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DELAMÊMEAUTEURE
LeChic,leChèqueetleChoc,tome1:Ami,amantou…mari?,Montréal,LibreExpression,2013.Le Chic, le Chèque et le Choc, tome 2 : L’amour avec la mauvaise personne, Montréal, Libre
Expression,2013.
Édition:MilénaStojanacRévisionlinguistique:MariePigeonLabrecqueCorrectiond’épreuves:SabineCerboniCouverture,grillegraphiqueintérieureetmiseenpages:ClémenceBeaudoinCetouvrageestuneœuvredefiction;touteressemblanceavecdespersonnesoudesfaitsréelsn’estquepurecoïncidence.
RemerciementsNousreconnaissonsl’aidefinancièredugouvernementduCanadaparl’entremiseduFondsdulivreduCanadapournosactivitésd’édition.NousremercionsleConseildesArtsduCanadaet laSociétédedéveloppementdesentreprisesculturellesduQuébec(SODEC)dusoutienaccordéànotreprogrammedepublication.GouvernementduQuébec–Programmedecréditd’impôtpourl’éditiondelivres–gestionSODEC.Tousdroitsdetraductionetd’adaptationréservés;toutereproductiond’unextraitquelconquedecelivreparquelqueprocédéquecesoit,etnotammentparphotocopieoumicrofilm,eststrictementinterditesansl’autorisationécritedel’éditeur.©LesÉditionsLibreExpression,2014LesÉditionsLibreExpressionGroupeLibrexinc.UnesociétédeQuébecorMédiaLaTourelle1055,boul.René-LévesqueEstBureau300Montréal(Québec)H2L4S5Tél.:514849-5259Téléc.:514849-1388www.edlibreexpression.com**JESSKIKA**
Dépôtlégal–BibliothèqueetArchivesnationalesduQuébecetBibliothèqueetArchivesCanada,2014ISBN:978-2-7648-0895-5
DistributionauCanadaMessageriesADP2315,ruedelaProvinceLongueuil(Québec)J4G1G4Tél.:450640-1234Sansfrais:1800771-3022www.messageries-adp.com
«Unseulêtrevousmanqueettoutestdépeuplé.»AlphonsedeLamartine
C’estcequepensentetviventmeshéroïnes,commetouteslesfemmespassionnées,d’ailleurs.Commevousassurément,maisaussicommemoi.
—T
1Lequatuorréuni
u crois qu’il laisserait sa femme pour toi ? demande la belle Sarah aux yeux si bleus, enpoussantunemèchedesescheveuxblondsdecôté.
—Hum…difficileàdire,répondBrigitte.Ilmesembletellementamoureuxquandonfaitl’amour,maisaprès, ilreprendsonairsérieuxdebanquier,et là, jenesaisplus.Ils’étendsurledos,metsesmainsderrière sa tête, alorsque j’aurais tant enviequ’ilmeprennedans sesbras et qu’ilmedisedesmotsd’amour.Ildevient,commentdire…plusdistant,ajoute-t-elle,avecunepointedetristessedanslesyeux.—C’estqu’ilaeusonbonbon,remarqueSarah.Rassembléesau restaurantHelenade la rueMcGill, lesamiesseconsultentpourchoisir l’apéro.Le
serveurlesregardeàtourderôle,dansl’espoirqu’ellessedécident.Finalement,ellesoptentpourunebouteilledevinpétillant.Brigittecroqueuneoliveet laisse ses lèvrescharnues se refermer sur lenoyau.Elleestvisiblement
songeuse.Ellerejetteenfinlenoyauetprenduneautreolive,qu’ellegrignote,cettefois-ci,àpetitscoupsdedents, telunécureuil.Enpoussantun longsoupir, la jeunefemmepose lecoudesur la table, laissetombersatêtedansunemain,puisdel’autres’appliqueàcornersaserviette.Àcemoment,leserveurrevientavecuneassietted’amuse-gueulesetlevinmousseux.—Voilàquelquesbouchéespourvousfairepatienter,gracieusetédelamaison!s’exclame-t-ilavecle
sourire.—Ah!Merci!fontlesfillesenchœur.—C’estjoli,tescheveuxnoirs,çatevavraimentbien!ditJustine,pourparlerdechosesplus«neutres
»pendantquelegarçons’affaire.—Merci!répondBrigitte.Christianm’aditqu’ilpréféraitça,alorsjelesaiteintsenplusfoncéetje
leslaissepousserpourluifaireplaisir.—Ah!Cequ’onneferaitpaspourleshommes!laissetomberChloéensouriantauserveur.Amusé,cederniersertlevinpendantqueBrigitte,presséedereprendresaconversation,agitesonpied
souslatable.—Ilbaisetellementbien!continue-t-elleaussitôtleserveurreparti.Jel’aidanslapeau,jenepeux
plusm’enpasser.Dèsqu’onsequitte,j’aihâteauprochainrendez-vous,auprochaintexto,auprochaincourriel,àlaprochainebaise!—Ettonmarinesedoutederien?demandeChloé.—Parfois, j’ail’impressionqueoui.Ilmeposededrôlesdequestions,enfin,drôlespourquelqu’un
commemoi,quiauneaventure.Peut-êtrequec’estmoiquiinterprètetoutdetraversaufond.—C’estpossible,approuveSarah.— Puis le temps passe et je me dis que non, il ne se doute de rien. Et deux jours plus tard, ça
recommence.Pensez-vousquec’estparcequejesaisquejecroisqueluisait?Mouais,thisisnotveryclear…—Oncomprend,fontlesfilles.—Probablement,concèdeJustine,cartoi,tuesàl’affûtdetoutessesparolesettuinterprèteschaque
détail,alorsqueluiparledetoutetderien,sansavoirnécessairementautrechoseentête.Sarahdemande,entendantlamainverslesamuse-gueules:—Est-ilpossiblequeleshommesaientunsixièmesenscommenous?Onn’estpeut-êtrepaslesseules
àl’avoir,non?—Non, je crois que c’est bien féminin, ça.Leshommespeuvent seposer desquestions,mais c’est
plutôtàlasuited’unévénement,remarqueJustine.—Oui,tuassansdouteraison,acquiesceSarah,encroquantàbellesdentsdanssoncraquelingarnide
saumonfumé.—Maissafemmeenaun,sixièmesens,ilm’aditqu’ellesedoutedequelquechose,déclareBrigitte.—Mouais,faitJustine,çanevapasbien,votreaffaire,sivosdeuxconjointscroientquevousavezune
liaison,vousrisquezd’êtredécouvertsplusvitequevousnelepensez!Situavaiscouchéavecluiunefoisseulement,pourensuiteteconvaincrequetut’esfaitplaisiretqueçafinitlà,ceseraitmoinspire.—Quefairepoursedébarrasserdecesentiment?Jel’aime!déclareBrigitte.Lesamiesnesaventquedire.LarelationqueBrigitteentretientavecsonamant les laisseperplexes.
PuisJustinebriselesilence.—Moi,quandj’aiessayédemedéfairedel’amour,c’estlecontrairequis’estproduit,monsentimenta
quintuplémême.Tuvois,parfois,c’estpourlemieuxqueçaarrive.—Entoutcas,s’exclameBrigitte,moi,avecJeanetChristiandansmavie,j’enaipleinlesbras!—Jeanquirit,Jeanquipleure,j’ail’impressionqueceseraleJeanquipleurequetuaurassijamaisil
l’apprend,ditJustine.—Tudoislesavoir,déclareSarah,leshommessontparfoissiégoïstes,ilsn’ontaucuneidéedutort
qu’ilspeuventcauser!Toi,tuesamoureuse,alorsqueluiapeut-êtrejusteenvied’uneaventure.Avantdegâchertavie,demande-luiclairements’ilveutlaissersafemmepourtoi,justepourvoirsaréaction.Tuserasfixéeaprèsettunejoueraspastoutetaviepourunhommequin’estpasplusprêtàs’engagerque«l’adulescent»deChloé.—Ouais,bonneidée!renchérissentlesautres.SiChristian savait qu’il faisait l’objet de la discussion, qu’il était la cible de la soirée, en somme,
parcequ’ilmetlavied’undesmembresduquatuorenpéril,qu’ilavait inconsciemmentmisenbranlel’instinctdeprotectionduclan,peut-êtreprendrait-illapoudred’escampetteaussitôt.Confirmantlesappréhensionsdugroupe,Brigitteregardesesamiesuneàunepuisbredouille,comme
unepetitefillecoupabled’unebêtise:—Ilm’aditl’autrejourquec’étaittroptôtpourparlerdeça.—Mouais, trop tôt, fait Justine,maisenattendant, ilveut toujours tevoirpourbaiser.Repose-lui la
question alors, et demande-lui depréciser cequ’il compte faire, si tu te faisprendrepar Jean.Est-cequ’illaisseraitsafemmepourtoi?—T’enauraslecœurnet,ditl’une.—Oui,jesuisd’accord,c’estlameilleuresolution,approuveChloé.—Bon,çava,vousm’avezconvaincue,répliqueBrigitte.Jevousprometsque,laprochainefois,jelui
poseraitouteslesquestionsetjevousferaiunrapportcompletentroiscopies.—Salute!lanceSarahenlevantsonverre.Leconducteurimprudentdepanierd’épicerien’aqu’àbien
setenir,carilauraaffaireànous!—Oui,acquiesceJustine,nousautres,onnetelaisserapasgâchertaviepourunhommequin’envaut
paslapeineetquiveutjustecoucheravectoi!—Salute!clamentlesfilleshautetfortentrinquant.—Unepourtoutes,toutespourune!ajouteJustine.
E
2Un«Trois-C»,çapresse!
nattendantson«adulescent»àlaterrassed’uncafé,Chloéregardelespassants,nonsansmontreruncertainagacement.Malgréunardentsoleild’automnequiplombesurlepetitcarréaménagédefleursenborduredutrottoir,elleneréussitpasàprofiterd’unedesdernièresbellesjournéesdelasaison.
Histoiredes’assurerqu’ellen’auraitpasmanquél’appeldeSébastien,ellevérifiepourlacinquième,peut-êtremêmelasixièmefois−elleenaperdulecompteexact−,soncellulaire.Qu’est-cequ’ilfaitencore,celui-là!Ilneseradoncjamaiscapabled’êtreponctuel!Vingtminutes
déjàquejel’attends!Eneffet,l’«adulescent»deChloén’apaschangédepuisleurrencontre,quiremonteàquelquesmois
déjà.Lireici:ilatoujoursunepeurterribledes’engager,quisetraduitparunepousséedeboutons,ungenred’allergiesévère,quoi!Qu’adviendrait-ilsisaponctualitéétaitinterprétéeparChloécommeuneformed’engagement?Lepauvre,quandva-t-ilsedécideràtroquerle«escent»dumot«adulescent»contreun«te»,commedans«adulte»,toutsimplement?Àvingt-huitans,ilseraitàpeuprèstemps!D’ungesteimpatient,Chloéregardesamontreuneautrefois.Etsielles’étaittrompéed’heure?Elle
prendsoncellulaire,repassesestextosetconstateque,non,c’estencoreluiquiestenretard.Elletexte:«Oùes-tu?Jet’attends…:(»C’estladernièrefoisqu’ilmefaitlecoup!Hum…ilmesembleavoirdéjàditça…Chloésirotesabière,etcommeellearrivepresqueaufonddesonverre,sedemandesielledoiten
commanderuneautreourepartir.Jeluidonnecinqminutesetjem’envais!Oui,àuneheurecinqminutespile,jefouslecamp,ilva
arrêterdemeniaiserdemême,celui-là!Çava luiapprendreaussi !J’aurais jamaisdû tolérerça,maintenantilsecroittoutpermis!Chloéregardesielleareçuuneréponse,maisconstatequenon.Elleenvoieunautretexto.«Tuarrives????»Puiselleajustel’alarmedesoncellulaireàcinqminutesetlereposedanssonsacàmainparterre.Encasdebesoin.Justeaucasoùelleseraittentéedeluidonneruneautrechance,àson«adulescent».Ças’estvu.Cinqminutes,pasunedeplus!Enfin,ellecroiselesjambes,faisantretrousserdumêmecoupsajupesursacuisse.Elles’assureque
sondécolleténedécouvrepasunetropgrandepartiedesagénéreusepoitrine.Puis,desesdeuxmains,elle relève sa magnifique chevelure rousse, la laisse retomber librement sur son dos. Pour passer letemps,elleexaminelesgensdéambulerdanslarue.C’estalorsqu’elleaperçoitunhomme,unApollonseraitplus juste,dans la jeune trentaine,quidescendd’une rutilantePorscheCarreradécapotablebleumétallique.SavuedistraitChloéunmomentdesonmécontentement.Hum!Toutunpétard,celui-là…L’hommesedirigeversunebornedepaiement, tandisqueChloé le suit toujoursdesyeux.Ellepeut
maintenantvoirlecôté«fesses»,danssonjeansbiencoupé,dececharmantconducteuraubelarrière-
trainpendantqu’ilpaiesonstationnement.Desfessesmusclées,commejelesaimeàpartça…Pasvilain,cetype!Enfin,l’hommeseretourne,remetsonportefeuilledanssapoche.Chloé le regarde discrètement en se demandant bien qui est l’heureuse élue qui accueillera le bel
homme,maisécarquillebientôtlesyeux,puisqu’ilmarche,ensifflotant,endirectiondelaterrasse.Justeàcemoment,Chloéentendlasonneriequiluisignalelescinqminutesécoulées.Shit!Elle sepenchevers son sac àmainpour éteindre l’alarmede son téléphone, et à cemomentprécis,
apparaissent dans son champ de vision deux chaussures d’un beau cuir ambré qui la font figercomplètement.Chloé ravale sa salive, relève la tête et tombe dans les yeux de l’homme à la Porsche, qui jette
maintenantuncoupd’œildans sondécolleté, car il aunevueplongeantedececôté !QuelchocpourChloé!Euh!Quelchicplutôt!EtsûrementunchèquepuisquelebellâtresepromèneenPorsche!Ellerougitjusqu’auxoreilles.L’hommedit,endésignantlachaisedevantelle:—Jepeux?—C’estquej’attendsquelqu’un,répondChloé.—Onattendtoujoursquelqu’un,ditl’homme.Pourquoicontinuerd’attendre?Ilopère,cemec…—Jepeuxt’offrirunverre?—Non,merci,j’aidéjàdelabière.—Labière,c’estlechampagnedespauvres,laisse-moit’offrirduvraichampagne.Hum!Pasunemauvaiseidée,etsiSébastienarrive,ceseraencoremieux!—Situinsistes,faitChloé,jeveuxbien.L’hommese tireunechaise, lève lamainpourappeler la serveuse,quine l’apasquittédesyeuxet
semble en pincer pour lui. Elle accourt aussitôt en se déhanchant, se trémousse devant lui, puis luidemanded’unevoixsuave:—Qu’est-cequejevoussers?EtcommeellefaitfideChloéquiestjusteàcôté,l’hommedit:—Deuxcoupesdechampagne,s’ilvousplaît.Laserveuserepart,déçuesansdoutedenepasêtreàlaplacedeChloé.—Commentt’appelles-tu?—Chloé.Ettoi?—Queljoliprénom!Moi,c’estCharles.Charles,j’aimebien!—Ettuestrèsjolie,j’adorelesrousses!continueCharles.—Ah!Tuesuncharmeur,toi!—Onpeutdireàunefemmemille foisqu’elleest jolieetellenenouscroitpas,on luiditune fois
qu’elledevraitperdreunoudeuxkilosetellenousenveutpourlavie!Chloépouffederire.—Quandturiscommeça,tuesencoreplusjolie,çamedonnejustelegoûtdet’embrasser.«Sofuckingearly!»mediraitBrigitte.—C’estunpeutôtpourça,non?—Unefemmeatoujoursledroitdedirenonàunhomme.—Ditcommeça,laissetomberChloé.Iln’yenapasbeaucoupquidoiventréussiràluidirenon,àcelui-là!
La serveuse arrive, pose les deuxverres devant eux.Chloé sort son porte-monnaie, plus pour testerqu’autrechose.Charlesrepoussesamainaussitôtet,suruntonimpératif,ditsimplement:—Laisse.Il règle l’addition. Pendant ce temps, Chloé établit sa fiche descriptive : grand, cheveux très noirs,
légèrementondulés,yeuxbrunfoncétrèsvifs,sourirecharmeur,dentsimmaculées,aussibeauetracéquesaPorsche,enconclut-elle.—Onfaituntoast?Ànotrerencontre!fait-ilenfaisanttintersacoupecontrecelledeChloé.Puisilcalelamoitiédesacouped’unetraite.Iln’estpasalcoolosurlesbords,lui?Hum!Àsurveiller!— Alors, dis-moi, qui est cet homme qui te fait attendre comme ça ? demande Charles, un sourire
enjôleurauxlèvres.—Ah!Unami,c’est…ungai,oui,ungai!faitChloéavecungestedelamain.Ilesttoujoursenretard
!J’espèrequ’ilvacontinuerdejoueràsespetitsjeuxvidéo,celui-là,etqu’iln’aurapasl’idéedese
pointerquaranteminutesenretard!D’ailleurs,pours’enassurer,elleluitexte:«Suispartie.»Puiselledit:—Tuoffresduchampagnecommeçaàtouteslesétrangèresqueturencontres?—Non,faitCharles, j’enaieuenvieseulement lorsqueje t’aiaperçue.Jemesuisditquec’étaitdu
vraigaspillagedelaisserunejoliefemmecommetoitouteseulesuruneterrasse.Etunplay-boyenplus!Ilfautquejefasseattentionàcegenred’hommes…C’estcemomentquechoisitSébastienpourarriver.SonregardsepromènedeChloéàl’inconnu,sans
pouvoirseposer.LejeunehommeembrassefinalementChloéàpleinebouche–cequ’ilnefaitjamaisenpublic,autrepreuve«terriblementaccablanted’engagement»–puisildemandesuruntonglacial:—Maisc’estqui,cegars-là?
É
3Premiernuageàl’horizon…
troitementenlacéssurlecanapémoelleux,JustineetZibsirotentunverredevinenadmirantlavillequiscintilledanslanuit,toutenécoutantunedoucemusique.LebrasdeZibreposesurlesépaulesde Justine et il s’amuse à enrouler autour de ses doigts unemèche de ses cheveux châtains, aux
mêmesrefletsdorésquesesyeux.—Jesuissiheureuse!s’exclameJustineensepelotonnantcontreZib,sonmaridepuispeu,dontelle
estéperdumentamoureuse.—Justement,machérie,jevoulaisteparler.J’attendaisunmomentcommecelui-cipourqu’onpuisse
discuterd’unprojetquej’aientête.—Maisdequoiveux-tudiscuter?Tuasl’airsisérieuxtoutàcoup.Etpourmieuxvoircequisecachederrièretoutça,ellesedétachedeluiet,desesyeuxinquiets,lui
posemilleetunequestions.—J’aireçuuneoffrepourallerpeindreàParis,annonce-t-il.—Et?—Bien…çam’intéresse.—PeindreàParisouàMontréal,c’estpareil,non?—Oui,quand il s’agitdepeindre,maisàParis, je serai encontact avecd’autresartistes, çavame
permettred’avancer,d’apprendredenouvellestechniques.—Ah,c’estintéressant,maisnousdeuxlà-dedans?—Bien,on irait ensemble. J’aimeraisque tuviennesvivre là-basavecmoiquelque temps.Puis,on
verra,peut-êtrequ’onaimeraça,vivreàParis,etsinon,onreviendraàMontréal,c’esttout.—Maistuoubliesquej’aiunegaleried’art?—As-tu déjà penséque tu pourrais la vendre ?Tu enobtiendrais sûrement unbonprix, je suis sûr
qu’elleestlamieuxcotéeàMontréal.—Mais,Zib, jeneveuxpasvendre !C’estmonbébé, lagaleriedemonpèreque j’ai sauvéede la
faillite,c’estsiimportantpourmoi.—Oui,jesais,maisc’estunprojetauquelj’aipensé,j’aicruque,toiaussi,tupourraisenbénéficier.
Imagine,onpourraitsefaireuneviebienchouetteàParis…—Ahça,oui,uneviebienchouette!C’estvraiqu’icijen’aipasdefamille,pasd’amies,pasdejob,
jen’airien,quoi,jesuisjusteunepauvrefillequin’arienréussidanslavie!Jen’avaispaspenséàça,t’asraison,vucommeça,tonprojetestmagnifique!C’estBrigittequiavaitraison!Leshommesjugeronttoujoursqueleurcarrièreestplusimportante
quecelledelafemme,quoiqu’onpense!—Net’emportepas,jedisaisçacommeça,jevoulaisjusteendiscuteravectoi.Justineserecroquevillesurelle-mêmeetseretientpournepaspleurer.— Et puis, continue Zib, tu ne serais pas obligée de vendre, tu dis toujours que ton gérant est
merveilleux,ilpourraits’occuperdelagalerieettupourraisreveniràMontréalàl’occasion,disonsunefoisparmois,pourt’assurerquetoutvabien.
—Cen’estpasassez,Lucnepeutpastoutfaireseul,jem’eniraistoutdroitàlafaillite!Êtreiciunesemaineunefoisdetempsentemps,cen’estpassuffisant,dumoins,pasquandonestenaffaires.—Tun’auraismêmepasàtravailler,situlevoulais,mestableauxsevendentbienmaintenant.—Zib,tun’espassérieux,là…C’esttoiquimedemandesça?Justineest estomaquée.Ellequi croyait filer leparfaitbonheur,voilàqu’elle se rendcompteque se
tramaientdanslatêtedesonamoureuxdesprojetsdontilnel’avaitpasmiseaucourant.—Justine,nevapascroirequec’estunproblèmeentrenous,voyons…—Mais…est-cequetum’aimesencore?demandeJustine,tristement.—Biensûrquejet’aime,autantqu’avant,sinonplus.Çan’arienàvoir!ZibrelèvelatêtedeJustinepourlaforceràleregarderetilluidonnepleindepetitsbaiserssurles
lèvres.—J’aipenséqueceseraitfantastique.Tuimagines,nouspourrionsvivreàParis,êtrevraimentdansle
milieudel’art.Pourtoiaussi,ceseraitprofitable.Jesuiscertainquetupourraisdénicherduboulotlà-bas, tu es si extraordinaire.Vois ce que tu as réussi pourmoi et pour tous les autres artistes, tu es simerveilleuse,turéussistout!—Oui,etvoiscequetuenfais,nepeuts’empêcherderétorquerJustine.—Bon,jemedoutaisqueçaneteplairaitpas…—Alorssitusavais,pourquoitufaiscommesic’étaitrienpourmoi?En disant ces mots, Justine se lève et s’en va dans la cuisine. Elle enfile ses gants pour laver la
vaisselle.Elle ramasse lesassiettessalesdusouper, lesmetau lave-vaisselle.EtpuisZibs’approched’elle,secollecontresondosetluiglisseàl’oreille:—Jet’aime,Justine,tulesais,ça,maisjenepeuxpasêtreceluiquirestelàànerienfaire,alorsqu’il
yatantàapprendreàParis.J’aibesoindeça,ilfautquej’avance,sinonjenepourraipasêtreheureux.—Maissic’estcequetuveux,jepeuxmemettreenrelationavecdesgaleriespourexposeraussites
tableauxlà-bas.—J’ai…déjàquelqu’un,Justine.—Comment!Qui,ça?—Unedame,unearistocrate,ellecroitquejeferaiuntabacàParis,commeelledit,elleadoremes
tableaux,elleaditqu’ellemeprésenteraitàtoutlemondedumilieu.Imagine!Elletientencoresalon,commeMmeSteinàl’époque,tuvoislegenre?— Le genre ? Non, je ne le vois pas. Ce que je vois, c’est plutôt le fait que tu me dises tout ça
maintenant,etquemoi,jen’enaijamaisentenduparleravant.—C’estqu’ellem’acontactéparcourriel.Ah!J’avaisraisondenepast’enparleravant,jesavaisque
tuneseraispasd’accord!—Parcequetuasdécidéquejeneseraispasd’accord,tunem’enparlespas,cen’estpasunebelle
philosophiedecouple,ça!répondJustine.Onpeutdireque,sit’asdugénieenart,t’enasvraimentpasenintelligenceémotionnelle…
T
4Post-déception
outlepersonneldel’agencedepublicitéaétéconvoquéparElliotdanslagrandesallederéunion,quiaunemagnifiquevuesur lemontRoyal.Assisdansdeconfortables fauteuilsdecuirnoir, lesemployés écoutent leur président, qui leur parle de chiffres, les stimule à donner tout ce qu’ils
peuvent,faitressortirlespointssaillantsdesderniersmois,attireleurattentionsurcertainesstatistiques.Aubeaumilieude la réunion,Elliot fait unepause, regarde furtivementSarah.Puis il passeunemaindistraitedanssachevelureblondeetabondanteavantdeprésenterunnouveauPowerPoint.—Voilà,dit-il,pourcequiestdelanouvellepublicitédelachaînedemagasinsPactout,lacampagnea
coûté centmille dollars, et onvise des retombées qui augmenteraient leur chiffre d’affaires de quinzepourcentdèslapremièreannée.—Etàcombiensechiffre-t-il?demandeSarah.—Deuxmillionsdedollars,plusoumoins.—Passimalpourunecompagniequioffredescartonsd’emballage,laissetomberSarah.Elliot s’attarde un peu plus longtemps que nécessaire sur Sarah. Elle soutient son regard, admire la
facilitéqu’ilaàs’exprimerdevantlesemployés,saforce.Elleserappellelescaressesdesafollenuit,quilafontencorerêver,maisaussileurpremièrerencontredanslestoilettesdelasallederéceptiondumariagedeJustine,lorsquelafermetureéclaircoincéed’Elliotlefaisaitsouffrirlemartyre.Ellepenseàsesparoles:«Imaginezenplusquenoussoyonsmariés,quellebellehistoirepourrions-
nousraconterànosenfants!Commentpapaetmamansesontrencontrés,netrouvez-vouspas?»Elleavaitrétorquéqu’ilavaitsautédesétapesimportantes,alorsqu’ils’étaittarguédepartagerdéjàunsecretavecelle.Puisilluiavaitditdecesserderéfléchirsurtout,l’avaitfaittournoyersurlapistededanseet…satêtes’étaitmiseàtourner,jusqu’àcequ’ellesoitmaladedanslesmagnifiquesplates-bandes.Unsecret,ensemble…Ellenepeutréprimerunsourire.Chezlui,toutluiplaît:sesmâchoirespuissantes,sonnezunpeufort,
sesjambesd’athlète,sesyeuxsiperçants,troublants.Cessouvenirsimprimentdanssoncœurundésordrequ’elletentebienvainementdemaîtriser.Pasqu’elleleveuille…—Pourlaprochaineannée,continue-t-ilenpassantderrièrelesemployésassisàlagrandetableovale,
nous devrons travailler aussi fort etmême plus pour faire face à la concurrence. L’agence Trois-B aobtenudescontratsquenousaurionsdûavoir.Sonprésident,HubertKorniac,veutnousengloutir.Ilnefautpasluilaisserunechanceparceque,lui,nenousenlaisseraaucune.C’estunvrairequin.Ilfautlesurveiller,ilveutacquérirnospartsdumarché.Desyeux,Sarah lesuit.Soncœurbat lachamade,cogneencoreplusfurieusementdanssapoitrineà
mesurequ’Elliotapproche.Enfin,alorsqu’ilpasseprèsd’elle, ilfaitglissersamainsurledossierdesonfauteuil,toucheaupassageunemèchedesescheveuxdorés.— Le contrat de Pactout est important, on l’a eu, mais il faut que la campagne nous démarque
clairement,ilfautdoublernosefforts…Elliotcontinuesondiscours,maisSarahnesauraitdirequelenestlesujet,troppriseparlasensation
queluiprocurecettefurtivecaressedanssescheveux.Ellereconnaîtlechaosquelepatronsèmeenelle,maisn’écouteplussespropos.Ellepenseplutôt à lamaind’Elliot,qui seposerait sur sonépaule,descendrait le longde sonbras,
effleureraitunseinaupassage,legalbedesahanche.Desfrissonsparcourentsoncorps,faisanthérisserses poils. Puis, elle imagine Elliot qui, d’un mouvement subit, la ferait pivoter sur son fauteuil, lasoulèveraitdesesbraspuissants,laserreraittoutcontreluietl’embrasseraitfougueusementpendantqueses mains furèteraient de-ci de-là. Bientôt, la boucle formée par la petite cordelette qui ferme sonchemisier glisserait dans sa loupe, découvrirait au passage la naissance de ses seins. Les agrafeséclateraient l’une après l’autre dans un petit bruit sec, touk, touk, touk. Puis, ce serait au tour de lafermeture éclair derrière la petite jupenoirede subir les ardeursde son assaillant, elle tomberait parterre, entraînerait dans sa chute la petite culotte de Sarah, dans une synchronie parfaite, en un seul etmêmemouvement.Ardeurdudésiroblige.Desesmains,Sarahcaresseraitlesexetendud’Elliotàtraversletissudesonpantalon,puisdéferaitsa
ceinture,baisseraitsafermeture.Enfin,ill’empoigneraitsouslesfessesenlatenantcontresonbassinets’emprisonneraitdansseslonguesjambessatinées.—Sarah!faitNatasha.Sarahestperduedanscefantasmequilaconsumecomplètement.—Saaaaraaaah!lanceencoreNatasha.—Euh…Oui,quoi?répondSarah,embarrassée.—C’esttoutcequeçavousfait?Sarah se rend compte qu’elle a perdu un bout important de la réunion. Elle doit répondre à cette
question.Différentsscénarioss’imposentquijustifieraientquelquemention,honorableoupas,delapartdeNatasha-la-vautour.Merde!Qu’est-cequeçamefait?J’ail’aird’unebelleconne…—Euh…vouspouvezrépéter,s’ilvousplaît?bredouille-t-elle.Suzie-la-chipieéclated’unriremauvaisetditquelquechoseàl’oreilledesavoisine.—Jeviensdevousnommerrecruedel’année!Vousêtesdanslaluneouquoi?Peut-êtrequejedevrais
réévaluerlanomination!—Moi?Recruedel’année?—Oui,vous!Suzie-la-chipie n’en peut plus et crache son venin à sa voisine en sifflant comme un serpent. Sarah
regardeàlarondepourtrouverd’oùvientcechuchotementdérangeant.EllevoitalorsSuzie,sesbouclesqui entourent son visage, sa bouche pincée en un petitO tout plissé.De ses yeux bruns, comme deuxentaillesfaitesaucouteau,ellefixeSarahméchamment.Merde!Lachipie!Qu’est-cequ’ellevaraconter?MaisSuzie-la-chipieadéjàcomprisqu’ilvautmieuxnepasaffronterSarahdevantsonpatronsielle
veutgardersonemploi.Sarahpousseunlongsoupirdesoulagementtandisquesoncœursecalmeunpeu.Elledit:—Merci,Natasha,jesuisvraimentreconnaissante.Lesourcildroitrelevé,méfiante,commeàsonhabitude,NatashascruteSarahdesesgrandsyeuxnoirs
endemi-lune.Ellerenifleunpetitcoupsec,commelescocaïnomanesnepeuvents’empêcherdelefaireàtoutmoment,etlaisseéchapperdesaboucheenformedeparenthèsecouchée,maiscontraireàunsourire:—Vousavezbientravaillé.J’aiétébieninspiréeenvousembauchant.
—Oui,Sarahméritecettemention,reprendElliot,puisque,depuissonarrivéeauseindelacompagnie,ilyaàpeinetroismois,elleaobtenusacertificationGoogle,estalléechercherungrosclientquinouspermettrade fairenotreentréedans lemondede la lunetterie,etenplus,elleadéjàamassésoixante-quinzemilledollarspourlacampagnedefinancementdel’HôpitalSainte-Justine.Onpeutdirequ’elleasusedémarquernettementparsonefficacitéetsonentrepreneuriat.Tous les employés applaudissent, sauf Suzie, qui rage encore plus et qui, le nez plissé, s’acharne à
frottervigoureusementunetachedestyloimpriméesursamain.DeuxmoisontpassédepuiscettenuitmémorableoùElliotetSarahontcouchéensemble.Cettesoirée
pendant laquelleElliot luiaaussi révéléque l’amouravec lui lui feraitperdresonemploi.Unemploidont Sarah a grand besoin puisqu’elle est toujours mère monoparentale. Adam, son ex-mari, estcomplètementsortidesavie,occupéàfolâtreravecdeshommesenEurope.Peut-être.MaisdanslajolietêteblondedeSarah,unproblèmedetailledemeurepuisquelefaitd’avoirgoûtéà
l’amour avec le président de la compagnie l’empêche désormais de le voir uniquement ainsi. Ellen’arrivepasàsedébarrasserdesimagesinsistantesquilabombardent,sansqu’elleleveuille,dansdesmomentsoùellenes’yattendpas.Pasplusqu’ellen’arriveàcomprendrepourquoiilnel’apasavertieavantdefairel’amourqu’ellerisquaitlecongédiementencouchantaveclui.Don’tfuckwiththepayroll!avait-ilconvenuavecsonex.Malgrécemensonge–oucetteomission,c’estselon–,quilesaséparéstoutàfait,Sarahadenouveau
enviedeluiouvrirsesbrasetdel’accueillirdanssesdraps.
—A
5Unepoupéeérotique?
s-tutrouvétapoupéeérotique?demandeJustineenriant.—Biennon,tusaisbien,jedisaisçaàlablague.Jeveuxunamoureux,unvrai,unepetite
famille,répondChloétristement,toutencaressantWilsonderrièrelesoreillesd’unemaindistraite.NichésurlesjambesdeChloé,lechihuahuadeJustineestcouchésurledos,lesquatrepattesenl’air,
etfaitdepetitsbruitsensignedecontentementtandisquelesdeuxdanoisreposentauxpiedsdelajeunefemme.—Rien?PasdenouveauavecSébastien?demandeJustineenprenantunegorgéedesambuca.—Sionveut.Unpeu.Ilestplusgentildepuisqu’ilm’avueavecl’avocatsurlaterrasse,maisonest
loindelademandeenmariage!Jeneconnaismêmepassesparents!—Ah!Leshommes!Ilsréagissenttoujoursquandilssententunemenace,cen’estpasnouveau!Etcet
avocat,ilt’arappelée?—Oui,ilatrouvémonnumérosurlesiteduBarreauduQuébec.Imagine,toutcequ’ilsavaitdemoi,
c’est mon prénom et que je suis avocate. Dans le bottin des avocats, il y a une fonction où on peutrechercher un avocat par son prénom. Il a appelé dans tous les bureaux et il a demandé si l’avocateprénomméeChloéétaitrousseauxyeuxverts.Ilm’arepéréecommeça!—Wow!C’estspécial,ça…—Oui,maisjedoismeméfierd’ungarscommeça.Engénéral,cesonttousdescoureursdejupons.Ils
sonttrophabituésd’avoirtouteslesfillesàleurspieds.Justinereplieunejambesouselleetsecaleànouveaudanslescoussinsmoelleuxdesonfauteuil.Une
chansond’amourdeColdplayjoueensourdine,quitraitejustementdelacouleurdesyeuxdeChloé.Greeneyes,honeyyouaretheseauponwhichIfloat,therockuponwhichIstand…Justines’exclame:—Commec’estbeau!Tul’auras,toiaussi,cethommequitechanteraGreenEyes…Elleestfaitepour
toi,cettechanson!—Unjour,jel’espèrebien…—Ceneserapeut-êtrepasSébastiennicetavocat,quisembleavoirunebellerecettepourtepiétiner
lecœur!—Aveclui,aussibienmesuicidertoutdesuite!—Ah!Parfois,ilyenaquiseconvertissent,faitJustine.—Oui,mais à soixante-quinze ans, dans leur centre d’accueil, alors qu’il n’y a plus que de jolies
petitesvieillesautourd’eux!Puisencorelà,ilsvontendraguerdesplusjeunes!Non,jesuispatiente,maispasàcepoint!CommelamaindeChloésefaitmoinscaressantetoutàcoup,lepetitWilsonagitesespattespourque
sa distributrice de câlins reprenne du service. Le souhait exprimé, et aussitôt satisfait, les ronronsreprennent de plus belle, au grand contentement des deux parties. Attendrie, Justine les regarde. Cesdeux-là,c’estl’amourfou,pense-t-elle.Maiscen’estpascequeChloérecherche…Puiscettedernièredit:
—J’enveuxun,«Trois-C»,moiaussi !AvecSébastien,çanevanullepart,ça faitplusieursmoisqu’onsevoitet iln’apas l’airdevouloir sedécider.Cen’estpasunappeldeplusquivaychangergrand-chose.C’estunéternelado, iln’arrêterapasde joueràses jeuxpourmoi!Hier, justement, j’aiessayé de le faire parler,mine de rien, pour savoir un peu où notre relation s’en va,mais toutes sesréponsesmedisentqu’ilneveutpaspluss’engagerqu’avant.—Oui, il y a des limites à perdre son temps, parfois un petit peu demanipulation ne fait de tort à
personne!—J’aimemanipulerleshommesquandilssontintelligents.Quandilssontstupides,c’estmoinslefun!
