédactionnelle de Charles Marine
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Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, 7 , place de Fontenoy 75700 Paris (France)
Imprimerie des Presses Universitaires de France, V e n d ô m e ISSFAF 27 (2) 159-276 (1977)
27S58W
Avis aux lecteurs
Les illustrations situées à la fin de ce numéro se réfèrent à l'article sur l'Arcologie de Russell Lewis et Henryk Skolimowski (p. 205).
impact : science et société, vol. 27 (1977), n° 2
Frontispice
Habitat est le n o m donné par sa créatrice, Nelly Charbon-neaux, à l'illustration en quadrichromie qui apparaît en frontispice. Nelly Charbonneaux, âgée de vingt-cinq ans, diplômée du Pratt Institute (États-Unis d'Amérique), est une illustratrice de nationalité française qui débute dans ce métier. L'original d'Habitat a été réalisé à la gouache vernie.
A u verso du frontispice on peut voir six aspects de la cité climatologique conçue par Peter V a n G o g h (voir article commençant p. 241). D e haut en bas : l'anneau ; la façade (ensemble et détail) ; les unités d'habitation inférieures (aire de circulation, promenade) ; la vue prise de la promenade ; la vue prise d'une unité d'habitation. [Photos Agfacolor et montage de Hendrik Matthes, Amsterdam.]
A nos lecteurs
U n index cumulatif pour les années 1964-1972 (du volume X I V au volume X X I I inclus) est disponible en anglais et en français. Les lecteurs désireux d'obtenir des exemplaires de cet index peuvent en faire la demande par écrit ou par téléphone au directeur de la publication impact : science et société, Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris (France). Cet avis est également destiné aux bibliothécaires.
L'index annuel régulier pour 1976 sera distribué gratuitement avec le volume 27, n° 3 (juillet-septembre 1977) de ce périodique.
Vol. 27, n° 2 , avril-juin 1977
Les établissements humains
Samuel Chamecki Présentation 163
Stephen Boyden L'étude écologique intégrée des établissements humains 173
s
Ilya Gyorgii Lejhava L a cité de l'avenir et ses besoins 185
Dharamjit Singh Organisation des premiers établissements indiens 195
Russell Lewis et Henryk Skolimowski L'arcologie : un autre habitat urbain 205
Madhu Sarin Les établissements humains et l'organisation sociale de la production 217
Apprendre à concevoir l'habitat 233
Hendrik G. Matthes L a cité climatologique de Peter V a n G o g h 241
Bruno Lefèvre Influence des communications électroniques sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire 251
Science, technologie et habitat 265
Lettres 269
Appel aux lecteurs
Nous serons heureux de publier des lettres contenant des avis motivés—favorables ou non — sur tout article publié dans impact ou présentant les vues des signataires sur les sujets traités dans notre revue. Prière d'adresser toute correspondance à : Rédacteur, impact : science et société, Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris (France).
ISSN 0304-2944 © Unesco 1977
Avis aux lecteurs Impact : science et société est publié régulièrement en espagnol par la Oficina de Educación Iberoamericana, Ciudad Universitaria, Madrid 3 (Espagne). L a revue est également publiée en arabe par le Centre de publications de l'Unesco au Caire (Unesco Publications Centre in Cairo), 1 Talaat Harb Street, Tahrir Square, L e Caire (Egypte).
Notre périodique est aussi publié maintenant en portugais sous le titre impacto de ciência na sociedade. Cette édition peut être obtenue auprès d'Impacto-Editorial e Serviços Ltda, A v . Presidente Vargas, 534 — grupo 1901, 20 000 Rio de Janeiro — R J (Brésil).
Les lecteurs désireux de s'abonner à impact dans l'une de ces langues peuvent entrer en contact directement avec ces bureaux.
Présentation
L'auteur du présent editorial est Samuel Chamecki, ancien professeur et président du Département de technologie des bâtiments et des fondations de VUniversité de Paraná (Brésil). Ingénieur-conseil, auteur d'une trentaine d'ouvrages et d'articles, Samuel Chamecki a travaillé pour la première fois pour F Unesco en 1963 en qualité de professeur invité à l'Université du Moyen-Orient (Turquie) ; il est aujourd'hui chef de la Section de la recherche dans le domaine des sciences de Tingê-nieur, à Paris. Membre de F American Society of Civil Engineers et membre honoraire du Comité français de la mécanique des sols et des fondations, il s'intéresse à la question des établissements humains depuis 1946.
Laissons libre cours à notre imagination et essayons de prévoir quelles seront les formes et la fonction des établissements humains en l'an 2000. N o u s raisonnerons pour cela à partir de techniques encore peu exploitées, mais qui seront vraisemblablement d'usage courant d'ici là.
Il est parfaitement concevable qu'à cette époque les sources d'énergie auront été décentralisées—grâce à l'exploitation des cellules solaires, à l'installation d'appareils de production individuels de petites dimensions, et à d'autres systèmes d u m ê m e ordre — et que, de ce fait, la lumière et le chauffage seront à la portée de tous à peu de frais. C e simple fait autorisera une liberté considérable dans la conception des logements.
O n peut aussi imaginer que les gens vivront davantage dans des maisons individuelles, qui seront alors équipées de sources d'énergie autonomes, peu coûteuses, assurant le chauffage central, l'alimentation en eau froide et chaude (pour la cuisine, le recyclage des déchets et les piscines) et la climatisation. Peut-être m ê m e ces maisons, également dotées d'aménagements pour les loisirs, tourneront-elles sur leur axe afin de suivre la course du soleil.
mpact : science et société, voL 27 (1977), n° 2 I63
O n peut penser que les enfants n'iront plus à l'école, ni les étudiants à l'Université. L a télévision et les ordinateurs ne seraient-ils pas plus efficaces que les professeurs en permettant aux élèves d'avoir accès non seulement aux cours, mais aussi à l'instruction programmée, de consulter les bibliothèques centrales et de dialoguer sans attendre avec les autres étudiants et professeurs qui se trouveraient ailleurs ?
Les boutiques d'alimentation et les supermarchés auront été remplacés par des liaisons pneumatiques distribuant les produits directement des stocks au consommateur qui en aura passé la c o m m a n d e . Les autres formes de transport devraient avoir considérablement changé,,les techniques nouvelles d'aujourd'hui devant immanquablement être utilisées au m a x i m u m demain. D'ici à l'an 2000, des véhicules automatiques emporteront les gens de leur domicile à leur lieu de travail (d'étude ou de loisir) sans intervention humaine. Les bureaux et autres lieux de travail ne seront peut-être plus qu'un souvenir. O n imagine m ê m e qu'il sera si facile et si bon marché de se procurer et d'échanger des informations que les gens pourront travailler chez eux sans avoir besoin de quitter leur domicile. (Voir l'article de Bruno Lefèvre, p . 251.)
Et la durée du travail ayant diminué, ils disposeront de plus de temps pour les activités culturelles et autres divertissements, y compris les sports. Il se peut m ê m e que certains choisissent le lieu de leur domicile de manière à avoir immédiatement accès aux endroits où ils pourront s'adonner à ce genre d'activités.
La vérité
Cette vision optimiste de l'avenir (un avenir pas si lointain, puisque vingt-trois ans seulement nous en séparent) paraît, m ê m e si ce que nous avons décrit est du domaine des choses possibles, appartenir à la science-fiction. L a réalité ne nous autorise pas à tant d'optimisme.
Aujourd'hui, plus du tiers de la population mondiale vit dans des conditions inférieures à la normale et cette situation risque d'empirer avec les années. Le.problème devient de plus en plus aigu dans les villes du m o n d e en : développement, en particulier dans les capitales, dont plus de la moitié de la population vit dans des taudis et des bidonvilles.
L'habitat insalubre se caractérise surtout par le surpeuplement et l'absence d'installations sanitaires élémentaires.
164 Présentation
Q u a n d les logements sont dépourvus d'eau courante et de tout-à-1'égout et n'ont rien d'autre qu'un toit percé et des murs fissurés, ils sont vite envahis par les rongeurs et les insectes. Résultat : des maladies telles que la dysenterie, le trachome, le paludisme et la fièvre jaune s'y propagent. O r le surpeuplement persiste, empirant m ê m e à un rythme alarmant ; on compte dans de nombreux pays trois personnes au moins par pièce.
Grâce à d'excellentes études, anciennes et récentes, nous disposons de faits et de chiffres sur les établissements humains considérés dans leurs rapports directs avec la croissance démographique mondiale et l'accélération du processus d'urbanisation — universellement reconnus c o m m e les deux phénomènes sociaux qui dominent notre époque. O r ces études sont unanimes à conclure que les conditions de logement, en particulier dans les pays en développement, continuent à se détériorer, et à un rythme qui va s'accélérant.
L'explosion démographique
L'une des raisons qui expliquent l'incessante dégradation de la qualité des habitations est l'absence ou la mauvaise utilisation des ressources nécessaires pour répondre aux besoins de : a) une population mondiale qui s'accroît au rythme de 2 % par an ; b) une population urbaine dont lé taux d'accroissement annuel est de 3,2 % ; et c) des populations rurales qui décroissent en nombre et dont on fait généralement peu de cas, mais qui représentent encore plus de 60 % de la population mondiale. Dans de nombreux pays, le rythme d'édification des constructions neuves n'est que de 1 à 4 unités de logement pour 1 000 habitants, par an, alors que toutes les estimations sérieuses indiquent que le taux de mise en chantier de logements devrait être de 8 à 10 unités pour 1 000 habitants pour que tous les besoins en matière de logement soient satisfaits.
Dans la plupart des pays en développement, les matériaux de construction d'origine locale sont rares. Dans certains pays d'Afrique, le coût d'importation des matériaux de construction représente presque 60 % du coût de la construction. L a pénurie de capitaux, d'ouvriers qualifiés et autre personnel compétent, les problèmes de transport, la rareté de l'énergie (plutôt qu'une véritable absence de matières premières) et la médiocrité des services communautaires sont les causes principales de cette situation.
Présentation 165
Permettez-moi de citer quelques chiffres précis et très significatifs à l'appui de ce qui précède. Actuellement, la population mondiale, environ 4 milliards de personnes, se répartit entre régions urbaines et régions rurales à raison de 39 et 61 % respectivement. E n 1920, ces m ê m e s chiffres s'élevaient à 19 % (zones urbaines) et 81 % (zones rurales), alors qu'on estime qu'en l'an 2000 ces pourcentages s'élèveront à 51 et 49 % respectivement (voir fig. 1). Aujourd'hui, les pays en développement abritent plus de 50 % de la population urbaine mondiale — alors que 27 % de leur population seulement réside dans des centres urbains. E n l'an 2000, le m o n d e comptera plus de 6 milliards et demi d'habitants, dont plus de la moitié vivront en ville. Mais en cette m ê m e année, les pays en développement compteront 2 milliards 174 millions de citadins, soit presque le double du nombre des citadins des pays développés et une population totale de 5 milliards 61 millions — trois fois et demie la population des nations industrialisées (fig. 1, 2 et 3).
L'exode rural
C e qui ressort le plus clairement des courbes comparatives données aux figures 2 et 3 est que, tandis que la croissance des pays industrialisés (fig. 2) obéit à une progression linéaire (plus ou moins arithmétique), la croissance des nations en voie d'industrialisation (fig. 3) suit une courbe exponentielle (c'est-à-dire virtuellement une progression géométrique).
D e 1920 à nos jours, la population urbaine mondiale a connu une augmentation nette d'environ 1 milliard 225 millions de personnes : 525 millions dans les régions développées, 700 millions dans les régions en développement. C e qui veut dire que 56 % de cette population nouvelle a dû se loger en milieu urbain ou suburbain.
U n e telle concentration d ' h o m m e s dans u n nombre relativement limité de villes a suscité toutes sortes de problèmes graves, la situation allant en empirant à mesure que le degré d'urbanisation s'accroît. E n 1920, il n'existait encore que peu de grandes villes dans le m o n d e ; dans les pays industrialisés, 20 % seulement de la population urbaine résidait dans des villes d'au moins 500 000 habitants. (Dans les zones les plus « développées », le pourcentage correspondant avait déjà atteint 47 %.)
Aujourd'hui, dans les régions très industrialisées, plus de 50 villes d'un million d'habitants (ou plus) abritent
166 Présentation
130 millions de personnes. Dans les régions en développement, une cinquantaine de millions d'habitants « résident » dans 25 villes. E n 1985, 126 villes d 'un million d'habitants ou plus pourraient accueillir 340 millions de personnes dans les pays industrialisés, et 147 villes d 'un million d'habitants ou plus quelque 465 millions de personnes dans les pays en développement. Dans notre décennie et pour la première fois dans l'histoire, les villes d'au moins u n million d'habitants des pays en développement devraient devenir plus nombreuses que les agglomérations similaires des pays industrialisés.
Où vont les gens ?
Il est de fait que la population urbaine croît plus vite que la population totale. C e phénomène est dû en partie à l'accroissement naturel mais aussi, et surtout, à la migration des populations rurales vers les zones urbaines — migration qui, dans de nombreuses villes, est responsable de 90 % de la croissance démographique totale. Les chiffres montrent de surcroît que ce phénomène migratoire est plus aigu dans les pays en développement que dans les autres.
C e sont les taudis et les bidonvilles qui subissent le contrecoup de l'accélération de l'exode rural et de la croissance urbaine. Leur ampleur et leur extension dans les villes montrent de la façon la plus inquiétante à quel point le développement social et économique des nations en voie d'industrialisation est déséquilibré. Dans la plupart des villes du m o n d e en développement, en effet, c'est là que se loge entre u n tiers et la moitié de la population. Les gens y construisent eux-mêmes leurs abris, généralement sans l'accord ni la coopération des organismes de construction de logements et sans l'assistance technique des urbanistes, des architectes, des ingénieurs, ni m ê m e des entrepreneurs de constructions — toutes personnes aux services desquelles, dans la réalité, les gens qui en ont le plus besoin peuvent rarement faire appel.
Dans quinze des quarante-quatre villes d'Afrique qui comptent entre 100 000 et 500 000 habitants, le pourcentage de taudis et de bidonvilles est toujours élevé. Dans deux d'entre elles seulement ce chiffre reste inférieur à 48 % , le pourcentage le plus élevé étant de 90 % (ville où l'urbanisation s'est faite, à 90 % , de façon « sauvage », c o m m e diraient les urbanistes). D'après ce qu'on sait de six des quinze
Présentation 167
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F I G . I. Croissance démographique totale du monde et comparaison avec la croissance de la population urbaine.
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F I G . 2. Croissance démographique dans le monde industrialisé.
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F I G . 3. Croissance démographique dans les pays en développement.
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Asie
Afrique
Amérique latine
1920 2000
F I G . 4. Croissance démographique actuelle et projetée en Afrique, en Amérique latine et en Asie. .
métropoles latino-américaines comptant plus d'un million d'habitants, trois villes ont chacune plus d'un million d'habitants vivant dans des taudis ou des bidonvilles. Sur cinquante-deux villes d'Asie comptant plus d'un million d'habitants (on dispose de données sur dix-sept d'entre elles seulement), sept au moins ont des bidonvilles dont la population dépasse le million de personnes. Trois de ces dernières se situent en Inde, où 70 % du total des familles vivent dans une seule pièce, ou moins d'une pièce.
168 Présentation
Jusqu'à une époque récente, la plupart des gouvernements considéraient les bidonvilles c o m m e un phénomène de caractère temporaire, devant se résorber — u n jour — à mesure que les villes s'achemineraient vers le progrès. Mais en dépit des efforts accomplis par les pouvoirs publics pour régler ce problème, les bidonvilles ont témoigné d'une étonnante persistance, augmentant régulièrement en taille et en nombre. (Voir l'article de M a d h u Sarin, p. 217, qui décrit ce qui s'est produit à ce propos à Chandigarh, nouvelle capitale d'un État de l'Inde.) L a question aujourd'hui est donc la suivante : ces zones d'urbanisation sauvage s'assimileront-elles à la ville selon le processus normal du « métabolisme urbain », ou ont-elles atteint une ampleur telle qu'elles constituent un processus cancéreux ? L e rythme de croissance d é m o graphique prévisible du tiers m o n d e (fig. 4) ne fait qu'accroître la gravité du problème.
Quantifier le problème
Les bidonvilles et les taudis ne représentent en réalité qu'un aspect de la situation catastrophique de l'habitat dans le m o n d e . U n e autre partie importante de la population, nous l'avons vu, vit dans des conditions sordides, dans des logements délabrés, surpeuplés et dépourvus des commodités les plus élémentaires. O r les zones urbaines des pays en développement ne sont pas les seules à avoir ces quartiers insalubres. O n les retrouve dans beaucoup de pays industrialisés où ils abritent traditionnellement les citadins pauvres.
Résoudre le problème du logement (et de son intégration au site) devient l'une des tâches qui s'imposent avec le plus d'urgence dans l'immédiat. C'est en résolvant les problèmes du logement de masse que l'humanité témoignera le mieux de son intelligence et de ses capacités d'organisation. Si l'on tient compte de l'accroissement naturel de la population, des migrations vers les villes, de la nécessité de remplacer les logements vétustés et de résorber le retard actuel de la construction de logements, c'est plus de 730 millions de logements qu'il faudra construire en Afrique, en Asie et en Amérique latine en moins de vingt-cinq ans.
Comparons cette estimation des besoins du m o n d e en développement avec le nombre des logements (200 millions d'unités) qu'il est prévu de construire, pendant la m ê m e période, dans les régions disposant de ressources économiques
Présentation 169
et humaines plus considérables (Europe, Amérique du Nord, Océanie et Union soviétique). U n rapide calcul des besoins (730 millions + 200 millions, divisé par 25) nous donne une moyenne de 37 millions de logements par an, ce qui correspond à la moyenne actuelle d'environ 9.2 logements par an pour 1 000 habitants (voir p . 165).
Selon les chiffres globaux les plus récents (1970), cet objectif est atteint dans la plupart des pays développés : Japon, 14,3; Suède, 13,6; Australie, 11 ,3 ; Danemark, Finlande et Suisse, 10,4 ; Union soviétique, 9,4 ; France, 9.3 ; Espagne, 9,0 ; Tchécoslovaquie, République fédérale d'Allemagne et Roumanie, 8,0. Toutefois, il existe encore, en matière de logement de masse, d'énormes différences entre les besoins et le parc immobilier dans la plupart des pays en voie d'industrialisation. E n voici quelques exemples. Pour l'Afrique : Egypte et Tunisie, 1,5 ; Algérie, 1,0. Pour l'Asie, on citera c o m m e exemples caractéristiques : Irak, 1,8 ; Sri Lanka : 0,8. Pour l'Amérique latine : Trinité-et-Tobago, 2,0 ; Colombie, 1,2 ; République dominicaine, 0,6. Certaines nations du monde en développement ont cependant atteint les objectifs qu'elles s'étaient fixés en matière de logement ; c'est le cas de Belize, du Koweït, de la Mongolie et de Singapour.
Bien que le rythme de construction des logements neufs soit très en retard sur celui de la croissance démographique, la précarité de la situation économique de nombreux pays en voie d'industrialisation ne leur permet pas d'affecter les ressources nécessaires à des programmes de logements sociaux d'une ampleur correspondant aux besoins (sans cesse) croissants. D e surcroît, toute projection vers l'horizon 2000 doit s'inscrire dans le cadre d'une analyse globale du problème des établissements humains — puisque c'est ce problème qui conditionne tous ceux, présents et à venir, auxquels l'humanité doit faire face.
Le devoir de chacun
Actuellement, u n tiers de la population mondiale est soit sans abri, soit logée dans des habitations insalubres. L a croissance démographique exponentielle qui a pour effet de faire doubler la population tous les trente ans environ est telle qu'on peut penser que le nombre total des êtres humains vivant aujourd'hui dépasse celui de tous les individus qui sont nés et morts depuis les origines de l'humanité. Par
170 Présentation
consequent, les vivants doivent construire en moins de vingt-cinq ans plus de logements que le total des habitations édifiées par l'humanité jusqu'ici. C'est une tâche immense dont, par surcroît, le fardeau retombe à 80 % sur les pays en développement.
Nous avons le devoir de faire comprendre à chacun la nature du problème et la façon dont il s'aggrave. Force est d'attirer l'attention de chacun sur ce point afin que l'opinion publique puisse inciter les gouvernements à y rechercher des solutions. E n effet, c'est, de toute évidence, au niveau politique que devront être prises les nombreuses mesures importantes, extrêmement onéreuses et de grande portée sociale, qui s'imposent.
Puisqu'il a été possible de convaincre le m o n d e que certains des plus grands trésors de l'humanité (Abou Simbel, Borobudur, Venise) n'appartiennent pas seulement au pays où ils se trouvent mais à chacun d'entre nous, ne pourrait-on pas aussi le convaincre que le problème des établissements humains — au Bangladesh par exemple — est aussi un problème intéressant l'humanité tout entière ? Et que le m o n d e doit prendre conscience de sa responsabilité collective à l'égard de ce problème ?
Q u e l'humanité ait réussi, dans le passé, à se tirer de situations tout aussi dramatiques ne nous incite guère à l'optimisme en l'occurrence. N o u s sommes aujourd'hui c o m m e jamais entraînés dans une spirale ascendante qui risque de nous conduire au désastre. Or si nous nous efforçons en c o m m u n de tirer parti de tous les moyens sociaux, économiques, culturels et politiques, nous pourrons — car il le faut — éviter à l'humanité la tragédie ultime.
Samuel Chamecki
Pour approfondir le sujet (Voir aussi p . 265)
A L B E R T , F . Urban land use in Ghana. Ekistics, vol. 42, n° 249, août 1976.
A u sujet des politiques d'aménagement du territoire en Amérique centrale et du Sud, dans l'ouest des États-Unis, en Jamaïque, en Inde, en Indonésie, au Nigéria, au Royaume-Uni et en Zambie, voir Ekistics, vol. 41, n° 244, mars 1976.
C A I N , A . ; A F S H A R , F . ; N O R T O N , J. Indigenous
building and the Third World. Ekistics, vol. 41, n° 242, janv. 1976. Rend compte de projets de recherche architecturale élaborés en Egypte, Inde, Iran, O m a n et Syrie, 1971-1975.
C H A M E C K I , S. Housing science, science fiction and reality. Compte rendu. IIIe Symposium international sur les problèmes de l'habitation à coût réduit, Montréal, 27-31 mai 1974. Concordia University (Centre de recherches sur le bâtiment).
Présentation i7r
C H A M E C K I , S . T h e world housing problem in figures. Proc. IAHS Cairo Workshop on Evaluation of Industrialized Housing Systems, Cairo, ï¡-20 November 1976.
C H R I S T I A K I S , A . A n appreciation of contemporary settlement morphology. Futures, vol. 8, n° 3, juin 1976. .
C O R R E A , G . Third World housing: space as a resource. Ekistics, vol. 41, n° 242, janvier 1976.
E L V T N , M . ; S K I N N E R , W . (dir. publ.). The
Chinese city between two worlds. Palo Alto, Stanford University Press, 1974..
Grösste Völkerwanderung der Geschichte. Der Spiegel, 14 juin 1976. Traite de l'explosion urbaine dans le tiers monde .
M A H A D E V , P . ; R A O , K . A model for location of service facilities in a non-Western urban environment. Ekistics, vol. 40, n° 240, nov. 1975.
M E I E R , R . A stable urban ecosystem. Science, vol. 192,4 juin 1976. Décrit l'évolution d'un écosystème stable dans une société à forte densité de population, en prenant pour exemples les villes de Djakarta et de Surabaya (Indonésie).
M U K H E R J E E , C . Urban growth in a rural area. Santíniketan, Visva-Bharati, 1972. Enquête sur la manière dont une ville de marché du Bengale-Occidental s'est développée en tirant sa subsistance des zones rurales avoisinantes.
P L A T T N E R , S . Rural market networks. Scientific American, vol. 232, n° 5, mai 1975.
Saudi Arabia (Arabie Saoudite). Master plans and action area plans for Central and Northern Region towns. D. A. reo., vol. 11, n° 92, avril 1975.
172 Présentation
L'étude écologique intégrée des établissements humains Stephen Boyden
Pour que les établissements humains fonctionnent correctement, quels que soient leur taille et leur degré de complexité, il est indispensable de comprendre les interactions holistiques de l'ensemble des forces naturelles et des phénomènes socio-culturels qui entrent en jeu. L'auteur se réfère à une étude en cours pour laquelle le modèle analytique est fourni par Hong-kong.
Introduction
Toute situation humaine dynamique, qu'elle soit observée au niveau de l'individu, de la famille, d'une institution ou de l'ensemble de la société, implique l'interaction constante de variables de types très divers. Il ressort de cette constatation élémentaire qu'une compréhension des situations humaines permettant de formuler des politiques sodétales judicieuses exige une certaine connaissance des modalités de l'interaction entre ces variables et des principes qui la régissent. C o m p t e tenu d u caractère aigu des problèmes auxquels la société doit aujourd'hui faire face, force nous est de déplorer que nos institutions savantes, qui s'orientent toujours davantage vers là spécialisation, aient à peu près complètement négligé l'approche interactive et holistique en matière d'étude des situations humaines1. E n fait, on peut dire que, dans ce domaine important, les théoriciens ont gravement failli à leurs responsabilités envers les communautés qu'ils ont mission de servir et qui leur fournissent leurs moyens d'existence ; il est temps de remédier à ce déséquilibre dans nos établissements d'enseignement et de recherche.
Il est donc urgent d'intensifier les efforts
intellectuels consacrés à l'étude des situations et des problèmes humains dans une perspective holistique, synergique et integrative qui permettra de prendre en considération tous les éléments significatifs, que ceux-ci relèvent ordinairement des sciences de la nature, des sciences sociales ou des sciences h u maines. Si une telle optique est nécessairement multidisciplinaire, c'est moins la m u l -tidisciplinarité qui importe que l'orientation vers les situations et les problèmes. L a m u l -tidisdplinarité, en effet, est ici plutôt u n m o y e n qu'une fin.
. Soulignons aussi qu'introduire une approche écologique et integrative signifie beaucoup plus que se borner à réunir de temps à autre autour d'une table—afin qu'ils définissent les rôles à confier à chacun dans u n programme c o m m u n de recherches ou un enseignement — des représentants de différentes disciplines qui auront hâte, dès qu'ils se sépareront, de retrouver le confort et la sécurité de leur domaine de spécialisation. Il est impératif de mettre au point des
ï. Par « approche interactive », nous entendons ici l'étude des interactions entre les différents types de variables que mettent en jeu les situations humaines.
impact : science et société, vol. 27 (1977), n° 2 I73
• Stephen Boyden
L'auteur; qui a fait des études de médecine vétérinaire et d'immunologie, s'intéresse depuis longtemps aux problèmes de l'adaptation humaine à l'environnement. Il dirige actuellement le groupe d'écologie humaine du Centre d'études sur les ressources et l'environnement qui dépend de l'Université nationale australienne, P . O . Box 4, Canberra 2600 (Australie).
modalités d'organisation qui inciteront les intéressés à se consacrer en permanence à des efforts de réflexion et de recherche inté-gratives. Cependant, une telle évolution a peu de chances de se produire sans u n bouleversement des valeurs en honneur à l'heure actuelle dans nos institutions universitaires, où le prestige et les distinctions vont aux superspécialistes qui s'occupent de sujets toujours plus limités. Il est beaucoup plus difficile d'être u n bon « intégrateur » qu'un bon spécialiste — ce qui rend une grande rigueur intellectuelle et u n travail à plein temps d'autant plus indispensables à l'adoption d'une approche integrative. Q u a n d on accordera une importance suffisante à une réflexion integrative et axée sur les situations, il apparaîtra, selon toute vraisemblance, que beaucoup des découvertes et des principes relevant des sciences de la nature et des sciences sociales acquièrent u n sens nouveau dans le contexte des modes d'interaction dynamique étudiés. Il est m ê m e probable que des concepts et des principes nouveaux relatifs à l'interaction elle-même seront élaborés et pourront se révéler d'un grand intérêt pour l'étude des problèmes sociétaux. Indépendamment de l'utilité qu'offre une approche integrative pour la compréhension des situations humaines, cette méthode pose
donc des problèmes intellectuels tout à fait stimulants à ceux qui sont prêts à l'appliquer avec le sérieux voulu.
Le but visé
O n peut ainsi dire que l'approche écologique integrative a pour objet essentiel d'améliorer notre compréhension des situations h u maines par l'étude des modes d'interaction entre les différents éléments ou composants de ces situations, tant culturels que naturels1, afin que les individus et les institutions soient mieux à m ê m e de formuler des politiques d'avenir judicieuses.
L'approche integrative peut, en écologie humaine, se traduire de diverses façons. C'est ainsi que les travaux sur le terrain peuvent comprendre aussi bien de vastes enquêtes relatives aux interactions écologiques entre une population humaine et son environnement à l'échelon d'une région tout entière, que des recherches approfondies mais d'envergure limitée portant sur des thèmes ou des problèmes particuliers. O n aurait également besoin de nombreuses études théoriques visant à fonder l'écologie humaine sur des bases conceptuelles. Chaque projet peut aussi, bien entendu, associer plusieurs de ces approches. L e présent article traite essentiellement des études écologiques intégra-tives d'assez grande envergure concernant les établissements humains, ce qui ne nous empêchera pas de souligner la nécessité de situer ces études dans u n cadre conceptuel ou théorique solide.
Il tirera largement parti de l'expérience
1. Les mots « nature » et « naturel » désignent ici tous les processus du type de ceux qui existaient sur terre avant le début de l'évolution de la culture humaine. L e mot « culture » s'applique à l'ensemble des processus qui caractérisent les sociétés humaines et qui impliquent l'acquisition et l'accumulation de l'information ainsi que sa transmission par des moyens autres que génétiques (principalement grâce à l'emploi de symboles acquis) d'un individu, d'une génération et d'une société à l'autre.
174 Stephen Boyden
personnelle acquise en participant à l'étude de l'écologie humaine de Hong-kong 1 , dont les principaux objectifs ont été définis c o m m e suit : Faire mieux connaître et comprendre H o n g
kong en tant qu'écosystème urbain, notamment en ce qui concerne les caractéristiques des flux et des modes d'utilisation de l'énergie et de certaines matières importantes.
Faire mieux connaître et comprendre les relations causales entre les conditions de vie de la population de Hong-kong, d'une part, sa santé et son bien-être, de l'autre.
Faire mieux comprendre les rapports entre les caractéristiques écologiques de l'écosystème urbain considéré c o m m e u n tout, d'une part, et, de l'autre, la santé et le bien-être de la population.
Faire mieux connaître et comprendre les processus culturels d'adaptation aux influences nocives de l'environnement.
Les résultats des recherches de ce genre devraient bien entendu être communiqués de façon efficace à tous les intéressés. Il convient cependant de souligner qu'à m o n sens le rôle d u théoricien est, c o m m e je l'ai indiqué ci-dessus, d'améliorer nos connaissances et notre compréhension, et non de chercher à fournir des directives en vue de l'élaboration des politiques écologiques et mésologiques ou, de façon plus précise, d'adresser des critiques et des recommandations aux responsables des décisions. L e but visé doit être de faire mieux connaître et comprendre l'état des choses afin de permettre aux collectivités et à leurs dirigeants de prendre des décisions judicieuses. Cela ne signifie pas, bien entendu, que la description écologique directe de telle ou telle situation ne contiendra pas implicitement une critique des politiques gouvernementales en vigueur.
Il est bon de rappeler aussi que les études sur le terrain en matière d'écologie humaine peuvent être considérées c o m m e ayant deux aspects qui, s'ils ne sont pas sans rapport, n'en sont pas moins distincts. Tout d'abord,
on en attend une description pure et simple. Il faut à cet effet réunir des données provenant d'un grand nombre de sources différentes afin de pouvoir brosser u n tableau des interactions dynamiques et des changements qui se produisent au sein du système considéré. L a description ainsi obtenue d'un établissement humain peut non seulement faciliter la tâche des planificateurs locaux, mais aussi encourager les lecteurs à aborder systématiquement les situations humaines dans une perspective holistique et synergique, et servir en outre à faire connaître des principes écologiques et bioculturels importants qui contribueront à la compréhension des problèmes sociétaux.
E n second lieu, ces études peuvent permettre de vérifier des hypothèses relatives à différentes interrelations existant au sein d'un système. O n pourra, par exemple, recueillir des informations au sujet d'une hypothèse concernant les répercussions de telles ou telles caractéristiques de l'environnement — c o m m e le bruit des avions — sur la santé humaine.
Quelques écueils
Il paraît utile d'attirer l'attention sur divers écueils que les travaux sur le terrain relatifs à l'écologie des établissements humains doivent éviter pour atteindre leur objectif.
Il faut, premièrement, prendre bien garde de ne pas succomber à la « systémophilie » : il s'agit d'une fascination exercée par le système en tant que tel, une tendance à attacher une valeur positive à son bon fonctionnement et à son efficacité, quels que soient les effets produits sur la qualité de la vie des êtres humains qui en font partie. Cette tendance est très naturelle compte tenu des mécanismes de la pensée humaine et de
ï. Il s'agit d'un projet pilote entrepris en 1973 (et presque terminé aujourd'hui) dans le cadre du Projet n du Programme de l'Unesco sur l'homme et la biosphère ; il a été mené sous la direction d'une équipe composée essentiellement de S. Millar, K . N e w c o m b e et de l'auteur.
L'étude écologique intégrée des établissements humains 175
l'attrait qu'exercent des modèles esthétiquement satisfaisants, mais en fait le bon fonctionnement des systèmes humains n'est pas nécessairement et constamment lié à la qualité d u vécu humain. O n peut très bien concevoir, par exemple, u n système urbain fort efficace sur le plan énergétique et économique ainsi qu'en ce qui concerne les flux de matière, où, cependant, la majorité des gens vivent la plupart du temps c o m m e des automates, acceptent sans résistance de faire u n travail monotone et peu stimulant et sont privés de relations humaines agréables et chaleureuses : il s'agit là d'une société déshumanisée. O n peut tout aussi bien concevoir une société qui fonctionne sans heurt avec u n taux constant de mortalité infantile de 50 %. L a tendance à faire de la cohérence d u système u n critère de la valeur des établissements humains est dangereuse, car elle peut amener à préconiser des politiques propres à accroître cette cohérence, mais au détriment de lá santé et du bien-être de la population.
U n e autre attitude d'esprit qui peut c o m promettre la valeur des études d'écologie humaine c'est la « quantophrénie » — obsession des nombres qui amène à négliger par principe tous les aspects non aisément quantifiables de la réalité. O r il n'existe, bien entendu, aucune loi naturelle ou sociale établissant u n Hen quelconque entre la quan-tifiabilité et l'importance. E n fait, il est peu scientifique, quand on entreprend des recherches visant à améliorer la compréhension de situations humaines, de choisir les variables à étudier en fonction d'un tel critère, car cela peut conduire à laisser de côté des influences capitales, ce qui fait qu'on aboutit à des interprétations et des conclusions erronées. Les recherches doivent porter sur les éléments jugés à la lumière de l'ensemble des connaissances disponibles ainsi que des principes et des concepts de l'écologie humaine. Si certains de ces éléments ne peuvent être quantifiés, il faudra recourir à l'observation qualitative pour procéder à une estimation aussi objective que possible de leur rôle. . U n troisième écueil à éviter est la tenta
tion d'admettre que des principes ayant été appliqués avec succès à une certaine série de processus pourront l'être également à u n groupe de processus d'un genre différent. U n exemple classique de cette erreur nous est fourni par le darwinisme social dont les adeptes se sont efforcés d'étendre la théorie darwinienne de la sélection naturelle (qui a trait à l'évolution des êtres vivants) aux mécanismes sociaux des communautés humaines. Différents principes biologiques, et d'ailleurs la théorie de la sélection naturelle elle-même, peuvent beaucoup aider à comprendre les problèmes sociaux et socié-taux. E n outre, il n'y a aucun inconvénient à se demander si ces principes sont ou non applicables à u n ensemble de processus sociaux ou culturels. L e danger consiste à postuler qu'ils le sont et à tirer des conclusions de cette hypothèse : c'est ce qu'ont fait les tenants du darwinisme social, et cela les a conduits à u n certain nombre de conclusions erronées et néfastes.
Importance d'un cadre intégrât if
Pour qu'une étude écologique integrative des établissements humains produise des résultats intéressants, il est indispensable — je tiens à le souligner — qu'elle s'appuie sur u n cadre conceptuel, clair et rigoureux1, composé d'un ensemble de postulats et d'hypothèses qui orienteront et structureront les recherches et serviront de base à u n choix rationnel des paramètres à prendre en considération. E n fait, une optique integrative ne saurait exister en l'absence d'un cadre conceptuel solide et adéquat. Il ne s'agit
1. Il convient de faire une distinction entre le cadre théorico-conceptuel d'une étude et le m o dèle conceptuel. L e premier définit une série de concepts et d'idées concernant les interrelations qui se produisent au sein d 'un système ainsi que certaines « lois » régissant ces interrelations, tandis que le « modèle conceptuel » est une représentation graphique des éléments (ou ensemble d'éléments) en cours d'interaction dans u n système et des voies par lesquelles s'opèrent ces interactions.
176 Stephen Boy den
évidemment pas de se borner à mesurer le m a x i m u m de phénomènes et à mettre les chiffres sur ordinateur, dans l'espoir qu'il en sortira quelque chose d'intéressant.
A m o n sens, dans le domaine visé ici, le cadre conceptuel ne donnera satisfaction que s'il remplit un certain nombre de conditions : Il doit fournir une base théorique à l'étude
des interactions de toutes sortes de variables et de processus. Les interactions entre les éléments biotiques et culturels des situations humaines sont particulièrement importants.
Il doit permettre de prendre ces interactions en considération à tous les niveaux — que ce soit celui de l'individu, de la société, de la région ou de la biosphère. Il doit permettre en outre d'étudier les interrela-
. rions entre les variables aux différents niveaux — par exemple, les répercussions de l'évolution de l'environnement d'une région sur l'existence des individus ou des sous-populations — et aussi fournir u n m o y e n rationnel d'identifier les éléments des réseaux complexes d'influences qui s'exercent sur la qualité de l'environnement et sur celle de la vie des habitants.
Il doit apporter u n fondement théorique à l'examen des effets que les caractéristiques : écologiques de l'établissement humain ou-de la région, ou les modifications de ces caractéristiques,' ont sur la santé, le bien-être et la qualité de la vie de la population.
Il doit rendre possible la prise en compte de n'importe quel aspect d'une situation h u maine — qu'il soit d'ordre biotique ou non biotique, culturel, psychologique ou expé-rientiel — et une étude appropriée non
• seulement des éléments aisément quanti-fiables de la réalité, mais aussi de ceux qui;
sont relativement difficiles à définir et à mesurer, tels que le comportement créatif, la motivation et les considérations esthétiques.
Il devrait englober, au fur et à mesure de son développement, sa propre série de principes, de concepts et d'idées relatives aux schemes d'interaction entre diverses va
riables (tant culturelles que naturelles) et, en particulier, aux interactions entre les êtres humains et leur environnement. Il devrait être une source féconde d'hypothèses sur les interrelations entre les variables culturelles et naturelles.
Il devrait pouvoir être adapté pour répondre aux besoins de tous les utilisateurs, quel que soit leur niveau d'étude ou leur degré d'intérêt : l'élève de l'école primaire, l ' h o m m e ordinaire, le planificateur ou le décideur et, bien entendu aussi, le théoricien qui adopte une approche integrative. C'est dire qu'il devrait être facile de communiquer les éléments de base du cadre conceptuel à tous, sans que l'insuffisance du niveau d'instruction soit considérée c o m m e u n obstacle.
Il devrait, fournir une base théorique à - l'étude et à la compréhension des divers
schemes d'adaptation culturelle aux évolutions et aux modifications non souhaitables de l'environnement.
• Il devrait avoir une cohérence interne (c'est-1 à-dire qu'il devrait y avoir concordance
ou compatibilité totale entre les idées et : concepts relatifs aux différents aspects et ; éléments des situations humaines). Il de-. vrait également posséder une cohérence
externe (autrement dit être compatible avec les notions admises dans le domaine des sciences de la nature et des sciences sociales).
Je vais maintenant, pour illustrer m o n propos, exposer de façon succincte le cadre conceptuel sur lequel repose le Programme de Hong-kong et qui, à m o n avis, remplit
; les conditions énumérées ci-dessus.
Fondement théorique : du Programme de Hong-kong
I Le modèle conceptuel
' Les biologistes distinguent d'ordinaire deux façons d'aborder l'étude de l'écologie, qui sont parfois appelées, l'une, l'écologie du système, l'autre, l'écologie de la population.
L'étude écologique intégrée des établissements humains 177
Dans le cas de la première, il s'agit d'étudier l'écosystème dans son ensemble, en accordant souvent une attention particulière aux caractéristiques des flux d'énergie ou de matières importantes c o m m e le carbone ou l'eau. A u contraire, l'écologie de la population met l'accent sur l'étude d'une seule population d'une espèce animale ou végétale donnée et des principales interactions de cette population avec les autres composantes —biotiques ou non — du système.
