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©2017,C.J.Ronnie–Tousdroitsréservés
Tousdroitsréservés.Celivre,ouquelquepartiequecesoit,nepeutêtrereproduitdequelquemanièrequecesoitsanslapermissionécritedel’éditeur.Ce livre est une fiction. Les noms, caractères, professions, lieux, événements ouincidents sont les produits de l’imagination de l’auteur utilisés de manière fictive.Toute ressemblance avec des personnages réels, vivants oumorts, serait totalementfortuite.
Imagedecouverture:AlexanderKirch–ShutterstockCouverture:ChristophePetit
CollectiondirigéeparArthurdeSaintVincentOuvragedirigéparMarieSevenoetMarineFlour
©2017,LaCondamine
34-36,rueLaPérouse75116Paris
ISBN:9782375650363
CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.
Àcepetitgarçon.J’espèrequetoiaussituaspuoutupourrasjetertespaillettesdanslesairs.
SOMMAIRE
Titre
Copyright
Prologue
1-Hayley
2-Jace
3-Hayley
4-Jace
5-Hayley
6-Jace
7-Hayley
8-Jace
9-Hayley
10-Jace
11-Hayley
12-Jace
13-Hayley
14-Hayley
15-Jace
16-Hayley
17-Jace
18-Hayley
19-Jace
20-Hayley
21-Hayley
22-Jace
23-Jace
24-Hayley
25-Jace
28-Hayley
29-Jace
30-Hayley
31-Jace
32-Hayley
33-Jace
34-Hayley
35-Hayley
36-Hayley
37-Jace
38-Hayley
39-Jace
40-Garrett
41-Hayley
42-Jace
43-Hayley
44-Jace
45-Jace
46-Hayley
47-Jace
48-Hayley
49-Jace
50-Hayley
51-Jace
52-Hayley
53-Garrett
54-Hayley
55-Jace
56-Hayley
57-Jace
Épilogue
Troismoisplustard.
Notedel’auteur
Remerciements
Prologue
J’ouvrelespaupières,àmoitiéconscient.Lalumièredujourinondelapièceetmebrûlelesrétines.Jelesrefermeaussitôtpourcalmerl’élancementquimemartèle le crâne, mais je ne peux contenir le gémissement de douleur quis’échappedemabouche.Alorsquejesuisàpeinelucide,mespremièrespenséesvontirrémédiablementverselle.C’estàcaused’ellequejesuisici.Etpourçaaussi,ellevamelepayer.Unricanementm’extirpedemesidéesdevengeance.
—T’assacrémentmorflé,mec.J’émets un autre grognement en guise de réponse et ignore mon voisin.
Apparemment, il se sent d’humeur à faire la conversation aujourd’hui, car cetabrutipersiste.
—T’asreçuducourrierpendantquet’étaisdanslesvapes.À cette information, j’oublie mon état comateux et la souffrance qui me
traverse le corps. Tous mes sens se mettent en alerte car une seule personnem’envoieducourrierdepuisquejesuislà.Enmêmetemps,jelapaiepourça.C’est fou ce que les gens sont prêts à faire pour quelques billets verts. Je l’airapidementcompris.D’ailleursc’estlapremièrechosequel’onapprendquandonarrivedanscetendroit.Sit’asdufric,tupeuxsoudoyern’importequi.Etvucequejeprojettedefaire,ilvautmieuxpourmoiquej’enaie.
Je tourne la tête dans la direction du type allongé dans l’autre lit et medécidefinalementàluiadresserlaparole.
—Tul’aslu?jeluidemanded’unevoixmordante.
Dumoins,c’estcequej’essaiedeluidire.Ilssesonttellementdéfouléssurmonvisageque lemoindremouvementdemâchoire est unvéritable supplice.Impossibled’articulerunmotcorrectement.Bonsang!Ilsnem’ontpasloupé,cecoup-ci.
Letypememontresespoignetsmenottésaulit.—Etcommentj’auraispuattrapertamauditelettreavecça?
Jetentederoulersurlecôtépourattrapercettefichueenveloppeposéesurla
tableprèsdemoi.Unesensationdedéchirementirradiemescôtes–pasbesoind’être médecin pour deviner qu’elles sont cassées –, mais l’impatience dedécouvrirlecontenuduplimelafaitpresquerelayerausecondplan.
Aprèsplusieurscontorsions, jeparviens toutdemêmeàm’ensaisir.Alorsquelasueurperlesurmonfront, jemeredressetantbienquemaletm’adossecontre lesoreillers.Jefermelesyeuxun instantpourreprendremonsouffleetéviterdegémircommeune femmelette.Ça ferait tropplaisiràmoncopaindechambréequiobservemonmanègeavecunmalinplaisir.Matentativeestvaine,ceconricaneànouveau.
Qu’ilaillesefairefoutre!Laseulechosequimepermetdetenirlecoupestdesavoirquelecompteàreboursestlancé.Dansquelquessemaines,jesortiraidecetenferetjen’auraiplusàsubirtouscesconnards.
Enfin, pour être honnête, c’est surtout que je n’aurai plus à subir leurtraitementdefaveur.
J’ouvrel’enveloppeetenextraisplusieursfeuilles.Unephotos’enéchappeet tombe au sol. L’attention demon voisin se pose dessus. Il reste silencieuxquelquessecondespuisémetunlongsifflement.
—Joliepoupée.Savoixlubriquemefaitgrincerdesdents,maisjenerépondspas.Çaserait
luifairetropd’honneur.—C’estqui?Tanana?Ses yeux se posent sur moi et quand nos regards se croisent, il frémit
légèrement.Leprédateurenmoi sedélectedesa réaction. J’esquisseun rictus
malsainetmedécidefinalementàrépliquer:—C’estlafillequim’aenvoyéici.
1
Hayley
Je balaie du regard ce qui va devenir mon nouveau chez-moi pour cetteannée universitaire. Ce n’est qu’une simple chambre d’étudiant exiguë avecdeux lits, deux bureaux et quelques étagères, mais cette pièce représentebeaucouppourmoi.Ellemarquemonnouveaudépart,manouvellevie,cellequejemesuischoisie.
Pourlapremièrefoisdepuislongtemps,unsentimentdepaixm’habite.J’ysuis.
J’ai fait legrandsautet j’ysuisarrivée, j’aienfinquittéNewYorketmisplusdecinqmillekilomètresdedistanceavecmonanciennevie.Sij’aichoisilaCaliforniepourfairemesétudes,c’estsurtoutpourfairetablerasedupassé.Jeveuxprofiterdemesannéesuniversitairespourmecréerunenouvelleidentité.J’ai décidé de prendre mon destin en main et de ne plus être une petite filleterrorisée.
JecommenceàdéballermescartonsenattendantqueBrandonmerejoigneavecledernierchargement.
Touslesdeux,nousnousconnaissonsdepuislejardind’enfantsetn’avonsaucunsecretl’unpourl’autre.C’estgrâceàluiquej’aiputenirlecoupjusqu’ànotre départ de la Grosse Pomme. Il est celui sans qui je ne serais pas làaujourd’hui.Lejouroùjeluiaiannoncéquej’avaisdécidédequitternotreville
natale pour poursuivre mes études en Californie, il m’a suivie sans poser lamoindre question. Il est inscrit en sciences pour devenir médecin, etparallèlement c’est un joueur de football américain de haut niveau. Je pariequ’enmoinsd’unesemaine ilseseraconstruituneréputationde tombeuret jeplainsparavancesesfuturesvictimes.ÀNewYork,ilavaitdéjààsonactifunpalmarès impressionnant de conquêtes d’un soir. En même temps, je peuxcomprendrequelesfillestombentsoussoncharme.Ilaunphysiqueàcouperlesouffle.Mais ce qui le rend si attirant, selon moi, c’est la gentillesse de sonregardnoisetteetsafacilitéàsefairedesamis.Toutlemondel’aime.Sijeneleconsidéraispascommemonfrère,moiaussij’auraisputomberdanslepanneau.Maisluietmoipartageonsunpassé,unehistoirequiatransforménotreamitiéenunlienindestructible.J’aipourhabitudededirequ’ilestmabéquilledanslavie,ilestleseulenquij’aieconfiance.
—Bonsang!Jenesaispascequetuasmisdanscecartonmaisçapèseunânemort!
Jemetourneversceluiquioccupaitàl’instantmespenséesetluisouris.—Cesontdeslivres.Ilposelourdementlecartonsurlebureau,replaceunemèchebrunedeses
cheveuxquiluibarraitlefront,puisdésignelapièced’ungesteample.—T’asenfincequetuvoulais.J’acquiesce,décelantlesous-entendudanssaphrase.Ils’approchedemoi,
levisagedevenugrave,puismesaisitlesmainseteffectueunelégèrepressiondessus.
—Tusais,GlitterGirl,tun’asqu’unmotàdirepourqu’onremballetoutetqu’onsetrouveunapparttouslesdeux.
Je réprime un soupir d’agacement parce que nous avons eu cetteconversationunnombreincalculabledefois.Jesaisquec’estcequ’ilsouhaite,maisjamaisjenepourrairecommencermavieenétanttoujourscolléeàlui.Etilabesoin,luiaussi,desoufflerunpeu.Cesdernièresannéesn’ontpasététendres,pourluicommepourmoi.
—Onenadéjàparlé,Brandon.— Je sais.Mais je voulais bien te faire comprendre que tu as toujours le
choix.—Tuconnaislesraisonsdemonentêtement.Il reste silencieux quelques secondes puis finit par hocher la tête.Malgré
tout,ilnepeuts’empêcherd’ajoutersuruntonfarouche:—Ok.Maisjetepréviens,jenebougepasd’icitantquetacolocneserapas
là.Etsijenelasenspas,ouquec’estunesociopatherecouvertedetatouagesetdepiercings,jeprendstoutestesaffaires,lesremetsdanslavoitureetonfilesetrouverunappart.
J’ouvre la bouche pour lui répondre de ne pas s’inquiéter, mais un légertoussotementm’enempêche.D’unbloc,nousnousretournonsendirectiondelaported’entrée.Une filledenotre âge se tient sur le seuil, un souriremoqueurflotte sur ses lèvres. J’en déduis rapidement qu’elle n’est autre que laditecolocataire.C’estunejoliepetiteblondeavecunvisageenformedecœur.Maisce quime frappe le plus, c’est la couleur de ses yeux : d’un bleu translucidepresque transparent.Et, pour lemoment, ils sont éclairés d’une lueur amusée.Avantquenousayonsletempsdedirequoiquecesoit,elleprendlaparole.
—Jepeuxtecertifierqu’aucuntatouageoupiercingn’estprésentsurmoncorps,pourlasimpleetbonneraisonqu’àlavued’unesimpleaiguille,jeparsencourant.
Ellemarqueunepausepuis,suruntonespiègle,poursuit:—Pourcequiconcernelecôtésociopathe,jenepeuxrientegarantir.Ilse
pourraitquej’aieàmonactifdeuxoutroiscadavresquitraînentdansunplacard.Lenombredefoisoùj’aipuvoirBrandonrestersansvoixsecomptesurles
doigtsd’unemainetj’avoueavecunplaisirnondissimulém’amuserbeaucoupdecettescène.Cettefillem’estimmédiatementsympathique.Pasparcequ’elleest l’image de l’étudiante californienne modèle, mais parce qu’elle inspire laconfianceetqu’ellesembleavoirundonpourmettrelesgensàl’aise.Quoique,vul’airembarrassédeBrandon,cettedernièreaffirmationresteàprouver.
Pourmettrefinausupplicedemonami,jedécided’interveniretdefairelesprésentations.
—JesuisHayleyetluic’estBrandon.—Beverly.Elle avance dans la chambre d’un pas décidé, pose les affaires qui lui
encombraientlesbrassurundeslits,puism’examineattentivement.Samanièrede scruter les gens donne l’impression d’être passé au crible et de ne rienpouvoirluicacher.Unpeucommesielleétaitcapabledeliredansmespenséeslesplusprofondes.Apparemment,cequ’ellelitenmoisembleluiplairecarelleafficheunairravi.
—Onvabiens’entendre,touteslesdeux.Elles’adresseensuiteàBrandon.—T’asdeschosesàfaire,maintenant?Nesachantpasoùelleveutenvenir,illuirépondd’unevoixincertaine:—Non.Ellehausseun sourcil, dubitative.Un sourire carnassier sedessine sur ses
lèvreset,impitoyable,elleinsiste:—T’essûrdetoi?Ellemarqueunepausepourproduireunpetiteffet,puisreprend:— Tu sais, je peux parfaitement comprendre que tu veuilles mener ton
enquêtetoutdesuite.Prisaudépourvuparl’aplombdemacolocataire,Brandonsepasseunemain
nerveuse dans les cheveux pour essayer de reprendre contenance et confirmed’unairmalassuréqu’iln’ariendeprévu.
Satisfaitedesonpetittour,elles’exclame,toutenluitapotantgentimentlebras:
—Parfait !Tuvaspouvoirutiliser tesmuscles etm’aider àdéchargermavoiture,danscecas.Hayley,silecœurt’endit,tonaideseralabienvenueaussi,ajoute-t-elleavecunemoue.Jemesuisunpeulâchéeconcernantlesaffairesàapporter.
Puis, sans aucune cérémonie, elle nous fait signe de la suivre et quitte lachambre. Brandon se retourne vers moi, incrédule. Ses yeux grands ouverts
semblentmedemander«Dequelleplanètedébarquecettefille?».Incapabledelui fournir lamoindreréponse, jehausse lesépauleset,d’unmouvementde latête,jeluifaiscomprendrequenousdevrionsallerlarejoindre.
***
Ondit souventque lapremière impressionest labonne, et j’avouenepasm’être trompée concernant ma colocataire. Nous avons passé le reste de lamatinéeàfairedesallers-retoursentresavoitureetnotrechambre,àdéballernosvalises. Beverly n’a pas exagéré lorsqu’elle disait s’être emballée sur sesaffaires.Nous avons ensuite achevé notre installation par une rapide visite ducampus.
Au fur et à mesure que la fin de journée approche, une certaineeffervescencecommenceàgagnerlaplupartdesétudiantsdepremièreannéeàlaperspectivedelasoiréed’intégration.Demoncôté,jenesuispaspressée.Cettesoiréeressembleàuneépreuve,pourmoi.Lafoulemefaitpeur,ets’iln’yavaitpasBrandon, je resterais au fonddemon lit, dansma chambre, à regarder unfilm.
2
Jace
D’ungestefluide,jeretiremont-shirtpuismecaleconfortablementcontrelesoreillerspourmieuxprofiterduspectacle.Yapasàdire,cettenanasaits’yprendrepourchaufferunmec.
D’unairnonchalant,jeplacemesmainsderrièremanuqueetl’encourageàpoursuivre. J’esquisse à peine un sourire quand son regard se pose d’un airgourmandsurmontorse.Lentement,lafilleonduledubassin.D’unmouvementlascif,sesmainsglissentlelongdesoncorps.Jevérifiediscrètementl’heuresurmontéléphone.Merde!Plusquevingtminutesavantlagrandemesse.
Jeluifaissigned’accélérerlemouvement.—Dessape-toietapproche!Onn’apasletempspourlespréliminaires.Lananamarqueuntempsd’arrêt,unelueurpeinéetraversebrièvementson
regard. Puis, comme si elle s’était fait une raison, elle hausse les épaules etm’obéit.Alorsqu’elle faitpasser sondébardeurpar-dessus sa tête, j’enprofitepourladétaillerunpeuplus.Lejaunepisseuxdesescheveuxmefaittiquer.Elleestquelconque,filiforme.Engénéral,jepréfèrequandlananaaunpeuplusdeformes,mais c’était la seulebrebis disponible.L’inconvénient quandonne setapequecesfilles-là,c’estqu’ellesnesontpasdepremièremainetqu’ellessontuséesbienavantl’heure.Etcellequimefaitfacen’échappepasàlarègle.
Face à la teneur demes pensées, je suis pris d’un vague remords –aprèstout,c’estlafilleoulasœurdequelqu’un–,maisjerejetteaussitôtcetteidée.
C’estellequiafaitlechoixdevenirtoqueràlaporteduclub.C’estunebrebisparmitantd’autres.Quandellespénètrentdansnotreunivers,ellessaventàquois’entenir.Laplupartd’entreellesrecherchentunrefuge.Ellesfuient larueouunexquiaimejouerdesespoings.Envenantcheznous,ellesonttoutesl’espoird’attirer l’attentiond’unmembrepourenfairesonrégulier.Enattendant,ellespassent de frère en frère.Et il y en a toujours une à disposition.C’est un desavantagesquandonappartientàunclub.Pasbesoindeseprendrelatêteetdes’emmerderaveclaphaseséduction.
Une fois ses fringues à terre, elle s’approche d’une démarche chaloupée,grimpesurlelitetmechevauche.Sonvisageprenduneexpressionaguicheuse.Du bout de l’index, elle trace le contour d’un des tatouages que j’ai sur lapoitrine.J’observesamainsurmapeau.Bonsang!C’estpasdesonglesqu’ellea,c’estdesgriffes.
Voirsesonglesrecouvertsd’unvernisrougesangglissersurmontorsemedonnedessueursfroidesetfaitbaissermalibidod’uncran.Etc’estàcetinstantprécisquelaréalitémerattrape.Depuisquelquetemps,maconsciencemejouedestoursetchoisitlespiresmomentspoursemanifester.J’aibeaumedirequetoutemavie c’est le club, il y aquandmêmeun trucqui clochechezmoi, jeressenscommeunvidequejen’arrivepasàcombler.Mesfrèresmedisentquejefaislacrisedelatrentaineavantl’heure.Ilsn’ontpeut-êtrepastort.
Lavoixdelafillemesortdemespensées.—T’asl’airailleurs.Merde,jel’avaispresqueoubliée,celle-là.Agacéqu’elle se soit rendu compte quemon esprit s’était fait lamalle, je
décide de me comporter comme le salaud que je suis. Je ne peux pas mepermettredemontreruninstantdefaiblesse,alorsjeluibalancesurletondelamauvaisefoi:
—Fautdirequet’espasdouéepourmechauffer.T’attendsquoi?Uncartond’invitation?
Surpriseparmonchangementd’humeur,ellesepinceles lèvres,cherchantcertainementàréprimerlefonddesapensée.Ellefaitbiendesetaire,jenesuispasdans lesmeilleuresdispositionspourécouterses jérémiades. Ilne fautpasqu’elleoublieoùestsaplace.Elleestjustelàpoursefairebaiser,paspourtenirlaconversation.Mes lamentations, je les réservepour le jouroù j’aurai trouvéunerégulière.Etcejour-làn’estpasprèsd’arriver.
Piquéeauvifparmonattitude,unelueurdedéfitraversesonregard.D’ungeste expert, elle déboutonne mon pantalon et fait disparaître sa main àl’intérieur. Quand ses doigts s’enroulent autour de mon membre, toutes lesconneriesquimepassaientparlatêtefondentcommeneigeausoleil.Jefermelesyeuxetprofitedesbienfaitsdecettemainmiraculeuse.Jeplacemonavant-brassurmesyeuxetfaislevidedansmatête.D’unmouvementdubassin,jeluifaiscomprendred’accélérerlemouvement.
UncoupsecfrappéàmaportemefaitjureretlavoixdeSplinterpasseautravers.
Faitchier!—Jace!Grandemessedanscinqminutes!Ilchoisittoujourssonmoment,celui-là.J’inspireunboncouppour reprendremesespritset faire refluer la tension
quihabitemoncorps.Enfin,c’estplutôtpourfairebaisserlapressionàunpointprécisdemonanatomie…
—T’asentendu,mec?—Ouais,c’estbon,j’arrive!Jereportemonattentionsurlafilledontlamainm’enserretoujours.—Bouge-toi,fautquej’yaille.D’un air déçu, elle se tortille pour me céder la place, puis sans plus me
préoccuperd’ellejeparsendirectiondelasalledebain.Commejenel’entendspasselever,jemetourneverselle.
—Tupeuxdégageretrejoindrelesfillesenbas.J’aiplusbesoindetoi.—Tuneveuxpasquejerestepouraprès?
—Non.Maissit’astantbesoindetefairesauter,vavoirlesprospects.Ilsvontavoirdutempslibrependantlaréunion.
Jememarreenvoyant sonairvexéetclaque laportede lapiècepour luifairecomprendrequejemefouscomplètementdesesétatsd’âme.Jemepassede l’eau sur le visage et lorsque jeme redresse,mon regard croisemon refletdanslemiroir.Encoreunejournéedeperdue.
Çafaitquatorzeansquej’appartiensauxBlackRiders.Jeremercieledestindem’avoirfaitcroiserlechemindePops,lePrés’.Maiscertainsjours,commeaujourd’hui, je le regrette. Je ne sais pas pourquoi j’éprouve ce sentiment cesdernierstemps,etsurtoutdequoijemeplains.Aprèstout, laviem’aoffertcequetoutlemonderêved’avoir:unefamilleavecleclub,dufricettoutuntasdenanasàdisposition.Maislefaitestquej’ail’impressiondeneserviràrien.
Jegrognedefrustrationquandjemerendscompteducheminqu’empruntentmesidées.Çanesertàriendes’apitoyersursonsort.Etpuisilnefautpasquejemeleurre.Quandj’étaisgamin,mondestinétaittouttracé:j’auraisfinicaméoujeseraismortbienavantl’heure.Popsaétéunebénédictionpourmoi.
La porte de la salle de bain s’ouvre en grand et la silhouette de Splinterapparaîtsurleseuil.
—Onyva.Iladûs’apercevoirquejen’étaispasdansmonétatnormalcarilmarqueun
tempsd’arrêt.—Çava,frère?C’estl’inconvénientquandonappartientàunclub,lesmembressonttoussi
soudésquedèsquel’und’euxcommenceàpartirenvrille,touslesautress’enrendentcompte.Onnepeutriencacher.
Jepassedevantluietluimarmonneuneréponsepourqu’ilmefoutelapaix.Maislesortenadécidéautrement,Splintermesuitcommeunclebs.
—Toncerveauaencoredécidédecarburer,petitgénie?À l’évocation de ce surnom, je serre les dents et essaie de me rappeler
pourquoijenepeuxpasluifoutremonpoingdanslagueule.Depuisdixans,ce
blasemecolleàlapeaucommeunchewing-gumsurlasemelled’unechaussure.Lesgarsme l’ont filé quand ils se sont rendu compteque j’avaisdes facilitésavecleschiffres.Ilsontmisdutempsàs’enapercevoiretj’enaipasmalprofité.Donnez-moi des colonnes de chiffres, un ordi, et je fais des miracles. Sur lepapier, je peux rendre millionnaire n’importe quel crétin. Mon cerveauphotographie tout. Jemémorise par exemple les cartes sans lemoindre effort,lorsd’unepartiedepoker,cequim’apermisd’amasserunpaquetdefric.Quandmesfrèress’ensontaperçus,ilsmesonttombésdessus,m’accusantdetricher,alorsqu’enfait,pourmoi,toutcouledesource.Jeparviensàdevinerlejeudechacun au fur et àmesureque les cartes tombent sur le tapis.QuandPops l’aappris, il y a vu une aubaine. Ilm’a obligé à suivre des cours de compta parcorrespondanceetdepuisjem’occupedescomptesduclubetdetouteslesboîtesquel’ongère.Cequej’aivécucommeunebénédictionaudébutestdevenuunesortedemalédiction,ettoutçaàcaused’unputaindesurnom.
Jem’engouffredansl’escaliersouslesrailleriesdeSplinter.Heureusementpourlui,nousarrivonsrapidementdanslapiècequinoussertdesallederéunionpourlagrandemesse.Ilcommençaitàmetapersérieusementsurlesystème,etàquelquessecondesprès,ilauraitfalluplusd’ungarspournousséparer.
Quand jepénètredans lapièce, tousmes frères sontdéjà installés et nousattendent.Jeprendsplaceautourdelatablecommemonrangdansleclubmelepermet,etj’attendspatiemmentquePopscommence.
Cedernierm’observe,silencieux,évaluantmonétat.Sonregardimplacableempêche quiconque de s’y soustraire. Je rive mes yeux aux siens et tente degarderunmasqueimpassiblepournepasluimontrerquec’estencorelemerdierdansmoncerveau.
Au bout de quelques secondes, il me fait un signe de tête imperceptible,commes’ilavaiteusaréponse,puisilannonceledébutdelaséance.
Cesréunionssedéroulenttoujoursdelamêmemanière:onfaitlasynthèsedecequi s’estpassépendant la semaineetdesproblèmes rencontrésavantde
planifierleboulotdechacunpourcelleàvenir.—Ok.Jace,cesoir,t’esdecorvéedesurveillancedansnotrenouveaubar,
celui qui est près du campus. T’en profiteras pour voir le gérant. T’iras avecDannyboyetSpider.Yaunesoiréedeprévueaveclesétudiants.
À lamissionqu’ilmeconfie, jegrimace.Devoir joueraubaby-sitterpourdesgaminsfriquésn’estpasvraimentmondélire.
Ce spot fait partie de nos activités légales. Pops a acheté un immeublel’année dernière, il l’a entièrement fait rénover et l’a transformé en bard’étudiants. C’était un coup de poker, mais en fin de compte c’est une belleaffaire,vulesprofitsqu’onentire.
CequePopsajouteensuitem’achève:—Yauramagosse,vouslagarderezàl’œil.—Aïe,ellevanousmassacrer,s’exclameSpidersuruntonplaintif.LePrés’semarreetsonairvicieuxconfirmelescraintesdemonfrère.—Exact.Maispourunefois,ellenepourrariendire.C’estpasmafautesi
lesorganisateursontchoisinotrebarpourlasoirée.—Elleestaucourantqu’ilnousappartient?jeluidemande.Sonsourirecarnassiern’annonceriendebon.—Non.— Oh putain ! Elle va nous faire une scène quand elle va s’en rendre
compte.Ilhausselesépaulescommesic’étaitledernierdesessoucis.—Siellevoulaitêtretranquille,ellen’avaitqu’àchoisirunautreÉtatpour
fairesesétudes.—Tunel’auraispaspermis,jeluidisd’unairentendu.Cesalaudn’exprimepaslemoindreremordsquandilconfirme,satisfaitde
lui.—Exact.Jesecouelatête,Popsestvraimentungrandmaladeavecsafille.Jeplains
letypequ’elleluiramèneraunjour.
L’exduPrés’,Janice,aembarquésagossedujouraulendemain.Ellesontdisparudans lanaturependantdixans.Dix longuesannéespendant lesquellesnousavons remuécielet terrepour les retrouver. Ilyadeuxans, lagaminearefait surfacequand samèreestmorted’uncancer.Ellen’avaitpluspersonnesurquicompter.Sursonlitdemort,Janiceluiaavouélavérité.Depuisleretourdesagamine,Popssemblerevivre,maisilestsurprotecteuretveutrattraperletempsperdu.
— Bon, je pense qu’on a fait le tour pour aujourd’hui. Quelqu’un veutajouteruntruc?
Comme personne ne répond, Pops frappe un coup de son marteau pourannoncerlafindelaséance.
—Ok.Danscecas,bougezvotreculetallezbosser.Jace,turestes,ilfautqu’onparle.
J’acquiesceetresteenplaceletempsquelesautresdéguerpissent.Unefoisledernierfrèrepartietlaportefermée,lePrés’attaqued’emblée.
—Toutvabien?—Ouais.Il plisse des paupières jusqu’à ce qu’elles deviennent deux minuscules
fentes,unmuscletressautesursamâchoire,signequ’iln’estpasdupe.—Jevaisfairecommesi je tecroyais.C’estpaspourçaquejevoulais te
voir.
Jerestesilencieuxetattendsqu’ilpoursuive.—Ce soir, aubar, tu veilleras bien aux entrées et sorties des clients.Des
bruits courent sur le cartel mexicain qui veut notre territoire et commence àdealer…Sit’aperçoisundecesenfantsdesalauds,tuluirèglessoncompteettufaispasser lemessagequec’estcheznousetqu’onneveutpasdeleurmerde.Onnefaitpasdanscetrafic!
—Çamarche,Prés’.—Soisvigilantaveceux.Pourlemoment,l’ATF 1etlapolicelocalenous
laissent tranquilles. Ce bar nous rapporte un paquet de fric, je veux pasd’embrouille.
—T’inquiète,jesaisquoifaire.—Bien.VarejoindreSpideretDannyboyetfilezaubar.Çavouslaisserale
tempsdevoirsitoutestenordreavantl’arrivéedesétudiants.—Ok.Alorsquejemelève,ilm’interpelleànouveau.—Jace…Pourmafille…Jelecoupeavantqu’ilmerappellecequejedoisfaire.—Tusaisquec’estunegrandefille.Elleavingtans!—Ouais…C’estjustequedepuisquejel’airetrouvée…Illaissesaphraseensuspens,iln’apasbesoindem’endireplus.Jesaispar
oùilestpassé.—T’asconsciencequ’ellevam’enmettrepleinlatronchedèsqu’ellevame
voir.Sonexpressiondedésarrois’effaceetilaffichelesourired’unpèrefierde
saprogéniture.—Ouais,elletientçademoi.Quandils’agitdesafille,jepréfèrelâcherl’affaireplutôtqued’essayerde
luifaireentendreraison.AlorsjelaboucleetquittelapièceavecPopsdansmonsillon.
Dèsquejepénètredanslagrandesalle,jecaptedesuiteleregarddeSpideretluilancelesignaldedépart.Jem’approchedeDannyboy,undenosaspirants.Çavabientôtfaireunanqu’ilfaitsespreuvesdansleclubentantqueprospect.Cegaminsedébrouillebien.D’aprèscequelePrés’alaissésous-entendre,ilnevapas tarderà lancer lacérémonied’intronisationpour l’accueilliren tantquemembreofficiel.
—Viensgamin,t’esavecmoipourcesoir.J’esquisseun sourirequand jevois son regard s’illuminer comme si je lui
offrais leSaintGraal.Cemômeenadanslepantalonetestplusquemotivéàmontrersadéterminationàfairepartieduclub.J’ignorequelleestsonhistoire,mais connaissantPops, il a dû le récupérer je ne sais oùpour l’extirper d’unesituation merdique, comme il l’a fait avec moi. C’est une des grandes
caractéristiquesduPrés’, ilessaiedesauver toutes lesbrebisgaleuses.Maissionluienfaitlaremarque,ilserenfrogneetnousfoutsonpoingdanslagueulepourmontrerqu’ilpeutaussiêtrelepiresalauddesonespèce.
***
Depuisuneheure,jesuisdanslebureaudugérantdubaretjemeretiensdeluisauteràlagorgedepuisàpeuprèsautantdetemps.Letypeestcomplètementtétaniséparmaprésence.Bonsang,jenevaispaslebuter!Pourunefoisquejetombesuruntypequifaitdubonboulot…
Mêmeleverredebourbonquejeluiairefilénesuffitpasàlecalmer.Jesuisàdeuxdoigtsdecraqueretdepassermesnerfssurlui.Pouréviterlecarnage,jedécidede reportermonattentionsur lemoniteurdecontrôleetdevérifierquetoutsepassebiendanslasalledubar.Lesétudiantsontcommencéàentrerilyaquelquesminutesetjenevoudraispasqu’ilyaitlemoindreproblème.J’écoutesoncompterendud’uneoreilledistraitequandunechevelureblondeapparaîtsurl’écran. J’oublie la présence du type et me focalise sur la fille. J’esquisse unsourirequandjerepèresonpetitmanège.Aussiredoutablequesonpère,celle-là.Moncôtéemmerdeurprendledessus,l’occasionesttropbelle.J’interrompslemecenpleindiscoursetmelève.
— Trouve-moi les papiers que je t’ai demandés. Je reviens dans cinqminutes.
Puissansluifournirplusd’explication,jequittelapièce.
1. Alcohol, Tobacco and Firearms (Brigade de répresion contre les trafics d’alcool, de tabac etd’armesàfeux)
3
Hayley
En route pour le bar, Beverly parle à bâtons rompus avec Cameron, lecolocatairedeBrandon.Lesgarçons sontvenusnouschercherunpeuplus tôtafinquenousallionsà lasoiréeensemble. Jen’aipasencoreeu l’occasiondediscuteraveclui,maisilsembleêtrelegenredepersonned’unnaturelenjouéetavectoujoursuneblagueàraconter.
Brandonprofitequenosamissoientplongésdansleurconversationpourmeprendreàpartetmedemanderàvoixbasse:
—Pastropinquiète,pourcesoir?—Unpeu.—Sit’asbesoin,jesuislà.Tulesais?—Oui,maistudoisaussipenseràt’amuser.—Net’enfaispaspourmoi,GlitterGirl.Beverlyseretourneversnousetnouslanceunregardintrigué.Aumêmemoment, Cameron interpelle Brandon à propos des inscriptions
pourl’équipedefootdel’université.Alorsquelesgarçonsselancentdansunediscussionfrénétiquesurlespronosticsdesmatchsàvenir,Beverlymerejoint.
—Qu’est-cequ’ilyaexactement,entreBrandonettoi?—Commentça?—Vousêtesplusquebonsamistouslesdeux,non?Chaquefoisquet’es
danslesparages,iltecouveduregardetsembleprêtàsauteràlagorgedecelui
quit’approcheraitdetropprès.— Notre relation est compliquée à expliquer. Disons que je le considère
commeunfrère.Beverlyrestesilencieusequelquetempspuisreprend:—Pourquoij’ailesentimentqu’il teprotègedequelquechose?Ilsemble
toujoursinquietpourtoi.Jemeraidislégèrementcar,sanslesavoir,elles’approchedelavérité.Jene
pensaispasquenotrerelationétaitaussitransparente.Pourbrouillerlespistes,jedécidedeluiavouerunepartiedemespeurs.
—Disonsqu’ilsaitquejen’aimepaslafouleetquej’angoisseàl’idéedecettesoirée.
Notre arrivée au bar empêche ma colocataire de pousser plus loin soninvestigation.Tandisquelesgarçonsnousrejoignent,elleglissesonbrassouslemienpuismechuchote:
—Jepeuxcomprendre.Ettupeuxcomptersurmaprésencepourt’aideràsurmonter cette épreuve ce soir. Si t’as besoin d’aide, tu m’appelles etj’accours!
Jeluiadresseunsouriretimideetnousnousdirigeonstousversl’entrée.
Deuxvigilesàlaminepatibulaire,chargésdefiltrerlesarrivants,nousfontfaceetnousobserventpendantuninstant,puisd’unmouvementdetête,ilsnousfontsignedepasser.
Unefoisàl’intérieur,c’estàpeinesinousavonseuletemps,lesgarçonsetmoi,d’observerleslieuxetledécorqueBeverlylancesesordres:
—Lesgars,alleznoustrouveruneplace.Hayleyetmoi,onsechargedesboissons.
Paniquéeà l’idéedequitterBrandonaumilieude la foule, je lui lanceunregard de détresse. Il me rejoint en une fraction de seconde, mais Beverlyl’interceptetoutenraffermissantsaprisesurmonbras.
—Net’inquiètepaspourelle,jem’enoccupe.Jesaisqu’ellealatrouilledelafoule,jenelaquitteraipasd’unesemelle.
Malgrésontonconvaincant,Brandonrefuse.
—Jevousaccompagne.—Pasquestion,tuvasfoutremoncoupenl’air.—Quelcoup?—Celuideréussiràcommanderdel’alcool.—Et comment tuvasparvenir à cemiracle ? luidemande-t-il d’unevoix
mordante.Elleattrapesonsacetensortunecartequ’elleagitesouslenezdesgarçons
d’unairnarquois.—Toutsimplementavecceciquistipulequej’aiofficiellementvingt-et-un
ans.Puissansrienajouter,ellem’entraîneavecelleetnousnousdirigeonsdroit
verslebar.Jejetteuncoupd’œilpar-dessusmonépaule.Brandonn’apasbougéet continueàme fixer,prêt àbondir aumoindre signedepaniquedemapart.Rassurée de le savoir sur le qui-vive, je laissemesmuscles se détendre et jedécided’essayerdesurmontermesangoisses.
Commepromis,Beverlyrestecolléeàmoi.Quanduntypemebouscule,jem’agrippeunpeuplusàelle.Ellemelanceunregardrassurantetarticule«Jesuislà».
Nousparvenonsànousfaufilerentrelesétudiantspouratteindrelecomptoir,mais une fois devant lui, l’inquiétude me gagne à nouveau. Je ne suis pasconvaincueparlecoupdelacarted’identité.
Nouspatientonspendantquelebarmanfaitglisserunverredebièresurlasurfacedubarpourundesclientssituésunpeuplusloin.Puisilnousfaitsignequec’estànotretour.QuandBeverlycommandequatreverresdevodkaorange,il lui demande sa carte d’identité. J’observe la scène avec appréhension et leregardsoupçonneuxdutypenemerassurepasdutout.
Discrètement,jeglisseàmacolocataire:—Tuessûredetoncoup?Ilvaserendrecomptequec’estunefausseeton
vanousmontrerlasortiedirect.—T’inquiète.Connaissant la personnequime l’a fournie, pas lemoindre
risquedesefaireprendre,mêmeunflicseferaitavoir.
Àpeinelaphraseprononcée,lesourireassurédemonamievacille.Ellefixeunesilhouettequivientdeseplacerderrièrelecomptoir,àcôtédubarman.
D’unmouvementrapidedelamain, lenouveauvenuinterceptelacartedeBeverlyquisemetàjurerentresesdents.Sonattitudem’interpelleetjedécidedereportermonattentionsurl’hommequiestparvenuàfairedoutermonamiepourtantsisûred’elle.
Cetypeesttoutsimplementflippantet…incroyablementsexy.Ilémanedesapersonneuneauradepuissance,dedanger,même.
Lebarestassezsombre,seulelalueurbleutéedesledsderrièreluil’éclaire,cequiamplifiesonallureintimidante,déjàbienmarquéeparseslargesépaulesetsahautetaille.Jenesuispasuneadeptedeshommesauxcheveuxlongs,maispourluijesuisprêteàfaireuneexception.Blondfoncé,ilssontrassemblésenunequeue-de-cheval.Unemècherebelles’enéchappeet,d’unmouvementdelamain,illaramènederrièresonoreille.
Satêteestpenchéesurlacarted’identité,cequim’empêchededétaillerlestraitsdesonvisage.Jereportedoncmonattentionsursesvêtementspourobtenirunpeuplusd’indicesleconcernant.Au-dessusdesont-shirt,tenduparcequejedevine être une puissante musculature, il porte un gilet en cuir découpé auxépaules.Plusieursécussonslerecouvrentmaisd’oùjesuis,jeneparvienspasàlire ce qui est écrit dessus. Mon examen est rapidement interrompu lorsqu’ilsecoue la tête, les yeux toujours rivés sur la pièce d’identité. Une fossette secreuse sur sa joue droite tandis que ses lèvres esquissent un sourire amusé. IllèvealorssonvisageendirectiondeBeverly.
Çadevraitêtreillégald’êtreaussibeau!Enplusd’avoiruncorpsdignedeceluid’Apollon, sonvisagen’estpasen reste.Rienn’est à jeter,pasmême lapetitecicatricequiluibarrelesourcilgauche.Àcausedeslumièrestamiséesdubar,jenevoispaslacouleurdesesiris,maisjepourraisjurerqueleurteinteestincomparable.
—J’aidûlouperquelquesanniversaires,petitesœur.Ohbonsang!Mêmesavoixestsexy!Malgrélamusique,sesintonationsgravesetchaudesmeparviennentetme
provoquent une vague de frissons. Cependant, mon instinct me dit qu’elles
peuventdeveniraussitranchantesqu’unelamederasoirsiquelqu’unvientàleprovoquer.
Alorsqu’ilfaittournerlacarteentresesdoigts,Beverlysepenchesurlebaretessaiedel’attraper.Sonattitudeamplifiel’amusementdutype.D’untonpleindehargne,elleluienvoie:
—Rends-moicettecarte.—Ok.Maisavant,tuvasmedirequitel’arefilée.D’unsourirerusé,ellerépond:—C’estPops.L’homme ouvre des yeux ronds comme des soucoupes. Vu son regard
admiratif,jesupposequeBeverlyadûréaliseruncoupdemaîtrepourobtenirunservice de ce fameux Pops. D’ailleurs, ce que le type ajoute confirme mesdéductions.
—Merde…Rappelle-moidet’envoyerenémissairelejouroùj’auraibesoindeluidemanderuntruc.
—Méfie-toi, papam’a toujours dit que chaque service rendu demande sacontrepartie.
J’ai ma réponse : Pops est le père de Beverly. C’est curieux qu’un pèredonneunefaussecarted’identitéàsafille.Jeconnaisbonnombredepersonnesquil’envieraientrienquepourcetteraison.
Leriregraveetbrefdel’hommesexymefaitreveniràlaconversation.—Jenesaispaslequeldesdeuxestleplusredoutable:tonpèreoutoi.— Je diraismonpère, ilm’a eue sur ce coup-là, lui répond-elle avec une
mouedésabusée.—C’étaitquoiledeal?—Quejeparticipeàdifférentsrunsavecleclub.Etplusparticulièrementà
celuiquialieudansquinzejoursauSilverlake.—Malin,lebougre.—Toutçanemeditpascequetufouslà?
C’estalorsquelevisagedel’inconnudevienthilare,commes’ilsavouraitcemoment.Illuirendsacarted’identitépuisposesesmainsàplatsurlasurfaceducomptoir.Jeréprimeunhoquetdesurpriseenvoyantlestatouagessursesbras.L’un d’entre eux attire plus particulièrement mon attention. C’est unereprésentationdelafaucheuse,sesyeuxmefixentetsemblentprendreviesousleroulementdesesmuscles.Hypnotiséeparleslignesquis’étirentsursapeau,c’estàpeinesij’entendssaréponse.
—Alorsc’estvraiquet’espasaucourant!—Aucourantdequoi?rétorquemacolocataire.—T’esdansunbarquiappartientauclub,petitesœur!—Quoi?—Tonpèreadécidéd’investiriciilyaunan.Cebarestànous.—Bonsang!Detouslesbarsprochesducampus,ilafalluquecettesoirée
sepasseici!—Ouais.Etpourunefois,tonpèren’yestpourrien.—Ilestaucourantquejesuislà?Unhochementdetêtedesapartconfirmesessoupçons.—Etjepariequ’encemomentmêmeilsemarre,petitesœur.—Argh!Arrêtedem’appelercommeça!—C’esttonfrère?Dèsl’instantoùlaquestionfranchitmeslèvres,jeregretted’êtreintervenue
danslaconversation.Letypereportesonattentionsurmoiethausseunsourcilinterrogateur qui semble vouloir me dire « Qui es-tu pour nous couper laparole?».
Visiblementagacéd’avoirétéinterrompu,ilplisselesyeux,qu’ilfaitglisserde mon visage jusqu’à ma poitrine, seule partie visible derrière le bar.L’expression « être déshabillé du regard » prend soudain tout son sens. Ilmefixeavecunetelleintensitéquej’ail’impressiond’êtreunebichehypnotiséeparlespharesd’unevoiture.LaréponsedeBeverlymedélivredesonemprise.
—Non,c’estjusteunemmerdeurdepremièreàlabottedemonpère.Ilme jetteundernier regardavantdereportersonattentionsurmonamie.
Pas du tout offusqué par la réponse de cette dernière, il lui lance sur un ton
joueur:—Tumedéçois,petitesœur.Jepensaisqu’entrenous,ilyavaitplusqueça.Lamine renfrognée,Beverly ne prend pas la peine de répondre. Toujours
amusé,l’inconnuseretournealorsverslebarman:—DisàunedesserveusesdelesplacerdanslecarréVIPetdeleurservirce
qu’ellesveulent.Puisàl’adressedemonamie:—Jet’affecteDannyboypourlasoirée.Tul’informesdetesmoindresfaits
etgestes.Jeveuxpasqu’ilt’arrivequelquechose,Popsmetomberaitdessusetj’aipasbesoindeça.
—Écoute,j’aivraimentenviedepasserunesoiréeavecmesamissansavoirunchiendegardederrièremoi.Jen’aipasbesoindeDannyboyetencoremoinsd’un carré VIP. Ce soir, c’est ma soirée d’intégration, je ne veux voir aucunmembreduclubdemonpèretournerautourdemoi.
J’assistealorsàuncombatmuetentrelesdeux.Vuleregardqueletypeluilance, j’ai des doutes quant aux chances deBeverly de gagner la partie,maiscontretouteattentec’estluiquifinitparabdiquerlepremier.
—Commetuvoudras,petitesœur.Sers-leurcequ’ellesveulent,adresse-t-ilensuiteaubarman.
Cedernier acquiesce sans riendire.Admirativede sesgestes, je l’observepréparernosconsommationsenuntourdemain.Ducoindel’œil,j’aperçoisunautrehommeparleràl’oreilledutypebaraqué.Cedernieracquiesce,luirépondàvoixbasse,puisilfaitunsignedetêteàmonamieets’enva.
Unefoisnosverresenmain,nousreprenonsnotrecheminensensinverseàlarecherchedesgarçons.Letempsdelesretrouver,jenepeuxm’empêcherdeluidemander:
—C’étaitquicetype?—C’estJace.Unmembreduclubdemonpère.—Duclub?—Oui,monpèreestprésidentd’unclubdemotards.
Mon cerveau fourmille de questions, mais Beverly semble être sur ladéfensive et j’ai l’impression d’entrer sur un terrain miné. Je préfère restersilencieuseetattendrequ’ellem’endiseunpeuplus.Monstratagèmefonctionnepuisque,rapidement,ellecommenceàselivrer.
— Pour tout te dire, je ne sais pas trop comment ils fonctionnent. Je nesavaismêmepasquemonpèreétaitpropriétairedecebar.Çanefaitquedeuxansque jevis avec lui et il restediscret sur les affairesduclub.Avantque jepartedelamaison,quandj’étaispetite,Jacevivaitdéjàcheznous.
—Tonpèrel’aadopté?—Non.Je…Écoute,çamegênedeparlerdeJace.Jenesuispassûrequ’il
apprécieraitquejedéballesavieàuneinconnue.—Jecomprends.Moi-même jen’aimeraispasque lesgensparlentdema
viedansmondos.
Nous apercevons les garçons assis à une table dans un coin du bar. Cesderniers n’ont pas perdu de temps pendant notre absence et sont en pleineconversation avec un groupe de filles. Brandon m’aperçoit et laisseimmédiatementtombercelleavecquiilparlaitpourvenirmerejoindre.
—Toutvabien?—Parfaitementbien.J’aitenulecoup.Alorsque je lui tendssonverre,nouséchangeonsunregardcomplice.Lui
comme moi savons que je viens de remporter une petite victoire. Il lève saboissondansmadirectionetnoustrinquonstouslesdeux.
—Àtanouvellevie,GlitterGirl.
Aufuretàmesurequelasoiréesedéroule,jemesensplusenconfianceetdétendue.Brandonrestetoujoursprèsdemoi.Prisederemordscarc’estaussisasoirée,jeluifaissigned’allerverslesautres.Jevoisbienqu’ilmeurtd’enviedesejoindreàeux.
Alorsquejesirotetranquillementmonverre,unétudiantpasseprèsdenotretable. Son regard se pose surmoi avec un peu d’insistance. Je lui adresse un
sourire crispé pour lui faire comprendre de passer son chemin.Malheureusement,ildoitleprendrepouruneinvitationetvientseglisserprèsdemoi sur la banquette. D’un seul coup, monmal-être réapparaît et je me sensoppressée.Uneenviesubitedequitterleslieuxsefaitressentir.J’ail’impressiondemeretrouvercoincéeetdemanquerd’air.Cequejeredoutaistantestentraindeseproduire,unevaguedepaniquecommenceàm’envahir.
Jene saispascomment jeparviensàmesortirde l’emprisedumec,maissansm’enêtrerenducompte,jesuisdéjàdehorsàinspirerdegrandesboufféesd’air frais. J’ai besoin d’être seule et au calme. Il y a une ruelle non loin del’entréedubar, jem’y faufile.Elle est faiblement éclairée,mais je savoure satranquillité.Sijen’avaispasétéaussipaniquée,jenemeseraiscertainementpasaventuréeici.Maispourlemomentmonseulobjectifestdem’isoler,loindelamusique,loindelafoule.Ilfautquejerecouvremoncalmeavantd’êtreaspiréeparmesdémons.
Jem’adosse contre lemur de la ruelle dans laquelle j’ai trouvé refuge etj’effectuemesexercicesderespiration,commeBrandonmel’aappris.
Inspire.Expire.Inspire.Expire.Inspire.Expire.Jemerépètequejesuistapiedansl’ombreetquepersonnenepeutmevoir.
Peu à peu,mon esprit se reconnecte à la réalité etmon sentiment de paniques’effacelentement.C’estalorsquej’entendsdesvoixmasculinesvenirdansmadirection.Àleurintonation,jedevineimmédiatementcequivaseproduire.
C’estbienmaveine.
Troissilhouettesapparaissentdansmonchampdevision.Jem’enfonceunpeuplusdansl’obscuritédelaruellepournepassignalermaprésence.Jen’aipasenvied’êtremêléeàcequivasuivre.Undes typesestplaquébrutalementcontre le mur par celui qui a la silhouette la plus impressionnante que j’aiejamaisvue.Letroisièmehommesetientunpeuenretraitcommes’ilfaisaitleguet.D’uncoup,lecorpsdeceluiquej’imagineêtrel’agresseursetendet,sansprévenir,ilenvoieundirectdansl’estomacdugarsquiestacculécontrelemur.
Sous la violence du choc, l’homme se plie en deux. Son gémissement meparvient aux oreilles et m’arrache une grimace de pitié. Des bribes deconversation m’atteignent et je comprends vaguement de quoi il retourne. Ilsembleraitqu’ilsoitquestiond’uneaffairededrogue.
—Onveutpasdetamerdeici!Disàtonboss…—…notreterritoire…—…représailles.Jenecaptepasgrand-chosedeplusavantque l’agresseur,quisemble tout
comptefaitêtreduboncôtédelabarrière,sedéchaînesurledealer.Lescoupssemettentàpleuvoir.Aufuretàmesurequesespoingss’abattent,lasilhouettedudealers’affaissedeplusenplusetfinitparglisseràmêmelesol.C’estalorsqueletroisièmehommeintervientetposesamainsurl’épauleduchef.
— Frangin, le message est passé. Si tu l’amoches encore plus, il seraincapabledeparleretdetransmettrelemessageaucartel.
L’homme qui a interrompu le combat me tourne le dos. À la lueur duréverbère sous lequel ils sont placés, j’aperçois mieux des détails de sesvêtements, notamment son blouson. Je parviens à déchiffrer les différentsécussons cousus dessus. Le plus grand occupe la moitié de la surface etreprésenteunefaucheuseavecunefaucilleàlamaingaucheetunflinguedanslamaindroite.Çafaitfroiddansledos.Jen’aijamaiscomprispourquoicertainespersonnes aiment porter des vêtements sur lesquels lamort est représentée. Jepoursuis mon inspection et lis l’inscription de l’écusson du dessus : « BlackRidersMC».Cedessinmeditvaguementquelquechose,maisencoresous lechocd’avoirassistéàlascènedelabagarre,jeneparvienspasàmerappeleroùjel’aivu.
Le type qui se prenait pour un boxeur il y a quelques minutes semblereprendre ses esprits et sortir de sa transe. Sous l’effort ou l’adrénaline, sapoitrine se soulève rapidement, ses poings sont toujours serrés le long de soncorps.
—Ouais.PrendsDannyboyavectoietjette-lesursonterritoire.
Puis, comme s’il se sentait observé, il se tourne dans ma direction. Je lereconnaisimmédiatement.Jenesaismêmepaspourquoijenel’avaispasdevinéjusqu’àprésentalorsquetouslesindicesétaientlà,sousmesyeux:leblouson,lasilhouetteimposante,etsurtoutcettevoix.Jace.
Ilmarmonnequelquechoseàsoncopainavantdesedirigerlentementversmoi, sansme quitter des yeux. À son approche, une peur insidieuse s’infiltredansmonesprit.Sadémarchetranquille,commes’iln’étaitpasinquietd’avoireuuntémoindesonaltercation,lerendencoreplusintimidant.Plusilapproche,mieuxjediscernesonregard,et j’ai l’impressiond’êtreànouveaudanslebar,hypnotiséeparsonintensité.
Inconsciemmentmespasmeconduisentversluijusqu’ànousplacersousunfaisceau de lumière. Son assurance et sa carrure imposante lui donnent uncharmeviril.Ilsetientdevantmoietjeréalisequ’ilestplusâgéquemoi.Ilmesurplombedetoutesahauteuretj’enoublieraispresquederespirer.Cethommea un côté fascinant. Ilme donne chaud et froid enmême temps et au lieu deressentirde lapeur,commec’est lecasd’habitude,unecertaineexcitationmegagne. À cause de l’obscurité du bar, je n’ai pas pu réellement distinguer lacouleurdesesyeux,maisàlalueurduréverbèrequisereflètesursonvisage,jepeux enfin la découvrir. Ils sont gris, un gris froid comme l’acier, et j’ail’impression qu’ils me transpercent jusqu’au plus profond de mon âme. Sonvisage est fermé, aucune émotion ne le traverse. Seule la dilatation de sespupillesnoirescontrastantavecl’éclatargentédesesirismontrequ’ilesténervé.
Alors qu’ilme scrute sans gêne, j’essaie de garder unmasque impassiblepournepasluimontrertouteslesémotionsqu’ilfaitnaîtreenmoi.
4
Jace
Cettefilleestsoitcomplètementinconsciente,soitidiote.Qu’est-cequ’ellefouttouteseuledanscetteruelle,àlamercidumoindredétraqué?Merde,onestàL.A.,pasaufinfonddelacambrousseoùilyaplusdevachesqued’habitants.Elleignorelenombredeperversquipeuventtraînerdanslecoinàcetteheure-cidelanuit?
Jemedécidefinalementàprendrelaparole.Mavoixestplusmordantequejenelevoudrais,maisellel’acherché.
—Jenesaispasdansquellecatégorieteclasser.Faceàsonairperplexe,j’ajoute:—Soitt’esidiote,soitt’esunefillequicherchelesemmerdes.Ellerestetoujoursmuetteetçacommenceàmegonfler.Surtoutparceque
j’ail’impressionquelesrôlessontinversés.Cettenanamedéstabilisepouruneraisonquej’ignore.Yauntrucchezellequim’empêched’agircommejelefaishabituellement. D’ordinaire, je l’aurais branchée pourm’amuser un peu,maisavec elle c’est comme si mes instincts primaires étaient verrouillés. Un brefchangementd’attitudeenellem’annoncequ’elleestsurlepointdemerépondre.
—Disonsquejesuisunefillequisaitquelaviepeutréserverdessurprisesetqueparfoisellesnesontpassibonnesqueça.
Putaindemerde!Çasortd’où,ça?
Habituellement, je les effraie toutes. Elle aurait dû se barrer en courant,surtoutaprès la scèneà laquelleellevientd’assister,maiscontre touteattente,ellemetienttête.C’estunepremière.
—Hayley!Lafillesursauteetsetourneversletypequivientdel’interpelleretquise
dirigedroit sur elle.Sans sepréoccuperdemaprésence, ilme contournepuisenrouleunbrasprotecteurautourd’elle.Luiaumoinsilestfuté,ilacomprisledanger.
—Tuvasbien?Ilmelanceuncoupd’œilsuspicieux,luichuchotequelquechoseàl’oreille
etl’embrassesurlatempe,histoiredebienmarquersonterritoire.Ilauraitpuluipissersurlajambecommeunsaleclébard,çaauraiteulemêmeeffet.
Sonattitudesupérieuredefilsàpapam’agace,etdepetitfutéilpassedirectàpetitcondansmonesprit.Ilseprendpourqui?
Sonregardseposesurmesphalangesbousilléesàlasuitedescoupsquejeviens d’assener au type. Je réalise l’image que je dois rendre avecmesmainsamochées,lescheveuxenbatailleetl’adrénalinequin’apasencorequittémoncorps.Jedoisavoirlatêted’unfoufurieux.
— Tout va bien, j’avais besoin de prendre un peu l’air, répond-elle englissantunregarddansmadirectionavantd’ajouterd’unevoixhésitante:c’estunamideBeverly,ilm’atenucompagnie,enquelquesorte.
CemerdeuxrapprocheHayleydeluietm’assèned’untonsuffisantquimefaitcrisperlespoingsànouveau:
—Jeprendslerelais,maintenant.
Ohoh,mec.Onnesedébarrassepasaussi facilementdemoi…Moncôtéemmerdeur revient au galop et je ne peux m’empêcher de répliquer uneconnerie.
—Mabelle,siunjourtutelassesdustylefilsàpapa,viensmevoir,tuneseraspasdéçue.
Jeponctuemaphraseparunsourireencoin,celuiquilesfaittoutestomber.Apparemment il fonctionne sur elle aussi car,même si on est dans une ruellesombre,jepourraisjurerqu’ellepiqueunfard.Jenefaisjamaisdanscegenredefille,maisrienquepourfairechiersonmec,j’aienviedelaprendrepourcible,histoiredem’amuserunpeu.Quisait,jepourraisêtreagréablementsurprisetçamechangeraitdetouteslespétassesquejemetape.
Imperceptiblement elle se raidit, et soncopain seplaceunpeudevant ellecommepourlaprotéger.C’estbonsigne,ilasentiledangerquejereprésente.
—Viens,GlitterGirl,onrejointlesautres.Elleacquiesceetsuitsonpetitcopainsansprononcer lemoindremot.Elle
faitquelquespas,puiselleseretourned’uncoupetcequ’elleditmesurprend:—Àundecesjours!Merde, pourquoi elle dit ça ? Je jure intérieurement quand je me rends
comptequemêmesi sur lecoup jene lacomprendspas, sa répliquemeplaît.Putainmaisqu’est-cequimeprend?
Avantquejeneprononcequoiquecesoit,ellemefaitunsignedelamainetrepartavecsonmec.L’imagedecepetitconquil’enlaceparlataillem’énerve.Maisl’emmerdeurquejesuisneselaissepasabattreetavantqu’ellenerentreànouveaudanslebar,jeluilance,pouravoirlederniermot:
—Jace!Elleseretourneunedernièrefois,jepeuxlirel’interrogationdanssesyeux.
Jeluiexpliquealors:—Monprénom…C’estJace.Ellebaisseuninstantlatête,larelève,sesyeuxbrillentd’unéclatparticulier
etc’estlesourireauxlèvresqu’ellemerépondunsimple:—Jesais.
Cequ’ellenesaitpas,c’estquejeviensdeplacerunpiondansnotrefuture
partied’échecs.CeBrandondemesdeuxlaregarde,s’attendantàuneexplicationsurnotre
échange.Ellesecontented’agiterlamaindevantlui,luifaisantsignedenepaschercheràcomprendre.Cetteattitudemeplaît,c’estuntrucentreelleetmoi.
Comme le salaud que je suis, je ne peux m’empêcher de penser « T’esbientôthorsjeu,Brandon».
En prenant conscience de la teneur de mes pensées, je secoueimperceptiblementlatête.Jesuiscomplètementcon!
5
Hayley
Lesquinzepremiersjoursdecoursontfiléàunevitessevertigineuse.Jenemesuisrenducomptederien.J’aipassélaplupartdemontempsàcouriraprèsmes professeurs pour faire valider mon inscription à leur cours. J’aisuffisamment d’UVàmon actif pour gagner un semestre et ainsi obtenirmondiplômed’assistantesocialeplusrapidement.Maismaplusgrandefiertédecesderniers jours est l’obtention d’un stage dans un centre de bénévoles pourenfantsdéfavorisésouvictimesdemaltraitances.
AvecBrandon,nousavonsétablilerituelducafédumatin.Audébut,iln’yavait que lui etmoi.C’était notremoment, que je savourais en l’écoutantmeracontersesdéboiresdelendemaindefête.Demanièrecomique,ilmedécrivaitsesscènesde«sauvequipeut» lorsqu’ilquittait lachambredesavictimeaulever du soleil. Ensuite, Beverly et Cameron ont commencé à prendre part ànotrerituel.Depuisquelquesjours,unecinquièmepersonneestvenuerejoindrelesrangs.Ils’agitdeJune,uneTexanequisuituncursusd’artdramatique.Onl’arencontréelorsdelasoiréed’intégrationetsachambreestsurlemêmepalierque la nôtre. C’est donc tout naturellement que nous l’avons intégrée à notregroupe. C’est une fille complètement loufoque et gaffeuse,mais pour rien aumondejenevoudraislachanger.Elleauncœurenor.
—J’aibesoindevotreaide.Beverly s’installe à notre table dans la cafétéria alors que nous nous
apprêtionsàpartirpourrejoindrenossallesdecoursrespectives.—Qu’est-cequit’arrive?Elle attrape le gobelet qui était placé devant moi, boit une gorgée puis
soupire.—Jesuisdanslamerde.Je commence àm’habituer à ses grands airsmélodramatiques, alors je lui
répondssimplement:—Raconte.— T’es au courant que c’est mon père qui m’a refilé ma fausse carte
d’identité?—Oui.D’ailleursc’estplutôtcooldesapart.Elleafficheunemouedubitativeàmespropos.— Hum… Bref, en échange, il m’a demandé de participer au run des
Silverlake.—Lerun?—C’estunesortederassemblementdebikersdetoutlepays,maislescivils
–c’est-à-diredespersonnescommenous–peuventyparticiper.Ilyapleindeconcertsdeprogrammés,etl’alcoolcouleàflots.Engénéral,çaduredeuxjours,donclesgenscampentsurplace.
Jehausselesépaules,perplexe.—Oùestleproblème?Çaal’airsympa!— C’est cool que tu trouves ça sympa, car j’ai l’intention de vous y
emmener. J’ai pas envie deme retrouver aumilieu de tous lesbikers demonpère.
—Pourquoi?—Disonsqu’ilsmemettentmalàl’aise…—Tonpèreneteprotègepasd’eux?—Non,çan’arienàvoir,ilssontsupersympasavecmoi.Ilssonttousun
peu des oncles hyper protecteurs, c’est juste que je n’ai pas grandi dans cetuniversetquepourmoic’estlechocdescultures.
—Donctuveuxqu’onvienneavectoi?—C’estça.Onpourraitavoirnotreproprecampement,jeferaisdessautsde
temps en temps au leur, histoire de faire plaisir àmon père.Mais on pourraits’amuser,surtoutqu’ilyadesconcertssuperauprogramme.
—C’estquand?—Çacommencecesoir.Dites-moiquevousêtespartants!Jeréfléchisuninstant,retournantlasituationdansmonesprit.J’aienviede
direoui,maisrienqu’àl’idéedemeretrouveraumilieudebikerstoutunweek-end,jesuisterrifiée.J’aipeurdenepasmecontrôleretd’avoirencoreunecrisedepanique.L’autresoir, j’ai réussià la jugulerinextremismais jenesuispascertaine d’y parvenir à nouveau. Ces crises arrivent toujours sans prévenir. Ilsuffitd’unmot,d’uneodeur,d’unemusiqueoud’unebousculadepourqu’ellessurgissent.
Alors que je m’apprête à lui dire non, l’image de Jace dans la ruelles’immiscedansmespensées.Jerevoislascènelorsquejel’aientendumecriersonprénomdesavoixrauqueetchaude.Jemesouvienssurtoutdelaréactiondemon corps et quemon cœur s’est emballé comme jamais.Ce soir-là, quelquechoses’estproduit.Unpeucommesilemurquej’aiérigéautourdemois’étaitlégèrementfissuré.Jesaisbienquejenereprésenterienpourlui,jenemefaisaucuneillusion.C’estàpeines’ilm’aprêtéattentiondanslebar.Maisdanslaruelle,pendantuncourtlapsdetemps,saprésenceasuffiàmetransformeretàmefairesentirdifférente.Cen’estpasflagrantmaisj’aieul’impressiond’avoirfranchiuntoutpetitpasverslaHayleyquejesouhaitedevenir.Etj’aienviedelerevoirpourconfirmercettesensation.
Jemelancedoncavantquemaraisonnereprenneledessusetm’intimedefairemarchearrière.
—C’estbonpourmoi,tupeuxcomptersurmaprésence.Brandon,mutiquejusqu’àprésent,décided’intervenirdanslaconversation.—T’essûredetoi,GlitterGirl?—Oui.Jen’avaisriendeprévuceweek-end,detoutefaçon.—Situyvas,c’estokpourmoiaussi.
—Parfait!Parles-enàCameron.Demoncôté,jemechargedeJune,maisjesaisdéjàqu’onpourracomptersurelle.
—Juneaumilieudebikers, jedemandeàvoir.Passûrque les typess’ensortentvivantsavecelle.Etjenelouperaisçapourrienaumonde!
On se met tous à rire parce que Brandon a visé juste : June ne va fairequ’unebouchéedecesbikers.
—Onserejointtoussurleparkingprincipalcesoiràdix-huitheures?—Çanevapasêtrepossiblepourmoi.Jedoisalleraucentrepourenfants
aprèslescours.Maispartezavantmoi,jevousrejoindraidirectementsurplace.—Çamarche.Je t’envoiel’adresseparmessage.Jedoispartir,moncours
nevapastarderàcommencer.
Quand j’ai annoncé àBrandon que j’avais trouvé un stage dans un centrepourenfants,ilaétéheureuxpourmoicarilsavaitquec’étaitundemesrêves.Maisdèsqu’ilasuoùilsetrouvait,iladéchantéetestentrédansuneragefolle.Il m’a littéralement ordonné de démissionner. Je lui ai tenu tête et, après denombreuses discussions mouvementées, il a fini par se faire une raison. LequartierdeFlorenceestl’undesplusdéfavorisésdeLosAngeles.C’estunezonetampon où les gangs cohabitent, avec pour but de faire fructifier leurs trafics,principalementceluideladrogue.Enrépondantàl’annonceducentre,jesavaispertinemmentdansquoi jemettais lespieds,maismonobjectif est d’aider lesenfantsmaltraitésoudéfavorisés,etsi jeveux le faire, jedoisêtre làoù ilssetrouvent.
***
Jenesuispasdepermanence,mais j’aimisunpointd’honneuràveniraucentre, car c’est une date spéciale pour Logan, un des petits garçons dont jem’occupelà-bas.Jeleluiaipromisetjetiendraimaparole.Jeneferaipaspartiedecesadultesquiluimententdepuistoujours.
Unliens’estrapidementétablientreluietmoi.Ilvientdanscecentredepuisunmois,etj’aidécouvertquesafamilleestaussifracasséequelamienne.C’est
sans doute pour cette raison que nous sommes proches tous les deux. D’unecertainemanière,nousnouscomprenons.
Aujourd’hui,c’estsonanniversaire. Il fêteseshuitansetc’est lapremièrefoisdepuissanaissancequequelqu’unleluisouhaite.Ilm’aditplustôtdanslasemaine que son héros est Captain America et j’ai réussi à lui trouver unefigurine de son personnage préféré. Sur la route, je me suis arrêtée dans unepâtisserieetaiachetéleplusgrosgâteaudelavitrine.
Àpeineai-jepoussélaporteducentrequeplusieursenfantsdéboulentdansl’entréeensehurlantdessus.Jemetsquelquessecondesàanalyserlasituation,pose mes affaires par terre, et d’un geste rapide, j’intercepte celui qui tientl’objetdudélitfermemententresesmains.Lucy,l’aidesocialeducentre,arriveaumêmemomentetm’observerésoudreleconflit.Lorsquelesenfantssesontenfin mis d’accord, ils repartent tout aussi rapidement, en redevenant lesmeilleursamisaumonde.Jemerelèveetcroisesonregardapprobateur.
—Tuasundonaveclesenfants.Ce complimentme réchauffe le cœur. Je sais parfaitement que je ne suis
qu’unegoutted’eaudans l’océanque représente laviede ces enfants,mais simon temps libre leur permet d’avoir un peud’espoir, alors tout ce que je faisn’estpasenvain.
—J’essaiedefaireaumieux.Lucyacquiesce.Ellelanceunrapidecoupd’œildansuncoinducouloiret
ajouteàvoixbasse:—Tu es attendue. Il est arrivé dès huit heures cematin et n’a pas bougé
depuis. On a tout tenté pour le sortir de là en lui expliquant que tu tiendraisparole,maisilarefusédenouscroire.Et,commeàchacunedenostentativesilserenfermaitdeplusenplus,onadécidédelelaissertranquille.
Jehochelatêteetluitendslesacdanslequelsetrouvelegâteaupourqu’ellel’apportedanslacuisine.JemetourneensuiteversLogan,monregardcroiselesien. Je n’avais pas remarqué sa présence jusqu’à maintenant. Toutes sesémotions se lisent sur son visage et ça me noue la gorge. Je m’approche endouceur de lui et lui souris. Je sais queLogan a placé une petite partie de sa
confianceenmoi,maiscelle-ciestsiténuequechaquefoisj’aipeurdedireoudefairequelquechosequilabrise.
À mon approche, son sourire se fait vacillant. D’une voix douce, jem’adresseàlui:
—Bonjour,Logan.Timidement,ilmerépondd’unepetitevoix:—Salut.—Commentçava?Ilserenfermeànouveausurlui-mêmeethausselesépaules,indifférent.Je
mebaisseàsahauteur,ettoutenplongeantmonregarddanslesien,j’attrapeunpaquetdansmonsac.
—Jecroismesouvenirqu’aujourd’huic’estunedateimportantepourtoi.Une faible lueur d’espoir apparaît dans ses prunelles. Il hoche tout
simplementlatête.Jeluitendslepaquetcadeau.—Bonanniversaire,mongrand.Alors que n’importe quel enfant se serait précipité sur le paquet pour
l’ouvrir,Logan l’attrapemais se jette surmoi et sespetitsbrasm’enserrent lecou.D’unevoixempliedetrémolos,ilmechuchoteàl’oreille:
—Merci,Hayley.J’inspireungrandcouppourempêcherleslarmesdemontermaisc’estpeine
perdue.Jemedétachedenotreétreinteetbaissemonvisageverslepaquetafinqu’ilnelesvoiepasetluidemande:
—Tun’espascurieuxdedécouvrirtoncadeau?D’unemainimpatiente, ildéchirealors l’emballage.Sesyeuxs’ouvrenten
grand lorsqu’ildécouvre la figurinedeCaptainAmerica. Il laserre toutcontreluietsejetteànouveaudansmesbras.
—Merci,Hayley,c’estleplusbelanniversairedemavie!—Etcen’estpasfini!Viensavecmoidanslacuisine.
Pendant que j’étais avec Logan dans le couloir, Lucy a regroupé tous les
enfantsducentredanslacuisine.Lepetitgarçonglissesamaindanslamienneetnousentronsdanslapièce.
À peine avons-nous atteint le seuil que tous les enfants se mettent à luichanterJoyeuxanniversaire.
Sous le coupde l’émotion, samain se crispeunpeuplus dans lamienne.Voir la joie illuminer son regard me conforte dans mon souhait de devenirassistantesociale.Lavisionqu’ilm’offreestleplusbeaudescadeaux.Sanslesavoir, Logan et les autres enfants, nés sous une mauvaise étoile ou dans lamauvaisefamille,m’aidentàvaincremesdémons.Etjeveuxlesaiderenretour.
6
Jace
Ma journée était déjà passablementmerdique et voilà que jeme retrouvedevantunecaissièrequimefaitchierpourdeuxmalheureuxdollars.Toutcequejeveux,c’estm’acheterunebouteilledebourbon,passerunesoiréetranquilleetoublier tous mes problèmes.Mais cette gamineme regarde comme si j’allaisl’écorcherviveetrestetétanisée.Ettoutçapourquoi?Parcequ’ilmemanquedeuxputainsdemalheureuxdollars!
Cematin, en ouvrant les yeux, j’ai su quema journée allait être difficile.Enfin,c’estsurtoutmonmaldecrânedûàunenuitdepicolequim’amissurlapiste.Etpuis,quandj’aivulabrunecomplètementnueétenduesurlelitàcôtédemoidansunechambreinconnue,çan’afaitqueconfirmermesdoutes.Jeneme souvenais ni de sonnom, ni de comment je l’avais ramassée.Et enmêmetempsjem’enfoutais.Jesais.Jesuisunvraisalaud.
J’aienfilémonpantalon,attrapélerestedemesaffairesetjesuissortidelachambrecommeunvoleur,sansunregardenarrière.Jenevoulaispasaffronterlesemmerdesd’unlendemaindenuitdebaise.
Jeme sens fatigué. Jenavigueà l’aveugle sans réelbutdans lavie. Jeneveuxpastoutplaquerpourautant,maisj’aimeraispoursuivreunobjectifetpasseulementvivredetraficsetdemagouilles.
Jepasseunemaincontremonflancpourtenterd’atténuerladouleurquienémane.Lesalaudnem’apasloupé.Enmêmetemps,c’estmafaute,sijen’avaispaseucettefractiondeseconded’inattention,j’auraispuvoirlecoupdecouteauveniretl’éviter.Merde,jesuispasundébutant!
Ilyaquelquetemps,legérantd’uneépiceriedenotrequartierestvenunoustrouver.Ilnousaexpliquéqu’ils’étaitfaitbraquertroisfoisenl’espacededeuxmois.Ilaportéplaintechezlesflics,maisçan’aserviàrien.Ilssontoccupésàessayer d’attraper de plus gros poissons, alors un vulgaire junkie qui pique lacaisse pour se payer son shoot, c’est sans importance.Dos aumur, le proprionousademandénotreaide.Touslesjoursunmembreduclubestenfactionchezlui,histoirededissuaderlespetitesfrappes.Etcesoir,c’étaitmontour.C’étaitl’heuredelafermeture,pendantquelefilsdugérantfaisaitlacaisse,onparlaitmotos.Unmecestentré,ilavaitl’airunpeulouche,maisilnenousapasprêtéattentionetestpartidanslesrayonsàlarecherchedeje-ne-sais-quoi.Legossememontraitsursontéléphonelaphotod’uneHarleyquilefaitfantasmeretc’estàcemoment-làquej’aisentilapointed’uncouteaucontremonflanc.Legaminface à moi était tétanisé et fixait l’homme qui me menaçait. Sous l’effet del’adrénaline, j’ai mal calculé mon coup et avant que je parvienne à déboîterl’épaule du type, sa lame est entrée dans ma chair. Pas de beaucoup, maissuffisammentpourmefaireunmaldechienpourquelquesjours.
Lavoixtremblotantedelafillemeramèneàlaréalité.— Je suis désolée, mais je ne peux pas vous vendre cette bouteille, mon
patronn’accepterajamais.J’inspireprofondémentpourmecalmeretnepasl’envoyerchier.Aprèstout,
elle n’y peut rien. Je prends l’intonation la moins effrayante possible et luidemandedefaireuneffortparcequej’aivraimentbesoindetoutoubliercesoir.Enplus,jedoisrejoindreleresteduclubpourlerun.JevaisêtreenretardetlePrés’n’aimepasqu’onsepointeàlabourre.
Au moment où j’ouvre la bouche pour la convaincre de me vendre cettebouteille,unemain fineetdélicate entredansmonchampdevisionetdéposedeux billets d’un dollar sur le comptoir. Stupéfait, je fixe cette apparition
quelquessecondes,pivotelégèrement,remontemonregardlentementlelongdubrasdesapropriétairejusqu’àsonvisage.Mesyeuxfinissentparrencontrerlessiens.Toutcequejepeuxdire,c’estquejen’étaispaspréparéàcettevision.Etencoremoinsàlapersonnequimefaitface.Jelareconnaisinstantanément,c’estlacopinedeBev.L’autresoir,jenel’avaispasvraimentregardée.Toutcequej’avaisretenud’elle,c’étaitsonairdefilleàpapa.Engénéral,j’évitecegenredegonzessescomme lapeste,elles sont sourced’emmerdes.Maiscesoir, je suislittéralement hypnotisé par la profondeur de ses prunelles. C’est comme si jeplongeais dans un océan tant le bleu de ses iris est intense. Cette fille est lestéréotype même de l’innocence. Tout en elle le traduit : l’expression de sesyeux,sonattitude,mêmesonvisagemutin.Putain,d’oùmesortcetteexpressiondegonzesse?Cen’estpasmongenredesortirdetellesconneriessurunenana.La plupart du temps, je ne leur prête pas vraiment attention : qu’elles soientblondes,brunesourousses,jem’enfous.Jenelesutilisequepourlesexe.
Sansprononcer lemoindremot, jecontinueà ladévisager.Ellemedonnel’impressiond’êtrefaceàunange,avecsescheveuxblondslégèrementondulésquiluitombentencascadesurlesépaules.Jepariequecettefillenesedoutepasde l’image qu’elle renvoie. Mon regard glisse sur ses lèvres, légèremententrouvertes,etcettevisionm’envoiedesélancementsdirectsdansl’entrejambe.
Ne se doutant pas des idées perverses qui défilent dans ma tête, ellem’observe,silencieuse,àtraversseslongscils.Lalueurméfiantedesonregardemplitdesatisfactionl’enfoiréquejesuis.
Alors que nous continuons à nous toiser, la petite caissière s’emparevivementdesdeuxdollarspourlesencaisseraveclerestedel’argentdéposésurle comptoir. Impatiente demevoir déguerpir, elle s’empressedeme tendre labouteille enveloppée dans le traditionnel papier marron. Je l’attrape tout encontinuant à fixer l’apparition angélique, et au lieu de la remercier, je luibalance:
—Pourquoit’asfaitça?—Parceque tu semblais en avoir besoin et que j’avais cette sommedans
monsac.
Avant d’avoir eu le temps de lui répondre, je l’écoute demander à lacaissièrelesclefsdessanitaires,puiselles’envasansmêmemejeterunregard.
Fascinéparsonrépondant, je lafixe jusqu’àcequ’elledisparaissedemonchampdevision.Ilyauntrucchezcettefillequim’interpelleetjen’arrivepasàmettreledoigtdessus.Peut-êtreparcequ’ellemaintientunecertainedistanceparrapportauxgens.Ellen’apasl’airdecomprendreque,pouruntypecommemoi,cetteattitudeéquivautàagiterunecaperougedevantuntaureau.
Je secoue la tête et fais un petit signe à l’employée dumagasin avant desortir.
Une foisdehors, j’inspireprofondément tout enobservant le ciel constelléd’étoiles. J’adore rouler surma bécane la nuit, seul. Jeme sens invincible ettotalementlibre.
JemedirigeversmaHarleylorsquemontéléphonesemetàvibrerdanslapoche de mon blouson. Je décroche sans prendre la peine de vérifier quim’appelle,jesaisquec’estlePrés’.
—Ouais?—Qu’est-cequetufous?Letondesavoixmontrequ’ilestenrogne.—J’arrive.Jesuislàdanscinqminutes.—Ok.Jeraccroche,rangemonportableetpresselepas.Jevérifiequetoutesten
ordreavantd’enfourchermamoto.
Àl’instantoùj’appuiesurledémarreur,j’entendsunevoituretoussoterpuiscaler, le tout suivi d’une bordée de jurons. Je plisse les yeux pour mieuxdiscernerlapersonnecapabledesortirautantdemotsfleurisàenfairepâlirunebonnesœur.
Unefoismavueaccoutuméeàl’obscuritéetàladistance,jevoislacopinedeBevs’énerverdanssacaisse,essayanttantbienquemaldelaredémarrer.Siellecontinueainsi,ellevafinirparnoyersonmoteur.
Musparuneimpulsion,mespiedssemettentàbougerpourlarejoindre.Jeprendsappuisurlehautdesaportièreetmepencheverssafenêtreouverte.
—Alorsmabelle,onaunsouci?Ellesursaute,tournesonvisageversmoietmeregardeavecsesgrandsyeux
de biche effrayée. Elle scrute les alentours. Probablement s’est-elle renducomptequ’elleestseulesurleparkingobscurd’unestation-servicepaumée.Elleseressaisit,redressesesépaulesetmedévisagebravement.
Auboutdequelquesinstants,ellemerépondfinalement:—Mavoitureneveutpasdémarrer.—C’estcequejevois,dis-jeendésignantl’avantduvéhiculed’unsignede
tête.Ouvrelecapot.Aprèsunebrèvehésitation,j’entendsleclicsignificatif.Jemedégagedesa
fenêtre et me tourne en direction de son moteur. Je vois que dalle, il faitcomplètementnuit.
Aumomentoù jeme redressepour luidemander si elle aune lampe, ellem’entendune.Merde,jel’aimêmepasentendueapprocher.Jesuisvraimentàl’ouest,cesdernierstemps.
—Jepensequetuverrasmieuxavecça.—Allume-laetéclairelemoteur,quejeregarde.—Ok.Sansunmotdeplus,elles’exécute.Jecommenceparvérifier lesbougies,
maistoutsemblecorrectdececôté-là.—Donne-moilalampeetessaiederedémarrer.Je tends la main pour m’en saisir et mes doigts frôlent les siens. Une
décharge électrique me parcourt le bras et je m’aperçois qu’elle a ressenti lamêmechosecarelletressaille.
Avant que j’aie le temps d’analyser ce qu’il vient de se passer, ellecontourne lavoitureet seprécipitederrièresonvolant. Je l’entendsessayerdemettrelecontact,lemoteurfaitunbruitpoussifpuisplusrien.Jemeredresseetluidis:
—C’estprobablementlabatterieoul’alternateur.
Lecapotesttoujoursouvert,jenelavoispasd’oùjesuis,maisjel’entendsmarmonnerun«etmerde».Jelerefermeetlarejoins.
—Tuvasoùcommeça?Ellehésiteunpeuetpousseunsoupirplaintifavantdemerépondre:—Jevaisauborddu lacquiestunpeuplus loin, rejoindreBeverlyet les
autres.—Tunevaspouvoirallernullepartavectavoiturecesoir.Je reste muet quelques secondes tout en la scrutant. Elle semble
complètementperdueetfragile.Jeremarquequesesépaulessesontaffaisséesetqu’elleagrippesonvolantcommesic’étaitunebouéedesauvetage.Jefinisparromprelesilence:
—Écoute,situveuxjepeuxt’yconduire.Jedoisrejoindreleclublà-bas.—Euh…Monportablechoisitpilecemomentpoursonnerànouveau.Jeregardequi
m’appelle et vois que c’est encore le Prés’. Je le range dans ma poche sansprendre lapeinededécrocher. Je sais cequ’il veutmedire : les cinqminutessontécouléesdepuislongtemps.
Jereportemonattentionsurlafilleetluidisd’unevoiximpatiente:—Jen’aijamaisfaitdemalàunefemmeetcen’estpascesoirqueçava
commencer.Sonairpeuconvaincum’obligeàajouter:—Écoute,siçapeutterassurer,onauncoded’honneurdansleclub.Onne
touche pas aux amis des membres. T’es une copine de Bev, donc ce codes’appliqueàtoiparextension.Onvaaumêmeendroittouslesdeux.Décide-toirapidement : soit tu restes ici toute seule, soit tu viens avecmoi pour pouvoirprofiterdetonweek-endavectescopains.
Elle hésite encore un peu. À son air, je vois qu’elle réfléchit à maproposition.Ellecontinueàsemordillerlalèvreinférieure.Denouvellesimagesobscènesmetraversentl’espritrienqu’àlavoirfaire.C’estpaslemomentdemefaire des films et de l’effrayer encore plus. Je ne sais même pas pourquoi jem’emmerdeàvouloiraidercettefille,c’estpasmongenredemepréoccuperdesautresetencoremoinsd’unepetiteoieblanchecommeelle.
Contretouteattente,ellemeréponddesavoixangélique:—Ok.Unevaguedesoulagements’emparedemonêtreetmoncorpssedétend.Je
nem’étaismêmepasrenducomptequej’étaiscrispé.Sanschercheràanalysermonattitude,jeluilance:
—Bien.Prendstesaffairesetsuis-moi.
Je ne l’attends pas et me dirige vers ma bécane. Je réalise que c’est lapremièrefoisquejevaisfairemonterunenanasurmamoto.J’ignorelaraisonpour laquelle cette pensée me traverse l’esprit mais l’excitation me gagne enimaginant cette fille assise derrière moi, ses cuisses m’enserrant et ses mainsposéesautourdemataille.J’atteinsmaHarleyetjeperçoislebruitdepetitspasprécipités.Jeprendsmoncasque,metourneverselleetleluitends:
—Metsça.—Merci.Jelaregardemettremoncasqueetmonérectiondevientgênante,sibienque
jemesensdeplusenplusàl’étroitdansmonjean.—T’esdéjàmontéesurunemoto?—Non,c’estlapremièrefois.—Grimpeetsuismesmouvementsdanslesvirages.—D’accord.ElleenjambemaFatBoydemanièremaladroiteetmaqueuedeplusenplus
compriméenedemandequ’àsortirpours’enfouirentresescuisses.J’essayedem’enlevercette imagede la tête,enpensantàunchiotmortouàunevieilleàpoiltouteflétrie,pourfairebaisserlapression.Dèsquej’arriveauborddulac,jemetrouveunebrebispourl’oublieretmesoulager.
Jemonteàmontoursurmabécane,luisaisislesmains,lesposeautourdematailleetdémarre.
—Accroche-toioutuvastomber.JefaisvrombirlemoteurdemaHarley.J’aitoujoursaiméentendrecebruit,
çamedonneunsentimentdepuissanceetdeliberté.
J’accélère d’un coup sec. Sous l’impulsion, sesmains se cramponnent unpeupluscontremonventre.Soncridesurprise,oudepeur,mefaitrire.Jesuisvraimentunsalaudparcequemêmesiellen’ariendit,j’aiparfaitementcomprisqu’elleflippaitàl’idéedemontersurmabécane.
Sur la route,nouscroisonsplusieurs autresbikers. J’en reconnais certains,maisc’estàpeinesijelesvois,monespritesttropfocalisésurmapassagère.
Quand nous approchons enfin de notre destination, jem’engage dans unealléeboisée.Nouspassonsdevantunpanneaupublicitairesurlequelunefamillemodèle typiquement américaine nous salue. L’inscription « Bienvenue auSilverlake»et les souriresdecette famille semblentmenarguer.Si jen’avaispas l’impression d’avoir un ange collé contre mon dos en cet instant, je leurbalanceraisvolontiersundoigtd’honneur.Cequimefaitmarrer,c’estdevoirlecontraste de ce lieu familial dans lequel tout un regroupement demotards vapassersonweek-end.
Auboutdecet interminablechemin,unparkingseprofileet je l’accueilleavec un soupir de soulagement. Le trajet m’a paru sans fin. Sentir cette filleassisederrièremoi,sespetitsseinscolléscontremondos,sescuissesseserrantdeplusenplusautourdemoi…C’étaitunvéritablesupplice.
Je repère lesmotosdes autresmembresdu club regroupéesdans lemêmecoinetmegareàcôté.Deuxprospectslessurveillentpourlanuit,jeleurfaisunpetit signe pour les saluer. Je coupe le moteur, reste immobile et silencieuxpendantquelquessecondes,essayantdefairediminuerlabarrequej’aientrelesjambes.Mais c’est difficile,mon esprit est concentré sur lesmains d’Hayley,toujoursplaquéescontremonventre,justeau-dessusdemaqueue.
Surlepointdecraquer,jeluibalanced’untonbourru:—Tupeuxmelâcher.Onestarrivés.—Oh…Euh,désolée.Elleretiresesmainscommesielles’étaitbrûlée,etàmongrandétonnement
l’absence de son contact surmon corps provoque un sentiment de vide. C’estquoicetteconnerie?
Jechasserapidementcetteimpressiondematête.
—Euh,tupréfèresquejedescendeenpremier?Saquestionmefaitreveniràlaréalité.Çafaitplusieursminutesquejereste
commeuncon,immobile,àgrincerdesdents,lesyeuxbraquéssurlanuit.—Descendsd’abord.Jenevoudraispasquetutecasseslafigure,luidis-je
en affichant un petit sourire en coin. Désolé de te l’apprendre, mais t’es pasdouéesurunemoto.
Elle baisse légèrement les yeux et ses joues s’empourprent. Alors qu’elleeffectueunmouvementpourselever,sesdeuxpetitesmainss’agrippentàmesépaulespourmaintenirunsemblantd’équilibre.Voyantsonairempoté,j’ancremespiedsfermementausolpourstabilisermabécane,histoiredel’aiderunpeu.Ilmanqueraitplusqu’elletombelatêtelapremière.
Malgrétout,elletrébucheetjenepeuxm’empêcherdericaner.—Qu’est-cequitefaitrirecommeça?—Toi,monange.Tafaçondedescendredemamoto.Ellemesouritetmerépondd’unemanièreespiègle.—C’estvraiquejedoisavoirl’aird’unpoissonhorsdesonbocal.— Non, t’es plutôt sexy une fois dessus. C’est juste qu’il ne faut pas te
regardermonteroudescendre.Contre toute attente, au lieu de se vexer, elle éclate de rire, et je ne peux
m’empêcherdepenserquec’estleplusbeausonquej’aiejamaisentendu.—Ok.Laprochainefois,fermelesyeux,alors.À cette réponse, mon côté emmerdeur refait surface, et je ne peux
m’empêcherde la titillerunpeu.Toutendescendantdemamoto, je lui lanced’unevoixchargéedesous-entendus:
—Laprochainefois?Méfie-toi,jepourraisteprendreaumot.—Euh…Ouais…Enfin,non.C’étaitjusteunemanièredeparler.Faceàsaconfusion,monsourires’élargit.—Jetetaquine,monange.Ellefaitunegrimaceetmelance:—Hayley.—Quoi?—Jem’appelleHayley…Pas«monange».
—Ok.Monange.Ellesoupire,puiselleinclinelatêtelégèrementsurlecôtétoutenmefixant
droitdanslesyeuxetmeditavecunsourireinnocent:—D’accord,danscecas,moijet’appelleraiBakers.Jehausselessourcilsd’unairinterrogateur.—Bakers?Ellesemordilleleslèvresavantdehocherlatêtepourconfirmer.—Ouais,c’estlenomdelamarquedubourbonquetuasacheté.Jem’esclaffe.Cequiestsûr,c’estquesoussesairsfragiles,cettenanaadu
tempéramentetj’aimeça.—EntendupourBakers,monange.
Cettefillem’intriguedeplusenplus.Jen’aipasenviedelaquittertoutde
suiteetmoninstinctmeditqu’ellenonplus.D’oùmevientcette idée, jen’ensais rien, mais j’ai l’impression qu’une sorte de connexion vient de s’établirentrenous.Celle-ciestcependantvitebriséepar l’arrivéedeBeverlyetdesescopains, dont le fameux Brandon. Je soupire intérieurement et reporte monattentionsurlesnouveauxvenus.
—Petitesœur.Beverly esquisse une grimace à ce surnommais, fidèle à elle-même, elle
trouvetoutdesuiteunerepartie.—Petitgénie.Voyantmaminerenfrognée,elles’esclaffe.Lapeste!C’estalorsqu’unechoseimprobableseproduitetmelaissesansvoix.Une
petitebrunesurgitdenullepartetsemetàdébitertoutunflotdeconneries.—BahalorsHayley,toiaussitufaisdanslebiker?Je me tourne vers la principale intéressée pour voir sa réaction. Elle se
dandined’unpiedsurl’autreetsesjouesseteintentd’unejoliecouleurrosée.Indifférenteàsonmalaise,labrunettepoursuitsonmonologue:— Je savais bien que sous tes airs de fille sage il y avait une petite
dévergondéequisommeillait.—Oh…Non,cen’estpascequetucrois…
—Jedisça,jedisrien,t’asraisondet’amuser…Hayleyessaied’interrompresacopineetsiffleentresesdents:—June…Imperturbable,labrunettereprendimmédiatement:—Nonmaisc’estvrai,t’esmajeureetàcinqmillekilomètresdetafamille.
Amuse-toi, ma fille ! Je te donne même ma bénédiction parce que là, jem’incline.CetyperessembleàunDieudusexe.Jesuissûrequetuvast’éclateraveclui.
Pardon?Jecroisquejen’aijamaisentenduautantdeconneriesensipeudetemps. Un autre type s’approche à son tour. Avec un air désolé, il attrape lafameuseJuneparlesépaulesetl’éloignedenous.
Hayleyse tourneversmoi, laminecontrite,et ses jouess’empourprentdeplusbelle.
— Euh… C’était June, dit-elle avec une moue gênée. Elle est toujourscomme ça. C’est une fille super mais parfois lorsqu’elle parle elle oublie defiltrer.
Jehausselesépaulesetafficheunpetitsouriresatisfait.—Çameva.ÊtretraitédeDieudusexe,yapire…Ellelèvelesyeuxauciel.—Lesmecs,touslesmêmes.Dèsqu’onflattevotreego,vousvoussentez
lesroisdumonde.Jeluilanceunpetitclind’œiletgonflemapoitrine:—Ehmonange,sijesuisunDieudusexe,alorsc’estsûrjesuisleroidu
monde.—Pff…Jenevaismêmepasprendrelapeinederépondre.Ellesecouelatête,amusée.Sescheveuxsuiventsonmouvementetunede
sesmèchessecoincesurseslèvres.J’aienviedetendrelamainpourlaprendreentremesdoigtsetluiglisserderrièrel’oreille.