Ha,ha,ha!—Tuneseraispasdevenueunpeutropcynique,toi?—Non,jenecroispas.Jemeprotège,c’esttout.—Oui,jesais,jet’agaçais…—T’as pas idée comme tu es chanceuse d’avoir trouvé le bon.Zib estmerveilleux.Moi, je tombe
toujourssurlamauvaisepersonne!—Tul’auras,toiaussi,ton«Trois-C»,c’estjustequ’iln’yenapasàtouslescoinsderue!—Ça,jelesais!Cequiestcurieux,c’estque,mêmesileshommesquej’airencontrésneveulentpas
s’engager,ilsaimentpenserqu’ilssontimportants,quejesuisenamouraveceux,çaleurboostel’ego!—Ohboy!Tristeconstat,maiscombienvrai.Onn’estplusdanslapsycho101,mais1001!—Oui, j’aifaitmesproprestests, l’assureChloé, ils jouentlacartedudétachement,maisilsaiment
sentirqu’ilsplaisentmalgrétout,plusquepourlacouchette,jeveuxdire.—Oui,t’asraison,sinon,ilsiraientvoirunefillesurlarueSaint-Laurent.—S’ilsneveulentpaspayerunlunch, imagines’il fallaitqu’ilssortent leurportefeuillepourbaiser
avecelles!Non,ilspréfèrents’essayer,fairecroireàlafillequ’ilsveulentunerelationetl’avoirgratos!Çanedoitpassedonner,unegonzessesurlarueSaint-Laurentdenosjours!Est-cequ’onauraitça,leurtarif,surGoogle?Justinepouffederire.—Hum,passûre,réplique-t-elle.Ilfaudraitessayer…—Neperdonspasde tempsavecça, c’est sûrementpasànousqueçava servir !Oui, leshommes
d’aujourd’huiveulenttout:lafilleamoureusepourquiilsnepayentrien,commes’ilsvoulaienttoujourss’assurerquequelqu’unlesaimequelquepart!Puisquandonpètenotrecoche,ilsdisent:«Ah,maisjet’avaisrienpromis,ilmesemblequec’étaitclairpourtant.»—Jusqu’àlaprochaine!Mais…poursuitJustine,cethommeàlaPorsche,ilteplairait?—C’est difficile de répondre à ça.Auphysique, oui, quand ilme regarde avec ses grandsyeuxde
velours,sonsourireengageant,sicharmeur,çamedonnejusteenviedem’allonger!Sicen’étaitpasdeSébastien,j’enauraisbienenviedecelui-là,hum…jen’auraispasditnonàlatotale.—Peut-êtrequetudevraislaisserSébastienettentertachanceailleurs,non?—Oui,j’ypensesérieusement.Cetterelationnemèneàrien.Jenepourraispasentrouverunbon,pour
unefois?Est-ceque jedoisallerallumerdes lampionsoumonteràgenoux lesmarchesde l’oratoireSaint-Joseph?—Tul’auras,ton«Trois-C»,tuverras…—Quand,Justine?Quand?J’enpeuxplusdel’attendre!—Hum!Maisquelhasard,quandmême,cetterencontreavecl’avocat!remarqueJustine.—Oui,unbeauhasardmuscléavecdebellesfesses,répondChloéenriant.Pourménagersonpetitcœur,ChloéaimeraitbienfairesiennelaboutadedeCocoChanel:«Unhomme
peutportercequ’ilveut,ilrestequandmêmeunaccessoiredelafemme.»
Et Justine, quant à elle, croit désormais en la phrase fétiche d’Yves Saint Laurent : « Le plus beauvêtementquipuissehabillerunefemme,cesontlesbrasdel’hommequ’elleaime.Mais,pourcellesquin’ontpaseulachancedetrouvercebonheur,jesuislà.»
A
6L’amour,quandtunepeux
plust’enpasser!
uvolantdesavoiture,Brigitteabienentêtelaquestionsoulevéeparsesamies:siellesefaisaitprendre, sonamant laisserait-il sa femmepourelle ?Elle s’interroge, tandisqu’elleva rejoindreChristian, son banquier rencontré chez IGA, à cause d’un accident de paniers autour d’un pot de
moutardedeDijon.Prétexterun souperavec lescopines lui apermisd’aller rencontrer sonamoureuxdanslemotelquiabritetoujoursleursamoursillicites.Inquiète, elle ne peut s’empêcher de regarder constamment dans son rétroviseur afin de vérifier si
quelqu’unlasuit.Dèsqu’ellevoitunevoituresuspecte,c’est-à-direquiressembleàcelledesonmari,elletourne,prenddepetitesruesafindes’assurerquelavoieestlibre.Lireici:qu’ellen’estpassuivie.Jusqu’àmaintenant,toussessoupçonssesontrévélésinjustifiés.Dumoins,lecroit-elle,Jeannes’étant
certespasvantédelafairesuivre.Pourtant, ilsemblebienàBrigittequesonmariestdifférentdepuispeu.Soupçonneuxmême,irait-ellejusqu’àdire.Elleconduitnerveusement,elleahâtederefermerlaportedelachambredumotelderrièreellepour
êtreàl’abridesregardsindiscretsetprofiterdecemoment,pourellesifabuleux,voléàl’ennuimorteldelacagedoréefamiliale.Aufeudecirculation,ellejetteunderniercoupd’œilinquietavantdetournerdansl’entréedustationnementdumotel.Malgrésonsentimentdeculpabilitéàl’égarddeJean,etdesesdeuxfils,aussi,ellenepeuts’empêcherdecourirrejoindresonamantdèsqu’ellelepeut.Oh!Gosh!Brigitte,tut’esfaitavoirpasàpeuprès,tevoilàenamouravecluimaintenantettune
peuxplust’enpasser!Il est vrai que Christian, avec son petit air de banquier sérieux, imposant, ses lunettes stylées qui
encadrentsesyeuxbleuacier,seshabitscoûteuxàlacoupeparfaite,donneàBrigitteunboostérotiquerienqu’àleregarder,l’allumeautantqu’uneétincellejetéedansdelapoudre.EllesegaredevantlaréceptiondumotelqueChristianadésormaisadoptécommelieuderencontre,
puisqu’ilestbeaucoupmoinscherqueleReine-Elizabeth,oùilavait,ons’ensouviendra,attendubienvainementBrigitte lorsdeleurpremierrendez-vous.Detoutemanière,cemotelfait trèsbienl’affaire,puisqu’ilssontsioccupésparledésirquilesfoudroieàtoutcoupqu’ilssefichentcarrémentdudécor.—Chambre203,luiditChristianautéléphone.—Jesuislà,répondBrigitte,j’arrive,monamour!Toujours aussi nerveuse lorsque vient le temps de sortir de sa voiture, Brigitte coupe le contact,
s’extirpeduvéhicule,puiss’engouffredanslemotel.Unechancequecen’estpasmoiquidois louer la chambre, jemourraisdehonte sur la carpette
devantl’employée!Ellesedépêchedonc,toutheureuseàl’idéederencontrerl’hommequ’elleaime,maisaussil’homme
desestourments.Àquielledoitposersapetitequestion.Oh!Gosh!Brigitte,pourquoias-tuachetédelamoutardedeDijoncejour-là?Tunesavaispasque
çapouvaitêtredangereux?Stupidyou…Devantlenuméro203,ellefrappevite, tellementelleest impatientedeseretrouverdanslesbrasde
sonamant.—Brigitte!s’exclameChristianaussitôt.—Tum’astellementmanqué,murmureBrigitteamoureusement.—Toiaussi,tum’asmanqué!Puis, sans attendre, et avec sa fougue habituelle, il dégrafe le soutien-gorge de Brigitte, cherche
habilementlafermetureéclairquiluipermettradeluiretirersajupe.Enunriendetemps,ellesetientnuedevantChristian.Desoncôté,Brigitteledéshabilleàsontour,nepeuts’empêcherd’embrassersoncorpsaufuretàmesurequ’elledécouvreunbrindepeau.—Tumefaiscraquer,j’aitellementenviedetoi!parvientàdireChristianentredeuxbaisers.Viens!
Étends-toisurlelit,jeveuxteprendrelà,pourlapremièrefoisdumoins,ajoute-t-il,l’aircanaille.Brigittes’allongealorsqueChristianlaregardequelquessecondesafindeprofiterunpeudelavuede
cecorpsqu’iladoreetqui luiestoffertsurunplateaud’argent,ousurun lit,c’estselon.CesminutessemblentbienlonguesàBrigitte,quibrûledel’accueillirenelleuneautrefois,pourqu’illuiappartienneunpeumalgrétout.Peut-être…Christianaimetoutchezelle.Sesseinstoutneufs–mêmes’ilsnesontpasnaturels–,lefontfrémir,ses
lèvrescharnues, sesyeuxnoisetteauxrefletsdorésetchatoyants, lacouleurdesescheveuxdésormaisplusfoncée,qu’elleaadoptéepourluiplaire.Etbiensûr,soncorpssimince.Iln’estpashommeàpréliminaires,aussis’empresse-t-ildelaprendrelà,sansattendre.Brigittenese
formalisepasdecemanquement,cetoubliquipourtantfaitl’objetdetantderécriminationsdelapartdesfemmes,tropdésireusedesentirenfinChristian,toutauchaud,bienenfouienelle.Aprèsl’amour,Brigittecollesatêteamoureusementsurl’épauledesonamantettenteunepercéequi
amènera la conversation vers la question qu’elle veut lui poser et dont ses copines lui ont soufflé lestermes.Ellecommencedoucementpourleconduirelàoùelleveutenarriver:—Commentçasepassecheztoi?Christian,quinevoitpasnécessairementdevasescommunicantsentresesdeuxfemmes,sesdeuxvies
enparallèle,ensomme,détestecesconversations.Commelaplupartdeshommes.—Bien…queveux-tudire?—Est-cequetafemmeadessoupçons?—Les femmes ont toujours des soupçons de toute façon ! répondChristian, pensant faire ainsi une
subtilefuiteenavantet,dumêmecoup,esquiverlaquestion.MaisBrigitte,tenace,neselaissepasdésarmerpourautantetneluipermetpasdes’échapperdecette
discussionquiluisemblenécessaire.Dumoins,depuisquesesamiesluiontparlé.—Tuarrivesàfairecommesiriennes’étaitpassé?reprend-elle.—C’estdifficile,c’estcertain,répondChristian.Brigittetendl’oreille,enattented’unesuitequinevientpas.—C’esttout?—Bien…oui.Ettoi?fait-ilpoursedéfiler.—T’aspenséàt’inscrireàuncoursdeconversation?demande-t-elle.LegroupeDaleCarnegieoffre
uneformationcemois-ci!BrigittesedétachedeChristian,s’appuielajouesursamain,alorsquelespenséesdesonamantsont
ailleurs.—Tuasdebeauxseins,ditChristian.Incrédule, Brigitte s’assoit sur le bord du lit, pose ses pieds sur le sol, fait la moue. Comme elle
aimerait échanger avec lui commeelle le fait avec ses amies !Mais il répond toujours à cegenredequestions avec unminimum demots, qui n’incitent pas à continuer la discussion. Avec des réponsescommecelles-là,ellesaitbienqu’ilestvaind’essayerdeluidemanders’ilquitteraitsafemmepourelle.—Moi, je trouveça trèsdifficile, j’aienviede toutavoueràmonmari, lâche-t-elle, la têtebaissée,
histoiredeleprovoquerunpeu.—Nefaispasça!s’empressededireChristian.Brigittetournelatêteverslui,leregardeensilence,l’espacedequelquessecondes,quisemblentdes
minutesàChristian.—Est-cequetum’aimes?demande-t-elle.—Biensûrquejet’aime,machérie,larassure-t-ilaussitôt,ens’assoyantdanslelitderrièreellepour
l’enlacer.Hé!Pourquoicrois-tuquejesuisici,sinon,hein?Il la saisit par la taille, puis il l’embrasse dans le cou tout en la cajolant.Brigitte est songeuse. La
réponse obtenue est loin de la satisfaire.Elle voudrait entendre qu’il l’aime à la folie, est prêt à toutlaisserpourelle.— Allons, murmure Christian, ne fais pas cette tête ! Mais qu’as-tu ? Tu sais bien que je t’aime,
voyons…Jetel’aidéjàditmillefois…—Non,aucontraire,tumeledisrarement.—Maisassezdefoispourquetulesaches,non?—Alors,répète-le-moi,susurreBrigitte.EtcommesiChristianavaitentenduledésirsecretdeBrigitte,ildit,enlarenversantsurlelitpourla
prendreànouveau:—Jet’aimecommeunfou!
A
7Letoyboy
prèsune journéeharassanteaubureau,priseentreNatasha-la-vautouretSuzie-la-chipie,Sarahserendchezsamèrepourycherchersespetites.L’écoleacommencé,maisilarrivequ’AnnieaillelesprendreauservicedegardelorsqueSarahprévoitfinirplustardqu’àsonhabitude.Lagrand-mère
s’acquitte de sa tâche avec grand plaisirmême si elle est très occupée avec Jocelyn, son toy boy auventresculptécommeuneCaramilk.Parailleurs,AnnieestsiépanouiequeSarahacessédes’inquiéterpourelle.Décidément,letoyboyluifaitleplusgrandbien!—Ah!Sarah!s’exclameAnnie.Entre!NoussommesausalonentraindejouerauGameBoy.—Unechanceque tune jouespas au toyboy,maman ! nepeut s’empêcher de répliquer sa fille en
rigolant.—Trèsdrôle!rétorqueAnnie.Sarah sourit. Annie la surprendra toujours. Les petites disent un bonjour distrait à leurmère, en ne
laissantpasleurjeupourautant,tandisqu’AnniereprendsaplaceàcôtédeLéa.Sarahremarquequesamèresembletroublée.—Çava,maman?s’enquiert-elle.—Oui,oui,çava,répond-elle,d’unevoixquineconvaincraitpersonne.—Tu veux en parler ? demande Sarah, en regardant vers ses petites, qui roulent des yeux, croyant
qu’ellesvontencoreêtremisesdecôté.—Non,pasbesoindevousenaller,meschéries,ditAnnie.—Hum…c’estJocelyn,hein?continueSarah.—Onenparlerauneautrefois,veux-tu?Ça,çaveutdirequec’estJocelyn…—Situpréfères,maisjesuislà,quandt’aurasenvied’enparler.Onestamies,non?—Oui,amies,maiscen’estpaslemoment.—Appelle-moicesoiralors…—Non,cesoir,j’aiautrechose,répondAnnie,sansendireplus.Sarahnoteunehésitationdanslavoixdesamère.Detouteévidence,elleneveutpasdiscuterdesavie
amoureuse.Décidément,iln’yarienàentirer.Jelaconnais,lorsqu’elleprendcetair,ilyaquelquechosequi
nevapas.Jelesavaisqueçaallaitarriver,çanepouvaitpasdurer,cettehistoiredefous!—Allez,lesfilles!dit-elle.Onretourneàlamaison!—Mais,maman,onestentraindejouer…—Allez!Ilesttard,ilfautpartirmaintenant,ilrestevosdevoirsàfaire.Lalippeboudeuse,lesjumelleslaissentleurjeuetvontenfilerleurmanteau.—Ettoi,s’informeAnnie,pendantquelespetitessepréparent,çava?Tapatronnen’apasété trop
chianteavectoiaujourd’hui?—C’estunemaladie incurablechezelle !Ellen’estvraimentpas reposante ! Il faut toujoursque je
fasseattentionàtoutcequejedis,toutcequejefais,ondiraitqu’elleesttoujoursderrièremoi,etça,c’estsansparlerd’unecollèguequim’enveutparcequec’estmoiquiaiéténomméerecruedel’année.Déjàqu’unretourautravailn’estpasfacile,disonsquejen’avaispasbesoindeça,laissetomberSarahdansunsouffle.—Tudevraistetrouverautrechose,aulieud’êtrepriseentredeuxharpiescommeça,dontl’uneest
l’exduprésident,qui tedonnedebeauxcadeaux, t’envoiedesbâtonsdegolf,comment tuappellesçaencore?Bing?—Non,Ping,maman.Penseàping-pong.—Bon,peuimporte,faitAnnie,c’estpasmalcompliqué,tonaffaire,puistoutecettetensionn’estpas
bonnepourlasanté.Tusais,continue-t-elle,monamieGuylaine,elleavécudustresstoutesavieparcequ’elleétaitcertaine…—Maman…—Non,laisse-moifinir,oui,elleétaitcertainequesonmarilatrompaitavecuneautrefemme,alors
qu’ilallaitenfaitjouerauxcartesavecsesamisencachetteparcequ’ellen’aimaitpasça.Elleaperdusavieàlesoupçonnerd’infidélitépourrienetelleestmorted’uncancerdel’estomac.C’estpasbon,toutça…—Jen’aipaslechoix,ditSarah.Cen’estpasévidentd’êtreembauchéedansuneboîtequandtun’as
pasd’expérience.Unefoisquejel’auraiacquise,là,jepourraipostulerailleurs.Net’enfaispaspourmoi,maman…—Maisjenem’enfaispasdutout!répliqueAnnieaussitôt.Bon,j’oubliaisencore,ellenes’enfaitpasparcequ’ellesaitquejesuisforte!Respireparlenez,
Sarah,çavautmieux…—Tuessiforte,Sarah…Maisnecomprends-tupasmonmessage?—Quelmessage?Qu’est-cequej’aiàvoiravectonamieGuylaine,dis-moi?—C’estsimpleàcomprendre,ilmesemble.Tellementsimplequejenevoisvraimentpas…—Pardonne-lui,faitAnnie.Tul’aimes,cethomme,c’estécritdanstaface,etça,tunepeuxpaslenier,
unemèrevoitcesaffaires-là,lessent.Tuperdstavieànepasluipardonner,commeGuylaineaperdulasienneàlesoupçonner…—Mais,maman…C’estpasletempsdeparlerdeça,lespetitessontjusteàcôté.D’ailleurs,LéaetCamillesontderetour,lemanteausurledosetleursacàdosroseenformedetortue
surleursmenuesépaules.—Bon,tuvois,c’estjamaisletempsavectoinonplusdeparler,alorsnemelereprochepas.Onest
topsynchro,ondirait!—Façondevoirleschoses,répondSarah.Camilles’impatienteetdemandesiellespeuventyaller.Sarahrépondqueoui,qu’ellespartirontdans
uneminute.Enrefermantlaporte,elleditàsamère:—Jecomprendsquetun’aiespastropenviedeparlerdecesujetavecmoi,maisappelle-moicesoir,
situveux,jenetereprocherairien,promis…AlorsqueSarahestsurleperron,elleaperçoitJocelynquisedirigechezsamère,l’airsoucieux,lui
aussi.Bon,j’avaisbiendeviné,çanevapastropfort!Ilseprépareunefaced’enterrement,maisaufond,
ildoitêtretoutcontentd’enavoirtrouvéunedesonâge…oudemonâge!Arrivée à sa hauteur sur l’étroit sentier qui mène chez sa mère, elle s’apprête à le saluer, mais il
continuesonchemin,têtebaissée.Visiblement,ilneveutpasluiparler.Elleluilancequandmême:
—Faisattentionàmamère,hein,c’esttoutcequejetedemande.Letoyboyneréagitpasplusàcettemiseengardeetcontinuesansseretourner.Décidément,c’estcompliqué,l’amour!Merde!Etàtoutâge!Là,c’estmamèrequiauralecœuren
miettes,etc’estmoiquidevrailaremonter,commejel’avaisprédit.Disonsquejen’avaispasbesoindeçaenplus…Danslavoiture,Sarahdemandeauxfillettesdebouclerleurceinture,maisellepenseàsamère.Une
crainte la taraude. Et si cette rupture amenait samère à faire une dépression ? Elle se promet de larappelerplustard.
—J
8Villelumière,oupas?
esuisdésolé,ladernièrechosequejeveux,c’esttecauserduchagrin,ditZib,entirantsurlalaisse deCastor, pour fairemarcher le grand danois au pas alors qu’il s’agite à la vue d’un
écureuilgrassouillet.—Jen’osaispast’enparlerdepeurderéveillertoutça,répondJustine,quitientd’uncôtélalaissedu
petitWilson et de l’autre, celle dePollux.Au fond demoi, j’espérais que tu avais abandonné l’idée,poursuit-elletristement.Zibprofited’unepromenadeaubordducanalLachinepourrevenirsurcetteconversationquiacréé
leurpremièredispute.—Chérie,si jen’yvaispas,j’ail’impressionquejevaistoujoursleregretter.J’aipeurdepasserà
côtédequelquechosed’essentiel.Viensavecmoi,Lucpourraitgarderlagalerieuntemps.Onl’essaie,etsiçanemarchepas,onrevient,c’esttout!—Magalerieme tient tropà cœur,Zib, tu le sais, c’estmoiqui l’ai sauvée.Et toi, pourvivreune
nouvelleexpérience,tumedemandesdetoutlaisserçaenplan.Réalises-tulesacrificequeçareprésente?—Oui,c’estcertain,maisj’yvoispleind’opportunitésaussipourtoi.OnpourraitresterchezZoé,tu
t’entendsbienavecmasœur.—Là n’est pas la question,Zib, jem’entends bien avec elle,mais ça ne veut pas dire que je veux
habiterlà-bas.—Etsionessayaitunmois,justepoursefaireuneidée,aprèsondécidera,tagaleriepeutbienattendre
untoutpetitmois,non?—Hum,c’estquej’aipristellementdejournéesdecongépourpréparernotremariage,enplusdenotre
voyagedenoces…JenepeuxpastropendemanderàLucnonplus,onestdébordésànousdeux,etpuis,onnepeutpaslaissertoutseull’étudiantqu’onengagelesweek-ends,iln’enconnaîtpasassez.—Peut-êtremêmequeLucvoudraitachetertagalerie,onnesaitjamais…—Maisjeneveuxpasvendre,Zib…—Justine…jeneveuxpasyallersituescomplètementferméeàl’idée.Dansuncouple,ondoitêtre
deuxàseréaliser,non?—Oui,ça,c’estvrai,reconnaîtJustine.MaissionvaàParis,c’estmoiquilaisseraitouttomber.—Sophie t’ouvriraaussi son salon, tuy feraspleinde rencontresenrichissantes, tuconnaîtrasplein
d’artistes,tul’adoreras,tuverras!Tuneconnaispaslemilieulà-bas,bien…jeveuxdire…tuconnaisdesartistes,maispasautantqu’elle,elleestnéeàParis,c’estunearistocrate,elleconnaîttouslesgensimportants,ellepourranousprésentertoutlemonde.—Oui,çasembletrèsintéressanttoutça,jel’admets,maissitun’aimespasçaetque,moi,j’aitout
vendu?Justine s’assoit sur lebancdeparc, ramasse lepetitWilsonpour lemettre sur sesgenoux,mais fait
coucherPolluxàsespieds,bientôtimitéparCastor.Ellemordsesbelleslèvrespournepaspleurer,sesyeuxsevoilent,elleretientleslarmesquimenacentdes’échapper.
Zib s’assoit près d’elle, prend son visage dans samain, la force à le regarder droit dans les yeux,repousseunemèchedecheveuxetdit:—Chérie,crois-tuque j’ai toutoublié,notremariage,nosvœux?Je t’aimevraiment, tusais.Paris,
c’estuniquementpourletravail,c’estunechancequej’aidansmavie,là,maintenant,peut-êtrequeçanesereproduirajamais.Regarde,jepeuxyallerunmois,ensuite,tuviendrasmerejoindreunesemaine,tupeuxprendrecongé,non?Etaprès,ceseramoiquiviendrai,c’estunesituationtemporaire,jesaisquecen’estpasdrôlepournousdeux.DegrosseslarmescoulentmaintenantsurlesjouesdeJustinequ’elleneretientplusetessuiedurevers
desamain.—Tuvastellementmemanquer,fait-elle,lagorgenouée.Jenesaispassijesauraivivresanstoi.Je
t’aimeetjeveuxvivreavectoiaujourlejour.Ellequicroittantàsontalent,commentpeut-elles’opposeràcequ’ilprofited’unetellechance?Paris,
c’estloin,maisilyaplusloinaussi.Unsautdansunavionlesoiret,lelendemainmatin,onyest.Ziblaregarde,tristeluiaussi,puisildit:—Ah!Oublietoutça,machérie!Jedétestetevoirainsi,jeresteraiici,n’enparlonsplus!—Oui,maiscetteSophieneserapastoujourslà…—Non,mais cen’est pasgrave, je gagnebienmaviequandmême.Arrêtede t’en faire avec ça et
souris-moi!Viens,rentronsàlamaison!Jet’aifaitassezdepeinecommeça.ZibprendlepetitWilsonsurlesgenouxdesamaîtresse,ledéposeparterre,puisiltiresurleslaisses
pourfaireleverlesgrandsdanois.Desamainlibre,ilprendJustineparlesépaulesetlaserretoutcontrelui.—Allons,nesoispastriste,ajoute-t-il,rentrons,jesuisunvieilégoïstestupide.—T’asraison!ditJustineensemouchant,riantetpleuranttoutàlafois.Ziblaserreencoreplusfortdanssesbrasetdit:—Jet’aime,tusais…—Moiaussi,jet’aime,répondJustine.
L
9Lecanicheroyal,
unmétrosexuel?Ohboy!
equatuorestdenouveauréuni,maiscettefois-ci,danslenouveaucondodeJustineetZib,quiestbeaucoup plus spacieux que le précédent. Lesmurs sont recouverts demagnifiques tableaux, dessculptures trônent ici et là, dont une femme de Loth, que Justine a de nouveau achetée, pour lui
rappelerquec’estgrâceàellequ’elleesttoujoursalléedel’avantetqu’elleaenfintrouvélebonheuravecZib.—Est-cequetonbelavocatàlaPorschet’aappelée?demandeBrigitteàChloé.—Oui,ilm’ainvitéeàsouper.—Etqu’as-tudit?demandeSarah.—J’airefusé.—Pourquoi?Unsoupern’engageàrien,faitJustine.—Sébastienestquandmêmeencoredansmavie,etilestvraimentplusgentil.Hier,justement,ilm’a
proposéqu’onpasseleweek-endprochainàTremblant.Ilnem’ajamaisoffertçaavant.—Ilsentlasoupechaude,celui-là!lanceBrigitte.Attention,mabelle,tuvasavoirlesdeuxsurledos
maintenant!—Cequejeveux,c’estunhommeloyal,fidèle,quim’écoute,meprotège,ditChloé.—Maisprendsunchien!s’exclameBrigitteàlarigolade.—Unchien?répèteChloé.Tuesdrôle,toi!—Oui,jetrouvequ’ilsonttouteslesqualitésqueleshommesn’ontpas.Biensûr,ilyatoujoursdes
exceptionsquiconfirmentlarègle.Lesfilless’esclaffent.—C’estvraiqueleschienssontfidèles,renchéritJustine,nousaimentdefaçoninconditionnelle,nous
donnenttoutel’attentiondontonabesoin,puisenplus,onnesedemandejamaisoùilssontpuisqu’ilsnesortentjamaissansnous!Maismoi,j’aitrouvémonchic-chèque-choc,àvie!Etdeschiens,j’enaidéjà!Jesuiscomblée!—Oui,tuesvraimentchanceuse!Moi,jen’ainil’unnil’autre.Detoutefaçon,pourlechien,jefaisde
trop longues heures, il s’ennuierait, dit Chloé, en caressant le petitWilson, qui, dès qu’il l’aperçoit,s’empressed’allerlatrouverpoursefairecajoler.Justine étire ses jambes, les pose sur le pouf devant le canapé du salon, et revient à la charge
concernantl’achatd’unanimal.Ellepensequeleprojetnemanquepasdesens,disons,pastotalement,etelleproposequelquespistesdesolutionàsonamie.Chloéfaitunemouedubitativeet,reprenantl’argumentdeseslonguesheuresdetravail,elleconclut:—Ceneseraitpastropgentilpourlui.—Tu pourrais engager quelqu’un qui viendrait le promener le jour, commemoi, je le fais, déclare
Justine.Peut-êtremêmequemonpromeneuriraitaussicheztoi!Unelueurd’espoirgermedanslatêtedeChloé,quin’avaitjamaisentrevulapossibilitédeposséderun
chien.Plusçava,plusl’idéed’avoirsonpetitanimalbienàellel’enchante.
—Viens!OnvaallervoirsurInternetlaracedechienquiteplairait.ChloéprendlepetitWilsondanssesbrasetemboîtelepasàJustine,suiviedesautres,quisedirige
verslacuisinepourprendresoniPad,restésurlecomptoir.—Danslecasd’unhomme,onleveutgrandetbienbâti,maispourunchien,cen’estpaspareil.Tuen
voudraisunpetitouungros?demandeJustineenriant.—Petit,genretroiskilos,répondChloésérieusement,carilyvadesonfuturchienaprèstout!—Bon,onenéliminebeaucoup.T’asuneidéeentête?—UnchihuahuacommeWilsonmeplairaitbien,unbichon,ouencore,unyorkshire.SurInternet,Justinetrouveunsitesurleschiens.Chloés’extasiesurtoustandisquelesautresémettent
àquimieuxmieuxleurscommentairessurchacun.Chloésedemandebiencommentchoisirentretoutescesirrésistiblesbinettes.—Tuvasvoir,ditJustine,quandonestsurplace,ilsepassequelquechoseennous,ondiraitque,àun
moment donné, onne sait pas troppourquoi,mais on a la conviction que c’est celui-là qu’on aime etqu’onveut.Etparfois,tuverras,c’estmêmeluiquiteferasigne!Chloépenchelégèrementlatête,songeuse,alorsqueWilson,lesyeuxrivésàl’écran,inclineaussison
adorabletête,commepoursignifier:«Hé!J’aimonmotàdire,c’estdemonamiequ’ilestquestion!»Enfin,amiE,espère-t-il(etaveccertainsbénéfices,celavadesoi).Justine, qui les regarde tous les deux, pouffe de rire. Chloé et Wilson se tournent vers elle, se
demandantcequilafaittantrigoler.—Regarde celui-ci, un petit yorkshire, ditChloé, attendrie. Peut-être que je pourrais l’emmener au
bureauaussiàl’occasion.Ilyadesjournéesoùjenefaisquedelarecherche.Jepourraisluiacheterunpetitpanierquejelaisseraisàcôtédemoi.—Unyorkshire,c’estsimignon!s’exclameJustineentapantdesmains.—Oui,maisleproblèmeavectoi,c’estquetulestrouvestousmignons,ditSarah,mêmelespluslaids
!«Wouf ! » faitWilson en agitant la queue, tout heureux, attirant l’attention deCastor et Pollux, qui
lèventbientôtlatêtepoursavoircequisepasse.Devantl’écran,Chloésepâmedenouveau:—Regardezcecanicheroyal!C’estbeau,hein?—Onn’estpasdanslamêmecatégorie,onpasseauxgrostoutous,là.Lecanicheroyal,c’estplutôtun
genremétrosexuel,déclareJustine.Etc’estcommeunhomme,çacoûtetrèscherde«poupounage»!Lesfilleséclatentderire.—Etlebergerallemand?demandeChloé.—Hum…faitBrigitte,lebadguy,tunepourrasjamaistefieràlui.—Etlebeagle,regardezlesfilles,ditChloé,ilal’airsidoux,cechien!—Non,non,non,ilnefautpastefierauxapparences,ditSarah,lebeagle,c’estlechasseur!Dèsque
t’aurasledostourné,ilvaallercourailler!—Oh!Regardezcelévrier,s’exclameJustine.Delagrandeclasse,hein?—Oh!Lagrandeclasse,maispastropsnob?demandeSarahens’esclaffant.—Ah!MonhommeàlaPorsche,c’estunlévrieralors,ilaunpetitcôtésnobinard…—EttonSébastienestunchiotdetroismoisquiveuttoujourss’amuser!faitBrigitte.—Ha,ha,ha!fontlesfillesenchœur.
P
10Qu’ilfaitbonêtredésirée!
romuedans sesnouvelles fonctionsde spécialiste enpublicité internet,Sarahnemanquepaspourautant de s’occuper de sa campagne de financement pour l’Hôpital Sainte-Justine, malgré tout letravailquecelaimpose.
Malgrélestermesdel’accordavecElliotquiontchangé.Malgrélefaitqu’ellen’aitplusvoululerevoirendehorsdubureau.Malgrélefaitqueleprojetdel’hôpitalsoitnélorsd’unjeu,cettenuitfolleoùilsontfaitl’amour.L’objectif de centmille dollars étant atteint,Sarah travaillemaintenant à le doubler.Elle regarde sa
montre:Deuxheuresdéjà!Zut!Jedoisyaller!Ilfautquejegardemonsang-froidetquejefassecommesi
derienn’était.Ilnedoitpasvoirqu’ilmefaitencoredel’effet,celui-là!Jenepeuxmepermettredeperdremonemploi!Sarahselève,sortdesonbureauenvitesseetarrivefaceàfaceavecnonseulementSuzie-la-chipie,
maisaussisoncafé!Sous lecoup, laboissonchaudeéclabousse larobedeSarah,bienqueSuzie-la-chipies’ensorteindemne.—Excuse-moi,minaudecettedernière,quiprendsaserviettedetablerougepouressuyerlarobebeige
deSarah,ensedisantbienhypocritement«un-zéropourmoi!»N’étant pas dupe de sa fausse gentillesse, Sarah repousse samain aussitôt. Sa collègue lui en veut
encoreplusdepuisquelanouvellevenueaobtenulepostetandisqu’elleahéritédelaréception.Merde!Jen’aipasletempsd’allermechanger,etjerencontreenplusunclientaprèsmonmeeting
avecElliot.Cen’étaitvraimentpaslemoment!—Mais…que vous est-il arrivé ? s’enquiert Elliot dès qu’il aperçoit la robe de Sarah aux teintes
variéesdecafé.—Ah,vousn’aimezpas?demande-t-elle.C’estlanouvellemode,commelestestsdeRorschach!—Untestdequoi?faitElliot.— Rorschach, ce sont des taches qu’on montre aux patients ! On s’en sert pour faire l’évaluation
psychiatriquedesgens.ElliotregardelarobedeSarah,sceptique.—Parexemple,quevoyez-vouslà?l’interroge-t-elle,endésignantunetache.—Hum!Çamesembleêtredeuxratsentraindedévorerunesouris.Sarahhausselesépaules,regardeversleplafondetdécrète:—Unconseil!Vousdevriezconsulterunpsyauplusvite!Elliotpouffedesongrandriresicaractéristique.—Ha,ha,ha!—Bon,autravail,lesconsultationspsychiatriquesnesontpasgratuites!s’exclameSarah.C’estdepuispeuqueSarahs’estremiseàbadineravecElliot,malgrétousleseffortsqu’ilafaitspour
seracheter.Munie de son iPad, elle lui donne un rapport détaillé sur l’avancement de sa campagne. Elliot est
visiblement impressionné.Sarah,quienoubliesarobetoute tachée,discutedenouveauxprospects,denouveauxclients,selève,serassoit,argumente,elleestabsorbéeparsaprésentationlorsqu’elleserendcomptequ’Elliotestbiencalédanssonfauteuildeprésidentetqu’illaregardeintensément.Commelafoisoùilétaitvenusouperchezelle.Undouxvertiges’empared’elle,puisellesemetàbafouiller:—Deuxcentsdollars,c’estfaisable,d’ici…euh…bien…s’enliseSarah.Deuxjours…euh…deux…—Oui ? fait Elliot, amusé par la tournure des événements. Deux cents dollars, c’est peu, non ? la
taquine-t-il.—Euh…Deuxcentmilledollars,jeveuxdire,pardonnez-moi,bredouilleSarah,quivouvoietoujours
Elliotautravail.Detoutefaçon,ellen’ajamaisrevuElliotautrementdepuislanuitoùilsontfaitl’amour.—Voussavez,déclareElliot,quej’auraisfaitunexcellentécrivain?—«Vousauriez»,Dieumerci,vousneprétendezpasêtreMolièretoutàcoup!Qu’est-cequ’ilvamesortirencore,celui-là!—Non,plutôtDostoïevski.—Hum!Jen’étaispasloin,riendemoinsqu’undesgrandsgéniesdela littérature,quoi!Toujours
aussimodeste,àcequejevois!—C’estL’Idiotquej’auraispuécrire…—JepensequevousauriezpuaussiécrireLeJoueur,ilnefautpasoublierceromanquiaétéunde
sesplusgrandssuccès,non?— Alors là, touché, fait Elliot. N’empêche que votre M. Ror-machin-truc réglerait bien vite ce
problèmeetpourraitvousdiremespenséessecrètes…Malgréseseffortspoursedétacherd’Elliot,Sarahnepeutréprimerledésirquil’obsèdedèsqu’elle
baisselagarde.Ah!C’estsibondesesentirdésirée.Etparlui,hum…Commeonétaitbienensemble,cesoir-là…Etl’hommeétanthomme,aulieud’êtrerefroidiparladistancequeSarahamiseentreeux,Elliotest
séduitparsesréponses,sonhumour,quinefontqu’attisersondésirdavantage.Sic’estpossible.Maissurtout,lefaitd’avoirgoûtéàl’amouravecSarahl’arenduencoreplusamoureux.Ilneveutpas
qu’elle perde son emploi à cause de lui,mais enmême temps, il ne peut résister à l’attrait qu’elle atoujoursexercésurlui,etce,dèsleurpremièrerencontre.C’estcommeungrandmouvementqu’ilnepeutfreiner.Sarahsesentsurunterrainglissantetrevientsurlesujetdeleurréunion.Etjusteàtempsd’ailleurs…—Toutestréservé,dit-elle.OnvainstallernostentesdanslesécuriesducircuitGilles-Villeneuve.Ce
seraunquarante-huitheuresdecourseàrelaisenvélo,onvaorganiserdestourspourserelayer.Ilfautquechaquecompagnieait toujoursquelqu’unsurlapiste, jouretnuit,enplus, j’aidescommanditairespourlabouffe.Espéronsjustequ’ilneferapastropfroid.Époustouflédevantl’envergurequeprendsonprojet,Elliotenoublielarèglequ’ilalui-mêmeédictée
quantàlavouvoyersurlelieudetravail.Ildit:—Jesavaisquejepouvaismefieràtoi…—Tulatutoiestoutàcoup?ditNatasha-la-vautourenentrantdanslebureauetenlesdévisageantl’un
etl’autredesesgrandsyeuxsuspicieux.
F
11Laquestionquitue…
raîchement coiffée,Brigitte entre en coup de vent dans son condo.Elle est seule, les enfants sontpartisausocceretJeanlesaaccompagnés.Arrivéedanssonwalk-in,elletâtonnederrièredesboîtesempilées,oùelleal’habitudedemettrelesdessousqu’ellegardeexclusivementpourChristian,ety
dénichesondernierachat.Ceux-là,ilvalesremarquer!Ellemetlaculottebrésiliennesisexy,enfiledesbasqu’ellefixesursesjarretelles,puismetlesoutien-
gorge rose légèrement transparent qui laisse voir ses mamelons à travers le délicat voilage. Elle seregardedanslemiroir,setrouvetrèsaguichante.Ilnerésisterapasàça.Enfin,elleprendunebouteilledeparfumsursacommode,lapassesoussonnez,changed’idéeeten
saisituneautre.Oui,Boucheron.Christianadoreceparfum.