E n abordant notre enquête sur H o n g kong, nous avions l'intention de la mener à ces deux niveaux — c'est-à-dire d'étudier les flux d'énergie et de certaines matières au sein du système considéré c o m m e u n tout et en m ê m e temps de concentrer notre attention sur la population humaine. N o u s avons donc à l'origine fondé l'organisation de nos recherches et le classement des données réu
nies sur la distinction entre l'écologie d u système et celle de la population. A mesure que nos travaux progressaient, nous nous s o m m e s aperçus qu'une telle solution n'était pas entièrement satisfaisante. Néanmoins, notre cadre conceptuel distingue toujours deux « dimensions » autour desquelles s'oriente notre étude : celle de 1' « environnement global » et celle de 1' « expérience humaine ».
A ce stade, il convient d'attirer l'attention d u lecteur sur le modèle conceptuel (fig. ï) qui représente certaines des séries de variables et d'interrelations dont nous allons parler.
La dimension de Venvironnement global. L'environnement global était essentiellement constitué pour nous par le territoire de Hong-kong et tout ce qui s'y trouve. A d'autres fins, nous pourrions souhaiter
Environnement global
Environnement global antérieur
Expérience humaine
Conditions de vie État biopsychique
F I G . ï. Modèle conceptuel : les variables et leurs interrelations.
178 Stephen B o y d e n
étendre cette notion à l'ensemble de la biosphère.
Dans tout écosystème, il existe des éléments biotiques et non biotiques. C o m m e nous nous intéressons spécialement aux êtres humains, nous avons séparé, dans notre modèle conceptuel, la population humaine des autres éléments biotiques du système. Sous la rubrique « Population humaine », nous avons fait figurer trois groupes de variables : a) les variables biotiques — effectif et structure de la population, taux de fécondité et de mortalité, état nutri-tionnel, etc. ; b) les variables sociétales, c'est-à-dire relatives à l'organisation de la population en société (structure de la famille, structure hérarchique, structure institutionnelle, services sociaux, etc.) ; c) les variables comportementales qui ont trait, par exemple, à la fréquence de certaines formes importantes du comportement individuel ( comme le recours à la violence) et aussi au comportement des institutions.
Dans les écosystèmes qui comportent une population humaine, il existe u n autre groupe d'éléments, ceux qui relèvent de la culture humaine ; quoique celle-ci soit créée par les h o m m e s et n'ait pas d'effets écologiques en l'absence d'êtres humains, il est utile de la faire apparaître dans le m o dèle c o m m e u n ensemble distinct. Dans le m o n d e contemporain, la culture humaine, qui comprend le savoir, la technologie et les systèmes de valeurs, est u n facteur écologique d'une immense importance.
E n ce qui concerne l'analyse des flux, il est clair que certains éléments peuvent changer d'état ou de situation au sein du modèle. Ainsi, l'eau peut exister à l'état libre (sous forme de liquide ou de vapeur), devenir une partie d'une composante biotique (une espèce végétale, par exemple), ou de la population humaine, ou encore disparaître en tant qu'eau à la suite d'une réaction chimique.
Tout ce qui se passe à l'intérieur d'un écosystème implique u n transfert et une conversion d'énergie. Aussi l'analyse des flux d'énergie est-elle u n indicateur précieux qui nous
renseigne sur ce qui se produit au sein du système et sur les différentes interactions, interdépendances et interrelations entre ses éléments, qu'ils soient non biotiques, biotiques ou humains.
D e m ê m e que certaines matières, l'énergie peut exister ou être accumulée dans la zone non biotique, dans la zone biotique ou dans la population humaine. S'il s'agit d'un écosystème naturel, la structure énergétique reflète, pour une large part, les processus dynamiques en cours dans les populations biotiques. E n revanche, par suite de l'évolution de la culture humaine, dans les sociétés modernes, les flux d'énergie sont orientés, pour l'essentiel, non vers les activités des êtres humains ou d'autres populations biotiques, mais vers le fonctionnement des machines.
La dimension de Vexpérience humaine. L a population humaine se compose d'êtres h u mains dont chacun a l'expérience d'un aspect de l'environnement global, qui comprend toutes sortes de variables aussi bien matérielles (qualité de l'air respiré, niveau de bruit ambiant, etc.) que sociales (dimensions et nature d u réseau de soutien, possibilités de coopération interactive par petits groupes, etc.). A l'intérieur de cet environnement vécu, l'individu agit ou se conduit d'une certaine façon — autrement dit, il a des structures de comportement distinctives ; celles-ci sont, bien entendu, influencées par l'environnement et les deux éléments ont été réunis dans notre modèle sous la rubrique « Conditions de vie ».
A tout m o m e n t , l'individu se trouve dans u n certain état physique, physiologique et mental appelé, dans notre modèle, « état biopsychique », qui correspond au phénotype et inclut non seulement des variables telles que la taille, le poids, l'état des poumons ou la couleur de la peau, mais aussi les connaissances, le système de valeur, l'humeur, les sentiments, etc.
L'environnement vécu est naturellement en rapport avec l'environnement global, mais
L'étude écologique intégrée des établissements humains 179
le rapport n'est pas direct et plusieurs individus qui partagent le m ê m e environnement global peuvent fort bien avoir des environnements vécus tout à fait différents, car chacun n'a l'expérience que de certains aspects de l'environnement global, dont il est en quelque sorte séparé par une série de filtres parmi lesquels les facteurs économiques et culturels jouent u n rôle particulièrement important.
L'environnement vécu de l'individu se compose donc de ceux des aspects de l'environnement global qui passent à travers les filtres et ont u n impact direct sur lui. Ainsi, dans u n lieu où toute une g a m m e de denrées sont disponibles, telle ou telle personne ne pourra, pour des raisons économiques et culturelles, consommer que certains types d'aliments.
L'état biopsychique d'un individu est à tout m o m e n t influencé par son environnement vécu et son m o d e de comportement non seulement présents, mais aussi passés (c'est-à-dire par ses conditions de vie antérieures) et, bien entendu, également par son génotype.
U n autre facteur qui joue u n rôle considérable dans la détermination des réactions biopsychiques des conditions de vie données, c'est la perception des éléments de l'environnement vécu. L a réaction au bruit, par exemple, pourra beaucoup varier selon que l'intéressé le ressent ou non c o m m e une menace. L a perception elle-même est affectée aussi bien par les interactions antérieures entre les conditions de vie et le génotype que par les influences présentes.
Considérations théoriques
Les interrelations et les interdépendances observées au sein des écosystèmes naturels sont le produit des processus d'évolution biotiques au m ê m e titre que les caractéristiques génétiques des populations biotiques que le système comprend. L a connaissance des mécanismes de l'évolution est donc très utile à la réflexion écologique, que celle-ci
porte sur l'ensemble de la biosphère ou sur u n écosystème, une population, une sous-population ou u n individu.
Pour donner une idée de l'utilité que la théorie de l'évolution présente en matière d'écologie humaine, on peut se référer aux thèses qu'Hippocrate et ses disciples soutenaient voilà quelque deux mille six cents ans sur la santé et la maladie. Hippocrate estimait, en substance, que l'état de santé d'un individu ou d'une communauté dépend dans une large mesure de la qualité de l'environnement et du style de vie adopté. C e principe élémentaire, que nous appellerons le «postulat d'Hippocrate», vaut, bien entendu, pour toutes les espèces animales et végétales aussi bien que pour l'espèce humaine.
L e modèle conceptuel reproduit à la figure ï s'inspire du postulat d'Hippocrate auquel il apporte, en fait, u n perfectionnement notable en établissant une distinction entre l'environnement global et l'environnement vécu, et en faisant d u second le facteur qui détermine l'état de santé de façon i m m é diate ou directe.
Les spécialistes de l'écologie humaine s'intéressent particulièrement aux interrelations existant entre les variables qui ont trait à l'environnement et au style de vie et celles qui concernent la santé et le bien-être. Pour reprendre la terminologie employée dans notre modèle, nous nous intéressons aux répercussions que peuvent avoir sur l'état biopsychique les variations et modifications relatives à la fois à l'environnement global et, pour ce qui est de l'expérience humaine, aux conditions de vie.
Cependant, le postulat d'Hippocrate ne nous fournit pas une théorie complète des interrelations entre environnement et santé qui nous aiderait à définir le genre de conditions d'existence le plus favorable ou défavorable à la santé. Il ne fournit donc pas une base rationnelle pour la formulation, à propos de ces interrelations, d'hypothèses susceptibles d'être testées dans le cadre d'études écologiques des établissements humains. Il est donc souhaitable à ces fins d'analyser le fon-
180 Stephen Boyden
dement théorique d u postulat d'Hippocrate. E n vue de bien comprendre ce postulat,
le mieux est de s'appuyer sur u n principe biologique d'un intérêt considérable pour l'étude de la société humaine, que nous avons appelé le « principe de Pévodéviance ». Il s'agit d'un corollaire de la théorie darwinienne de l'évolution selon laquelle la sélection naturelle aboutit à adapter de mieux en mieux les caractéristiques génétiques d'une espèce aux conditions de vie que lui offre l'environnement dans lequel elle évolue. Si, par conséquent, les conditions mésologiques s'écartent de façon significative de celles dans lesquelles l'évolution s'est effectuée, les particularités biotiques des individus seront sans doute moins bien adaptées au nouveau m i lieu, et l'on peut alors s'attendre à voir apparaître des signes d'inadaptation physiologique ou comportementale.
Le concept d'évodéviation1
Il convient de souligner que, m ê m e dans le cas de réactions phylogénétiquement déterminées à des évodéviations, la sensibilité à telle ou telle influence mésologique varie en général d'un individu à l'autre. Ces variations peuvent être dues à des différences portant sur les conditions de vie antérieures, ou sur le patrimoine génétique individuel, ou sur les uns et les autres. Il faut noter que si les évodéviations créent souvent des inadaptations, cela ne se produit pas nécessairement. Ainsi, l'élimination d'un important prédateur ne provoquera pas d'inadaptation, quoiqu'elle puisse fort bien perturber la dynamique de la population dans la zone considérée.
Dans la nature, quand une évodéviation qui est cause d'inadaptation persiste, la population intéressée finira soit par s'adapter sur le plan génétique à ses nouvelles conditions d'existence grâce à la sélection naturelle, soit au contraire par disparaître.
O n sait aujourd'hui que le genre humain existe depuis plusieurs millions d'années et que des milliers et des milliers de générations d'Homo sapiens se sont succédé avant que
l ' h o m m e ne c o m m e n c e , il y a de cela quelque 400 générations, à pratiquer l'élevage et l'agriculture. L a construction des premières villes remonte à 200 générations environ et il y a quelques décennies encore l'immense majorité des êtres humains habitaient des zones rurales. Ces faits et notre connaissance des mécanismes de l'évolution nous permettent d'affirmer catégoriquement que la sélection naturelle n'a pas encore produit un nouveau type d ' h o m m e qui, par ses caractéristiques génétiques, serait mieux adapté à la vie urbaine, dans une mesure significative, que ne l'auraient été nos ancêtres qui, voici dix mille ans, tiraient leur subsistance de la chasse et de la cueillette.
A u cours de ces dix mille ans, en fait, l'une des incidences biologiques les plus m a r quantes de la civilisation a été l'ampleur des changements qu'elle a apportés aux conditions biotiques dans lesquelles vit l'espèce humaine. C o m m e on pouvait s'y attendre puisque le, principe de l'évodéviance s'applique aussi bien à YHomo sapiens qu'à toute autre espèce, les évodéviations ainsi provoquées ont donné naissance à de multiples inadaptations. Cependant, l ' h o m m e a u n avantage important sur les autres animaux : il dispose d'une série supplémentaire de mécanismes d'adaptation, à savoir ceux qui relèvent de l'adaptation culturelle et qui peuvent l'aider, sur le plan individuel et collectif, à faire face aux changements.
Une hypothèse contestée
L e principe de l'évodéviance s'applique à de nombreux aspects matériels des conditions d'existence tels que la qualité de l'air ou le régime alimentaire. E n étudiant l'écologie des établissements humains, il faudrait donc noter toute évodéviation sensible dans les aspects matériels du milieu humain, et se
1. C e terme désigne toute condition de vie (d'un individu ou d'une population) qui représente une déviation significative par rapport aux conditions auxquelles l'espèce s'est génétiquement adaptée grâce à la sélection naturelle.
L'étude écologique intégrée des établissements h u m a i n s 181
demander si elle peut être une cause d'inadaptation. L e m ê m e principe vaut aussi, évidemment, pour certains aspects du c o m portement : il est bien connu que des évodé-viations considérables relatives aux heures de sommeil ou à l'intensité d u travail physique, par exemple, peuvent être u n facteur de mauvaise santé.
J'admets, pour m a part, que le principe de l'évodéviation s'étend au-delà de ces cas patents qui ont trait aux conditions de vie, et intéressent également des aspects sociaux et psychosociaux de l'expérience humaine qu'il est souvent très malaisé de mesurer quantitativement, voire de définir avec précision. L'énumération ci-après de différentes caractéristiques des conditions d'existence des h o m m e s qui vivaient de la chasse et de la pêche pourra donner une idée du type de variable auquel je pense. E n général, le m i lieu où vivaient ces h o m m e s leur offrait un réseau de soutien fourni par la famille élargie; de nombreuses occasions de collaboration interactive au sein de petits groupes ; la possibilité de passer librement d'un petit groupe à u n autre et de chercher la solitude lorsqu'ils le souhaitaient ; les moyens d'utiliser chaque jour les capacités manuelles acquises et les facultés créatrices qui leur sont associées ; u n sentiment d'engagement personnel et de motivation au cours des activités quotidiennes ; la possibilité pour chacun de se conduire la plupart d u temps c o m m e il le désirait et d'avoir une chance raisonnable de satisfaire ses aspirations. D'après notre hypothèse, les modifications majeures apportées à ces aspects de l'expérience humaine risquent d'avoir des effets néfastes sur la santé et le bien-être.
Il m e faut signaler pourtant que beaucoup de m e s collègues contestent, pour des raisons diverses, cette hypothèse de travail. Mais, qu'elle soit ou non fondée, elle fournit au moins une base permettant de comparer et d'opposer les particularités essentielles du m o d e d'existence de la population de différents établissements humains et des membres de différents groupes d'une société, ainsi que
de rechercher les répercussions éventuelles sur la santé et le bien-être des variations survenues dans les aspects sociaux, psychosociaux et comportementaux.
Faute de place, il est impossible ici d'approfondir cette question. Je tiens, néanmoins, à faire une remarque complémentaire : les changements écologiques de l'environnement global qui peuvent, par exemple, influencer les modalités d u flux d'énergie, ou découler d'une nouvelle politique gouvernementale d u logement entraînent souvent des modifications importantes des aspects matériels, sociaux, psychosociaux et comportementaux des conditions d'existence, y compris ceux qui ont été mentionnés plus haut. Ces modifications peuvent à leur tour avoir des effets sensibles sur la santé et le bien-être des h o m m e s . L'une des tâches les plus urgentes de l'écologie humaine est d'aider à comprendre ces interrelations entre l'évolution de l'environnement global et l'état biopsychique des populations, des sous-populations et des individus.
Rapport sur l'étude de l'écologie de Hong-kong
L e projet pilote entrepris à Hong-kong vise à décrire u n établissement humain dans une perspective écologique et holistique. C'est, à notre connaissance, la première étude de ce genre qui ait jamais été faite et, en conséquence, elle a certainement de nombreux défauts. Je vais néanmoins, pour illustrer certains des thèmes abordés ci-dessus, terminer le présent article en résumant très brièvement le contenu d u rapport final, qui est aujourd'hui presque achevé.
Cadre théorique. Base conceptuelle de l'étude ; principes écologiques et bioculturels pertinents.
Historique. Histoire écologique de la région et de l'évolution démographique de H o n g kong jusqu'à une époque récente ; conditions de vie de la population au cours du xixe siècle,
182 Stephen Boyden
et incidences de ces conditions sur l'état sanitaire ; rôle joué par différents processus culturels d'adaptation dans la lutte contre les influences nocives exercées par l'environnement.
Hong-kong aujourd'hui : l'environnement global. V u e d'ensemble : utilisation des sols ; « métabolisme » de la ville (entrées et sorties de gaz, combustibles, denrées alimentaires, eau, déchets, etc.).
Énergie extrasomatique1 : changements relatifs aux entrées de combustibles fossiles, compte tenu des tendances mondiales ; analyse détaillée de l'état actuel des flux et des modes d'utilisation (pertes, industrie, commerce , transports, consommation domestique); quelques conséquences nocives de l'accroissement de la consommation d'énergie (« îles de chaleur » et pollution de l'air); tendances et possibilités futures; observations concernant certaines des répercussions sur l'expérience humaine des m o difications relatives aux flux d'énergie ; analyse théorique des facteurs humains qui déterminent le m o d e d'utilisation de l'énergie et la tendance qu'ont les sociétés à prendre l'habitude d'en consommer beaucoup.
Flux d'énergie somatique et alimentaire : entrées, sorties et transferts d'énergie alimentaire; évolution de l'efficacité énergétique de la production primaire à H o n g kong, par comparaison avec d'autres sociétés passées et présentes ; allongement des chaînes de dépendance ; entrées et consommation apparente par tête de divers types de substances nécessaires à l'alimentation (protéines, lipides, vitamine C , etc.).
Recyclage : pratiques actuelles et possibilités futures ; importance d u rôle du phosphore : entrées, sorties, gaspillage.
Structures édifiées par l ' h o m m e : terrains bâtis urbains ; répartition de la surface de plancher entre les locaux affectés à différents usages; programmes de relogement; villes nouvelles ; zones d' « occupation sauvage ».
Transports : circulation des individus et des biens à l'intérieur du territoire de Hong-kong.
Démographie : effectif de la population ; structure de la population; densité de la population; changements récents relatifs aux taux de fécondité et de mortalité ainsi qu'à l'espérance de vie; évolution de la morbidité (santé physique et mentale) ; fréquence de certains comportements (par exemple, les viols) ; organisation de la société ; emplois.
Culture humaine : son rôle en tant que facteur écologique; l'idée occidentale de « progrès » ; la culture chinoise traditionnelle ; le système économique de H o n g - k o n g .
Hong-kong aujourd'hui : l'expérience humaine. Conditions d'existence à Hong-kong : qualité de l'air, niveaux de bruit; régime alimentaire; contacts avec les autres espèces animales et végétales ; habitat, logements surpeuplés et modification des structures familiales : « engagement personnel », sentiment d'appartenance à la communauté de voisinage ; les aspirations et leur réalisation ; apprentissage ; repos et sommeil ; exercice physique; agressions physiques et craintes qu'elles inspirent ; utilisation de substances psychotropes — narcotiques, tranquillisants, alcool.
Autres principes relatifs à l'influence de l'environnement et d u style de vie sur la santé : situation économique et santé ; différences entre la ville et la campagne ; réactions des individus à la vie dans une ville surpeuplée c o m m e Hong-kong — importance de la perception et rôle de la culture chinoise traditionnelle ; considérations théoriques concernant l'aptitude à faire face à des conditions créatrices de stress; adaptation culturelle de la population actuelle de H o n g kong aux effets nocifs éventuels de l'environnement.
Conclusion : résumé des résultats des
I. O n appelle énergie somatique celle qui est utilisée dans les organismes vivants, et énergie extrasomatique celle qui est utilisée à l'extérieur. Dans le cadre de l'étude des établissements humains, la forme d'énergie extrasomatique la plus importante est celle qui sert à faire fonctionner des machines.
L'étude écologique intégrée des établissements humains 183
recherches ; idées qui s'en dégagent; économie et écologie ; étude des incidences futures des tendances actuelles de l'écologie et examen de diverses stratégies possibles.
D ' u n bout à l'autre du rapport, on s'efforcera d'attirer l'attention du lecteur sur les interrelations entre chaque question et d'autres aspects de la situation d'ensemble. Les données recueillies serviront également à illustrer les principes de base de l'interaction culture-nature.
Enfin je tiens à insister sur deux points. Tout d'abord, je voudrais répéter que le programme relatif à l'écologie humaine de Hong-kong est u n projet pilote, et que nous sommes tout à fait conscients des n o m breuses faiblesses qu'il comporte. Nous espérons, néanmoins, que nos efforts et l'expérience que nous avons acquise pourront être utiles à ceux qui se proposent d'entreprendre
à leur tour des études intégratives d'établissements humains —• les études menées dans cette perspective étant destinées, nous en s o m m e s convaincus, à fournir à long terme une contribution très importante à la solution des grands problèmes de la société.
E n second lieu, une étude c o m m e la nôtre ne saurait être menée à bien sans le concours et la bonne volonté d'un grand nombre de personnes de conditions très diverses. A Hong-kong, nous avons eu la chance de trouver partout des appuis de ce genre, notamment chez de nombreux membres du personnel des administrations publiques, des deux universités et des entreprises industrielles et commerciales, ou à l'occasion de rencontres fortuites et aussi, ce qui n'était pas le moins utile, chez les 4 000 volontaires qui ont répondu à notre enquête biosociale. D
184 Stephen Boy den
La cité de l'avenir et ses besoins Ilya Gyorgii Lejhava
Jamais Furbanisation n'a été aussi rapide et aussi généralisée qu'en notre siècle. La population urbaine augmente d'année en année, des villes nouvelles naissent et les agglomérations, petites ou grandes, continuent de croître. Cette évolution est particulièrement sensible en U R S S où les villes nouvelles se comptent par dizaines chaque année, où d'anciennes agglomérations se reconstruisent et où des colons s'installent dans des régions entièrement inhabitées jusque-là. Tout porte donc à croire que le taux d'urbanisation va s'élever à tel point que la construction des villes deviendra l'un des problèmes majeurs de notre temps.
L'expérience acquise en Union soviétique dans le domaine de la construction montre que si l'on dispose d'une base industrielle solide, la tâche est parfaitement réalisable. Répondre à la question « C o m m e n t construire ? » ne soulève, en principe, aucune difficulté. Cependant, il est d'une importance capitale de prévoir concrètement — dès maintenant — l'évolution future de l'urbanisation. A cet égard, l'un des problèmes les plus actuels est celui des rapports entre la ville et l'environnement et des moyens de concilier leurs aspects contradictoires.
Il serait vain de s'appesantir ici sur l'état affligeant de l'environnement urbain. Des centaines d'articles, de livres, etc., nous en ont déjà fourni u n tableau complet. L ' h o m m e doit aujourd'hui s'employer à modifier le paysage et le climat qu'il a lui-même créés autour des villes, grandes ou petites, et des villages.
L a lutte est déjà amorcée, mais où ces premiers efforts nous conduiront-ils ? N o u s pourrons assainir l'environnement, notamment l'air et le sol, et assurer l'innocuité de nos usines, de nos véhicules automobiles et
des revêtements de nos routes. N o u s multiplierons les espaces verts, nos habitations ne seront plus empoussiérées et la pollution de nos rivières par les produits de lessivage et les déchets industriels prendra fin. D e s mesures sont prévues à cet effet presque partout et doivent être mises en œuvre dans les vingt années à venir.
Mais quel sera leur effet final ? Si l'état sanitaire de nos agglomérations devient à peu près semblable à ce qu'il était au milieu d u xrxe siècle, sera-ce u n résultat suffisant ? N e devrions-nous pas nous efforcer d'établir des relations entièrement nouvelles entre notre habitat et la nature ?
Rapprocher la ville de la nature
L ' u n des meilleurs moyens d'arriver à une solution serait de créer, dans le secteur m a tériel de l'activité humaine, des circuits ferm é s , des processus cycliques permettant d'obtenir : a) une pleine utilisation des ressources naturelles, et b) u n contrôle régulier de la qualité de tous les éléments qui entrent dans le système ou qui en sortent.
impact : science et société, vol. 27 (1977), n° 2 I85
• Ilya Gyorgii Lejhava
Ilya Gyorgii Lejhava est titulaire d'une maîtrise de sciences de Varchitecture de l'Institut d'architecture (Moscou), où il occupe actuellement à ta fois les postes de chargé de cours et de doyen de la Faculté d'urbanisme. Il a participé à de nombreux concours d'urbanisme ; il a pris part à la planification de la reconstruction de Moscou et a conçu une petite ville au voisinage de Murom, dans le district de Vladimir. En 1969, l'auteur a reçu le premier prix décerné par Gosstroy, le plus important organisme gouvernemental s'occupant d'urbanisme. Il a également dirigé le projet N E R , une étude ayant trait à de nouveaux éléments dans la distribution de la population. Son adresse : c\o Commission de l'URSS pour ¡'Unesco, Ministère des affaires étrangères, Prospekt Kalinina 9, Moskva G-19 (URSS).
A cet effet, tous les procédés nuisibles à la biosphère devront être soit localisés au maxim u m , soit rattachés le plus étroitement possible à la nature.
Les seules réalisations de cet ordre dont puissent faire état les grandes régions urbaines modernes sont les systèmes d'évacuation des eaux usées et d'adduction d'eau — et encore pas toujours. Tous les autres déchets sont rejetés directement soit dans l'atmosphère, soit dans le sol ou dans les eaux. Si nous entreprenons d'assurer une interaction plus poussée entre la ville et la nature, nous aurons à résoudre le problème des effluents : leur épuration, leur reconversion et leur renvoi à la nature sous une forme acceptable jusqu'au bout.
L'adoption d'un tel principe transformerait entièrement la conception de l'urba
nisme; il ne s'agirait plus seulement de déterminer l'agencement des constructions sur un terrain déterminé, mais de mettre au point u n système technologique extrêmement complexe et onéreux — une entité urbaine homogène, capable d'établir des contacts harmonieux avec la nature.
E n fonction de cet objectif, on peut définir le développement urbain c o m m e u n effort méthodique visant à intégrer la ville à la nature et à faire de celle-ci un élément essentiel de l'habitat humain. L'idéal serait finalement une ville insérée dans une « niche écologique » déterminée et qui serait analogue du point de vue de ses rapports avec le milieu environnant à une termitière ou à une fourmilière — pour employer une comparaison parlante. L'environnement artificiel — la ville — pourrait alors être considéré c o m m e le prototype d'un organisme vivant qui c o n s o m m e certains éléments de la nature et renvoie les déchets à cette dernière. L e but visé est donc de faire en sorte que la nature puisse tirer le m a x i m u m de profit des déchets.
Introduire les phénomènes naturels dans la cité
L a construction d'une cité possédant, dans une certaine mesure, les propriétés d'un organisme vivant entraînera des dépenses colossales ainsi que de multiples recherches dans les diverses branches d u savoir humain. U n e telle approche du problème met en jeu tous les facteurs qui concourent aujourd'hui à la création d'environnements artificiels. L ' u n de ces facteurs est l'architecture, qui pratique depuis quelque temps la « K o nisation structurale » des bâtiments, des centres urbains et m ê m e de l'ensemble de certaines agglomérations : l'expression bioni-sation structurale désigne ici l'introduction dans un projet d'éléments liés par leur fonction ou leur structure à certains phénomènes naturels. E n incorporant délibérément de tels éléments à u n projet, on peut, à longue échéance, élaborer une architecture quali-
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tativement nouvelle apte à interagir avec l'environnement et à s'y intégrer, de sorte que les constructions, au lieu d'être simplement juxtaposées à la nature, en seront u n élément vital. C'est dans cette optique que nous considérons une zone habitée c o m m e un organisme vivant ; l'environnement urbanisé et la nature deviendront alors peu à peu interdépendants, et plus tard l'influence exercée par la nature sur la vie dans les régions urbaines s'accompagnera d'une sorte de rétroaction — le lecteur verra ce que j'entends par là à mesure que j'exposerai m a thèse.
Les premiers efforts tendant à créer des structures capables d'interagir directement avec l'environnement ont été déployés dans des domaines voisins de l'architecture : il s'agissait par exemple de la construction de navires, de la mise au point d'aéronefs et d'engins spatiaux dont les occupants doivent être isolés du milieu dans toute la mesuré possible. Les divers processus et phénomènes liés à la vie humaine — alimentation, respiration, hygiène corporelle, sommeil, travail et communication — sont alors localisés dans u n espace clos. E n pareil cas, le but visé n'est pas tant de mettre l ' h o m m e directement en contact avec l'environnement que de créer une structure agissant elle-même c o m m e u n organisme complexe.
Parmi les structures architecturales impliquant une localisation à peu près aussi poussée des activités, nous citerons notamment les serres, les aquariums, les habitats subaquatiques et les établissements humains conçus pour faire face à des conditions climatiques extrêmes.
Parallèlement aux efforts entrepris pour mettre au point des ensembles architecturaux complets tels qu'une ville ou u n village, des recherches tant théoriques que pratiques sont en cours pour résoudre les problèmes que posent certains éléments séparés. E n tout premier lieu, il convient de délimiter les zones frontières où s'opèrent les échanges entre les mégastructures extérieures à la ville — réseaux ferroviaires ou aériens, par exemple — et les installations correspon
dantes qui se trouvent à l'intérieur. Ces interfaces doivent évidemment être considérées c o m m e des aires de communication entre le « m o n d e extérieur » et la cité où sont concentrés non seulement les moyens de transport, mais aussi différents systèmes de production d'énergie, des installations de génie civil — pour l'approvisionnement en eau et en denrées alimentaires par exemple— ainsi que des systèmes de communication auditive et visuelle.
L'homme et le processus de bionisation
Des recherches de caractère plus spécialisé sont également en cours. Certains travaux visent, par exemple, à mettre au point des « murs qui respirent », des logements qui s'adapteront à leurs occupants et des structures convertibles — auvents, toits et dômes qui s'ajustent aux conditions climatiques existant à l'intérieur ou à l'extérieur du bâtiment.
Les études psychologiques et sociales relatives aux besoins humains auxquels l'environnement artificiel que constitue l'habitat doit répondre offrent également u n vif intérêt. L à aussi, il convient de se souvenir que l ' h o m m e , étant l'un des éléments de la nature vivante, représente pleinement cette nature.
Si l'on récapitule ces diverses tendances, il apparaît que toutes ont pour objet—d'une façon ou d'une autre — la bionisation de la construction des villes. Et bien qu'il reste nécessaire de fonder les recherches menées dans ces différents domaines sur des données économiques, sociales et techniques plus solides, le fait que leur orientation générale soit correcte ne nous laisse aucun doute sur les besoins à satisfaire.
Voyons donc maintenant les exigences auxquelles devront répondre les c o m m u n a u tés futures.
Nécessité de réagir aux changements
Tout d'abord, c o m m e il a été indiqué plus haut, ce n'est pas u n h o m m e ou u n bâtiment,
L a cité de l'avenir et ses besoins 187
mais la communauté qui interagit avec l'environnement. E n outre, l'expérimentation a déjà montré qu'une « ville écologique » conçue de façon à ressembler à u n organisme vivant ne peut croître indéfiniment : les structures intérieures destinées à pourvoir aux besoins vitaux à tous les niveaux, ainsi que les systèmes de communication avec l'extérieur finiraient par s'engorger et se chevaucher. L'harmonie qui caractérise u n organisme vivant complet et hautement développé serait ainsi détruite.
L e climat psychologique qui doit se créer dans u n tel système n'est pas de mince importance : la ville écologique doit être considérée, psychologiquement, c o m m e une écluse entre l ' h o m m e — c'est-à-dire l'individu — et la société. L ' h o m m e doit alors sentir qu'il participe à la vie de la société ; il doit percevoir de façon concrète ses liens avec l'architecture qui l'entoure et il doit contribuer activement à indiquer ce que devraient être, à son sens, cette architecture et l'interaction de la communauté avec l'environnement.
Diverses recherches ont montré que la solution idéale, à cet égard, consisterait à associer u n coefficient élevé d'occupation des sols — qui permettrait de stimuler la circulation piétonnière et de multiplier les contacts sociaux, notamment par l'aménagement d'aires d'activités récréatives —-à la construction de logements offrant des conditions sanitaires qui ne le cèdent en rien à'celles des résidences extérieures à l'agglomération.
Les architectes soviétiques estiment, de m ê m e , que la collectivité future — à la fois c o m m e entité et en tant que combinaison de différents éléments — doit pouvoir réagir à divers types de variations d'ordre naturel ou social : pluie, soleil, vent, vacances, vieillissement des immeubles, etc. L e processus de convertibilité devra bien entendu être u n jour pleinement automatisé.
L a création d'une ville écologique doit aussi être considérée c o m m e l'établissement d'une sorte de barrière entre l ' h o m m e et la
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nature. Évidemment, cela est vrai jusqu'à u n certain point, mais la barrière a toujours existé et elle persistera aussi longtemps que l ' h o m m e sera obligé de s'isoler de l'environnement — ne serait-ce qu'en raison de l'influence climatique de la nature sur son organisme. Dans tous les pays industrialisés, la population est aujourd'hui soumise pendant près de 80 % d u temps à u n climat synthétique : éclairage artificiel, chaufïàge et autres protections contre les intempéries. L a solution que je propose n'entraînera pas une modification du caractère de la c o m m u nion de l ' h o m m e avec la nature. C e que nous nous efforçons de créer, c'est une c o m m u nauté idéale, complexe et bénéficiant de conditions climatiques uniformes.
L'arbre : tronc, racines et branches
Il serait fallacieux de se borner à préconiser la création d'une ville écologique sans rappeler qu'une telle ville ne pourrait survivre en dehors d u système général de population d u pays. Pourquoi ? Différentes raisons font que la communauté écologique ne saurait être u n organisme autonome à 100 % — bien qu'en fait elle atteigne u n degré élevé d'autonomie. L a ville dont il est question ici est simplement l'une des parties constitutives normales d'un système de p o pulation comprenant u n grand nombre d'éléments réunis en un tout par des lignes de communication.
Ces dernières années, on a p u observer une nette tendance à rattacher les zones industrielles et les régions agricoles aux réseaux de communication. Les lignes de chemins de fer, les autoroutes, les canalisations d'électricité et de gaz ainsi que les canaux constituent pour ainsi dire les « câbles » qui intègrent en u n tout les collectivités, les centres culturels, les zones productrices de matières premières, les secteurs industriels, les aires d'activités récréatives, les ports et les aéroports — distants parfois les uns des autres de plusieurs centaines de kilomètres.
U n e telle structure pourrait être figurée
par u n arbre gigantesque, dont le tronc serait formé par les voies de communication et les racines par les sites d'extraction des matières premières. Les secteurs de développement pilotes correspondent aux jeunes pousses; les grosses branches et le feuillage peuvent être représentés par les zones où les matières premières sont traitées et d'où les produits essentiels à la vie sont redistribués dans l'ensemble du système. Quant aux fruits, ils sont la promesse des arbres de demain — c'est-à-dire des villages, villes et cités de l'avenir.
Il est évident qu'un organisme de ce genre sera relié à u n système cybernétique complexe destiné à réguler toutes les interactions avec la nature, en tirant parti des caractéristiques naturelles (absolument dissemblables) de différentes régions ou zones. C e système qui serait d'une complication extraordinaire devrait se charger u n jour d'exploiter automatiquement les ressources naturelles et d'en créer de nouvelles, de déboiser et de replanter des forêts, de dessaler les eaux salines, d'irriguer les déserts et d'assécher les marécages, de traiter les matières premières et de distribuer produits et services.
Habitats et système économique
A l'intérieur de ce système, le problème de la croissance urbaine se réduira donc à celui de l'apparition d'une formation écologique nouvelle ainsi que de l'autorégulation et de la régénération dans le cadre des processus cybernétiques de la communauté établie. Et, au sens strict, ce n'est pas la petite c o m m u nauté, mais le supersystème décrit plus haut qui occupera une certaine « niche écologique », traduisant dans la réalité et coordonnant les liens qui unissent tous ses éléments à la nature.
Il est vrai que le tableau que je viens d'esquisser détruit l'image qu'on se fait habituellement des villes ou des habitations, des mines de charbon, des zones industrielles, des lignes de chemin de fer et des autoroutes
— soit de tout ce que recouvre traditionnellement la notion de système de p o p u lation. O n peut juger qu'une telle conception est extravagante et ne saurait sans doute être mise en oeuvre d'ici à u n siècle au moins ; mais en fait il n'en est rien, car partout se manifeste une tendance à la fusion des processus qui se développent dans les pays industrialisés — et ensuite, par extension, dans les pays en développement.
D e s structures très élaborées s'édifient, à l'échelon national ou mondial, dans le do maine de l'économie, de l'information, des transports, de la production, de la culture et d u tourisme. Cette évolution est particulièrement sensible dans les sociétés socialistes planifiées, où la création et le développement d'un système économique national unique font partie intégrante d u programme de construction d'une société communiste. L ' U R S S a ainsi entrepris d'installer u n système national de distribution d'énergie, et des plans prévoyant la création d'un réseau unifié d'approvisionnement en eau ont été dressés. D e m ê m e , des systèmes de transports routiers et ferroviaires unifiés sont mis en service.
Quel sera l'aspect de la cité future?
L e second problème relatif à la cité future est celui de son apparence. Si l'on interroge les architectes contemporains au sujet de la possibilité d'une renaissance de la diversité des formes architecturales sur la base des traditions culturelles régionales et nationales, la plupart d'entre eux répondront qu'ils n'y croient guère. Et la planification urbaine de ces dernières années ne peut que confirmer leurs doutes. E n fait, les habitations et les bureaux qui composent l'image de la cité moderne sont plus ou moins semblables dans la plupart des pays. Alais on sait aussi que l'extrapolation à partir des phénomènes les plus courants dans le présent n'est pas toujours une méthode satisfaisante : et, en fait, il semble fort probable, au stade actuel de l'évolution de rarchitecture, que de nouvelles
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recherches vont être entreprises en vue d'élaborer des styles régionaux distinctifs.
O n rattache d'ordinaire la disparition des styles nationaux d'architecture à deux phénomènes associés : a) l'identité des méthodes de construction et b) la multiplication des contacts sociaux, culturels et économiques entre les pays. Mais à notre avis, l'explication est insuffisante. A l'époque de l'art gothique, les méthodes de construction étaient identiques dans toute l'Europe, et cependant le gothique français se distingue très aisément d u gothique anglais. Les villes de Vérone et de Vicence sont voisines, mais elles se ressemblent moins que les groupes d'immeubles édifiés de nos jours au Havre et à São Paulo. L e mécanisme de l'apparition des structures similaires est plus complexe et il est de toute évidence étroitement lié aux particularités fonctionnelles de l'architecture moderne.
Quand la forme suit la typologie
Lorsqu'on examine les caractéristiques architecturales et spatiales d'un édifice, on c o m m e n c e par déterminer son appartenance typologique. E n règle générale, les bâtiments de m ê m e type ont des formes spatiales très voisines. Dans le passé, il n'existait qu'un petit nombre de types différents — sept environ, par exemple, pour la ville médiévale. Entre le xvie et le xrxe siècle, l'architecture s'est considérablement diversifiée, mais, en m ê m e temps, l'imitation des m ê m e s modèles aboutissait à estomper peu à peu les caractéristiques nationales. L e X X e siècle a vu naître une foule de structures nouvelles — on en compte actuellement plus de cent — et il a suffi à certains pays de quelque vingt ou trente ans pour passer de deux à trois types d'architecture à une centaine.
L e « vocabulaire » des méthodes et formes architecturales s'est révélé trop limité pour traduire cette extrême diversité. L a principale difficulté réside moins dans le nombre des stéréotypes nouveaux que dans la rapi
dité avec laquelle ils se sont implantés dans la réalité contemporaine. O n manquait terriblement de modèles : quel aspect fallait-il donner aux stations de télévision, aux aéroports et aux complexes culturels ?
L'explosion typologique qui a suivi a contribué à détruire les derniers vestiges de l'architecture nationale ou régionale. D e s constructions de genres nouveaux sont apparues en quantité telle qu'elles ont entraîné une rupture avec les traditions esthétiques, m ê m e dans le cas de certaines « grandes puissances » en matière d'architecture c o m m e la France, l'Italie et l'Espagne. Dans une certaine mesure, on pourrait dire que l'architecture a cessé d'exister en tant que forme d'art (au sens courant d u terme) — ce qui a provoqué une attristante standardisation des solutions spatiales apportées aux problèmes sociaux.
Les publications sur l'architecture qui se targuent de proposer des conceptions originales et individualisées donnent l'impression fausse que la recherche de formes nouvelles conduit à des réalisations de haute valeur. O r 95 % des immeubles qui se construisent à l'heure actuelle dans l'ensemble d u m o n d e manquent d'individualité, u s ne peuvent — et d'ailleurs les auteurs des projets ne le souhaitent pas — porter l'empreinte de l'architecture nationale, car celle-ci est devenue dans tous les pays utilitaire et m u l -tifonctionnelle. L a dépersonnalisation est maintenant, en elle-même, u n signe de qualité.