Beverly intervient inextremisetm’empêchedefaireuneconnerie.Merde,c’estpasmongenredemecomportercommeça!
—Ok.Jecroisqu’ilesttempspournousdepartirdenotrecôtéetdeprofiterdenotresoirée.Jace,onseverraprobablementdemainquandjeferaiunsautsur
votrecampement.—Çamarche,petitesœur.Je les regarde s’éloigner tranquillement,Brandon enlace la taille d’Hayley
quiseblottitunpeupluscontrelui.Cesdeux-làrenvoientletableaud’unparfaitpetitcoupleheureux.Etlesvoircommeçamefoutenrogne.Jenecomprendsrienàmesréactionslorsqu’ils’agitdecettefille.Tousmesrepèressontréduitsànéantlaconcernantetçaaledondem’énerver.Quelquechosemeditquejenevais pas pouvoirme comporter avec elle comme je le voudrais,mais pour lemoment,jepréfèrenepasypenser.
Jedécidefinalementderejoindrelesautresmembresduclubetinterpelleundesprospectspoursavoiroùsetrouvenotreemplacement.Unefoisencheminpourlecampement,j’essaiedenepluspenseràHayleyetàsonputainderegardd’ange.
Je concentre mon attention sur ce qui m’entoure et m’imprègne del’ambiance.Au loin j’entends les notes demusiqued’un concert.Legroupe al’airpasmal.J’aitoujoursaimél’atmosphèrequirègnedanslesruns.Çapermetderelâcherlapressionemmagasinéeaucoursdel’annéeetc’estl’occasionpournousderetrouverdesclubsamisavecquionestenaffaire.Unetrêvetaciteestétablie avec nos ennemis. Les organisateurs veillent au grain même si çan’empêche pas quelques escarmouches. Il ne faut pas se leurrer, rassemblerautantdemecsgonflésàlatestostéroneetleurlaisserdel’alcoolàdisposition,c’esttenterlediable.Laplupartdutemps,aveclesmembresdesautresclubs,onpasse notre week-end à se regarder en chiens de faïence et on fait notremaximumpouréviterquenoscheminsnesecroisent.
7
Hayley
Alorsquenousnousdirigeonsverslecœurdelafête,jeregardecequinousentoure.J’ai l’impressiondepénétrerdansunautremonde.Lesgensquenouscroisons sur notre chemin sont des motards, la plupart sont recouverts detatouages. Comme Jace, ils portent des gilets ou des blousons en cuir soit àl’effigied’unclub,soitd’unemarquedemoto.
Quand troishommescroisentnotrechemin, j’aidumalànepasm’arrêterpour les dévisager. Ils doivent avoir la cinquantaine, leur barbe est si longuequ’elle leur arrive aumilieuduventre.Vu laproéminencede cesderniers, onpourraitcroirequ’ilssontauhuitièmemoisd’unegrossessegémellaire.
Brandonremarquemonairahurietmedonneunlégercoupdecoudedanslescôtes.Iladûdevinerlecoursdemespenséescar,suruntonmoqueur,ilmelance:
—Tunet’attendaispasàça,hein,GlitterGirl!—C’est lemoins qu’on puisse dire, jemarmonne en lui jetant un regard
désespéré.Jenesaispascommentonvaressortirdeceweek-end.Jenesuispaspréparéeà rencontrerdespersonnescommecellesquenous
croisons. Je comprends mieux ce que Beverly peut ressentir, cette drôled’impression de ne pas être à sa place et de vivre un choc des cultures.Nousvivonssurdeuxplanètessidifférentes.
Jen’aijamaisvuautantdemotosdetoutemavie.Pasmald’hommesrestentprèsd’ellesetlescouventduregard,commesiellesétaientdesobjetsprécieux.Nonloindenous,unrassemblements’estforméautourd’untypequimontresabécane. Le moteur tourne et il le fait vrombir. À son air fier et au regardapprobateurdesonassistance,j’endéduisqu’ils’agitd’unmodèleexceptionnel.Moi, ce que j’en retiens, c’est que ça fait un vacarme monstrueux. Je suisfortementtentéedemeplaquerlesmainscontrelesoreillespourenatténuerlebruit.
Mais ce quime choque le plus, ce sont les femmes.Certaines adoptent lestylemotardavecleurpantalonencuirouleurjeansiserréquejemedemandecomment elles ont pu l’enfiler. D’autres n’ont pas ce souci vestimentairepuisqu’ellessetrimbalentenbikiniouportentunejupesicourteque,siellessepenchaientlégèrement,onpourraitvoirleursous-vêtement.Beverlylesregardeetafficheunemoueécœurée.D’oùjesuis,jepeuxl’entendremarmonner«Ellesn’ontvraimentaucunamour-propre».Brandon,quin’apasperduunemiettedesesparoles,nepeuts’empêcherdelataquiner:
—C’estpasfaitpourmedéplaire.Ma colocataire lui lance un regard courroucé puis se détourne de lui.
Cameron,quijusqu’àprésentétaitrestémuet,enfonceunpeuplusleclouetserallieàmonami.
—Jesuisd’accord.Onauraittortdenepasprofiterduspectacle.Beverlyémetunreniflementdisgracieuxetpréfèrenepasrebondirsurcette
provocation.June,quantàelle,décidedes’immiscerdanslaconversation.—Bah, si ça leurpermetde se sentir importantes,pourquoipas?Leseul
trucquejeregrette,c’estqueleshommesnedécidentpaseuxaussidedévoilerunpeuplusleurcorps.
Jebalaie les alentoursdu regard et, à lavuedesgrosventres et des longscheveuxgraisseux,jeluiréponds.
— Franchement, je préfère qu’ils nous épargnent ce spectacle et qu’ilsgardentleursfringues.
À les imaginer torse nu, un frisson de dégoût me parcourt. Mes amiss’esclaffentetacquiescent.
Nous atteignons enfin la scène où un concert a lieu. L’atmosphère est
différente,ici.Ilyaencoredesbikersautourdenous,maislapopulationestplusmélangéeetjereconnaisdesétudiantsdemoncampus.Jeretrouveunpeumesmarques.
Nousrejoignonslafouleetdécidonsdeprofiterduspectacle.Jeneconnaispascegroupe,maisd’aprèslesproposdeBeverlyetdeCameron,ilestcomposédenatifsdelarégionetconnaîtunbeausuccès.
Beverlysemetsurlapointedespiedspourmieuxapercevoirlascène,maisl’hommeplacédevantelleestsigrandqueseseffortssontsanssuccès.
—Argh!Çam’énerve,jenevoispasbienlascène,d’oùjesuis!—Grimpesurmesépaules.Ma colocataire adresse un regard reconnaissant à Cameron. Ce dernier
s’accroupitpourluifaciliterleschoses.Unefoisenplace,Beverlyretrouvesonsourireetsemetàchanteràtue-têteenmêmetempsquelechanteur.Lavache,jen’aijamaisentenduquelqu’unchanteraussifaux!
Plus la soirée avance et plus la foule devient compacte. Je commence àétouffer.Sentantmesangoissesremonteràlasurface,jedécidedememettreunpeuenretraitavantdeneplusêtrecapabledemecontenir.Brandonremarquemadétresseetmerejoint.
—Tutienslecoup?—Çava.Maisjepréfèrem’éloignerunpeu.Il acquiesce et pose un bras protecteur autour de mes épaules. Plusieurs
chansons défilent, le groupe est vraiment bon. À ma plus grande surprise, jepasse une bonne soirée et, chose encore plus étonnante, jem’amuse.Brandonaperçoitdesconnaissancesunpeuplusloin.Ilm’adresseunaird’excuseetmechuchote:
—J’enaipourcinqminutes,jepasselesvoiretjereviens.—Vas-y.—Jesuispasloin.—Net’enfaispas,çavaaller.
Ilm’embrassesurlatempeetrejointsescopains.
Alorsqu’ildiscuteaveceux,jevoisbienqu’ilcontinueàmegarderàl’œil.Jeluilanceunregardrassurantpourluisignifierquetoutvabiendemoncôté.
C’estàcemoment-làquetoutdérape.Unhommesurgitprèsdemoi.Ilsentfort l’alcool et la transpiration.Le type trébuche et renverseunepartie de sonverresurmoi.Lapaniquem’envahitet toutcequim’entouredevientflou.Marespiration se fait saccadée. J’ouvre la bouche en grand à la recherched’oxygène,maisrienn’yfait.Despetitspointsblancsbrouillentmavue.
Brandonacertainementdûvoir la scène,car ilvient immédiatementàmarencontre.Lentement, il refermesesbrasautourdemoietmeserrecontre lui,tout en me chuchotant des mots réconfortants, ceux que j’ai tant besoind’entendre. Mon corps se détend petit à petit, mais j’ai encore du mal à mereconnecteràlaréalité.
Lorsque ce type m’a bousculée, mes vieux démons sont ressortis de leurplacard.Cesimplegestem’aramenéedesannéesenarrière.Jepensaislesavoirenfouis au plus profond de moi et pouvoir tout recommencer en arrivant ici.Malheureusement, jeme rends compte que je suis encore tirée vers le fond etque cettenoirceur est toujours ancrée enmoi.Ellem’enveloppe commeon secouvre d’un manteau pour se protéger du froid. Mais ce froid est en moi etparcourtmoncorps,ilseglisselelongdemondos,enlacemestripes,s’insinuedansmes veines. J’ai l’impression dem’étouffer, je sens la bileme remonterdanslabouche.
Stop!Jedoisrepoussercesdémons,lesenfermerànouveau.Brandonremarquequemonmalaisepersisteetraffermitsapriseautourde
moicommes’ilcherchaitàérigerunebarrièreautourdenousetàm’enfermerdansunebulleprotectrice,letempsquejereprennemesesprits.
Alorsquejeposematêtesursontorseetmemouleplusprèsdesoncorpsenquêtedesachaleur,ilcontinueàmechuchoterdesparolesrassurantesetmerappellequenoussommesenCalifornie,loindechezmoi.Ici,personnenepeutm’atteindre, il me protège. Son contact, la chaleur de son corps, son odeurm’aident à lutter contre mes tourments. C’est le seul à y parvenir, le seul à
pouvoirmetoucheretàsavoircommentfairesansquejesoiseffrayée.Brandon,mabéquille,mabouéedesauvetage.
Jemesensrevenirpeuàpeu,lanoirceursedissipeetjereprendspieddansla réalité. Lemonde qui était devenu flou autour demoi redevient net. Jemedégage légèrement de son étreinte et lui adresse un timide sourire pour leremercier.
MonDieu!Commentai-jepucroirequej’yarriverais?Jemesensridicule.Brandonmeconnaîtparcœuret,vusonexpression,ildevineparfaitementle
cheminementqu’empruntentmespensées.—Onvayarriver,GlitterGirl.Mêmesisavoixestferme,j’ydécèletoutdemêmedestracesd’inquiétude.—Etsij’yarrivepas?—Jeseraitoujourslà,jusqu’àcequetuyarrives.—Jenesaispascommentjeferaissanstoi.—Laquestionneseposepas.Jesuislà.—Toujours?—Toujours,GlitterGirl.J’esquisseunsouriremalassuréausurnomqu’ilmedonne.Seulsluietmoi
connaissonslaraisondecesurnom.Changeantdesujet,ilmepropose:—Mescopainsnousproposentd’alleràleuremplacementpourcontinuerla
soirée.Çatetente?Encore étourdie par la scène qui vient de se produire, je n’ai plus envie
d’êtreaucontactdelafoule.—Oui.Jenemesenspasprêteàretournerdanslacohue.—Ok.Jeprévienslesautres.
8
Jace
Je navigue entre différents stands quand l’un d’entre eux attire plusparticulièrementmon attention. Je connais le typequi le tient de réputation, ilcustomiselesbécanescommepersonne.Jefeuillettesoncataloguepourvoirsesmodèles,histoiredemedonneruneidée.Çafaitquelquetempsquej’aienviedepersonnalisermaHarley.Jerécupèreunedesesbrochuresenmepromettantdeme pencher un peu plus sur la question. Deux nanas en bikini à l’effigie dudrapeauaméricain tententd’attirermonattention,mais jenesuispas intéresséalorsjepassemonchemin.
Audétourd’uneallée,jecroiselestandd’untatoueur.Letypeestconcentrésurunjeunequiestallongéàplatventre.Àlagrimacequ’ilfait,jemedoutequec’estsonpremier.Sescopains,hilares,sontprèsdelui,leurtéléphoneàlamain,etilsleprennentenphoto.Ilsontdumalàtenirdebouttellementilssontsaouls.Jesecouelatête,désabuséparlascènequ’ilsoffrent.J’espèrepourlejeunequ’ilsait ce qu’il fait parce que demain, à son réveil, il risque d’avoir une sacréesurprise.
J’arrive enfin sur notre campement,Popsme repère immédiatement etmefaitsignedelerejoindre.L’expressiondesonvisagem’annoncequemonretardl’amisdemauvaisehumeur.Siunjourquelqu’unmedemandelepointfaibledu
Prés’, je dirai sans aucune hésitation son impatience. Il déteste qu’on le fassepoireauter.
—Tuvoulaismeparler,Prés’?—T’esenretard.—J’aicroiséunenanaenchemin.Elleétaitenpanne,alorsjel’aiaidée.Pouruneraisonquej’ignore,jeneluidispasquec’estunecopinedeBev.—J’espèrepourtoiqu’elleenvalaitlapeine.—Merde,Pops,jel’aijusteaidée!J’aiunmouvementd’agacementfaceàsarépliqueetaussitôtunélancement
dedouleurmerappellemablessure.Popscapteimmédiatementmagrimace.—T’asunsouci?—Riend’insurmontable.—Raconte.—Untypeestentréetavoulubraquerl’épicerie.—T’asrégléleproblème?—Ouais,ilneviendraplus.Maisilaréussiàmerefileruncoupdelame.—T’asbesoind’untoubib?—Non,jem’ensuisoccupémoi-même.J’aiconnupire.
Alors que le Prés’ s’apprête à me répondre quelque chose, un de mes
franginsl’interpelle.— Bon sang, je peux pas être tranquille cinq minutes ! dit-il sur un ton
excédé.T’éloignepastrop,ondoitparlertouslesdeux.Ilpointemablessuredudoigtetajoute:—Situvoisqueçaguéritpas,vavoirledoc.
Etsansunmotdeplus,ils’approchedeSandman.
Jeparsdemoncôtéetsaluequelquesfranginssurmonpassage.J’enrepère
quelques-unsinstallésprèsdufeuetdécidedelesrejoindre.Commej’aipaslatête à faire la conversation, je me place un peu en retrait. Je bois quelques
rasadesdebourbonetécouted’uneoreilledistraitelesblaguessalacesqu’ilsseracontent.C’estdéfinitivementunejournéedemerde.
Comme c’est une soirée avec la famille, on doit se tenir plus ou moinstranquilleset,franchement,cesoir,j’avaisplusbesoindem’abrutirquedejouerle type respectable. J’ai réussi àm’aérer l’esprit, le tempsdemapetitebaladedans les différents stands, mais maintenant que je suis assis, la réalité merattrape.Etpourcouronnerletout,jen’arrivepasàmesortircettefilledelatête.Jeprendsunerasadedebourbonsupplémentaireenespérantquel’alcoolm’aideàchassersonimage.Jetienslabouteilleentremesmainsetl’ironiedusortmefrappequandmesyeuxtombentsurl’étiquette.Lemot«Bakers»dansedevantmoietsemblemenarguer.Jepeuxpresqueentendrelavoixdouced’Hayleymechuchotersonprénomàl’oreille.Jemedemandecequ’ellefait.ElledoitêtreentraindesefairepeloterparBrandonleminable.Unprénommerdiquedegossederiches.Àquoijem’attendais,àcequ’ellemeproposeunplanculcontreunarbre?C’estunegamine,elleaussi,elledoitavoirl’âgedelamômeduPrés’.Moi j’en ai vingt-huit, enfin c’est ce que dit mon acte de naissance. Pour lemomentj’ail’impressiond’enavoirdixdeplus.
Jemesensvidé.Pour lapremièrefoisdemavie,aumilieudemesfrères,j’ail’impressiond’êtreseul.Jenelesuispas,pourtant,leclubestmafamilleetj’adorecettefamille.Jetueraispoureux.LePrés’m’atrouvédanslaruequandj’avaisàpeinequatorzeansetm’aaccueillichezluicommesonproprefils.Àcetteépoque,jem’étaisbarrédechezmoi.Sansunregretetsansunregardenarrière,j’avaisquittémafamilledemerdeetmonconnardd’alcoolodepèrequimeprenaitpourunpunching-ball.
Lebruitdepasapprochantmefaitreleverlatête.Popsvients’asseoiràmescôtés.Commeàsonhabitude,ilattaqued’emblée:
—T’esbiensilencieux,cesoir.Qu’est-cequit’arrive?—Rien.—Nemelafaispas,jesaisqu’ilyaquelquechosequitetrottedanslatête.
Jeteconnais,fils.—Jepenseàmavie.
Jesecouelatêteetm’esclaffeavecungoûtamerdanslabouche.—J’aidûboiretropdebourbon,cesoir.—Tusaisaussibienquemoiquec’estpasl’alcoolquitefoutdanscetétat,
alorsvidetonsac.D’unairlas,jemepasselamainsurlevisageetsouffleungrandcouppour
évacuerlatensionquim’envahitdepuisquelquetemps.—Je…Merde,jesaispascequej’ai.C’estvrai,quoi,regarde-moi.J’aitout
cequejeveuxdanslavie:leclub,desfrangins,dufricettoutuntasdenanasprêtesàseplierenquatrepoursatisfairelamoindredemesvolontés.Alorsquejedevraisêtreheureuxetmesentir le roidumonde, jene ressens rien.Pas lamoindrepetitesatisfaction.
—Faisgaffe,fiston.Tuarrivesàuntournantdetavieoùtunedoispastelouper.Dansnotremonde,quandtonespritsedécideàpartirenvrille,c’estqu’ilestprêtàdéroulerletapisrougeàlafaucheuse.Etlecoupdelamequetut’esprismontrequetut’embarquessurcettevoie.
Popsinspireprofondémentetajoute:— Écoute-moi bien, et là, c’est pas le Prés’ du club qui te parle, mais
l’homme qui t’a élevé : t’es pas encore prêt à l’entendre,mais je vais quandmêmetedirelefonddemapensée.Çafaitdéjàquelquetempsquejet’observeet je me dis que le moment est peut-être venu pour toi de te trouver unerégulière.
—Tutemetsàfairedel’humour,maintenant!jem’esclaffe.Agacéparmaréflexion,ilsemetàgrogner.—Arrêtedejouerlescomiquesetgrandisunpeu.Jet’aipassortidelarue
pourtevoirfuirlaréalitécommeça!Cetteréflexionmepousseàl’interrogersurcequ’ilvientdemedire.—Tunem’as jamais dit pourquoi tum’as recueilli.T’as vuquoi enmoi
pourvouloirmesauver?—Pourtelafairecourte,j’aivulegaminquej’étaisaumêmeâge.Je sais que j’avance sur un terrain miné, mais ce soir ma curiosité est
suffisammentpiquéeàvifpourmedonner lecouragedeposer laquestionquetousmesfrèresetmoinousnousposons.
—C’estquoitonhistoire,Pops?Sonvisagesefermeaussitôtetsesyeuxs’éclairentd’unelueurfroide.—Cettepartie-là,jelaréservepourunautrejour.Ilsetaitquelquessecondespuisajoute:—Toutcequetudoissavoirpourlemomentc’estque,avantderencontrer
Janice,moiaussijepartaisenvrilleetjenesaispascequejeseraisdevenu,sanselle.Ellem’aapportéuncertainéquilibre.Etquandonmènenotrestyledevie,yariendemieuxquederentreràlamaison,deretrouversafemmeetsagosseetdedormirdansunlitavecuncorpschaudcollécontrelesien.
Je hausse un sourcil et sur un ton ironique je décide de lui rafraîchir lamémoire.
— C’est pas le discours que tu tenais durant les dix années pendantlesquellesonlesacherchéesdanstoutlepays.Sij’aibonnemémoire,onavaitinterdictiondeprononcersonprénom.
Ilopine,pasdutoutdéstabiliséparmarepartie.—Jesais.Maisavecleretourdemagosse,jevoisleschosesdifféremment.—Tudeviensunsage?Ilhausselesépaules,imperméableàmonironie.—Jevieillis. J’aibeaucoupperdudansmavieetmaintenant jeprofitede
chaque instant.Commeonditdansnotremonde :Carpediem 1 .Mon universs’est effondré du jour au lendemain sans m’y avoir préparé. J’ai connul’angoissedenepassavoiroùétaitmagossependantdixans,denepassavoirsielleallaitbien,sielleétaitheureuse,siellesesouvenaitdemoi.Maislapiredestorturesaétédemedirequemagaminepouvaitappelerunautretypequemoi,papa.Crois-moi,jenesouhaiteàpersonnedevivrecetteexpérience.Laviem’afoutu lapireclaquedans lagueule le jouroùmonexestpartieavecBev.Dèsl’instant où ma fille a disparu de mon horizon, toutes les conneries qui meprenaientlatêtesontdevenuessuperflues.
Popstournesonvisageversmoietsonregardperçantseriveaumien,puisilreprend:
—Alors,c’estquoitonproblème?Commejenerépondsrien,ilinsiste:
—C’estunefille?—Non,tusaisbienquejebaisequ’avecdesbrebis.—Hum…Saufquejeconnaisceregard,jel’aieuquandj’airencontréma
régulière.Çam’est tombédessussansque j’ysoispréparé.Etpuis, lesbrebis,c’est bien pour un temps. À un moment donné, il faut savoir passer à autrechose.
Jeme passe unemain sur le visage et reste silencieux pendant un temps,mais jeconnaisPops, ilne lâcherapas lemorceau tantque jene luiaurai riendit.Jelèvelatêteverslecielétoilé,pousseunsoupiretluiréponds:
—T’asraison,c’estenpartieàcaused’unefille.Puis,dansunsursautdelucidité,jem’exclame:— Bordel ! Je ne sais même pas pourquoi je te parle d’elle. J’étais déjà
paumébienavantdel’avoirrencontrée.Cettesituationestcomplètementridicule.Jenelaconnaismêmepas.Jelui
aiparlécinqminutesàpeineetquandPopsm’ademandésic’étaitàcaused’unenana, la première qui est venue s’incruster dans mon esprit, c’est Hayley.Commesimavien’étaitpassuffisammentmerdique,ilfautquejemeprennelatêteavecelle.Quedesconneries,toutça.C’estparcequ’ilmebourrelecerveaudetoutescesidéesàlacondepuistoutàl’heurequej’aiparléd’elle.
Avantquejepuisseenplacerunepourluiexprimerlefonddemapensée,ilpoursuit:
—C’estcelledetoutàl’heure?Cellepourlaquelletuesarrivéenretard?—Écoute,Pops…Ilmecoupeenpleinephrase.—Tuveuxunconseil?Quoiquejedise,jen’ycouperaipasdetoutefaçon…—Distoujours.—Ellen’estpasdenotremonde,n’est-cepas?Bonsang!Commentenest-onvenusàparlerd’unerégulièrepourmoi?La
conversationmeglisseentrelesdoigtsetjen’arrivepasàreprendrelecontrôle.
—Tut’emballes,Prés’.Sijet’enaiparlé,c’estparcequ’elleestdifférentedesautres,elleéveillejustemacuriosité.
—Ettuvasosermedirequetunerêvespasdelamettredanstonlit?Jesecouelatête,agacéparlecheminqueprendladiscussion.—Cequejedis,c’estquec’esttoiquirêvessitucroisquejelavoiscomme
une régulière potentielle. Et je vaismême aller encore plus loin, tu te fous ledoigtdans l’œil jusqu’aucoudesi tupensesque lemomentestvenupourmoid’avoirunerégulière.
Popsmarmonnequelquechosedanssabarbe,puis ilmeprendlabouteilledesmainsetboitunegranderasade.Ilreprendd’untonplussérieux:
—Assezparlédetoutça.Fautqu’onparleduclub,touslesdeux.—Yaunproblème?jeluidemande,soulagéqu’ildécidedelaissertomber
lesujet.—Ouais. Si on veut montrer que notre club est fort, faut qu’on se fasse
respecter.—Onsefaitrespecter.Lesautresclubsontpeurdenous.—Ouais,maisleshabitantsdenotresecteur,non.—Commentça?Ilsnouslaissenttranquilles,non?—Ilsnouscraignent,maisilsnenousrespectentpas.—Tupensesàquelquechoseenparticulier?—Ouais.Faudraitqu’ontrouveunecauseàdéfendre,pours’impliquerdans
lavielocaleouuneconneriedecegenre.Commeça,s’ilyadugrabugeaveclesautorités,ilsfermerontleurgueule.
Jesiffleentremesdents.—C’estpasrien,cequetudemandes.—Jesais.—Pourquoituveuxlefairemaintenant?Sesyeuxseperdentdanslevague.—Pourmagamine.Jevoisbienqu’ellen’estpasà l’aiseavecnous.Si je
faisuntrucbien,ellemeregarderapeut-êtredifféremment.—T’esvraimententraindechanger,Prés’.
—Comme je te l’ai dit, jeme fais vieux.D’ailleurs, je pense à passer lerelaisdansquelquetemps.
Jelefixe,interloquéparlabombequ’ilvientdelancer.Ilm’observedesonregardacéréetsembleanalysertouteslesémotionsquimetraversent.
—Jepenseàtoipourreprendrelesrennes.Jeteconsidèrecommemonfils,jetefaisconfiance,t’aslatêtesurlesépaulesettusaurasdévelopperleclubetprotégersesintérêts.
—Putain!Quandtufaisdesconfidences,tulesfaispasàmoitié!Jesaispassij’accepterai.T’asécoutétoutcequejetedisdepuistoutàl’heure?Jesuisperdu,encemoment…
— Je te donne un objectif en te proposant le statut de président. Et puis,déstresse fiston,c’estpaspour toutde suite. J’suispasconaupointdenepasvoir que c’est le bordel chez toi. Règle tes emmerdes et on en rediscuteraensuite.Enattendantquetuouvreslesyeux,tuastoutunvivierdenanasprêtesà tout pour se faire un type comme toi. Profites-en ! dit-il en faisant un vastegestedelamainendésignantlescampementsautourdunôtre.
J’hallucine,cetypeestvraimentlunatique!Ironique,jeluibalance:—T’asoubliélediscoursquetumetenaisilyaquelquesminutes?Tusais,
celuioùtumedisaisdemetrouverunerégulière.—J’aipasoublié.Dis-toiquecesoirtuvasprofiterdetesderniersmoments
delibertéavantdeteretrouveraveclacordeaucou.Cetabrutisemarredesaconnerie,ilselèvetoutenmetapantsurl’épauleet
sedirigeverslesautres.Lessivé, je réfléchis à la conversation que nous venons d’avoir, tout en
mettant de côté ses idées fantasques sur le fait que je dois me trouver unerégulière.Bordel,ilvientdem’offrirlestatutdeprésidentdeclubsurunplateaud’argent,etmêmeça,çanemetransportepasdebonheur.
Mespenséespartentànouveauà ladériveet reviennentsurHayleyetsonvisage d’ange. À son contact, il y a un petit truc qui s’éveille en moi et jen’arrivepasàsavoircequec’est.Toutcequejesais,c’estquemestourments
s’apaisentunpeuensaprésence.Peut-êtrequejevaisexploitercettepistepourvoir. Après tout, j’ai toujours utilisé les nanas comme échappatoire. Pourquoij’enferaisautrementavecelle?Deplus,ellereprésenteunsacrédéfi,etaucunmecnormalementconstituénelerefuserait.
Uncoupdepieddansmabotteme fait sursauter.En rogne, je lève la têteversceluiquiadécidédevenirm’emmerder.Splintermesurplombedetoutesahauteur, une bière dans chaque main. Il m’en tend une que j’attrapemachinalement et m’observe silencieusement alors que j’avale une gorgée. Jesavourelasensationduliquidefraisquidescenddansmagorge.
—Restepasdanstoncoinavectesidéesnoires,bouge-toi!AvecSpider,onarepérédesminettesquinedemandentqu’àêtreenfourchées.
Il me tend sa main et m’aide à me relever sans me laisser le temps deprotester. Il a raison, ça sert à rien de broyer du noir, les runs sont faits pourrencontrerd’autres clubs, écouter les concerts et, cerise sur legâteau, se taperautantdenanasquel’onveut.Jebalaiecequim’entoureduregard,despétassesnaviguententre lesdifférentscampements,prêtesà s’ouvrirauplusoffrant. Jeseraisvraimentleroidesconsdenepasenprofiter.
PourrejoindreSpider,nouspassonsàtraversplusieursgroupesdemotards.Certains appartiennent à des clubs amis, d’autres sont juste des passionnés demotos qui se donnent des allures de rebelles le temps d’un week-end avantd’enfiler à nouveau leur costume trois-pièces. Il y a pas mal de jeunes,probablementdesétudiantsàlarecherched’unpeud’adrénaline.
Sur le parcours, Splinter ne peut s’empêcher de déblatérer comme unecommère.
—Qu’est-cequit’arrive,frère?T’espastoi-même,depuisquelquetemps.—Merde, personne ne vame lâcher la grappe, ce soir, je grommelle les
dentsserrées.—Tumarmonnesquoi?—Jemedisaisquevousvousêtestousdonnélemotcesoirpourmefaire
chier.Jeviensd’avoiruneconversationhallucinanteavecPopsetj’aipasenvie
deremettrelecouvert.Indifférentàmavoixhargneuse,ilhausselesépaules.—Balance!Avoirunautreavis,çapeutservir.Leclub,c’estpasqueles
flics,lesmagouillesetlesbastons,c’estaussiça.—Tuvastefoutredemoi.—Vas-y,çafaitunbailquejenerisplus.Jesouffle,énervé,etabdique.—Pops s’estmis dans la tête que lemoment était venu pourmoi deme
trouverunerégulière.JetournelatêteversSplinter,ilesquisseunsourireencoinquim’agace.—Lâche-toi,risunboncoup,jevoisquet’enmeursd’envie.T’enfaispas
pourmoi,jesuisrodépourcesoir.Splintersecouelatêteetmejetteunregard.—Jenevaispasrire,frangin.Justetedireuntruc:Popsvoittout.C’estun
putainderadarpourdétecterleschosesavantquequiconquenelesvoie.Jenerelèvepascequ’ilvientdemedire,ceseraitnierl’évidence.Popsala
réputationd’avoirunsixièmesensetcedonnousaservisplusd’unefoispourmeneràbienlesaffairesduclub.
Nouscontinuonsnotretraversée,hermétiquesàcequinousentoure,quandSplinterreprend.
—Tumefaispenseràmoiavantquej’intègreleclub.
Splintern’estavecnousquedepuiscinqans.C’estquandilaquittélesrangsdel’arméequ’ilnousarejoints.Enrentrantaupaysilaeudumalàseréadapteràlaviecivile.Leclubluiafaitdubien,ilyaretrouvél’espritdefraternitéqu’ilavaitavecsescopainsMarines.Quandilestbourré,ilnousracontedeuxoutroistrucs, mais avant de vider complètement son sac, il finit toujours par coupercourtetparconclurequ’ilnesouhaiteàpersonnedevivrecetenfer,pasmêmeàson pire ennemi. Tout ce que je sais de son passé, c’est qu’il en a vécu plusd’unedeguerre.Quandilnesesentpasobservé,sonregardsefaithanté.Moninstinctmesoufflequ’ilrevoittouteslesatrocitésqu’ilavécueslà-bas.Splinter
adeuxpassionsdanslavie:lespizzasetlesartsmartiaux.Ilafaitdecedernierpointsaspécialitéetc’est luiquinousformesurles techniquesdecombat.Cetypepeutfoutretoutlemondesurlecul.Onquittetoussonentraînementavecunedémarchedecrabe.Personnen’aledessussurlui.Unsoir,aveclesfrangins,on a décidé de lui refiler le nom de route de Splinter. On s’emmerdait et onregardait une vraie merde à la télé – Les Tortues Ninja –, mais quand lepersonnagedeSplinterestapparuàl’écran,pournous,çaaétéunerévélation.C’estainsiqu’AndrewJacksonPattersonaofficiellementétébaptiséSplinter.
Saremarqueapiquémacuriosité,alorsjeluidemande:—Explique-toi.— Quand je suis rentré chez moi, je ne savais pas quoi faire de mes
journées. J’étais habitué à me réveiller le matin en me disant que c’était ledernierjourquejevivais.Etenunclaquementdedoigts,jemesuisretrouvéàvivreuneviepeinarde,dansunebanlieue,sansentendrelebruitd’uneputaindebombe.Lepire c’était le silence. Ilme foutait la trouille.Et puis un jour, j’airencontré Pops, on a parlé et j’ai fait quelques trucs pour lui en tantqu’hangaround.Quandj’aivulavieduclub,j’aivoulul’intégrerparcequej’yavaisretrouvécequimemanquait.
—Hum…saufquemoij’appartiensdéjàauclub,j’aitoutcequejeveux.—Pastout,non.Autrementtuseraispasdanscetétat,frère.Maintenant,à
toidetrouvercequeturecherches.Spidernous sifflepour indiquer saprésence.Plusieurs filles sont avec lui.
Quandellesnousvoientapprocher,leursvisagess’illuminent.Àpeinesommes-nousarrivésàleurhauteurqu’unedesnanassedétachedugroupeetvientdirects’enroulerautourdemoicommeuneliane.Pasfarouche,celle-là.
Elleattrapelabièrequej’avaisdanslamainet,avecunregardsensuel,avaleune gorgée. Elle me la rend, la pointe rose de sa langue passe sur sa lèvresupérieure. J’esquisse un sourire pour lui faire comprendre que j’ai saisi lemessage.
—C’estpaslafilleduPrés’,là-bas?JetournemonattentiondansladirectionqueSpidernousmontre.—C’estbienelle,jeréponds.
Elleestsurlesépaulesd’undesescopains,lesbraslevésàpousserdescrisdegroupiehystériqueàl’intentionduchanteurquiestsurscène.J’admirecettefille, savien’apas été toute rose et,malgré lesobstacles, sa joiedevivre estrestéeintacte.
—Putain,si lePrés’ lavoitcommeça,passûrqu’ilapprécielespectacle.Ondevraitpeut-êtreyaller,marmonneSplinter.
—Laisse-la,ellealedroitdepasserunesoiréetranquille.Regarde-la,elles’amuse.Tantqueletypeestcorrect,onn’apasàs’enmêler.
Tout en lui répondant, je scanne la foule pour tenter d’apercevoirHayley.Quandjelarepère,jenepeuxpasm’empêcherdel’observeretoublielapétassecolléecontremoi.Ellesetientlégèrementenretrait,sonpiedbatlerythmedelamusique.Mêmedeloin,jevoisbienqu’ellen’estpasàsonaise,jeparieraismabécanequ’elleauraitaiméseretrouvern’importeoùsaufici.Jeremarqueque,pour une fois, son petit copain n’est pas collé à elle et j’ai unmal fou àmeretenird’allerlavoir.Rienquepourleplaisirdelafairerougir.
Ce qui se déroule alors sousmes yeuxme fait perdremon sourire. Jemeraidisd’uncoupquandjevoisuntypel’approcher.Ildoitavoirlatrentainebientassée,j’afficheunemoueécœuréequandjemerendscomptequec’estlegenredemecàseprendrepourungrosdur.J’enaicroisépasmaldesgarscommelui,il suffit de gueuler un peu plus fort qu’eux pour qu’ils se pissent dessus ets’enfuientlaqueueentrelesjambes.Cesmecsmedébectent.
Ilestcomplètementbourréetneparvientpasàgarderunedémarcheassurée.Arrivéàsahauteur,ilperdunpeul’équilibreetrenversesonverresurelle.Maisquelcon,cemec!
Sansm’enrendrecompte,jedétachelananacolléeàmoietserredespoingsenregardantlascène,prêtàintervenir.Hayleycommenceàpaniquer.J’avanced’un pas pour la rejoindre,mais apparemmentBrandon leminable n’était pasbienloinetl’avaitàl’œilcarilserapproched’elleimmédiatement.Lentement,il referme ses bras autour d’elle, elle enfouit son visage dans le creux de sonépauleet il laserrecontre lui, touten luichuchotantquelquechoseà l’oreille.Petitàpetit,lecorpsd’Hayleysedétend.EllepenchesatêteenarrièreetcroiseleregarddeBrandonleminableetluiadresseunfaiblesourire.
Moncœurseserreet,àlavuedecettescène,unequestions’imposeàmoi.Qu’est-cequiapuluiarriverpourqu’ellesoiteffrayéeparcesimplegeste?Maquestionpasseausecondplanquandjeprendsconsciencequej’étaisprêtàendécoudreaveccetype.Jesuiscomplètementmaboule.Pourquoijememetsdansuntelétatpourcettefille?
Unemainseplacesurmonépaule.Encoresousl’emprisedel’adrénaline,jemeretourned’unmouvementbrusque,prêtàmettremonpoingdans lagueuledutypequivientdemetoucher.Splinter.
Jeréalisealorscequejem’apprêtaisàfaireetmesensminable.Merde. Ilhausseunsourcilinterrogateuretsonregardfaitdesallers-retoursentreHayleyetmoi.
—Tuvasdroitdanslemur,frère.Tufixescettefilledepuistoutàl’heure.(Ilmarqueunepause.) J’aivu la scène.C’estuneoieblanche,vous jouezpasdanslamêmecour.
—C’estpascequetucrois,c’estunecopinedeBeverly.— Si tu le dis… répond-il en faisant un mouvement de la tête dans sa
direction.C’estpeut-êtreelleletrucquitemanquedepuisquelquetemps.Ilhausselesépaules,désinvolte,etesquisseunsourireencoin.—Toutcomptefait,Popsn’apeut-êtrepastort,ajoute-t-il.Sansunmotdeplus,ilrejointSpider.
Ce qu’il vient deme dire m’agace, et la tournure que prend cette soirée,
ajoutée àmon esprit focalisé surHayley,me fout encore plus en rogne.Monregardcroiseceluidelananaquis’étaitmiseunpeuenretrait.
Elle tombeà point nommé, celle-là. J’ai besoin de faire le vide dansmonespritetelleferal’affaire.Sansplusmepréoccuperdeceuxquim’entourent,jeluifaissigned’approcher.Jelanceuncoupd’œilgoguenardàSplinterpourbienlui faire comprendre qu’il se plante. Et sans réfléchir une seconde de plus,j’embrasselafilleàpleinebouche.Qu’ilsaillenttoussefairefoutre!
1.Locution latine,«Cueille le jourprésent».Cette expressionest souvent adoptéechez lesbikerscommelignedeconduite.
9
Hayley
J’aiunpeudemalàouvrir lesyeux,cematin,etencoreplusàrassemblermesesprits.Lessouvenirsdelaveillemereviennentparflashs.Pourquoifaut-iltoujours que nous jouions à ces jeux débiles qui consistent à ingurgiter unmaximumd’alcool?JemetourneversJune,endormieàcôtédemoi.Cesimplemouvementamplifieladouleurquimevrillelecrâne.J’essaiedemeredresseretunsonquiressembleàungrognementdebêteàl’agoniesortdemabouche.Enfaisant attention à nepas la réveiller, jem’extirpedemon sacde couchage etquittelatente,leplussilencieusementpossible.
Unefoisdehors,j’inspireungrandcouppourfaireentrerunmaximumd’airfraisdansmespoumons.Jem’approchedelatentedesgarçonsettendsl’oreillepourvérifiers’ilsdormenttoujours.Commejeneperçoisaucunson,j’endéduisqu’ils sont encore dans les bras deMorphée. Beverly est assise devant le feuéteint,ellerelèvelatêtelorsquejem’approched’elle.D’aprèssestraitsfatigués,jedevinequepourelleaussileréveilestdifficile.Jeluichuchote:
—T’aslatêted’unefillequiabesoind’uncafé.—J’enrêve.—Tuviensavecmoi?Jecomptaisallerchercherdequoiprendreunpetit
déj’.—Çamarche.
Jel’aideàsereleverpuisnouspartonsàlarecherched’unfoodtruck.Surlechemin,jenepeuxm’empêcherdeluidire:
—En tevoyant, jen’aurais jamais imaginéque tonpèreétait leprésidentd’unclubdebikers.
Ellehausseunsourcilinterrogateur.—J’auraisdûressembleràquoi?—Jenesaispas…Entoutcas,tupourrasleremercierd’avoirfaitinstaller
notrecampement.La veille, quandmes amism’ont conduite sur notre emplacement, j’ai été
impressionnée par notre installation. Beverly m’a alors expliqué que desmembresduclubdesonpèreavaientfaittoutleboulot.
Ellericane.—Ilsaitquejedétestelecamping.Ill’acertainementfaitpourêtresûrque
jenemebarrepasencourants’ilavaitfalluquejemontemoi-mêmematente.Etpuiscestrucs,çafaitpartiduboulotdesprospects.
—J’ai toujours aimé le camping.Quandon était petits, avecBrandon,onpartait chaque été en colonie de vacances. Je crois que ça fait partie de mesmeilleurssouvenirsd’enfance!
—Tesparentsnetemanquaientpas?—Non.Monpèreestmortquandj’étaistrèsjeuneetmamère…Disonsque
nousavonsunerelationcompliquée.Beverly hoche gravement la tête, comme si elle comprenait la situation.
Curieuse,jeluidemande:—C’estcomment,laviedansunclub?— En réalité, je n’en sais pas grand-chose. Je ne vais qu’aux sorties
« familiales»duclub, jamaisauQG,où tous lesmembresse réunissent,monpèremel’interdit.Leurstyledevieestassezparticulier.Etlesraresfoisoùjeluiaidemandéenquoiconsistaitsonclub,ilatoujourséludélaquestion.
—Pourquoiveut-ilteteniréloignerduclub?—Disonsqueleurmondeestàpart.Etj’ail’impressionquetoutn’estpas
forcémentlégal.Enyréfléchissantbien,jecroisquemonpèreapeurquejele
regardedifféremmentsij’apprendsenquoiconsistentréellementsesaffaires.Jepensequ’ilesteffrayédemeperdreànouveau.Tusais,sij’aiétéséparéedelui,et s’il a perdu ma mère, c’est à cause du club. Elle n’a pas supporté leurfonctionnement.
—Tuespartie?— Ma mère m’a enlevée quand j’étais gamine. Je n’ai presque aucun
souvenirdemonpèreavantnotredépart.Seulementquelquesimages,quandilmepromenaitsursamoto.T’auraisdûvoircommej’étaisfière.Jemesouviensde lui m’amenant à l’école, tous mes copains étaient à la fois intimidés etfascinés.Etpuis,unjour,mamèrem’aemmenéeetjenel’aiplusjamaisrevu,jusqu’àilyadeuxans.
—Commenttuvistonretour?—J’aidumalàtrouvermaplace.Jenemesenspasàl’aise,j’aiétéélevée
loindetousleurscodes,parfoisc’estunpeuunchocdescultures.
J’hésite quelques secondes avant de lui poser la questionquimebrûle leslèvres,puisjemelancefinalement:
—EtJace?—Comme je te l’ai dit, nous avons vécu un peu ensemble avant quema
mèrenem’emmèneavecelle.Àl’époque,c’étaitunvéritablerebelle.Ellenem’enditpasplus,sonregardseperddanslevideetsefaitsongeur,
puisellereprendd’unevoixlégèrementhésitante.—Hayley,j’aivulesregardsquevousvouslanceztouslesdeux.Ilfautque
tusachesquec’estquelqu’und’assez…complexe,mêmes’ilsefaitpasserpourunemmerdeurdepremière.Lesurnomqu’ilmedonne,«petitesœur»,ilnemel’a jamaisdit,mais je saisquepour lui il aunedouble signification.Chez lesbikers, les petites sœurs sont des relations proches desmembres, celles qu’onchouchoute,enquelquesorte,maispourJace,ilaunautresens.Quandonvivaitensemble, il jouait le rôledugrandfrèreavecmoi.Etpour tout t’avouer, je leconsidèreainsi.C’estuntypebienetjel’adore.C’estpourçaquejet’enparle.Maisjenesuispascertainequ’ilsoitfaitpourtoi.Leurmondeestàl’opposédu
nôtre. Tu sembles être quelqu’un de fragile, je ne sais pas si tu pourras toutsupporter.Etpuis,ilalaréputationd’êtreunsacrécoureurdejupons.
Sadernièreremarquemepiqueauvifetunsentimentdejalousiemonteenmoi.J’essaiedelechasserrapidementdemonespritettentederépondresuruntondésinvolte:
— Hum… Je pense que tu fais fausse route, ça m’étonnerait qu’un typecommeluisoitattiréparunefillecommemoi.Jen’airiend’exceptionnel.Lui,ilest…Ilest…
Face àmonbégaiement, ellem’adresse un clin d’œil et ajoute d’une voixchargéedesous-entendus:
—Hayley,n’aiepaspeurdeledire,cetypepourraitfairemouillerlapetiteculottedelareinedesglacesenunbattementdecils.
Jerougisetessaiedeformulerunephrasesansyparvenir.—C’estvraiqu’ilest…—Ouais,ill’est…répond-elledansunsoupir.
Nousdébouchonssurnotredestinationenriant.Noustraversonsleparking
et je reconnais immédiatement lamotode Jace. Je scrute les alentours avec lesecretespoirde l’apercevoir,maisaucunsignede lui.Uneodeurdecaféetdefriture vient me chatouiller les narines, me permettant de localiser facilementl’objetdemaconvoitise.
Une foule hétéroclite, composéed’étudiants et debikers, est déjà amasséedevantlefoodtrucketattendpatiemmentd’êtreservie.Nousrejoignons lafileet,alorsquenousdiscutonsdecequiestprévupourlajournée,unmouvementderrière Beverly attire mon attention. Un groupe de mecs vient dans notredirectionetjenesaispassic’estl’effetdemassequidonnecettesensation,maisilssontimpressionnants,àlalimiteduflippant.Tousadoptentunedémarchequisemblevouloirdire«Noussommesdangereux,nevenezpasnousemmerder».D’ailleurs,plusieursautresbikerssedécalentàleurapprocheetlessaluentavecunprofondrespect.
Celuiquiestàlatêtedugroupedoitavoirlacinquantainepassée.Plusjeune,ildevaitêtrebeaucar ildégageunsacrémagnétisme.Maiscequiretientmon
attention, c’est la couleur de ses yeux, la même que celle de Beverly : bleutranslucide. Cependant, la ressemblance s’arrête là, car autant ceux de macolocatairesontchaleureux,autantceuxdumecenquestionsontglacials.Àmonavis, il serait capablede faire fuir n’importequid’un seul regard. Il interpelleBeverlyd’unevoixdeténor:
—Bev!Beverlyseretourneetsoupire.—Papa.—T’asquittélecamp,jetecherchaispartout.—Bahtuvois,tum’astrouvée.Jen’étaispasloin.—Préviens-moilaprochainefois.—Ok.Mais tun’étaispasobligédeveniravec lacavalerie, luidit-elleen
désignantlesautrestypes.Toutaulongdeleuréchange,j’observelebikerdiscrètement.Ilalamême
carrureimpressionnantequecelledeBakers,maiscontrairementàcedernier,ilest plus massif, plus large d’épaules. Ses bras sont, eux aussi, recouverts detatouagesetjesuispresquesûrequejeneparviendraispasàfaireletourdesesbicepsavecmesdeuxmains.Sonvisageestmarqué,commeceuxquiviventaugrand air, et de fines rides apparaissent autourde sesyeux. J’avoueque, poursonâge,c’estunbelhomme,etildoitencoreconnaîtreunsuccèscertainauprèsdesfemmes.J’ensuislàdemesconstatationslorsquejemerendscomptequ’ilsont fini leur conversation et que toute son attention est reportée surmoi. Sonregardacérémemetmalàl’aise.
Je me dandine d’un pied sur l’autre, tentant de masquer mon embarras.Beverlyvientàmarescousse:
—Papa,jeteprésenteHayley,macolocataire.Ce typem’intimide, une boule d’angoisseme serre la gorge et je déglutis
avecdifficultépendantquelui,impassible,continueàmescruter.Jeréprimelestremblementsdemamainetlaluitendspourlesaluer.
—Bonjour,Monsieur.
Il fixemamain tendue pendant quelques secondes quime semblent dureruneéternité.Puis,commes’ilavaitprisunedécision,ilfinitparmelaserreràson tour. Sa poigne est ferme, ma main est complètement engloutie dans lasienne.
—Pops.Tupeuxm’appelercommeça.Nesachantpastropquoiluirépondre,j’acquiesceetcontinueàleregarder
droitdans lesyeux.Quelquechosemeditquecen’estpas legenrede typeàapprécierquel’ondétourneleregard.Àmongrandsoulagement, lavoixdelavendeuseinterromptnotreéchangemuetetm’annoncequec’estànotretour.Jemeretourneverselleetluipassecommande.
Le temps qu’elle me la prépare, un grand silence inconfortable s’installeentre nous et j’en profite pour reportermon attention sur les autres types quil’accompagnent. Je note qu’ils portent tous le même gilet en cuir coupé auxépaules, avec plusieurs écussons cousus sur le devant. Un en particulierm’interpelle,c’estunlosangerougevifàl’intérieurduquelestécrit«1%».Jenecomprendspassasignification,mais ilmefiledes frissons. Je reportemonattentionsurlevisagedesesamisetclignedesyeuxsousl’effetdelasurprisequandjereconnaisl’und’entreeux.Bakers.
Je suis incapable d’émettre le moindre son. Lui m’observe, impassible.Quandjeretrouvemavoix,jenelareconnaisplus.Ellen’estplusqu’unsouffle:
—Bakers…Ilinclinelatêtelégèrementsurlecôté,unefossettecreusesajouedroiteet
lesourirequ’ilm’adresseesttoutbonnementunpurdélice.—Monange…Popsfaitdesallers-retoursentrenousdeuxavantdedemander:—Vousvousconnaissez?Sanssedépartirdesonsourire,ilrépond:—Ouais,c’estlafillequej’aiaidéehiersoir.
Pops ouvre la bouche puis la referme, comme s’il venait de comprendre
quelquechose.IllanceunregardàJacequisemblevouloirdire«Ilfautqu’oncause,touslesdeux».Avantquejepousseplusloinmonanalysedelasituation,
la vendeusem’annonce quema commande est prête. Jem’empresse de saisirmescafésetmesdonutsquandlefameuxPopsreprendlaparole:
—Tudevraisvenirprendrelepetitdéj’avecnous.Commeça,jeconnaîtraimieuxlesamisdemafille.
Sapropositionressembleplusàunordrequ’àunegentilleinvitation.Jeluimontremesmainschargées.
—Merci,maisjedoisrejoindrelerestedelabandeetleurapporterça.Sansprendrelapeinedemerépondre,Popssiffleunhommederrièrelui.—Amèneçaàleurcampement.L’interpelléneposeaucunequestion.Levisagevidedetouteexpression,il
s’emparedemacommandeetprendladirectiondenotrecampement.Luiaussiporteunblouson,maiscontrairementauxautres,unseulécussonyestcousu :Prospect. D’après les bribes d’informations que j’ai obtenues depuis que jeconnaisBeverly,j’endéduisquec’estundecesgarsquiveutdevenirmembreduclubmaisqu’ildoitencorefairesespreuvespouryparvenir.
10
Jace
Hayley.Mêmeaprèsm’êtretapél’autrefille,jen’aipaspum’empêcherdepenseràelleunebonnepartielanuit.Quandjel’observesilencieuse,marchantpaisiblementàmescôtés,jemedisquej’aifaituneconneriehiersoir.Jenesaismêmepasquoiluidire,jemesenscommeunadolescentenrut,ramenantavecluilareinedubaldepromo.
Jel’observediscrètementalorsqu’ellegardelatêtebaissée.Sesmagnifiquescheveux tombentencascadeet formentun rideauautourde sonvisage. Jemedemandecequ’ilsepassedanssajoliepetitetête.Putain!Jesuisvraimentuncrétin ! Où est passée ma bonne résolution de juste vouloir la baiser pourpouvoir enfin passer à autre chose ?À son contact, je neme reconnais plus,monimmoralitéfondcommeneigeausoleil.Bordel!Toutça,c’estlafautedePopsetdeSplinter,avectouteslesconneriesqu’ilsm’ontdébitéeshiersoir.
Jejetteuncoupd’œilrapidepar-dessusmonépauleetvoisPopsetBeverlyunpeuplusloinderrièrenousenpleineconversation.Mesfrangins,quantàeux,fontlesconsetnesepréoccupentpasdenous.Commeonestàl’abrideleursoreilles,j’enprofitepourposerlesquestionsquimedémangent.
—Çafaitlongtempsquet’esavecceBrandon?—AvecBrandon?—Ouais.Voussembleztrèsproches,touslesdeux.
—Oui,c’estvrai.Maispasdelamanièredonttul’envisages.Alors que j’affiche une moue dubitative, elle insiste, apparemment
déterminéeàeffacertoutmalentendu.—Nousnesommespasencouple.C’estlapersonnelaplusimportantedans
mavie,maisnousnenousaimonspasdecettefaçon.Pourrésumer, ilestunesortedefrère,deprotecteur.
—Dequoias-tubesoindeteprotéger?—Toutlemondeabesoind’êtreprotégé.—C’estcequetupensesréellement?—Oui.
Nous retombons dans notre mutisme. Je cogite à ses paroles, j’ai
l’impressionqu’ellevientdemerévélerundesessecrets.Bonsang,pourquoi,etsurtout,dequoiunenanacommeelleabesoind’êtreprotégée?
Quandelledécidededétournerlaconversation,jelalaissefaire.Jen’aipasenviedelabrusquer,etpuisseshistoiresnemeregardentpas.
—Ettoi,raconte-moi,commentçamarche,votreclub?—Qu’est-cequetuveuxsavoir?—Vousêtesdesméchantsoujusteungrouped’amisquipartagelamême
passiondelamoto?—Notreclub,c’estunegrandefamille.Tuvasrencontrerlesrégulièresde
certainsmembresavecleursgosses.—Desrégulières?—Ouais,dansnotremonde,lesrégulièressontlesfemmesofficielles.—Cequiveutdirequ’ilyenad’autres?Merde,pourquoijeluiaiparlédesrégulières?Autantmefoutredirectune
balledanslepied.—Monange,ilvautmieuxpourtoinepastropchercheràsavoir.Elle analyse ma réponse tout en plissant son petit nez d’une manière
adorable.—Jenecroispasquecetteréponsemeplaise.—C’estcommeça,pourtant.
—Vousfaitesdestrucsillégaux?—Qu’est-cequitefaitdireça?—Bah,c’estlaréputationdelaplupartdecetypedeclubs,non?Etpuisil
fautdirequevousêtestousintimidants.—Etçatefaitpeur?—Jedevrais?— Peut-être. On n’aime pas trop que les gens viennent fouiner dans nos
affaires.—Tucroisquejefouine?Jel’arrêteetmetourneverselle.—Tuposesbeaucoupdequestions.—Jesuiscurieuse,c’esttout.J’aimesavoiroùjemetslespieds.J’opineetnousreprenonsnotremarche.
Auboutdequelquessecondes,j’ajoute:—Tuaimestoujourstoutcontrôler?—Contrôlerpermetdeseprotéger.—Onenrevienttoujoursàcettequestiondeprotection.—Quelqu’unm’aditiln’yapassilongtempsqueçaqu’ilvalaitmieuxne
pastropchercheràcomprendre.Touché.J’esquisseunsourire.—J’aisaisilemessage,monange.—Pourquoitum’appellescommeça?À l’instant où cesmots franchissent la barrière de sa bouche, jem’arrête
brusquement.Mesépaulessecrispentd’uncoup.Ellesemordillelalèvreetmejetteunregardencoin,appréhendantmaréponse.J’essaiedefairelevidedansmonespritpournepasl’envoyerchier.Car,sanslesavoir,ellevientdemettreledoigtpilelàoùilnefallaitpas.Laseuleréponseàcettefichuequestionquimevientmedéstabilisecomplètement.J’aienviedeluirépondre,maiscommentnepaspasserpourunconsijeluidisquelorsquejel’aivuepourlapremièrefois,ellem’adonnél’impressiond’êtreunangevenupourmoi,pourmesauver?
Ok,j’arrêtelesconneries.Jevoulaismelataperpourfairechiersonmecquienplusn’estpassonmec,maisj’abandonnel’idée.Letempsestpeut-êtrevenupour moi d’enfourcher ma bécane et partir quelque temps, histoire de meremettrelesidéesenplace.Madécisionestprise.Jeneprendspaslapeinedeluirépondreetluilancesuruntoncalmeetfroid:
—Noussommesarrivés.
Le Prés’me sauve lamise sans le savoir lorsqu’il nous interpelle et nousdemandede lesuivre.Alorsqu’il s’installeàune table, il intercepteHayleyetfroncelessourcilsquandilvoitsonvisagedéfait.Sonregardcoulisseversmoietilsemblefurieux.
—Toutvabien,Gamine?T’asl’airpatraque.—Çava,justeunréveildifficile,MonsieurPops.—Popstoutcourt,Gamine.J’aipasl’habitudequ’onm’appelleMonsieur.— Ok, Pops, moi c’est Hayley… Je n’ai pas l’habitude que l’on me
surnommeGamine.Bordel!C’estvraimentellequivientdebalancerçaauPrés’?Soitelleest
inconsciente,soitelleaducran.Jeparieraisplussurladeuxièmehypothèse.J’ouvredesyeuxrondsetmefige,bloquantmarespiration.J’ail’impression
que tout l’air autour de moi a été aspiré. J’observe cette scène étrange avecangoisse et attends la réaction du Prés’. Il n’a pas l’habitude que les gensremettent ses paroles en question. Pour lemoment, il ne dit rien et la regardefixement, seul le muscle de sa mâchoire qui tressaute indique un signe detension.Hayley,desoncôté,resteimpassibleetnedétournepaslesyeux.Elleattendelleaussileverdict.MesfrèresontstoppénetleursconversationsetfixentHayleycommesiuntroisièmeœilluiavaitpoussésurlefront.Elleadûsentirque l’atmosphère s’était chargée d’électricité et que Pops n’avait pas pourhabituded’êtreremisàsaplace,surtoutdevantmesfrères,carelleajoutedesavoixdouceetespiègleàlafois:
— Par contre, si vous m’appelez Gamine parce que c’est un surnomaffectueux,danscecasj’accepte.
La tension qui habitait le Prés’ retombe légèrement. Il esquisse un brefsourireetluifaitsigned’approcher.Labombeestdésamorcée.
—Ok,Gamine.Vienst’asseoirqu’ondiscuteunpeutouslesdeux.Ilsetourneversmesfrèresetleurditd’unevoixautoritaire:—Laissez-nousseuls.Ils sedispersent, tandisque,demoncôté, je reste en retrait et écoute leur
conversation.Unechoseestsûre,c’estquecettefillen’apasfroidauxyeux,cartoutens’asseyantàcôtédelui,elleluirépond:
—Avecplaisir,MonsieurPops.Aumoins,ellealedondelefairemarrer.—T’asdutempérament,Gamine.J’aimeça.—Disons que je sais ce que je veux.Désolée, si j’ai dit un truc qu’il ne
fallaitpas.Jeneconnaispastousvosmachinsdebikers.—Restetoi-mêmeetçaira.—Entendu.—Tuveuxuncafé?Elle acquiesce, tout enprenant le café qu’il lui tend.Alors qu’elle souffle
dessus,lePrés’reprend:—Parle-moiunpeudetoi.
Toutentournantlegobeletentresesmains,ellehausselesépaules.—Yapasgrand-choseàdire.JeviensdeNewYorketçafaitunpeumoins
d’unmoisquejesuisici.Jefaisdesétudesdesociologiepourdevenirassistantesociale.Bref,jesuisuneétudiantelambda.
—PourquoilaCalifornie?—Poursachaleuretsesplages?Vu le regard qu’il lui lance, jeme doute qu’il ne croit pas unmot de ce
qu’elleluidit.—Hum…Etlesocial?—C’estunprojetquimetientàcœur,jeveuxaiderlesgaminsquin’ontpas
eu de chance à la naissance. Ils ne méritent pas ce qui leur arrive, d’ailleursaucunenfantneméritedesouffrir.
Elle s’interrompt pour porter sa tasse à ses lèvres, boit une gorgée, et sesyeuxsefermentletempsdesavourersonbreuvage.Puisellelesrouvreetaunnouveauhaussementd’épaules.
—J’essaied’ycontribuermodestement.Beverly,quiétaitrestéemuettejusqu’àprésent,intervient:—Cequ’elle ne te dit pas, papa, c’est qu’elle est aussi bénévole dans un
centresocialpouraiderlesenfants.LeregarddePopssefaitintéressé.—Parle-moidececentre.Quefait-ilpourlesgosses?—Nousyaccueillonspourlajournéelesenfantsquisontdansdesfamilles
désuniesouendifficulté.Nous lesaidonsà faire leursdevoirs,organisonsdesjournéespique-nique,dessortiesaumusée.Çaleurpermetdes’échapperdeleurquotidienetdeleurmontrerque,danslavie,ilyaaussidebelleschoses.Mêmesi nous concentrons nos efforts sur les enfants, nous intervenons égalementauprèsdesmèrescélibatairesoubattuesquisollicitentnotreaide.Bref,onfaitunpeuducasparcas.
— T’es en sécurité là-bas ? Imagine qu’un mari violent débarque pourréclamersafemmeousongosse?
—Nousfermons laported’entréeàclefetespéronsque lapolicearriveàtempsavantqueçadégénère.Jusqu’àmaintenantlecentren’apasrencontrécegenredeproblème.
—Hum…Devantl’airdubitatifdePops,elleajoute:—Voussavez,c’estuneassociationquin’apasbeaucoupdemoyens.Tout
lemondeyestbénévole.Pourceuxquisontvraimentendanger,nousessayonsdejouerdenosrelationspourlesfaireentrerdansdesfoyersquivontlescacheret les protéger le temps que la justice fasse son travail. Pour les autres, nousessayonsdeleurassurernotreprésenceetnotresoutien.Commeça,lejouroùilsont un problème, ils savent qu’ils peuvent venir nous voir, que nous seronstoujourslà.
—Etsiquelqu’unabesoindevouslanuit,vousfaitescomment?—Nousfaisonsdespermanencesàtourderôle.
—Hum…
Popsresteuninstantpensifpuischangedesujet.—Aufait,tumedonnerastesclefsdevoiture,mesgarsvontyjeteruncoup
d’œiletessayerdelaréparer.—Nevousdérangezpaspourça.Jevaisessayerdetrouverundépanneur.—Gamine…Donne-moilesclefs,ons’enoccupe.—D’accord.De toute façon, quoi que je dise, vous n’en ferez qu’à votre
tête.C’estbiença?—T’astoutpigé.—Merci.—Pasd’quoi.Hayleyregardel’heuresursamontre.—Jevaisvouslaisser,mesamism’attendent.EllesetourneversBeverlyet
ajoute:Turestesiciouturetournesaucampementavecmoi?—Euh…Jenesaispas…—TupeuxalleravecHayley,mapuce.—T’essérieux?—Ouais.—Sansbikerderrièremoipourmesurveiller?—Bev,nemefaispaschangerd’avis.—Jesuisscotchée.LesfillesserelèventetHayleys’approchedelafilleduPrés’.Elleluidonne
unpetitcoupdecoudedanslescôtesetbalanced’untonespiègle:—Ça,çaveutdirequej’aipasséletestauprèsdetonpère!—Gamine…—MonsieurPops…— Filez toutes les deux. Hayley, tu veux qu’on te raccompagne, tout à
l’heure?—Non,c’estbon,merci,mesamisleferont.—Ok.—Salut,p’pa!
—Salut…Etpasdeconneries!
Je fixe Hayley disparaître de sa démarche légère et insouciante. Lebalancementde seshanchesetde sonpetit culmouléà laperfectiondans sonpantalon a un pouvoir hypnotique. J’ai envie d’enfouir mes mains dans sescheveux,derespirersonodeurdanslecreuxdesoncou,demordillerlelobedesonoreilletoutenfaisantpressiondemonbassinsursonventrepourluimontreràquelpointellepeutmerendredur.Putaind’érection!
—T’esdanslamerdejusqu’aucou,fiston.Je sursauteenentendant lavoixduPrés’. J’étais tellementpartidansmon
fantasmequejenel’aipasvuseleverets’approcherdemoi.—Pourquoitudisça?— Cette gamine, me dit-il en effectuant un mouvement du menton en
directiond’Hayley.Tuvascouriràtaperteavecelle,mêmemoiellearéussiàm’amadoueravecsesairsinnocents.C’estunechouettegosse.
— Ouais, le problème, c’est que je ne la vois pas vraiment comme unegosse.
Popsrenversesatêteenarrièreetpartdansungrandéclatderire,cequ’ilmeditmefaitbouillirlesangdanslesveines.
—Ohbonsangqueçafaitdubiendevoirça!Lepetitgénies’est trouvéune nana.Et d’après ce que j’entends, on va pouvoir ouvrir les paris avec lesfranginspourvoirjusqu’àquandturefuserasdevoirlavéritéenface.
D’uneimpulsion,jemedécolledutroncd’arbrecontrelequelj’étaisadosséetm’approched’unpasverslui,unairmenaçantplaquésurlevisage.
—Merde,Pops!Sit’étaispasmonPrés’,jetefoutraismonpoingdanslagueulepourdeuxraisonsvalables.D’une,pourm’avoirappelé«petitgénie»,etdedeux,pouravoirditquecettefillepourraitêtremarégulière.Ilvafalloirquetutefoutesdanslecrânequejenesuispasàlarecherched’unerégulière.Parceque le jour où je déciderai deme prendre la tête avec une nana, de faire desconcessions à la con et surtoutoù jedéciderai de rangermaqueue auplacardpouruneseulefillen’estpasprèsd’arriver!
Loindesesentirmenacé,ilmarmonnedanssabarbe,lesourireauxlèvres:
—Putain,ouaisonvabiensemarreraveclesfrangins!
Aprèsquelquessecondes,ilreprendsonsérieux.—T’asconsciencequ’elleal’âgedemagosse?—Ouais.L’atmosphèreetlaconversationdeviennenttroppesantes,j’essaied’alléger
toutçad’untraitd’humour,quitombeàl’eau.—Estime-toiheureux,j’auraispuportermondévolusurtagamine.Comme prévu, Pops démarre au quart de tour et me lance d’un air
menaçant:—T’approchepasdeBev.Tusaisquelepremierquilatouche,jeluicoupe
lescouilles.Jememarre envoyant la réactiondePopset jeplains lepauvre typeque
Beverlyprésenteraàsonpèrecommeétantsonmec.Entoutcas,cejour-là, jeveuxêtreauxpremièresloges.Dansnotremonde,c’estbienconnu,onnetouchepasàlafilled’unprésidentdeclub.Lemecvaprendrecher.Lapremièrechosequ’ilauradePops,c’estsonpoingdanslagueule.
—Jeplaisante,Prés’.Tusaisquepourmoi,elleestcommeunepetitesœur.— Hum… Pour en revenir à Hayley, tu sais que tu ne pourras pas la
considérercommeunebrebis,elleatoutpourêtreunerégulière.Etmerde,iladécidéderemettreça!Jem’emportealors:—Maisbordel,pourquoionparled’ellecommemarégulièrepotentielle?À
labase,j’avaisprévudemelataperjusteunefois,etc’étaitpourfairechiersoncopain!
—Netemenspasàtoi-même!Jet’aivuavecelle,t’escommeunchiotquisautilleparcequ’onluiapportesababallepourjouer!
L’imageàlaquellePopsmecomparemefaitgrimacer.Maissijeveuxêtrehonnêteenversmoi-même,jedoisbienm’avouerquedepuisquej’airencontréHayley,ilyauntrucquis’estdéclenché.
—J’admetsquecettefilleestbandante,j’admetsquejepensesouventàelleetplusquejeneledevrais.Maisdis-toiunechose,sielleoccupemespensées,c’est plus parce qu’il y a un truc chez elle qui a éveillémon intérêt et que je
n’arrive pas àmettre le doigt dessus.De là à en fairema régulière, il y a unputainderavindigneduGrandCanyon!Tum’asvu?Tul’asvue,iln’yapasplus opposé que nous. Et plutôt que de m’emmerder avec cette histoire derégulière, pourquoi tu ne balaierais pas devant ta porte et ne partirais pas enchassepourtoi?
—Ohmaisne t’enfaispas, jeresteenveilleet tupeuxêtrecertaind’unechose,fils,c’estquelejouroùj’entrouveraiuneànouveau,contrairementàtoi,jeneluitourneraipasledos.
—N’ensoispassisûr,Prés’!Entoutcas,comptesurmoipourterappelertesbellesparoleslejouroùçaarrivera.
Popsnerelèvepasmaremarqueetpoursuitsursonidéepremière.— En attendant que tu te décides à ouvrir les yeux, je la place sous ma
protection.Tudevraispartirquelque temps,histoirede t’éclaircir l’esprit.Etàtonretour,situvoisquetufaistoujoursunefixettesurelle,penseàcequejet’aidit.
Je ne suis pas prêt pour ces histoires. Cependant, et malgré moi, l’idéecommenceàfairesonchemin.Horrifiéd’avoirenvisagécettepossibilitépendantunefractiondeseconde,monespritserévolte.Merde,Popsfaitvraimentchieravecsesidéesàlacon!Jen’avaisvraimentpasbesoindeça.Jenelaconnaismêmepas,cettefille!Commentcettesituationa-t-elledégénéré?
Malgrémoi,jeluidemande:—Etsijen’arrivepasàl’oublier?—Dans ce cas, demande-toi sérieusement jusqu’où tu es prêt à aller. Par
contre,situtedécidesàplongerlatêtelapremière,faisensortedelarespecteretqu’elleacceptenotrevie,notreclubettesfrères.
—Pasfacile…Mon esprit est complètement embrouillé. Au début, je voulais m’amuser
avecellepourfairechierBrandonleminable,jen’avaispasdutoutenvisagédemelancerdansunerelationavecelle,niavecaucuneautrenana.Etpuis,jen’enn’ai pas besoin, j’ai tout ce que je veux dans la vie. Sauf que depuis quelquetemps,jeressensunvideenmoi…Jen’aijamaiséprouvélebesoind’avoirune
relationavecquiconque,jenesaismêmepascommentonfait.Lesfillesquiontcroisémoncheminjusqu’àprésentn’étaientquedescoupsd’unsoir.Maisplusje découvre des facettes de la personnalité d’Hayley, plus ellem’attire. Cettefillen’estpascommelesautres.Danslebar,l’autresoir,jelaprenaispourunefilleàpapa,cequ’elleestloind’être.Aucontraire,ellealatêtesurlesépaulesetdesbutsbienprécisdanslavie.Moij’enaipas,bonsang,jesuismêmejalouxdesesrêves.Sijel’entraînedansnotremonde,jel’entraînedanslanoirceur.
Popsmeregardeetpoursuit:—J’aibesoinde toidans leMontana.Peut-êtrequec’est lemoment idéal
pourpartirloindetoutça!Jegarderaiunœilsurellependantcetemps.J’aimepastropsontrucd’associationoùiln’yapersonnepourlesprotéger.C’estunebellecause,maisjenesuispasserein.
—Ouais,çamedéplaîtdesavoirqu’ellerisquedeseprendreuncoupparunconnard.
—Jevaisdireàdesprospectsdesurveillerlesalentoursdel’association.—T’aspeut-êtretrouvélasolutionpourdonnerunebonneimageauclub.Si
leshabitantssaventqu’onassurelasécuritédesgossesetdecetteassociation,ilsnouscraindrontmoins.
—Peut-être,oui.Parcontre,quelquechosemeditqu’ellen’estpas toutàfaiticipourlachaleuretlesplages.
Saremarquemefaitpenseràlascèneàlaquellej’aiassistéhiersoir.—Jecroisqu’elleaussitraînequelquesbagagesderrièreelle.Ilyauntruc
quil’effraie.— Je vais demander à nos gars de la côte Est d’enquêter discrètement,
histoiredesavoirdansquelguêpiertuvastefourrer.—Hum…Tuveuxquejepartequand,pourleMontana?—Ondoitrégleruneaffaireduclub,ensuitetupourrasprendrelaroute.—Ok.
11
Hayley
—Commenttufais?Lebrasensuspensdanslepaquetdechips,JunefixeBeverly.—Commentjefaisquoi?luidemande-t-elleenfaisanttombersurelleune
pluiedepostillonsdenourriture.Beverlyafficheunemouededégoûtetlèvelesyeuxauciel.—Pour tegoinfrerde toutes ces cochonneries à longueurde journée sans
prendre le moindre gramme. Sérieux, si je suivais ton rythme alimentaire, jefiniraisobèseavantlafindelasemaine!
—J’ypeuxrien,c’estmonmétabolisme.Pourtouttedire,j’aimeraismêmeprendreunpeudepoids,maisj’yarrivepas.
—Ohlaferme,tum’énerves.Lavieestinjuste.Junehausselesépaules.Pourtouteréponse,elleprendunepleinepoignéede
chipsetcontinueàs’empiffrer.—Laissetomber,Bev,inutiledesebattrecontrelanature.J’aiabandonné
cecombatavecBrandon.Ilmesuffitderegarderunéclairauchocolatdansunevitrinepourleretrouverimmédiatementsurmeshanches.
Sans prévenir, June abandonne toute idée de nourriture. D’un bond, ellesautesurlebancdugradinetsemetàhurler:
—Toooouuuuchdown 1!
Son cri de guerre nous rappelle pourquoi nous sommes assises dans lestribunesdustade,àfondreausoleildepuisuneheure.
Nous reportons notre attention sur le terrain. Brandon lance un poingvictorieux vers le ciel et plusieurs de ses coéquipiers lui sautent dessus ou luidonnentunetapedansledospourleféliciter.Grâceàsoncoupdemaître,sonéquipemarquesixpointsets’approcheunpeuplusdelavictoire.Brandonpasseaujourd’hui les essais de qualification pour intégrer l’équipe de football del’université,etcequ’ilvientdefaireluiassurepresqueuneplacedansl’équipe.
J’aidéjàvulaJunegaffeuse,laJuneloufoque,maisjedoisdirequelaJunegroupieaquelquechosed’effrayant.Ellegesticuledanstouslessens,deboutsurle gradin, tout en lançant des encouragements à Brandon, ce qui attireautomatiquementl’attentiondetoutlemondesurnous.
Comme aimantés, tous les regards convergent dans notre direction. Alorsquejemeratatinesurmoi-mêmedansunevainetentativepourmefondredansle décor, Beverly tente désespérément de faire descendre notre amie de sonperchoir.Maisc’estpeineperdue,Junes’époumonedeplusbelle.
Àboutdepatience,Beverlylatiresansménagementetlesdentsserrées,luimarmonne:
—Bonsang!June,descends,toutlemondenousregarde.— Et alors ? Brandon vient de marquer un superbe coup, il faut
l’encourager.—Ok.C’était un joli coup,mais il nevient pasnonplusde remporter la
finaleduSuperbowl.Descendstoutdesuite!— Pff, les filles, je crois que vous êtes trop coincées pour moi. Je me
demandesijenevaispasreconsidérernotreamitié.—Siçanouspermetderetrouverunpeud’anonymat,vas-y,fais-toiplaisir,
etsurtoutn’hésitepasànousignorer.Junefaitlégèrementglisserseslunettesdesoleilsursonnezetnousregarde
chacunenotretourpar-dessussesverres.—Hum…Non, tout compte fait, jevais continuer à être amie avecvous.
Vousavezbesoindemoi,j’aiunemissionàaccompliravecvous.Etpuissans
moi,vousvousennuierez!—Jen’ai ni l’envieni le couragede te demanderdequellemission tu te
sensinvestienousconcernant,maugréemacolocataire.Junehausselesépaules,indifférente,etfinitpardescendredesonperchoir.
Nonchalante,elle se rassoitetattrapedenouveausonpaquetdechips, toutenajoutant:
—Bref, tout lemonde l’aura compris, je suis géniale comme fille. Doncchangeonsdesujet,j’envoisbienunquiseraitsuperintéressantàétudier.
—Lequel?jeluidemandesoupçonneuse.—Brandon.—Brandon?—Ouep,voussemblezêtretrès,trèsprochestouslesdeux.Son air chargé de sous-entendus me fait réagir instantanément et avant
qu’ellepartedanssesdélires,jel’arrêtedesuite:—Tufaisfausseroute.—Vraiment?—Oui,vraiment.—Donclavoieestlibre?—June,jetecroyaisplusintelligentequeça.Tunevaspastoiaussitomber
danslepanneau.—Pourquoipas?— Jamais je n’aurais pensé avoir à dire ça un jourmaismême ton esprit
torduméritemieuxquecetype.—Hé!Jet’interdisdeparlerdeBrandondecettefaçon.C’estuntypeextra,
dis-jeentapantsurl’épauledeBeverlypourlafairechangerd’opinion.—Hum…Tonavisnecomptepas,Hayley,tun’espasimpartiale.—Enattendant,jesuislaseuleàréellementleconnaîtreetjepeuxtedire
quetutetrompessursoncompte.— Oh, ok, dans ce cas je me trompe comme la moitié de l’équipe des
cheerleaders?Jeparlebienentendudelamoitiéqu’ils’esttapée,decesnanasqui pleurent toutes les larmes de leur corps parce qu’il les a lâchementabandonnéesaupetitmatin.Enfinça,c’estpourlespluschanceuses!
—J’admetsqueBrandonpeutêtrecoureurdejupons,maisenamitiéilestcentpourcentfiable.
Juneintervientdansnotreéchange.—Poursadéfense,ilaquandmêmequelquesargumentstrèsconvaincants
ensafaveur.Ilseraitvraimentstupidedenepaslesutiliserpourattirerlesfillesdanssonlit.Etpuis,larumeurditqu’ilsaitfaireuntrucsuperavec…
—Stop!Jeneveuxriensavoir!Brandonestcommeunfrère,pourmoi.Jene veux connaître la réputation de ses compétences sous aucun prétexte. Çaseraittropbizarre.
Unfrissonmeparcourtrienqu’enimaginantcequeBrandonseraitcapabledefaire.
Lecoupdesiffletdel’entraîneurmedélivred’uneconversationquidevenaitdeplusenplusgênante.
Brandon et ses équipiers rejoignent leur coach, forment un arc de cercleautourdeluietécoutentattentivementsonpetitdiscours.Pendantcetemps,nousdescendonsdesgradinsetprenonsladirectiondelasortiepourlesattendresurletrottoirauxabordsduterrain.Unefoislamiseaupointterminée,lesjoueurss’éparpillent.BrandonetCameronnousrepèrentettrottinentversnous.
—Alors?—Ilsvontdélibéreretafficherontlalistedesjoueurssélectionnésdemain.—Tuvasêtrepris.—Onverra,maisjesuisassezconfiant.Un autre membre de l’équipe aux cheveux châtains traverse le terrain en
petites foulées jusqu’à nous. C’est la première fois que je le vois. Un de sescoéquipierspasseprèsdeluietlesalued’unetapeamicaledansledos.Avecsatenuedefootetsoncasquesouslebras,ilsemblesortirtoutdroitd’unmagazinesportif.Ilinterpellelesgarçons:
—Vousvenez,cesoir?Lesgarsorganisentunfeudecampsurlaplage.BrandoninterrogesilencieusementCameronquiacquiesce.—Tupeuxcomptersurnous.—Super!
J’observelenouveauvenuensilencelorsqueJunemetireparlet-shirt.—C’estqui?—Paslamoindreidée,jeluimarmonne.—Ilestcanon.Àcetinstantprécis,leprincipalintéressésetourneversnous,sonregardse
posesurmesamiesavantde revenir surmoi. Je suis suffisammentprèsde luipourvoirlacouleurdesesyeux:noisetteavecdeséclatsdevert.Jeluifaisunlégersignedemainpourlesaluer.
Brandon intervient tout en enroulant unbras autourdemoncou et de sonautremainpointedudoigtchacuned’entrenouspourfairelesprésentations.
—Chris,voiciBeverly,JuneetHayley.Chris ne m’a pas quittée du regard et je suis sûre de rougir comme une
collégienne.—JeconnaisHayley.Jehausselessourcilsd’étonnement.—Vutonair,ilsembleraitquelaréciproquenesoitpasvraie.Noussommes
tous les deux dans le même cours de sociologie, m’explique-t-il d’un airembarrassé.
—Désolée,dis-jeavecunegrimaced’excuse.—Aucunproblème.Enmêmetempsjenesuispasplusétonnéqueça,en
généraltutecachesdansuncoinetneregardespersonnedansl’amphi.Tuviensaufeu,cesoir?
—Oh…Euh…—Allez,viens,GlitterGirl!— Bien sûr qu’elle vient, et nous aussi d’ailleurs ! répond June en me
donnantuncoupdanslescôtesavecsoncoude.—Parfait!Les lèvres du fameux Chris s’étirent en un sourire sincère, dévoilant une
fossettesursajouegauche.J’aitoujoursaimélesfossettes.
Un silence s’installe dans le groupe que je décide de briser lorsque jemerendscomptedel’heure.
—Brandon, tu peuxme passer ta voiture ? Je dois aller au centre, tout àl’heure.
Jen’aitoujourspasrécupérémavoituredepuisleweek-enddesSilverlake,alorsenattendantjesuisobligéedeluiemprunterlasienne.
—Merde,tuesdepermanencecetaprès-midi?—Oui.—Jenepeuxpas,GlitterGirl,j’enaibesoin.Ondoitfaireunecourseavec
Cameron.—T’inquiète,jeprendraislebus.—Horsdequestion,tunevaspasàFlorenceenbus.C’esttropdangereux.
Jevaisessayerdetrouverunesolution.Jem’apprêteà lui répondre lorsqu’unbruitassourdissantvientperturber le
calmeambiant.Jejetteuncoupd’œilautourdemoi.J’aiunmouvementdereculenvoyantunemotodépasserungrouped’étudiantsnonloindenousetvenirsegarercontreletrottoirsurlequelnoussommes.
Bouchebée,j’observeleconducteur.Ilcoupetranquillementsonmoteurettournesonvisagedansnotredirection,puisretireseslunettesaviateur.Merde!J’avais oublié son regard. Ses yeux gris acier se posent sur moi pendantquelquessecondes,puisreviennentsurBeverly.
—Petitesœur.Elleinclinelatêtesurlecôtéetcroiselesbrasdevantelle.—Petitgénie.Qu’est-cequetufaisici?Bonnequestion.Jesuiscurieused’entendresaréponse.— Je vais quitter la ville pour quelque temps. Ton pèrem’a demandé de
faireunsauticipourvoirsitoutétaitokdetoncôté.—Commentt’assuoùjemetrouvaisexactement?—Vautmieuxpasquetulesaches,çavatefoutreenrogne.LevisagedeBeverlysefermepuiss’éclairetoutàcoupcommesiellevenait
decomprendrequelquechosequeseulsJaceetellepouvaientsavoir.—Iln’apasosé.—Jesuisdevanttoi,jepensequetuastaréponse,petitesœur.—Jevaisletuer.
—Ilfaitçapourtoi.Bon,t’aspasréponduàmaquestion,t’asbesoind’untrucavantquejemecasse?
Beverly plisse des paupières jusqu’à ce que ses yeuxne forment plus quedeuxminuscules fentes.Quelque chosemedit qu’ellemijote un traquenard etmonsixièmesenstirelasonnetted’alarme.
—Oui.J’aibesoind’unservice.—Vas-y,balance.—Hayleyabesoinquequelqu’unlaconduiseaucentrepourenfants.—MerdeBev,jesuispasunputaindetaxi!—T’as demandé si j’avais besoin de quelque chose. Je te réponds. Si tu
refuses,passûrquemonpèreapprécie.—Lechantagenefonctionnepasavecmoi!Tulesais.Ettonpèreneme
ferarien.—Bev,c’estsympadetapartmaisjen’aipasbesoindeJace.Jepeuxme
débrouillertouteseule.
Pour la première fois depuis le début de cet échange, Jace décide dem’adresserdirectementlaparole:
—Neme dis pas que tu as la trouille demoi,mon ange.Notre premièrechevauchéenet’apasplu?
La façondont il prononce cesparolesmedonne l’impressionqu’il y a unsous-entendudanssespropos.Sonairarrogantm’irriteetj’aimeraisêtrecapablede lui rabattre soncaquet.Cen’estpasparcequ’il ressembleàundieuvivantqu’il peut considérer les autres comme desmoins que rien.Même si l’imagequ’il renvoieàcet instantprécisestunvéritableappelaupéché.Bonsang,cetypeestunpurdélicepourleregard.
Son air narquoismepousse à prendre une décision que je n’aurais jamaisprise en temps normal. À la surprise générale, et avant de changer d’avis, jebalance:
—Trèsbien.Puisquetutedévouessiaimablement,j’accepte.J’entends la voix de Brandon m’interpeller mais d’un mouvement de la
main,jel’arrête.Jemeretourneàpeineverslui.
—C’estok,Brandon.Net’inquiètepaspourmoi.—T’essûre,GlitterGirl?—Jen’aijamaisétéaussisûredemoi.—Bahmerde,HayleysetransformeenValkyrie,murmureJune.
AlorsquejemedirigeversJace,j’aperçoisChrisducoindel’œil.Jel’avais
complètementoublié.Prised’unvagueremords,jeluiadresseunsourirecontrit.—Onseretrouvecesoirpourlefeudecamp,situestoujoursd’accord.Je vois bien à son expression qu’il est déçu.Malgré tout, ilm’adresse un
souriresincèreetacquiesce.Jereprendsmarouteetc’estd’unedémarchefermeet d’un pas assuré que je me dirige droit vers Jace. Je lui fais face, mais jemarque tout demêmeune fraction de seconde d’hésitation qui ne lui échappepas. Il esquisse un sourire amusé. J’inspire un bon coup, m’accroche à sonépauleetmonte tantbienquemalsursamachinede l’Enfer.Biensûr, jedoism’yprendreàdeux foispourparveniràenjamber sa fichuebécane.Sousmesmains,jesenssesépaulestressauter.L’enfoiré,ilsefoutdemoi!
***
Dans la vie, les petits succès forment les plus grands. Du moins meconcernant.Chaque jour sans une crise de panique, sans un cauchemar est unsuccès vers la nouvelle Hayley, vers ma nouvelle vie. Celle que je rêve dedevenir.Ce sontdepetits riensvude l’extérieur,maispourmoi, ilsmarquentunegrandevictoire.Monquotidienenestrempli.Jelesassemblelesunsaprèsles autres et les conserve précieusement car je sais que ces petits succès sontfragilesetqu’àtoutmomentjepeuxànouveauêtretiréeenarrièreetêtreaspiréeparuntrounoir.Jeresteméfiante,surlequi-vive,jesaisquelamoindrepetitechoseanodinepeutm’entraînerdanscettespiraleinfernaleetmefaireperdrelepeudeconfiancesidurementgagné.Aujourd’hui,j’enremporteunenouvelle:celled’avoirtenutêteàJaceetd’êtremontéesursamotounenouvellefois.
Unefoisquenoussommesarrivésdevantlecentre,ilcoupesonmoteuretses yeux balaient les environs. Il ne prononce aucun mot mais je décèle unchangement dans son attitude, comme s’il était en alerte. Son visage revêt unmasquefroidquandilvoittroistypesàunangledelarue.Ilssontlàchaquefoisquejeviensdanscequartier.Jesaisqu’ilsfontdutrafic,maisjen’aijamaisprisletempsdelesregarder,surtoutparcequejenevoulaispasattirerleurattentionsurmoi.Jesaisquelequartierestdangereuxetplusjemefondsdansledécor,mieuxjemeporterai.Monobjectifestd’aiderlesenfants,pasdemetransformerenjusticièrepouréradiquerlestraficsexistants.
—TunenousaspasditquetonassoétaitdanslesecteurdeFlorence.—Quelleimportance?Ilse tourneversmoietsonregardsefait furieux.Pourquoisemet-ildans
cetétat?Jenesuispersonne,pourlui.—T’escomplètementinconsciente!Jesaisquet’espasd’ici,maisregarde
autour de toi ! T’es en plein milieu de trafics en tout genre. C’est un desquartierslesplusdangereuxdeL.A.Unesortedezonefrancheoùtouslesgangss’entendentpourfaireleurcommerce.
Agacéeparletonqu’ilemploie,jedescendsprécipitammentdesamoto.Mamaladressemefaitperdreunpeudemonaplomb,surtoutquandjelevoisleverlesyeuxauciel,maisjemeressaisisvite.
—Tusemblesêtre trèsau faitde toutesceshistoires.Dois-jeenconclurequetoiaussitutraficotesdanslesecteuravectonclub?
—Ça,monange,çaneteconcernepas,merépond-ild’unevoixtranchante.J’inspire profondément pour reprendre contenance et faire marche arrière
parcequ’apparemmentjemesuisaventuréesurunsujetoùjenedoispasmettrelespieds.Suruntoncalme,jereprendsalors:
—Écoute,c’estgentildet’inquiéterpourmoimaisjesaiscequejefais.J’aidéjà eu cette conversation avec Brandon et même lui n’a pas réussi à medissuader.
—C’estparcequ’ils’yprendcommeunpied.Jepeuxtedirequesituétaisà moi, toi et ton joli petit cul vous n’auriez jamais foutu les pieds dans cequartier.
Même si ses paroles sont dignes de l’homme de Néandertal, je ne peuxm’empêcherdemarquerun tempsd’arrêt etde rosirdeplaisir. «Si tu étaisàmoi ». Sans trop savoir pourquoi, ce côté protecteur me plaît. Mais hors dequestiondeluidonnerraison!Jem’insurgeetlèvelesbrasauciel:
—«Sij’étaisàtoi»?Franchement,tut’écoutesquandtuparles?Jenesuispasunobjetdedécorationqu’ontrimballeàdroiteetàgauchepourfairejoli.
Dans ma colère, je m’approche de lui, pointe un index rageur contre sapoitrineetmartèlechacundemesmotsavec:
— J’ai des objectifs dans la vie, dont un qui est précisément derrière cesmurs,dis-jeenfaisantunmouvementdelamainpourmontrerlecentre,avantdecroiser lesbrasdevantmoietdereprendre :Alors toiet tonattituded’hommedescavernes,vouspouvezallervousrhabilleretdéguerpird’ici!
Loind’avoirapaisésafureur,monpetitdiscourslefaitentrerdansuneragefroide.
—Sitonobjectifdanslavieestdetefaireagresser,alorsvas-y,monange!T’essur labonnevoie!Si tuveux, jepeuxmêmesifflerundecesmecspourréaliserplusrapidementtonrêve.
Furieuse, je lui tourne le dos et me réfugie dans le centre sans plus mepréoccuperde luietdesesétatsd’âme.Ce typea ledondemefairesortirdemesgonds.Jesuisàlafoisénervéecontreluietcontremoi-même.Cartoutlelongdenotredispute,soncôtémâledominantm’aattiréeetçac’estloindemeressembler. Jamais je n’aurais pensé être capable de tenir tête comme ça àquelqu’unetencoremoinsàquelqu’uncommelui.Moi,lapetitefilleapeuréedeNewYork.Jenemereconnaisplusensaprésence,jeprendsdel’assurance.Jesuis complètement déstabilisée parmes réactions parce que, àma plus grandesurprise, ses paroles et son comportement de macho m’ont plu. Le temps denotre dispute et malgré sa colère, j’ai eu l’impression qu’il se préoccupaitréellementdemasécurité.
Après avoir recouvré mon calme, je rejoins Logan et l’aide à faire sesdevoirs. J’aime ce travail de bénévole, il me donne le sentiment de servir à
quelque chose, d’avoir un but. Je m’inquiète pour ce petit garçon et, depuisquelque temps, je le trouve de plus en plus renfermé sur lui-même. Quelquechoseletracasse,maisjeneparvienspasàsavoirquoi.Jeneconnaispastouslesdétailsdesonhistoire,toutcequejesais,c’estquesonpèreaquittélefoyerfamilialavantsanaissance,etdepuis,ildoitenêtreaubeau-pèrenuméroquatreoucinq.Samèrel’ignore.Elles’occupedesesdemi-frèresetdemi-sœurs,maispour une raison inconnue, elle le délaisse complètement. Ses vêtements sonttoujours ceux des autres. Jamais elle ne lui a acheté une paire de chaussuresneuves ou un t-shirt. Tout est de deuxièmemain et, la plupart du temps, sesaffaires sont en piteux état. Les chaussures qu’il porte aujourd’hui en sont leparfaitexemple:ellessonttrouées.
Jel’observeseconcentrersursaleçon.Sonjoliminoisestcrispé,sestraitssontsoucieux,ilsembleréfléchiràquelquechose.D’uncoup,ilrelèvelatêteetsespetitsyeuxvertsmefixentd’unairtriste.