***
Poursoulignerl’anniversaireduquatrièmemoisdeleurrencontre,Christian,voulantcélébrerengrand,aachetéduchampagneHenriotBlancdeBlancs,eta louéunechambredansunbelhôtel. Ilchantonnemaintenant des bribes de la chansonWe are the champions, tout en se pavanant comme un paon enattendantBrigitte.Ilsesentd’attaque,prêtpourlagrandevirée,quoi!Commeàsonhabitude,dèsqu’ilpénètredanslapièce,ilouvresoigneusementlesdrapspournepas
avoiràlefairedanssonempressement,caraussitôtqu’ilvoitBrigitte,uneviolenteenvied’elles’emparedelui.Ilsedirigeverslepetitbuffet,sortdescoupes.Pourmieuxcélébrerencore,ilalouéunechambreéquipéed’unebaignoireàremous.Ilcommenceàfairecoulerl’eau,ajustelatempératureenfonctiondutempsd’attente:uneheurepourlapremièrebaise,estime-t-il.Brigitte le rejoint bientôt.Malgré ses longs préparatifs, elle estmoins joyeuse queChristian, car sa
petitequestionluibrûleencoreleslèvres.Ellen’apasenviedegâchercettefêteavecunemiseaupointquirisquededéplaireàsonamant.Avectoutlemalqu’ils’estdonné,cemomentn’estpaslebon,etellelesait.Un homme qui donne veut de la reconnaissance, il n’a pas envie de se faire entraîner dans une
discussion.D’ailleurs,qu’ildonneoupas,iln’enajamaisenviedetoutefaçon!Maisvoilà,ellenepeutcontinuercetterelationainsi,nesesentantbiennid’uncôténidel’autre.Lui
esttoutàsondésiretnevoitmêmepasleshésitationsdesamaîtresse,ignoranttoutdesquestionsquisepressentdanssonesprit,tropabsorbéparl’idéedesetrouverenfinenelle.Ildit:—Commej’aienviedetoi!Tumerendsfou,Brigitte!Etsansluilaisserletempsderépondre,ildéfaitsesbeauxcheveux,quelecoiffeuravaitmisunsoin
infiniàplacersouslesdirectivesdeBrigitte.EllevoulaitqueChristianla trouvejolie, irrésistible,en
somme,etqu’ilaitenviedeluifairel’amourpassionnément.Cequ’ilfaitàtoutcoup.Maisellen’auraitpasà investir autantd’efforts etd’énergie, carChristian ladésire,point.Avecou
sansartifices.Ilretiresarobeprestementets’empressedeluienlever,sansmêmelesregarder,lessous-vêtementsqui
luiontcoûtélapeaudesfesses.Déçue,elleseditqueçaluiferafairedeséconomieslaprochainefois.Brigitte oublie sa question l’espace d’un instant, juste ce qu’il faut au désir pour la prendre dans sesfilets.Christian la parcourt tout entière de ses lèvres gourmandes, s’attarde sur ses seins, caresse sonventred’unemain,ellenepeutplusrésister.Nin’enaenvie.Oh!Gosh!It’ssogood!Sillyquestion…uneautrefois…Sicedoitêtreladernièrefois,autanten
profiter!Elleselaissedoncaller,profitantpleinementdecedélicieuxmoment.Uneheureplustard,alorsqu’ilsontfaitletourdeleurcorpsdebiendesfaçons,Brigitteposesatêteau
creuxdel’épauledeChristian,seblottitdanssesbras.Desbrasqui,fidèlesàleurhabitude,neserefermentpassurelle.—Tuesunasdelabaise,toi,murmureBrigitte,encoretoutengourdie,commesielleétaitsouslecoup
duravissement,telleuneLolV.Steindestempsmodernes.—Toutcequejeveux,c’esttesatisfaire,répondChristian.Tum’inspires,cen’estpascommeçaavec
mafemme,crois-moi.Onestensymbiose,toietmoi…—Moinonplus,cen’estpascommeçaavecmonmari.Ilfautdirequeçanesecomparepas,onn’a
paslequotidienensemble…—Mêmeaveclequotidien,tum’inspirerais,Bridge.Commeilsensontauquotidienjustement,laquestionquitues’échappeenfindeslèvresdeBrigitte.—Et…sijemetrouvaiscélibatairetoutàcoup,laisserais-tutafemmepourmoi?—Hummmm…t’enas,desquestions,aujourd’hui, toi!Nepeut-onpasparlerdeçauneautrefois?
J’ai ma journée dans le corps, vraiment, des grosses transactions importantes, le dollar qui baisse,l’économiequivamal…L’économie!Jesuisdanslelitavecmonamant,etiltrouvelemoyendemeparlerd’économie!Shit
!—Maisjedoissavoir,Christian.Onnepeutpluscontinuerainsi,jemesenstropcoupableàl’égardde
monmari.Cen’estpascommesionavaitfaitl’amourunefois,c’estunerelationqu’ona,quis’installeenplus.—Pourquoigâchercemoment?Onestsibien,s’impatienteChristian.—Tuessibien,rectifieBrigitte.Surcesparoles,Christianse lève, laminerenfrognée,s’étire, ramasse lescoupesdechampagne, les
dépose au bord de la baignoire et va aux toilettes. Au retour, plutôt que de la rejoindre au lit, ils’immergedansl’eau,pousseunlongsoupiretdit:—Viens!C’estsibon,çavatedétendre.Medétendre…Brigitteestdéçuedelaconversation.Cen’estpascequ’elleavaitimaginé,ilvasansdire.Enfait,les
paroles de Christian la blessent. Néanmoins, elle se glisse hors du lit et, sur le bout des pieds, varejoindreChristiandanslebain.Cependant,ellenesesentpasd’humeurjoyeuseetlégère,commelorsdesrendez-vousprécédents.—Bon,faitChristian,enremplissantleurscoupesdechampagne,qu’est-cequ’ilya?—Bienlà,situmeparlessurceton,çanedonnevraimentpasenviederépondre!
—Maisquelton?—Surceton,ondiraitquejet’agresse,quejetefatiguemême…Bon,Brigitte,fais-toiàl’idée,c’estunemaîtresse,qu’ilvoulait,that’sit,that’sall!— Bien non, voyons, la rassure Christian maladroitement, c’est juste que j’avais envie qu’on soit
ensemble,qu’ons’amusecommed’habitude!Quandjesuisavectoi,ajoute-t-il,j’aienviedem’évaderdemesproblèmes,dutravail,desenfants.C’estbiença,unemaîtresse!Youaresostupid,Brigitte!Qu’est-cequetucroyais?—Maisnotrerelation,rétorque-t-elle,c’estcommeunebombeàretardement,youknowthat.Onpeut
sefaireprendren’importequand,etmoi,jeveuxsavoiràquoim’entenir.Est-cequejesuisJUSTEunemaîtressepourtoi?—Biensûrquenon,voyons,tusaisquejet’aime,Bridge…Pourreprendreunpeusesespritsetgagnerdutemps,Brigittedéballelasavonnette.—Maisjusqu’où?Jeveuxsavoir,insiste-t-elle,enfaisantmousserlesavondanssesmains.—Viensici,ditChristianenlafaisantpivoterafinqu’ellevienneappuyersondosentreses jambes,
contresontorsevelu.ChristianprendlasavonnettedesmainsdeBrigitteetlapassecontresondos,sesépaules,sesbras.—Petitedémone,va,dit-iltendrement.Nousavonschacununefamille,desenfants,onnepeutpastout
balancercommeça,tuimaginesunpeulebordelqueçavafoutredanslaviedetoutlemonde?—Mais…—Tut,tut,tut!faitChristian.—Christian,c’estimportant,nousdevonsparlerdetoutça.—Maispourquoi?Tun’espasbien,là?Profitonsdecemomentensembleetnelegâchonspasavec
touscesproblèmes.—MaisChristian,ilfaudraenparlertôtoutard!Siundesdeuxsefaitprendre,est-cequel’autreest
prêt à laisser tomber saviede famille ?Etpuis…onpourraitquitternosconjoints etvivrenotrevieensemblesanssecacher,hasardeBrigitte.Christian l’embrasse dans le cou, la serre contre lui alors qu’elle sent déjà une nouvelle érection
poindredanssondos.Ilchuchote:—Briiidge…—Jedoissavoir,s’impatiente-t-elleensedétachantdelui,c’esttropimportant.— Es-tu dans ton syndrome prémenstruel ? Pourquoi toutes ces questions ? Profitons des quelques
heuresquenousavonsensemble,tenteànouveauChristian.—Jevoisquetuneveuxpasrépondre…—C’estpasça,enfin,qu’as-tu?J’adoreraisvivreavectoi,maisc’estpaspossible,voyons!Voilàlaréponsequ’attendaitBrigitte,maiscelleaussiqu’ellenevoulaitpasentendre.Ellesortdubain
et,avecdesgestessaccadés,s’essuie.Alorsque,avant,elleposaitsonpiedsurleborddelabaignoire,passaitlaserviettesursajambedefaçonlascive,s’employaitàplaireàChristianàtoutmoment.Malgrétout,elleaencorebesoindesefaireconfirmercequ’elleapourtantbienentendu.—Jecomprendsque,sij’étaislibre,tunelaisseraispastafemmepourmoi?—Bien, voyons, on n’en est pas là, tu compliques les choses pour rien. Si jamais ça arrive, on en
parlera.Àmoitiéessuyée,Brigitteserhabilleet,prêteàpartir,ramassesonsacàmainpendantqueChristian
sortdel’eau,sesècheettentedelaretenir.—Sijamaisçaarrive,commetudis,ceseratroptardpourypenser.Etmoiquicroyaisàunehistoire
d’amour…
—Biensûrquejet’aime,faitChristian,pourquoijeseraisici,sinon?—Adieu!tranche-t-elle.—Attends!l’imploreChristian.MaisBrigitteestdéjàsur lepasde laporte, l’ouvre, tandisqueChristian,nucommeunver,nepeut
allerplusloinsansrisquerdesemerl’émoi.
C
12Unbébé?
Commentfaire,sanspapa?
hloé a invité Sébastien à une petite soirée « intime », l’attirant une fois de plus avec sa bonnecuisine,à laquelle ilnepeut résister.Malgré leweek-endàTremblantetquelques textosdeplus,ellevoitbienqu’ilestencoreloindel’engagement.
Pendantcetemps,Charles,lecoureurdejupons,baptiséainsiparChloé,continuesacour.Chloéamisquelquesamiesavocatessurledossier.Nulbesoindejugepourstatuersurlapreuve,leverdictesttombé!N’ajamaiseudepetiteamiesérieuse.Aeubeaucoupdepetitesamies.Larecetteidéaleduséducteurimpénitent,quoi!Etlarecettecrève-cœurparexcellence.Non,merci,enaconcluChloé,elleaassezdonné!Ellen’adoncpasacceptéderendez-vousaveclui.Cematin-là,unbouquetderosesrougesestarrivé
sursonbureausanscartedel’expéditeur.Etsic’étaitSébastienquisedécidaitenfin?a-t-elleespéré.Aprèsunappel,elleabienvuquecen’étaitpaslui,maisplutôtsonAdonis,ouApollon,c’estselon.À vingt-neuf ans, bientôt trente, Chloé a compris que, si elle attend encore pour avoir son bébé, le
temps de rencontrer l’homme, de patienter jusqu’à ce qu’il veuille avoir des enfants puis de tomberenceinte,elleperdraencoredeux,trois,quatreans.Et,quisait,peut-êtrenerencontrera-t-ellejamaisce«Trois-C » qui sera aussi un merveilleux papa. Non, elle n’est pas prête à prendre ce risque et veutprécipiterleschoses.Depuistoujours,Chloérêved’avoirsonpetitbébé.Enplus,elleadoresonpèreetveutluidonnerle
plaisird’êtregrand-papaavantqu’ilsoittropvieux.Elleapensésepasserdepèreetjouerletoutpourletout,prendre lesdevantset se faire faireunenfant.Lemeilleurdonneuràsesyeuxn’estnulautrequeSébastien.Intelligent,beau,debonnefamille,sansantécédentsjudiciaires–l’avocaten’estjamaisbienloin –, et un hommegentilmalgré tout ;même si Sébastien n’a pas réussi à se frayer un chemin pourremporterlapalmedanslacatégorie«l’amouraveclabonnepersonne», ilresteuntrèsboncandidatpourfaireunpapa.Cesoir-là,s’ilsavaitqu’ilestconsidérécommeunpèrepotentiel,ilprendraitlapoudred’escampette,
etadieulessuperspermatozoïdes!Chloéadéjàsongéàl’inséminationinvitroavecspermed’undonneuranonyme.Aprèsdenombreuses
démarchesdansuncentredecryoconservationpouryavoirrecours,ellen’apasréussiàsefaireàl’idéequelepapadesonpetitbébéseraituninconnu.Ellepréfèrefairesonchoixelle-mêmeplutôtquedes’enremettreausort.Desdonneursdesperme,cen’estpasçaquimanqueàMontréal!Ilsferaientlaqueue,selonl’expression!Maisvoilà,cen’estpascequeChloérecherche.Onluiapréciséquelesdonneursducentresontâgésdedix-huitàquaranteans,enbonnesanté,certes,
maistoutdemême,ils’agitpourelled’hommesanonymesaupasséonnepeutplusnébuleux.Chloéen
estvenueàpenserquecen’estpaslabonnesolution.Çaluifaitpeur.Elletrouverassurantdecontrôlerunaspectdesonplan:c’est-à-direlepapa.Unedesesamies,dansla
mêmesituationqu’elle,enestarrivéeàlamêmeconclusionetfaitdésormaisl’enviedeChloé,avecsonbeauventretoutrond.Cen’estpassifou,aprèstout…Enfin,peut-être.Larecetteidéaledemeureraitdefairesonpetitbébéavecunpèreconsentant,biensûr.Maiscomment?Avecdeshommesquineveulentpluss’engager?!Etencoremoinsdevenirpapa!Etsurtout,s’ilslesontdéjàetpayentunepensionalimentaireailleurs.—Tuaspréparéunbonsouper,s’exclameSébastien,tuessibonnecuisinière!—Merci!C’estpasdifficile,pourmoi,lacuisine.C’estpascommepourmonamieSarah.C’esttrop
drôle,ellerateàtoutcoupsesplats.Onl’agacetoujoursavecça.—Sarah,c’estlabelleblonde,hein?—Oui,elleaunMBA,etelleestsuperbrillante,çan’arienàvoir.—En tout cas, c’est pas ton problème. Toi, tu es une excellente cuisinière,même que ta sauce est
meilleurequecelledemamère,etça,c’estvraimentuncompliment,parceque,jusqu’àmaintenant,iln’yapersonnequil’abattue,ajoute-t-il.Mouais…Aimermasauce,est-ceunefaçondemedirequ’ilveutqu’onresteensemble?Hummm…
Etfaireunbébé?Ohboy!Chloéaserviuncevichedecrevettesenentrée,quiaétésuivieparleplatfavorideSébastien,lireici:
spaghettibolognaise.DelatartepourChloé!Elleestdésormaisprêteàmettreàexécutionleplanqu’elleaélaboré,le«meilleurnuméroàvie»,s’estécriéeJustineàlagalerielorsqueChloéluienafaitpart.—Vite!dit-elle,aussitôtlerepasexpédié,lequelaétéservienunriendetemps.J’aienviedefaire
l’amour.—Jenet’aijamaisvuesiempressée,qu’est-cequisepasse?D’habitude,c’estmoiquiteledemande
!—Là,jenesaispascequetuascesoir,maistumefaisvraimentcraquer!minaudeChloé.Puiselles’assoitsurSébastienetl’embrasse.—J’aimeçaquandtuprendslesdevantscommeça,ditSébastien.Tuespasmalhot,toi,cesoir!Mouais…situsavaisàquoitusers,monpetitchou,jenesuispascertainequetumetrouveraissi
hotqueça!J’aibesoindetespetitsspermatozoïdes…—Viensdansmachambre,faitChloé,onseraplusàl’aise…Lacoquine!Elleaprévulemeilleurendroitpouraugmenterseschancesdetomberenceinte!Eneffet,
unecopine luiaditde leverses jambesaprès l’amourpourgarder leplus longtempspossibleenelle,bienauchaud, la semencedeSébastien.Etquoidemieuxqu’un lit pour s’étendre enattendantque lemiracleseproduise!—Ici,danslesalon,onestbien,non?—Non,dansmonlit,insisteChloé,énigmatique.MaisChloécomprendcesoir-làqu’elleneserajamaiscapabledesefairefaireunbébéencachettede
sonpapa.Etpour s’assurerqu’avoirunenfantn’estvraimentpasdans lesplansdeSébastien,elle luilance:—Jesuisdansmonpeakdefertilité,ontentenotrechance,j’aitropenviedetoi!Sébastien,devenutoutblême,vamettreuncondomsur-le-champ!
D
13Mais,maman…
anssonsalonremplideboîtesdecarton,repliéesurelle-mêmeteluncolimaçon,lesgenouxsouslementon,SarahdiscuteavecChloéautéléphone.Sondéménagementétantimminent,etsurtout,danslebutd’économiserdel’argent,Sarahacommencéàempaqueterelle-mêmequelquesobjets.
Le tempsde reprendre lecontrôlede savie,devoirunpeumieuxoùelle s’enva, etdedéterminerl’argentquiluirestera,ellealouéunappartementnonloindechezsamère.— T’as pensé à une vente de garage ? demande Chloé. Ça t’aiderait à te débarrasser de bien des
choses,ettupourraisgagnerdessousenmêmetemps.—Jen’yarriveraijamais,Chloé,jen’aipasletempsdepréparerça,detoutsortir,jesuisseule,ne
l’oubliepas.—Comment,seule?Onn’estpaslà,nous?—Bien…oui,maisvousavezvosoccupations,jenepeuxpasvousdemanderça,voyons…—Si toi, tu nepeuxpas,moi, je peuxdemander aux autres, déclareChloé.Tu sais que les gens se
ramassentdebellessommesenfaisantça.Jesupposequet’asgardétoutestesaffairesdebébé?—Bien…oui,répondSarah,aucasoùj’auraisétédenouveauenceinte,onnesaitjamais!—Siçaarrive,tuverras,maisenattendant,tudoisdébarrassertamaison.Enplus,çavatesauverun
paquetdeboîtes!—Hum…faitSarah,songeuse.C’estuneexcellenteidée,maisvraiment,jecroisqueJustineetBrigitte
ontautrechoseàfairequedejoueràlavendeusechezmoi!Ettoi,Chloé,tuassipeudetempslibre…—C’estvrai,maispourlabonnecause,jesuisprête!s’exclame-t-elle.—Jevaisypenser,carjedevraim’occuperdemamèreaussi–elles’envientd’ailleurs.Imagine,son
toyboyl’aplantéelà,commejel’avaisprédit,remarque,pasbesoind’êtreunesorcière!—Estime-toichanceused’avoirunemère,lanceChloé.Mêmesitudoislaremonterunefoisdetemps
entemps.—Oui,maisc’étaitvouéàl’échec,sonhistoireavecsontoyboy!—Commeelletel’adit,argumenteChloé,elles’estpayédubontempsenattendant.— Vu comme ça, c’est vrai. Peut-être que c’est moi, finalement, qui ne fais que travailler, qui ne
m’amuseplus!—Unefoisquetuserasinstalléedanstonnouvelappartement,tupourrasrecommenceràvivreunpeu
plus.—Chloé,dis-moi,trouves-tuquejedeviensvieilleetennuyante?—Biennon,voyonsdonc,qu’est-cequetudislà?Maisilestvraiquetamèreamalchoisisontemps,
tunel’aspaseuefacile,cesdernièresannées.— Peut-être que c’est de la jalousie, après tout, moi, je n’ai même pas de chum, et ma mère de
cinquante-neufans,bientôtsoixante,lesenfilel’unaprèsl’autre!—Biennon,protesteChloé,t’espasjalouse,tuneveuxpasquetamèresouffre,c’esttout.—Ah!Lavoilàquiarrive,jetelaisse,bye!—Àplus,mapitoune!
—Àplus!ditSarahenraccrochant.Ellecherchedéjàdesparolesquiréconforterontsamère.Unepeined’amour,qu’onaitcinquante-neuf
ouvingtans,çafaitaussimal.—Ah!Maman!s’exclame-t-elleenouvrantlaporte,viens,jet’aipréparéunbonsouper,tuvasvoir,
j’aifaitdesprogrès,enfin,unpeu…Léa!Camille!VenezdirebonjouràMimi!crieSarahverslehautdel’escalier.Sarahsaitquelavuedesesjumellesfaittoujoursimmensémentplaisiràsamère.Lespetitesarrivent,
réjouies, et sautent dans les bras de leur grand-mère, qui les embrasse avec effusion. Elles repartentaussitôtversleurjeu.Sarahetsamèresedirigentverslacuisine,oùilyaaussidesboîtesempilées.—Ah!C’estpasfacile,jetedis,laissetomberAnnie.—C’estvrai,c’estjamaisfacile,cesaffaires-là.—Ilétaitvraimentgentilquandmême…—Oui,maisbeaucouptropjeunepourtoi,maman.—Moi,jetrouveplutôtquec’estmoiquiétaistropvieillepourlui.Sarahvaverslecellier,choisitauhasardunebouteilledevinrouge,l’ouvre.—Tiens,boisça,maman,çavateremonterlemoral.—Oui,j’enaibienbesoin,soupireAnnie.C’estpasévidentderemonterlapentequandt’asétéaussi
enamour.—Jet’avaisprévenue,maman,ilfallaitt’yattendre,ilenatrouvéunedesonâge,çanepouvaitpas
durer,voyons…—Maistun’yespasdutout,Sarah!s’exclameAnnie.C’estmoiquil’ailaissé!—Mais,maman…—Ah!J’enrevienspas!Qu’est-cequit’afaitcroirequec’estluiquim’aquittée?—Maisilétaitsijeune,sibelhomme,çanepouvaitpasmarchercettehistoire!Ilyapleindefillesde
sonâgequicherchentquelqu’un!— Bien, que veux-tu ? Ce n’est tout de même pas de ma faute s’il aime des femmes plus…
expérimentées,situvoiscequejeveuxdire…—Alorsdanscecas,dis-moipourquoituestoutàl’envers?—Toutàl’envers,répèteAnnie,c’estluiquil’est!C’estpourçaquej’aidelapeine,jel’aimaisbien.
Le pauvre, il n’arrête pas deme texter, il veut qu’on continue ensemble. Je ne voudrais pas que… tusais…—Pasqu’ilsesuicidequandmême?rétorqueSarah.Ellesortdesassietteset,visiblementagacée,s’apprêteàdresserlecouvert.—Laisse,ditAnnie,c’esttoiquiasl’airpasmalàl’envers,jevaislefaire.Sarahbaisselesbras,prendunelongueinspiration,retourneàsesfourneaux.Samèrenecesseradonc
jamais de la surprendre. Annie dispose les assiettes sur la table, sereine, zen, heureuse. Elle semblerajeunieavecsanouvellefaçondes’habiller.Simplelegging,longchandailauthèmequ’elleaffectionne,c’est-à-direauxmotifsdeléopard,tigreetfélinsdetoutessortes,quinesontpaslatassedethédeSarahmaisquivontàraviràsamère.Sescheveuxblonds,souventattachésencatoganetnouésavecunjoliruban,dégagentsonvisage,mettentsesyeuxvertsenvaleur.EllesemblesibiendanssapeauqueSarahenéprouveunecertainejalousie.—Mais,sait-onjamais,reprendAnnieensoupirant.Leshommesontparfoisplusdedifficultéàpasser
à travers une peine d’amour qu’une femme, pense à une grippe d’homme, tu comprendras, fait-elle enlevantunsourcild’unairentendu…Jenecroispasqu’iliraitjusque-là,ilditçapourmefaireunpeude
chantageémotif,c’estnormal…Sarah,ahurie,regardesamère.Jen’aimêmepasdechum,mamèrevientd’enquitterun–deMONâge–,etelleapeurqu’ilse
suicidepourelle!—Explique-moiunpeu,jenecomprendsvraimentplusrien…répondSarah.Ellejettealorsuncoupd’œilverssontéléphone,quivientdetinter,annonçantuntextodeJustine.Ellelit:«Vente-débarras,dispoprochainweek-end.»UnautrearriveaussitôtdeBrigitte:«Jesuislameilleurevendeuseàvie!»Sarahrelèvelatêteetdit:—Excuse-moi,c’estlesfilles,ellesveulentquejefasseuneventedegarage…—Bonneidée!Jegarderailespetites,oudumoinsjeviendraim’enoccupericisitupréfères.—Maisqu’est-cequetumedisais?Ahoui!OnparlaitdeJocelyn…—Ilaunepeined’amour,ilvas’enremettre,c’estunequestiondetemps,maisenattendant,ilfautque
jem’occupedeluiunpeu.—Dis-moi,quefais-tupourattirertousceshommes?Donne-moitarecette,maman,çapresse!—Tuestropengoncéedanstesprincipes,Sarah,laisse-toiallerunpeu!Facile…—Jenet’aipastoutdit,continuesamère,cachottière.Maisqu’est-cequ’ellevaencoremesortir,celle-là?—Quoi?faitSarah,sursesgardes.—J’airencontréquelqu’un…Bon,çayest!Unautre!
V
14Quandonaime
êtued’unejolierobevertesexy, lechignonbrouillon,àpeinemaquillée,Chloéarrive ladernièredansunrestaurantàlamodedel’avenueduMont-Royal.Elleembrassetoutessesamies.—Excusez-moi, jesuisenretard, j’avaisunesaisiedesalaireàfaire,unhommequinevoulait
paspayersapensionalimentaire.Ha,ha,ha!—Siaumoinsjepouvaisfaireça,moi,luisaisirsonsalaire!s’exclameSarah.—Danstoncas,c’estimpossible,sedésoleChloé.Maisilvafinirparrevenir,etonlerattrapera.—Tiens,prendsça!ditJustine,entendantunecoupedevinàChloé.La serveuse, une jeune femmemince à lapeaucouleur café, très joliedans sonpantalonnoir et son
chemisierblanc,s’approcheetprendlabouteilledesmainsdeJustine.—Laissez,jevaislefaire,déclare-t-elle.Lesamiessetaisentletempsquelabelleserveuseremplisselesautrescoupes.—Cheers!lanceJustineenlevantsonverre.C’estmoiquivousinvite!Onabeaucoupdechosesà
célébrer.—Tuesenceinte!enconclutSarahaussitôt.—Tuesenceinte?Quellebellenouvelle!reprendBrigitte.—Maisnon,arrêtez,vousautres!—Aaaahhh!fontlesfillesenchœur.—Non,onfêtemoncélibat,ditJustine.—Toncélibat?Commentça?s’étonneSarah.Explique-toi…—Holyshit!Qu’est-cequis’estpassé?enchaîneBrigitte,l’airdépité.—Paspourcettehistoired’alleràParis?demandeChloé.—Hé ! Les filles !Arrêtez ! Stop ! Si vousme laissiez le temps de parler aussi, je pourrais vous
expliquer.EllessetaisentetregardentJustine.—Maisparle!ordonneSarah.Lesamiesnepeuventcacherleurdéceptionetnesaventquedireàcelledugroupequireprésente–ou
représentait–àelleseule«l’amouraveclabonnepersonne».Eneffet,ellessedemandentsiçaexiste,cette«affaire-là»,ous’ilnes’agitqued’unsonge, toutau
plusunehistoireàraconterauxenfants,lenouveaucontedeféesduxxiesiècle,quoi!Justineaprissadécision,maisellen’estpourtantpasauboutdetoutesseshésitations.—J’aideuxoptions,dit-elle,soitjerefusedelelaisseryaller,etilleregretteratoujoursetfinirapar
m’envouloir.Soitjelelaissepartir,etc’estpeut-êtredelui-mêmequ’ilreviendra,etnotreamourn’enseraqueplusfort.—Ça,c’estvrai!approuventlesfilles.—Jeluiaiditqu’ilpouvaityaller.—Hoooooon!fontlesfilles.—Onvaessayerpouruntemps.Ilnesaitpass’ilvaaimerça,c’estjustepourdémarrersacarrièreà
Paris.Après,ilpourrarevenir,ouencore,j’iraivivrelà-bas,continueJustine,quicommenceàavoiruntrémolodanslavoix.Elleabeaulelaisseraller,restequedanslesfaits,ellevitdéjàsonabsenceetensouffre.—Ettoi,Justine,tutevoisvivreseuleici?demandeSarah.Àcettequestion,poséed’unevoixsidoucemaisquifaitsimal,telleuneépinederoseayantfrayéson
cheminàtraverssesveinespours’incrusterdanssoncœur,Justinenepeutretenirseslarmes.—Jeneveuxpasqu’ilparte,arrive-t-elleàdireentredeuxsanglots.Çamecrève lecœur,maisen
mêmetemps,jenepeuxpasluifaireça.C’estl’hommedemavie,s’iln’estpasheureux,ilfiniraparneplusm’aimeretpeut-êtremêmemedétester.—Commetul’aimes!laissetomberChloé.C’estsibeaudet’entendre!—Jeneveuxpasleperdre,ditJustine,lavoixétrangléeparl’émotion.— Et lui, l’interroge Brigitte, est-ce qu’il te dit que tu vas lui manquer, que cette séparation sera
difficilepourluiaussi?Justineessuiesonmascara,quiacoulésoussesyeux,etessaiedesesouvenirdecedétail.Ellerépond
:—Bien,iln’apasditça,maisquandilavuquej’avaistantdepeine,ilm’aditd’oubliertoutça,qu’il
n’iraitpas.Maisjenepeuxpasluifaireça,jeveuxqu’ilsoitheureux.Laserveusevientprendrelacommande.—Alors,vousêtesprêtes?demande-t-elle,l’airenjoué.Maislorsqu’ellevoitJustine,elleestsurlepointdetournerlestalons.—Donnez-nousdeuxminutes,faitChloé.—Çava,jerepasserai,nevousenfaitespas,nousnesommespaspressés.Lesamiesplongentlenezdansleurmenu.—Commec’est triste, toutça ! reprendbientôtSarah.Tuétaisnotremodèled’amouravec labonne
personne!—C’estencorelabonnepersonne,mais…ilfaudraattendrequelquesmois,j’espèrequ’ilcomprendra
vite.Ilvatellementmemanquer,jenemevoispasvivresanslui.—Entoutcas,nemetspastaviedecôté,tacarrière,pourunhomme,jeteledis,c’estlapireerreur
quetupourraisfaire!déclareBrigitte.Justinesouritetdit:—Magalerie,c’estcommemonbébé,c’estcequej’ailemieuxaccomplidansmavie,jen’aiaucune
enviedem’endéfaire.Maisjepourraiallerlevisiter,disonsunefoisparmois,etluiaussiviendraici,àl’occasion,etilyalesvacances.Onvavoiraufuretàmesurecommentleschosesseprésenteront.Sarahavancelementon,plisseseslèvres,demande,l’airsuspicieux:—Cettebaronne,tul’asvue?—Non,répondJustine,maisilm’aditqu’elleaenvironcinquanteans,qu’ilnefautpasquejem’en
fasse,c’estmoiqu’ilaime.—Hum… je ne veux pas être rabat-joie,mais étant donné ce qui arrive àmamère, fait remarquer
Sarah,àtaplacejememéfierais,Justine.Lescouguarsnesontpasreposantesdenosjours!Ellesontdebonnesgriffes!Moi,sij’étaistoi,j’iraisfairemontourassezvite,histoiredemarquermonterritoire!—Mais…est-cequetucroisqueZibluiplaît?demandeChloé.—C’estcequejesoupçonne,ellesembleenpincerpourlui.Enfin,elleditqu’elleveutleprésenter
danslemilieu,répondJustine.Eneffet,cettebaronnetientsaloncommeGertrudeSteinlefaisaitàl’époque,ruedeFleurus,etcomme
elle,ellereçoittouslessamedis.Peut-êtrequ’elleaimepluslesartistesqueleurart?Vasavoir!
—Moi, jesuiscertainequeZibneteferaitpasça,affirmeSarah.Vousvenezdevousmarier!Vousrevenezdevotrelunedemiel!Souviens-toi,lorsqu’ilpartaitpourParisaprèslevoyageauMexique,cen’étaitpaspourunefemme,maisbienpoursapeinture.Cen’estpasunpeintredudimanche,quetuas,Justine,c’estunvrai, avec sesquestionnements, sonambition, ilveutavancer, apprendredenouvellestechniques.—Oui,jesais,maistoutdemême…laissetomberJustine.—Commec’estcompliqué,lesrelationsamoureuses!Aufond,leshommesnedevraientêtrequedes
friandisesquel’onmangeraitlesoiravantd’allersecoucher!ditChloé.Justinejetteuncoupd’œilverssonamie,sourit.Ellerépond,enfaisantlamoue:—Ça,c’étaitàuneautreépoque!—Moi,jedisqueleshommes,c’estcommelesSmarties:ilfautenessayerplusieursavantdetomber
surlabonnesaveur!affirmeàsontourBrigitte.Lesamiespouffentderireenreplongeantlatêtedansleurmenu.
B
15Avoirencoreenviedelui…
rigitteregardel’écrandesonordinateuretseretientpournepasrépondreauxnombreuxcourrielsdeChristian.UnesemaineaprèsêtrepartieduReine-Elizabethenplaquantsonamantnusurlepasdelaporte,elleparvientàrésistercependantquelesappels,lestextos,lescourrielsn’ontpascessé.
«Tunem’asmêmepaslaisséletempsdem’expliquer,jet’aime!»lit-elle.Brigittetapotesurleclaviersansrienimprimer.«Tumemanquesterriblement»,lit-elleencore.LesdoigtsdeBrigittesefontdeplusenplusimpatients.Oh!Gosh!Brigitte,nerépondspas,tuvasretrouvertapetitevietranquille…Mouais…ditcomme
ça,c’estpastrèsromantique!Est-cevraimentçaquetuveux,unevietranquille?«J’avaiseuunegrossejournée,j’étaisfatigué,j’étaissibienavectoi,sentirtoncorpscontrelemien,
tondoscontremoi,jen’avaisenviederiend’autre…»Oui,quedemebaiser!Etmoi,t’aspenséàmoi?Àtoutcequej’aipuressentir?Non!EtcommesiChristianentendaitsesarguments,ilcontinue.«Jenevoulaissurtoutpasteblesser,c’estladernièrechosequejeveux,jet’aimebeaucouptroppour
ça.»Delamain,Brigittecaressemaintenantleclavier,seremémoreleursrendez-voussecrets,etilfautbien
ledire,penseaugrandvidequel’absencedeChristianalaissédanssavie.Malgrétout,ellen’arrivepasàl’oublier.DanschaqueminuteécouléefigureuneparcelledeChristian,unfourire,unecaresse,maisaussid’ardentesétreintes.Nerépondspas…MaislesdoigtsdeBrigittedeviennentfébriles,tapotentensurfaceunJ,unE,unT,uneapostrophe,un
A…maisn’enfoncenttoujourspaslestouches.Puis,n’ytenantplus,ellerépond:«Toutaétédit,Christian,tenons-nous-enàça,nebrisonspasnosvies,laviedenosenfantspourrien.
»«Comment,pourrien?»«Avantquecesoittroptard,queJeanouquetafemmedécouvrentnotrerelation.Onn’auraitpasdû.
Laisse-moi,nem’écrisplus.Detoutefaçon,nousnevoyonspasleschosesdelamêmefaçon,toietmoi.Adieu.»«Tunepeuxpasmedireçacommeça,sansqu’onsevoie.»«Oui,jepeux.»«Situaspeurdemevoir,c’estquetuéprouvesencoredessentimentspourmoi.»«Christian…»Christian profite des points de suspension, y voyant une petite brèche pour tenter une nouvelle
offensive.«Situneveuxpasqu’onserencontreaumotel,donnons-nousrendez-vouschezIGA.Jet’enprie,j’ai
besoindetevoir,uneépicerie,cen’estpasdangereux.»«C’esttrèsdangereux,aucontraire,puisquec’estlàquetoutacommencé.»
«Laisse-moitevoirunedernièrefois,jet’enprie,jeseraisageetnetetoucheraipas.»«Jenetecroispas,jesaisquetutenterasquelquechose.»«Non,jetelepromets,jeveuxjustetevoirunedernièrefois.Ilmesemblequ’onsedoitçaaprèstous
cesmerveilleuxmoments passés ensemble. Tu ne peux pas avoir oublié toutes nos conversations, nosrires.Êtreavectoi,c’estcommevivreauparadis.Brigitte,tumemanquesterriblement,mavieestbienvidesanstoi,tunepeuxpasmelaissercommeça,fais-leaumoinsensouvenirdenotreamour.»«Jenepeuxplustevoir,Christian.Nousembrasseraétéuneerreur.»« Pas une erreur, Brigitte, un grand bonheur. Viens me le dire face à face, c’est tout ce que je te
demande.Aprèsjenetedemanderaiplusrien,promis.»Brigitte caresse sa lèvre inférieure du bout de l’index. Elle fixe l’ordinateur, s’imaginant Christian
devant elle. Puis elle passe une main furtive sur l’écran devenu muet, comme si Christian pouvaitentendresespenséessecrètes.Elleaunbrindenostalgie,fermelesyeuxunmoment.Oh!Gosh!J’étaissibiendanssesbras…Finalement,relâchantsagarde,elleécrit:«Justepourparler,tumeprometsdenepasinsister?»Surl’écran,leslettresseformentuneàune:«Oui,jetelepromets.»«Demain,IGA,17heures»,écritBrigitte.
C’
16Rambo
est samedi.Chloé se réveille seule dans son lit king, s’étire, bâille en laissant échapper un longsoupir,jetteuncoupd’œilsursoniPhoneetregardesesmessages,encoretoutendormie.
Riend’intéressant…Elleselèveets’étiredenouveaudetoutesalongueur.SoniPadàlamain,ellevadanslacuisine,et
comme d’habitude,met tout de suite enmarche samachine à cappuccino, qui lui a coûté la peau desfessessansqu’elleenéprouveuneoncedetristesse!Unmust!Danssonmélangeur,ellelargueunpaquetdefruits,duyogourt,dujusdecanneberges,unpeudeglace.