Instabilité de la fonction
S'agit-il là d'une tendance universelle ou d'un phénomène passager ? L'histoire fournit de nombreux exemples analogues, en principe, à la situation considérée ici. Il est possible de voir, au cours des siècles et chez tous les peuples, c o m m e n t les stéréotypes fondamentaux — dépositaires des processus fonctionnels — adoptent les caractéristiques de l'architecture régionale; on note aussi, depuis quelques années, une certaine stabi-
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lisation des bases typologiques de l'architecture moderne. Cela nous porte à croire que le processus d'assimilation des caractères de l'architecture régionale par les formes fonctionnelles fondamentales va reprendre une vigueur nouvelle. L a chose est d'autant plus probable que des pays tels que l ' U R S S , le Brésil et la Finlande ont acquis une expérience considérable à cet égard dans le contexte de l'architecture contemporaine.
U n e fois conçu et édifié, u n bâtiment dure plusieurs dizaines d'années ; et pendant tout ce temps, il conserve l'empreinte de l'époque à laquelle il a été construit et de la fonction qui lui a été assignée. Cependant, dans la communauté moderne, la fonction d'une structure n'est pas u n facteur stable, déterminé une fois pour toutes ; des modifications souvent radicales interviennent. Parfois, le changement de destination d'un édifice est une condition indispensable de la préservation de la ville — ainsi la conversion d'habitations en hôtels ou bureaux lors de la reconstruction d u centre d'une grande cité, par exemple.
Faire en sorte qu'un bâtiment remplisse sa mission, en modifier l'apparence lorsque son utilisation fonctionnelle évolue — peut-être est-ce là la stratégie à adopter pour lutter en faveur de la diversification spatiale à l'intérieur de la communauté . L a possibilité de transformer rapidement les principales caractéristiques extérieures d'une structure — la couleur et la conception plastique de sa façade, par exemple — pourrait compenser avec succès le m a n q u e de temps nécessaire pour qu'un stéréotype architectural stable puisse être élaboré naturellement. L a recherche active et intelligente de la solution optimale tant que le bâtiment est encore en service peut se substituer à une « sélection » naturelle et efficace d'un stéréotype, à laquelle il faudrait consacrer plusieurs dizaines d'années. U n e telle solution de remplacement paraît tout à fait praticable.
Un mur qui n'est pas un mur
Les conditions préalables à la création d'une architecture active sont déjà en train d'apparaître, c o m m e le montre par exemple l'évolution d u concept de m u r extérieur qui s'accomplit sous nos yeux. Durant bien des siècles, le m u r a assumé u n grand nombre de fonctions : il était le prolongement des fondations d'un édifice ; il constituait une barrière climatique, visuelle et acoustique; il déterminait le tracé des rues adjacentes ; il séparait l'espace extérieur de l'intérieur du bâtiment, et ainsi de suite. L a multiplicité de ces fonctions faisait d u m u r une forme architecturale particulière ; en fait, l'histoire des formes architecturales est plus ou moins liée à la diversité des utilisations de l'extérieur du bâtiment.
A u xxe siècle, le m u r a c o m m e n c é à se transformer de façon radicale. E n fait, L e Corbusier en prônant au début de ce siècle la « façade libre » a donné naissance à un mouvement orienté exactement dans cette direction : la barrière extérieure devait être séparée de la construction qu'elle entourait. L e m u r s'est dépouillé peu à peu de ses ornements ; des revêtements transparents de verre et de matériaux légers en ont fait un objet à trois dimensions qui, à son tour, a fourni des solutions plastiques qualitativement nouvelles aux problèmes de la conception des formes. Il semble que le revêtement transparent rende possible non seulement le remplacement du m u r de type classique par le « m u r rideau », mais aussi la création d'un climat artificiel agissant sur u n ensemble de structures (voire sur tout u n secteur urbain), et qui influencera de façon sensible d'autres éléments architecturaux.
Les matériaux légers, les éléments convertibles ou mobiles de la façade — dont le rôle est, uniquement décoratif — ouvriront la voie à une infime diversification des form e s , qui pourra m ê m e permettre l'imitation de tels ou tels styles architecturaux. Il sera possible alors d'expérimenter, dans des conditions réalistes, différentes solutions
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architecturales et spatiales sur des unités indépendantes placées dans le contexte général de leur environnement urbain, et d'y apporter ensuite les modifications nécessaires. Cette diversité des formes permettra aussi à la population de la ville de contribuer à en déterminer l'aspect.
L'esthétique de l'image de la communauté
L'architecture aura donc simplement à fixer les règles générales applicables à l'habitat collectif en matière de couleurs et de formes sur la base d'un ensemble nettement déterminé de considérations structurales et climatiques. Les caractéristiques esthétiques de la ville se modifieront selon l'heure, le jour de la semaine, l'époque de l'année, et sous l'influence des périodes de fêtes et de l'atmosphère générale. Grâce au recours à des structures temporaires qui ne sont pas liées à l'infrastructure permanente d'un bâtiment ou d'un secteur urbain déterminé, on pourra modifier les dimensions et la configuration de chacun des éléments d'une ville, ainsi que la combinaison des formes, des couleurs, des surfaces et m ê m e des mouvements.
Les éléments qui se révèlent le plus d u rables et étroitement liés aux particularités spécifiques des processus fonctionnels et de l'environnement finiront par s'agréger à la structure spatiale de la collectivité et par stimuler une cristallisation naturelle de l'image artistique d'un lieu déterminé. L a physionomie d'une communauté se modèle ainsi spontanément : au lieu d'être imposée par la volonté d'un architecte ou d'un fonctionnaire, elle est inspirée par les compétences ou l'intuition des professionnels, puis traduite dans la réalité en accord avec la culture artistique générale et les caractéristiques sociales et psychologiques de la population.
Ainsi chaque communauté construit sa propre image, une image inimitable, et devient u n phénomène artistique unique. Il faut noter toutefois qu'un certain degré d'isolement, l'autonomie de la collectivité sociale,
des dimensions limitées et la possibilité pour la communauté de s'ériger en une entité indépendante sont sans doute des facteurs indispensables à l'élaboration d'une telle image. C e processus, en se développant activement et sous u n contrôle efficace, devrait aboutir finalement à des résultats positifs et socialement significatifs.
Il importe toutefois de ne pas surestimer l'étendue des possibilités dont dispose une architecture dynamique en ce qui concerne la création de structures urbaines uniques en leur genre. L'obtention de résultats pleinement satisfaisants est subordonnée à une foule de conditions dont l'une a trait aux aspects volumétriques et spatiaux de l'environnement urbain. L'ère d u fonctionnalisme fournit de nombreux exemples de travaux pratiques et théoriques qui ont établi u n lien solide entre les processus fonctionnels et l'espace. C e lien apparaît, par exemple, dans les universellement célèbres « unités d'habitation » de L e Corbusier à Marseille, dont la valeur esthétique fondamentale réside moins dans la subtilité d u jeu des formes architecturales que dans une combinaison extrêmement complexe de différents espaces. E n mariant avec habileté les structures d'habitation et les éléments des services c o m m u n s , L e Corbusier a su créer u n ensemble remarquablement harmonieux.
Il convient de noter en outre que presque toutes les parties de ces unités d'habitation ont été modifiées ces dernières années : le restaurant, les appartements et les magasins ont été reconstruits, mais la conception spatiale originelle avait tant de force que les changements sont presque imperceptibles.
L'expérience soviétique
Pendant les décennies 1930-1940 et 1950-1960, d'intéressantes recherches ont été menées en U R S S sur les formes architecturales nationales et régionales ; elles ont servi de point de départ à d'excellentes réalisations, dues notamment aux architectes I. V . Jeltovsky, A . V . Chtchousev,
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A . I. T a m a n y a n et M . A . Ouseinov, qui ont beaucoup contribué à donner u n aspect spécifique au centre de nombreuses villes soviétiques. E n dépit des critiques que ces constructions ont souvent suscitées d u fait qu'elles s'inspiraient d'époques anciennes, il serait difficile de surestimer leur importance. Elles ont fourni une large base expérimentale aux recherches relatives à tous les aspects de la composition, des formes et de la décoration qui visent à créer de nouveaux styles d'architecture régionaux.
L a portée de ces recherches s'est accrue ces dernières années en ce qui concerne non seulement les formes architecturales traditionnelles, mais aussi les affiches et autres types de matériel publicitaire, les décorations murales, les compositions sculpturales, certains éléments d u mobilier urbain et des espaces verts — qui tous contribuent à créer la qualité particulière et le dynamisme d'une agglomération nouvelle. Bien entendu, on tient compte aussi des goûts et des besoins de la population : des discussions ont lieu entre les habitants et les architectes et artistes au sujet du décor des rues, des parcs, des sculptures et des bas-reliefs qui orneront les bâtiments. C'est ainsi que chaque ville acquerra son individualité.
Il est d o m m a g e que les grands ensembles de constructions, qui représentent l'armature de toute communauté , aient rarement été étudiés par les théoriciens de l'architecture, qui concentrent en général leur attention sur des projets particuliers. Cependant seule l'étude de l'interaction entre la construction de masse et la construction individuelle peut servir de base à l'élaboration de principes propres à orienter la conception des bâtiments dans les secteurs urbains modernes.
Adapter la conception et la réalisation des plans
Lorsqu'ils planifient des villes nouvelles, les architectes soviétiques tiennent compte de la durabilité de telle ou telle structure et de ses rapports avec l'environnement. Il est fort possible qu'à côté de bâtiments qui d e m e u reront inchangés pendant de nombreuses années soient édifiées à l'avenir des constructions transformables dont l'architecture devra être révisée au bout d'un certain temps.
L e type d'urbanisme que je viens de décrire exigera que des modifications importantes soient apportées aux modalités de la conception et de la réalisation des plans. Outre les éléments traditionnels, ces plans devront comporter des précisions sur le degré de mutabilité de l'agglomération dans son ensemble et de chaque bâtiment. L e processus de construction comprendra sans doute deux phases : on s'occupera, d'une part, de la méthodologie de base et, de l'autre, de la réalisation architecturale qui devra être assurée sous le contrôle constant d'experts hautement qualifiés. Diverses professions et spécialités nouvelles pourront fort bien prendre naissance au point de confluence entre l'architecture, l'économie, radministration p u blique et les beaux-arts, et ce seront leurs représentants qui superviseront la création de nouvelles traditions culturelles dans telle ou telle région.
L'absence actuelle de telles traditions dans les secteurs neufs d'une communauté m o derne est u n phénomène temporaire. U n urbanisme nouveau est en train de s'élaborer devant nous ; il nous faut simplement étudier et saisir les modalités de son développement et apprendre à en orienter le cours. D
L a cité de l'avenir et ses besoins 193
Organisation des premiers établissements indiens Dharamjit Singh
Bien avant l'âge de la « science », les premiers habitats de l'Inde se développaient déjà selon une structure et un système. Rôle du « mándala » géométrique dans les innombrables variations de la conception des villages, des bourgs et des villes.
L'Inde possède une tradition d'urbanisme ininterrompue depuis les temps les plus reculés. M ê m e les cités des périodes plus récentes présentent les qualités propres à la culture et à la civilisation de la vallée de PIndus, cette grande route de ï 600 k m de long. C'est dans cette région, le Pendjab, que se trouvent les vestiges de certains des plus anciens préhominiens connus (Homo punja-bicus et ramapithecus), qui remontent probablement à seize ou dix-sept millions d'années. Plus près de notre ère, il y a eu la culture du Soan et ses établissements paléolithiques, puis les vestiges de l'Inde néolithique découverts de nos jours à 9 mètres au-dessous du niveau de PIndus. A partir du mésolithique, l'Indien a émigré vers l'ouest et la m e r Caspienne puis vers l'est (Birmanie et Asie du Sud-Est). Par conséquent, pour citer Lewis M u m f o r d : « A u m o m e n t où la cité apparaît nettement à nos yeux, elle est déjà ancienne : les nouvelles institutions de la civilisation Pont solidement façonnée. »
Il y a peu d'exemples comparables aux villes de PIndus. Les sites de Mohenjo Daro, Harappa, Channudaro, Rupar, Lothal, et une centaine d'autres sites importants qui n'ont pas encore été fouillés se trouvent dans une zone aussi étendue que l'Europe occidentale : on a p u dire, à juste titre, qu'ils annonçaient les agglomérations urbaines m o
dernes. Ces vestiges et les objets qui les accompagnent représentent une civilisation qui s'étendait du Cachemire au Goudjerate (nord de B o m b a y ) , de la frontière initiale de l'Inde constituée par l'Hindou K o u c h à la limite de la vallée du Gange. Il est indispensable de comprendre, c o m m e l'a souligné Gordon Childe, que les cités de PIndus étaient de grandes métropoles. Les ruines de Harappa ne peuvent malheureusement pas donner aujourd'hui une idée du caractère initial de la ville, car elles ont été systématiquement pillées par u n ingénieur étranger qui cherchait des briques pour le ballastage de plus de 150 k m de chemin de fer, des briques datant du IV e millénaire.
Mohenjo Daro pourrait donc donner une image de ce que pouvait être une grande cité de jadis dans la vallée de PIndus. L a ville est un carré de plus de 1 500 mètres de côté qui contient douze îlots de bâtiments disposés systématiquement suivant des configurations géométriques. Les douze îlots forment trois rangées et quatre alignements, divisés par une rue principale ayant exactement 10 m è tres de largeur. L e réseau des rues et ruelles témoigne d'une conception d'urbanisme très évoluée, fondée sur un plan orthogonal fonctionnel. Bien que les artères soient parfaitement orientées nord-sud et est-ouest, les traits naturels du site n'ont pas été détruits.
impact : science et société, vol. 27 (1977), n° 2 I95
• Dharamjit Singh
L'auteur, historien, essayiste et photographe, est bien connu des lecteurs d'impact, qui peuvent se mettre en contact avec lui par l'intermédiaire de nos services de rédaction.
L e quadrillage est donc adouci, mais sans que soit gâché l'effet des axes orthogonaux de la ville.
L'agglomération est surmontée d'une citadelle, bâtie sur u n socle de 9 à 16 mètres de hauteur, qui domine les maisons, les magasins, les bureaux et les entrepôts. L a construction la plus longue mesure 72 m è tres sur 24, alors que l'entrepôt de grains (67x45 mètres), institution coopérative ou d'État, est u n bâtiment d'un seul tenant, protégé des inondations c o m m e des eaux de pluie. L a ville est dotée d'un établissement de bains public — en fait une citerne intérieurement enduite de bitume — et l'un de ses éléments les plus soignés est peut-être le shalimar, ou jardin architectural, avec ses promenades et ses terrasses.
Briques et système décimal -
L'étanchéité de la « citerne » ou bassin de Mohenjo Daro est assurée non seulement par son revêtement de goudron, mais aussi par ses briques parfaitement moulées et disposées. L a brique cuite est l'une des contributions des cités de l'Indus à la construction urbaine. L'emploi de la brique indique en outre u n sens de la planification et de la normalisation extrêmement développé; les dimensions des briques étaient fondées sur u n système décimal déjà utilisé à l'époque. L a ville offrait u n grand luxe, tout en conservant u n caractère de simplicité. Les habitations étaient bien conçues et insonorisées ; les étages supérieurs s'ouvraient par des
vérandas sur le m o n d e de la ville. Hautes de deux ou trois étages, les maisons étaient bien aérées, avec des chambres et des cuisines disposées autour de cours intérieures, et équipées d'une salle de bains au moins.
L a maison d'un simple travailleur se composait de deux pièces et d'une salle de bains. Chaque logement était desservi par u n système de canalisations de céramique renforcées par u n revêtement de briques — certaines à hauteur d ' h o m m e , sur arceau ou encorbellements en brique ou en dalles de brique. Les fouilles ont révélé l'existence de cabinets d'aisance à siège. Quant à l'alimentation urbaine en eau, elle était assurée par des puits profonds tous soigneusement revêtus de briques. L e confort ainsi que le caractère fonctionnel de tous les quartiers d'habitation dénotent, du point de vue sanitaire ou à d'autres égards, u n système de planification globale.
L a communauté semble avoir été soumise à u n régime d'économie dirigée. Elle produisait d'exquises céramiques faites au tour ainsi que de la poterie de grande série. L a roue prévalait partout et il existait d'excellents outils, tels que l'herminette à douille et la scie à chantourner. L'organisation de la production agricole, l'emplacement des centres de meunerie et la qualité d u bois de chauffage laissent supposer une application remarquable de la législation ainsi que l'existence d'un service d'exploitation forestière. Les fours à briques étaient situés bien à l'extérieur de la ville, ce qui facilitait la surveillance de la fumée, de la chaleur et des flammes. L'abondance générale et l'absence apparente de disparité dans la répartition des richesses reposaient donc aussi bien sur le commerce que sur l'agriculture.
L e climat de la région était beaucoup plus humide qu'aujourd'hui ; m ê m e les zones les plus arides du Baloutchistan actuel étaient irriguées par de nombreux cours d'eau. Les forêts abritaient une abondante faune et une flore aussi luxuriante que diverse. L a grande cité et son arrière-pays agricole semblaient, en fait, étroitement interdépendants c o m m e
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en vertu de quelque grand dessein. Bien que les villages de la vallée de FIndus n'aient pas encore fait l'objet de fouilles systématiques, ils paraissent avoir connu le m ê m e niveau de confort, les m ê m e s fondations de pierre pour les maisons, ainsi que les bornes géométriques remarquables et m ê m e les produits d'exportation qui existaient déjà il y a cinq mille ans et qui ont été découverts plus tard à Suse et ailleurs. U n réseau d'agglomérations de cette nature, réparties dans toute la vallée de l'Indus, n'aurait pas p u fonctionner sans u n système social également développé. Toutes les données recueillies désignent le berceau de la culture védique et de la structure sociale aryenne, démocratique et libre.
Jeux, jouets et économie artisanale
Chaque fouille apporte de nouvelles surprises. L e port de Lothal sur la côte ouest, qui avec Sopar (Ophir) et Baroch (Bargyaza) assurait le commerce maritime avec la Mésopotamie, possédait une cale sèche de 271 mètres de long pour entretenir les navires de l'Indus. L e plan de la ville indique nettement que tous les bâtiments du port avaient la m ê m e orientation. C o m m e l'a fait observer Astengo, le mándala (sur lequel j'aurai davantage à dire) règne sur Lothal et d'autres villes de l'Indus. O n a découvert des fragments du jeu d'échecs inspiré du mándala. Les sceaux magnifiques de l'Indus, trouvés en quantité à Sumer, portent des inscriptions syllabiques dont les 270 pictogrammes n'ont toujours pas été déchiffrés. Ces derniers peuvent avoir été les symboles des premiers systèmes bancaires indiens. Tous ces éléments contribuent à donner l'impression d'innovation et de conservatisme qui caractérise l'Inde.
A la différence des foyers mésopotamiens ou égyptiens, ceux de l'Indus semblent avoir été tranquilles, rationnels et ordonnés, en m ê m e temps que joyeux, à en juger d'après les objets découverts sur les lieux. Parmi les nombreux jouets d'enfants, on trouve des
chouettes qui hululaient, des singes grimpant le long d'une corde, des animaux balançant leurs têtes, des miniatures de bœufs, leur animal favori, et de chariots, base du système de transport de l'époque. Des maisons en réduction et autres petites sculptures révèlent une surprenante habileté à représenter l'esprit subtil qui anime chaque être vivant, ainsi qu'une connaissance précise de ranatomie qui fait penser à l'influence conjuguée du yoga et de la médecine ayurvédique.
Il est intéressant de constater dans les cités de l'Indus l'absence de temples ou de prêtres et de palais royaux. Cela rappelle la tradition aryenne védique sans Dieu ni dieux ; mais la pratique du yoga est manifeste, ainsi que certains concepts psychologiques védiques tels que la Licorne, le Taureau et les sept Mères.
Quant à l'artisanat et au commerce, les habitants de la vallée de l'Indus étaient passés maîtres dans l'art de la table, du textile et du métal. Ils cultivaient une sorte de blé sauvage (emmer, graminée sauvage de l'Himalaya qui ne pousse pas à l'ouest de l'Hindou Kouch) , le riz {Oriza sativa), l'orge, le millet, le sésame, la canne à sucre (sukkar) dont ils tiraient le candi (khand), ainsi que la moutarde, Fépinard, le pois de senteur et diverses épices. L a volaille provenait du coq de jungle sauvage (kookarK) et la plupart des canards d'aujourd'hui sont issus de la m ê m e souche. Les Indiens ont pratiqué l'élevage probablement avant tous les autres peuples ; ils avaient domestiqué, notamment, l'éléphant, le bufHe et le b œ u f sauvages, le cheval et l'onagre, ainsi que le daim et la chèvre du Cachemire.
Qu'est-ce qui a assuré une continuité de plus de mille deux cents ans dans ces c o m m u nautés urbaines et rurales ? (Dans certains cas où les villes ont été reconstruites neuf fois, l'alignement des façades a varié de moins de 30 centimètres.) Existait-il une science rationnelle et inspirée de l'urbanisme ? U n souci constant de l'équilibre écologique ? Les premiers Indiens avaient-ils mis en place une administration civile
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efficace ? (La littérature épique y fait allusion.) Par quelle(s) force(s) l'impulsion civique parvient-elle à dominer la conscience collective ?
Une solution possible du puzzle
Peut-être pouvons-nous reconstituer la réponse d'après l'exemple d'une autre cité indienne, probablement la première mégalopole d u m o n d e , dont la population vers 300 avant J . - C . est estimée à plus d'un million et demi d'habitants. C'était Patli-putra, capitale légendaire, fondée vers 470 avant J . - C . et développée par les grands Mauryas. N o u s devons une description de la cité à l'ambassadeur grec Megasthenes, qui s'y rendit après la victoire de Chadergupta sur les vétérans grecs d'Alexandre, vers 325 avant J . - C . « N i Ecbatane ni Suse ne pouvaient espérer rivaliser avec cette ville », notait Megasthenes. Patliputra était située dans u n parallélogramme parfait, de 4 kilomètres sur 15, sur le fleuve Patna. Elle comptait 600 tours et 64 portes ouvrant sur des ponts-levis placés sur une large douve (qui recevait les égouts de la ville), reliée au fleuve par u n ingénieux système d'écluses permettant de renouveler l'eau. L e bazar était conçu rationnellement pour les m a r chands et les artisans, pour la circulation et les transports. Les maisons de jeux appartenaient à l'État ; il y avait des auberges, des théâtres, des terrains réservés aux courses de chevaux et de bœufs et à la pratique d'autres sports, ainsi que de grandes salles pour les réunions des savants et des grandes corporations.
L'organisation et l'activité de la c o m m u nauté sont demeurées intactes, car sept cents ans plus tard des voyageurs chinois ont donné pratiquement la m ê m e description de Patliputra. Aussi bien dans la ville que dans ses faubourgs, on rencontrait des réalisations techniques prodigieuses. Parmi celles-ci — et d'autres entreprises ultérieures — il convient de mentionner le gigantesque barrage sur FIndus, le lac de Raja Bhoj (d'une superficie
d'environ 650 k m 2 ) , le quai des rois Chola qui s'étendait sur 30 k m et le Vijyanagar, aqueduc de granit de 24 k m , destiné à assurer l'approvisionnement de la ville en eau potable.
Structure de Vadministration
M ê m e les services administratifs municipaux étaient caractérisés par u n facteur c o m m u n , la discipline orthomorphique. Il s'agit d'une transposition créatrice et fonctionnelle qui assure la représentation d'un plan géométrique par u n autre, jusque dans les moindres détails. Uartha-shastra, ou science politique, économique et aoirùnistrative, codifie la vie pratique des villes et des campagnes.
A u 111e siècle avant J . - C , l'Empire était divisé en trois provinces, ayant chacune u n vice-roi et une capitale, des commissaires régionaux et toute une hiérarchie d'administrateurs de district et de fonctionnaires subalternes convenablement rémunérés. Les contributions de toute nature étaient systématisées — notamment la rotation des cultures et les récoltes — pour assurer « clémence et équité », selon les propres termes de Megasthenes, qui a noté que l'Inde n'avait jamais connu l'esclavage ni la famine.
L'ossature de radministration était constituée par u n corps de fonctionnaires m i n u tieusement hiérarchisé. Les divers départements du pouvoir exécutif étaient dirigés par des ministres, rétribués de façon régulière et satisfaisante. L'équité des rémunérations était assurée jusqu'au niveau de la municipalité.
L'autonomie locale à l'échelon du village était un élément fondamental de l'organisation de la vie urbaine en Inde. L e cadre démocratique des institutions prévoyait l'élection de cinq représentants qui devaient coopérer avec l'État à plusieurs niveaux. C e processus démocratique s'est instauré spon-tanémenti dès les premiers temps, de sorte que le village de l'Indus était en fait une république autonome, dont l'incorporation dans u n royaume ou u n empire ne pouvait en aucun cas diminuer les droits.
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L e roi (raja), qui ne bénéficiait pas d u droit divin c o m m e les souverains d'Europe ou de Perse, gouvernait avec ses nobles (rafyana). Son élection ou accession au trône devait être ratifiée par une assemblée populaire (sabha). L a tradition et le droit coutu-mier étaient prépondérants, c o m m e l'ont noté les Grecs ; l'opposition à ces principes a conduit en fait, plusieurs fois au cours de l'histoire de l'Inde, à la déposition des suzerains. L e roi gouvernait assisté de deux chambres, le sabha déjà mentionné et le satniti ou conseil. A u niveau national, la partitipation directe des chefs de village au pouvoir était limitée ; en marge d u système, les naigma (corporations) à la puissance colossale exerçaient u n contrôle rigoureux sur tout. L e système était tel que la terre n'appartenait à aucun mortel, qu'il soit fermier ou représentant de l'État ; la terre existait simplement. Il était donc impossible à u n occupant de vendre de la terre ou à l'État de la donner en fiefs. C e n'est qu'au cours du règne désastreux du dernier Moghol qu'on a essayé de toucher à cette loi suprême, ce qui a conduit aux grands bouleversements politiques de 1857, pendant l'ère coloniale.
A u niveau de l'organisation urbaine pratique, les municipalités comprenaient six conseils de cinq membres chacun. Ceux-ci collaboraient avec les représentants des villages sur les questions concernant les contributions, l'administration, l'irrigation et les parties boisées des zones urbaines, ainsi que l'aménagement de puits, de logis d'étape et d'hôpitaux le long des grands axes routiers. Les routes, en particulier, portent l'empreinte d u système central de planification de l'époque : la voie royale pavée s'étendait, par exemple, sur 3 500 k m d u Bengale à Kaboul.
Discipline, fierté et rôle des f e m m e s
Parmi les forces qui ont assuré la continuité des cités indiennes, plusieurs méritent d'être mentionnées. Il y avait en premier lieu la
discipline de fer de l'éducation et de l'étude approfondie. Des centaines de milliers de citoyens zélés, conscients, moralement courageux et brillants (tant citadins que ruraux) ont entretenu les sources de la culture et de la civilisation indiennes de l'époque.
Venaient ensuite les corps de métier (guildes). U n e inscription datée de 225 avant J . - C . (Royaume d'Andhra) nous renseigne sur le niveau de développement et d'efficacité de la fonction publique. U n e partie du pouvoir est aux mains des guildes, qui est déjà l'institution la plus honorée de l'Inde, chaque artisan étant protégé par des lois spéciales et, par conséquent, privilégié. Les guildes tenaient des assemblées où chaque ouvrier avait droit à une voix. Ces corporations fixaient les horaires de travail, les termes de la concurrence et les amendes pour les membres réfractaires. (Les amendes servaient d'ailleurs à financer les somptueuses œuvres de charité organisées par les m a r chands aisés.)
L a fierté commerciale était, à son tour, u n élément essentiel du système bancaire indien. Les banques corporatives prenaient de l'argent en dépôt et accordaient des prêts à 5 ou 7 % d'intérêt ; leurs emprunts étaient garantis, ce qui assurait la stabilité d u commerce indien dans le m o n d e entier et sa probité. C'est ainsi que les effets bancaires indiens ont circulé en Asie centrale, littéralement pendant des générations, leurs porteurs étant assurés, quelle que soit la situation, que les corporations les rembourseraient toujours. A partir du V e siècle avant J . - C , les guildes ont contribua à financer de grands voyages d'exploration, à équiper des caravanes de marchands, à constituer des flottes gigantesques, activités qui contribuaient toutes à répandre les idées indiennes sur l'urbanisme, de l'Anatolie à l'Asie d u Sud-Est.
Enfin, l'Inde a subi une autre influence déterminante, caractérisée par l'énergie dynamique, étrange, de sa source m ê m e . . . la f e m m e . Depuis l'époque védique, la f e m m e a été honorée et sa position sociale a été
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protégée par la tradition autant que par la législation. Dans une société patriarcale, elle demeurait à la tête de la maison et du foyer ; elle recevait sa part de biens à la mort d u chef de famille. L a dot qu'elle apportait à son mariage demeurait son entière propriété. N o u s constatons que, dans la société de la littérature épique (1300-1000 av. J . - C ) , les femmes étaient instruites, disciplinées, dévouées, préparées à leur rôle par l'éducation, mères de la race, et qu'elles avaient pour rôle de civiliser et d'éduquer l'élément m a s culin au sein du système. L a f e m m e était véritablement considérée c o m m e « la moitié de l ' h o m m e , son ami le plus loyal, une source perpétuelle de vertu, de plaisir et de richesse, un compagnon, u n père de bon conseil et u n havre de repos dans le désert de la vie ».
Rationalisation de l'architecture communautaire
Ces influences, entre autres, ont aidé l'Inde à offrir l'image du pays de l'abondance pendant de nombreux siècles. Rawlinson a décrit l'empire moghol d'il y a environ trois cent cinquante ans c o m m e « le plus prospère du m o n d e ». John Strachey dépeint de la m ê m e façon (dans End of empire) l'Inde d u x v n e siècle c o m m e « l'entreprise industrielle d u m o n d e ». .
L'aspect technique de la planification et de l'organisation des établissements en Inde relève de l'architecte et de l'urbaniste. Des textes spécialisés sur les techniques et les méthodes (certains disent « la science ») de l'urbanisme portaient sur les décrets et règlements en vigueur, la géométrie, la science des mesures {pramana) et celle des proportions (talamand). Les experts étaient classés selon leur niveau de connaissances au sujet de la sélection des sites, des types de bâtiments, des matériaux et des techniques de construction, et de l'application des plans.
Les spécialités dans le domaine de l'urbanisme comprenaient l'architecture militaire et civile, leurs relations avec l'environne
ment, la peinture et la décoration, et m ê m e les pratiques rituelles. Outre les impératifs techniques, il fallait respecter les principes esthétiques en général et, en particulier, les sphota (germes d'idées pouvant avoir des répercussions psychologiques et esthétiques).
Il y avait dans ce domaine quatre grandes catégories de spécialistes dont le statut, ainsi que celui des artisans travaillant avec eux, était efficacement protégé par l'État, qui prévoyait une sanction particulière pour quiconque exploiterait ou léserait des artisans.
L e vocabulaire utilisé pour décrire les éléments d'architecture est tiré de la botanique et de l'anatomie humaine. Les concepts régionaux empruntés à toute l'Inde sont bien représentés, ainsi que les notions locales et panindiennes allant de Valihka (Balkh) à l'Assam et au sud. L a rationalité des aspects techniques de l'architecture et de l'urbanisme a été conservée, m ê m e dans les éléments symboliques et rituels, et cette caractéristique reste vraie, m ê m e dans le cas des communautés de la diaspora indienne, transplantées à des milliers de kilomètres de leur lieu d'origine.
Les emigrants indiens qui ont pris la m e r à partir du sous-continent ont exporté en m ê m e temps les techniques d'urbanisme de la région de l'Indus pendant les mille quatre cents ans où ils ont exploré le « lac Indien » (océan Indien). U n e expédition s'est mise en route avec 6 grands vaisseaux et 200 bateaux plus petits. Il a fallu quatre mois aux explorateurs pour atteindre Sumatra, puis encore quelques mois pour redécouvrir Java-Urit (Java étant le n o m indien de l'orge), le K a m p u c h e a (ex-Cambodge), le Laos, les régions méridionales d u Viet -Nam, la Birmanie et la Thaïlande ; puis Bali et Bornéo encore plus au sud. Outre l'architecture et l'urbanisme, il faut dire que ces voyageurs ont transporté sur leur nouveau sol pratiquement toute la civilisation indienne... et en particulier la ratio mathematica Indica ou mándala.
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Le mándala
L e mándala est le sphota ou principe premier de l'urbanisme indien. Il explique l'impulsion apparemment mystérieuse qui a incité les h o m m e s à bâtir des cités, ainsi que la tendance de l'humanité à concevoir les villes c o m m e le lieu d'expression de son aspiration collective au progrès, à l'évolution et à l'épanouissement. L e mándala a été qualifié d'instrument de la pensée. Il est, littéralement, un moteur, un mécanisme fonctionnant à plusieurs niveaux pour faire en sorte que l'être humain parvienne à la gnose véritable. L e mándala est une cité mathématique, la cité étant le seul m o y e n pour l'humanité d'atteindre ses objectifs.
L e mándala est un plan permettant de résoudre le problème de la quadrature du cercle au m o y e n d'un diagramme composé à la fois du carré et du cercle et principalement fondé sur l'octogone. Il existe aussi des mándala pour les nombres purs et les sons purs, ainsi que beaucoup d'autres types, dont la représentation linéaire est connue sous le n o m de y antra.
L e terme provient directement des Veda, eux-mêmes composés de dix mándala. L e mándala représentait également le temple, l'icône, le culte des aryens, qui n'avaient pas de prêtre. Chez eux, une simple salle suffisait pour leurs mándala ou autels mathématiques. Us construisaient ces derniers à l'aide de centaines de briques disposées selon des sections géométriques. Il fallait quelquefois un an pour achever certains mándala qui posaient les problèmes géométriques les plus complexes, notamment le théorème dit de Pythagore. Lorsque le mándala était terminé, il donnait à l'occupant de la propriété un schéma lui permettant d'envisager la réalité, les formes de la plus haute conscience, la nature des facteurs psychologiques de la vie, l'expérience personnelle, ainsi que les forces biologiques ou « nerveuses » qui façonnent la vie, le m o n d e et l'être humain lui-même. L a figure ï représente les mándala essentiels.
L e mándala évoque à la fois u n cercle, un
oo© 00® F I G . ï. Quelques configurations typiques de mándala. E n bas, à gauche : l'univers se développe à partir du germe invisible ou sphota. E n bas, à droite : ce symbole est le nandyavarta, ou « lieu de béatitude ».
FlG. 2 . L e mándala shriyantra illustre le concept du centre en expansion.
centre, un point, une goutte, une idée en germe, ainsi que tout ce qui accompagne ces notions ; il fait la synthèse de la structure traditionnelle et de la Ubre interprétation. Ses tracés géométriques sont concentriques et équilibrés (fig. 2). Il existe des mándala peints, dessinés, moulés, sculptés, gravés ;
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ils se transforment en édifices et en établissements communautaires, de caractère religieux, laïque ou militaire. Certains prennent la forme de maisons, jardins, villes, forteresses ; d'autres l'apparence de cours d'eau, pâturages, montagnes, paysages entiers. Les mándala peints comportent des figures aux couleurs symboliques et peuvent être fondés sur la structure schématique du corps humain, des fleurs, des diamants et autres cristaux. Toujours orienté selon les points cardinaux, le mándala protège le centre tout en repoussant les éléments extérieurs.
Les figures qui le composent comprennent le triangle, c o m m e les neuf triangles isocèles qui entourent le germe invisible de l'univers dans le shriyantra hindou (fig. 2). Les triangles dont la pointe est orientée vers le bas représentent une force négative, ceux dont la pointe est tournée vers le haut évoquent une force positive. Les trois auréoles (concentriques) symbolisent un plan d'existence intermédiaire, alors que les pétales ou arches expriment la régénération. L e triple contour en lignes brisées régulières (shishrità) est la triple enveloppe de la réalité empirique et les quatre « portes » correspondent aux quatre points cardinaux. L'ensemble de la triple entité représente l'esprit, le corps et la structure nerveuse de la vie humaine. Mais la vie est complexe et elle échappe en grande partie à l'étude empirique ; c'est pourquoi le m á n dala est u n « fil d'argent » qui est destiné à aider l 'homme à parcourir ses divers plans, en assurant la liaison entre eux.
Symbolisme du mándala
L e mándala assure également une fonction de liaison en intégrant la vie à la c o m m u nauté : pour cet être humain, cette chaumière, ce stupa, ce temple, dans le village ou dans la ville. L ' h o m m e apprend donc à vivre suivant le principe qui a présidé à la conception des habitations, « une projection géométrique du m o n d e réduite à sa structure essentielle ». Les mathématiques représentent la
cohérence et l'ordre qui constituent la base de la vie ainsi que de notre lieu et m o d e d'existence.
L a structure de la ville, ainsi que celle du temple hindou ou jaïn, du stupa bouddhiste et du gurudwara sikh participent de ce symbolisme et établissent ainsi la communication. L e mándala réduit tous les niveaux ou plans à l'unité qui assure les liaisons et, par conséquent, il régit cet ordre, par l'intermédiaire de la vie de la communauté, organisée selon ce principe. Les villes situées hors de la sphère indienne, prises entre deux notions apparemment contraires dans u n schisme éternel, c o m m e celui du bien et du mal, ne luttent pas sur le plan approprié, en ne défendant pas l'habitat urbain contre l'ennemi véritable et en perdant de vue la raison m ê m e pour laquelle les cités ont été conçues.
Il y a beaucoup plus à dire du symbolisme d u mándala, surtout du point de vue de l'établissement humain. Il faut non seulement que la communauté soit organisée conform é m e n t aux lois éternelles, mais aussi que le hameau ou la cité ait pour but de libérer l ' h o m m e des forces déshumanisantes, tant intérieurement qu'extérieurement, et de lui permettre de trouver u n m o y e n de défendre activement la collectivité. C e sont ces objectifs qui semblent être perdus de vue dans un si grand nombre de villes du m o n d e contemporain, aussi bien en Inde qu'ailleurs.
S'il n'y a pas de parallélisme stria entre les villes indiennes et les villes non indiennes, elles appartiennent aux deux aspects de la m ê m e unité (mándala), tout c o m m e la structure du m o n d e externe a son parallèle dans le corps humain. L'avenir semble appeler une nouvelle variante de cette ratio mathematica, une nouvelle version de la discipline ortho-morphique appliquée tant à la vie personnelle qu'à l'urbanisme. L'habitat est un organisme vivant, et le mándala peut toujours servir de modèle pour améliorer ce qui ne va pas dans l'organisation et le fonctionnement de n o m breuses communautés locales. D
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Organisation des premiers établissements indiens 203
L'arcologie : un autre habitat urbain Russell Lewis et Henryk Skolimowski
Nous décrivons ici une approche novatrice qui tente d'allier les impératifs de Vécologie et les possibilités de l'architecture, en vue de trouver un modèle optimal du processus de révolution socio-culturelle.
N o u s ne pouvons pas directement vouloir être différents de ce que nous sommes , mais nous pouvons choisir ce que nous serons demain en choisissant aujourd'hui l'environnement qui nous façonnera.
L e problème du logement, le problème de l'abri de l 'homme, est l'un de ceux qui suscitent les plus vives préoccupations à notre époque. L e spectacle d'êtres humains — ou d'ombres d'êtres humains — sans logis et d'une pauvreté extrême, qui croupissent dans des cabanes, est une insulte à la nature h u maine de chacun d'entre nous. Ayant reconnu la difficulté, nous ne devons pas toutefois nous en tenir à des solutions faciles : si nous nous bornons à alléger le problème, nous ne faisons que prolonger la misère. Nous devons plutôt tenter de parvenir à des solutions à long terme. L'existence humaine ne se limite pas à la survie ; elle ne commence qu'après que nous avons commencé à survivre. C'est la « survie plus quelque chose ».
Lorsqu'ils cherchent des solutions immédiates, les architectes, les urbanistes et ceux qui se disent anthropologues choisissent généralement d'accepter la situation. Ils considèrent c o m m e une réalité, c'est-à-dire c o m m e quelque chose d'inévitable, les vastes quartiers où vivent les nouveaux citadins et qui prolifèrent c o m m e des champignons autour de nombreuses villes ; ils se bornent ensuite à essayer d'améliorer la réalité. U n
exemple représentatif de cette approche est fourni par le livre de John Turner, Housing by people [ï]1. N o u s estimons qu'une telle opinion n'est à la longue d'aucun secours. E n fait, l'idée d'accepter les choses telles qu'elles sont peut m ê m e être considérée c o m m e réactionnaire car, en u n sens, elle consacre les conditions qui prévalent dans les taudis et admet qu'il n'est guère possible de les améliorer. Et bien qu'elle repose sur de nobles intentions — nous devons aujourd'hui faire quelque chose pour aider les pauvres et les défavorisés — cette approche peut écarter des solutions d'ensemble pour l'avenir.