—Hayley?—Oui,Logan.—Pourquoiceuxquisontlesplusfortsembêtenttoujourslespluspetits?—Qu’est-cequetuveuxdire?Loganfroncelessourcils.—Pourquoi…P…Pourquoiceuxquisontlesplusfortsfontdumalàceux
quinepeuventpassedéfendre?—Tousnesontpascommeça…Certainssontlàpourlesaider…Regarde
CaptainAmerica,luidis-jeenluiindiquantsafigurineposéesurlatable,ilaidelesplusfaibles,illesprotège.
—Maispourquoilesméchantsexistent?—Jene saispas,peut-êtreparcequ’ils se trouvent faiblesouparcequ’ils
ontpeur.—Lesméchantssontfaibles?—S’ilssontméchants,c’estparcequ’ilsveulentcacherleursfaiblesses.Je
pensequec’estleurmoyenàeuxdeseprotéger.— Pourquoi ils font du mal aux autres ? Pourquoi mes parents sont
méchants?Pourquoiceuxdel’écolesontméchants?Tucroisqu’ilsontpeurde
moi?Jen’airienfaitpourleurfairepeur.—Lavieestparfoisviolente,Logan.—Pourquoi?—Jenesaispas.—Onaétéméchantavectoi?—Oui.—Etqu’est-cequetuasfait?—J’aitrouvémonCaptainAmerica,d’unecertainemanière.Ilm’aaidéeà
survivrejusqu’àcequejesoissuffisammentforte.—Tu crois qu’un jourmoi aussi je vais trouvermon CaptainAmerica ?
Qu’ilvam’aider?—J’ensuissûre.—T’esdevenueplusfortecomment?Ilt’aapprisàtebattre?—En quelque sorte, oui. Ilm’amontré que l’amour et l’amitié sont plus
forts. Tu sais, il n’y a pas si longtemps, on m’a fait beaucoup de mal. MonCaptainAmericaestvenuàmonsecours,cejour-là.Ilm’aaidée,m’aécoutéeetépaulée tout le temps jusqu’à ce qu’il puisse me sauver. Ce soir-là, nousécoutionsdes chansons car je ne supportais pas le silence.L’uned’entre ellesm’aparlé.Àtraverselle,j’aitrouvédelaforceetunobjectifdanslaviequim’apermisdetenirlecap,demaintenirlatêtehorsdel’eau.Ellereprésentaitmonrêveleplusprofond.Cettechansonm’adonnéenviederéalisercerêve.
Malgrésonjeuneâge,Logansemblecomprendrecequejeviensdeluidire.—C’étaitquoicerêve?Tul’asréalisé?—Pasencore…Maisilmepermetd’espérerqu’unjour,jeleréaliserai.—C’estquoicettechanson?—GlitterInTheAir,dePink.—Tupeuxmelafaireécouter?—Biensûr.
JeprendsmoniPodetfaisdéfilermalistedechansonsjusqu’àtombersur
GlitterInTheAir.Nousl’écoutonstouslesdeuxensilence.Loganseredressesur sa chaise, son visage affiche toujours cet air sérieux, il tend l’oreille et se
concentresurlesparoles.Jesuisunpeuanxieusedeluifaireécouter,carc’estmachanson.
On entend d’abord les accords du piano, puis la voix rauque de Pinkcommence à s’élever dans les airs. Je ferme les yeux pour mieux laisser sesparolesmepénétrer.Cettechansonmeparletellement.Jesenslapuissancedesmotsm’envahir,s’insinuerenmoi.Toutunmélanged’émotionss’emparealorsde mon corps et de mon esprit, comme chaque fois que je l’écoute. Je veuxconnaître cette puissance et cette force de sentiments, dont onm’a longtempsprivée.Jenesaismêmepassijeseraicapableunjourdelesressentir,sijeseraicapabledefaireconfianceaveuglémentàquelqu’unpourlâcherprise.
«Haveyoueverfedaloverwithjustyourhands?As-tudéjàsatisfaitunamantseulementavectesmains?
Closedyoureyesandtrustit,justtrustit
Fermélesyeuxetfaitconfiance,justeconfiance
Haveyoueverthrownafistfullofglitterintheair?As-tudéjàjetéunepoignéedepaillettesenl’air?
HaveyoueverlookedfearinthefaceandsaidIjustdon’tcare?
As-tudéjàregardélapeurenfaceetditjem’enfous?
It’sonlyhalfpastthepointofnoreturnC’estseulementàmi-chemindupointdenon-retour
Thetipoftheiceberg,thesunbeforetheburn
Lapartieémergéedel’iceberg,lesoleilavantlabrûlure
Thethunderbeforelightning,thebreathbeforethephraseLetonnerreavantlafoudre,lesouffleavantl’expression
Haveyoueverfeltthisway?
N’as-tujamaisressentiça?
Haveyoueverhatedyourselfforstaringatthephone?Net’es-tujamaisdétestéed’êtrerestéeàcôtédutéléphone?
Yourwholelifewaitingontheringtoproveyou’renotalone
Toutetavieattendantunappelpourprouverquetun’espasseule
Haveyoueverbeentouchedsogentlyyouhadtocry?As-tudéjàététouchéesidoucementquetuenaspleuré?
Haveyoueverinvitedastrangertocomeinside?
As-tudéjàfaitentrerunétranger?
It’sonlyhalfpastpointofoblivionC’estseulementàmi-chemindel’oubli
Thehourglassonthetable,thewalkbeforetherun
Lesabliersurlatable
ThebreathbeforethekissandthefearbeforetheflamesLarespirationavantlebaiseretlapeuravantlesflammes
Haveyoueverfeltthisway?N’as-tujamaisressentiça?
ThereyouaresittinginthegardenTueslà,assisdanslejardin
Clutchingmycoffee,callingmesugarTenantmoncafé,m’appelantchérie
Youcalledmesugar
Tum’asappeléechérie
Haveyoueverwishedforanendlessnight?As-tudéjàrêvéd’unenuitéternelle?
LassoedthemoonandthestarsandpulledthatropetightAttrapélaluneetlesétoiles,ettiréfortsurcettecorde
HaveyoueverheldyourbreathandaskedyourselfAs-tujamaisretenutonsouffleentedemandant
Willitevergetbetterthantonight?Siunjourceseramieuxquecesoir?
Tonight.Cesoir»
Lesdernièresnotesdelachansonretentissent,Loganrestedanssessonges,
silencieuxpendantunlongmoment.Savoixn’estplusqu’unmurmurelorsqu’ilmedemande:
—Elleestbelle…—Oui…Danslesparoles,lachanteuseparlededeuxpersonnesquivivent
un moment crucial de leur relation. La fille réalise qu’elle est au bord duprécipice et que ladécisionqu’elle s’apprête àprendreva changer à jamais lecours de sa vie : soit elle accepte de faire confiance, soit elle se renferme.Finalementellefaitlechoixdelâcherpriseetellesaitàcetinstantqu’ellevitlemoment parfait. J’aimerais pouvoir vivre ce moment, être capable de faireconfianceaveuglémentàquelqu’unsansaucunebarrière.Et jesaisque le jouroùj’yparviendrai,mesdémonsserontpartispourtoujours.
—Jepeuxavoirunechansonàmoiaussi?—Quevoudrais-tuqu’elletedise,cettechanson?—Quejenesuispasseul.Quel’onm’aime,quejen’airienfaitdemal,que
ce sont les autresqui sontméchants etpasmoi.Que jeneméritepascequ’il
m’arrive.—D’accord.Laisse-moichercher,jedoisenavoirunepourtoi.Ànouveau, je faisdéfiler les titres jusqu’àvoir s’afficherMeandeTaylor
Swift. Elle parle de harcèlement à l’école. Je suis presque sûre qu’il en estvictimeetilpourraégalementlatransposerdanssonenvironnementfamilial.
—J’aitrouvécellequ’iltefaut.Écoute.JereplacemoniPodsur la tableetappuiesur lecture toutenobservant les
réactionsdeLoganaufuretàmesuredesparoles.
«You,withyourwordslikeknivesToi,avectesmotscommedescouteaux
AndswordsandweaponsthatyouuseagainstmeEtdesépéesetdesarmesquetuutilisescontremoi
YouhaveknockedmeoffmyfeetagainToi,tum’asfaittomberunefoisdeplus
Gotmefeelinglikeanothing
Tum’asfaissentircommesijen’étaisrien
You,withyourvoicelikenailsonachalkboardToi,avectavoixcommedesonglessuruntableau
CallingmeoutwhenI’mwoundedMeprovoquantquandjesuisblessée
Youpickingontheweakerman
Tut’enprendsàunhommeplusfaiblequetoi
WellyoucantakemedownwithjustonesingleblowEhbientupeuxmemettreparterre,avecunseulcoup
Butyoudon’t,whatyoudon’tknow...Maistuignores,cequetuignores
SomedayI’llbelivinginthebigoldcity
Unjour,jevivraidansunegrandeetvieilleville,
Andallyou’reevergonnabeismeanEtlaseulechosequetuserasjamaisc’estméchant
SomedayI’llbelivinginthebigoldcity
Unjour,jevivraidansunegrandeetvieilleville,
SomedayI’llbebigenoughsoyoucan’thitmeUnjour,jeseraiassezgrandpourquetunepuissespasmefrapper,
Andallyou’reevergonnabeismean
Etlaseulechosequetuserasjamaisc’estméchant»
Aufuretàmesurequelesparolesdelachansondéfilent,lesyeuxdeLoganse mettent à briller. Une lueur d’espoir apparaît alors dans son regard, sesprunellestristesreprennentvie.
—TucroisquejepourraisêtrecommeTaylorSwift?—Jenelecroispas,Logan…J’ensuissûre.Etenattendantquetutrouves
tonCaptainAmerica,jeserailàpourtoi.Loganselèved’unbond,repoussesachaisequisouslecoupdel’impulsion
serenverse,etseprécipitedansmesbras.—Hayley,tueslameilleure!Tupeuxlaremettre?—Biensûr,mongrand.
***
Aujourd’hui,Loganetmoiavonsfranchiuncap.C’estlapremièrefoisqueje partage cette chanson avec quelqu’un d’autre que Brandon. Logan semble
avoir reprisunpeuconfianceen lui.Cen’estque ledébut, jesaisbienquedenombreux obstacles vont se retrouver sur son chemin.Mais aumoins il n’estplus seul pour les affronter et il l’a compris. Ilmérite de vivre sa vie de petitgarçonnormalement.
Aprèsavoirpasséunmomentaveclesenfants,jemesensbien,apaisée.J’aipulesaideràmafaçon, leurmontrerunpeudestabilitédans leurmondesensdessusdessous.
1.Enfootballaméricain,letouchdownconsisteàarriverdansl’en-but(endzone)ducampadverseenayantlecontrôleduballonàlamain.Ilpermetàl’équipederemportersixpoints.
12
Jace
Celafaitdeuxsemainesquej’aienfourchémabécaneetmisdeladistanceentre Hayley et moi.Mais rien n’y fait, elle est toujours dans ma tête. Deuxputainsdesemainesloind’elle,deuxputainsd’Étatsdedistanceetellecontinueàenvahirmonesprit.
J’ai cru devenir fou au fur et àmesure qu’elleme donnait les indicationspour laconduireaucentrepourenfants.Bordel !Leurassociationestenpleinmilieu de Florence.À peine arrivé devant leur immeuble, j’ai immédiatementrepérétouslessalopardsquigravitaienttoutautour.Justeàl’angledelaruedeleurbâtiment, ilyavait trois typesducartelmexicainen traindedealer.Jenesais pas si elle l’a remarqué,mais à centmètres derrière nous il y avait aussiplusieurs types d’un club ennemi qui monnayaient les services d’une puteappartenantauréseaurusse.J’étaismaladed’inquiétudeàl’idéedeladéposeraucœurdeceniddevipères.Etquandellem’aenvoyéchier,j’aivurouge.J’aipassumecontrôler et je lui ai balancé lapremière conneriequimepassait par latête. Je le regrette amèrement. D’autant que je me repasse le film de notredispute tous les soirs avant dem’endormir. Sur le coup,mon esprit était tropembrumépar lacolère,maismaintenantquemes idéesse sontéclaircies,moncerveausefocalisesurpleindepetitsdétails,telsquesonairdechatonénervé,ou encore son index qui me martelait la poitrine au fur et à mesure qu’elledéversaittoutesacolère.Elleétaitcarrémentsexy!
Bon sang ! Je suis comme un con dans la grande salle du chapitre à mesifflerdesbièresetàruminer,sansparveniràmelasortirdelatête.Mêmelesbrebisquinaviguentautourdemoinefontpasdisparaîtrel’imagedesondouxvisage.Pourtant,c’estpasfauted’essayer.Ellessonttoutesavecleursminijupes,à se déhancher pour qu’on matte bien leur cul. Leurs mini-débardeurs quipourraientfaireconcurrenceàuntimbre-poste,leurspoitrinessiliconéesprêtesàpasserpar-dessusbord.Mêmecellequiestassiseàcalifourchonsurmesgenouxetquisefrotteoutrageusementcontremoinemefaitaucuneffet.Merde!Jesuisdevenu une lopette en un claquement de doigts.LePrés’m’a envoyé dans cechapitrepourréglerdesaffairesetessayerdemesortirHayleydelatête,maisrienn’yfait.Mêmemaqueueestenberne,alorsquej’aisurmoicettegarcequine demande qu’à être enfourchée. Mais rien. Même pas la moindre petiteétincelle.Putain!
Moncerveaumeditde rester loind’ellemais jenepeuxpasm’empêcherd’avoir envie d’aller la rejoindre et de tout laisser tomber pour elle.Mais ça,c’estimpossible.Maviec’estleclub.Sij’yrenonce,jerenonceraiàunepartdemoi-même. Je neveuxpas finir comme tous ces cons aigris qui se disent queleurvieestfichueparcequ’ilsn’ontpaspufairecequ’ilsvoulaient,parcequ’ilsn’ont pas pu réaliser leurs rêves. Je fais partie du 1%. Je porte fièrement lescouleursdemonclub:lesBlackRiders.Touscesécussonsdisentquejesuisunoutlaw.
Si je la veux, il va falloir lui sortir le grand jeupour qu’elle acceptemonstyledevie.C’estpaslegenredefilleàquijepeuxdire«Couche-toisurlelitetécartelesjambes».Non,ilfaudraquejel’emmèneauresto,quejeluitiennelamainetquejeluioffredesfleurs.Putain,j’aijamaisfaitça,moi.
Encore quelques jours à tirer dans ce trou perdu et ensuite je rentre. Jedéciderai à ce moment-là de ce que je ferai avec Hayley. Si, oui ou non, jepoursuisl’aventure.Unepetitevoixintérieuremeditquec’estdéjàtoutvu,maispourlemoment,jeneveuxpasl’écouter.
—Çava,chéri?
Lavoix nasillarde de la pouffe surmes genouxme fait revenir à l’instantprésent.
—Quoi?—T’asl’airailleurs.T’aspasenviedefaireuntourenhaut?J’observesonvisagepour lapremière fois.Fautdirequequandellem’est
grimpéedessus,c’étaitsurtoutsapoitrinequejematais.Jesuisécœurédecequejevois.Elledoitavoirdans lesvingt-cinqans,maissonvisageestdéjàvieilli.Elle a foutu trop de maquillage ou abusé des UV, sa peau est orange et sonmascara coule sous ses yeux. J’inspire un bon coup pour ne pas lui montrerqu’elle me répugne, mais les relents de son parfum me parviennent et monestomac se retourne. Son odeur est à gerber, c’est un mélange de vanille, detranspirationetdesexe.Ellenedoitpasenêtreàsonpremiermecdelajournée.J’en ai ma claque de toutes ces conneries. Je veux autre chose que des fillesdevenuesvieillesavantl’heure.
Jelafaisdégagerdemesgenouxd’unmouvementbrusque.Elleserattrapecommeellepeutàl’accoudoirpournepasseretrouversurlecul.Sansunregardpour elle, jeme lève, posema bière sur le bar en passant devant et quitte lagrandesalleduchapitre.
Jemedirigeverslapièceréservéeauprésidentduclub,latêteencoreplusenvracqu’àmonarrivée.Jem’installederrièresonbureaupourétudierleslivresdecomptesdesboîtesquegèresonclub.C’estpourçaquejesuisici.Jenedoispasl’oublier.Popsadesdoutessurlagestiond’unedesactivitésdecechapitreetilseméfieduprésident,Tiger.Selonlui,ildétournedesfonds.Donc,depuisdeuxsemaines,jemecoltinedescolonnesentièresdechiffres.Pourlemoment,jen’ai rien trouvé,maissiPopsadessoupçons,c’estqu’ilssont fondés,alorsj’épluche les comptes à la recherche de la petite erreur qui me permettra dedécouvrirlepotauxroses.Sijelatrouve,Tigerauradéclenchéunraz-de-maréeauseinduclub.Unechoseest sûre, jenevoudraispasêtreà saplace lorsquePopssedéplacerapourréglerl’affaire.Dansnotremonde,siunfrèretrahitsonclub,ilestbanni.Etcheznous,lebannissement,c’estpirequelamort,etc’estcequirisqued’arriversijedécouvrequeTigerfaitbandeàpart.
Jecommenceà fatiguer, lesyeuxmebrûlentà forcedemeconcentrer sur
tous ces chiffres. J’étiremon cou d’un côté puis de l’autre, le faisant craquerpouressayerdemedétendre.Jemedemandesi,surcecoup-là,Popsnes’estpasplanté,lorsqu’unedépenseattiremonattention.Jevérifielacolonnedesstockset…Ouais,jesuistombésuruntruc!
Je prends les autres papiers pour remonter dans le temps et voir si monpressentimentseconfirme.Bingo!J’aitrouvé.
JeprendsmonportableetappellePops.Jeneluilaissemêmepasletempsdeparleretluiannonce:
—T’asraison,ilnousbaise.—Ok.Jesuislàdanstroisjoursaveclesgars.—Çamarche.—Enattendant,essaiedevoirs’ilyad’autrespourrisdansl’histoire.—Ok.Jeraccrocheetjettemontéléphonesurlebureau.Jemepasseunemainsur
le visage et pousse un soupir, claqué de tous ces trucs. Tiger a déclenché laguerre,ilnelesaitpasencore,maisdanstroisjours,quandPopsvaarriver,çarisquedevitetourneraucarnagepourlui.Pourlemoment,ilnesedoutederien.Les chapitres du club sont habitués àme voir étudier les comptes des boîtes.C’est moi le comptable, c’est mon rôle de tout vérifier pour être sûr que lesfédérauxnepeuventpasnouscoincer.
Un coup frappé à la porteme fait relever la tête, j’indique à la personned’entrer. La porte s’entrouvre et la silhouette de Cook, le vice-président duchapitre,apparaîtsurleseuil.
—Frangin,jesaisquet’aimespasêtredérangépendantquetubosses,maiscesoironouvreleclubauxétrangers.Ilyaungaminquej’aimeraisparraineretjevoudraisquetumedonnestonavis.
J’avaiscomplètementoubliécettesoirée.Engénéral,c’estleclubquidécidequandlefaire,iln’yapasréellementderèglelà-dessus.Çavarieenfonctiondesbesoins, laplupartdu temps,çase faitune foisparmois, surtoutparcequeça
permet d’augmenter, le temps d’une soirée, le prix des consommations et derenflouerlescaisses.Chaquemembreduclubpaieunecotisationannuellepourlefondsderoulementduchapitre,maisouvrirleclubpermetdesefaireunbasdelainesupplémentaire.
Jemecalecontreledossierdufauteuiletl’observe,lesyeuxplissés.—C’estquicetype?—Ilbossedanslegaragequiréparenosbécanes.Savien’estpastouterose,
maisilsembleréglo.J’aidéjàenquêtésurlui,iln’apasdesoucisaveclesflics.Ilfaitsontaf,n’apasdecopine.Ilaunappartpasloindesonboulot,ettouslesdimanches,ilvavoirsamère.Sonpèreestauxabonnésabsents.
—Pourquoimoi?—Jerespectetonavis,ett’aslaréputationdedécelercequiclochechezles
gens.Sijedoisleparrainer,jeveuxêtresûrdemoncoup.Tusaiscommemoique si le gosse fait une connerie, c’estmoi qui trinque. J’ai pas envie demelouper.
Comprenantlesenjeux,j’acquiescesimplement.—Donne-moicinqminutesetjeterejoins.—Merci,mec.
Quandun typedemandeà intégrernosrangs, il fautqu’ilsoitparrainépar
deux membres du club. Dans le cas de Cook, il n’a pas besoin qu’un autrefrangin donne son aval puisque c’est un gradé. Cook est un des gars quej’apprécieleplusdanscechapitre.Onabosséensemblel’andernier.Tigeretlesfranginsavaientdemandénotresoutienquandunclubennemi,lesHell’sEagles,venaitunpeutropsouventsurleurterritoireetrevendaitdeladroguesousleurnez.
Popsestintransigeantsurdeuxchosesconcernantlesaffairesduclub:onnefaitpasdanslaprostitution,nidansladrogue.Biensûr,onn’estpastoutblancset,detempsentemps,onestamenésàrencontrerdestrafiquantsd’armespourse réapprovisionner. Mais on est surtout des mecs qui veulent vivretranquillement sans se faireemmerder.Alorsongèrenosaffaireset laplupartd’entreellessontlégales.
Onn’estpasdesgentils,maistantqu’onvientpasnousemmerder,onnevapaschercherleshistoires.Onprotègejustenosfrontières,etdetempsentemps,on est obligés de montrer les crocs pour ne pas se faire bouffer par plusméchantsquenous.Dansnotremonde,c’est la loiduplusfortquiprimeet lemoindresignedefaiblesseimpliquedesefairebouffer.
Quand on a débarqué en soutien l’année dernière, l’affaire est partie ensucetteet j’aifaillimeretrouverautrou.JebossaisenéquipeavecCooketunprospect. On s’est retrouvés coincés dans une ruelle, les sirènes des flicsapprochaient de plus en plus.On avait des armes sur nous et un kilo de dopequ’onavaitprisauxHell’sEaglespourpouvoirlebazarderparlasuite.
Ce club est blindé de tarés comme j’en ai rarement vus. Sans la présenced’espritdeCooketsonsang-froid, les franginsseraienten traindem’apporterdesorangesàl’heurequ’ilest.
Enfindecompte,c’estleprospectquiaprispournous,ilafaitdiversionetaattirélesflicsdesoncôtéletempsqueCooketmoipuissionsnouséchapper.Çasepassecommeçadanslessituationspérilleuses,c’estceluiquiàlemoinsàperdrequiprendpourlesautres.Cookaunerégulièreetunbébétoutjustené,ilne pouvait pas se permettre d’aller à l’ombre. Je ne pouvais pas prendre nonplus,mêmesi jen’aipasdefamille, j’appartiensauchapitremèreetmachuteauraitentraînédenombreusestêtes.Alorsc’estleprospectquiapris.Cesoir-là,ilagagnédeuxchoses:troisansdecabaneetsonpatchpourintégrerleclub.
L’idéedepasserunesoiréeavecTigernem’enchantepas,sachantqu’ilnousbaise, mais c’est une bonne occasion pour moi d’être en contact avec lesmembresduchapitrepourvoir sid’autressontaussidans lacombine.Toutceque j’espère,c’estqueCookn’estpasmêléàcettehistoire.Çameferaitchierd’avoirà le tabasseretà lui retirersescouleurs.Surtoutque, leconnaissant, ilpréféreraitsefairebuterquedesevoirretirersongilet.
Jepousseunsoupirdelassitudetoutenéteignantl’ordinateuretjequittelebureau.
Lorsquej’entredanslagrandesalle,jesuisassiégépardesnotesagressivesde heavy metal. La soirée a déjà bien commencé. Pas mal de frangins sontoccupésavecdesbrebis.Cellequimechevauchait toutà l’heureest àgenouxdevantundemesfrères.Sanslamoindrepudeur,elleestentraindelepomperalorsqueluisesiffleunebière,tranquillement.Jefaisunegrimacededégoûtenregardant la scène. Je ne suis pas une vierge effarouchée, je suis même lepremieràutiliser lesbrebis,maisengénéral, je faisçaà l’abrides regards. Jesuispasunputaind’exhibitionniste.
Jereportemonattentionsuruneautrescènequisedéroulesurunetableaucentredelasalle.Deuxautresnanassontdebout,àpoilsurlatable,etdansentaurythmedelamusique,sousleregardsalacedeplusieursfrères.Ilssonttouslàà les siffler, certains vont même jusqu’à les tripoter. Deux frangins semblentparticulièrementintéressésparunedesfilles.Et,vularéputationquecesdeux-làse traînent, je devine parfaitement où elle va terminer sa soirée. D’après lesrumeurs,leurspécialitéc’estlesplansàtrois.Çan’ajamaisétémontripdemetaperunenanaavecunfrère.Maissiçaleurconvientetsurtouttantquelafilleestouverte,jenevoispasoùestlemal.Àchacunsesdélires!
Jebalaiel’ensembledelapièceduregardpourrepérerCook;ilestprèsdubar et discute avec un gamin typé hispanique. Jemiserais qu’il a des originesportoricaines, il doit avoir la vingtaine à tout casser etme donne l’impressiond’avoiràpeinequittélesjuponsdesamère.
Quandmonregardcroiseceluiduvice-prés’,ilmefaitunsignedelamainpourquejem’approched’eux.Alorsquej’avancetranquillement,unegonzesseenbikini,lesbraschargésd’unplateauremplidebières,passeprèsdemoi.J’enattrapeune,ellemefaitunpetitclind’œilquisemblevouloirmedire«Quandtuveux,oùtuveux».J’hésiteunefractiondeseconde,maisquandjemerendscomptequemaqueueresteenbernemalgrésonappelsilencieux, jedécidedel’ignoreretpoursuismonchemin.
JemecalecontrelebaretCookfaittoutdesuitelesprésentations:—Jace,voiciArturo,legamindontjeteparlaistoutàl’heure.
Justepourletesterunpeu,jerestesilencieuxetgardelevisageimpassible.J’avaleunegorgéedebièretoutenlefixant.Parexpérience,jesaisquejepeuxêtre intimidant, la nature a été généreuse avecmoi etma carrure suffit à faireflipper n’importe qui sans que j’aie besoin de prononcer le moindre mot. Lacouleur de mes yeux assez particulière me permet aussi d’intimider les gens.Maissurtout,j’aiétéàbonneécoleavecPopsqui,parunsimpleregard,parvientàsefairepisserdessuslemecleplusendurci.Commelegaminnebronchepasetcontinueàmefixersanssedétourner,jefinisparentamerlaconversation.
—Alorscommeça,tuveuxrejoindreleclub?Unbonpointpourlui,savoixnetremblepaslorsqu’ilrépond:—Oui.—Pourquoi?Qu’est-cequetuconnaisdelavied’unclub?—Jesaisquevousêteshypersoudésentrevous,quevousavezlapassion
delamotoetquequandl’und’entrevousestdans lamerde, lesautressont làpourlerécupérer.
—T’asdesemmerdesdanslavie?—Aucune.Jemèneunevietranquille,jefaismontravail.Meséconomies
sontpasséesdanslamotoquej’airetapée.C’estbonsigne,maisjedécidedepousserl’interrogatoireunpeuplusloin
pourêtresûrquec’estpaslegenredetypeàseprendrepourungrosdurparcequ’ilauneHarley.Notremondeestpolluédegarscommeçaquipensentêtredevraisbikersparcequ’ils roulentavecunemoto leweek-endalorsqu’ilsviventdansunpavillonsituédansunebanlieuechic.
—T’asquoi?—Unelowriderde2007.Yapaslongtemps,untypeestmortetsafillea
récupérélamaison.Quandelleadécouvertlamotodanslegarage,ellenesavaitpas quoi en faire. Elle est venue au boulot pour la revendre, j’ai sauté surl’occasion. Elle n’avait pas beaucoup roulé, j’ai juste eu besoin de changerquelquespièces.Jeviensdeterminerdelacustomiser.
—Ettupensesquelefaitd’avoiruneHarleyvatetransformerenbiker?—Non,biensûr,maismoi,cequim’attire,c’estlafraternité.Jepointedudoigtlelosangerougecoususurmongiletetluidemande:
—Tusaiscequeçasignifie?Le petit déglutit et je le vois hésiter quelques secondes. Sa réaction me
montrequ’ilaparfaitementconsciencedumondedanslequelilveutfourrerlespieds.
— Oui, vous êtes des 1 %. Autrement dit, il ne faut pas venir vousemmerder.
—Tusaisquetupeuxretrouvercettefraternité,dansd’autresclubsqueles1%?
— Je sais,mais je commence à connaître votre club, vos lois.Vous aveztoujoursétécleanavecmoi.Jemesuisfaitpasmaldecopainsdanscechapitreetj’aienviedel’intégreràmontour.Etpuislesautresnemeconviennentpas,cesontjustedestypesencostardquiseréunissentletempsd’unweek-endouletempsd’unrun.Jeveuxplus.
—T’asuneidéedecequivasepasseravantd’intégrerleclub?Tuvasêtreunprospectettusaisenquoiçaconsiste?
—Oui.Fairelesbassesbesognes.—Exact.Siontedemandedenettoyerleschiottes,tulefais.Siont’appelle
enpleinmilieudelanuitpourallernouschercherdescapotes,t’yvasettuposespasdequestions.Si lesaffairesvontmaletqu’on se fait coincerpar les flics,c’esttoiquicoursleplusderisquesd’allerentauleafindenousprotéger.T’esprêtàfairetoutça?
—Oui.Jeresteunpeusceptiquealorsj’insistepourluifairecomprendre.— Même quand les fédéraux te tomberont dessus et te menaceront
d’emmerder ta mère ? Quand ils menaceront de l’expulser parce qu’elle estportoricaine?Tusaisquesi tunoustrahis,mêmesouslapressiondesflics, leclubauratapeauoùquetutecaches.
—Jenetrahiraipas leclub.J’aiconscienceque,peut-être, le tempsd’unefraction de seconde, j’aurai une hésitation,mais ce quime permettra de tenir,c’est de savoir que si je tombe, le club sera là pour protégermamère. C’estconnu, vous ne laissez pas tomber la famille, vous avez un pot commun pouraiderceuxquiseretrouvententaule.
Sa réponseme convient, j’aurais étéméfiant s’ilm’avait dit qu’il n’auraitaucunehésitation.
—Exact,petit.Je termine ma bière d’une traite et la repose sur le comptoir.
Imperceptiblement,jehochelatêteversCookpourluisignifierque,pourmoi,c’estOk.Lepetitpeutfairesespreuves.
Quand je reporte mon attention sur l’ensemble de la grande salle, je merendscompteque jen’aipasenviedeprendrepartaux festivités,mais jedoistâterleterrainpourvoirsitouslestypesdanscettepiècerestentfidèlesauclub.Tigerestaufondde lasalleavecunautremembre,Franklin.Cen’estpassonvéritable prénom,mais comme son nom de famille est Roosevelt, et rien quepour le plaisir de l’emmerder, ses frangins lui ont refilé ce nom de route enréférenceàl’ancienPrésidentdesÉtats-Unis.
—Jace!Ramènetoncul!Jet’airéservéunebrebisdepremierchoix!Je réprimeungrognementetme forceà les rejoindreenmedisantquece
quejefais,c’estpourleclub.RefuseruneinvitationdeTigerseraituneoffenseetrisqueraitd’éveillerlessoupçons.
Jemecaledansunfauteuiletunefillevients’installersurmesgenouxàlademandeduPrés’.Ellesefrottecontremoietpasseunbrasautourdemoncou.Maissansm’enrendrecompte,jeleviresousleregardétonnédeTiger.
—Merde!Elleteplaîtpas?T’enveuxuneautre?—Non,c’estpasça.Maiscesoirj’aipasenvie.— Qu’est-ce qui t’arrive ? T’as trouvé une fille qui pourrait être ta
régulière?Sans le savoir, Tiger vient deme fournir la parfaite excuse et l’image de
Hayleymetraversel’esprit.JedoisafficherunairniaisparcequecequemeditFranklinmefaitl’effetd’unedouchefroide.
—Ohbonsang!Jamaisj’auraiscruvoircejourarriver!Tudevraisvoirtatronche,frangin,t’essacrémentmordu!
—Faispaschier!
Ceconsemarre,hilare.J’essaiedefaireabstractiondesesblaguesvaseuses,mais quand il commence à déblatérer des trucs en rapport avec Hayley, sabouche et ma queue, je deviens fou. Je vire la fille qui est toujours sur moi,j’agrippeFranklinparlesreversdesongiletetluibalancefrontcontrefront:
— Tu la connais pas ! Personne ne parle d’elle de cette manière ! Jet’entends encore parler d’elle et je te fous mon poing dans la gueulesuffisammentfortpourtefairebouffertesdents!C’estcompris?
Tigerintervientetplaceunemainquiseveutapaisantesurmonépaule.— Je pense que le message est passé, Jace. Franklin, présente-lui tes
excuses,onneplaisantepasaveclesrégulières.Franklinmarmonnevaguementquelquechose.JemetourneversTiger.—Ok.Jemonte,onserevoitdemain.J’aipaslatêteàfairelafêtecesoir.—Çamarche.N’enveuxpasàFranklin,ilpouvaitpassavoiràquelpoint
t’esaccroàcettefille.Puiscommesilaraisonétaitsuffisante,ilajoute:—C’estlapremièrefoisqu’ontevoitdanscetétatpourunenana.J’acquiesce sans piper unmot et regagne le premier étage. Au diable ma
missionpourcesoir!
Commecheznous,cechapitreadeschambresàdispositionpourlesgensdepassagetelsquelesnomadesoulesinvités.J’ouvrelaportedelapiaulequim’aétéréservée,elleestàpeinesuffisammentgrandepourcontenirunlit,unechaiseavecunepetitetable,maissummumduluxe,j’aimasalledebain.Etquandilyaplusd’unecinquantainedetypesdanslemêmebâtiment,avoirsapropresalledebain,c’estdigned’unesuitedansunpalacecinqétoiles.
Jeme déshabille tout en envoyantmes fringues sur l’unique chaise de lapièce et file direct sous la douche. Alors que l’eau chaude me coule sur lesépaulesetmedétendlesmuscles, jerepenseàmaréaction.Bonsang! J’avaisjustepenséutiliserHayleycommeexcusepouréviterlabrebis,etd’uncoup,jemeretrouveavecuneprétenduerelationavecelle.Lepire,c’estquelesfranginssontdevéritables commères et si jene tuepas la rumeurdans l’œufdèsmonretour, dans moins d’une semaine tous les chapitres affiliés sur le territoire
nationalvontêtreaucourant.Bizarrement,aulieudemefaireflipper,l’idéenemedéplaîtpas.
Jecoupel’eau,enrouleuneservietteautourdematailleetm’allongesurlelit en repensant à Hayley et à notre dispute. Je ne sais pas pourquoi ça meperturbeautant,maispour lapremière foisdemavie, j’ai enviedem’excuserauprèsd’unenana.BonDieu, jedeviens faible. Jemepasseunemain rageusedanslescheveux,nesachantpasquoifaire.
Ohetpuismerde!Commeonleditdansnotremonde:Carpediem.Suruncoupdetête,j’attrapemontéléphoneetenvoieunmessageàBeverly.**Jace:Salutpetitesœur,file-moiletéldeHayley,stp****Beverly:Tuluiveuxquoi?****Jace:Rienquiteconcerne****Beverly:Ok.Maisfaispasleconavecelleoujet’étripe,petitgénie**Jememarrequandje lavoism’affublerdecesurnom.C’estvraimentune
petitepeste.Avant d’avoir le temps de changer d’avis, je saisis un nouveau message
destinéàHayley.**Jace:Jesuisdésolé,monange**Apparemment elle est à côté de son téléphone car la réponse arrive
rapidement.** Hayley : Jamais je n’aurais pensé que t’étais le genre de type à
t’excuser****Hayley:Commequoilaviepeutréserverdessurprises**Je fixe l’écrancommeuncrétin,guettantunenouvelle réponsede sapart,
maisriennevient.Merde, j’ai l’impressiond’avoirfaitunbonddanslepassé,quandj’étaisadoetquej’envoyaisdestextosauxnanasquejevoulaislever.
Tantpispourmonamour-propre.Jelarelance.Jenesaispaspourquoimaiscesoirj’aienviedeparlerunpeuavecelle.
**Jace:Tufaisquoi?****Hayley:Jesorsdemoncoursd’auto-défenseetsuissurlechemindu
retourpourrejoindremonbâtiment**
Descoursd’auto-défense?Cettefillemesurprendratoujours!**Jace:Unenanaquisaitsebattrec’estsexy****Hayley:Bakers…l’objectifn’estpasdemebattremaisdesavoirme
protéger**Merde, encore cette histoire de protection qui revient sur le tapis. Mon
sixièmesensmeditqu’ellecacheuntruc.Etçaseconfirmeaveccettehistoiredecoursd’auto-défense.
**Jace:Onenrevienttoujoursàcettequestiondeprotection****Hayley:Toutlemondedevraitsavoirseprotéger****Jace:Ettoi,dequoias-tubesoindeteprotéger,monange?**Àpeineai-jeenvoyélemessagequejeleregrette.Quelcon,jesuisvraiment
ungroslourd,parfois.Làc’estsûr,ellevaprendrelafuite.Jeflippeenattendantsaréponse,enfins’ilyenaune.Quandmontéléphone
émetunbip,jerespireànouveau.**Hayley:D’unbiker,fanatiquedebourbonetquimefaitflippersurson
cercueilàdeuxroues**Jerisenlisantsaréponseet,pourlapremièrefoisdepuislongtemps,jeme
sensd’humeurlégère.Sansaucunehésitation,jeluienvoieunautremessage.**Jace:J’aienviedetevoiràmonretour,t’espartante?**Aussitôtlemessageenvoyé,montauxd’adrénalinegrimpeenflèche.Jesuis
vraimentredevenuunadoenl’espacedecinqminutes.Commesimavieallaits’effondrersiellemerembarrait.
Au bout de dix minutes, mon téléphone est toujours désespérémentsilencieux. Je crois que j’ai ma réponse. Au moins je suis fixé. J’éteins lalumièredelachambreetessaiedechasserlavaguededéceptionquimonteenmoi.
Alorsquejem’apprêteàfermerlesyeux,monécrans’illumineetéclairelachambred’une lueurverte.Hayleym’arépondud’unsimplemot :«oui».Saréponsemedonneà la foisdesboufféesdechaleuretdessueursfroidesparcequejenesaispasdansquoijemetslespiedsaveccettehistoire.Maiscequimefaitleplusflipper,c’estquejen’enconnaispaslafin.
***
J’attends Pops à l’extérieur de la ville. D’après son message, lui et mesfrères ne devraient plus tarder. Durant ces trois jours, j’ai fait comme si jen’avais rien découvert, j’ai donc dû subir les conneries de Tiger. Il croyaitm’impressionner,mais plus il racontait ses foutaises, plus j’avais envie de luicollermonpoingdanslafigure.
J’entendsd’abord le rugissementdesHarleyavantde lesvoir seprofileràl’horizon.JeconstatequePopsarriveavecl’artillerielourde.Lesmotossontenformationdeparade,iladécidédenepasfairedansladentelle.Illèvesonbras,sonindexpointéversleciel,etàcesignal,touslesmembressemettentenfileindienne.Presquearrivéàmahauteur,ilfaitunautresignepourleurindiquerdesestopper.
Popséteintsamoto,ilalatêtedutypequiestprêtàendécoudre.Ilmefaitunsignedumenton:
—Fiston.—Pops.—T’asdunouveau?—Apparemmentilagitseul.Depuisdeuxans,ilmasquequelqueschiffres,
toujoursdespetitessommes,jamaisplusdedeuxmilledollars.J’aicompté,ilaréussiàsefairedanslescinquantemille.
—Merde.Tusaispourquoiilfaitça?—Aucuneidée.—Putain!Popssecouelatêted’unairdégoûtéetreprend:— Ça me fait chier de devoir faire ça pour cinquante mille malheureux
dollars.Ilsedoutedequelquechose?—Nan,j’suisrestédiscret.—Ok.Prendstapositiondanslafile,onyvadirectement!—Çamarche.
Je démarre ma Fat Boy et me place aux côtés de Lucky, le capitaine deroute. Pops lève le bras à mi-hauteur, paume de la main ouverte, pour noussignalerdelesuivre.
NousarrivonsrapidementauchapitredeTiger.Plusieursmotossontgaréesdevant, parfaitement alignées les unes à côté des autres. Deux prospects lessurveillent.Lepremierànousapercevoirdonneuncoupdecoudeàl’autre,luiditquelquechosepuispartà l’intérieur,probablementpourprévenir lesautresdenotrearrivée.
Nousdescendons tous de notremoto et nous dirigeons vers l’entrée.Popsindiqueàundenosprospectsdesurveillernosbécanes.
Lorsquenousentronsdanslagrandesalle,Tigerestaffalésurlecanapé.Ennousvoyanttousentrer,ilselèved’unbond,écartelesbrasensigned’accueil,plaqueunsouriresursonvisageets’exclame:
—Pops !T’aurais dû nous prévenir de ta visite, on t’aurait reçu avec leshonneurs.
—Pasbesoin.Onvientpourtoi.LavoixduPrés’estaussicoupantequ’unelamederasoir.LesyeuxdeTiger
lui sortent de la tête, je le vois déglutir avec difficulté, une lueur d’angoissetraversesonregard.Popsreprenddesavoixglaciale:
—Grandemesse.Toutdesuite.
Nouslesuivonstousendirectiondelasalleprévuepourlesréunions.Popsprend laplaced’honneur,commeson rang le luipermet.Nousnous installonstousànosplacesrespectives,pendantqu’ilanalysetoutlemondedesonregardd’acier.L’ambianceestglaciale.Tigerestdanssespetitssouliers,lesmembresdesonchapitre se lancentdes regardsencoulisse,cherchantàcomprendre lesraisonsdecetteréunion.Mesfrères,eux,sontsurlequi-vive,prêtsàbondiraumoindre signal. Tout le monde est enfin installé, nous attendons que Popss’exprime.Lesilencedanslasalleestpesant.Tigergesticulesursachaise,malàl’aise.Ilseraclelagorge,etd’unevoixmalassurée,ilentame:
—Pourquoicetteréunion?
Pops le fusille du regard, les poings serrés.Tout dans son attitudemontrequ’iltentedegardersonsang-froid.
—Laraison,c’esttoi.—Moi?—Ouais.T’aspasuntrucànousdire?—Je…Euh…Jevoispas.—Tefouspasdemagueule!rugitlePrés’.Sous l’invective, Tiger se plaque contre le dossier de sa chaise, le visage
affolé.Impitoyable,Popsreprendd’unevoixrageuse:—Lescomptes.Onsaittout.Pourquoi?—Je…Quoi…Les…—Nemeprendspaspouruncon,tucroyaisqu’onn’allaitpasledécouvrir?
Pourquoit’asfaitça?Ilselèved’unbond,telunprédateursejetantsursaproie.Sagrossemain
vientsaisirTigeràlagorge,illesoulèvedesachaiseetl’envoies’écrasercontrelemur. Il colle sonvisagecontreceluideTigeret lui cracheauvisage,d’unevoixrempliedemépris:
—Espècedepetitemerde!Tiger tremble de la tête aux pieds. Sous l’effet de la peur, sa poitrine se
soulèveàunrythmeeffréné.—Tuesbanniduclub,onteretiretescouleurs.Tuquittesceputaind’État
danslajournée.TuesinterditdeséjourdanschacundesÉtatsoùnousavonsunclub.
PopsrelâchelagorgedeTigeretcedernier,déstabilisé,s’affaisseausol.LePrés’ luienvoieuncoupdepieddans lescôtes.Sonvisagese faitencoreplusglacialquandilluibalance:
—T’asintérêtàsuivrecesordresparcequ’enquittantcechapitre,jetecolleuncontratsurlatête.Siquelqu’untevoitdansundemesÉtats,t’esunhommemort.
Popsregardelesmembresduchapitreunàunetleurlanced’unevoixforte:—Onnesetrahitpasentrefrères,celuiquitrahitsonclubestbanni.C’est
clair?
Toutlemondehochelatête.LePrés’donneunderniercoupdepiedrageuràTiger. Avant de quitter la salle, il se retourne une dernière fois vers notreassemblée:
—Foutez-ledehorsetoccupez-vousdelui.Brûlezsonblouson.
***
Ça faitplusd’uneheurequeTiger aquitté lebâtiment enpiteuxétat.Lesmembresde sonancienchapitre l’ontpasséà tabac.Dansnotremonde,onneplaisantepasaveclestraîtres.S’iln’avaitpasappartenuauclub,àl’heurequ’ilest,ilseraitentraindemangerlespissenlitsparlaracine.
Pourlemoment,jesuisdehorsàcôtédePops.Ilestd’unehumeurdechienquandilmedemande:
—T’aspassélecontrat?—Ouais.Jem’ensuisoccupé.—Bien.—TuvasmettrequiaupostedePrés’surcechapitre?Ilpousseunsoupirdelassitudelorsqu’ilmerépond:—JepensaisàCook.Ilseracapabledegérertoutcemerdier.T’enpenses
quoi?—Ilalacarrureetilestdévouéauclubdepuisdenombreusesannées.Contre touteattente, ilchangedesujetbrusquementetmebalancecomme
unpavédanslamarre:—Ettoi?T’enesoùaveclagamine?—Putain,Prés’…—Onrentredemain,j’aibesoindesavoirsit’esàfonddansleclub.Alors?—T’inquiètepaspourmoi,jesaisquoifaire.Sesyeuxmescrutent,cherchantàdétecter lemoindredoute.Cequ’ilvoit
doitlesatisfairecarilfinitparlâcherunsimple:—Ok.
13
Hayley
CelafaitunpeuplusdequinzejoursqueJaceestparti,etmisàpartnotreéchangedemessages ilya trois jours, jen’aiaucunenouvellede lui. J’avoueavoirétésurprisequ’ilmecontacte.Jen’auraisjamaisimaginéqu’ilsoitlegenredepersonneà faire lepremierpaspour s’excuser. Jen’enaiparléàpersonne,pasmêmeàBeverly,alorsquejemedouteparfaitementquec’estellequiluiadonnémonnumérodetéléphone.Maiscommeellerestesilencieusesurlesujet,jefaisdemême.Detoutefaçon,jenesauraispasquoiluidire.Jenesaispasceque cet échange représente pour lui,mais ilm’a permis de voir Jace sous unnouveaujour.Jeneleperçoispluscommeunbikeraumilieudetantd’autres,ilm’a laisséentrevoirune facettede sapersonnalitéquimeplaît énormémentetmedonneenvied’endécouvrirplusàsonsujet.Laseuleombreautableauestquejen’aiaucunsignedeviedeluidepuisqu’ilm’aditqu’ilvoulaitmevoiràsonretour.Etmaintenant,jedoute.A-t-ilchangéd’avis?Secrètement,moncôtéfleur bleue espère que ce n’est pas le cas et que nos chemins se recroiserontrapidement.Depuisnotredisputedevantlecentred’accueil,j’aiprisdurecul.Etcequejeprenaispouruncomportementdeparfaitcrétinsetransformepeuàpeuenuncomportementdequelqu’unquisesoucieréellementdemasécurité.Etça,çametrouble,carlesseulespersonnesquis’inquiètentàmonsujetsontBrandonetsesparents.
Jenesaispascequ’ils’estpassécejour-làmaisilyaeuundéclicchezmoi.Le lendemain, j’ai retrouvéma voiture garée dans le parking dema résidenceuniversitaire,avecunsimplemotcoincésousl’essuie-glacem’expliquantquelavoiture avait été réparée, les pneus changés et la vidange faite.Lemot n’étaitmêmepassigné.
Qu’est-ceque jem’imaginais?Oh jesaisbienceque jem’imaginais !Jerêvedecettescènetouslessoirs,seuledansmonlit.
Jace est adossé nonchalamment à ma voiture. Ses bras, croisés sur sontorse,fontressortirsesmuscles.Sonregardappréciateurbalaiechaqueparcellede mon corps, pendant que je m’approche de lui. Alors que j’arrive à sahauteur, ilme tend unemain douce et puissante et enveloppe lamienne pourm’attirertoutcontrelui.Sonsoufflechaudvientcaressermajouealorsqu’ilmesusurredesamerveilleusevoixrauqueun«Monange»àl’oreille.Sonautremain se glisse derrière ma nuque, et d’une infime pression, il approche monvisage du sien. Chargées de désir, ses magnifiques prunelles grises setransforment en argent liquide. Il se redresse légèrement, ramenant mamaintoujoursemprisonnéedanslasiennedanslecreuxdemesreins.Cemouvementrapproche nos deux corps et les fait entrer en contact. Mon sang ne devientalors plus que de la lave en fusion. Son regard se rive au mien. Lentement,désespérément,nosbouchesserapprochentetfinissentparserencontrer.C’estd’abordunsimpleeffleurement,tellelacaressedesailesd’unpapillon,puislapression devient plus insistante et avec une maîtrise parfaite, ses dents memordillent la lèvre inférieure.En réponseà cettedemandemuette,mabouches’entrouvre,lapointedesalangueentreencontactaveclamiennepuisressortavantdepénétrerànouveauunpeuplus loin,unpeuplusvite, simulantainsil’acteérotique.Unechaleurinsupportableirradiemoncorps,tousmessenssontembrasés,monventresecontractedouloureusement.Ungémissementdedésiroudesuppliceremonteenmoi,queJacetaitenunbaiserpluspassionné:toutce qui était tendresse devient alors sauvage, nos bouches s’affrontent,s’entrechoquent, se soudent pour combler le besoin urgent de notre attirance.Mes mains s’enfouissent dans la douceur de ses cheveux, je m’y accroche
commeuneâmeenpeine.Messenssontauborddel’implosion,jepressemoncorps contre le sien et mon plaisir s’intensifie quand je sens la bosse de sondésircontremacuisse.
—Çava,GlitterGirl?LavoixinquiètedeBrandonm’interromptenpleinfantasme.Bonsang!Il
fautvraimentquejemelesortedelatête.J’étaisàdeuxdoigtsdemechopperunorgasmeenpleincours.
Jemeraclelagorge,meredresseetmecollecontreledossierdemachaise.Mavoixn’estplusqu’uncouinementlorsquejeréponds:
—Je…Hum…Oui,oui.—T’essûre?Tesjouessontcomplètementrougesettuviensdegémir.Tu
esmalade?T’asdelafièvre?Rougedehonte, je saisismon stylo et gribouille des formesgéométriques
surmoncahierpourmasquermonembarras.Incapabled’affrontersonregard,jefixetoujoursmafeuilleetluimurmure:
—Non,Brandon,toutvabien.Ignorantmonmalaise,ilinsiste:—Jem’inquiètepourtoi,depuisquelquesjourstuesdanstonmonde.Tes
cauchemarsreviennent?—Non,jen’enfaisplusdepuisquelquetemps.—Ok.Qu’est-cequinevapas,alors?— Je ne sais pas… Je… Je crois que j’aimerais avoir une relation avec
quelqu’un.Ilhausselessourcils,ouvrelabouchepuislarefermeetlarouvreànouveau.—Oh…Ettutesensprêtepourça?—Jenesaispas.Disonsquedepuisquelquetemps,jemedisqu’ilfaudrait
quejetrouvelecouragedevivrenormalement.Quej’ailedroitd’êtreheureuse,moiaussi.
Ilplacesamainsurlamienneetexerceunedoucepression.— Bien sûr, tu le mérites, ma puce. T’as quelqu’un en vue ? C’est
Christopher?Voussembliezbienvousentendretouslesdeux,l’autresoir.
Je repense à la soirée feu de camp. Tout s’est bien passé, aucune crise
d’angoissen’estvenue ternirmasoirée.Pour toutdire : jemesuismêmebienamusée.Commepromis,Brandonnem’apasquittéedesyeux. J’ai passéunebonnepartiedelasoiréeavecChrisetnousavonslonguementdiscutéluietmoi.Nous nous sommesmêmedécouvert des points communs.Mais à la fin de lasoirée, jeme suis rendu compte que je le voyais plus comme un ami, et noncommequelqu’unavecquij’auraisvouluallerplusloin.D’ailleurs,chaquefoisquej’envisageaisdepousserlarelationpourvoirsij’enétaiscapable,l’imagedeBakers venait interférer dans mes pensées. Je ne pouvais m’empêcher derepenseràlui,demedemandercequ’ilfaisait,oùilétait.Chrisestsympaets’iln’yavaitpaseuJace,peut-êtremeserais-jeintéresséeàlui.Jepensequ’ilaluiaussicomprisqu’unerelationentrenousétaitvouéeàl’échec.Malgrétout,ilainsistépour avoirmonnumérode téléphone. Il voulait que l’onboiveuncafédanslasemaineetj’aifiniparcéder.
Je sais que je ne dois pas me faire d’idées concernant Jace, même s’ilm’attire,etmalgrésonattitudeprotectricedevantlecentre,iln’estpasceluiquipourraitme guérir des blessures demonpassé.Dire qu’il est séduisant est uneuphémisme. D’ailleurs, c’est la première fois que j’éprouve une véritableattirancephysiquepourunhomme.Etcequim’étonneleplus,c’estderessentirçaavecunepersonnetellequeluiquidégageuntelmagnétismeetunepuissanceincroyable.
—Jen’ensaisrienencore.Brandonrestesilencieuxuninstant,semblantréfléchir.Sesdoigtsjouenten
rythmesursonbureau,puisilreprend:—Tufaisquoiaprèslescours?—Jedoisbosserlapsychoavecmonbinôme.—Etcesoir?—Riendeprévu.Jepensaisréviserdansmachambre.—Bon,alors,changementdeprogramme!Cesoir,jet’inviteauresto,pour
qu’onpuisseenparlertranquillement.
—T’avais pas rendez-vous avec Jenna ouAlicia ?Merde, je suis perdueavectoutestesconquêtes.
Ilesquisseunsourireencoin.—Pourtoutt’avouer,jenesaismêmeplussonprénom.Detoutefaçonon
s’enfout.Leplusimportant,c’esttoi.Jet’attendraiàdix-huitheuresenbasdetarésidence.
—Ok.
Lecoursse termineenfin,nousrassemblonsnosaffairesetnousdirigeonsvers la sortie. À peine avons-nous franchi le seuil de l’amphi qu’une desgroupies deBrandon lui saute dessus.Ces filles n’ont vraiment aucun amour-propre.
En retrait, j’en profite pour la détailler. C’est encore une de ces blondesperoxydéesquin’apasencorecomprisqu’elleperdsontemps.Sondécolletéestà la limite de l’attentat à la pudeur. Si elle avait pu lui coller le nez dans sapoitrine,ellel’auraitfaitsanshésiter.
Je laisseBrandonauxmainsdecettefille, luifaisunsigneet luichuchote«Àtoutàl’heure».
Lorsquejequittelabibliothèqueunpeuplustardqueprévu,ilnemeresteplus qu’une heure pour rejoindre le campus etme préparer pourmon rendez-vous avec Brandon. Je me dépêche pour ne pas le faire attendre, tout enrepensantàmaconversationdecematin.Jenesaispassijemesensvraimentprêteàconstruireunerelationavecquelqu’un,maisj’aienvied’essayer.L’unedes raisons qui m’ont poussée à venir en Californie est mon envie derecommenceràvivre,ouplutôtdecommenceràvivre.
J’appréhende la réaction deBrandon, surtout si je lui dis que la personneavec qui j’aimerais avoir cette relation est Jace.Bakers.Un sourire s’étire surmeslèvrescommejerepenseàcesurnometausoiroùjeleluiaidonné,maisilsefaneaussirapidementqu’ilestvenuetsetransformeengrimace,enimaginantlaréactiondeBrandon.
Il va me prendre pour une folle. Je sais que Jace n’est pas le genre depersonnequel’onprésenteàsesparentscommeétantsonpetitcopain.Ilestplusâgé, ses bras sont recouverts de tatouages terrifiants et, cerise sur le gâteau, ilappartientàunclubdebikers.J’avouequecetaspectdesaviemefaitpeur.Àlui seul, il incarne tous les clichés du motard. Mais l’autre jour, devantl’association, j’ai aperçu un autre aspect de sa personnalité. Comme si j’étaisfaceàunautrehomme.Mêmes’ils’yestmalpris,àsamanièrebienàluiilavoulumeprotéger.Ilsesentaitconcernéparmasécurité.Jaceestdanslestylepurbadboyquiferait frémirn’importequellemèredefamille.Et,connaissantmonpassé,monaminevapasapprécierl’idée.
***
Brandonavoulum’emmenerdansunpetitrestaurantprèsducampus,pourêtreaucalme.C’estunrestaurantitalientypique,avecàpeineunequinzainedetables,mais le cadre est intime.C’est l’endroit idéal pour la conversation quenousallonsavoir.
Alors que nous attendons dans l’entrée que la serveuse nous place, jem’imprègne de l’ambiance. J’ai l’impression de me retrouver dans le dessinaniméLaBelleetleClochard.
Une chanson italienne est diffusée en fond sonore. Les tables sontrecouvertesdenappes rouges à carreauxblancs.Sur chacuned’elles est poséeune bouteille faisant office de bougeoir. Celles-ci ont tellement servi qu’ellessontàmoitiérecouvertesdecire.
Unefemmed’unecinquantained’annéesvientànotrerencontrepournousaccueillir.Elleressembleàunevraiemamaitalienne,avecsonfortaccent.Nouslasuivonsverslefonddelasalleetnousnousinstallonsàunetabledansuncoinreculé,àl’abridesoreillesindiscrètes.
Pendant que je prends place, je regarde Brandon qui essaie de paraîtredécontracté, mais je ne suis pas dupe, son visage est marqué par des signesd’inquiétude.Nousnousconnaissonstellementtouslesdeuxquenoussommes
incapables de masquer nos sentiments. Lui comme moi savons détecter lemoindre changementd’humeur.Et ce soir,malgré son apparentenonchalance,Brandonesttendu.
Ilsesaisitdelacarafeposéesurla tableunpeuplustôtparlaserveuseetnous verse à chacun un verre d’eau. Ses mouvements sont calculés avecprécision,commes’ilessayaitd’organisersesidées.
Ilreposelacarafe,prendunegorgéed’eaupuisentame:—Alors,GlitterGirl,tutesensprêteàfranchiruncapdanstanouvellevie?Ilme fixe avec intensité. Il a toujours eucette façonde regarder lesgens,
commes’illespassaitaudétecteurdemensonge.—Je ne sais pas trop.Çame trotte unpeudans la tête en cemoment, je
souffle.Puisjeprendsuneprofondeinspirationetdébited’unetraite:—J’enaimarredesubir, j’aienvied’êtreactricedemaproprevieetplus
seulementsimplespectatrice.—Etquiest l’heureuxélu?Vutaréactiontoutà l’heure,çam’étonnerait
quecelasoitChris…Jehausselesépaules,cherchantàretardermonaveulepluspossible,carla
réaction de Brandon m’angoisse. Incapable de soutenir son regard pluslongtemps,jedétournelesyeuxetfixelanappe.Duboutdel’index,jetracelecontourdescarreauxdessinésdessustoutencherchantmesmots.
Levisagetoujoursbaissé,jeluirépondsvaguement:—Jen’aipersonnedeparticulierenvue.C’estjusteuneidéecommeça.Brandonsepencheau-dessusdelatable,s’approchedemoietmechuchote:—Nememenspas,GlitterGirl.Siaujourd’huituveuxfranchiruneétape
aussi importante pour toi, c’est parce qu’il y a quelqu’un qui ne te laisse pasindifférente.Autrement,nousneserionspaslàcesoiràavoircetteconversation,jemetrompe?
Jeréfléchisàmaréponsetoutentriturantlaservietteenpapierposéedevantmoi.Jemecalecontreledossierdemachaiseetfinisparadmettre:
—Non,tuasraison.
—Alors,quiest-ce?
Etvoilà,lemomenttantredoutéestarrivé.Marespirationsebloquedansmapoitrine,jepousseungrandsoupirpouressayerd’évacuertoutecettetensionquimenoueleventre.
—Tutesouviensduweek-endauborddulac?—Ouais.—J’aieuunsoucidevoitureet…LevisagedeBrandonsedécompose.C’estbon,ilatoutdeviné.Ilmecoupe
enpleinmilieudemaphraseetmerépondd’unevoixincrédule:—Nemedispasquec’estcemec!Sa réaction ne me surprend pas, j’en attendais même une plus virulente.
D’unairinnocent,j’ajoute:—Quelmec?Unemouededégoûts’affichesursonmagnifiquevisage.Ilagitesesmains
devantluicommes’ilvoulaitsedébarrasserd’unquelconqueinsecte.—Cebikertatouédepartout!—Si,jeluimurmure.Ilsecouelatêteets’exclamed’unairàlafoisnavréetinquiet:—Putain!C’estpasbon,ça.—Commentça?—Écoute…Cemec…Ilnevoudraqu’unechose,etcen’estpascompter
fleurette.—Commentpeux-tulesavoir?—Merde,Hayley, réveille-toi !C’estunbiker ! s’exclame-t-ild’unevoix
plusforte.Puis,plusdoucement,ilcontinue:—Cesmecsn’ontaucuneloi.Ilss’enfoutentdesfilles,ilsfontdutrafic!
Cesontdesméchants.Cen’estpasuntypecommeluiqu’iltefautpourfairelegrandsaut!
—T’essérieux?T’esparticulièrementmalplacépourdireça.Aurisquedetevexer,c’esttoiquiasuneréputationdetombeuretdemecquisetapetoutce
quiporteunejupeau-dessusdugenou!Touché! Brandon grimace. Il sait très bien qu’aucune réponse valable ne
pourraitcontrecarrermespropos.—T’as raison,GlitterGirl. Je suis comme lui.Raison de plus pourm’en
inquiéter,jesuisparfaitementbienplacépoursavoircequisepassedansl’espritdecegenredetypesquandilsrencontrentunefillecommetoi.Etfranchement,j’aipasenviedetevoirsouffriràcaused’unsalopard.
—Jesaistoutça,Brandon,maistunepourraspastoujoursmeprotéger.Ilfautaussiquejefassedeserreurspourapprendre.Etpuis,jeneparvienspasàmelesortirdelatête.C’estlapremièrefoisquejeréagiscommeçadepuis…
Je laissemaphraseen suspens, jen’aipasbesoind’endireplus,Brandonsaitexactementoùjeveuxenvenir.
—EtChris?Tunepeuxpasessayeraveclui?— Pour être honnête, j’y ai pensé. Chris est sympa mais je le vois plus
commeunami. Il s’enest renducompte luiaussi lorsde lasoirée.Entrenousc’estamical,iln’yapasvraimentd’attirance.
—Merde…dit-ilensecouantlatêted’unairdésolé.Jenesaispassic’estlebonmoment pour toi, Glitter Girl…Et puis, je suis inquiet, la date fatidiqueapproche…Tuessûredevouloirtelancerdanscetteaventure?J’aipeurqueçafassetropd’uncouppourtoietqueturetombesànouveauauplusbas.
Ladate fatidique.Brandonn’a pas besoindem’endire davantage, je saistrèsbiendequoiilparle.Monréflexechaquematinenmeréveillantestdefaireledécomptedesjoursquimerapprochentdecettedate.
Jeleregardeetluidemande:—Qu’est-cequetumeconseilles?Ilpousseunsoupir, complètementdésemparé.Samainbalaie sescheveux
pendantqu’ilréfléchitàlaquestion.—Jenesaispas…T’attaqueràunpluspetitmorceau?—Brandon,jesuissérieuse.—Moiaussi,GlitterGirl.Nous restons silencieux un instant, chacun perdu dans ses réflexions, puis
Brandonreprend:
—Écoute,situtesensprête,jetesuis.Maisaumoindresignedefaiblessedetapart,tufaismarchearrière.
—Merci,Brandon.—Tusaisquejenetelaisseraijamaistomber?—Jesais.Tuesmonsauveur.—Toujours.—Toujours.
14
Hayley
Lajournéesetermineenfin.Lescoursétaientpassionnants,maisjemesensvidée. Jemarcheversmonbâtimentpour regagnermachambre etmettremesnotesàjour.J’atteinslaportedemarésidenceetm’apprêteàl’ouvrirlorsqu’unevoixreconnaissableentretoutessurgitderrièremoi.
—Salut,monange.Je fais volte-face etmon cœur a un raté en voyant Jace sur samoto. Ses
cheveux sont légèrement ébouriffés et ses joues sont ombrées d’une barbenaissante.MonDieu, cemec est un véritable régal pour les yeux. Il est, à luiseul,l’incarnationdelavirilitéàl’étatbrut.
Alorsquemoncerveauérigedesbarrièresdéfensives,moncorps,cetraître,luirépondinstinctivement.
—Bakers…Qu’est-cequetufaisici?Unefossettecreusesajouedroitetandisqueseslèvress’étirentenungrand
sourire.—Jevoulaisvoirsitafaçondemontersurunemotos’étaitaméliorée.Jehausselesépaules.—Laseulemotosurlaquellejesuismontée,c’estlatienne.Un air satisfait s’affiche sur son visage et ses lèvres délicieuses se
retroussentenlaissantapparaîtreunsourireencoin.—Çameplaît.
—Quoi?—Desavoirquejesuisleseul.—Pff…C’estbienuntrucdemec,ça.Jacegonflesapoitrineetmerétorque:—Ouais,t’asdevanttoiunmecpuretdur.Battantdespaupièresetd’unevoixmielleuse,jeluidis:—Méfie-toi,tusaiscequ’onditsurlesmecsetleurego…Sonairsatisfaitperddesonéclatetsesyeuxseplissent,méfiants.—Quoi?—Grosego,petite…Ilmecoupe.Savoixestdouce,maisjesenslamenacelatente.—Monange,neterminepastaphrase.Tupourraisêtresurprise.—Ok.Bon,sérieusement,qu’est-cequetufaisici?—Jevoulaistevoir.—Pourquoi?—Pourquoipas?—Bakers…D’unmouvementdetête,ilmemontrel’arrièredesamoto.—Allez,monte,jet’emmènefaireuntour.J’ailadalle,onvasetrouverune
gargoteauborddelaplageetmangerunmorceau.Jenepeuxm’empêcherd’êtreironiquesursafaçondem’inviteràdîner.—Quellefillepourraitrésisteràunetelleinvitation?Maréponseluiarracheunéclatderireetsesprunellesargentéessemettentà
brillerd’unelueurparticulière.—Allez,grimpe.—Ok.C’estpeut-êtrestupidedemapart,maisenmontantsursamoto,j’éprouvele
sentimentd’avoirtrouvémaplace.
Letrajetpournousrendresurlaplagemeparaîtbientropcourt.Jemesenstellement bien, appuyée contre le dos deBakers,mesmains plaquées sur son
ventre ferme.Àchacunde sesmouvements, je peux sentir ses abdominaux secontractersousmesdoigts.Jenecéderaismaplacepourrienaumonde.
Lorsquenousarrivonsàdestination,ilcoupelemoteurdesaHarleyetmelaisse descendre la première. Ses lèvres pleines dessinent un sourire narquoisquand il voit que je m’y prends maladroitement. Mes joues rosissent sousl’embarras.
—Jesais.Jenesuistoujourspastrèsdouée.Illèvesesmainsensignedereddition.—J’airiendit,monange.—Non,maisl’expressiondetonvisageparlepourtoi.Avecunegrâcenaturelleque je luienvie, ilse lèvedesamotoetplace la
béquillepourlamaintenirdebout.Sansmelaisserletempsderéagir,ilposeunedesesmainsdans lecreuxdemes reinsetm’entraînevers lapromenade.Sontoucherestléger,presqueinexistant,pourtantjeleressensdansdiversespartiesdemoncorps.
Nousmarchonstranquillementcôteàcôtejusqu’àunesortedepetitepaillotesituéesurleborddelaplage.Quelquestablesauxcouleursvivessontinstalléesàmêmelesable.Derrièrelecomptoir,unhommevêtud’unechemiseàfleursàmoitiédissimuléeparuntabliersifflotel’airdelachansondiffuséeparleshaut-parleurs.
Jacepivotelégèrementversmoi.—T’aimeslestacos?—Absolument!
D’unmouvement de la tête, le propriétaire nousmontre une table et nous
demande depuis son comptoir ce que nous souhaitons boire. Nous nousinstallons, jeme saisis dumenu posé sur la table en attendant que nos bièresarrivent.
—Alors,parle-moiunpeudetoi.Je n’aimepas cette question car je ne sais jamais quoi répondre. Je glisse
monregarddumenujusqu’àJaceetjemeretrouvesubjuguéeparsesprunelles
grisesempliesdedouceur.Ilattendpatiemmentmaréponse,lecoudeappuyésurlereborddelatable,sonmentoncalédanslecreuxdesamain.
—Queveux-tusavoir,exactement?—Jet’aientenduedirel’autrejouràPopsquetusouhaitaisêtreassistante
sociale.Pourquoi?—Parcequ’ilyadesenfantsquiontbesoind’aide.—C’esttoutàtonhonneurdevouloirlesaider,maislesystèmeestmalfait,
beaucoupd’enfantssontplacésdansdes famillesd’accueilquineméritentpasdel’être.Ellesnelefontquepourlefric.
—Jesais.J’aimeraiscontribueràl’améliorer.—C’estDavidcontreGoliath,tuenasconscience?—Oui,maisn’oubliepasunechose:àlafin,DavidgagnecontreGoliath.Jaceafficheunemouedubitative.—C’estpasunpeuutopique?— Peut-être, mais même si je n’aide pas tous les enfants, et je suis
consciente que je ne pourrai pas tous les aider, aumoins je pourrai en sauvercertains.
—Hum…Àsonairpeuconvaincu,jepoursuis:—Tusais,sinous,lesadultes,nousnelesaidonspas,personnenelefera.
De nombreux enfants vivent dans des familles fracassées et si je peux leurapportermonaidepourqu’ilspuissentsereconstruire,alorsjeleferai.
— Tu risques de voir des choses pas très jolies. Tu vas pouvoir lesupporter?
—Ceque jene supporteraispas, c’est de savoirqu’il y adesgaminsquisouffrentetdefermer lesyeuxdevanteux.Savoiretnerienfaire,c’estçaquiseraitlepire.
Jemarqueunepause.Monsouffleestcourt,commechaquefoisquejeparledelasituationdecesenfants.Jesaisquejedoisfairelapartdeschoses,quejedois rester neutre.Mais je ne parviens pas à rester insensible face à leur sort,alorsj’insiste:
—J’ailuunjourunecitation,dansunarticle,etelledisait«Unenfantmaléduqué est un enfant perdu ». Je crois en cette citation, elle est devenuemonleitmotiv,enquelquesorte.
Soudain, jeme rendscompteque jemonopolise la conversationdepuisuncertaintempsetqueJacerestesilencieux.
—Pardon,jem’emballeunpeu,tudoismetrouveridéaliste.—Pasdutout.Tuespassionnée,çaprouvequetuesfaitepourcemétier.Jelefixe,pensive,pendantquelquetemps,etj’ajoute:— Je rêve de pouvoir ouvrir ma propre structure et de recueillir un
maximum d’enfants à qui la vie n’a pas fait de cadeaux pour les aider à serévéler,àavoirconfianceeneux.
—Jesuissûrquetonrêveseréalisera.—Peut-être,maisenattendant,jedoisobtenirmondiplômeetacquérirde
l’expérience.Nousnoussourionssimplement,conscientsdevivreunmomentparticulier.
Lerestantdelasoiréesedérouledemanièreagréable,Jacemefaitdécouvrir
uneautrefacettedesapersonnalité.Jemerendscomptequ’ilestquelqu’undedrôle avec une vision assez cynique de la vie. À plusieurs reprises, je mesurprends à constater que nous avons beaucoup de choses en commun, et cemalgrélesuniversdifférentsdanslesquelsnousévoluonstouslesdeux.J’essaied’en apprendre davantage sur sa vie de biker, mais il reste assez vague, melaissantungoûtdefrustration.
Une fois le repas terminé, nous décidons de nous promener sur la jetée.Alors que nous nous dirigeons vers le phare, nous restons tous les deuxsilencieux,maiscontrairementàcequej’auraispucraindre,cesilencen’estpaspesant.C’estpluscommesiunesortedecomplicités’étaitinstauréeentrenous.Nous croisons quelques rares passants, une quiétudem’envahit et jeme laissebercerpar lesbruitsenvironnants : le ressacdesvagueset lescrisdesoiseauxquilessurvolentenquêtedepoissons.
Tandisquemonespritpartàladérive,Jacemarqueunepauseetsetourneversmoi,empiétantquelquepeusurmonespacevital.Sonvisageafficheunairsérieux et de nombreuses émotions le traversent : indécision, peur, désir.Unelégère brise se lève etme fait frissonner. Ou est-ce le fait que Bakers soit siprochedemoi?
—Monange,souffle-t-il.Ladouceurde savoix et saprésencedansmonpérimètrede sécurité font
légèrement vaciller les remparts mentaux que je me suis érigés au fil desdernièresannées.Sesirisargentésmehappentlittéralement,lescheveuxsurmanuquesehérissentetuneétrangesensationmeparcourtlecorpsjusquedansleventre.
Aprèsunefractiondesecondededoute,jeréaliseque,pourlapremièrefois,jen’éprouvepaslamoindretracedepanique.Mieux,même,aulieuderessentirces doigts glacés le long de ma colonne vertébrale, comme chaque fois, unedouce chaleur se diffuse dans chacune de mes veines. Je suis parfaitementmaîtressedemoi-même.
—Bakers…—J’aimeraisterevoir.Ilyaunmomentdesilence.Jeclignerapidementdesyeuxpourmelibérer
dumagnétismedesesprunellesetdéglutis tantbienquemalpour fairepasserl’émotionquim’obstrue lagorge.Mesangoissesdepetite fille effrayée refontsurface.Sijeluidisnon,jeresteraiàjamaisenferméedansmonpassé,maissijelui dis oui, je devrai l’affronter. Une petite voix s’infiltre dans mon esprit etm’encourageàmejeterdansl’inconnu.
Je repousse mes sombres pensées et tente de chasser le poids qui mecomprimelapoitrineparunepointed’humourlorsquejeluiréponds:
—Tusaisoùj’habite.—Jevaisprendreçapourunoui.
Mon téléphone choisit cemoment pour biper,m’annonçant l’arrivée d’un
message. Encore émerveillée par son sourire, j’attrape mon portable et, sansregarderl’expéditeur,j’ouvrelemessage.
**Inconnu:Tictac,tictac,jesorsbientôt**Le sang quittemon visage, lemerveilleuxmoment que je viens de passer
avecBakerssebriseetéclateenmillemorceaux.D’unemaintremblantej’effacelemessage,commesilefaitdelesupprimer
pouvaitmefaireoublierleshorreursquisontentraind’obscurcirmonesprit.Lapaniquem’envahit.Pendantquejereplacemontéléphonedansmonsac,jemerépètementalement:Inspire,expire.Inspire,expire.Inspire,expire.Maisçanesert à rien,mes efforts sont vains. Jemedébats intérieurement,memolestant.Non,non,pasmaintenant!
Je veux chassermes idées noires et essaie deme raccrocher au regard deJace. Je veux lui répondre oui, mais ma langue reste de plomb, les mots neparviennentpasàfranchirlabarrièredemabouche.Sonvisageheureuxperddesonéclatetsetransformeenunmasqued’inquiétude.Latêtemetourne,mavues’obscurcit,mesdémonsresurgissentdeleurplacardets’emparentànouveaudemonesprit,demoncorpsetmepropulsentversmonpassé.MonDieu,arriverai-jeànouveauàvivrenormalementunjour?
Unesueurfroidecourtlelongdemondos,mesmainsdeviennentmoitesetj’ail’impressiond’étouffer.Cequejeredoutaisleplusarrive:jefaisunecrisedepaniquedevantBakers.
Non,non,non!Jeveuxtournerlapageetredevenirunefillenormale.Maismesdémonssontplusfortsetm’engloutissent.
—Hey!Monange?LavoixdeJacemeparvient,lointaine,àtraverslabrumequ’estdevenumon
esprit.Àmoinsquejenelarêve?Jenesaisplus,jeperdspiedetm’éloignepeuàpeudelaréalité.
—Hayley,qu’est-cequetuas?—Je…Je…MonDieu,j’étouffe.Brandon.IlmefautBrandon!Luiseulparvientàme
calmer.Luiseulconnaîtlavéritéetnemejugepas.—Monange,concentre-toisurmavoix.Hayley,écoute-moi,jesuislà.T’as
rienàcraindreavecmoi.—Je…Bran…Brandon!
—Quoi,Brandon?—App…AppelleBrandon.—Tuveuxquejel’appelle?répète-t-il,incrédule.—Oui…—Putain!Jesursauteenl’entendantjurer.Jel’aidéçu.J’aitoutperduavantmêmede
l’avoireu,etcetteconstatationm’enfonceunpeuplusdansmacrise.—Monange,n’aiepaspeur,jevaisjusteprendretontéléphonedanstonsac
etl’appeler.D’accord?J’opine pour lui indiquer que j’ai compris. Je le sens saisir mon sac et
fouiller à l’intérieur. Son regard inquiet croise lemien. Je suis complètementtétanisée, incapable de bouger et de prononcer un mot, ma respiration estsuffocante,mapoitrinesecompressedeplusenplus,empêchantdefaireentrerlepeud’airquejesuiscapablederespirer.Ildoitmeprendrepourunefolle.Ilme demande de sortir avec lui etmoi je fais une crise de panique. Tout ça àcausedecefichumessage!Quelleidiotejesuis!
Lenoirm’envahitetlevisagedeJacesetransformeenpetitspointsblancs.Jel’entendsauloinpousserunjuron.
—Hayley,resteavecmoi!Jenesaispaspourquoiilsembleapeuré,savoixestsuppliante.D’uncoup,
je me sens légère, j’ai l’impression de flotter. Ses paroles me parviennentdifficilement aux oreilles, je ne perçois que quelques mots : « Brandon »,«putain»,«rienfait»,«amène-toi».
—Hayley,nepaniquepas,jevaisjusteposerletéléphonecontretonoreillepourquetuentendesBrandon.
Malgrématorpeur,j’entendslavoixrassurantedemonami:—Hey,GlitterGirl.—Brandon.—Chut,mapuce,jesuislà.Toutvabien.N’oubliepasquetuesensécurité,
tuesenCalifornie.Respirelentement.Jesuisenvoitureetjevousrejoins.—Je…Je…Désolée.
— T’inquiète pas, écoute ma respiration, fais comme moi, Ok ? Je merapproche.
—Ok.—C’estça,Hayley,jesuisavectoi.Respireprofondément.Tucommences
àtesentirmieux?—Oui.—C’estbien,j’approchedelajetée.Jesuislà,GlitterGirl.Toujours.Je ne sais pas combien de temps je reste avecBrandon au téléphone. J’ai
l’impressiond’êtredansunautremonde.Toutceque je sais, c’estque je suisassiseàmêmelesoletquequelquechosedechaudestplaquécontremondos.Brandon me parle toujours. Mais mon esprit est concentré sur cette doucechaleur qui se répand dans mon dos. Bizarrement, elle aussi me procure unsentimentdesécurité,debien-être,ellem’aideàchasserpeuàpeumesdémons.
Auloin,jediscerneunesilhouettequicourtversmoi.Jelareconnais:c’estBrandon.Letéléphonecolléàl’oreille,ilmeparletoujours.
—Jesuislà,GlitterGirl.Jet’aperçois.Àpeinearrivéànotrehauteur,ils’agenouilledevantmoietmeprenddans
ses bras. Il me chuchote des mots réconfortants, ceux que j’ai tant besoind’entendre. Peu à peu, mes démons s’éloignent. Alors qu’il m’enlace, ilm’éloignedecettesourcedechaleursituéederrièremoietjemerendscompteque je ne veux pas en être séparée, qu’elle aussi me rassure. Je pousse ungémissementplaintifettentedem’enrapprocher.MaisBrandoncontinueàmeserrerdanssesbrasetmemaintientfermementcontresontorse.Puisjeressenscettedouceurànouveaudansmondos,c’estàpeineuneffleurement,maismoncorpscommenceàsedétendre.
Je reviens à l’instantprésent et prends consciencede cequim’entoure. Jesuismaintenue dans les bras demon ami d’enfance, Jace est installé derrièremoi,sesjambes,placéesdepartetd’autredesmiennes,m’encerclent.Samainestposéesurmondos,légèrecommeuneplume.Jeréalisealorsquec’estluiquiest à l’origine de cette source de chaleur qui me rassure tant. Il ne m’a pas
abandonnéependantmacrise,aucontraire,ils’estoccupédemoietm’aadosséecontresontorsepourmeréconforter.
—Jesuisdésolée.Jaceafficheunvisagecrispé.Jel’aidéçualorsquenouspassionsunesoirée
formidable.Jesuiscertainequ’aprèscettecrise,ilnevoudraplusmerevoir.J’aihonte. Je voudrais juste pouvoir vivre à nouveau normalement. Dès que j’ail’impression d’avancer, je suis à nouveau aspirée par le fond. Je suisdéfinitivement brisée. Je sais maintenant que je ne pourrai pas réaliser machanson,quejenepourraipasvivremonmomentetconnaîtrelebonheur.Jeneseraijamaiscapabledejetermespaillettesdanslesairs.
Brandonm’aideàmerelever.Têtebaissée,jefixelesoletn’osemêmepasregarderBakersdanslesyeuxdepeurd’yliresadéception.Brandonseredresseet se jette sur Jace, ses mains agrippant le revers de son blouson. Ils sonttellementprochesl’undel’autrequeleursvisagessetouchentpresque:
—Putain!Maisqu’est-cequetuluiasfait,connard?!—Maisrien,bordel!Jenel’aimêmepastouchée!—T’asdûluifaireuntrucpourqu’ellepaniquecommeça!—Non!Jeluiaijustedemandésiellevoulaitqu’onserevoie!—Brandon,calme-toi,s’ilteplaît.Iln’yestpourrien,j’interviens.Jeposeunemainsur l’épauledemonmeilleuramipour l’apaiser,mais je
refuse toujours de regarder Jace dans les yeux. Tendu,Brandon lui crache auvisaged’unevoixmenaçante:
—Putain,situluiasfaitdumal,jetejure…Lasituationestsuffisammenthumiliante,jeveuxpartirloindecetteplage,
loindeBakers.Jeveuxfuiretoubliercedésastre.—Ramène-moiàlafac,s’ilteplaît.Brandonlerelâchebrusquement,pivoteversmoietmeserredanssesbras.—Ok.Viens,GlitterGirl.—Monange…LavoixdeJaceestsuppliante.Maisdequoimesupplie-t-il?—Jesuisdésolée,Bakers.
Jenepeuxriendiredeplus,j’affrontesonregardpourlapremièrefoisetladouleurquejelisdanssesyeuxmeserrelecœur.Incapabled’ensupporterplus,jemedétournedelui.Sonexpressionresteraàjamaisgravéeenmoi.Ilsembleperduetsouffrirparmafaute.C’esttoutcedontjesuiscapable:fairesouffrirlespersonnesauxquellesjetiens.
Avantdelequitterdéfinitivement,jeluidis:—Tuméritesmieuxqu’unefillebriséecommemoi.Ildétournebrièvementlatête,lesmâchoirescontractées,avantdeplongerà
nouveau ses yeux argentés dans les miens. Il n’abandonne pas, et d’un tonempreintd’unedéterminationsansfaille,ilmerépond:
—Jenesuispasd’accord.JetelaisserentreravecBrandoncesoirsic’estcequetusouhaites,maisjen’abandonnepas,Hayley.
Je fixe une dernière fois son magnifique visage pour me souvenir dumoindredétaildecethommeàlabeautébrutequim’afaitespérerpendantunesoirée,avantdedisparaîtreavecceluiquiatoujoursétémabéquilledanslavie:Brandon.
15
Jace
Putain!Jedeviensfou,j’aienviedetoutcasser.Onpassaitunesupersoirée.Hayleyriait,etj’avaisl’impressiond’êtreleroi
dumonde,parcequec’étaitmoiquilafaisaitrire.Toutaulongdelasoirée,monestomacestresténouésousl’effetdel’angoisse.Mêmequandmonpaternelmedonnaituneraclée,jen’avaispasaussipeur.Pourlapremièrefoisdemavie,jen’étaispassûrdemoi,etcesoir,avecelle,j’avaislatrouilledefoireruntruc,dedirelemauvaismot,deprononcerlesmauvaisesparoles,cellesquiluiauraientfaitréaliserquejen’étaispasfaitpourelle.J’étais tenducommeunesaloperied’arc.C’estlapremièrefoisquej’invitaisunenanaauresto.Bon,ok,jem’ysuispriscommeunmanche,maiselleavaitl’airheureuse.Jel’aiécoutéemeparlerdesesprojets,desesrêves.Cettefilleest labonté incarnée.Ellesepréoccupesincèrementdecesgosses.
Àlafindelasoirée,j’avaislesentimentqu’elleseplaisaitavecmoi.J’étaispresquesûrqu’ellevoulaitquel’onserefasseuntrucensemble.
Merde ! Je ne lui ai même pas mis la pression, pourtant. Je lui ai justedemandésionpouvaitserevoir.Etlà,enunbattementdecils,toutestpartienvrille.Jerevoislafrayeurdanssonregard.Jeressensencoremonimpuissanceàlarassurer.Etpar-dessustout,ilafalluquejel’entendemedemanderd’appelerBrandon…Brandonleminable.
Çam’afoutuuncoupauventre.J’aieumalàencreverd’appelercepetitcon. Mais lorsqu’elle a entendu sa voix au téléphone, elle a tout de suitecommencéàsedétendre.
Jesuisvraimentunraté!C’estlapremièrefoisquej’inviteunenanaetellesemet àpaniquer.C’est sûr, simes frères l’apprennent, jevaispasserpour lecondeservice.Ilsvontsefoutredemagueuleetjel’auraipasvolé.Faitchier!J’aienviedehurlermarageetmafrustrationfaceàmonimpuissance.J’aimaletjenesaispasquoifairepourmedébarrasserdecettedouleur.
Rouler?Oui,c’estmaseuleéchappatoire ! JegrimpesurmaHarleyavecrageetfaisvrombirlemoteuravantdem’élanceràpleinevitesse.
C’estPopsquim’adonnécettepassionenm’offrantmapremièrebécane.Jemerappelledecejourcommesic’étaithier.Undesplusbeauxjoursdemavie.J’avaisseizeansàl’époqueet,commetouslesjours,jeglandaischezlui.Ilm’atirédehorsetm’amontréuntasdeferraillequ’ilavaitposédanslegarage.Mapremière réaction a été deme foutre de sa gueule et de lui demander ce qu’ilcomptaitfairedecettemerde.Jemesouviensdesesparoles:
—Cettemerde,commetudis,està toi.Tuenfaisceque tuveux,soit tucontinuesàglanderetàt’attirertouteslesemmerdesdelaterre,soitt’arrêtestesconneriesetjet’aideàlaretaper.
Ilabalancéunecaisseàoutilsàmespiedset s’estbarré,me laissant seulavecmespensées.Jesuisrestédanscegaragependantdesheuresàregarderletasdeferraille,àréfléchir,àpesteraprèsmavie,aprèsPopsetsesidéesàlacon.Puisfinalementletasdebouem’aapprivoiséetj’aicommencéàlarestaurer.Lanuit venue, Popsm’a rejoint, et sans une parole, sans un regard, il a pris desoutilsetm’aaidéàlaréparer.
Pendantdes joursetdesnuits,nous l’avons tous lesdeuxretapée.Commeunpèreavecsonfils.Aucoursdetoutcetempspasséensemble,ilm’atransmissapassion,m’a expliqué les sensationsqu’onéprouve surunemoto.Pour lui,rouler sur une bécane, c’est se sentir invincible tout en ayant conscience qued’uninstantàl’autretoutpeutnousfilerentrelesmains.Ilsuffitd’unconnardsurlaroute,d’unebandeglissanteoud’uncaillousurnotretrajectoirepournous
faire vivre l’enfer. Mais rouler donne ce sentiment de liberté, de vivre à lafrontièredudanger,d’êtregriséparlavitesse,parl’absencedefiletdesécurité,dopé à l’endorphine. On est sur un terrain de jeu où les règles nous sontinconnues,oùrienn’estprévu,onjoueauchatetàlasourisavecledestin.Onvoitlaviedifféremment,onappréhendenotreenvironnementautrement.Surunemoto,ondevientquelqu’und’autre.
Etpuisilm’aapprisàlaconduire.Grâceàluietàlabécane,jem’ensuissorti.Àcetteépoque,jetournaismal,jemecroyaisseuletabandonné,maisàsamanière il a été là et il m’a offert cette passion comme échappatoire sur unputain de plateau. Et maintenant, je ne peux plus m’en passer. C’est le seulmoyenquej’aidemeviderl’esprit.
Ado, pour oublier toutes les saloperies qui me polluaient le cerveau, jem’enfilaisdel’alcool,fumaisdesjointsetcherchaislabagarre.Maisdepuisquej’ailamotodanslesang,jeroule.C’estdevenumanouvelledrogue.Quandjenesaispasquoifaire,quandj’aibesoindefairelepoint,jeroule.Mamotoestleseulendroitoùjemesenschezmoi.J’oublietout:mesemmerdes,leclub,lesrivalités,monpassé.Chevauchermabécanemefaitmesentirlibre.Pasbesoinderendredescomptes,d’établiruntrajet,jevaislàoùmonbolidemeconduit.J’aime ressentir cettebouleaucreuxdemonventreavantdedémarrer,nepassavoiroùjevais,l’inconnu,lafusion,lecorps-à-corpsavecmonbébé.Iln’yaqu’elleetmoietlerubannoirdubitumequenousavalonscommedeuxputainsdeboulimiques.
Ouais, c’est le pied. Juste l’asphalte sous les roues, les vibrations qui sepropagentdansmoncorps, l’odeurd’huiledemoteurquim’emplit lesnarines.Pendantcelapsdetemps,jesuisseul,jefusionneavecmamoto,elleseulesaitmerendreheureux.Iln’yaplusdepassénid’avenir.Justel’instantprésent.Surmabécanejesuischezmoienterrainconnu.
Putain,j’enrage.Mêmeça,jen’yarriveplus.Mêmecetteadrénalinedontjemenourris,Hayleym’enadépossédé.Jeroule toujours,mais jen’arrivepasàdéconnecter mon cerveau. J’ai toujours en tête cette soirée de merde. Je neparvienspasàfairelevide.Pire,j’ail’impressionqu’elleestlà,assisederrière
moi.Elleestmontéedeuxfoissurmamoto,etlàaussiellearéussiàs’immiscer.Faitchier!
Je sens encore ses bras autour de ma taille, ses mains reposant sur monventre, j’ai encore la sensationde sesdoigts s’enfonçantdans la chairdemonbassin à chaque virage. Son corps doux pressé contre le mien, ses cuissesm’encerclantleshanches.
Bordel!Plusrienn’estcommeavant.Elleachangéladonne.C’estqu’unenanaparmitantd’autres,maiselleafoutuunvéritablemerdierdansmavie.J’aiplusenviedebaiserlesbrebis.Maviededébauchenem’attireplus.Jelaveux,elle. Elle me fait sentir différent. Tout est différent avec elle. Je revois sonvisage,sesjolisyeuxexprimantlahonte.Ellevoulaitfuir,mefuir.
Merde, ce que ça fait mal ! Tout ce que je demande, c’est de remplacerBrandonleminable.Jeveuxêtresonprotecteur,celuiquilarassure.Commentlui faire comprendre qu’elle peut avoir confiance enmoi ?Comment lui fairecomprendrequ’ellen’estpasuncoupd’unsoir?
La bile m’est remontée dans la bouche quand j’ai vu ce petit merdeuxarriver.Jemedégoûteenrepensantausentimentdesoulagementquej’aieuenlevoyantapprocher,soulagédesavoirquequelqu’unalleraiderHayley.
Jemedemandecequiabienpuluiarriverpourqu’elleréagissecommeça.De nombreuses idéesme passent par la tête et je les hais toutes, car ellesmedonnentdesenviesdemeurtre.
Si quelqu’un lui a fait du mal, comme je me l’imagine, ses jours sontcomptés.Laconversationque j’aieueauborddu lacavecPopsmerevientenmémoire.Ilavaitditqu’ilenquêteraitsurellepoursavoircequ’illuiestarrivé.Unefoisquejeconnaîtraisonpassé,jepourraiagirenconséquence.Jesauraioùjefouslespiedsetéviteraidefoirerànouveau.Jeconnaîtraimonadversaireetpourrail’affronterpouraidermonange.