Ellejetteuncoupd’œilsursoniPad,ouvreLaPresse,puisdistraitement,appuiesurleboutonOndesonmélangeur.—AAAAAAAHHHHHH!hurle-t-elle.ChloésejettesurleboutonOff,puisselaissechoirsurunechaise.Ellen’aqu’uneenvieendécouvrant
sesmurs souilléset soncomptoiréclabousséde fruitsdivers :pleurer toutes les larmesdesoncorps.Elleseditqu’elledoittoutnettoyeravantquelestachesdekiwis,decannebergesetdeyogourtàsaveurdefraisenes’incrustentpartout!—Jelesavaisqueçam’arriveraitunjour!s’exclame-t-elle,découragée.Auboutdevingtminutes,lesmursayantreprisleurteintenaturelle,ellefixesonmélangeurquelques
secondesenplissantlesyeux.Hum!Monpetitmaudit,toi!D’uncoupsec,elleledébrancheetlefoutàlapoubelle.Tiens!Çat’apprendraaussi!Aprèstouscesémois,unpetit-déjeuner«sécuritaire»feraitbiensonaffaire.Elleouvresonfrigo.Du
pain.Quedupain.—Bon,bien,paslechoix,fait-elle.Ellefaitgrillerunetranche,et,pendantcetemps,litlejournalsursoniPad.Ellebutined’unarticleà
l’autre,consultedenouvellespages.Finalement,n’ayantpasabandonnésonidéed’acheterunchienpour lui tenircompagnie,enattendant
l’homme de sa vie, elle va dans Google, tape « chien, yorkshire ». Elle furète dans les annoncesd’éleveurs,cliquesurl’uned’elles.Etlà,toutmignon,apparaîtcommeparenchantementleplusadorabledespetitschiensqu’elleaitjamaisvu!Tropcute!C’estluiquejeveux!CeseramonpetitRambo!Avec son pelage noir, quelques touffes de poil ébouriffées qui tombent devant ses yeux, ses petites
oreillesbeiges,sonairirrésistible,ilatoutdesuiteconquislecœurdeChloé.C’estluiqu’ilmefaut!Ilesttropmignon.Maisoùes-tu,toi,petitefacedesinge?Ellecherchedanslesiteettrouvebientôtl’information:Ottawa.Labouchearrondie,elleposeundoigt
contresajoue,lèvelesyeuxaucielpourréfléchir.Huuuummmm!EtsiJustinevenaitavecmoi?Ellepourraitmedires’ilaboncaractère.Lecoquin
peutmefairecettefrimousseets’avérerêtreunpetitmonstre…Etc’estunmâle,enplus,enpleince
quejeveux!Aumoins,j’enauraiundansmavie…etdansmonlit:ilestsipetit,ilpourrafairedodoavecmoi!Dumoins…jusqu’àcequejerencontremon«Trois-C»!Sursoncellulaire,ellechoisituneicônedepetitchien,puisunevoiture,ettexteensuite:«Justine??Coucou??T’asenvied’alleràOttawa?»Elleregardeànouveausonécran, lepetitchienlafixe, têtepenchée,sespetitsyeuximplorants.Elle
sourit.Sonneriedetexto,elleregardesoniPhone:«Oui,tupeuxpassavoircommej’enaibesoin.»«Besoind’alleràOttawa,toi?Cool,onferanoscoursesensemble!»«Pasdecourses,justemechangerlesidées,répondJustine.Ettoi,pourquoiOttawa?»«Leplusmignondespetitsyorkshires.»«Ohboy!»«Jepasseteprendredansuneheure!»D’unbond,ellesautedesontabouret,oubliesonpaingrillé,vadansladouche,ressort,semaquilleà
peine,commeàsonhabitude,etremontesescheveuxenungroschignonsurledessusdesatête,telunnid d’oiseau. Puis ellemet un pardessus, relève son col, s’engouffre dans sa voiture, direction : chezJustine,puisenfin,Rambo!Ets’ilétaitvendu?s’inquiètesoudainChloé.Dèssonarrivéedevantlamaisondesonamie,elleenvoieuncourrielchezl’éleveurettexteensuiteà
Justine.«Suisenbas.»Quelques secondes plus tard, Justine sort en talons hauts, elle descend les marches à la course, le
manteaudétaché,ungrand foulardgrisautourducou.Elleentredans lavoiture, s’assoit,ouplutôt, selaissechoirsurlabanquette.—T’astrouvétonYorki!dit-elle.—Jecroisqueoui,maisjeveuxquetulevoies,jeveuxl’appelerRambo!Ilesttropcute!—J’aihâtedevoirça!Rambo!T’enasdesidées,toi,maChloé,tumeferastoujoursbienrire!C’est
certainqu’avecunnomcommeçailferapeuràtoutlemonde!ajouteJustineenriant.Arrivées chez l’éleveur, les deux femmes sont conduites dans un chenil, où une dame et unemeute
joyeuse lesaccueillent.Minederien,Justineévalue l’endroit, lapropretédes lieux, les jouetscolorésquijonchentlesol,ellenotequeladames’adresseauxchiotsgentiment.Enfin,lechenilluisembletrèsconvenable.Leschiensjappentetfrétillentdelaqueue,l’airdedire:«Moi,moi,moi!»Évidemment,ilssententbienque,avecChloé,ilsaurontunebelleviedechien!MaisChloén’auradecessequ’ellen’aitrepéréRambo.Pasfacilepuisqueleschiotssontàpeuprès
tous pareils ! Elle les examine, mais ne retrouve pas celui dont la petite binette si adorable l’a faitcraquer.Toutàcoup,Chloéaperçoitunpetitchienquivientverselleetquilaregarded’unairimplorant,latête
basse,decôté.Illèveunepaupièrepourvoirl’effetqu’ilfaitetsemetàagiterlaqueue.Sesyeux,souslecoupdel’émotionetdumessagequ’ilveutpasser,deviennenttouthumides,commes’ilallaitpleurer.Chloén’arriveplusàdétachersonregarddelabête.—Rambo!fait-elle,viens,viensmevoir,monpetitamour!Justine observeChloé, puis le chien, et elle sourit. Le yorkshire prend son petit os dans sa gueule,
s’approche,puisledéposeauxpiedsdeChloé,dontlesyeuxs’emplissentd’eau.—C’estlui,déclare-t-elle,c’estluiquejeveux!Finalement, lepetitanimalsecoucheauxpiedsdeChloé,qui sepenchepour le flatter. Il fourreson
museauentresespattesavantetjetteuncoupd’œilverssafuturemaîtresseafindes’assurerquesamiseenscèneafonctionné;c’esttotalementréussi,àenjugerparlamineattendriedeChloé.
—Tucroisqueceseraunbonchien?demandeChloéàsonamie.Justine le prend, fait quelques tests d’usage, regarde ses yeux, ouvre sesmâchoires, les referme, le
retournesurledos,examinesesorganes,puiselleprendsesclefs,lesfaittinter,analysesesréactions,ellepincegentimentsapeau,faitd’autrestestsdecomportement.Elledemandedevoirlespapiers,notel’âgeduchiot.—Huitsemaines,dit-elle,c’estl’âgeidéal.Pendantcetemps,Chloésemordl’intérieurdelajoueenattendantleverdict.Justinedéclareenfinque,
oui,Ramboferaunexcellentchien,augrandsoulagementdeChloé,quil’avaitdéjàéludanssoncœur.Elleleramasse,donneunbaisersursatête,Rambolaregarde,pousseunpetitcridebonheur,comme
s’ilavaittoutcompris.Chloéleposecontresoncou,leserrecontresapoitrinegénéreuse,oùRamboseplaîtmerveilleusement.Elleestconquise.—C’estcombien?demande-t-elle.
E
17Ledémondelajalousie
lliot passe devant le nouveau bureau de Sarah d’un pas rapide, en parlant au cellulaire et engesticulant.Hum!…Pasunregardversmoi,bizarre…
Sarahs’esthabituéeauxpetitsgestesqu’Elliotatendanceàfaireenlavoyant,genre:unhochementdetêteàpeineesquissé,unlégersourire,sesyeuxbrunsquideviennentplusperçants,maisaussisamain,passéedanssescheveux,qu’elleatantaimécaresser.— Je dois te laisser, je t’embrasse, entend-elle.Oui…oui…ceweek-end, oui, àNewYork.Tu es
contente?Sarahtendl’oreille,piquéeparlacuriosité.A-t-ellebienentendu«jet’embrasse,NewYork…»?La
voix s’éloigne, mais elle peut comprendre d’autres bribes. Au son, elle suppose qu’il a fait un arrêtdevantledistributeurd’eauembouteillée.Vite,elleselèveet,surlapointedespiedspournepasfaireclaquersestalonscontrelesol,s’approcheducadredelaportedesonbureau.Tapiecontrelemur,elletendl’oreilledenouveau.—Moiaussi,entend-elleclairementdireElliot.Moiaussi…jet’aime?—J’airéservéauElevenMadisonPark,continueElliot.Oui,commel’autrefois…Tuavaistantaimé.Puisilcontinue:—Maisnon,çava,jeferaisn’importequoipourtoi…Çayest,leJoueur,oul’Idiotbienmembré,aunecopine!MaisSarahnepeutréprimerunepointedetristessequichamboulesoncœur.—Allez,jetelaisse!Oui,oui,jet’embrasse.Maisoui,jetel’aidittoutàl’heure…Bon,allez!Je
raccroche,là…Merde!S’ilrepasseparici,jesuisfaite!Toujoursplaquéecontrelemur,Sarahretournepromptementàsonfauteuilsurlapointedespieds.À
mi-chemindesonbureau,elleentenddanssondos:—Qu’avez-vous?Vousavezmalauxpiedsouquoi?Vousavezbesoind’uneaugmentationpourvous
acheterdenouvelleschaussures?Merde,ilaledon,celui-là,detoujoursêtrelàaumauvaismoment!—Euh…Jefaisaismespointesdeballet,bredouilleSarah.—Duballet?faitElliot,jenesavaispasquevousaviezcetalent!—Oui,bien…euh…c’estnouveau,j’aitoujoursvouluprendredescours.—Alorsvousêtesbienpartie,c’étaitjolidevousvoir.C’estincroyable,lamagieduballet,onnevous
entendaitmêmepasmarcher,lataquineElliot.Trèsdrôle.Sarahabesoind’ensavoirunpeuplussursonweek-endàNewYork.A-t-ellebienentendu?—Au fait, dit-elle, est-ce que vous êtes disponible ce week-end ? J’aurais un client à vous faire
rencontrer.
—Unclient,leweek-end?s’étonneElliot,lesourcilrelevé.—Euh…Oui…ils’enva…oui!Envacances,et…ilvoudraitréglersacampagneavantdepartir.—Ungroscontrat?—Oui,substantiel.— Je vous fais confiance entièrement, Sarah, réglez ce dossier, vous m’en donnerez des nouvelles
lundi.Merde!Jen’ensaispasplus!PassiIdiotqueça,etbonJoueurquandmême.Detoutefaçon,jeme
fousdelui,jenepourraijamaisluifaireconfianceaprèscequ’ilm’afait.Etc’estsansparlerdemonemploi!Rappelle-toi,Sarah,c’estl’amouraveclamauvaisepersonne.— Allez ! Au travail ! Et pour le ballet, achetez-vous des chaussons de danse, vous pourriez vous
blesseraveccestalonshauts!Jenepeuxpasmepermettredevousperdre.Ahoui!J’oubliais,vousavezfaitlesdémarchespourvotredéménagement?—C’estcequejesuisentraindefaire,justement.—Oubliez ça, j’ai un ami qui est là-dedans, il vous contactera au courant de la journée, il est très
professionnel,vousn’aurezpasmeilleurprixailleurs,jevaisluidemandercommeunservice.Sarahn’apasletempsderépondrequ’Elliotrepartaussivitequ’ilestentrédanssonbureau.Qu’est-ceque tu te figures,Sarah?C’estça, ilestdéjàailleurs, ilaunecopine, il fait savie,et
puis,tunel’aimesplus,qu’as-tuàtepréoccuperdeluiencore,hein?Jalouse?Mouâââ?Biensûrquenon!EllevaaussitôtsurGoogleettape«ElevenMadisonPark,NewYork».Ellelit:«Undesmeilleurs
restaurantsdeNewYork.»Ellecliquesur«Menu»:centquatre-vingt-quinzedollarsparpersonne.Ellenevoitpasdedescription,maislesphotosluimettentl’eauàlabouche.Merdeetre-merde!Et…sic’étaitmoi,lacoincée?
—A
18Clind’œilautome1!
h!Puistum’annoncesqueZibs’envaàPariscommesic’étaitlachoselaplusnormalequisoit!Jetel’avaisbiendit,t’aschoisil’artiste,etregardeoùtuesrenduemaintenant!Tuaurais
dûm’écouter,s’exclameÉlisabeth,lamèredeJustine.—Maman,s’ilteplaît,nerecommencepas…—Avoue,Justine,avouequej’avaisraison!—Non,maman,jen’avouerien,Zibm’aimeetjel’aime.—Oui,maislà,qu’est-cequejevaisdireàmesamies?Quetuesmariée,puisquetonmarihabiteà
ParisettoiàMontréal?—Bien,çaneregardepastesamies!riposteJustine.—Henriettemenarguetoujoursque,ELLE,elleacinqenfantsetaucundivorcé!—Maisjenesuispasdivorcée,maman!—Bien,c’esttoutcomme!Sit’avaisépouséPhilippeaussi,t’auraispastouscesproblèmes-làsurle
dos!—Maman,çavafaire!
D
19Résisteroucraquer?
anssacuisine,Brigitteregardenerveusementl’heuresursamontre.Elleaentenduunbruitdeclefsdanslaserrure.Ellen’attendpassesfilsavantseptheures.Oh!Gosh!Monmari!
Uncontrat,nonloindelamaison,apermisàJeanderevenirplustôtqueprévu.Sonarrivéeinopinéevient contrecarrer les projets deBrigitte, qui devait avoir le champ libre à cette heure de la journée.Comme Jean le fait d’habitude, aussitôt qu’il entre dans lamaison, il se dirige vers la télé, l’ouvre,ensuiteilenlèvesonveston,sacravate,relèvesesmanchesdechemise,puisilvientdonneràBrigitteunpetitbaiser.Sansétreinte.CequiatoujoursagacéBrigitte.C’estcommesiellen’existaitqu’aprèssespetitsgestesquotidiens.Plusquedixminutesavantcinqheures,sonrendez-vousavecChristian.Shit!Ihavetogo!Qu’est-cequejepeuxbieninventer?Ellesemordlalèvre.Iknow!Vite,elles’emparedupotdemoutardedeDijon,videlecontenudansl’évierenlaissantcoulerdel’eau
chaudepourtoutnettoyer,puisleposesurlecomptoir.Preuveirréfutablequ’ilenmanque!Elleenfilesonmanteauetlanceàsonmari,déjàinstallédevantlatélé:—Jean,jevaisàl’épicerie,ilmemanquedelamoutardedeDijonpourcontinuermarecette!Commecettemoutardeaétéà l’originede leur rencontre, il lui semble toutnatureld’employercette
excusepourcloresonhistoireavecChristian.—Ah!faitJean,distraitement,déjàoccupéàregarderlatélé.Brigitteprendsesclefssurlacommodeetsedirigeversl’épicerie.Jeme demande s’il s’est rendu compte que je suis partie. Il est programmé comme un robot, les
mêmesgestestouslessoirs!Ellenepeutfaireautrementquecomparersesdeuxvies.Plusçava,pluselletrouveJeanennuyeux.Il
ne l’aidepasdans lamaison,ne luipropose jamais rienqu’ilspourraient faire tous lesdeux, sans lesenfants. Elle doit décider, cuisiner, récurer, nettoyer, proposer les sorties, réserver les vacancesfamiliales, rencontrer les professeurs et plus encore.Tout repose sur ses épaules, tellement qu’elle sedemandecommentsonmarietsesdeuxfilsarriveraientàvivresiellen’étaitpaslà.Aufond,doit-elles’avouer,elleenamarre,desaviedecouple.ÀNewYork,alorsqu’elletravaillaitetrencontraitbeaucoupdemonde,ellen’avaitpasréaliséàquel
pointsavieétaitdevenued’unennuimortel.Aujourd’hui,ellevoitsescopinesamoureuses,etlemiroirdelavieluirenvoielerefletdelasienne,quiluiapparaîtmonotone.Elles’estimetropjeunepourfaireunecroixàjamaissurl’amour,surlavie.Ellesedemandesiellen’estpasentraindepasseràcôtédequelquechosed’essentielpourelleet laplupartdes femmes :vivreavec l’hommequ’elleaime.Maisellepense à ses fils, aun serrementdans lagorge, éprouvedes remords à l’idéede les couperd’unefamilleréunie.ArrivéedanslestationnementduIGA,elleaperçoitlavoituredeChristiantoutaufond.Ellesedirige
verslevéhicule,segareàcôté.Dèsqu’ilvoitBrigitte,Christiansortdesavoiture.Prévoyant,ilseditque,decettefaçon,ceseraluiquimettrauntermeàl’entretien.PasBrigitte.Quipourrait,commeellel’asisouventfait,s’enfuiretneplusrevenir.Cette rencontre est cruciale, et il en est conscient.Enbonbanquier, il a analysé ses chances, qui se
résument à une seule, en somme : s’il arrive à l’embrasser, il sait que la partie sera gagnée et qu’ilemmèneraBrigittedenouveauaumotel.—Brigitte, tuessi jolie,etmoi,commeuncon, je t’aifaitde lapeine,dit-ilenapprochantsamain
pourtouchersonvisage.—Tuasditquetunemetoucheraispas,souviens-toi…—OK,fait-ilenretirantsamain,maisj’aidesyeuxetjepeuxdirequetuesvraimentbelle.—Arrêtetoncinéma,là,lecoupeBrigitte,pourquoiveux-tumevoir?Ilmesemblequ’ons’esttoutdit.—Commentpeux-tuêtreaussifroide?Jet’aime,Brigitte,làn’estpasleproblème,jesaiscequetu
penses,etcen’estpasvrai.Tun’espasunemaîtressepourmoi,tuesbeaucoupplusqueça.Crois-tuquejeprendraistouscesrisquessijenet’aimaispas?—C’estcequetousleshommesquiontunemaîtressefont,non?Christianestmomentanémentdésarçonné,maisilrépliqueaussitôt.—Jetedisaisseulementqu’ondevraitpenseràtoutçaensemble…—Cen’estpascequetum’asdit,voyons…—Tunem’aspaslaisséletempsdet’expliquer!Commentpeux-tusavoircequejevoulaistedire?—Onpeutdireque,quandc’estletempsdecompter,tuesvite,maisquandc’estletempsdeparler,
t’essurlemode«écono»!—Brigitte…donne-moidutempspourparleràmafemme,jevaisl’amenertranquillementsurlesujet,
çanesefaitpasenunesemaine,ça…—Jenesuispasbiendanscetterelation,Christian,j’aidumalàmentiràmonmari.—Babe…—Non,nem’appellepasbabe!Jecroisquetuveuxjustegagnerdutemps.—Moi ?Gagner du temps ? Regarde plutôt tout ce que je fais pour que nous soyons ensemble, et
puis…tum’esarrivéeavecça,tunem’asmêmepaslaisséletempsd’ypenser.Mêmequejecroyaisquetuétaistrèsbienainsi,quetumevoyaisseulementcommeunamant,quetunem’aimaispasvraiment.Là-dessus,Brigitteluidonneraison,ilestvraiqu’ellen’ajamaisparlédetoutçaclairementaveclui.
Mais lui en avait-il seulement donné l’occasion ?Devant le silence deBrigitte,Christian sent qu’il aenfintouchélacordesensible.Ildit:—Bridge,donnons-nousunpeudetemps,toutçaestsisoudain.Jeneveuxpasteperdre,ajoute-t-ilen
prenantunemèchedesescheveuxaveclaquelleiljoueentresesdoigts.—Christian…—Tumemanquestellement…Troublée, Brigitte baisse la tête, pince les lèvres, croise les mains sur ses jambes, pendant que
Christianenprofitepourlesrecouvrirdelasienne.Enfin,ilprendsonmentondélicatementdanssamain,l’intimantdugesteàtournersonvisageverslui.Ainsiperduedanssesyeux,ellen’aaucunechancederésisteràsonappel.Àcemoment,Christiansaitqu’ilagagnélapartie.Ilpourrafixerunautrerendez-vous,etBrigittes’y
rendra.Etpours’enconvaincre,ilapprochesonvisagedusien,l’embrasse,forceunpeuseslèvresavecsalangue,maispaspourbienlongtemps.—Jet’aime,dit-il.MaisBrigittenerépondpas.
U
20Avecousanscondom?
nefoisdeplus,aprèsavoir fait l’amour«aveccondom»,Chloése tournesur lecôté, faitdosàSébastien.Elleesttriste.
Desyeux,ellefaitletourdesachambrepasdécorée.Bienqu’ellehabitelàdepuisunpeuplusdedeuxans,ellen’atoujourspasréussiàsefaireunjoliniddouillet.Commesielleneprenaitpasletempsdeterminersadéco,aucasoùellequitteraitbientôtsoncondo.Troppetitpourunduo.Elle voit bien que sa vie ne va nulle part avec son « adulescent ». Le test du condom a été très
révélateuràsesyeux.SurtoutparlavitesseàlaquelleSébastienaréagiàl’idéed’avoirunbébé:sonteintblêmeendisaitlong,beaucoupplusques’ilavaitparlé.Depuisquelquetemps,Chloésongeàlelaisser.Ellesaitbienqu’elleauraitdûmettreuntermeàcette
relation,quin’enestmêmepasune,depuislongtempsdéjà.Maisparfaiblesse,parhabitude,troppriseparsontravail,elleatolérélasituationenpensantqueriennel’empêcheraitdetrouverlebonunjouroul’autre,mêmesiellecontinuaitàvoirSébastienàl’occasion.C’estJustinequiaraison:jegardeSébastiendansmaviepouravoirunsemblantderelation,etje
n’aipaslecouragedemeséparerdelui.Enattendant,lesannéesfilentsouslenezdeChloéetsonhorlogebiologiquesonne.Ellesentqu’elletourneenrond.Parailleurs,elletravailletrop,etsapatronneluiendemandetoujours
plus.ElledoittrouverlecouragederompreavecSébastien,etaussid’affrontersapatronnepouravoircongé lessoirset finsdesemaine.Enfin,en restantdisponibleunoudeuxsoirspourdescasde forcemajeure,mais si elle en croit sa boss, tout est urgent ! Elle doit apprendre àmettre ses limites, nonseulementdanssesamoursmaiségalementdanssontravail.Ensomme,elleveutchangerdevie.Sébastiens’approched’elle,remonteledrapsursonépaule,poselamainsursahanche.—Qu’est-cequet’as?Ilmesemblequet’asjoui,non?—Ah!Leshommes!Iln’yapasqueça, jouir!s’exclameChloé,exaspérée.Oui, j’ai joui,maisje
veuxplus!Jeveuxvivreavecunhomme,jeveuxavoirunefamille,jeveuxtout,lapiscine,lecabanon,lamaison,lesenfants,tout,Sébastien,tuentends?Unevraievie!Puis elle se lève, enfileunboxer et unvieux t-shirt.Sébastien est accoudé, la regarde s’habiller, se
demandecequ’iladitdesiterriblepourqu’ellesefâcheainsi.—Ah!Etpuis,çanevapas,nousdeux!Çanedonneriend’essayer,çanemarcherajamais!ajoute
Chloéenpartantverslesalon.Sébastienlasuit,nu,lesdeuxmainsdanslesairs.—Commentça,çanemarcheplus?s’écrie-t-il.Tunem’asjamaisditça!—Bien,là,t’exagères,jen’arrêtepasdeteledirejustement!rétorqueChloéenselaissantchoirdans
soncanapé.—Çan’ajamaisétéclaircommeçaentoutcas,faitSébastien,surpris.Puisleweek-endàTremblant?
Tul’oublies?Tun’asmêmepasremarquéquej’aifaitdesefforts!Desefforts…— Comme tu es romantique ! s’exclameChloé. Tu entends ce que tume dis ? Faire un effort pour
m’inviterunweek-end!Çafaitdesmoisqu’onestensemble,qu’onseconnaît,jedevraisdire,ettunem’asmêmepasprésentétesparents!Toutcequetuveuxaufond,c’estunefilleavecquibaiserunefoisdetempsentempsquandtuenasenvie.J’enaiassez,deça,Sébastien,moi,j’enpeuxplus.—Donne-moiuneautrechance,tuvasvoir,jevaischanger…—Quand?Àquaranteans?—Bien…pasàquarante…—C’esttroptard,Sébastien!ditChloé,lavoixtremblante,alorsqueroulentsursesjouesdegrosses
larmesqu’elleessuie.—Jet’aime,ditSébastien.Chloéseretournepourluifairefaceetlaissetombertristement:—Peut-être,maispascommejeveux.C’estlatotalequejecherche,ettoi,tun’espasprêtpourça.—Onestbiencommeça.Tutravaillesfort,onsevoitquandonpeut,onn’apasd’obligations…Moi,
j’aitoujourspenséqueçafaisaitnotreaffaireàtouslesdeux,sedéfendSébastien.—Vaterhabilleretva-t’en,j’enaiassez,jetedis!—Maisdonne-moiunechance!—Jet’enaidonnécentdéjà.Là,tumedisquetum’aimesjusteparcequetuasvuquejemesuisfait
cruisersuruneterrasse!—Ah!Jecomprends,maintenant, tuveuxme flusherparceque legars t’arappeléeet tumelaisses
pourlui?C’estça?Avoue!—Non,jenetelaissepaspourlui,jetelaisse,point.Jepasseàunautreappel,Seb!J’aiperdutrop
detempsdéjà!Chloéleregardes’éloigner,éprouveunepointedenostalgie.Ilnechangerapas,Chloé,ilnechangerapas…
I
21Ledépart
l ne resteplusquequelquesminutes avantqueZibdoivepasser ledernier contrôle à l’aéroportdeMontréal.Lesdeuxamoureuxontlagorgenouéeàl’idéedecetteséparation.Lapremièredepuisqu’ilssesontrencontrés.ZibenlaceJustineetl’embrasseavecémotion.—C’estprovisoire,dit-ilpourlaréconforter.—Jesais,maislecondoserasividesanstoi,répondJustined’unetoutepetitevoix.—Tuverras,tesamiesnetelaisserontpas,ellesvontt’inventerpleindesorties!—Oui,ça,jesais,maistuvastellementmemanquer!—Tuvasmemanquer,toiaussi,machérie.—Jet’aime,ditJustine.—Je t’aime, répond-il en l’embrassantencore.Dans trois semaines toutauplus, ajoute-t-il, si tune
peuxpasveniràParis,c’estmoiquiviendrai,promis.—Troissemaines,c’esttrèslong,constateJustine.—Oui, ce sera long pourmoi aussi, j’espère que tu pourras venir avant. Justine, je voulais te dire
merci.—Pourquoimediremerci?—Mercid’êtrelà,demesoutenir,d’avoirfaitensortequejepuissepartir,jesaisquejenesuispas
toujours«évident»,avecmesquestionnements.Jeveux toujoursmedépasser,avancer,çanedoitpasêtrefaciledem’avoircommemari.Entoutcas,moi,jenem’endureraispas!fait-ilensouriant.—Tueschanceuxd’être tombésurunegaleriste, jecomprends lespeintreset toutes leursquestions
existentielles.Vousêtesdescréateurs,etjerespecteça,répondJustine.Cen’estpasça,leproblème.Leproblème,c’estjustequej’enaiépouséun!Ziblaregardedesesyeuxrieurs,puisildit:—J’aihâtederencontrertouslesgrandspeintresd’aujourd’hui,defairepartied’ungrouped’avant-
garde,dediscuter,c’estçaqu’onn’apasici.Ah!Paris!Lavilledel’art,desgrandsartistes,Picasso,Braque,Gauguin,Modigliani ! Ilmesembleque le faitdem’imprégnerde touscesgrandspeintresdupassé vam’inspirer comme jamais ! Et cet atelier que j’ai louéme fera revivre l’époque duBateau-Lavoir!Tuimagines,iln’yaquedesartisteslà-bas,onvapouvoiréchanger,jesuiscertainquejevaisapprendrepleindenouvellestechniques,etçavam’aideràatteindreunautreniveaudansmapeinture.—Jesaisquec’estimportantpourtoietquetuasunechanceuniquedet’intégrerdanscegroupe,fait
Justine.C’estOKavecmoi.—Ent’attendant,jevaispréparerlaplacechezZoé,onserabien,tuverras,ellen’estpresquejamais
làdetoutefaçon,occupéeàvoyagerpartoutsurlaplanètepoursesshootings.—J’espèrequ’ellen’inviterapassesamiesmannequinsdanssonappartement!—Jeneveuxpasdesamiesdemasœur,j’aitoutcequejeveuxavectoi.—Maismoi,jen’yseraipas,laissetomberJustine.Puisellesecolletoutcontresonamoureuxalorsqu’ilcaressesescheveux.—Chérie,jedoisyallermaintenant.
Justinenepeutretenirseslarmes.—Chérie…faitZib.—Çava,l’assureJustine,çava,vas-y,cen’estrien…—Jet’appelledèsquej’arrive!Promis!—Oui,répondJustine.—Jet’aime,dit-ilencore,enluidonnantundernierbaiser.Puisilsaisitlapoignéedesonbagagedecabine,sedirigeverslecontrôlesuivant.Justineleregarde
remettresonpasseportàl’agent,quiluifaitbientôtsignedepasser.Zibseretourneencore,Justineaunmouchoirsouslenezetluitendlamain.Desamain,illuienvoieunbaiseretdisparaîtdesavuederrièrelesgrandspanneaux.Le cœur en morceaux, Justine prend le chemin du retour. Elle croise le regard compatissant d’une
femme.Est-cequ’ellevientdequitter,elleaussi,unamoureux?Unparent?Unfrère?Oupeut-êtrequ’aufondelleestseulementtristedevoiruneautrefemmepleurerledépartdesonamoureux…
S
22Souvenird’unenuittorride!
arahs’apprêteàentrerdanssonbureaulorsqu’elleentendElliotderrièreelle:—Bonmatin!—Bonmatin,répond-elled’untonqu’elleveutléger.
Lavérité,c’estqu’elleapassétoutleweek-endàpenseràluienempaquetantsesaffairesenvuedudéménagement.—Etmondéménageur?demandeElliot.—Ah!Oui,lemoinscher!s’exclameSarah,quiétaitplutôtoccupéeàscruterdessignesdefatigue
chezElliot,desyeuxpochés,ouautres,pouravoirunepetiteidéeduweek-endqu’ilapassé.Hum…pastropamoché,l’ex-coincé!Çan’apasdûallertropfort,ilal’airfraiscommeunerose!
La belle a-t-elle fait des caprices au restaurant-qui-coûte-la-peau-des-fesses, peut-être justementqu’ellen’apasvoululesmontrer,sesfesses,etqu’ilssesontchicanés?Cependant,Sarahconstatequ’Elliotsembleenpleineformeetesttoujoursaussigentilavecelle.Elle
sesentdéjàunpeumieux.CettehistoiredeNewYorkneluiplaîtpasdutoutetmêmesielleafficheunairdésinvolte,c’estloind’êtrelecasau-dedans!—Jevousl’aidit! lanceElliot joyeusement,demandez-le-moilorsquevousavezbesoindequelque
chose,vouspouveztoujoursvousfieràmoi.N’importequand,etpourn’importequoi!CesparolessontréconfortantespourSarah,ellequiestsiseulepouraffronterl’avenir.Maissoncœur
n’estpasdupedesonapparentdétachementpuisqu’ilbatàtoutrompre.—Beauweek-endàNewYork?nepeut-elles’empêcherdeluidemander.—Ah!Magnifique!Mais…faitElliottoutbas,commentsavez-vousquejesuisalléàNewYork?—Euh…c’estque…vouspassiez,bafouilleSarah,oui,vouspassiezdanslecorridoretj’aientendu«
NewYork».PuisElliotéclatedesongrandrire.—Ah!Unechance,j’aipenséquevousécoutiezauxportes!—Quelleidée!s’exclameSarah,faussementoffusquée.Elliots’approchedeSarah,luichuchoteàl’oreilleenlatutoyanttoutàcoup:—Tuneseraispasjalouseparhasard?—Qu’est-cequetuvaspenser?—C’estlecadeaudefêtequej’offreàmamèrechaqueannée,elleraffoledeNewYork!—Etdesbonsrestaurants,laisseéchapperSarahenserapprochantunpeudeluipoursefaireentendre.Elleestmaintenantàquelquescentimètresdelui.Illaregardeetfaitunmouvementàpeineperceptible
verselle.Unnœudseformedansl’estomacdeSarahtandisquedesmilliersdepapillonsvolentdetoutesleursailes.Nooooooooon!LesyeuxplongésdansceuxdeSarah,Elliotnesaitpluscommentluirésister.Ilesttropprèsd’elle.Il
connaît ledangerquilesmenacetouslesdeux,maisilest incapabledesedétacher.L’attirancequ’ilapour elle est si forte qu’il en perd ses moyens. Il n’arrive pas à endiguer le flot de sentiments qui
l’assaillelorsqu’ilestensaprésence.Toutconvergeversunseulpoint:c’estellequ’ilaime,etiln’enveutaucuneautre.Malgrélesinterdits.Malgrésonexetlepouvoirqu’elledétientsurlui.ElliottouchelebrasdeSarah,puisdescendpourprendresamaindanslasienne.Sarahseliquéfietout
entière. Un vertige s’empare d’elle, ses jambes deviennent flageolantes. Elle ne peut, elle non plus,combattrecesentiment.«Pardonne-luidonc,entend-ellediresamère,pardonne-luidonc…»D’unmouvementléger,commes’ill’entraînaitdansunedanse,ElliotattireSarahderrièrelaportede
sonbureauetl’embrassecommeunfou.Unfoud’amour.
D
23Deuxièmeclind’œilautome1
eretourdesonjoggingavecsesdeuxdanois,Justineconstatequesaporteestdéverrouillée.Elleouvre,demande:—Ilyaquelqu’un?
—Oui,jesuisiciavecWilson,répondsamèredepuislacuisine.Justine, étonnée, fait son entrée dans la cuisine aumoment où le petit chien bondit pour attraper un
morceaudepouletqueluiprésenteÉlisabeth.—Tuestoutetrempée!constatesamèreenlavoyant,avecunelégèremouededédain.—C’estsûr,jesuisalléefairemonjogging,ditJustine.Donne-moiuneminute,jesautedansladouche
etjerevienstoutdesuite.Unefoislavée,Justineretourneàlacuisine,vêtued’unpeignoirblancderatineetlescheveuxenroulés
dansuneserviette.Dèsqu’Élisabethlavoitapparaître,elleditsuruntonpresqueaccusateur:—Vousnevousentendiezpasaulit,c’estça?C’estpasvrai,ellenevapasrecommenceravecça!—Maisoui,maman,trèsbien!DepuisqueZibestparti,Élisabetharecommencéàsepointerchezsafilledefaçonimpromptue.Elle
luiapportedespetitsplats,quiluifonttoujoursplaisir,maiscommeJustinesepasseraitdesréflexionsdesamère!—Parcequ’unhommequin’apasdesexe,décrèteÉlisabeth,iraenchercherailleurs,tudevraissavoir
ça,Justine,t’aspasquinzeans!—J’aipasquinzeans,maman,maisjesaisqu’unhommeestaussicapabled’attendre,voyons…— N’empêche ! T’aurais pas dû accepter ça ! Paris, c’est la ville de l’amour ! Il y a plein de
prostituéeslà-bas…—Maman,voyonsdonc!Zibn’estpaslegenreàallervoirdesprostituées!—Bienlà,oùcrois-tuqu’ilvaallerchercherSONsexe?Coudonc!Qu’est-cequej’aifaitpouravoirunemèrepareille?—Bien,quandonvasevoir,évidemment!—Dis-moialors,quandtuespartieenvoyagedenoces,tufaisaisl’amourcombiendefoisparjour?—Bien…jenesaispas,environdeuxfois.—Bonbien,faislecalcul,tuespartieunmois,çafaitsoixante-deuxfois,oùcrois-tuqu’ilvaallerles
chercher,cesfois-là?—Bien,maman…cen’estpaslamêmechose!Onétaitenvoyagedenoces!—Divisepardeuxd’abord,compteJustine,compte!Compte!—Ah,maman…—Ilenresteencoretrenteetunefois!Onlaissepasunhommetoutseul,surtoutunartiste!déclare
Élisabeth.T’asétudiéenhistoiredel’art,tudevraissavoirça,Picassopuistoutesagang,ilscouchaientavectousleursmodèlesauBateau-Lavoir!C’étaitunvraibordel!Bateau-Lavoir!
MêmesiJustinefaitconfianceàZibetqu’elletrouvesamèredélirantecematin-là,lefaitqu’ÉlisabethaitpenséauBateau-Lavoir,toutcommeZib,lasecoueunpeu.—Bien,c’estça,tuvois,t’esbouchebée.Oui,lapériodebleuedePicasso,c’esttoiquivaslavivre
parcequetuauraslesbleus,justement,puispendantcetemps-là,lapérioderose,bienilval’avoiraveclesfillesfacilesdeParis!Justine ne trouve plus rien à répondre à sa mère, qui mélange tout pour en faire un salmigondis
d’affirmationstoutesplusinusitéeslesunesquelesautres.Lenezrelevé,lesourcilhaut,samèrelatoiseenattendantuneréponse.Justinehochelatêtesilencieusementdedroiteàgauche.Oui,jesuisbouchebée,maman…—Nemeregardepascommeça,avectonairdesgrandsopérasdeVenise!TuesdéjàalléeàParis,tu
connaisPigalle,laPorte-Saint-Denis,tuvoisquejen’inventerien,ilyenapartout,desprostituées,là-bas!—Maman…çasuffitlà,tuexagèrestoutletemps,c’estpasparcequeZibestàParisqu’ilvaallervoir
desprostituées,ilpeutlefairetoutautantici,voyons!—Non,Justine!C’estpaspareil,icitueslàpourluidonnersonsexe,maisàParis,ilesttoutseul!Calme-toi,calme-toi, tun’aurasjamaislederniermotavectamèredetoutefaçon! seditJustine,
philosophe.Ellefermelesyeux,inspirelonguement.—Hein?Dis-moi?poursuitsamère.Lesfemmessontfollesdesartistes, ilyenadeuxquisesont
suicidéesàcausedePicasso!C’estpasrien!Deux!répète-t-elle.Ça,c’estsanscomptertouslesbébésqu’ilaseméspartout!JenevoudraispasquetusoismalheureuseàcausedeZibetqueçat’arriveàtoiaussi!Qu’iltefasseunbébéetqu’ildisparaisse!Remarquequejedisçajustepourtonbien,Justine.Quandest-cequetuvasarrêterdet’occuperdemonbien,merde!Justineessaiedeconserversonsang-froid,mêmesiellen’aqu’uneenvie:envoyerpromenersamère!