Lorsque nous disons réactionnaire, nous parlons également en termes d'évolution, car l'approche qui consiste à laisser les choses telles qu'elles sont va à rebours de la poussée du temps, en ce qui concerne l'abri de l 'homme. N o u s ne voulons pas retourner à l'âge des cavernes, nous ne pouvons donc pas nous contenter de mener dans un taudis une vie semblable à celle de l 'homme préhistorique.
I. Les chiffres entre crochets renvoient aux notes qui figurent à la fin de l'article.
impact : science et société, vol. 27 (I977)j n° 2 205
• Russell Lewis et Henryk Skolimowski
Henryk Skolimowski, titulaire de diplômes de musique, de technologie et de philosophie conférés par des institutions de Varsovie (Pologne), sa ville natale, est professeur de philosophie au College of Engineering de V Université du Michigan ; il est également rédacteur en chef adjoint du périodique britannique mensuel T h e ecologist, ainsi que l'auteur de trois livres et de plus de cent articles. Russell Lewis prépare un doctorat dans la même université, où il s'intéresse surtout à la société contemporaine des États-Unis et, tout spécialement, à ses formes urbaines et à la relation entre la technologie et la culture. Les deux auteurs ont participé sur place au développement d'Arcosanti: Adresse : Department of Humanities, College of Engineering, University of Michigan, Ann Arbor MI 48104 (États-Unis d'Amérique).
N o u s avons besoin de regarder bien au-delà de la caverne, vers des foyers beaucoup plus humains. C o m m e nous l'avons dit, si nous voulons survivre, nous devons faire plus que survivre. L a survie plus quelque chose, y compris la solution d u problème de l'abri humain, doit aller au-delà des palliatifs. Il nous faut aborder le problème à u n niveau fondamental.
Réalité de l'habitat
N o u s pensons que le concept d'arcologie de Paolo Soleri est l'une des solutions possibles au problème de l'habitat humain (le terme « arcologie » est un amalgame d' « architecture » et d' « écologie », et représente u n projet architectural écologiquement sain dans une époque de crise de l'énergie). M ê m e si ce choix n'est pas proposé habituellement aux
masses, il faut considérer le potentiel que le concept offre pour l'avenir. Examinons d'abord quelques-unes des idées qui ont précédé celle de Soleri, certains efforts pour trouver des solutions au problème qu'il cherche à résoudre ; nous présenterons ensuite ses propres idées.
C o m m e on peut s'y attendre, il existe de multiples réponses à la question : « Quelle est la manière la plus efficace d'abriter les êtres humains ? » et de nombreuses raisons sont avancées pour expliquer la situation désastreuse dans laquelle certaines villes se trouvent aujourd'hui. Certains définiront le problème urbain en termes d'économie; ils soulignent que le déplacement de la base du pouvoir monétaire vers des zones non urbaines, l'inflation, la dévaluation monétaire, et le surdéveloppement du crédit et des services publics constituent des facteurs clés de cette érosion économique qui peut mener en fin de compte au déclin de certaines villes.
U n autre groupe voit dans la consommation de l'énergie le principal problème urbain : les communautés modernes consomment en effet d'énormes quantités d'énergie. Et il est vrai que le problème n'a fait que s'aggraver lorsque l'expérience urbaine s'est individualisée (habitations séparées pour les familles, usage intensif des moyens de transport privés, exploitation de divers procédés techniques). Et la banlieue, qui représente le résumé de cette idéologie et de ce style de vie dans les pays où elle existe, n'est qu'un fardeau supplémentaire pour nos ressources énergétiques. Les systèmes urbains ne peuvent plus continuer à exiger des quantités illimitées d'énergie.
U n e troisième interprétation décrit la crise urbaine c o m m e u n problème socio-culturel. L'augmentation de la criminalité, la discrimination raciale et ethnique, l'insuffisance des services publics et, par-dessus tout, le surpeuplement s'ajoutent à l'inadéquation d u logement pour témoigner de l'effondrement des institutions sociales. L a tâche capitale qui est suggérée ici consiste à distribuer également les commodités de la vie entre tous
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les m e m b r e s de la société, afin que les villes — et surtout celles de notre pays — ne soient plus des lieux d'injustice où les riches s'enrichissent tandis que les pauvres deviennent de plus en plus pauvres.
Mais la crise urbaine est bien plus fondamentale qu'on ne pourrait le penser d'après ces interprétations, car on peut affirmer qu'en u n sens la crise de la ville n'est rien de moins que la crise de la vie m ê m e . L a fonction principale de la ville tout au long de l'histoire a été de fournir le point focal du développement de la vie humaine. L e pouvoir d'attraction de l'urbanisation a rassemblé les divers éléments de la culture et de la société pour constituer des agrégats sociaux complexes et uniques où se trouvent les formes les plus développées de la vie communale. C'est la ville qui a contesté et transformé avec le plus d'efficacité en une manière de vivre différente la vie rurale orientée vers la tradition
— et tellement dominée par les vicissitudes de la nature.
L'urbanisation dans le cadre de l'évolution
Ainsi que l'a souligné Kenneth Boulding, la ville classique a perdu une partie de ses fonctions d'origine. L'apparition des armes atomiques — et de leurs vecteurs perfectionnés — par exemple, a complètement détruit toute notion d'habitat urbain c o m m e structure de défense [2]. Et nous assistons aujourd'hui à la dégradation rapide des établissements urbains en tant qu'environnements qui accroissent la qualité de la vie. Les réseaux sociaux qui entremêlaient la diversité et la complexité de la vie ont été court-circuités, des agrégats humains et sociaux ayant une finalité précise ont été remplacés par la dispersion au hasard, et l'automobile omniprésente n'a absolument pas remplacé le piéton c o m m e premier habitant de la communauté . Ces facteurs, et bien d'autres, qui résultent de la poursuite débridée d u progrès technologique, ont gravement e n d o m magé la ville en tant qu'habitat humain valable.
A mesure que les villes ont grandi, engloutissant les établissements environnants pour constituer des agrégats encore plus amorphes, les limites de la ville traditionnelle ont disparu et le centre s'est dégradé pour devenir bien souvent une ville fantôme. C o m m e n t limiter cette émigration de la population hors des limites traditionnelles de la ville ? (Il semble que, paradoxalement, la dynamique technologique qui a rapidement bâti des municipalités soit maintenant en train de les détruire.) Y a-t-il une solution, peut-être sous la forme d'un modèle civique différent de celui qui est aujourd'hui le nôtre ? Avant d'aborder cette question, considérons l'urbanisation dans le cadre général de l'évolution.
« L a cité humaine, écrit Stewart Marquis, est u n type d'écosystème relativement récent dans la nature [3]. » Les villes sont uniques dans la mesure où elles ont perturbé des systèmes naturellement stabilisés pour les r e m placer par des systèmes relativement instables, et il incombe à l'humanité de gérer ces nouveaux systèmes. Cela ne signifie pas, toutefois, que la ville constitue u n environnement synthétique ou artificiel. « E n tant qu'écosystèmes uniques dominés par l ' h o m m e , il faut plutôt considérer les villes c o m m e des expériences évolutives qui portent sur la capacité d'une espèce à créer et à gérer son propre écosystème [4]. »
L'urbanisation en est donc encore aux premiers stades d'expérimentation, et nous s o m m e s peut-être encore bien loin de l'habitat parfait — si tant est qu'il existe. Mais cela ne signifie nullement qu'il nous faille renoncer aux villes, car l'expérience urbaine est d'une immense importance pour rhumanité, et peut-être m ê m e pour l'univers. C o m m e il est prévu que les établissements urbains grouperont 51 % de notre population d'ici à vingt-quatre ans, l'effort urbain est devenu l'expérience humaine m ê m e . Et c o m m e nous allons le voir, c'est à cette expérience que Soleri fait appel.
Il n'est donc pas nécessaire que nos villes conservent leur aspect actuel. N o u s pouvons
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les réaménager et les réagencer pour répondre à différents besoins car, contrairement aux animaux qui sont attirés par instinct vers u n habitat auquel ils sont adaptés, l ' h o m m e est libre de choisir son habitat et donc de le créer (voir la devise au début de ce texte).
Échelle et architecture organique
Paolo Soleri n'est pas uniquement u n concepteur de bâtiments ; il conçoit également des villes. Il n'est pas simplement u n concepteur de villes mais également u n planificateur de sociétés ; il ne se borne pas à planifier des sociétés, c'est aussi l'architecte d'un nouvel ordre éthique. Il a une vision globale. Cette affirmation peut paraître prétentieuse et impossible pour un seul être humain. Il est pourtant nécessaire d'intégrer tous ces aspects de la vie pour parvenir à une solution exhaustive de nos dilemmes urbains et il nous faut des gens qui aient le courage de se lancer dans des entreprises exhaustives. Soleri a le mérite d'avoir à la fois le courage et l'imagination nécessaires — sans se préoccuper de savoir si sa solution est considérée c o m m e une réussite totale ou simplement partielle. N o u s rappelons au lecteur que Soleri a été formé par un maître qui n'était autre que Frank Lloyd Wright, lequel a fait découvrir la planification: systématique au jeune architecte italien.
A ce stade intervient cependant la question d'échelle. Si Wright a pratiqué son architecture organique à l'échelle de la maison individuelle et de ses abords immédiats, Soleri emploie son idiome d'architecture organique à l'échelle de l'habitat urbain et de l'environnement total. N o u s verrons que Soleri a copieusement emprunté à ses prédécesseurs et à ses contemporains ; il est redevable à tous, car il a incorporé dans sa pensée et dans ses réalisations une grande part de ce que les autres ont suggéré ou énoncé en partie. Bien qu'il ne soit pas u n franc-tireur apparu c o m m e u n deus ex machina, il a combiné ces diverses idées d'emprunt pour en faire une structure bien à lui, qui témoigne
d'une puissance et d'une originalité remarquables. Il y a eu des évolutions analogues dans le cours de l'histoire et, tout particulièrement, dans l'histoire de la science et de la technologie. Galilée a pris les idées d'autres h o m m e s qui se situaient dans des cadres conceptuels différents pour créer ce que nous considérons aujourd'hui c o m m e les débuts de la physique moderne. N o u s pouvons considérer Soleri sous la m ê m e lumière.
L e concept d'arcologie est si détaillé, si exhaustif et il empiète sur tant de domaines qu'il est difficile de savoir par où il faut commencer pour le décrire. E n résumé, l'arcologie est une ville tridimensionnelle enserrée dans u n contenant matériel unique, plus étendu en hauteur que dans le sens horizontal. Pour parvenir au cœur de l'arcologie, nous devons bien assimiler le concept de miniaturisation de Soleri — car la miniaturisation est la base m ê m e de son intégration de l'architecture, de l'écologie et de la société. A u sens où l'emploie Soleri, la miniaturisation n'est pas simplement u n processus de réduction; c'est un mouvement qui va de la simplicité à la complexité et par lequel les niveaux supérieurs de complexité (une spécialisation accrue des fonctions) sont ordonnés dans u n espace de plus en plus restreint. O n peut le décrire c o m m e u n processus de repli vers l'intérieur, une implosion dans un réseau extrêmement dense et complexe de relations qui se chevauchent: E n résumé, la miniaturisation consiste à en faire plus avec moins de moyens.
Mais Soleri n'a pas conçu la miniaturisation ex nihilo. A ses yeux, la miniaturisation est la caractéristique principale de l'évolution; c'est le processus qui est la cause principale des bonds quantiques qui ont été réalisés dans les relations matière/énergie et de la direction qu'a suivie l'évolution. L a m i niaturisation est donc la dynamique centrale de la vie. Se plaçant dans cette perspective évolutive, Soleri pense que « dans tout système, l'élément le plus complexe est aussi le plus vivant ; dans tout système, l'élément le plus vivant est aussi le plus miniaturisé [5]. »
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Lorsque la densité est positive
D'après Soleri, la ville est l'instrument qui convient à la miniaturisation de la société, mais pas la ville du passé ou du présent. U n e configuration urbaine totalement neuve est nécessaire; il faut qu'elle puisse mobiliser tout le potentiel de la complexité et de la croissance humaines. L a communauté conçue pour posséder ces qualités requises est appelée une arcologie : c'est une structure verticale, tridimensionnelle et à niveaux multiples.
Étant une entité autonome, chaque arcologie dispose de son propre équipement industriel, commercial, éducatif et d'entreposage, ainsi que de zones résidentielles, de parcs et d'autres espaces publics. U n e arcologie est construite pour une population de 3 ooo à plus d'un million d'habitants. L a densité de population est élevée ; elle varie de 750 à 3 000 personnes par hectare. N o n seulement c'est là une forte densité par rapport aux normes en vigueur dans les villes, mais certains soutiennent qu'elle n'est pas souhaitable.
Il ne faut cependant pas considérer la densité in abstracto et repousser par avance u n taux élevé, car une forte densité peut être positive et salutaire. Les cultures se sont développées dans des centres à forte densité de population. L a vie s'épanouit lorsque les êtres se rassemblent pour agir les uns sur les autres. L a densité est donc salutaire pour la société.
Il n'est pas exact de dire que la densité engendre automatiquement la criminalité; elle ne l'accroît que lorsque celle-ci est déjà présente — et prête à éclater — de la m ê m e façon qu'elle rend la vie plus saine là où elle l'est déjà. E n d'autres termes, la densité ne fait que renforcer les conditions qui prédominent déjà au sein de l'habitat.
Jonathan Freedman a fourni u n témoignage éloquent et persuasif à l'appui de cette opinion dans son livre Crowding and behavior [6], Il explique que l'hypothèse avancée par de nombreux spécialistes des sciences sociales, selon laquelle le m a n q u e
d'espace provoque chez les êtres humains une attitude régressive et animale est u n mythe. « Les humains n'ont pas d'instinct territorial, dit Freedman, au sens d'une réaction agressive au m a n q u e d'espace [7]. » Il présente des exemples indiquant qu'il n'existe aucune relation directe de cause à effet entre la densité de la population et la criminalité. L a ville de N e w York, par exemple, a un taux élevé de densité et de criminalité, alors qu'à Los Angeles la densité de population est faible, mais le taux de criminalité élevé [8].
Grouper les habitations est une sage formule
U n e autre étude récente confirme ce que nous venons de dire sur la corrélation entre la densité de population et la criminalité. L a structure des valeurs et de la culture chinoises, qui repose sur la coopération et la cohésion, a permis à Hong-kong d'avoir une population très dense (150 000 habitants au k m 2 ) avec u n taux de criminalité très bas [9]. E n d'autres termes, nous ne devons pas refuser les habitats fortement peuplés, à cause du facteur m ê m e de densité ; il semble que les effets néfastes d'une forte concentration de la population soient, dans la société occidentale, u n phénomène récent qui résulte d'une organisation sociale fondée sur la concurrence1.
1. N o u s utilisons l'expression " société occidentale » dans le contexte des économies à base industrielle et des problèmes particuliers inhérents à ces sociétés — qui caractérisent en général le m o n d e occidental. N o u s définissons cette catégorie en tenant compte des traditions intellectuelles et culturelles de l'Occident (supposées connues du lecteur) qui ont contribué à façonner l'évolution de la société occidentale. L ' 1 Orient » est donc en général moins industrialisé et a des traditions culturelles et intellectuelles très différentes. N o u s ne prétendons pas qu'il existe une société orientale idéale à rechercher et avec laquelle il faut rivaliser. N o u s voulons dire tout simplement que le m o n d e occidental a dominé l'arène des modèles avec lesquels les pays en développement pourraient rivaliser.
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L a densité est également favorable sur le plan social pour les pays dont les ressources en terres cultivables sont limitées. N o u s ne pouvons absolument pas continuer à détruire des terres fertiles en les recouvrant d'asphalte et de béton. L'arcologie témoigne donc d'un renversement de tendance — non pas de manière symbolique, mais de façon radicale et effective. L'arcologie est expressément conçue pour protéger les terres agricoles et pour mettre fin à la multiplication des banlieues. Les banlieues ne peuvent remplacer la terre fertile qui est la base de la vie humaine.
L a densité est également bénéfique pour la protection des habitats écologiques. Afin d'éviter d'opposer l'environnement à l'énergie, les habitats naturels au besoin de loger les h o m m e s , nous devons grouper les logements en unités compactes. N o u s pouvons ainsi protéger les terres vierges, la faune sauvage et toute la variété des phénomènes naturels du cosmos intérieur. Les habitats écologiques variés ne sont pas seulement bons pour notre plaisir esthétique et notre bonne santé, mais ils sont également indispensables pour protéger la variété de la vie — condition préalable à la prospérité de l'environnement agricole et à la santé de l'environnement en général.
Avec l'apparition des arcologies, une nouvelle relation s'établit donc avec la nature, une relation qui entretient le respect et la vénération de l'environnement. L a solitude et la beauté intacte de la nature deviennent accessibles à tous, et le citadin et le rural ne font plus qu'un.
Enfin, une population dense est favorable à la protection de l'énergie et des ressources naturelles. U n e densité bien planifiée et des habitats correctement intégrés permettent de réaliser une énorme économie d'énergie et de matériaux. Les conséquences économiques des arcologies sont donc infinies et nous laissons le lecteur faire l'effort d'intelligence et d'imagination nécessaire pour se représenter les avantages que ces structures à énergie intégrée offrent par rapport à d'autres
qui ont été conçues jusqu'ici. L a société de gaspillage doit devenir une chose d u passé, l'arcologie marquant l'apparition de la société frugale abritée dans u n établissement urbain.
La simple survie est une régression
Pourquoi la frugalité est-elle si importante ? Sans elle, nous ne survivrons pas. N o u s devons éviter les véhicules et les structures antifrugales, c'est-à-dire extravagants ; nous devons éviter les constructions qui, outre qu'elles consomment de l'énergie, détruisent le sol et les h o m m e s . L a frugalité n'est ni le renoncement ni l'abnégation ; c'est une utilisation du potentiel humain fondée sur l'imagination — u n m o y e n créatif de réaliser davantage avec moins. N o u s ne parlons pas simplement de faire plus, mais nous insistons sur l'idée de faire plus avec moins. Dans le cas de la photosynthèse qui s'effectue dans les plantes, celles-ci accomplissent (avec l'aide d'un « équipement » très limité) des merveilles de chimie et de technique, des exploits dont la science humaine est incapable. Vivre dans les frontières de la vie, c'est être frugal, car la frugalité est le plus naturel des systèmes.
Si la frugalité est u n m o d e de vie créatif, il faut la distinguer nettement de la survie. Certains sont tellement accablés par le problème de la survie qu'ils ne se rendent pas compte que la survie seule n'est pas suffisante. Il est vrai que la survie est la condition préalable d'une existence saine, mais une existence saine n'est pas pleinement réalisée par la simple survie. Les choux survivent, les termites aussi, mais l'existence humaine s'épanouit à partir de ce que nous avons appelé la survie plus quelque chose.
L a survie est un concept régressif— sinon réactionnaire — parce qu'elle peut dominer nos pensées à l'exclusion d'autres préoccupations. C'est un concept réactionnaire parce qu'il tend à aller à rebours de l'histoire. Il y a des millénaires que l'humanité ne re-
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cherche plus la simple survie. Si notre existence doit prendre la voie de la survie à tout prix, nous faisons marche arrière par rapport au stade le plus avancé des réalisations humaines.
L a notion de développement est tout autant régressive, compte tenu des conditions historiques et de notre environnement actuel. L'idée générale du développement est que tout changement est bon, que l'expansion industrielle est un progrès1. L e concept de développement vise à légitimer l'intrusion artificielle des gadgets technologiques dans une culture ou une société à laquelle ils sont mal adaptés et dans laquelle ils ont peu de chance de s'intégrer.
Développement et niveau de vie
E n un mot , le développement est u n fétiche — une partie de l'idéologie occidentale que les pays en voie de développement ont entièrement absorbée, qu'ils ont prise c o m m e un remède, alors que c'est en réalité un poison. N o u s ne disons pas que les nations du tiers m o n d e ne doivent pas se développer ; nous affirmons simplement que ces pays ne devraient pas adopter l'idée occidentale du développement sans discernement, c o m m e c'est généralement le cas.
Cette acception du développement va de pair avec l'idée de niveau de vie matériel, qui est également régressive et, en fin de compte, réactionnaire. L e niveau de vie m a tériel représente la réduction de toutes les quêtes et qualités à la recherche exclusive des biens matériels. Reposant sur la croyance naïve que la satisfaction de nos besoins maté^ riels nous permet de satisfaire d'autres besoins et d'autres désirs humains, la notion de « niveau de vie » conduit à considérer que la toute première priorité est d'augmenter le produit national brut.
A u lieu du développement, nous devons nous efforcer de parvenir à une harmonie. C'est u n processus qui permet d'introduire dans une société ou une culture les éléments qui sont en harmonie avec sa na
ture, sans troubler le modus operandi ou détruire complètement cette culture ou cette société. L'harmonie présuppose que le bien-être de l'humanité et l'équilibre des sociétés sont soutenus par de très nombreux facteurs transcendants au développement et au niveau de vie matériel.
A la place d'un niveau de vie régressif, nous devons introduire l'idée d'intégrité. L'intégrité — ou la santé culturelle — est ce qui rend la société vivante, vigoureuse, capable de se maintenir et de s'améliorer. Il s'agit de savoir, non pas combien on gagne ou acquiert ou consomme, mais dans quelle mesure on se sent bien en tant qu'être h u main et m e m b r e de la société. U n médecin chinois gagne 60 yuan par mois (environ 32 dollars des États-Unis), tandis que son homologue aux États-Unis gagne environ 5 000 dollars par mois. O n a pourtant l'impression que les médecins chinois sont plus humains que les médecins américains. Lorsqu'on leur dit : « Vous ne gagnez pas beaucoup, n'est-ce pas ? », ils répondent : « N o u s sommes au service du peuple. » Il y a harmonie et intégrité entre leur activité, leur comportement et les objectifs de la société en général. O n trouve rarement cette harmonie et cette intégrité chez les praticiens américains.
Il est donc inutile d'ajouter que les habitats humains de l'avenir doivent, pour être viables, associer les principes de frugalité,
1. Le concept de développement est très controversé. Pour une discussion concise, voir R . N A D M A N , What do we understand by « Development »?, monographie publiée en février 1975 par le Centre Quaker de Genève ; voir aussi : G . M Y R D A L , « W h a t is development? », Ekistics, vol. 40, n° 237, août 1975 ; le développement est « le mouvement ascendant de tout le système social ». U n e autre opinion est celle de J. B H A G W A T I dans The economics of underdeveloped countries, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1966 ; l'auteur aborde la question en équilibrant l'expansion économique et les objectifs sociaux. Voir aussi « T h e Role of self-reliance in alternative strategies for development », rapport, 24 e Colloque de Pugwash, Dar es Salaam, 2-6 juin 1975. [ N D L R . ]
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d'harmonie et d'intégrité, et c'est dans ce contexte qu'on commence à comprendre ce que signifient les arcologies. Si l'on n'envisage pas les arcologies dans cette ample perspective, on ne peut pas saisir leur signification. Les notions de frugalité, d'harmonie et d'intégrité c o m m e fondements de la m a nière dont fonctionneront les arcologies doivent être mises en balance avec les concepts que nous avons qualifiés de réactionnaires. Ceux-ci sont apaisants, mais n'apportent pas de remèdes ; ils promettent beaucoup, mais donnent peu ; ils attirent, tout en demeurant régressifs. A long terme, ils n'aident pas l'humanité.
La solution peut-elle être technocratique?
Il existe de nombreux projets où la densité est utilisée c o m m e une motivation positive pour préserver les terres et mettre en valeur l'expérience humaine. D e tous ces projets, Farcologie nous semble être le mieux conçu et avoir la plus grande portée. Il est vrai que du Hancock Building de Chicago aux équipements semi-centralisés de divers villages éloignés, d'autres ont tâtonné dans la direction de l'arcologie et ont esquissé des formules analogues. Mais c'est dans l'œuvre de Soleri que nous la trouvons exprimée sans ambiguïté. Examinons quelques propositions récentes et comparons-les aux arcologies.
L ' u n des meilleurs exemples de l'application de la solution technocratique au problème de l'abri des masses est le d ô m e géodésique de Buckminster Fuller. Ces structures hémisphériques sont en train de devenir populaires ; elles parsèment la c a m pagne et l'horizon urbain — à l'une des portes de Paris, il en existe une qui sert de salle de concert, de ballet et de théâtre, et qui est également le cadre de manifestations sportives, de spectacles de cirque, d'expositions commerciales, de spectacles sur glace et de spectacles militaires. D u point de vue économique, ces dômes sont réalisables. Leur coût est parmi les plus faibles par unité de
mesure ; il est possible de les construire avec les matériaux les plus divers — y compris le carton — et on peut les monter assez rapidement. Il semble donc que ces dômes géodé-siques soient la solution parfaite du problème de l'abri.
Les dômes peuvent bien convenir c o m m e entrepôts et serres et, là où le climat le permet, c o m m e logements, mais en dernière analyse ils ne constituent pas u n habitat satisfaisant pour l 'homme. L e projet de Fuller consistant à « mettre sous d ô m e » une ville entière est une grossière erreur dans l'utilisation de cette structure architecturale [10]. Nous reconnaissons que le d ô m e est u n exploit technique de première importance, mais il ne contribue guère à la solution des problèmes d'habitat. Mettre une ville sous d ô m e est non seulement une extravagance que nous ne pouvons nous permettre, mais aussi l'acceptation de la situation actuelle de nos municipalités — accepter c o m m e immuables les conditions de vie et les groupes sociaux d'aujourd'hui. Mettre une ville sous d ô m e est donc un suicide social.
D'autres solutions technocratiques sont encore moins orientées vers les besoins de l 'homme. Prenons l'exemple de l'œcumeno-polis de Doxiadis. Derrière elle se trouve la théorie de Doxiadis, selon laquelle il faut amener le reste du m o n d e au niveau des normes matérielles de l'Occident. Nous savons maintenant que ce n'est pas possible. A u lieu de leur offrir les commodités matérielles de l'Occident, ne voyons-nous pas maintenant que les peuples des pays en développement et en voie d'industrialisation seraient plus heureux dans leurs sociétés traditionnelles ? C e sont ces sociétés qui se nourrissent d'harmonie, d'intégrité et de leur propre élan.
La confusion du dynamisme et de la mobilité
Les conséquences du projet de Doxiadis sur le plan écologique sont tout autant indési-
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rabies. L'œcumenopolis étouffe le paysage naturel. Doxiadis interprète l'environnement non pas c o m m e u n organisme vivant — qui mérite d'être respecté et m ê m e révéré par nous, et avec lequel nous devons avoir une saine interaction — mais c o m m e u n décor de notre existence que nous pouvons manipuler à notre gré. L'œcumenopolis est en fait u n testament laissé au désir de la culture technologique occidentale de conquérir et de dominer la nature.
E n outre, Doxiadis confond dynamisme et mobilité. H a excessivement simplifié le problème de l'habitat humain, en considérant qu'il consiste à aménager et à diriger la dynamique des établissements urbains modernes. Doxiadis a vu dans ce dynamisme, qui repousse toujours plus loin les frontières de nos communautés, le trait distinctif des villes modernes, par opposition à la nature statique des villes traditionnelles. S'interroge-t-il sur la nature et l'origine du dynamisme qu'il prône ? N o n . Cette mobilité qui caractérise les agglomérations modernes découle des impératifs de la culture technologique occidentale qui exige, pour atteindre ses objectifs, une croissance et une expansion illimitées.
Bien que l'œcumenopolis possède tous les signes distinctifs d'un autre habitat possible, elle est pourtant bien loin d'être parfaite. C e n'est rien moins que la continuation de la dispersion urbaine d'aujourd'hui, u n schéma à la merci du progrès technique poussé à son extrême logique mais mortel. L'école de Doxiadis ignore la dynamique dont nous devrions nous soucier : l'harmonie culturelle et sociale, l'intégrité culturelle et sociale, la santé sociale et culturelle.
E n résumé, la conception technocratique de l'habitat de la population mondiale constitue une réponse aux besoins humains dépourvue de sympathie et de créativité. C e n'est qu'une aggravation et une réification déguisées en solution de la situation actuelle de l'habitat, une apologie du statu quo technocratique selon la m a x i m e « Toute croissance est bonne ».
La ville, expression de la vie
Contrairement aux technocrates, Soleri a concentré précisément son attention sur les aspects de l'établissement humain que ces derniers évitent d'aborder, à savoir l'harmonie, l'intégrité et la santé socio-culturelles. Notre but final quant au développement des habitats humains s'en dégage : le double objectif de la qualité de l'abri et de la qualité de la vie. C e qui distingue la manière dont Soleri aborde rarchitecture de celle de ses contemporains — et ce qui la rend réellement révolutionnaire — c'est le fait qu'il greffe rarchitecture sur la société dans le cadre d'une seule préoccupation qui englobe tout.
Il n'est pas surprenant que la ville, ou la cité, soit le modèle architectural de Soleri, car la ville est le domaine de la société, et virtuellement l'expression la plus complète de la vie. « A mesure que l'architecture devient u n phénomène d'écologie humaine, déclare Soleri, les villes deviendront des organismes dont la complexité structurelle reflétera la complexité de la vie qu'elles contiennent [n] . » Grâce à la complexité croissante et à la miniaturisation, « la ville devient l'organisme de mille esprits » [12].
L'arcologie définit la portée de rarchitecture pour que celle-ci a) devienne le lien social et b) fournisse la matrice sociale de l'interaction humaine. L'arcologie fournit également les conditions nécessaires à la création d'écologies humaines et à l'évolution de l'humanité. Les arcologies sont structurées de façon à placer l'individu « au plus épais des choses ». Et en créant dans trois dimensions, Soleri peut échapper aux limitations spatio-temporelles imposées par l'étalement dans deux dimensions des établissements d'aujourd'hui. Soleri met à la disposition de l'individu l'accès le plus rapide au transport et à la distribution des biens, et à la communication de l'information.
E n d'autres termes, la société est comprim é e en u n tissu serré de labyrinthes — ce
L'arcologie : u n autre habitat urbain 213
qui implique pour l'individu une possibilité de choix — le tout constituant u n système complexe de réseaux qui se chevauchent. Cette stratification hiérarchique des réalisations de la société confère aux arcologies l'intégrité et l'harmonie qui facilitent l'interaction humaine, l'expansion de l'hétérogénéité et l'explosion de la créativité.
Ces nouvelles dimensions donnent à la vie dans une arcologie une qualité qu'on ne trouve pas dans la société moderne occidentale. L a diversité est unifiée, le potentiel humain se trouve stimulé, la société prend vie et les besoins sociaux de l ' h o m m e sont satisfaits. L'existence humaine trouve une expression plus riche et plus rémunératrice que dans le passé.
L'évolution sociale et l'esprit humain
L a richesse de la cohésion sociale et du potentiel humain qu'on trouvera dans l'arco-logie est une condition préalable au développement spirituel de l ' h o m m e . Il n'y a plus de conflit entre l'évolution socio-culturelle et le développement spirituel, car u n conflit n'apparaît que dans les sociétés occidentales consumées — à tous les sens du teime — par la poursuite d u progrès matériel. U n e fois que la société et la culture prospèrent, il en est de m ê m e de l'esprit humain, et l'arcologie fournit le cadre de cette croissance.
Si elle est une cité de mille âmes, l'arcologie est également la communauté de mille esprits. L a concentration de la population est portée au m a x i m u m , si bien qu'on peut dire que l'arcologie tente de donner forme au vecteur de l'évolution, de canaliser cette évolution vers l'esprit humain [13].
L'extension la plus récente du modèle de l'arcologie est la T w o Suns Arcology [14]. E n réponse à la crise de l'énergie, Soleri a conçu une nouvelle arcologie dans laquelle la forme de la ville ainsi que d'immenses jardins potagers intégrés sont prévus pour : a) utiliser au ma^irrmm l'énergie solaire, et b) dépendre le moins possible des sources extérieures
d'énergie. Outre sa frugalité, sa souplesse et sa capacité d'adaptation, la T w o Suns Arcology peut donc se suffire à elle-même, car elle dispose à la fois de sa propre énergie physique et de son énergie spirituelle.
E n résumé, les arcologistes s'opposent donc aux minimalistes ( c o m m e John Turner) et aux partisans de la mégalopole ( c o m m e Doxiadis) parce que les solutions que ces derniers apportent aux problèmes de l'habitat sont à court terme ; ce ne sont que des cosmétiques destinés à masquer les laideurs d'un cadre sordide et de la décomposition urbaine. L e problème reste celui de loger les gens avec dignité en créant u n nouvel ordre social et en trouvant une meilleure qualité de vie.
L a solution de l'arcologie que propose Soleri répond à ces objectifs. Il dirige la construction d'Arcosanti, une petite arcologie de 3 000 habitants, située dans le centre de l'Arizona. Arcosanti, dont la construction a débuté en 1969, n'est pas encore une c o m m u nauté achevée, mais ses habitants ont déjà commencé à partager u n style de vie plus frugal et une existence plus enrichissante que ce qu'ils auraient connu ailleurs.
Les avantages réels
N o u s revenons, pour conclure, sur les avantages des projets conçus par Soleri. E n tant que projets adaptables et ajustables, les arcologies peuvent être insérées dans n'importe quel cadre géophysique. E n tant que structure frugale, l'arcologie est prévue pour protéger le m a x i m u m de terres fertiles, conserver les ressources naturelles et sauvegarder le paysage. E n termes d'écologie humaine, l'arcologie apporte à la société intégrité et harmonie, pour catalyser l'interaction humaine, l'hétérogénéité et la créativité. E n tant que réponse à long terme aux besoins de l 'humanité, l'arcologie est conçue pour contribuer à son évolution.
L a crise de l'habitat exige une nouvelle philosophie, qui définisse à la fois u n «. . . environnement adapté à l ' h o m m e et un h o m m e adapté à l'environnement » [15]. D e toute
214 Russell Lewis et Henryk Skolimowski
évidence, cela oblige à repenser non seule- et le cosmos. C'est ce que Soleri a fait pour ment l'établissement humain, mais aussi les nous avec l'arcologie [16]. L a réalisation de relations de l 'homme avec l 'homme, la nature l'arcologie dépend de nous tous. D
Notes
ï. J. T U R N E R , Housing by people: towards autonomy in building environments, Londres, Calder and Boyars Ltd., 1976. N o u s admirons ce livre et ses objectifs, ainsi que son auteur, parce que c'est une approche pleine de promesses à court terme. C e n'est toutefois pas une solution à long terme.
2 . K . B O U L D I N G , « T h e death of the city: a frightened look at postcivilization », dans : G . G E R M A N I (dir. publ.), Modernization, urbanization, and the urban crisis, p . 272, Boston, Mass . , Little, B r o w n ,
1973. 3. S . M A R Q U I S , « Ecosystems, societies and
cities », Amer, behav. scientist, vol. X I , n° 6, juil.-août 1968, p . 14.
4. Ibid. 5. P . S O L E R I , The bridge between matter and
spirit is matter becoming spirit, p . 156, Garden City, N . Y . , Anchor Press/Doubleday, 1973.
6. J. F R E E D M A N , Crowding and behavior, N e w York, N . Y . Viking, 1975.
7. Ibid.,p. 105. 8. Ibid.,p. 107. 9. D . B E H R M A N , « Hong-kong », Le Courrier
de V Unesco, juin 1976. 10. R . F Ü L L E R , Utopia or oblivion: the
prospects for humanity, p. 352, N e w York, N . Y . j T h e Overlook Press, 1969-
11. P . S O L E R I , The sketchbooks of Paolo Soleri, p . 7 , Cambridge, M a s s . , M I T P r e s s , 1971.
12. , Arcology: the city in the image of man,
p . 12, Cambridge, M a s s . , M I T Press,
1969.
13. Voir : H . SKOLIMOWSKI, TEILHARD, SOLERI, The Teilhard review, vol. X , n° 3,1975 (réimprimé dans Eco-logos, vol. X X I X , n° 79,1976) ; voir aussi : H . S K O L I M O W S K I , « Paolo Soleri and the philosophy of urban life », Architectural Association quarterly, vol. 3 , n° 1, hiver 1971.
14. L a seule publication que nous connaissions sur la T w o Suns Arcology est : « T h e T w o Suns Arcology », Architectural Association quarterly, vol. 7 , n° 2,1975.
15. I. M C H A R G , Design with nature, p . 121, Garden City, N . Y . , Doubleday, 1971.
16. L e lecteur souhaitera peut-être consulter les livres de Soleri qui ont tous été cités. Dans Arcology: the city in the image of man (réimpression, 1973), l'auteur décrit l'arcologie en tant qu'habitat. The sketchbooks of Paolo Soleri dépeint le processus qui m è n e à la conception de l'arcologie. L e troisième ouvrage, The bridge between matter and spirit, explique
• la philosophie sous-jacente à l'idée d'arcologie.
Pour approfondir le sujet
B A C T N O , E . Città delVuomo. R o m e , Editrice Europea, 1965.
B A S S A N D , M . Urbanisation et pouvoir politique. Genève, Georg-Librairie de l'Université,
1975. C O N S E I L D E S SCIENCES D U C A N A D A . Carnets
d'épargne. Voir n'importe lequel des numéros parus depuis 1975. Traite de la 1 société de conservation » par opposition à la société de consommation.
L'arcologie : u n autre habitat urbain 215
Les établissements humains et l'organisation sociale de la production Madhu Sarin
On peut concevoir un établissement humain en fonction des besoins supposés à priori, ou donner à une communauté la possibilité de se développer en fonction de ses besoins socio-économiques propres. Nous examinerons ici les cas, opposés, de Chandigarh, en Inde, et d'un quartier urbain de Wuhan, en Chine, parce qu'ils illustrent Vune et Vautre de ces démarches.
Ces dernières années, les problèmes sociaux liés à l'environnement, qui se sont posés d'une manière concrète et aiguë dans les principales concentrations urbaines du m o n d e , ont suscité un grand intérêt. L'une des plus récentes manifestations de cet intérêt a été la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains, qui s'est tenue l'été dernier à Vancouver, au Canada.
Les problèmes de l'occupation de l'espace par l 'homme sont généralement perçus dans le cadre d'un schéma qui divise les pays non socialistes1 en deux groupes : a) les pays « développés » et b) les pays « en développement », « sous-développés », « du tiers m o n d e », voire « du quart m o n d e »2. Quelle que soit la terminologie employée, cette division implique qu'il existe une différence de nature dans les problèmes rencontrés par ces deux catégories de nations. Mais si l'on définit le développement en termes économiques unidimension-nels (en fonction du degré de développement des capacités de production de chaque nation), il apparaît clairement que ce n'est pas sur ce critère que se fait la distinction entre catégories. L'Argentine constitue à cet égard un bon exemple. D u point de vue du revenu par habitant, l'Argentine est plus riche ou plus développée que certains des pays dits occidentaux.
Néanmoins, la recherche de phénomènes c o m m u n s au tiers m o n d e nous fait découvrir u n fait absolument patent — à savoir l'existence d'une forte inégalité dans la répartition de la richesse à l'intérieur de ces pays. M a l nutrition, misère, faim, dénuement et délabrement, généralisés et poussés à l'extrême, caractérisent d'importantes couches de la population.
Une dualité de plus en plus manifeste
Si nous considérons maintenant les implantations urbaines dans ces pays, nous constatons qu'un certain nombre de caractéristiques c o m m u n e s s'y retrouvent d'une manière quasi universelle. L a dynamique démographique se traduit par la concentration de la population dans des grandes villes dont le taux de croissance est supérieur à celui de certaines villes plus petites, du fait tant de l'accroissement naturel de l'agglomération,
ï. L e terme « socialiste » désigne généralement des pays dont l'économie obéit à une planification centralisée. Si, à l'intérieur m ê m e de cette catégorie, les niveaux de développement diffèrent selon les pays, les problèmes y prennent généralement d'autres formes et échappent ainsi à notre propos.
2 . Cette appellation officieuse désigne les trente nations les plus pauvres du globe. [ N D L R . ]
impact ; science et société, vol. 27 (I977)s n° 2 217
• M a d h u Sarin
Élevée à Chandigarh dès son plus jeune âge, l'auteur est diplômée du Chandigarh College of Architecture (içôj) et a obtenu ensuite un diplôme de spécialisation en planification du développement, à V University College de Londres. Elle a, depuis, travaillé, fait des conférences et de la recherche en France, en Italie, aux Pays-Bas, en Chine ainsi qu'au Royaume-Uni. Madhu Sarin fait observer qu'au cours des cinq dernières années son principal souci a été de « désapprendre » sa formation professionnelle et « les attitudes qui vont de pair avec cette formation ». Elle ajoute que ce qui « l'intéresse, c'est de redéfinir le rôle des spécialistes dans le processus de développement, afin qu'ils puissent apporter des contributions positives, et non pas susciter des problèmes supplémentaires ». Adresse : Development Planning Unit, School of Environmental Studies, University College London, io-n Percy Street, London WiP pFB (Royaume-Uni).
que de l'exode rural. C e processus s'accompagne d'une dualité, de plus en plus visible, des formes spatiales que prennent ces établissements.