***
—J’espèrequec’estimportantpourm’avoirsortidechezmoi,fils.Popssetientdeboutdevantmoietmefixedetoutesahauteur.Putain,même
après toutes ces années passées chez lui et dans son club, il m’impressionnetoujours autant. Après mon coup de fil, il m’a demandé de le rejoindre auchapitre pour qu’on discute. Je pousse un soupir de lassitude et lâche lemorceau:
—C’estHayley…Pasbesoind’endireplus,ilacomprisetmelancedutacautac:—T’asmerdéoù?Jesecouelatête,complètementdépasséparlasituation.Toutenmepassant
lamaindanslescheveux,jeluirépondssuruntonamer:—Sijesavais…—Raconte.Popstireunechaiseversluiets’affaledessus.Ilallongetranquillementses
jambes devant lui, croise ses bras contre sa poitrine et m’étudie du regardpendant que je rassemble mes idées. Alors je lui raconte tout. Tout de cetteputain de soirée. Lorsque mon monologue prend fin, Pops pousse un longsoupireetreprend:
—Pfff…Jesaispasquoitedire.—Qu’est-cequejedoisfaire?—Honnêtement,j’ensaisfichtrerien.—Tum’aidespasvraiment,là.—Laisse-moi réfléchir.Tuviensdeme sortir demonpieu, ilme faut un
tempspourremettremoncerveauenmarche.—T’asdesnouvellesdesfranginsdelacôteEst?—Pas grand-chose pour lemoment. Il y a un dossier sur ellemais il est
protégé.Ilscherchentàsoudoyerquelqu’unpourenavoirunecopie.—Putain,maisqu’est-cequiabienpuluiarriver?—Riendebonentoutcas.—Jedeviensfou.—Ilfautquetuluiinspiresconfiance.
— Comment j’fais ça, moi ? Tu m’as vu ? lui dis-je en montrant monapparence.
— Pour le moment elle n’a vu qu’un biker, mais fais en sorte qu’elle teconnaissevraiment.
J’inspirepourrépondremaisPopsmecoupeavant:— J’ai pas dit que ça allait être facile.Mais si tu la veux vraiment, il va
falloirque tu sortes legrand jeu.Que tu luimontresque tupeuxêtreuncivilaussi.
—Maisjeportelescouleursduclub!Jesuispasunputaindemouton,jefaispartiedu1%.
—Jen’aijamaisditquetudevaisterenier.Maispeut-êtrequetupourraislui montrer qu’on n’est pas des méchants non plus, qu’on mène juste nosactivitésànotrefaçon.Montre-luicequ’estleclub.Çadoitluifoutrelatrouilledeneriensavoir.
J’aidesdoutesquantàsespropos,surtoutenobservantlesdifférentesscènesquisedéroulentdanslasalleduclub.Plusieursbrebis,poitrineàl’air,vêtuesdesimples strings allument mes frères sur Pour Some Sugar On Me de DefLeppard.D’autresquileschevauchentsansaucunepudeuretsefontbaiseràlavuedetous.Quelbordel!C’estçaquePopsveutquejemontreàHayley?Passûrqu’elleapprécie le spectacleetnotre styledevie. Je reportemonattentionsurlePrés’.
—Etsielleflippe?Siçaluiplaîtpas?—Alors c’est qu’elle n’est pas faite pour toi et tu pourras passer à autre
chose.C’estaussisimplequeça.—J’aiessayéd’êtrenormal,cesoir…Ett’asvulerésultat?Pops retombe dans lemutisme.À sa tête, je vois qu’il cogite sur quelque
chose.Jerestesilencieuxtoutenmesifflantmabière.Jeleconnaisquandilestcomme ça, son cerveau carbure et ensuite il lâche toujours la solution, alorsj’attends.Çanemetpaslongtempsàvenir,maisquandj’entendscequ’ilmedit,jenecomprendsrien.
—Lesgosses.—Quoilesgosses?
—C’estsontruc.—Quoi?Jevaispasluifaireungosse,quandmême!Popslèvelesyeuxaucielexaspéré.—Maisnon,abruti,jeparledesonassociation.Jepousseunsoupirdesoulagementenreposantmabouteilleàmoitiépleine
sur la table. Je crois que j’ai eumon compte pour ce soir, j’ai plus les idéesclaires.Popsreprend:
—Ilfautfaireuntrucavecsonassociation,luimontrerqu’onesthumains.Elleteverrasousunautrejour.
—Tucrois?— Fils, je suis pas madame Soleil. J’essaie de te trouver une solution.
D’aprèscequej’aivu,lesgaminsducentresontimportantspourelle.Jeréfléchisetacquiesce:—Ouais,çapeutêtreuneidée.—Onvaenparleràlaprochainegrandemesse.Detoutefaçon,jevoulais
faire un truc pour elle. J’aime pas qu’elle soit en danger là-bas. Si tous lesfranginssontok,onvaleurproposernotreaidepourassurerleurprotection.
—Merci.—Jelefaisaussipourlagamine.—J’aientenduparlerd’ungroupedebikersquiprenddesgaminssoussa
protection.Jevaisvoiraveceuxcommentilsfonctionnent.—Ok.Tiens-moiaucourant,s’ilfautrapprochernosdeuxclubs,jeleferai.
16
Hayley
Plusieurs jours se sont écoulés depuisma crise d’angoisse avec Jace et jen’aieuaucunenouvelledesapart.Ilalittéralementdisparudelasurfacedelaterre. En même temps je ne suis pas étonnée, qui voudrait d’une fillecomplètementbrisée?Etpuis,dequoijemeplains?Ilnefaitquem’obéir,jelui ai demandé de ne pas chercher àme revoir.Mais une part demoi-même,cellequinourrissait lesecretespoirqu’ilmecontacte,estdéçue.J’auraisaiméqu’iloutrepassemesparoles,ilm’avaitditqu’iln’abandonneraitpas,maispourlemoment, c’est silence radio.Depuis notre dernière rencontre, je suis encoreplus perdue. Un véritable combat intérieur fait rage en moi. Mes pensées semêlentdansmatête,jefinisparneplussavoircequejeveuxréellement.Quiaditque les relationsétaient simples?Pourmasantémentale,mieuxvaut toutarrêteravantqueçanecommenceréellementetquejesouffre.
Jeneparvienspasàgérercescrisesd’angoisse.C’estdevenumonfardeauquotidien, je vis avec depuis de nombreuses années. L’autre soir, cet élémentdéclencheurétaitcemessage:«Tictac,tictac,jesorsbientôt».
Pasbesoind’êtredevinpoursavoircequ’ilsignifie,nidequi ilprovient :mon pire cauchemar va revenir.Heureusement que Jace ne l’a pas découvert,j’auraisétéobligéede lui révélermonpasséetmesplusgrandeshontes.Et là,c’est sûr, je l’aurais définitivement perdu. Quand Brandonm’a demandé plus
tarddanslasoiréelaraisondemacrise,jen’aimêmepaseulecouragedeleluidire. Il s’inquiète suffisamment pourmoi, je ne veux pas en rajouter. Depuisqu’il partage mon secret, j’ai transformé son quotidien en enfer et je suisparfaitementconscientequ’iln’aplusdevieà causedemoi. Il se sent investid’unemission:celledemeprotéger.Mêmes’ilneleditpas,ilsouffredecettesituationetjeneveuxpasluicréerencoreplusdesoucis.Jedoismeprendreenmainetaffrontermespeurs.Card’unjouràl’autre,jesaisquejeseraienfacedemoncauchemaretBrandonneserapeut-êtrepaslàpourmesauver.Etpourcela,jedoismetenirprête.
J’en suis là demes réflexions lorsque je pénètredansmachambre et voisBeverlyallongéesursonlit,lesécouteursdesoniPodauxoreilles.Cesdernierstempsellesembletriste,etunevaguederemordsmesubmerge.Àforcedemecomplaire dans mon auto-apitoiement, j’en oublie que ceux qui m’entourentn’ontpasforcémentlaviequ’ilsdésirenteuxnonplus.Jedécidedechassermessombres pensées pour m’occuper d’elle. Je ferme la porte de la chambredoucementetluifaisunpetitsignedelamain.Enretour,ellemesouritmaisjevois bien qu’elle se force. Je hausse les sourcils d’un air interrogateur,m’approched’elleet lapoussegentimentpourqu’ellemefassedelaplacesursonlit.Ellesedécaleetjem’allongeàsescôtés.Lamélodiequejeperçoisautraversdesécouteursm’enditlongsursesétatsd’âme.
—Çava?jeluichuchote.—Bof.—T’écoutesquoi?Aulieudemerépondre,ellemetendundesesécouteurs,remetlachanson
depuisledébut,etnousl’écoutonsensilence.Jelareconnais,c’estGirlCrushdesLittleBigTown.Àsasortie,toutlemondepensaitquec’étaitunechansonqui racontait une histoire sur des lesbiennes. Mais en réalité, c’est l’histoired’unefemmesecrètementamoureused’unhommedéjàpris.Cettefemmeauraitaimé être à la place de la petite amie. J’observeBeverly du coin de l’œil, deminuscules larmes ourlent ses sourcils.À sa respiration saccadée, jeme rendscomptequ’elleseretientdepleurer.Àlafindelachanson,jeluidemandesielle
souhaiteenparler,ellemefaitnondelatêtetoutenreniflant.J’insisteunpeuenvoyantlemasquedesouffrancequiternitsonvisage.
—Bev,tusaisquejesuislàencasdebesoin.—Jesais.—Cettechanson…Tuesquidansl’histoire?—Àtonavis?merépond-elled’untonamer.—Est-cequeceluiquitefaitpleurerestaucourantdetessentimentspour
lui?—Non.—C’estquelqu’unquejeconnais?—J’aipasenvied’enparler.Pascesoirentoutcas.Jel’aivuavecunede
sespouffesetçamerendmalade.—C’estundesmembresduclubdetonpère?Je luipose laquestioncard’aprèsmesdifférentesconversationsavecelle,
j’aiapprisqu’aucunmembren’aledroitdetoucheràlafilleduprésident.Elleest inaccessible,enquelquesorte.Le typequioses’approcherd’elle risquedevirulentesreprésailles.
Ellesecachelevisageavecsonbras.—Nan,ilestàlafac.Pfff…C’estlamerde.Onsecroisetouslesjours,il
mevoitmaisilenarienàfoutre.J’enpeuxplus.—Onpourraitfaireensortequeçachange?— Hayley, c’est un coureur. Même s’il me calcule, il me jettera le
lendemain, et je n’ai franchement pas envie de faire partie de son tableau dechasse,medit-ellesuruntondereproche.
Jem’apprêteàluirépondrelorsqu’unouraganentredansnotrechambre.—Hellolesgirls!—Salut,June…—Waouh,c’estpaslaforme,lesfilles.Allez,onestvendredisoir,çavous
tente de venir bouger votre corps sur le dancefloor ? nous dit-elle tout enremuantdubassin.
—Pascesoir,marmonneBeverly.
Juneprendconsciencede la situationet stoppenet sesmouvements.D’untonsérieuxquejeneluiconnaispas,ellenousdemande:
—Qu’est-cequ’ilya?Jeluifaisunpetitsourirecontritetluiréponds:—Bevnousfaitunepetitedéprime.ElleselaissetomberauboutdulitettapotelepieddeBeverlydelamainen
signederéconfort.—C’est unmec ? demande-t-elle avec unemoue triste. Remarque, je ne
vois même pas pourquoi je pose la question. Quand une fille déprime unvendredisoir,c’esttoujoursàcaused’unmec.
Je reste muette, considérant que c’est à Beverly d’expliquer la situation.Faceànotresilence,Junecontinuesonmonologue:
—Alors,quiestl’heureuxélu?Beverlyn’ouvranttoujourspaslabouche,jedécidedeprendrelaparole.—Bevneveutpasledire.—Hum…Junerestepensiveuninstant.Àsonair,jepeuxdevinerlesrouagesdeson
cerveausemettreenaction.D’uncoup,sesyeuxs’illuminentetjem’attendsaupire.
—Lesfilles,jesaisquevousnevoulezpas,maisondevraitsortir.Çavouschangeraitlesidées.Dansdessituationscommecelle-là,lemeilleurdesremèdesestdesefairetoutebelle,desesaouleretdebranchern’importequelmec.
Je coule un regard vers mon amie pour voir sa réaction mais elle resteenfermée dans ses pensées lugubres. Je ne sais pas comment la sortir de saléthargieetfinisparadmettrequeJunen’apeut-êtrepastoutàfaittort.
—Bev,Junearaison.Çateferaitdubiendesortir.—J’aipasenvie,jeneveuxpaslevoiravecsanouvellepouffed’unsoir.Junelafixeetlance:—Hum…Danscecas,oublionslaphase«sepomponneretsebrancherun
mec»etpassonsdirectàl’étape«boirejusqu’àenoubliernotreprénom»!—Jenesuispassûre…
—Maissi,riennevautunebonnecuite.Crois-moisurparole,çafonctionnesur moi à tous les coups. Ça va te libérer l’esprit, demain tu le regretterasprobablementavecunmaldetêtecarabiné,maiscesoirtuserasdélivréedetadéprime.
Sur ces paroles, elle quitte notre chambre comme elle est venue : façonouragan.Nous nous fixons toutes les deux, inquiètes, et attendons son retour.L’attenten’estpaslongueetnotreamieréapparaît,unebouteilledansunemainetdesgobeletsenplastiquedansl’autre.
—Bon,sionnevapasàlafête,lafêtevientànous.Elle nous verse un liquide non identifié de couleur transparente dans les
verresetnouslestend.—Culsec,lesfilles!Ellelèvelesienversnous.—Ànotresoiréemortellementennuyeuse!Nousavalonstouteslestroislebreuvage.Dèsqueleliquideentreencontact
avecnotre trachée,nousnousmettonsà tousseretànousétouffer.Les larmesmemontentauxyeux,jesuffoqueentredeuxquintesdetoux.Quellehorreur!
—Merde, June, c’est de l’alcool à 90° ton truc ou quoi ? J’ai la bouchecomplètementanesthésiée.
—Faispastachochotte!C’estmongrand-pèrequilefabrique,c’estsuperbon.
—Lavache!Jepourraiscracherdufeuavecça!—Tendez-moivotreverre,jevousenressersunautre.Beverlysecouelatête.—Jenepeuxpas,jedoisrejoindremonpèreàlamaison,jeluiaipromisde
passerlevoirceweek-end.Junenesedémontepasethausselesépaulesavantderépondre:—Pasdeproblème,onpeutdéplacerlafêtechezlui.—Jevoisdéjàsatêted’ici!ricaneBeverly.Imperturbable,Junepoursuit:—Çapeutêtrecool,unesoiréechezleprésidentd’unclubdemotards.Beverlyréfléchituninstantpuislance:
—Remarque, ilveutque jem’intègre,que jemefassedesamis.C’estunmoyendeluimontrerquej’enai…Pourlecoup,ilvaêtreservi.
LevisagedeJunesefendd’unsourirequinelaisserienprésagerdebon,ellelèvesonpoingenl’airensignedevictoire.
—Yes!C’estpartipourunesoiréechezpapabiker!
17
Jace
Lemarteau en l’air, Pops nous regarde un à un et attend que l’un d’entrenous émette une objection. Comme personne ne bronche, il l’abat en unclaquementsecsurlatable,validantainsinotreaccordetmettantfinàlasession.
Nousnouslevonstousdansunraclementdechaisessonore.Certainsdemesfrèresse tapentdans ledospourse féliciterde ladécisionprisecesoir.Notresujetprincipalpourcettegrandemesseétait laprotectionde l’associationdanslaquelleHayleybosseentantquebénévole.
Malgré les risques que nous prenons avec cette décision, nous avons tousvotépourleurvenirenaideetassurerlasécuritédesgamins.Popsatenuparole.SansquelesresponsablesducentreoumêmeHayleynelesachent,ilaassignédesprospectspour surveiller les alentours et nous faire remonter les infos.Cequ’ilsnousontapprisnenousapasétonnés.Onconnaîttouscequartier,puisquenos affaires nous y amènent parfois. Comme on le savait déjà, le secteur estgangrené par des trafics de drogue, d’armes et par différents réseaux deprostitution.Làoùonprendunrisque,c’estquemêmesic’estunezonefranchepour les affaires illégales, lesmalfrats en place pourraient voir notre présenced’unmauvaisœiletsesentirmenacés.Surtoutqu’engénéralonévitecequartierqui est toujours source d’emmerdes. L’ATF y a placé pasmal d’indics, donc,pourlapérennitédenotreclub,onfaittoutnotrepossiblepournepasymettrelespieds.
Sachant que les autres gangs pourraient interpréter notre présence commeunefutureguerredeterritoire,onadécidéd’utilisernotresociétédeprotectioncomme écran. Il y a plusieurs années de ça, en voyant le taux de criminalitégrimperenflèche,leclubacrééuneaffairelégalequiapourmissiondeprotégerlespetitscommercesdequartier.Engénéral,notreprésencesuffitàeffrayerlesvoyousdebasétagequiveulentjustepiquerlacaissepoursepayerleurshoot.
Letableauquenousontdépeintlesprospectssurlecentreetsurlesgaminsmelaisseungoûtamer.J’aibesoind’unebièreoud’unalcoolplusfortpourmeremettredetoutcequej’aientendu.Parlerdecetteassociationm’afaitouvrirlesyeuxsurunesituationquinemepréoccupaitpasplusqueçaauparavant.Maismaintenantquej’enaiconscience,jecomprendspourquoiHayleyveutsebattrepourcesenfants.
Bienquejeneleuraieriendit,mesfrèressaventtousquejechercheaussiàprotégerHayley.Jen’aimepaslasavoirtouteseulelà-bas.Pourlemoment,mesfrangins ne m’emmerdent pas avec elle, et je fais tout pour ne rien dire laconcernant. J’aipasenviede lamêlerauclubparceque,d’unepart, jenemesenspasprêt,jenesaispasoùjevaisavecelleet,d’autrepart,parcequejesaisquesielledécouvrecertainsaspectsduclub,elles’enfuiraencourant.
Laplupart demes frères ont des enfants et enragent de savoir ces gaminssansprotection.Leproblème,c’estqu’onnepeutpasfairedéménagerlecentre,ilestsituédanslequartieroùlesenfantshabitent,alorsonadécidéqu’oniraitdeux par deux, le soir, pour le protéger. Logiquement, notre présence devraitsuffireàdissuader lespetites frappesduquartierquivoudraient lesemmerder.Notre réputation est telle qu’il faudrait être suicidaire pour se frotter à l’und’entrenous.
JepasseàcôtédePopspourrejoindrelesautresmembresdéjàentraindesesifflerunebièrelorsqu’ilm’intercepte.
—Viensàlamaison,fils.Onvaseboireuncoup.Sademandemesurprend,carmêmesiPopsm’ahébergéchez luipendant
mon adolescence, depuis que sa gosse est revenue, aucunmembre du club ne
doitvenirchezlui,mêmemoi.
***
Lapremièrechosequenousvoyonsenarrivantchezlui,c’estqu’unevoitureinconnue est garée dans l’allée. Nous coupons nos moteurs, dont le bruit estremplacé par celui de la musique qui s’échappe de la fenêtre du salon. Enreconnaissantlachanson,Popsgrimacecommes’ilavaitmangéquelquechosed’acide.Ildescenddesabécaneetsedirigeverssabaraquetoutenmarmonnantdanssabarbe:
—C’estquoi,cettemusiquedemerde?Jehausselesépaulesetlesuis.
Àpeineleseuildusalonfranchi,Popss’arrêtenetetjemanquedeluirentrer
dedans.Jemedécaleetregardelacausedesastupeur.C’est un fouillis sans nom. Des tas de fringues de nanas recouvrent les
fauteuils,deschaussuresàtalonssontéparpilléesausoletdesproduitsdebeautésont étalés sur la table basse.On pourrait croire qu’un véritable raz-de-maréed’œstrogènes a envahi le salon. Je glisse un regard vers le Prés’ pour voir saréaction.J’auraispuéclaterderiresijenecraignaispassesreprésailles.Pourlemoment,ilaccuselecoup.Sespaupièressontplisséesetilanalyselasituation.
Je reporte mon attention sur le bordel qui règne dans la pièce. Beverlys’époumonesurunechansondeJustinBieber–enfinjecroisquec’estlui,jenesuispasbranchéchanteurspourmidinettes–,ellepoussesavoixdeplusenplushaut, ce qui a pour effet immédiat deme faire grincer des dents. Bon sang !J’avaispresqueoubliéqu’ellechantaitaussifaux.
Deuxautresfillesdansentdeboutsurlecanapé.Mesyeuxseposentd’abordsur la brunette, qui me rappelle vaguement quelque chose. Sans plusm’appesantirsurelle,jepasseàlasuivante,unepetiteblonde.J’ouvredesyeuxqui doivent être ronds comme des soucoupes quand je la reconnais. Putain !C’estHayleyquidansecommeça?
Ellesontl’aircomplètementpétées,lePrés’vadevenirfuribard.Jeluijetteuncoupd’œildiscret.Encoresouslechoc,sesyeuxluisortentdesorbitesetsabouche s’ouvre et se ferme sans qu’il ne parvienne à prononcer un mot. Laraideur de son corpsmontre que, dans pas longtemps, il va exploser. Surtoutquandilprendraconsciencequelesfillessontcomplètementbourrées.Etçaneloupe pas, quand il parvient enfin à sortir un son, ça ressemble surtout à unrugissement:
—C’estquoi,cebordel?
Surprise,Beverlyseretourned’unmouvementbrusqueverssonpère.Danssonélan,elleperd l’équilibreet se rattrapede justesseà la tablebasse, faisanttomberunebonnepartiedesproduitsquiétaientposésdessus.Jemepince leslèvres pour réprimer le rire quimonte enmoi,mais j’ai dumal à cachermonamusement.Popss’enrendcompteetmelanceunregardglacialquidéclencheimmédiatementmonhilarité.Ilsemetàgrognermaisreportesonattentionsursafille.
—Papa!—Bev,tupeuxm’expliquer?Alorsquesafilletentemaladroitementderamassertouslestrucstombésà
terre,Hayleydescendtantbienquemalducanapé.D’unpaschancelant,ellesedirigeversluietprendlaparole.
—C’estsoiréeentrefilles,MonsieurPops!LePrés’laregardefixementdetoutesahauteur.Ilrestesilencieuxuninstant
etsemblepeserlepouretlecontre,maisilfinitparluirépondre:—Gamine,jecroisquetuescomplètementbourrée.Ellehochelatêtelentement.—Voussavezquoi,MonsieurPops,jecroisquevousavezraison,répond-
elleen lui tapotantapproximativement l’épaule.Bon, je retournem’asseoir, çatournetrop,là.
—Pourquoivousavezautantpicolé?C’estlabrunequirépond.Jelareconnais,maintenant,c’estcelledulac,je
crois qu’elle s’appelle Jane ou June.D’après le bref aperçu que j’ai eu d’elle
l’autresoir,jem’attendsaupire.Ellen’enapasconscience,maisPopsestunevéritablepoudrièreprêteàexploser.
Je ferme les yeux quand j’entends ses premières paroles : elle vient decraquerl’allumette.
—ConcernantBev,c’estpouroublierunchagrind’amour.Enfin«chagrind’amour»,c’estvitedit,parcequ’iln’yajamaiseudecontactphysiqueavecletype,augranddamdevotrefille.
Ellemarqueunepause,penchesatêtesurlecôtéetfroncelessourcilsavantdereprendre:
—Jesaispastropsicequejedisestclair?Enfinbref,elleaflashésurunmecquil’ignore,ornotrepetiteBevaimeraitqu’illuifassepleindebébés.Enfinc’estunefaçondeparler,vousvoyezcequejeveuxdire,papabiker?
Papabiker? Sérieux? Elle n’a rien trouvé demieux que ce surnom à lacon?
Jeme tourne vers le Prés’ et attends sa réaction. Un tic nerveux agite sapaupièregauche,signequ’ilesténervé,maisqu’ilseretient.Ilinspireungrandcoup,sepincel’arêtedunezetgrogne:
—Ohputain!Unpeutropclairement,oui.Labrunetteafficheunairsatisfaitpuispoursuit:— Bien. Concernant Hayley elle boit parce que… En fait je ne sais pas
pourquoi!Ellesetourneversl’intéressée:—Hayley,pourquoitupicoles?Toutlemondereportealorssonattentionsurelle,avachiesurlecanapé,la
têterenverséeenarrièrecontreledossier.Sesyeuxsontfermésetjedoistendrel’oreillepourcomprendrecequ’ellemarmonne:
—Pouroubliertouteslessaloperiesquel’onm’afaitesparlepassé.Nom de Dieu ! Ça me fait si mal d’entendre ça que j’ai l’impression de
recevoirundirectdansleventre.J’aienviedelaprendredansmesbrasetdelaréconforter,deluipromettrequeplusriennepeutluiarriverparcequejesuislàpourlaprotéger.
Du coin de l’œil, je vois Pops se figer et marquer un temps d’arrêt enentendant sa réponse. La brunette, inconsciente de ce qui vient de se passer,continuesondiscours:
—Euh…Ok.Ehbienmoi,sijepicole,c’estpoursoutenirmescopines.Ellehausselesépauleset,surletondel’évidence,ajoute:Vousvoyezc’estlesacro-saintliendel’amitiéentrefilles.Voilà,papabiker,vousavezvotreréponse!
Popsetmoirestonsmuets,commedeuxconsplantésdanslesalon.C’estlapremièrefoisquejevoislePrés’hésitersurlafaçonderéagir.Ilsecouelatêted’unaircomplètementdésabusé.
—Ok. Jace, aide-moi à les mettre au lit avant qu’elles tombent dans uncomaéthyliqueouqu’ellesnesemettentàgerberpartout.Onanalyseratoutçademain.
J’acquiesceetmedirigeversmonange.—Jem’occuped’Hayley.Je m’approche doucement d’elle, qui m’observe, méfiante, à travers ses
paupièresmi-closes.J’angoisseunpeucar j’ignoresiellemereconnaîtvusonétat.Jenesaispasquellevaêtresaréactionquandjevaislatoucherpourl’aideràmonteràl’étage.
Dès que j’arrive à sa hauteur, elle me lance d’une voix complètementavinée:
—Hey,salutBakers!Aumoinsellesaitquijesuis.—Salut,monange.T’escomplètementpétéecesoir.—Justeunpetitpeu.Ellelèvesamainprèsdemonvisageetcréeunpetitespaceentresonpouce
etsonindex.—Hum…Jecroisquenousn’avonspaslamêmeconceptiondu«unpetit
peu».Jem’agenouilleprèsd’elle,ellenebougepasetcontinueàmefixeràtravers
ses longs cils. Je prends une voix douce pour lui montrer que je ne lui veuxaucunmaletpourlamettreenconfiance.
—Écoute,monange,jevaisteporterjusqu’àl’étage.Jenesuispassûrquetu puissesmarcher toute seule. Je vais juste passer un bras sous tes jambes etl’autredanstondos,jenetetoucheraipasautrepart.D’accord?
—Hum…Bakers,monhéros!—C’estçamabelle,passetesbrasautourdemoncou.Je la soulève sans lemoindre effort.Elle semble si fragile dansmesbras.
Son corps sepressenaturellement contre lemien, elle enfouit sonnezdans lecreuxdemoncouetjelasensinspirer.
—Hum,j’aimetonodeur.—Maisoui,maisoui.—Si,c’estvrai.Tonodeurestvirile,carrémentsexy.MonDieu!Ellevam’achever.Elle frottesonpetitnezcontre lapeaudemoncouet iln’enfautpasplus
pourquemaqueueseréveille.Bonsang!C’estpaslemoment.—Monange,turisquesderegrettertesparolesdemainmatin.—Jesuisdésoléepourl’autresoir,mechuchote-t-elle.—Net’inquiètepaspourça.Dansunsouffle,elleajoutesuruntondeconfidence:—Jevais tedireun secret.C’est lapremière foisque je laissequelqu’un
d’autrequeBrandonmetoucher.Sonaveumeglace le sang, car lorsqu’une fillene supportepas le contact
d’un homme, c’est pour une seule raison. Je n’en suis pas certain à cent pourcent, alors jepréfèreme taireau lieudedireun trucnulqui risqueraitde toutgâcher.
—J’aimequandtumetouches.J’aimecettesensation,c’estlapremièrefoisquejeressensçapourunhomme.
Putain, je vaismourir. Elle me fait vivre une véritable torture. Ses petitsdoigtsfroidscourentlelongducoldemont-shirt,m’envoyantdirectementunedéchargesouslaceinture.Jeprendsuneprofondeinspirationpouréviterdefaireuneconnerie.Jen’aiqu’uneenvie,celledeposermeslèvressurlessiennesquisontsiproches.Lemomentestvraimentmalchoisi.
—Chut,monange.
—Resteavecmoi.J’aipeur.Lafrayeurdanssavoixfaitbaisserdirectlatensiondansmonpantalon.—Tuaspeurdequoi?—Qu’ilrevienne.—Quiça,monange?—Hum…Quoi?Sa tête dodeline surmon épaule, et au prix de ce qui paraît être ungrand
effort,elleouvrelégèrementsesyeux.Jerépètemaquestion.—Tuaspeurduretourdequi?Savoixestàpeineaudible,justeunmurmure.—Lecauchemardemavie.Je resserre ma prise autour d’elle en un geste protecteur. Je ne peux
m’empêcherdeplaquermeslèvrescontresatempe.—Jesuislà,monange.Jeteprotège.Je ne sais pas si elle a entendumes paroles. Je baissemon visage vers le
sien,maissesyeuxsontfermés.Elles’estendormiedansmesbras,dansunétatd’abandon total.Sa tête estposée surmonépauleet je sens son soufflechauddans le creux demon cou.Des frissonsme parcourent le corps, un sentimentprimitif de possession s’empare de moi en la sentant ainsi contre moi. Jevoudrais que le temps s’arrête, que demain n’arrive jamais. Cette fille m’acomplètement capturé sans s’en rendre compte.En la regardant, blottie contremon torse, je réalise qu’elle y est à sa place et que pour rien aumonde je nelaisseraisunautremeclatoucher.
J’atteinslachambred’amisenquelquesfoulées,Popsestdanslecouloiretnousregarde.IlpointeHayleydudoigt.
— J’ai entendu ce qu’elle vient de te dire. Je vais faire accélérer lesrechercheslaconcernantsurlacôteEst.Jem’inquiètepourelle.
—Moiaussi.Elleaffronteuntructouteseuleetçaluifaitpeur.—Ouais.—Jevaisresteravecelle,cettenuit.—Ok.Prendssoind’elle,c’estunechouettegosse.
—Jesais.
J’entredanslachambreetdéposeHayleydélicatementsurlelit.Ellesemblesifragile,avecsescheveuxblondséparpilléssurl’oreiller.Mesyeuxdescendentsur sapoitrinequi se soulève lentementàchacunedeses respirations.Lehautqu’elleporte,avecsongranddécolletéquilaissedevinerlarondeurdesesseins,m’achèveunpeuplus.Nosvisages sont siprochesquenos souffles semêlententre eux. Sa bouche toute rose est légèrement entrouverte, j’aurais justequelques centimètres à parcourir pour combler l’espace entre nous deux. Jepourrais simplement effleurer ses lèvres desmiennes juste pour savoir qu’ellegoûtellea,maisjesuissûrquesij’ygoûtais,jenepourraisplusm’enpasser.
Je ferme les yeux une seconde et essaie de reprendre ma respiration. Àregret,jem’écarte,maiselleresserresapriseautourdemoncou,comblantainsiparcegestelevidequej’avaisréussiàcréerentrenous.Dansundemi-sommeil,ellemechuchote:
—Reste.Nem’abandonnepas.—Aucunrisque,monange.Du bout des doigts, je lui frôle la joue. Sa peau est si douce et, à mon
contact,elletournelatêteversmamainpourycollersonvisage.Ellepousseunpetitsoupirquiressembleplusàungémissementetserendort.J’enprofitepourdétachersesbrasdemoncou.J’enlèvemeschaussures,jejettemavestesurunechaise et m’allonge doucement à ses côtés en faisant attention à ne pas laréveiller.
Aussitôt, elle se rapproche demoi. Putain, elle me monte même à moitiédessus. Elle passe une de ses jambes entre lesmiennes, son petit nez vient secollerdans lecreuxdemoncou, justeau-dessusdemaclavicule. Je l’entendsgémir mon prénom dans son sommeil. Mon corps s’électrifie et m’envoieirrémédiablementdesondesdechaleursouslaceinture.Unedesespetitesmainssefaufilesousmont-shirt,réveillantlabarrequej’aientrelesjambes.Merde.Sielleouvrelesyeuxmaintenant,ellevaavoirunchoc.Jepasseunbraspossessifautourd’ellepourqu’elle sentemaprésencedanssonsommeil. Je sensque lanuit va être longue, avecHayley ainsi blottie contremoi sansque jepuisse la
toucher. Je pousse un soupir de frustration, remue un peu pour ajuster monpantalondevenutropétroit.
C’est lapremière foisque jeme retrouveaupieuavecunenana sans rienpouvoir faire. Je regarde nos deux corps entrelacés. Ils s’emboîtent à laperfection, comme s’ils s’étaient trouvés et reconnus.Mespensées sont fixéessur cettemain juste au-dessus dema ceinture, et sur ce qu’elle pourrait faireavec.Sescheveuxmechatouillentlajoue,jesensleparfumdesonshampoing.C’estuneodeursucrée,uneodeurdesoleil.Cettefilleesttellementéloignéedugenredenanasaveclesquellesj’ail’habitudedebaiser…
Je me passe une main sur le visage, j’appréhende son réveil. Elle m’ademandédedormiravecelle,maiselleestcomplètementbourrée.Est-cequ’ellevas’ensouvenir?Jen’aiaucuneidéedesaréactiondemainmatin.Etsiellesemettaitàflipper,àrefaireunecriseenmevoyantdanslemêmelit?Putain,jecroisquejesuisdanslamerdeetjenesaispasdutoutcommentm’yprendre.
18
Hayley
J’ailasensationdeflotter.SeulelavoixdeJacevientperturberlaquiétudedanslaquellejesuisplongée.Ellen’estqu’unchuchotement.Jesaisquejerêve,commentexpliquerautrementlaprésencedeBakersprèsdemoi?
Alors, je m’enfonce un peu plus dans mon sommeil, enveloppée dans cecocon dans lequel je me sens en sécurité. Ces moments sont si rares. Aucuncauchemarn’estvenumehantercettenuit.Jereplongedoncavecdélicesdansmessonges,emplisd’imagesdeJaceallongéprèsdemoi,m’enlaçantdanssesbrasprotecteurs.
Cerêveestsi réelquelesnotesdesonparfumviennentmechatouiller lesnarines,sonsoufflecaressemescheveux,lesmouvementsdesarespirationmesoulèventetmebercent.Souslapaumedemamain,jeperçoislatiédeurdesapeau,etjedevinelacontractiondesesmuscleslorsquejeladéplacelégèrement.Jeremueunpeupourtrouverunemeilleureposition.D’uncoup,quelquechosese tendsousmoi,etprèsdemonoreilleunsifflementsefaitentendre,commeceluidequelqu’unquiauprixd’ungrandeffortretientsarespiration.Cebruitm’interpelleetmesortdemaléthargie.
La lueur du jour me fait battre les cils, une fois mes yeux accoutumés,j’observe ce quim’entoure. Je réalise alors que je suis dans une chambre qui
m’estinconnue.IlmefautquelquessecondespourmerappelerquejesuischezBeverly.
C’est à cet instant que mon cerveau encore embrumé par les effluvesd’alcooldelaveilleprendconsciencedeplusieurschoses:demamainposéesurune peau ferme et chaude, d’un bras qui m’encercle la taille, d’un parfummasculin si facilement reconnaissable entre tous. Et surtout, de l’identité del’hommeallongéàmescôtésdanslelit.Jeclignedesyeuxàplusieursreprisespourm’assurerquejenerêveplus.
Merde! Jenedoispaspaniquer. Je ferme lespaupièrespourcontrôlermarespiration, mais surtout pour prendre mon courage à deux mains avantd’affrontersonregard.Jenesaispluscequejeluiaiditlaveille,seulsquelquesmots me reviennent en mémoire et j’aurais préféré ne jamais les avoirprononcés.
Mais pourquoi suis-je dans le même lit que lui ? Je passe en revue messouvenirsdelasoirée.Lesimagesdéfilentcommedesflashssousmesyeux.Jeme revoisarriverchezBeverlyavec June,nousavonscommandéunepizzaetbu.Beaucoup trop bu. June avait envie de faire des tests de relooking, ce quinousaconduitesàdéménagerledressingdeBeverlydanssonsalonetàessayertous les styles de maquillage. Quand le taux d’alcool dans notre sang a étésupérieur à nos globules rouges, on s’est mises à danser et à improviser uneséancekaraoké.C’estalorsquePopsetJacesontentrésdanslesalon.
Honteusedemoncomportementd’hiersoir,jeprononcesonprénomd’unevoixmalassurée:
—Jace?La voix de l’intéressé s’élève proche demon oreille, très proche demon
oreille.—Bonjour,monange.Cettesituationestsiirréellequejenesaispasquelleattitudeadopter.Cequi
étaitunmagnifiquerêvesetransformealorsencauchemar.Jemaintienslesyeuxfermés encore quelques secondes pour retarder le moment inévitable où nos
regardsvontsecroiser.Jesaisquemoncomportementestpuéril,maiscematinjenemesenspasarméepouraffrontercefaceàface.
Jemefrotte lespaupièresd’unemain,meredressesur le lit,etd’unevoixcasséeparlesommeil,jeluidemande:
—Qu’est-cequetufaislà?Depuis notre première rencontre, Jace a toujours montré la facette d’un
hommesûrdelui.Commes’ilétaitinébranlable,orlapersonnequimefaitfacecematinsemblehésitante.Cetteattitudemerendd’autantplusperplexe.Ilrestesilencieuxquelquesinstants,mesondeduregard,cherchantlamoindretracedepeur.Puis,aulieudemerépondre,ilmedemande:
—Commenttutesens,cematin?—J’aimalàlatête.Ilafficheunairentendu.— Le contraire m’aurait étonné. Toi et tes copines étiez complètement
faites, hier soir, quand on a débarqué avec Pops. Tu te rappelles de quelquechose?
—Vaguement.— Je t’ai portée ici, tu étais incapable demarcher. Tum’as demandé de
resteravectoi,tunevoulaispaspasserlanuittouteseule.—Jesuisdésolée.—Tun’aspasàl’être.—Si,jevoisbienàtatêtequetun’aspasdormicettenuit.—Jesuisjusteunpeuankylosé.—Pardon.Ilmedécochecedemi-sourirequimefaitfondrechaquefois.—Net’excusepas,monange.C’étaitagréable.Monvisages’embrase lorsque jeprendsconsciencede l’intimitéquenous
partageons.—T’essûrequetoutvabien?Savoixsefaitincertainelorsqu’ilajoute:Si
t’asbesoin,tupeuxappelerBrandon…Touchéeparsapréoccupation,jesecouelatêteetlerassure.—Non,jen’enn’aipasbesoin…Merci.
—Pasdequoi,monange.— Si, c’est important pour moi. J’ai parfaitement conscience… l’autre
soir…Faceàmesbégaiements,Jacemecoupe:—Teprendspaslatête,monange.Nous nous fixons quelques instants. Malgré son manque de sommeil
évident, ses prunelles merveilleusement grises ont gardé tout leur éclat. Unelueur taquine semet à briller dans son regard et son sourire en coin resurgit.Toute trace de malaise semble avoir disparu entre nous et j’ai à nouveau leBakersquejeconnaisfaceàmoi.
Sansmelaisserletempsderéagir,etcommes’ilétaitincapabledeseretenirpluslongtemps, ilpassesonpoucesurmalèvreinférieure.Àsoncontact, tousles muscles de mon corps se contractent douloureusement, mais contre touteattente, la panique ne me gagne pas. Au contraire, je suis maîtresse de moi-mêmeetjemesenssereine.
Jaceseraclelagorge.—PourenreveniràBrandon…Ilt’aappeléeàplusieursreprises.Nem’en
veuxpas,maisauboutducinquièmeappel,j’aifinipardécrocher.—Tuluiasditquoi?jeluidemandeinquiète.Ilmimeunegrimacequinemerassurepasdutout.—Jepensequ’uncoupdefildetapartestnécessaire…—Bakers,tuluiasditquoi,exactement?Jenesuispasdupedesesfauxairsinnocents,jesuissûrequesaréponsene
vapasmeplaire.Jelefusilleduregardpourl’inciteràparleretvite.—Jeluiaiditqu’onapassélanuitensemble.—Merde,Jace!tuluiasexpliquépourquoi,aumoins?— J’ai essayé, mais j’avoue qu’il ne m’a pas trop laissé le temps de lui
répondre.—T’asfaitexprèsoujemetrompe?— Ehmon ange, je lui ai juste dit la vérité, on a vraiment passé la nuit
ensemble.Après,c’estpasmafautes’ill’interprètemal!Agacéeparsoncomportement,jeluilance:
—Tusaisquet’esunvraigamin.Il ne prend pas la peine de rétorquer et hausse les épaules comme si
l’inquiétudedeBrandonétaitlecadetdesessoucis.—Jevaisl’appelerdesuite.Leconnaissant, ilseraitcapablededébarquer
icipourvérifierparlui-même.—Çavautmieux,eneffet.Je lui adresseun regard furieux tout enattrapantmonportableposé sur la
tabledenuit.Avantquej’aieeuletempsdecomposerlenuméro,Jacereprend:—Situm’assuresquetoutvabiendetoncôté,jevaistelaisser.Jenemepréoccupeplusdeluiethochedistraitementlatêteenappelantmon
ami.—Aufait…Letondesavoixrieurmefaitreleverlatête:—Quoi?jeluidemandesuspicieuse.—Unpetitconseilavantdenousrejoindredanslacuisine:tuferaismieux
defaireunsautdanslasalledebain.Àmonairinterrogateur,ilpointesonindexverslehautdematêteetajoute,
moqueur:—Unnidd’oiseauxs’estformédanstescheveux.Vexée, je lève la main pour lui décocher un coup sur l’épaule, mais je
manquemacible.Avecunerapiditédéconcertante,Jace l’éviteetse lèvedansun mouvement fluide et rapide. Il se dirige vers la porte de la chambre ets’empressed’ensortirdansunéclatderire.
Après son départ, je m’affale à nouveau sur le lit, reportant de quelquesminutesmonappel àBrandon. Jeme remémore lesdernièresheures écoulées.J’aipassélanuitdanslesbrasdeJace.Iln’aeuaucungestedéplacéalorsquelasituation lui en a donné l’occasion à plusieurs reprises.Au contraire, il a prissoin de moi et à mon réveil son attitude attentionnée m’a évité une crise depanique.Crisequi,miraculeusement,n’estpasarrivée.J’ail’impressiond’avoirfait un pas vers la guérison.Au lieu de flipper comme d’habitude, jeme suissentieensécuritédanssesbras.Mesdémonsnesontpasvenusmevoir.
***
Lorsque j’entredans lacuisine, tout lemondeestattabléautourd’uncafé,dans un silence quasi religieux. Beverly et June affichent toutes les deux destêtesdelendemaindefêteetsemblentéprouverunvifintérêtpourlecontenudeleur tasse. Je regarde en direction de Jace qui me fait un petit clin d’œil,apparemment amusé par la scène qui se déroule sous ses yeux. Je lance unbonjourgénéralàl’assemblée,laquellemerépondparunesortedegrognementcollectif.Jem’installeàlaseuleplacelibre,entrePopsetJace.Lasituationestassez cocasse. Je sens un rire monter en moi, lorsque je regarde mes amies,étudianteslambda,àlatableduchefd’ungroupedebikers.Jaceinterromptmespensées:
—Café?—Ouais.—Çava,Gamine,pastropmalàlatête,cematin?—J’aiconnumieux.—Hum…Unsilences’installeànouveau.Popsfinitparlerompreauboutdequelques
instants:—Gamine,hier,aveclesmembresduclub,nousavonsdiscutédetonasso
pourlesenfants.—Oui?—Nous n’aimons pas lemanque de sécurité qu’il y a là-bas. Le quartier
n’estpassûr.—Jesais.Maisilsn’ontpaslesmoyensderecruterdesagentsdesécurité.Popshochelatête.—J’aimeraisquetuorganisesunerencontreaveclesresponsablesducentre.
Nousvoudrionsproposernotreaidepourassurervotresécurité.—Pourquoi?—Pourprotéger les gosses.Pour te protéger.Tu fais partie de la famille,
maintenant.
—Partiedelafamille?—Ouais,t’esuneamiedeBevetonprotègenosamis.—Cen’estpasutile,MonsieurPops.Ilpousseunsoupirexaspéré.—C’estcommeçaqueçafonctionnedansnotreclub.Nousprotégeonsnos
membresetceuxquenousrespectons.Iln’yapasàdiscutersurcepoint.Voyantqueriennepourralefairechangerd’avis,j’acquiesce.—Merci.—Tupensespouvoirorganiserlaréunionrapidement?—Jenesaispas.Noussommessamedi,jeretourneaucentrelundi,jeleur
enparleraiàcemoment-là.—Tiens-moiaucourant.DonnetonnuméroàJace,ilt’appelleralundisoir
poursavoir.Jaceplantesonregarddanslemien,etavecunairsatisfait,illance:—Pasbesoin,jel’aidéjà.Jememords la lèvre, réprimantun sourire, pendant qu’unedouce chaleur
enveloppemoncorps.Autourdenous, toutest silencieux,personnenesembleêtreconscientdenotreéchange.
Popsobservelapetiteassembléequenousformons,secalecontreledossierdesachaiseetcroiselesbrasdevantlui.
—Qu’est-cequevousavezprévudefaire,aujourd’hui,lesjeunes?Beverly,leneztoujoursplongédanssatasse,marmonne:—Pasgrand-chose.—Vousêtessûres?Pasdecuiteenperspective?luilance-t-ilsarcastique.Sousl’effetdelapetitepique,Beverlyredresselatêteets’exaspère:—Oh,çava…—Quoi ? demande-t-il.Après ce que j’ai découvert hier soir, j’ai bien le
droitdemeposerdesquestions,non?Beverlypousseunlongsoupiravantderépondresuruntonlas:—Onvarestertranquillesaujourd’hui.
J’interviensdans laconversationpourapaiser la tensionquiestsubitementmontéeentrePopsetmacolocataire:
— Je vais assister au match de Brandon, cet après-midi, je l’ai eu autéléphone tout à l’heure et il aimerait que j’y assiste.Vous voulez venir avecmoi,lesfilles?
Au lendemain des tests de qualification, Brandon était stressé d’aller voirseullesrésultats,alorsjel’aiaccompagnéjusqu’aubureaudesonentraîneur.Ilvenait tout juste de placarder la liste des joueurs sélectionnés sur le tableaud’affichage.Jen’avaisencorejamaisvumonmeilleuramiaussiangoissé.Nousavonsjouédescoudespournousfrayeruncheminetc’estsanssurprisequesonnometceluideCameronfiguraientparmilestitulairesdel’équipe.Depuisquenous sommes enfants, je n’ai loupé aucunde sesmatchs.Aujourd’hui c’est lepremierdelasaisonetjeluiaipromisdevenir.
—C’estquiceBrandon?demandePops,soudainméfiant.LaréponsedeBeverlyfuseenmêmetempsquelamienne.—Monmeilleurami.—Unbeauparleur.LepèredeBeverlyéchangeunrapidecoupd’œilavecJaceàlasuitedeces
paroles.June,quiétaitrestéemuettejusqu’àprésent,setapedanslesmains.Elleest
toujours partante pour voir un match de foot, non pas parce qu’elle aime cesport,maisparceque c’est l’occasionpour elled’admirerdesmâles enpleineactionsurunterrain.
— Moi je viens, c’est l’occasion de pouvoir se faire un plein detestostérone!EtpuisBrandonenpleineaction,c’estquelquechoseàvoir!
J’ignore lesoupirdebéatitudedeJunepourmetournerversBeverly,et jeluidemande:
—Tuviensaussi,Bev?C’estalorsqu’unechoseimprobableseproduit.Monamiepourtantsisûre
d’elle se métamorphose en une petite chose rougissante. Certainement peuhabituéàuntelcomportementdelapartdesafille,Popsseraiditàmescôtés.
Sentantlatensionémanerdesoncorps,jeluijetteunregardencoinpourmieuxobserver sa réaction. Son air méfiant de tout à l’heure se transforme ensuspicion : les sourcils froncés, ilplissedesyeux jusqu’àcequ’ilsne formentquedeuxminuscules fentes et il sembleguetter la réponsede sa fille avecunregaind’intérêt.Cettedernièrefuitsonregardetrépondd’unevoixincertaine.
—Hum…Ouais,pourquoipas?Tiens,tiens,voilàquiestintéressant.Jace,attentifàcetéchange,analyseluiaussilasituationetattendlaréplique
desonprésident.JenesaispassiJuneestconscienteounondela tensionquis’estcréée,maiselleafficheunairravi.SarepartieenfonceunpeuplusBeverlydanssonembarras:
—Qui sait, d’ici à la fin de la saison, tu vas peut-être devenir la groupieinconditionnelledubeauBrandon.
Macolocataire émetun reniflementdisgracieuxetplonge sonnezdans satasse pour se soustraire au regard de son père qui continue de l’observer. Lamâchoirecrispée,ils’adresseàJaceeninsistantbiensurchaquemot:
—Tudevraislessuivre,lessurveillerett’assurerqu’ellesneboiventquedel’eau,aujourd’hui.
Apparemment, June avait conscience de la situation et n’a pas perdu unemiette de tous les non-dits. Elle agite ses sourcils de haut en bas et lesinterrompt,balançantunpavédanslamare,commeellesait toujourssibienlefaire.
—Oh,oh…Papabikersetransformeenpapaprotecteur?PopstournelatêteversJune,levisageimpassible.Savoixestcalme,mais
detouteévidence,ilsecontient.—Brunette,tusorstoujoursautantdeconneriesquandt’ouvreslabouche?Junene sedémontepas faceà sonair froid.C’estunechoseque j’admire
chez elle. Elle dit toujours ce qu’elle pense, aucune situation ne semble ladéstabiliser.Mêmesiparfois,jel’avoue,elledevraitfiltrersesparoles.
—Bahquoi?Àlamaison,jesuisplutôtcensurée,alorsjemerattrapeàlafac.
Popssecouelatêteetmarmonne,désabusé:
—Ça,pourterattraper,tuterattrapes.
JacenesemblepastrèsheureuxdelamissionquiluiaétéconfiéeetjevoisauvisagedeBeverlyquecettedernièren’estpastrèsenthousiasteàl’idéequ’ilnousaccompagne.
LavoixdePopslorsqu’ilreprendlaparoleestcelleduprésidentdesBlackRiders.Sontonestsecetsansappel:
—Parfait,toutestdécidé.— Papa ! On devrait avoir notre mot à dire ! On n’a pas besoin d’un
chaperon…—Bev,aprèscequej’aivuhiersoir,jenesuispastoutàfaitd’accord.On
n’enapasterminétouslesdeux,ilfaudraqu’onaituneconversationàproposdedeuxoutroispetiteschoses.
Beverlyse renfrogne,grommelantdeschoses incompréhensibles,maiselleabandonnelapartie.Jacereprendlecoursdelaconversation.
—C’estàquelleheure?—Àquinzeheures,jeluiréponds.—Ok.Jevousrejoindraidirectementlà-bas.Il me décoche son petit sourire à dixmille volts et je fonds littéralement
commelabanquiseausoleillorsqu’ilajoute:—Garde-moiuneplace,monange.
19
Jace
Aumilieud’unefoulecompacte,jesuisleflotd’étudiantsquisedirigeverslestadeoùalieulematch.Qu’est-cequejefousici?Jememarreenvoyantleregardeffrayédecertainsgars.Euxaussisedemandentpourquoijesuislà.Ungroupedenanas,attiréesparmonlookderebelle,semetàglousserpourattirermonattention.Jeleurfaismonpetitsourireencoin,celuiquimepermetàcoupsûrdemettreunegonzessedansmon lit.Çane loupepasetellessemettentàpoufferdeplusbelle.Lesidiotes.Jericaneenpensantquesiellessavaientquelsalaudjesuis,ellesdécamperaientdemonchemin.
Cematin,j’aivitecomprisquePopsvoulaitquejejouelerôledechaperonpour sa gamine. Il a très bien vu le manège de Beverly quand les filles ontcommencé à parler de Brandon le minable. Elle n’est pas au bout de sessurprises avec son père. C’est l’inconvénient d’être la fille d’un président declub. Tous les membres savent qu’ils ne doivent pas s’approcher d’elle souspeine d’être réduit en pièces. Ça m’emmerde d’être là, j’aurais pu appeler leprospect qui surveille en général Beverly pour faire le sale boulot, mais çam’auraitprivéd’unmomentavecHayley.
J’observecequim’entoure.Ilyadesvendeursambulantsunpeupartoutquiproposentdelabièreetdeshotdogs.Laplupartdesétudiantsportentdespolosauxcouleursdel’équipequ’ilssoutiennentetsedirigenttoussagementverslestribunes.Lafanfaredel’universitéjouel’hymnedeséquipes.Danslesgradins,des groupies sont déjà en place et se trémoussent, scandant le nom du joueurqu’ellessupportent,enremuantleursculsavecleurspetitesjupesquinecachentriendutout.Cequiestsûr,c’estquesimesfrèresmevoyaientassisteràcettemascarade,ilssefoutraientdemagueule.
Je scrute les alentours pour repérer les filles. Du coin de l’œil, j’aperçoisBrandon, en tenue, se diriger droit sur moi d’un air décidé. Je plaque un airnarquoissurmonvisageetattendssondiscours.Tuvasencorevouloirmarquertonterritoire,maispasdechancepourtoi,monpote,jesuissurlesrangs.
Àpeinearrivéàmahauteur,ilattaqued’emblée.—Tuluiveuxquoi,àHayley?Unpointpourlui,cepetitn’apasfroidauxyeux.—Çateregarde?—Toutcequilaconcernemeregarde.Sonpetit tonsuffisantmefoutenrogneet jeluibalance,commelesalaud
quejesuis:—T’arrivestroptard.T’asloupétachanceavecelle.Ilperdunpeudesonassuranceetpousseunsoupirexaspéré.—T’asriencompris.YarienentreHayleyetmoi.Elleestcommemasœur,
jelaprotège.Jesourisenmoi-mêmeetl’achèved’unesimplephrase.—Jetedonneunepetiteinfo.Maintenant,c’estmoiquilaprotège.—Nejouepasauconavecelle.Elleestfragile.—Jesais.—Hayleyn’estpasunefillequ’onsauteunenuit.—Tunem’apprendsrien.—Situn’espassérieuxavecelle,disparaîsdesavie.J’enfonceunpeuplusleclou.
— Faudra t’habituer à me voir dans les parages parce que je n’ai pasl’intentiondedisparaître.
Je jette un coup d’œil par-dessus son épaule, les deux équipes sont sur leterrain.Jepointemonindexdansleurdirection.
—Champion,tudevraistedépêcher,tespetitscopainst’attendent.Ilhésiteunefractiondeseconde,etavantdeseretournerverssonéquipe,il
melanceunedernièrefois:—Jememéfiedetoi.Aulieud’entrerdanssonjeu,jepréfèreluibalancer,ironique.—Bonnechance…pourlematch.Jesaisquejesuisunsalaudaveclui,maissonpetitcôté«minetprotecteur»
m’agace. Il va falloir qu’il comprenne que je n’ai pas l’intention de mevolatiliseretqu’Hayleyestàmoi.
Cematin,enconstatantqu’ellen’avaitpaspaniquéenmevoyantdanslelitavec elle, j’ai repris espoir. Je la revois encore dormant surmoi. Elle était sibelle,abandonnéeainsi,soncorpss’emboîtantàlaperfectionaumien.Pourrienaumondejen’auraiscédémaplace.Àmoimaintenantdeluifairecomprendrequelasienneestprèsdemoi,dansmesbras.
Plutôtquedelacherchercommeuncon,jedécidedeluienvoyeruntexto.**Jace:T’esoù?****Hayley:Tribuneprincipale,2erangaumilieu.****Jace:Ok.J’arrive.**Je jetteunœildans ladirectionindiquéeet larepère toutdesuite.Elleest
assiseentreBeverlyetJune.Rienqu’enlaregardantdeloin,moncœuraunraté.Ellesemblesifragilequemesinstinctsprimitifsrefontsurface.J’aienviedelaserrercontremoi,deluidirequ’ellen’aplusrienàcraindre,quejesuislàpourlaprotéger.Maisc’estencoreunchatoneffrayé,alorspourlemoment,j’yvaisdoucement.
Je me secoue un peu et pars la rejoindre. Je ne vois pas grand-chose dumatch tant je suis obnubilé par cette fille. Je crois que je connais toutes sespetites manies. Je sais que lorsqu’elle est stressée, elle se mordille la lèvre
inférieure. Quand l’arbitre doit prendre une décision sur un jeu décisif, elleretientsarespiration.QuandBrandonfaituneaction,sespiedsbattentlamesureenmêmetempsqu’ellemarmonnedeschosesincompréhensibles.
Lecoupdesiffletfinalmesortdemacontemplation.Jepousseunsoupirdesoulagement:moncalvairesetermine.Parcequ’ilnefautpasseleurrer,jemefoustotalementdumatch,jenesaismêmepasquiagagné.Lesfillesselèventd’unbondetapplaudissent,hurlentlenomdeleuréquipe.J’observemonangequiritaveclesautres,ellemetsonpouceetsonmajeurdanslaboucheetsifflecommeunmec.Jenesaispaspourquoi,maislavoirsifflerainsim’excite.Sonbonheur me réchauffe le cœur, elle est sublime, insouciante. Elle tourne sonvisagerayonnantdansmadirectionetmesautedanslesbrasenmecriantdanslesoreilles«Ilsontgagné!».Personnellement, jem’enfouspasmal,maissielleestheureuse,alors je lesuisaussi.C’est lapremière foisqu’ellem’enlacesans retenue.Sonparfumm’enveloppe, jevoudraisquecemomentne s’arrêtejamais.Maisc’estsanscompterl’interventiondeJune:
—Venezlesamoureux,onvarejoindrel’équipepourfêterça!Hayleyseraidit,posesesdeuxpetitesmainscontremontorsepours’aiderà
se redresser. Je vois à l’expression de son visage qu’elle réalise qu’elle s’estjetéedansmesbras.Ellesetientmaintenantdeboutdevantmoi,dosausoleil,lesrayons lui caressent les cheveux et accentuent sa blondeur. Elle n’a pasconsciencedelavisionqu’ellem’offre,maisvoirlesrayonsdusoleilserefléterainsidanssacheveluremedonnelavisiond’unangecoifféd’uneauréole.Elleafficheunpetitsourireembarrasséetmemarmonne:
—Désolée,jemesuislaisséeemporter.—Arrêtedet’excuser,monange.Etn’hésitepasàmesauterdessusquand
tuveux,luidis-jeenluifaisantmonfameuxsourireencoin.Sonvisages’empourpre. J’adore lavoir rougir.Les rougeurs apparaissent
toujoursdansunpremiertempsàlabasedesoncou,avantderemontersursespommettespourterminerleurcourseàlaracinedesescheveux.
—Bakers.—Monange.
—Allonsrejoindrelesautres.—Jetesuis.
***
Nous sommes tous rassemblés autour d’une partie de billard dans un desnombreuxbarsprèsducampus.Quiauraitcruquejepourraispasserunesoiréeaumilieud’étudiantsdansunbaroùjesuisleseulbiker?
Jem’attendaisàvivreunenfer.Laseuleraisonpour laquelle jesuisvenu,c’estparcequeHayleyme l’ademandé.Maiscontre touteattente, jepasseunbonmoment.Pourdescivils,ilssontplutôtmarrants.
Çafaitmaintenantdeuxheuresquejelesregardejouerens’enchaînantdesshotsdetequilaetdesverresdebière.Lesmecsseprennentpourdeschampionset essaientdedonnerdesconseils aux filles.C’estvraiqu’elles jouentcommedesmanches,maisilsnevalentguèremieux.JetiqueunpeuenvoyantBrandonleminableserapprocherdeBeverly.LePrés’nevapasaimerça.Surtoutque,d’après ceque j’ai entendudire, ce typeadumal àgarder saqueuedans sonpantalon.
Hayley ne m’a pas quitté de la soirée. En même temps, je m’arrangeaistoujourspourêtresuffisammentprèsd’elleetl’éloignerainsidespetitsmerdeuxquivoulaientlabrancher.
Lapartie debillard se termine, ils partent tous sur la piste dedanse.Monangeneveutpaslesrejoindre,jelavoiscommenceràbâillerdiscrètement.Jenesuispasétonné,vulasoiréedelaveille,elledoitêtrecomplètementcrevée.Jemepencheverselleetluiglisseàl’oreille:
—Tuveuxrentrer?— Ouais, je suis crevée. Laisse-moi deux minutes, j’envoie un SMS à
Brandonpourlerassureretluidirequetumeraccompagnes.—Jenesuispassûrqueçalerassure.Elleafficheunemineétonnée.
—Quoi?Espiègle,jeluiréponds:—Situluidisquec’estmoiquiteraccompagne,ilrisquedeflipperdeux
foisplus!Ellelèvelesyeuxaucieletmedonneunpetitcoupdecoudedanslescôtes.
Jemeplieendeux,faisantsemblantd’avoirmal.
Nousnousdirigeonsvers la sortie et jemeplaceprèsd’ellede façonquepersonnenelatoucheaupassage.Nousnaviguonsentredifférentsgroupesplusoumoinsbourrésquandunmecavecdescheveuxgominéssurgitdenullepartets’adressedirectementàelle:
—Hey!Hayley!—Salut,Chris.—Jesuiscontentquetusoislàcesoir.Puisilréalisequ’elles’apprêteàpartiretajoute:—Tuquittesdéjàlasoirée?—Ouais,jesuisfatiguée.—T’estoujourspartantepourqu’onseboiveuncafé?—Euh…Oui,pourquoipas?—Super.Çateditdemainaprès-midi?—Non,demainjebosse.Jedoisterminerunedissert’pourlundi.—Lundimatinavantlecoursd’anglais?—Situveux.J’enprendsuntouslesmatinsavecBrandonetlesautres.Tu
peuxtejoindreànous.—Ok,super!Àlundi,mabelle!—Àlundi,bonnesoirée.Putain,jerêveoucepetitconladraguesousmesyeux?Etilnem’amême
pascalculé,tantilestobnubiléparelle.Hayleyneserendmêmepascompteque« cheveux gominés » en pince pour elle. Pour une fois, je suis contentd’apprendrequeBrandonleminableboituncaféavecelle tous lesmatins.Çamepermetdesavoirqu’Hayleynevapasenprendreuntouteseuleaveclui.
Unefoisletypeparti,jenepeuxm’empêcherdeluidemander:—C’étaitquicemec?—Christopher,unamideBrandon.Nousnoussommesrencontréslorsd’un
feudecampsurlaplage.—Hum…Ellemejetteuncoupd’œil.Elleadûserendrecomptedemonchangement
d’humeurcarelleajouted’unevoixdouce:—Iln’yarienentreluietmoi.—Peut-êtrepourtoi.Maisjenesuispassûrqu’ilsoitaucourant.—Tuesjaloux?—Non,jen’aimepasquedesmecstetournentautour,c’esttout.—C’estbiencequejedis,tuesjaloux.—Monange…—Bakers.—Rentrons.—Humhum…fanfaronne-t-elle.Jeneluirépondsrienparcequ’ellearaison:jesuisjaloux.Rienqu’àl’idée
desavoirquecemecenveutàsapetiteculotteetçamemetenrogne.Merde!J’aijamaisétéjalouxjusqu’àprésent.
Jerestesilencieuxtoutlelongdutrajet.Jesenssonregardseposersurmoide temps en temps. Quel con ! Je suis en train de tout gâcher. Je pousse unsoupiretluiavoueduboutdeslèvres:
— Ok, tu as peut-être raison, ça m’a foutu en rogne de voir « cheveuxgominés»tedraguer,devantmoi.
—Cheveuxgominés?—Ouais.— Tu n’as aucune raison d’être jaloux, Bakers, ce n’est pas lui qui
m’intéresse.Surcesparolesquimeréchauffentlecœur,elleretombedanssonmutisme.
Maiscettefois-ci,c’estunsilencequiveutdirebeaucoupetquiexprimenotreattirancemutuelle.Jemesenscommeunadolescentlorsdesonpremierrendez-
vous. Je ne veux pas dire des conneries qui la feraient fuir à nouveau. Lessouvenirsdenotrepremiersoirsontencoretropfrais.
Je suis tellementprisdansmespenséesque je sursautepresque lorsque jesenssapetitemainseglisserdélicatementdanslamienne.Jejetteuncoupd’œilsurnosmainsenlacées,laregarde,puisjeresserremapriseautourdesesdoigtspourêtresûrqu’ellenes’échappepas.
Jeregrettequenoussoyonsdéjàarrivésàsonbâtiment.Jenesaispasquoifaire, ni quoi lui dire. Je ne suis pas habitué à tous ces trucs de drague. Engénéral, la fille avec qui je suis sait à quoi s’attendre. On se pose pas dequestions,on filedirectdans lachambreousur lecanapé,oumêmecontreunmur.Avecelle,cessituationsnerisquentpasd’arriver,oudumoinspastoutdesuite.
— Tu veux bien m’accompagner jusqu’à ma chambre ? Je n’aime pasmontertouteseulelorsqu’ilfaitnuit.
—Situveux.—Merci.Nousentronsdanslebâtimentetnousdirigeonsverslesascenseurs.J’appuie
surleboutonpourenappelerun,lesportess’ouvrentimmédiatement.—C’estàquelétage?—Troisième.Nous commençons notre ascension jusqu’à son étage, nosmains toujours
enlacées. Alors qu’elle a le visage baissé, je l’observe tranquillement. Jem’avanceunpeuverselle,j’aienviedeluiredresserlementonpourqu’ellemeregarde,maisj’aipeurdesaréactionsijelatouche,alorsjeluichuchote:
—Regarde-moi,monange.Ellelèvedoucementsonvisageverslemien,sesmagnifiquesyeuxbleusme
dévisagent.—Jeneteferaipasdemal.Onvayalleràtonrythme.C’esttoiquimènes
ladanse,ok?—Ok.—Bien,alorsdétends-toi.
—Merci.—Nemeremerciejamaispourça,monange.Les portes de l’ascenseur s’ouvrent, elle en sort la première et je la suis
jusqu’àlaportedesachambre.—C’estici.—Tuveuxquejetelaisse?Ellerougit.—Non,j’aimeraisquetuviennesavecmoi.Puiselleajouteprécipitamment:—Neprendspasçapouruneinvitation.Enfinjeveuxdire,necroispasque
c’estpour…Enfin,tuvois.—N’oubliepas,c’esttoiquimènesladanse.
20
Hayley
Jene saispaspourquoi j’ai invité Jaceàentrerdansmachambre.Levoirainsi, si grand et imposant, dans cette toute petite pièce, me rend nerveuse.Mêmesijeluiaiditqu’ilnesepasseraitrienentreluietmoicesoir,j’aimeraissecrètementqu’ilm’embrasse.Jesaisqu’ilneleferapas,ilattendquejefasselepremierpas,ilmel’afaitcomprendreàplusieursreprises.Ilm’adéjàprouvéparsesactesqu’ilestunhommedeparole.
De nombreuses questions se bousculent dans ma tête et me donnent levertige. Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai pour l’intéresser autant ? Il peutavoirtouteslesfillesqu’ilsouhaite,maisapparemmentilm’achoisie.Moi.
Jem’assiedssurmonlitetleregardeexaminerlapièce.C’estunechambred’étudiant banale. Les murs sont de couleur crème, une simple fenêtre laissefiltrerlalumièrededehors,onenavitefaitletour.J’observecettechambreavecunregardnouveau.Ellecomportedeuxlits,unplacardencastrédanslemurquejepartageavecBeverly,etnousavonschacunenotrebureau.CeluideBeverlyest en pagaille, sur le mien tout est rangé méticuleusement, mes livres sontorganisésenunclassementbienprécis.
Jace se dirige vers mon bureau au-dessus duquel j’ai affiché plusieurscitations.Illeslit.Jeneprendsmêmepaslapeinedelesregarder,jelesconnaistoutesparcœur.IlyenaunedeJackieKennedy:«Sivousgâchezl’éducation
devosenfants,cequevouspouvezréussiràcôtéimportepeu»,uneautreestdeMariaMontessori:«Aide-moiàfaireseul,nefaispasàmaplace,maisnesoispasabsent».Ilsedéplaceversladernièrecitation,quiestdeGalilée:«Onnepeutrienenseigneràautrui,onnepeutquel’aideràledécouvrirlui-même.»
—C’estvraimentunprojetquitetientàcœur.Letondesavoixmontrequec’estplusuneconstatationqu’unequestion.—Oui.Ilsetourneversmoi,sonregardaccrochelemien.—Jepeuxteposerunequestion?Jehausselesépaules.—Vas-y.—PourquoiBrandont’appelleGlitterGirl?Jegrimace,jesavaisquecettequestionallaitvenirunjouroul’autre.—C’estunelonguehistoire.Jacen’abandonnepasetmerépondsuruntonfaussementdésinvolte,alors
quejesensqu’ilbrûledecuriosité:—J’aitoutmontemps.Jefixemesmainspourévitersonregard.—Jen’aipastropenvied’enparler.Ilrestesilencieuxetm’observe,attendantuneréponseplusprécise.Maisla
réponsenevientpas.
Commentpourrais-jeluidirequeBrandonm’adonnécesurnomlejouroùj’aicrutoucherlefond.Ceseraitluidonnertropd’informations–oupasassez–,etçamerendraitvulnérableparrapportàlui.Jecommenceàavoirconfiancemaisjenesuispasprêteàlaluiaccorderentièrement.C’estencoretroptôt.
Commentluiexpliquerquemamèren’ajamaisréussiàsurmonterlechagrincauséparlamortdemonpère.Insidieusement,elleatrouvérefugedansl’alcool.Etplusellebuvait,plusellemedélaissait,jusqu’àpresqueoublierqu’elleavaitunefille.Dèsmonplusjeuneâge,jemesuisretrouvéeseulefaceàmonpropresort.Etpuisunjour,elles’estremariéeàunparfaitabrutiquiabusaitdesafillependantqu’ellecuvaitsonwhiskysur lecanapéoudans lacuisine.Lanuitoù
Brandonm’adonnécesurnomresteraàjamaisgravéeenmoi.C’estlanuitoùila découvert le plus terrible de mes secrets. Les images me reviennent enmémoire et m’attaquent frontalement. La scène défile sous mes yeux et unevagueglacialecoulesousmapeau.
Jeme sersunverred’eauavantd’allerau lit.Mamèreest complètementivre,affaléesurlatabledelacuisine.Danssonsommeil,elletientencoreàlamainsabouteilledewhisky.Monbeau-pèren’estpasencorerentré,alorsjemedépêchederemonterdansmachambre.Unefoiscachéesousmescouvertures,j’écoutelesilencedelamaisonjusqu’àcequej’entendecebruitreconnaissableentre tous, celui quime terrifie comme chaque nuit : celui de pas lourds quimontentlesescaliers.Chaquesoir,c’estlemêmescénario.Lespasmontentlesescaliers,arrivésà lahauteurde laportedemachambre, ils se stoppent,melaissant espérer que la porte ne s’ouvrira pas.Mais elle s’ouvre toujours. Lebruit des pas est remplacé par celui de la poignée qu’on tourne. La lumières’infiltre dans ma chambre, laissant apparaître son ombre si grande, siinquiétante dans l’embrasure de la porte. Puis le bruit de pas recommencejusqu’àmonlit,suiviparceluid’unerespirationforte,commeunrâled’animal.J’entends le froissement de vêtements que l’on fait tomber par terre, le bruitmétallique de la ceinture qui claque au sol. Et puis il y a cettemusique qu’illancepresqueensourdinedanslachambre.Jesensencorelelits’affaisser,cepoidssurmoncorps,cettemainmoiteposéesurmabouchepourm’empêcherdecrier. J’entends encore ses menaces susurrées à l’oreille, son odeur quim’attaque les narines. Jeme revois fermer les yeux en priant pour que ça setermine,guettantl’arrivéedeladouleurquim’annoncelafindemonsupplice.
Ce soir-là, Brandon est venu à la maison. C’était le soir de monanniversaire, ilvoulaitme faireunesurpriseetm’apportermoncadeau.Nousavionsprisl’habitudedenousfaufilerparlafenêtredenoschambres.Ilyavaitungrandchênedanslejardinquinouspermettaitdenousrejoindrefacilementenl’escaladant.
Il m’a trouvée, recroquevillée dansmon lit, pleurant comme chaque nuit,unefoislemonstrereparti.Iln’apasposédequestion,lascènequejeluioffraisluiavaittoutdit.Ilm’aemmenéechezlui,aallumél’eauchaudedeladoucheetm’aprêtéundesest-shirtsetunpantalontropgrandpourmoi.Jesuisrestéeaccrochéeàluitoutelanuit.IlabranchésoniPodcarjenesupportaispaslesilence. Et puis nous avons écouté cette chanson, Glitter In TheAir, quim’aprofondémentmarquée. Je lui ai alorsdemandé simoiaussi un jour je seraiscapable de ressentir ça avec unhomme. Si un jour je pourrais rencontrer cetamour incommensurable, sans avoir peur que l’on me fasse du mal. Il m’asimplementrépondu:
—Chaquepotasoncouvercle.Enattendantquetutrouvesletien,jeseraitoujourslàpourtoi,maGlitterGirl!
Je reviens au présent et réalise que Jace attend ma réponse. Je murmured’unevoixàpeineaudible:
—Unjour,sijesuissuffisammentforte,jet’enparlerai.Ilsemblecomprendrequecequ’ilmedemandeestau-dessusdemesforces
etfinitparhochertoutsimplementlatête.—Jen’insistepas.Latensionquittemesépaulesetjeluisuisreconnaissante.—Merci.
Jacesecouelatêteetserapprochedemoi.Jelèvemonvisageversluietme
retrouvehypnotiséeparl’intensitédesesyeuxetparlasincéritéquejepeuxylire,lorsqu’ilmerépondd’unevoixdouce:
—Jet’aidéjàditquetun’avaispasàmeremercierpourcegenredechose.Lejouroùtuaurasentièrementconfianceenmoi,tum’enparleras.
Je m’apprête à lui répondre lorsque le bip de mon téléphone m’annoncel’arrivéed’unmessage,nous interrompant.Je leprendsmachinalementdans lapoche arrière demonpantalon, ce doit êtreBrandonqui veut s’assurer que jesuisbienrentrée.Maismonsangseglaceetmoncauchemarrefaitsurface:
**Inconnu:J’attendsavecimpatiencenosretrouvailles!**
Je jettemon téléphonepar terrecommes’ilm’avaitbrûlé lesdoigtsetme
réfugie dans le coin demon lit contre lemur, les genoux remontés contremapoitrine et la tête enfouie dans le creux demes bras. Jeme berce d’avant enarrière,mepsalmodiantmentalement : Inspire, expire. Inspire, expire. Inspire,expire.
—Hayley,qu’est-cequ’ilsepasse?C’étaitqui?J’entendsàsavoixqueJaceestinquiet,maisjerefusedeluirépondre.Lelui
dire reviendrait à redonner vie àmes démons, à les faire sortir encore de leurplacard.Jelevois,autraversdelabrumequim’entoure,sebaisseretsesaisirdutéléphonequej’ai laissétomber.Il lit lemessage.Lestraitsdesonmagnifiquevisage se crispent. Il jure entre ses dents, sa voix est tendue lorsqu’il medemande:
—Tusaisquiestl’expéditeur?Je reste enferméedansmonmutisme, refusantde luiparler, refusantde le
regarder.Lelits’affaisseprèsdemoi.Jesenssaprésence,ilestsiprochequejeperçoislachaleurémanerdesoncorps.Ilsepenchelégèrementversmoietmechuchote:
—Hayley,monange.Dis-moiquic’est.Jesecouelatêteetluiréponds,toujourssansleregarder.—Non.Ilinsiste,soncorpsestcontracté,iln’aplusrienàvoiravecleJacetendreet
doux que je connais. Tout son corps est raidi par la fureur qu’il essaie decontenir. Je la ressens, elle court commedesvaguelettes sous sapeau.La têtetoujoursenfouie,jem’imagineparfaitementsonvisagerevêtirsonmasquefroid,sesbeauxtraitsdouxdevenirglacials.
—Quesignifiecemessage?J’ignoresaquestion,jeneveuxpasqu’ilmevoieànouveaudanscetétat.—Jenesaispas.Laisse-moitranquille.Ilinspireprofondémentcommes’ilcherchaitauplusprofonddelui-mêmela
forcederedevenirmonBakers.
Auprixd’unultimeeffort,ilparvientàretrouverunsemblantdecalme.Savoixestdoucelorsqu’ilpoursuit:
—Pasdanscetétat-là,monange.—S’ilteplaît,jeneveuxpasquetumevoiescommeça.Sontonestdéterminé.—Jeresteavectoi.—Jace,jel’implore.—Tunemeferaspaspartir,tuescomplètementbouleversée.Laisse-moite
prendredansmesbras.—Non.C’estàsontourdemesupplier.—S’ilteplaît,monange,j’aibesoindeterassurer.Laisse-moiprendresoin
detoi.
J’hésiteunefractiondeseconde.Jeréaliseque,pourladeuxièmefoisdelajournée,jenefaispasdecrisedepaniqueensaprésence.Habituellement,seulBrandonacepouvoir.Maiscesoir,c’estJacequiestavecmoietquimerassure.Marespiration revientà lanormaleet jedécidede lui faireconfiance.Lemurquej’aiérigéautourdemoisecraquelle,lelaissantentrerunpeuplusdansmavie.Caroui,avecJaceàmescôtés, jemesensensécurité, jemesensunpeuplusfortepourfairefaceàmessouffrances.
Jefinisparacquiescer.Jacepousseunlégersoupirdesoulagementetposesatêtecontrelamienne.
—Tuveuxquej’appelleBrandon?—Non,tueslà.Taprésencemesuffit.Jacemeprenddanssesbrasetm’installesursesgenoux.Jemerecroqueville
surlui,latêteenfouiedanssoncou.J’aienviedemefondredanssoncorpspourydisparaître.Toutoublier.Jenesaispaspourquoimaissaprésence,lachaleurdesoncorps,sonodeur,touscespetitsdétailsmerassurent.J’aipresqueenviede rire devant l’ironie de la situation. Cet homme quime tient entre ses brasdevrait me faire fuir. Tout en lui respire le danger mais, pour une raison
inconnue,ilm’apaisetelunbaumequel’onpassesurunebrûlure.Jemelaissebercer par les mouvements de sa poitrine qui se soulève à chacune de sesinspirations. Jenesaispascombiende temps je resteainsi sur lui.Des larmestroplongtempsretenuescoulentsansdiscontinuersurmesjoues.
Jeveuxhurlermadouleur.J’enaiassezdedevoirtoujoursfairesemblant,defaire croireque jene suispasbrisée. Jevoudrais tout lui dire,maismesmotsrestent bloqués,ma bouche faisant barrage, les empêchant de sortir. J’ai peur.Peurdesonrejet.Peurdeliredelapitiédanssonregard.Jeneveuxpasquel’onmeplaigne. Je souhaite seulementm’en sortir et vivre sans trembler à chaqueinstant.
—Est-cequetupeuxmettredelamusique,s’ilteplaît?Jenesupportepaslesilence,jeluimurmure.
—Biensûr,monange.Qu’est-cequetuveuxentendre?—Jenesaispas…Lamusiquequetuaimes.Ilafficheunemouedubitativequimefaitlégèrementsourire.—Tuessûredetoi?Jenesuispasvraimentportéboysband.—Çam’estégal.—Ok,jevaischerchermoniPod,ilestdansmaveste.J’enprofitepourmeréfugiersousmacouverture.Jel’observesélectionner
unechanson.Ilestsibeau.Commentunmectelqueluipeuts’intéresseràmoi?Ilestàl’opposédel’hommequej’imaginaisêtrebonpourmoi.Maisj’aimesonallure,sescheveuxsoyeuxnouésparunlienencuir,j’aimevoirlesmusclesdesesavant-brassebanderàchacundesesmouvements.Ilreprésentelabeautéàl’étatbrut.Etilestlàpourmoi.
Les premiers accords de la chanson me sortent de ma réflexion. Je lareconnais immédiatement, c’est Don’t Cry, des Guns N’ Roses. C’est unesuperbechanson.
—Jepeuxm’allongeràcôtédetoi?—Oui,viens.Je soulève la couverturepourqu’il puisse seglisserdans le lit. Jeveux le
sentircontremoi,j’aibesoindesachaleur.Jeposematêtesursontorsetandis
qu’il place son bras derrièremoi pourme rapprocher de lui etm’embrasse latempe.
Nousrestonssilencieuxletempsdelachansonetjemelaissebercerparlamélodie et par lesmouvements de sa poitrine. C’est tellement reposant d’êtreaveclui.J’ailesentimentdemesentirensécurité.D’avoirtrouvémaplace.Lachansonse termine,mais je luidemandede la remettre.J’ai l’impressionqu’ilessaiedemetransmettreunmessageàtraverselle.
—Çavamieux?—Unpeu.Parle-moidetoi,jeluichuchote.—Queveux-tusavoir?—Commentes-tudevenubiker?—Àcausedemonpère.Ilmefrappaitquandj’étaisgosse.Àquatorzeans,
jemesuisbarrédechezmoi.J’aiprisunsacàdosetquelquesfringuesetjemesuisretrouvéà laruedu jourau lendemain.Je traînaisdans lesruelles,évitantlescoupsdesdifférentsgangs.Un jour,Popsm’a trouvéet ilm’ademandésij’avais un endroit où aller. Je lui ai dit non. Ensuite, il m’a demandé depuiscombiendetempsjen’avaispasmangé,maisj’étaisincapabledeluirépondre,jenemesouvenaismêmepasdemondernierrepas.Ilm’aentraînédansunfast-food,m’aachetéàmangeretm’ademandédeluiracontermonhistoire.C’estcequej’aifait.Àlafin,ilm’aproposéderejoindresonclubenéchangedugîteetducouvert,j’aiaccepté.Ilm’asauvélavie,cejour-là.
J’écouteJacemeparlerdesonenfance.Unpoidsmecomprimelapoitrineàl’écoutedesonrécit.Jeréalisequepour luinonplus lavien’apasété tendre.Une part de moi admire ce jeune garçon pour avoir eu le courage de fuir laviolence de son domicile et pour avoir eu la force d’affronter celle de la rue.Maisuneautrepartsouffrepourlui,cariladûsebattreseulpoursurvivre.Jel’imagineterrifié, lanuitdanslesruelles,cherchantunrefugepoursemettreàl’abri du froid, de la pluie, ou pire encore, pour se protéger des gangs quigangrènentcertainsquartiers.
Jaceremarquemondésarroi,samainpressedoucementlamienne.
—Jem’en suis sorti,monange.Ne soispas tristepourmoi. J’ai survécugrâceàPops.
—Tuaseudelachancedecroisersonchemin.Jacesourit.—Oui, ilme foutait la trouille au début.Mais c’est un homme qui a un
grandcœur,surtoutaveclesmômes.Ilnesupportepasqu’onleurfassedumal.Ilpourraittuers’ilvoyaitquelqu’uns’enprendreàunenfant.
Découvrir ce pan de la vie de Jace me donne encore un nouvel angled’appréciationdequiilest.Jeveuxmieuxleconnaître,alorsjeluidemande:
—Commentçafonctionne,votreclub?—Onmènenosaffaires,ongèreplusieurssociétés.Çavadelagestiondu
barquetuconnaisàdesboîtesdeprotection,deprêteurssurgages,desgarageset d’autres trucs. On a plusieurs chapitres sur l’ensemble du territoire pourcontrôlernosbusiness.
—Deschapitres?—Ouais,desantennesduclubdanslesÉtatsoùonestprésents.Pourt’aider
àcomprendre,dis-toiquenousfonctionnonsunpeucommeunemultinationale.T’as le siège social, c’est notre chapitre de Los Angeles dont Pops est leprésident,saufqu’ilaunecasquettedeplus.Dansnotrejargon,onditquec’estleprésidentnational.Ensuite,t’asdessuccursales,etlàcesontleschapitresdesautresÉtatsquisontgérésparunautrePrés’etcesderniersrendentdescomptesàPops.
—C’esttrèsorganisé,toutça.— Il vautmieux parce qu’on n’est pas des enfants de chœur. Tu sais, la
plupart des gens qui ne connaissent pas notremonde nous prennent pour desconsparcequ’onesttatoués,qu’onrouleenHarleyetqu’onpassenotretempsànousbourrer lagueule et bai…Enfin, àprofiterde lavie.Mais il ne fautpascroire,notreclubgèretoutunpaquetdefricetsionneveutpasseplanter,onaintérêtàsavoirbienmenernosactivités.
Jecomprendsunpeumieux leur fonctionnement,mais je saisque Jacenem’apastoutdit.J’oseluiposerlaquestionquim’inquièteleplus.Jeleluiavaisdéjàdemandélelendemaindenotrerencontreauborddulac,maisilavaitéludé.
—C’estillégal?—Disonsqu’onnevitpasdansunmondefaitdepaillettesetdepapillons.Ilmarqueunepausepuisreprend:— Il ne faut pas t’arrêter à cet aspect.Tu sais, les politiciens sont encore
pluscrapuleuxquenous,certainshommesd’affaireségalement.À demi-mot il vient de m’avouer que ce qu’ils font est illégal, voire
dangereux. Beverly m’avait également fait part de ses doutes concernant lesactivités de son père. J’essaie d’analyser mon ressenti face à cette nouvelleinformation.Est-cequejevoisJacedifféremment?Jen’ensuispassûre.
—Voustouchezàladrogue?Àlaprostitution?S’ilmerépond«oui», jesaisquejenepourraipasavoirderelationavec
lui.—Nan,onnetouchepasàcesmerdes.Commejeteledisais,onaplusieurs
sociétésquel’ongère.Pourgarderlesgenstropcurieuxàdistance,onprotègeleshabitantsdesquartiersdanslesquelsnoussommesimplantés.
—VousêtesdesRobinsdesboisenmoto?—Non,monange.Ons’occupedenosaffaires,alorsonfaitensortequeles
gensneviennentpasfourrerleurnezdedans,c’esttout.Onestunefamille,onseserre les coudes entre frères. S’il y en a un qui a des emmerdes, les autresrappliquentpourl’aider.
—Çadoitêtreagréabledesesavoirsoutenu.—Toiaussi,ontesoutient.Tunet’enespeut-êtrepasrenducomptemais
Popsneparlaitpasàlalégère,toutàl’heure.Tufaispartiedenotrefamille,denotreclub,mêmesitun’enportespaslescouleurs,onteprotège.
—Pourquoi?—Parcequetulemérites.Popsadécidédeteprendresoussonaile,comme
ill’afaitavecmoi.—Commentonportelescouleursdevotreclub?—Pour unmec, il faut qu’il fasse ses preuves.Au début on l’appelle un
prospect,ensuite ilmonte leséchelonsaufuretàmesurequ’ilnousprouvesaloyauté.S’ilréussit,ilpeutdevenirunmembreduclubàpartentière.
—Etpourlesfemmes?
Jacegrimace.—Jenesuispassûrquetuaimeslaréponse.—Distoujours.—Enfait, ilyadeuxtypesdefemmes.Lesrégulières,quetuaspeut-être
aperçuesaulaclorsdurun…— J’ai croisé beaucoup de monde lors de ce week-end, et pas mal de
femmesbikers,maisjenesaispassic’étaientdesrégulières.Pourquoivouslesappelezcommeça?Àquoionlesreconnaît?
—Dansnotrejargon,onappellelesrégulières,oulesofficielles,lesfemmesdemembresduclub.Onlesreconnaîtaugiletqu’ellesportent.
—Enquoiest-ildifférent?—Ilyaunécussoncousudansleurdos.—Ilressembleàquoi?—Jecroisquetun’espasencoreprêteàentendrelaréponse.—Pourquoi?—Lesnanascommetois’offusquentchaquefois.—Lesnanascommemoi?—Ouais,cellesquineconnaissentrienànotremonde.—Essaie,jepourraispeut-êtretesurprendre.—Pff…Bon,ok.Cen’estqu’unexemplequejetedonne,necommencepas
àflipper.Imaginequetusoismarégulière.Jet’offriraislegiletpourmontreràmesfrèresquej’officialisenotrerelation.
—Poursuis.—Ohbonsang!Tuvasvraimentpasaimer.—Arrêtedereculeretbalancelepavé.— Eh bien, t’aurais cousu sur le dos de ton gilet « Hayley, propriété de
Jace».Les mots s’impriment lentement dans mon esprit. Alors que j’étais toute
émoustillée par le fait de m’imaginer être sa « régulière » le coup du terme«propriété»mefaitl’effetd’unedouchefroide.Jemeredressed’unbondsurlelitetleregardeincrédule.
—Tuplaisantes?
—Jesavaisqueçateplairaitpas.—ÇafaitunpeuhommedeNéandertal.Je me redresse et frappe du plat de ma main ma poitrine avant de
poursuivre:—Moihommeteprendstoifemme!Jace secoue la tête, mais son visage reste sérieux. Son regard est habité
d’unelueurfarouchelorsqu’ilmerépond:—Temoquespas,c’estunmoment très importantpournous,parcequ’on
nereprendpasleblouson,c’estpourlavie.Ons’engagevraimentenverscettefemme.Onmontreàtoutlemondequ’ellenousestprécieuse.Onlaprotège.Etce n’est pas seulement son régulier qui la protège,mais ce sont aussi tous lesmembresduclub.S’attaqueràelle,c’ests’attaquerauclub.
La véhémence de son tonm’adoucit un peu. Je préfère laisser de côté leterme«propriété»pourlemomentetreprendremoninterrogatoire.
—Etlesautresfemmes?Jaceprenduneprofondeinspirationetsemetàsouffler.—Tuvaspasaimernonplus.—Annoncelacouleur.Aprèslecoupdelapropriété,jenevoispascequi
pourraitmechoquerencoreplus.LavoixdeJaceesthésitante.—Jeneparieraispaslà-dessus,monange.—Quoi,c’estpire?— La deuxième catégorie de femmes dans nos clubs, on les appelle des
brebis. Et disons que ces femmes servent nos besoins primaires lorsqu’on n’apas de régulière. On leur offre le toit et le couvert en échange de certainsservices.
—Ellesserventvosbesoinspri…OhmonDieu!Vousvouslestapez?—Je…Ouais,ellesserventàça.—Maisc’estdégueulasse!Vouslesutilisez!—Monange,onnelesretientpas.Ellesonttouteschoisicemodedevie,
rétorque-t-ilsuruntonexcédé.—Ettoi,tuasdéjà…
—Jenerépondraipasàcettequestion.—Tuviensdemedonnerlaréponse.—Hayley, ce que tu dois retenir, c’est que ce club est une famille, on se
protège tous. Certaines de ces femmes se sont retrouvées à la rue. Elles ontdécidédevenirparelles-mêmes,parcequ’ellesveulentvivrecestyledevie.
J’afficheunemouedubitativefaceàsespropos.—Etmoialors,jesuisquoidansvotreclub?— Tu es sous la protection de Pops, aucun membre ne t’approchera. Tu
serasaccueillielorsdenosrassemblementssitulesouhaites.Lesmembresetlesrégulières te considérerontunpeucomme ils considèrentBeverly, commeunepetitesœur.
—Ok.Donc, si je comprends bien, tu n’as pas le droit de t’approcher demoi?
—Saufsitul’acceptes.Jedécidedelefairemarinerunpeu.—Hum,laisse-moiréfléchir…LefrontdeJaceseplisseetafficheunebarresoucieuse.—Monange.—Bakers.—Nemefaispasmarcher,s’ilteplaît.—Pardon,jeplaisantais.—Jepréfèreça.Commenttutesens?—Çavamieux,etc’estgrâceàtoi.Mercidenepasm’avoirlaissée.—Jeseraitoujourslà,situasbesoindemoi.—Tupeuxresterdormiravecmoicettenuit?Ilaffichesonpetitsourirequiferaitfondrelabanquise.—Tuterendscomptequec’estladeuxièmenuitd’affilée.Jevaisyprendre
goût.—Çatedérangerait?Jaceresserresonétreinte.—Ohnon,bienaucontraire.
Ilresteuninstantsilencieux,monsixièmesensmesoufflequ’ilseposedesquestionssurlemessage.
—Hayley,unjourilfaudraquetumedisesquit’envoiecesmessages.Tuenasdéjàreçuavantcelui-ci?