Maispourl’instant,toutesonénergieestemployéeàgarderlecontrôled’elle-même,quin’estpasloindebasculer!—Mais,maman,jenesuispassuicidaire!Etsituveuxquejeresteencoreici,changedesujet!S’ilte
plaît!—Bon,c’estça,chaquefoisqueçafaitpastonaffaire,tuveuxqu’onchangedesujet,etj’airemarqué
queçaarrivesurtoutquandj’airaison!Découragée,Justinepousseunlongsoupir.—Maisc’estcorrect!C’estcorrect!Jen’enparleplus!reprendÉlisabeth.Puiselletournelatêtedecôté,lèveunemain,l’airdedirequ’elleenaassezetneveutplusenparler.Le Bateau-Lavoir,mais où est-ce qu’elle est allée pêcher ça, elle ?Hum…Trois semaines avant
d’alleràParis,c’estbientroplong…ElletexteàChloé,BrigitteetSarah:«Lesfilles,croyez-vousquejedevraisalleràParisavanttroissemaines?»«Oui,oui,oui!»répondentaussitôtlesamies.Biencoudonc,c’estpeut-êtremamèrequiaraisonaprèstout!
A
24Bang!
prèsunerudeépreuveàlacour,présidéeparlejugeMongrain–celuidevantlequelaucunavocatneveutplaider,quitteàfairereporterleurscauses–,Chloésortdelasalle,puisentredansl’ascenseur.Plongéedanssespensées,ellerevoitsaplaidoirie,sefélicitedesaperformance.Tirantsagrosse
mallettesurroulette,surlaquelleuneboîterempliededocumentsestretenueparunlargeélastique,ellepoussedel’épaulelesgrandesportesdupalais,empruntelapasserelledeshandicapés,vérifiequ’iln’yapasd’autos,franchitlarueendiagonalesanssesoucierdel’intersectionoùelledevraittraverser.Une foismontéedans savoiture, elleentend lebruitde textoqui luiparvientde son téléphone.Elle
regardelemessage.Bon,Sébastienencore…«Matraite,soupersamedisoir?Ungarsatoujoursbesoind’unedeuxièmechance!»Ahbien!Lemaudit!Çafaitdesmoisquejecoursaprèslui,ilm’invitefinalementàunweek-end,
puis là, quand je lui dis que c’est fini, il veut qu’onaille souper !Expliquez-moi, quelqu’un, je necomprendsvraimentrienauxhommesetj’enaipleinledos!Agacée,elledécidedenepasrépondreetjettesoncellulairedanssonsac.Sacartedecréditenmain,
elle se dirige vers la guérite pour payer son entrée. Arrivée non loin de la borne de paiement, elles’apprêteàfreinerpuisqu’unevoitureyestdéjà.Ellelèvelepieddelapédale,maissavoiturecontinuesacourse,elletented’enfoncerlefreinaussitôt,l’autoneralentittoujourspas.Ellejetteunrapidecoupd’œilparterreetconstatequesontapisestcoincésouslapédale.Elleabeautirer,ellen’arrivepasàladécoincer.Vite,ellesepenchepourattraperletapisavecsamain.Maistroptard.Bang!Chloé relève la tête pour n’avoir que les yeux qui dépassent du tableau de bord, regarde la voiture
devantelleetvoitleslettresuneàune:P-o-r-s-c-h-e.Shit!PasunePorsche!Unhommeen sort, visiblementdemauvaisehumeur.Elle constateque le chauffeur est nul autreque
Charles.Paslui!Leshommesetleurchar!Puisenplus,unplay-boy!Ilsnesontpascapablesdesepasser
deleurauto,euxautres!Ilvaderrièresonvéhicule,passelamainsursonpare-chocsalorsqueChloéneserésoutpasàsortir
desavoiture.Ilsetournebientôtverslaconductrice,nevoitqu’unecrinièrerousseetdeuxyeuxvertsquil’observent.Ils’approchedelaportière.Chloébaissesavitre,laminecontrite,etluidit:—Jem’excuse.—Chloé!faitCharles,surpris,bienqu’ilafficheencoreunaircontrarié.D’ailleurs,ilretournetoutdesuiteàsonpare-chocs,enévaluelesdégâts.Pendantcetemps,Chloésort,
neregardemêmepaslesdommagesdesavoiture,seposteàcôtédeCharles.Ildit:—Moiquimefaisaisunegloirequ’ellen’aitjamaisétéaccidentée…—Jem’excuse,répèteChloé,d’unevoixdepetitefille,alorsqu’ellerelatecequis’estpassé.—Mouais,c’estvraimentstupide,ça…
—Viens-tujustedemetraiterdestupide?demandeChloé,offusquée.—Non,pastoi,voyons,lasituation.Jesaisquecen’estpasdetafaute.Chloéenfouitlesmainsdanssespochestandisqu’unconducteurklaxonnederrièrepourqu’ilslibèrent
lavoie.LesbeauxyeuxdeveloursdeCharlesneluidisentriendemauvais.—Tuveuxqu’onremplisseunconstat?demandeChloé.—Oui,reculonstouslesdeux,onferaçatranquillementdanslestationnement.Charlesfaitsigneauconducteurimpatientdereculer.—Bon,fait-ilenpassantlamaindanssescheveuxcouleurébène,jetesuis.Allez!Et…ajoute-t-il,
surtoutfaisattentiondenepastemettreenpremièrevitesse!Laminerenfrognée,Chloélefixeuneseconde,plisselesyeux,luijetteunregard,l’airdedire:«Tu
meniaisesouquoi?»Unmacho,c’estsûr…Enfin,Charleséclatederire.Ouf!—Tunet’espasvulaface,dit-il.—Non,faitChloé,jenetraînepasdemiroirpourmevoirlaface,surtoutpasquandonritdemoi!—Neleprendspascommeça,c’estunejokedegars.—Oui,maist’aspasremarquéquec’estàunefillequetuladis,tajoke?Unmacho+play-boy=laflush!Chloé recule sa voiture, se gare, bientôt suivie deCharles qui cherchemaintenant dans son coffre à
gantsunconstatàl’amiable.Finalement,leformulaireenmain,ils’approchedesavoiture,luifaitsignedebaissersavitre.—Disdonc,ceconstat,ça teditqu’onaille le remplirdevantuncafé, ilyenaun justeàcôté, sur
Saint-Jacques,tusais,faceàlaportedupalais?—Oui,jeconnais,mais…—C’esttapremièrepunition,déclare-t-il.—Etladeuxième?demandeChloé.—Tuacceptesdesouperavecmoisamedisoir.—C’estque…—Aprèsunaccidentcommeça, tuasbesoind’unbonavocatpour tedéfendre,etcommetusais,un
avocatnedevraitjamaissereprésenterlui-même.Situveux,jetesigneunmandattoutdesuite,jevaistefaireunbonprix,tuverras.Chloépouffederire.
C
25Vente-débarras
hloéarrivechezSarah,lavoiturerempliedeballonsmulticoloressoufflésàl’hélium.Quandc’estletempsdes’entraiderentrecopines,iln’yapasmieuxquelesmembresduquatuor!Pourmousserunpeulesventes,Chloé,quiatoujoursplusd’untourdanssonsac,aapportédesdéguisementspour
touteslesfilles.Empêtréedanssesballons,ungrandfourre-toutsuruneépauleet,surl’autre,sonsacàmainduquelsort
laminusculetêtedupetitRambo,ellesonneàlaporte.Partoutoùellevaetoùellepeut,Chloétraînesonchienavecelle.Ilestsimignon!Dèsqu’ilvoitqueChloés’apprêteàpartir,ilvasechercherunos,ledéposedanslesacàmaindesamaîtresse–faisantsesbagages,luiaussi,pourlajournée–,etenfin,ilsetailleuneplaceetposesonpetitderrièreparmibrosse,maquillage,stylos,enveloppes,etc.Maisparfois,Chloédoitlelaisseràlamaison,etc’estàgrand-peinequ’ellel’extirpedesonsacàmain.Quandellen’oubliepasl’osdanslefonddesonsacpourleretrouverensuitetoutcollant!— Chloé ! Ça, c’est bien toi ! Mais entre ! dit Sarah, alors que Brigitte et Justine l’aident à se
débarrasserdesessacs.LéaetCamilleviennentvoirChloéaussitôtqu’ellesentendentsavoix.—Ah!Mesbellespuces!s’exclame-t-elleenembrassant lespetitesaveceffusion, regardezceque
j’aipourvous!ajoute-t-elleensortantRambodesonsac.—Ilesttropcute,disentlesfillettes.Onpeutl’emmenerdansnotrechambre?demandeLéa.—Biensûr,faitChloé,jevousfaisconfiance.Nelelaissezpassanssurveillance,sivousnelegardez
pasavecvous,vousmeleramenez,promis?—Promis,fontlesjumelles,quirepartentaussitôtaveclepetitRambodansleurchambre.Enfin,Chloéfarfouilledanssongrandsac,ensorttoutessortesdecostumes.Elles’exclame:—Vous allez voir ce que je vous ai apporté ! Avecmes déguisements, on va les vendre vite, ces
affaires-là,fiez-vousàmoi!—T’esfolle!ditSarahenriant.—J’aiuneinfirmière,uneavocate,unagentdebordetunefemmed’affaires!préciseChloéensortant
sesaccoutrements.Lesfillespouffentderireens’arrachantlescostumesdesmains,etdéjàfontvolerleursvêtementspour
lesessayer.—Moi,jeprendsl’avocate!déclareJustine.—C’estmoi,l’avocate!objecteChloé.—Bien,pasaujourd’hui!Toi,tuferaisunebelleinfirmière!—Etmoi,ditSarah,quiadéjàrevêtulapetite jupenoireet levestondelafemmed’affaires,qu’en
pensez-vous?Endisant cesmots, Sarahmet de grosses lunettes noires sans verres, touche la branche du bout des
doigtsetfaitlamouedevantsesamies,quis’amusentcommedesfolles,s’échangeantlescostumesàquimieuxmieux.Unefoislesessayagesterminés,elless’esclaffentenconstatantquetouslescostumesontétéintervertis,lajupedel’unseretrouvantaveclevestond’unautre.
—C’estmoiquiailajupedel’agentdebord!ditChloé.—Biennon,tunel’aspasdutout,c’estlajupedelafemmed’affaires!Et c’est bientôt la cacophonie pendant que jupes, vestons et tabliers passent de nouveau demain en
main.Elles s’obstinent un temps et, finalement, le sort en est jeté : Chloé sera l’agent de bord, Sarah
deviendra la femme d’affaires, Brigitte, l’avocate, alors que Justine sera l’infirmière. Ensuite, ellesdisposentlesaffairesqueSarahatriéespourêtrevenduesdansl’entréedegarage,installentdesaffichesau coin de la rue. Puis, elles s’affalent dans leur chaise, attendant leur premier client. La journée estbelle,lesfillessontdebonnehumeur,unbeauweek-ends’annonce.—Wow,faitChloéenvoyantarriverlepremierclient,uneJaguar!Onvaleplumer,celui-là!Sarahdit:—UneJaguar?Qu’est-cequ’uncoupleenJaguarpeutbienacheterdansuneventedegarage?Sarahaurabientôtsaréponse.Unhommed’unesoixantained’années,cheveuxpoivreetsel,quial’airduparfaitdandyavecsonport
altier,sortdelavoiture,vaducôtépassageretouvrelaportière.Unedameensort:—Ahbien!C’estpasvrai!s’exclameSarah.—Quoi?Quoi?Quoi?fontlesfilles.—Mamère!laissetomberleuramie,lamâchoiredécrochée.Lesfemmesécartentlesyeuxàleurtour.—UnecouguardansuneJaguar!Passimal!ditChloé.—Maisondiraitplutôtquelacouguararangésesgriffes,ditSarahenselevantpourallerau-devant
desamère,aussitôtsuiviedesamies.—Sarah,jeteprésenteFabien,déclareAnnie.—Jesuisenchantédefairevotreconnaissance,répond-ilentendantlamain.—Moiaussi,faitSarah,estomaquée.Biencoudonc,ellevatoujoursmesurprendre,celle-là!Anniejetteuncoupd’œilcompliceverssafilleetlagratified’unpetitsourireencoin.LesamiesembrassentlamèredeSarah.C’estlebranle-baslorsquelesnouveauxarrivésémettentleurs
commentairessurlescostumesdesfilles.Finalement,AnnieembrasseFabien,puisluidit:—Àcinqheures,chéri?—Oui,jepasseraiteprendre,onirasouperaurestaurant,tuserassûrementfatiguéeaprèstajournée.—Oui.Àtoutàl’heure!Fabien salue toutes les femmesavecun sourire enjôleur alorsqu’Annieenvoieunbaiserde lamain
verssonamoureux.—Oùest-cequetul’asdéniché,celui-là?demandeSarah.—Bien,surunsitederencontres,c’estpasdifficile,c’estremplid’hommes!Aufond,jelesaimeplus
demonâge,lacouguar,c’estdupassé!Bon,moi,jevaism’occuperdespetites.Bye,lesfilles!ajouteAnnieens’engouffrantdanslamaison.Lesamiesseregardent,Sarahéclatederire,aussitôtsuiviedesautres.Au milieu de l’après-midi, Sarah réalise que tous ses articles pour enfants sont vendus. Elle a un
pincement au cœur en pensant à sa vie avecAdam, son avenir plutôt incertain,mais vers lequel elleregardeavecconfiance,lenezauvent.Àlafinduweek-end,elleseretrouvelespochespleinesdebillets tant leplandeChloés’estavéré
lucratif. Ce montant va l’aider grandement puisque, à lui seul, il paiera presque l’entièreté de son
déménagement.—Onfêteça?demandeSarah.
L
26Doublevie
orsqueBrigitterentrechezellecesoir-là,toutelamaisonsembleendormie.Surlapointedespieds,ellemonteàl’étage,serenddanssachambre.Danslenoir,elledistingueuneformequisedécoupesurlelit.
Ildort,tantmieux…À tâtons, elle cherche dans son tiroir, palpe les tissus,met lamain sur une robe de nuit, l’enfile et,
silencieusement, se rend dans la salle de bain pour se démaquiller. Elle n’a pas envie que Jean seréveille.Elleneveutpasluiparler.Lemiroirluireflètel’imaged’unefemmefatiguée,amaigrie.Çan’aplusdebonsens, jenepeuxpascontinuercommeça.Lookatyou, t’es toutecernée, tune
dorsplus.Unedoublevie,cen’estpasunesolution,ça…Elle ferme les yeux unmoment alors qu’une envie de pleurer l’envahit. Elle s’assoit sur la toilette,
laissetombersatêtedanssesmainspuispleureenprenantsoind’étouffersessanglots.Pourtant,cerendez-vousavecChristians’esttrèsbienpassé.Illuiaencorefaitl’amourcommeunfou.Encoreplusfougueusementqued’habitudemême,tantlapeur
delaperdreaétégrande.Brigitteaabandonnél’idéedelequestionnerdavantage,mêmesiellen’apaseuuneréponsenette.Aufondd’elle-même,ellelaconnaît,cetteréponse,maisellenetientpastantqueçaàl’admettre.Dumoins,pasaussiclairement.Puisfinalement,elledoitserendreàl’évidence:l’avoircommemaîtressefaitbienl’affairedeChristian.Ilneveutriendeplus.Elle se lève, fait couler l’eaudu robinet, s’enasperge levisage, sedémaquille.Elle revientdans la
chambresansfairedebruit,etfurtivement,seglissesouslesdraps,leplusloinpossibledesonmari,luioffrantsondos.Brigittefermelesyeux,contentedenepasavoiràaffronterJean,àluiparler,alorsqu’ellesortdesbras
deChristianetdesesardentesétreintes.—T’aseuunebellesoirée?demandetoutàcoupJeandanslenoir.—Jetecroyaisendormi,répondBrigitte.—Alors,cettesoirée?demandeencoreJean.—Ah!Ons’estbienamusées,asalways,faitBrigitte,pendantquesoncœurbatàtoutrompredanssa
poitrine.Gosh!Est-cequ’ilsaitquelquechose?—Oùêtes-vousalléessouper?—ChezJustine,sonmariestpartiàParis,etellenousainvitées.—Qu’est-cequevousavezmangé?Çayest,ilsait!Sansquoiilnemeposeraitpastoutescesquestions!Brigitte, lesyeuxgrandsouverts,suspendsa respiration.Toute lachambrebaignedansunsilencede
plomb.—Bien…dupoulet,répond-elle,maispourquoitoutescesquestions?Brigitteseretourne,scrutelanuit.Jeann’apasbougé.Elledistinguesesépaules,illuifaitdos.Savoix
luiparvientdenouveau:—J’aipasledroitdeteposerdesquestions?Ilmesemblequetusorspasmalsouventcestemps-ci…Soudainement,Brigitteaenviedetoutluidire,des’excuser,desejeteràsespieds,deluidemander
pardon. Elle s’en veut, se sent trop coupable.Mais au lieu de ça, elle fait une nouvelle tentative derapprochement.Etsi,contretouteattente,elleretrouvaitl’hommedesesvingtans,celuiqu’elleaaiméprofondément ? Celui qu’elle tente désespérément de ressusciter sous les traits de cet homme un peuempâté,quiaperdusesrêvesdejeunesse,cethommesérieux,assisdevantlatélélaplupartdutemps,quinelafaitplusrire,quinel’allumeplus.Elledemanded’unetoutepetitevoix:—Trouves-tuqueçavabien,notrecouple?Jeanlèvelatête,regardel’heureetdit:—Ilestonzeheuresetdemie,tuparlesd’uneheurepourmeposerunequestionpareille!—J’aibesoindesavoir.Dis-moi,qu’est-cequetupensesdenotrerelation?—Bien,çavapasplusmalquelesautrescouples,grommelleJean.—Quelleréponse!Jean…Ilfautqu’onparle.Çafaitjenesaispascombiendetempsquejet’envoie
dessignaux,quejeveuxqu’onsortejustetouslesdeux,t’estoujoursassisdevanttatélé,outuprendstesweek-endspourjoueraugolf,quandc’estpastonracquetball.Onnefaitvraimentrienensemble,çanepeutplusdurercommeça!—T’aimespasça,legolf,faitJean,laconique.—Oui, c’estvrai,puis le racquetballnonplus,puis les sportsnonplus.Mais il y aun tasd’autres
chosesqu’onpeutfaireensemble.Onpeutmarcher,allerauthéâtre,parexemple…—Jen’aimepasça,moi,marcher,répondJean.— Peut-être, mais est-ce qu’on peut s’asseoir, réfléchir à une activité que nous pourrions faire en
commun?Jeveuxunmariàmoi,avecquijepeuxdiscuter,alleraurestaurant,voirdesexpositions,unhommequim’embrasseenrentrantàlamaisonlesoiraulieud’ouvrirlatélé.Puisça,jenel’aipas!—Qu’est-cequetuveuxquejefasse?C’estpasmafautesitun’espassportive!Jenepeuxpaspasser
montempsàteregarderdanslesyeux!Çafaitquinzeansqu’onestensemble!—Justement!Quinzeans!Ilmesemblequeçacompte,ça.Jet’aitoujoursdemandéqu’onpartejuste
toietmoiensemble,tuneveuxjamais,onesttoujoursaveclesenfants,onn’apasdeviedecouple,c’estpascompliqué!—Ah!Jetravailledemainmatin,moi,marmonneJean.Onnepeutpasparlerdeçauneautrefois?—Chaquefoisquejetedemandedediscuterdenousdeux,tumedis«uneautrefois».Jean,jetele
dis,j’enpeuxplusdevivrecommeça…—Bienlà,qu’est-cequetuveuxquejetedise?Qu’onvaallerenvacancesensemble?Qu’onvaaller
aucinéma?Quoi?Dis-lepuislaisse-moidormir,jemelèveàsixheuresdemain!Brigittesetournesurlecôtéalorsquedesesyeuxs’échappentdeslarmesrefouléesdepuislongtemps.Depuistroplongtemps.—Puis?J’attends!insisteJean.—Laissefaire,laissefaire…répondBrigitte.—Bon,toutçapourrien!Puislà,jem’endorsplus!Vousêtesdonccompliquées,vous,lesfemmes!
A
27Riennevaplus…
upetitmatin,seule,aprèsledépartdeJeanetdesenfants,Brigitteestassisedevantsoncellulaire,unecigaretteauxlèvres.Casdeforcemajeure.Ellenefumejamaisdanslecondo,maiscejour-là,elletendunedernièrepercheàChristian.
Oui, elle s’apprête à lui écrire un texto.Qui sera peut-être le dernier.Elle prend une bouffée de sacigarette,puisexhale la fuméeenstriant l’aird’un long trait.Elle regardepar la fenêtrede lacuisine,penseàlaformulationqu’ellepourraitemployer.Commentrompreavecsonamantencentquarantecaractères,hum…Enfin,elleécrit:«Christian,j’enaiassez,jen’enpeuxplus.Restons-enlà,tuveuxjustecoucheravecmoi…»Non,pas«tuveuxjustecoucheravecmoi»…«Restons-enlà,tunem’offrespascequejeveux.Baiseravectoiaétéuneexpériencetrès…»Stupidyou,comeon…«Tum’asfaitjouircommeaucunhommeetbienquelesexeavectoisoitextraordinaire…»Holyshit!Brigitte!Ilvapenserqu’ilestlesupermandelabaiseetquetunepeuxplustepasserde
lui!Brigitteeffacesadernièrephrase,écrasesacigarettedanslecendrier,relitsontexto,enfincequ’ilen
resteaprèslesréécritures:«Christian,j’enaiassez,jen’enpeuxplus.Restons-enlà,tunem’offrespascequejeveux.»That’sit!Ellepèsesurlatouche«Envoyer».Voilà,çaditl’essentiel,ilcomprendra.Quandonétirelasauce,çaperddesaclarté.
***
—Regardez,lesgirls,cequej’aireçuàlasuitedemontexto!s’écrieBrigitte,endésignantunebelleboîteenrubannéederouge.LesfillessontensemblechezChloé,quileuraconcoctéunsouperdigned’ungrandchef,commeàson
habitude.SiladécorationducondodeChloén’esttoujourspasterminée,onpeutdirequesacuisineestbienéquipée.—Montre!fontlesamiestoutesàlafois,lecouétiréetlesyeuxrivéssurlaboîte.Brigittedéfait le papierde soie et, lesyeuxagrandispar la surprise, elle exhibeundéshabilléultra
sexy,noir,transparent,avecunsoutien-gorgeetunepetiteculottetangaassortie,garniedefinedentelle.—Hum!J’avouequ’iladugoût,cemec!Maisc’estpasungéniequandils’agitdecomprendreune
femme,faitremarquerJustine.—Non,c’estpasfort!renchéritChloé.—TumeleprêtespouralleràParis?IlmesemblequeZibnepourrapasm’oublierentrenosallers-
retours,çaval’aideràtenirunbout,ajouteJustineenriant.—Çavapocherdepartoutavectespetitsseins,toi!T’aurasbesoind’unechirurgiepourleremplir,ce
soutien-gorge!Iln’yapasdebourrurelà-dedans,mabelle.Legel,jel’aidéjàdansmoncorps!—C’estvraiquej’aipasgrand-chosedececôté,admetJustineenmettantsesdeuxmainssursesseins.
Etsijem’enfaisaisfaireune,chirurgie,moiaussi,vouspensezqueçaluiplairait,àZib?Imaginez,jenedispasunmot,j’arriveàParisavecdeuxbeauxseinstoutneufs!—Biennon,Zibt’aimepourtoi,paspourtesseins.Etpuis,s’ils’intéressaitjusteauxpoitrines,çane
vaudraitpaslapeined’êtreaveclui!trancheChloé.—Regardezquiparle,faitJustine,onsaitbien,toi,tuasçatoutnaturel!—Ha,ha,ha!entend-ondepartetd’autre.—Ilyadeshommesàseinsetdeshommesàfesses,ajouteSarah.—Onditaussiqu’ilyadeslegmenoudesbreastmen,renchéritBrigitte.—Entoutcas,moi,jenesuispaschanceuse,jen’ainiseinsnifesses,sedésoleJustine.—Leshommes!s’exclameBrigitte,découragée,çapensejusteàça,lebody,lebodyetlebody!Eux,
c’estpaslestroisC,qu’ilscherchent,c’estlestroisB!—As-tuétéassezclaire?demandeSarah.Ilmesembleimpossiblequ’ilaitréponduparundéshabillé
!—Plusclairequeça,tumeurs!Jeluiaiditquej’enavaisassez,qu’onenresteraitlàparcequ’ilneme
donnepascequejeveux.C’estpasclair,ça?—Oui,c’estclair,pourunefemmeentoutcas,conviennentlesfilles.—Etcen’estpastout,reprendBrigitte,regardezlapetitecarte!Lesfillessepenchentpourlire:«Chambre1201,mercredi19h,Reine-Elizabeth.»—Ohboy!Ilpensequec’estça,t’offrircequetuveux?Ilyaloindelacoupeauxlèvres,oudela
soupeauxlièvres,commediraitJeanPerron,nepeuts’empêcherdedireJustine.—Qu’est-cequetuvasrépondre?demandeSarah.— Rien, qu’est-ce qu’on répond à ça ? S’il n’a pas compris, il ne comprendra jamais. Moi, je
démissionne.Non,c’estfini,cettehistoire,detoutefaçon,jetrouvequec’esttropdifficiledemenerdeuxviesenparallèlecommeça.—EtJean,commentçavaaveclui?demandeSarah.—Ah!Çanevapasfort,nonplus.Ilvafalloirqu’ilsepassequelquechosedececôtéaussi.Jelui
envoie des messages, mais il n’a pas plus l’air de me comprendre que mon amant. Ou bien ils sontbouchésoubienjenesuispasclaire.Quoiqu’ilensoit,Christianm’auraaumoinsserviàunechose:ilm’aurafaitréaliseràquelpointçanevapastellementbienavecJean,déclaretristementBrigitte.—Leshommesontsouventbesoind’undessinpourcomprendrenotrelangage!ditSarah.—J’aiuneidée!lanceChloé,enfaisantunclind’œilàBrigitte.—Qu’est-cequetuvasmesortirencore,toi!faitBrigitte,enlevantlesyeuxauciel,alorsqueSarahet
Justinesourient,curieusesdedécouvrircequisetramedanslabelletêteroussedeChloé.—Bon, commence-t-elle, il paraît que les hommes aiment lesbitches, on pourrait tester ça sur ton
Christianetvoirsic’estvrai,non?Jepariedixdollarsqu’ilvaaimerça!—Bien…çavautpeut-êtrelecoupd’essayer…reconnaîtBrigitte.Cettedernièrepariequenon,suiviedeSarahetJustine.—Troiscontreune,donc!s’exclameChloé.Ilfautquetusoissûre,Brigitte,parcequelà,avecleplan
quej’aidanslatête,jenesuispascertainequelegarsvaterappeler!Enfin,toutdépenddelaprémisse!Brigittefronce lessourcils,prendquelquessecondespourréfléchir.Sesamiessontsuspenduesàses
lèvresdansl’attentedesaréponse.—Aufond,pourcequej’aiàperdre!ditenfinBrigitte.J’embarque!
Ohboy!LepauvreChristian!TelObélix,ilvientdetombertoutentierdanslamarmitedelapotionmagiqueduquatuordefilles,ou
lesdruidessesdel’amour,c’estselon.
A
28Pardonner
prèsavoirencaissétouslescoupsqueledestinluiaassénés,Sarahrêvedésormaisd’uneexistenceplus calme, sans grands chamboulements, comme ceux qu’elle a vécus depuis deux ans.Malgrétouteslesépreuvesqu’elleasurmontées,ellecontinueàallerdel’avantetestdéterminéeàavoir
une vie meilleure. Bon nombre de ses affaires étant empaquetées et prêtes à être emportées par ledéménageur,ellepourras’installerdanssonnouvelappartementdansdeuxsemaines.Aumoins, de ce côté, tout va pour lemieux, si l’on considère ainsi le fait de troquer unemaison à
Westmountcontreunappartenville,évidemment…Pourfairepeauneuveetseglisserdanssanouvellevie,Sarahadécidédelaisserpoussersescheveux
et,aulieudesalonguefrange,elleaoptépourunepluspetitequ’ellebalaiesurlecôté;cequiluivaàravir. Elle passe ses fins de semaine en jeans et en t-shirt, alors qu’elle était auparavant toujoursimpeccablementmisedanssesvêtementsgriffésetcoûteux.Pouraller travailler,elleaadoptéunstyleplusdésinvolte,sexy–augrandbonheurd’Elliot,ilvasansdire.D’ailleurs, depuis le baiser volé derrière la porte, ce dernier a renouvelé l’expérience, à quelques
endroits, choisis uniquement par lui, à travers le bureau. Il est plein de ressources lorsqu’il s’agitd’embrasserSarahencatimini.C’estcommeunecourseautrésoroùilsèmedesindicesunpeupartout,unenoteénigmatiquelaisséesursonbureau,unrendez-vouscachépourlelunch,untexto,maisparfois,ce n’est qu’en passant la tête dans l’embrasure de la porte de son bureau pour chuchoter l’endroit,l’heure,toutypasse!LesignalestsouventdonnéparledépartdeNatasha-la-vautourpuisque,pourvolerunbaiser,unecaresse,ilsdoiventjoueràcache-cache.Joueraveclefeuseraitplusexact.Ainsi,auxyeuxdeSarah,Elliotreprésentedenouveau«lechic,lechèqueetlechoc»,bienqu’ilait
déjàfaitpartiedelacatégorie«l’amouraveclamauvaisepersonne».Çaarriveaussi.Dit-on.C’estaveclesourirequeSarahserenddésormaisaubureau,enimaginantquel tourElliot lui jouera
pourpimentersesjournées.Elleestàl’affûtdetouslespetitssignes.L’oragemenacepourtanttoujoursau-dessusdesatête,etl’amoureusequiaretrouvésonamoureuxn’estdoncpasarrivéeauboutdesespeines…Ça,ellenelesaitpasencore.Ourefusedel’envisager.AlorsqueSarahrèglelesdétailsdesongroscontrataveclalunetterie,Natashaentredanssonbureau,
uneépaissechemiseàlamain.—Vousregarderezcedossier,sivousvoulezvousinspirer,çavavousaider.—Euh…c’estque…—Qu’est-cequ’ilyaencore?s’impatienteNatasha.—C’estque…répèteSarah.Maisson téléphone, laissésursonbureau, justesous lesyeuxdeNatasha,annonceunbruitde texto.
Sarahjetteuncoupd’œildistrait.
Merde,Elliot!Vite,elleprendsontéléphone,lefourredanssonsac.— Pourquoi cacher votre téléphone comme ça ? demande aussitôt Natasha, suspicieuse comme
toujours.—Jenelecachepas,sedéfendSarah.—Vousaviezl’airdevousdépêcherpourquejenevoiepas.Quandonestpris,mieuxvautattaquer!—Jesaisquecen’estpasdemesaffaires,dit-elle,mais…vousavezdelapoudreblanchesurlenez.Cequiestvraietcequ’elles’apprêtaitàluidiredetoutefaçon.Natashaécarquillesesyeuxenforme
dedemi-lune,prendunairoffusquéalorsqu’ellepasseunemainnerveusesursonnezrefaitetsortdubureausansdireunmot.Paspossible,celle-là!Elleauraitpumeremercier,toutdemême!Sarahaunpetitsourireamusé,maisreprendaussitôtsontéléphone.Ellelit:«Salledephotocopies,dansdeuxminutes.»Sonpetitmiroirdepocheenmains,ellerectifiesonmaquillagepuissedirigeallègrement,ledossier
remisparNatashasouslebras,verslephotocopieur.Àpeinearrivée,Sarahestentraînéeàl’intérieurparElliot,quiverrouillelaporte.—Tuesfou,dit-elleensejetantdanssesbras.—Foudetoi,oui,murmureElliot.—Maissiquelqu’unarrive,qu’est-cequ’onvafaire?—Jem’enoccupe,toi,embrasse-moi!Sarahritdoucementetl’embrassepassionnément.—C’estsibon…dit-elle.Auboutdequelquesminutesdelangoureuxbaisers,ilsentendentlebruitdelapoignée.—Quelqu’un!chuchoteSarah,inquiète.—Onaencoretrentesecondes,faitElliot,quiembrasseànouveauSarah.—Trentesecondes?—Oui,letempsqu’ilailleàlaréceptionchercherlaclefetqu’ilrevienne.—Alors,laprochainefois,ceseraàmontourdedonnerunrendez-vous.Quedirais-tudereprendreles
chosesoùonlesavaitlaisséesdanslestoilettesaprèslemariagedeJustine?—Bien…est-cequec’estcequejepense?SarahregardeElliotavecunpetitsourireévocateur.—C’estàprendreouàlaisser,laisse-t-elletomber.
—O
29Sanscommentaires!
hyesssssss!ditElliot,endéverrouillantlaportepourlaisserpasserSarah.
D
30TroisCoutroistrousdeC?
ans un restaurant de l’Île-des-Sœurs,Chloé est assise seule à une table pour la deuxième soiréeconsécutive.Enfin,avecsonpetitRambocachédanssonsac,quiestinstallébienconfortablementsur la chaise près d’elle. Plutôt que de choisir la vue sur le fleuveSaint-Laurent, comme tout le
monde,elleopteencorepourunetableavecvuesurlescondosenface.Commelaveille.Etcomme«paruncurieuxhasard»,lerestaurantsetrouvejustedevantlecondodeCharles.Hum…Chloétendl’oreilled’unbordalorsquesonregardestrivésurlafenêtredel’autrecôtédelarue.Lacoquine!Leconstatàl’amiableluiapermisdeconnaîtrel’adressedeCharles.Puispours’amuser,
elleestalléefairedurepéragesurleterrain.Uneombrepasseetrepassedevantlafenêtre.Chloélasuitdesyeuxensirotantsabièretandisquesesoreillessontoccupéesàécouterlaconversationdeshommesderrière elle. Ils se tiennent debout devant le bar, séparés d’elle par une petite colonne. Elle peutaisémenttoutentendre.L’und’euxdit:—Jeneveuxpasvivreencouple,ellesveulenttoutesnousmettreenboîtepoursefairefairedesbébés
!—Moi,répondl’autre,j’aidéjàdonné,jeneveuxplusriensavoir.Tumevoispayeruneautrepension
alimentaire?—Oui,c’estvraiqueçat’acoûtépasmalcher,tondivorce!Combiendéjà?—Vingt-cinqmille,justelesavocats.Puislà,j’ailagrossepensionàverser,j’aihâteenostiequeles
kidsfinissentleuruniversité!—Enplusd’avoirétéobligédepayerl’avocatedetonex!Ça,j’enrevienstoujourspas!—Oui,çaabienl’airquec’estcommeçaqueçamarchequandunefemmen’apaslesmoyensdepayer
!Elleétaitvraimentchiante,cetteavocate!UneChloéquelquechose.Sijelarencontre,elle,retiens-moi!L’espèced’abruti!Chloé tend l’oreille encore, désormais plus absorbée par la conversation derrière elle que par la
fenêtrequ’ellesurveille.—Leproblème,dituntroisième,c’estquelaloiestfaitepourlesfemmes,c’esttoujoursellesquisont
avantagéesdanslesdivorces.Onpayepourtoutfinalement.Aprèsça,lesfemmessedemandentpourquoionveutpluss’engager,onn’aplusriendanslespoches,c’estpascompliqué!—Oui,moi, jen’auraisvraimentpas lesmoyensdeme taperundeuxièmedivorce, jeserais ruiné !
Oublieça!—Puistoi,toujourscélibataire?—Bienoui!Moi,jen’aipasdepension,maisçamedonnedesboutons,êtreencouple,jemesensen
prison.—Moi,ditunautre,jeluiaitoutdonné,àSylvie,puiselleafiniparmetromper.Pourmoi,lavieà
deux,c’estfini!Çanedonnevraimentpaslegoûtdeseremettreencouple!—Ilfautdireque,toiaussi,tul’avaistrompée,non?