D ' u n e part, le développement des quartiers d'habitation s'effectue conformément aux normes légales. d'urbanisme et aux normes de construction en vigueur. Mais , d'autre part, il s'accompagne de l'extension de ce qu'on a appelé les implantations « sauvages » (squatters), « populaires », « spontanées » ou « incontrôlées ». Les urbanistes et les responsables administratifs considèrent ces « bidonvilles » — pour reprendre un terme fréquemment employé pour les décrire — c o m m e des « taudis » dont la destruction s'impose.
E n ce qui concerne la population active,
on distingue nettement deux catégories : ceux qui travaillent dans le secteur dit « moderne », « organisé », « recensé » ou « structuré » de l'économie urbaine et ceux, en nombre croissant, qui travaillent dans le secteur parallèle « traditionnel », « inorganisé », « non recensé » ou « non structuré ». Dans ce dernier secteur, caractérisé par l'abondance de la main-d'œuvre, le développement anarchique, les petites entreprises, le grand nombre de travailleurs indépendants et la faiblesse des revenus [ï]1, les activités exercées sont généralement le colportage, le petit commerce et l'artisanat, la mendicité, le cirage des chaussures, etc. — cette multitude d'activités qui constituent le spectacle de la rue dans les villes d'un pays sous-développé.
C o m m e les implantations sauvages et le secteur non structuré ont fini, dans quelques villes, par représenter la majorité de la population, ces deux phénomènes ont suscité, au cours des dernières années, un intérêt croissant chez les universitaires, les planificateurs d u développement et les pouvoirs publics. Dans le débat en cours, certains se déclarent fortement partisans de mesures tendant à reconnaître, voire à encourager ces formes de croissance. Tandis qu'on invoque, en faveur de la reconnaissance des implantations sauvages, la « valeur d'usage » qu'ont les cabanes pour les personnes dont les revenus sont faibles ou instables, c'est le grand n o m b r e de possibilités d'emploi offertes par des activités qui exigent u n faible investissement en capital et beaucoup de main-d'œuvre qu'on avance c o m m e argument principal en faveur d u maintien d u secteur non structuré [2].
Rapports entre production et société
Il faut souligner que c'est dans les zones de squatters et dans le secteur n o n structuré qu'on rencontre les problèmes sociaux les plus criants d u sous-développement : misère, insécurité, salaires de subsistance, mépris des
1. Les chiffres entre crochets renvoient aux notes situées à la fin de l'article.
218 Madhu Sarin
F I G . 1-8. Dualité manifeste des parties planifiée et non planifiée de Chandigarh.
Partie planifiée. Photo n° ï : le Centre de Chandigarh ; le « noyau vital » prévu par le plan. Photo n° 2 : une rue commerçante prévue pour un quartier résidentiel. Photo n° 3 : l'une des principales avenues prévues par le plan, conduisant aux bâtiments officiels dont la silhouette se découpe sur les collines de Shivalik. Photo n° 4 : espace libre prévu par le plan dans une zone d'habitation à densité moyenne.
Partie non planifiée. Photo n° 5 : marché sauvage de fruits et légumes se développant sur une parcelle qui, d'après le plan, devait être u n espace public libre. Photo n° 6 : une implantation « provisoire » de squatters hors des limites d u plan directeur ; ce sont les m ê m e s ouvriers qui ont construit les parties planifiées et non planifiées de la ville. Photo n° 7 : une rue d u m ê m e quartier : médiocre qualité des constructions, mais relations intenses avec l'environnement. Photo n° 8 : des cabanes réapparaissent au lendemain d'une démolition, les habitants n'ayant aucun autre endroit où aller.
F I G . 9-12. L'organisation de l'espace obéit à des critères fonctionnels plutôt qu'esthétiques.
9. Les femmes d'un groupe de production fabriquent des pièces pour radio ; toutes ces femmes habitent à cinq ou dix minutes à pied de l'atelier. 10. Spectacle donné par les élèves d'une école primaire.
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il. C e jardin d'enfants, géré par le comité de résidents pendant que les mères travaillent, tire parti des espaces libres et d'un pavillon disponibles entre des immeubles d'habitation. 12. Activités à temps partiel des jeunes pendant les grandes vacances — usage multiple d'une ruelle du quartier.
conditions d'hygiène,. prostitution, mendicité des enfants, conditions économiques favorables à une exploitation maximale de l'individu. Lorsqu'on considère ces phénomènes c o m m e des problèmes à résoudre et qu'on tente de concevoir les mesures à prendre pour y parvenir, on part de deux postulats fondamentaux.
L e premier est qu'il y a dualité du secteur structuré et du secteur non structuré, ce qui implique qu'on peut s'occuper de l'un plus ou moins indépendamment de l'autre. L e second est que les mesures palliatives, telles que l'augmentation des possibilités d'emploi ou l'adoption d'une attitude tolérante envers le logement « sauvage », permettront tant bien que mal d'en éliminer les pires aspects sociaux. O n s'est relativement beaucoup moins attaché aux rapports entre les deux secteurs et aux forces qui, au niveau macroéconomique et politique, sont en fait à la source m ê m e de cette dualité.
L a méthode suivie ici consiste à rechercher l'origine de certains de ces « problèmes » en examinant les rapports de production et en étudiant de près les lieux de production dans les concentrations urbaines, dans le double contexte d'une économie de marché mixte et d'une économie planifiée. A cet effet, l'Inde et la Chine, qu'on peut considérer c o m m e deux pays en voie de développement de taille comparable, et qui s'efforcent tous deux de développer leurs économies face à des contraintes analogues tenant à la limitation des ressources disponibles, nous fournissent des exemples significatifs. E n analysant ces exemples, le lecteur verra à quel point les problèmes sociaux liés à l'environnement sont prédéterminés par les forces de production et par les organes de décision qui commandent la production.
Inde — une ville nouvelle entièrement « planifiée »
Chandigarh, qui au lendemain de l'indépendance et de la partition de 1947 fut choisie c o m m e nouvelle capitale de l'État (province)
Établissements
du Pendjab, dans le nord-ouest de l'Inde, illustre comment , dans une économie mixte, des planificateurs de l'environnement interviennent dans le développement urbain. L'exemple est pertinent à plusieurs titres : a) la ville ayant été construite à partir de rien, sur une étendue de terre vierge, nous pouvons clairement situer les origines des problèmes que posent, le développement des implantations sauvages et la croissance du secteur non structuré (aucun des deux n'ayant été hérité du passé) ; b) Chandigarh constitue un exemple typique du fondement abstrait et conceptuel sur lequel reposent les méthodes de planification mises au point en Occident — et qui continuent d'être largement appliquées dans les pays industrialisés c o m m e dans les pays en développement; c) en analysant la structure de décision inhérente à ces méthodes et en essayant de déterminer ses rapports avec la réalité de la ville d'aujourd'hui, on peut examiner dans quelle mesure il est possible de remédier à la situation — dans l'hypothèse où cette structure de décision, qui contrôle la production, ne change pas.
Chandigarh fut conçue pour une population maximale de 500000 habitants. L a ville en construction devait — en principe — non seulement devenir le centre administratif dont le gouvernement provincial avait besoin, mais aussi exprimer symboliquement les aspirations d'une nation indépendante depuis peu. L'élaboration du plan de la ville fut dès lors considérée c o m m e un jalon de la politique d'amélioration du cadre de vie à laquelle le pays voulait se consacrer dans le cadre de sa politique de développement. ;
L e but exprès de cette opération d'urbanisme était notamment de créer « une ville offrant tous les agréments de l'existence aux plus pauvres parmi les pauvres de sa population, afin qu'ils soient à m ê m e de vivre dans la dignité » [3]. E n fonction de ce qu'ils estimaient personnellement être les agréments souhaitables d'une ville moderne, de hauts fonctionnaires préparèrent un avant-projet prévoyant la construction d'écoles . et de
et organisation sociale de la production 223
collèges, d'une université, de musées, d'hôpitaux, de bureaux pour l'administration, de logements pour les fonctionnaires, etc.
L e gouvernement central et les autorités locales allouèrent des crédits à cet effet. D e s logements pour les travailleurs et pour d'autres personnes non employées par l'administration devaient être construits par le secteur privé, et le terrain nécessaire devait être vendu en lots de différentes tailles dont le prix serait fixé d'après les coûts de viabili-sation, dans les premières années tout au moins. D e m ê m e , des normes minimales de construction furent établies en fonction de critères de qualité de la vie arbitrairement considérés c o m m e appropriés pour la nouvelle ville.
Des « besoins présumés » pris comme paramètres invariables
Afin de traduire l'ensemble de ces aspirations en u n plan directeur et de définir u n style architectural adapté à l'Inde moderne, les autorités s'efforcèrent de s'assurer les services des meilleurs architectes. Parmi les Indiens, aucun architecte ou urbaniste expérimenté n'étant disponible, une équipe de quatre Européens fut engagée — à la tête de laquelle se trouvait L e Corbusier, architecte franco-suisse mondialement connu. Cette équipe devait en outre assurer la formation professionnelle de jeunes Indiens, afin que puissent être satisfaits les besoins futurs de la communauté .
L e plan de Chandigarh fut élaboré conform é m e n t à une doctrine d'urbanisme comportant u n ensemble de principes fondamentaux détachés de la réalité par u n processus d'observations impartial. Ces principes étaient le produit des écoles d'architecture et d'urbanisme européennes qui avaient connu leur heure de gloire entre les deux guerres, mais qui demeuraient prédominantes au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ces principes sont, pour l'essentiel, définis en fonction de « besoins présumés » qu'on détermine à priori en dehors d u contexte réel où
se situe l'action sur l'environnement. Cela conduit inévitablement à concevoir les variables potentielles c o m m e des paramètres invariables.
Les concepts idéologiques dont s'inspire cette doctrine — et-qui ont permis d'élaborer en moins d'un mois le plan directeur de la ville — sont résumés brièvement ci-après ; le premier de ces concepts, dit « les trois établissements humains » [4], envisage l'occupation du sol en fonction de trois types distinas d'activité humaine : a) la production agricole ; b) la production industrielle, concentrée dans des villes industrielles linéaires, situées le long des principales voies de communication ; c) la distribution et l'échange, les villes d'échange, radiales et concentriques, trouvant naturellement leur place aux points d'intersection des axes d'échange. Ces villes sont " par essence des centres de décision et de consommation et elles sont également conçues c o m m e des zones consacrées aux activités culturelles et à la création.
Conformément à cette conceptualisation schématique de l'organisation de l'espace, Chandigarh fut définie c o m m e une « ville d'échange radiale et concentrique » et, en vertu de la m ê m e logique, on ne jugea pas nécessaire de la doter d'une assise productive importante. A long terme, cela impliquait que la ville resterait u n centre de consommation et serait constamment tributaire, d'une manière ou d'une autre, d'un excédent de production de la société. Ironiquement, cette conception a eu pour conséquence, à Chandigarh, u n certain mépris des autorités pour ceux des habitants qui, tout naturellement, essaient de participer à des activités productives non prévues par le plan directeur — ironie d'autant plus grande quand on sait que la nation entière, quant à elle, lutte pour augmenter sa capacité de production.
Les quatre fonctions et leurs « boites »
Selon le deuxième concept, la ville a quatre fonctions [5]. E n classant ces quatre fonc-
224 M a d h u Sarin
tions par ordre de priorité, en obtient un fil directeur qui permet de prévoir méthodiquement l'affectation des sols dans l'établissement humain. Il faut distinguer : a) l'espace nécessaire au logement — le cadre de vie pour la famille (l'habitation étant considérée c o m m e u n bien de consommation, la cellule familiale constituant l'unité de consommation) ; b) le travail, défini c o m m e une obligation quotidienne à remplir (plutôt que c o m m e u n droit au libre choix) ; c) les loisirs, ou l'enrichissement du corps et de l'esprit ; et d) la circulation, qui assure le contact entre les trois premières fonctions.
Outre qu'elle implique une ségrégation spatiale de chacune de ces quatre fonctions — en les considérant c o m m e des entités séparées — cette méthode se traduit par l'utilisation unifonctionnelle de l'espace a m é nagé, ce qui entraîne une faible rentabilité des investissements et d'importantes pertes de temps et d'argent du fait des transports. Elle a pour effet de produire, au sein m ê m e de la ville, une ségrégation spatiale fondamentale entre zones de production et lieux de consommation, et de réserver la possibilité de prendre part à la production aux seules personnes qui ont les moyens d'accéder à ces zones.
Selon le troisième concept, il faut ranger chacune de ces quatre fonctions dans une « boîte » qui lui convienne — et dont l'emplacement, la forme et les dimensions seront définis subjectivement par les spécialistes. Ainsi, tandis que les zones d'habitation sont conçues dans une optique horizontale, les bureaux officiels et les bâtiments c o m m e r ciaux sont considérés c o m m e méritant de s'élever en hauteur et d'être situés sur des eminences.
L e produit final résultant de l'application de ces concepts fut u n plan directeur qui, outre la localisation des principales activités de la ville, fixait également la forme des bâtiments et leur affectation, le tout exposé avec force détails.
L a réalité sociale dans laquelle la ville était appelée à vivre ne fut jamais prise directe
ment en considération. Les idées m ê m e s qui inspiraient le plan étaient jugées propres à résoudre tous les conflits pouvant surgir au sein de la société. A aucun stade de l'élaboration d u plan on n'a songé à sa viabilité à long terme, pas plus qu'au problème de l'accès économique des diverses couches de la population aux zones d'habitation ou de travail si soigneusement conçues. Dans une structure où les décisions font abstraction de la réalité et où domine la volonté de plaquer des images statiques et formelles sur une réalité en mouvement , il était effectivement impossible d'intégrer des variables temporelles et dynamiques.
Chandigarh aujourd'hui
C e plan d'établissement humain si m i n u tieusement élaboré devait se réaliser dans u n cadre différent de celui pour lequel il avait été conçu, u n cadre où les relations sociales, l'accès aux emplacements privilégiés et les possibilités d'utilisation du sol urbain ont été déterminés par le pouvoir de surenchère des divers individus dans une économie de marché1. Dans des pays c o m m e l'Inde, le seul atout économique dont disposent de larges secteurs de la population est exactement égal à la valeur d'échange de leur travail manuel, sur u n marché lui-même caractérisé par une offre excédentaire de main-d'œuvre.
Aujourd'hui, vingt-cinq ans après sa création, avec une population de près de 250 000 habitants, Chandigarh présente tous les traits caractéristiques de la dualité propre aux villes d u tiers m o n d e , telle que nous l'avons mentionnée plus haut. E n dépit de la volonté proclamée de - doter les plus
1. L'expression « pouvoir de surenchère » désigne ici les privilèges sociaux et économiques qu'un individu possède au départ, et qui détermineront sa capacité d'acquérir des terrains situés dans des emplacements de choix. U n individu ne cherche pas nécessairement à imposer sa force sur le marché, mais le pouvoir dont il dispose au départ détermine ce qu'il peut y acheter.
Établissements humains et organisation sociale de la production 225
pauvres des pauvres de tous les agréments de l'existence, 15 % des habitants vivent d'ores et déjà en squatters dans des logements non conformes aux caractéristiques physiques du plan directeur. Près de la moitié des unités fonctionnelles qui fournissent des biens de consommation et des services — principa; *" lement à l'intention des couches les plus pauvres de la population — le font sur des emplacements ou selon des modalités contraires aux dispositions initiales du plan ; elles constituent ce qu'on appelle le secteur non structuré.
O n trouve u n nombre considérable de services commerciaux, éducatifs ou professionnels installés dans des locaux originellement conçus c o m m e logements. Dans les zones d'habitation destinées aux familles à faibles revenus, les loyers élevés et le surpeuplement sont devenus la règle. Les riches — qui disposent d'une vaste g a m m e de choix économiques — sont les maîtres du terrain, les pauvres y sont pris au piège. Les plus misérables ne peuvent m ê m e pas prétendre à la légalité et sont en permanence à la merci de l'exploitation de leur insécurité par ceux qui commandent (voir fig. 1 à 8).
Origines de la dualité manifeste
C o m m e n t en est-on arrivé là ? Cette situation est en fait une conséquence de la cristallisation de conflits sociaux intrinsèques qui ne pouvaient pas être réglés par les organes de décision qui avaient élaboré le plan sans tenir compte de la réalité. D e fait, les conflits ont pratiquement commencé à se manifester dès le premier jour de la construction de la ville. Prenons l'exemple des rapports qu'implique la construction i m m o bilière. D ' u n e part, les architectes et les urbanistes conçoivent des formes particulières pour tel usage ou tel emplacement bien définis, et les constructions publiques et privées doivent s'y conformer en vertu des « besoins présumés » de la communauté , postulés indépendamment de la réalité sociale. Mais d'autre part, pour que ces formes
se concrétisent — qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé — il faut que d'aucuns fournissent le capital nécessaire : a) à l'achat du terrain, b) à l'achat d u matériel et des matériaux de construction, et c) à la rémunération des ouvriers d u bâtiment eux-mêmes . L'acte de construire nécessite donc l'association du capital et du travail.
Considérons le cas d'une maison construite par un particulier sur la plus petite parcelle de terrain disponible d'après le schéma d u plan directeur : s'il veut simplement pouvoir mettre en route la construction, le propriétaire « le plus pauvre » de la ville doit disposer à tout le moins d'un capital suffisant (ou d'une solvabilité suffisante) pour acheter la terre, les matériaux de construction et le travail des ouvriers. L a mise en route de la construction est donc subordonnée à l'accès au capital. L a participation de la main-d'œuvre au processus reste secondaire et liée au problème d u capital.
Les ouvriers d u bâtiment n'entrent en ligne de compte que dans la mesure où ils dépendent, pour leur propre survie, de la vente de leur travail à sa valeur d'échange. Leurs besoins ne sont jamais pris en considération. N o n seulement ce qu'ils produisent échappe à leur contrôle, mais l'usage m ê m e leur en est interdit. Aussi n'y a-t-il aucune dimension sociale au processus de décision ; de plus, ce sont les rapports de production qui déterminent, par eux-mêmes , la répartition de ce qui est produit. Et enfin, ce qui paraissait dualité se révèle être unité, quand on se place aux points de production. L e développement planifié donne naissance aux implantations sauvages et au secteur « non structuré », et entretient leur existence.
Dans u n marché caractérisé par une offre excédentaire de main-d'œuvre, le pouvoir de négociation dont disposent des ouvriers du bâtiment non qualifiés est extrêmement faible, d'où les bas salaires et les mauvaises conditions de travail. L a grande majorité de ces travailleurs, qu'il s'agisse du secteur privé ou d u secteur public, sont embauchés de manière occasionnelle et à la journée. L e
226 M a d h u Sarin
salaire quotidien suffit à peine à les faire vivre. U n tel système d'embauché signifie qu'aucune garantie de revenu ne leur est assurée et que, lorsque la demande relative à la marchandise qu'ils vendent — leur travail — faiblit, ils doivent s'occuper eux-m ê m e s de leur propre survie.
L'ordre et l'esthétique menacés
C e conflit latent dans les rapports de production s'est traduit, en ce qui concerne le secteur de l'habitation, par l'apparition de logements sauvages dans la ville. L e problème de ces quartiers improvisés continue pourtant d'être perçu par référence aux données abstraites et conceptuelles d u plan. Les cabanes de boue et de chaume construites par les ouvriers d u bâtiment et par d'autres travailleurs mal payés à la lisière des chantiers sur lesquels s'érigeaient de grands édifices prévus dans le plan furent d'abord considérées par les hauts fonctionnaires, les ingénieurs, les architectes et les urbanistes c o m m e une menace à l'agencement ordonné et à la « beauté » de la ville et ce, quelques années à peine après le début des travaux de construction.
Mais au lieu de s'efforcer d'analyser les causes de l'existence de ces baraquements, les autorités sommèrent leurs habitants de déguerpir, sous peine d'expulsion par la force. C e fut là le premier d'une série de heurts entre les autorités et les couches de la population réduites à cette extrémité d u fait de leur situation par rapport au macro-environnement. Les responsables finirent par accepter une solution de compromis qui concédait aux délogés des emplacements « temporaires » situés à la périphérie de la zone urbaine délimitée par le plan. L à , les travailleurs en cause furent autorisés à reconstruire des logements improvisés, en attendant que soit trouvée une solution définitive.
Cependant, quelques années plus tard, on s'avisa que la croissance de ces zones tolérées à titre provisoire se faisait au m ê m e rythme,
voire plus rapidement, que celle de la partie planifiée de l'agglomération. Et à nouveau, plutôt que de chercher à analyser les présupposés sociaux et économiques d u plan directeur, on préféra ne voir dans les événements qu'une manifestation supplémentaire des problèmes propres aux squatters. Et une fois encore, afin d'empêcher la croissance des implantations non conformes, on donna l'ordre de détruire toute nouvelle baraque qui viendrait à être érigée.
Cette politique s'est soldée par u n échec. Les éléments détruits réapparaissent. D e nouveaux viennent sans cesse s'y ajouter. Les ouvriers du bâtiment, qui prédominaient, se trouvent désormais mêlés à quantité d'autres tout aussi mal rémunérés : balayeurs, jardiniers, tireurs de pousse-pousse, colporteurs, etc. Cela tient au fait que la demande de travail dans le bâtiment diminue au fur et à mesure que la ville se développe. Entre 1961 et 1971, alors que la population totale de la ville a augmenté de 146 %, celle de la zone non prévue au plan s'est accrue de 230 % [6]. L e conflit n'est toujours pas résolu, ce qui donne fréquemment le spectacle illustré par la figure 8.
Décisions d'agir individuelles et collectives
L'évolution de ces implantations hors-plan est qualitativement différente de celle de la partie planifiée de la ville. Leur création a tout d'abord obéi à une combinaison de décisions individuelles et collectives, en vue d'une action immédiate. A u lieu de se préoccuper de besoins présumés, cette action répondait à des besoins vécus. Les décisions individuelles sont celles des familles, n u cléaires ou indivises, qui ont voulu se construire et s'aménager des logements avec le souci d'en tirer le meilleur parti dans les limites économiques — extérieurement déterminées — qui leur étaient imposées par la valeur d'échange de leur travail.
Les décisions collectives ont, quant à elles, visé à assurer la survie de l'implantation
Établissements humains et organisation sociale de la production 227
devant les menaces constantes de démolition et d'expulsion, ainsi qu'à doter la c o m m u nauté de certains équipements élémentaires et indispensables en matière d'hygiène et de bien-être. Cette action collective s'est traduite par l'exécution de travaux aussi divers que la construction d'écoles, l'aménagement de rigoles à ciel ouvert pour l'évacuation des eaux usées, l'installation de robinets d'eau potable, l'enlèvement des ordures et la construction de temples. Ces tâches n'ont p u être accomplies que parce que les intéressés y ont apporté leur participation financière ou leur concours bénévole, ou ont persuadé les pouvoirs publics de faire de m ê m e .
L a nature de ces implantations sauvages — et tout particulièrement des plus anciennes d'entre elles — est résolument organique et traduit une grande harmonie entre les membres de la communauté et leur cadre de vie et de travail. Leur aspect général diffère énormément de l'esthétique formelle et étudiée qui est celle des parties planifiées de la ville, et elles se caractérisent par une intégration plus étroite de la production et de la consommation. D e nombreuses habitations sont également des lieux de travail, encore que la majorité des habitants de ces quartiers soient salariés.
C e caractère organique découle de l'intensité des relations qu'entretiennent les m e m bres de la communauté avec leur milieu, d u fait qu'ils gardent la faculté de transformer leur environnement au fur et à mesure que se modifient leurs besoins, ou les circonstances — ce qui n'est pas possible dans les quartiers planifiés, d u fait de la rigidité imposée par l'esthétique formelle du plan. C e que l'on considère souvent c o m m e l'aspect qualitativement négatif de ces implantations traduit en réalité une différence, économiquement quantifiable, entre les normes qui régissent la construction et les services : a) dans les implantations sauvages, et b) dans les zones planifiées de la ville. L a difference visible tient manifestement aux relations qu'entretiennent les m e m b r e s de la population active avec la sphère de la macro-
économie. Par conséquent, tant que le fondement économique des relations sociales ne subira pas de modifications, ce n'est pas en intensifiant la planification ou en imposant l'application de normes de construction m i nimales que l'on changera en quoi que ce soit la situation.
Choix des activités économiques
Il faut ajouter qu'il n'existe aucune h o m o généité économique au sein de ces implantations. A u contraire, on y retrouve les différences sociales et économiques ainsi que les divers types de relations entre individus et groupes qui existent partout dans le système socio-économique — dont ces implantations font d'ailleurs partie intégrante. L à aussi, c'est la concurrence et non la solidarité qui assure la survie, sauf quand une menace c o m m u n e provoque une réaction collective. Les problèmes sociaux n'y manquent pas : le taux d'analphabétisme est élevé ; les aînés sont obligés de surveiller leurs frères et sœurs plus jeunes pendant que les parents travaillent à l'extérieur; les enfants sont contraints à la mendicité parce que les salaires de leurs parents sont insuffisants ; les maladies sont fréquentes du fait de la carence des services sociaux et de la mauvaise qualité des régimes alimentaires.
Placés dans u n état de dépendance constante à l'égard des activités rémunératrices dont la valeur d'échange est définie par le marché, les habitants de ces communautés sont contraints d'exercer des métiers c o m m e le cirage des chaussures ou la vente a m b u lante de marchandises et n'ont guère le loisir de se livrer à des travaux plus utiles, telle l'amélioration de l'habitat et des autres infrastructures. Ainsi, nombreux sont les baraquements qui s'effondrent pendant la mousson, et les toits en chaume qui brûlent au cours des étés secs. Bilan : des blessés et la perte de biens matériels et parfois m ê m e de vies humaines.
C e qui précède amène à se poser plusieurs questions : Quels peuvent bien être les avan-
228 M a d h u Sarin
tages d'une politique visant à reconnaître, accepter ou m ê m e encourager les implantations spontanées sous prétexte qu'elles ont des aspects positifs, si ces établissements continuent de dépendre d'une structure du pouvoir économique où ils occupent la dernière place, et dont ils sont le produit ? D e m ê m e , quel est l'intérêt, d u point de vue du développement, d'une politique de soutien au secteur non structuré — dont la raison d'être tiendrait aux possibilités d'emploi engendrées par ce secteur — tant que le choix d'un emploi sera déterminé par la demande effective du marché du travail plutôt que par le concept social de besoin ? Peut-on penser que l'accroissement du n o m bre des cireurs de chaussures, des camelots, des mendiants et des prostituées — m ê m e s'il s'accompagne de celui des réparateurs et des petits entrepreneurs — assurera par enchantement le développement ou fournira de nouvelles solutions aux problèmes de société et de cadre de vie qui se posent dans les villes du tiers m o n d e ? O u encore, que pourront les spécialistes de l'environnement en intervenant sur les processus sociaux, m ê m e s'ils adoptent des attitudes plus h u maines vis-à-vis des pauvres, tant qu'ils ne se seront pas attaqués aux fondements matériels de ces problèmes et qu'ils se réfugieront derrière une mystique de la compétence ?
U n examen attentif laisse peu de place à l'optimisme. Toutes les politiques que nous critiquons ici, m ê m e si elles sont le résultat de recherches longues et coûteuses, ne sont en fin de compte que des coups d'épée dans l'eau. Elles semblent reposer davantage sur des v œ u x pieux que sur une analyse objective.
Chine : un quartier planifié
Les expériences chinoises d'aménagement des rapports sociaux et des rapports de production, dans les zones rurales c o m m e dans les zones urbaines, procèdent d'une démarche différente qui permet d'aborder de manière plus directe les problèmes de la société et
de son cadre de vie. Les décisions relatives à la production dans la communauté, tout c o m m e celles qui concernent l'occupation des sols, sont définies (dans l'espace et dans le temps) par l'intermédiaire d'une structure décentralisée dotée à tous les échelons d'une composante sociale.
Avant d'examiner comment fonctionne le modèle chinois de production et d'organisation de l'espace urbain, il faut au préalable décrire les structures administratives qui en permettent la réalisation. Tout établissement urbain est placé sous la responsabilité d'une municipalité, elle-même responsable devant le gouvernement provincial dont elle dépend, ou directement responsable devant le gouvernement central (c'est le cas des villes autonomes de Pékin, Chang-hai et Tien-tsin).
Chaque municipalité est divisée en distrias urbains, suburbains ou ruraux. Enfin, les districts se subdivisent en quartiers de 30 000 habitants en moyenne. A u niveau de la municipalité, du district ou du quartier, les organes administratifs sont les « comités révolutionnaires ». L e comité de quartier constitue ainsi l'unité de base de l'organisation administrative.
Cependant, chaque quartier est divisé à son tour en un certain nombre de comités de résidents, e u x - m ê m e subdivisés en un certain nombre de groupes de résidents. Les comités de résidents sont constitués sur la base des divisions géographiques de la population ; ils peuvent ainsi regrouper toutes les familles vivant dans une m ê m e rue ou toutes celles qui occupent un immeuble collectif moderne. Les groupes de résidents, de taille encore plus réduite, regroupent généralement des personnes vivant autour de la cour c o m m u n e d'une maison traditionnelle, ou encore ceux dont les logements donnent sur la m ê m e cage d'escalier, dans un immeuble moderne.
N i les comités de résidents ni les groupes de résidents n'ont de pouvoir administratif; il s'agit d'organisations de masse, regroupant tous les ménages de la communauté locale. U s peuvent mobiliser les initiatives locales au m o y e n de discussions et de mesures
Établissements humains et organisation sociale de la production 229
d'organisation, puis fournir aux échelons supérieurs les informations concernant les problèmes et les besoins qui se dégagent de la base.
Des objectifs déterminés socialement
D e u x traits fondamentaux distinguent le système politique et économique chinois de celui des pays à économie de marché pure ou mixte. Premièrement, du fait de l'abolition plus ou moins complète de la propriété privée des moyens de production, ce n'est plus, c o m m e dans une économie démarché, le mécanisme de la demande qui détermine les décisions concernant la production. Il est donc possible de prendre les décisions en fonction des besoins. Deuxièmement, les besoins sont définis par des organes de décision qui assurent la liaison entre les ministères du gouvernement central et les groupes de résidents de la base. Les plans et l'information peuvent ainsi circuler vers le haut et vers le bas; en outre, à tous les niveaux, l'organe d'exécution est responsable devant la population placée sous son ressort. Cette responsabilité se fonde sur la réalisation d'objectifs définis socialement en vue d'une action productive ou sociale.
O n ne peut pas s'attendre à ce qu'une telle organisation fonctionne de manière satisfaisante dans n'importe quel contexte. E n Occident, où la longue histoire du développement du capitalisme a fortement marqué la conscience populaire du sceau de l'individualisme et de la liberté individuelle, il est fort possible qu'un système analogue suscite plus de problèmes qu'il n'en pourrait résoudre. Dans des pays moins développés c o m m e l'Inde, où les rapports entre la famille au sens large et la communauté constituent toujours le fondement principal de l'identité culturelle, il faut étudier les possibilités de mobiliser le peuple pour une action sociale productive.
L'histoire du quartier de la rue Y u n g -ching, dans la ville de W o u - h a n , de l'époque prérévolutionnaire à nos jours, illustre certaines des possibilités de développement per
mises par le modèle chinois. Capitale de la province de Hou-pei, W o u - h a n se situe au confluent des fleuves Yang-tseu-kiang et H a n ; elle comprend les trois villes de W o u -chang, Han-kéou et Han-yang (d'où son n o m ) . Avant 1949, W o u - h a n avait successivement été aux mains de quelques puissances étrangères et d u Kouo-min-tang. L a ville avait été ouverte au commerce étranger c o m m e port franc, après la guerre de l'opium au xrxe siècle. Les Britanniques, les Français, les Allemands et les Japonais avaient acquis des concessions à Han-kéou. Jusqu'en 1949, la ville, qui comptait u n million d'habitants, était surtout u n centre de consommation dont l'économie était fondée sur une certaine activité bancaire et c o m merciale et quelques industries légères.
W o u - h a n est aujourd'hui u n des grands centres industriels de la Chine. L a suppression des distinctions géographiques entre zones de production et centres de consommation et de prise de décision est la caractéristique générale d u développement planifié dans toute la Chine continentale. W o u - h a n compte aujourd'hui 2,7 millions d'habitants.
L e quartier de la rue Yung-ching se situe Hans u n des districts urbains de Han-kéou. Avant 1949, ce quartier, qui s'étend entre le Yang-tseu-kiang et la grande ligne de chem i n de fer parallèle au fleuve, faisait partie d'une concession étrangère dont l'accès était interdit aux Chinois. Ceux-ci vivaient dans u n bidonville le long de la voie ferrée, en dehors des limites de la concession. Ils travaillaient dans les docks, tiraient des pousse-pousse, cueillaient des choux, ramassaient les ordures, ou vivaient de mendicité.
Ils vivaient dans des conditions précaires, en proie à l'insécurité économique et à l'insalubrité, due au m a n q u e de services appropriés. Les enfants, dont personne ne s'occupait correctement, devaient mendier. L a structure professionnelle de la population de ce bidonville était déjà celle qui, aujourd'hui, caractérise les secteurs non structurés des villes d u tiers m o n d e et les établissements de squatters.
230 Madhu Sarin
Établir l'ordre de priorité
Peu après la création de la République populaire, les autorités proclamèrent le droit des habitants des bidonvilles à la propriété de leurs logements. Il s'agissait là non pas d'une décision opportuniste, mais d'un des aspects d'une nouvelle politique nationale visant à supprimer progressivement la propriété privée des terres lorsqu'elle avait pour fin l'exploitation commerciale. L a propriété privée des logements par leurs occupants était autorisée. E n outre, en l'absence d'autres solutions immédiates, les autorités encouragèrent les résidents à améliorer leurs demeures tandis que, pour leur part, elles s'attachèrent principalement à généraliser des services p u blics tels que l'eau courante, le tout-à-Pégout, l'électricité, le drainage et le revêtement des rues. Parallèlement, des possibilités d ' e m ploi furent peu à peu offertes grâce à la création d'usines au terme d'une évaluation des ressources en matières premières et main-d'œuvre disponibles sur place.
Aujourd'hui, beaucoup de logements neufs ont été construits, le plus souvent des immeubles de trois à quatre étages. C e sont les personnes habitant dans les immeubles les plus vétustés et travaillant à proximité qui sont prioritaires pour l'allocation des logements neufs. Les logements, qui appartiennent à l'État, sont cédés moyennant des « charges d'entretien » qui représentent environ 5 % d u salaire d'un ouvrier. L e phénom è n e de squatting et la dualité manifeste du secteur structuré et d u secteur non structuré ont disparu.
Aujourd'hui, le comité de quartier de la rue Yung-ching représente 7 400 ménages, soit une population totale de 28 000 habitants. Il est divisé en 13 comités de résidents, eux-mêmes subdivisés en 147 groupes de résidents. L 'une des tâches principales qui inc o m b e au comité de quartier est l'organisation et la gestion des groupes de production et des ateliers de quartier, dont la création a puisé son origine dans le besoin de trouver des emplois pour le grand nombre d'épouses
normalement contraintes de rester chez elles d u fait de leurs activités ménagères (fig. 9 à 12).
Outre l'avantage socio-économique que comporte l'emploi d'un grand nombre de femmes à des tâches de production, l'inauguration des groupes de production avait aussi pour objet de permettre aux femmes de participer à des activités collectives en dehors des limites étroites de leur foyer. A l'heure actuelle, il existe 44 groupes de production, employant u n total de 1 500 travailleuses dans le quartier. Ces femmes produisent notamment des pièces de rechange pour autobus, des éléments pour postes de radio, des sacs à main en plastique et en cuir, des chaussures et des aiguilles à broder.
L a caractéristique la plus intéressante des groupes de production est peut-être la m a nière dont sont prises les décisions concernant ce qu'il convient de produire. L 'empi risme qui consiste à envisager ce qui pourrait se vendre sur le marché est remplacé par des consultations préalables avec les entreprises locales visant à déterminer quels types de pièces ou de produits d'appoint pourraient être fabriqués. Dans bien des cas, les groupes de production procèdent au recyclage des sous-produits inutilisés des unités de production plus importantes. C e système permet, d'une part, de résoudre le problème de la pollution de l'environnement et, d'autre part, d'utiliser efficacement les ressources rares — toutes les activités étant intégrées à la production planifiée de l'ensemble du pays.
Avantages multiples
E n ce qui concerne l'évolution de la forme urbaine qu'est le quartier, c o m m e la terre et le bâtiment n'obéissent pas aux m ê m e s lois que l'immobilier dans une économie de m a r ché, les utilisations particulières des terrains c o m m e des immeubles peuvent être modi fiées pour satisfaire les besoins changeants de la communauté. Ainsi, lorsque les groupes de production firent leur apparition, il devint
Établissements humains et organisation sociale de la production 231
nécessaire d'organiser la garde des jeunes enfants, afin que leurs mères puissent travailler. D e ce fait, le comité de quartier organisa, avec la collaboration et la participation de divers comités et groupes de résidents, la création, le fonctionnement et la gestion de crèches, d'écoles maternelles et d'écoles primaires dans le quartier. Aujourd'hui, les écoles primaires gérées par le comité c o m p tent plus de 4 ooo élèves.
D e m ê m e , on trouve dans ce quartier u n hôpital qui non seulement dispense des soins, mais assure en outre la formation de travailleurs à temps partiel qui pourront u n jour exercer des activités paramédicales ou d'aide-soignant, et intervenir sur place, dans
Notes
1. Emploi, revenus et égalité : Kenya, Genève, Organisation internationale du travail, 1972. « T h e informai sector and marginal groups », University of Sussex, Institute of Development Studies, Bulletin, vol. 5, n° 2/3, octobre 1973. M c G E E , T . Hawkers in Hong-Kong, Centre of Asian Studies, University of H o n g - K o n g , 1973.
2. J. T U R N E R , Housing by people, Londres, Calder & Boyars, 1976.
3. L E CoRBUsrER, « For the establishment of an immediate statute of the land » (document), Archives de la Fondation L e Corbusier, Paris, 18 décembre 1959 (en anglais seulement).
4. L E C O R B U S I E R , Les trois établissements humains, Paris, Éditions de Minuit, 1959.
5. C I A M , The charter of Athens, Bombay , M a r g , 1949.
6. V . D ' S O U Z A , « Chandigarh. T h e city beautiful where planning has gone away », article de revue (sous presse).
7. Les observations et les données concernant la Chine sont le résultat d'un séjour effectué par l'auteur dans la région de W o u - h a n , en août 1976.
Pour approfondir le sujet
A N A N D , M . Reflections on the house, the stupa, the temple, the mosque, the mausoleum and the town plan from earliest times till today. Marg, vol. X V I I , n° 1, dec. 1963. Voir surtout les chapitres 14 (Rediscovery
le cas de blessures ou de maladies sans gravité. D'autre part, les travailleurs retraités et les autres citoyens âgés participent à la gestion des diverses activités sociales organisées par tel ou tel groupe de résidents.
A u total, on se trouve donc en présence d'une structure spatiale où travail, habitation, éducation et loisirs se chevauchent. Cette structure découle d'un processus où s'expriment et se modifient les besoins de la communauté , et n'est pas le résultat de la détermination à priori d'un schéma « approprié » d'occupation des sols et de conception de l'habitat auquel la communauté doit s'efforcer de s'adapter, c o m m e c'est si souvent le cas ailleurs [7]. D
of India — revivalism and experimentation) et 15 (The Humanist movement in contemporary Indian architecture and the spatial imagination).
Chandigarh (thème du numéro spécial). Marg, vol. X V , n° 1, dec. 1961.
H E R V É , L . Chandigarh. L'architecture d'aujourd'hui, n° 101, mai-juin 1962.
L E C O R B U S I E R . Chandigarh. Aujourd'hui, art et architecture, a" 51, nov. 1965. (Numéro spécial consacré à l'œuvre de L e Corbusier.)
M A Z U M D A R , D . T h e urban informal sector. World dev., vol. 4, n° 8, août 1976.
NrLSSON, S. Dacca-Kahn. L'architecture d'aujourd'hui, n° 167, mai-juin 1973.
Planning in China (thème du numéro). . Arch, design, vol. X L I X , mars 1974.
R A N D H A W A , M . Chandigarh: the untold story. The overseas Hindustan times, vol. X X V f l , n° 44,28 oct. 1976.
S A R I N , M . Growth and vitality of nonplan services in Chandigarh. Ekistics, vol. 42, n° 249, août 1976.
. Planning and the urban poor: the Chandigarh experience 1951-1975 (rapport multigraphié, 2 vol.). Londres, Development Planning Unit, University College, 1975.
T H O M P S O N , R . City planning in China. World dev., vol. 3, n° 7-8, juil.-août 1975. (Numéro entièrement consacré à la Chine.)