—Oui.—Quand?—L’autresoir,aprèsnotredîner.—C’estçaquit’afaitpaniquer?—Oui.—Çamerassure.—Lefaitquejereçoivedesmessagesterassure?—Nan,çamefoutenrognequequelqu’unteharcèle.Maisjesuisrassuré
desavoirquejenetefaispasflipper.—Tunemefaispasflipper…Aucontraire,jemesensensécuritéavectoi.—Tusaisquejepeuxteprotéger,siquelqu’unteveutdumal.—Jesais.—Alorslaisse-moiteprotéger,monange.—Jevaisyréfléchir.Sesyeuxgrismefixent,ilsemblepeserlepouretlecontre.—Ok.Maissachequejenelâchepasl’affaire.Ilfaudraquetumedisessi
tuenreçoisd’autres.J’aieumoncompted’émotionsfortespourcesoiretjepréfèremetaireetne
pasreleversadernièreremarque.—Bonnenuit,Bakers.—Bonnenuit,monange.
21
Hayley
C’estbienmachance.Leseuljouroùjedoisêtreimpérativementàl’heure,je ne trouve aucune place pour me garer à proximité du centre. Je n’avaisvraimentpasbesoindeça.C’estaujourd’huique leclubdeJacevarencontrerCarteretLucy,lesdeuxresponsables,etleurproposersonaide.
Nerveuseàl’idéedecetteentrevue,jeveuxarriveravanteuxpourm’assurerquelepremiercontactsedéroulesouslesmeilleursauspices.J’aieudumalàlesconvaincre d’accepter cette rencontre.Quand je leur ai fait part du souhait dePops,Carters’estmontrésceptiqueàl’idéederecourirauxservicesd’unclubdebikerspourassurerlaprotectionducentre.J’aidûuserdetouslesargumentsenmapossessionpourqu’ils acceptentaumoins le rendez-vous.Lucyet lui sontbourrésdepréjugés,toutcommejel’étaisavantdemieuxconnaîtrePopsetJace.
Après un long débat, ils ont finalement accepté en me faisant toutefoiscomprendrequ’ilsnemepromettaientrien,cequejepeuxcomprendre.Ilsontlaresponsabilitédenombreuxenfants.
Plusqu’unerueetj’atteindraienfincelleducentre.J’accélèrelepaslorsque,surletrottoird’enface,dessifflementss’élèvent.Jejetteunrapidecoupd’œil,maisà lavuedetrois types intimidants, jebaisse immédiatement levisage.Leregardrivéausol,jetentedelesignoreretpoursuismoncheminenespérantquemonindifférencelesdécourage.
J’allonge un peu plus mon pas lorsqu’ils commencent à m’affubler desobriquets plusoumoins imaginatifs.Quand je déboule à l’anglede la rue, jepousseunsoupirdesoulagementàlavuedubâtiment.Plusquecentmètresetjeserai à l’abri. Jusqu’à présent, je n’ai jamais été embêtée. Avec un peu dechance,sijelesignore,ilsvontpasseràautrechose.
Mon espoir devient vain lorsque qu’une voix derrière moi m’interpelle.Merde,jenem’étaispasrenducomptequ’undestypesm’avaitsuivie.
—Ehmignonne,t’esnouvelle?Ont’avaitencorejamaisvueici.Je rive mon regard droit devant moi et estime la distance qu’il me reste
encoreàparcourir.Plusquecinquantemètres.
Monespritfocalisésurlaported’entréeducentre,jenerépondspasettentedecalmerlapaniquequicommenceàm’envahir.Inspire,expire.Inspire,expire.Inspire,expire.
C’estpaslemomentdeflancher.Plusquevingtmètres.—Eh!J’teparle!Aumomentoùmamaintouchelapoignéedelaported’entréeducentre,le
typem’attrapeparlebrasetmeretourneverslui.Paniquée,jepousseuncrifaceàceluiquimedévisaged’unairmalsain.Samainm’enserretoujoursetmefaitmal.
—C’estpaspolidepasrépondrequandonteparle.Incapable de prononcer le moindre mot, je reste muette et tente de me
concentrerpourmerappelertoutcequemescoursd’autodéfensem’ontappris.Cemec est effrayant, la lueur dans son regardmontre qu’il n’est pas là pourplaisanter.
Rapidement,monespritremarquequeluiaussiporteungiletcommeceluideJace.Saufqu’avecJace,jenemesuisjamaissentiemenacée,alorsqu’aveclui,tousmesvoyantssontaurouge.
—Toucheàunseuldesescheveuxett’esunmecmort.L’homme me relâche et se tourne lentement vers la personne qui est
intervenue. En le reconnaissant, je pousse un soupir de soulagement.
Nerveusement,jemassemonbrasendolorietadresseunregardreconnaissantàmonsauveur.Jel’avaisdéjàaperçuavecJacelorsdelasoiréed’intégrationetaurun.Jecroisqu’ils’appelleDannyboy.
—Tuchercheslesemmerdes,leprospect?Faceà lavoixchargéedehainedemonagresseur, leflegmedeDannyboy
merassérèneunpeu.—Moinon,maistoi,situpoursuissurcettevoie,turisquesd’enavoirun
sacrépaquet.—Qu’est-cequelesBlackRidersfoutentdanscequartier?C’estpasdans
voshabitudesdetraînerparici.Aulieudeluirépondre,leprospects’adresseàmoi.—Tudevraisrentrer.Inquiètepourlui,jeluidemande:—Çavaaller?—Ne t’en fais pas pour moi, les frangins sont en route. Ils ne vont pas
tarder.
Alorsquej’hésite,unvrombissementdemoteursefaitentendredanslarue.D’unmouvementde tête,Dannyboymefaitcomprendred’aller trouver refugedanslecentre.Sansplussepréoccuperdemoi,ilfixemonagresseur.
Avantque laported’entrée se refermeentièrementderrièremoi, j’entendsunepartiedeleurconversation.
—Alors leEagles, t’esprêtàaffronterPopset les franginsou,comme laverminequetues,tupréfèresdéguerpiravantqu’ons’occupedetoncas.
—Faispastroplemalin,onrisquetrèscertainementdeserecroiserunjour.Le reste de leur conversation est étouffée par la porte refermée, je m’y
adosseetessaiedereprendremesesprits.Lucyvientàmarencontre:—Toutvabien?—Pasvraiment.Untypeaessayédem’accoster.—Ilt’afaitdumal?—Non,j’aieudelachance,quelqu’unestvenuàmarescousse.
D’ailleurs, il faudra que je pense à demander à Jace pourquoi ce prospectétaitdéjàdanslaruealorsquePopsn’estpasencorearrivé.Peut-êtresesont-ilsdonnélemotpourserejoindretousdirectementici.
—Entendu.Tuviensm’aider?Jedoisajouterdeschaisesdanslasallepourlaréunion.
—Jetesuis.
***
Nousvenonsd’installerladernièrechaiselorsqueCarterentredanslapiècesuividePopsetdeJace.IlleurprésenterapidementLucyetnousprenonstousplaceautourde la table.Bienentendu, Jaces’arrangepourque jeme retrouveassiseàcôtédelui.
Dudébutdelaconversation,jeneretienspresquerien,monespritétanttropabsorbéparlamaindeJacequiexaminemonavant-bras.Quandilvoitlesbleusqui commencent à se former, sa mâchoire se contracte. Je l’entends inspirerfortementcommes’ilessayaitdeconteniruntrop-pleind’émotions.Pourtenterdelecalmer,jeluimurmure:
—Cen’estrien.C’estunsimplebleu.—Non,monange.Çan’estpasrien.Savoixfroidemefaitfrissonner.D’une certaine manière, heureusement qu’il n’était pas présent tout à
l’heure.LavoixdePopsmefaitreveniràlaconversation.—Écoutez,jevoisbienàvotretêtequevousnenousfaitespasconfianceet
jepeuxparfaitementlecomprendre.Maisvoussavezcommemoiquevousavezbesoin d’une protection.Ce qui vient de se passer tout à l’heure avecHayleypeutarriveràn’importelequeld’entrevous.JepensenerienvousapprendreenvousdisantquevotreétablissementestaucœurdupirequartierdeL.A.Vousn’êtespasàl’abrid’unrèglementdecomptes.Etlesflicsmettentdesplombesàintervenirici.Florenceestréputépourêtreunnoman’sland.
—Jesaistoutçaetj’enaiparfaitementconscience.
Percevant l’incertitude dans la voix de Carter, Pops poursuit sonargumentaireimplacable.
—Letypequiaemmerdélagaminetoutàl’heureappartientàunclubdetarés.Il risquederevenirà lacharge.Hayleyestsousmaprotection,c’estuneamie dema fille et je ne veux pas qu’il lui arrive quoi que ce soit, pas plusqu’auxgaminsquevousprotégez.Votrecauseestunebellecausemaislà,vousavezbesoindenous.Siçapeutvousrassurer,onresteraenretraitetdehorslajournée, vous ne remarquerez même pas notre présence. Rien ne viendraperturberlefonctionnementducentre.
Je décide à mon tour de participer à la conversation pour rassurer monresponsablequantauxintentionsdePops.
—Carter,jeconnaisPopsetJace.Cesontdeshommesdeparole.Jamaisjen’aurais pris le risque d’amener des gens dans le centre qui auraient mis endangerlaviedesenfants,sijen’étaispascertainequ’ilspouvaientfairequelquechosepournous.Sansquejeleurdemandequoiquecesoit,ilsm’onttoujoursaidée et ont été respectueux.De plus, Pops est le père dema colocataire, j’aiconfianceenlui.Etpuisaveccequiestarrivétoutàl’heure,jeseraisrassuréedesavoir qu’ils sont là. J’ai vraiment eu peur quand le type m’a suivie. SansDannyboy,jenesaispascommentcettehistoireseseraitterminée.Onpourraitpeut-êtrefaireunessai?
Cartersecalecontreledossierdesachaiseetsepasseunemainlassesurlevisage.Ilmefaitdelapeine,ilsembleêtredépasséparlesévénements.
—J’ail’impressiond’êtredosaumur,danscettehistoire.Jacesecouelatêtepourlecontredire.—Onnevousobligeà rien.Vouspouvez refusernotreaide,maispensez
auxgamins. Imaginezqu’ils aient la trouilledevenirdans le centreparcequedespetitesfrappesviennentvousemmerder.Lesgossesrisquentdeneplusveniret tous les efforts que vous avez fournis jusqu’à maintenant pourraient êtreréduitsànéant.
Lucyintervientàsontour.Apparemment,monaltercationdetoutàl’heureamodifiésafaçondevoirleschosescarcontrairementàceàquoijem’attendais,elleprendégalementlepartidePopsetdeJace.
— Carter, ce monsieur a raison. On s’est d’ailleurs fait la réflexion dumanquedesécuritél’autrejour.Etj’avouequ’ilyadeplusenplusd’anicrochesentre bandes rivales en cemoment.Onne peut pas se permettre de perdre unenfant,onatravaillétropdurjusqu’àmaintenantpourgagnerleurconfiance.
Carterrestesilencieuxetnousobserveunàun.Unefoissadécisionprise,ilselanceets’adresseàPops.
— Très bien. On va faire un essai. Si votre présence ne perturbe pas lesenfants,vousserezlesbienvenus.
—Parfait.—Parcontre,ilfautquevoussachiezunechose,onnepeutpasvouspayer.
Onadéjàessayéd’avoirunvigile,maisilnousdemandaittropcher.—Onnedemanderien.OnlefaitpourlesgaminsetpourHayley.—Merci.
Nousmettonsencorequelquesdétailsaupointpourorganiserlasurveillance
deslocauxlorsquelaportedelasalles’ouvresurLogan.Àsavue,Lucyémetunhoquetdesurprise.Lepetitsetientfaceànous,lesyeuxpleinsdelarmes.Lecoldesont-shirtestdéchiréetsalèvreestfendue.Jemelèveprécipitamment,parsàsarencontreetmeplaceàsahauteur.
—Ques’est-ilpassé?—Jemesuisbagarréàl’école.—Pourquoi?—Desgarçonssemoquaientdemoiparcequemeschaussuressonttrouées.
Après,ilsontditdevilaineschosessurmaman.Logans’interromptetéclateensanglotsdansmesbras.Jeleconsolecomme
jepeuxetluimurmuredesparolesrassurantesàl’oreille.
Quandsessanglotscommencentàs’apaiser,jel’emmèneavecmoidanslacuisinepour lesoigner.Pendantque j’attrape la trousseàpharmacie, je tourneplusieurs phrases dans mon esprit pour essayer de trouver des parolesréconfortantes. Malheureusement, aucune de pertinente ne me vient. En me
retournant vers Logan, j’ai la surprise de voir Pops se tenir sur le seuil de lacuisine.
—Vousavezbesoindequelquechose,MonsieurPops?—J’aimeraiscauserunpeuaveclegaminunefoisquetul’aurassoigné.Je pose un à un les produits sur la table. Quand Logan voit apparaître le
désinfectant,ilsecrispe.—Çavapiquer?—Unpetitpeu.Maisjeteprometsdefaireçavite.J’imbibe le coton et l’approche contre sa plaie, Logan ferme les yeux
instinctivementetserresespoings.Pourdétournersonattention,Popsintervientets’accroupitàcôtédelui.
—C’estcourageuxdetapartdet’êtrebattu,fiston.Faceaucompliment,ilouvrelesyeuxetregardePopsquipoursuit:—Toutàl’heure,t’asparlédeplusieursgarçons.Ilsétaientcombiencontre
toi?—Deux.—Tuveuxmonavis?Ilhochelatête.—Cesontdeslâchesetc’esteuxquidevraientavoirhonte.Pastoi.Tupeux
êtrefierdetoi,tuassutenirtête.—Surtoutquecesontdesplusgrandsquemoi.Popsacquiesce.Ilmeregardeetmedemande.—T’asterminé?—Oui.—Tupeuxmelaissercinqminutesaveclui?Sentantmonhésitation,ilajoute:—J’aidemandél’autorisationàCartertoutàl’heure,ilestd’accord.J’hésite encore quelques secondes. Avec Logan, mes instincts protecteurs
sontdécuplésetj’aidumalàlelaisser.Jedemandealorsaupetit:—Logan, tu acceptesquePops teparleunpeu ?Si tu asbesoin, je serai
danslecouloir.—D’accord.
Comme jeneconstateaucune traced’inquiétudechez lui, j’accepte. Je luipressel’épauleetquittelapiècetoutenleurjetantundernierregard.MaisPopsetLogansontdéjàtouslesdeuxengrandeconversationetmurmurententreeux.Levisagedupetit est serein et il écoute tout ceque lui ditPopsd’uneoreilleattentive.
Jepatientedanslecouloir,unpeunerveuse,maisl’arrivéeetlesparolesdeJacemerassérènentunpeu.
—Net’inquiètepas,Popssaityfaireaveclesgosses.—C’estjustequeLoganestimportantpourmoi.Jacejoueavecunedemesmèchesrebelles,cequidétournemonattention.—Onpeutsevoir,toutàl’heure?—J’aiprévud’étudierunpeu,cesoir.Maisdemain,situveux.—Jerisqued’êtreoccupédemain.Parcontreaprès-demainjesuisdispo.—Moiaussi.—Parfait.
Àcetinstant,PopsetLoganviennentànotrerencontre.Lepetitsemblealler
bien,sonvisageestànouveausouriantetiltientsafigurinedeCaptainAmericadanslesmains.QuandilregardePops,c’estavecémerveillement.
Carter a accepté que Pops et Jace restent avec les enfants tout le reste del’après-midi. Après réflexion, il s’est dit que ce n’était pas plus mal que lesenfants apprennent tout de suite à les connaître. Je pense que c’est surtout lecomportementdePopsenversLoganquil’aincitéàlesvoird’unautreœil.
NousvenonsdeterminerunepartiedebasketacharnéelorsquePopslancelesignaldudépart.
—Onvayaller,Jace.Onaquelquestrucsàrégler.Les deux hommes s’observent silencieusement et j’ai l’impression que
quelquechosem’échappe.Jaceopineetsetourneversmoi.—Jetecontactepourqu’ons’organiseuntruc.—Çamarche.
AvantquePopsnequittelecentre,lepetits’élanceversluietl’enserreparlataille.JesuissurpriseparlaréactiondeLogan,ilnem’apashabituéeàêtredémonstratifenversquiconque.
—Merci,Pops.—Pasdequoi,gamin.Curieusede leuréchange, j’adresseun regard interrogateuràPops,mais il
mefaitsignedenepaschercheràcomprendre.
22
Jace
Quandonarencontrélesdirigeantsducentre,avecPops,onabienvuqu’ilsétaientréticents.Desqu’onestentrés,onatoutdesuitecomprisques’ilsavaientacceptédenousrencontrer,c’étaitpourfaireplaisiràHayley.Lapartien’étaitpasgagnéed’avancemaisonaréussià lesconvaincrequ’ilsavaientbesoindenotre aide. Hayley a défendu notre cause farouchement. Et quand elle a ditqu’elleavaitentièrementconfianceennous,avecPops,onaéchangéunregardentendu.Sanslesavoir,elles’estcomportéecommeunevéritablerégulière.Jepeuxdirequec’estenpartiegrâceàsondiscoursqu’ilsontfinalementacceptédenousdonnerunechance.Nousavonsdécidéquedesprospectsseraientplacésàl’extérieurdubâtimentlajournéeetinterviendraientencasdebesoin.Lesoir,deuxautresmembresduclubviendraientpourassurerlasécuritéàl’intérieurdubâtiment.
PopsaétésensibleàlamanièredontHayleynousadéfendus.J’aipulavoirà l’œuvre avec les gosses qu’elle nous a présentés. Certains ont voulu passerpour des gros durs, les plus jeunes, eux, ne demandaient qu’à attirer notreattention.Nousnoussommesamusésaveceuxunebonnepartiedel’après-midi.Elle a été particulièrement émue lorsqu’elle m’a présenté le petit Logan. Cegosseferaitfondren’importequi,avecsesgrandsyeuxverts.Malheureusementpourlui,ilesttombédansunefamilledemerde.Iltenaitfermementcontreluiunefigurinedesuper-héros.Solennellement,ilmel’amontréeenm’expliquant
quec’étaitCaptainAmericaetqu’ilattendaitlevraipourl’aideràs’ensortir.Ilm’a complètement retourné l’estomac.Avec l’autorisationdes responsables, jelui ai proposéde faireun tour enbécane avecmoi. Ilm’a serré tellement fortdanssesbrasquemestripesontfaitlegrandhuit.Voirlebonheurbrillerdansses yeux m’a fait un bien fou, j’avais l’impression d’avoir accompli quelquechosed’extraordinaire.
Je comprendsmieuxHayley,maintenant, quand elle parle de ces enfants.J’aidécidéquedèsquel’occasionseprésenterait,jeviendrairendrevisiteàcesgosses et essaierai de les aider àmamanière.Mais pour lemoment j’ai plusurgent à régler.QuandDannyboynous a appris qu’unHell’sEagles s’en étaitprisàHayley,j’aivurouge.J’étaisàdeuxdoigtsd’allerretrouvercetypeetdeluiréglersoncompte.Popsm’aretenu,endisantqu’ons’occuperaitdesoncasplustardetquecen’étaitpaslemomentdecréerdeshistoiresdevantlecentre.IlaappeléSplinterpourqu’iltrouvetouteslesinfosconcernantcetenfoiré.
— Je vais faire vite et aller droit au but. On a un souci avec les Hell’sEagles.Ilfauts’attendreàlesvoirréapparaître.
—Merde,jecroyaisqu’ons’enétaitdébarrassésquandonleurarégléleurcomptel’annéedernière,ditSigétonné.
—Apparemment,non.Pourceuxquil’ignorentencore,undesHell’sEaglesa emmerdé Hayley hier. Il ne savait pas qui elle était pour nous, maismaintenant,lanouvellevavitecirculeretilfauts’attendreàlesvoirtraînerdanslesenvironspournousfairechier.
—Çacraint,c’estpasdesenfantsdechœur.Vousluiavezréglésoncompte,autype?
—Pasencore.Jacevas’enoccuperaprèslaréunion.—Jeviensavectoi,Jace,m’informeSplinter.—Letypeestpourmoi.— Ouais, mais tu vas avoir besoin de soutien. Je resterai en tant que
spectateur,maisonsaitdequoi sontcapablescespourris.Tupeuxpasyallerseul.
—Splinteraraison,fils.Iliraavectoi,Spideraussi.Toiseult’occuperasdutype,maisilfautyalleràplusieurs.Sidesgradéssepointentavectoi,çamettraplusdepoidsetçaleurmontreraqu’ontouchepasàlagamineetquetoutleclubestderrièreelledanscettehistoire.
—OnfaitquoipourHayley?Fautmettrequelqu’underrièreelleaussi.Ellevaêtreleurcible,maintenant,intervientSpider.
— J’y ai déjà pensé. Pour le moment, quand elle est au centre, elle estprotégée.Etàlafac,ilyatoujoursunprospectquicolleautraindemafille,ils’occupera aussi d’Hayley. Pour ses autres déplacements, un traceur devraitsuffire.
—Çavaluifoutrelatrouille,toutça,Prés’.Ellen’apasencoretotalementconfiance enmoi, si je lui parle de luimettre un traceur, elle va se poser desquestionssurnousetsurleclub.Jeveuxpasqu’elleflippeetqu’elledisparaissedelacirculation,etsurtout,jeveuxpasqu’ellemerejette.
Splintersiffleentresesdents.—Ellesaitriensurleclub?—Non,jeveuxpaslamêleràça.—Illefaudraunjour.Tuvasdroitdanslemursituluiparlespasdetavie.
Elleestpasidiote,ellevaavoirdessoupçons.— Je lui en parlerai un jour, mais je veux prendre mon temps. Je veux
qu’elleapprenneàmeconnaîtreavant.— Sauf que le côté biker, c’est une facette que tu lui fais pas voir. Elle
risquedetomberdehaut.—C’estpourçaque jeneveuxpas luienparlerpour lemoment.Elle se
traînedesvalisesettantquejenesaispasjusqu’àquelpoint,ellenesaurariensurmonrôledansleclub.
— C’est toi qui vois, frangin. Bon, je propose de mettre un traceuruniquement sur sa voiture. Comme ça elle n’en saura rien et ton petit secretpourraencoreêtregardépourquelquetemps.
—Aufait,Pops,toujourspasdenouvellesdesfranginsdelacôteEst?jeluidemande.
—Non,maisçanesauraittarder.
—Ok.Dèsquet’enas,jeveuxêtrelepremieraucourant.—Bon,onfaitquoipourlesHell’sEagles?reprendSpider.—Onvalessurveillerenfaisantgaffedepassefairerepérer.J’aipasenvie
demelancerdansuneguerrecontreeux.C’estjustepourassurernosarrières.—Çamarche.Splinter,t’aslesinfossurletypequiaemmerdéHayley?—Ouais,j’aitoutcequ’ilfaut.Jesaisoùilcrèche.Onvapouvoirallerle
retrouveraujourd’hui,ilapourhabituded’allervoirchaquemardiunenanaqu’ilsetapechezellependantquesonmecestauturbin.
—Parfait.—Ok.Lesgars,laréunionestterminée.Jace,faisgaffeàtoi,cestypessont
réputéspourêtredesacrésvicelards.
Aprèslagrandemesse,nouspartonsdirectementàl’adressequeSplinteraréussiàrécupérer.Jesuisrassuré,d’unecertainemanière,delesavoiravecmoi.Pasparcequejedoutedemacapacitéàflanquerunebonnecorrectionàcetype,maiscommel’aditPops,cesontdesroublardsetriennemegarantitqu’ilseraseul.
Pluslesminutespassentetmerapprochentdecetenfantdesalaud,plusmonsang et ma rage bouillonnent en moi. Cet enfoiré va bientôt savoir qu’on netouchepasàcequim’appartient.
Quandjepensequ’ilaoséposersamainsurHayley,mahainesedécuple.
Assez rapidement, on débarque dans un quartier résidentiel, et vu lesbaraquesquinousentourent, ça ressembleplus àunquartierd’ouvriersoù lesgenstrimentcommedesmaladespourarrondirleursfinsdemois.Laplupartdespeintures de façades sont écaillées, les jardins sont en friche et la majoritésembleàl’abandon.
D’uncommunaccord,ondécidedesegarerplusloindanslaruepournepassefairerepérer.Jeneveuxrienlaisserauhasardetêtresûrqueletypenenousfilepasentrelesdoigts.
D’unsigne,Splintermemontreoùcrèche lananadumec.Alorsquenousnousdirigeonsdirectementverslamaison,ilnepeuts’empêcherdemefaireses
dernières recommandations. Spider, pour sa part, scanne les lieux et s’assurequ’aucuntémoinnenousaperçoive.
—Ont’aideàentrerdanslabaraqueetàlocaliserletype.Unefoisqu’ilestentretesmains,ontelaisset’amuseraveclui,etpendantcetemps,oncouvretesarrièresencasd’imprévu.
—Çamarche.— Jace, ces types sont de bons bagarreurs. Rappelle-toi de toutes les
techniquesquejet’aiapprises,avecçatudevraist’ensortir.—T’enfaispas,j’aitoutentête.—Ok.Mais sois pas trop sûr de toi, c’est commeça engénéral qu’on se
retrouvefacecontreterreetqu’onpeutplusserelever.D’aprèslesinfosquej’aiobtenues, ce mec fait des combats illégaux. C’est pas un amateur que tu vasaffronter.
—Aumoins,jet’offrelespectacle.
Silencieusement,nouscontournonslamaison.Unefoisquenoussommesàl’arrière,Spidersortsesoutilspourcrocheter laserrureetdéverrouille laporteenuntourdemain,sansfairelemoindrebruit.
Dèsqu’onentredanslacuisine,onrepèredesuitelegiletdutypeposésurledossierd’unedeschaises.Aumoinsletuyauestbon,ilestdanslabaraque.Desbruitsdepassefontentendreau-dessusdenostêtes.Splinterplacesonindexsursabouchepournousfairesignedenepasbouger.D’unseulregard,ilnousfaitcomprendrequ’ilpasselepremierpourallers’engouffrerdansl’escalier.Onlelaissefaire,c’estluilepluscompétentdanscettesituation.
Avant de gravir chacune desmarches, il s’assure qu’elles ne craquent passousnotrepoids.Onretientnotrerespirationquandunevoixdefemmes’élèvedanslecouloir.
—Jefilesousladouche,tumerejoins?—Danscinqminutes.Faiscoulerl’eauenm’attendant.L’oreilleauxaguets,onattendtoujoursdansl’escalierquelananaentredans
lasalledebain.Quandl’eausemetàcouler,onreprendnotreprogression.Surlepalier,Splinterpointedel’indexSpideretlaportedelasalledebainpourlui
faire comprendre de s’occuper de la fille et qu’elle n’aille pas appeler desrenforts.
D’un même mouvement, nous sortons tous les trois nos flingues. Spiderprend position devant la porte de la salle de bain alors que Splinter et moipoursuivons notre route jusqu’à la chambre. Une fois face à la porte fermée,Splinter commence à compter silencieusement avec les doigts jusqu’à trois.Commeunseulhomme,nouspénétronsdanslapièce.Derrièrenous,lecridelafilleconfirmequeSpiderest,luiaussi,passéàl’action.
D’unmouvementvif,SplinterpointedesongroscalibreleHell’sEaglesquisetientdeboutprèsdulit.D’abordsurpris,ilseprécipitesurlatabledenuitpourattrapersonflingue.
—Nebougepasunseulcheveuoujet’exploselacervelle.Faceàlamenace,l’hommesuspendsonmouvement.Lentement,ilsetourne
versnousetnousregardecommesilasituationl’amusait.Nousnousobservonstellesdesbêtesférocespendantquelquessecondes,leHell’sromptlesilenceenpremier:
—Jemedemandaisquandnoscheminsallaientsecroiserànouveau.Vousmedécevezlesgars,vousn’avezpasététrèsrapides.
—Fermetagueule,connard,lemenaceSplinter.—Vousmevoulezquoi?—T’aspasuneidée?jeluidemande.L’hommefaitminederéfléchirquelquessecondespuiss’exclame:—Ahoui,lajoliepetitepoupéedel’autrejour.Puisilreprendd’untonplus
sérieux:Quiest-ellepourquevoussoyezenrognecommeça?—C’est pas tes oignons, t’as juste à savoir qu’elle est placée sous notre
protection.—Elle doit être bonne au plumard pour que des gradés desBlackRiders
débarquentici.Jem’approchedeluid’unpasmenaçant.—Vatefairefoutre,connard.—Sujetsensible,àcequejevois,répond-ilnarquois.—Faispaslemalin,danscinqminutestuvaschanteruneautrechanson.
—Quoi,vousallezmerefroidirpourunepetitepouliche?—Non,maistuvasnouspermettredefairepasserunmessageàtonclub.—Quiest?—Ne vous approchez pas de cette fille, ni de ce centre, il est sous notre
protection.Sionvousvoitrôderdanslesparages,vousêtesmorts.—Tuattisesdeplusenplusmacuriosité,mec.—Vas-y,Jace,onn’apastoutelajournée.
Jen’attendspasuneminutedeplusetlancemonpoingsurlamâchoiredu
Eaglespour lui faireravalersonrictus.Laréponsenesefaitpasattendreet letypem’envoieuncoupcontreleflanc.Souslecoupdeladouleur,monsoufflesebloquedansmespoumons.L’enfoiré!Sanslesavoir,ilvientdemefileruncouppileàl’endroitoùjemesuisprislecoupdelamel’autrejour.Mablessureestguérie,maisellerestesensible.
J’aiàpeine le tempsdereprendremesespritsqu’unautrepoings’enfoncedans mon estomac, puis un autre contre ma joue. Merde, Splinter s’est pasplanté,c’estunpro,cetype.
— Jace, rappelle-toi ce que je t’ai enseigné. Pense que ce salaud a osétoucheràcequit’appartient.
LeEaglesnotel’infoqueSplintervientdelâcher.—Jecomprendsmieux,maintenant,c’étaittanana.—Neparlepasd’elle.Laragecouledansmesveinesetlesvannessontouvertes.Jemedéfoulesur
le type et ne lui laisse pas une seule seconde de répit. Sous la violence desimpacts,ilsecourbedeplusenplusetessaiedeseprotégeraumaximum.Maisjecontinue.Dansmafrénésie,j’entendslecraquementd’osbrisés.J’ignoresiçavientdemamainoudesescôtes,maisjecontinueàmedéfouler.
J’envoieundernierdirectsoussonmentonetsatêtepartàlarenverse.Sousle choc, il part en arrière et tombe.Mespieds remplacentmespoings. Jevoisrouge,plusriennecompteàpartfaireintégreràcesalaudqu’ilafaitunegraveerreurens’enprenantàHayley.
Auboutd’unmoment,lavoixdeSplintertraverselebrouillardquiaenvahimonesprit:
—Çasuffit,Jace.Tuvasfinirparlebuter.J’envoie encoreunoudeux coups, je suis incapabledem’arrêter.Glacial,
Splinteressaiedesefaireentendre:—J’aiditstop!Splinterpassesesbrasautourdemoiettentedem’éloignerdemavictime.
Peuàpeu,jereprendsmesespritsetmonsouffle.Quandmonfranginsentquejemereconnecteàlaréalité,ildesserresapriseetmedemande:
—T’esderetourparminous?—Ouais,c’estbon,tupeuxmelâcher.—T’essûr?—Jet’aiditquec’étaitbon!Ilsedétachedemoietreculed’unpas.Ilobservel’hommeallongéausolet
secouelatête.—Putain,tul’aspasloupé.Ilvaavoirdumalàs’exprimerpendantquelque
temps.—Jem’enfous,ilaeuquecequ’ilméritait.— Au moins, avec la raclée que tu viens de lui refiler, il sait qu’on ne
plaisantepas.Ondevraitêtretranquillespourquelquetemps.Spidernousinterromptdepuislasalledebain.—C’estbon,lesmecs?Vousavezfini?J’enaimarredepoireauteravec
cettegarcequin’arrêtepasdemefilerdescoupsdanslestibias,c’estuneputaindetigresse.
Onsouritenentendant lavoixdésespéréedeSpider.Onquitte lachambrepour le rejoindre et le spectacle qui s’offre à nous vaut vraiment le détour !Spideralevisagegriffé,unedesesmainsestplaquéecontrelabouchedelafillepourl’empêcherdecrieretsonautrebrasl’enserrepourlamaintenir.Maisc’estunevéritablefurie,ellesedéchaînedanssesbrasetluidonnedescoupsdepied.
—Merde,frère,t’espasunbleu,pourquoitul’aspasattachée?—Et avecquoi, triple crétin ?Ya riendans cetteputainde salledebain
pourlafairesetenirtranquille!
—Ettonflingue,ilestpasassezdissuasif?Spiderafficheunairpenaudetjeremarquequesonarmeestàterreloinde
luidansuncoindelapièce.—Qu’est-cequ’ilfoutlà-bas?jeluidemande.—Cette salopem’abalancéde la laquedans lesyeuxetuncoupdepied
danslesparties…Jel’ailâché.—Ohmerde!—Lesgars,jevouspréviens,siunseuld’entrevousracontecettehistoire,
jenieraitoutenblocetm’occuperaidevotrecaspersonnellementpendantvotresommeil!
23
Jace
Cesoir,pourlapremièrefois,Hayleyvientpasserlasoiréechezmoi.Jemesens comme un adolescent avant son premier rendez-vous. Putain, j’ai mêmepassé un temps fou à nettoyer mon appart ! Si je continue comme ça mescouillesvontsetransformerenovaires.
Jejetteuncoupd’œilàl’heure,ellenevapastarderàarriver.Jerepenseàcesderniersjourset j’aienviedemepincerpourvérifierquejenesuispasaubeaumilieud’unrêve.Çafaitunmomentquejenemesuispassentiaussibien,maviecommenceàprendreunsens.Jenemeleurrepas,jesaisquetoutçac’estgrâceàHayley.En saprésence jeme sens serein, toutes les conneriesquimeprenaientlatêtes’estompent.
Nousavançonsdoucement,jelalaissemedécouvrirpourluiprouverqu’ellepeutmefaireconfiance.Lesdeuxnuitspasséesensembleontétélesmeilleuresde mon existence. Elle commence à s’habituer à mon contact et me laissemaintenantlaprendredansmesbrassanssursauter.C’estdeplusenplusdurderésister à la tentation de l’embrasser,mais je ne veux pas tout faire foirer. Jepréfèrelalaisserveniràmoi,commejeleluiaipromis.
AvecBrandonleminable,nousavonsétabliunetrêvetacitemaisjelevoisbiennoussurveiller,envoyerdesmessagesàHayleypoursavoirsitoutvabien.Detempsentemps,jelavoissoucieuse,maisjenesaistoujourspaspourquoi.Je
m’inquiète pour elle à cause des messages qu’elle reçoit, mais elle refusetoujoursdem’enparler.Jemedévoiledeplusenplusàelle,pourqu’ellesachequemoi aussi jeme traîne des casseroles,mais ça ne semble pas suffire pourl’inciteràmeparlerelleaussi.
La sonnette de l’interphone me sort de mes pensées, je lui donne lesinstructionspourparveniràmonétageetouvrelaported’entréepourl’attendre.Dèsquejelavoissortirdel’ascenseuretvenirversmoi,moncœurs’emballe.Elleporteunjeanquilamouleparfaitementetunpetitpullblanc.Jenesaispasenquoiestfaitsonpull,maiselleestà tomber.Elledonnel’impressiond’êtreenveloppéed’unnuage.Cettefillem’acomplètementcapturé,jamaisauparavantje n’avais prêté attention à ces détails chez une nana. J’aime sa simplicité, sabeauténaturelle.Lepirec’estqu’elleneserendmêmepascomptedupouvoirqu’elleexercesurmoi.
J’ancrefermementmespiedsausol,m’interdisantdel’approcherdepeurdefaire une connerie et de la faire fuir. Je la regarde avancer vers moi, de sadémarche aérienne.Elle ressemble à un chaton effrayé.Arrivée àma hauteur,ellem’adresseuntimidesalut.J’inclinelatêtesurlecôté:
—Monange,tuesmagnifique.—Merci.Jem’effacede laported’entréepour lui laisser lepassageet lui faissigne
d’entrer. Jene saispaspourquoi,mais le faitde lavoirchezmoi fait ressortirtousmesinstinctsprimitifs.Jeveuxlagardericietnejamaislalaisserpartir.Saplaceesticiavecmoi.Maconsciencemecrie«Mienne,cettefilleestmienne».
Pendantquejel’admire,elleobservemonappartement.—C’estsympacheztoi.Jenem’imaginaispastonintérieurcommeça.—Tut’attendaisàquoi?—Jenesaispas…Çafaitpastrop«repairedebikers».Jeluirépondssuruntonmoqueur:— Tu t’imaginais voir des posters de femmes à poil allongées sur des
motos?Sesjouessecolorent.J’adorelavoirrougir,çamefaitbander.
—Je…Oui…Enfin,peut-être.J’aimemonappart.J’aioptépourunstyleloftindustriel.Toutunpandemur
du salon est en briques rouges apparentes, les autresmurs sont peints en grisclair,etlemobilierestnoir.
— Assieds-toi, lui dis-je en montrant le canapé. Tu veux boire quelquechose?Vin,bière,eau?
—Duvin,c’estparfait.—Ok,jet’apporteçatoutdesuite.Jevaisdanslacuisineetattrapeunebouteilledevinrouge,jelaluimontre
et lui demande si ça lui convient. Elle acquiesce. Je lui verse un verre etmeprendsunebièrequejeboisàmêmelabouteille.
Quandjereviensverselle,elleestcomplètementcrispée,sesmainstriturentnerveusementlebasdesonpull.
—Détends-toimonange.N’oubliepas,c’esttoiquimènesladanse,luidis-jeenluitendantsonverre.
—Merci.Jenesaispaspourquoiellemeremercie,pourleverreoupourcequej’ai
dit.
Alors que nous buvons tranquillement nos boissons, un silence gênés’installeentrenous.Hayleyestcomplètementtétanisée.Jenesaispasquoiluidire pour la détendre, de peur de sortir une bêtise. La sonnerie du four nousdélivretouslesdeuxdecesilence.
—Lerepasestprêt.Ellemeregarded’unairétonné.—Tuascuisiné?—Ouaip.J’espèrequetuaimesleslasagnes?—J’adore…Jenesavaispasquetucuisinais.Jeprendsunegorgéedebièreetluirépondsavecunpetitsourireencoin:—Ilyabeaucoupdechosesquetuignoressurmoi.—C’estcequejevois.
Sa réflexion me ramène à des années en arrière. Je me revois le jour oùgaminj’ai touchéàunecasserolepourlapremièrefoisdemavie.Janiceavaitfui le foyer conjugal avecBeverly.À cemoment-là, Pops déambulait dans lamaison comme un véritable fantôme. J’en avaismarre des plats surgelés et lacuisine de sa régulièrememanquait.Un jour jeme suis pris enmain, enmedisantqueçanedevaitpasêtretrèscompliquédecuisiner.Bonsang,j’aipasséplusdedeuxheuresàessayerdeprépareruntrucenattendantquePopsrentreàla maison. Quand il a décidé de se pointer, la mixture infâme que j’avaispréparéeprenaitfeudanslefour.Popsaétérapideetaéteintlesflammestoutenproférant une flopée de jurons. Une fois venu à bout de l’incendie, il m’aobservécommes’ilvenaitderéaliserquejevivaistoujourschezlui.Alorsquejepensaisprendrelesoufflondemavie,iln’arienditetaquittélamaison.Jenesavais pas à quoim’attendre à son retour. Il est revenu deux heures plus tardarméd’unbouquindecuisineetd’unextincteur.Jemesouviendraitoutemaviede ce moment. D’une voix bourrue que je ne lui connaissais pas, il s’estexpliqué.
—Situveuxtelancerdanslacuisine,t’aurasbesoindeça.Àl’avenir,évitedefoutrelefeuàlabaraque.
Etc’estainsiquej’aiapprisàcuisiner,surletas,avecPopscommecobaye.Onenabouffédesplatsinfectsavantquejeneparvienneàfairecuireuntrucsans le cramer.MaisPops a fait commes’il s’en foutait, et sansbroncher il aavalétoutcequejeluiaipréparé.
Jereviensàl’instantprésentetdécidedemedévoilerunpeuplus.—C’estunepremièrepourmoi.—Lacuisine?—Non.D’inviterunefilledansmonappartetdeluiprépareràmanger.—Jesuisflattée.Nousreplongeonsdanslesilence.Sesyeuxbalaientlesalonetseposentsur
maguitarerangéedansuncoin.Ellelamontredudoigt.—Tusaisenjouer?
—Oui…J’enjouequandjeveuxmesortirtoutlemerdierquej’aidanslatête.
Elleacquiescecommesiellecomprenait.—Lamusiquem’aide aussi à exorciser certaines choses. Par contre je ne
saispasjouerd’uninstrument.—Jepourraist’apprendresituveux,c’estpascompliqué.—Pourquoipas!Son ventre se met à gargouiller et ses joues se colorent instantanément.
Décidément,j’adorelavoirrougir.Jelataquineunpeu,pourleplaisirdelavoirs’empourprerunpeuplus:
—Jepensequeçaveutdirequ’ilfautpasseràtable!
Contrairementaudébutdesoiréeunpeutendu,lerepassedéroulebien.Jesens qu’Hayley se laisse aller. J’aime sa façonde parler, j’aimevoir ses yeuxbrillerd’enthousiasmelorsqu’elleévoquelesgaminsouuntrucsursescopainsdefac.Elleacettepetitemanied’agiterlesmainsdanstouslessenslorsqu’elleracontelesanecdotes.Plusjeladécouvre,plusjesuiscaptivé.Jenesaismêmepascommentj’aipuvivresansellejusqu’àaujourd’hui.
Unefoislerepasterminé,nousdébarrassonslatabletouslesdeuxetfaisonslavaissellecommeunvéritablecouple.JeluiproposederegarderunfilmetdelalaisserenchoisirunsurNetflix.Ellemesouritmalicieusement.
—Tun’aspaspeurquejechoisisseunfilmdefilles?—Jeprendslerisque.Elleenlèveseschaussuresets’installeconfortablementsurlecanapé.Tout
en repliant ses jambes sous ses fesses, elle me fait signe de la rejoindre entapotantuneplaceàcôtéd’elle.Putain,lavoiraussiàl’aisechezmoimerendencoreplusdinguedecettenana.Jem’assiedsàcôtéd’elle,posemespiedssurla tablebassedevantmoietpassemonbrassur ledossierducanapé.J’espèrequ’elleacomprislemessage.
Elle hésite un instant, puis vient se pelotonner contremoi. Sa tête contremon épaule, sa petite main se place délicatement sur mon ventre, ce quim’envoieunedéchargedirecteversl’entrejambe.Jel’enlacedoucementdemon
brasetdel’autremaintracedepetitscerclesavecmonpouceàl’intérieurdesonpoignet.
Lefilmacommencé.Jenesaispascequ’elleachoisi,maisjem’enfous.Jemesens le roidumondeavecHayleydans lesbras. J’aicomplètementcraquépourelle.
Jefixelatélésansvoirlefilm,jesuistellementconcentrésurelle,sursonparfum, sur ses cheveux quime chatouillent la joue, sa poitrine qui se gonfledoucementàchacunedesesinspirations.
Auboutd’unmoment,ellerelèvelatêteversmoi,jesenssonsoufflechaudcontremajouelorsqu’ellemechuchote«merci».Jebaisselatêteversellepoursavoir pourquoi elleme remercie, mais lesmots ne peuvent pas sortir demabouche.
Jemefigeàlavuedesonvisagesiprochedumien,deseslèvresàquelquescentimètres des miennes. Nous sommes si proches que nos souffles semélangent.Jebloquemarespiration,m’admonestantdenepasbougeretdenepas franchir cette distance à la fois infime et incommensurable. Je prie le cielpour qu’elle décide de franchir cet espace. Je lui ai promis que c’est elle quimenaitladanse.Maisputain,c’estdifficiledetenirunetellepromesse.
Je la vois déglutir et son visage s’approche lentement du mien. Je suissubjuguéparseslèvres.Ehlà,Seigneur!Pourlapremièrefoisdemavie,monvœu est exaucé. Ses lèvres se posent enfin sur les miennes. Ce n’est pas unbaiserprofond,c’estplusuneffleurement,commelacaressed’uneplume.Maispourmoi,c’estleplusbeaubaiserdetoutemonexistence.C’estledéclicdansmatête,Hayleym’acomplètementcapturé.Ellearavimonespritetmoncœur.Et je réalise soudainque je suiscomplètement fouamoureuxd’elle.Et leplusbeau,c’estqu’aulieudeflipper,unsentimentdebien-être,deplénitudeenvahitmoncorpsetmonesprit.Jesuisenpaix.J’aitrouvécequ’ilmemanquait.Ellereculeunpeu,sesyeuxsondantlesmiens.Lessiensexprimentledésirmélangéàunpeud’appréhension.Jenereconnaispasmavoix,devenuerauque,lorsquejeluichuchote:
—Jevaisjusteposermamainderrièretanuqueett’embrasserànouveau,d’accord?
Avant d’effectuer le moindre geste, j’attends un signe de sa part medemandantdecontinueroud’arrêter.Jelavoishocherlatêteimperceptiblementpourmedonnerlefeuvert.Moncœursegonflecarsonacceptationm’indiquequ’elle me fait confiance. Peut-être pas entièrement, mais nous venons defranchiruneétapeimportante.
Je pose délicatement ma main derrière sa nuque et effectue une légèrepression pour amener son visage vers le mien. Nos souffles se mélangent ànouveau, je pose d’abordmes lèvres sur le coin de sa bouche, toujours en lafixant.Nedécelantaucunetracedepanique,jeposeànouveaumeslèvressurlessiennes,jelabutinedoucement,pourluidonnerconfiance.
Ensentantsoncorpssedétendredansmesbras,jedécided’approfondirunpeuplus,etmonbaisersefaitplusexigeant.Jesors lapointedemalangueetcaressed’abordsalèvresupérieure,puisjelapassesursalèvreinférieure.Ellepousse un léger gémissement. Je dois me concentrer pour ne pas lui sauterdessus.Cettenanamerenddingue.
J’introduisendouceurmalangueentreseslèvrespourluifaireentrouvrirlabouche.Etenfin,lapointedemalanguerencontrelasienne.Jesuisauparadis.
Sabouchealadouceurdumiel,plusjamaisjenepourraim’enpasser.Rienquecesimplebaisermefaitbandercommeunmalade.Jemereculeunpeupourlaisserdel’espaceetessayerdemecalmer.Jeprendssonvisageencoupeentremesmains,posemonfrontcontrelesienetd’unevoixrauqueetcomplètementessoufflée,jeluidis:
—Monange.Qu’est-cequetum’asfait?Jeposemeslèvrescontresonfrontetpoursuis:—Mercipourtaconfiance.Savoixestàpeineaudiblelorsqu’ellemerépond:—Merciàtoidemelaisseralleràmonrythme.—Nemeremerciejamaispourça.Oniratoujoursàtonrythme.
Mon cœur se serre en l’entendant me remercier. Le soulagement dans savoix me fait l’effet d’un coup de poignard, parce qu’à cet instant je suisconvaincuqu’onluiafaitdumaletdelapiredesfaçons.Jeneveuxmêmepasprononcermentalement lenomdecetacte ignoble.Mais jesaisexactementcequ’onluiafaitettoutcequej’espère,c’estquejevaiscroiserlechemindecesalaudetluiréglersoncompte.
24
Hayley
Quelques jours se sont écoulés depuis que Jace et moi nous sommesembrasséspourlapremièrefois.Jemesensdeplusenplusàl’aiseaveclui,unepetite lueur d’espoir s’est rallumée enmoi. Je passe la plupart demon tempslibreaveclui.Pour lemoment jesuisdanssacuisineetprépareunedeuxièmefournéedecookiespourlesenfantsducentre.Jeleuraipromisd’enapportercetaprès-midi.J’aichoisideleurfairemespréférés:ceuxauxpépitesdechocolatetauxnoixdepécan.Jaceadéjàmangéplusdelamoitiédelapremièrefournéeàluitoutseul.Jesourisenrepensantauplaisirqu’ilaeuenlesdégustant.
Alorsquejesuisentrainderemuerlapâte,jesenssaprésencederrièremoi.Son torse touche mon dos. Une de ses mains se pose délicatement sur mahanche. De l’autre, il dégage les cheveux de mon cou, les ramenant sur uneépaule.Jepenchelatêtesurlecôtépourluioffrirunmeilleuraccèsetfrissonnedeplaisiraucontactdeseslèvressurmapeau.Jem’adossecontrelui,fermelesyeux et pousse un petit soupir d’aise. Il cale sonmenton surmon épaule, sesmainstoujourssurmeshanches,etmedit:
—Tucroispasquet’enassuffisammentpréparé?—Vuquetuenasdéjàmangélamoitié,non.Ilm’embrassesurl’épaule,attrapeunautrecookiedansl’assietteprèsdelui,
contournelecomptoirdelacuisineets’installesuruntabouretenfacedemoi.Jevoisleplaisirsereflétersursonvisagelorsqu’ilcroquedanslegâteau.
—Putain,monange,tescookiessontunappelàlaluxure.Oùas-tuapprisàlesfaire?
Je me crispe en entendant sa question. J’essaie de rester stoïque tout enajoutantlesnoixdepécanàlapâteetcontinueàlaremuerconsciencieusement,le temps de réfléchir à une réponse. Cette simple question, qui demande uneréponsesimple,meramèneàmonpassé.
Jusqu’à l’âge de quatre ans,ma vie était belle, je vivais dans une familleheureuse, normale.Mesparents s’aimaient et j’étais leur princesse.Et puis unjour,jesuistombéemalade.Lemédecinestvenuetm’aauscultée.Unegrippe.Unemaladiedesplusbanalesdenosjours.Quelquesmédicaments,unesemaineaulitetonn’enparleplus.Seulementcettefois-ci,elleatuémonpère.Jem’ensouviens parfaitement, jeme suis réveillée unmatin avec une forte fièvre. Ledocteur en repartant a donné une ordonnance à mon père, qui a enfilé sonmanteau, est venudansma chambre,m’a embrassée sur le front et a quitté lamaison.Mais il n’est jamais revenu.À sa place, ce sont des policiers qui ontsonnéàlaporte,nousannonçantsamort.Unbraquagequiamaltourné,ilétaitaumauvaisendroitaumauvaismoment.
Moi, tout ce que j’attendais, c’était que mon papa revienne avec lesmédicamentsetcontinueàm’appeler«Princesse».Maisiln’estjamaisrevenu,pluspersonnenem’aappeléePrincesse,etj’aicomprisbrutalementcequ’étaitlamort.C’estd’ailleursunpoisonquis’estinstillélentementenmoi.Ilnem’apas tuée sur le coup, commemonpère,mais il couledansmesveinesdepuis,commeunmalincurable.
Brandonetsafamillehabitaientlamaisonàcôtédelanôtre.Samèrevenaitsouvent chez nous pour réconforter la mienne. Et il l’accompagnait toujours.Nousmontionsdansmachambreetjouionsauxpoupées,auxcow-boysetauxIndiens.Tous lesmercredisaprès-midi, j’allaischez lui.Samères’occupaitdenous.Moi,lamiennenes’estplusjamaisoccupéedemoidepuislejouroùj’aiattrapé la grippe. Elle neme regardait plus comme sa petite fille. Son regardavaitchangé,ilétaitvoilédetristesseetdemélancolie.
Jusqu’àmesquatreans,j’aiconnul’amourdemesparents.Aprèsmesquatreans, j’ai connu l’absence de mon père et l’indifférence de ma mère. Ça acommencé demanière insidieuse.Moi-même je nem’en rendais pas compte.Mais j’étais de plus en plus souvent chez Brandon. Notre rituel du mercrediaprès-midiétaitdefairedelapâtisserie.C’estcommeçaquej’aiapprisàfairedes cookies, dans sa cuisine, avec samère. Lamienne s’enfonçait de plus enplus dans l’alcool. À six ans, je lui ai demandé pourquoi elle buvait toujoursautant.Unequestionsimple,quiachangéàjamaismafaçondevoirmamère.Jeme souviens de ses paroles : « Pour oublier que tu existes, que tu as tué tonpère».Jeneluiaiplusjamaisparlédel’alcool.
Les parents de Brandon nous invitaient souvent chez eux, pour nousremonter le moral et nous soutenir. J’aimais aller chez eux, car j’avaisl’impressionderetrouvermamère.Ellefaisaitcommesitoutétaitnormal.Saufquepersonnenesavaitcequ’ilsepassaitàlamaison,unefoislaportefermée.
Lorsquenoussommesenfants,nosparentssontnotreréférencedanslavie,notrepointd’ancrage.Nousvoulonslesimiter.Moi,jen’aijamaisvouluimitermamère.Lorsqu’on est enfant, on croit ce quenous disent les adultes.Alors,danssesmauvaisjours,quandelleavaittropbuetqu’ellemedisaitquesavieétaitgâchéeàcausedemoi,quelamortdemonpèreétaitmafaute,jel’aicrue.C’estpourçaquejel’ailaisséemedétruireàpetitfeu.Quejelesailaissésmedétruire.Jen’airienditàpersonneparcequemamanm’aditquetoutétaitmafaute.Etpuisun jour, jesuismorteunpeuplus.C’est le jouroù luiestarrivédansnotremaison.Maisça,jeneveuxpasyrepenser.Jeveuxenfouircejour-làjusqu’à l’oublier. Je suis adulte,maintenant, alors jepeuxmentir.Mais je saisquejememensàmoi-même,carjenel’oublieraijamais.
—Monange?LavoixdeJacechassemespenséessordides, jevoisson regard inquietet
tentedelerassurerd’unsourire.Jenesaispassic’estlefaitd’avoirrepenséàtout ça, mais je lui livre une part de moi-même, les vannes s’ouvrent et jecommence à lui raconter une part de mon histoire d’une voix lointaine etmonocorde,toutendisposantlapâteàcookiessurlaplaque:
—C’estlamèredeBrandon.C’estuneexcellentecuisinière.C’estellequim’atoutappris.
Il reste silencieux, attendant la suite, car il comprend que je suis prête àm’ouvrirunpeu.
—Monpèreestmortquandj’étaisjeune.Mamèrenel’apassupportéetanoyésonchagrindansl’alcool.
Contrairementàceque jecraignais, Jaceneme regardepasavecpitié.Saréactionm’encourageàpoursuivre.Etjeluiracontetout.Depuislejourdudécèsdemonpère,jusqu’àmesdixans.C’estàcetâge-làqu’ilestentrédansmavie,dansmamaison,dansmachambre.Maisça,jeneledispasàJace.Jelegardepourmoi.Peut-êtreunjourserai-jecapabledetoutluidire...
25
Jace
C’estsamedisoir,jetourneenrondcommeunlionencagedansmonappart.Jerepenseàlaconversationquenousavonseue,Hayleyetmoi.Onavance,touslesdeux,elleacommencéàselivrertoutdoucement.Jesaisqu’ellenem’apastoutraconté,lepiren’apasétédit.Ellenem’atoujourspasparlédeceluiquiluienvoiecesmessagesetnem’apasditsielleenareçud’autres.Unlienfortsetisseentrenousetjesuisheureuxqu’ellecommenceàs’ouvrir,maisenmêmetemps ça me fout la trouille. J’ai peur de merder le jour où elle me feraentièrementconfiance.
Jeprendsl’habitudedepassermessoiréesavecelle,maiscesoir,Hayleyestavecsesamis.EllepasselasoiréeàunefêtedefraternitéàlaquelleBrandonl’aconvaincuedeparticiper.
Jedeviensfou.J’imaginemonangeaumilieudetouscesmerdeuxessayantde la séduire. J’ai confiance en elle,mais pas en eux. L’image de « cheveuxgominés » bavant sur elle me revient en mémoire. Mon sang bout dans mesveinesetlaragem’envahit.Pourlapremièrefoisdemavie,j’aipeur.Peurdelaperdre.Etjeprendsréellementconsciencedufosséquinoussépare.Nosstylesdeviesontcomplètementdifférents.Jesuisunbiker,jefaispartied’unclubdemotards, jeporte lesécussons. Jenesaispassiellevaacceptercette façondevivre.Mavie,jel’aidéjàentamée,lasiennenefaitquecommencer.D’ailleurs,nousn’avonspasréellementdéfininotrerelation.Pourmoi,c’estclair,c’estma
nana.Jesaisqu’unjourjeluidemanderaid’êtremarégulière.Maispourelle,jesuisquoi?Unpasse-temps?Unehistoiredejeunesse?Pourlemomentelleestabîmée,mais le jouroùelle seraguériede sonpassé,queva-t-elle faire?Mequitter?Setrouverunautremec,semarieraveclui,s’acheterunemaisonavecuneclôtureblancheetfairesesdeuxgossesetdemi?
Mon estomac se noue en pensant qu’elle pourrait me quitter. J’ail’impression d’étouffer dansmon appart. Je ne sais pas quoi faire. Je n’ai pasenviedemerendreauclubpourentendremesfrèresraconterleursplanscul,jen’aipasenviedevoirlatronchedesbrebis.
Putain! J’espère aumoins qu’Hayleypasse unebonne soirée. Je sais queBrandonleminableva lasurveiller,maissiunmecvient l’emmerder?Siellefaitencoreunecrise?
Je fixemon téléphone quime nargue sur la table basse devantmoi, je leprends dans les mains, mes doigts me brûlent, j’ai envie de lui envoyer unmessage, histoire de me rassurer. Mais elle va croire que je ne lui fais pasconfiance.Jeneveuxpasl’étouffer.Alorsjereposemonportable.
Mes yeux tombent sur ma guitare, c’est Pops qui m’a appris à en jouerquandj’étaisgamin.Çafaitunmomentquejen’enaipasfait.J’aitoujourseudeuxfaçonsdem’évaderpourm’éclaircirlesidées:lamotoetlamusique.Jelaprends et commence à jouer quelques notes. Mes doigts s’agitent et je jouePlateau deNirvana. J’en suis à lamoitiéde la chansonquand jem’arrête.Cen’estpasunebonneidéecettechanson,ellemefoutlecafard.
Pour la première fois de ma vie, je ne trouve pas l’apaisement dans lamusique.Jeposemaguitareàcôtédemoietmeprendslatêteentrelesmains.Jesuiscomplètementpaumé.Ilfautquejesorted’ici,sinonjevaiscraquer,faireuneconnerieetleregretter.
J’enfilemonblouson,prendsmesclefsetparspourleclub.Jenevoulaispasyaller,maisvoirmesfrèresetPops,çavam’aérerl’esprit.
Lorsquejefranchislesportesduchapitre,jeconstatequelasoiréeestdéjàbienentamée.Jesuisfrappédepleinfouetparlachaleurquirègneàl’intérieur.
Uneodeurlourdem’attaquelenez,mélangedesueur,d’alcooletdetabac.Touslessoirs,c’est lamêmescènequise joue,mes frèrescomplètementbourrésetdesbrebisenmanquedesensationsfortesgravitantautourd’eux,dansl’espoirdesefairesauter.Direquej’aibaiséaveclaplupartd’entreelles.Quandjelesregarde, je me demande comment j’ai pu. Tout chez elles semble faux : leurpoitrine, leursourire, lacouleurde leurscheveux.Encomparaison,Hayleyesttellementpure,etnaturelle.
Je me dirige vers mes frères, évitant au passage les mains baladeuses decertainespouffes.J’ail’impressiond’êtredépassé,j’aipluslegoûtpourtouscestrucs.Jem’affalesurunedeschaisesàlatableoùSpider,SplinteretLuckysontassisetleurlance:
—Salutlesgars!Spidermeregarded’unairnarquois:—Tiens,unrevenant!Jecommenceàmecrisper,leregarded’unairassassin.—Qu’est-cequetusous-entends?— Bah, depuis quelque temps, faut dire qu’on te voit plus trop dans les
soirées.Jen’aipasenviedeleurparlerd’Hayley.Pasencore.Jeveuxlagarderdans
la bulle de bonheur que nous nous sommes créée tous les deux. C’estcomplètement con de ma part car tous connaissent son existence et la placequ’elleesten traindeprendredansmavie.Maissi jeveuxêtrehonnête,c’estsurtoutquejeredoutelemomentoùelledécouvriracettepartiedemoi,cellequiappartientauclub.J’aipeurqu’àcemoment-là,lavéritéluiéclateauvisageetqu’ellesedécideàouvrirlesyeuxsurquijesuisréellement.
—J’aid’autreschosesàfaire.Ilricane.—Ouais,c’estça.Çan’auraitpasplutôtàvoiravecunepetiteblondinette?—Qu’est-cequeçapeuttefoutre?Spiderlèvelesmainsensignedereddition:—Oh,oh,onsecalme.Onseposejustedesquestions,c’esttout.—Ouaisbah,tuferaismieuxdelafermer.
Luckyintervient.—Putain,mec,calme-toi.—Désolé,j’suisunpeuàcrancesoir.Jesensunemainseposersurmonépauleetsefaufilerlelongdemontorse.
Unevoixdoucereusememurmureàl’oreille:—Salut,monchou.Tum’asmanqué.J’attrape cette main et la fais dégager tout en me retournant vers sa
propriétaire.D’unairdégoûté,jeluibalance:—Dégagedelà,Cherry.Sonvisageafficheunairpeiné,qu’ellemasquerapidementsousunsourire
faux.—Qu’est-cequet’as?Tun’asjamaisfaitledifficilejusqu’àprésent.—Vatefairesauterparunautre.Jesuispaspreneur.Elleseraiditets’apprêteàfairedemi-tourquandSpiderluilance:—Restelà,moij’suispreneur.Elle semetàdandinerducul jusqu’àSpideret s’assoit sur sesgenoux. Je
suisdégoûtéparcettescène.Splinter, qui était resté silencieux jusqu’à présent, m’observe d’un air
songeur.Sonattitudememetmalàl’aisealorsjeledéfieduregardpourluifairecomprendrequecen’estpaslemomentdevenirm’emmerder.Apparemmentilcapte lemessageque j’essaiede luienvoyercar ilhoche imperceptiblement latêteet avaleunegorgéede sabière.Cependant,mon répit estdecourteduréecar,toutenreposantsabouteille,ilfinitparm’adresserlaparole:
—Viensmefileruncoupdemain.Mabécanefaitunbruitbizarredepuisquelquetempsetj’aibesoindetonavis.
Jenesuispasdupedesatentative.Endistinguantmonairméfiant,ilsecouelatête:
—Tu sembles être sur le point de faire une connerie : bricoler va t’aérerl’esprit.
Jelesuistoutenluiaccordantlebénéficedudoute.Jetentedemerassurercommejepeux,Splintern’estpasdugenreàvenirfouinerdanslesaffairesdesautres.Ilalaréputationdumecquirespectelesfrontières,ilconnaîtmeslimites
et surtout je connais les siennes. Lui aussi cache des choses sur son passé, etcommeilneveutpasqu’onl’emmerdedessus,ilfaitlaplupartdutempsprofilbas.
Nous rejoignons l’atelier attenant au club sans qu’aucun de nous neprononcelemoindremot.Quandnouspénétronsdanslegarage,ilsedirigetoutdroitvers l’établi sanssepréoccuperdemoietprendquelquesoutils.Demoncôtéjevaisverssabécane.Alorsqu’ilrevientversmoi,jeluidemande:
—Qu’est-cequ’ellea?—Jesaispastrop.Jetrouvequelemoteurnechantepascommed’habitude.
Jevoudraisavoirtonavis.J’aipasenviedemeretrouverplantésurleborddelarouteaumilieudenullepart.
—Ouais,çam’estarrivéunefoisd’êtreenradecommeunconsansaucunecivilisation autour demoi. C’était pas une partie de rigolade. Démarre-la quej’écoutelemoteur.
Splinter contourne samoto et appuie sur le contacteur. Immédiatement lebruitdumoteuremplitlehangar.J’aimeentendreceson,çametransporte.Pournous,c’estlaplusdoucedesmélodies,alorsquepourlesnon-initiésc’estjusteun vacarme sans nom. J’écoute quelques instants et il ne me faut pas bienlongtempspouravoiruneidéesurl’origineduproblème.
—C’estbon,tupeuxcouper.Jecroissavoird’oùçavient.Le silence se fait instantanément. Je m’agenouille près de sa bécane et
remarqueaupassage lesnouveauxmotifssurson réservoird’essence. Jesiffleentremesdents.
—Joliboulot.—Ouais,jel’aifaitcustomiserparleRusse.Cetypeadesdoigtsenor.—J’envisageaussideluiconfiermabécane,maisjesuispasencorefixésur
cequejeveuxfaire.—Fautprendresontempspourcestrucs-là.Enattendant,tudevraismettre
unprotège-potsurtabécane.Unjouroul’autrelapetitevasebrûler.
Nous y voilà… Je me suis trompé sur son compte, ce soir il décide defranchirlafrontière.
— Jemedemandais combien de temps ça allait te prendre pourmettre lesujetsurletapis.
—Jevaispas le faire, frangin. Je saisque t’aspasenvied’enparler et jerespecte.
J’attrapeuneclefetluijetteuncoupd’œildubitatif.—Ettoi,t’aspasquelqu’undansleviseur?Splinters’esclaffe.—J’aidéjàdonnéetj’aipasenviederemettrelecouvert.Étonnéparcequ’ilvientdemedire,jem’interromps.—J’étaispasaucourant.—C’est de l’histoire ancienne.C’était bien avant d’intégrer le club. Seul
Popsestaucourant.Jevoisbienàsonairqu’iln’apasenviedes’étendreplussurlesujetalorsje
laissetomber,maisSplinterreprend:—Écoute,Jace…Jericaneetlecoupe:—Tuvienspasdemedireàl’instantquet’allaispasenparler?—Toutcequejeveuxtediredemonexpérience,c’estquesitupensesque
c’estlabonne,fonce!Teprendspaslatêteavectoutlereste.Sielletientàtoi,elleferaabstractiondetaviedansleclub.
—Jesuispasaussicatégoriquequetoi.File-moilaclefdehuit.—L’avenirteledira…Ilattrapecequejeluidemandeet,toutenmetendantl’outil,ilpoursuit:—Justeunedernièrechoseetaprès j’arrête : tu tebatscontre l’inévitable,
elleconnaît laplupartd’entrenous,c’estunecopinedeBevet lesnanas,c’estbienconnu,ellesparlententreelles.Donc,quoique tu fassesetdises, elleestdéjàplusoumoinsaucourantdetaviedansleclub.Elleestpasidiote,ellet’avudanslaruelleavecletypeducartel,ellesaitdéjàquet’espasunenfantdechœuretelleesttoujourslà.Apprendsàfaireconfiance.
Mon téléphone vibre dans la poche demon blouson. Je l’attrape et lis lemessage:
**Hayley:Soiréesympa,maistaprésencememanque.H.**Obnubiléparcesquelquesmotsj’enoubliepresquelaprésencedeSplinter
près demoi. Je luimanque ! J’ai l’impression quema poitrine se libère d’unpoids.Instinctivement,j’aienviedeprendremaHarley,delarejoindreetdelaramenerà lamaison.Une lueurd’espoir se ranimeenmoi,peut-êtrequepourelleaussinotrehistoireestsérieuse?Ilfautvraimentqu’onmetteleschosesaupoint,elleetmoi.
**Jace:Tumemanquesaussimonange.J’aienviedetevoir.Bakers**JesigneBakersetnonJace. J’aimequandellem’appelleBakers.C’estun
trucentreelleetmoi.Nousnel’avonspartagéavecpersonne.**Hayley:Viensmechercheralors…**Ellemeréclame!C’estfou, ilyacinqminutes, jemesentaiscommeune
merde, etmaintenant, à la lecture de ce simplemessage, jeme sens le roi dumonde, le mec le plus chanceux qui a remporté le jackpot. Les paroles deSplintercommencentàfaire leureffetsurmoi.Après tout, iln’apeut-êtrepastort…
Je n’hésite pas une seconde, je lui réponds tout de suite. Ça fait pasmecviril,maisjem’enfous,parcequ’Hayleymeréclamealorsjevaislaretrouver.
**Jace:J’arrive.Àtoutdesuite.**
Sansplusattendre,jemerelève.—Désolé,frangin, ilvafalloirreporter lesréparationsdetabécaneàplus
tard.Pas la peine que je lui donne plus d’explications, le sourire niais que
j’afficheestsuffisammentparlant.Pourtouteréponse,Splintermebalanced’unairentendu:
—Filelarejoindreetpenseàcequejet’aidit.
28
Hayley
DepuismonarrivéeenCalifornie,mavieprendunetournurepositive.Elleme semble en tout cas moins chaotique. Brandon est toujours présent et mesoutientcommeaupremierjour.Mesamism’aident,sanslesavoir,àoserêtremoi. Ma relation avec Jace me permet de trouver un semblant d’équilibre etd’espérer qu’un jour je pourraime libérer définitivement des chaînes demonpassé.Toutescespersonnessontlespiliersd’unebulledebonheurquimenaced’éclater d’un instant à l’autre. Je me bats pour ne pas la faire disparaître,colmate toutes les fissures que je vois apparaître pour continuer à m’enenvelopper.Maismes tentatives sont vaines.Dèsmon réveil, je suis ramenéedansmonancienneviedemanièrebrutale.
C’estladatefatidique.Celleoùmonpirecauchemarvaêtrelibéré.Celafaitune semaineque jenedorspresqueplus. Jace sedoutedequelquechose. Il aremarquélescernesquejemetraînesouslesyeux.Mêmes’ilnemeditrien,ilestsoucieux.Brandonestleseulàsavoir.Ilveillesurmoi,guettantlemoindresigne de faiblesse dema part. Il a peur que jem’effondre à nouveau. Il étaitprésent,lejourdel’annoncedelacondamnation.J’entendsencorelesparolesdemonbeau-père chargéesdemépris. Je revois la fureur et la démencedans sesyeuxlorsqu’ilacrachétoutsondégoûtenm’insultant :«Petitegarce,salope,comptetesjourscarlorsquejesortirai,tunepourraspastecacheretjeteferai
vivre un enfer ! Personne ne sera là pour te protéger, je te traquerai et tedétruirai.»
Cettevoix, cesyeux. Il y avait une sombrepromessedans ce regard.Unelueurdefoliemeurtrièrel’habitait.Àcettepensée,unfrissonglacémeparcourtlecorpsetmonestomacserévulse.
—Hayley,çava?LavoixdeBrandonmetiredemespenséessordides.Noussommestousles
deux à la cafétéria de l’université pour notre rendez-vous matinal quotidien.J’essaiedeluifaireunpetitsourire,maisilneselaissepasconvaincre.Ilarrivetoujoursàlireenmoi.Ilmeconnaît,ilsaitcommentjefonctionne.
—Bof…Tusaisqueljournoussommes?—Oui,jesais.—J’aipeur…Aux tremblements de ma voix, je me déteste. J’ai l’impression d’être à
nouveaucettepetitefilleterrorisée.Brandons’enaperçoitetmeprenddanssesbras. Jeme laisse aller contre lui et profite de sa chaleur pourm’apaiser. Sonmentonestposésurledessusdematête.
—Ilnepourrapas te retrouver.Tuesde l’autrecôtédupayset jesuis làpourteprotéger.
—Jesais.Memaintenanttoujourscontresontorse,ilsedécalelégèrementetmefixe
duregard.—Viens,aujourd’hui,onsèchelescours.Jet’emmèneenbalade.—Onvaoù?—Àlaplage,j’aitrouvéunecriquesympa.Àl’abri,loindetout.J’hésiteunefractiondeseconde.—Ok.De toutefaçon jecroisque jenepourraipasmeconcentrersur les
coursaujourd’hui.Brandonattrapemamainetnousnousdirigeonsverssavoiture.Jelelaisse
me guider, j’agismécaniquement. Il m’ouvre la portière et jem’assois sur le
fauteuil passager. Je le regarde ensuite s’installer derrière le volant, insérer laclefdanslecontactetdémarrerlemoteur.Ilsetourneversmoietmedit:
—Tudevraist’attacher,GlitterGirl.Jeluiobéisettournemonvisageverslafenêtrepourprofiterdupaysagetout
lelongdutrajet.Jeneveuxpenseràrien.Brandonrespectemonsilence.Unsillons’estforméentresessourcils,signe
qu’il est inquiet lui aussi. Je ne sais pas ce que j’ai fait pour le mériter,heureusement qu’il est là. Sans lui je ne serais jamais parvenue à remonter lapente.Jen’enaipasencoreatteintlesommet,maisj’enaiparcouruunebonnepartiegrâceàlui.
Nousarrivonsàdestination.Brandonaraison,cettecriqueestunvéritableparadis.Elleestàflancdefalaise,entouréederochersquenousdevonsgravirpouraccéderàlaplage.Toutyesttellementpaisible.Lesressacsdelamersontassourdissantsmaislibèrentuneénergieenivrante.J’ail’impressionqu’ici,riennepeutm’atteindre.
Brandondéposedesserviettessurlesableprèsdesrochers,tapoteuneplaceàcôtéde luietm’inviteà l’y rejoindre.Unefoisque jesuisassise, ilm’attirecontre luidesortequemondossoitcontresapoitrineetm’enlacedesesbrassécurisants.Nousrestonssilencieuxpendant longtemps,chacunperdudanssespensées,faceàl’océan.Lesmiennesvontinexorablementversmesdémons.
—Tusaisquejeteprotégeraitoujours,GlitterGirl.—Jesais.—Toujours.—Toujours.—Tupensesàquoi?—Àlanuitoù tum’assauvée.ÀlachansondePink.Auxparolesque tu
m’asdites.Jelèvelégèrementmatêteverssonvisageetluidemandes’ils’ensouvient.—Oui,c’estàpartirdecejour-làquej’aicommencéàt’appelerGlitterGirl.—Oui. Je t’ai demandé simoi aussi j’allais un jour pouvoir connaître la
puissance de ces sentiments, si je parviendrais à faire à nouveau confiance à
quelqu’un.—Etcesoir-làjet’airépondu:«Chaquepotasoncouvercle.Enattendant
quecejourarrive,jeseraitoncouvercle,jeseraitoujourslàpourtoi,maGlitterGirl.»
—Oui,ettuestoujourslà.Lesilences’installeànouveauentrenous.—Brandon?—Hum…—Tucroisqu’ilvameretrouver?—Jenesaispas,mapuce.—J’aipeur.Jenetel’aipasencoredit,maisilm’aenvoyédeuxmessages.Ilseraiditinstantanément.Lorsqu’ilprendlaparole,savoixestchargéede
reproches.—Pourquoitunem’asriendit?C’étaitquand?—Lepremier,quandj’aifaitmacrisedepaniqueavecJace,ledeuxième,le
soirdumatchdefoot.Ilm’éloigneunpeudelui,sonvisageestàlafoisanxieuxeténervé.—Merde,Hayley,ilfautmedirecegenredechoses.Commentjesuiscensé
teprotégersijenesaispasqu’ilyaundanger?Montre-moilesmessages.—J’aisupprimélepremiermessage.Jenevoulaispasprendrelerisqueque
Jaceledécouvrequandj’aifaitmacrise.Je lui tendsmonportablepourqu’ildécouvre le textopar lui-même.Àsa
lecture,sonvisagesecrispe,ilsiffleentresesdentsetlâcheun«lesalaud!».—Peut-êtrequetudevraisenparleràJace!Mêmesiçamefaitmaldele
dire,luietsabandedecopainspourraientteprotégers’ilteretrouve.— Il est au courant pour les messages, mais il ne sait pas pour lui. Ni
pourquoi je les reçois. Jeneveuxpasqu’ildécouvremonpassé,qu’il sacheàquelpointjesuissalie.
— Tu n’es pas salie. Tu es courageuse, merveilleuse. Tu te préoccupestoujoursdesautres.
—Jeneveuxpasqu’illesache.
—Maissiçadevientsérieuxentrevous,ilvafalloirluidire.Ilaledroitdelesavoir.
—Jenemesenspasprête.J’aicommencéàluiparler.Jeluiairacontélamort de mon père, ma mère, son comportement. Mais il ne sait pas pour lereste…
—Jepensequ’ilsedoutequ’ilt’estarrivéuntruc.—Jesais.Ilpeutsedouterd’unepartie,maispasdetout.—Jemesentiraisrassurédesavoirquejenesuispasleseulàteprotéger.
J’aitoujourspeurdenepasêtrelààtemps,siçadevaitseproduire.—Jevaisyréfléchir.—Promets-le-moi.—Jetelepromets.
29
Jace
Jemesersuncafédanslacuisineetrepenseauxquelquesjoursquiviennentdes’écouler.QuelquechosenevapasavecHayley.Moninstinctmeleditetilnes’est jamaisplanté.Depuisquelque temps,ellemeparaîtdistante,elles’estenferméedanssonmonde.Jesaisquecen’estpasnotrerelationqu’ellemetendoute,mais il y a un truc qui la préoccupe. Brandon leminable lui aussi estinquiet. Il la couvedu regard, est attentif à chacunde sesgestes. Ilmedonnel’impressiond’êtreà l’affût,prêtàbondiraumoindresignededanger.Ilne laquitte pas d’une semelle. Ils ne disent rien mais je les vois s’échanger desregards, s’envoyer des messages. Cette connivence entre eux m’agace, je mesensmisàl’écart.Untrucgraveestentraindeseproduire,maisilssetaisent.Çamefouthorsdemoi. Jesaisque jepeux l’aider,maissiellecontinueàsetaire,jerisquedefaireuneconnerie.
Moninterphonesonne.CedoitêtrePops, ilm’aappelépourmedirequ’ilpassait, il a des informations àme donner. Je lui débloque la porte du bas etl’attends.Àpeineest-ilentrédansmonappartqu’ilentamesanspréambule:
—J’aidesnouvellespourtoi,fils.Merde,jen’aimepasquandPopsaffichecevisagegrave.Çasignifiequece
qu’ilaàdiren’estpasbon.Jem’attendsaupire.—Quellesnouvelles?jeluidemanded’untonanxieux.
—LesgarsdelacôteEstm’ontcontacté.Jeretiensmonsouffle,lemomenttantredoutéestarrivé.—Ilsdisentquoi?Pops secoue la tête, se passe une main nerveuse sur le visage. Je l’ai
rarementvudanscetétat.— Putain… Ce n’est pas une valise qu’elle traîne derrière elle, c’est un
wagon.Je serre les poings, les muscles de mes épaules se contractent. Une rage
sourde commence à monter en moi. Je la sens frémir sous ma peau, prête àsurgir.
—Quoi?—Tunevaspasaimer.Mêmemoi,j’aienviedetuer.Jesuisausupplice,Popsn’apaspourhabitudedeprendresontempscomme
çaavantdelâcherunebombe.Jeluirépondssuruntonsec:—Putain,accouche,Prés’,jem’imaginelepire.—T’esendessousdelavérité,dit-il,leregardtriste.Ilmarqueunepauseetpoursuitd’unevoixquiseveutrassurante.— Écoute, fiston, il faut que tu gardes ton calme. On va tout faire pour
l’aider.Nous sommes toujours dans l’entrée demon appart. Je serre tellement les
mâchoiresquepourunpeumesdentspourraientsebriser.—Jet’écoute.—Qu’est-cequetusaisexactementsursonpassé?—Quesonpèreestmort,samèreestdevenuealcooliqueaprèslamortde
sonmari.Depuiscejour-là,ellel’acomplètementdélaissée.Ilhausseunsourcil.—C’esttout?Jericaneavecungoûtamerdanslabouche.—C’estdéjàpasmalcommemerdeàsetraîner.Popsresteimpassiblefaceàmonsarcasme.—Ellet’aparléduremariagedesamère?—Non.
—Elles’estremariéequelquesannéesaprèsavecunparfaitabruti.Àpartirdecemoment-là,leschosessesontcorséespourlagamine,lebeau-pèrebattaitsamère.Maiscetteconnen’arienfaitpoursebarrer,pourlesprotéger,elleetsagosse.Etpuis,unjour,cemecestalléenprison.
Larages’amplifiedansmoncorps.Unfrissonglacémeparcourtledos.—Quoi?!Ilesttombépourquoi?—Violenceconjugaleet…violsurmineure.—Viol…Jeprendsuneinspiration,l’airentrantdansmespoumonsestdouloureux,il
mebrûle. Je redoutedeposer laquestion,persuadédeconnaîtreparavance laréponse.
—Qui?—Lagamine.—Non!Mes épaules s’affaissent, je pousse un gémissement de douleur. Non, pas
monange,pasmaHayley!Lepoingserré,jefrappecontrelemur.C’estàpeinesi je ressens la douleur.Mais Pops n’a pas terminé et ce qu’ilme dit ensuitem’achève.
—Jenesaispascombiendetempssoncalvaireaduré,maiselleafaitunetentativedesuicide.
Jecogneànouveaulemur,jenem’aperçoismêmepasquemesphalangessontensang.Mesyeuxlancentdeséclairsetjememetsàcrier:
—Putain!Jevaisletuerceconnard!Popshoche la têtemaisnedit rien.Aucunmotnepeutdécrire l’étatdans
lequeljesuis.Aucunmotnepeutm’aideràreprendremonsang-froid.—Apparemment,c’estsoncopainBrandonquiluiasauvélavie.—Çaexpliquepourquoiilssontsiprochestouslesdeux.—Ouais…LePrés’poseunemainsurmonépauleetplantesonregardd’acierdansle
mien:—Écoute,cettegamineméritelemeilleur,elleavécudestrucshorribles.Si
tu te lances dans une aventure avec elle, tu dois être sûr de toi. Fais pas tout
foirer.Situlafaissouffrir,j’tecoupelescouillesetj’telesfaisbouffer.—Prés’,jenepeuxpasluifairedumal.Je…Jel’aime.—Danscecas,protège-la.—Ilesttoujoursentaule,cefumier?—Non,ilestsortidepuispeu.Maislesgarsontperdusatrace.—Merde…—Onlerecherche.—Merci.—Pasd’quoi.Moiaussij’aibienenviedelebuter,cesalaud.—Prés’…Elle reçoit desmessages. Je pense que c’est cet enfoiré qui la
menace.—Qu’est-cequ’ilsdisent?—J’enailuqu’un.Ildisaitqu’ilavaithâtedelaretrouver.—Putain,lefumier!—Çalaterrifie,ellefaitdescrisesdepanique.—Jevaisfaireensortequedesgarslasurveillent.—Faut qu’ils soient discrets. Elle n’est pas au courant qu’on enquête sur
elle.—Jesais.Jevaisleurtransmettrel’info.—Prés’…—Ouais?—Silesgarsleretrouventavantmoi…Ilsmeleréservent…Il me fixe quelques secondes. Je n’ai pas besoin d’en rajouter, il sait
parfaitementcequejeveuxdire.—J’aicompris.—Merci.Toujourslamainsurmonépaule,ilajoute:—Lorsquelemomentviendra,jeseraiavectoi,fiston.Moiaussijeveuxma
partdugâteau.Onnetouchepasàlafamille.
Cequevientdem’annoncerPopsconfirmemesdoutesconcernantHayley.J’ai l’impression de vivre un cauchemar. M’imaginer mon ange souffrir et
personnepourl’aider,personnesurquicompter,m’anéantit.Auplusprofonddemoi, jesavaisqu’unfumieravaitabuséd’elle.Mais j’étais loindem’imaginerquecefumiervivaitsoussontoit.Merde!
Quand on est parents, on est censé protéger les enfants, pas être leurbourreau. Comment des personnes présumées s’occuper d’innocents peuventleurfairesubircetenfer?Unenfantnedevraitjamaisàavoiràvivreça.Ilestcenségrandirentoutesécurité,jouer,apprendre.
J’ailarageaucorps,j’aienviedetoutcasser,defrappercesalaudetdeluirendreaucentuplecequ’ilafaitsubiràHayley.Oùsetrouvecetteordure?Jevoisrouge,monsangboutdansmesveines.Hayleyareçucemessageétrangel’autre soir : « J’attends avec impatience nos retrouvailles ». Ce salaud, ilcontinueàlaharceler.Pourquoinem’a-t-elleriendit?Pense-t-ellequejesuisincapabledelaprotéger?N’a-t-ellepassuffisammentconfianceenmoi?Croit-ellequejevaislarejeterparcequ’elleavécul’enfer?
Brandon. Lui seul pourra répondre àmes questions. Sans réfléchir, tel unautomate, je prends mon téléphone et l’appelle. Dès la première sonnerie, ildécroche.
—Ouais?—Brandon,c’estJace.—Qu’est-cequetuveux?C’estHayley?Illuiestarrivéquelquechose?Ilestméfiant,maissontontrahitsonangoisse.—Oui…Non.J’entendsàsavoixqu’ilcommenceàs’impatienter.—Merde, quoi ?Que lui est-il arrivé ? Je te préviens, si tu lui as fait du
mal…Jeluicoupelaparole,jeneveuxpasentendresesconneriesdepetitminet.—Jesaistout.Unsilencemerépond,jereprends:—Ilfautqu’onparle.—Commentas-tusu?Jen’aipasenviedem’expliquer,alorsjeluibalance:—Rejoins-moitoutdesuite,chezmoi.
Ilmarqueunehésitation.—Hayleyestaucourant?—Non.Ilpousseunsoupirabattu.—Putain,mec,sielleapprendquetuesaucourant,ellevapéteruncâble.—Ramène-toi.Jet’envoiel’adresseparmessage.—Ok.
En attendant Brandon, je tourne comme un lion en cage. La rage habite
toujoursmoncorps.Ellem’aentièrementenvahietnemequitteplus.J’aienviedemecognerlatêtecontrelemurpourlafairedisparaître.
Mon interphone sonne, j’appuiepourouvrir sansmepréoccuperdequi çapeutbienêtre.J’entendsquelqu’unfrapperàmaporte.ProbablementBrandon.JesuisdansunetellebrumedepuisledépartdePopsquejen’aiplusconsciencedutempsquis’estécoulé.
Je luiouvre laporte, il entreetpasseen trombedevantmoi.Nous restonsplantésdansl’entréetouslesdeux,nousfaisantfaceetnousfusillantduregard.Ilcommenceàparlerlepremier.
—Commentas-tusu?—Pops.Ils’inquiétaitpourHayley.NosgarsdelacôteEstontenquêté.—Putain!Ilestnerveuxetsepasselamaindanslescheveuxplusieursfois,commes’il
voulaitselesarracher.—SiHayleyl’apprend,jenedonnepascherdetapeau.—Jesais.—Qu’est-cequetuveuxdemoi?—Raconte-moicequej’ignore.—Pourquoi?Pourlapremièrefois,ledoutes’emparedemoi.Mesmotssonthésitants.—Je…J’aibesoindesavoir.—Cen’estpasàmoideteledire.Jeluiaifaitunepromesse,jenepeuxpas
latrahir.Jesuisleseulenquielleaentièrementconfiance.
—Brandon…Ilmecoupelaparole,lèvelesbrasaucieletsemetàcrier:—Merde, même ça je suis obligé de lui dire ! De lui dire que tu es au
courant!Jerestestoïquefaceàsondéchaînementetcontinue,imperturbable:—Ellereçoitdesmessagesanonymes.Cesalaudcontinueàlaharceler.—Jesais,jeluiaiditdet’enparler.—Ellenel’apasfait.—Faitchier!Tuterendscomptedansquellegalèrejesuis!Àcesmots,maragerefaitsurface.Jememetsàluicrierdessusetl’agrippe
desdeuxmainsauxreversdesonblouson.Nosvisagessetouchentpresque.—EtHayley,t’ypenses?—Sij’ypense?!Ilmarqueuntempsd’arrêt,commes’ilvenaitdeseprendreuncoupenplein
estomac, etme regarde incrédule. Son visage se transforme en unmasque defureuretdesouffrance.Ilsedégagedemapoigned’unmouvementdubrasetmecracheenpleineface:
—Putain !Oui j’y pense, chaque putain de jour queDieu fait ! Tu veuxsavoir?Chaquematinenmeréveillant,jemedégoûtedenepasavoirsuplustôtl’enferqu’ellevivait!Chaqueputaindejour, jeregrettequemesparentsaientinvitésamèreetsonbeau-pèreànotretablepourThanksgivingetNoëletqu’onsesoitrenducomptederien.Merde!Onseconnaîtdepuisqu’onestgosses!Jesuis sonmeilleur ami, son confident, son voisin.Ça se passait à côté de chezmoi, pendant que moi je dormais tranquillement, en sécurité à la maison, cesalaudabusaitd’elle!EttucroisquejenepensepasàHayley,connard?
Il est essoufflé quand il termine, telle une bête sauvage. Ses yeux sontremplisdehaine,dedégoûtetdelarmes.
—Quesepasse-t-il,ici?Brandon?Pourquoitut’engueulesavecJace?Merde!Nous faisons volte-face tous les deux. La porte est restée grande ouverte.
Hayleyest làdevantnous,des larmes ruissellentsursonvisage, sesyeuxsont
emplisdefrayeur.Elleaenroulésesbrasautourdesoncorps,secréantainsiuneinfimebarrièredeprotection.Jepousseunjuronentremesdents.Ellemejetteuncoupd’œiletdétournerapidementleregard.Jemeprendsuncoupenpleinepoitrine en réalisant qu’elle cherche à me fuir. Un gouffre est en train de secreuser entre elle etmoi et je ne suis pas certain de pouvoir le combler.Rienqu’àl’idéedelaperdre,lapaniquemegagne.J’ail’impressiondesombrer.J’aienviedelatoucher,j’aibesoind’elle,desentirlachaleurdesoncorpscontrelemien, de sentir les battements de son cœur contre mon torse. Je veux encoresentirladouceurdesescheveux,humerleurparfum,goûterencoreàlapuretédeseslèvres.
Monbrasselèveàpeineverselle,maiselleaunmouvementderecul.Elleprendsesdistancesunpeuplus.Elleneveutplusdemoncontact,ellemerejetteetmelefaitcomprendre.Unemainglacées’emparedemoncœur,lecomprimeetl’arrache.
Brandonestlepremieràparler,ilfaitunpasverselle.—GlitterGirl.Levisagedemonangeesttournéverslesienetsemblevouloirs’accrocherà
luicommeàunebouéedesauvetage.—Brandon,quesepasse-t-il?—Ilsaittout.Àcestroispetitsmots,jefermelesyeux.Monsortestscellé.Cettesimple
phrasemarquemacondamnation.ElleéloignedéfinitivementHayleydemoi.
30
Hayley
Jeterminemescoursplustôtqueprévuaujourd’hui,j’enprofitepourfaireunesurpriseàJace.Surlechemin,jerepenseàlaconversationquej’aieueavecBrandon.Ila raison,Jaceméritedeconnaîtreunepartiede lavérité.Jenemesenspasencorecapabledetoutluidire,maisildoitsavoirpourmonbeau-père.Lesmessages qu’ilm’a envoyésm’effraient. Jace pourraitme protéger. C’estégoïstedemapartdenecompterquesurBrandon.Jeréaliseaujourd’huiqu’àmafaçonjeluifaisvivreunenfermoiaussi.Jesuisunfardeaupourlui.Ilfautquej’apprenneàfaireconfianceauxautres,àm’ouvrir.Tousnesontpascommemonbeau-pèreoucommemamère.Jacem’aprouvéparsesactesqu’ilestdignede cette confiance. Il nem’a jamaismis la pression. Ilme laisse aller àmonrythme.
J’arrive à hauteurde son immeuble, unhommeen sort etmemaintient laporteouvertepourmelaisserentrer.Jemedirigeversl’ascenseur,appuiesurlebouton d’appel. En attendant son arrivée, je sens la pression monter en moi.Machinalement, je frotte mesmains contremon pantalon. Je prépare un petitdiscoursmentalpourexpliqueràJacemasituation,cequejesouhaiteluidireetcequejepréfèretaireencore.
Lesportess’ouvrentdevantmoietjepénètreàl’intérieurdel’ascenseur.Jesélectionne l’étage et me prépare à affronter cette nouvelle épreuve. Cela
pourrait me libérer en partie de mon passé. Je ne sais pas comment Jace varéagir.C’estcequim’angoisse leplus.Jeneveuxpasquesonregardsurmoichange.
Lorsque je sors de l’ascenseur et m’avance dans le couloir, j’entends descris. Je ne sais pas ce qu’il se passe,mais je reconnais la voix deBrandon etcelle de Jace. Que font-ils ensemble ? Pourquoi se hurlent-ils dessus tous lesdeux?
J’atteins l’appartement de Jace, la porte est grande ouverte. La scène quis’offreàmesyeuxestsurréaliste.Ilssefontface,visagecontrevisage.Laseulefoisoùj’aivuBrandondansuntelétatderage,c’étaitfaceàmonbeau-père.
Peuàpeu,jecomprendslasituation,lesmorceauxdupuzzles’assemblentetje suis horrifiée.Un demes pires cauchemars se réalise : Jace est au courant.Comment?Jenesaispas,maisunechoseestsûre,iladécouvertmonpassé.