—Oui,maisellenel’apassu.Ahbien!Leminable!Parcequ’ellenel’apassu,çanecomptepas!—Enplus,continueleminable,elleaessayédemefourreraussi:avantdesemarier,c’étaitunange,et
aprèslemariage,jemesuisretrouvéavecunesorcièreaulieudeladéessequej’avaisépousée.—C’estarrivéàundemeschumsaussi,çal’afaitdébandervite!Ilyenatellement,defilles,àpart
ça!Sijem’arrêtesurune,quiditquejesuispasentraind’enmanqueruneautrequiseraitmeilleure?Non,moi,j’aimemieuxenpasserplusieurs,ellesonttoujoursunpetitquelquechosequilesdifférencie.C’estçaquiestlefun,uneadesgrosseins,l’autreenapas,uneestdrôle,l’autrel’estpas,pourquoions’arrêteraitsuruneseule?Chloéseretientpournepasseleveretallerleurdonnerunetelleclaquequ’elleleurdévisseraitlatête
d’unseulcoup.—Maistulesrencontresoù?poursuitundestroishommes.—SurFacebook,j’enprendssept,unepourchaquejourdelasemaine!—Ha,ha,ha,ha,ha,ha!Ha,ha!…C’estpeut-êtreàçaquej’aiservi,moi.J’étaiscelledumercredioudujeudi?Lesmaudits!Après
ça,ilsnousdisentqu’ilsveulentêtreencouple!Mouais,encouplejusqu’aulendemainmatin!Chloé fulmine et se retient encore plus. Son cellulaire sous les yeux, elle voit encore un texto de
Sébastien.Elletournelatête,nelelitmêmepas.Aprèscequ’ellevientd’entendre,l’idéeluipasseparlatêtequec’étaitpeut-êtreçaleproblèmedeson«adulescent»,quisait?—Jeblague!ditl’hommeenriant.Ah!Qu’elleestdrôle,celle-là,j’enpeuxplusderire…—Non,continuel’homme,j’enprendssixousept,puisjerouleavecpendantquelquesmois,c’estplein
debellesfilles!Quellegrandeurd’âme!Quellegénérosité,ildevraittravaillerpourOxfam!—Oui,c’estvrai,jevaisessayerça,j’yavaispaspensé.—Peut-êtrequ’onesttropindividualistes?—Biennon,c’estcommeçaaujourd’hui,toutlemondeestpareil,c’estchacunpoursoi.Là,jecomprendspourquoijetombaistoujourssurdestatas!Pourquoimegênerpourprendreles
spermatozoïdesetfoutrelecampavec?—Puisc’estsanscompterqu’aubureauilsnousendemandenttoujoursplus,ilfautprouverqu’onestle
meilleur pour ne pas se faire crisser à la porte. Je fais cinquante heures par semaine quand c’est passoixante,mevois-tupassermesweek-endsàfairedesconcessions?Çafiniraitplus!Jedonneraistoutletemps!—Puismoi,quandjevoulaisjoueraugolf,c’étaitlacrise!Enplusdemonhockeylevendredisoir
quej’aidûarrêter!Lesfilles,c’estexigeant,çaveutdécorer,magasiner,allervoirleursparents,ellesveulenttoujoursqu’onfassequelquechoseencouple!—T’asraison,ilfautprofiterdenotreliberté,puiss’aérerl’espritunpeulesweek-ends,sansçaonva
devenirfous!Fous?C’estdéjàfait!—Unefoisquetulesépouses,t’escomplètementfinietàleurmerci!Bon,c’estça,mercilesboyspourlecoursaccéléré«Lesrelationsamoureusesauvingtetunième
siècle»!—Bienoui,êtreencouple,c’estcommesepromeneravecdesferspuisunbouletaupied!Hey!Ça
metentevraimentplus,moi!Leboulet,c’esttoiquivaslerecevoirsurlatêtesiçacontinue!Qu’ilssontcons!Shit!
Chloéesttellementoffusquéed’entendrecetteconversationqu’elleoubliecomplètementdesurveillersafenêtreetl’entréedescondos.Ellepoursuitsonécouteactive.—Ah!Lesfillespuisleurbesoindesécurité!Ellesveulenttout,ellesveulentêtreindépendanteset,en
mêmetemps,ellesveulenttoujoursqu’onpaye,qu’onlessorte!—L’autresoir, jesuissortiavecunefemmemédecin,imaginequ’ellem’arefilél’addition!Elleest
restéeauxtoilettestellementlongtempsquej’aipaseulechoix,ilafalluquejepayequandleserveurestarrivéaveclafacture.—Ostie!Ellegagneplusquetoi!—J’sais.Ellessont renduesdemême, les filles,c’est lescénarioclassique,quoi !Ellesontunbon
salaire,puisellesveulentencorequ’onpayepourelles,’stie!—Ellesveulentl’égalitéjustequandçafaitleuraffaire!Leromantisme,t’aspenséàça,monpetitpet?—Moi,cequejeveux,c’estprofiterdemalibertéquandjenetravaillepas,puisça,çaveutdirepas
deGermaineàlamaisonpourmedirequoifaire.—Mouais!Quiditlibertéditabsenced’attaches!—Enpleinça,monvieux,t’astoutcompris!Ahbien!Plusminablesqueça,tumeurs!OnestloindestroisCdeJustine!Enfait,cesontaussi
destroisC,maistroistrousdeC…ul!LestroisT-de-Cs’éloignentetvonts’asseoiràunetable.ChloéreprendduservicepourlorgnercôtéCharles.Debout,devantelle,unhommeestlàetluibarrela
vue.Ellesepenched’uncôté,del’autre,revientdel’autre.Est-cequ’ilvas’enaller,celui-là?Ellesepencheànouveaudel’autrecôtélorsqu’ellesentunemainseposersursonépaule.Ellesefige
souslecoupdelasurprise.
—C
31L’Apollon
harles!faitChloé,dèsqu’ellereconnaîtlepropriétairedelamainposéesursonépaule.—Quelhasard!répondCharles.Tuvienssouventici?
—Euh…non,c’estlapremièrefois.—Tuavais l’airdechercherquelqu’un,est-ceque tuattendsencore legaiqui t’aembrassée l’autre
joursurlaterrasse?Chiantquandmême,cetype…—Non,jesuisseule,jepassaisparici.—Ah!Quelhasard!J’habitejustementenface,ditCharles.Chloéhésite,ellenesaitpass’illanargue.Laserveusevientlasauver,pourunmomentdumoins.Elle
demande:—J’ajouteuncouvert?— Non, merci, répond Charles, j’ai déjà rendez-vous avec des amis, mais j’aurais bien aimé par
exemple.—Vousêtesprêteàcommander?demandelaserveuse.—Oui,faitChloé,jevaisprendrelesaumon.—Ah!Lamêmechosequ’hieralors,pasdeproblème,lancelaserveuseenrepartantverslacuisine.—Hier?demandeCharles.Chloépinceleslèvres.Charlessourit.—Ah!Oui, j’avaisoublié,c’estvrai, jesuisvenuehier, j’avaiseuunegrosse journée, fait-elle,en
passantlamaindevantsonvisage,commesiellebalayaitunemouche.Puis,avecunéclatderire,elleajoute:—Cequ’onpeutêtredanslalune,nous,lesavocats,toujoursàpenserànosdossiers!—Moi, je ne peux pas me permettre ça, réplique Charles. Ça pourrait me coûter des millions de
dollars.—Ah?Tutravaillesdansqueldomaine?—Jefaisdesclosings,ventesdegrossessociétésseulement.Ettoi?Pasunautrequivamefairesoncinéma,commel’autre,enlevantlenezsurmapratiquedudroit!Surladéfensiveetprêteàattaquer,Chloérépond:—Matrimonial.—Chacunsondomaine,hein?Pasfaciledetravaillerdansleschicanesdecouple,tuesbonnedefaire
ça,moi,j’enseraisincapable!Chloéleregardedecôté,sceptique,attendantpresquelabrique,alorsqu’ellevoitvenirverselleune
magnifiquefemmebruneauxcheveuxlongs,genreAngelinaJolie,sexy,desyeux immenses,des lèvresquiluimangenttoutelaface,uncorpssculptéaucouteau.ElleonduledeshanchesenfixantChloé,quisedit qu’elle doit sûrement la connaître puisqu’elle la regarde ainsi. Mais non, elle ne la replace pas.Arrivéeàlatable,«Angelina»prendCharlesparlebras,lèvelementonetl’embrassesurlabouche.
—Euh…ditCharles,surpris.IldonneunbaisersurlesjouesdelafillepuissetourneversChloépourdire:—JeteprésenteJessica,uneamie.—Enchantée,faitladéesse.Uneamie,pasmalintime,mouais…Unecopineavecunplus?Une«fuckfriend»?Uneex?Une
desamiesFacebookavecquiilaroulédeux,troismoispeut-être?—Bonbien,àlaprochaine,ditCharlesàlajeunefemmetoujoursaccrochéeàluicommeàunebouée
desauvetage.MaisCharlesdégagesonbrasets’adresseàChloé.—Bon,jedoisyaller,mescopainsm’attendent,fait-ilendésignantlatableoùtroishommessontassis.Merde!LestroistrousdeC!Charlesfaitdéjàunsignedelamainverslatable.Chloésepencheverssonsacàmain,feintdefouiller
dedans.—Chloé?Viensquejeteprésente!ditCharles.—Non,répond-elle,jeteremercie,uneautrefois,veux-tu?—Viens,j’insiste!fait-il,ens’inclinantpourêtreàlahauteurdeChloé.—Non!marmonneChloé,latêtedanssonsacàmain,j’aifaitledivorcedel’und’euxetjel’aipas
manqué!Charlespouffederiremaisdit:—Etcesouper,c’estpourquand?—Jesuistrèsoccupéecestemps-ci,desgrosdossiers,tuconnaisça.—Oui,jeconnaisça!Samedisoir,dix-neufheures,jeréservechezBoulud,ettun’aspasledroitdete
défiler!
—J
32Lessorcièresdel’amour!
ustine!Justeaumomentoùj’allaismemettrelatêtedanslefour!s’exclameChloé,enrépondantàsoncellulaire.
—Ha,ha,ha!faitJustine,dis-moi,qu’est-cequinevapas?—Jenesaispasquoimemettresurledospourmonrendez-vous!Jesuisdécouragée!—Net’enfaispas!J’appellelesfilles,onvat’arrangerça,nousautres.Prépare-toi,onvashopper,
maChloé!
***
—Venez!Onvaallervoirici,lanceJustineàsesamies,quisesontréuniespourmagasinersurlarueSainte-Catherine.J’aidéjàtrouvéunesuperbellerobeunefois!ajoute-t-elle.—OK,onentre!répondentlesfilles.Justinepousselaported’entréeetlestroiscopineslasuivent,sedispersantaussitôtdanslemagasin.—Regardez!s’exclamebientôtSarahenmontrantunerobetrèsmoulante.C’estjoli,ça!—Non,tropsexy!déclareJustine,intransigeante.—Maisjel’aime!faitChloé.—Non,jetedis!C’estpasbon!Tudoisjouerlacartedumystèrepourtonpremierrendez-vous.Situ
portesuntropgranddécolleté,l’hommepensequ’iln’aurarienàfaireetquetoutestgagnéd’avance!Puisça,cen’estpaslemessagequetuveuxenvoyer!—Oui,c’estvrai,approuveSarah,Justinearaison,sexy,maisoncherchelelook«subtileséduction».—Ilfautquetul’amènesdanstonlitlentementetsûrement,celui-là,c’estcommeçaqu’ilvayrester!
faitJustine.—Regardezça!s’exclameànouveauSarah,enexhibantunejupeau-dessusd’unprésentoir.—Uneoption,onlagarde!approuveJustine.—Ça,lesfilles,qu’enpensez-vous?demandeChloé.—T’escertainequetupourrasrespirerdanscetterobe?demandeSarah.—Huummmm…passûre,non.—C’estunmust!Tudoisêtrecomplètementàl’aisedanstesvêtements.—Pourça,j’aicequ’ilfautenlingemouàlamaison,ditChloé.—Cedontt’asbesoin,c’estlafuck-me-dress,maissansl’optioncouchette,décrèteBrigitte.Ah!Sion
étaitàNewYork,ontrouveraittoutdesuite,jeconnaissaistouslesbonsspots!—Hey!protesteChloé,c’estdoncbiencompliqué,votreaffaire!—Quandonvaavoirfiniavectoi,ditJustine,tonApollonvamêmet’embrasserlespieds!Lesfilleséclatentderire,etBrigitteajoute:—LejourJ,quandilvavouloirtrouvertonpointG,c’esttoiquiaurasledessusettun’aurasqu’àle
cueillircommeunerose.—Ha,ha,ha!fontencorelesfilles.—Oui,maisavouezqueçafaitpeur,uncélibataire,beaucommeundieu,quisepromèneenPorsche!
Ildoitavoirtouteslesfillesquiluicourentaprès.—Oui,mais là, tu as accepté d’aller souper avec lui ! lui rappelle Justine.T’as déjà lamain dans
l’engrenage,autantypasserlebrasaussi,vajusqu’aubout,tulesaurassic’estça!Maisgarde-toiunepetitegêne,situvoisdessignes,sauve-toidelà,puisvite,avantqu’ilnesoittroptard!—S’ilt’inviteauRitz,c’estqu’ilalechic,etsûrementlechèque.Restelechoc,maisça,pastouche
avantlatroisièmerencontre!déclareSarah.Chloéfaitlamoue,elleaimeraittantquecesoitplussimple.Ellecontinueàpousserlesrobessurle
présentoir, les élimine toutes les unes après les autres en pensant à tous les critères que ses amiessorcièresédictent.—Onvafinirpartetrouverlekitparfait,l’assureBrigitte,envoyantlaminedépitéedesacopine,ne
tedécouragepas.—OK,lancesoudainementJustine,meeting!Ons’éparpilletrop!Venezici,faisonsunrécapitulatif.
Décidonsdescritères,ensuiteonaurauneidée!Un:déterminerl’endroit,doncchezBoulud.Jupe,robeoupantalon?—Jupeourobe!Chloéadebellesjambes,ilfautlesmontrer.C’estmieux,ditSarah,non?—Oui,puiselleadebeauxseins,maisça,ilnefautpaslesmontrer,justeunesuggestionenpassant…
préciseBrigitte.—Ha,ha,ha!…—C’estquandmêmeauRitz,çavautlapeinedes’habillerchic!souligneSarah.—Oui,biend’accord.Oncontinue.Lalongueur?s’enquiertJustine.LesyeuxdeChloévontdel’uneàl’autre,ellesedemandebienoùtoutçavaaboutir.Sonsortestlaissé
entrelesmainsdesesamies-sorcières-de-l’amourquisontentraindeluiconcocternonpasunepotionmagique,maisunlookdivin.—Pas à ras le popotin nonplus, il ne faut pas qu’il penseque tout lui est permis et qu’il n’a qu’à
glisserlamainsoustajupepourentrerauparadis!Donc,mi-cuisse!Onchercheunerobeoujupe,mi-cuisseetpasdécolletée,onyva?—Oh!faitSarah,n’oubliezpasqueChloéestrousse,donclacouleurest importante,etpastropde
motifsgenreléopardougrossesfleurs,çafaitpeurauxhommes!— Puis aussi, confortable, il ne faut pas que tu perdes connaissance quand même ! fait remarquer
Brigittedesoncôté.Lesfemmesrepartentaussitôtàl’assautdesrangéesenriantdeplusbelle.Ellesfouillentetfarfouillent,
des robes sortentdes rangées, soulevéespar l’une,par l’autre,desnon fusent,despeut-être, et enfin,quelquesoui,quisontdirigésverslasalled’essayage.Unbrindépassée,Chloédit:—Çava,lesfilles,j’enaiassez,jetrouveraisûrementparmiça.Lesamiess’esclaffent,puisseremettentàlatâche,empoignantçàetlàchemisiers,robes,chandailset
compagnie!Unevendeusevientbientôtlesvoiretdemande:—Jepeuxvousaider?—Non,répondChloégentiment,j’aidéjàtroisexpertesassezmotivéescommeça!Le repérage fini, Chloé entre dans une salle d’essayage. La vue de tous les kits que ses amies ont
trouvésladécourageunpeu.Maiscerendez-vous,elleneveutpaslemanqueretellesepliefinalementdebonnegrâceàl’essayage.Ellesortaveclapremièrerobesurledos.Ellenemetpaslongtempsàserendrecomptequeçacloche,àvoir laminedéconfitedesesamies.Elle retournedans lacabinesansdemandersonresteetenessaieuneautre.
Audeuxièmeessayage,ellesepavanedevantsesamiesetdit:—Ilmesemblequej’ail’airgrossedanscelle-là,non?—Grosse?Bienvoyonsdonc!faitSarah.Chloé leur tourne ledos, faitunexamenplusapprofondi.Ellerentresonventre,se tapote lesfesses,
essaiedes’étirerenlongueurpendantque,àsoninsu,lesfillessejettentuncoupd’œildésapprobateur,luiconcédant,sanstoutefoisvouloirleluidire,qu’elleatoutàfaitraison.Finalement,Justinebalaiel’airdesesmainsetdéclare:—Ah!Non,moi,jenel’aimepas,celle-là,lacouleurnetevavraimentpas!—That’sit!approuveaussitôtBrigitte,jesavaisqu’ilyavaitquelquechosequiclochait,maisjene
pouvaispasmettreledoigtdessus!Chloétournelestalonspendantquelesfilles lèvent lesyeuxauplafondetsefontunpetitsourirede
connivence.Ouf!LarusedeJustineestarrivéebienàpoint!Ainsivontlesnombreuxessayages,leséchangesdechemisiersetdejupes.LeverdicttombeenfinlorsqueChloésortdelacabinevêtued’unejolierobesansmanches,d’unvert
sombre avec un colmontant, très ajustée, longueurmi-cuisse, et qui répond, sans contredit, à tous lescritèresétablis.—Wow!s’exclamentlesfillesàl’unisson.—Tessouliersàtalonshautsnoirsavecça,ceuxàlasemellecompensée,serontparfaits,ditJustine.Chloéestravie,elleaussiadorelarobe.Alorsqu’ellespatiententtoutesdevantlacaisseenattendant
quelavendeusepréparelepaquet,Sarahsortunpetitflacondesonsac,letendàChloé.—Tiens!fait-elle,metunegouttedecettehuileessentielledegenièvredanstonshampoing,etilsera
ensorcelé.Moi,j’avaisfaitçaavecAdam.Siçaaeudel’effetsurungai,imaginesurunhétéro!—Ah!Jeveuxsentir!s’écrientlesamies,quifontensuitecirculerleflacondel’uneàl’autre.Àsontour,Justinesefaiténigmatique,souritetextrait,elleaussi,unflacondesonsacpourleremettre
àChloé.—Àmonmariage,j’avaisfaitunepetiterecettemillénaire,explique-t-elle.Tiens,enduistoncorpsde
cettemixtureetlaissepénétrerpendanttrenteminutes.—Qu’as-tumisdanstapotionmagique,gentillesorcière?demandeChloé.—Dumiel,del’eaudesource,del’huiled’olivepure,quiprovientd’unvieilolivier,etdujusdefruit
delapassion.Divin!Tapeauseradoucecommecelled’unbébé,etlorsqu’iltoucheratesbras,ilseraenvoûtéetn’auraqu’uneenvie:TOI!—Lepauvre!ditBrigitte.Ilestdéjàtout«préliminé»etlasoiréen’estmêmepascommencée!Sarah,JustineetBrigitterientdeboncœurpendantqueChloé,émue,regardesesamiestouràtouret
laisseéchapperleslarmesquimenaçaientdecoulerdepuisuncertaintemps.—Lesfilles,jenepeuxmêmepasimaginermaviesansvous!leursouffle-t-elle.Touchées,lesamiesétreignentChloédevantlavendeuseattendrie,quitientlesacjolimentemballétout
contreelle.
D
33Quandunhomme
neveutriencomprendre
ans un corridor duReine-Elizabeth, deux jeunes garçons turbulents s’amusent à courir.Uneportes’ouvre,unemèreglisselatêteàl’extérieuretdemandeauxenfantsdesecalmer.Undesgarçonss’appuie sur le cadrage de la porte, fouille dans la poche de son pantalon et en sort un sac de
friandisesqu’ilpartageavecsonfrère.Alorsqu’ilsavalent leurs sucreries, ilsvoientveniruneénorme femmeauxcheveuxblondsbouclés,
graisseux,quis’échappentdesacasquettedevinyleroseettombentdevantsafigure.Prisdepanique,lesgarçonsécarquillentlesyeuxetsefigent.Pluslafemmes’approchedesonpaslourd,pluslesenfantsontpeur.Maintenant qu’elle est tout près, les garçons distinguent clairement ses traits : elle a une grosseverruesurunedesesnarines,uneautretoutepoiluetoutprèsdelabouche,desdentsnoires,dumoinscellesqu’illuireste.Sonmaquillageoutrancierfaitpenseràceluid’unevieilleprostituée.—Bonjour,lespetits!dit-elle,enavançantsesimmenseslèvrespeintesenrouge,toutenchiquantsa
gommebruyamment.Lesenfantsfrappentmaintenantàtoutromprecontrelaportedelachambrequis’ouvresurleurmère,
quilesgrondeànouveaudefairetantdeboucan.Deuxportesplusloin,lafemmecogneaunuméro1201.Ellen’apaslongtempsàattendre,carChristian
ouvre aussitôt, empressé de voir…Brigitte. Tout aussi saisi que les gamins, etmême encore plus, ilbredouille:—Vous…vous…vousêtestrompée…de…de…dechambre,madame,finit-ilparbalbutier.—Mais non, fait-elle, en ouvrant un imper sur un déshabillé noir de fine dentelle, qui craque sous
touteslescoutures.Ledéshabilléluirappellevaguementquelquechose,maiscomplètementsouslechoc,l’hommecrie,en
tentantvainementderepousserladameversl’extérieur:—Qu’est-cequevousfaiteslà?Rhabillez-vous!Maislafemmeestbiendécidéeàserendrejusqu’aubout.Ellesortdesmenottesdesespoches,leslui
montreetdéclare:—J’aicequ’ilfaut!—Maisjenevousconnaispas,sortezd’ici!ordonneChristian,paniqué.—J’aiçaaussi,sivouspréférez,renchéritladame,quiluimontreunfouet,profitantdelacommotion
temporairequ’elleaseméepourfaireunpasdeplusdanslachambre.—Jenevousairiendemandé,laissez-moitranquille!Puis lafemmesort leromanFiftyShadesofGreyet lui faitunclind’œiloutrancierenavançantses
grossesbabinesrougesenformedebaiser.Christianne sait plusquoi fairepour repousser sa«muse»qui, décidément, ne semblepasvouloir
repartir.Fautedepouvoirlachasseraveclaforce,iloptepourunefuiteverslasalledebain,puisqueladamebloquel’accèsdelaporte.Soulagé,ils’enfermeàdoubletouràl’intérieuretsejetteaussitôtsurletéléphoned’urgence.D’unevoixtremblante,ils’écrie:
—Venezviteau1201,ilyaunefemmeavecunecasquetterosequis’estintroduitedansmachambre!Troptard,carlafemmeenprofitepoursebarrerenempochantsesobjetssado-maso.Elleboucleson
imper, enlève sa casquettemuniedes cheveuxblondsgraisseuxqui sont cousus au rebord, fout le toutdanssongrandsacetparttranquillement.Missionaccomplie!Check!Christiancollel’oreillecontrelaportepourtenterdesavoircequesonagresseurtramedel’autrecôté,
s’inquiètepoursesobjetspersonnelsqu’ilalaissésdanslachambre,labouteilledechampagnequiestouverteetquireposedansleseauàglace.Etsiellebuvaitàmêmelabouteilleenattendantlesgardiensetqu’elleruinaitleprécieuxnectarqu’ilseproposaitdeboireavecBrigitte?Puisilrepenseàl’horriblefemme,lesdentsnoircies,laverrue,lacasquetterose,ettoutàcoupluiviententêteledéshabilléqu’elleportait.Ilsefrappealorslefrontetdit:—Ostiequejesuiscon!
***
RéuniesdanslasalledespasperdusdelaplaceVille-Marie,lesquatreamiestrépignenttellementellesonthâtedevoirarriverl’émissairequeChloéaenvoyépourseprêteràleurpetitjeu.Question:Est-ilvraiqueleshommesaimentlesbitches?Les yeux rivés aux immenses baies vitrées, elles surveillent l’entrée du Reine-Elizabeth avec
impatience,yallantdetouslesscénariosimaginablesetriantcommedesfolles.—Elleestlà,regardez!criebientôtSarah.Lesfillessautillentenattendantqueleur«envoyéespéciale»traverselarue.Dèsqu’ellemetlespieds
surletrottoird’enface,lesamiessortentetvontàsarencontre.—Puis?Puis?font-ellesenmêmetemps.—C’étaittropdrôle!s’exclamelafemmeentredeuxhoquets,vousauriezdûluivoirlaface,ilaeu
tellementpeurqu’ilestallés’enfermerdanslestoilettes!Lequatuoréclatederire.—VousluiavezmontréFiftyShadesofGrey,hein?demandeChloé.—Biensûr,etaveclesmenottesetlefouet,faitladameenremettantlesobjetsauxfilles.—Etledéshabillé,ill’abienvuaussi?—Oui,mais là, ilétait tellementpaniquéque jenesuispascertainequ’ila remarquéquec’était le
vôtre!Pendant que ses copines s’esclaffent de nouveau, Brigitte remet un billet de cent dollars à leur
messagère.—Merci!luidit-elle.—C’estrien,çafaitlongtempsquejenemesuispasamuséecommeça!Puisellerepart,laissantlesamiessurletrottoir.—Ah!faitChloé,vousoubliezlaverrue!Tout lemonde rit alorsque la femmeenlève laprotubérancede sanarine.Les filles rigolent encore
quandsoudainementBrigittefondenlarmes.—Maisqu’as-tu?demandeSarah.Brigittesanglote,etfinalementellebredouille:—Là,c’estvraiquec’estbien fini. Ilvaquandmêmememanquer.Mêmes’ilvoulait justecoucher
avecmoi.—Cesgars-là,çanelaissejamaisleurfemme,faitremarquerJustine,malgrécequ’ilsfontcroire.
—Oui,jesais.—C’estlatotalequetuauraisaiméqu’iltepropose?demandeChloédoucement.—Oui,jedoisbienl’avouer,c’estcequej’auraisaimé.J’auraisétéprêteàquitterJeantoutdesuite
pourlui.S’ilmel’avaitdemandé,laissetomberBrigittetristement.
E
34C’estdanslestoilettesqueçasepasse!
lliotprendunelongue,maisalorslà,trèslongueinspiration!Fermelesyeux.Ilexpiremaintenantbruyammentl’airdesespoumons.
Ilouvrelesyeux,regardeleplafond.Ilsouffleunpeu,gonfleànouveausespoumonsdetoutl’airqu’ilestcapabled’emmagasiner.—Çava?demandebientôtSarahenlevantlatêteverslui.—Mmmmm…grommelleElliotpourtouteréponse.—Jecontinue?—Mmmmm…marmonneencoreElliot,quisetientàlaported’unecabinedestoilettesdeshommes.Sarahs’appliqueàlatâche,quisembleconduireElliottoutdroitversleseptièmeciel!Hum!Voyonsvoirsimaméthodeestbonne…—Etcetteaugmentation,jel’aurai?demande-t-elle.—Oui!—Etceweek-endàNewYork?—Oui!Ellehésiteunpeu,maistantqu’àyêtre,pourrigolerdavantage,ellelance:—Ungrosdiamant?—Oui!acquiesceunefoisdeplusElliot.Complètementdanslesvapes,celui-là!Ellepensemêmeajouter:«Etunedemandeenmariage?»Maiscettequestion,Sarahsegardebiende
laposer,aucasoùElliotauraitconservéunbrindelucidité!Lesdeuxamoureuxsontplongéschacundansleurfélicitélorsqu’ilsentendentlaportes’ouvrir.Sarah
ne fait qu’un bond sur la cuvette alors qu’Elliot reste là, l’artillerie lourde au garde-à-vous.Dans unéquilibreprécairesursestalonshauts,Sarahtentederesterdeboutsurlatoilette.Ilsentendentdesbruits,suspendentleurrespiration.Sarahjetteunœilsouslacloisonducabinetvoisin,aperçoitdeschaussures,lestalonsappuyéscontrelepieddelacuvette.Elleseredresse,regardepar-dessuslacloisonetvoitunhommeassis.Ilestlàpourunboutdetemps,celui-là!Ilmesemblebienconstipé…EllefaitsigneàElliotqu’ilspeuventsortir.Ilremballesonartillerie,àsongrandregret.Sarahluifait
unsignedelamain,désignesafermeturetoutengrimaçantpourqu’ilfasseattentiondenepassecoincerà nouveau ! Lui a un fou rire qu’il a peine à réprimer. Sarah enlève ses chaussures, descend de sonpiédestalet intimeàElliotdese taireenmettantundoigtsurses lèvres. Il tire lachassede la toilettepourfaireunpeudebruit,etilssortentencatimini.Un simple regard suffit pour les fairepoufferde rire tous lesdeuxune fois sortisdes toilettes, bien
entendu.Mais…ilsreprennentleursérieuxaussivitelorsqu’ilsvoientSuzie-la-chipievenirverseux!
L
35Préparation101
ecorpsenduitdelapotionmagique,composéed’huile,d’eau,demieletdejusdefruits,queJustineaconcoctée,Chloéfaitlescentpasdanssoncondo.Encostumed’Ève,ilvasansdire.
Incapablede s’asseoir nulle part, elle sepromènedegauche àdroite, revient sur ses pas, tourne enrond.Avecsonjoliminois,Rambolaregardepasser,latêtepenchéesurlecôté,l’airdesedemandercequisepasseavecsamaîtresse,etsurtout,pourquoiellene leprendpasdanssesbrascommeil le luisuggèresiclairement.Devantsonrefus,ils’envabouderdanssapetitecage.Finalement,ChloéappelleJustine pour vérifier le temps qu’elle doit macérer ainsi, car ces trente minutes lui semblentinterminables.—Bienoui,c’estça,confirmeJustine,ilnefautsurtoutpasrinceravant,sinonçanemarcherapas!—Maisc’estlong!seplaintChloé.—Profites-enpourliretesarticlesdedroit,jenesaispas,moi,regardeunfilm!—Merde!—Maisquoi?—Jeviensdem’asseoirsurlecanapé!Nooon!C’esttoutgommé!—T’enasmissurlesfesses?—Bien…oui.—MaisChloé,pourquoilesfesses?Ilnefautpasquetucouchesavecluicesoir,t’oubliespas,hein?—Bienoui,jetelepromets!C’estjusteque…jemesuisdit:simapeauestdoucedepartout,jevais
mesentirencoremieuxetçavam’aider,non?—Oui,maisenattendant,toncanapéesttoutcollant!—Jenettoieraitantôt.Çam’énervetrop,cesouper!admetChloé.—Soisnaturelle,çavabienaller!—Mouais,naturelle…facile!Bon,ilfautquejetelaisse,Justine,jedoispréparermapotionpourles
cheveuxmaintenant.Ah!Quec’estdonccompliqué,unedate!—Faistesaffaires,jeterappelletoutàl’heure,mapitoune.Chloé raccroche, va chercher le flacond’huile essentielledegenièvre, le flaire, enverseunegoutte
danssabouteilledeshampoing,lerespireànouveau,nesentpasladifférence.Elleenajoutequelquesgouttesjusqu’àcequeleparfumimprègneleshampoing.Aussitôtlestrenteminutesécoulées,Chloésautedansladouche,sesavonnebiencommeilfautet,avec
un gant exfoliant, cadeau de Brigitte, elle arrive à faire disparaître toute trace de la potionmagique.Lorsquevientletempsdelaversescheveux,ellehumeunefoisdeplusleparfumenivrantdegenièvreavant d’en prendre une bonne ration qu’elle applique sur sa longue chevelure. Elle sort bientôt de sadouche,embaumantl’aird’unedélicateodeurdebaies,etsapeauestaussidoucequecelled’unbébé.Elledéballeunejolieboîteenrubannée,prenddanssesmainslesaffriolantssous-vêtementsqu’elles’estoffertspourl’occasion,lesadmireuninstantpuislesmet.Ellevérifiel’effetqu’ilsproduisentsurelle.Mêmesiellenelesmontrerapas,cesoir-là.
Mêmesielleenauraenvie.Sûrement.Enfin,peut-être…Elleenfilelapetiterobeparfaitechoisieparsesamies,lessorcièresdel’amour,pourfairecraquerle
beaumecàlaPorsche.Enfin,ellefaitglisserdesbassoyeuxsursesjambes,metseschaussuresnoiresàtalonstrèshauts.Ellesecontempledanslaglace.Cepetitkiloquej’aiperdumevadécidémenttrèsbien…EllepenseàrappelerJustineet,àl’instantmême,sontéléphonesonne.Elleregardel’afficheuret,sans
attendre,ditàsoninterlocutrice:—Justine!Onafaitdelatélépathie,jeviensjustedeterminer!—Envoie-moiunephoto,jeveuxtevoir!—OK,attends!Chloéappuiesurleboutondelacaméradesoncellulaire,essaiedeprendreunephotod’elle-mêmequi
endévoileraleplus.Maisellen’arrivepasàsevoirenentier.Finalement,elles’assoitsurlecanapé.Hum…Etposedevantl’objectiftelleunestar.—Jetel’envoie,dit-elleàJustine.—Super!Çavabienaller,net’enfaispas!—Facileàdire…—Ilvatombersoustoncharme.Tuessispéciale!—Oui,tellementspécialequeçasebousculeàlaporte!Aumêmemoment,onsonneàlaporte.—Déjà!s’exclameChloé,ilestenavance!Unbonsigne.Souhaite-moibonnechance!—Bonnechance,mabellepitoune!—Merci!Ah!Jesuistropnerveuse!Jetelaisse!Chloé se compose un grand sourire, brasse sa crinière rousse de lionne, tend sa main fraîchement
manucuréeverslapoignéeet,enfin,ouvrelaporte.Sonvisagesedécompose.
—S
36AdulescentcontreApollon
ébastien!Qu’est-cequetufaisici?s’exclameChloé,découragée.EtCharlesquidoitarriverd’uneminuteàl’autre,merde!
Sébastien reste sur le pas de la porte, les mains dans les poches, baisse les yeux, prend son airpitoyablede«piteux-pitou»,quifaisaithabituellementcraquerChloé.Maisça,c’étaitavant.RambosetientassisauxpiedsdeChloé,fixelenouveauvenu,prêtàattaquerencasdebesoin.Enfin,
Sébastienlèvelesyeux,s’approchedeChloéettentedel’embrassersurleslèvres.Elletournelatêteàladernièreminutedesortequelebaiseratterritsurlecoindesabouche.—Tunemerappellespas?Çafaitjenesaispascombiendefoisquejetelaissedesmessages!Commentfairedétalerunhommeentrentesecondes?—C’estquejesuisoccupée,là!ditChloé,suruntonimpatient.Sébastientendlecouetparcourt lapièceduregardpours’assurerqu’unrivaln’estpastapiquelque
part.—Ilyaquelqu’unici?demande-t-il.—Sébastien,onseparlerademain,veux-tu?Sébastiens’avanceencoreunpeuplusdanslecondo,scrutelespiècesd’unœilsoupçonneuxpendant
queRamboémetdesgrognementsetjappe.—Tut,tut,tut,faitChloégentiment,entouchantlemuseaudumignonyorkshireduboutdel’index,ne
soispasméchant,toi!Tuneferaspeuràpersonne,petiteterreur!Rambocontinuesonmanège.Chloéleprend,ledéposedanssachambreetfermelaporte.—Bon!Enpénitence!lance-t-elle.—Jeveuxqu’onessaieuneautrefois,tumemanques,ditSébastien.J’espèrequeCharlesvaêtreenretard…—C’estmaintenantquejetemanque?commenceChloé.Avant,tunetrouvaisjamaisdetempspourme
voir.T’astoujourspréféréjoueràtesjeuxvidéoplutôtqued’êtreavecmoi.—Çam’afaitréfléchir,j’aichangé!Commeparhasard,aumomentoùmoi,j’enavaisassez!—Pourcombiendetemps?Jusqu’àdemain?demandeChloé.Jusqu’àcequejereviennepourque,toi,
turedeviennescommeavant?—Non,j’aicompriscettefois.—Ilfautquetupartes,appelle-moidemain,veux-tu?Jem’enallais…—Tuestrèsbelle,tut’envasvoirunautrehomme,c’estça,hein?Ettescheveuxsententsibon!C’est
pourçaquetuneveuxpasquejerestecheztoi?C’estça?Dis-le!AudésespoirdeChloé,c’estcemomentquechoisitCharlespourarriver.Embarrassée,elleouvrela
porte.Geeez!CommentexpliquerqueSébastiensoitencorelà?Lescénariodugainepeutplusmarcher!—Allô!fait-elle,d’unairfaussementenjoué.Sébastienvientjusted’arriver.Undrôledehasard,hein
?—Jenesaispassi jedoisappelerçaunhasard,maiscen’estcertainementpasunechance,déclare
CharlesendévisageantSébastien.Tuestrèsjolie,ajoute-t-il,cetterobetevacommeungant.Ilnefautpasquej’aiel’aird’avoirmagasinéjustepourlui.Sansça,ilvacroirequetoutestdansla
poche!— Ah ! fait Chloé en balayant l’air de sa main, c’est une robe que j’ai depuis longtemps, je suis
contentequetul’aimes!CharlesembrasseChloésur les joues,passeunbrasderrièreelle,aubasdesondos.Mais ilenlève
aussitôtsamain,laregarde,surpris,etdit:—Maisqu’est-cequec’est,ça?Tuestoutecollante!Chloé,àsontour,passelamaindanssondos,setapotelesfesses,arronditleslèvreset,découragée,se
tapelefront.Plus conne que ça, tumeurs ! C’est quand j’ai pris la photo pour Justine ! Non,mais c’est pas
possible!—C’estpasvrai!Merde!dit-elle.—Maisoui,c’estvrai!lanceCharles.SébastiensepostederrièreChloé,passeunemainsursesfesses.—Hey!Ilfautsurtoutpassegêner!s’insurgeChloé.—C’estvrai,tuestoutecollante!confirmeSébastien.Jenepeuxquandmêmepasluidirecequej’aifait…Maisdefaçonélégante,Charleslasauved’uneembarrassanteexplication.Constatantlepeudemeubles
etl’absencededécorationssurlesmurs,ildemande:—Tuviensd’emménager?—Non,çafaitdeuxansquejeresteici,pourquoi?—Pourrien,d’habitude,lesfillessontfortessurladécoration!C’estdécidé,j’engageBrigittepourfairemadéco,elleseraitvraimentbonnelà-dedans!—C’estletemps,tusaiscequec’est,êtreavocate!—Oui,jesais.Moi,j’aidûengagerquelqu’un.Briiiigiiiiitte!Ausecours!—Jet’attendspendantquetuenfilesuneautrerobe,faitCharlesens’assoyantsurlacauseuse.Chloéseprécipiteverslui,n’aqueletempsdecrier:—Noooooon!—Maisqu’est-cequ’ilya?s’étonneCharles.Confuse,Chloéhésiteàluirévélerqu’ils’est,luiaussi,assisdanslapotionmagique.Ets’ilsalitlessiègesdesaPorsche,ilvam’envouloirpourlavie!Cettepenséefinitdelaconvaincre.Elleluiexplique:—C’estque…excuse-moi,maisilnefallaitpast’asseoirdanscefauteuil.—Comment ça ? demandeCharles, en se levant d’un bond et en touchant ses fesses.Ouuuaaaach !