V O N M o o s , S. Chandigarh, ville morte ? L'architecture d'aujourd'hui, oct.-nov. 1969.
. T h e politics of the open hand. Notes on L e Corbusier and Nehru at Chandigarh. Dans : R . W A L D E N (dir. publ.). The open hand. Essays on Le Corbusier. Cambridge, Mass., M I T Press, 1976.
232 M a d h u Sarin
Apprendre à concevoir l'habitat
Les établissements humains et leurs différents types d'habitat ont évolué en fonction des besoins socio-culturels et des impératifs économiques. Pour apprendre son métier, l'étudiant en architecture doit donc, à la théorie de la conception et de la construction et à l'étude des matériaux, ajouter l'appréciation empirique. Le processus didactique décrit ici concerne deux écoles polytechniques suisses.
Dans le domaine de l'habitat, les pays non industrialisés sont encore mal équipés pour assurer la formation des jeunes en matière d'architecture, de construction et d'urbanisme. L ' u n des plus petits pays du m o n d e , qui est aussi l'un des plus industrialisés, oflre aux jeunes des pays économiquement défavorisés la possibilité d'étudier l'architecture et l'urbanisme avant de rentrer chez eux mettre en pratique les connaissances qu'ils ont acquises.
C e pays, c'est la Suisse, et le programme en question est offert par les deux prestigieuses écoles polytechniques de Zurich et de Lausanne. C'est là que des étudiants venus d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie peuvent suivre des cours et participer à des stages pratiques qui durent plusieurs semestres, voire plusieurs années.
A Lausanne, le programme d'études des premier et deuxième trimestres de la première année, dirigé par Frédéric Aubry, porte sur les matières ci-après.
Habitats primitif s et architecture vemaculaire. Jusqu'à une date relativement récente, l'étude de rarchitecture et du bâtiment se limitait au monumental et au spectaculaire. L'architecture rurale et spontanée propre
aux différentes cultures et civilisations n'a commencé à être reconnue qu'au début du siècle dernier. Aujourd'hui, on étudie tous les types de bâtiments simples afin d'avoir une connaissance aussi étendue que possible des plans et des méthodes de construction des siècles passés, d u point de vue non seulement de la fonction des structures, mais aussi de l'esthétique des formes et des matériaux. L e programme de base porte sur l'anthropologie structurelle de Claude Lévi-Strauss, l'approche analytique de « l'architecture sans architectes » de Bernard Rudofsky, les enseignements de Walter Gropius, Frank Lloyd Wright, L e Corbusier et Kenzo Tange, ainsi que l'ouvrage de Fraser Douglas qui fait autorité, Village planning in the primitive world (1968). Les études comprennent trois grandes rubriques : étude des contraintes, étude des matériaux et rédaction d'un rapport illustré avec plans et maquette (échelle 1/2).
Abris construits. Dans ce cours, la vie animale dans le m o n d e est analysée, le rôle et les fonctions de l ' h o m m e précisés. O n étudie l'ensemble d u milieu, et notamment le m i lieu fabriqué par l ' h o m m e (bâtiments hérités d u passé, milieu physique, dégagements et perspectives, transports et communications,
impact : science et société, vol. 27 (1977)1 n° 2 233
Jadis et aujourd'hui
Je donnerais beaucoup pour avoir ne serait-ce qu 'un aperçu de ce qu'était [la ville] à votre époque... Les villes de votre temps avaient sûrement piètre apparence. M ê m e si vous aviez le goût de les embellir — et je n'aurai pas l'outrecuidance d'en douter — la pauvreté générale engendrée par votre étrange système industriel ne pouvait vous en donner les moyens. D e plus,
équipement, nuisances, législation et réglementation), la collectivité humaine et son activité socio-culturelle, etc. L'étude d u m i lieu naturel porte plus particulièrement sur la latitude et le climat, la végétation (ou l'absence de végétation), la faune et l'aptitude de l ' h o m m e à s'adapter à tous ces éléments.
Le milieu habitable. Il s'agit ici d'analyser les échanges thermiques, les rapports entre la climatologie et le bien-être, l'influence de la température sur le métabolisme, et les effets de la chaleur ambiante des abris sur l'organisme (fig. ï).
Vent et aération. O n analyse l'incidence du vent sur les habitats individuels, collectifs et multiples, ainsi que l'importance des ouvertures pratiquées dans les murs (portes, fenêtres, pièges à insectes), et le rôle protecteur des buissons, des haies, des arbres et des autres formes de végétation..
Choix du site. O n étudie ici l'incidence locale du microclimat, de la topographie, du rayonnement solaire, de la pente et des aménagements apportés par l ' h o m m e au milieu naturel ; les critères à retenir pour les régions
l'individualisme excessif qui régnait alors n'était guère compatible avec l'amour du bien public. Les maigres ressources dont vous disposiez étaient, semble-t-il, presque entièrement consacrées au luxe privé. D e nos jours, au contraire, l'utilisation la plus appréciée de l'excédent des richesses, c'est l'embellissement de la ville, car tous en profitent au m ê m e degré.
le- tropicales humides et les régions tropicales on sèches ; et enfin, la liste des points à vérifier ai- avant d'entamer les travaux de construction :ur pour s'assurer que tous ces facteurs ont été ou pris en considération. :de is. Effets du Soleil sur les bâtiments. C e facteur
déterminant est étudié de divers points de les vue : bilan thermique terrestre, durée, inten-la sité et angle d'incidence des rayons, course
: la du Soleil (azimut et hauteur par rapport au ets site), conséquences pour le plan, la coupe et ja- la façade, ensoleillement et albédo (rapport
réflexion-absorption des rayons solaires) des divers matériaux de construction.
du C e dernier élément revêt une importance : et particulière pour l'architecture et l'urba-er- nisme en zone équatoriale, et notamment en iê~ zone aride. Les bâtiments dont les murs :ur extérieurs comportent du sable ont un albédo des égal à 9 — ce qui veut dire que 9 % des
rayons du Soleil (et donc une grande partie de sa chaleur) sont réfléchis et 91 % absorbés
aie par ce matériau. L e ciment a un albédo 3n- moindre, 6 ; les carreaux de terre cuite, na- 3 0 ; l'acier galvanisé, 3 6 ; les murs badi-ieu geonnés à la chaux, 80 ; la toile blanche, 81 ; ans l'aluminium, 87.
L e docteur Leete à Julian West, dans : Edward B E L L A M Y , Looking backward 2000-1887, 1888 (édition Belknap), Cambridge, Mass . , Harvard University Press, 1967).
234 Apprendre à concevoir l'habitat
F I G . I . Schéma des échanges thermiques de l 'homme avec le milieu.
Gains. ï. Chaleur produite par : a) métabolisme basai ; i>) activité ; c) digestion ; d) contractions musculaires et frissons. 2. Absorption de l'énergie du rayonnement : à) direct ou réfléchi par le soleil ; b) des surfaces chaudes ; c) objets chauds. 3. Convection et conduction de chaleur vers le corps : a) avec l'air ambiant ; 5) par contact. 4 . Condensation de l'humidité atmosphérique (occasionnel).
Pertes. 5. Rayonnement du corps : a) vers l'air ambiant ; b) vers l'environnement plus froid. 6. Convection et conduction : à) avec l'air ambiant ; b) par contact avec les objets plus froids. 7. Evaporation : a) par la respiration ; ii) par la peau.
Matériaux de construction. Les étudiants consacrent beaucoup de temps à l'analyse des qualités, de la permanence, de l'interaction avec les facteurs météorologiques et de la nomenclature taxonomique des nombreux types de sols, de pierres et de bois qui peu
vent être utilisés dans le bâtiment, ainsi que des caractéristiques de multiples sortes de briques inventées par l ' h o m m e . E n effet, ces connaissances sont essentielles à la construction de toute structure, si simple soit-elle, m ê m e dans une société non industrialisée (fig. 2).
Ce qui est approprié, le bien-être, la qualité humaine, une architecture endogène
Lorsque l'étudiant de première année a c o m m e n c é à maîtriser son sujet, il doit mettre en application la théorie et les techniques qu'il a apprises. Travaillant c o m m e s'il faisait partie d'une équipe (comprenant des urbanistes, des architectes, des ingénieurs, des professionnels du bâtiment, des artisans qualifiés, des économistes et des sociologues), il élabore u n projet visant à rénover et à réanimer u n village de cahutes. Il doit concevoir u n centre de formation professionnelle équipé de locaux pouvant accueillir les familles. Il doit notamment s'attacher à créer u n cadre convenable, bien adapté au climat local, et à tenir dûment compte des caractéristiques socio-culturelles et économiques des couches les plus défavorisées de la société. Pour exécuter ce projet, et d'autres analogues, l'étudiant doit se perfectionner dans l'art du dessin d'architecture.
L'élaboration de projets de ce genre a m è n e les étudiants, par le choix des matériaux et par les techniques recommandées, simples mais adaptables, à prendre conscience de la nécessité de faire appel aux ressources locales. Il s'agit à cet égard de faire en sorte que l'habitat s'adapte à la croissance et à l'évolution des familles, au lieu d'exiger de ces dernières qu'elles se conforment aux paramètres immuables caractérisant le lieu de résidence ou de travail.
Les projets achevés en 1976 rendent compte d u travail à vocation sociale accompli par les étudiants de l'École polytechnique fédérale de Lausanne. Richard Rajaonarison
Apprendre à concevoir l'habitat 235
Villes, planification et démographie sauvage
Entretien avec Aurelio Peccei, Club de Rome
Spectrum : Que pensez-vous de la construction de villes nouvelles et de la reconstruction de nos grandes villes alternativement ou conjointement ?
Peccei : Je ne suis ni architecte ni urbaniste, ni urbanologue ; tout ce que je puis vous donner, c'est une réaction de profane. Je dois dire, tout d'abord, que je déplore la tendance à l'urbanisation qui se manifeste dans le m o n d e entier. avec les nombreux m a u x qu'elle fait pressentir. A m o n avis, l'établissement des êtres humains de plus en plus nombreux qui vont peupler notre planète demande, à l'instar de l'approvisionnement en énergie, à être programmé et organisé selon u n plan mondial. U n e fois arrêté ce cadre général, à chaque nation de définir sa politique urbaine. Certaines grandes villes (et certains pays) de notre planète souffrent aujourd'hui d'une démographie galopante. L a population de Mexico, qui était d'environ 5 millions d'habitants en i960, avoisine aujourd'hui les 8 millions et demi et devrait avoir dépassé les 20 millions d'ici à la fin d u siècle. Tokyo offre u n autre exemple d'expansion fantastique et anarchique survenue au X X e siècle Elle a d'ores et déjà plus de 11 millions d'habitants, et la zone métropolitaine ne cesse de s'étendre Vivant dans u n m o n d e qui n'est pas illimité, nous avons le devoir d'en faire le meilleur m o n d e possible, car notre survie est à ce prix.
C'est pourquoi je suis absolument convaincu que, dans ce domaine c o m m e dans tout autre domaine où il faut prévoir et résoudre les innombrables problèmes qui accablent l'espèce humaine, la planification et la coopération internationales sont indispensables.
N'oubliez pas que si nous s o m m e s toujours obligés de consacrer une surface importante de notre planète à l'agriculture, il nous faut aussi en laisser une bonne partie à l'état naturel ; c'est une nécessité à la fois écologique et culturelle.
Certes, nous vivons dans une société industrielle et il n'est pas question de faire machine arrière. E n revanche, il est indispensable de préserver, quoi qu'il arrive, u n équilibre entre les zones d'habitat et les zones industrielles, entre les terres cultivées et la nature intacte. Jointe à la maîtrise de l'expansion démographique, cette politique rendra nos villes plus vivables.
Organiser l'établissement de 6 à 8 milliards d ' h o m m e s sur notre planète est pour moi une tâche exaltante dont la réalisation devrait s'effectuer à l'échelle régionale, mais dans la coordination. Elle sera, bien entendu, plus facile dans les pays c o m m e les États-Unis, qui disposent de vastes espaces et où l'expansion démographique est mieux maîtrisée que dans d'autres pays c o m m e le Mexique (dont la population aura, d'après les projections, doublé d'ici à l'an 2000, pour atteindre 100 millions d'habitants).
© 1976 par T h e Institute of Electrical and Electronics Engineers, Inc. Reproduit, avec autorisation, de IEEE Spectrum, vol. 13, n° 11, nov. 1976, p . 54-56.
236 Apprendre à concevoir l'habitat
Principes de construction d'une case de la forêt. ï. Sol de terre battue ; 2 . Armature du m u r : bois et bambou ; 3. Armature d'un m u r pignon ;
4 . Remplissages poto-poto et enduit à la chaux ; 5. Cloisons de nattes de palmier-raphia ; 6. Pannes et chevrins de bambou ; 7. Branches de palmier maintenant le faîte du toit.
F I G . 2 . Case en latérite au sud du Cameroun. « . . . L a latérite ou poto-poto (terre battue ou pétrie aux pieds) est le ciment indigène. Son grand inconvénient est le retrait, source de fendillements, de fissures, d'écroulements. D e plus, le nettoyage des sols de terre battue est difficile. Les insectes parasites se logent dans les moindres interstices, les termites envahissent l'ossature entière... Cent fois [l'habitant] a recommencé sa case, puis, las, il a fini par lui donner cet aspect inachevé, peu soigné, provisoire. A quoi bon tailler les bois, les choisir, soigner les alentours ? Les nattes m ê m e coûtent très cher, il est inutile d'en poser trop... •
(D'après L'habitat au Cameroun, Paris, Office de la recherche scientifique outre-mer, 1952.)
a présenté son mémoire pratique sur les villages agricoles dans le Haut-Mangoro (Madagascar) sous le titre suivant : « U n e formalisation architecturale répondant aux impératifs économiques. » Dans le cadre de « l'architecture sans architectes », deux étudiants ont apporté ensemble leur « contribution à une plus grande accessibilité au logement populaire à Tunis ».
D e u x autres étudiants ont élaboré ensemble des plans pour un village socialiste en Algérie en tant qu' « élément d'un processus de transformation socio-économique »
et trois étudiants de première année ont effectué une « analyse d'architecture verna-culaire : maison Koelawi (Indonésie) ». Depuis 1973, des études analogues ont été présentées concernant certaines régions d'Afrique du Sud, de Colombie, d'Espagne, d'Ethiopie, du Ghana, de Grèce, de Haute-Volta, de Hongrie, d'Indonésie, d'Irak, d u Mali, du Mexique, du Portugal, de Roumanie, de Turquie et de Yougoslavie. O n trouvera à la figure 3 la coupe de plusieurs huttes d'un kraal zoulou, présentée par u n étudiant, J. Yves Clément.
Apprendre à concevoir l'habitat 237
Les principes pédagogiques ne sont pas immuables
L a première année d'études générales est suivie par deux années de spécialisation. E n quatrième année, l'étudiant apprend la théorie et la pratique de l'urbanisme d u passé, d u présent et de l'avenir. E n cinquième année, il s'adonne surtout aux travaux pratiques, exécutés avec des architectes professionnels, tant à la table de travail que sur le chantier. Ensuite, il doit préparer en six mois une thèse pratique qui, si elle est acceptée, lui permet d'obtenir le diplôme d'architecte.
Des cours analogues sont dispensés dans l'autre grande école polytechnique suisse, la célèbre Eidgenössische Technische H o c h schule de Zurich. Les principes pédagogiques y sont quelque peu différents, l'accent étant mis beaucoup plus nettement sur la théorie pendant les deux premières années. Alors qu'à Lausanne les études ont u n caractère beaucoup plus pratique et sont sanctionnées par u n examen à la fin de chaque trimestre, à Zurich l'étudiant est plus libre de choisir en fonction de ses goûts et de ses préférences personnelles et le système d'exa
m en s se rapproche du régime des postgraduate schools anglo-américaines et des instituts universitaires européens.
Toujours à Zurich, les étudiants ont la possibilité de suivre parallèlement des cours à rinterdisziplinãres Nachdiplomstudium über Probleme der Entwicklungsländer (Indel), institut autonome spécialisé dans les études sur le développement et dirigé par le professeur Walter Custer. C o m m e à Lausanne, les étudiants venant des pays en développement y côtoient les étudiants européens et l'ensemble du programme (études/travail) dure cinq ans et demi.
Lausanne ou Zurich pourraient servir de modèle aux responsables des pays en développement désireux de créer une faculté d'architecture et d'urbanisme. D
(Nous remercions M a e Plemenka Supii et M . Ljuba Trbuhovic — tous deux architectes et éducateurs — du concours qu'ils nous ont prêté pour le rassemblement des informations concernant les programmes d'études d'architecture de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et de la Eidgenössische Technische Hochschule de Zurich, respectivement.)
impact
Pour approfondir le sujet
L'architecture sans architectes B R O D R I C K , A . Grass roots. Archit. rev.,
n° 686, fév. 1964. CoRBOZ, A . Remarques sur un problème mal
défini : des non-architectes. Archithese,
n° 9> 1974.
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238 Apprendre à concevoir l'habitat
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V I O L L E T - L E - D U C , E . Entretiens sur l'architecture, 2 vol. Paris, 1863.
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Apprendre à concevoir l'habitat 239
La cité climatologique de Peter Van Gogh Hendrik G . Matthes
La cité climatologique est un projet d'infrastructure pour un milieu urbain dont le climat puisse être maîtrisé. A la différence de tant d'utopies, elle ne promet pas une société idéale ; elle n'impose pas non plus de règles au fonctionnement de la société. La simplicité de sa conception — un anneau d'unités d'habitation produites en série — permet de construire, à peu de frais et en très peu de temps, des villes de qualité.
D e tout temps, c'est la cité qui a constitué le milieu dans lequel s'instaure un climat permettant à l 'homme de vivre avec ses congénères dans la liberté et l'égalité. Pour généraliser un tel climat, il faudrait donc intégralement urbaniser l'environnement physique de l 'homme sur toute la planète. Aussi nous faut-il nous demander si la création d'un entourage véritablement urbain, c'est-à-dire dont la structure vise exclusivement à permettre la communication directe entre les habitants, peut contribuer à éliminer les obstacles au développement de l'humanité.
L e grand problème est de savoir selon quel principe on peut faire de l'entourage physique de l ' h o m m e u n milieu urbain permettant aux habitants d'agir eux-mêmes sur leur climat de vie. Il ne faut plus attendre la solution ni de l'architecte de type classique — préoccupé d'immeubles, d'usines, d'espaces verts — ni de l'urbaniste — dont la tâche consiste à intégrer harmonieusement ces différents éléments au paysage. A u lieu de partir de l'hypothèse qu'une ville doit être constituée de parties bien distinctes ayant des fonctions indépendantes, la solution pourrait être de concevoir la ville c o m m e une unité urbaine fonctionnelle, c o m m e le cadre convenant à une cité au sens de
communauté urbaine formant un tout. Il nous faut donc chercher une méthode d'urbanisation qui soit fondée, non plus sur les idées traditionnelles d'architecture et d 'aménagement de l'espace, mais sur une notion de cité d'où procède la structure tout entière du cadre urbain.
C'est dans cet esprit que seraient conçus et les éléments physiques de la cité et leur m o d e d'organisation.
E n 1975, environ 41 % des habitants du globe vivaient en milieu urbain. D'après les projections, ce pourcentage atteindrait 55 % en l'an 2000. L'urbanisation compte pour quelque 80 % dans l'accroissement de la population. L e taux m o y e n de croissance d é m o graphique annuelle est de 2 % — ce qui veut dire que la population double en trente-cinq ans. Mais les populations urbaines augmentent de 4,3 % par an, c'est-à-dire qu'elles doublent en dix-sept ans.
Pour satisfaire les besoins de logement en milieu urbain complexe, il faut trouver une méthode qui permette de produire des villes en série et de les reproduire à volonté en peu de temps — et ce pour n'importe quel pays, quels qu'en soient le climat, la géographie physique, la population et la culture. Lorsqu'on sera parvenu à ce type de production,
impact : science et société, vol. 27 (1977), n° 2 24I
• Hendrik G . Matthes
L'auteur, diplômé en droit et en histoire de l'art de l'Université de Ley de, enseigne l'esthétique et l'art moderne. Il a publié toutes sortes d'articles d'architecture, d'histoire de l'art, de droit et de philosophie. Il a été attiré par Vœuvre de Peter Van Gogh en raison, dit-il, de la mission que ce dernier accomplit « en imaginant les moyens techniques qui permettraient de transformer les conditions du milieu social dans lequel vit Vhomme ». Adresse : Memlingstraat 13, Amsterdam iooç (Pays-Bas).
il ne sera plus utopique d'envisager la fondation de 3 000 communautés comptant chacune 1 million d'habitants (ou de 1 000 m u nicipalités de 3 millions d'habitants chacune), et l'on aura ainsi la certitude que la moitié de la population du m o n d e aura u n toit d'ici à l'an 2000.
Agir sur le climat de la vie urbaine
Concevoir une ville c o m m e une unité technique qui peut être édifiée économiquement et rapidement n'importe où grâce aux techniques de production les plus modernes, tel est le projet auquel s'est attaché Peter V a n G o g h depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Il voulait donner à l ' h o m m e une base matérielle sur laquelle édifier un m o n d e où il se sentirait physiquement et mentalement à l'aise. Ainsi, l'aménagement d'un entourage urbain dont la structure est entièrement subordonnée aux besoins de la cité-communauté donnera peut-être aux h o m m e s la possibilité de réaliser le genre de société que tous souhaitent aujourd'hui.
V a n G o g h — qui est le petit cousin du peintre Vincent V a n G o g h — pense qu'une telle société ne peut être mise en place par des moyens politiques, ni m ê m e par des
révolutions donnant le pouvoir à des partis aux idées nouvelles. L a société que l'on veut ne peut être créée que par un conditionnement total des infrastructures économiques et techniques du milieu urbain. Faire en sorte que les conditions matérielles de la vie urbaine donnent prise à l'action concrète, de manière à pouvoir les maîtriser, tel est le seul m o y e n de créer une ambiance dans laquelle les gens se sentent à l'aise, soient tout naturellement disposés à s'entendre et à coopérer de façon positive pour instaurer et maintenir le climat urbain qui répond à leurs aspirations.
Cette démarche a amené V a n G o g h à imaginer la cité climatologique : u n milieu urbain reposant sur une construction annulaire qui permet aux habitants d'instaurer et de maintenir le climat de vie reflétant la volonté générale des membres de la cité-communauté. L e concepteur ne cesse de confronter les implications de son projet avec les altitudes et opinions qui régnent dans la population. Il estime, ce faisant, contribuer au progrès de l 'homme, son désir étant de montrer comment les possibilités techniques disponibles pour réaliser au mieux la survie de rhumanité peuvent être harmonisées en u n instrument social viable.
L a cité climatologique peut être considérée c o m m e u n paradigme d'un milieu qui permet, grâce à l'exploitation de la technologie actuelle, l'autorégulation du climat urbain. Si l'on veut définir l'expression « climat de vie », ou simplement climat, on pourrait dire qu'elle englobe toutes les conditions physiques, économiques, sociales et psychiques constituant la disposition biologique et m e n tale de la masse des êtres vivants dans un milieu donné. L e climat d'un milieu humain est donc la condition nécessaire de l'épanouissement de l ' h o m m e au sein d'une communauté. Mais l'état dans lequel l 'homme donne toute sa mesure en tant qu'être humain ne fait pas partie de sa nature ; il change constamment et demande à être redécouvert. D ' o ù la nécessité de créer une nouvelle situation dans laquelle, grâce
242 Hendrick G . Matthes
au progrès technique, les composantes du climat sur lesquelles on a prise puissent être harmonisées.
L'habitat se construit autour de l'homme
Jusqu'à présent, nous n'avons réussi à créer que des situations dans lesquelles l 'homme peut agir sur certaines composantes climatiques réglables ; nous n'avons pas d'exemple de milieu urbain où toutes les composantes modifiables du climat puissent être modulées en fonction les unes des autres au moyen d'un seul instrument.
Généralement, on en est encore à élaborer un mécanisme pour chaque fonction à l'intérieur de l'ordre social, puis à lui donner une forme qu'on juge capable d'exprimer cette fonction. C'est alors la fonction, et non l 'homme lui-même, qui est l'élément déterminant. L ' h o m m e , en tant que créature participant simultanément de tous les m i lieux, cherche en vain une concordance fondamentale entre, eux. N e trouvant pas de milieu dans lequel il puisse véritablement fonctionner en tant que citoyen, il se sent abandonné.
L'organisation spatiale de la plupart des villes reste fondée sur une composition concrète et synthétique qui oblige les habitants à ajuster leur comportement en fonction de la forme de la communauté. A u contraire, l'ordre architectural de la cité climatologique suit un schéma abstrait intégral ; cela permet à la population d'organiser et de réorganiser les services urbains en fonction de l'évolution des besoins et des attitudes. L ' h o m m e n'est plus enchaîné à un point périphérique de la structure spatiale et économique de la cité qui exprime l'idéologie régnante. Dans u n milieu dont le climat est maîtrisé, la structure spatiale, économique et sociale de la cité est organisée autour de l 'homme, qui en est — où qu'il se trouve — le centre, le foyer.
N o u s ne pourrons provoquer une révolution copernicienne dans la vie urbaine — et elle n'a que trop tardé — tant que nous res
terons dans le cadre rigide des méthodes de la science classique ; il nous faut élaborer un nouveau prototype. L e nouveau modèle, qui devra rendre à l ' h o m m e le conditionnement de son existence, ne peut être que le résultat de l'intuition, une idée artistique.
La construction architecturale
Étant donné le caractère paradigmatique du projet conçu par V a n G o g h , et ce dans tous ses détails, on a pris c o m m e point de départ la plus grande isométrie possible (voir verso du frontispice). Les symétries n'ont été choisies ni dans un but pratique, ni par souci de simplicité ou d'esthétique ; elles montrent simplement qu'il n'y a pas de raison à priori de choisir tels ou tels rapports de dimensions pour les éléments modulaires du modèle.
L e projet envisage une cité d'un million d'habitants — chiffre minimal si l'on veut obtenir une qualité économique optimale. E n effet, ce n'est que dans un milieu urbain
• de cet ordre de grandeur qu'il sera possible de créer un climat favorisant la pleine mise en valeur des potentialités de la population. C e chifire d'un million peut servir de base démographique à la première cité expérimentale ; les suivantes pourraient être construites pour 2 ou 3 millions d'habitants.
L e projet architectural comprend, grosso m o d o , une structure de base sur laquelle reposent environ 260 000 unités résidentielles identiques ; celles-ci, disposées deux à deux, forment u n anneau de 40 mètres d'épaisseur, de 300 mètres de hauteur et de 10 k m de diamètre [ï]1. Ces dimensions peuvent varier proportionnellement (par exemple, une hauteur de 200 mètres correspondant à un diamètre de 15 k m , ou une hauteur de 100 mètres à u n diamètre de 30 k m [fig. 1 et 2]).
L'unité d'habitation (fig. 3, A ) mesure, de l'extérieur, 14 mètres de large, 14 mètres de profondeur et 3,25 mètres de hauteur ; elle
1. Les chiares entre crochets renvoient aux notes figurant à la fin de l'article.
L a cité climatologique de Peter V a n G o g h 243
F I G . I. Schéma d'une cité climatologique. Celle-ci aïs kni de diamètre, 200 mètres de haut, 3 000 paires de pylônes dont chacun porte 44 unités d'habitation.
sera fabriquée plus ou moins c o m m e le sont les pièces d'automobile et d'avion, en alliages d'aluminium et de magnésium ou en m a tière plastique. U n e fois construite, elle est suspendue, à l'abri de toute vibration, sur des pylônes d'acier de 5 mètres sur 5 (fig. 3, B ) . U n vide d'un mètre entoure l'unité de tous côtés pour que l'isolement soit meilleur et l'accès plus facile en cas d'urgence. L'unité est fixée au pylône en son centre, mais elle pourrait être montée autrement.
Groupés deux par deux, les pylônes forment u n anneau intérieur et u n anneau extérieur comptant chacun 130 000 unités d'habitation. Naturellement, la structure peut
aussi être ovale. L'espace qui sépare l'anneau intérieur de l'anneau extérieur constitue à chaque étage une « voie circulaire » de 10 m è tres de large (fig. 3 , C ) par laquelle on accède à toutes les unités d'habitation, de sorte qu'on peut disposer celles-ci c o m m e on veut pour former des ensembles de toutes dimensions. Autrement dit, ces unités, très souples, peuvent remplir des fonctions très différentes.
Un ensemble synergique
Les services de la cité qui exigent trop d'espace pour pouvoir utiliser les unités d'habi-
244 Hendrik G . Matthes
tation sont situés au sous-sol (fig. 3 , D ) . C'est là que se trouvent également les industries légères, les entrepôts, les parcs de stationnement, les salles de spectacle et de concert, les piscines, etc. C'est là qu'aboutissent les lignes de chemin de fer et les routes, qui s'enfoncent sous terre à quelque distance de l'anneau et assurent le contact avec le m o n d e extérieur. A u c u n véhicule automobile ne circule dans la cité.
Pour jeter les fondations de la structure, on creuse à une profondeur de 25 à 30 mètres (fig. 3 , E ) u n fossé circulaire de niveau où les pylônes sont posés sur une tôle d'acier de 1 mètre d'épaisseur (F). Si le sol est sablonneux ou argileux, chacun d'eux est encastré dans u n socle en béton de 14 mètres de haut (G) à base carrée de 14 mètres de côté. A chaque étage, les pylônes sont reliés deux à deux par deux poutres métalliques ( H ) , elles-mêmes reliées à deux poutrelles courant tout autour de l'anneau (I). Cette solide armature reste debout du fait de sa structure synergique. Elle est légère et ingénieuse puisque c'est surtout la pression latérale dont il faut tenir compte.
A l'intérieur des pylônes en acier se trou
vent les installations techniques permanentes — gaines électriques, conduits d'évacuation et tuyauterie, cuisines et installations sanitaires, etc. Des ascenseurs, qui fonctionnent sur circuit d'induction linéaire activant des magnétos, passent également dans les pylônes ; ils relient les unités d'habitation d'un étage à l'autre et avec les aires de circulation. Chaque pylône comprend deux cages d'ascenseur, une pour la montée et l'autre pour la descente. Chaque cage dispose d'un dégagement à chaque étage, ce qui permet aux cabines de s'arrêter et de changer de cage le cas échéant ; les cabines peuvent ainsi se doubler sans se gêner et fonctionner en grand nombre indépendamment les unes des autres. Pour le transport d'objets encombrants ou lourds, des monte-charge sont installés dans certains pylônes à intervalles réguliers.
L a circulation horizontale se fait sur trois pistes ou voies express circulaires (fig. 3 , J), de 3,25 mètres de haut — une en bas, une au milieu, une en haut [2]. O n y utilise des véhicules propulsés soit par magnéto, soit sur coussin d'air. C o m m e les ascenseurs, ces cabines fonctionnent électroniquement; elles sont à la disposition des usagers tout au long
FlG. 2. Schéma d'une cité climatologique. Celle-ci a 30 k m de diamètre, 100 mettes de haut et 6 000 paires de pylônes portant chacun 22 unités d'habitation.
L a cité climatologique de Peter V a n G o g h 245
F I G . 3. Schéma des éléments constitutifs de la cité climatologique.
de la structure annulaire, dont elles desservent tous les points. Pour le transport des marchandises lourdes, une voie supplémentaire (K) est aménagée au sous-sol.
De vastes espaces libres
Sous chacune des voies express et sur toute leur largeur (40 mètres), il y a une promenade circulaire (L), vaste espace libre où se déroule la vie publique de la communauté . Il est possible d'y organiser une « fête » permanente d'activités culturelles et récréatives. Tout le long de la promenade, chacun peut assister et participer à la vie de la rue, qui est extrêmement variée. Si on le désire, on peut aménager parallèlement des pistes cyclables et créer
de nouvelles bicyclettes très légères en m a tière plastique.
L a partie centrale de l'ensemble reste libre. Étant protégée, elle se prête admirablement à l'aménagement d'un parc climatologique (fig. 3, M ) . C o m m e il n'y aura pratiquement pas de vent (en raison de la hauteur de la structure annulaire), ce parc bénéficiera d'un climat doux. Lorsqu'il y aura du soleil, la température y sera très supérieure à celle qu'on enregistre à l'extérieur de l'anneau. Si le diamètre de celui-ci est très grand (30 k m , par exemple) et sa hauteur plus faible (disons 100 m ) , la différence de climat sera minime. Il existe aussi la possibilité d'utiliser les larges espaces sur les toits — frais en raison de leur hauteur [3].
Dans son projet, V a n G o g h a prévu les tensions qui s'exerceront dans l'édifice. Il a fait vérifier ses calculs par des organismes spécialisés afin que la cité climatologique ne se révèle pas être, pour des raisons techniques, u n château en Espagne [4]. L e choix définitif des matériaux et la fixation précise des mesures interviendront au m o m e n t où le projet deviendra u n plan en bonne et due forme. Sur le plan de la conception, donc, le projet est d'ores et déjà complet : il comporte tous les éléments architecturaux de la cité réunis en u n ensemble viable. Bien entendu, le soin d'organiser le fonctionnement de la communauté sera laissé aux habitants de la ville.
L'expérience sociale
N é aux Pays-Bas en 1914, Peter V a n G o g h a consacré plus de la moitié de sa vie à la cité climatologique. S'il a travaillé dans le bâtiment, il s'est intéressé à la philosophie dès son plus jeune âge. Rien d'étonnant, alors, à ce que ces deux domaines d'intérêt soient au centre m ê m e de la notion de cité climatologique. Si ses idées en la matière se sont décantées au fil des années, il ne les a jamais jetées sur le papier ni présentées sous une forme cohérente.
L a presse s'étant emparée de l'idée de cité
246 Hendrik G . Matthes
climatologique en 1959, V a n G o g h créa en 1963 la Fondation pour la promotion de la construction de la cité climatologique. L ' o b jectif de cette fondation est d'exploiter « tous les moyens et toutes les ressources susceptibles de mener à la construction d'une cité en forme d'anneau [...] qui répondrait à tous [...] les besoins physiques et spirituels de telle façon que ses habitants formeraient une unité sociale et économique totalement indépendante ».
L e but de la cité climatologique n'est pas de réaliser un climat donné, conçu à l'avance, mais plutôt de permettre l'autorégulation de tout climat, si imprévu soit-il. Dans ce sens, vivre dans la cité climatologique, c'est participer à une expérience continue — tout à fait indépendamment de l'expérimentation technique concernant la qualité structurale de la première ville ou des premières villes construites. Seule la réalisation concrète de la cité et son occupation montreront dans quelle mesure la société constituée par ses habitants correspond à la société idéale telle qu'on l'envisage actuellement.
E n attendant d'être acceptée c o m m e le m o d e d'habitation par excellence de l ' h o m m e , la cité climatologique peut jouer u n rôle important en qualité de laboratoire international. O n pourrait créer une organisation mondiale apolitique, qui serait financée par toutes les grandes nations et les grandes industries, et chargée d'étudier à fond les conditions que doit remplir l'habitat pour répondre aux besoins spirituels et physiques de l ' h o m m e dans les décennies à venir. Si l'on donnait à cette organisation les moyens de construire à titre expérimental une communauté suffisamment importante, il serait possible de déterminer dans quelle mesure l'instrument climatologique urbain peut servir à créer les conditions favorables à une évolution de l'ordre social et économique international (nous reviendrons sur la question des coûts). .
L'entreprise urbaine et ses participants. Si l'on envisage la cité c o m m e une affaire de grande
envergure, c o m m e une entreprise unique (composée de toutes les institutions industrielles, financières, administratives et socioculturelles), il n'est plus besoin d'établir une distinction entre capitaux spéculatifs et non spéculatifs. L a différence entre l'entrepreneur et l'investisseur institutionnel, qui existe encore dans la société actuelle, est ainsi abolie dans la cité climatologique. Toutes les activités sont centrées sur les besoins de tous les citoyens, lesquels sont, économiquement, copropriétaires de l'entreprise qu'est la ville. L'actif de cette entreprise profitant aux habitants e u x - m ê m e s , la gestion des institutions (les rouages de l'administration dans la société actuelle) est subordonnée à la volonté générale. L a base économique de la distinction entre employeurs et salariés disparaît.
Si l'on part du principe selon lequel l'autorégulation du climat urbain ne peut être obtenue que par l'organisation d'une c o m m u nauté intégrée, il faut ensuite fixer dans leurs
• grandes lignes les modalités d'ordre juridique et architectural qui serviront de base à la structure de l'économie, condition indispensable à la création et au maintien d'un climat de vie optimal. Il faut, pour cela, écarter tout esprit partisan sur les plans idéologique, po litique, moral, social et esthétique pour concentrer l'attention sur les exigences économiques et techniques des systèmes cybernétiques nécessaires à l'instauration d'un milieu climatique optimal (c'est pourquoi V a n G o g h s'est gardé de toute forme exprimant une réalité idéale ou symbolique).
Macro-économie de la communauté
L'entreprise urbaine sera créée et gérée, à l'aide d'un fonds d'investissement, par u n organisme autonome qui veillera à ce que tous les habitants en profitent de manière égale. Étant donné qu'il n'y a pas de propriété privée des biens d'investissement, nul rie pourra léser la communauté en poursuivant ses propres intérêts. L e droit souverain de propriété sera divisé en deux : a) le droit
L a cité climatologique de Peter V a n G o g h 247
de gestion dont sera investi un organisme représentant le bien c o m m u n et régissant la municipalité, et b) l'usufruit dont jouiront les habitants eux-mêmes en leur qualité de participants à la richesse c o m m u n e . L'administration et l'utilisation, le pouvoir et les intérêts seront donc en des mains différentes, ce qui sauvegardera l'emploi, à des fins c o m m u n e s , des capitaux,de la communauté .
• Pour y parvenir on peut, c o m m e l'a proposé V a n G o g h , placer tous les biens sous la direction d'une fondation juridiquement constituée — dont le conseil d'administration serait une société à responsabilité limitée, et les bénéficiaires les habitants. Cette fondation, tout c o m m e le National Trust du R o y a u m e - U n i , concrétiserait la distinction entre la propriété juridique (droit formel) et l'usufruit (équité). Les particuliers ne seraient donc pas propriétaires de leur appartement, mais ils auraient le droit de partager les profits et les produits de la cité, et, notamment, le droit d'utiliser à titre privé telle ou telle partie de la ville, les parties étant du reste interchangeables.
Les objectifs de la cité climatologique supposent que, dans la fabrication d u matériel et des fournitures, pour cet instrument climatologique unique, on recherche la qualité économique la meilleure ; tous les éléments architecturaux et technologiques, puisqu'ils font partie d'un seul et m ê m e instrument, seront de la m ê m e qualité économique. E n outre, tous les intérêts financiers de la communauté étant confondus, il ne serait plus besoin d'évaluer séparément en termes monétaires les différents biens d'équipement et moyens de production.
Autrement dit, les critères économiques de « qualité » et de « valeur » perdraient pratiquement toute signification, c o m m e d'ailleurs la distinction entre « bon marché » et « cher ». L'argent n'aurait plus aucune valeur en soi et ne servirait plus aucun intérêt particulier en tant que m o y e n de pouvoir politique. C o m m e la calorie, l'argent serait devenu u n facteur purement quantitatif,
n'ayant d'utilité que pour la planification. O n aurait enfin réalisé une économie d'où la valeur matérielle serait absente.
Production des villes en série
C'est grâce à l'automatisation de la production industrielle que les complexes de fabrication modernes peuvent fournir en série des produits de qualité à bas prix. Toutefois, ces industries (automobile, aéronautique, construction navale) ont souvent des difficultés à remplir leurs carnets de c o m m a n d e . Alors, pourquoi ne pas faire appel à elles pour fabriquer tout le matériel et toutes les fournitures nécessaires à l'édification et à l'exploitation de la cité climatologique ?
C e processus appliquerait, avec la main-d'œuvre spécialisée disponible, des méthodes de fabrication éprouvées à la construction et à l'exploitation d'un nouvel instrument intégral d'habitation.
Urbanisme intégral
D e tous les modes possibles d'organisation spatiale, seule la structure annulaire permet à tous les éléments de la cité d'occuper des positions semblables. Il ne s'agit pas d'un bâtiment en forme de cylindre creux qui aurait été démesurément agrandi, mais d'une succession linéaire de résidences identiques formant une courbe régulière, dont les dernières rejoignent les premières. Les occupants n'auront pus de vis-à-vis ; ils auront l'impression de vivre à la campagne, tout en étant des citadins.
C e type d'architecture annulaire, structure homogène sans point central fixe, sans commencement ni fin, est u n serpent qui se m o r d la queue, u n volume à la fois illimité et fini, non expansible, clos sur lui-même. Si l'anneau exprime une qualité fonctionnelle, c'est celle de favoriser au m a x i m u m la communication urbaine.