Mêmesijeconnaisdéjàlaréponse,j’aibesoindesavoir.Jesuisglacéedel’intérieur,j’enroulemesbrasautourdemoi,commeunebarrièredeprotection,jesensvaguementleslarmescoulersurmonvisage.Jem’enfous,jeveuxsavoircequ’ilsepasseetleurdemande:
—Quesepasse-t-ilici?Brandon?Pourquoitut’engueulesavecJace?J’entends Jace jurer entre ses dents. Brandon me regarde, son visage est
livide. Il se décale de Jace, se tourne vers moi et ne prononce qu’une seulephrase.Unephrasequimeglacelesang.J’ail’impressionderecevoiruncoupdepoignardenpleinventre.
—Ilsaittout.—Ilsaittout?jerépètecommeunautomate.—Oui.Jenereconnaisplusmavoix.—Comment?—Pops.—Pops?—Ilaenquêtésurtoi.
—Quoi?—Ons’inquiétait,monange.JetournemonregardversJace,ilsemblehorrifié.Moncœurseglaceencore
plus.Ilesthorrifiéparcequ’ilvientdedécouvrirlavéritéàmonsujet.—Nem’appellepascommeça…—Hayley,s’ilteplaît,laisse-moit’expliquer…Jeneveuxrienentendrealorsjelecoupe:—M’expliquer quoi ? Que vous avez enquêté sur moi ? Sans que je le
sache ? Tu croyais pouvoir neme rien dire, que je nem’en serais pas renducompte?
—Monan…—Arrêtedem’appelercommeça!Jenesuispasetneseraiplusjamaiston
ange!Jecommenceàdevenirhystérique.— Comment as-tu pu me faire ça ? Depuis combien de temps es-tu au
courant?—Depuisuneheure.Popsestvenumevoir.Je…jesuisdésolé.—Tuesdésolé?—Oui.— Tu es désolé ? Tu sais ce qui me désole ? Toi. Toi qui n’as pas eu
suffisammentconfianceenmoipourattendrequejeteparle.Jepointeundoigtaccusateurdanssadirectionetpoursuis,impitoyable:— Sais-tu ce que je venais faire ici, aujourd’hui ? J’étais venue pour te
raconterunepartiedemonenfer.Tedemanderdel’aideparcequecesalaudmeharcèle.
Jesecouelatête,désabusée,dégoûtéedem’êtrefaitavoirunefoisdeplus.C’est toujours lamême chose, chaque fois que j’approche du bonheur, que jel’effleure du bout des doigts,mon passé refait surface etme ramène dans leslimbes,danslanoirceurdemonexistence.
—Tuastoutgâché.Jenepourraiplusjamaistefaireconfiance.—Hayley,iln’estpastroptard.
— Si, c’est trop tard. Tu m’as privée de mon choix ! Je me sentais enconfianceavectoi,ensécurité.Tuastoutgâché.
—Nedispasça,laisse-moi…Jericaneetluirépondsd’untonamer:—Telaisserquoi?Unechancede toutdétruireencoreunefois?Iln’ya
plus rienentrenous.Maintenant tu sais àquelpoint je suisbrisée.Tudevraisêtrecontent.
—Hayley…—Soisfierdetoi,j’étaisdétruiteavantdeteconnaître,maisaujourd’hui,je
lesuisencoreplusàcausedetoi!—MerdeHayley,nedispasça ! Jem’inquiétaispour toi ! Jemedoutais
qu’il t’était arrivé quelque chose d’horrible, j’avais besoin de savoir quelsdémonscombattrepourteprotéger!
—Tuastoutfaitfoirer.J’inspireungrandcoupavantdeluilancerlecoupfatal.
Jesaisquejevaislefairesouffrir,maisjesuisdansunetellecolèrequejeveuxqu’ilsouffreaussi,alorsjepoursuisd’untonglacial.
—Maintenant,enplusdelui,j’aiaussibesoindemeprotégerdetoi.—Jeneteferaijamaisdemal…— C’est trop tard, tu viens de m’en faire. Je ne veux plus te voir. Ne
t’approcheplusjamaisdemoi.—Hayley,non…Reste…Laisse-moimerattraper.—C’esttroptard.ViensBrandon,ons’enva.Je commence à faire demi-tour lorsque lamain de Jace s’empare demon
avant-bras.—Hayley,s’ilteplaît…Mesyeuxfixentcettemainquimeretientdansunultimeespoir,jem’arme
decourageetluirétorquesurletonleplusfroiddontjesuiscapable.—Nemetouchepas!Tuasperducedroitaussi!—Jace,lâche-la.Nerendspasleschosesplusdifficilesencore.La voix de Brandon est implacable. Je sens ses doigts se desserrer puis
finalement me relâcher. C’est comme s’il me rendait ma liberté, comme s’il
acceptaitdemelaisserpartir.
Un grand vide s’empare de mon corps, un trou béant se creuse dans mapoitrineetprendlaplacedemoncœur.Jeneressensplusrien,commesimoncorpss’étaitséparédemonesprit.JeregardeJaceunedernièrefois.MonBakers.Cethommemagnifiqueauxyeuxgrisfroidscommel’acier,cethommequim’aappartenuuntemps.Jeréalisetoutcequejeperdsàcemoment-là.Jeneleperdspasseulementlui.Maisjeperdségalementl’amourquej’éprouvepourlui.Caroui, je l’aime.Cethommepuissant, à labeauté sauvage,couvertde tatouages.J’avaismême fini par accepter son style de vie. J’étais enfin prête à le suivredanssonmonde.
31
Jace
Hayley.Monange...
Sesparoles résonnent encoredans l’entréedemonappartement. Jeme lesrépète sans cesse, tel un credo. « Tu n’as pas eu suffisamment confiance enmoi»,«Tuastoutgâché»,«Jenesuispasetneseraiplusjamaistonange»,«J’aiaussibesoindemeprotégerdetoi».
Sesmotss’imprègnentdansmoncerveau,s’infiltrentdansmoncorpsetserépandent commedesmétastases.Elleneveutplusêtremonange, jenepeuxplus la toucher ni l’approcher. Sans le vouloir, je l’ai brisée, déçue. J’ai toutfoutuenl’air,jesavaisquejefranchissaisunelignerougeenlaissantPopsetlesgarsdelacôteEstenquêtersursonpassé,maisc’étaitpourlaprotégerdecequiluifaisaitpeur.Ellemefaisaitconfiance,elleétaitvenuemedemanderdel’aideetj’aitoutfaitfoirer.Commed’habitude.
Elle était mon salut. Elle est entrée dansma vie tel un ouragan et en estressortie de la même manière, laissant derrière elle tout un merdier dont jepensaisêtreguéri.Jevoudraisrattrapertoutlemalquejeluiaifait,maisc’esttroptard.C’estfini.Jamaisplusjenelareverrai.
Ungémissementdedouleur,derage,dedésespoirmontedansmagorge.Jem’adosse contre lemur etme laisseglisser à terre. Je ne sais pas combiendetemps je reste là, prostré, à me lamenter sur mon sort. Une chape de froid
recouvremoncorpsetjememetsàfrissonner.Jevoudraistantpouvoirremonterletemps,pouvoirànouveaul’enlacerdansmesbras,sentirsonpetitcorpschaudblotticontrelemien.
Jemelèvetelunsomnambule,medirigeverslacuisine,ouvrelaporteduplacardetattrapemonmeilleurami:lebourbon.Jeneprendsmêmepaslapeinedesaisirunverre.Jeboisàmêmelabouteilleunepremièrerasadequimebrûlela gorge, puis j’en avale unedeuxième. Jem’affale surmon canapé, celui surlequel Hayley se tenait quelques jours plus tôt. Celui où nous nous sommesembrasséspourlapremièrefois.Leplusfabuleuxbaiserdetoutemonexistence.
Duboutdesdoigts, j’effleuremabouche, jesensencorela légèrepressiondeseslèvressurlesmiennes.Jerevoisencoresonvisage,sesgrandsyeuxbleuspassionnés, la rougeurde sespommettes lorsque j’ai réponduauplusdouxdesesbaisers.J’engloutisunegorgéedebourbonpourfairedisparaîtrecesouvenir.Mais je ne peux pas oublier, je ne veux pas oublier. La douleur est là, merappelantcequej’aiperdu.L’alcooln’arrivepasàlafairedisparaître.Jen’aipasseulementperdumonange, j’aiaussiperdu laseulefemmedont jesuis tombéamoureux.
Putain, je l’aime comme un fou. Elle s’est immiscée dansma vie, je suistombéàgenouxdevantelle,piedsetpoingsliés,etellem’aquitté.Jen’aimêmepaseuletempsdeluidirecombienjel’aime.
Çafaitmal.Mapoitrineestcomprimée,j’aidumalàrespirer,commesitoutl’airdelapièceavaitétéaspiré.Jem’enfileencoreuncoupdebourbon.Jeveuxm’enfoncerdansl’oubliquemeprocurel’alcool,mêmesic’estéphémère.Jeneveux plus rien ressentir, mais la douleur est toujours là, elle pulse dans mesveines,martelantsanscessequ’Hayleym’aquitté.
Jereprendsunerasadeetencoreuneautre.Jenelescompteplus.Jerenverselatêteenarrière,l’appuiecontreledossierducanapé,fermelesyeuxetsoupirede lassitude, de souffrance. Enfin la délivrance s’empare demoi, jeme laisseglisser dans un état second et m’enfonce dans un sommeil rempli d’imagesd’elle.Plusieurs scènesmerveilleusesdéfilent sousmesyeux,cellesoù j’aipuapprocher lebonheur, lemomentparfait.Hayley souriantpendant lematchde
foot,mesautantdanslesbrasetm’enlaçant,Hayleydanssachambresenichantcontremoidanssonlit.Puislesimagescauchemardesquesapparaissentetjelarevois sur lapromenadede laplageenpleinecrise,ou lorsqu’elle s’estblottiedansuncoinde son lit, terrorisée, le regardvide.Enfin,dans l’entréedemonappartement,pleurant,levisagecrispéparladouleuretladéception.
Après,c’estlefloutotal,monrêven’aplusaucunsens.Plusieursimagessemélangent.Jelavoiscrier,appelerausecours,levisagedePopssesuperposeàcelui d’Hayley, lui aussi me crie dessus. Je les regarde mais je reste inerte,incapabledebouger,deparler;commesimalangueétaitcolléeàmonpalais.C’est laconfusion laplus totale,Hayleycrie,m’appelleà l’aide, sesbras sonttendusversmoipourque je la retienne,mais elle s’éloignepeu àpeu jusqu’àdisparaître ; comme si elle avait été aspirée par un trou noir. Pops apparaît ànouveau devantmoi, enme secouant et enme hurlant dessus.Qu’est-ce qu’ilfoutdansmesrêves?
JenevoisplusHayley,maisj’entendstoujourssavoixcrieretfaiblir,puiselleestremplacéeparcelledePops,quidevientplusprésente,plusforte.Jesensses grosses mains me prendre par les épaules et me secouer. Sa voix esttellement réelle que j’ai l’impression qu’il est avec moi, ici, dans monappartement.
—Jace,réveille-toi,bordel!Pourquoiveut-ilquejemeréveille?Sij’ouvrelesyeux,jesauraiquemon
ange a disparu de ma vie. Je veux encore croire qu’elle est avec moi, je meraccrocheàcetespoir.
—Fiston,réveille-toitoutdesuiteoujetebalanceunverred’eausurlatête.Jesuissecouécommeunprunier.Faitchier,pourquoionnemelaissepas
tranquille?J’aienviedelerepousser,maismesbrassontmous,sansforce.Toutd’uncoup, je ressensquelquechosede froid etdemouillé surmonvisage. Jesursaute et ouvre des yeux hagards. J’ai du mal à retrouver mes repères, àréaliseretàcomprendrecequimefaitface.Putain,c’estPopspenchésurmoi.
Jemepasseunemainsurlevisagepouressuyerlaflottequ’ilvientdemelancerdessus.
—Pops?Qu’est-cequetufousici?Ilseredressedevantmoietmedominedetoutesahauteur.—Tunerépondaispasautéléphone.T’asloupélagrandemesse.—Merde.Jemesuisendormi.Ilfixelabouteillerenverséeàmespieds.—Ouais,ettut’esenfiléunebouteilleentièredebourbon.—Hum…—Qu’est-cequit’arrive,fiston?—Hayley.Ellem’aquitté.—Pourquoi?—Elleadécouvertquej’étaisaucourantdetout.—Merde.—Ouais.—Oùest-elle?—Qu’est-cequej’ensais?Elles’estbarréed’iciavecBrandon.—Aumoins,ellen’estpasseule.—J’aitoutfaitfoirer.Jesuisqu’unemerde.—Laisse-luiletempsdeseremettre.—Elleneveutplusmevoir.—Elleestencolère.—Onn’auraitpasdûenquêter.—Ons’inquiétaitpourelle.—J’aitrahisaconfiance.—Rampeàsespieds,ellereviendra.Ellet’aime.—J’ensaisrien.—Écoute,ellenet’auraitpaslaisséentrerdanssaviesiçan’avaitpasétéle
cas.—Tucrois?—J’ensuissûr.Maintenantbouge-toi,vaprendreunedouche,jetefaisun
café.T’asdupainsurlaplanchepourrattraperlecoup.
32
Hayley
Brandonme conduit à sa voiture.Mon corps le suit, maismon esprit estailleurs.Jel’ailaissédansl’appartementdeJace.Ilyaàpeineuneheure,j’étaissurunpetitnuage,marelationavecJaceétaitparfaite.Jevoulaisallerdel’avant,commencerà tournerunepage.J’étaisàun tournantdemavie,prêteà laissermon Bakers m’aider à me reconstruire à sa manière. Comment tout a-t-il pupartirenvrilleaussirapidement?Ilyaàpeineuneheure,j’étaisheureuse,etmaintenant,jesuiscomplètementanéantie.
Brandon me guide vers le siège passager, je le laisse m’installer dans lavoiture.Sonregardsoucieuxpèsesurmoi,mais jeneveuxpas le regarder. Jefixeunpointdroitdevantmoi.Jerepenseauxparolesquej’aiditesàJace.Surlecoup,jelespensais,etpourcertaines,jelespenseencore.J’aidumalàanalysertoutcequejeressens.Lesentimentdetrahisonprédomine,maiscen’estquelehautdel’iceberg.Lefaitqu’ilaitenquêtéderrièremondosmelaisseunarrière-goût amer. Il m’a privée de mon choix de me confier à lui ou non. Jecommençaisàavoirconfianceenlui.Maisçaaussiill’adétruit.Jecomprendssesraisons,jesaisqu’ilestinquietpourmoi.Jeneluiaipasrendulaviefacile.Entre ma crise de panique, mes réactions lorsqu’il me touchait, les messagesanonymes…Ilétaitprésentlorsquejelesaireçus,ilabienvudansquelétatilsm’ontmise.Maisiln’avaitpasledroitdemenersonenquête.
Je me sens prise entre deux sentiments : la compréhension de soncomportementetladéceptiondueàsatrahison.Pourlemoment,c’estcedernierquiestleplusfort.C’estcommesionavaitànouveauabusédemoi,jemesensànouveausalie.
LavoixdeBrandonmesortdemesréflexions:—Oùveux-tualler,GlitterGirl?—Jenesaispas.—Ok.Onvarouler,alors.Jehausselesépaules,complètementindifférente.—Situveux.Brandonconduit,perdudanssespensées.Ils’agiteunpeusursonsiège,je
saisqu’ilveutmeparler,maisilnesaitpascommentaborderlesujet.Jeposematêtecontrelafenêtre,lecontactdelavitrefroidecontremajoue
me rappelleque je suisaussiglacéeà l’intérieur. Je regarde lepaysagedéfilerdevantmoi.
***
Jenesaispasoùnoussommesnidepuiscombiendetempsnousroulons.Auloin, l’océan se profile, la route affleure des parois rocheuses et serpente. Lesilencerègnedanslavoiture,maisçanemegênepas.Pourlapremièrefois,jen’aipasenvied’écouterdelamusique.Unpoidsmecomprimelapoitrine,j’aienviedepleurer,maisleslarmesneviennentpas.
Nouslongeonstoujourslacôte.DepuisquejesuisenCalifornie,jemerendscomptequel’océanauneffetapaisant.Voirlemouvementdesvagues,sentirlesembruns, l’odeur du sable chauffé par le soleil a un effet salvateur. Je risintérieurement,lanatureesttellementbelleencomparaisondemonexistence.
Jedécidederomprelesilencelapremière:—Merci.Jen’ai pasbesoind’endireplus.Brandon sait pourquoi je le remercie, sa
réponsemeleconfirme.
—Jeseraitoujourslàpourtoi.—Toujours.—Toujours.Je fixe l’océan et suis subjuguéepar le spectacle.Tout un flot d’émotions
m’inonde et se mélange avec les ressacs des vagues.Mes pensées s’envolentvers cette étendue d’eau si belle, si bleue, si inquiétante et mystérieuse. J’ail’impressiondem’ynoyer.Jacememanque,j’aienviedemeréfugierdanssesbras,deressentirlachaleuretlapuissancedesoncorps.Jememoquedemoi-mêmeetdel’ironiedusort,enréalisantque,dèsnotrepremièrerencontre,jemesuis sentie en sécurité en sa présence. Lui, cet homme sauvage menant uneexistencedehors-la-loi.Ilasum’apprivoiseretmerassurertoutdoucementpardesimplesparoles,desimplesgestes.Maisjel’airejeté.
Je suis ramenée au point de départ. À nouveau seule. Seule avec monfardeau. Nous arrivons près d’une corniche, Brandon stoppe la voiture sur lebord de la route. Nous surplombons et faisons face à l’océan. Nous restonsimmobiles tous lesdeux.Mesmainssontcrispéessurmesgenoux, je lesserretellementfortquemesonglesentrentdanslachairdemespaumes.Jeressensladouleurmaisellem’estcomplètementégale.Ellemepermetdemeraccrocherauprésent,empêchemespenséesderepartirdanslepassé.
—Hayley?—Hum…—Tuveuxqu’onenparle?—Non.—Illefaudraàunmomentouàunautre.—Jesais.Maispasmaintenant.—Ok.Ilmarqueunepause,etnepouvants’enempêcher,ilajoute:—Je saisque tun’espasencoreprête à l’entendre.Mais si Jacea agide
cettemanière,c’estparcequ’ils’inquiétaitpourtoi.J’inspireprofondément,enfonçantencoreunpeuplusmesonglesdansma
chair,Brandona raison, jeneveuxpasencoreentendrecesparoles.Jepréfèrelesignoreretluirépondsàlaplace:
—Dépose-moiàl’association,s’ilteplaît.J’aibesoindevoirlesenfants,devoirquejepeuxêtreutileàquelqu’un.
Brandonsoupiremaisnepoursuitpas. Il connaîtmes réactions, il saitquedanscescas-làçanesertàriend’insister.
—D’accord.
Il me dépose à l’association et me propose de rester avec moi, mais jedéclinesonoffre. Je regardesavoitures’éloigneretentredans lebâtiment. Jen’aipasletempsderefermerlaportequeLoganseprécipiteversmoietsejettedans mes bras. Il semble heureux, aujourd’hui, j’essaie d’afficher un visagejoyeuxetluilance,toutenluiébouriffantlescheveux:
—Hey,mongrand,commentçava?—Super!J’airéussimoncontrôledemaths!J’aieuunA!—C’estunebonnenouvelle!Sesyeuxbrillentdejoie.—C’estgrâceàtoi.Tum’asaidéàréviser.Lefroidquejeressentaisjusqu’àprésents’estompelégèrementenregardant
Logan.Cepetitgarçonmerappellepourquoijesuisici,pourquoijecontinueàmebattredanslavie.Jenesuispaslaseuleàconnaîtreuneviechaotique.Cepetit bonhomme se bat lui aussi, avec pour seule arme son enthousiasmed’enfant.Jemesenshonteuse,carjememensàmoi-même.Jenesuispasseule,je ne me bats pas seule. Brandon a toujours été présent, et aujourd’hui j’ail’association, des amis et, d’une certaine manière, Jace et Pops derrière moi.Moncomportementestégoïste.Lanoirceurdemonesprits’estompepeuàpeu.
—Non,mongrand,c’estgrâceàtoi!Tuasréussipar toi-même,c’est toiquiétaisseuldevanttafeuilledecontrôle.
—Merci,Hayley.—Pasdequoi.Il se décale légèrement de moi. Son corps se met à bouger d’excitation
lorsqu’ilmepropose:—Tuveuxjoueràlaconsole?Popsnousenaoffertune,hier.—Situveux.
Jen’aijamaisétéunefanatiquedesjeuxvidéo,maispourrienaumondejene voudrais décevoir Logan. Il commence à exorciser ses démons, devient deplusenplussociableetjouemaintenantaveclesautresenfants.
Pourlapremièrefoisdelajournée,j’aperçoisunelueurd’espoir.
33
Jace
Depuis une semaine,ma vie n’est qu’un amas de conneries,mon cerveaus’amuseà jouerauxmontagnes russes.L’ancienmoiaenviede tout foutreenl’airetdereprendresavied’avant,celleoùilneseprenaitpaslatêtepourunenana.Ouais,cettevie-là,c’étaitlepied:aucuneemmerdedegonzesses.Dèsquej’envoulaisunepourbaiser,j’allaisaucluboudansunbaretbonjourleparadispour quelques heures.Maismon nouveaumoi est une véritable loque prête àramperpourrécupérersacopine.
Je suis dans la merde. En à peine quelques semaines, cette fille m’acomplètementtransforméavecsonaird’innocente.Etmaintenant,jesuisfoutu,carelleestlerayondesoleildemavie.Elleestdevenueunedrogue,m’aouvertles yeux sur tout un tas de choses. Bref, cette fille a donné un sens à monexistence,elleacomblélevidequejeressentaisdepuispasmaldetemps.Elles’estglissée enmoi, a su créerunmaelströmde sentimentsque jemecroyaisincapablederessentir.Etpuis,elleafoutulecamp,sansmelaisserlamoindrechancedem’expliqueroudem’excuser.
Maintenant,si jeveuxlarécupérer, ilvafalloirquejetenteletoutpourletoutetquejemelivre,maismoninstinctmeditqu’ellen’estpastoutàfaitprêteàdécouvrirquijesuisréellement.Ellen’ajamaisvumonvéritablevisage,celuidu biker hors-la-loi, le salaud qui bosse pour le club, celui qui masque lescomptes pour éviter que les fédéraux ne nous tombent dessus, armés de leur
putaindeloiRICO 1 .J’ai réussiàesquiver jusqu’àprésent,àdonnercertainesinfos au compte-goutte, mais un jour elle me posera la question fatale, ellevoudraconnaîtremonrôledansleclub.Etlà,jenevaispasycouper,carHayleyn’estpas legenredenanaàquionpeutdirequ’ellen’apasà fourrer sonnezdanslesaffairesduclub.
C’est le grand débat du moment avec Pops. Il veut que je la présenteofficiellementauclub,quemesfrèreslaconnaissentetquejeluimontreenquoiconsiste réellement notre vie, comment nous fonctionnons, et nos codes.Maiscommentpuis-jelivrercetangeenpâtureàmesfrères,ànotremonde?Cen’estpasencorelebonmomentpourtoutça.
Depuis une semaine, je prépare la première phase de mon plan pour larécupéreretpourluimontrernotrevisagesouslemeilleurjour.
Popsm’hébergechez luidepuisqu’ilm’a retrouvécommeune loquechezmoi, le fameux jour oùHayleym’a quitté. Ilme garde à l’œil comme quandj’étaisgaminetque jecommençaisàmal tourner.Onn’apas l’habitude,dansnotremonde,defairedanslesentimentalisme,maisPopsestunpèrepourmoi–et non le salopard qui me prenait pour un punching-ball quand il avait troppicolé.Aujourd’huiencore,ilagitcommes’ilétaitmongéniteur.Ettoutcequ’ila fait ces derniers jours montre que j’appartiens à sa famille. Il est prêt àchambouler le fonctionnement du club pourmoi. Je ne suis pas dupe, je saisqu’il a une idée derrière la tête. Il m’a dit l’autre jour qu’il souhaitait que jereprenne le clubenmain le jouroù il déciderade se retirerdes affaires.Maissurtout,cequ’ilneditpas,c’estquel’avenirdecesgaminsest importantpourlui.Depuisquejeleconnais,ilatoujoursprissoussonailelesbrebisgaleusescommemoi ou d’autres frères.C’est ce qui le caractérise le plus, ce côté bonsamaritainenverslesgamins.Cepandesapersonnalitéestencompletparadoxeavecsoncomportementde tous les jours : ce typeestcapablede tueràmainsnuesunmecquichercheànousdoubleretdes’occuperdegossescomplètementpaumés à qui la vie n’a pas fait de cadeau. Il pourrait soulever unemontagnepourdéfendreunecausejuste,etc’estcequ’ilfaitpourHayley.
Quandj’aiannoncémonplanàPops,iln’apashésitéuneseulesecondeetm’adonnécarteblanchepouryparvenir.
1.Loivotéeen1970,elleestconnuepourciblernonseulementlesorganisationscriminellescommelamafia,maisaussidesentrepriseslégales,quipourraientselivreràdesactivitéscriminelles.Laloiestutiliséepourréduirelafraude,lecrimeorganisé,lescrimesencolblanc,etlacorruptionpolitique.
34
Hayley
Une semaine s’est écoulée depuis ma dispute avec Jace. Le sentiment decolère a disparu. Nous avons longuement discuté avec Brandon dans machambre tout au long de ces longues journées. La plupart du temps, Beverlyparticipaitànosconversations,mêmesiellen’estpasaucourantdelasituationendétail.Toutcequ’ellesait,c’estqu’ilm’estarrivéun trucdemocheetquej’ai coupé les ponts avec ma famille à New York. Elle m’a soutenue sanschercheràmebrusquerpourenapprendreplus.
La nuit, je me suis passé en boucle Glitter In The Air et Don’t Cry, lamusiquequej’avaisécoutéeavecJace,lesoiroùilestvenudansmachambre.Àpeine je fermais les yeux, la tête posée surmon oreiller, que les traits de sonvisagem’apparaissaient. Je revivais tous lesmoments passés auprès de lui, jeprenais conscience de tous les gestes attentionnés qu’il avait pour moi, pourm’apprivoiser toutendouceur.Aufonddemoi, jesaisque je luiaipardonné.Mais j’ai peur.Si je faisunpasvers lui pour renouernos liens, notre relations’approfondiraetjenemesenspasencoreprêtepourça.Jesuiseffrayéeàl’idéede ledécevoiretdeme rendrecompteque je suis incapabledemenerunevienormale. Jeme traîne encore beaucoupde valises et j’ai peur d’entraîner Jacedans mon monde. Les messages de mon beau-père sont comme une épée deDamoclèsau-dessusdematête.Jedeviensplusméfiante,unsentimentdepeurmenouel’estomac,quelquechoseseprépare,jerestesurlequi-vive.
Beverly,qui a été trèsprésentepourmoi cette semaine,n’hésitepas àme
donnerdesconseils,ellenemejugepasetrespectemonchoix.Lorsqu’ellemeparledeJaceetduclub,ellenemâchepassesmots.Selonelle,ilfautquejeluipardonne, car c’est sa manière à lui de gérer les situations, pour mieux lesaffronter. Le fait que Pops et lui aient mené une enquête montre qu’ils sontprofondémentattachésàmoi.Mais,toujoursselonelle,jedoisfairemarinerJacepourluimontrerqu’iladépasséleslimites.Ellem’abeaucoupparléduclubetde son fonctionnement, du moins de ce qu’elle en savait. Elle m’a expliquéqu’au début elle avait eu du mal à s’intégrer, car ce style de vie estcomplètement différent du nôtre. Comme elle sait si bien le dire pour lesrésumer:«Cesontdegrosdursavecuncœurtendre.Dèsqu’ilestquestiondesentiments,ilsfoirenttout.Ilssecomportentcommedeshommesdescavernesavec leur femme et leurs enfants. C’est leur manière de montrer qu’ils nousaiment.Aveceux,ilnefautpass’attendreàdescompliments,desfleursetdesdîners aux chandelles. Quand ils disent qu’ils nous aiment, on a plusl’impressionqu’ungrosbulldozernouspassedessus.Bref,cesontdeséléphantsdansunmagasindeporcelaine.Maiscesontdeshommesattachants,surlesquelsonpeutcompterencasdecoupdur.»
Je suis tranquillement allongée sur mon lit, à réviser mon cours desociologie.Beverlylitunlivresurlesien.Montéléphoneémetunbip.Ellemejetteunœilencoulisseetmedit:
—Hum…Laisse-moidevinerquipeutbienêtrel’expéditeur?Évidemment,nousavonstouteslesdeuxlaréponse,noussavonsexactement
qui m’envoie des messages. J’en reçois plusieurs fois par jour depuis notredispute.
Toutenprenantmontéléphone,jeluiréponds:—Jeteledonneenmille.—Jace.Jeregardel’expéditeur.Sonprénomapparaîtsurmonécran.—Exact.
Elleseredressesursonlit,s’appuiesuruncoudeetmedemande:—Tuvaslefairemarinercombiendetemps,encore?—J’ensaisrien.Tucroisquejepeuxluifaireconfianceànouveau?—Vucequemonpèreendit,c’estunevéritableloque.Ildortàlamaison
en ce moment. Papa l’a retrouvé dans un sale état le jour où vous vous êtesdisputés.Ilveutlegarderàl’œil.
—Merde,jesuisdésolée.Elleafficheunemoue.—Iln’aquecequ’ilmérite.Maisunechoseestsûre,ilsouffre.—Ilm’afaitsouffrir.D’unairentendu,ellemerépondaussitôt:—Pourteprotéger.—Hum.—Qu’est-cequ’ildit?—Jenesaispas,jen’aipasencorelu.Je reprends mon téléphone et sélectionne son message. Les larmes me
montentauxyeuxenlelisant.**Jace:Parle-moidoucement.Nepleurepascesoir.Ilyaunparadisau-
dessus de toi. Donne-moi un murmure. Donne-moi un soupir. Je pensetoujoursàtoi.Etauxmomentsquenousavonseus…Monange.**
—Alors?—CesontlesparolesdeDon’tCrydesGunsN’Roses.Illesalégèrement
modifiées.Nousl’avionsécoutéetouslesdeuxunsoir.Jeluilislemessage,sesyeuxsontécarquilléssouslecoupdelasurprise.— Bah merde, alors. Et moi qui te disais l’autre jour que les bikers ne
faisaientpasdansleromantisme…Ildéchire,surcecoup!—Oui.Elleselèvedesonlitetmelancepar-dessussonépaule:—Attends, je vais branchermon iPod etmettre la chanson. Ça fera plus
d’effet.Nous écoutons toutes les deuxDon’tCry.Lorsqu’elle se termine,Beverly
mefixeetsembleréfléchiràquelquechose.Ellefinitparselancer:
—Qu’est-cequetuvasfaire?—Jenesaispas.Jesuispartagée.Toutcequejeressenspourluim’effraie,
sa viem’effraie.Mais il m’amontré à sa façon qu’il était là pourmoi, qu’ilvoulaitmeprotéger.Tuferaisquoi,toi,situétaisàmaplace?
—Jenepeuxpasdéciderpourtoi,jeneconnaispastonpassé,nicequetuaslaisséderrièretoiàNewYork.
Je suis paumée. Des sentiments contradictoires s’entrechoquent dansmonesprit. Jeme sens trahie,mais enmême temps je comprends son geste et luipardonne.Saufquejeneveuxpasqu’ilrecommenceetjenesaispascommentm’yprendrepourêtresûrequecettesituationnesereproduiseplus.
—Attends, j’aiunechansonquipourrait t’aider.Mamèrese lapassaitenbouclequandellesentaitlafinapprocher.Ellerepensaitdeplusenplusàmonpère.C’estcettechansonquim’adonnéenviedeleretrouveràsamort.
BeverlyreprendsoniPod,etavantd’appuyersurplay,ellem’explique:—C’estRide,deLanaDelRey.Écoutesurtoutl’intro.
« Jeme trouvais dans l’hiver dema vie et les hommesque je rencontrais
toutaulongdemarouteétaientmesseulsétés.Lesoirjem’endormaisavecentêteune imagedemoi-mêmedansant,riantetpleurantaveceux.Marouteestdevenueunesortedetourdumondesansfin,etlesouvenirdeceshommesestlaseulechosequimepermettaitdetenirdebout,messeulsvraismomentsdejoie.J’étais une chanteuse pas vraiment connue qui avait jadis rêvé de devenir unmagnifiquepoète,maisdepuisune succession inopinéed’événementsadétruitcesrêveset lesadiviséscommeunmilliond’étoilesdans lecielde lanuitenapportantundemessouhaitsdanschacuned’elles–scintillantetbrisé.Maisjenem’ensouciaispasvraimentparcequejesavaiscequeçacoûtaitd’avoirtoutcequetuastoujoursvouluetpuistoutperdrepourcomprendrecequesignifielemotliberté.»
—Tusais,Hayley,l’autrejour,auSilverlake,jet’aiditdeteméfierdeJaceparcequec’estuncoureurdejuponsetquejenel’aijamaisvus’intéresseràune
nana.Jemesuistrompée.Avectoiilestdifférent,ilachangé.Jepensequetudevraisluilaisserunesecondechance.
***
Allongéesurmonlit,jefixeleplafond.Jen’avaisjamaisremarquéqu’ilyavait autant de fissures. Certaines commencent à l’angle du mur, d’autresapparaissent de nulle part. Elles zigzaguent, s’entrelacent et terminent leurparcoursaumilieuduplafond.Jepeuxencompterseptautotal.Jerepenseàlaconversationquej’aieuehiersoiravecBeverly.Durantunebonnepartiedelanuit, je me suis passé en boucle la chanson de Lana Del Rey et j’ai relu lesmessagesqueJacem’aenvoyés.Pluslesparoless’ancraientdansmonespritetplus mes idées devenaient claires. Finalement la nuit a porté conseil : madécisionestprise.
Laportedelachambres’ouvre.Jeneprendspaslapeinedetournerlatêtepour vérifier qui vient d’entrer, c’est probablement Beverly qui revient de ladouche.Jecontinueàfixerleplafond,perduedansmespensées.Maislevisiteurne bouge pas et je sens le poids de son regard peser sur moi. Je me décidefinalementàportermonregardverslaporte.Jesursauteenlereconnaissantetmeredressed’unbondsurmonlit.
Popsmetoisedetoutesahauteur.Sesyeuxbleusglacésn’exprimentaucuneémotion.Unfrissond’appréhensionmeparcourt.Cen’estpaslepèredeBeverlyquiestvenuaujourd’hui,maisleprésidentduclub.D’unevoixmalassurée,jecommenceàparler.
—MonsieurPops?Ileffectueunmouvementdelatêtedansmadirection.—Gamine.—Beverlynedevraitpastarder.—C’esttoiquejesuisvenuvoir.—Pourquoi?jeluidemande,soupçonneuse.Ilnerépondpasàmaquestionetmelance,d’unevoixautoritaire:—Prendsunevesteetsuis-moi.
—Pourquoi?J’aidû,àunmomentouàunautre,perdretoutesmesfacultésàformulerdes
phrases.Jeleregarde,attendantqu’ilmedonnedesexplications,maisPopsnesemblepasvouloirm’endireplus.Ilresteimmobileetattend.
—Neposepasdequestions.Habille-toietsuis-moi.—Ok.Décidément, mon vocabulaire avec lui est très limité. En même temps,
quandonaPopsdevant soi, onperd sesmoyens, surtout lorsqu’il a ce regardfroidetimplacable.
J’enfile mon blouson et le suis hors de la chambre. Dans le couloir, denombreusesétudiantesseretournentsurnotrepassageetnousregardentd’unairperplexe.Nouslesignoronsetpoursuivonsnotrechemin.
Dehors, Pops s’arrête à la hauteur de sa moto. Elle est toute aussiimpressionnanteque cellede Jace. Je suis incapabledediredequelmodèle ils’agit,jen’yconnaisrien.Maiselleestàl’imagedesonpropriétaire:puissanteetintimidante.
Ilmetenduncasque.Jeleprendsetluidemande:—Oùallons-nous?—Tuverras.—Ok.Jemontesurlamototantbienquemal.Ducoindel’œil,jelevoissecouer
la tête dépité. Il marmonne quelque chose d’incompréhensible, me regarde etlance:
—Jacearaison.T’esvraimentpasdouée.Jememetsàrougir,maisjepréfèreneriendire.Enmêmetemps,jenesuis
pasnéeavecuneHarleyenguisedecadeaudenaissance.
Ildémarresamoto,etdansunrugissementnousnouséloignonsducampus.Letrajetmesemblelong.Jenesaispasoùilm’emmène,maislesruesdans
lesquellesnouscirculonsmesontinconnues.
Au bout d’un certain temps, Pops ralentit et s’engage sur un parking.J’observelesalentours.Unbâtimentnousfaitface.Denombreusesmotossontgaréestoutlelong,enunalignementparfait.Quelquesbikerssontdehorsdevantlaported’entréeetfumentdescigarettestoutentenantleurbièreàlamain.
Ànotrearrivée,ilssetournentversnousetsetaisent.Malàl’aiseenraisondel’attentionqu’ilsnousportent,jedescendsdelamotoetlesentendssemarrer.L’und’entreeuxmarmonne:«Entoutcas,c’estpaspoursafaçondedescendred’unemotoqu’elleluiafaitperdrelatête.»
Jesecouelatête,pestantintérieurement.Popsmefaitsignedelesuivre.Jebaisse les yeux en passant près des types, préférant ignorer leurs souriresmoqueurs.
Unefoisàl’intérieurdubâtiment,j’interrogePops:—Oùsommes-nous?Qu’est-cequejefaisici?—Noussommesdansmonclub.Jebalaielapièceduregard,aufondilyaunbillard.Denombreusestables
et chaises sont installées un peu partout. Un grand écran de télévision estaccrochéaumurfaisantfaceàuncanapéetplusieursfauteuils.Àmadroite,ilyaunbarprèsduquelunautrebikerest installé.Cederniernousfixeetse lèvealorsquenouslerejoignons.
—Pops.—Ducks.LedénomméDucksmejetteuncoupd’œiletlance:—C’estlagamine?Popsacquiesce.—Ouais.Allonsdansmonbureau.Onseraplustranquilles.Jemetourneverslui,sonvisageaffichetoujoursunairimpassible.Aucune
émotionnetraversesonregard,etçanemerassurepasdutout.
Je les suis en silence tandis que nous entrons dans son bureau. Il se caleconfortablementdanssonfauteuilet,d’unmouvementdumenton,nous intime
denousasseoirsurlesdeuxchaisesquiluifontface.Ilmeregardefixement.Jesoutienssonregard,toutenmedemandantcequejefaisici.
Au bout d’un temps qui me paraît interminable, il décide de rompre lesilence.
—Gamine,jesaiscequit’estarrivé.Jegesticulesurmachaise,malàl’aise,meraclelagorgeetluiréponds:—Jesais.—Jesaisaussiqu’àcausedeçatut’esbrouilléeavecJace.—Euh…Écoutez,sic’estpourmeparlerde…D’unmouvementbrusquedelamain,ilm’interrompt:—Laisse-moicontinuer.Ilfautquetusachesunechose.Dansnotremonde,
quandons’inquiètepourquelqu’un,onmettouslesmoyensànotredispositionpourrésoudreleproblème.
Jenepeuxm’empêcherdeluirépondresuruntonamer:—Etc’estpourcelaquevousavezempiétésurmavieprivée?LesnarinesdePopsfrémissent,ilseretient,etd’unevoixtropcalme,ilme
répond:—Gamine,Jaces’inquiétait.Monrôle,entantqueprésidentduclub,était
desavoirpourmieuxt’aider.—Je…—Laisse-moiterminer.Ilmarque une pause pour s’assurer que je ne l’interrompe pas à nouveau,
puisilreprend:— Le jour où j’ai décidé de te prendre sous ma protection avec ton
association,tuasintégrélafamille.Quandonsentqu’undenosmembresestendanger,onl’aide.
— Pourquoi me dites-vous tout ça ? Je pense que Jace est suffisammentgrandpourprendresadéfense,non?
Ilsecouelatêted’unmouvementsec.—Jenecherchepasàprendresadéfense.Nousavonsagiànotrefaçonque
çateplaiseounon.C’estnotreméthode.Faudrat’yfaire.—Bien,jepenseque…
J’amorceunmouvementpourmelever.Maissavoixtranchantemecoupedansmonélan.
—Jen’aipasfini.Situeslàmaintenant,c’estaussipouruneautreraison.JevaislaisserDuckst’expliquer.
JemetourneversledénomméDucks.—Jaceestvenumevoir,ilyaquelquetemps.Monclubestdumêmegenre
queceluidePops.Saufquenousavonscrééuneassociation,lesB.A.C.A.Nousavonsplusieurschapitresdanstoutlepays.
—Enquoiçameconcerne?—TuasentenduparlerdesB.A.C.A.?Jesecouelatête.—Non,qu’est-cequec’est?—B.A.C.A. signifieBikerAgainstChildAbuse.Nous sommes organisés
danstoutlepayspouraiderlesenfantsmaltraités,victimesd’abussexuelsetdeharcèlementscolaire.
Jenepeuxm’empêcherdedévisagercethommeassisàcôtédemoietquimeditavoircrééuneassociationpourprotégerlesenfants.Ilestdumêmegenreque Pops, sauf que lui a une barbe qui lui descend jusqu’au torse. Ses yeuxmarronaffichent,pourlemoment,uneexpressionchaleureuse,maisjemedoutequ’ilspeuventdeveniraussiglacialsqueceuxdePopsquandilsemetencolère.Sescheveuxsontpoivreetseletluitombentnégligemmentsurlesépaules.Sesavant-bras sont recouverts de tatouages, certains sont même assez effrayants,avecdestêtesdemort,despoignardsetdusang.Est-cequejedoisréellementcroireuntypecommelui?
Pendant que je le détaille, il me fixe également. Pops reste silencieux etsembleattendremaréaction.Jeluienveuxd’avoirparléàquelqu’und’autredemonpassé,mais jecommenceàcomprendreson fonctionnement. Ilme l’adittoutàl’heure:luietsonclubontleurpropremanièredegérerlesemmerdesetjen’aipasmonmotàdire,mêmesiçanemeplaîtpas.
Malàl’aiseàcausedusilenceetdupoidsdeleursregardsposéssurmoi,jefinispardemanderàcedénomméDucksdem’expliquer le fonctionnementde
sonclub.Ilsecaleunpeuplussursachaiseetselance:— Nous travaillons avec les autorités officielles, chaque membre du
B.A.C.A. a suivi et validé une formation sur la psychologie de l’enfant.Danschacun de nos chapitres, nous avons un centre téléphonique dans lequel nousrecevons les appels d’enfants victimes d’abus ou ceux qui sont témoins demaltraitancesurunenfant.Nousveillonsàcequelesautoritésconcernéessoientprévenues et nous lui assurons notre protection. Nous rencontrons, dans unpremier temps, lesvictimes, chezelles,nous leur transmettonsunbadgeetungiletàl’effigieduB.A.C.A.Lesenfantsfontlechoixounondeleporter.Maiscegiletpermetdemontreràleursharceleursqu’ilssontsousnotreprotectionetque s’attaquer à eux, c’est s’attaquer à notre club. Nous leur remettonségalement les coordonnées des deux membres qui seront chargés de leurprotection.Lesenfantspourront les contacterde jour commedenuit.Pour lesvictimesdeharcèlementàl’école,nouslesconduisonsetlesramenonschezeuxàlafindescours.Nousfaisonsparticiperlesenfantsànosfêtes,nosbarbecues.Bref, nous créons un environnement dans lequel ils peuvent se sentir enconfianceetensécurité.Nousleurfaisonscomprendrequ’ilsontunedeuxièmefamille. Dans les cas où ils doivent témoigner dans un procès, nous sommeségalement présents, nous les soutenons pendant toute cette épreuve. Nous lesaccompagnons jusqu’au jour où ils se sentent eux-mêmes suffisamment fortspourfaireface.
Jerestepensive,cetteassociationmefaitvoirlesclubsdemotardssousunautrejour.Dumoins, lesclubscommeceuxdePopsetdeDucks.Jemerendscomptequemêmes’ilsviventenmargedenotre société,mêmes’ils secréentleurs propres lois, ce sont des hommes au grand cœur, prêts à dépenser del’énergie et à se battre pour protéger les plus faibles. Pops l’a fait avec Jacelorsqu’il l’a retrouvéà la rue.Quand je l’ai rencontrépour lapremière fois, ilm’atoutdesuitemisesoussaprotection.Ilenestdemêmeavecl’associationdans laquelle je travaille.Lui et lesmembresde son club, je les ai bienvus àplusieurs reprisess’occuperdesgamins.Cenesontpasseulementdeshors-la-
loi,cesontdeshommesquidéfendentunecauseetdesvaleurs.Oui,ilsviventdemanièredangereuse,maisilslefontavecpassion.
LachansonRidedeLanaDelReymerevientenmémoire:
« Avant je priais toutes les nuits afin de trouver mes “gens” et je les aitrouvés,surcetteroute.Nousn’avionsrienàperdre,rienàgagner,etplusrienàdésireràl’exceptiondefairedenotrevieuneœuvred’art.
VivreVite.MourirJeune.ÊtreEffréné.S’amuser.Jecroisàl’ancienneAmérique.Jecroisenlapersonnequejeveuxdevenir.
Jecroisenlalibertédelaroute.Etmadevisen’ajamaischangé.Jecroisenlabontédesétrangers,etquandjesuisenguerreavecmoi-même,jeroule,encore,etencore…
Quiêtes-vous?Voustenez-vousàl’écoutedevosdésirslesplusnoirs?Avez-vouscrééune
vieoùilspourronts’exprimer?Moi,jel’aifait.Jesuisuneputaindetarée,maisjesuisLibre.»
La voix de Popsme tire demes pensées. Ses yeux bleus translucidesme
fixent.Lesmainscaléessoussonmenton,ilmedemande:—Qu’est-cequet’enpenses,Gamine?—Commentça?Toujoursleregardplantédanslemienetlevisagesérieux,ilmerépond:— Jace a vu que les gamins du centre étaient importants pour toi. Ilm’a
demandé de rapprochermon club de celui des B.A.C.A., pour que tu puissesmieuxdéfendrelesgosses.
Interloquée,jeluilance:—Vousferiezçapourlesenfantsetpourmoi?—Bien sûr.Tu fais partie de la famille.Si c’est important pour toi, c’est
importantpournous.Jesuiscomplètementabasourdieparlabombequ’ilvientdemelancer.Mon
rêve.Celui d’avoir une associationpourm’occuperdes enfants et les protéger
esten traindese réaliser.Et je ledoisàJaceetàcethommeassisen facedemoi.
—Jenesaispasquoidire…Popshausselesépaules.—Disouietons’occupedetoutorganiseraveclesresponsablesducentre.CequePopsmepropose,c’estinespéré.Çanouspermettraitdesavoirque
lesenfantssontensécurité,chezeux,danslarue,àl’école.Jenecomptemêmepluslenombredefoisoùnousavonscraintpoureux.Carilfautbienl’avouer,dès qu’ils quittent le centre, ils sont à nouveau livrés à eux-mêmes. Ils seretrouvent seuls face à leur quotidien, à leurs frayeurs. Nous ne leur offronsqu’untempsdesérénitéauseinducentre.
Je sais que ce que je m’apprête à répondre va changer le cours de monexistence.Maispourlapremièrefoisdemavie,jesaisquejesuisprêteàtournerunepagedemonpassésombreetàvivrecommedanslachansondeLanaDelRey:jeconnaismesdésirsetjelesécoute.Jesuisprêteàmecréerunevieoùjevais pouvoir les laisser s’exprimer, parce qu’à cet instantmême, je suis enfinlibre.
—C’estd’accord.
Jeme lèvedemachaise,contourne lebureaudePopset l’entouredemesbras.Jeluichuchotealors:
—Mercipourtout.Sesgrosbrasm’enlacent,etd’ungestemalhabile,samainmetapoteledos.
D’unevoixbourrue,ilajoute:—C’estpasmoiqu’ilfautremercier,Gamine,c’estJace.Ilm’écartelégèrementdelui,plantesonregardtranslucidedanslemienet
poursuit:—Pardonne-lui,c’estungarsbien.Jeluisourisetluiréponds:—Jeluiavaisdéjàpardonnéavantd’apprendretoutça.
35
Hayley
NousnousretrouvonsavecBrandondansnotrecriquesecrète.
Cematin, enme levant, je lui ai envoyéunmessagepour luidirequemadécision était prise, que je pardonnais à Jace et que j’étais prête à aller del’avant. Il m’a immédiatement répondu qu’il passait me prendre car nousdevionsfaireunechoseimportante.
Depuis quelque temps, je le sens à cran. Son regard qui exprimehabituellement la joiedevivreest terniparunecertaine souffrance. Jene saispassic’estàcausedemoiousic’estàcaused’unedesesgroupiesquiauraitfinalement réussi à percer sa carapace. Mais ces derniers jours, il enchaîneencorepluslesconquêtes.Jemesenscoupablecarjemesuisfocaliséesurmesproblèmesetjel’ailaissétomber.
—Brandon…Pourquoi agis-tu comme ça avec les filles ?Tu sais que tuleurbriseslecœur.Ellescroienttoutesêtrecellequiteferachangerunjour.
Brandon reste silencieux pendant unmoment. Je sais qu’il m’a entendue,maissonregardestperdudanslevague.
—Jenesaispasquoiterépondre,GlitterGirl.—Lavérité?Il détourne son regard de l’horizon et tourne la tête versmoi. Son visage
prendunaircontrit,ilsemblecherchersesmots.Faceàsonexpression,lavérité
mefoudroie.—OhmonDieu!C’estàcausedemoi!—Quoi?medemande-t-ilinquiet.—C’estàcausedemoi,jeluirépète.—Je…—Nememenspas.Jesaisquejesuisunfardeaupourtoi.Jesaisquetoutle
mondes’interrogesurnotrerelation.Ilspensentquenousnousaimons,maisquenousn’osonspasnousavouernossentiments.
—C’estlavérité,nousnousaimons.—Oui,maisnotreamourestfraternel.Enfait,tuaspeurquejerechute,que
jeveuilleànouveaufuir.Alorstuneveuxpast’attacheràquelqu’undepeurdesouffrir,cartutesentiraisobligédemesuivre.Tuneveuxpasm’abandonner.
—Oui,répond-ildansunsouffle.—Oh,jesuisdésolée,Brandon.—Net’inquiètepaspourmoi,GlitterGirl.Jesaisquetuasbesoindemoi.—C’estvrai,maisjenepeuxpastelaissertesacrifier.Tuasledroitd’être
heureux,deconnaîtretesmomentsdebonheur.Toiaussituasledroitdetrouvertoncouvercle.
Ilmeregardefixement,puisauboutd’uncertaintemps, ilmefaitunpetitsourire.
—Jecroisquejel’aitrouvé,GlitterGirl.Soudainuneautrevéritém’apparaîtcommeuneévidence.Unseulprénom
mevientàl’esprit.—Beverly?—Oui.Parcesimplemot,cesimple«oui»,Brandonexprimetoutelapuissancede
sessentimentsenversBeverly.Puisilreprendd’unevoixdouce:—Tusais,mêmesiçamefaitmaldel’admettre,jepensequeJacepeutêtre
toncouvercle,tabéquille.Cette dispute avec lui m’a fait réfléchir. Je sais que je peux lui faire
confianceetvivreunevraierelationaveclui.—Tuesimportantepourlui.
Jeluirépondsdansunsouffle:—Jel’aime.—Jesais,GlitterGirl.Luiaussi,ilt’aime.—Ilnemel’ajamaisdit.—Maissesactesteleprouvent.
JerestesilencieuseuntempsetrepenseàtoutesceschosesqueJaceafaites
pourmoi. Sa patience, ses recherches surmon passé parce qu’il s’inquiétait àmonsujet.Sesdémarchespour rapprocher leclubdesB.A.C.A.pouraider lesenfants.Brandonaraison,Jacem’aime.Jemesouviensdesesparoles,lorsqu’ilm’a dit qu’un jour il me prouverait qu’il était l’homme de ma chanson.Maintenantjelesais.
Prenant réellement consciencede l’ampleurde ses sentiments, j’inspireungrandcoupetdis:
—Çamefaitpeur.—TutesouviensdesparolesdelachansondePink?—Oui.—Cethomme…C’estJacepourtoi.JeréfléchisuninstanttoutenmerepassantlesparolesdeGlitterInTheAir.Au fur et à mesure que je me la chante, le visage de cet inconnu se
transformepeuàpeuenceluideJace.—Oui,c’estlui.—Çaveutdirequec’estlemoment.—Oui, lemoment est venu. J’ai trouvémon couvercle, dis-je d’une voix
fermeetassurée.
Noussommestouslesdeuxassissurlesrochersquisurplombentl’océan,lesvaguessefracassentcontreeux,nousenvoyantenmêmetempsdesembrunssurlevisage.Lesmouettesvolentau-dessusdenousetplongentdans leseauxententantd’attraperdespoissons.Jeregardeleurdanse,perduedansmespensées.Malueurd’espoirseraviveunpeuplus.M’avouerqueJaceestmoncouvercle,
reconnaîtrelessentimentsquej’éprouvepourluim’ôteunepartiedupoidsquimecomprimait.Jesensmamurailles’effondrer.
BrandonallumesoniPodetlancelachansondePink.Machanson.Ilprendquelque chose dans la poche de son pantalon. Je le regarde d’un airinterrogateur.
—Tutesouvienslesoiroùnousécoutionscettechanson?—Oui.—Cesoir-là,jet’avaisditqu’unjourtoiaussitupourraisjeterdespaillettes
danslesairs.Ilmarqueunepause,tendsamainouverteversmoi.Jeposemonregardsur
cequ’iltient:unsachetdepaillettes.—C’esttonmoment,GlitterGirl.C’estaujourd’huique,toiaussi,tupeux
jeterdespaillettesdanslesairs.Émue, je sens mes yeux se remplir de larmes. Jamais je n’oublierai ce
moment,ni le regarddeBrandon,cethommequi s’est sacrifiépourm’aideràsurvivre.Jesaisislesachetdepaillettes,etalorsqu’ils’apprêteàretirersamain,je la retiens et lui demande de patienter. La paume toujours ouverte, il medévisagesanscomprendre.J’ouvredélicatementlesachetetenverseunepartiedans le creux de sa main. Pendant que je vide le restant dans la mienne, jem’expliquealors.
—Toiaussi,c’esttonmoment.Toiaussi,tuvaspouvoirjeterdespaillettesdanslesairsetvivretaviepleinement.
Nousnous levons tous les deux face à l’océan et restons silencieux.Nousavons conscience que cet instant représente un tournant dans notre vie. Unelégère brise vient caresser nos visages, donnant un nouveau souffle à nosexistences.LavoixdePinkcontinueàs’éleverdanslesairs,danscettepaisiblecrique.Nousnous jetonsunregard,nousencourageantmutuellement,Brandonglissesamainlibredanslamienne.Dansl’autremain,noustenonsfermementnospaillettes.
—Maintenant!
D’unmêmemouvement,nous lançonsnospaillettesvers l’océan.C’estunspectacle magnifique. Légères comme des plumes, elles tourbillonnent,s’envolent vers l’horizon. Le reflet des rayons du soleil les font scintiller demillefeux.
Pluselless’éloignent,plusmonsentimentd’espoirgranditetpluslapoignequimecomprimaitlecœurdisparaît.
JemetourneversBrandon,sonvisageafficheunairserein.—Jet’aime,Brandon.—Moiaussi.Toujours.—Toujours.—Tuesprêtepourtanouvellevie?—Oui.—Alorstourne-toietregardeenhautdelafalaise.
Intriguée,jesuislepointqu’ilmemontred’unmouvementdementon.Mes
yeuxcherchentuninstantjusqu’àseposersurunesilhouettequinoussurplombeetnousobserve.En la reconnaissant, je nepeux retenirmoncœurde faireunbonddansmapoitrine.Jace.
Ilestlà,sesyeuxmefixent,m’attirent.Jenepeuxdétournermonregard,jelâchelamaindeBrandonetmedirigeverslui.MonBakers.
Plus je m’approche, plus mon cœur tambourine contre ma poitrine, marespirations’accélère.
Ilest làpourmoi.Saprésencesignifie tout. Ilest l’hommede lachanson,mon couvercle. Plus aucun doute ne subsiste. Pour la première fois depuislongtemps,j’aiconfianceenl’avenir.Jepeuxmoiaussifermerlesyeux,ilseratoujourslàpourmoi.
Arrivée à sa hauteur, je m’arrête à quelques pas de lui, légèrementessoufflée. Il ne bouge pas, mais ses yeux expriment tout l’amour qu’il peutressentirpourmoi.Mêmes’ilnem’apasencoreditcestroispetitsmots,jesaisqu’illespense,jelelissursonvisage.Jen’enrevienspasdelachancequej’aieue de le rencontrer. Cet homme magnifique, qui me fait face avec sa force
brute,estlàpourmoietmoiseule.Aucundenousdeuxneparle,lesmotssontinutiles, nous n’avons pas besoin d’eux pour exprimer tout ce que nousressentons à cet instant. Jeme nourris de sa vision, de sa carrure, de ses braspuissantsdanslesquelsjenedemandequ’àmeréfugier.Lachaleurdesoncorpsm’appelle,jeveuxm’yfondre.
—Jace.C’est toutceque jesuiscapablededire tant lebonheurquim’envahitme
serrelagorge.—Hayley.Sansréfléchir,jemejettedanssesbras.Immédiatementilm’enlace,plonge
sonnezdansmoncouetmerespireprofondément.Jepeuxsentirlesbattementsdesoncœurtambourinercontremapoitrineetfaireéchoauxmiens.
D’unevoixàlafoisdésespéréeetsoulagée,ils’exclame:—Tum’asmanqué,monange!
Jeprendsappui sur son torseavecmesmains,m’écarte légèrementde lui,
incline la tête en arrière pourmieux le regarder. Je veux affronter son regardlorsquejeluidiraicestroispetitsmots.
—Jet’aime.Messentimentssontenfindévoilés,j’entendsmamuraillesecraquelerpuis
s’effondrer. Je me livre à lui corps et âme. Il ferme un instant les yeux, sonvisage se transforme. C’est comme s’il voulait s’imprégner de mes paroles.Lorsqu’illesrouvre,tantd’émotionstraversentsesyeux.
—Moiaussi,jet’aime,monange.Ilm’enlaceunpeuplusétroitementet jemeblottiscontre lui.D’unevoix
suppliante,ilajoute:—Nemequitteplus.—Plusjamais.
Nous restons ainsi longtemps. Puis Jace se détache demoi en gardant ses
mains posées sur ma taille. Cet homme qui habituellement affiche un airimpénétrable me laisse lire en lui comme dans un livre ouvert. Ses mains
remontent lentement le longdemoncorpspour terminer leur chemin surmonvisage. Il les place en coupe, ses yeux sont rivés auxmiens. J’ai l’impressionqu’il est comme moi, incapable de détacher son regard du mien, qu’il veutrattrapertoutcetempsperdu.Desfrissonsmetraversentlecorps.Cenesontpasdesfrissonsd’appréhensionmaisdeplaisir,d’avidité.
Je sais qu’il va m’embrasser, mais il prend son temps. Mon impatiencemonted’uncran,jeveux,j’aibesoinderessentirlecontactdeseslèvressurlesmiennes.Ellesm’onttantmanqué.
Enfin,monattente est récompensée.Toujours les yeux rivés auxmiens, ilpenchesonvisageversmoi.Ilavancelentement,commes’ilvoulaitmarquercemoment à jamais. Les quelques centimètres qui nous séparent se comblentlorsque,enfin,ilposesabouchesurlamienne.C’estundouxbaiser,sonparfumm’enivre.
Ilserecule légèrement,mais j’attrapesonvisagepour lemaintenirprèsdemoi. Et pour la première fois, c’est moi qui prends l’initiative d’approfondirnotrebaiser.Jepresseunpeuplusmeslèvrescontrelessiennes,nossoufflessemélangent. Il entrouvre sa bouche en même temps que moi la mienne. Nousnous connectons. Nos langues commencent une danse voluptueuse. Noussommesincapablesdenousarrêter,mêmepourreprendrenotresouffle.Jeveuxle sentir plus près de moi, j’ai besoin de le sentir contre moi. Nousapprofondissons notre baiser, notre danse sensuelle devient plus sauvage, plusanimale,nousnousdévorons,nosdentss’entrechoquent.Nosinstinctsprimairessurgissent.Cen’estplusunsimplebaiser, c’estuneconquêtede l’autre. Jeneparvienspasà réprimermespulsions. Jeplaquemoncorpscontre le sien,nosbassinsentrentencontact,nousnousemboîtonsà laperfection, commesi soncorpsavaitétécréépourlemien.Nousnousreconnaissons,jesensqu’ilaenviedemoi.
J’entendsungémissement,jesuisincapablededires’ilsortdemapoitrineoudelasienne.Jem’enfous,plusriennecomptesaufJaceetmoi.Sondésirsefait plus intense, il se presse encore plus contremoi et à la bosse que je senscontremonbassin, jesaisqu’ilaenviedemoi.Monventresecontracte.Jenesuispasencoreprêtepourallerplusloin,maispourlapremièrefois,jedésireun
homme.Jeveuxsentirsapeaucontrelamienne,sadouceur,sachaleur.J’enaibesoin,c’estvital,jesuiscommeunedroguéesanssadose.J’aienviedelevoirtorsenu,de suivredemesdoigts lescontoursde ses tatouages,degoûterà sapeau.
Nosrespirationss’accélèrent,mesmainssontenfouiesdanssescheveux,lessiennesm’encadrent toujours le visage, la tête penchée surmoi. Il interromptnotre baiser complètement essoufflé, sa voix est rauque, ses yeux sont voilésd’undésirqu’ilnepeutplusrefréner.Ilposesonfrontcontrelemien.
—Monange,ilfautqu’onarrêteoujenevaispaspouvoirmeretenir.Jemepresseunpeupluscontreluietluiréponds:—Jeneveuxpasquetuteretiennes.Uneplaintesortdesagorge.— Putain, Hayley, ne me parle pas comme ça. Ces mots sortant de ta
bouche…Ilnecontinuepassaphrase.Àlaplace,ilinspireprofondément,samâchoire
secontracte.Ilprendsurluipourcontenirsespulsions.Ilreculed’unpasetmedit:
—Jet’emmènefaireuntour.Jecroisqueçavautmieux.—Ok.—Grimpe.Je prends le casque que Jace me donne et tente tant bien que mal
d’enfourchersaHarley.Jel’entendsricanerderrièremoi.— Putain, mon ange, il va vraiment falloir que je t’apprenne à monter
dessus.Jerougislégèrement.—Jemanquedepratique.Ilmefaitunpetitclind’œil,saboucheafficheunsouriresensuel.— T’inquiète, je te donnerai toutes les occasions possibles pour que tu
puissespratiquer.
36
Hayley
Lanuit,lecentred’accueilpourenfantsdégageuneatmosphèreparticulière.C’estsilencieux,tropsilencieux.Unpeucommeunecourderécréation,sanslescrisetlesjeuxdesenfants.Jen’aimepascetteabsencedebruit,cecalme.J’ail’impression d’être sur le qui-vive, m’attendant à recevoir une mauvaisenouvelled’uninstantàl’autre.Lorsdemesgardes,j’aitoujourscettesensation,maiscesoircesentimentdemalaiseestrenforcé.
LeclubdePopstientsapromesse: touslesjours,deuxmembresviennentassurer la sécurité.Le rapprochement avec lesB.A.C.A. est enbonnevoie,denombreux bikers se sont proposés pour suivre la formation afin d’aider lesenfants.Tantquetoutn’estpasfinalisé,oncontinuecommeavant.
À chacune de mes permanences, Jace est avec moi. Aujourd’hui, Spiderl’accompagneetleurprésencemerassure.Pourlemoment,ilssonttouslesdeuxaffaléssurlecanapéàregarderunmatchd’Undergroud.Moijesuisàlatabledusalonetrévisemoncourssurlapsychologiedel’enfant.Maisj’aidumalàmeconcentrer. Je presse mes tempes pour faire disparaître la migraine quicommenceàvenir. Je repenseàcesdernières semaines, Jacem’aideàvaincremespeurs,àavancersurlechemindelaguérison.Doucement,ilm’apprivoise,memet en confiance. Je sais que je ne risque rien avec lui, qu’il neme fera
jamaisdemal. J’appréhende encorenosmomentsd’intimité,mais Jace sait semontrerpatient,commeilmelerépète,c’estmoiquimèneladanse.
Deux mains se posent délicatement sur mes épaules, je sens sa présencederrièremoi.Sespoucesformentdescerclessurmescervicalesetmemassent.Ilsepenche, son souffle chaudcontremonoreillemedonnedes frissons tout lelongdudos.Desavoixrauque,ilmechuchoteàl’oreille:
—Toutvabien,monange?—Çava,j’aiunpeudemalàmeconcentrer.—C’estlesondelatélé?Tuveuxqu’onlebaisse?—Non,cen’estpasça.J’aijusteunmauvaispressentiment.—Dequellesorte?Jehausselesépaules.—Jesaispas,c’estjusteuneimpression.—Viensparlà.Jace s’assoit sur la chaise située à côté de la mienne, prend ma main et
m’attiresursesgenoux.Instinctivement,jemeblottiscontreluietenfouismonnezdanslecreuxdesoncou.J’inspiredoucement,medélectantdesonparfumsidélicieusementmasculin.J’aimelesentir,cesnotesboiséesmêléesàsonodeurnaturellemeréconfortent.
Depuisquenousnoussommes retrouvés,nousnepouvonsnousempêcherdemaintenirlecontactentrenous.Touslessoirs,jedorschezlui.C’estcommesinousvoulionsrattraperletempsperdu.Nousnenoussommesséparésqu’unesemainemais nous éprouvons tous les deux le besoin de ne plus nous quitter.Toutenm’enlaçant,ilm’embrassesurlatempeetmechuchote:
—Tusaisquetunerisquesrienavecmoi?Jeteprotège,monange.—Jesais.Ilplacesondoigtsousmonmentonet tournemonvisagevers lesien.Ses
yeuxsontrivésauxmiens.—Jeveuxquetusoiscertained’unechose,tun’esplusseule.Noussommes
deux,maintenant, pour faire face. Quels que soient tes démons, je serai là et
t’aideraiàlescombattre.—Merci.—Nemeremerciejamaispourça,monange.Nous restons ainsi blottis un moment, l’un contre l’autre, puisant chacun
dans la chaleur de l’autre.Ma tête est appuyée contre son torse, jeme laissebercer par les battements réguliers de son cœur. Je pourrais rester ainsi uneéternité.Jace,monBakers.Cethommesauvage,cebiker que j’ai laissé entrerdansmaviepeuàpeu.Désormais,jenem’imagineplusvivresanslui.Grâceàlui,jereprendsespoirdepouvoirunjourchasserdéfinitivementmesdémons,lesenfermeràdoubletourdansunplacardetjeterlaclef.Nousn’avonspasencoreparléouvertementtouslesdeux,ilattendquejefasselepremierpas.Maisjeneveuxplusquemonpassépèseentrenous,alorsjepréfèrelelaisserderrièremoipourcommencercetterelation.
Quandlasonneriedutéléphoneretentit,monestomacsenoue.Jedécrochelecombiné.Magorgeseserreenreconnaissantlavoixdecepetitgarçon:
—Hayley?—Logan,quesepasse-t-il?—J’aipeur…Jecommenceàpaniquer,Loganestenpleursetjenecomprendspascequ’il
meraconte.Mesmainstremblent,jeserreunpeuplusfortlecombinéettentedemaîtrisermavoixlorsquejereprends:
—Logan,monbonhomme…Respireungrandcoupetparlecalmement.Jenecomprendspascequetumedis.
—J’aipeur,Hayley.—Ilyaquelqu’unavectoi?—Non,jesuistoutseulàlamaison.Mesfrèresetsœurssontchezleurpère.—Oùesttamère?—Partie.—Partieoù?—Jesaispas.Ellem’alaissétoutseulàlamaison.—Depuisquand?
—Elleestpartiecematin.—Ellet’aditoùelleestallée?—Non.J’aipeur,Hayley.Lesvoisinsfontbeaucoupdebruit.LeMonsieur
crieettapesurquelquechose.
PendantqueLoganmeparleau téléphone,Jaceprend lesien. Je l’entendsparleràquelqu’un.Jenesaispasquiestsoncorrespondantmaisjel’entendsdire«Ok»,puisilraccroche.Ils’approchedemoi,laminesombre,etmechuchote:
—Dis-luiquePopsarrive.Ilvalechercherchezlui.ResteavecLoganautéléphone,jelerejoinslà-bas.Spidervaresteravectoi.
Ilm’embrassesurlatempeets’enva.
—Logan?—Oui.— Je vais rester avec toi au téléphone. Pops arrive avec Jace. Ils vont
t’amenerici,d’accord?—Oui.Merci,Hayley.—Je t’enprie,mongrand.Tu esunpetit garçon très courageux.Toutva
biensepasser.—J’aivraimentpeur,çacriebeaucoupàcôté.Moncœursecomprime.—Tune risques rien, tueschez toi. Ilneva rien te faire.N’ouvrepas la
porte,d’accord?—Oui.—Popsnevaplustarder.— Hayley, tu te souviens quand tu m’as parlé de ta chanson et de ton
CaptainAmerica?—Oui.—Jecroisquej’aitrouvélemien…Pops,c’estmonCaptainAmerica…Tu
croisquejepourraisluidemanderdel’être?Qu’ilseraitd’accord?—Jesuissûrequ’ilenseraithonoré.—J’entendsquelqu’unsonneràlaporte.C’estPops?
Aumêmemoment, je reçois unmessage de Jacem’informant qu’ils sontdevantlaportedel’appartementdeLogan.
—Oui, c’est lui. Je viens de recevoir unmessage de Jace. Tu peux leurouvrir.
—Resteavecmoiautéléphone.—D’accord.Au travers du combiné, j’entends le bruit étouffé des pas de Logan, celui
d’un verrou que l’on tourne et d’une porte qui s’ouvre. Mon cœur se serrelorsquejeperçoislessanglotsdeLoganetlavoixdePopstentantdelerassurer.
—Monange?Lepetitn’arien.Ilestjusteeffrayé.Onrécupèresesaffairesetonterejoint.
—Ok.Merci.Je raccroche le combiné, m’adosse à ma chaise et pousse un soupir de
soulagement.C’estàcemoment-làque jeme rendscompteque j’avais retenuma respiration jusqu’à leur arrivée. J’informe Spider que Pops et Jace ontrécupéréLoganetj’attendsleurretour.
37
Jace
Enarrivant dans l’appartement dupetitLogan, j’ai reçuunvéritable coupdans la poitrine. La vision de ce gosse dans ce salon sordide restera à jamaisgravéeenmoi.
Legaminestcomplètementeffrayé. Ilporteunpyjamadifformeet sale, ilserre tout contre lui sa figurine de Captain America. Pops s’agenouille à sahauteuretlegaminseprécipitesurluiensanglotant.Merde,voirPopsaveccegosse dans les bras, ça me fait bizarre. Il me regarde par-dessus l’épaule deLogan.Jereconnaisceregard,ilmefaitfrémir.
Lamèredupetitadelachancedenepasêtreprésentesinonelleauraitpasséunsalequartd’heure.
Pops se redresse et soulève Logan dans ses bras. Le gamin refuse de lequitter.Nousnousdirigeonsverslachambredupetit.
Lechoc!Cen’estpasunechambre,maisplutôtuncagibi.Lapeintureestd’unverdâtreimmonde,elles’écailleparendroits,laissantapparaîtredestracesdemoisissures.Jejetteuncoupd’œilendirectiondecequiluisertdelit.C’estunmatelas posé àmême le sol. Les plaques de plâtre au-dessus se détachent.Merde, iln’yamêmepasde fenêtre.Commentunemèrepeut-elle laisser sonenfantvivredansdetellesconditions?
Popsluichuchotequelquechoseàl’oreille,lepetithochedoucementlatêteetquitte sesbras. Il ramasseunpantalonqui traînepar terre, attrapeun t-shirtlaissé à l’abandon sur son lit. Il prend encore quelques bricoles et les enfouitdansunsacquiaconnudes joursmeilleurs.Çamefaitmaldevoircegamin.Popsvientversmoietmedit:
— Appelle un prospect pour qu’il surveille l’appart. Dès que la mèreréapparaît,qu’ilmeprévienne.Passeaussiuncoupdefilànosavocats.
—Ok.Je ne sais pas ce qu’il a en tête, mais une chose est sûre, à partir
d’aujourd’hui,lepetitn’auraplusàs’inquiéter.Popsl’aprissoussonaile.Logan sedirigevers nous avec son sac et sa figurinedeCaptainAmerica
qu’il serre toujours contre lui. Je lui prends le sac et le petit glisseimmédiatement samainvidedans celle dePops.Cedernier baisse son regardversleursmains,prenduneprofondeinspirationetluiditd’unevoixvoiléeparl’émotion:
—Tun’asplusàt’inquiéterderien,fiston.Jevaism’occuperdetoiàpartird’aujourd’hui.
Cetteimagemeramènequelquesannéesenarrière,lorsquej’aieulachancedecroiser lechemindePops.Lorsqu’ils’engageàfairequelquechose, il tientpromesse.Etaujourd’hui,plusquetout,lepetitLoganabesoinquel’ontiennenospromesses.
Nous nous dirigeons vers la sortie de l’appartement et refermons la ported’entréedansunsilencequasireligieux.Cesoir,unepagesetournepourlepetitLogan.
Aucentred’accueil,jevoismonangeseprécipiterversnous.Sonvisageestrongé par l’angoisse. Ellemarque un bref temps d’arrêt en apercevant Loganvêtuentoutetpour toutdesonpyjamaetdublousondePops.Jeremarquelacrispation de ses traits, son regard voilé par la tristesse. Elle s’approche endouceurdupetitetseplaceàsahauteur.
—Salut,bonhomme.
Lepetitseprécipitedanssesbrasets’accrocheàellecommeàunebouéedesauvetage. Elle lui chuchote à l’oreille des mots réconfortants. Puis elle serelève,lepetittoujoursagrippéàelle.
—As-tumangéquelquechose,aujourd’hui?—Seulementmonchocolataulaitcematin.Maisj’enairenversélamoitié.—Tun’asrienmangéd’autre?—Non,lefrigoétaitvide.—Tuveuxqu’oncommandeunepizza?—Oui,s’ilteplaît.—Rentrons,onvas’occuperdeça.Loganseretourneversnousetnousdit:—Vousrestezvousaussi,vousnemequittezpas?—Non,fiston,onvoussuit.Logantientlamaind’Hayley,etdesonautremain,ilattrapecelledePops.
Etc’estainsiquenousentrons.Ungaminabandonné,encadréparunangeetunbikeraucœurtendre.
***
Lepetit s’est précipité sur la pizza et en a avalé à lui tout seul plus de lamoitié.À présent,Hayley est avec lui.Elle l’a aidé à s’installer dans une deschambresducentreetluiracontedésormaisunehistoire.JesuisrestéavecPopsdans lesalon. Ilestsilencieuxmais jevoisàsonregard,à lacrispationdesespoingssur la tablequ’ilestprêtàexploser.Lorsqu’ilplantesesyeuxdans lesmiens,ilssontfroids,glacials,etd’unevoixtendue,ilmedit:
—Jeneveuxpasquelepetitretournechezsamèredanscesconditions.—Qu’est-cequetuveuxfaire?— Je veux la rencontrer. Connaître les raisons de son comportement à
propos du gamin. Merde ! Tu te rends compte qu’il n’avait même pas dechambre!T’asvucommemoiquesesfrèresetsœursavaientchacunlaleur.Etlui, rien, même pas un jouet dans un cagibi sans fenêtre. J’aurais même pasvouluymettreunclébard!
—Calme-toi,Pops.— Comment veux-tu que je me calme quand je vois ça ! Je veux la
rencontrer.SiLogan est d’accord, onva trouver un arrangement avec lamèrepourqu’ons’occupedelui.
—Jesaispassionaledroit.— Je m’en fous, tout ce qui compte maintenant, c’est le gosse. On paie
suffisammentchernosavocatspourqu’ilstrouventlasolution.Enattendant,lepetitresteavecnous.
—C’esttoiquidécides.Jem’enoccupedemainàlapremièreheure.JevaisvoirHayleyetLogan,m’assurerqu’ilsn’aientbesoinderien.
—Ok.
Jeprendsladirectionducouloiretm’approchedelachambredupetit.D’oùjesuisplacé,ilsnepeuventmevoirmaisj’entendsHayleyluiparler.Etcequej’entendsmeretournel’estomac.
—Hayley,jecroisquemamanaraison.—Queveux-tudire?—Jecroisquejesuisméchant.—Tun’espasméchant,Logan.—Si…Jesuisméchantparcequ’encemoment,jedétestemamaman.—Ça ne fait pas de toi quelqu’un deméchant, mais juste quelqu’un qui
souffreénormément.— Je ne sais pas. Tu sais, je ne la déteste pas tout le temps. C’est ma
maman,parfoisjel’aime.Jenecomprendspaspourquoielleestcommeçaavecmoi.J’essaied’êtregentilavecelle,maisellen’estjamaiscontente.Alorsjeladéteste.Jesuisaussijalouxdemesfrèresetsœurs,parcequemamanestgentilleaveceux,maispasavecmoi.
—Tesréactionssontnormales,Logan.Tuesdansunesituationinjuste,ettun’enconnaispaslesraisons.
—Pourquoiellenem’aimepas?—Jenesaispas…Parfoislesadultessouffrenténormémentetrejettentleur
douleur sur quelqu’un de plus faible. C’est plus facile pour eux, plutôt que
d’affronterleurdouleuretleurpeur.—Elleapeurdequoimaman?—Jenesaispas,jeneconnaispassonhistoire.Tutesouviens,unjour,je
t’aiditquel’onm’avaitfaitdumal?—Oui.—Mamamanaussim’enafait.Unjour,elleadécidédeneplusm’aimer.
Elle a laisséquelqu’und’autreme fairedumal etn’a jamaisprismadéfense.Moi aussi, parfois, je la déteste. Est-ce que tu vois en moi quelqu’un deméchant?
—Non.Tuestrèsgentille.Tuestoujourslàpournous.—Toiaussi,Logan,tuesunpetitgarçontrèsgentil.N’endoutepasunseul
instant. Les sentiments que tu éprouves aujourd’hui sont normaux. C’est tonmoyendeteprotéger.Netesenspascoupable.Tun’asrienfaitdemal.Tueslavictime,dansl’histoire.
—Merci,Hayley…Tucroisqu’unjour jepourrai l’aimerànouveau?Tul’aimesencoretamaman?
— Je ne sais pas… Parfois, oui… Lorsque je pense aux bons moments.J’espère qu’elle redevienne un jour la maman que j’ai connue. D’autres fois,non,carjesaisqu’elleneseraplusjamaiscommeavant.Toutcequej’espère,c’estd’êtrecapableunjourdeluipardonnerdenepasm’avoirprotégée.Sij’yparviens,alorsjeseraienpaixavecmoi-même.
Ils restent silencieux un moment, méditant sur leurs paroles, puis Hayleyreprend:
—Tusais,Logan,mêmesitouslesdeuxnousnesommespasnésdanslabonne famille, dans la vie nous faisons de merveilleuses rencontres. Nousrencontronsdespersonnesquinousaimenttelsquenoussommes.Cesoir,tuastrouvétonCaptainAmerica:Pops!Alorsaieconfianceenl’avenir,carmêmesilavieestdureetcruelleparfois,elle t’offreaussidemerveilleuxmoments.Etcesmoments-là,iltefautleschérir.
Jefaisdemi-tourdanslecouloirsansfairedebruit.Mavueestbrouillée.Jemerendscomptequecesontdeslarmesquim’empêchentdevoir.Jeréaliseque,
pourlapremièrefoisdemavied’adulte,jepleure.Jepleurepourcepetitgarçonetpourmonange.
38
Hayley
—Hayley?—Oui,bonhomme?—Tupeuxresteravecmoi,letempsquejem’endorme?—Biensûr.Tuveuxquej’éteignelalumière?—Non.J’aipeurdanslenoir.—D’accord.Nebougepas,jereviens.Jemelève,allumelalampesurlatabledechevetetéteinslalumièredela
chambre.—Çatevacommeça?—Oui.Je me replace dans le lit et le petit vient se caler tout contre moi. Nous
restonssilencieuxtouslesdeuxetnousnouslaissonsbercerparlesbruitsdelamaison.Sesyeuxsemettentàpapillonneretsefermentpeuàpeu.
J’attends que sa respiration devienne lente et régulière, signe qu’il s’estendormi.Jemelèvedélicatement,remontelacouverturesursespetitesépaulesetluidéposeunbaisersurlefront.
Le plus silencieusement possible, je quitte la chambre pour rejoindre lesautres.
Àmi-parcoursdesescaliers,j’entendsdesvoixenprovenancedelacuisineetm’ydirige.Jemarqueuntempsd’arrêtsurleseuilenvoyantPopsetDucksenpleinediscussion,àvoixbasse.Cesderniersremarquentrapidementmaprésenceet s’interrompent. Pops tourne son visage vers moi, les traits marqués par lafatigue. Il sembleavoirvieilli deplusieurs annéesenàpeinequelquesheures.Seulssesyeuxtranslucidesgardenttouteleurintensité.
—Commentva-t-il?—Çava,ils’estendormi.Ilacquiesce.Jemedirigeversleréfrigérateurpourprendreunebouteilled’eau.Hésitante,
jemeretourneverseuxtoutenjouantaveclebouchon.—Queva-t-ilsepasserpourLogan?Popspasseunemainlassesursonvisage.— Ne t’inquiète pas pour lui. On va le sortir de ce bourbier, quoi qu’il
arrive.J’opine, porte la bouteille àmes lèvres et avale une gorgée d’eau fraîche.
Ducksessaiedemerassureretajouted’unevoixferme:—Ilestsousnotreprotection,maintenant.Onal’habitudedegérercegenre
decas.Soisrassurée,iln’estplusseul.—D’accord.—Tudevraisallertereposer,Gamine.Ilest tardett’ascoursdemain.On
s’occupeducentre,cesoir.—Merci.Alorsquejem’apprêteàquitterlacuisine,lavoixdePopsmeretient:—SitucherchestonBakers,ilestdanslesalon.Je fais volte-face en entendant le surnom de Jace, j’ignorais qu’il était au
courant.—Comment…Ilmefaitunclind’œilenvoyantmonairsurpris.Sonvisagereprendunair
rieur:—N’oubliepas,jesuislePrés’duclub,c’estmonrôledetoutsavoir.
Les jouesenflamme, jemeretourneetmarmonnequelquechoseàproposdu respect de la vie privée. Pops m’entend et je suis poursuivie par son rirejusqu’àlasortiedelacuisine.
Cequejevoisenpremierenpénétrantdanslesalon,c’estJaceavachisurlecanapé devant un film d’action. Je profite qu’il ne se soit pas encore renducompte de ma présence pour l’admirer. Malgré les signes de fatigue quimarquentsonvisage,ilrestesuperbe.
Sesentantcertainementépié,iltournelatêtedansmadirectionenfronçantlessourcils,puissonvisages’adoucitets’éclaireàmavue.Ilmefaitsignedelerejoindre en tapotant la place libre à côté de lui. Je contourne le canapé, et àpeinesuis-jearrivéeàsahauteurqu’ilattrapemamainetm’attirecontrelui.Jeme retrouve assise sur ses genoux en un battement de cils, ses bras viennentm’entoureret sonnezplongedansmoncou.Les lèvrescontremapeau, ilmemurmure:
—Commenttutesens?Jemedétachedesonemprise,posemesfessessurlecoussinàcôtédelui.Il
en profite pour ramener mes jambes sur lui. Son pouce caresse mon genoudoucement. Je ne lui réponds pas immédiatement et tente d’analyser messentimentsconcernantcettesoirée.
Nousfixonstouslesdeuxl’écrandelatélévisionsansvraimentleregarder.Jefinisparbriserlesilence:
— Jem’inquiète pour Logan. Comment samère va réagir ? Comment lepetitvaréagirsionleretireàsafamille?Comment…
—Hé…ducalme,monange.—J’aipeurpourlui.—Net’inquiètepas,Popsestlà,etquandilveutquelquechose,ill’obtient
toujours.Suruneaffaire,lePrés’,c’estcommeunputaindeclébardquisejettesurunosàronger.IlnelaisserapastomberLogan.
Ilmarqueunepause,sesyeuxmescrutent.—Viensmonange,t’escrevée.Onvasecoucher.
Jelelaissem’entraîneràl’étageversunedeschambresducentre.J’aidéjàdormiavecJace,mais la situationdecesoiretnotreconversationontmodifiéquelque chose entrenous.Le lienqui nousunit s’est renforcé. Je l’observe sedéshabiller sans aucune gêne et je reste béate d’admiration. J’en baveraispresque.Ilestunappelaupéchéouàlaréalisationdetouslesfantasmes.
Avantde le connaître, jen’ai jamais aimé les tatouages. Jenecomprenaispas pourquoi les gens voulaient semarquer la peau à l’encre indélébile.Maisquand je regarde le corpsde Jace, j’avouequec’estuneœuvred’art subliméeparcesdessins.Surlui,mêmelestatouageslespluseffrayants,commeceluidela faucheuse, sontbeaux.Maismonpréféré,c’estceluiquipartdesonaineetquiremontelentementjusqu’às’enroulerautourdesescôtes.Cesontdesailesd’ange. J’ai deplus enplusdemal à retenirmespulsions en saprésence, j’aienvied’allerplusloin.Maisj’aipeur.Peurdemaréactionlorsqu’ilmetoucheraréellement,lorsquejesentiraisamainsurmapeaunue,sonpoidssurmoncorps.J’aipeurdelerejeteretqu’ilfinisseparneplusvouloirdemoi.
LavoixdeJacemesortdemacontemplation.—Çavamonange?Mes yeux sont toujours rivés sur ses tatouages et je ne prononce qu’un
lamentable:—Hum…—Tunedevraispasmeregardercommeça.Saréflexionmefaitfinalementdétacherleregarddesoncorps.—Teregardercomment?—Commesitut’apprêtaisàdévorertongâteaupréféré.—Oh…Pardon.—Çanemedérangepas,c’estjustequejenesuispasfaitdeglace.—Désolée…C’estjusteque…Je laisse ma phrase inachevée, incapable de prononcer les mots qui se
bousculentdansma tête.Jaces’approchedemoi lentement,une lueurdedésirilluminesesmerveilleusesprunellesgrises.
—Qu’est-cequit’arrive,cesoir?
—Rien.Jecroisquec’estlasituationdeLoganquim’aunpeuchamboulée.J’aienvie…j’aibesoind’oublierpourcesoirlanoirceurdecemonde.
Ilposesesdeuxmainsencoupesurmonvisageetapprochelentementseslèvres sensuelles desmiennes. D’abord légère comme une caresse, sa bouchedevient plus gourmande. Sans que nous nous en rendions compte, nos deuxcorpssedéplacentverslelit.Lorsquemesjambesbutentcontrelereborddecedernier, Jace se détache légèrement de moi. Son regard me sonde, mequestionne.Incapabledeprononcerunseulmot, jeplongemesmainsdanssescheveuxetlerapprochedemoi.Nosbassinsfusionnent,ungémissementsortdemapoitrinelorsqu’unedesesmainsvientsefaufilersousmont-shirt.LavoixdeJaceromptlesilencedelachambre, ilpressesonfrontcontrelemien,savoixestsuppliante.
—Dis-moid’arrêter,monange.Aulieudeluirépondre,jefaiscourirmesdoigtslelongdesonventreferme.
Il bloque sa respiration. La veine qui pulse dans son cou montre bien qu’ilsouffre et qu’il se retient. Mais ce soir je ne veux pas qu’il se retienne, j’aibesoin de m’évader. Le cas de Logan me rappelle trop ma souffrance, monsentiment de solitude lorsque j’étais enfant. J’ai peur que les images demonpassé ne refassent leur apparition, je veux les fuir avant qu’elles nem’engloutissent.Parcequejesaisquecesoir,lorsquejefermerailesyeuxpourm’endormir,cesimagesvontviolemments’abattresurmoi.Alorsjeveuxfaireensortedetoutoublier,etjesaisqu’avecJacejepeuxyparvenir.
—Hayley,dis-moid’arrêter.Tumerendsfou.Jesecouelatêteetlesupplie:—Non.Jeneveuxpasquetuarrêtes.J’enaibesoin.Jeteveux.—Tun’espasdanstonétatnormal,cesoir.Jenepeuxpas.Ces paroles me font l’effet d’une douche froide. Je me sens rejetée et le
regarde,blessée.—Hayley,crois-moi,j’enaienvie.Maistun’espasencoreprête.Quandon
lefera,jeveuxquetusoissûredetoi.—Maisjesuissûredemoi,luidis-jed’unairbuté.—Non,tuveuxoublier.Toncorpsleveut,maistonespritn’estpasprêt.
—Jace…Ilhésitequelquessecondes.Jevoisbienqu’ilmèneuncombatintérieur.—As-tudéjàeuduplaisiravecunhomme?Honteuse,jerépondsd’unepetitevoix:—Non.—Tumefaisconfiance?—Oui.—Bien.
Jacemedéposedélicatementsurlelit,sansmequitterdesyeux,etsondela
moindreexpressionsurmonvisage.Ils’allongeàsontourprèsdemoi.Duboutdesdoigts,ileffleuredélicatementmoncou,l’arrondidemonépaule,monbras.Puissamainrefaitlemêmecheminensensinverse.Ilmarqueunelégèrepause,guettantlamoindredemesréactions,puisreprend.Samaincontournelabasedemoncouetdescendlentementversmapoitrine,illafaufileentremesdeuxseinsetpoursuitsadescentejusqu’àmonventre,etlaremonte.
C’estunevéritabletorture.Monsangbatcontremestempes,monventresecontracte à chacune de ses caresses.Ce type est un véritablemagicien.D’unesimplecaresse,ilsaitembrasermessens.
Savoixn’estqu’unchuchotement.—Tupeuxmedirestopàtoutmoment.Jem’arrêteraiimmédiatement!J’acquiesceimperceptiblement.Ilchangedepositionetmechevauche.Nos
regards sont toujours soudés l’un à l’autre. Il relève lentement mon t-shirtjusqu’àmeleretirerentièrement.Jemeretrouvesimplementvêtued’unsoutien-gorge.Faceàsonregard,monpremierréflexeestdemecacher.Jeplaquemesmains contrema poitrine. Jace saisit délicatementmes poignets etme les faitécarter.Sesgestessontlents,douxetassurés.
—Netecachepasdemoi.Tuesmagnifique.La lueur de désir et l’admiration qui illuminent ses prunelles grises me
rassurentetmefontmesentirbelle.Unsentimentdeconfiancegagnepeuàpeumonesprit.Jeneréfléchisplus,jesuisdevenuecomplètementguimauve.
Toujoursdélicatement,ilfaitcourirsesdoigtslelongdemontorse,leregardémerveillé comme s’il découvrait une œuvre d’art. Ses mains se posent endouceurcontremes flancset remontent jusqu’àmesseins, ilmarqueun tempsd’arrêt,sesirism’analysenttoujours.
Voyant que je ne panique pas, il parcourt la lisière entrema peau etmonsoutien-gorge,provoquant aupassageunemultitudede frissons.Toujourspar-dessusmonsous-vêtement,samainvientcaresserl’arrondidemonseingauche.Il se penche alors lentement vers mon buste, ses lèvres légèrement humidesembrassentmapeaudevenuehypersensible.Danssonmouvement,sescheveuxtombentcommeunrideauetbalaientmapeauenunlégerchatouillement.Unedesesmainsse faufiledansmondoset jouemalicieusementavec l’attachedemonsoutien-gorge.Sanshésitationetd’ungestehabile,illadéfait.Jesensmonsous-vêtementsedétendre,Jacefaitlentementglisserlesbretelleslelongdemesbrasetmeleretirecomplètement.
Sous l’effet de la fraîcheur, mes tétons se dressent et la main chaude deBakersvientleseffleurer,provoquantunemultitudedesensationssousmapeau.Moncœurbatsifortquejepeuxentendremonpoulsdansmesoreilles.
—S’ilteplaît,embrasse-moi,jesouffle.Ilaccèdeàmademande,seslèvresrencontrentlesmiennes,toutdoucement.
Ses yeux ouverts fixent les miens tandis qu’il effleure gentiment ma bouche.C’estunbaisertendre,doux,rassurant.Samainemprisonnetoujoursmonsein,alorsqueses lèvresse fontplus insistantes.Sa langueglissecontre lamienne,dansunmouvementdeva-et-vient.D’unsimplebaiser,d’unesimplecaresse,ilparvientàmefaireressentirunflotd’émotions.