Qu’est-cequec’estqueça!—Tunevaspast’enalleraveclui!s’exclameSébastien.—Toi,Sébastien,tais-toi,c’estpasletemps!Remets-enpaspar-dessus!—Maisc’estquoi,cettehistoire?insisteCharles.—C’est…pourrendrelapeaudouce,murmureChloé,laminepitoyable.Découragé,Sébastienlèvelesbrasdanslesairsetlance:—Tuvoulaisterendrelapeaudoucepourlui?
—Oui,répondCharles,pourmoi.Chloépassede l’unà l’autre, ne sait plusquoi fairepourmaîtriserdenouveau la situation.Charles
suggère:—Vatechangerpendantquej’essaiedemenettoyer.Puiss’adressantàSébastien,ilajoute:—Jenecroispasquetaprésencesoitnécessaire.—C’estMAblonde!rétorqueSébastien,piquéauvif.—TonEX-blonde,s’empressedepréciserChloé.—Etc’estavecmoiqu’ellearendez-vous!souligneCharles.EtsetournantversChloé,illuiintime:—Vaenfilerunenouvellerobe,jet’attends…Non!Pasunenouvellerobe,merrrrrde!Sébastien regarde Chloé dans l’espoir qu’elle choisira de le retenir et de foutre l’importun dehors.
Devantsonsilence,ildoitbienreconnaîtreque,l’importun,c’estlui!Dépité,ilsedirigeverslaporte,tournelapoignéeet,sansdireunmot,parttristement.Avecunpincementaucœur,Chloélesuitdesyeux,aenviedecéder,d’essayerune«autre»dernièrefois.Est-cequejesuisentraindelaisserpartirl’hommedemavie,lepèredemesenfants?Ilal’airprêt
às’investiralorsque je tente lagrosseaffaireavecunnouveau,quivoudrapeut-être justecoucheravecmoi,commebiend’autres!Eneffet,commentpeut-elles’assurerqueson«adulescent»n’estpasseulement jalouxdeCharles?
Qu’ilneveutpas justesavoirsielleestencoreamoureusede luidemanièreàrenoueravecellepourensuitelanégligercommeavant?— Euh… oui, une nouvelle robe, fait Chloé, j’y vais ! Avec tout ça, j’ai oublié Rambo dans ma
chambre!ajoute-t-elle.—C’estqui,Rambo?demandeCharles.—Ah!C’estmonchien.—Tonchien?C’estque…c’estque…tuveuxbienlelaisserdanstachambre?J’aivraimentpeurdes
chiens…enfin,jeveuxdiredesgroschiens.—Biennon,voyons,iln’estpasméchant.Chloésedirigeverssachambre.—Non, s’écrieCharles, attends !C’est pasune joke, j’aimevraiment pas les gros chiens, laisse-le
danstachambre!MalgrélesprotestationsdeCharles,ChloéouvrelaporteetappelleRambo.Lepetitchien,inconscient
delacraintequ’ilasemée,sortdelachambreenremuantsonarrière-train.—C’est…luiquis’appelleRambo?balbutieCharles,lamâchoiredécrochée.—Oui,répondChloé,ens’esclaffant.C’estlui!Tunel’aspasvul’autrejour?Ilétaitdansmonsacà
mainaurestaurant!—Ah!Non,jenel’aipasremarqué,jeneregardaisquetoi.Excuse-moi,j’ail’airunpeuconcomme
ça,maisjemesuisfaitmordreparunbergerallemandlorsquej’étaisjeune.Ilm’alaisséunbonsouvenirsurlajambe,cequifaitque,quandjepeux,jepréfèreéviterlesgroschiens.Charleshésiteentrepoufferderireets’enaller.IltrouveChloébienjolie,maisilconstateaussiqu’il
n’yariendesimpleavecelle.Finalement,lamineréjouiedelajeunefemme,sesbeauxyeuxverts,sapetiteboucheencœur,sarobegomméelefonttoutdemêmecraquer.—C’estdemoiqueturiscommeça?demandeCharlesens’esclaffantàsontour.—Aumoins,monpetitchouaurafaitpeuràquelqu’undanssavie!
—Rambo!Commentpeux-tuappelerunyorkshirecommeça?—C’étaitpourmeprotéger,faitChloé.—Tu es spéciale, toi.D’abord, tumedis que tu sors avec ungai, qui t’embrasse sur la bouche, tu
rentres dansmon pare-chocs au palais de justice, je te retrouve au restaurant en face de chezmoi, tut’assois sur ton canapé alors que tu es enduitede je-ne-sais-pas-trop-quelle-substance collante, qui seretrouvesurmoi,puist’appellestonchienRambo!Iladitquejesuisspéciale,commeJustine,etJustinem’aimedonc…unplusun,çafaitdeux,non?
A
37Encaleçondanslacuisine!
ussitôt arrivée dans sa chambre, Chloé texte à ses amies pour les rassurer que tout va bien,maintenantquesontpasséslespremiersémoisprovoquésparl’arrivéeinopinéedeSébastien,maisaussi,parlapotionmagique!Vêtued’unerobechoisieauhasarddanssagarde-robe,àsagrande
déception,Chloésortdesachambre,maisnevoitpasCharlesdanslesalon.Elleallongelecou,jetteuncoupd’œildanslacuisine,écarquillelesyeux.Meeerrrde!Charlesestentraindenettoyersonpantalon,enchemiseetenslip.Elledit:—Oh!Excuse-moi,tumedirasquandtuaurasfini!—Maisnon,reste,jenevoulaispastedéranger.Jenesavaispassitaportedechambredonnaitsurta
salledebain,mais…t’asdéjàvuunhommeenboxer,non?demande-t-ilavecsonsourireenjôleur.—Huuuummmm,non,premièrefois!répondChloé,coquine.Charlesluifaitunclind’œiletcontinuesatâche.Ahhhh!C’estpaspossiblecommeilestbeau!Mine de rien, Chloé évalue son corps athlétique, ses jambes musclées, note au passage la grosse
cicatricequ’ilasurlacuisse.N’eût été cette marque de morsure, il aurait fait un bon prospect pour annoncer les caleçons
d’hommes,celui-là!—T’asunséchoiràcheveux?demandeCharles.—Euh…oui,faitChloé,sortantdesarêverie.Ellevaàlasalledebain,prendsonséchoiret,aumomentoùelleseretourne,arrivenezànezavec
Charles. Ils sont si près l’unde l’autre. Il sepenchevers elle, l’embrasse sur labouche.Chloé adespapillonsdansl’estomacaucontactdeslèvressidoucesdeCharles.Commeilembrassebien,c’estsibon,etsesmusclessoussachemise,mmm…Chloésentdéjàsesdéfensesfaiblir,selaisseallerdanslesbrasdeCharles,lorsqu’elleaunevision:
sesamiestoutestroisréuniesetquicrientàl’unisson«NOOOOOON!».Chloéseressaisitenfin,maisdoitréunirtoutessesforcespourrepousserCharles.Elleditgentiment,
maisfermement:—Unpeutôtpourça!Tun’auraismêmepasdûentrerici!Puis elle lui tend le séchoir à cheveux d’un air taquin. Il sourit, mais ne montre aucun signe de
contrariété.—Tunepeuxpasm’envouloird’avoiressayé,non?Tuessibelle,tescheveuxsententsibon…Etmoncorpsestsidoux,maisça,tunelesauraspas,dumoinspascesoir,niledeuxième,mais…
peut-êtreletroisième,situestoujoursgentil.—Non,jenet’enveuxpas,allez,sèchetonpantalonqu’onaillesouper!—Ah!Cen’estpasauxfemmesdefaireça?—Désolée,ilfallaitnaîtredansunautresiècle!Toutes les femmes rêveraient de sécher son pantalon, moi la première ! Non, non et non ! Il est
habituéàtoutavoir,maispasavecmoi!—Ettongai,ilvientsouventcheztoicommeça?demandeCharles,enhaussantletonpourcouvrirle
bruitduséchoir.—Monquoi?—Tongaiquit’embrassesurlabouche.Tusorsencoreavec?Hum…bonsigne,est-cequelemecseraitdéjàjaloux?—Non,non,c’estbienfini,faitChloé.—Iln’apasl’airdevouloirlâcherlemorceau!—Non,queveux-tu,jenel’aimeplusetilneveutpascomprendre,lance-t-elledefaçondésinvolte.—Jelecomprendsdenepastelaisserallerainsi.Lepantalonbientôtséché,Charlesluidit:—Prête?—Oui,prête!Charlesouvrelaporte,lalaissepasser.Autrepointpositif,iladesmanières!IlsmontentdanssaPorsche.Chloéentendunbruitdetexto.Ellejetteuncoupd’œildiscrètement,lit:«Jet’aime.»Nooon,c’estpasvrai !Lesseules foisoù ilmeditça,c’estquand jemedécideà lequitteretau
momentoùjesuisavecunautrehomme.Malgrétout,elleaunpincementaucœur,elleavaittantdésirécettedéclaration!Tellementlongtemps,enfait,quesonsentimentpourSébastiens’estétioléavecletemps.Charlesembrayeenpremière,faitvrombirlepuissantmoteurdesavoiture.Chloésentsondoscaler
danssonsiègeetseditque,c’estça,lavie,ilfautallerdel’avant.Devant leRitz,Charles sort de voiture, un portier en livrée ouvre la portière côté passager et aide
Chloéàdescendre.Charlesremetsesclefsaupréposédustationnementquivientàsarencontre.—Est-cequeceserapourlongtemps?demandel’homme.—Pourlavie,peut-être?répondCharles,enfaisantunclind’œilàChloé.Puisilluitendunemainetdit:—Tuviens?Chloémetsamaindanslasienne,etill’entraîneàl’intérieur.Est-cequejedevraisfoutrelecampd’ici,moi,auplusvite?
À
38Déménagement
genouxsurladernièreboîte,Justinetentedemaintenirenplacelesdeuxpanneauxquimenacentdes’ouvrirpendantqueSarahmetdu rubanadhésif sur ledessus.Lamèredecettedernièrepasserachercher les jumelles à l’école et les gardera à coucher le temps que sa fille déballe toutes ses
affairesets’installedanssonnouvelappartement.Lesdeuxamies,unefoisleurtravailterminé,regardentlesboîtesempiléespartout,quidonnentàlabelledemeuredeSarahunairdeprofondetristesse.Unpassageobligéversunenouvellevie.Unepageferméesurl’ancienne.Sarahs’assoitsurlaboîteenpoussantunprofondsoupir.Justinelapoussedesfessespoursetaillerune
place,passelebrasautourdesonamie,laserrecontreelle.Sarahposesatêtecontrel’épauledeJustinealorsqu’unelarmepointeaucoindesesyeux.—C’estlavie!laisse-t-elletombertristement.—Oui,approuveJustine.C’estpastoujoursfacile,hein?Sarahfaitunemouecontriteetdit:—Non,pastoujours,maisilfautcontinuer!Moiquicroyaisqu’Adametmoi,c’étaitpourlavie!—Oui,c’estcequ’oncroittoujours,répondJustine.Aumoins,leschosessemblentbiensepasseravec
Elliot,non?—Oui,ilestsi…surprenant,avecsespetitsrendez-vousencachettedanslebureau.—Vousn’avezpasrecouchéensemble?—Biennon,ons’estjusteembrassésdanslebureau.—Hum…bizarrepourunhomme!Maisjecroisquec’estmieuxainsi.Ilnedoitpastesentirprête,
mêmesitucroisluiavoirpardonné.— C’est vrai que, parfois, ça me revient, tout ça, et il m’arrive encore de penser qu’il aurait pu
m’avertirquejepouvaisperdremonemploisijecouchaisaveclui.— Alors tu vois, ça doit être pour ça qu’il prend son temps cette fois-ci ! Tu ne peux pas le lui
reprocher.—C’estquandmêmeunhommeextraordinaire.—Etilal’aird’opérer!Ilmesemblequ’uneviedoitêtrebienremplieavecunhommecommecelui-là
!Tunet’ennuieraispas!—Oui,ilestpleindeprojets,généreux,mais…jenesaispasaujustecequ’ilveut.Jeneleconnais
pasbeaucoup,disons…intimement.Est-cequ’ilabeaucoupd’amis,unefamille?—Laseulequetuconnais,c’estsonex!—C’estvrai,puisjenesuisvraimentpascommeelle,sic’estcegenrequ’ilaime,c’estfoutud’avance
!—Iln’étaitpastongenreàtoinonplus,ettuestombéeamoureusedelui,répliqueJustineensouriant.—Oui,c’estvrai.Maisjenesaismêmepass’ilveutqu’onsorteensemble.—C’estletempsquitediratoutça.Sarahtapesoudainementsursescuissesd’unemanièredécidée,selèveetconclut:
—C’estletemps,Justine!Letempsdepartirversmanouvellevie!Elleparcourtlesalondesyeux,legrandescalierquimèneauxchambresàcoucher.Elleannonce:—Jevaisallervoirlachambredespetitesunedernièrefois.Lesdeuxamiesmontentl’imposantescalierdebois.Danslachambre,Sarahfaitglissersamainsurune
commode,caresseunetêtedelitaupassage,touchedesboîtesicietlà.Justinen’osebriserlesilenceetlaisse Sarah dans ses pensées. Une poupée oubliée, jambes et bras écartés, les fixe d’un regardinexpressif.Sarahlaramassepuiséclateensanglots.Lagorgeserrée,Justinevaverssonamie,l’enlace.—Lespetitesserontbiendanstonnouvelappartement,tuverras,vousserezheureuses,dit-ellepourla
rassurer.Maisellenetrouvepaslesbonsmotspourconsolersonamie,quiquittesabellemaisondeWestmount
pourunappartementloué.Ellequirecevaittoutletemps,quiavaituntraindeviequasiprincieretquifaisaitl’enviedetous.—Jesais,maiscettemaisonreprésentetellementdebellesannées,l’endroitoùlespetitesontgrandi,
oùj’aiétésiheureuseavecAdam.Dumoins,audébut…—Oui,jetecomprends…—Jevaism’yfaire,c’estjustequeçamerendémotive,toutça.Mercid’avoirpriscongépourmoi,
Justine,situsavaiscommejesuiscontentequetusoisavecmoiaujourd’hui!Lesdeuxjeunesfemmesseserrentdanslesbrasl’unedel’autre.—Çavabienaller,tuverras,Sarah,laréconforteencoreJustine.Ah!J’entendsuncamion!dit-elleen
allantàlafenêtre.Biennon,c’estpaslecamiondedéménagement,c’estlecamiondepoubelles!Sarahfroncelessourcils,posesonindexsurseslèvresetdéclare:—C’estcurieux,ça,j’avaispourtantdéjàdéménagélestrucsd’Adamilyadeuxans!—Aveclecamiondepoubelles?demandeJustine,surprise.—Bienoui!répond-elleensouriant.Ill’avaittrouvéepasmalraide,celle-là!—Maistunem’asjamaisracontéça!s’exclameJustine.—J’avaisunpeuhonte,faitSarah,c’estvraiquej’yétaisalléeunpeufort…Etelleajoute,laminecoupable:—J’avaissoudoyélesemployésdelaVillepourqu’ilsramassenttoutsonstocket,quandjedistout,
c’estpasexagéré,situvoiscequejeveuxdire…Lesamieséclatentderire.Lecarillonlessurprendalors.Ellesseregardent,etcurieuses,vontjeterun
œildehors.Ellesvoient,cettefois-ci,lecamiondedéménagement.—Prête?demandeJustine,lamaindanslesairspourunhighfive.—Prête!répondSarah,entapantsamaindanscelledeJustine.—Àtanouvellevie!Ledéménageurentre,tendlespapiersàSarah.Ellelesexamine,s’arrêtesurunefacture,etenfinune
autre,revientsurlapremière.—Maispourquoideuxfactures?demande-t-elle.Unedetroismilledollarsetuneautredemillecinq
cents?Çadevaitêtrejustemillecinqcents,j’auraisdûmeméfieraussi!—Uninstant,mapetitedame,fautpass’enprendreaumessager!L’homme tire soncellulairede sapoche, explique la situationà son interlocuteur.«Hum,hum,hum,
hum»,fait-il.Pendantcetemps,Sarahexamineencorelafacturedetroismilledollars,etfinalement,lamontre à Justine en indiquant à qui elle s’adresse : Elliot Henry. Justine sourit. Puis le déménageurraccrocheetdit:—C’estbon,vousavezraison!C’estuneerreur,c’estbienmillecinqcents!Ilreprendvitelaliassededocuments,dontilretireunefacturepourlafixersurleregistrequ’iltientà
lamain.—Mais…commenceSarah.Justineluidonneuncoupdecoudeets’adresseàl’homme:—C’estparfait,vousprenezleschèques?SarahregardeJustine,puisenfinledéménageur.—Oui, on prend les chèques.Vous allez voir,ma petite dame, ça sera pas long, et on va tout vous
déballerçadansvotrenouvellemaisonenunriendetemps!Vousallezêtreinstalléecesoir!—Mais comment ça, déballer… s’étonneSarah, avant de recevoir un nouveau coup de coude pour
fairetairesesinterrogations,puisque«déballer»nefaisaitpaspartiedesoncontrat.—C’estsuper!coupeJustine.Enfin,lesdéménageurss’activentàviderlamaison.Letravailterminé,JustineetSarahseretrouvent
seules.—Jenepeuxpasaccepterça,voyons!s’écriealorsSarah.C’estbientropgroscommecadeau.—Sarah,tudismerci,etc’esttout.C’estbeaud’êtreforte,maistudoisaussiapprendreàaccepterun
cadeau.—Bon,ditcommeça.—Ilopère,cemec!T’auraispastrouvétonchic,tonchèqueettonchoc,toi?—Etsic’étaitcela?—Enattendant,profites-en,cartuvois,moi,jel’aitrouvé,etilestpartiàParis.—Iltemanquebeaucoup?—Oui,tellement!—Bien,vas-y!faitSarah.N’attendspastrop!Arrange-toipourlegarder,ton«Trois-C»!Cen’est
pasbondelaissertropdetempspasser!—Hum…tucrois?—Oui,prendsunbilletetfais-luiunevisite-surprise!—Jenevoudraistellementpasleperdre!—Alorsvas-y!répèteSarah.C’estlemeilleurmoyend’assurertaplace.Ilnefautpasquecertaines
femmespuissentmêmes’imaginerqueZibestlibre.Ilesttrèsattirant,nel’oubliepas!—Oui,çac’estvraiqu’ilestattirant!Tum’asconvaincue!J’achèteunbilletet,s’ilyadelaplace,je
m’embarquedèsdemainsoir!EllepensesoudainàsamèreetàseshistoiresdePicassoauBateau-Lavoir,etunepointed’inquiétude
vientluinouerl’estomac.MieuxvautnepasdonnerlachanceàZibd’êtrelePicassod’aujourd’hui!Enfin,elledéclare:—Viens,Sarah,allons-y,unebelleviet’attendailleurs!Toutçaestderrièretoimaintenant.—Oui,allons-y,répondSarahtristement.
T
39Recyclagedefemmesaufoyer!
out excitée,Brigitte prendun ruban àmesurer qu’elle posedevant une fenêtre et note les chiffresdanssoncalepintoutneuf.Enpremièrepageyest inscrit lenomdeChloé,etengroscaractères :CONTRAT no 1. Chloé reconnaît bien cette énergie nouvelle qu’elle décèle chez son amie :
l’impressiond’êtreutile,degagnersavie,d’êtreindépendante.Des souvenirs des premières causes qu’elle a plaidées lui reviennent en mémoire, sa très grande
nervosité,maisaussil’immensefiertéqu’elleavaitressentied’accomplirquelquechose.—À tes risquesetpérils, commeondit ! lametengardeBrigitte. Jen’aipasdediplômeset jene
prétendspasêtredesigner!—Jenesuispasinquiète,j’aivutoncondo,çamesuffit!Unepourtoutesettoutespourune,cen’est
pasjustepourrire!faitChloé,enflattantlatêtedupetitRambosursoncanapéfraîchementnettoyé.Oui,lorsquevientletempsdes’entraider,lesfillessonttoujoursdisponibles!—Hier,aprèstonappel,j’aicommencéàregardercequisedonnecommecoursdedesigner.Aufond,
j’aimeraisbienmerecyclerdansça.J’aitoujoursaiméladéco.—Super!s’exclameChloé,jesuiscertainequetuseraisvraimentbonnelà-dedans!Combiendetemps
durentlescours?—J’enauraispourunan,çamepermettaitmêmedetravaillerenmêmetempsparcequelescoursse
donnentdesoir,c’estcool,non?—Oui,super!Sonrubanàmesureràlamain,Brigittevaversuneautrefenêtre,notesesmesureset,avecunedextérité
qui surprendChloé, faitundesign rapidedespièces.Tous lesmursducondosontpeintsdecouleur«blanc-contracteur»,commeils l’étaientàl’achat, tandisquedesimplesstoresenplastique, imitantlatexturedubois,garnissenttouteslesfenêtres,sansexception.—Dis-moicequetutiensàgardericietjevaiscomposerautour.Aussitôt, Chloé mentionne en tête de liste le grand miroir offert par Justine et Sarah lorsqu’elle a
emménagé, viennent ensuite lesmeubles donnés par son père, et aussi, quelques tableaux achetés à lagaleried’artdeJustine.Malgrétoutça,onnepeutvraimentpasdirequesoncondoestdécoré.Ilmanquel’harmonie,lesdétailsquifontqu’unepiècesemblechaleureuse,habitéejoliment.Comme un roman qu’on aurait écrit, en ne décrivant que les traits physiques des personnages, sans
aborderleurssentiments.BrigitteajoutesursatablettelesarticlesqueChloéamentionnésetdemande:—Pourlereste,tumelaisseslibre?—Entièrement !D’ailleurs, tudevraisprendredesphotosdechez toipour te faireunportfolio, j’ai
pleind’amiesavocatesquisontdanslamêmesituationquemoi.Tupourraisleursauverlavie,àellesaussi!—Bien…pourquoipas? laisse tomberBrigitte.C’est sûrqu’êtredesignerseraitplus facilequede
repartir à zéro en journalisme. À New York, j’adorais la décoration, faire le tour des boutiquesbranchées,j’ail’œilpourça.
LecrayondeBrigittevole sur soncarnet,dessine lesmeublesdevantChloé, encoreplusépatéeparl’habiletédesonamie.Sansdétachersonregarddesfeuillesquisenoircissent,Chloés’extasie:—Tum’impressionnesvraiment,Brigitte.Sérieusement,monteunpetitportfoliopourmoi, jevais le
fairecirculer,t’auraspleindecontrats,jesuiscertaine!Mêmequejepourraist’envoyerchezmonpère,ilseraitvraimentdûpourrajeunirsamaison,iln’arientouchédepuisledécèsdemamère.—Ilvabien?Imean,ilneveutpasrefairesavie?—Non,iln’ajamaisvoulu.Jeluienaidéjàparlé,çaneluiditrien,enfaitçal’horripile,ilpréfère
êtreseul.—Tun’aspasvoululuiprésentertapatronne,j’espère!—Biennon,qu’est-cequetupenses!PuisBrigitteéclatedesongrandrire.Elledéclare:—Entoutcas,jem’enoccuperaisbien,delamaisondetonpère.— Je n’en doute pas ! fait Chloé. Vas-y, Brigitte, ça pourrait te donner la chance de démarrer une
nouvellecarrière,d’êtreindépendante,quoi,onnesaitjamais!Brigitte lève son crayon, songeun instant àChristian, au risquequ’elle a pris en ayant une aventure
extraconjugaledansunesituationcommelasienne,alorsqu’elleestsanscarrièreaucune.Toutcecilafaitsesentirbienvulnérableetluidonnelaconvictionque,quoiqu’ilarrive,elledoitrepensersavie.Justeaucas.—Oui,sait-onjamais,acquiesce-t-elle.—Etjeveuxquetumefacturestoutestesheures!—Non!protesteBrigitte,jevaislefairegratuitementpourtoi,tuesmonamie,voyons!—Alorssitunemefacturesrien,pasdecontrat!déclareChloé.C’esttontravaildésormais,tudoisy
croire,toiaussi!Etmoi,jeveuxêtretapremièrecliente.—Hooon,tuescute…faitBrigitte.—Etpuis,cen’estpascommesijen’avaispasd’argent,j’accepteraisvolontiers,maisjegagnebien
mavieetjepaieraisquelqu’und’autredetoutefaçon.Ceserabonpourtoi,sijamaistudoisfairedeschoix…—Oui,deschoix…répèteBrigitte.ResteravecJeanouêtreseule.—Jenesaispas,Brigitte,maistonChristiannesemblepaspartipourtefaireunegrandedéclaration.
Delàl’importancedereprendretonautonomiefinancière,situdécidesdeteséparer,unjugepourratedonner la chance de te replacer quelque temps, il t’accordera une pension pour tes fils si tu en as lagarde,maispaspourtoipersonnellement,tuvois?—Oui,jevois.—Sarahétaitdanslamêmesituationquetoi,maisenplus,ellenepeutmêmepasavoirdepensionpour
sesfilles.—Bien oui, comme c’est injuste pour elle ! Et pourmoi aussi, en somme.C’est difficile, j’ai tout
sacrifiépourlacarrièredeJean,jel’aitoujourssuivi,meschoixontétélessiensfinalement.Àl’époque,sacarrièreétaitplusimportantequelamienne,etcommeonvoulaitdesenfants,naturellement,c’estmoiquidevaisresteràlamaison.VivreàNewYorkmesemblaitbienexcitant,maisjen’aipasréaliséqu’ilyavaitunprixàpayerpours’occuperd’unefamille,j’aidûdireadieuàmacarrièredejournaliste.J’aiessayédepublierquelquesarticleslà-bas,maislacompétitionétaittropféroce.NewYork,cen’estpasMontréal.Travaillerdansuneboutique,c’esttoutcequej’aiputrouvercommeboulot.—Maispeut-êtrequec’estcetravailquitesauvera,quisait?—Oui,peut-être,faitBrigitte,songeuse.Ellene sait plus tropoùdonnerde la tête.Sa relationavecChristian,même si celui-cine lui apas
donnécequ’elledésirait,aeuleméritedeluiouvrirlesyeuxsurlaviequ’ellemèneavecsonmari.Unevied’habitudes,exemptedefolie.Uneviemonotone.Elleréalisequ’ensomme,c’estbienavantsonretourdelaGrossePommequ’ellea
cessédevibreravecsonhomme.Lesdeuxamiessontinterrompuesdansleurdiscussionparunesonneriedetexto.Brigitteregardesoncellulaireets’écrie:—Holyshit,Chloé!Onalaréponseànotrequestion!
I
40JustineàParis!
lestseptheures trentedumatinàParis lorsqueJustinedescendde l’avion.Ellea tellementhâtederetrouversonmari!Àl’aéroportdeMontréal,elleaachetédeuxflaconsdesiropd’érable,unpourlabaronne,queZibveutluiprésenter,etunautrepoursonamoureux,quiadoreennappersescrêpes.Elle
vérifiequ’elleabiensesachatsdanssonbagageàmain.Unefoissesvalisesrécupérées,ellesefraieunpassageàtraverslafoulebigarrée,puisellesautedansuntaxi.Commeelleestexcitéeàl’idéedevoirlamineréjouieetsurprisedeZiblorsqu’ill’apercevra,puisqu’iln’estpasaucourantdesavenue!Ilserasicontent,pense-t-elle.EtcommeJulesRenardadit:«AjouterdeuxlettresàParis:c’estleparadis!»LabelleJustinecomptebienprofiterduparadisetse«dédommager»pourletempsperdudepuisle
départdeZib.Ceci représente lapartie laplus importantede sonprogramme !Luiviennentà l’esprittoutessortesdesouvenirscoquins,commelafoisoùilluiavaitdit,defaçonénigmatique,vouloirfairedeschoseshorsdel’ordinairelesoir,etqu’ilss’étaientretrouvésàmangerdesspaghettisdanslelitavecunebonnebouteillede rouge.Toutes les foisoù ilsont fait l’amour,partoutoù ils lepouvaient !ElleentendbienrecréerlamagiedeleurvoyagedenocesenItalie.Elleesttouteàsarêveriedeseblottirdanssesbras.Drapsoupas.Justineestenchantéedeparcourirlesruesquilamènerontversl’atelierdeZib,elleregardeàdroiteet
àgauche,s’émerveilledetout.Lesonstridentd’unesirènedepolicesicaractéristiquedeParisattiresonattention–«pin-pon,pin-pon»–etlafaitsourire.ElleestbienàParis,sedit-elle.ÀlaradiojoueunevieillechansondeCharlesTrenet,quiluirappellesonvoyagedenoces,lorsqu’ilsavaientfaituneescaledanslaVillelumièreavantdevisiterl’Italie.Maisaussisonpère,qu’elleadore,sifflotantsouventl’airdeRevoirParis.RevoirParis[…]Cen’estpasunrêveC’estl’îled’amourquejevoisLejourselèveEtsèchelespleursdesboisDevant un vieil immeuble décrépit, dont les colonnes corinthiennes supportent une façade rehaussée
d’unmagnifiquebas-relief,quitémoigned’unpassémanifestementplusglorieux,lechauffeursegareendoublefile,arrêtesoncompteur.Avechâte,cartroppresséederetrouversonmari,Justinepaiesacourseenremettantungrosbilletauchauffeur.—Gardezlamonnaie,fait-elle.De peur que sa généreuse cliente ne change d’avis, ce dernier, ravi, roule des yeux cupides etmet
promptementl’argentaubeaumilieudesaliassedebillets.Justines’engouffredansl’immeuble,montetroisétagesavecsalourdevalise,arriveenfinsurlepalier,
à bout de souffle.Devant elle s’ouvre un long couloir sombre auxmurs défraîchis et salis,mais dont
chaqueporteestornéedebellesmouluressurmontéesdepetitschérubinsetdegrappesderaisin.Ellen’est pas au Bateau-Lavoir mais, constate-t-elle par les écriteaux qui défilent devant elle, l’endroitsemblehabitépardenombreuxartistes.Ellearriveenfinaunuméro12,sortsapetitebouteilledesiropd’érabledesonsacpourqueZiblavoietoutdesuite,frappeàlaportemaisn’obtientpasderéponse.Merde!Moipuismessurprises!Ellecollel’oreillecontrelaporte,entenddelamusique.Mozart!Hum…Ellecogneànouveauet,n’obtenanttoujourspasderéponse,essaielapoignée,quicède,àsongrand
soulagement.Fiou!Elle entre sur la pointe des pieds, se dirige vers la pièce du fond, d’où la musique provient. Elle
s’arrêtesurleseuil,s’apprêteàcrier«Surprise!»lorsquelemots’étrangledanssagorge.Surlecoup,elleenoubliemêmederespirer.Aubeaumilieudelapièce,unefemmenue,auxbeauxseinsrondsetgénéreuxquisedressentfièrement
versleciel,estcouchéesurunpodiumdansuneposelascive,unbrasrelevéau-dessusdela tête.Sesjambes,étendues,sontd’unefinesseàfairepâlird’envien’importequi.Unelonguetressevientbarrersapoitrine d’un trait doré. Sa bouche sensuelle aux lèvres lippues entrouvertes, le regard perdu dans levagueduciel,elledemeureparfaitementimmobile.Elleestbellecommelejourquiselève.Danscettegrandepièceéclairéenaturellementgrâceàunmurdefenestration,assissurleboutdeson
tabouretetfusainàlamain,Zibgrattefurieusementunegrandefeuilleposéesursonchevalet.FaisantdosàJustine,ilexécuteuncroquisdesonmodèle,entourédeplusieursautresesquisseséparsesquijonchentlesol.Destoilesreposentparterreicietlà,despotsdepeintureetdestubesdecouleurencombrentlapièce.Uncartonremplidefusainsetunevieilleboîtedeconserve,danslaquellesontfichésdespinceauxdedifférentes tailles, sontplacés surunepetite table toute tachéedepeinture.Accotéescontre lemur,quelquestoilesblanchesattendentlemaître.Aucunmeublenegarnitl’espace,sicen’estdelatable,d’unvieux fauteuil de velours rouge décati, et d’un banc, égalementmaculé de peinture et posé devant lechevaletdeZib.Mamèreavaitraison,c’estcommePicassoauBateau-Lavoir!J’auraisdûmeméfieraussi…Justinen’apasleréflexedefuir,nimêmedebouger.Zibdonnedesinstructionsaumodèle:—Non,nebougesurtoutpas,détendstesépaules,oui,c’estça,abandonne-toi…Abandonne-toi!Commeilyva!Affolée,Justineportelamainàsoncœurquibatàtoutrompre.Puis Zib se lève, replace la longue tresse de la fille, la rapproche dumamelon, s’éloigne, juge de
l’effet. Enfin, il pousse le podium du pied, fait tourner la belle d’un quart de tour. Justine reste là,abasourdie,nullementcapablederomprelaséancedeposequisepassesoussesyeux.Cependant,danslenouvelangleoùellesetrouve,lafilleaperçoitl’intruse.—Maisc’estqui,cettenana?demandelemodèle.Zibseretourne,ouvregrandslesyeuxets’exclame,enfoulantladistancequilesséparedequelques
rapidesenjambées:—Chérie!Quellebellesurprise!IlenlaceJustine,quin’atoujourspasbougé,pétrifiéesurlepasdelaporte,sapetitebouteilledesirop
d’érable à la main. Il la serre fort dans ses bras, la soulève de terre, la fait tourner et l’embrasseamoureusement.Justinerépondpeuàcebaiser,touteàsespensées.Inquiètes.L’histoireserépète,seulslesnomsontétéchangés!
Zibladéposebientôt,luidemande:—Maisqu’as-tu?Si,selonJulesRenard,Parispeutêtre leparadis,c’estaussi lacapitaledesdivines tentations,selon
ZoéValdès.Justineéprouveuneforteboufféedejalousiepourcettefemme,convaincuequecette«divinetentation»àlatressedoréedonneraitenvieàn’importequi.ÀParisoupas.Lafemmemodèledemandedesavoixclaire,suruntononctueuxetchantant:—Disdonc,Zib, tupermetsquejefasseunepetitepause, là?Jesuis toutefourbue,ajoute-t-elleen
étirantlehautdesoncorps,faisantpointersesseinsunpeuplus.Ce ton langoureux, si intime, a le pouvoir de réveiller tout à fait Justine et de la faire sortir de ses
gonds.—Pastoutdesuite!s’écrie-t-elle.Jesuissadirectriceartistique!Gardezlapose!Puistoutens’avançantverslemodèle,elleouvresabouteilledesiropd’érableet,arrivéeàsahauteur,
laluiversesurlatête,ens’exclamant,avecunfortaccentquébécois:—Tiens!Ça,c’estdushampoingcentpourcentsiropd’érableduQuébec,’stie!—Plaît-il?demandelemodèle,quin’apascompris.—Justine,voyons…faitZib,quis’approchepourôterleflacondesmainsdesonépouse.Maisilchanged’avisenvoyantleregardnoirqueJustineluilance.—Oui,çavateplaireenostie!lanceJustine,quifulmineencoreplus.Tiens,laFrançaisedeFrance,
tiens !Tiens ! ajoute-t-elle, pendantque leprécieux sirop couledans lesbeauxcheveuxde la femme,imprègnelatresse,donnantdechatoyantsrefletsàsescheveuxdorés.Il faut quelques secondes à la fille avant de réaliser que ce liquide épais et visqueux n’a rien d’un
shampoing.Elles’écrie,horrifiée,entouchantsachevelure:—Merdealors!Çavapas,non?Zibnesaitplusquoifaire,iln’ajamaisvusafemmedansuntelétat.—Chérie…balbutie-t-il.Maisiln’enditpasplus,depeurqu’elles’emportedavantage.La fille se lève de son podium, enfile une jupe à ras le plaisir, un t-shirt extrêmement décolleté
dévoilant tout. Enfin, presque. Une fois habillée, elle donne l’impression que tous ses vêtements ontrétréciaulavagetellementpeudetissurecouvresoncorps.Zibluitenddel’argent,qu’ellecompteaussitôt.Furieuse,lafillepartenroulantdeshanches,enfaisantclaquersestalonsaurythmedesespasrapides.
Zibattendqu’ellefermelaportepourdemanderàJustine:—Hum ! Je vois que ce n’est pas évident pour une femme de retrouver sonmari à Paris pour le
découvrirentraindepeindreunefemmenue…—Etlanuit,elletravaille?demandeJustine.—Voyons,Justine!Tun’espassérieuse,là?—Bien,mets-toiàmaplace,répond-elle,ententantdecontrôlerletrémolodanssavoix.—Maisc’estmonmodèle!sedéfendZib.Puisilprendsonpetitaircanaille,lesyeuxpétillantdemalice,etilajoute:—Est-cequetuneseraispasjalouse,toi,parhasard?—Zib…c’estpasdrôle,moiquivoulaistefaireunesurprise!—Maistum’asfaitunesurprise!Etjesuistrèsheureux!—Oui,maistoi,tuaimeraisçametrouvernueavecunautrehomme?—Jeletueraissur-le-champ,répondZib,enenlaçantfermementJustine.Tuoubliesunpetitdétail,ma
chérie,jesuisunartiste!Peindredesmodèlesquiviennentposerpourmoi,çafaitpartiedemonmétier.—Oui,jesais,maisçam’afaitmaldetevoircommeça.Zib la soulève de terre, lui fait un clin d’œil et lui dit en désignant le podium où sonmodèle était
allongéequelquesminutesauparavant:—Autantprofiterdusiropd’érable,non?—Mmm!Ça,onnel’ajamaisessayé!—Jet’aime,petitecoquine,tunelesaispas?—Alors,prouve-le-moi,faitJustine,d’unetoutepetitevoix.
D
41Leshommes
aiment-ilslesbitches?
epuislefameuxsoiroùelleaenvoyéauReine-Elizabethsamessagère,quiaacceptésigentimentdeseplieràlamiseenscènedeChloé,Brigittenesaitplusquoifairedevantl’insistancedeChristian,quitientàtoutprixàlarevoir.D’uncôté,elleenaenvie,carrefairel’amouravecluilatourmente
auplushautpoint,maisellearriveà résisteren sedisantqu’elleperd savieàdésirerquelquechosequ’ilneveutpasluioffrir.D’unautrecôté,ellesouhaiteraitmalgrétoutprofiterdel’occasionpourmettreuntermedéfinitifàleurrelation.Ledéshabillé,quiavaitéclatésoustoutessescoutures,lemaquillageoutrancier,lesmenottes,lefouet,
sansparlerdeFiftyShadesofGrey,ont séduitChristian,a-t-elledéduitàpartirdes textosenflammésqu’illuiaenvoyés.Ellerelitunefoisdeplusledernier:« Coquine, tu m’as fait craquer, comme les coutures du beau déshabillé que je t’avais offert !!