Grâce aux caractéristiques répétitives de l'anneau, la disposition homogène des éléments modulaires serait non seulement syn-
248 Hendrik G . Matthes
ergique du point de vue du constructeur, mais aussi efficace du point de vue de l'urbaniste. Mais, objectera-t-on, cette isométrie parfaite ne risque-t-elle pas de rendre la vie monotone ? N o n , car l'anneau sera senti c o m m e un tout, dans sa simplicité et sa continuité. Pas de monotonie, mais une « équitonie », pas de répétition d'un ton, mais sa continuation. Les citadins, pour lesquels la forme de l'anneau sera invisible, l'appréhenderont c o m m e l'harmonie omniprésente qui ordonne l'espace architectural de leur milieu urbain.
L a forme de l'unité modulaire n'a pas d'expression autonome ; elle se fond dans la structure annulaire globale. L a « forme » et Ï' « expression » ne peuvent plus servir de critère de planification pour la conception
Notes
1. Si la cité doit compter 2 à 3 millions d'habitants, ce diamètre devra être de 20 à 30 kilomètres.
2. Si la hauteur totale était inférieure à 300 mètres, les voies express et les promenades du milieu, ou m ê m e celles d u haut, pourraient être supprimées, ce qui simplifierait sensiblement la construction (voir fig. 1 et 2).
3. L e projet de V a n G o g h étant u n modèle plutôt qu'une maquette pourrait être réalisé à une plus petite échelle — ce qui simplifierait et réduirait les travaux de construction. L a plupart des qualités d'une cité véritablement climatologique feraient défaut, mais les avantages de la structure annulaire demeureraient.
:ur, des éléments architecturaux, et le matériau b a - d e construction n'a pas d e valeur esthé-trie tique par l u i - m ê m e . N o u s avons d o n c ici, vie enfin, u n e m é t h o d e d e planification sans :nti forme.
sa Compte tenu des tâtonnements inévita-ine bles, il faudra environ trois ans pour cons-îais traire la cité dont le coût, selon les estima-lels tions de V a n G o g h , serait d e l'ordre d e ap- 1 o milliards de dollars. A v e c ce q u e le m o n d e iré- dépense aujourd'hui dans le d o m a i n e de la de défense et des armements (300 milliards de
dollars), on pourrait construire chaque année pas trente cités climatologiques. Si les puissances 5 la d u m o n d e cherchaient à reconvertir les in-) et dustries d e guerre, elles trouveraient dans la de cité climatologique un nouveau genre de
ion production en série. D
4 . Les calculs concernant les fondations en béton ont été effectués par Betam Ltd. (Holland), le 16 octobre 1970. L e conseil d'administration de cette société a estimé que « l'exécution pratique ne peut guère poser de problèmes étant donné la simplicité et Puniformité de la conception ». L'évaluation des possibilités relatives à la construction et à l'acoustique des unités d'habitation a été faite, le 2 février 1971, par F o k k e r - V F W , société néerlandaise de constructions aéronautiques. A son avis, « l'application des méthodes de calcul utilisées dans l'aéronautique contribuera puissamment à la réalisation du projet >. E n outre, Bailey N . V . (Holland) a fourni, le 13 octobre 1976, une estimation relative à la construction des principaux pylônes en acier.
L a cité climatologique de Peter V a n G o g h 249
Influence des communications électroniques sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire Bruno Lefèvre
L'auteur attire l'attention du lecteur sur les techniques de pointe qui, quoique semblant encore aujourd'hui sortir du domaine de la science-fiction, sont en fait à Vétude, au stade expérimental, ou déjà mises en application. Il envisage avec le lecteur les conséquences que ces nouveaux systèmes pourront avoir pour la société : la forme que prendra leur organisation sociale, la redistribution du pouvoir qu'ils impliquent et leurs effets sur l'aménagement des régions, des villes et des collectivités rurales. Il reste aux pays en développement à en tirer un enseignement utile à leurs propres besoins.
Il est peut-être exagéré d'affirmer que les villes ont été créées pour faciliter les c o m m u nications entre les individus. Il est cependant généralement accepté que les besoins de déplacement, d'échange et de rassemblement ont été parmi les facteurs les plus importants qui ont conditionné l'environnement physique et social de l ' h o m m e [ï]1. L'état critique des villes d'aujourd'hui peut ainsi s'expliquer en partie par le fait que, malgré la croissance exponentielle des échanges en biens et en information (caractéristiques de l'évolution des sociétés industrielles et postindustrielles), les contacts directs entre personnes soient restés à la fois le meilleur moyen de communication entre les h o m m e s et la limitation principale imposée à l'organisation spatiale de la société.
Pour la première fois dans l'histoire, avec la mise en œuvre généralisée des technologies de communication, cette restriction a été éliminée en partie. Depuis l'invention d u télégraphe électrique, puis d u téléphone il y a cent ans, une g a m m e plus complète et plus raffinée de systèmes a été conçue qui permet de répondre à l'heure actuelle à presque n'importe quel besoin de c o m m u
nication — pourvu qu'il soit correctement identifié.
L'introduction progressive de ces techniques dans nos processus sociaux n'avait été considérée jusqu'à maintenant que c o m m e u n apport marginal à leur fonctionnement. L'importance prépondérante prise par ces technologies au cours des dix dernières années a modifié cette situation, surtout dans le m o n d e industrialisé. Les investissements réalisés, tant dans la mise en œuvre de ces systèmes que dans la recherche, sont probablement en passe d'engendrer une véritable mutation de la société, transformant ainsi radicalement nos relations avec nos concitoyens, nos économies et nos modes de vie, et les relations que chaque nation entretient avec le reste d u m o n d e .
Il va de soi, dans cette hypothèse, que l'organisation des espaces urbains et régionaux sera substantiellement modifiée, voire bouleversée. N o u s nous proposons ici de faire u n tour d'horizon, général et rapide, du développement des télécommunications.
I. Les chiffres entre crochets renvoient à la bibliographie à la fin de l'article.
impact : science et société, vol. 27 (1977)» n° 2 25I
• Bruno Lefèvre
Après avoir considéré d'abord l'environnement socio-économique dans lequel ce développement a lieu, nous nous attacherons ensuite à identifier les applications de ces communications dans les grands : secteurs d'activité. N o u s nous efforcerons enfin d'envisager les influences possibles des services décrits sur l'organisation de la société et l'aménagement des espaces urbains et régionaux.
Le contexte socio-économique
Ignoré jusqu'à ces dernières années, le rôle des télécommunications est progressivement reconnu. C e changement d'état d'esprit semble être la conséquence d'un certain nombre de facteurs objectifs de nature différente
mais complémentaire, c o m m e la disponibilité des techniques de communication, l'importance croissante d u secteur information de l'économie, et une évolution de la conjoncture qui favorise le développement de ce secteur.
Disponibilité des technologies
L e progrès des techniques contemporaines des télécommunications, c o m m e n c é avec l'invention du transistor, des circuits intégrés, des ordinateurs et des satellites, a abouti à la mise au point d'outils et de méthodes de traitement de l'information et des télécommunications maniables, puissants et concurrentiels. Les techniques les plus récentes des fibres de verre, des guides d'onde, des technologies de miniaturisation (circuits L S I et bientôt super L S I ) , des mini-ordinateurs ; la réalisation de terminaux de plus en plus simples, diversifiés et peu coûteux ; et enfin des ordinateurs de quatrième génération ne feront qu'accélérer ce processus.
L a réduction importante des coûts unitaires dans le domaine de l'information, au niveau tant des produits que des services, a elle-même engendré une demande accrue pour ces derniers. Et cela aussi bien en tant qu'objets de consommation que c o m m e moyens nécessaires à une production plus efficace d'autres produits et services. Cette diminution des coûts unitaires a ainsi conduit à une croissance des budgets globaux alloués à l'information.
Croissance du secteur information de l'économie
L e deuxième facteur qui explique le développement des télécommunications est l'importance prise par les activités de manipulation, de traitement de l'information, et de communication dans les économies des pays industrialisés. M a r c Porat a ainsi, par exemple, analysé la répartition des emplois par secteurs d'activité économique aux États-
L'auteur, âgé de trente ans, est spécialiste de la planification et des communications urbaines et régionales. Diplômé du Pratt Institute, ila fait des études universitaires supérieures à l'Université Tufts et est titulaire d'un diplôme de troisième cycle de l'Université de Paris, où il termine sa thèse de doctorat. M . Lefèvre a travaillé sur le terrain dans le domaine des communications en Ethiopie, en France, au Kenya et aux États- Unis ; il a récemment terminé une étude sur les recherches en cours décrites dans l'article. En tant que consultant indépendant, il s'occupe de l'étude et de la planification des communications urbaines, en étroite collaboration avec des organismes spécialisés du gouvernement français et avec des organisations internationales. Adresse : 16, rue Chardon-Lagache, 75016 Paris (France).
252 Bruno Lefèvre
Unis [2]. A partir de données fondées sur des statistiques des années soixante (fournies par le Bureau of Labor Statistics), il á démontré que les activités liées à l'information employaient environ 50 % de la population active. L a tendance est représentative de l'évolution des économies européenne et japonaise.
• E . Parker, à l'occasion d'une conférence de l'Organisation de coopération et de développement économiques, a analysé les causes de ce phénomène, dont nous mentionnons ci-dessous les principales [3]. Outre la disponibilité des techniques des télécommunications, la première raison de cette croissance est le fait que les besoins individuels et sociaux prioritaires étant aujourd'hui satisfaits, la demande est maintenant dirigée, d'une part, vers des produits porteurs de messages plus subtils tels que le style, le statut social, l'atmosphère suggérée par u n produit, et, d'autre part, vers une consommation accrue de produits de communication ( T V couleur, radio F M , hi-fi, cassettes et vidéogrammes) et de services tels que ceux des médecins, des éducateurs, des avocats et des médiateurs de toutes sortes (banques, assurances, agences de voyage).
L a deuxième raison de l'expansion du secteur information de l'économie est probablement la prise de conscience de l'importance de l'information dans la production elle-m ê m e . Ainsi peut-on observer le recrutement d'une main-d'œuvre éduquée, l'augmentation régulière des budgets consacrés à la recherche ou au développement, et la création de produits et de services dont la valeur ajoutée liée à l'information est de plus en plus grande. Parker note enfin le rôle de l'inefficacité des mécanismes d u m a r ché pour déterminer l'utilisation des services de communication, et cite en exemple le cas de la publicité.
Facteurs liés à la conjoncture
L e développement des télécommunications semble devoir être favorisé par u n certain
nombre d'événements se rapportant à l'évolution de la conjoncture : augmentation d u prix des matières premières et de l'énergie, récession, demande d'amélioration de la qualité de la vie. L a hausse générale des prix des matières premières semble devoir favoriser le développement des télécommunications par rapport à d'autres secteurs d'activité et modifier les technologies utilisées dans ce secteur m ê m e . Il semble logique de penser que, pour faire face à une augmentation régulière du prix des matières premières, les nations industrialisées reconsidéreront l'utilisation qu'elles en font.
U n e telle politique impliquera au niveau des économies nationales u n transfert de la demande vers des produits et services dont le coût en matières premières sera aussi faible que possible et dont la valeur ajoutée sera maximale. U n e telle évolution favorisera les produits et les services de communication. Reste à savoir dans quelles proportions elle pourra être mise en œuvre. Pourra-t-on, par exemple, éduquer le goût du public de manière qu'il tire autant de satisfaction de la lecture d'un livre ou d'une bonne revue que de l'achat de nouveaux produits ? L a connaissance et l'équilibre psychologique pourront-ils devenir des « sources de standing » c o m m e le sont aujourd'hui le lieu d'habitation ou la voiture que l'on possède ?
L'augmentation des prix des matières premières a aussi été l'occasion de recherches approfondies visant à une utilisation plus rationnelle des réseaux de transmission existants (techniques de transmissions multi-plexées et de modulation) et à la mise au point de technologies plus novatrices qui pourront se substituer à moindre coût ou à moindre dépendance aux techniques actuelles. E n outre, cette augmentation a permis de réaliser de façon plus rentable la substitution de certains matériaux par d'autres : l'aluminium substitué au cuivre, par exemple [4]. D'autre part, la hausse d u prix du pétrole a donné l'occasion de développer les recherches en cours concernant le rôle possible des télécommunications dans le
Influence des communications électroniques sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire 253
cadre d'une politique de conservation de l'énergie [5].
Il faut ajouter que la récession des dernières années a accentué la recherche d'une productivité accrue. Si celle-ci peut être trouvée, elle proviendra sûrement de la rationalisation des activités d u secteur information, que ce soit dans le domaine public ou dans le domaine privé [6]. Disons enfin que l'utilisation des télécommunications pourrait modifier les rapports des h o m m e s entre eux, et avec leur environnement , pour satisfaire les demandes croissantes d'une amélioration de la qualité de la vie [7]. C'est à l'analyse de cette possibilité que nous allons maintenant nous attacher.
Les services nouveaux
N o u s nous proposons d'identifier pour chaque fonction sociale clé les services nouveaux (ou les familles de services en cours d'expérimentation) susceptibles de modifier profondément les manières de faire et la répartition du pouvoir dans la société pendant les trente prochaines années. N o u s essaierons d'indiquer les types d'influence que ces services pourraient avoir sur l'aménagement du territoire et l'urbanisme. N o u s y distinguerons trois secteurs : les services publics, les services d'affaires, et les services locaux.
Les services publics
Trois types de services retiendront ici notre attention : à) la mise à la disposition du p u blic d'une infrastructure collective nouvelle : il s'agit des réseaux de transmission de données ; b) la fourniture de services d'intérêt général : ce sont les transferts de fonds et le courrier électronique; c) l'application des techniques de télécommunication à des secteurs d'activités traditionnellement considérés c o m m e services publics : nous prendrons l'exemple de l'éducation nationale.
Les réseaux de transmissions de données. Parce qu'ils constituent l'infrastructure indispen
sable à un grand nombre de services nouveaux, la conception de ces réseaux est importante pour notre réflexion. Initialement fournis par le système téléphonique grâce à des lignes spécialisées, les transmissions de données ont progressivement marqué un secteur particulier des télécommunications — et l'un des plus profitables. Outre une augmentation très rapide d u volume global des informations transmises, cette évolution a été stimulée par u n accroissement progressif des « spécifications » propres à ces services : nécessité de transmettre en temps partagés (time-sliaring), longues périodes d'occupation des lignes, long silence pendant les transmissions, et par la disponibilité de technologies propres à mieux répondre à ces besoins.
Les réseaux types essentiels au développement attendu en matière de transmission de données et nécessaire à la mise en œuvre de la quasi-totalité des services envisagés ici auront les caractéristiques suivantes. Ils permettront l'acheminement de données digitales en temps partagés ; ils comporteront des canaux de secours et des procédures de correction des erreurs créés par le réseau lors de la transmission; ils utiliseront des techniques de commutation par « paquets », c'est-à-dire que les messages à transmettre seront automatiquement segmentés et envoyés sur le réseau selon les Disponibilités d'espaces de transmission de ce dernier.
Utilisés dans leur forme actuelle, principalement dans les administrations et les grandes entreprises, et dans les multinationales pour le traitement centralisé de vor lumes importants de données (gestion de stocks, comptabilité, gestion de fichiers, etc.), ces réseaux pourraient, demain, permettre la mise en œuvre optimale des nouveaux services jugés souhaitables. Tout dépendra des politiques arrêtées à leur sujet. Si chaque nouveau service devait en effet financer son propre réseau, seul u n petit nombre de services véritablement rentables pourraient être créés. U n réseau unique
— ou l'interconnexion de plusieurs réseaux,
254 Bruno Lefèvre
au contraire — permettrait à chaque utilisateur de bénéficier des investissements réalisés et de fournir des services à des prix acceptables.
L a propriété et le contrôle des réseaux sont donc des points clés d'une utilisation généralisée de ces infrastructures, c o m m e l'est le problème de l'accès au réseau par les différents utilisateurs — accès conditionné par la complexité des protocoles d'entrée sur ce dernier, ainsi que par la politique tarifaire appliquée. Dans l'intérêt général et par souci de justice, la liberté d'accès au réseau doit être préservée. E n outre, il serait souhaitable d'envisager u n droit au traitement de l'information garanti à tout utilisateur de manière que l'ensemble des capacités des ordinateurs soit accessible à tous. C'est peut-être là l'enjeu principal de la réorganisation sociale à venir.
Les services d'intérêt général
D e u x mécanismes sont indispensables au bon fonctionnement des activités de la société moderne : la circulation des masses monétaires et celle de l'information. Les télécommunications sont en passe de transformer radicalement les méthodes utilisées. Considérons donc successivement les transferts de fonds par moyens électroniques, puis le courrier électronique.
Les transferts de fonds électroniques (TFE). L e terme générique « transferts de fonds électroniques » couvre en fait l'ensemble des transactions utilisant des impulsions électroniques produites ou traitées par les ordinateurs dans le but de créditer ou de débiter en temps réel des comptes financiers [8]. Il s'agit aussi bien des transferts de fonds importants entre banques ou succursales et des retraits de petites s o m m e s par u n particulier au niveau d'une billeterie, que des transactions commerciales enregistrées au niveau des points de ventes lorsque le paiement ne s'effectue ni en liquide, ni avec une carte accré-ditative, ni avec des chèques, mais par le vire
ment direct et immédiat d u prix des achats du compte de l'acheteur à celui du magasin.
L e développement des T F E pose divers problèmes sur les plans légal et social. Les mécanismes ainsi mis en place pourraient en effet permettre une surveillance quasi totale des utilisateurs et donc u n contrôle social dangereux. D'autre part, le passage d u système actuel au système T F E implique une réorganisation à laquelle peu de parties prenantes (État, banques, compagnies d'assurance) sont encore prêtes à s'adapter. Il est néanmoins certain que des mécanismes de ce type sont en cours de construction et que cette évolution ne fera que s'accélérer [9, 8].
Si les systèmes T F E étaient mis en place, les banques ainsi libérées des contraintes de sécurité existantes et de celles qu'impose le traitement manuel des transactions, auraient probablement tendance à implanter des terminaux de services aux emplacements les plus adaptés aux besoins du public : usines, marchés, immeubles, par exemple [10]. Il est possible aussi que, combinés à des systèmes de gestion des stocks et de comptabilité, les T F E puissent permettre de réimplanter des commerces de petite taille dans les quartiers d'habitation, tout en offrant à leurs clients des prix et des services au moins compétitifs avec ceux des grandes surfaces. Cette possibilité permettrait ainsi une réduction des trajets propres aux achats individuels en rapprochant le magasin du domicile.
Le courrier électronique [11]. Il existe aujourd'hui des machines destinées à la transmission à distance de fac-similés. Grâce à elles, il est possible de transmettre u n document standard de 2 1 x 2 9 , 7 c m d'un point à u n autre en 4 à 6 minutes. D e nouveaux systèmes existent d'autre part, à titre expérimental, qui permettront d'effectuer la m ê m e opération en quelques secondes.
Étant donné le déficit croissant des budgets des administrations postales de la plupart des pays d u m o n d e — et des pays industrialisés en particulier — des recherches sont en cours depuis de longues années pour essayer
Influence des communications électroniques sur l'urbanisme et l'aménagement d u territoire 255
d'appliquer les techniques de l'informatique à ces problèmes dans leur ensemble.
U n e analyse ( m ê m e sommaire) du type de pièces transportées par courrier postal chaque jour révèle la variété importante des messages confiés à ces services : courrier personnel; lettres internes à des administrations et des entreprises ; factures, documents financiers, chèques ; journaux et supports de presse ; enfin, le courrier de type publicitaire. A chacune de ces espèces de courrier correspond u n type de problème.
N o u s avons déjà noté la substitution potentielle des services T F E à la transmission par courrier postal des factures et documents financiers. Tyler estime que 30 % de tout le courrier postal pourrait être ainsi substitué [12]. E n outre, les applications éventuelles des télécommunications au secteur de la presse sont nombreuses et leurs conséquences sur le volume de trafic postal non négligeables. L'une des solutions au problème de la distribution de la presse consiste à rapprocher les unités de fabrication des marchés existants. Chaque numéro d'un quotidien serait alors rédigé et mis en pages en u n endroit, puis diffusé en fac-similé aux imprimeries décentralisées pour tirage et distribution. C'est la manière dont est produite l'édition de l'International Herald-Tribune, destinée au R o y a u m e - U n i et aux pays nordiques à partir d u siège du journal à Paris. L e système a l'avantage de réduire la masse de journaux à transporter sur de grandes distances.
U n e autre méthode est expérimentée dans le cadre de la ville nouvelle de T a m a , au Japon ; elle vise la distribution des journaux à domicile. L'état d'avancement des réseaux nécessaires, l'encombrement des terminaux en appartements de surface modique, et le coût global semblent aujourd'hui repousser son utilisation loin dans l'avenir.
Les transmissions de documents de caractère unique ou personnel font appel à deux types de systèmes électroniques possibles. L e premier est u n système hybride dans lequel le message à transmettre est acheminé
vers u n bureau central où il est codé et expédié au bureau le plus proche de l'adresse indiquée. Il est alors distribué par des méthodes traditionnelles. L e second système envisagé est u n système intégré, permettant une transmission d'un domicile à l'autre, sans intermédiaire.
L'ensemble des activités de recherche et de développement concernant les différents services laisse donc à penser que les systèmes postaux connaîtront une évolution profonde d'ici à l'an 2000.
Télécommunications et services publics : applications à l'éducation
L'application des techniques des télécommunications, de la télé-informatique et de Paudio-visuel au domaine de l'éducation est probablement le thème qui a fait l'objet des études les plus intensives. Les raisons de cet intérêt sont liées à l'importance de ce secteur dans l'économie en tant que déterminant de l'avenir économique d'un pays, que secteur d'emploi majeur, et source d'inflation importante. Ainsi, les travaux en cours visent soit a) à prévoir l'organisation sociale propre aux systèmes techniques disponibles et à tester l'application de ces systèmes, b) à esquisser les conditions de faisabilité économique des services envisagés, c) enfin à faire des analyses comparatives et une évaluation des effets sur l'organisation de la société.
L'utilisation de la radio et de la télévision pour l'enseignement est probablement l'une des plus anciennes, et la plupart des pays en font u n usage croissant. (La Côte-dTvoire et le Niger en sont des exemples.) L 'une des applications les plus avancées en Europe est celle faite actuellement par l'Open University au R o y a u m e - U n i . Elle combine l'utilisation de la radio, de la télévision, de matériaux écrits diffusés par correspondance et de séminaires décentralisés dans le pays. L ' O p e n University finance en outre des recherches pour mettre au point des techniques de travaux dirigés à distance, utilisant le téléphone. Les services de cette université sont acces-
256 Bruno Lefèvre
sibles dans tout le pays et à toutes les catégories socio-professionnelles.
Alors que P O p e n University se sert des capacités de diffusion hertzienne des chaînes de radio et de T V existantes — avec les limitations d'utilisation que ces systèmes comportent (horaires en particulier) — les systèmes de télévision en circuits fermés exploitent, eux, des réseaux géographiquement plus limités mais spécifiquement construits pour servir des fonctions éducatives. L ' u n des plus grands réseaux de ce genre est sans doute celui de l'Inner London Education Authority, qui relie entre elles plus de mille classes. Les réseaux distribuent u n matériel pédagogique audio-visuel d'une vidéothèque centrale vers les classes utilisatrices ; ils peuvent aussi diffuser, à partir d'une classe, des cours télévisés à toutes les classes intéressées. L e professeur de chaque classe utilisera alors l'émission reçue dans le cadre de son enseignement propre ; il développera les thèmes d u prog r a m m e et répondra aux questions.
U n e autre direction de la recherche au cours des dernières années est l'enseignement assisté par ordinateur (computer-assisted instruction). Utilisant u n terminal spécialisé (système P L A T O ) [13] ou u n téléphone relié à u n écran de télévision ( c o m m e dans le système T I C C I T ) [14] ou, dans certains cas, une machine à écrire, l'élève appelle u n ordinateur avec lequel il va dialoguer pendant toute la durée de la leçon. L e programme qu'il utilise est constitué par une succession de questions à choix multiples. L a question à laquelle l'élève devra répondre dépendra de la réponse qu'il aura choisie à la question précédente. C e système permet entre autres aux élèves de suivre les programmes scolaires à leur rythme propre.
Malgré les difficultés qu'elles connaissent (coût élevé, efficacité pédagogique contestée), ces méthodes font l'objet de recherches soutenues. Les caractéristiques particulières des technologies qu'elles utilisent et les recherches en cours permettent, en effet, d'envisager à terme une réduction substantielle des coûts de certains types d'enseignement
universitaire, tout en en conservant la qualité. L a mise en œuvre de ces systèmes rencontre cependant une résistance sociale importante. Alais lorsqu'ils seront mis en œuvre, les nouveaux services de télé-enseignement envisagés ici auront u n effet majeur sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire. O n peut ainsi envisager des institutions plus petites disséminées régulièrement sur les territoires nationaux. L'implantation de systèmes c o m m e ceux que nous avons décrits permettrait en outre d'encourager la formation continue des personnes adultes.
Les services d'affaires
L a gestion d u commerce fera de plus en plus appel à l'ensemble des techniques des télécommunications. Outre les services précités, deux grandes familles de services surtout sem-blentpropresàmodifierles relations d'affaires.
Les téléconférences. Par ce terme on entend toute situation dans laquelle plus de deux personnes communiquent simultanément par l'intermédiaire d'un système de c o m m u n i cation électrique. O n distingue les systèmes d'audioconférence et de vidéoconférence, d'une part, et les téléconférences par ordinateur, d'autre part, chacun de ces systèmes ayant ses caractéristiques particulières et tous pouvant être combinés entre eux et avec d'autres systèmes complémentaires ( c o m m e le téléphone et les fac-similés) [15].
Alors que les liaisons bidirectionnelles vidéo avaient été jugées indispensables à ce type de réunion, la recherche a montré que l'utilisation de réseaux à bandes étroites (circuits téléphoniques) et de communication audio et fac-similé peut remplacer, sans diminution de la qualité des échanges, 40 % des réunions d'affaires. Sur la base de statistiques américaines, on peut estimer en gros que ces méthodes pourraient réduire de 30 à 50 % les voyages d'affaires entre villes [16].
Cela aurait des conséquences sur les revenus des compagnies aériennes (les voyages d'affaires étant les plus lucratifs), sur la
Influence des communications électroniques sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire 257
construction ou l'extension des aéroports, sur le trafic ferroviaire et routier. L a demande en matière de technique aéronautique (avions à décollage vertical, Concorde, Tupokv-144) en sera probablement modifiée. L'aménagement des liaisons téléconférences combinées avec l'automatisation des fonctions de bureau aura, en outre, u n certain nombre d'effets complémentaires.
Automatisation des fonctions de bureaux [17]. Les premières recherches dans ce domaine ont eu pour objectif d'automatiser toutes les fonctions simples de bureaux, surtout celles qui sont répétitives ; les techniques permettant d'atteindre ces objectifs, réalisées durant la dernière décennie, sont actuellement sur le marché. Certaines sont liées au concept de traitement des mots (pord processing) ; d'autres, utilisant les capacités logiques des ordinateurs, permettent la frappe et la transmission de documents à adresses déterminées sous forme digitale {message switching', il s'agit d'une forme de courrier électronique).
A ces méthodes nouvelles, il faut ajouter les techniques de transmission fac-similé (déjà mentionnées), en évolution rapide, et l'utilisation de toute la g a m m e de services des ordinateurs pour effectuer n'importe quelle tâche de gestion.
Le travail à domicile. Grâce à l'ensemble de ces nouvelles méthodes, il est possible d'envisager de travailler à distance, par exemple chez soi. L e travail chez soi offre des possibilités importantes ; en particulier il permet de travailler à des personnes qui ne peuvent se déplacer : personnes âgées, handicapées, ou responsables d'enfants. Des recherches préliminaires semblent cependant indiquer que le travail à domicile pose de nombreux problèmes psychologiques (par exemple, la tension créée par la présence quasi permanente au domicile de tous les membres d'une famille), économiques (le coût des terminaux nécessaires), et architecturaux (non-adaptation des lieux d'habitation au travail à domicile) [18].
D'autres scénarios ont donc été imaginés. L e plus significatif envisage la création de centres de bureaux non institutionnels [19] — une forme de parc de bureaux électroniques, c o m m e les parcs industriels qui existent déjà. D e tels centres permettraient l'utilisation de locaux c o m m u n s équipés de terminaux appropriés et mis à la disposition de n'importe quel employé pour se mettre en liaison avec l'administration ou l'entreprise pour laquelle il travaille. Si elles venaient à être généralisées, de telles procédures entraîneraient des économies importantes de - l'énergie consommée pour les transports et modifieraient d'une façon significative l'organisation de l'espace urbain [20].
Les services locaux
Bien que situés dans une catégorie indépendante des deux précédentes, les services locaux constituent u n ensemble homogène riche en services nouveaux. D e u x réseaux desservent ou sont appelés à desservir systématiquement les foyers des pays développés : le téléphone et la radiodiffusion. U n troisième réseau semble devoir prendre une importance croissante au niveau du domicile et dans la vie locale : c'est la télédistribution [21]. Inventée aux États-Unis il y a vingt-cinq ans, la télédistribution était à l'origine une simple antenne communautaire destinée à faire parvenir les émissions de télévision à des villages ou des quartiers qui ne pouvaient pas les recevoir normalement.
Parce qu'elle offre l'avantage de permettre une meilleure réception et d'éviter la pollution visuelle des antennes sur les toits, parce que, enfin, elle permet d'envisager une abondance potentielle de nouveaux types de programmes, la télédistribution a connu u n taux de croissance très rapide aux États-Unis et au Canada, où une couverture nationale par les réseaux de télévision hertziens n'était pas assurée. C'est cependant la capacité des réseaux de télédistribution, leur architecture et leur interactivité qui ont retenu l'attention [22].
258 Bruno Lefèvre
Les lecteurs qui s'intéressent aux possibilités de la télédistribution pour leurs communautés peuvent approfondir le sujet en parcourant les notes bibliographiques complémentaires du présent article.
L'impact des communications électroniques
Nous avons essayé de démontrer progressivement que, quel que soit le domaine d'activité, les télécommunications auront des conséquences importantes. Il n'existe pas encore, tout au moins à notre connaissance, d'études systématiques qui essayent de donner une image synthétique des types de futurs envisageables et des choix qu'ils impliquent. U n certain nombre de travaux permettent néanmoins d'avoir une idée générale de la situation.
Les conséquences pour la société
C'est sur l'ensemble des mécanismes sociaux (et non seulement sur l'urbanisme et l'aménagement d u territoire) que l'influence des télécommunications se fera sentir. C o m m e nous l'avons souligné, les télécommunications et les technologies électroniques renforcent la tendance existante vers une rationalisation progressive d u secteur information de l'économie — afin d'en obtenu-une productivité accrue.
Cette évolution aura des résultats importants, d'une part, dans la nature des emplois de ce secteur et dans les types de programmes d'éducation et de formation continue à mettre en œuvre. Elle touchera, d'autre part, les industries de l'électronique et des télécommunications. Celles-ci ont déjà eu le taux de croissance le plus rapide de tous les secteurs industriels. Cette tendance continuera et l'utilisation d u matériel qu'elles fabriquent se généralisera, donnant ainsi u n rôle clé à l'électronique dans l'économie.
Sur le plan social, l'ensemble des recherches sectorielles souligne le rôle des c o m m u nications électroniques c o m m e m o y e n de
redistribution d u pouvoir dans la société. U n analyste note que, par exemple, parce que la mise en œuvre des transferts de fonds électroniques représenterait une diminution du volume de courrier au bénéfice de ces réseaux, les services postaux chercheront à jouer u n rôle dans leur organisation et dans leur contrôle [9].
Influence sur l'aménagement régional et urbain
C'est l'effet des télécommunications sur la localisation des activités économiques et sociales qui modifiera le plus les modèles existants en matière d'urbanisme et d ' a m é nagement d u territoire. H est capital de rappeler que les télécommunications ne constituent que l'un des facteurs qui interviennent dans le succès ou l'échec de la politique de décentralisation entreprise dans la plupart des pays développés, et que l'effet de l'infrastructure des communications pourrait être neutralisé par les autres.
Quant à la localisation de l'emploi, Pye et Goddard [23] ont conclu que les télécommunications semblent accélérer la décentralisation des emplois dans les zones métropolitaines mais ne semblent pas devoir engendrer de transfert d'activité vers d'autres centres urbains. L a dispersion des activités économiques dans le milieu rural, rendue possible par les télécommunications a fait l'objet d'une expérience dans l'état du Connecticut aux États-Unis, dans le cadre d u projet de la N e w Rural Society. Goldmark [24] a envisagé les conditions d'utilisation des communications et les méthodes à adopter pour a m é liorer les conditions de vie et implanter des emplois « urbains » dans les localités situées en milieu rural. D'autres études envisagent ce problème [25].
L ' u n des thèmes les plus étudiés concerne l'effet des télécommunications sur les moyens de transport, liés eux-mêmes au problème de la localisation de l'emploi. Les deux premiers des quatre types de voyages suivants ont fait l'objet d'études poussées : trajet domicile-lieu de travail, voyages d'affaires,
Influence des communications électroniques sur l'urbanisme et l'aménagement d u territoire 259
déplacements effectués pour faire des achats, et déplacements à des fins récréatives ou culturelles. Dans les deux premiers cas, Harkness et Pye [26] ont déterminé que les télécommunications pourraient se substituer pour une part importante aux transports. A u x États-Unis, les voyages d'affaires représentent 50 % d u trafic aérien, mais seulement 8 % de la circulation automobile.
U n sondage effectué par le British Post Office a conclu qu'environ 45 % des réunions d'affaires au R o y a u m e - U n i pouvaient avoir lieu au m o y e n d'un système d'audioconfé-rence, accompagné d'un système de transmission de documents. E n termes plus quantifiés, deux personnes voyageant par avion sur 600 k m environ pour une réunion qui durera trois heures dépenseront en moyenne 2 500 k W h d'énergie. L a m ê m e réunion organisée en audioconférence représente u n débit énergétique de 2 k W h . L'économie est donc substantielle. D e manière à peu près semblable, le trajet séparant le domicile d u lieu de travail est susceptible d'être remplacé par les communications électroniques [26].
E n ce qui concerne les autres genres de déplacements personnels, les analyses réalisées jusqu'à présent semblent indiquer à cette date que les télécommunications viendront compléter les transactions impliquant des transports — plus qu'elles ne viendront se substituer à elles. Il en est ainsi dans le cas des déplacements engendrés par la formation continue et par les services sociaux pourvus par l'État : les substitutions éventuelles seront faibles. Certaines données tendent m ê m e à prouver que les services nouveaux pourraient accroître les besoins de transport dans certains domaines déterminés.
Les nouveaux lieux de communication
L a mise en œuvre des télécommunications et des services mentionnés ci-dessus aura enfin pour effet de transformer le rôle et la forme des lieux de communication dans les activités économiques et sociales, ou d'en créer de nouveaux. A u domicile, le téléphone
deviendra u n terminal dont l'utilisation sera progressivement généralisée, au point que les lignes de raccordement au réseau sont de plus en plus intégrées dès la construction des lieux. O n peut prévoir que les branchements d'antennes collectives, d'antennes c o m m u nautaires ou de télédistribution le seront aussi, c o m m e c'est déjà le cas dans certains quartiers neufs ou dans certaines villes nouvelles d'Europe.
L a possibilité d'utiliser le réseau téléphonique pour u n nombre croissant de services et de combiner son utilisation avec celle des réseaux de télévision semble devoir encourager l'installation de terminaux propres à ces réseaux en u n m ê m e endroit. L a nécessité de concevoir, au niveau d u domicile, u n espace de communication adapté aux différents usages de ces terminaux se fait jour. Cet espace aurait ses caractéristiques particulières et serait d'autant plus important que plus de transactions seraient effectuées à partir de là. Cet espace prendrait, par exemple, une importance particulière dans le cas où il serait utilisé pour travailler à partir du domicile. C'est probablement la conception globale de la cellule d'habitat qu'il faudrait alors repenser.
L a possibilité de travailler à distance et les limites qui semblent exister en ce qui concerne le travail à domicile ont, nous l'avons vu, permis d'envisager la création de parcs de bureaux électroniques décentralisés. Les espaces et les équipements qui seraient disponibles seraient alors partagés par les employés de firmes différentes, dont le domicile serait situé à proximité. Goldmark avait envisagé, dans le cadre de la N e w Rural Society, de combiner dans u n centre de communication communautaire les équipements nécessaires aux téléservices des secteurs de la santé, de l'éducation, des services sociaux, des loisirs et de la culture, des services d'affaires et du commerce en général. L e m ê m e concept a été développé dans le cadre de plusieurs études et semble être une hypothèse de recherche raisonnable et prometteuse.
260 Bruno Lefèvre
L a mise en service de réseaux de téléconférences doit elle aussi engendrer la création de nouveaux espaces dans le contexte des services d'affaires et dans celui des services publics. D e s services publics et des téléconférences ont effectivement fait l'objet d'une expérimentation continue au R o y a u m e - U n i depuis dix ans, en particulier dans le cadre d u système Confravision, et en France depuis u n an. Ainsi ont été créés de nouveaux espaces de communications interurbaines au niveau régional, les télécentres.
L e développement des techniques audiovisuelles, et souvent de la télédistribution, a enfin encouragé la création de centres de ressources expérimentaux aux niveaux local et régional, dont l'objet est la formation d u public concernant la production au sens large (et la critique) de programmes audiovisuels. Ces centres prêtent d u matériel de production aux m e m b r e s d u public intéressés, afin qu'ils puissent e u x - m ê m e s produire leurs émissions. U s mettent, en outre, à disposition les services d'une vidéothèque où les bandes vidéo disponibles peuvent être consultées.
L e plus célèbre de ces centres est probablement le Vidéographe de Montréal, au Canada, qui fut véritablement le premier d u genre. Il faut cependant noter l'importance des centres de production vidéo des chaînes d'accès public dans l'évolution de ce concept : le Channel io, à N e w York et le Channel 40, à Milton Keynes (Royaume-Uni ) . Tels qu'ils sont conçus en France, ces centres rassemblent en u n m ê m e lieu les fonctions de documentation sur la production (Quel prog r a m m e est disponible ? C o m m e n t l'obtenir ?), de diffusion, et principalement de formation d u public par l'intermédiaire de stages, de manipulation d u matériel et de production. Expérimenté à Saint-Quentin-en-Yvelines (France), ce type de centre sera progressivement mis en place, à Grenoble et dans les villes nouvelles, quand il répondra à u n besoin précis.
Conclusion
Ainsi les télécommunications, les techniques de l'électronique et de l'audio-visuel auront-elles u n rôle croissant dans les activités économiques et sociales des sociétés de demain — qu'elles soient considérées c o m m e développées ou en voie de l'être. Leur influence dans chaque secteur d'activité est potentiellement très importante. L'état de la recherche ne permet cependant ni de quantifier précisément cette importance, ni de définir les périodes prévisibles où les effets de ces technologies se feront particulièrement sentir. Les informations dont nous disposons et les connaissances acquises concernant d'autres systèmes permettent néanmoins de comprendre la signification et l'urgente nécessité d'entreprendre des études approfondies dans ce domaine. Elles soulignent en outre la nécessité d'une planification précise des communications et des télécommunications intégrée dans le contexte de la plani-fication nationale, sur la base d'objectifs sociaux bien définis et suivant des procédures publiques et garanties par la loi.
D a n s toute autre condition, les télécommunications peuvent devenir demain l'outil de manipulation d'une élite et u n instrument de coercition sociale sans précédent — au lieu d'être le m o y e n d'évolution et de redistribution spatiale de l'activité économique et sociale qu'on peut espérer aujourd'hui.
Il importe donc de prendre, dès maintenant, les mesures nécessaires pour garantir le développement des télécommunications dans l'intérêt général. Sinon, 1984 d'Orwell pourrait bien être le modèle de notre société. D a n s sept ans. O
Notes
1. R . M E I E R , A communication theory ofurban growth, Cambridge, Mass., M I T Press, 1962. Voir aussi L . M U M F O R D , La cité à travers l'histoire, Paris, Le Seuil, 1964.
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3. E . P A R K E R , « Social implications of computer telecommunications systems » (Communication à la Conférence sur les politiques en matière d'informatique et de télécommunications), Paris, Organisation de coopération et de développement économique, 1975.
4. M . TYLER, B. CARTWEIGHT, O . BOOKLESS
et G . B U S H , Long range economic forecasts, long term materials scarcities, Cambridge, Post OflSce Telecommunications Headquarters, 1975.
5. « L a contribution des télécommunications à la conservation de l'énergie », Paris, Organisation de coopération et de développement économiques (document D S T I / C U G / 7 6 ) .
6. L a National Science Foundation aux États-Unis a u n important programme de recherches en cours dans ce domaine.
7. « T h e coming society and the role of telecommunications », rapport (en anglais), Tokyo, Research Institute of Telecommunications and Economics, 1975.