Ungémissementsortdemagorgequandjesensmonclitorispalpiter.Jenepense à rien d’autre qu’à libérer cette douleur délicieuse. Mon bassin serapprochedusienpoursecolleràlui.Ilglissealorssajambeentrelesmiennes,créant un contact entremon intimité et sa cuisse. Sans aucune pudeur, jemefrottecontre luipouressayerd’atteindre ladélivrance.Sentantmonexcitation,sesdoigtssefontplusfébrilesautourdemontétonetsemettentàlepincer,cequiapoureffetimmédiatdemefairegémirencoreplus.Sabouchesedétache
de la mienne et vient emprisonner la pointe de mon sein maltraité quelquessecondes plus tôt. Sa langue chaude et humide s’enroule autour de ma chairgonflée. Jemecambreunpeuplus, luioffrantainsimapoitrine. Jene ressensplusaucunegêne,ma têtese renverseenarrière, j’enfouismesmainsdanssescheveuxpourmaintenirsonvisagecontremonsein.
Quand je sens ses dents mordiller gentiment mon téton, une déchargeélectriquemeparcourtlecorpsjusqu’àmonintimité.Lecontactdesesdents,desajambeeffectuantdesmouvementsdeva-et-vientcontremonclitorismerendfolleetjenepeuxréprimerlecriquis’échappedemabouche.Sousl’intensitédessensations,mesyeuxserévulsent.Jesuisincapabledepenser,deréfléchir.Lorsquejelesenssedétacherdemoncorps,jenepeuxm’empêcherdeleretenircommeuneâmeenpeine.Jenesuispasprêteàperdrelecontactdesapeaunuecontrelamienne.
—Non,jecrie.D’ungesterassurant,sonpoucecaressemalèvreinférieure.Sesmagnifiques
prunelles sont devenues argent liquide. D’une voix douce mais ferme, il medemande:
—Jepeuxallerplusloin?Joignant legesteà laparole, je senssamain joueravec leboutondemon
pantalon. Incapabledeprononcerunmot cohérent, j’acquiesce. Il n’attendpasunesecondedeplusetd’ungestesûrdéfaitl’attachedemonvêtement.Samainsefaufileentremaculotteetmonpantalon.Quandsesdoigtsrencontrentletissurenduhumideparmondésir, il semetàgémircontremonoreille.Sesparolescruesamplifientmonexcitation.
—Tumouillestellement.À traversma culotte ses doigts trouventmon bouton de plaisir. Je neme
reconnaisplusetlesupplied’allerplusloin.Saboucheemprisonneànouveaulamienneaumomentoù jesenssesdoigtsglisserentre ladentelledemonsous-vêtementetmapeaunue.Ilssepromènentlentement,patiemmentlelongdemafente jusqu’à entrer en contact avec mon clitoris, qu’il masse doucement. Sacaresse transforme le plaisir en une insupportable tension. Mes orteils se
recroquevillent et je ne peuxm’empêcher de gémir sans aucune retenue.Monsouffledevientprécipité,saccadé.
Sentantmestremblements,Jaceémetungrognementdeplaisir.Seslèvressemettentàremuercontrelesmiennesetcequ’ilmeditamplifiemonexcitation.
—Jouispourmoi,monange.Alors,sansaucunepudeur, je luiobéisetun longrâlesortdemapoitrine.
Pourlapremièrefoisdemavie,j’atteinsl’orgasmedanslesbrasd’unhomme.
Quandmonsouffleredevientcalme,samainquittemonintimitétandisquesabouchecontinueàmebutiner.Toujoursau-dessusdemoi,ilplacesesavant-brasdepartetd’autredemonvisage,déplaçantainsilepoidsdesoncorps.Sesparolesm’achèventetmefonttomberunpeuplusamoureusedelui.
—Tuesmagnifique,monange.Encoredans l’euphoriedumoment, jene trouveaucune réponseadéquate,
seulel’expressionbéatedemonvisageluidonneuneidéedemonétat.Ilroulesurlecôtéetm’entraînedanslecreuxdesesbras.Matêteseposenaturellementcontresontorsechaud.
Apaisée et sereine, je souris. Je m’endors, reconnaissante de ce moment.Parcequecesoir, jesaisque jepeux le fairedans lesbrasde l’hommedemachanson.
39
Jace
Enmeréveillantcematin,jemesensl’hommelepluschanceuxdumonde.Depuis plus de dix minutes, j’observe Hayley, endormie dans mes bras, unsourireniaisplaquésurmonvisage.
Chaquenuitpasséeauprèsd’elleestplusbellequelaprécédente.Maiscettenuit-là surpasse toutesmes espérances.Elle est tout en haut dema liste. Sanshésitation,nifrayeur,elleadéposésaconfianceaucreuxdemesmainsets’estcomplètementabandonnée.Elles’estentièrementlivréeàmoi.Lireledésirsursonvisage,danssesyeux,aétélaplusbellechosequim’aitétédonnéedevoir.Et pour la première fois demavie, je n’ai pas pensé àmes besoinsmais auxsiens,àsonplaisir.
Délicatement, je déplace sa tête de mon torse et la pose sur l’oreiller. Jegrimace de douleur quand je remue mon épaule complètement ankylosée eteffectuequelquesmouvementspourladétendre.Jemelèvesansunbruitpournepaslaréveiller.Unlégersoupirs’échappedesabouche,alorsquej’attrapemonpantalon. Je laisse mon mouvement en suspens et regarde par-dessus monépaule.Elleremuelégèrementdanssonsommeiletenfonceunpeupluslatêtedans l’oreiller. Sa respiration est régulière, signe qu’elle est toujours dans lesbrasdeMorphée.J’enfilemonpantalon,attrapemont-shirtetquittelachambresilencieusement.
À peine suis-je entré dans la cuisine quemes yeux captent ceux de Popsassis à la table, une tasse de café à lamain.Une lueurmalicieuse allume sonregard.
—Jenetedemandepascommenttanuits’estpassée?Saphrasechargéedelourdssous-entendusmefaitmarrer.—Merde,Prés’,parlepascommeçadevantHayley.Il lève sa tasse dans ma direction pour me signifier qu’il a bien reçu le
message.Maisceconnepeutpass’empêcherd’enrajouterunecouche:— Fiston, si tu veux pas te prendre de remarque, soyez plus discrets, la
prochainefois.Je secoue la tête et préfère ignorer sa petite pique. Parfois les bikers sont
vraiment lourds dans leurs réflexions sur les nanas. Et franchement, j’ai pasenvie de raconter ce que j’ai partagé avecHayley. J’aurais l’impression de latrahir.
Jeluitourneledosetmeverseuncafé.Matassefumanteàlamain,j’attrapeunechaise,laretourneetm’assoisàcalifourchondessus.
Jeboisunepremièregorgée,etquandmespapillesrencontrentleliquide,jenepeuxm’empêcherdegrimacer.
—Putain,Pops,toncaféesttoujoursaussidégueulasse!—J’teforcepasàleboire.—Hum…Sijemesuisréveillécematinsansfairedebruit,c’étaitpourpouvoirparler
tranquillementauPrés’sansqu’Hayleynesoitprésente.Jeneveuxpasqu’elles’inquièteinutilementsurlepetit.J’attaqued’embléeavantqu’elleouLogannenousrejoigne.
—T’asdesnouvellesdelamèredumôme?—Pasencore,leprospectm’aenvoyéunmessageilyacinqminutes,aucun
signed’elle.—Bordel!Commentunemèrepeutlaissersongamindehuitansseulaussi
longtemps?—Apparemmentcette femmen’estpasunemèrepour lui. Jeconnaispas
sonhistoire,maistoutporteàcroirequ’ellen’ajamaisvouludelui.
—Ouais.T’asuneidéedecequetuvasfaire?—LesB.A.C.A.sontentrésencontactaveclesservicessociauxet lesont
prévenusque le petit était avecnous.Pour lemoment, ils sont d’accordparcequelesmaisonsd’accueilaffichentcomplet.Duckss’estportégarantpourmoi,pour qu’ils nous le laissent. L’assistante sociale a accepté et va ouvrir uneenquêtesurlamère.
—Etaprès?—Ilfauts’attendreàcequ’ilsnousfoutentquelqu’undanslespattespour
vérifierquijesuisetleurmontrerquejesuisclean.—Çacraint,ça.—Onavupire…Lecôtéclean,ons’enestchargéspourquelesflicsnous
foutentlapaix,onprocéderadelamêmemanièreaveclesservicessociaux.Etpuis s’ils nous mettent des bâtons dans les roues, on réglera l’affaire à notremanière.
—Ok.EtonfaitquoipourLoganaujourd’hui?—Jevaisl’ameneràl’école.Onchangerienàsonquotidien.J’ouvrelabouchepourposeruneautrequestion,maisl’arrivéed’Hayleyme
coupedansmonélanetlesmotsmeurentsurmeslèvres.Lavoirsetenirainsiàl’embrasurede laporte, hésitante, éveillemoncôtéprotecteur.Ne sachantpascommentsecomporter,ellesedandined’unpiedsurl’autreavecunairgêné.
Unesortedericanementsurmadroitemefaitdétachermonregardd’elle,jemetourneendirectiondePopsquigloussecommeuneputaindepintade,lenezplongédanssa tasse.Lecon. Je luidonneuncoupdepiedsous la tableet luilanceunregardassassinpourlerappeleràl’ordre.
JemelèveetmedirigeversHayley.Jem’arrangepourmasquerPopsafinqu’elle oublie sa présence et qu’elle soit plus à l’aise. Je placemesmains encoupesursonvisageetl’embrassedélicatement,puisjeluichuchote:
—Çavamonange?Ellemeréponduntimide«Oui».Face à son embarras, je presse légèrement samain et l’entraîne avecmoi
prèsdelatable.Jel’aideàs’installer.Àpeineest-elleassisequePopsenchaîne:—Biendormi,Gamine?
Sesjouessecolorentdeplusbelle.—Çava,merci.Iltentederavalersonsourire.Pourcoupercourtàcettesituation,jedécide
deprendrelaconversationenmain.—TuvasaiderLoganàsepréparer,cematin.Popsadécidédefairecomme
siderienn’était,etill’emmèneraàl’école.Etmoijeteconduiraiàlafacpourtescours.
—Entendu.Popstiresachaiseenarrière,selèveetnouslance:—Jevouslaisse,lestourtereaux.Faites-moisignequandlegaminestprêt.Jehochela têtesans luirépondre.Hayleyleregardequitter lacuisinepuis
melance:—Jevousaientendus,toietPops,toutàl’heure.—T’asentenduquoi?— Sur vos habitudes pour régler vos affaires. Vous faites comment, en
général?—Riend’extraordinaire.Net’inquiètepaspourça.Çaconcernelesaffaires
duclubetonsaitcommentprocéder.—Comment?C’estillégal?—Jen’aipasledroitdet’enparler.Siquelqu’undoitlefaire,c’estPops.—Dois-jem’inquiéter?—Non,monange.Ellemeregardemaisnerépondpas.—Écoute,toutcequetudoissavoir,c’estqu’onanotreréseau.—D’accord.Maisunjour,ilfaudraquetum’enparles.— Je sais. Et je le ferai, mais c’est pas encore le bonmoment. Fais-moi
confiance.—Entendu.Situmeprometsquetuleferasunjour.—Jetelepromets.—Bien.
40
Garrett
Bientôt, je pourrai assouvir ce sentiment de haine que je nourris depuisplusieursannées.
Jefixelacroixrougesurlecalendrieraccrochéaumurquim’indiquequecejour ne va pas tarder à arriver. Cette petite garce ne se doute pas de ce quil’attend.Lecompteàreboursestlancé.Àcaused’elle,touslesplansquej’avaisélaborésont été réduits enun tasde cendres.Effondrés commeunchâteaudecartes.J’avaistoutprévupourtant.Saufundétail:Brandon.Cepetitconaétélegraindesabledansl’engrenagequiafaitdéraillermonplanparfait.J’avaisenfintrouvélaproieidéale:uneveuveéplorée,haineusecontresonenfantetquisefoutaitdecequ’ellepouvaitdevenir.Ilmesuffisaitjustedelatabasserunpeuetdel’approvisionnerenalcoolpourqu’ellemelaissefairetoutcequejevoulaisàsagosse.Jerevoisencoreleregardavidedeconvoitisedecettesoulardequandje luidonnais labouteille, c’était commesi je luioffrais leSaintGraal surunplateauenargent.
Jeme souviens parfaitement du jour où ellem’a fait rencontrer sa gosse.Rienqu’enmeremémorantlascène,j’éprouveencorelasensationdepurplaisirque j’ai eue en l’apercevant pour la première fois. J’ai encore enmémoire lemoindrepetitdétaildecettejournée.
C’était le printemps, l’air new-yorkais se réchauffait lentement, oncommençaitàquitternosvêtementsd’hiver.J’étaisdanslehalld’entréequandsamère avait aboyé après la petite pour qu’elle descende. Je revois encore ladémarche hésitante de la môme alors qu’elle descendait pour venir à marencontre. La gamine était effrayée, elle faisait attention à ses moindresmouvements, ses moindres paroles, de peur de mal faire et de provoquer lecourrouxdesamère.Avecsarobebleueetsachevelureblondecommelesblésqui encadrait sonvisagedepoupée, cettegamine était unvéritablepetit joyauquin’attendaitquemoi.
Pendantplusieursmois,j’avaisdûjouerlerôledel’hommeirréprochable,etquand j’ai enfin réussi à ferrer samère…MonDieu ! Je ressens encore cettesensation de jouissance quand j’ai su que lamascarade était enfin terminée etquej’allaispouvoirm’occuperdecettegamine.Pendantceslongsmois,j’aisuapprivoiserlapetite.Ellemevoyaitcommeunhérosvenulalibérerdesamèreacariâtre.J’étaisparvenuàcequ’elleaitentièrementconfianceenmoi.Dèsquejeluidemandaisquelquechose,ellelefaisaitpourmefaireplaisir.Etc’estainsique,pendantsixannées, je l’ai façonnéeàmafaçon.J’étaisparvenuà la faireplieràmesmoindresbesoins.Elleétaitparfaite.Maplusbelleréussite.Maisilafalluquecepetitbâtardentreenscènepourquetouts’effondre.Ilafalluqu’ilmettesonnezdansmesaffairesetremontecontremoimaplusbellecréation.
Brandon ne le sait pas encore, mais lui aussi il va payer. Je vais le fairesouffrir.D’ailleurs,jel’aichoisicommepremièrevictime,etquandilseraentremesmains,macréationviendrad’elle-mêmedansl’espoirdelesauver.
Tout en fixant laphoto surmon téléphone, je faisglissermamain surmaqueue en l’imaginant à nouveau sous mon emprise. Ma verge tressaute,impatientedelaretrouver,deressentirsonpetitfourreauchaudethumide.
Elle croit être à l’abri entourée de son copain et de cebiker,mais elle setrompe.
Je sélectionne la photo et tape le message prévu. Avec la satisfaction desavoirque,bientôt,elleseraànouveauàmoi.
41
Hayley
Depuisplusieurs jours,uneangoissesourdesedéveloppeaucreuxdemonventreet jeneparvienspasàmedéfairedecesentiment.Jemesensépiée,etunemainglacéemeparcourt l’échine sans relâche.Unmauvais pressentimentmenouel’estomac.J’aibeaumerépéterquejesuisentouréedeBrandonetdeJace,quejesuisensécuritéaveceux,cesentimentdemalaisepersiste.
Je vérifie mon téléphone de manière quasi obsessionnelle, m’attendant àrecevoirunmessaged’uninstantàl’autre.Pourlemoment,ilrestemuet.Maisauplusprofonddemoi,jesensquec’estlecalmeavantlatempête.Ilestlà,tapiquelquepart,prêtàfondresursaproie.Etsaproie,c’estmoi.
Jedétestenepassavoir.Jedétestecetteincertitudequiflotteautourdemoidepuis ces derniers jours. J’ai presque envie que mon téléphone sonne pourmettrefinàmonsupplice.J’ail’impressiondenavigueràl’aveugle,enveloppéed’unépaisbrouillard.
Je réprime un soupir tout en tapotant mon stylo contre la table, et je meconcentresur lesparolesduprof.Maismonregardest irrémédiablementattiréparmon téléphone.Mesyeuxsontaimantésà lui.Commes’il l’avait ressenti,l’écrans’illumine,m’annonçant l’arrivéed’unmessage.Labile remonteetmebrûlelagorge.C’estLui.Jelesais.
D’unemainfébrile,jelesaisisetouvrelemessage.Jeplaqueunemainsurma bouche et réprime le cri étranglé qui menace d’en sortir. Une photoaccompagne le message. Mon sang se pétrifie dans mes veines lorsque jereconnaislapersonnesurcetteimage.C’estmoi.
Elleaétépriseaujourd’hui.Je lesaiscar je reconnais la jupeque jeporteactuellement.Et c’est la première fois que je lamets. Je reconnais le lieu : lecampus. Ilest ici.Nonpas icidans lamêmeville,mais ici,dans l’enceintedel’université.
Jelislemessage.**Garrett:Délicieusecettepetitejupe.Mets-lapournosretrouvailles**Lasonnerieretentitaumêmeinstant,mefaisantsursauter.Jem’empressede
rassemblermesaffaires,etdanslapanique,j’enfaistomberlamoitiéàterre.Jemebaissepourlesramasseretjelesjettedansmonsacdansunmouvementmalordonné,puisjemeprécipiteverslasortiedelasalledeclasse.C’esttoutjustesijeneparspasencourant,commesij’avaislediableauxtrousses.Jenesuispas loin de la vérité, car l’homme qui me pourchasse pourrait être le diableréincarné. J’ai l’impression que l’air autour de moi est devenu étouffant, marespiration s’accélère, des petits points blancs troublent ma vue, la tête metourne. Les images s’entrechoquent dans mon cerveau. Des images que jevoudrais tant oublier et n’avoir jamais vues, n’avoir jamais vécues. Tout merevientenmémoire:chaquemot,chaquesouffle,chaquetoucher.Etladouleur.
Prisedevertige,jeneparviensplusàrespirer,lapaniqueaprislecontrôledemoncorps, jememetsàcourircommeuneforcenéedans lescouloirs,à larecherched’airfrais.Malgréleskilomètresquej’aimisentremonpasséetmoi,ilm’aretrouvée.Etilestvenusevenger,commeilmel’avaitpromislejourdesacondamnation.
Jecontinueàcourirdanslescouloirs,j’aivaguementconsciencedesregardsdes autres étudiants, mais je ne m’en préoccupe pas. J’en bouscule mêmecertains pour qu’ils dégagent le passage, je fais fi de leur air courroucé ou deleurs récriminations. Ilsnepeuventpascomprendre. Je suisobnubiléeparuneseulechose,jeveuxànouveaupouvoiremplirmespoumonsd’air.
J’atteins la sortie, dévale les marches. Je ne sais même pas comment jeparviensàlesdescendresansmecasserlafiguretantmavueestobscurcie.
D’uncoup,deuxbrasm’enlacentetmebloquentdansmacourseeffrénée.Paniquée, je pousse un hurlement à m’en déchirer les cordes vocales et medébats.Jesuisplaquéecontreuntorseferme,l’odeurducuir,mêléeàdesnotesépicées,mefaitreconnaîtrelepropriétairedecetorse.Instinctivementjestoppemesmouvements etm’accroche désespérément comme une âme en peine auxreversdugilet.Jace.MonBakers.
Moncorpsestparcourudesoubresauts,des larmescoulent le longdemesjoues. J’enfouismonvisagecontrece torseetcontinueàm’agripperà lui, j’aibesoinqu’ilmeretiennepourm’éviterdepartiràladérive,desombrer.
—Chut,monange.C’estmoi.Toutvabien.Non.Rienneva.J’aienviedeleluidire,maismagorgeestsiserréequeje
ne parviens à émettre aucun son. Jace continue à me chuchoter des motsrassurantsquejen’entendspastantjesuisenferméedansmonmonde.Maislachaleurdesavoixmeberce,lesmouvementscirculairesqu’ilfaitduplatdesamaindansmondosmeréconfortent,merassurent.
Lesexercicesderespirationmereviennentenmémoire.Inspire,expire.Inspire,expire.Inspire,expire.
Lebourdonnementdansmesoreilless’estompepeuàpeu.LavoixdeJace
sefaitplusclaire.Jenesaispasdepuiscombiendetempsjesuisainsi,pétrifiéedans ses bras. Ses mots continuent à me rassurer inlassablement, il m’enlaced’ungesteprotecteur.Lesentimentdepeurfaitplaceausentimentdesécurité.Jacemelaissepuiserdanssaforce,danslachaleurdesoncorpstoutel’énergiequim’estnécessairepourretrouvermoncalme.
Moncorpssedétend,iladûs’enrendrecompte.—Çavamieux?—Oui.Ilmemaintientcommesiluiaussiétaitincapabledemelâcher.Sonsouffle
mecaresselajoue.
—Jesuisdésolé,jenevoulaispastefairepeur.Jet’aiappeléemaistunem’aspasentendue.Tucouraiscommesituavaislediablederrièretoi.
Jesuis incapabledeluiexpliquer lasituation,alors jeprononcetroispetitsmotsquiveulenttoutdire.
—Ilestlà.
42
Jace
Ilestlà.Ces trois mots flottent de manière obsessionnelle dans mon esprit,
s’infiltrent dans chacune des parties de mon corps, glissent sous ma peau etrépandentunevaguede froiddansmesveines.Unepoigneglacée se saisit demoncœur.Ellen’apasbesoindem’endireplus,jesaisdequielleveutparler.
Hayleyestterrifiéeetjerestedemarbre,pétrifiéparcequ’ellevientdemedire.Puiscettevaguedefroidse transformeenuneragesourdeet faitbouillirmonsang.Unequestionparvientàsefaufileràtraversmonressentiment.
—Commenttulesais?—Ilm’aenvoyéunautremessage.Ellemetendsontéléphone,jeleprendsetliscequ’illuiaécrit.Bon sang ! Il est même accompagné d’une photo. Ce taré prend plus de
risques. Ce qui signifie qu’il n’a peur de rien et qu’il est prêt à tout pours’emparerd’elle.Labileremontedansmagorgequandjereconnaisledécoretle jour où cette photo a été prise. Elle date de ce matin, quand j’ai déposéHayley. Jeme souviensparfaitementdemonétat d’esprit à cemoment-là : jefantasmaissursesjambesdévoiléesparcepetitboutdetissu.
Jene réfléchisplus,unvoile rougemebrouille lavue, j’attrapeHayleyetl’entraîneavecmoi,sansprononcerlemoindremot.Noustraversonslapelouse
ducampuspourrejoindresonbâtiment.J’aibesoindel’éloignerauplusviteetdelamettreàl’abri.Unefoisquejesauraiqueriennepeutl’atteindre,jepourrairéfléchir.Ilfautquejelaconduiseauclub,c’estleseulendroitquejeconnaisseoùelleseraensécurité.JenevoulaispasluimontrercetendroitmêmesijesaisquePopsl’yadéjàamenée.D’ailleurs,j’étaisencolèrecontreluiquandjel’aiappris. Je ne voulais pas qu’elle découvre ce pan de ma vie. Mais pour lemoment, mon ressentiment n’a plus d’importance. Seul le club et mes frèrespourrontlaprotéger.
Sa petite voix effrayée déchire le brouillard rouge qui m’aveugle et meramène à la réalité.Merde, je me comporte comme un véritable crétin, je nevauxpasmieuxqueleconnardquil’effraie.
—Jace,tum’emmènesoù?Jestoppenet,prendsuneprofondeinspirationpourretrouvermoncalme.Je
faisfaceàHayleyetjesensmoncœurseserreràlavuedel’imagequ’ellemerenvoie.Jem’approchedoucementd’elleetposemonfrontcontrelesien.
—Excuse-moi.Jenevoulaispas t’effrayer.Je teconduisà tachambre, tuvasyprendretesaffairesetensuitejet’emmèneauclub.Tuyserasensécurité.
—Mais…—Non. Il n’y a pas de « mais » qui tienne, j’ai besoin de te savoir en
sécurité.Alorsonvafairecommejeledécide.Jemarqueunepause,puisj’ajouted’unevoixsuppliante:—S’ilteplaît,Hayley.—D’accord.—Merci.Jeglissemamaindanslasienneetcalquemonpasausien.Jeconstateque
toutsonpetitcorpstremble.Jesuisimpatientdemeretrouverfaceàcesalaudetdeluifairesubirlespiressévicespourtoutcequ’ilafaitàHayley.
Pendantqu’elle récupère sesaffaires, j’envoieunmessageàPopspour luidirequ’onarriveetluidemanderdevirertouteslesbrebisduchapitre.Déjàquelaprésencedemesfrèresvaluifaireunchoc,jeneveuxpasenrajouteraveccesfilles.Maisplusquetout,jeneveuxpasqu’ellesoitdéçue.
***
Lorsquenousentronsdansleclub,jesurvolelagrandesalleduregardpourétablirunétatdes lieux.Parfait,Popsaeu le réflexedevirer toutes lesputes,commejeleluiavaisdemandé.D’aprèslaminerenfrognéedecertainsdemesfrères,jevoisbienqu’ilsnesontpascontents,maisjem’enfous.SeulecompteHayley. Ils peuvent, pour une journée au moins, garder leur queue dans leurpantalon,jelefaisbiendepuisquelquessemaines.
Pops capte mon regard et me fait signe de le suivre dans son bureau.J’aperçois la régulière de Sandman qui se dirige droit sur nous dès qu’elleremarquenotreentrée.C’estunechouettenana,elleaussiavécudes trucspasterribles dans la vie. C’est une femme d’une cinquantaine d’années qui nousconsidèretousunpeucommesesgamins.
—Popsm’aappelée.Ils’estditquejepourraisêtreutileletempsquevousrégliezvotreproblème.
J’acquiesce,reconnaissant.Avecelledanslesparages,personneneviendralesemmerder.
—Merci.Hayley,jeteprésenteCharlène,quiestlarégulièredeSandman.Resteavecelle,ellevas’occuperdetoi.JedoisallervoirPops.
Alorsque je faisdemi-tour,Hayleyme retientpar lamainet sesyeuxmesupplientdenepaslalaisserseule.Jefaisunpasverselle,rapprochesoncorpscontrelemienetluisouffle:
—Tuesensécurité,ici,net’enfaispas.Charlènesauras’occuperdetoi.Jen’enn’aipaspourlongtemps.Resteprèsd’elleettoutirabien.
Je n’attends pas qu’elle me réponde et l’embrasse comme si ma vie endépendait. Quand je sens son petit corps se détendre contre le mien, je medétached’elleetparsrejoindrePopsdanssonbureau.
43
Hayley
C’est la deuxième fois que je viens dans le club dePops.Çame fait toutdrôle. Je fixe la fameuseCharlèneetprendsconsciencequec’estmapremièrerencontre avec une régulière.Du club, je ne connais que certainsmembres, jen’aijamaisréellementvuleurstyledevie.DemesconversationsavecBeverlyetJace,j’aicomprisqu’ilsétaientunesortedegrandefamille,hypersoudée.J’aiàpeu près compris leur fonctionnement en interne et qu’ils mènent plusieursaffaires.MaiscequeJacenem’apasdit,c’estqu’ilexisted’autresactivités,etenmonforintérieur,jesaisparfaitementquecelles-cijenelesconnaîtraipas.Etc’est ce quime pose problème, parce que je devine qu’elles sont illégales. Etmalgrélefaitdemesentirensécuritéaveclui,suis-jeprêteàacceptercepandesavie?Suis-jeprêteàentrerréellementdanscetunivers?
Jesaisqueceshommesnemeferontrien,qu’ilsmeprotégeront,ilsmel’ontdéjàprouvé.Maissuis-jemoiaussiprêteàaccepterd’entrerdansunmondeoùl’illégalitérègne?
J’ai déjà rencontré Sandman au centre. Il m’avait effrayée, je ne sais paspourquoi on le surnomme le marchand de sable car il a surtout une allureeffrayante. Une longue cicatrice lui barre la joue droite, son crâne rasé estrecouvert de tatouages et, autant les yeux de Pops sont d’un bleu translucide,autantceuxdecebikersontd’unnoirprofond.Maisdèsqu’ilvoitlesenfantsdu
centre,sonvisages’adoucitetilsetransformealorsenpapaoursaveceux.Cequepréfèrentlesplusjeuneschezlui,c’estlorsqu’illestransportesursondosetqu’ilsemetàrugircommeunforcenéencourantdanstoutlecentre.Lesenfantsl’adorent et il le leur rend bien. Jace m’a expliqué que lui et sa femme nepouvaientpasavoird’enfants,alorsilsreportentleuramoursurleclub.
LavoixdeCharlèneinterromptlecoursdemespensées.—Alorscommeça,c’est toi lagaminequia retourné lecerveaudenotre
Jace.Monvisages’embrase,pendantqu’ellemedétailledespiedsàlatête,puis
sonvisages’illumineetafficheunairbienveillant.—Rougis pas,ma belle.C’est une bonne chose pour lui. Ilmérite d’être
heureux.T’estombéesurunbongars.—Merci.Ellemefaitsignedelasuivre.—Viens,onvas’installer.Jenesaispaspourcombiendetempsilsenont,
là-dedans.—Qu’est-cequiseditdanslebureau,àtonavis?jeluidemande,curieuse,
enprenantplacesurundescanapésusésdelagrandesalle.— Ça ma belle… Tu dois apprendre une chose, même si on est leurs
régulières,lesaffairesduclubnenousconcernentpas.—Maisilsparlentdemoi.—Crois-moi,moinstuensais,mieuxtuteportes.— Au fait, je ne suis pas la régulière de Jace. Je préfère éviter tout
malentendu.—Hum…C’est ce que tu crois. Tous les gars du club savent que tu lui
appartiens.—Je…Ouionestensemble,maisiln’ajamaisétéquestionquejesoissa
régulière.D’ailleursjenesuispascertainequeçameplaise.Ellemeregardeétonnée,commesicequejevenaisdeluidireétaitlachose
laplusstupidequ’elleaitjamaisentendue.— Pourquoi ? Toutes les filles que je connais rêvent d’être un jour la
régulièred’unmembreduclub.
—Disonsquej’aieuuneconversationavecJacesurcequ’estunerégulière.—Qu’est-cequit’apasplu?—Ne tevexepas, surtout.Mais le coupdugilet, c’estvraimentpaspour
moi.—Lecoupdugilet?Vafalloirquetuéclairesmalanterne,trésor.—Tusais,lefaitquelemotpropriétésoitécritdessus.Depeurdel’avoirvexée,jemepinceleslèvresetattendssaréaction.Mais
contre toute attente,Charlène renverse la tête et éclate de rire.Rassurée de saréaction,jemedétendslégèrement.Unefoisremise,ellereprendunairsérieux.
—Quesais-tuexactementsurlavied’unclub?— Pas grand-chose… Jace m’a brièvement expliqué que le club gère
plusieurs entreprises, ce qu’est une régulière, et qu’il y a aussi d’autres filles.Maischaquefoisquej’abordevraimentlesujet,commesonrôleexactdansleclub, il élude la question. Et je sais qu’il doit se sentir le dos au mur pourm’avoirlui-mêmeamenéeici.
Elleclaquesalangueensignededésapprobation.—Ilatort,ilnedevraitpasteteniràl’écartdenous.Commentveut-ilque
tuacceptesunepartiedeluis’iltelacache?Jenerépondspasimmédiatementcarjen’aipasderéponse,etsurtoutparce
que jeme pose lamême question. Pourquoi, chaque fois que je cherche à ensavoir plus, il fuit ? Comme s’il avait honte de ce qu’il est, ou comme s’ilcherchaitàmecacher.Àcroirequejeprendraismesjambesàmoncousijeleconnaissaisréellement.
—Pose-moitesquestions,trésor.Jevoisbienquetuenmeursd’envie.C’estlemoment,profites-en.
—C’estquej’enaitellementquejenesaispasparoùcommencer.—Parcellequiestlaplusimportantepourtoi.Çapeutêtreunbonpointde
départ,tunepensespas?—Hum…Je…Cetrucderégulière…Commejemarqueunepause,ellem’encourageàpoursuivre.—Oui?—Çaconsisteenquoi,exactement?
—T’esl’officielledutypequitedonnesongilet.Parluitudeviensmembreduclub,lesfrèrest’acceptent,terespectentetneviennentpast’emmerder.
—Commentça?—Tunesaisvraimentriendenotremonde,constate-t-elleensoupirant.—Non.Charlèneinspireungrandcoupetsetapelescuissesavantdecommencer.—Ok.Jevaisêtredirecteettedonnerlesgrandeslignes.Leshommesdans
unclubsontcommedesloupsaffamésdèsqu’ilsvoientunefilledanslamêmepiècequ’eux.Ilsnesaventpasgarderleurqueuedansleurpantalon.Poureux,les soirées sont synonymes de beuverie et de sauter la première venue. Si lePrés’neleurditpasquelafilleestintouchableparcequec’estunepetitesœurou une invitée, ils ont le champ libre. S’ils savent qu’elle n’appartient àpersonne, ilspensentqu’elle est libred’accès.Et jepeux tedirequenous, lesofficielles,onneportepasdansnotrecœurcetypedefilles.Cesontdesgarcesqui ne sont bonnes qu’à se faire baiser. Elles n’ont pas leur mot à dire. Lesfemmes comme moi, on est à part. On nous appelle les officielles ou lesrégulières.Onnousconsidèrecommeintouchables.Porterceblousonteprotège,surtoutlorsdesrassemblementsaveclesautresclubs.Mêmesiletypeappartientàunautreclub–jeparledesclubsamisdunôtre–,letypenet’approchepasette respecte. Si au cours d’une soirée quelqu’un vient nous emmerder, tous lesmembresdenotrecluboulesaffiliéssontderrièrenouspournousprotéger.Siunmembretedonnesonblouson,ils’engageàteprendresoussaprotection.Tufaisuneconnerie,c’estluiquitrinque.Tudevienssapropriété.
En entendant ses dernières paroles, je ne peux m’empêcher de faire lagrimace,cequin’échappepasauregarddeCharlène.
—Trésor,toutl’honneurestpournous.Lefaitd’avoirlemotpropriétésurle dosme permet d’aller où je veux et d’être protégée,même simon hommen’estpasàcôtédemoi.
—Commentçapeutdevenirunhonneur,alorsqu’ilnousconsidèrecommeunobjet?Êtrelapropriétéd’untype,ànotreépoque,c’estassezréducteur.Jenesuis pas féministe, mais j’aime mon indépendance, et être la propriété dequelqu’un,çamedonnel’impressiond’êtrerabaissée.
—Tun’yespasdutout.Jelafixe,dubitative,pendantqu’elles’explique:—Lemotdepropriétépeuttechoquer,maisc’estlamêmechosequandune
femmesemariedanslecivil.Elleprendlenomdefamilledesonmaridèsqu’illuiglisselabagueaudoigt.Tuesmarquéeaussi.C’estmêmetoiquidoistefairechieràchanger tous tespapierset tecoltinerdesheuresdefilesd’attentedanslesdifférentesadministrations.
—Hum…Jenel’avaispasvudecettemanière.—Cene sontquedesmots, trésor. Jace t’a-t-ildonné l’impressionque tu
étaisunobjet?Sic’estlecas,dis-le-moi,etaveclesfillesons’occuperadeluifaireentrerunpeudeplombdanslacervelle!
—Lesfilles?—Les régulières.Quand tu endeviensune, tu entresvraimentdansnotre
monde.Leshommessonttrèssoudésentreeux,maislesrégulièreslesontaussi.Onformeungroupe,unegrandefamilleetonsesoutiententrenous.Quandl’und’entrenousadesemmerdes,c’estleclubquienpâtitetonseprotègelesunslesautres.Qu’est-cequetucroisquelesgarsfontdanslebureau,d’aprèstoi?Ils cherchent une solution pour te protéger. Et ils connaissent tous lesconséquences,maisilssontprêtsàtout,mêmes’ilsneteconnaissentpas.Ettusaispourquoi?Parcequ’ilsteconsidèrentcommelarégulièredeJace.Pourlui,ils vont accepter de faire pas mal de choses. Mais pour en revenir au motpropriété,cen’estqu’unmot,parcequetoutlemondelesait,ilsfontleursgrosdursquandilssontentreeuxoudansleurclub,maisàlamaison,celuiquiportele pantalon, c’est la régulière. S’ils font un pas de travers, ils savent qu’ilspeuvent repartir direct d’où ils viennent.Etpuis, crois-moi, si Jace teproposed’être sa régulièreet si tuveux resteravec lui,mieuxvautpour toi l’accepter,autrementtuserasconsidéréecommeunebrebiset,àtevoir,jesuissûrequetunevoudraspasêtrecommetoutescessalopes.
—Jacem’aparlédecesfemmes,cesontcellesqui…—Quisefontbaiserpartouslesmembressansprendredepause,mecoupe-
t-elle.—Oh…Jacen’avaitpasétéaussidirectpourmeledire.
—Hum…J’enaipeut-êtretropdit.Jebalaielasalleduregardetluidemande:— Au fait, si elles servent le club, comment ça se fait que je n’en voie
aucune?—Ça, mon chou, c’est parce que Pops les a fait décamper avant que tu
arrives.Illefaittoujoursquandsagaminedoitpasserauclub,alorsjesupposequ’illefaitaussipourtoi.
J’acquiesce sans rien dire et suis reconnaissante envers Pops de m’avoirépargnélavisiondecesfemmes.Dansl’étatoùjesuisactuellement,jenesuispascertainequej’auraispulesupporter.Surtoutparcequejesaisquelaplupartd’entreellesontconnuJaceintimementetqueçamerendjalouse.
Jetournemonattentionverslaportedubureauquiresteclose.Commeilsnesemblentpasencoreprêtsàensortir,jepoursuismoninterrogatoire:
—Etconcernantleursactivités?Certainessontillégales?—Jenepeuxriendire,mêmelesrégulièresnesontaucourantderien.—Etçanetedérangepasdeneriensavoir?—Trésor,c’estpasparcequ’ilsn’enparlentpasqu’onnesedoutepasde
certainstrucs.Maisonn’apasàymettrenotrenez.C’estaussisimplequeça.—Ettucautionnescesactivitésetlefaitdeneriensavoir?—Ilslefontpournousprotégerencasdepépinsaveclesflics.—Maiscommentpeux-turesteravecquelqu’unquivitdanslacriminalité?—Parcequej’aiapprisàleconnaître,àl’aimer,etqu’ilm’amontréqu’avec
luijenerisquaisrien,qu’ilétaitlàpourmeprotéger.Laquestionestplutôt,est-cequetoituaccepteraisdevivreavecJace,dansnotremonde?
Pourlemoment,jen’aiaucuneréponseàluidonner,etc’estbiencequimefaitpeur.
—Toutvabien?JesursauteausondelavoixdeJaceetmetournedetroisquartsverslui.—Oui.Il place ses paumes surmes épaules etmemasse en douceur. Au simple
contactdesesmainssurmoncorps,jemedétendsimmédiatement.Jacem’incite
àmeleverducanapéetCharlèneenfaitdemême.J’enprofitepourlaremercier,ellem’adresseunclind’œilavantdenousquitteretmelance:
—Pasd’quoi,trésor.Je l’observe se diriger d’une démarche souple vers Sandman qui sort du
bureau de Pops. Dès qu’il la voit, son visage s’illumine et il se liquéfielittéralement à son approche. Elle l’enlace et, sans aucune pudeur, ilss’embrassent goulûment.Sandmanplaque sesmains sur ses fesses demanièrepossessive.Toutlemondesemblelesignorer,commesicettescènefaisaitpartieduquotidiendu club.Charlène est dedos et je peuxvoir songilet, sur lequel«propriétédeSandman»estcousu.
Contretouteattente,cetteinscriptionnemechoquepas,etl’idéedemevoirun jour avec un gilet commence à germer. Jaceme regarde bizarrement et jerougisà l’idéequ’ildevinemespensées.Unsourireencoinétireses lèvres, iltendsamainpourprendrelamienne.
—T’esprête?Onpeutyaller?Jehochelatêteetlelaissem’entraînerverslasortie.
44
Jace
Je laisseHayley entre lesmains deCharlène. Je suis reconnaissant enversPops de l’avoir appelée, il n’aurait pas pu mieux choisir que la régulière deSandmanpourlamettreàl’aise.Charlèneestlaplusancienneduclub,ellenousconsidèretouscommesesgosses.Ellenousavusfairenospreuvesdansleclubet a toujours été là pour nous remonter lemoral lors des coups durs. Tout lemondelarespecte,ellesauramontrerleclubàHayleysoussonmeilleurjour.
Avant de la quitter, je ne peux m’empêcher d’embrasser cette dernièrecommeunfou.J’aibesoinderessentirsoncorpschaudcontrelemienpourmedonnerdelaforceetretrouverunsentimentdeplénitude.
C’est dingue comme cette nanam’a retourné commeun rien.Avant de laconnaître, j’étaispaumé, jenemevoyaisaucunavenir,maisdepuisqu’elleestlà,jemesensvivant.Elleestmarédemption.
Jel’embrasseunedernièrefoissurlefrontetparsrejoindrePopsdanssonbureau.
Quandj’entre,plusieursdemesfrèressontdéjàinstallés.Jeprendslaseulechaiselibreetm’assoistandisquePopslancelaréunion.
—Raconte.—Ill’aretrouvée.Ilvientdeluienvoyerunmessageavecunephotod’elle
priseaujourd’hui.
Ilsecalecontreledossierdesachaiseetsepasseunemainnerveusedanslescheveux.
—Merde.Ilprenddesrisques.C’estpasbon.—Ouais,c’estcequejemesuisdit.Ilestmontéd’uncrandanslafolie.Je
crainslepire.—Onvaprendredesmesuresdeconfinementetlamettreàl’abriletemps
deretrouvercesalaud.— J’y ai pensé mais je ne suis pas certain qu’Hayley accepte d’être
enfermée ici. Les périodes d’examen vont bientôt commencer. Jamais elle nevoudraleslouper.Elleatroptravaillépourça.
—Tupensesàquoi,alors?— J’en sais rien. On va la faire suivre partout où elle ira. Lui coller un
prospectdanstoussesdéplacements.—Passûrquecesoitsuffisant.— Elle a déjà un traceur sur sa voiture, on peut en placer un sur son
téléphone. Toutes les régulières l’ont. On peut le faire pour elle, proposeSplinter.
—Ouais,onvafaireça.Qu’est-cequ’onsaitsursonbeau-père?Onadesinfos sur lui ?Àquoi il ressemble?Qui apu l’aider à s’enfuirdeNewYorkpourseretrouverenCalifornieaussirapidement?
— Vous avez pensé à rechercher dans le registre des Sex Offenders 1 ?intervientSpider.
—IlestrépertoriésurNewYork,maispasenCalifornie.—Ilaeudel’aide,ilnefautpasseleurrer,parcequ’aveccettelistequilui
colleaucul,seul,iln’auraitpaspufaireautantdekilomètressansquelesflicsleretrouvent.Surtoutqu’ilestenconditionnelle.
—OnlerecherchedepuisquelesgarsdelacôteEstontperdusatrace,maispourlemomentonn’aquedalle,nousinformePops.
—Putain,cetypeestunvéritablefantôme.—Il fautqu’onsacheavecqui il traînaiten taule.C’est leseulendroitoù
quelqu’unapuluivenirenaide.PopssetourneversSig.
—Onadescontacts,là-bas?—Ouais,ilyadesfrèresd’unclubamiquiyfontunséjour.—Ok.Spider, tuprendsle téléphonedelagamineet t’installesuntraceur
dessus,Sandman, renseigne-toi auprèsdenos contacts chez les flics pourvoirs’ilsontdesnouvellesdecefumier.Jace, tuveuxfairequoiavecelle,si tuneveuxpaslalaisserici?
—Jevaisl’emmenerchezmoi.Spiderpassedemainàl’appart,onvamettrele traceurdiscrètement sur sonportable, jeveuxpasqu’elle le sache.Çava lafaireflipper.Pops,tucomptesmettrequienprospect?
Ilréfléchitquelquessecondes.— Dannyboy. La gamine l’a déjà vu, il a fait ses preuves, et dans pas
longtemps,onvavoterpourqu’ilintègreleclubdéfinitivement.Jetiqueunpeuenentendantsonnom.Ilestcorrectcommeprospect,maissa
petite gueule de topmodel neme rassure pas. Et surtout, il a l’âge d’Hayley.J’auraispréféréqu’onneluiassignepasunCasanova.
Popssembleliredansmespensées.—Fiston,faispascettetête,elleestfolledetoi.EtDannyboysaitqu’ildoit
seteniràcarreau,ilconnaîtlesrègles.—Ouais,jesais.—Putain,frère,t’esvraimentmordu!Jeluilanceunregardassassin.—Tagueule,Spider.Maiscetabrutiinsiste:—J’connaisplusieursbrebisquivontpleurertoutesleslarmesdeleurcorps
enapprenantquenotreJaces’estfaitferrerparunegaminedevingtans.—Ok,oklesgars,onsecalme.J’aid’autreschosesàfoutrequederégler
voshistoiresdebaise.JemetourneversPops.—Laréunionestterminée?—Ouais.—Ok.
Jemelève,passeprèsdeSpideretluicolle,aupassage,uneclaquederrièrelatête.Ceconm’aénervé,ill’améritée.Maisquandjel’entendsricaneretquelesautress’ymettentaussi,çam’agaceencoreplus.
À peine sorti du bureau, je repère immédiatement Hayley, en pleineconversationavecCharlène.Jem’approchelentement,elleestsiabsorbéedanssadiscussionqu’elleneremarquepasmaprésence.Jeplacemesdeuxmainssurses épaules pour lui montrer que je suis là, ce qui la fait sursauter. Sonmagnifiquevisage se tourneversmoi, je lui fais signede se lever.Comme jen’ai pas trop envie de traîner dans les parages, je remercie au passage larégulière de Sandman de lui avoir tenu compagnie et entraîneHayley vers lasortie.Ellen’estpassotte,elleaparfaitementdevinémonsubterfuge.
—Tusais,nousn’étionspasobligésdepartircommedesvoleurs.J’auraisbienaiméremercierPopsetrencontrertescopains.
Jeluiglisseunregard.—Crois-moi,tun’espasencoreprêtepourfaireleurconnaissance.Ellen’ajoutepasunmotmaisjesensbienqu’elleestvexée.Jelatournevers
moi et plante mes yeux dans les siens pour qu’elle puisse y lire toute masincérité.
—Hayley,monmondeestvraimentdifférentdutien.—Jelesais,maisilfaitpartiedetoi.Etjeveuxaussiconnaîtrecettefacette
de ta personnalité. Et puis vous faites tellement de choses pour moi que j’aienviedelesremercier.Deplus,j’aidéjàrencontrécertainsdetesfrères,commetulesappelles.
—Oui,aucentreouprèsdulac,avecleurfemme.Pasdansleclub.Auclub,nous montrons notre véritable personnalité, on se lâche complètement et tupourraisêtrechoquée.
—Mais…—S’ilteplaît,jeteprometsquetrèsbientôtjetelesprésenterai,maispas
danscescirconstances.—Jetefaisconfiance.—Bien.
Nous reprenons la direction demamotomais elle ne peut s’empêcher depoursuivresoninterrogatoire.
—Qu’est-cequevousvousêtesdit,danslebureaudePops?—Leclubprendl’affaireenmain,net’inquiètepasinutilementpourça.En
attendant,tuvasvenirchezmoi,letempsqueleschosessecalmentetquel’onensacheplus.TuvasavoirunprospectquivatecollerautraincommeBeverly.
Ellestoppesamarcheetmeregardeétonnée.—Quoi,àlafac?— À la fac et à chacun de tes déplacements, je lui dis en l’entraînant à
nouveauverslamoto.—Vousn’enfaitespasunpeutrop?Jeluitendssoncasquetoutenluirépondant:—Jepréfèreenfairetropetqu’ilnet’arriverien.
1. Sex Offender Registry : dans la plupart des États américains, les informations concernant lesdélinquantssexuels(lieuderésidence,activités)sontrenduespubliquesviaunsiteInternet.
45
Jace
Dansmon rêve, j’entendsdistinctement lavoixd’Hayley,mais jenepeuxpaslavoir.Jenereconnaispasl’endroitoùjesuisetsavoixpaniquéem’alerte.Je sais que mes rêves sont parfois complètement tordus, mais il y a quelquechosequiclochedanscecasprécis.Jelarecherchedanslabrumesansparvenirà la trouver. Je la sens effrayée, agitée.Soudain, je suis tiré dema torpeur, etmesyeuxs’ouvrentengrand.
Jemetsquelquessecondesàreprendrepieddanslaréalité.Jesuischezmoi,dansmonlit.Àmescôtés,Hayleyestentortilléedanslesdrapsetsedébatcontredesfantômes.Depetitssonsétoufféss’échappentdesagorge.Ellesembleêtreaumilieud’uncauchemar.Sonvisagehabituellementsidouxetsereinestcrispépar la peur. J’ai un moment d’hésitation, je ne sais pas comment réagir. J’aitoujoursentendudirequ’ilnefallaitpasréveillerquelqu’unenpleinrêve,maisl’angoissedessinéesursonvisagem’obligeàintervenir.
Doucement, jeme rapproche d’elle et l’appelle dans unmurmure pour lafaire revenirà l’instantprésent.Malgrémonappel,elleestencoreancréedansson cauchemar. Je prononce son prénom à nouveau d’une voix un peu plusferme. Ses yeux s’ouvrent brusquement. Ils sont hagards. Sa respiration estsaccadéeetunfinfilmdesueurrecouvresapeau.Toutsoncorpstremble.Ellebat des cils et me regarde. Quand elle finit enfin par me reconnaître, elle seprécipitedansmesbrasensanglotant.Je l’enserre tendrement,roulesur ledos
en l’entraînant avecmoi. J’appuie sa tête contremon torse car je sais qu’elleaime le contact rassurant de ma peau nue. Et j’attends patiemment qu’ellerevienneàelleetquesarespirations’apaise.
Unefoiscalmée,ellemechuchote.—Désolée.Jepassemonbrasautourde sa taille, etdemonautremain, je lui caresse
lentementlescheveux.—Tun’aspasàêtredésolée,monange.Jen’endispasplusetattendsqu’elletrouvelecouragedemeparlercarau
plus profond demoi je sens que lemoment est venu. Cemoment où elle vacomplètements’ouvriretpartagersonfardeau.
—J’avaisdixanslapremièrefoisqu’ilestvenuàlamaison.Mamèreétaitdéjàunealcooliquenotoire,ellebuvaitdumatinjusqu’ausoir.J’aid’abordétéheureuse de le voir arriver chez nous. Je me suis dit que ma vie allaits’améliorer, que quelqu’un allait pouvoir aider ma mère et que j’allais laretrouvercommeavantledécèsdemonpère.Àcemoment-là,j’ignoraisquemavie allait devenir un enfer.Audébut, il était gentil, ilm’amenait au parc, auxfêtes d’anniversaire demes amies. Il se comportait comme un vrai père, pourmoi. Je l’aimêmeaimé, je lui faisaisconfiance.Le jouroù ils se sontmariés,j’étais la plus heureuse des petites filles. Et puis, quelque temps après, soncomportementacommencéàchanger.Audébut,jenemesuisrenducomptederien.Maisaveclerecul,jemedisquej’étaiscomplètementstupideetnaïve.Çaadébutépardespetits riens. Il a commencéàmedirecommentm’habiller, ilm’emmenaitfairelesmagasinsetchoisissaitdesvêtementspourmoi.Quandonregardait la télé, il s’arrangeait toujours pour être assis à côté de moi sur lecanapé. Il a commencé par de simples contacts occasionnels que je croyaisinnocents.Pendantcetemps,mamèrecontinuaitàboireet,aulieudel’aideràdevenirsobre,illuifournissaitl’alcool.Toutypassait:vodka,gin,whisky,vin.Elle s’enfonçaitdeplusenplus.C’est alorsque sescontacts se sont faitsplusfréquents.Ilavaitprisl’habitudedemelireunehistoirelesoir,parcequejeluiavaisditquemonpèrelefaisaitetqueçamemanquait.Jecroyaisqu’illefaisait
pargentillesse,parbienveillance.Jenepensaispasqu’ilavaituneidéederrièrelatête.J’étaisuneenfant,commentaurais-jepum’imaginerqu’unadultepuissemefaireça?Audébut,ils’asseyaitsurunechaiseàcôtédemonlit,ensuiteilacommencéà s’asseoir sur leborddu lit. Jenevoyaispas lemalpuisquemonpèrefaisaitlamêmechose.Etpuisunsoir,çaadérapé,ilestvenus’allongeràcôté demoi. Je n’ai rien vu venir, ilm’avaitmise en confiance.Et c’est à cemoment-làqu’il a réellement commencé àme toucher. Jedevais avoir unpeuplusdeonzeans.MonDieu,commej’aihonte…jel’ailaisséfaire.Jenesavaispasquec’étaitmal,ilfautmecroire.Jeluifaisaisconfiance…
Elle s’arrête de parler et ses épaules sont secouées par des sanglots. Seslarmescoulentlelongdemontorse.Jeluimurmuredesparolesrassurantes,luidisqu’ellen’yestpourrien,quec’estellelavictime,quec’estluilesalaudetqu’ellen’apasàavoirhonte.Ellen’étaitqu’unegosseà l’époque, sansaucunrepèreniadultepour luiexpliquer ladifférenceentre lebienet lemal. Je saisquemesparolesnechangerontpaslepassé,maisjeveuxluimontrerque,quoiqu’ellemedise,jeseraitoujourslàpourelle,quemonamourresteraintact.
J’attendsqu’elles’apaiseànouveaupourlalaisserpoursuivre.J’aienviedelui poser unmillier de questions,mais jeme retiens. Je ne veuxpas briser cemoment.J’aimeraisqu’ellemeregardepourluimontrerquemonregardsurellen’apaschangé.Maissa têteresteenfouiecontremontorse.Quandelle trouvefinalementlecouragedemeparler,lesondesavoixbriséemetorddedouleur.Toutsoncorpssemetàtrembleretjeresserreunpeuplusmonétreinteautourd’ellepour luimontrerque je suis làpourelle. Jevoudraisêtrecapablede luitransmettreunepartiedemaforce.
— Au fil du temps, j’ai réalisé que c’était mal. Je lui ai dit, mais il estdevenu violent et menaçait de s’en prendre à ma mère et aux personnes quej’aimais, notamment àBrandon.Le jour où il amenacé directementBrandon,j’aivuunelueurmeurtrièredanssonregardalorsjel’ailaisséfaire.Jemedisaisqu’au moins je protégeais mon ami. Il a continué jusqu’à ce que Brandondécouvretout.C’étaitlesoirdemonseizièmeanniversaire.Ilm’aamenéechezlui et s’est occupé de moi sans me juger. Je lui ai tout révélé et lui ai fait
promettre de ne rien dire. J’avais toujours sa menace en mémoire. AvecBrandon,nousavons faitcroireàsesparentsquenoussortionsensemblepourqu’ils ne se doutent de rien et ça nous permettait d’expliquer pourquoi j’étaisaussisouventchezeux,etsurtoutpourquoiilétaitaussiprotecteurenversmoi.Ils ont été super et nous ont laissés vivre notre « relation ».Mais le soir, jedevais rentrer chez moi. Brandon m’a obligée à prendre des cours d’auto-défense. C’était surtout pour me permettre de reprendre confiance en moi etd’êtrecapabled’affrontermonbourreaulejouroùjemesentiraissuffisammentfortepourlecombattre.Enmêmetemps,ilmefaisaitouvrirlesyeuxsurlecasdésespéréqu’étaitdevenuemamère.C’étaitàelledevouloirs’ensortiretpasàmoi de vouloir la protéger. Je devais apprendre à me protéger moi avant depenser aux autres. Quand j’ai réellement pris conscience de ses paroles, j’aicommencéàneplusmecomporterenvictimeetàmedéfendreàmamanière.Mais un jour, le peu de force et d’assurance que j’avais acquis s’est effondrécomme un château de sable. J’ai découvert que ce monstre m’avait miseenceinte.J’aivouluenfiniraveclavie.J’aipristouslesmédicamentsquej’aiputrouverdansl’armoireàpharmacie.J’aitoutavalé.Brandonestarrivépeudetempsaprès,ils’estviteaperçudemongesteetaappelélesurgences.Lapoliceestvenueàl’hôpital,ilsontprismadéposition.Àpartirdelà,leschosessesontvite enchaînées. Les parents deBrandonm’ont accueillie etm’ont aidée dansmes démarches lorsque j’ai décidé de demandermon émancipation. Ilsm’ontsoutenuequandjemesuisfaitavorter.Puisleprocèsacommencéetmonbeau-pères’estretrouvéenprison.Etmaintenanttoutrecommence,ilestdehorsetmemenace.J’aipeurpourmoimaisj’aiaussipeurpourBrandoncar,lejourdesacondamnation,ilnousamenacéstouslesdeux.
L’entendre me dire que son beau-père est dehors et la menace me foutencore plus en rogne contre ce connard. Si seulement je pouvais savoir où seterrecefumier.Notreproblèmeseraitviteréglé.EtHayleyseraitenfinàl’abri.Au lieu de ça, je suis obligé dememettre en position défensive et c’est pasvraiment dans ma nature. En général, quand je fais face à un problème, jel’attaquefrontalement.
Jen’aimepasdutoutcettesituation.J’aiunmauvaispressentiment,maisjenedisrien.Jeneveuxpasqu’Hayleys’inquièteplusquenécessaire.C’estmonrôledelaprotéger,d’assurersasécurité.
46
Hayley
—Argh !Brandon, tunepeuxpasdireà tesgroupiesd’allervoirailleursquandonestlà?
Junelanceunregarddégoûtéàlafillequiestassisesursesgenouxetquiesten train d’inspecter les amygdales de mon meilleur ami comme si elle étaitinvestied’unemissiondespéléologie.
Illuilanceunregardgoguenardetsedétachedemissventouse.—Pourquoi,tuvoudraisêtreàsaplace?June se projette contre le dossier de sa chaise, prend un air horrifié et lui
lanceunefriteàlafigure.— Beurk… Tu veux rire ou quoi ? J’ai pas envie de devenir une
encyclopédiedeMST.Dieuseulsaitcombientonorganismeentrimballeà luitout seul.Même leCDCd’Atlanta 1 n’enn’apas répertorié lamoitiédans sonlabo.
Brandons’esclaffe:—June, tacapacitéà raconterdesconneriesest impressionnante,etcrois-
moiilenfautbeaucouppourm’impressionner.— Hum… Personnellement, c’est ta capacité à lever des pintades qui
m’impressionne. Non, rectificatif, ce quim’impressionne c’est que,malgré taréputationdecoureur,cesfillessoientstupidesaupointdecroirequetuvasleurtomberdanslesbras.
Jeregardemissventousequiassisteimpuissanteàleurconversation.Ellemefaitunpeudepeinecarilsparlentd’ellesanssesoucierdesaprésence.Agacéeparlecomportementdemonami,jedécidedeluirafraîchirlamémoire.
—Brandon,t’asdéjàoubliécequetum’asditàlacrique?Ilme regarde sans comprendre.D’unmouvement de la tête, je luimontre
missventousesursesgenouxetpoursuis:—Jecroyaisquet’enavaisfiniavectoutescesconneries.Quand son esprit commence à comprendre ce que j’essaie de lui dire, il
afficheunairpenaud.Ilseraclelagorgeets’adresseàsagroupiedujour.—Abbie…—Moic’estAmber,pasAbbie.—Désolé…Bref,quelquesoittonprénom,jecroisqueçavapaslefaire.—Pardon?—T’ascertainemententenduparlerdemaréputationettusemblesêtreune
fillesympa.J’aipasenviedetefairesouffriralorsilvautmieuxtoutstopper.—Tu…—Non,n’insistepas.Jesaisquejetefaissouffrir…Contretouteattente,missventouse,quisembletoutcomptefaitavoirunpeu
d’amour-propre,selèvetranquillementdesgenouxdemonami,lissesajupeduplatdesamain,etd’untoncalmeluidit:
—Arrêtetoutdesuitetonplaidoyer.Jenevaispaspleurertoutesleslarmesdemoncorpsettefaireunecrise.J’allaisjustetedirequetuespitoyable.
Puis,sansunmotdeplus,ellesedétournedeluietquittelacafétéria.June,quin’apasperduunemiettedelaconversation,secouelatêted’unair
désolé.— Elle a raison, sur ce coup-là. C’était pitoyable ton petit discours. Je
pensaisqu’avectonexpériencetuauraisétécapabledemieuxt’ensortir.Jesuisdéçue…
—Laferme,June…Brandondirigesonattentiondansmadirection,maissonregardhappépar
unpointau-dessusdemonépaulememetlapuceàl’oreille,carsavoixdevientalorsmordante:
—C’estquicetypeavecBeverly?Nous nous retournons tous d’un seul bloc et observons la scène. Beverly
gesticuledans tous lessensetsemble tenir têteàunhommequiporteungiletauxcouleursduclub.Illuiditquelquechosequisemblelamettredanstoussesétats.Elle lui répond,maisapparemmentcequ’elle lui rétorquene leperturbepas, il affiche même un sourire narquois, ce qui semble accroître la rage deBeverly.Pourtouteréponse,elleramassesonsacàsespiedsetsedétournedeluipourentrerdanslacafétéria.D’unpasrageur,ellenousrejointenquelquessecondes.Elle se saisitde lachaise libreàmescôtésd’ungestebrusqueet selaissetomberdessus.
—Putain,jevousjure,lesbikers,ilfautselesfarcir.Nouslaregardonstousavecdesyeuxrondscommedessoucoupes,carc’est
lapremièrefoisquenouslavoyonsaussifurieuse.—Qu’est-cequisepasse?—Pff.Encoreuntrucdemonpère.Sérieux, ilnepourraitpasoublierson
rôledeprésident,pourunefois?Brandonfaitunsignedumentonversletypeadosséaumurdelacafétéria
quis’allumeunecigaretted’unairnonchalanttoutensifflantdeuxétudiantesquipassentprèsdelui.Cesdernièresseretournentenpouffantetsemettentàrougirlorsqu’illeurlanceunclind’œilaccompagnéd’unsouriregrivois.
—Ilt’emmerde,cepetitcon?Beverlylanceunregardpar-dessussonépauleetnepeuts’empêcherdefaire
lagrimaceenserendantcomptedesonpetitjeu.—Non,laissetomber,Brandon.Ilnefaitqu’obéirauxordresdemonpère.—Ilteveutquoi?—Ildoitmesuivrecommeunparfaitpetittoutoupartoutoùjevais.Comme
sij’allaisrisquerquelquechoseàlafac.Junenepeuts’empêcherdes’immiscerdanslaconversation.— Pourquoi t’as besoin d’une protection ? Les vilains bikers ont des
ennemisetilsveulents’enprendreàlafilleduPrés’?—June,onn’estpasdansunroman…
—Dommage…Moijeveuxbienqu’ilmesuivepartout,tonchiendegarde.Cemecestàtomber,ilpourraitfairelacouverturede…
Junecoupenetsaphrase,sesyeuxluisortentdesorbites,sabouches’ouvreengrand,pourunpeu samâchoirepourrait frotter le sol.Elle la refermed’uncoup,faisantclaquersesdents.
—Putain,c’estencoremieuxquelamultiplicationdespetitspains!Yaunautresexybikerquisepointe.
JemeretourneenmêmetempsqueBeverlyetrepèreDannyboyquirejointsoncopain.Cematin, ilnousattendaitenbasdel’immeubledeJaceetnousasuivis jusqu’à la fac.Depuis, ilm’accompagnepartoutetprendson rôle trèsàcœur.Enmêmetemps,jenepeuxpasluienvouloir.LorsqueJacel’arepérésurletrottoir,cematin,ils’estapprochéàgrandspasdelui,l’aagrippéparsongiletet,nezcontrenez,l’amenacédespirestorturess’ilm’arrivaitquoiquecesoit.
—Ah,celui-là,iln’étaitpasprévuauprogramme,marmonneBeverly.Hésitante,jeréponds:—Non,ilestpourmoi.Jaceveutqu’ilmesuiveaussi,jesoupire.—Ehbien,pensezàmoilaprochainefois,lesfilles.Moiaussij’enveuxun.
Bev,commentonfaitpourintégrerleclubdetonpère?Parcequ’entreJaceetcesdeuxsuperbesphénomènes,s’ilssonttousaussicanons,jesignedesuite.
—Hum…Crois-moi,ilsnesontpastouscommeça!Brandon interromptnotre conversationetmedemanded’unevoixchargée
d’inquiétude:—Hayley,pourquoit’asbesoind’untypepourtesurveiller?Saquestionme rappelle que je ne l’ai pasprévenududerniermessagede
mon beau-père. Un peu honteuse de mon comportement à l’égard de monmeilleurami,jeluirétorque:
—Jet’expliqueraitoutàl’heureenallantencours.—Jedoism’inquiéter?—Non,toutestsouscontrôle.Net’enfaispas.—Hum…
BrandonmefixequelquessecondesavantdeportersonregardsurBeverly.—Tufaisquoi,demainsoir?Nous nous tournons toutes vers lui et le regardons, stupéfaites. Beverly,
quantàelle,rougitetsemetàbégayer.—Euh…Je…Rien.Juneprofitedecemomentd’hésitationpournoussortirunedesesrépliques
dontelleseulealesecret:—Oh,oh,attention,Brandonpasseenmodeoffensif.Cœurbriséàl’horizon
etgrossepagailledanslegroupeenperspective.Tusais,Bev,iln’yapascinqminutes…
Illuilanceunregardassassin,lesdentsserrées,etréplique:—June,laferme.T’asledondelaramenerquandilnefautpas.—Jesais.J’enaifaitmaspécialité.—Tum’endirastant,marmonne-t-ildanssabarbe,avantdesetournervers
Beverly:Çateditqu’onsefasseunesortietouslesdeux?—Je…Oui,pourquoipas.—Super.Jepasseteprendreverssixheuresdemainsoir.—D’accord.Unsouriresatisfaitsurlevisage,Brandonregardesamontre.—Hayley,ilfautqu’onyaille,c’estl’heuredenotrecours.
Nous quittons tous les deux la cafétéria et passons devant Dannyboy. En
nousvoyant,ilm’adresseunpetitsignedetêteetnousemboîteimmédiatementlepas.Brandonluilanceunregardsuspicieux.
—Pourquoit’asbesoinquequelqu’untesurveille?Jesaisquecequejevaisluirépondrenevapasluiplaire,alorsjepréfèrelui
avouerfranchement.—Ilm’aencoreenvoyéunmessage.Jaceveutquequelqu’unsoittoujours
avecmoipourassurermasécurité.—Pourquoitunem’asriendit?Sontondereprocheetsonairblessémefontmesentirencoreplusmal.Ila
toujoursétéprésentpourmoietjel’aiécartédel’histoiresanslevouloir.
—Jesuisdésolée.C’est justeque touts’estenchaînési rapidementque jen’aipasprisletempsdet’avertir.Nem’enveuxpas,s’ilteplaît.
Brandoninspireprofondémentavantdesouffler.—Écoute,GlitterGirl,jenevaispastecacherqueçamefaitmald’êtremis
à l’écart, parce que j’ai toujours été là pour toi.Mais d’un autre côté, je suisrassurédesavoirquenousnesommesplusseulspouraffronter lasituation.Jesuissoulagéque tonbikeret sescopainssoientaussi sur lecoup.Mais, s’il teplaît,neme tiensplusà l’écart.Ona toujoursétéensemblepouraffronter toncalvaire,alorsondoitresterunisjusqu’aubout.D’accord?
—D’accord.Pardonne-moi.Brandonm’enlaceetjemeréfugiedanssesbras.Ildéposeunbaisersurma
tempe.—Merci.Jemedétachedesonempriseetluidemande:—TuessérieuxavecBeverly?—Oui.J’aifinidejouerauconaveclesfilles.Jenesaispasoùçavanous
menermaisj’aienviedetentermachanceavecelle.—Tu es au courant que si tumerdes, tu auras Pops et tout le club à tes
trousses?Ilsvoudront tapeau.Si tu te lancesdansunehistoireavecelle, il tefaudraoublierlesmissventousecommecellequetuavaissurlesgenouxtoutàl’heure.
—Jesais,oui.Écoute, j’aidéconné toutà l’heure,mais le faitdemedirequ’elleestpourmoicequeJaceestpourtoi,çamefaitflipper.
—D’accord.Jetefaisconfiance.Brandon?—Oui?—J’aitoutracontéàJace.Ilsaittout.—Etcommenttutesens?—Bien.Étonnammentbien,luidis-jeavecungrandsourire.—Alorstoutestparfait,GlitterGirl.
1.Centrepourlecontrôleetlapréventiondesmaladies(CenterforDiseaseControlandPrevention).Lequartiergénéraldecescentressesitueprèsd’Atlanta.
47
Jace
Je me cale plus confortablement contre l’oreiller pour mieux profiter duspectaclequisedéroulesousmesyeux.Hayleysedéplacetranquillementdansla chambre, simplement vêtue d’un soutien-gorge et de son pantalon.Elle faitplusieurs allers-retours dans la pièce, allant demon armoire pour sortir un demes t-shirts à la commode située de l’autre côté de la pièce pour attraper unélastique.Ellerelèvesescheveuxenhautdesa tête, lesattacheenunchignoninforme.Çaressembleàrien,sontruc,maissurellec’estvraimentsexy.
Depuislejouroùjel’aifaitjouiravecmesdoigts,j’ail’impressiond’êtreenface d’une nouvelle Hayley. La petite fille apeurée a disparu et je suismaintenantenprésenced’unenanaépanouie.
Elle se baisse pour attraper quelque chose dans son sac, dans sonmouvement son pantalon descend un peu et…Bordel !Mes neurones grillentd’uncoupquand jevoiscepetitboutdedentelledépasser.Ellenedoitpasserendrecompteduspectaclequ’ellem’offreparcequ’ellecontinueàplongersonnezdanssonsacà la recherchede je-ne-sais-quoi.Cen’estpasunange,cettefille,c’estunediablesse.
Maqueueseréveilledansmonboxeretcommenceàpulser.Jenecherchemêmepasàcachermondébutd’érection.Jecontinueàl’admirerfairesonpetitritueldusoir.Ellenesedoutepasdetouslesscénariosquidéfilentdansmatête.
Elledéboutonnesonpantalonetlefaitglisserlelongdesesjambesfuselées,dévoilantcentimètreparcentimètresapeauveloutée.Bonsang!Cettevisionestunvéritablesupplice.Rectificatif,unedélicieusetorture.Maqueueserappelleàmonbonsouvenirettressautedeplusbelle.Jebloqueuninstantmarespirationet ferme les yeux une fraction de seconde. Quand je les rouvre, le pantalond’Hayleyadisparupourlaisserplaceàunslipendentelle.Jesuisàlalimitedemejetersurelleetdeleluiarracher.Jemevoislaprendrecontrelemurcommeunebêteenrutoucommeunputaindelycéengonfléauxhormones.J’imaginesesjambesfiness’enroulerautourdemataille,montorsecontresapoitrine,etelle, enfouissant ses mains dans mes cheveux. Son souffle de plénitude quicaressemoncoualorsquemabites’enfoncedanssapetitechattehumide.Ellevametuer,lasorcière.
Sansquejenepuisseleretenir,unsifflementsortdemapoitrine,cequiluifait relever la tête dans ma direction. Son regard est interrogateur quand elleremarquemonvisagecrispé.
—Toutvabien?Bordel!Ellemedemandesi jevaisbien?Sérieux?Alorsquedepuisdix
minutesellemefaitunputaindestrip-tease?Lesdentsserrées,j’articulepéniblement:—Çava.Mais si tupouvais temanieretvenir tecoucher, ça irait encore
mieux.Ses magnifiques yeux bleus me scrutent sans comprendre puis glissent
lentement sur mon torse nu, s’arrêtant quelques secondes sur mes tatouages.Quand son regard passe sousma ceinture, elle comprend immédiatementmonproblème.
Ses joues s’empourprent, les mouvements de sa poitrine s’accélèrentlégèrement mais suffisamment pour que je les perçoive. Un éclat de désirilluminesesprunellesetinconsciemmentellepasselapointedesalanguesurseslèvres.Jedisjoncte.Jetendsmamainverselle.
—Viensparlà,jeluiordonned’unevoixlourde.
Sans l’ombre d’une hésitation, elleme rejoint. Je l’attrape par la taille etl’obligeàs’installeràcalifourchonsurmoi.Elleposesesdeuxpetitesmainssurmesépaulespourtrouverunappui.
—Embrasse-moi,jeluiintime.Unlégersouriresedessinesurseslèvresalorsqu’ellem’obéitetapproche
sonvisagedumien.Àl’instantoùsabouches’apprêteàentrerencontactaveclamienne,mon téléphone semet à biper. Etmerde, je reconnais la sonnerie dePops. Je suis obligé de lire le message et de répondre immédiatement.Mentalement,jeletraitedetouslesnoms.Ilaintérêtàavoirunebonneraisonpourm’interrompreainsidansunmomentsiparfait.
Lorsquejelisletexto,tousmessenssemettentenalerte.Auxyeuxdetous,cemessageestdesplusbanals,maisdansnotre jargon, ilveutclairementdirequ’onaunepisteetpeut-êtreunechancederetrouvercefumier.
—Changementdeprogramme,monange.—Quoi?mequestionne-t-elledansuncouinementdésappointé.JeluiexpliquelasituationtoutenrépondantàPops.Danslafoulée,j’envoie
unmessageàDannyboypourluidirederappliqueretdesurveillerHayley.Jeneveux pas la laisser seule un instant. Je suis peut-être paranomais je ne veuxprendreaucunrisque.
—Onaunepiste,Popspasseaveclesgarspourmerécupérer.—Unepiste?Laquelle?—J’ensaisrien,iln’arienditdeplus.—Bakers…Sesyeuxs’assombrissent,ternisparl’inquiétude.Jetentedelarassureretla
fais basculer sur le lit. Je me place au-dessus d’elle et scelle mes lèvres auxsiennes,puisjebutinesabouchetoutenluidisant:
—Net’inquiètepas.Mesparolesetmesgestesn’ontaucuneffetsurelle.Ellesedétachedemoi
etplaquesesdeuxmainscontremapoitrinepourmefairereculer.Sonvisageestsoucieux,etj’entendsàsavoixtremblotantequ’elleapeur.
—C’estdangereux?C’estillégalcequevousallezfaire?
Jesuismalàl’aisefaceàsesquestions,cen’estpaslemomentdetoutluiexpliquer.Ellen’estpasidiote,ellesaitquecequel’onvafaireestparfaitementillégal.Mais je n’ai pas envie de me prendre la tête, de tout lui expliquer etqu’on se quitte sur undésaccord.Si je dois rencontrer cet enfant deputain cesoir, je veux garder les idées claires. Je n’aurai pas le droit à la moindrehésitation quand je serai face à lui. Parce que si ce fumier a un flingue, uneseconded’incertitudedemapartm’enverrasixpiedssousterre.Jeneveuxpasnonplusqu’ellesachequecesoirchacundemesfrèresvarisquersaviepourelle.Elleseraitcapabledenousdiredenepasyalleretdelaisserfairelesflics.Etbonsàriencommeilssontavecleurpaperasse,cefumierseseravolatilisé.
— On ne prendra pas de risques inutiles. C’est tout ce que je peux tepromettre.
—Jen’aimepasça.Jeneveuxpasquetutemettesendangerpourmoi.Qu’est-cequejedisais?—Monange,jamaistupourrasm’enempêcher.
Elles’apprêteàmerépondre,maisjelacoupeenl’embrassantànouveau.Je
sais,cen’estpasfair-playdemapart,maisj’aipeurdeperdrelecontrôledelasituation.
Quandjesensqu’ellerépondenfinàmonbaiseretsedétenddansmesbras,jerapprochesoncorpsdumien.J’aibesoindesentirsachaleur,cettenanaauneffetapaisantsurmoi.Sespetitesmainsviennents’enfouirdansmescheveuxet,putain,j’adorequandellefaitça.
Je glisse un demes bras dans son dos et le lui caresse lentement, tout endouceur,pour l’apaiserunpeuplus.Maqueuedevientdure,et faceausourirequi se dessine sur ses lèvres, je sais qu’elle la sent contre son ventre. Maisfranchement je m’en fous. J’ai plus besoin de cacher à quel point j’ai envied’elle.
—Popsarrivedanscombiendetemps?Saquestionmeprendaudépourvu.—D’iciuneheure,pourquoi?—Çanouslaisseencoreunpeudetemps,alors.
—Dutemps?jerépètesanscomprendre.Àlalueurdedésirdanssonregard,j’aiimmédiatementmaréponse.Putain,
elle veutpasserà la vitesse supérieure. Jen’avaispas imaginénotrepremièrefoiscommeça.Jemedébatsintérieurementavecmaconscienceparceque,bonsang,cesoir,moiaussij’enaitrèsfortementenvie.Maismaraisonmepousseànepasprécipiterleschoses.Jeneveuxpasqu’ellesesenteobligéeouqu’elleledécidepourdemauvaises raisons.Elle n’est plusvierge à causede ce salaud,maisçavaêtresatoutepremièrefoisquandmême.
Quandsesmainsglissentlelongdemesflancspourfinirleurroutesurmonventre, ma raison fout complètement le camp. Je rassemble les quelquesmorceaux qu’ilme reste de rationalité et lui laisse quandmême une porte desortie.
—T’essûredetoi?—Plusquejamais,merépond-elled’untondéterminé.Bordel!Lebalestouvert.Adieulesbonnesrésolutions.Jenepensaispasqueçam’arriveraitunjour,maisjeflippeàmort.Même
pourmapremièrefoisquandj’avaisquinzeans,jen’étaispasaussistressé.Enmêmetemps, j’étaisàmoitiédans lesvapesetc’étaitavecunebrebisquiétaitaussifaitequemoi.Jel’avaisprisederrièreleclub.Montreenmain,çam’avaitpris à peine troisminutes. Record dont je ne suis franchement pas fier.MaisheureusementpourHayley,depuisjemesuisamélioré.Jeconnaiscertainstrucsquifontmonterlesfillesdirectenflèche.Etavecelledansmesbras,jecomptebienlesutiliserunàunetàplusieursreprises.Jesuissûrqu’ànousdeuxonvamêmepouvoireninventerdenouveaux.
48
Hayley
Jaceprendmonvisageencoupeetm’attirecontrelui.Jemelaissefaire,àlafois effrayée et impatiente.Unmaelströmd’émotions s’empare demon corps.Monventresenoueaussibiendedésirquedepeur.Jesaisqu’ilnemeferapasdemal,qu’ilmerespectera.J’aiconfianceenlui.L’autrenuit,danslecentre,ilaété doux avec moi, et malgré ma crainte, je ne l’ai pas rejeté. Sentant monangoisse,ilrapprochemoncorpsplusprèsdusien,sonregardsevrilleaumien.Sa voix est douce comme de la soie, comme s’il cherchait à apprivoiser unanimaleffrayé–cequiestassezprochedelaréalité.
—Unseulmotetj’arrêtetout.D’accord?—D’accord.Sansmequitterdesyeux,ilfaitcourirsesdoigtslelongdemonbras.Parce
simplegeste,cesimpleeffleurement,ilprovoqueunemultitudedefrissonsquime parcourent le corps. Je ferme les yeux et me laisse transporter par lessensations.
—Regarde-moi,monange.J’ouvrelespaupièreslentement.—Onesttouslesdeux.Rienquetoietmoi.Son autre main se faufile dans mes cheveux et se place sur ma nuque.
Lentement,Jaceapprocheseslèvresdesmiennes.Ellessontchaudesetseposentendouceur.Puisnotrebaisersetransformeenuneétreintepluspassionnée.Une
plainte sort de mon corps et me fait entrouvrir la bouche. Langoureusement,nousnousembrassons.Jemecolleunpeupluscontrelui,j’aibesoinderessentirlachaleurdesapeaucontrelamienne.
Mesmainsremontentlentementlelongdesesbraspourvenirs’enfouirdansses cheveux. La tension qui me noue le ventre se transforme en une autresensation,lapeurafaitplaceàl’excitation.Jeressenslebesoindetouchersoncorps,desentirlachaleuretladouceurdesapeaunue.Jeglisselentementmapaumecontresontorse.Sansinterromprenotrebaiser,Jacepassesamaindanslecreuxdemes reins, faisantainsi entrernosdeuxbassinsencontact. Je sensimmédiatementsondésirparlabossequisepressecontremonventre.Seulsnossous-vêtementsnousséparent.Bizarrementçanemefaitpaspeur.Aucontraire,j’aienvied’allerplus loin. J’aienviede fairecourirmesdoigts le longde sestatouages. Comprenant mon besoin, Jace se détache de moi et mes yeux seretrouvent devant l’œuvre d’art qu’est son torse. Des ailes d’ange prennentnaissancesoussaceintureets’enroulentautourdesesflancs.Ellesontlemêmeeffetsurmoique lacaperougeque l’onagitedevantun taureau. Incapabledeme retenir plus longtemps, je parcours ce dessin et en retrace les contours duboutdesdoigts.
Àmoncontact,sapeausecouvred’unemultitudedefrissons.Ilbloquesarespirationet siffleentresesdents,essayant tantbienquemaldese retenir.Àtravers ses longs cils, ses magnifiques prunelles grises chargées de désir setransforment en argent liquide. Ses bras retombent le long de son corps,m’indiquantquec’estmoiquimèneladanse,qu’ilselaissetoucher.Ilmelaissedécouvrir soncorpsàmavitesse. Jevoisbienà laveinequibatdans soncouqu’ilréprimesesdésirsauprixd’ungrandeffort.
Jelaissemondoigtcourirlelongdel’élastiquedesonboxer,j’aienvied’yfaufilermamain,dedécouvrirjusqu’oùvasontatouage.Jeposemonregardsurlesienetluidemandesilencieusementl’autorisationdepoursuivre.
D’un mouvement de tête furtif, il me fait signe de continuer monexploration.
D’une main tremblante et maladroite, j’essaie de faire glisser son sous-vêtementenmêmetempsqu’ilsoulèvelégèrementsonbassin.Jesuistellementfébrilequejedoism’yreprendreàplusieursfoispouryparvenir.Jaceposesesmains sur lesmiennes en un geste rassurant.Au contact de sesmains sur lesmiennes,unepaixintérieurem’envahit.Ilm’aideetc’estensemblequenouslefaisonsglisserlelongdesesjambesmusclées.Jeretiensmonsouffleenvoyantsonsexesedresserfièrement.
Unelégèreinquiétudemetraversefaceàlapuissancedesondésir.Sentantmon angoisse, il passe un doigt sous mon menton et m’embrasse à nouveautendrement.Jesuisàcalifourchonsurlui,sonmembretouchantmonventre.Luiest calé contre les oreillers etme laisse l’admirer. Silencieusement, ilme faitcomprendrequejepeuxexplorersoncorpsselonmabonnevolonté.Aucunmotn’estexprimé,seulsnosregardsetnosgestesparlentpournous.Toutdanssonattitudemontrequec’estmoietmoiseulequiprendslesdécisionsdecequivasepasserentrenouscesoir.
Jesuis toujourscouvertedemessous-vêtements,maisçanesemblepas ledéranger.Aucontraire,c’estcommes’ilmelaissaitprendreladécisiondegarderou non cette barrière protectrice. J’hésite quelques secondes à détacher monsoutien-gorge,puisdécidedelegarderencoreunpeu.Mesyeuxsebaissentsursonsexe,j’aienviedeletouchermaisjen’osepas.
Sentantmon hésitation une fois de plus, Jace prendmamain et l’enrouleautour.Sapeau est douce et chaude.Samain reste sur lamienne et ensemblenousfaisonsquelquesmouvementsdeva-et-vient.
Quandil jugequej’aisuffisammentconfianceenmoi, ilretirelasienneetmelaissepoursuivre.
—Tut’ensorsdivinementbien,monange.C’estlapremièrefoisquelesilenceestrompu.Enentendantsavoixrauque
chargéededésir,jemesensplusenconfiance.
Alorsquejepoursuismesmouvements,sesmainsretournentsurmapeauetmecaressentlangoureusementlecorps.Sesdoigtsviennentjoueravecl’attache
demonsoutien-gorge.Savoixn’estqu’unmurmurequandilmedemande:—Jepeux?Incapabledeprononcerlemoindremot,jehochelatête.D’ungestehabile,il
défait les agrafes et fait glisser les bretelles le long de mes bras. Il le lancequelque part dans la pièce.Même s’il a déjà vuma poitrine, j’ai encore peurd’affrontersonregardetjefermelesyeux.
—Regarde-moi,monange.Jeluiobéisetl’amouretl’admirationquejepeuxliredanssesprunellesme
rassurent,maisjenemesenspasàl’aisedanscetteposition.J’avouenepastropsavoirquoifaire.
D’un mouvement agile, il me fait basculer sur le dos et je me retrouveallongée sous lui. Il place ses avant-bras près de mon visage pour éviter dem’écraserdetoutsonpoids.Puisilfaitcourirsesdoigtssensuellementsurmoncorps. Entre mes seins, sur ma poitrine, tout en contournant mes tétons. Cesderniers semblent demander toute son attention, car chaque fois qu’il s’enapproche, ils se raidissent de plus en plus jusqu’à en devenir douloureux.Ungémissementdefrustrationsortdemagorgequandundesesdoigtsvientfairedescerclessurmonaréole.Délicatement,ilpasseenfinsonpoucesurmontétondurci par le désir. C’est à peine un effleurement, mais une décharge metransperceàsoncontact.Voyantmaréaction,ilreproduitlemêmeschéma,illecontourne, le rendant assoiffé, et repasse dessus légèrement. Mon corps secambre.J’aienviequ’illetouche,qu’illeprennedanssabouche.
Jelesuppliesansaucunepudeur.—S’ilteplaît…Seslèvress’étirentenundélicieuxsourireetunelueurtaquineillumineson
regard.—Quoi,monange?Mesjouesrosissentautantdeplaisirqued’embarras.Nem’écoutantpas,il
poursuit sa torture sur mon autre sein. J’ai envie d’attraper sa main et de laplaquer contrema poitrine pourmettre fin à cette divine attente. Sentantmonimpatiencemonter,ilpenchelégèrementlatêtecontremontorseetfinitparmedélivrer.Souslecoupdudésir,messeinssontdevenuslourds.Jepoussematête
enarrièresouslapuissanceduplaisirquemeprocurelecontactdesalanguesurmon téton,pendantquesonautremaincontinueà torturermonautresein.Sesdents viennent me mordiller délicatement. Une explosion de sensations metraverse.Commeunelitanie,jememetsàlesupplier.Supplierdequoi,jen’ensaisrien,maisjelesupplie.
—S’ilteplaît,s’ilteplaît.Samaindescendlentementvers lesud.Sesdoigtsparcourentmacuisseet
entrentencontactavecladentelledemaculotte.Jemecrispelégèrementenmerendantcomptedel’endroitoùilssesituentmaintenant,maissalanguejoueuseautourdemontétonmefaitperdretousmesrepèresetjemedétendsànouveau.Alors, doucement, sa main s’immisce dans ma culotte, son index entre encontactaveclesreplisdemonintimité.C’estàpeines’ilmetouche,unsimplefrôlement qui me fait tendre le bassin vers lui. Il finit par trouver mon petitboutongorgédedésiretsemetàlemalmener,m’amenantaubordduprécipice.
Moncorpsn’estplusquetension,lessonsquisortentdemabouchenesontplus que des gémissements incompréhensibles. Jem’agrippe à ses avant-bras,cherchantànepasperdrepied,àgardercontactaveclaréalité.Monespritnageenpleineconfusion,salangueestsurmesseins,sesdoigtsmagiquesjouantauchatetàlasouris.
J’abandonnetoutemaîtrisedemoncorpsetjemelaissealler,uncriremontelelongdemapoitrineetjenemeretiensplus.Jacepoursuitsesassautssansmelaisser le temps de redescendre.Ma vision est rendue floue par le désir et jel’observeàtraversmescils.Sonvisageest tenduàlafoisparledésiretparcequ’ilseretientpournepasallertropvite.Jedécidedeledélivreràsontouretfaisglissermonsous-vêtementcommejepeux.Jace,quiserendcomptedemongeste,m’aide à le retirer et l’envoie rejoindremon soutien-gorge quelque partdanslachambre.
Il prend le temps de m’admirer intégralement puis il me questionne duregard.Jeneprononceaucunmot,maisjel’entraîneànouveauau-dessusdemoitoutenécartantunpeuplusmesjambespourlelaisserseglisserentreelles.Je
sens le bout de son gland contre l’entrée de mon intimité, je me raidislégèrement.Jacestoppesonmouvementinstantanément.
—Tuveuxquej’arrête?Jesecoueplusieursfoislatête.—Non,net’arrêtepas.Ilm’observeuneseconde,toutenscrutantmonregardpours’assurerdema
sincérité. Il se penche alors vers la table de nuit, ouvre le tiroir et en sort unpréservatif.Mes joues rougissent lorsque je l’observe le dérouler en un gesteassuré le long de sonmembre. Puis je sens à nouveau le contact de son sexecontrelemien.Ilapprochesonvisagedumienetm’embrassedélicatement.
Au moment où je le sens s’enfoncer lentement en moi, il me murmurebouchecontreboucheundoux«Jet’aime».Ilnem’enfautpaspluspourmelibérer entièrement et je relève mon bassin pour mieux l’accueillir. Puiscommencentlesdélicieuxmouvementsdeva-et-vientquifontnaîtreenmoidenouvelles sensations.Le désirmonte encore et se fait de plus en plus intense,Jacepoursuitsesmouvementstoutenmesusurrantdesmotsdoux.
Des larmesperlent aucoindemespaupières sous l’intensitédesémotionsquimesubmergent.Caràcetinstantprécis,jevislemomentparfait.Cemomentque je recherchais tant avec l’homme de ma chanson. Je voudrais arrêter letemps.Neplusjamaisquitterceregard,cesentimentdesécuritéquejeressenslorsquejesuisaveclui.Noscorpsfusionnent,noussommestouslesdeuxensiparfaite osmose en cet instant que nous atteignons enmême temps un long etdélicieux orgasme. Je croyais que ça n’arrivait que dans les livres, maisapparemmentjemetrompais.Jaceenfouitsonnezcontremaclaviculeletempsde reprendre son souffle, et je fais glisser paresseusementmamain le longdesondos.
Ilsedétachedemoiets’allongeàmescôtés.Lorsqu’ilvoitleslarmescoulerlelongdemesjoues,ils’inquièteimmédiatement.
—Hayley?—Net’enfaispas,cesontdeslarmesdebonheur.
Jemenichecontresontorseetsesbrasm’enveloppentànouveau,m’offrantun sentiment de quiétude. Nous restons ainsi, silencieux, l’un contre l’autre,profitant de ce moment d’apaisement, jusqu’à ce que l’interphone de sonappartementsonne.
Jacesoupirepuism’embrassesurlatempe.— Il faut que je me lève, mon ange. C’est Pops, je ne peux pas le faire
attendre.—Jesais.Jemedécolledesoncorpsetlelaissesortirdulit.Alorsqu’ilsedirigevers
son pantalon pour le ramasser, je ne peux m’empêcher d’admirer ses fessesmusclées.L’interphonesonneànouveau,cequilefaitgrogner.J’éclatederireen voyant sa mine renfrognée. Il me jette un regard las tout en enfilant sonpantalon.
—Temarrepas,monange,j’auraisvouluresteravectoi.Çamerenddinguededevoirpartircommeunvoleur,tuméritesmieux,pourtapremièrefois.
—Net’enfaispaspourmoi,Bakers.Toutvabien.
L’interphone sonne pour la troisième fois, il marmonne quelque chosed’incompréhensible,maisvuleregardincendiairequ’illanceendirectiondelaported’entrée,jem’imagineparfaitementsespropos.
—Ohetmerde,iln’estplusàtrentesecondesprès.Jaceavanceversmoiàgrandesenjambéesetm’embrassecommesisavie
endépendait.Quandl’interphonesonnesansdiscontinuer,jemedétachedelui.—Ilvavraimentêtrefuraxsituneluiouvrespasdesuite.—Ouais. J’yvais.Écoute, les gars vontmonter et onvadiscuter unpeu,
restedanslachambre,d’accord?C’estlesaffairesduclub.—Entendu.—Jeteferaisignequandonaurafinideparler.—D’accord.Detoutefaçon,jenemesenspasprêteàaffronterleurregard
tout de suite. J’ai l’impression que ce qu’on vient de faire est écrit sur monvisage.
—Désolédeteledire,monange,maisc’estvraimentécritsurtonvisage.
Nous sursautons tous les deux lorsque quelqu’un tambourine à la porte
commeunforcené.LavoixdePopsretentitetellen’ariend’amical.—Jace,tuferaismieuxdebougertonculdesuiteetdem’ouvriravantque
jedéfoncetaputaindeporte!—Merde!Ilestvraimentcapabledelefaire.Jaces’empressedequitterlachambre,etavantqu’ilenfranchisseleseuil,je
nepeuxm’empêcherdeluichantonnerun:—Boncourage!