8. Voir J. R U L E , « Value choices in electronic funds transfer policy », Compendium of papers supplementing the hearings on telecommunications research and policy development, Washington, D . C . , House Sub-committee on Communications, 1976,
9. T . H O R A N , Electronic funds transfer systems, Menlo Park, Calif., Stanford Research Institute, 1976.
10. L a Washington State Mutual Savings Bank a déjà mis en œuvre un système permettant de payer ses factures à partir du domicile en utilisant u n téléphone à clavier.
11. L e National Research Council-National Academy of Engineering vient de terminer une étude pour le United States Postal Service, Electronic message systems. Elle vient d'être publiée, ainsi qu'une autre étude faite par le m ê m e organisme, Metropolitan communications near-term needs and opportunities (1976—1980), Washington, D . C . , 1977.
12. M . T Y L E R , Innovation and development in telecommunications: the implications for transport, Cambridge, Post Office Telecommunications Headquarters, 1975.
13. Les recherches concernant ce système sont financées par la National Science Foundation et ont lieu à l'University of Illinois, aux États-Unis.
14. M I T R E C O R P O R A T I O N , Revolutionizing home
communications, Washington, D . C . , 1972. 15. L'une des phases d'une étude exhaustive
des systèmes disponibles et des expériences en cours a été terminée en 1976 pour le compte de la National Science Foundation. Voir : R . H O U G H et R . P A N K O ,
Teleconferencing systems: a state of the art -survey and preliminary analysis, Menlo Park,. Calif., Stanford Research Institute, 1976.
16. Voir la communication de R . H A R K N E S S dans : Selected results from a technology assessment of telecommunications and transportation interactions, présentée à la Conférence de l'Institute of Electrical and Electronics Engineers, juin 1976.
17. Voir, par exemple, A . P U R C H A S E et C . G L O V E R , Office of the future, Menlo Park, Calif., Stanford Research Institute, 1976.
18. J. G L O V E R , Long range social forecasts: working from home, Cambridge, Post Office Telecommunications Headquarters, 1974.
19. A . C U S T E R S O N , « Telecommunications: the
office m o d e », Built environment, nov. 1973. 20. M . E D W A R D S , «Service provision via local
communications centres » (rapport). Londres, Department of the Environment, 1975-
21. SLOAN COMMISSION ON CABLE
COMMUNICATIONS, On the cable, the television of abundance, N e w York, N . Y . , McGraw-Hill, 1971.
22. Voir la bibliographie publiée dans la revue Communications.
23. R . P Y E et J. G O D D A R D , « Telecommunications
and office location » (rapport), Londres, Department of the Environment, 1975.
24. P . G O L D M A R K , The 1972/1973 New Rural Society project, Fairfield, C o n n . , Fairfield University, 1973.
25. « T h e possibility and value of broadband communication in rural areas » (rapport), Washington, D . C . Office of Technology Assessment, 1976. U n effort similaire est en cours au Canada.
26. R . H A R K N E S S et R . P Y E , « Technology
assessment of telecommunications interactions with travel » (rapport), Washington, D . C , National Academy of Engineering, 1976.
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Science, technologie et habitat 267
Lettres
Le problème urbain
La lettre ci-après nous a été adressée par Ràhat Nabi Khan, de nationalité indienne, économiste et spécialiste des sciences politiques. Rahat Nabi Khan est docteur de l'Université de Paris et travaille depuis 1966 comme consultant auprès de VOrganisation de coopération et de développement économiques et del'Unesco. On peut le joindre par Vintermédiaire du rédacteur d'impact.
L a crise urbaine actuelle — c'est-à-dire la croissance jugée disproportionnée et rapide de la population des grandes villes — est généralement considérée c o m m e u n phénom è n e planétaire. O n estime que cette croissance est essentiellement imputable aux migrations des populations rurales. Il est c o m m u n é m e n t admis qu'à la fin du siècle, s'il n'est pas mis u n terme à l'exode rural vers les villes, en particulier dans les pays en développement, les plus grandes villes du m o n d e compteront une cinquantaine de millions d'habitants ou plus, contre 7 à 8 millions actuellement. Certains spécialistes ont m ê m e prévu des villes dont la population atteindra 65 à 100 millions d'habitants si le m o n d e continue à s'urbaniser. Cette perspective a de quoi horrifier si l'on pense aux conditions d'hygiène et de logement et à la misère croissante qui en résulterait.
Cependant, ce tableau correspond-il à u n diagnostic exact ou confond-on les s y m p tômes avec la cause ? D'après Kingsley Davis (voir son livre, World urbanization,
vol. II), l'idée courante selon laquelle plus une ville est peuplée ( m ê m e dans le tiers m o n d e ) , plus son taux de croissance est élevé, est u n mythe. L a politique qui consiste à construire de petites villes pour atténuer les pressions qui s'exercent sur les grandes villes, aussi séduisante soit-elle, n'est pas nouvelle mais elle se heurte à des contraintes pratiques. L e principal problème de la ville est la croissance démographique.
Certaines autorités urbaines de pays en développement ont pris des mesures administratives rigoureuses contre l'afflux de migrants, mais ces mesures soulèvent des problèmes à la fois éthiques et politiques. Refuser à une partie quelconque de la population nationale le droit à la mobilité c'est porter atteinte aux droits de l ' h o m m e que sont la liberté et l'égalité des chances. E n 1941, une réglementation de ce type adoptée en Californie a été nettement rejetée pour in-constitutionnalité. Les villes du tiers m o n d e ne sauraient par conséquent rester des îlots privilégiés d'où le migrant est exclu parce qu'il est considéré c o m m e la cause : a) de la persistance des taudis et des bidonvilles, et b) d'une surcharge des services sociaux allant jusqu'au point de rupture.
L a persistance de l'écart entre les groupes relativement pauvres et les groupes relativement riches, s'appuyant sur les divisions administratives et l'action de la police, pourrait aboutir à la dislocation des nations à u n m o ment où la plupart des pays s'efforcent de les
impact : science et société, voL 27 (1977), n° 2 269
édifier. U n pays où les populations urbaines sont riches mais les populations rurales pauvres est u n non-sens. A u contraire, le caractère fondamentalement dynamique de la vie urbaine ( m ê m e dans le m o n d e en développement) doit être souligné. C'est cette caractéristique de la vie urbaine qui attire les gens de l'extérieur de m ê m e qu'elle permet aux citadins d'améliorer constamment leur situation. D a n s les zones urbaines les plus défavorisées, les taux de mortalité sont plus bas et l'espérance de vie est plus élevée que dans la plupart des zones rurales, parce que les conditions sanitaires et les services de santé y sont meilleurs. L a m ê m e remarque vaut pour la répartition d u revenu par habitant, l'accès à l'éducation et les possibilités de se cultiver et de se distraire, toutes choses qui contribuent à l'épanouissement de l'individu.
Dynamisme contre stagnation
Je veux dire par là que le cadre économique urbain a moins de défauts que ne lui en attribuent nombre de ceux qui le critiquent. Il suffit de considérer la situation du migrant sous-employé dans les établissements urbains de fortune d u tiers m o n d e . Il se loge, avec sa famille, tant bien que mal ; il survit tant bien que mal. Sa démarche est celle d u pionnier et son bidonville peut être considéré c o m m e une société d'entraide. D e plus, tout compte fait, le nombre d'emplois augmente, m ê m e si c'est relativement lentement. C'est l'économie rurale qui demeure stagnante dans la plupart des pays d u m o n d e en développement.
L e principal coupable, je l'ai déjà dit, c'est l'accroissement de la population. A l'époque où les pays développés s'industrialisaient, leur accroissement démographique n'était pas aussi rapide que celui du tiers m o n d e aujourd'hui. Les taux de mortalité des pays en développement ont diminué depuis, et l'écart à combler aujourd'hui est celui qui existe entre les taux de natalité des pays industrialisés (taux faible) et ceux d u tiers m o n d e (taux élevé).
L'ensemble du problème de la croissance urbaine et de la politique sociale dans u n pays donné peut être représenté par la m a trice suivante :
/Taux de natalité dans Taux de natalité dans\ les zones rurales les zones urbaines
Croissance économique rurale : expansion de
u'emploi
Croissance économique urbaine : expansion de l'emploi
C'est la relation entre ces quatre éléments qui reflète les véritables causes de l'urbanisation plutôt que ce qu'on appelle parfois « urbanisation sans industrialisation ». L'évolution favorable de l'un quelconque de ces quatre éléments atténue en effet les pressions qui s'exercent sur les zones urbaines en diminuant leur niveau de pauvreté.
Pour être plus précis, l'abaissement du taux de natalité dans les zones rurales se traduit par une diminution d u nombre des m i grants qui viennent dans les villes ; en conséquence, l'industrie urbaine peut absorber davantage de main-d'œuvre — en maintenant son taux de croissance. U n e diminution des taux de natalité dans les zones urbaines aurait u n effet similaire. L a croissance de la productivité rurale et l'expansion de l'économie rurale qui en résulte auraient pour effet de réduire rémigration vers les villes. Enfin, une expansion plus forte de l'économie urbaine permettrait — si elle était suffisante — d'absorber la plupart des chômeurs urbains. L'idéal est que les quatre éléments de la matrice progressent, à la suite d'une planification sociale et économique rationnelle. D e plus, la mise en œuvre des politiques les plus prévoyantes suppose l'intégration des économies dualistes (traditionnelle et moderne).
Une solution socio-technique
Bien que je sois porté à croire à l'apparition d'une sorte de stabilité dans l'évolution de notre matrice, je crois aussi que la population des villes et des villages continuera à aug-
270 Lettres
menter dans u n avenir proche. Dans une perspective à long terme, la réponse à ces problèmes viendra probablement des politiques sociales qui seront formulées, adoptées et appliquées dans le tiers m o n d e au cours des dix ou vingt prochaines années. Pour réduire encore le taux de mortalité de façon qu'il finisse par avoir l'effet requis sur le taux de natalité, par exemple, les pays en développement devront faire u n effort massif et bien planifié pour mettre en place un réseau de services sanitaires dans les zones urbaines c o m m e dans les zones rurales. Je note avec u n intérêt particulier l'attention accordée à l'élaboration d'un tel système par l'auteur nigérian d'un article paru dans votre revue1.
L a solution proposée — distribution rationnelle des services de santé — peut paraître trop technologique à certains. Cependant, les penseurs qui ont élaboré des théories d u développement (Auguste C o m t e , Karl M a r x et Thorstein Veblen, pour n'en n o m m e r que trois) ont généralement envisagé le
La lettre ci-après nous parvient d'un spécialiste en économie et en droit, Giuseppe Loiacono, qui nous écrit à propos de deux numéros d'impact d'une série consacrée à l'utilisation sociale rationnelle des ressources sanitaires (vol. X X V , n" 3; vol. 26, n° 4). On peut entrer en contact avec notre correspondant à radresse suivante : Istituto äi Studi per la Programmazione Económica, via Belisario 15, 00187 Roma (Italie).
L'intérêt que porte depuis quelque temps votre revue aux problèmes de la recherche biomédicale et aux critères d'appréciation de l'organisation des services sanitaires mis en place pour répondre à la demande sociale émanant des pays développés et — plus spécialement — des pays en développement, m'autorise, je l'espère, à faire ici quelques observations.
développement social c o m m e accompagnant l'évolution de la pensée scientifique et son application progressive.
Est-il possible d'axer une stratégie du développement sur u n modèle de service de santé ? Je le crois, car les contacts du profane avec la médecine scientifique, les consultations de puériculture, de nutrition, de planning familial, d'hygiène et de santé en général ne peuvent manquer d'avoir u n heureux effet sur les activités socio-culturelles, m ê m e dans les pays les plus attachés à leurs coutumes. Cela ne mérite-t-il donc pas u n effort concerté de tous — citoyens ordinaires, membres des professions sanitaires, parlementaires et fonctionnaires ? Cet effort contribuera certainement partout à l'amélioration de l'habitat.
Rahat Nabi K k a n
1 Voir P. M B A E Y I , 1 Modèle opérationnel d'un réseau de services de santé », Impact : science et société, vol. 26, n° 4, p. 293.
1. Les problèmes de santé imputables soit à des causes physiogènes — la nature étant la principale responsable des maladies et, par conséquent, des maladies infectieuses — soit à des causes anthropogènes — c'est-à-dire les maladies provoquées par l'organisation économico-sociale et donc, surtout, les m a ladies dégénératives — suscitent, de toute évidence, depuis quelque temps, u n intérêt de plus en plus vif non seulement dans les milieux scientifiques et culturels, mais également au sein des organismes internationaux. Ces problèmes occupent une place primordiale dans la politique de nombreux pays, développés ou non.
2 . E n ce qui concerne les organismes internationaux, il faut se féliciter de ce que, outre l ' O M S , des institutions c o m m e l ' O C D E , l ' O N U D I et, plus récemment, la F A O dans le domaine des produits alimentaires
Utilisation rationnelle de la recherche biomédicale
Lettres 271
diététiques1 s'occupent des problèmes de lá recherche biomédicale et de celui des produits pharmaceutiques (contrôle de la qualité, lutte contre les abus ou la mauvaise utilisation, développement autonome de la recherche pour les pays aux ressources limitées), mais il faut aussi se préoccuper de la manière dont elles abordent ces problèmes, des conclusions qu'elles en tirent et des propositions qu'elles formulent à leur sujet.
Tout le débat sur les produits pharmaceutiques et les besoins réels de santé semble être une variante du vieux problème, encore irrésolu, de savoir comment aider concrètement les pays en développement à mettre en place des structures industrielles capables, sinon d'être compétitives avec les entreprises euro-américaines les plus avancées, du moins de réduire ou de supprimer complètement leur dépendance technico-économique. L a différence tient à ce que les biens produits — les produits pharmaceutiques — ont u n intérêt surtout social, c'est-à-dire public, et non privé c o m m e d'autres biens durables ou de consommation.
O r cette différence, qui devrait faire changer radicalement l'attitude « secourable » actuelle des pays industrialisés à l'égard des pays en développement, n'a guère modifié les méthodes ni les conclusions.
U n séminaire a été convoqué l'année dernière par l ' O C D E à Brighton (Royaume-Uni) , pour discuter du « Transfert de la technologie relative aux produits pharmaceutiques » ; ses conclusions, sur proposition d'un représentant d'une société multinationale américaine, font songer à u n traité c o m m e r cial, pour ce qui est du dosage équilibré entre le passif et l'actif.
Mais , alors que pour les pays sous-développés le passif consiste en une série invariable de garanties et de facilités pour les capitaux étrangers (infrastructures, services auxiliaires, exportation des bénéfices et réexportation des capitaux), l'actif devrait signifier l'acquisition à meilleur compte sur le plan financier d'une technologie concernant la recherche appliquée au développement, de
techniques de laboratoire, etc., que la m a jeure partie de ces pays ne sont pas en m e sure de recevoir, c'est-à-dire d'utiliser sans concours. L e m a n q u e de cadres qualifiés, le démarrage encore hésitant des universités et des centres de recherche, le bagage insuffisant sur les plans technique, scientifique et culturel, qui est le fait de tant de pays en développement, surtout dans ce secteur, risquent de faire de ces fleurons de la technologie — les usines à cycle complet de production que les sociétés multinationales devraient construire (mais rien n'a encore été fait) localement — de véritables cathédrales dans le désert, avec tout le gaspillage de ressources matérielles et humaines qui en découle.
L ' O N U D I , créée depuis peu, et la F A O elle-même paraissent s'engager c o m m e l ' O M S dans une voie analogue, avec la circonstance aggravante que quatre organismes internationaux s'occupent pratiquement des m ê m e s problèmes sans aucune coordination entre eux, donnant u n bel exemple d'internationalisation d u gaspillage.
3. Dans ces conditions, il m e semble que l'Unesco, tant par la prise de position de sa revue que par la réunion de Milan en décembre 1975 sur « L a science dans le m o n d e contemporain : les conséquences h u maines du progrès scientifique », a bien saisi le fond d u problème qui est, avant tout, d'aider les populations, les institutions, les gouvernements des pays sous-développés, non plus à « recevoir » simplement de la technologie avancée le plus vite possible (là où le besoin en est réel et où il ne s'agit pas d'un luxe, c o m m e c'est souvent le cas), mais à participer à la production de technologie, de science, de culture. Il faut donc avant tout encourager le développement d'universités, de centres de spécialisation, de recherche et
1. Les sigles correspondent, respectivement, aux organisations suivantes : l'Organisation mondiale de la santé, l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel, et l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. [ N D L R ]
272 Lettres
d'expérimentation, en aidant d'abord ces pays à recenser les ressources disponibles et à programmer les interventions locales et étrangères suivant une hiérarchie précise des urgences.
Celle-ci fera une place aux accords avec les sociétés multinationales pour le transfert de technologie qui ne sera plus un autre facteur de dépendance, mais une contribution utile au progrès et au développement.
Je propose donc pour terminer que l'Unesco se fasse l'instigatrice d'une réunion de travail avec les groupes qui, dans le cadre des organisations susmentionnées, s'occupent de ces problèmes, afin d'élaborer une plate-forme c o m m u n e d'objectifs et d'informations.
Giuseppe Loiacono
La réponse aux questions ¿le M . Loiacono émane d'un spécialiste de la Division du Transfert de Technologie, à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement ( C N U C E D ) , Palais des nations, 1211 Genève 10 (Suisse).
L e principal problème que soulève M . Loiacono dans sa lettre est de savoir comment aider les pays en développement à se libérer en partie ou complètement de la dépendance technologique dans laquelle ils se trouvent en matière de produits pharmaceutiques. J'aimerais décrire brièvement quelques-unes des initiatives, récemment prises dans le cadre de la C N U C E D et d'autres organismes, qui devraient permettre de faire de grands progrès dans ce sens. Ces initiatives favoriseront sans aucun doute le développement de la coopération entre les diverses organisations internationales compétentes en matière de produits pharmaceutiques, ce dont il est question dans le dernier paragraphe de la lettre de M . Loiacono.
Les problèmes majeurs résultant de la domination actuelle des sociétés multinationales de production et de distribution des produits pharmaceutiques, surtout pour
ce qui concerne les pays en développement, ont été analysés dans une étude soumise par le secrétariat de la C N U C E D à sa Commission du transfert de technologie en novembre 1975, étude intitulée : Principaux problèmes découlant du transfert des techniques aux pays en développement. Monographie sur l'industrie pharmaceutique ( T D / B / C . 6 / 4 . ) .
Dans cette étude étaient proposées une série de mesures que les pays en développement pourraient envisager de prendre, au niveau national et régional ou interrégional, afin de renforcer leur capacité technologique dans le domaine des produits pharmaceutiques et de réduire leur dépendance à l'égard des sociétés multinationales de produits pharmaceutiques.
L a V e Conférence des pays non alignés, réunie à Colombo en août 1976, a adopté une résolution sur « la coopération entre pays en développement pour la production, l'obtention et la distribution de produits pharmaceutiques », qui reprenait la recommandation
. figurant dans l'étude susmentionnée. O n notera l'importance particulière de
l'alinéa (f) du paragraphe 1 de cette résolution préconisant notamment :
« ... la création de centres coopératifs de technologie et de production pharmaceutiques c o m m e l'ont proposé la C N U C E D et l ' O N U D I , chargés d'établir des listes de médicaments, de coordonner la recherche et le développement, de faciliter le transfert de la technique, de rassembler et de diffuser les renseignements sur l'utilisation et les prix des produits pharmaceutiques et sur les aptitudes technologiques des pays membres , de coordonner aussi la production et l'échange de médicaments entre divers pays membres c o m m e entre divers centres régionaux. »
L a conférence a invité les organisations internationales compétentes à aider à la mise en œuvre de la résolution précitée et a décidé que le coordonnateur du secteur commerce, transport et industrie du Programme d'action non aligné de coopération économique entre pays en développement devrait prendre les mesures d'exécution nécessaires.
Lettres 273
Il s'agit, donc d'une résolution-cadre de caractère à la fois général et spécifique qui devrait donner aux pays en développement de meilleures possibilités de se procurer des produits pharmaceutiques et de renforcer leurs capacités technologiques dans le domaine des produits pharmaceutiques, et aux
Cette lettre nous a été adressée par un éducateur et chercheur qui s'intéresse à l'énergie et. aux systèmes énergétiques; il s'agit de K. K. Murthy qui, après avoir reçu une formation d'ingénieur électricien et de spécialiste des systèmes, enseigne actuellement la science des systèmes au National Institute for Training in Industrial Engineering (NITIE), Vïhar Lake, Bombay 400 08j (Inde).
J'ai pris connaissance avec intérêt de l'article de K . Erik Solem intitulé « Ressources énergétiques et planification stratégique à l'échelle mondiale » {Impact : science et société, vol. 26, n° 1/2,1976), qui présente u n bilan de la situation mondiale en ce qui concerne les ressources en énergie fossile et en énergies de substitution, ainsi que la politique énergétique. Je voudrais mentionner aussi u n autre élément important relatif à la politique énergétique, qui mériterait d'être examiné avec attention et dont de nombreux pays industrialisés pourraient éventuellement décider de tenir compte.
O n pense en général que la consommation d'énergie doit continuer à augmenter, m ê m e dans les pays industrialisés où cette consommation est déjà très forte, et qu'aucun niveau de saturation n'est à envisager, car lorsqu'une économie arrive au stade postindustriel, elle commence à s'orienter vers les services (au lieu de rester orientée vers les produits), ce qui exige encore davantage d'énergie par habitant, si bien que le taux de croissance de la consommation ne peut ni diminuer ni m ê m e se stabiliser.
Pour m a part, je conteste cette hypothèse.
organisations internationales compétentes les moyens de prendre des mesures coordonnées et cohérentes afin de mettre en c o m m u n les ressources nécessaires pour contribuer à la réalisation de ces deux objectifs.
A . Maislisch
L a théorie économique classique selon laquelle « une progression régulière de la population est indispensable à la croissance économique » s'est révélée inexacte; d u fait de l'apparition de techniques automatisées et qui exigent beaucoup de capitaux, des taux de croissance économique élevés ont été enregistrés en m ê m e temps que des taux de croissance démographique très bas. E n conséquence, l'inéluctabilité des m a u x prophétisés par Malthus a été mise en doute, et la généralisation des techniques de planification familiale et de limitation de la population est préconisée. L a plupart des pays ont adopté ces vues sur le plan des principes, bien que des divergences d'opinions subsistent quant aux meilleurs moyens de les mettre en œuvre. Les effets de la planification familiale sont cependant déjà perceptibles dans de nombreux pays.
D e m ê m e , une analyse sérieuse montre le caractère erroné de la thèse selon laquelle la croissance économique dépend de l'augmentation des quantités d'énergie utilisées. L e gaspillage de l'énergie est hé avant tout aux modes de vie existant dans les pays industrialisés. C o m m e H e r m a n Daly l'a fort bien dit, il faudrait se préoccuper non plus de la croissance d u produit national brut, mais « de la croissance portant sur les choses qui comptent plutôt que sur les choses qu'il est possible de compter ». L e processus d'ajustement des modes de vie est donc comparable à celui que nécessite l'introduction de la régulation des naissances dans les sociétés où les familles étaient ordinairement nombreuses.
R e s s o u r c e s énergétiques et planification stratégique à l'échelle m o n d i a l e
274 Lettres
Habiller saint Paul sans déshabiller saint Pierre
Les auteurs d'une étude de la Fondation Ford1 ont tenté de faire des projections systématiques de la croissance de la consommation d'énergie jusqu'à l'an 2000, en se fondant sur le scénario de « croissance zéro de la consommation d'énergie » conçu pour les États-Unis. Ils ont conclu que le niveau de vie ne diminuerait pas nécessairement du fait de l'adoption de politiques énergétiques visant à assurer une croissance nulle ou faible de la demande d'énergie. Selon eux, la consommation d'énergie pourrait se stabiliser en l'an 2000 à un niveau supérieur de quelque 10 % seulement au niveau actuel de consommation d'énergie par habitant aux États-Unis. Ils ajoutent : « Rien dans le scénario de croissance zéro de la consommation d'énergie n'exclut une redistribution nationale du 'revenu énergétique'. Il n'est nulle-
' ment nécessaire de prévoir que l'insuffisance des ressources en énergie empêchera les gens qui ne bénéficient pas encore d 'un niveau de vie satisfaisant d'y accéder ; il n'y a pas non
A u sujet d e que lques équations
La lettre suivante vient de nous être adressée par Charles Muses, auteur de Varticle « Voyages de reconnaissance dans l'univers des mathématiques » (impact : science et société, vol. 2j, n° ï). -. ' . • ; . . . • / . . . ' . ' '
Je compatis aux rudes épreuves que vous avez rencontrées dans votre combat avec les imprimeurs; ceux-ci ne m'ont , hélas, pas épargné dans votre dernier numéro, m e faisant m ê m e écrire des absurdités.
C'est ainsi que, à la page 87, ligne 9, il faut lire :
... par les matrices I I...
Et de m ê m e , à la ligne 10, il faut lire :
... car la matrice { ~~ ) est la seule matrice... \i 0 /
plus de raison intrinsèque pour que ceux qui, y l'heure actuelle, possèdent les plus gros revenus énergétiques renoncent à aucun des avantages dont ils jouissent aujourd'hui. » . L e point capital d'une telle politique énergétique est la rupture du lien entre croissance économique et croissance énergétique. J'estime pour m a part qu 'un des aspeas les plus importants d'une politique énergétique m o n diale devrait être la promotion par les institutions internationales c o m m e l'Organisation des Nations Unies d 'un modèle de croissance énergétique plus élevée. U n e telle politique permettrait d'affecter les ressources énergétiques considérables économisées dans les pays qui consomment à l'heure actuelle le plus d'énergie à la satisfaction des besoins vitaux des habitants des régions en développement — et ce à un prix accessible pour les populations intéressées.
K . K . Murthà
1. A time to choose, rapport final de l'Energy Policy Project, Ford Foundation, Cambridge, Mass. , Ballinger Publishing C o . , 1974. .
A la page 88, ligne 20, rétablissant un signe « moins » malencontreusement évanoui, il faut lire :
/ o i\ . . . 0 U 5 , = . . .
. \ - « 0 / •
Enfin, toujours à la page 88, lignes 16,17 et 18, les règles que j'énonce pour mes bima-trices ont subi des outrages qui méritent réparation; rétablissons donc ces lignes dans leur intégrité :
= - I J (.AIB)î = AîIBi; (A/B)(JB) = A/B2; (JB) {Am = A/B* ; AQB) = A¡B ;
(JB)A = - A / B ; pour A =£ C, on a (A/B) (fl/B) = AC/B*;
' XClB)(A¡B-) = -ACIBi. • •'• M e s salutations les meilleures.
CHARLES MUSES
Lettres 275
Minerva A review of science, learning and policy Editor: Edward Shils
Vol. XIV, N o . 3, Autumn 1976
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Reports and documents
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Vient de paraître... annuaire statistique
de l'unesco 1975
Bilingue : anglais/français Cet ouvrage annuel est réalisé par FUnesco avec la 1977 767 p . coopération des services nationaux de statistique et le Prix : 180 F concours de l'Organisation des Nations Unies.
Il donne des informations statistiques détaillées pour plus de deux cents pays ou territoires dans les domaines suivants : Éducation (effectifs scolaires et corps enseignant, systèmes scolaires, enseignements primaire, secondaire et supérieur, dépenses de l'enseignement) ; Science et technologie (personnel scientifique, dépenses consacrées à la recherche, indicateurs du développement scientifique et technologique) ; Culture et information (bibliothèques, édition de livres, journaux et périodiques, consommation de papier, film, radio, télévision).
Découverte d 'un autre continent
La science et l'Amérique latine
Heitor Gurgulino de Souza, Brasilia
Planifier le développement scientifique et technique
José Leite Lopes, Rio de Janeiro (entretien)
Les pays en développement et la dépendance scientifique
Roberto Bastos da Costa, Rio de Janeiro
U n e expérience de coopération régionale dans le domaine de la physique
Ruth Lerner de Almea, Caracas
L'innovation dans le transfert de technologie
Carlos Mallmann, Buenos Aires
Sur les voies de la synergie
J. R. Jardim Freire, Porto Alegre
L a fixation de l'azote
G. Edward Nicholson, Lima (entretien)
L e pragmatisme dans la recherche scientifique et technique
Roberto Salas Capriles, Caracas
L e transfert de technologie et l'industrie latino-américaine
C e numéro d'impact paraîtra.à la mi-juillet en français et en anglais, et ultérieurement en espagnol et en portugais. U n e édition arabe est également prévue. . _ ' ,'
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vol. 28, n° 2 (avril-juin 1978) Transfert de technologie
intégré
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sociales
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Eurocan Trust Reg., P . O . Box 5, S C H A A N . Librairie Paul Brück, 22, Grand-Rue, L U X E M B O U R G . Commission nationale de la République démocratique de Madagascar pour l'Unesco, B.P. 331, T A N A N A R I V E . Federal Publications Sdn Bhd., Balai Berita, 31 Jalan Riong, K U A L A L U M P U R . Librairie populaire du Mali, B.P. 28, B A M A K O . Sapienza's Library, 26 Republic Street, V A L L E T T A . Toutes les publications : Librairie < Aux belles images », 281, avenue M o h a m m e d - V , R A B A T (CCP 68-74). « Le Courrier » seulement (pour les enseignants) : Commission nationale marocaine pour l'Unesco, 20, Zenkat Mourabitine, R A B A T (CCP 324-45). Nalanda Co. Ltd., 30 Bourbon Street, P O R T - L O U I S . S A B S A , Servicio a Bibliotecas S.A., Insurgentes Sur n.° 1032-401, M É X I C O 12 D . F . Pour les publications seulement : C I L A (Centro Interamericano de Libros Académicos), Sullivan 316«, M É X I C O 4 D . F . British Library, 30, boulevard des Moulins, M O N T E - C A R L O . Instituto Nacional do Livro e do Disco (INLD), avenida 24 de Julho 1921, r/c e ï.0 andar, M A P U T O . Librería Cultural Nicaragüense, calle 15 de Septiembre y avenida Bolívar, apartado 807, M A N A G U A . Librairie Mauclert, BJ?. 868, N I A M E Y . The University Bookshop of Ife. The University Bookshop of Ibadan, P . O . Box 286, I B A D A N . The University Bookshop of Nsuka. The University Bookshop of Lagos. The Ahmadu Bello, University Bookshop of Zaria. Toutes les publications : Johan Grundt Tanum, Karl Johan sgate 41/43, OSLO 1. < Le Courrier » seulement : A / S Narvesens Litteraturtjeneste, Box 6125, O S L O 6. Reprex S . A . R . L . , B .P. 1572, N O U M É A .
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. A S U N C I Ó N . N . V . Martinus Nijhoff, Lange Voorhout 9, ' S - G R A V E N H A G E . Systemen Keesing, Ruysdaelstraat 71-75. A M S T E R D A M . Editorial Losada Peruana, Jirón Contumaza 1050, apartado 472, L I M A . The Modern Book C o . , 926 Rizal Avenue, P . O . Box 632, M A N I L A D-404. Ars Polona - Ruch, Krakowskie Przedmiescie n" 7, 00901 W A R S Z A W A . O R P A N -Import, Palac Kultury, 00901 W A R S Z A W A . Dias & Andrade Ltda., Livraria Portugal, rua do Carmo 70, LISBOA. Librairies internationales ou Buchhaus Leipzig, Postfach 140,701 LEIPZIG. Le secrétaire général de la Commission nationale de la République unie du Cameroun pour l'Unesco, B.P. 1600, Y A O U N D E . Textbook Sales (PVT) Ltd., 67 Union Avenue, SALISBURY. I L E X I M , Romlibri, Str. Biserica Amzei n° 5-7, P . O . B . 134-135, BUCURESTI . Abonnements aux périodiques : Rompresfilatelia, calea Victoriei n° 29. B U C U R E S T I . H . M . Stationery Office, P . O . Box 569, L O N D O N , S E I 9 N H . Government bookshops : London, Belfast, Birmingham, Bristol, Cardiff, Edinburgh, Manchester. La Maison du livre, 13, avenue Roume, B.P. 20-60, D A K A R . Librairie Clair-afrique, BJ?. 2005, D A K A R . Librairie « Le Sénégal >, B.P. 1594, D A K A R . Federal Publications (s) Pte Ltd., N o . 1 N e w Industrial Road, off Upper Paya Lebar Road, S I N G A P O R E 19. Modern Book Shop and General, P . O . Box 951, M O G A D I S C I O . Al Bashir Bookshop, P . O . Box m g , K H A R T O U M . Lake House Bookshop, Sir Chittampalam Gardiner Mawata, P . O . Box 244, COLOMBO 2. Toutes les publications : A / B C E . Friezes Kungl. Hovbokhandel, Fredsgatan 2, Box 16356,103 27 S T O C K H O L M 16. t Le Courrier • seulement : Svenska FN-Förbundet, Skolgränd 2, Box 15050, S-104 65 S T O C K H O L M . Europea Verlag, Rãmistrasse 5, 8024 Z U R I C H . Librairie Payot, 6, rue Grenus, 1211 GENEVE II. Librairie Sayegh, Immeuble Diab, rue du Parlement, B.P . 704, D A M A S . Dar es Salaam Bookshop, P . O . Box 9030, D A R ES S A L A A M . S N T L Spalena 51, P R A H A I {Exposition permanente). Zahranicni literatura, 11 Soukenicka, P R A H A I. Pour la Slovaquie seulement : Alia Verlag, Publishers, Hurbanovo nam. 6,893 31 B R A T I S L A V A . Nibondh and C o . Ltd., 40-42, Charoen Krung Road, Siyaeg Phaya Sri, P . O . Box 420, B A N G K O K . Suksapan Panit, Mansion 9, Rajdamnem Avenue, B A N G K O K . Suksit Siam Company, 1715 Rama IV Road, B A N G K O K . Librairie évangélique, B . P . 378, L O M É . Librairie du Bon Pasteur, B . P . 1164, L O M É . Librairie moderne, B . P . 777, L O M É . Société tunisienne de diffusion, 5, avenue de Carthage, T U N I S . Librairie Hachette, 469 Istiklal Caddesi, Beyoglu, I S T A N B U L . Mezhdunarodnaja Kniga, M O S K V A G-200. Editorial Losada Uruguaya, S.A./Libreria Losada, Maldonado 1902, M O N T E V I D E O . Librería del Este, avenida Francisco de Miranda 52, Edificio Galipan, apartado 60337, C A R A C A S . Jugoslovenska Knjiga, Terazije 27, P . O . B . 36, 11-001. B E O G R A D . Drzavna Zalozba Slovenije, Titova C . 25, P . O . B . 50-1, 61-000 L J U B L J A N A . La Librairie, Institut national d'études politiques, B . P . 2307, K I N S H A S A , Commission nationale zaïroise pour l'Unesco, Commissariat d'Etat chargé de l'éducation nationale, B . P . 32, K I N S H A S A .
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'flíSB-.,
Babeldiga (site de barrage) Population : i 200 000 habitants Densité : ï 643/hectare Hauteur : i 400-2 100 mètres Superficie : 725 hectares
F I G . I. C e complexe combine trois éléments, Babel IIC, un barrage et Arcanyon. Au-dessus et autour du barrage s'étendent près de 6 k m 3 d'espaces abrités et ombragés, ce qui représente en soi un facteur écologique intéressant. L a multiplicité des terrains, les topographies créées par l 'homme qui se développent par couches à divers niveaux et avec une grande variété de frontières et de positions réciproques produisent des environnements très divers. D e u x des Babels portent directement dans la digue, ce qui confère à la structure un poids et une stabilité accrus. O n peut dire de l'ensemble du complexe que c'est une ville sur l'eau, nichée dans la montagne.
TENT STRUCTURE
K^Œramp
m i — n a ir D CROP PROCESSING
CONDITIONED GROUNDS
Arcollective (région froide) Population : 2 coo habitants • Densité : 207/hectare Hauteur : 50-100 mètres Superficie : 8,5 hectares Échelle : 1/2 000
F I G . 2 . Arcollective est organisée autour du concept de collecteur de soleil : l'abside (1/4 de sphère) s'ouvre vers le sud. C'est une configuration qui reflète l'interaction du Soleil et de la Terre en liaison avec la position particulière
que l ' h o m m e y occupe. L'abside est, en d'autres termes, la topographie qui est favorable à l ' h o m m e dans son propre schéma cosmique. L'orbite elliptique basse que suit le Soleil en hiver favorise la pénétration de ses rayons dans l'espace sphérique de l'abside. C o m m e il suit en été une orbite elliptique haute, l'abs:de projette une ombre étendue dans son espace sphérique. Cette double fonction de collecteur de soleil en hiver et d'ombre en été justifie l'utilisation de l'abside dans un climat caractérisé par u n hiver long et rigoureux. L'abside centrale d'Arcollective a un diamètre de 200 mètres. D u côté nord, un apport de neige, naturel ou provoqué,
servirait d'isolant contre les très basses températures d'hiver. L'enveloppe nord constituée de silos jouerait le m ê m e rôle. Les zones abritées par la grande abside et les quatre petites pseudo-absides seraient, par les jours d'hiver ensoleillés, des terrains relativement confortables destinés à des activités de plein air, dent le jeu n'est pas la moindre. Pour une communauté plus grande, l'utilisation d'espaces intérieurs plus vastes aurait tendance à diminuer la signification de l'abside en tant que producteur de climat. L'organisme compterait davantage sur son inertie de masse, ainsi que sur la production et l'utilisation d'énergie endogène.
•i.ffSfemffrrñTfvfr" - -,« affirms* - T
F I G . 4. Élévation sud d'Arcosanti. D e gauche à droite : le secteur Métiers 3 qui a servi de centre des visiteurs pendant les manifestations du bicentenaire ; l'abside des Céramiques ; l'abside de la Fonderiej au premier plan, et la double voûte flanquée par les habitations est et ouest.
F I G . 5. U n e vue de l'abside de la Fonderie à travers le cadre formé par un panneau mural modulaire de béton préfabriqué d'une pièce de séjour du secteur Métiers 3 montre la juxtaposition des structures créées par l 'homme et de la nature environnante.
Dans les numéros précédents
Vol. 26 (1976), n° 3
La science et le m o n d e islamique
Présentation, par Abdel-Aziz el-Sayed. Contributions musulmanes aux sciences de la nature, par M . Ali Kettani. Problèmes d'arabisation de la science et coordination des termes scientifiques, par Abdel-Aziz Ibn Abdallah. La signification de l'héritage scientifique de l'Islam pour le monde musulman contemporain, par Georges C . Anawati. Tendances actuelles de l'activité scientifique dans les pays arabes et islamiques, par Salah Galal. La recherche scientifique en Algérie, par M o h a m m e d Benyahia (entretien). Le plan quinquennal du Soudan pour la recherche et le développement, par Abdallah Yacoub El Sammani . Science, technologie et éducation dans la péninsule arabique, par Alexandre Dorozynski. Aux confins de l'Islam : la République du Niger, par André K. Olodo. Le développement des nations par la science et la technologie, par Majeed A h m a d . L'analyse systémique, la gestion systémique et la typologie scientifique appliquées au développement, par Hassan Hasan El-Yacoubi.
Vol. 26 (1976), n ° 4
L'utilisation rationnelle des ressources sanitaires — 2
Présentation. Vers un emploi plus sûr et plus rationnel des médicaments, par Andrzej Danysz. Le problème des recherches sur les médicaments « non rentables » : un autre point de vue, ' par John T . Burke. La médecine indienne traditionnelle, par Dharamjit Singh. Progrès de l'hématologie géographique, par Jean Bernard. Modèle opérationnel d'un réseau de services de santé, par Peter N . O . Mbaeyi. La polyclinique d'enseignement : modèle pour un établissement de soins, d'enseignement et de recherche au
contact de la collectivité, par Ernesto de la Torre Montejo et Ramón Casanova Arzola. La santé dans la Chine d'aujourd'hui (reportage photographique), par John J. Kao. La géocancérologie, par Emile-Gaston Peeters et Yola Verhasselt. Les déchets, facteur de santé et de richesse et stimulant économique pour les pays en développement, par Edgar DaSilva, Anton Burgers, Reuben Olembo.
Vol.27 (1977), n° 1
A u x frontières de la science
Présentation. Les frontières de l'univers astronomique, par Jean-Claude Pecker. L'univers moléculaire et l'origine physico-chimique de la vie, par Jules Duchesne. Les quarks : modélisation et « emprisonnement », par Yuri V . Novozhilov. Noyaux rapides, matière de très haute densité et biomédecine, par A . M . Baldine. Voyages de reconnaissance dans l'univers des' mathématiques, par Charles Muses. Nouveautés en chimie. C o m m e n t les h o m m e s , les machines et les sociétés apprennent, par Mircea Malifa. La biométéorologie, par E. Stanton Maxey. La mise en valeur de nos ressources en eau, par Adriaan Volker. - -Prévention des conséquences désastreuses des séismes et des éruptions volcaniques, par John Tomblin.
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