49
Jace
Je quitte ma chambre, poursuivi par la voix moqueuse d’Hayley. Si ellesavait…
Je vais en prendre plein la tête, mais franchement je m’en fouscomplètement. J’appréhendais sa réaction après coup, mais l’expression debonheurquelivresonvisagem’acomblé.Maintenant,jesaisqu’ellearecolléunà un tous les morceaux. Elle n’est plus brisée, il faut juste qu’elle reprenneconfianceenelleetsurtoutqu’elleacceptederefaireconfianceauxautres.Maislecapleplusdifficileestpasséetnousallonsenfinpouvoirallerdel’avant.
J’ouvremaported’entréeetmeretrouvenezànezavecunPopsfuribard,levisagerougedecolère.Lesourireniaisplaquésurmeslèvresdisparaîtquandjemerendscomptequ’ilestprêtàmesauterdessus.
—Putain,j’ycroispas!J’esquisseunegrimaceparcequejesaiscequ’ils’apprêteàdireet toutce
quej’espèrec’estqu’Hayleynel’entendepas.—Ce petit con nous a fait poireauter en bas parce qu’il était en train de
baiser!Derrièremoi, j’entendsunpetitcouinement.Etmerde,ellea toutentendu.
En même temps, vu comme il gueule, ça ne m’étonnerait pas que toutl’immeuble,voiretoutlequartier,l’aitentendu.
Jecontractemamâchoirenerveusementetgrincedesdents.—Prés’,merdeunpeumoinsfort,elleestdanslachambreetentendtoutce
quetuesentraindegueuler.—Ça,petitmerdeux,ilfallaitypenseravant!J’espèrepourtoiqueçaen
valaitlapeineetquec’étaitlecoupdusiècle.—Bordel!Pops,vat’installerdanslesalonetboisunverredebourbon,ça
tecalmera.D’ailleurs,commentt’asfaitpourentrer?Spider,quiestrestédanslecouloirderrièrelePrés’,semarre.—Ilaappuyésurtouslesboutonscommeuntaréjusqu’àcequequelqu’un
sedécideà luiouvrir. J’aurais jamaispenséqu’uncivil soitassezcouillupourouvrir,jem’attendaismêmeàvoirdébarquerlesflicsd’uninstantàl’autre.
—Vous avez fini de jacasser commedesgonzesses ?Onpeutpasser auxchosessérieuses?beuglePopsdepuislesalon.
Spiderpénètredansl’appartetchuchote:—T’asmerdé,frère,ilestfurieux.—Hum…Lejouroùils’entrouveraune,crois-moi,ilcomprendra.—J’attendscejour-làavecimpatience,çarisqued’êtreépique.Ilsemarredanssabarbeetmetapesurl’épauleenpassantdevantmoi.Je fileprendreplusieursbièresdans le frigoet les rejoins. Jem’installe et
Popsdémarred’emblée.—Ok.Voilàletopo.LestypesdelacôteEstnousontrencardés.Parcontre,
letuyauestàprendreavecprécaution.Ilsnesontpascertainsdesafiabilitécarilsontdegrosdoutes sur leur indic.Mais c’estunepisteetonnepeutpas sepermettredel’ignorer.IlsembleraitquelefameuxGarrettpartageaitsacelluleavecuntype,undénomméJefferson,originairedeCalifornie.Cemêmetypeestsortidetauletroismoisplustôtquelui.Jenesaispascommentlebeau-pèreafait,maisils’estarrangépourquesoncodétenul’aide.Sivousvoulezmonavis,soitill’afaitchanter,soitilluiadonnédufric.Bref,àsasortie,toutétaitprêtpourGarrett.Toutunréseaul’attendaitetl’aaidéàsecacheretàquitterl’Étatde NewYork. Sig s’est renseigné sur Jefferson, il aurait une baraque qu’il a
héritéedesagrand-mère ilyaquelquesannéesdeça.Elleestperduedansunboispasloind’ici.C’estuneplanqueidéale.
Silencieux, nous écoutons Pops nous faire l’état des lieux de l’éventuelleplanque.Ilétaleplusieursdocumentssurlatablebasseetnousmontreunecartede la région. De l’index, il nous indique l’emplacement exact de la bâtisse.Ensuiteildésigneunautrepapier, lesplansd’unemaison.IlnousinformequeSig,notreexperten informatique,estparvenuàpirater les fichiersducadastrepourlesavoir.Onrepèredesuitelespointsfaibles:lesfenêtres,lesportes,lesanglesmorts.
Pendant plus d’une heure, nous élaborons notre stratégie d’attaque etétudionsunesolutionderepliencasd’attaquesurprise.
Aprèsavoirpassél’ensembleduplanenrevue,ondécidedelancerl’assautlesoirmême.Commeonn’estpassûrsdelafiabilitédutuyau,onneveutpasrisquer la moindre fuite. Moins on perd de temps pour y aller, plus on a dechancedeletrouver.Enfin,ça,c’estsilapisteestbonneetsiGarrettestbienàcetendroit.
50
Hayley
Jaceenfourchesamotoetlavisionqu’ilm’offreestàsedamner.D’ungesteferme,ilm’enlacelatailleetm’attireàlui.Seslèvresdoucesetfermesseposentsurlesmiennes.Puisilvientposersatêtecontremapoitrine.J’ail’impressionqueluiaussisouffredecetteséparation.Jeglissemesmainsdanssescheveuxcarjesaisqu’ilaimequandjelefais.
Avantqu’il ne sedécide àpartir, je nepeuxm’empêcherde lui fairemesdernièresrecommandations:
—Soisprudent.Jelesenshocherlatêtecontremoi.Ilsedétachedemoncorpsetplanteses
prunellesgrisesdanslesmiennes,levisagegrave.— Surtout, reste toujours à proximité d’un gars du club. Je ne veux pas
m’inquiéterinutilement.Onnesaitpassicettepisteestfiable.C’estpeut-êtreunpiègepournousenvoyerdanslamauvaisedirection.Gardetontéléphonesurtoi,onyaplacéuntraceurpoursavoiràchaqueinstantoùtutetrouves.SipouruneraisonouuneautretuesendifficultéetqueDannyboyn’estpasprèsdetoi,t’asjusteàappuyersurlatoucheundetonclavierettutomberasdirectsurleclub.C’estunnumérod’urgence.
—Vousavezplacéuntraceur?— Je… Ouais… Écoute, c’est pas trop le moment, là. À mon retour je
t’expliquerai.
Lefaitqu’ilaitprisetplacéuntraceursurmontéléphonesansm’enavoirinforméenemeplaîtpasdutout.MaisJacearaison,lemomentestmalchoisipourluidiremafaçondepenser.Jepréfèremetaireetessayerdelerassurer.
—Net’enfaispaspourmoi.Jenerisquerien.—Hayley,jesuissérieux.Jeneveuxpasquetuprennesderisquesinutiles.—Jen’enprendraipas,jetelepromets.Jecaresse sa joue, sabarbede trois jourscrisse sousmesdoigts. Ilpresse
sonvisagecontremapaumeetfermelesyeux.Nousneparlonsplus,maisnotresilenceexprimetouteslesémotionsquinoussubmergent.
Avantqu’ilneparte, jeveux lui révéler toutceque je ressenspour lui. Jeveuxqu’iln’yaitpaslamoindretracededoutedanssonespritcesoir.
—Jace…Au son de ma voix, il rouvre ses paupières et me fixe avec intensité,
attendantque jediseceque j’aisur lecœur.Cesoir, ilabesoind’entendrecequejem’apprêteàluidire.
—Je saisque cen’est pas lemoment.Mais il fautque tu sachesquelquechose,j’aibesoindel’exprimer.
Ilrestesilencieuxetjepoursuis:—J’aiconsciencequedepuisledébuttuaspeurquejenedécouvretonrôle
dansleclub.Toutsoncorpsseraidit.Ilouvrelabouchepourparler,maisjel’enempêche
etposemonindexsurseslèvres.Jeplongemonregarddanslesien,jeveuxqu’ilpuisseyliretoutemasincérité.Jepoursuisd’unevoixdoucemaisferme:
— Sois sûr d’une chose : qu’importe ton rôle dans les affaires du club,qu’importecequetuasfaitparlepasséoucequetuvasfairecesoiroudemain.Qu’importe lesmagouillesdans lesquelles tu trempes. Jem’enmoqueet jeneveuxpaslesconnaître.
Je place une de mes mains sur son cœur, sous ma paume je sens sesbattementss’accélérer.
— Je sais qui tu es réellement. Tous tes actes depuis que nous nousconnaissonsm’ontmontréque tuesunhomme fiable ethonnêteavecmoi. Je
t’aimeetjesaisquetum’aimes.Alorsmêmesitufaisdeschosesillégales,pasrecommandables, tu es et tu seras toujoursmonBakers.L’hommequi connaîtmesplussombressecretsetquiasumerameneràlavie.Quoiquetufassescesoir,monregardsurtoinechangerapas.
Jacesesaisitdemamainposéecontresapoitrineetpresseseslèvrescontremesdoigts.Quandillèvesonregardverslemien,j’ylistouteslesémotionsquile traversent : émerveillement, amour, soulagement, reconnaissance. Il merapproche à nouveau de lui et cette fois-ci son baiser n’est pas tendre maispassionné.
Ilfinitparsedétacherdemoi.Savoixtrahitsonémotion:—Merci,monange.Popsinterromptnotremoment:—Fautyaller,Jace!Cedernieropinemaisnepeuts’empêcherdemelancerunedernièrefois:—Soisprudente.—Jeleserai.Sesyeuxmescrutent,évaluantmondegrédesincérité.Certainementrassuré
parcequ’ilylit,ilacquiesce.IlsetournealorsversDannyboyquiestnonloindenous,etd’unevoixdure,ill’interpelle:
—Tunelaquittespasd’unesemelle.S’illuiarrivequoiquecesoit,t’esunhommemort.J’mesuisbienfaitcomprendre?
—Claircommedel’eauderoche.
Sentantlatensionentrelesdeuxhommes,jedécided’intervenir.JepresselamaindeJaceenungestequiseveutrassurant.
—Net’enfaispas,ilsaitexactementcequ’ilaàfaire.—Hum…Je passe le bout de mes doigts sur son front plissé par l’inquiétude et
l’embrassedélicatement.—Soisprudent.—Toujours,monange.
Ilm’adressesonfameuxsourireencoindigned’unangedéchu,etjereculed’unpaspourlelaisserpartir.IlfaitunsigneàPopspourluisignalerqu’ilestprêt, puis les troismotos démarrent de concert dans un bruit assourdissant etfilentdanslanuit.
Jeresteplantéependantplusieurssecondessurletrottoiràfixerlecoindelarueoùviennentdedisparaîtrelesmotos.Unsentimentd’angoissemecomprimelapoitrinesansquejeparvienneàm’endéfaire.
LavoixdeDannyboymefaitreveniràl’instantprésent.—Onyva?T’astoutestesaffaires?—Oui.Toutestdanslavoiture.—Ok.Alorsjetesuis.Il me conduit jusqu’à ma voiture, attend que je m’installe et que je la
démarre.Iltoqueàmafenêtreetm’indiquedeverrouillermaportière.Ils’assureque je lui obéisse puis regagne samoto. Pendant qu’il s’installe et enfile soncasque, je l’observe à traversmon rétroviseur central et attends son signal dedépart.
Toutlelongdutrajetpourregagnerlafac, jem’inquiètepourJaceetpourmasécurité.Jusqu’àprésent,toutmeparaissaitirréel,maismaintenantquetoutcommenceàsemettreenplace,jeprendsconsciencedelasituationetdudangerquejecours.JesaisqueleclubdePopsestentréencontactavecsesindicsdelapolice,maispourlemomentilsnepeuventrienfaire.Lesseulsàpouvoirassurermasécurité,cesontlesmembresduclub.
J’atteins avec soulagement le parking de ma résidence où, commed’habitude, lesmeilleures places ont été prises d’assaut.Au bout de quelquesminutes, je parviens enfin à en trouver une. Je coupe le moteur et attendssagement queDannyboy, qui a eu plus de facilité quemoi pour se garer,merejoigne. Logique, avec une moto, on peut stationner n’importe où sans lemoindresouci.Ilfinitpararriveràmahauteuretmefaitsignedesortir,avantdemeconduirejusqu’àl’entréedubâtiment.
—Ok.Jetelaisselà.Jevaismonterlagardedevant.Aumoindredoute,tum’envoies un message. Si tu dois sortir, tu m’avertis et je rapplique. Je tepréviens, pas d’entourloupe, j’ai pas envie que Jace me fasse la peau. Il neplaisantaitpas,toutàl’heure.
—Promis.—Ok.
Enpénétrantdanslehall,j’aidesremordsàlelaissertoutseuldehors.Mais
quelque chosemedit qu’il avupire et quepour lui cette surveillance est unepromenade de santé. De plus, je ne suis pas certaine que Jace ou Popsapprécieraientquejeluidisedemonterdansnotrechambreetd’ypasserlanuit.
Quand j’atteins laportede lachambreet l’ouvre, jenem’attendaispasdutout à la scène qui se déroule sousmes yeux. Je pensais la trouver vide, carBeverly devait passer la soirée avec Brandon, au lieu de ça je retrouve Bevrecroquevilléesursonlitàpleurertoutesleslarmesdesoncorps.
Inquiète, je referme la porte derrièremoi, jettemon sac surmon lit etmeprécipiteverselle.
—Bev,qu’est-cequ’ilya?Elleenfonceplusprofondémentsatêtedansl’oreilleretsemetàhoqueterde
plusbelle.Jenecomprendspascequilametdanstoussesétatsalorsjepoursuismoninterrogatoire.Etlaquestionquejeluiposemefaitunpincementaucœur.Évidemment,siellepleureainsi,c’estlafauted’uneseuleetuniquepersonne.Etçamefaitmaldel’admettre.Jenepensaispasqu’ilsecomporteraitcommeunsalaud avec elle. Surtout pas après ce qu’ilm’a avoué en quittant la cafétériahier.
—C’estBrandon?Ellesecrispedeplusbelleetsessanglotsredoublent.Bon,j’aimaréponse.—Qu’est-cequ’ilafait?Je posemamain sur son épaule pour lui indiquermon soutien, et surtout
pour l’inciter àme parler. Lentement, elle relève son visage vers lemien, ses
yeuxsontgonflésetinjectésdesangàforced’avoirpleuré.Leregardamer,ellefinitparmerépondred’unevoixentrecoupéedesanglots:
—Tudevraisplutôtmedemandercequ’iln’apasfait.Ok,jesuisdansleflouleplustotal.—Explique-toi.—Cesalaudn’estpasvenu.Ilm’aposéunputaindelapin.—Quoi?Etilt’adonnéuneexplication?—Quedalle,mêmepasunmessage.—Tuasessayédelecontacter?—Jeluiaienvoyéplusieursmessages.Voyantqu’ilnemerépondaitpas,je
l’aiappeléetcefumieraéteintsontéléphone.Sesexplicationsmelaissentsansvoix.— Ça ne lui ressemble pas. Il voulait vraiment sortir avec toi et il m’a
promisdebiensecomporter.—Fautcroirequetuneleconnaispassibienqueça.Je n’essaie pas de la convaincre que c’est un type bien. Personne ne le
connaîtcommemoietsonpassifauprèsdesfillesnejouepasensafaveur.Cequim’inquièteleplus,c’estqu’elleaitditqueBrandonavaitéteintson
portable. Or, depuis qu’il est investi de la mission de me protéger, il ne l’ajamaiséteint,aucasoùj’auraisbesoind’aide.L’inquiétudemegagneànouveauet mon mauvais pressentiment s’accentue. Je décide à mon tour de lui enenvoyerunmessagepouravoirlefinmotdel’histoire.
**Hayley:Brandon,jesuisavecBev,elleestenpleurspartafaute.T’esoù?Jesuisinquiète.**
J’appuiesurlatoucheenvoietattendssaréponse.Pendantcetemps,j’essaiedeconsolerBeverlycomme jepeux.Ses larmessesont finalement tariesmaiselle s’est enferméedans lemutisme. Je sais qu’elle le voit comme le pire dessalauds,maisdansmonforintérieur,jesuissûrequ’ilauneraisonvalablepourluiavoirfaitfauxbond.Etj’aibesoinqu’elleensoitconvaincue.Alorsjeprendsunegrandedécision.
—Bev,seulesquelquespersonnessontaucourantdecequejem’apprêteàtedire.Sicesoirjedécidedeteparler,cen’estpaspourdéfendreBrandonmaispourquetusachesquec’estquelqu’undeconfiance.
—T’essameilleureamie,normalquetuledéfendes.—Écoute-moi,jesuissérieuse.SeulsJace,Brandonetsesparentsainsique
tonpèresontaucourant.—Monpère?Qu’est-cequ’ilaàvoirlà-dedans?J’inspireunboncoupetm’armedecourage.—Tuvascomprendrequandjet’auraitoutexpliqué.
Et c’est ainsi que je lui raconte tout, lamort demon père,mon calvaire,
Brandonquiestvenumesauver.Lapromessequenousnoussommesfaitestouslesdeux,lasortiedeprisondemonbeau-père,sesmenaces.Etpourfinir,cequePopsetJacesontentraindefairepourmoicesoir.
Au fur et à mesure que je lui dévoile mon passé, son visage affichedifférentes expressions : tristesse, horreur, haine, souffrance, espoir. Quand jetermineenfinmonrécitpathétique,ellesejettedansmesbrasetm’enlace.Peuhabituéeàdesélansd’affection,jepassemesbrasautourdesesfrêlesépaules.D’unevoixlarmoyante,elles’excuse.Dequoi,jen’ensaisrien,carellen’yestpourriendanstoutecettehistoire.
—Jesuisdésolée.Tellementdésoléequetuaieseuàsubirtoutça.—Tun’aspasàt’excuser.—J’espèreuneseulechose.—Quoi?—QuemonpèreetJacetrouventceconnardetlefassentsouffrirautantque
tuassouffert.—Toutcequejeveux,c’estpouvoirtireruntraitdéfinitifsurmonpasséet
vivreenfinmavie.—Tul’aurastonhappyend.J’ensuiscertaine.Etpuisçaal’airderouler
avecJace?—Oui.Ilestmerveilleux.—C’estuntypehonnête.Tuasdelachanced’êtretombéesurlui.
—J’enprendsconscience.Maisj’aipeurpourluicesoir.—Net’enfaispas,ilnedoitpasenêtreàsapremièredescente.—Jemedoutebien.Maisj’aipeurqu’ilprennedesrisques.Imaginesiça
tournemaletquelesflicsdébarquentetl’enferment.—T’inquiètepaspoureux, jesuissûrequ’ilsontplusd’untourdans leur
sac.
La sonneriedemon téléphonenous fait sursauter toutes les deux, coupantainsinotremomentdeconfession.
Brandonm’aréponduetilmedemandedelerejoindreànotrecrique.J’eninformeBeverly.
—Ilfautquej’yaillepouravoiruneexplication.Maispourça,ilfautquejepartediscrètement.SiDannyboyapprendpourquoijevaisrejoindreBrandon,ilvadevoirledireàtonpère,etlà…
Jelaissemaphraseinachevée,Beverlycomprendparfaitementlasituationetlagrimaceaffichéesursonvisagemeprouvequemescraintessontparfaitementfondées.
—CommenttuvasfaireavecDannyboyenbas?—Jevaisessayerdefilerendouce.—Faisattentionànepastefaireprendre.S’ildécouvrequetut’eséclipsée,
j’enconnaisunquiva te fairepasserunsalequartd’heurequand ilapprendraquetuluiasdésobéi.
—Jesais.
51
Jace
Avant de tourner au coin de la rue, je regarde l’image demon ange unedernièrefoisdanslerétroviseur.Voirsafrêlesilhouettedanslanuit,seulesurletrottoir,meretourne.DepuisquePopsm’aenvoyécemessage, j’aicommeunmauvaispressentiment. Jen’arrivepas àmettre ledoigtdessus,mais ce tuyauqui nous tombe dessus comme de l’eau bénite, c’est trop facile. Dans notremonde,quandunesituationseclarifieaussirapidementetaussifacilement,c’estqu’ilyauntrucquicloche.Popsn’ariendit,maisjesaisqu’iln’estpasdupe,luiaussitrouveçalouche.
Nousavalonsleskilomètresquinousséparentdelaplanqueetmoncerveaunecessedecogitersansquejeparvienneàm’extirperledoutequis’estinsinuéenmoi.Popsnouslancelesignal,d’uncouptousmessenssemettentenalerte.
Habituellement,quandons’apprêteàfaireunedescente,jesensl’excitationmonterenmoi,l’adrénalinegrimpeenflèche,c’estcommesijemeprenaisunfix.Mais ce soir c’est tout le contrairequi seproduit,mes tripes se tordent etmonmalaiseaugmente.LePrés’ se range sur lebas-côtéetnousalignonsnosbécanes juste derrière lui. Spider le rejoint.Demon côté, je coupe lemoteur,posemabéquilleausoletétudielesenvironsavecattentionavantdedescendredemamotoetdelesrejoindre.
—Bien, les choses sérieuses vont commencer. Spider, tu vas repérer leslieuxettureviensnousdirecequet’asvu.
—Çamarche.AlorsqueSpiders’enfoncedanslebois,jemetourneversPopsetnepeux
m’empêcherdeluibalancercequej’aidansleventre.—Jelesenspas.Cettesituationestmerdique.Popslèvelevisageverslecielétoilépuisplantesonregarddanslemien.—Même si c’est un coup foireux, faut qu’on le tente.Onnedoit ignorer
aucunepiste.—Tusaiscequimefaitleplusflipper?—Quoi?—J’aipeurqu’onnousaitenvoyéssurcettepistepourfairediversion.—Explique-toi.—Mon instinctmeditqu’onnousaenvoyéssurunemauvaisepistepour
nousplanteruncouteaudansledos.PopsouvrelabouchepourmerépondrequandSpiderarrive:—Labaraquesemblecalme.Ilmarqueunepause et nous adresse un regard appuyé en insistant sur les
mots:—Tropcalme,sivousvoulezmonavis.—Merde,çaconfirmelessoupçonsdeJace.—Qu’est-cequ’onfait?Popsreportesonattentionsurlebois,commes’ilessayaitdevoirautravers,
puisilsetourneversnous.—T’asvuquoi,là-bas?—Rien.Pasdemecpoursurveiller,paslemoindremouvement.Ilyaune
fourgonnettegarée sur le côté.Unechambre est éclairée à l’étage ainsi que lesalon.Maisputain,pas lemoindremouvement !Soit les typesnousattendent,soitlamaisonestvide.Etfranchement,jen’aimepasçadutout.Sionyva,aumieuxc’estpourduvent,aupirec’estpoursejeterdanslagueuleduloupetsefairecanarderdetoutepart.
—Faitchier!
LatensionquiémanedePopsmecrispeencoreplus,lasituationestdeplusenplusmerdiquealorsquelesfestivitésn’ontpasencorecommencé.
—Prés’, ondevrait peut-être fairevenirplusdemonde,histoired’assurernosarrières.
Ilinspireunboncoupetfinitparlâcher:— Ouais, appelle les gars, il nous en faut au moins quatre de plus. Et
préviens les autres, je lance le confinement au club par précaution. Tous sansexception.Lesrégulières, lesgosses, lesbrebis, lesprospectsdoiventrejoindreleclubetyresterjusqu’ànouvelordre.
—Çamarche.
JeprendsmontéléphoneetenvoieunmessageàSandmanpourqu’illancel’état d’urgence. Il sait comment procéder. J’en envoie un autre à Dannyboypourqu’ilrécupèreHayleyetBeverlyetqu’illesemmèneillicoauchapitre.JerenvoieunautremessageàSandmanpourqu’ilfassevenirunautremotardenrenfortàDannyboy.Sidestypesluitombentdessus,ilnepourrapassedéfendreseuletprotégerlesfillesenmêmetemps.
Jen’attendspaslongtempssaréponse.Commeprévu,ilgère.—C’estbon,Pops,desgarsdecheznousnevontpastarderàsepointer.—Bien.—Onfaitquoi,pendantcetemps?—Onbougepasd’icietonattendlesrenforts.
52
Hayley
Après avoir reçu lemessage de Brandon, jem’imagine le pire. Ça ne luiressemblepasdefairefauxbondlorsqu’ildonnerendez-vousàquelqu’un.Jenecomprendspassonrevirementd’attitudeconcernantBeverly.Surtoutpasaprèslaconversationquenousavonseuetouslesdeuxlaveille.
J’envoierapidementunmessageàJunepourluidiredenousrejoindredanslachambre.Jedoispartirà larecherchedeBrandonpouréclaircir lasituation,maisjeneveuxpaslaisserBeverlyseulefaceàcettesituation.
J’attendssaréponse,quinetardepasàvenir.Rassuréedesavoirqu’ellearrive,jeneperdspasunesecondedeplus,enfile
monblouson,attrapemesclefsdevoitureetmonsac.
Avantdequitterlachambre,j’ajoute:— Il y a sûrement un malentendu, je le connais mieux que personne. Il
m’avaitpromisqu’ilneteferaitpasdemal.Quelquechoseadûluiarriverouildoitavoirunebonneraisonpouravoiragidelasorte.Junevaterejoindredanspeudetemps.
Ellehochefaiblementlatêteetm’adresseuntimidesourire.—Envoie-moiunmessagequandtuserasaveclui,çamerassurera.—Entendu.
Arrivéedanslehalldelarésidenceuniversitaire,jemefaufileàl’extérieurdubâtimentetm’assuredenepasêtrevueparDannyboy.Jerestedansl’ombreetlongelemurdelabâtissetoutenmedépêchantpourregagnermavoiture.Laculpabilitém’envahitàproposduprospectchargédemasécurité.Jesaisquejevais l’exposer à des représailles, et lorsque Jace apprendra que j’ai réussi àéchapper à sa surveillance, il risque de passer un mauvais quart d’heure. Jerepousse ce sentiment de culpabilité en me disant que la situation estsuffisammentdélicatecommeça.Jeneveuxpasmeretrouveravecunclubdemotards derrièremoi, prêt à en découdre avecmon ami, parce qu’il aura faitsouffrirlafilleduPrésident.Pourlemoment,Brandonestplusimportant,jefaispasser notre amitié en priorité. Je sais qu’il a besoin de moi, tant pis pourDannyboy,jegéreraisasituationplustardauprèsdePopsetdeJace.
Jemontedansmavoitureetquitteleparkingtousfeuxéteintspournepassignaler mon départ. Cette situationme donne le sentiment de vivre la scèned’unfilmd’espionnage.Jenereprendsmarespirationqu’unefoislebâtimentdelarésidencehorsdemavue.
Au bout d’un temps qui me paraît interminable, je finis par atteindre lacrique.Àchaquekilomètreavalé,unesourdeangoisseestmontéeenmoisansquejeparvienneàendéfinirlacause.
Àpeinearrivée,jemerendscomptequequelquechosecloche.Jen’aperçoisla voiture de Brandon nulle part. Pourtant, il m’avait donné rendez-vous icimême.Seuleunefourgonnettedecouleursombresetrouvesurleparking.
J’attrapemon téléphone dansmon sac pour lui envoyer unmessage et luidemanderoù il se trouve.Mon impatienceest à soncomble lorsqu’auboutdeplusieurs minutes je n’ai aucune réponse de sa part. Mais qu’est-ce qui sepasse?Quefait-il,bonsang?
Mon agacement laisse place à un mauvais pressentiment qui s’amplifielorsquejeprendssoudainconsciencedelasituationdanslaquellejemetrouve.Jesuisseuleàdeskilomètresàlarondedetoutecivilisationetpersonnenesaitoù je me trouve. Avec pour seul éclairage les étoiles et la lune. J’analyserapidementlasituation.Jesuisencercléeparlaparoirocheusedelafalaised’un
côtéetparl’océandel’autre.Cetocéansimajestueuxlejourquiestdevenuunemasse sombre, effrayante et fascinante à la fois. Les vagues s’écrasentpuissammentcontre les rochers.J’entends leurgrondementmonter lorsqu’ellesenflent,secreusentpuisviennentsefracassercontrelesparois.
Surlecoup,jeregrettemonaccèsderébelliondetoutàl’heureetdenepasavoirindiquéàDannyboyoùjepartais.
J’observe lesalentours, agrippant inconsciemmentmonvolant, commes’ilpouvaitmeprotégerdequoiquecesoit.Maisiln’yapasâmequivive.
Unmouvementprèsde lacamionnetteattiremonattention.Et sansque jeparvienneàendéterminerlaraison,unesueurfroidecoulelelongdemondosettoutmon corps se tétanise.Une silhouette se détache du véhicule et se dirigedroitsurmoi,d’unpaslent,maisassuré.
Les mains toujours crispées sur le volant, je plisse les yeux pour mieuxidentifierl’inconnu.Lapeurmegagne.Moncerveaumecriedefuirmaismoncorpsestincapabledeluirépondre.Jereconnaiscettesilhouette,cettedémarche.C’estlui.
Avantquej’aieletempsd’effectuerlemoindremouvement,iladéjàatteintlaportièredemavoiture.Sonvisageéclairépar laclartéde la luneest tournéverslemien.Sesyeuxmefixent.Ilssontplusdursquedansmonsouvenir.Maisson sourire sadiqueest resté lemême.Samain sedirigevers lapoignéede laportière de la voiture et je ne réagis pas. Mes yeux sont rivés aux siens,hypnotisésparlalueurdangereusequis’yreflète.
La porte s’ouvre brusquement et l’air frais du soir s’engouffre dansl’habitacle.Moncorpssemetàfrissonner,etjesaisquecen’estpasàcausedufroid.
—Chaton,ravideterevoir.Le son de sa voix me fait l’effet d’une gifle. Je me ressaisis et d’un
mouvement vif,mais vain, je tente d’attrapermon téléphone. Ce qu’ilme ditalorsfigemesmouvementsetmeglacelesang.
—Tss,tss,tss…Jeneferaispasçasij’étaistoi.
Tous mes sens sont en alerte. Muette, je me tourne vers ce monstre.J’observesesmouvementscommeauralenti.
D’ungesteassuré,ilsortsonportabledesapoche,appuiesurunetoucheetl’écran s’illumine. Il le tourne vers moi pour que je puisse regarder ce qu’ilsouhaitememontrer.
Uncrideterreursortdemabouchelorsquejeposemonregardsurlaphotoquis’estaffichéeetquejereconnaislapersonnequis’ytrouve.Brandon.
Ilestàpeinereconnaissable.Ilestligotésurunechaise,levisagetuméfié.—Situveuxsauvertonami,jeteconseilledem’obéiretdemesuivrebien
sagement.
53
Garrett
Lalueureffrayéedesonregardemplitdesatisfactionmesinstinctsmalsains.Incapabledemeretenirpluslongtemps,jeprendslaparolelepremier:
—Chaton,ravideterevoir.Ma voix claque d’un coup sec.Mon sadisme grimpe en flèche quand elle
sursaute.Laterreurpeintesursonvisagemontrequ’elleprendconsciencedelasituationdanslaquelleelles’estmisetouteseule.
Dansunsursautderébellion,elleseprécipitesursontéléphone.L’idiote!Siellecroitqu’ellevas’ensortircommeça…
—Tss,tss,tss…Jeneferaispasçasij’étaistoi.Avecunelenteurdélibérée,jeglisselamaindanslapochedemonblouson
et sorsmon téléphone.Tranquillement, je pianote dessus, tout en lui jetant uncoup d’œil de temps en temps.Quand je trouve enfin ce que je cherche,meslèvresesquissentunsourireenm’imaginantsaréaction.
Je le lui tends, pour qu’elle voie la photo. Son visage est éclairé par lalumière verte de l’écran. La douceur de ses traits se transforme en horreurlorsqu’elle reconnaît son copain.Enfin, ce qu’il en reste de reconnaissable. Jel’aipasloupé,cepetitcon,etjemesuisbienamuséavecluipendantquelquesheures.
Satisfaitdemoneffet,j’ajouted’unevoixglaciale:—Situveuxsauvertonami,jeteconseilledem’obéiretdemesuivrebien
sagement.Commeprévu,ellen’hésitepasunesecondeets’exécute.L’espacedequelques secondes, j’ai l’impressiond’avoir ànouveau face à
moilapetitefillequej’aifaçonnée.Maiscettepetitegourderelèvelementonensignededéfietçamemetdansuneragefroideimmédiate.J’ouvreviolemmentlaportièredelavoiture,l’attrapeparlebrasetlasorssansménagement.
Elle croit savoir à qui elle a affaire, mais ce qu’elle ignore, c’est que laprisonm’achangé.Quiconqueyfaitunséjour,mêmedecourtedurée,neserapluslemêmeensortant.Çavousendurcit.Mesvicessesontdécuplés,etça,ellevaledécouvriràsesdépens.J’aivéculespireshorreursentauleàcaused’elle.J’ai appris àmondétriment qu’il y a une sorte de code entre les détenus.Lespédophilessontpassésàtabacetsubissentlespiressévices:ceuxqu’ilsontfaitendureràleursvictimes.Maisunjour,Jefferson,moncompagnondecellule,etd’autrestypessontvenusmetrouver.Jepensaisqu’ilsvenaientjoueravecmoiàleurtour.Contrairementàcequejecroyais,ilsm’ontmontréunephotod’elle.J’aiétésurprisdevoirqu’elleétaitencompagnied’ungarsquiavait lamêmeallure que ceux qui me faisaient face. Ils m’ont proposé un deal : ils meprotégeraientetm’offriraientmavengeancesurunplateausijem’alliaisàeuxpouratteindre lemecavecquielle fricotaitainsique toutesabande.Quandjeleur ai demandé pourquoi ils m’aideraient, ils m’ont expliqué que c’était unehistoire de club et de territoire. C’est à cause du mec de la photo et de sescopains qu’ils se sont retrouvés en taule. Eux aussi veulent leur vengeance.Quand Jefferson a vu Hayley sur la photo, il a immédiatement fait lerapprochementaveccellequej’avaisd’elledanslacellulequenouspartageons.EnutilisantHayley, ilsontvu lemoyend’atteindre leurs ennemis. Jen’aipasréfléchiunesecondeetj’aiaccepté.
C’estainsique,dèsmasortie,d’autresmembresdeleurclubm’ontaccueilli,cachéetm’ontfaitrejoindrelaCalifornie.Etfranchement,maintenantquejemeretrouveenfinfaceàelle,jeneregrettepasl’accordpasséaveceux,mêmesicesmecssontencoreplustarésquemoi.
Jel’entraînesansménagementendirectiondelafourgonnetteetlaretourne
dos à moi. Son parfumme parvient aux narines, qui frémissent de plaisir enreconnaissantsesnotes florales. Jenepeuxm’empêcherdemepenchercontreson cou et de la respirer. Sentir la chaleur de son corps aussi proche dumienréveilleinstantanémentmaqueue.
Putain,j’aienviedelabaisericimêmesurceparking.Maislesgarsm’ontprévenu que son portable était certainement équipé d’un traceur. Je n’ai pasbeaucoupdetempspourdégagerd’iciavantl’arrivéedesescopains.
Jeprends surmoi etbloque sonpoignetderrière sondospour l’emmener.J’en profite au passage pour caresser l’intérieur de son poignet. Sa peau esttoujoursaussidouce,commedansmessouvenirs.Jereproduislemêmeschémaqu’avecl’autreetjelaligote.Ensuite,jeprendsunfoularddansmapocheetluibandelesyeux.
Bon sang ! Ma queue devient dure comme du granit. Sa respirations’accélère sous l’effet de la peur et sa poitrine se soulève rapidement.Lavoirainsi,lesmainsattachéesdansledos,lesyeuxbandés,mefaitimaginertoutuntasdescénarios.
D’unevoixmielleuseetemplied’aviditémalsaine,jeluisusurreàl’oreille:—Si tusavaiscomme j’aimerais tebaiserainsi, lesmainsattachéeset les
yeuxbandés…J’inspireungrandcouppour reprendre lecontrôledemoi-même,avantde
poursuivre:—Mais rassure-toi, ce n’est pas pour tout de suite. Jeme sens d’humeur
joueuse,cesoir.
Sansplusattendre, je l’expédieà l’intérieurduvéhiculeetfaiscoulisser laporte.Jecontournelevéhiculepourrejoindremaplacederrièrelevolant,toutenenvoyant unmessage àmes complices pour leur dire que tout est bon et quej’arrivecommeprévu.
54
Hayley
Tout mon corps se tétanise lorsqu’il se place derrière moi. Je le devineprocheà son soufflequi se répercute contremanuqueetprovoqueenmoiunsentimentdenausée.
D’uneprise ferme, ilm’enserre lepoignet etme le ramènedans ledos, ilattrapel’autreetreproduitlemêmeschéma.Lecontactdesamainmoitesurmapeau nue me fait frissonner de dégoût. Quand, du gras de son pouce, il mecaresse l’intérieurdupoignet, jedois luttercontre la ragesourdequimonteenmoi et mon envie deme débattre.Mais l’image de Brandon ligoté, le visagetuméfiéetrecouvertdesang,m’empêchedemerebeller.
Jemelaissefaire,devinantcequim’attend.
Un grondement de plaisir remonte le long de sa poitrine et me glace del’intérieur. Je ferme les yeux et me concentre sur l’image de Jace, espérantfortementqueluietleclubserontcapablesdenousretrouveravantqu’ilnesoittroptard.
J’ai lu dans certains livres que lorsque la connexion entre deux êtres estsuffisamment forte, ils peuvent ressentir la détresse de l’autre. Tout ce quej’espère, c’est que celle que j’ai avec Bakers le soit suffisamment pour qu’ilpuissedétecterlamienneetainsivenirànotresecours.
Garrettsedéplacederrièremoi,prendquelquechosedanssamain,sansquejeparvienneàsavoircequec’est.
Avantquejeréalisecequ’ilm’arrive,ilplaceunmorceaudetissusurmesyeux.Privéedelavue,jemeretrouveplongéedanslenoiretdésorientée.Maislesparolesqu’ilmesusurreàl’oreillem’emplissentdeterreur.
—Si tusavaiscomme j’aimerais tebaiserainsi, lesmainsattachéeset lesyeux bandés… Mais rassure-toi, ce n’est pas pour tout de suite, je me sensd’humeurjoueuse,cesoir.
D’unmouvement brusque, ilme pousse vers l’avant etme fait basculer àl’intérieur de la fourgonnette.Désorientée, je ne perçois que le bruit sec de laporte que l’on referme derrière moi. Pendant un court instant, le silences’installe.J’enprofitepourtenterdecalmermarespirationetlesbattementsdemon cœur. Je me concentre sur ce qui m’environne pour déceler le moindreindicequimepermettraitdedevineroùnousallons.
Une porte du véhicule s’ouvre à nouveau, laissant pénétrer les bruitsextérieurs.Leressacdesvaguesassourditun instant laquiétudede l’habitacle,l’odeur des embruns me parvient aux narines. J’entends Garrett s’installer auvolant,puislaporteclaqueànouveau.Etletumultedesvagueslaisseplaceausilence.
Mon ex-beau-père ne tarde pas à faire démarrer le moteur, qui se met àronronner juste avant que la musique du poste radio ne s’élève. Je reconnaisimmédiatement les premières notes de la chanson Flower Duet, extraite deLakmé.Moncœurestauborddes lèvreset tousmessouvenirs remontentà lasurface.Jehaiscettemélodie,ellemeglacelesang.
Jesuisenveloppéeparlanoirceurdecessouvenirsquim’entraînentaufonddu gouffre. J’ai l’impression d’être au milieu d’un tourbillon, entourée duquatuoràcordesquim’encercleetresserresonempriseautourdemoi.J’aienviede me débattre et de plaquer mes mains sur mes oreilles pour empêcher lessouvenirsd’affluerjusqu’àmoncerveau.Quandlesvoixdesopranos’élèventàleur tour, mon horreur est à son apogée. Et je subis cette torture sans rienpouvoirfairecarmesmainssontentravéesderrièremondos.
L’alliancedesvoixaériennesdeceduoetdema situationactuelle accroîtmon sentiment d’horreur. Je perds le sens de la réalité et mes souvenirsjaillissent.Deslarmessilencieusescoulentsurmesjouessansquejepuisselesretenir.
Les scènes défilent et s’entrechoquent dans mon esprit devenu fou, ellessemblent accomplir une danse macabre et incohérente sous mes yeux. Unepellicule glacée recouvremon corps quand le chœur de l’orchestre s’amplifie.L’angoissem’étreintdeplusenplusetjeprendsconsciencedel’ampleurdemeserreurs.Jesaiscequim’attend.Etjesaisquejen’enressortiraipasvivante.
Pourquoin’ai-jepasavertiDannyboyouJace?Commeune idiote, jemesuislittéralementjetéedanslagueuleduloup.Qu’est-cequejecroyais?Quemelivrerainsiallaitnoussauver?
55
Jace
Alorsquenousattendonsl’arrivéedemesfrères,nousélaboronsunnouveauplan.LasonnerieduportabledePopsnousinterrompt.Ilfroncedessourcilsendécouvrantl’identitédesoncorrespondant.Ilglisseunregardàmonattentionetsemetàl’écart.
—Ouais?Intrigué par son comportement, je l’observe pour deviner qui est son
interlocuteur et ce qu’ils se disent. Pendant plusieurs secondes, il reste muet,mais tout son corps s’est tendu comme un arc. Machinalement, il serre etdesserresonpoinglelongdesoncorps.Uneragefroidesemblevibrersoussapeau.Cequimemetimmédiatementenétatd’alerte. Ilyauntrucquicloche.Les cheveux se dressent dans ma nuque, signe d’un mauvais présage. LesparolesduPrés’confirmentmesdoutes:
—T’asmerdé, petit. J’espère pour toi que toute cette histoire va bien seterminer.
Il raccroche, range son portable dans la poche intérieure de son gilet etsemble puiser dans ses forces pour contrôler sa rage. Il ne prononce toujoursaucunmotetsouffleparlenezcommeunbuffle.Ilbaisselatêteetplantesonregard dans le sol, puis d’un coup, son pied frappe un caillou et l’expédie àplusieursmètresde lui.Savoixestglacialeetonperçoit lacolère froidequ’ilessaiedecontenir.
—Changementdeprogramme,lesgars.Spider s’approche de lui. De mon côté, je me redresse contre l’arbre sur
lequelj’étaisappuyé,àl’affûtdesesparoles.—Qu’est-cequ’ilya?C’étaitqui?—Dannyboy.C’est àmon tourdeme raidir et de sentir unecolère froidemêlée àde la
peurs’emparerdemoncorps.—Qu’est-cequ’ilvoulait?jeluidemande,impatient.Unelueurdedétressefurtivebrilledanssonregard,maisilseressaisitvite.
Sijen’avaispasétésifinobservateur,jenel’auraispasremarquée.Jeretrouveenfacedemoileprésidentduclub,l’hommeimpitoyable.
—Ilestmontévoirlesfillespourlesavertirduconfinement.Beverlyétaitseuledanslachambreaveclapetitebrunette.
—Hayley?—Volatilisée.ApparemmentBrandonaposéunlapinàmagosse.Putain!
Jenesavaismêmepasqu’ilsavaientrencardtouslesdeux!—Abrège,Pops!Ons’enfout,pourlemoment.ElleestoùHayley?—Elleareçuunmessagedecepetitmerdeuxetestpartielerejoindre.—Où?j’insiste,lecorpsvibrantdecolère.—ToutcequeBeverlyadit c’estqu’il lui adonné rendez-vousdansune
crique.Bonsang,ellenesaitmêmepasoùsetrouveceputaind’endroit!— Je sais de quelle crique elle parle. Mais pourquoi est-elle partie le
rejoindresansprévenirDannyboy?—Elleavaitlatrouillequ’onfasselapeauàsoncopainetjepeuxt’assurer
qu’elleavaitraison.Quandcepetitconseraentremesmains,onauraunegrandeconversation,luietmoi.Lepetitfumieraposéunlapinàmafille!
—C’estlouche,cettehistoire,intervientSpiderd’untoncalme.—Ouais,j’aimepasça.Cegaminquidisparaîtdanslanature,Hayleyquile
rejoint,cetuyauqu’onnousfileetqu’onsentbancal…Toutçac’estmerdique.—Etletraceur?jedemande.—Dannyboyl’aimmédiatementlancé.Ilsuitlesignal.—Lesignalbougeoupas?
—Ilestimmobile.—Merde.Jeme retourne contre l’arbre sur lequel j’étais adossé et donne un violent
coup de poing pour évacuer la tension.Mes phalanges craquent sous le choc,maisjem’enfous.Toutcequimepréoccupe,c’estqu’Hayleyestendanger.
—Ilserasurplacedanscombiendetemps?—J’ensaisrien,ilnousprévientdèsqu’ilarrive.— On fait quoi ? J’en ai marre d’attendre. Putain, Pops, Hayley est en
danger!Onesttombésdansunesaloperiedepiège!—Calme-toi,petit,onn’ensaitrienencore.—Nememenspas,Prés’.Tonflairestaussidéveloppéque lemienet tu
saisparfaitementcequ’ilenest.Ill’aretrouvéeetelleestentresesmainsousurlepointd’yêtre.
Despharesviennentnouséblouiraumêmeinstant.Nousnoustournonstousdansleurdirection.Aubruitdesmoteurs,nousreconnaissonsnosfrères.Ilétaittemps.
Au fur et àmesurequ’ils approchent, je les reconnais tous :Splinter,Sig,SandmanetLucky.Lorsqu’ils arrivent ànotrehauteur et coupent leurbécane,Popslesbrieferapidement.
Sansattendreunesecondedeplus,nousnousdirigeonsverslamaison.Deuxpardeux,nousabordonsunangledifférentdelabaraque.AccompagnéduPrés’,je me dirige directement vers l’arrière du bâtiment. Nous veillons à ne faireaucun bruit pour ne pas indiquer notre présence.Quand nous atteignons notreobjectif,nousremarquonsqu’ilyaunesortedevérandaquicourttoutlelongdelabâtisse.
Avantdegravirlesquelquesmarches,nousnousarrêtonspuisobservonslesalentoursetguettonslemoindrebruitsuspect.Commetoutestsilencieux,nousgrimponslesmarchesetnousmettonsenposition:chacundepartetd’autredelaporte de service.Popsprend son téléphone et envoie lemessage convenu à
mesfrèrespourleurdirequenoussommesenplace.Dèsquecesderniersnousindiquentqu’euxaussisontprêts,illancel’assaut.
D’unmouvementde tête, ilme fait signeque c’est àmoide jouer. Jemeplacefaceàlaporteetd’uncoupdebotte,jeladéfonce.Nousnousengouffronsdanscequisembleêtreunecuisine.Seule la lumièredel’autrepièce l’éclaire.Nousentendonsdesbruitsdeluttedel’autrecôtéetnousnousprécipitonspourvenirenrenfortauxautres.Jebalaierapidementlesalonduregardpourévaluerlasituation.Quandmesyeuxseposentsurlatéléalluméeetlaconsoledejeuxvidéo, je ne peuxm’empêcher d’afficher unemoue de dégoût. Putain, on esttombéssurdesamateurs.
JereportemonattentionsurSpiderquiestauxmainsavecundestypes.Ilsembleavoirledessus,doncjenem’inquiètepasetlelaissesedémerder.QuantàSandman,ilestentraind’envoyerunautregarsautapis.Lasituationsembleêtre sous contrôle au rez-de-chaussée. Pops se dirige vers les autres pièces,accompagnédeSig.Splintermesiffleetmemontrel’étaged’oùproviennentdesbruitsdecavalcade.Jelerejoinsetnousfilonsdanslesescaliers.Lorsquenousatteignonsleseuil,untypeseruedanslecouloiretpointesonflinguedroitsurnous.Avantqu’iln’aitletempsdetirer,Splinterlemetenjoueetlerefroidit.Lecorpstombedansunbruitsourd.Sanssepréoccuperdelui,nousl’enjambonsetfouillonschacunedespiècesàlarecherched’Hayley.Maisaucunetraced’elle.Bordel!
Après avoir vérifié la dernière chambre, nous redescendons, bredouilles.Quand nous retrouvons mes frères au rez-de-chaussée, je constate qu’un desdeuxtypesbouffedéjàlespissenlitsparlaracine.Iln’enrestequ’unseulenvie,quipleurecommeunegonzesse.Ilestagenouillé,lesmainsligotéesderrièreledos,etPopslesurplombe,levisagefroid.
C’estungamin, ilporteungiletdeprospect.Surlecoup, jen’aipasprêtéattention à leurs vestes, mais je regarde le type allongé au sol et lis lesinscriptions sur son dos : Hell’s Eagles. Bon sang ! C’est officiel, on vientd’entrerenguerre.
Le Prés’ remarquema présence et d’unmouvement de têteme fait signed’approcher.Dèsquej’arriveàcôtédelui,ilmelance:
—Ilestpourtoi,fils.Legamintournesonvisageversmoi,mesuppliantduregarddenepaslui
faire demal. Pas de chance pour toi, petitemerde, t’as frappé à lamauvaiseporte.
Jemepencheverslui,etd’unevoixemplied’unerageàpeinecontrôlée,jelemenace:
—C’esttapremièreetdernièrechancedenousdéballertoutcequetusaisavantdesouffrir.
Cetteloquesanglotecommeunnouveau-né.—Pitié,nemefaitespasdemal!—Mauvaiseréponse,jerétorquelesdentsserrées.Mon poing vient s’abattre violemment contre sa figure. Je grimace de
douleur,merappelantsoudainquecepoingafaitconnaissanceavecuntroncunpeuplustôt.Maisjem’enfousetluiredonneencoreuncoup.Lesanggicledesonnez.
D’unevoixmordante,jelemenaceànouveau:—Parle.Ilsecouelatêtedanstouslessenscommeunforcené.—Jevousenprie,ilsvontmetuersijeparle.Jel’agrippeàsongiletetcollemonfrontcontrelesien.—Petitcon,t’aspasencorecompris?Quoiquetufasses,quoiquetudises,
t’esdéjàunhommemort.Àtoidechoisirdequellemanièretuveuxcrever:ensouffrantpendantdesheuresoud’unemortrapideetsansdouleurd’unesimpleballedanstatête.
Je le relâchebrusquement.Cetabrutiperd l’équilibreet s’affaleà terre. Jeluilanceuncoupdepieddanslescôtesetluicrache:
—Espècedepetitemerde.Ilcommenceàs’agiterdanstouslessensettentedeselibérerdesesliens.
Dès l’instant où il essaie de se relever, Sandman, qui est derrière lui, abat sa
grandepaluchesursonépaulepourlemaintenirenplaceetleremettreàgenouxdevantmoi.
Quand il se rendcompteque legossesepissedessus, il afficheunemoueécœurée.
—Putain, jedétestequandilsfontça.C’estdégueulasse…Aucuneclasse,cesabrutis.
Mes frères qui sont restés légèrement en retrait pour observer la scène semarrent.
—Jace,fautpasseràlavitessesupérieure.
LavoixdePopsme ramènedans la réalité. Je dégainemonarmecoincéedansmonfuteetretirelecrandesûreté.J’appuielecanonfroidcontresonfront.
—C’estmarégulièrequetonclubaenlevée.Etonnetouchepasàcequinousappartient,encoremoinsàcequim’appartient.Maintenant,tuvascracherlemorceau.Elle estoù,Hayley?Qui ladétient et combien sont-ils ? J’aipastout mon temps, chaque seconde qui passe sans que j’aie de réponse est unesecondedeplusoùtuvassouffrir.
Jemarque une pause pour reprendremon souffle, puis d’une voix encoreplusglaciale,j’assènelecoupfatal:
—Etcrois-moi,lesprojetsquidéfilentdansmatêtepourtoinevontpasteplaire.
J’armemonflingue,lepetitclicfaitsursauterletype.—Àtoidevoir,maintenant.Implacable, je rivemon regard au sien.Sous le coupde la peur, ses yeux
roulentdanstouslessens,maisfinalement,ilabdique.—D’accord,d’accord,jevaistoutvousdire!
Etildébitetouteslesinfosquejesouhaiteentendre:lelieu,quilaretient,
combien ils sont, pourquoi ilsont fait ça. Il nous apprendmêmeque sonclubdétenaitBrandon,pourlafairevenird’elle-mêmedanscepiège.
Quandilafinide toutdéballer, jecontinueà lefixerd’unairméchant,ensilence.Putain,cefumiermériteraitvraimentquejeprennemontempspourle
faire souffrir. Il vient de m’avouer qu’ils avaient tous l’intention de se faireHayley,avantdelesrefroidir,Brandonetelle.
— Vas-y, fils, on a déjà assez perdu de temps comme ça. Il faut allerrécupérertarégulière.
Popsme sortdema transe, je fixeunedernière fois legamineffrayé. Il acomprisquesadernièreheurevenaitdesonner.Maisjen’enairienàfoutre,iln’aquecequ’ilmérite.Jepresseunpeupluslecanondemonflinguecontresonfrontetavantd’appuyersurlagâchette,jeluidis:
—T’aspaschoisilebonclub,mongars.Puis,sansunétatd’âme,jetire.Lebruitducoupdefeuclaquedanslapièce.
Jene sursautemêmepas.Pour lapremière foisdemavie, jeviensde tuerunhomme et je n’ai aucun remords. Je ne peux pas en avoir quand je saisqu’Hayleyest entre lesmainsdeces salaudsetque jem’imaginecequ’ils luifontsubir.
Je fixe le corps inanimé qui gît maintenant à mes pieds sans qu’aucuneémotionnemetraverse.Uneflaquedesangs’étendsoussatêteàmoitiééclatée.Je suis hypnotisé par cette auréole rouge. La main de Pops se pose sur monépaule.
—Fallaitlefaire,fils.—Jesais,etjeneregretterien.PopsdonnesesinstructionspendantqueSandmanmetendunchiffon.—Essuie-toi,passûrqueçaplaiseàtarégulièredetevoiraveclesangde
cettemerdesurlesmains.Jeprendslechiffonetmedébarrassedetoutetracedesang,puisjequittela
maisonpendantquemesfrèresyfoutentlefeupournelaisseraucunetracedenotrepassage.
Derrièremoi,PopsinterpelleSpider.—Veilleàcequ’ilneresteaucunepreuveetrejoins-nous.
Lamaisonestdéjàenvahiepar les flammes lorsquenousnousprécipitons
tousversnosbécanes.Nousdémarronsetnousnousmettonsenposition,comme
le veulent nos codes, et nous filons en direction de la planque où Hayley etBrandonsontmaintenuscaptifs.
Personneneditmot,maisnouspensons tous à lamêmechose : «Pourvuquenousn’arrivionspastroptard».
56
Hayley
Je roule sur moi-même en m’agrippant la tête. Ce simple mouvementprovoqueunedouleurinsupportable.Pourquoiai-jel’impressionqu’unorchestresymphoniques’endonneàcœurjoiedansmoncrâne?
Pendant quelques secondes, je suis perdue. Puis tout me revient enmémoire : le message de Brandon, le rendez-vous à la crique, Garrett, monenlèvement. Un type m’a assommée alors que je devenais complètementhystériqueàlavuedeBrandon,ligoté,recroquevillésurlui-même,levisageensangetlarespirationsifflante.
Jenesaispasoùjemetrouve,lapiècedanslaquellejesuisestplongéedanslenoir.J’ignoresijesuisrestéeconscientecinqminutes,uneheureouplus.
Je tapote autour de moi dans l’obscurité et constate que je suis sur unmatelasposéàmêmelesol.Iln’yapasdedrapetletissurêchemerâpelajoue.Uneodeurdemoisissureetdepoussièremeparvientetmedonnedeshaut-le-cœur.Jebougeenveillantàfairelemoinsdebruitpossiblepournepasinformermesravisseursdemonréveil.Jetentedemeleveretbalancemesjambessurlecôtépourm’extirperdumatelas.Chacundemesmouvementsaggravemonmaldetête,maisjenem’enpréoccupepas.
À tâtons, je parcours la pièce.Aubout de quelques pas,mespieds butentcontrequelque chosedemouet jem’affale lamentablement surmonobstacle.
Uneplaintebriselesilencedelapièceetjeréalisequejesuisàmoitiéallongéesuruncorpsàpeinetiède.Jedevineimmédiatementàquiappartientcecorps.
—Brandon?Mavoixn’estqu’uncroassementquandlesmotssortentdemabouche.Seul
ungémissementrépondàmaquestion.Jenesaispassic’estpourlerassureroupourmerassurermoi-même,maisjeluidisd’unevoixtremblotante:
—Jesuislà,net’inquiètepas,onvas’ensortir.Jaceetlesautresvontvenirnoussauver.
Je n’ai aucune certitude qu’ils nous retrouvent à temps, mais je veux ycroire.J’aibesoind’ycroire.
Jeluicaressedélicatementlevisage,j’aipeurdeluifairemal.Jecontinueàluimurmurerdesparolesréconfortantes.
—Jesuislà,jeteprometsqu’onvas’ensortir.Jepalpesoncorpsetmerendscomptequesesmainssonttoujoursentravées.
D’ungestenerveux,j’essaiedelelibérerdesesliens.Ilssontserréssifortquej’aipeurquesacirculationsanguinenesoitbloquée.Toutenmedébattantaveclacorde,jecontinueàprononcerdesparolespourlerassurer,commeunesortedelitanie.
Soudain, la porte de la chambre s’ouvre, la lumière inonde la pièce etm’obligeà clignerplusd’une fois lesyeuxpourm’accoutumer. Jeme figeenreconnaissantlapersonnequientredanslachambre,unsourirevicieuxdessinésurleslèvres.
—Chaton,tumedéçois.Tucroisréellementpouvoirsauvertoncopain?Souslamenace,moncorpsseraidit.Jemesuisjurédeneplusjamaisêtresa
victime.Toutelapeurmequitteetestaussitôtremplacéeparl’adrénaline.—Neletouchepas,espècedesalaud!Ilricane.—Commec’estmignon,chaton.Tut’inquiètespourcettepetitemerdealors
quetuferaismieuxdet’inquiéterpourtoi!—Nem’appellepluscommeça!Ilhausseunsourcilnarquoistoutencontinuantàs’approcherdemoi.
—Quoi?Chaton,çaneteplaîtpas?Je me redresse d’un bond, le corps tendu, prête à l’affronter. Loin de
l’effrayer,monattitudel’amuse,cequirenforcemarage.C’estalorsqu’uneautresilhouetteseprofilederrièreluietl’interpelle:— Garrett, si tu veux jouer avec elle, c’est le moment. Les autres gars
attendentleurtouraussi.Monvisagesevidedesonsangquandjecomprendscequ’ilsous-entend.Le
garsattrapesonpaquetdecigarettesdansunedesespochesets’enallumeunetranquillement.Iladosseunedesesépaulescontrelechambranledelaporteetnousobserve,toutenexhalantlafumée.
Garrett s’approche demoi d’une démarche lentemais assurée. Avant quej’aieletempsdecomprendrecequim’arrive,ilagrippemonbrasetmeplaquecontresoncorps.Sonodeurmefrappeviolemment.C’estunmélanged’alcool,detranspirationetdetabacfroid.J’aienviedevomir.
Sansménagement,ilmejettecontrelematelas.Réalisantcequ’ils’apprêteàfaire,jetentedemerelevercommejepeux.Lebruitd’unearmequel’onchargemefaitreleverlatêteversletypequinousobserve.Illapointedirectementsurmonami.
—Situbougesuncheveudeplus,jebutetonpetitcopain.Sesmotsontpoureffetimmédiatdemestoppernet.Jeregardeavechorreur
monex-beau-pèrequidéfaitsaceintureetdéboutonnesonpantalon,sonsouriremalsaintoujoursplaquésurlevisage.
—C’estbien,bonnepetite.Jefermelesyeuxpournepasfairefaceàlavisiond’horreurqu’ilm’offre.
Puisjemerappellelescoursd’auto-défensequeBrandonm’aobligéeàprendre.Toutes les techniques me reviennent en mémoire et défilent sous mes yeuxcommesij’étaisàl’entraînement.
Dèslepremiercours,onnousenseignequecestechniquesnenousserventque pour gagner du temps et essayer de nous enfuir. Notre harceleur seratoujoursplusfortquenous,onnedoitpaschercheràlecombattre,maischercherplutôtunmoyendes’échapper.Alors,àcetinstantprécis,jepriefortementpour
engagnersuffisammentenattendant l’arrivéedeJace.Enfin,siJacearriveunjour.
Maisquellequesoitl’issuedecettehistoire,jenemelaisseraipasfairesansmebattre.
Jerouvrelesyeux,habitéed’unfeunouveau,etj’attendscesaloparddepiedferme.Etc’estainsiquejedécided’adopterunenouvellestratégie.Toujoursenvuedeprotégermonami,etpourgagnerquelquessecondesdeplus.Lanausées’emparedemoisachantcequejesuissurlepointdedireetdefaire.J’imprimel’imagedeBrandondansmonespritpourmedonnerducourage.Jelefaispourlesauver,commeilm’asauvéeplusieursannéesauparavant.
Jeglisseunregarddanssadirection.Àcetinstant,àdemiconscient,ilouvresespaupières.Jenesaispascommentilledevine,maisilarticulepéniblement:
—Nefaispasça…Pourmoi.Sauve-toisi…Ilneterminepassaphrase,Garrettseretourneversluietluidonneuncoup
depieddanslatête.Brandongémitetsoncorpsestprisdeconvulsions.Ilsemetà tousser, crachant du sang. Il ouvre les paupières, son regard accrocheimmédiatement lemienetm’appelleà l’aide.Sarespirationdevientdeplusenplus sifflante, comme un asthmatique en pleine crise. Il ouvre la bouche engrand, tentant de faire entrer un maximum d’air dans ses poumons. Sa veinetentativelefaittousserdeplusbelleetils’étouffeaveclescaillotsdesangquis’échappentlelongdesajoue.Incapablederespirer,ilsemetàpaniquer.Toutson corps est saisi de tremblements, ses yeux roulent dans tous les sens. Sonvisage devient de plus en plus livide et ses lèvres bleuissent à vue d’œil. Soncorps convulsedeplusbelle.La chambre est empliede seshalètements.Puis,lentement, lesbruits s’estompent enmême tempsque laviequitte le corpsdemonami.Savoix,quin’étaitplusquegémissement,s’éteint,sesyeuxsevoilentetdeviennentvitreuxpuisdoucementseferment.Sarespirationralentit,jusqu’àcequejenepuissepluspercevoiraucunmouvementdesapoitrine.
—Non!
J’oublie la présence des deux hommes et me précipite vers mon ami. Jetombeàgenouxàcôtédelui,deslarmesmebrouillentlavueetcoulentlelongdemonvisage.Quelques-unesatterrissent surceluideBrandonet semêlentàsonsang.
Délicatement, je prends sa tête entre mes mains et me penche vers lui,essayantdedétectersarespiration.Rien.
Messanglotsredoublent,jerefusedecroirequ’ilsoitmort.—Jet’ensupplie,Brandon,nem’abandonnepas.S’ilteplaît,resteenvie.
Je tepromets,onvas’ensortir.Jevais toutfairepourqu’ons’ensorte.S’il teplaît,Brandon.
Jemepenche encore plus près de lui dans l’espoir de détecter lemoindrefilet d’air.Mais toujours rien. Je pleure contre le corps inerte demon ami. Jepleuretouslesmomentsquej’aipassésaveclui.Tousdéfilentdansmonesprit,pasunnemanqueàl’appel.C’estcommesijefaisaisdesbondsdansletemps.Le premier souvenir est notre rencontre au jardin d’enfants. À cette époque,c’étaitunpetitgarçontimide.Iltenaittoutcontreluisaboîteàgoûter;sansunmot jem’étais approchée de lui et lui avais tendu un feutre pour qu’il viennedessineravecmoi.Unautresouvenirarrivecommeunflash.Lorsqu’ilvenaitàlamaisonetquejel’obligeaisàprendrelethéavecmespoupées.Etpuisencoreunautre,lafoisoùilesttombédel’arbreets’estcassélebraspourrécupérerunchaton. Ensuite, l’image de l’adolescent qui faisait craquer toutes les filless’imprimedansmonesprit.Sesmatchsdefootballdéfilentsousmesyeux.Jelerevois,àchaquedébutdematch,aumilieudu terrain, sondant lesgradinsà larecherche de mon regard. Dès qu’il me repérait, il me lançait son sourireespiègle. Je repenseaumomentoù ilm’a ramenéechez lui et s’estoccupédemoi,c’estlesoiroùjesuisdevenuesaGlitterGirl.Puisundernierflash,celuidenotreinstantàlacrique.Cejour-là,nousétionstouslesdeuxemplisd’espoiretjetionsnospaillettesdanslesairspourdémarrernotrenouvellevie.
Brandon.Mabéquille.Avechorreur,jeréalisequejeneseraiplusjamaissaGlitterGirl.
Unemainm’empoignelescheveuxetm’obligeàmerelever,meramenantbrutalementàlaréalité.Laragemonteenmoietjemedéchaîne.
—Espècedesalaud!Tul’astué!Jeme défoule contreGarrett qui essaie dememaîtriser.Hystérique, je le
griffe au visage, lemords, lui donne des coups de pied. Je suis une véritablefurie,riennepeutm’arrêter.Àcausedelui,j’aitoutperdu:monenfance,moninnocenceetmonmeilleurami.
Ilessaiedemebloqueravecsonavant-bras,mais jem’yaccrochedemesdeuxmainsetenprofitepouryenfoncermesdents.Sonsangemplitmabouche,son cri animalm’encourage à poursuivre et je serremamâchoire encore plusfort.
—Putain!Dégage-lademonbras,bordel!Sonhurlementdésespérémeravit.Jesuishabitéed’unefoliemeurtrièreet,
tout enm’agrippant à lui, je serre encore plusma prise sur son bras. Un rirehystériquemonteenmoi.Puisd’uncoup,plusrien.Moncorpsdevientlourd,mamâchoiresedesserreetunvoilenoirobscurcitmavue.
Àdemiconsciente,jecomprendsquel’autretypeluiestvenuenaideetm’afrappéederrièrelatête,probablementaveclacrossedesonarme.Soncoupadûêtre plus fort que la première fois, je me sens nauséeuse et comateuse. J’ail’impression que mon esprit se détache de mon corps. Des mainsm’emprisonnentetjemesensrebondircontrelematelas.
La vue brouillée, je tournemon visage une dernière fois versBrandon, etsilencieusement,jeluimurmure«jesuisdésolée».
Je n’ai pas réussi à sauvermonmeilleur ami, ni àme sauver. Et Jace neviendrapas.
Toutesmesforcesmequittent, jeme laissesombrerdans lenéant.C’estàpeine si je ressens lesmainsmoites deGarrett faisant glissermonpantalon lelongdemesjambes.Monespritrendlesarmes,l’obscuritém’envahit.
Avantquemespaupièresseferment,l’imagedeJaceseprofile.Maisjesaisqu’elleestlefruitdemonimagination.
57
Jace
Lavieestunesalope.Ellevousen faitbaverdurant toutevotreexistence,vous laisse espérer un avenir meilleur, et quand vous l’effleurez du bout desdoigts,ellevousleretireensemarrant.
Depuis deux jours, je vis au rythme dumonitoring. Je guette chaque son,chaquebipcommeunemèrequiveillesonenfantmalade.Mesfrèresontbeauessayer de me sortir de la pièce, je les jette dehors direct. Splinter a voulum’entraînerdeforcehorsdelachambre,j’ensuispresquevenuauxmainsaveclui, Pops a dû nous séparer.Maintenant, ils ont tous compris qu’il fallait mefoutrelapaix.
Nilesinfirmières,nilesflicsvenusprendremadépositionoumêmel’odeurd’antiseptique ne pourront me faire quitter cette chambre d’hôpital. Pas tantqu’Hayleyn’aurapasouvertsesmagnifiquesprunellesbleuespourmedirequetout va bien et qu’elle revient à la vie.Elle seule aura le pouvoir deme fairebouger.
Je remue sur le fauteuil pour trouver unepositionplus confortable. J’ai ledos en vrac, la nuque raide comme un bâton,mais jem’en fous. Tout ce quicompte, c’est cette nana allongée sur le lit à mes côtés. Ses yeux restentirrémédiablementclos.Jedonneraistoutpourlesvoirànouveaupapillonnerets’ouvrirlentement,maisrienn’yfait.J’aibeaujurer,priertouslesdieuxdecette
Terre, personne ne m’écoute ou ne m’entend là-haut. Mais je ne perds pasespoir, je suis convaincu qu’elle va se réveiller. Ça ne peut pas en êtreautrement,ellenepeutpasmequittercommeça,ellen’enapasledroit.Jeluiinterdis de le faire. Je sais que d’un jour à l’autre je l’entendrai prononcer lesurnomqu’ellem’adonnédesavoixangélique.JeseraiànouveausonBakers.Etquandcejourarrivera,jeveuxêtrelapremièrepersonnequ’elleverra.Alorsjeresteclouéàcefauteuil,enguettantunsigned’elle.
Lesmédecinsm’ontprévenuqu’ellen’aurapeut-êtreaucunsouvenirdemoiàsonréveil,maisjerefused’ycroire.
Dèsquel’ambulanceadébarquéauxurgences,ilsl’ontimmédiatementpriseencharge.Lesmédecins luiont faitpasseruneIRMetontvuqu’elleavaitunœdèmeaucerveauàcausedescoupsqu’elleareçusàlatête.Ilsl’ontopéréeenurgencepour réduire lapression,mais ils ignorent s’ilyaurades séquellesounon.
Sijepouvaisretrouverleconnardquiluiafaitça,jelebuteraisàmainsnuesetmedélecteraisdevoirlaviedéserterlentementsesyeux.
Laseulebonnenouvelle,c’estqu’ellen’apasétéviolée.Pourunefois lesflicsontdébarquéàtemps.
Quandonaquittélapremièreplanque,touts’estpassétrèsvite.Surlaroute,Pops a appelé un de nos contacts chez les flics pour leur donner l’adresse oùBrandonetHayleyétaientmaintenuscaptifs.Entempsnormal,onauraitrégléleproblème à notre façon, mais on était pressés par le temps et en inférioriténumérique. On n’était pas sûrs de sortir gagnants de cette histoire. On auraitaffaibli notre club et c’était trop risqué. Mais surtout, c’était courir le risquequ’ils butent Hayley et son copain dès notre arrivée. Alors, à situationdésespérée,mesuredésespérée,etdanscescas-làonutiliselesflicsvéreuxpourqu’ilsfassentcirculerl’infoauprèsdespersonnesetdesservicesconcernés.
Et puis, il valait mieux que ce soit les flics qui débarquent. On n’auraitjamaispucacher tous lesmeurtresqu’onauraitétéobligésdecommettre.Desfrèresseraienttombéspourleclub.Etcen’estpaslemomentd’enperdre.Parceque,oui,c’estofficiel!OnestenguerrecontrelesHell’sEagles.Lessemainesà
venirrisquentd’êtrecoton.Popsaprolongéleconfinementduclubenattendantd’yvoirplusclair.
Uneautreraisonquinousapoussésàfaireintervenirlesflics,c’estlepetitLogan. Si notre club avait été directement impliqué, on aurait pu lui dire aurevoir.AveclesservicessociauxquicollentautraindePops,jamaisonn’auraitpuavoirsagardetemporaire.Or, lePrés’luiapromisqu’ilallaits’occuperdelui.Onnepouvaitpasnonplussepermettrederomprelapromessequ’onavaitfaite au gamin. Il a assez souffert comme ça, surtout quand il a appris que samèrerefusaitdelerécupérer.Quellegarcecelle-là!
Lesflicsontdébarquépeudetempsavantqu’onarrive.C’étaitunvéritablemerdier.J’aivécumonapocalypse.Àpeinelabéquilledemabécaneposéeausol,jemesuisprécipitéverslamaison,maislespouletsontpointéleursarmessurmoi.Toutcequ’ilsontvu,c’estmongilet,etcesabrutism’ontmisdanslemêmepanierqueceuxqu’ilsarrêtaient.Bonsang!J’aicrudevenirfou.
Ilsm’ontobligéàme foutre àgenoux, lesmainsplaquéesderrière la tête.Mesfrères,quim’ontrejointquelquessecondesplustard,ontdûfairelamêmechose.Onleurafiléletuyauetcesabrutisvoulaientaussinouscoffrer!
Impuissant, j’aidû regardercommeunsimple spectateur lecarnagequi sedéroulait sousmesyeux.Ça tiraitdepartout.Les flicshurlaientdesordres, secachaientderrièredesabrissommaires,destroncsd’arbres,leursbagnoles.Deshommes tombaient à terre. LesHell’s les canardaient de toute part, je ne saismêmepascommentonnes’estpasfaittirerdessus.
Quand j’ai vu certains salopards s’enfuir commedes rats de la baraque etprendre leur moto, mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai imprimé un à un leursvisages,me faisant le sermentde les retrouveretde les tueràmainsnues.Onm’atoujoursditqu’unefoisqu’onagoûtéausang,onyrevient.Fautcroirequec’estvrai.Parceque je juredevantDieuqueces typesvontmorfler le jouroùnoscheminssecroiserontànouveau.
Auboutd’unlongmoment,lesarrestationsontenfincommencé.Lecalmeest presque revenu. Plusieurs types de l’ATF étaient en train de coffrer des
Hell’squandlasirènehurlantedesambulancess’estfaitentendre.Etd’uncoup,jeme suis glacéde l’intérieur. J’étais unebombeà retardement.LePrés’, quiétait àmes côtés, a vu le changement s’opérer enmoi.C’est à peine si je l’aientendumedire,lesdentsserrées:«Faispaslecon,fiston».
J’aivurougeetd’unbondjemesuisjetésurleflicquinoustenaitenjoue.Souslecoupdelasurprise,letypen’arienvuvenir.Ilm’asuffid’unseulcoupdepoingpourl’assommer,puisjesuispartiencourantverslamaison,sansmepréoccuperdesavoirsimesfrèresmesuivaientoupas.Dèsquejesuisentré,etmalgré tout lebordelqu’ilyavaità l’intérieur, j’ai immédiatemententenduunflicàl’étagedirequ’ilslesavaienttrouvés.
Comme un fou, j’ai balancé des coups à tous ceux quim’empêchaient depasser pour filer direct là-haut. Personne n’aurait pu me retenir. Quand j’aiatteint la chambre où elle était retenue, j’ai cru que j’allais mourir. Elle étaitallongéesurunmatelasmiteuxposéàmêmelesol,sonhautétaitdéchiré,sonpantalondescenduauxchevilles.Leregardfou,j’aibalayélapièceduregard,etquandj’aivuquelesflicsmenottaientsonbeau-père,jeluiaifoncédroitdessus.Ilsontdûs’ymettreàtroispourmeséparerdelui.J’aieudelachance,ilyavaitundes typesvéreuxqu’onsoudoyaitdans lapièce. Il aordonnéauxautresdedesserrerleurprisesurmoi,aprèss’êtreassuréquejerécupéraislaraison.
Etpuis, j’aivuBrandon, levisagelivide, inerteausol.Jenesavaispascequ’ilenétaitdelui.Lessecouristesm’ontdégagédeleurcheminpours’occuperd’eux. J’ai crumourir unedeuxième fois quand ils les ont emmenésdansuneambulanceenrefusantdemedirecequ’ilenétaitdeleurétat.Alorsj’aiprismabécaneetjelesaisuivis.J’airouléaussivitequej’aipu.Etdepuis,jen’aipasquittéuneseulesecondecetteputaindechambre.
Jemelèvedufauteuiletm’assoissurlereborddulit.J’aibesoindetenirsamain frêledans lamienne. Jedeviens fouànepouvoir rien fairepour l’aider.Donc, commedepuis deux jours, je lui parle de tout et den’importe quoi.Detoutesleschosesquel’onpourrafaireelleetmoiquandonquitteracethôpital.
Jesuiscrevé,jen’aipasdormidepuisquarante-huitheures,etmondosmefaitunmaldechien.Jedécidedem’allongerprèsd’ellepourqu’ellesentema
présence, lachaleurdemoncorps.Lesbipsdumonitoringmebercentet,sansm’enrendrecompte,jeglissedansunsommeilsansrêve.
Jusqu’aumoment où j’entends sa voix.Elle est faiblemais lemotBakerschuchotéprèsdemonoreilleme faitouvrir lesyeux.Et jeme retrouve faceàdeuxmagnifiquesirisd’unbleuprofondquim’observent.
Jemetsquelques secondes àme rendre compteque je suis éveillé, que cen’estpasunmirage.Quandsamaindélicateseposecontremajouerâpeuse,jeréalisequemonenferestbeletbienterminé.
Comme un con,ma première pensée est deme dire que tout compte fait,j’auraisdûécoutermesfrèresetprendreaumoinsunedouche.Jedoisavoirunetêteàfairepeur.Maisledouxsourirequisedessinesurseslèvresfaitpasserausecondplanmesréactionsdegonzesse.
Toutcequi compte, c’estqu’Hayleyest réveillée.Etqu’ellem’a reconnu.C’estàcetinstantquejemedisquelavien’estpasunesigrandesalopequeça.Ellevientdem’offrirmarédemptionenramenantmonangeàlavie.
Épilogue
Troismoisplustard.
Brandonm’entraînehorsdelasalledutribunal.Sesparentsnousemboîtentlepas,accrochésl’unàl’autre.Laportedelasalled’audienceserefermedansun bruit étouffé, comme pour nous donner le signal d’un nouveau départ. Ladécisiondu jugeaétésansappel :monbeau-pèreprendperpétuité. Ilnenouscauseraplusdetorts.Nouspouvonsàprésentrespireretmenerunevienormale,nous reconstruire. Je l’ai déjà fait une fois et je sais que j’y parviendrai ànouveau.
PourBrandon,ceseraplusdifficile.Depuiscettenuitd’horreur,iln’apluscette petite étincelle dans les yeux. Je ne reconnais plus mon meilleur ami.Commeàsonhabitude,ilm’asoutenuetoutaulongduprocès.J’aiessayéd’êtreprésentepourlui,maisils’estrenfermé.Luiqui,jusqu’àprésent,melaissaitliredanssespensées,m’enadésormaisbloquél’accès.Lapsychologuequinoussuitm’a expliqué que c’est sonmoyen de défense,mais aussi celui d’affronter laréalité.Enmêmetemps,jelecomprendsparfaitement,jen’aipasvéculamoitiéde ce qu’il a enduré cette nuit-là. Enfin, je ne peux que l’imaginer car il n’ajamais voulu en parler. La nuit, je fais encore des cauchemars, je le revois,allongé au sol, le corps inerte. J’ai cru l’avoir perdu à tout jamais dans cettechambre.
À mon réveil à l’hôpital, j’ai vu Jace endormi près de moi. Malgré lesommeil dans lequel il était plongé, il avait le visage tourmenté. Quand il a
ouvert les yeux, ils étaient habités par des fantômes.Mais dès qu’il a vu quej’étais réveillée, ses traits se sont adoucis, ses angoisses l’ont quitté et unenouvelle lueur a illuminé ses magnifiques prunelles grises. Je lui aiimmédiatementdemandédesnouvellesdeBrandonetilm’ajusterépondu:«Ilestenvie».
Pendantplusieursjoursilaétéplacésouscomaartificiel,letempsquesonœdème au cerveau se résorbe. Malheureusement, l’avenir sportif de monmeilleuramiestcompromis.Enplusdutraumatismecrânien,soncorpscomptaitde nombreuses fractures, dont celle de la rotule. Les médecins ont étécatégoriques, il ne pourra plus pratiquer de sport de haut niveau et certainesactivitéssportivesluisontégalementinterdites.
Lesséancesdethérapiel’aident,maisj’aipeurqu’ilneredeviennejamaisleBrandonquejeconnaissais.Quoiqu’ilensoit,jemetiensprêtepourlejouroùils’ouvriraànouveauàmoi.Celuioùilmedemanderadel’aidercommeill’afaitpourmoitoutaulongdecesdernièresannées.Etjesaisenmonforintérieurquecemomentviendra.
Ses parents sont arrivés dès le lendemaindudrame. J’appréhendais de lesrevoir,carj’avaispeurqu’ilsmetiennentpourresponsable.Mespeursontviteétéapaiséeslorsqu’ilsontpénétrédansmachambreetm’ontenlacée.Ensemblenousavonspleurépourleurfils,pourmoietpourlasouffrancequ’euxaussiontendurée. Ce moment restera à jamais gravé en moi car nous avons été uniscommeunefamillel’estlorsqu’elleportelemêmefardeau.
Depuismon plus jeune âge, je vis dans la souffrance aussi bien physiquequ’émotionnelle. Je me suis toujours crue seule, mais depuis le début, je metrompais. Je ne l’ai jamais été. J’avais toujours quelqu’un avecmoi. D’abordBrandon, puis ses parents, quim’ont accueillie chez eux lors dema demanded’émancipation.
Arrivée en Californie, là encore j’ai rencontré des personnes qui m’ontépaulée.J’aieulachanceincroyablederencontrerJuneetBeverly.
Et puis, j’ai croisé la route de cet hommemerveilleux, un soir, dans unestation-servicepaumée.Cethommequiasumedonnerenviedesortirpeuàpeu
de ma coquille, qui a su m’aider à recoller les morceaux un à un avec unepatienceinfinie.Lentement,jemesuisouverte,luiaifaitconfianceetaipénétrédanssonmonde.
Enfin, il y a cette rencontre avec ce petit garçon qui, avec sonémerveillementd’enfant,m’aconfortéedansmonchoixdevie.
Brandonm’attrapelamainaumomentoùnousatteignonslasortiedupalaisdejustice,commepoursedonnerlaforced’affrontercenouveaudépart.Nousmarquonsun tempsd’arrêtsur leseuiletprofitonsdecesquelques instantsdeplénitude.Jeveuxmesouvenirdecemoment.Jepenchelatêteenarrièreversleciel bleu, ferme les yeux, offrant ainsimon visage à la caresse des rayons dusoleil. Je presse doucementmamain dans celle demon ami, comme pour luicommuniquerma force, lui faire comprendre que je serai toujours là pour luiquoiqu’iladviennedansnosnouvellesvies.
Unconcertdevrombissementsdemoteurs interromptnotremomentetmefait ouvrir les yeux. Un spectacle incroyable s’offre à nous. Ils sont tousprésents, tous nos amis sont là pour nous voir commencer cette nouvelleaventure.LesB.A.C.A.,PopsaveclepetitLoganassisderrièreluisursamoto.Beverly en compagnie deSpider. Je souris envoyant l’air béat de June sur lamotodeDannyboy.
Et enfin, Jace. Mon bakers. Cet homme à la nature sauvage qui a sum’apprivoiser chaque jour un peu plus et qui continue encore. Je le regardes’approcherdemoilentement,desadémarcheféline.Sesyeuxcouleurgrisacierrivés aux miens. Il tient quelque chose à la main et je souris de bonheur enreconnaissant l’objet :mongilet.Celuiqu’ilm’aoffert ilyaquelquesjoursetque j’ai accepté. Oui, c’est officiel, je suis devenue la régulière de Jace et leporte avec fierté. Arrivé à ma hauteur, il me le tend. Mes doigts caressentl’inscription cousue dessus : «MonAnge ».Mes lèvres esquissent un sourirequandjerepenseàcejouroùilmel’aoffert.Cejour-là,luiaussiachangésongilet,maintenantilaunnomderoute:Bakers.
Nostalgique,jemeremémorelepremierjourdenotrerencontre,lapremièrefoisoùjel’aisurnomméBakersetluimonange.
Ilm’offresamainquejesaisissansaucunehésitation.Beverlynousrejoint,ellem’enlaceetmechuchoteàl’oreille:
—Bienvenuedanstanouvellevie.Jelaremercied’unsourire,toutenmedétachantdesonétreinte.Sonregard
seposealorssurBrandon.Jelasenshésitanteetpourl’encourager,jeluiglisse:—Prendssoindelui.Elleacquiesceetjel’observesedirigerverslui.Unsouriretristesedessine
sur les lèvres de Brandonmais il lui tend la main pour qu’elle s’en saisisse.Rassuréedevoirqu’ilacceptelaprésencedeBeverly,jemeretourneversJaceetnousreprenonsnotrecheminendirectiondesamoto.
Une fois installés, nous attendons l’ordre de Pops pour démarrer notrecortègeetnousnouséloignonsdutribunalendirectiondenotrenouvellevie.
Leventmefouettelevisageetjem’appuiecontreledosdeJacepourm’enprotéger tout en resserrant mes bras autour de son corps. Il pose une mainrassurantesurlesmiennesetlespressedoucement.
LesparolesdelachansondeLanaDelReynemequittentpas.«J’étaisàl’hiverdemavieetleshommesquej’airencontréslelongdela
routeétaientmesétés…J’étaisunechanteusepasvraimentpopulairemaisquijadisavaitlerêved’êtreungrandpoète–maisquiparuneséried’événementsmalheureuxavusesrêvess’effaceretsebrisercommeunmilliond’étoilesdansle ciel de la nuit. […] Et quand je suis en guerre avec moi-même, je roule,encoreetencore…Quiêtes-vous?Voustenez-vousàl’écoutedevosdésirslesplussombres?Vousêtes-vouscrééunevieoùilspourronts’exprimer?
Aujourd’hui,j’aimaréponseàtoutescesquestions.Jesaisquijesuis.J’airencontrémesgens.J’aiunefamilleetdesamis.Et
maintenant je roule vers l’inconnu sans jamais m’arrêter d’avancer. Je vais
foncerverscequim’attendsansmeretournersurmonpassé,avecceshommesmerveilleuxàmescôtés.
Pourunefoisdansmavie,jepeuxdéciderquijeveuxêtreetcequejeveuxfaire.Etj’aidécidédevivrelibreetdefairedemavieuneœuvred’art.Etvous?Avez-vouscrééuneviepourvous-même?
FIN
Notedel’auteur
Je pensequ’il est nécessaire devous expliquer la raisonpour laquelle j’aiécritce roman.Etpourcela il faut remonteràquelquesannées, lorsque j’étaisétudiante.Pourfinancerunepartiedemesétudes,j’étaissurveillanteentremidietdeuxdansuneécoleprimaire.Dèsmonpremierjour,j’aiassistéàunebagarreentre plusieurs enfants. Après avoir démêlé le faux du vrai, j’ai fini parcomprendrelasituationetj’aiprisladéfensed’unpetitgarçonquiétaitvictimedeharcèlementàl’école.Aufildutemps,j’aiégalementapprisquechezluilavien’étaitpastouterosenonplus.Àpartirdecemoment,cetenfantnem’apasquittée.DenombreusesscènesconcernantLogan,sarelationavecsamèreetc.danslesBlacksRiderssontvéridiques.
Cetenfants’estattachéàmoietjemesuisattachéeàlui.LecasdeLoganm’afaitouvrirlesyeuxsurlesdifférentesformesdemaltraitancequel’onpeutfairevivreunenfant.J’aipuobserverdenombreusesscènesquim’ontfaitréagiretalerterladirectricedel’école.Jepassedenombreuxdétails,maisunjourcetenfantn’estplusvenuàl’école.J’aidemandédesesnouvellesàladirectricequim’ainforméequ’ilavaitétéretirédel’établissementetdesafamille.Etdepuiscejour,jen’aipluseuaucunenouvelledecepetitbonhomme.Aufildesannéesquiontsuivi,jemesuistoujoursposélaquestiondecequ’estdevenucetenfant.Est-ilheureux?Prend-onsoindelui?
Sij’aivouluécrirelesBlackRiders,c’étaitenquelquesortepourexorcisermes démons. Alors, un jour, j’ai décidé de me mettre devant l’ordinateur et
d’écrire une histoire en pensant à Logan. J'ai fait des recherches sur lesassociations qui s'occupent des enfants et je suis tombée par hasard sur lesBACA,ceclubdebikersquidéfendlesenfants.Jesuisentréeencontactavecdes bikers pourmieux connaître leur style de vie, leurs codes…Et c’est ainsiquedefilenaiguilleHayley,Jace,PopsetLoganontprisvie.
Remerciements
Çayest,lemomentquejeredoutaistantestarrivé,ilfautpasseràlaphasedesremerciements!
Avant de commencer à écrire, je n’étais qu’une simple lectrice et j’avoueque je ne lisais jamais cette partie. Je m’empressais de fermer le livre pourdécouvrir une nouvelle histoire. Maintenant que je suis de l’autre côté de labarrière,jecontinuebiensûràmeplongerdansdesromans,maisjeprendsaussiletempsdelirecettepartiedulivre.
Aufuretàmesurequejedonnaisvieàmonhistoire, j’aisouvententendudirede lapartdemonentourageque l’écritureestuneactivité solitaire.Orcen’est pas le cas, bon on se retrouve quandmême pendant quelque temps seuldevant son ordinateur ou avec son carnet dans lesmains pour noter toutes lesidéesquinouspassentparlatête.Ilfautbienseconcentrerunpeupourdonnervieàsespersonnages.Mais,depuisquej’écris,jemesuisretrouvéeentouréedepersonnesquipartagentlamêmepassionquemoi.J’aieulachancedediffusermon histoire sur des plateformes sur lesquelles j’ai fait la connaissance delectricesfansdemespetitsbikers.Leurscommentairesm’ontaidéàpoursuivredans cette passion. Dans mes moments de doute, je les relisais et leurengouementm’a encouragée à poursuivre dans cette voie.Quelque part, c’estgrâce à vous, lectrices, que j’ai été capable d’apposer le mot « fin » à ce
manuscritetpourcelajevousenremercie!Vousnepouvezpasvousimagineràquelpointunécrivainabesoindeliretouscescommentairesquevouslaissezaufildevotrelecture.Çamotivecaronchercheàvousfaireplaisiretàpartagerunmomentpersonnelavecvous.
Jeneserais jamaisparvenueà réaliserce rêvesans lesoutiendeplusieurspersonnes.Toutd’abord sans le soutiendemonmariquiun jourm’a lancé ledéfi d’écrireunehistoire.Sans cepetit coupde fouet, je serais toujours restéeavecmesrêvescachésaufondd’unplacard.Ilaétémonpremierlecteur,monpremier fan. Pour cela, merci de m’avoir soutenue, d’avoir gardé les enfantsalors que jem’enfermais avecmes personnages.Merci pour ta patience et tacompréhension, jeme rends compte que ça n’a pas été toujours rose pour toi,mais j’ysuisarrivée. Je l’ai fait !Merciégalementàmesparentsquiont jouéaux baby-sitters durant tout l’été pour que je puisse faire mes correctionstranquillement.
Pour celles qui l’ignorent j’ai participé à un concours d’écriture sur laplateformeFyctiaaveclesBlackRiders.Jenel’aipasgagné,maisilm’apermisde rencontrer des personnes extra qui sont devenues des amies et qui m’ontsoutenuetoutaulongdelaphased’écriture.
Aufuretàmesureduconcours,deslienssesontnouésetdesrencontressesont faites. Alors que nous étions en « compétition », nous nous sommesamusées,conseillées.Jevaisenciterplusieurscargrâceàelles,cetteaventureaétéuneformidableexpérience.Grâceàvous,lesfilles,j’aieudenombreuxfousrires devant mon ordinateur quand je lisais vos commentaires. Jessica, mercipour toutes tes petites danses de la joie sur ton lit et sur les quais dumétro !Anne,Marianne etCharlène, vous êtes des filles topissimesmerci, pour votresoutien, vos conseils quand j’avais le moral à zéro parce que mes bikers merendaientchèvre.Genymercidem’avoirfaitconnaîtrelachansonRidedeLanaDelReyquiestdevenueunechansonincontournabledansceromanetquim’ainspirédenombreusesscènes.Etenfin,Camille(nonjenet’aipasoubliédanslesremerciements!),ungrandmercipouravoirprisletempsdemeconseiller,
de lire et corrigermes chapitres, t’es une fille extra qui a un talent fou, n’endoute jamais ! Tu sais que je ne suis pas le genre de personne à passer de lapommade et que je ne suis pas démonstrative, mais tu m’as été d’une aideprécieuse,t’assumebooster.Mercidenepasavoireulalanguedeboisdanslescorrections.J’aiparfaitementconsciencequegrâceàtoi,j’ensuislàaujourd’huietpourcelajen’aipasdemot.J’arrêtelaphaseroucouladeavecvouslesfillescar après vous risquez de ne plus me croire quand je vous dirai que je suisasociale.
Et enfinmerci à l’équipe Fyctia pour avoir cru enmon histoire. On n’enparle pas souvent lors de la promotion d’un livre, mais il faut savoir que denombreusespersonnestravaillentsurlemanuscritencoulisses.J’aieulachanced’avoirdeux formidableséditrices.Leur travailet leursconseilsontpermisderendre cette histoire meilleure.Marie, t’es une éditrice extra, merci beaucouppourtoustesconseilsettoncalmedansmesmomentsdepanique.Marine,mercid‘avoirpasséunegrandepartiedetessoiréesetweek-endavecmesbikersafinquenoustenionslesdélais.
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