Dommage, j’aurais aimé te voir le porter au lieu de le trouver sur l’horrible épouvantail que tum’asenvoyé à ta place. J’aime les femmes qui ont de l’humour et du caractère ! Je te désire encore plus,mercredisoir,19h,commed’hab.»T’aseuaussilatrouille,etça,tuneledispas…LesfillesontperduleurparicontreChloé,quiétaitlaseuleàpenserquecescénarioplairaitàl’amant
deBrigitte;elleadonccollectésestrentedollars.L’amantaadoré,etsemontreplusémoustilléencoredevanttantd’audace.Tropcurieuseàl’idéedelerevoiraprèstoutça,Brigittedécideque,oui,elleiralerejoindreunetoute
dernièrefois.
***
Denouveaudanslachambrebaptiséele«brownie»deleurmotelmiteux–puisquelesdeuxfoisoùilainvitéBrigitteauReine-Elizabethneluiontdécidémentpasportéchance–,Christian,quiestarrivéenavance,s’affaireàpréparersonpetitnidd’amour.Iladéjàseshabitudes.Ilpliesoigneusementl’affreuxcouvre-litorangéetbrun,puisrabatledrapenunparfaittrianglequ’illisseduplatdelamain.Unefoisla bouteille de vin ouverte, il déballe les coupes recouvertes d’un sachet de plastique, ressort de lachambrepouracheterdelaglace.Ilrevientensifflotant,metlabouteilleaufrais.Enfin,ils’assoitsurlelitavecsoncellulaire,prendsescourrielspourtromperl’attente.Brigitte,quantàelle,estpartiedechezelle,aprèsavoiralléguéunautresouperavecsesamies,mais
pourlapremièrefois,nes’estpaspréparéeminutieusementcommeellelefaisaitauparavant.Ilmeprendracommeça,that’sit.Uneformededétachement,peut-onpenser.Enfin,pourunefemme.Dèssonarrivée,Christianseprécipitesurelle, laprenddanssesbras,glissedéjà lamaindansson
soutien-gorge,lapoussesurlelit,gentiment,maisavecfermeté.Justeàlapenséederevoirsonamante,
Christianavaitdéjàuneforteérection.Holy shit ! L’histoire de la bitch ne l’a pas refroidi ! Baise avec lui une dernière fois, Brigitte,
pourquoinepasenprofiter?Laisse-toialler,tulelarguerasaprès!Danssonforintérieur,bienqu’elles’ensoitdéfendueuntemps,Brigittes’imaginaitpouvoirvivreune
grandehistoired’amouravecChristian.Maislaréalitéluiestapparuedurement.Puisqu’ilneluiapasproposédetoutlaisserpourelle.Sadécisionestprise,c’estladernièrefoisqu’ellerevoitChristian.Elleveutprofiterdesesétreintes,
histoiredefantasmerunetoutedernièrefois.Oui,rêverquetoutauraitpuêtredifférent.À cette pensée, au beaumilieu d’ardents ébats, et à l’insu deChristian, elle essuie furtivement une
larme.Christian,toutàsondésir,neserendcomptederien.Illuimurmureàl’oreille:—J’aimequandtueshotcommeça,tumerendsfou,Brigitte!—Foud’amour?—Foudetoi!«Foudetoi»,cen’estpasfoud’amour…—Tuastellementdebeauxseins!Bon, lesseinsmaintenant !C’estprèsducœur,maisc’est tellementpasceque jeveuxentendre !
Profites-en,Brigitte,c’estladernièrefoisquetujouisdanslesbrasdecethomme.Aprèsceschaudes retrouvailles,Christianse rapprochepour laprendreuneautre fois,maisBrigitte
metbrusquementuntermeàsesbaiserspassionnés,etseréfugiedansladouche.Christianlarejoint,luidemande:—Qu’as-tu?—Rien.ChristianprendlasavonnettedesmainsdeBrigittepourluilaverledos.Ellelaluiretireetdit:—Laisse…PuisellesesavonnevigoureusementpendantqueChristiandéballeuneautresavonnette.Brigittereste
souslepommeaudeladouche,nesepoussepaspourpermettreàChristiandeserincer.Ellesortdeladoucheavantlui,s’essuie,s’habilleensilence.Christiansortpeuaprèselle,s’habilleàsontour,refaitsonnœuddecravate.—C’estfini,Christian,nem’appelleplus,déclareBrigitte.—Maispourquoi?Jenecomprendspas!—Iln’yarienàfaire,onn’estpassurlamêmelongueurd’onde.LavoixdeBrigittesecasse,maiselleajoute:—Nem’appelleplus,c’étaitlesoirdenotredernièrechance.C’estfini.—Nefaispasça,Brigitte,jetienstropàtoi,jet’aidanslapeau!protesteChristian.—Danslapeau,Christian,maispasdanslecœur,laissetomberBrigitteenfermantlaportederrière
elle.Puisellecourt…Ellecourtdanslecorridor.Vers une autre vie, peut-être une vie bien rangée avec son Jean, sonmari. Elle s’engouffre dans sa
voiture.Sonportablesonne,elleregardel’afficheuretvoitlenomdeChristian.Ellenerépondpas,maistexte:«Adieu,Christian,c’estbienfini.Nem’appelleplusjamais.»Enfin, elle laisse couler ses pleurs librement, ne se formalise pas que son maquillage se répande
maintenantsursesjoues.Elles’enfout.Cettetranchedevieestbienréglée.C’estF-I,FI,N-I,NI,FINI!Soisforte,unamantn’estpaslasolutionàunmariagequibatdel’aile.Elles’arrêteàuncoinderue,supprimelenomdeChristiandanslescontactsdesoncellulaire,mais
aussidanssescourrielsettextos.
«C
42Quandonjoueaveclefeu
orridorarmoireàbalaisdansdeuxminutes»,litSarahsursonportable.Hum…armoireàbalais…Qu’est-cequ’iltrameencore,celui-là…
Elleserendàl’endroit«idyllique»choisiparElliot,c’est-à-diredanscecorridoroùseull’hommedeménagevapuisqu’ilnemènequ’àl’armoireàbalais.SarahapardonnéàElliotdeluiavoircachéqu’ellepouvait perdre son emploi si elle sortait avec le patron. Elle a décidé d’en assumer les risquesdésormais. Elliot, de son côté, est prêt à affronter toutes les menaces de son ex dans le cas où elledécouvriraitlavérité.L’amourqu’ilséprouventl’unpourl’autreestleplusfort,ilsnepeuventarrêterlemouvementquilesemporte.LorsqueSaraharriveprèsd’Elliot,elleapourluiunéland’amoursisoudainqu’ellesejettedansses
bras.—Ah!Sarah!fait-ilenlaserranttoutcontrelui.—Tum’asmanqué,dit-elle.—Àmoiaussi,tum’asmanqué,répondElliot.Ilposeseslèvressurlessiennes,etill’embrassepassionnément.—Attends…chut!ordonne-t-ilsoudain.J’aientendudubruit,quelqu’unvientdanslecorridor.—Merde!C’estNatasha,chuchoteSarah.—Vite!ditElliot,enprenantlamaindeSarahpourl’entraînerdansl’armoireàbalais.Ilnefautpas
qu’elletevoieavecmoiici.Sousleursriresétouffés,ilscontinuentdes’embrasserdeplusbelleentrechiffons,seaux,serpillières
etbalais.Pourleromantisme, ildoityavoirmieux,maiscetendroitsembleàSarahaussibeauqueleparadis.Elliotn’atoujourspasdemandéàlavoirunsoiroùilspourrontêtrelibresetrefairel’amour.Ilsentendentbientôtdesvoixprovenantdel’autrecôtédelaporte.Lesdeuxamoureuxsuspendentleursouffle,tendentl’oreille.—Bien…oùsont-ils?entendent-ilsNatashademanderd’untonsec.—Jelesaivus,répondSuzie-la-chipie,ilss’enallaientlà,ilssontpartischacundeleurcôté.—Vousvoyezbienqu’iln’yapersonneici!Çafaitplusieursfoisquevousinsinuezquemonexcouche
avecSarah.Laprochainefoisquevousmedérangerezpourrien,vousserezvirée!—Jevousjurequ’ilssontalléslà,jelesaivus!Jesuiscertainequ’ilscouchentensemble!—S’ilscouchentensemble,cen’estcertainementpasdanslecorridordel’agencenidansunearmoire
àbalais!ElliotetSarahseregardentetpoussentunsoupirdesoulagement.—Attendez!Nepartezpas!Ilfautqu’ilssoientlà!crieSuzieenouvrantbiengrandelaporte,devant
ElliotetSarah,médusés,quinepeuventpasnierl’évidence.—Venez!Ilssontici!Natasharebroussecheminalorsqu’ElliotetSarahsortentdeleurcachette.Surprise,lafemmevautour
posesonregardsurl’unetsurl’autre,commesiellecherchaituneautreexplicationàlaprésencedesonex-mari avec une employée dans l’armoire à balais. Finalement, tremblant de tous sesmembres, elle
pinceseslèvresenformedeparenthèsecouchée,puiss’écrieenroulantdesyeuxfuribonds:—Vousêtesvirée!—J’espèrequetuescontente,maintenant!lanceSarah,àl’intentiondeSuzie.EtsetournantversNatasha,elleajoute:—Jesuisdésolée.Jepeuxtoutvousexpliquer.Maisaufond,expliquerquoi?Qu’elleetElliotsesontjouésd’elleeninventanttouteunehistoirepour
luifairecroirequ’ilsneseconnaissaientpas,afinqu’elleaccepted’embaucherSarah?—Tun’asrienàexpliquer,ditElliot.—Eneffet!enchaîneNatasha.Prenezvosaffairesetfoutez-moilecampd’ici!—Non!lacontreditElliot,tun’aspasledroitdelavirer!D’ailleurs,Sarahestexcellente,rappelle-
toilecontratdelalunetterie,c’estgrâceàellequ’onl’aobtenu!—Jem’enfous,ducontrat!Prenezvosaffairesetallez-vous-en!insisteNatasha.—Sarahnepartirapas!déclareElliot.Situlavires,jelaprendsdansmonservice!—Danstonservice!Fais-moirire!—Iln’yariendedrôlelà-dedans,çasuffitmaintenant,assezdiscuté.Sarah,reste!Natashahaussel’épaule,inspireunpetitcoupsec,commesiellefaisaitunelignedecoke,d’ailleurs
c’estexactementcequ’elleaenviedefaire.—Suzie,Sarah,retournezàvosbureaux,j’aiàparleràNatasha,ajoute-t-il.Iln’yapersonnedeviré
ici,faitesvotretravail,c’esttoutcequejevousdemande!Tête baissée, les deux femmes obtempèrent aussitôt. Dès qu’elle n’est plus à portée de voix, Suzie
ricaneenjouantnonchalammentavecunemèchedesescheveuxbouclés.—Unjour,ditSarah,unjourtupaieraspourtoutlemalquetufaisautourdetoi.Toutestsilencieuxdanslecorridordel’armoireàbalais.Natashapleuresaragetandisquesonrimmel
coule,créantdeshalosbistréssoussesyeux.Elliotpasselesmainsdanssondos,s’appuiecontrelemurenfaisantreposersonpoidssursajambedroite.Ildit:—BonDieu,Natasha,rends-toiàl’évidence,tudoisarrêterdefairedelacokecommeça!Tunete
voispas?Tuasperducomplètementlecontrôle!—Onavaituncontrat,tum’avaispromis!répliqueNatasha,enpleurantdeplusbelle.—Oui,jesais,maisça,c’étaitavantquejerencontreSarah.Elliotlaprenddanssesbrasetl’implore:—Tudoiscesserdetedroguercommeça,tucommencesànuireàl’entreprise.Natashalerepoussesoudainementet,enessuyantseslarmesaveclamanchedesonpull,ellelance:—C’estça,tuveuxm’évinceretreprendrelacompagniepourtelacoulerdouceavecelle?—Non!Tun’yespasdutout!Jem’enfaispourtoi!—Nesorspaslesviolonsmaintenant!rétorqueNatashaenéclatantd’unriremauvais.—C’estsérieux,jeteledis,situessaiesdenuireàSarah,c’estàmoiquet’aurasaffaire.Sarahest
bonne,ellereste!Jelaprendssousmaresponsabilité!—Pourl’entrepriseoupourtonusagepersonnel?—Cequisepasseavecellepersonnellementn’arienàvoiravecl’entreprise.Rends-toiàl’évidence,
Natasha,etpose-toilaquestion:c’estquandladernièrefoisquetuasobtenuuncontrat?—Tuvasregrettercesparoles,ça,jetelejure!menaceNatasha.Etnetefaispasd’illusions,jenete
feraipasdecadeaux!
A
43C’estsisimple,lavie!Hum…
prèssonabominablejournéeaubureau,SarahvachercherLéaetCamillechezsamère,quiabienvoulu les ramener chez elle.Si leniveaudeviedeSarahabaissé radicalement, leboncôtédeschoses,c’estqu’elles’est rapprochéed’Anniesur tous lesplans.Depuissaséparation,ellessont
devenuestrèsproches.Sarahperçoitsamèrecommeunealliée,uneamie.D’ailleurs,ondiraitqu’elleaencorerajeuni.Entoutcas,lesannéesnesemblentpasavoirdeprisesurelle.Sescheveuxblonds,tirésversl’arrièreetattachésavecuneéléganteboucle,sesmagnifiquesyeuxverts,satailleélancée–quifaitl’enviedetoutessesamies–,sonpetitcôtécoquinetassuméluidonnentunje-ne-sais-quoiquiravitleshommes.Etilfautbienledireaussi,l’amour,quiluisouritdenouveau,contribuesansaucundouteàlagardersijeune.Àsoixanteans,elleplaîtencore.Sarahserrefortsespetitescontreelle,leurdonneunbaiser,s’informedeleurjournée.—Bien, répondent lespetites,presséesde retournerà leurémission,qu’ellesont laisséepourvenir
embrasserleurmère.—Ellesontétésages?demandeSarah.—Des amours, répondAnnie.Tu restes unpeu ?Le souper est prêt.Tun’auras qu’à t’occuper des
devoirsenrentrantcheztoi.—Bonneidée!—Est-cequetuasfinidetoutranger?demandesamèreensortantdesnapperons.—Oh!Non,c’estcommevouloirfairerentrerquatreéléphantsdansuneSmart!Laréponsedesafillefait rigolerAnnie.Sarahestcontentederesterunpeuavecsamère.L’idéede
retrouversonbordel,toutesleschosesqu’ellen’arrivepasàrangerfautedeplace,neluiplaîtguère.Etsurtout,elleaenviedediscuterdetoutcequiluiestarrivéaucoursdelajournée.Toutendressantlatable,Sarahracontesesmésaventuresdansl’armoireàbalaisavecElliotpendant
quesamèreenfiledegrossesmitainesauxmotifsléopardpourremettrelalasagneaufour.—Quelleidéeaussides’embrasserpartoutdansunbureau!ditAnnieenétouffantunrire.Maisjedois
avouerquec’esthyperromantique!—Oui,maisvoisoùleromantismem’amenée!—Çadevaitarrivertôtoutard,Sarah.Ilt’aime,cethomme.Etqu’a-t-ilréponduàtoutça,lui?—Qu’ilmeprendàsonservice!—Bon,tuvois,touts’arrange.—Mais,maman,iln’yariend’arrangé!Natashaseratoutletempslà,elleestpropriétaire,elleaussi.—Pasgrave,trancheAnnie.As-tuenfinfaitl’amouraveclui?—Non,maislà,j’avouequejen’enpeuxplus,jecommenceàfairedesrêvesérotiques!—Moi, j’auraisfait l’amouravecluidepuis longtemps!Qu’est-cequetuattendspour lesvivre, tes
rêves!—Bien,ilnemel’apasencoredemandé!—Tupensesquejedevraisfairecuiredubrocoliavecça?demandeAnnie.Sarahfroncelessourcilsuninstant,surprisequelaconversationaitdérivéverslesbrocolisaussivite.
Samèresemetdéjààlatâcheavantmêmed’avoirentendusaréponse:—Oui,bonneidée,pendantquelalasagnefinitdecuire.—Iln’estpas fou,cethomme, reprendAnnieencoupantdesbouquetsdebrocoli commeside rien
n’était.Ilattendlebonmoment,ilsaityfaire!Etpuis…fait-ellesongeuse,peut-êtrequ’ilattendquetoi,tul’invites!—Peut-être,maman,maispourl’instant,ilyaplusurgent.Jesuispriseentredeuxfeux,jevaisdevoir
donnermadémission.MêmesijetravaillepourElliot,Natashanemelâcherapas,jelesais,ellevaêtresurmondosconstamment!—Comment?Donnertadémission?—Mais,maman,jen’aipaslechoix,commentveux-tuquejetravaille?Çaserainvivable!—C’étaitdéjàinvivableavectabosspuisl’autrechipie,laSuziequelquechose,çanepeutpasêtre
pire.Tuvasm’écouter,turesteslà,tufaistonjob,ett’attends!—C’estpiremaintenantpuisqu’ellesait,maman.—Cen’estpastonproblème!Laisse-lesedémerderavecça!—Ah!Maman,toutecettehistoire,c’esttellementcompliqué,j’aibesoind’unpeudetranquillitédans
mavie.—Maispourquoi?Qu’est-cequetuvasfairedelatranquillité,dis-moi?—Mereposer!—Tereposer?Àtonâge?Voyonsdonc!Tun’espasenconvalescencequejesache!—Maman,cen’estpasdrôledutout!Etpuis,jesuisdécidée,mêmesijeréussisàgardermonemploi,
jevaisdireàElliotquec’estfini,cettehistoireentreluietmoi,commeça,Natashan’auraplusrienàluireprocher.Elliotneserapasprisentredeuxfeuxcommeill’estmaintenant.Iln’yauraplusdeproblème,toutseraréglé!Anniepousseunlongsoupiretdit:—Cethomme,ce…commentils’appelledéjà,tonmembré?—Maman…Quellesortedemèreest-cequej’ai,moi!Ils’appelleElliot,maman,Elliot!—Enfin…Elliot,qu’est-cequ’ilt’aditlanuitquetuascouchéaveclui?—Euh…—Situnet’ensouvienspas,jevaisteledire,moi:ilt’aditqu’ilétaitunhommedesolutions,so-lu-
tions,Sarah!Tusaiscequeçaveutdire?Bon,bien,laisse-les’occuperdesonex!Toi,jetel’aidit,tun’asqu’àallertravailler,fairecequetuasàfaire,puisc’esttout.MonDieuquetucompliquestoujourstout!—Oui,maistoi,tusimplifiesunpeutrop,là…—Non,jenesimplifiepas,tuasassezdeproblèmescommeça,laisse-leréglerçaetcoucheaveclui!
Detoutefaçon,tunepeuxrienfaired’autre!Etenprime,jegarderailespetitesàdormirici,pourcettefois-làdumoins.Fabienpourrabiensepasserdemoipourunenuit!—Tucouchesavecluitouteslesnuits?—Presque,faitAnnieenenfilantsesmitainespoursortirlalasagnedufour.C’estqu’ilalalibidodans
leplafond,celui-là,etsanspetitespilulesbleues!Sarahpensequ’elledevraitprendreexemplesursamèreetsesimplifierlavieunpeu.Anniesortalors
latêtedufour,déposelalasagnesurlecomptoirets’exclame,lesdeuxmitainesléoparddanslesairs:—Ettoutungouvernail,àpartdeça!Sarahpouffederire.Décidément,Annien’enfinitplusde lasurprendreavecsonrépertoiredemots
pouruneseulechose!—Ettontoyboy,maman,est-cequ’ils’enestsorti?
—C’estbienfini.Depuisqu’ilsaitqu’ilyaunautrehomme,ilmelaissetranquille.—Undemoins!T’aspenséàdonnerdescoursdedrague?Tuseraissuperbonnelà-dedans!Jeserais
tapremièreélève!AnnieritdeboncœuralorsqueSarahappellesespetitespourlesouper.Sarahs’assoitàlatable,songeàtoutcequesamèreluiadit.—Cessedet’enfaire,insisteAnnie,envoyantsafilleperduedanssespensées.Lavieestbientrop
courtepourça!— Tu as raison, maman, c’est moi qui suis trop engoncée dansmes principes ! Je laisse Elliot se
démerderavecl’histoiredubureau.D’ailleurs,lafindesemaineprochaine,ilyalacourseàrelaispourl’HôpitalSainte-Justine,jenepeuxpasdonnermadémissionlà,c’estmoiquiaitoutorganiséetj’ytiens,àcetévénement.Tupeuxgarderlespetites?
L
44Lebowlingoulebingo,
tantqu’àyêtre!
elendemaindesonrendez-vousavecCharles,mêmesisesdoigtsl’avaientdémangéedeluienvoyerunpetittexto,Chloés’étaitretenueàdeuxmains.Pasdetexto,pasdetéléphone,pasdecourriel.
Lesilencetotal.Les règles édictées par les sorcières de l’amour avaient été suivies à la lettre.Deux jours.Qui lui
avaientparuuneéternité.Puis,n’ytenantplus,elleétaitalléepromenerRambodansleparcprèsdechezCharles,faisantcentfoisletourdelafontaineplutôtqued’emprunterlesentier,dansl’espoirdelevoir.Maissesdémarchess’étaientavéréesinfructueuses.Ellenel’avaitpasvuetnepouvaittoutdemêmepasallersonneràsaporte!Elleavaitvérifiésesmessagesdenombreusesfoisdanslajournée,lespilesdeson portable ne s’étaient jamais déchargées aussi vite. Dès que la charge baissait un peu, elle lebranchait, pour s’assurer qu’il ne la laisse pas tomber aubeaumilieud’une conversation.Son souperchezBouludavaitétéune réussite sur toute la ligne.Charles l’avait raccompagnée jusquechezelle. Ill’avaitembrasséesurlepasdelaporte.Ellesavaitqu’ellen’avaitqu’àdireuneparolepourqu’ilentre.Maisellel’avaitgentimentrepousséetl’avaitvitecongédiéavantdechangerd’avis.Maisvoilàque,quatrejoursplustard,unkiloenmoins,dixonglesrongésjusqu’àlaracine,lesnerfs
tenduscommelescordesd’unviolon,Chloé,quin’enpeutplusdesemorfondreenattendantl’appeldeCharles,entendlasonneriedetéléphonequ’elleluiaattribuéeexclusivement.Elleseprécipitesursonportable,prendunevoixposéealorsqu’elleajusteuneenvie,c’estdecrier:ENFIN!—Çava?demande-t-il.—Oui,çava.—Jemedemandaissituavaisenviedem’accompagneraubowling.—Aubowling?demandeChloé,surprise.—Oui,tusaisjouer?—Ladernièrefoisquej’aimislespiedsdansunesalledequilles,c’estquandj’étaistoutepetiteet
quemonpèrem’emmenaitavecluipourm’amuser.Çamerappelledebonssouvenirs.—Alors,tuviens?—LeBooouludetaprèslebooowling,hum!Tuasdelasuitedanslesidées,toi!Charlespouffederireetdit:—C’estlapatronnedesRH,elleaorganiséunesortiedebureau,jen’aipasvraimentlechoix,ilfaut
quej’yaille,etj’aipenséqueceseraitpluscoolsitum’accompagnais.Tueslibrecesoir?Ilnefautpasqu’ilpensequejesuislibrecommeça,àladernièreminute,jenepeuxpasaccepter,
merde!Non!Non!—Oui,jesuislibre,répond-elle.—Super!Jepasseteprendreaubureau?Jenepeuxabsolumentpas!Jenesuisvraimentpashabilléepourlebowling,merde!Etd’ailleurs,
çafaitvingtansquejen’aipasjoué!Insensé!
—Oui,d’accord,àquelleheure?—Dix-huitheures!Dix-huitheures!Jedoispréparermacausepourdemain.Etpuis,commentfaire?J’aiRamboavec
moi.Impossible!—C’estsuper,jen’aijustementriend’urgentpourdemainmatin.Jemelèveraiàquatreheures,j’arriveraiplustôtaubureau,etçamedonnejusteletempsd’aller
porterRamboàlamaison!—Àtantôt,faitCharlessuruntonenjoué.Etnemangepas,ilyaurauntraiteurlà-bas!—Ah!Çava,répondChloé.Aussitôtqu’elleraccroche,elleendossesonmanteau,attrapesonsacàmainàlavolée,danslequelelle
déposesonadorablepetitchienencoretoutendormi,etcrieàsonadjointeaupassage:—Jereviensdansvingtminutes!J’aiuneurgence.Cettedernièreluifaitunclind’œil.Chloésautedansuntaxi,enprofitepourtexteràsesamies.«JevaisaubowlingavecCharles!!»«Auboooowling?»répondent-ellestouràtour.«Jevousraconterai,jen’aipasletemps,vospotionsmagiquesontfaiteffet!À+»«C’étaitlabonnedosealors!Ilnepourraplusvivresanstoi!»décrèteJustine.Arrivéechezelle,Chloédemandeauchauffeurdel’attendre,elleentreencourant,embrasseRambosur
lemuseauenledéposantdanssacouchette,troquesajupeétroitecontreunpantalon,metsonplusbeauchemisier,redescendencourant,sautedansletaxi.Ouf!
***
Àdix-huitheures,fraîchementmaquillée,sescheveuxmaintenusenungroschignonlâchesursoncou,elleattenddanssonbureaulorsquesoncellulairesonne.C’estlui!—Jet’attendsdevanttonédifice,ditCharles.—J’arrive!Elleempilesesdossierssursonbureau,éteintsonordinateur,metsonmanteau,vaprendrel’ascenseur
encourant.Soncœurbatlachamade,àcausedel’hommeausouriresiengageant,auxyeuxempreintsdemagnétisme,maisaussiàcausedelacoursefolledesdernièresheures.Pournepasavoirl’airtropoupasassez.Pours’assurerdenepasbrûlerlesétapes.Pours’attacherenfinunhomme,pasn’importelequel,maisbienl’hommedesesrêves.Aussitôtsortiedel’ascenseur,ellerepartàlacoursedanslelongcorridor,parvientauxportes,mais
s’arrêtebrusquementpoursortircalmementdel’édifice,afindenepasluimontrerqu’ellecourtpourlerejoindre,commes’iln’yavaitriendeplusnormalqued’allerjoueraubowlingaveclui.Dèsqu’ellefranchitlesgrandesportesbattantesquimènentdehors,unventviolentluicoupelesouffle,
faitvolersescheveuxdetouscôtés.Mabellecoiffure,merde!EllerepèreCharlesaucoindelarue.—Ouf!Ilfaitundecesvents!dit-elleens’engouffrantdanssavoiture.Chloé se sent embarrassée, elle ne sait pas trop si elle doit l’embrasser. Son sourire lui en donne
tellementenvie.Ellevoitqu’ilsepencheverselle.Ellearronditlesyeux.Ilvam’embrasser!
Chloés’approcheàsontour,seperddanssesyeuxet lui tendles lèvres lorsqu’onklaxonnederrièreeux.—Hum!Jen’aipasdechance!ditCharles,enembrayantetenfaisantvrombirsonmoteur.Merrrde!Moinonplus,jen’aipasdechance!Chloébaisselavisièreetreplacesescheveuxdanssonchignon,quelevents’estamuséàdéfaire.—Tes cheveux sontmagnifiques, laisse-les libres, veux-tu ? faitCharles en posant unemain sur le
genoudeChloé.Cettedernièreresteunpeufigée.Quefairedecettemain?sedemande-t-elle.Ellehausselessourcils.
Hésite.Commentréagir,devrait-ellemettresamainsurlasienne?Àforcedenepasvouloiravoirl’airdecioudeça,ellefinitpardouterdetout.Biencoudonc,c’estpasnormal, ila l’airnormal!Méfie-toi,Chloé,çadoitêtre lepireséducteur
quetuasrencontré!Pasdecouchette,mêmeledeuxièmesoir,sinon,byebyelavisite!Danslavoiture,ilsdiscutentdedossiers,depointsdedroit.Chloéenprofitepourluiparlerd’uncas
particulier,undivorceoùilyabeaucoupd’argentenjeu,luidemandesonavis.Ilséchangentainsisurlaroute.LamaindeCharlessepromèneentrelebrasdevitesseetlegenoude
Chloé.Letempsapasséàviveallure,Chloéabaissésagardesanss’enrendrecompte.Maislesféesveillentsurelle.Elleseressaisit,souritenpensantàsesamies.Attention,lapartien’estpasgagnée,situveuxqu’ilt’aime,ilfauttel’attacher,cethomme,avantde
l’attacheraprèstonlit,luifairedeschoses,deschoses…Aubowling,Charleslaprésenteàtouscommeétantuneamieavocate.Ellereconnaîtplusieursdeses
consœurs, confrères, se sent immédiatement à l’aise en compagnie de ces gens. Si ce n’est qu’ils setrouvent au bowling et que ses séances avec son père lui semblent bien lointaines. Des serveurs sepromènent déjà parmi les équipes, offrent du vin, tandis que d’autres tendent des plateaux d’amuse-gueules.UneavocatepasseprèsdeChloéetluidemande:—Qu’est-cequet’asfaitpourl’avoir,celui-là?—C’estjusteuncopain,répondChloé.—Jenel’aijamaisvuaccompagnédansunpartydebureau,faitl’autre.Chloétentedecachersajoie.—Faisattentionàtoi,c’estpaslegenred’hommedontunefemmeveuttomberamoureuse!laprévient
l’avocate.Le visage de Chloé se décompose alors que Charles arrive, la prend par la taille et lui dit en
l’entraînantversl’alléedequilles:— C’est à ton tour de jouer ! Viens ! Il faut que tu impressionnes mon patron, j’ai besoin d’une
augmentation,plaisanteCharles.—C’estquejenemesouviensplusderien!Charleschoisitunepetitebouledequilleset,ensouriant,déclaredefaçoncharmante:—Celle-ciestlameilleurepuisquejel’aichoisieexprèspourtoi,tuvasvoir,j’aiundonpourça!Puisilsouffledessus,lafrottecontrelamanchedesachemiseetlaremetentrelesmainsdeChloé.Ils
sepostentdevantl’allée,Charlesseplacederrièreelle,amorcelemouvementavecellecontresondos.Chloéveutmourir.Enfin,ilsedétacheetdit:—Àtoimaintenant!Chloéseconcentre,prendsonélan,lance,sautillesurplacependantquelaboulesedirigeaucentre.
Elle crie bientôt en voyant des quilles tomber les unes après les autres, puis elle hurle de plus belle
lorsqueladernièrequillevacillesursonsocleetfinitparchoiràsontour.EllesetourneversCharlesquil’acclamesansretenueetluitendlamainpourfaireunhighfive.Chloéblottitsamaindanslasienneensetrémoussantetencriantsajoie.Les abats semultiplient, qui annoncent les ébats, car, comme a dit Stendhal, si vous faites rire une
femme, elle est déjà à moitié dans votre lit. Alors, quand elle est morte de rire devant tant d’abatsmiraculeux…Chloé et son prof s’amusent comme des fous. Chloé prend des paris avec des avocats, rit à gorge
déployée.Elleestentouréed’hommesquilamettentaudéfi.Elletientlesparis,gagnepresquetoujours.Elleestdevenuelastardelasoirée.Lastardubowling.Prise dans ses paris, elle ne s’est pas rendu compte que Charles n’est plus à ses côtés depuis un
moment.Ellelecherche,levoitavecuneavocate.Cettedernièrefaitglisserlamainsursonbraspuisluilance un regard sans équivoque tout en lui faisant signe comme si elle voulait entraîner Charles àl’extérieur.Chloé sent ses jambes se dérober sous elle et devient soudain bienvulnérable.Toutes sesappréhensionsseconcrétisentjustesoussesyeux.Êtreavecunsibelhommeéquivautàavoirlecœurpiétinéàlongueurd’année.Etàvivretoujoursdanslapeurdeselefairevoler.Maisleshommesdangereuxnecourentpaslesrues,etcesonteuxetseulementeuxqu’aimentvraiment
lesfemmes!Lesautres,ellesfontavecoufontsemblant.Enattendantd’enrencontrerun.Dangereux.Elle a une pensée pour Sébastien, qui semble désormais prêt à s’engager, qui est beau aussi, sans
possédercetteauradecharmequiflotteautourCharles,àlaquellelesfemmesnerésistentpas.Elleseressaisitenfin,s’excuseauprèsdesavocatsquil’entourent,feintd’allerauxtoilettes,maiselle
serendàlaréception,récupèreseseffetsauvestiaireetrepartentaxi.Pendantletrajetduretour,ellerepenseàSébastien,àtoussestextosauxquelsellen’apasrépondu.
B
45Lemari,
sansl’amantcommepiment?
rigitteessaiederepensersavie.Sanslafoliedesesrendez-voushebdomadairesavecsonamant.Quiluimanqueénormément.Toujoursdécidéeàenfiniraveccetterelation,elleneselaissepastenterpard’autresrencontres,
bienqu’ellesenteparfoisdanssoncorpsuneenviesifortedelui,desesmainssursapeau,sursesseins,qu’elle en éprouve des vertiges. Elle aimerait lui dire «Non, je ne veux plus te voir », le repousserencoreetencorepourqu’ilaitmalcommeelle.Qu’illarappelleetqu’illuidiseenfin:«Brigitte,jenepeuxpasvivresanstoi.»Illuiarrivemêmedel’imaginer,maisça,c’estdanssesplusfollespensées,luidemandant:«Épouse-moi.»Dixfois,vingtfois,trentefoisparjour,ellevérifiesiellen’apaseuunmessage.Aufondd’elle-même,
elleespèreencorequ’ilréaliseraquelaviesanselleestdevenueimpossible.Maisellen’apasàdirenon.Christiannerappliqueplus.Safolieavecluineluiapermisqued’acheterdutemps.Dutempsempruntéàunmariagequibatdel’aile.Le contrat de décoration qu’elle a obtenu deChloé ainsi que les possibilités que celle-ci lui a fait
miroiterluidonnentunsoupçond’indépendance.D’ailleurs,ellen’enpeutplusdenepastravailler,desactivitéspourtuerletemps,elleabesoindeserefaireunevie.L’idéedemettreàprofitsesannéesdetravailàNewYorkdanslesboutiquestendancesefraiedeplusenplusunchemindanssatête.Elleamêmepenséqu’ellepourraitouvriruncommercepuisqu’elleconnaîttouslesfournisseursbranchés.Cejour-là,iln’estquequinzeheurestrentelorsqueJeanrentreàlamaisonaprèsunlunchd’affairesqui
s’estéternisé.Brigittefaitunenouvelletentative.—Jean,çateditqu’onaillesouperaurestaurantjustetouslesdeux?—Pascesoir,machérie.Jesuiscrevé, jemangeraisplutôt léger,surtoutaprès legros lunchque je
viensdemetaper.—Tupeuxmangerlégeraussiaurestaurant,prendreunesalade,etaprès,onpourraitalleraucinéma?—Humm…c’estuneidée.Maisvraiment,j’aimeraismieuxquetunousfassesquelquechosedeléger
ici,jen’aipasenviedesortir.—Maistun’asjamaisenviedesortir!s’exclameBrigitte.—Jesuisfatiguécestemps-ci.«Cestemps-ci»,çafaitdixansquetuesfatigué…—Jean…s’ilteplaît,allonssouper,jeveuxqu’onparle.—Encore?—Comment,encore?—L’autre soir aussi tu voulais parler, puis finalement tum’as empêché de dormir. S’il y a quelque
chose,tupeuxmelediremaintenant,pasbesoind’allersouperpourça,voyons!—C’estqu’aurestaurantonseratranquilles,lesenfantsn’arriverontpascommeça,parhasard,pour
nousdéranger.
—Maisqu’est-cequet’as,toi?Tuesdoncbienbizarre,tun’espasbienavecmoi?Brigittehésiteàrépondre,maisselancequandmême:—Non,Jean,jenesuispasbien,avoue-t-elleenfin.—Bien,BonDieu !Qu’est-ceque tuveuxdeplus ? Je travaille, jepaye toutdans lamaison, c’est
normalquejen’aiepasd’énergiequandjerentre,jenefaispasjustedumagasinage,moi!—Comment,justedumagasinage?fulmineBrigitte.—Bienc’estça,depuisqu’onestàMontréal, t’asrienfaitpour techercherunemploi!Tupourrais
m’aideràpayerlescomptes.Ilmesemblequecen’estpasdifficileàcomprendrepourquoi,moi,jesuisfatigué,etque,toi,tunel’espas!Commesijenefaisaisriendanslamaison…—Tuvoiscommeonneseparleplus,tuapprendrasquej’aicommencéàfaireuncontratdedécoration
pourChloé!—Dumagasinage,tuveuxdire!Cequ’ilpeutêtrearrogant!—Parceque,designer,cen’estpasunemploipourtoi,mooonsieurlecomptableagréééééé?—Quiparlededesigner?Tun’espasdesigner,àcequejesache!Onnesedonnepasuntitrecomme
ça!—Ah!C’estfacilepourtoi,tajob,tul’as.Moi,j’aitoutsacrifiépourtesuivre!—Sacrifié quoi ? Tu écrivais quelques papiers qui ne te rapportaientmême pas de quoi payer ton
épiceriedelasemaine!Grossecarrière!C’esttonmari,ça,quit’insultecommeça?CesparolesblessentprofondémentBrigitte.Elleestvexéedevoirqu’il lamépriseainsi, etqueson
travaildejournalistesoitremisenquestion,alorsqueleschoixqu’elleafaitsontjustementprivilégiélacarrière de son mari plutôt que la sienne. Bien qu’elle soupçonne la réponse qu’il lui fera, elle luiannoncetoutdemême:—J’aipenséouvriruneboutique,j’auraisjustebesoind’unpeud’argentpourdébuter.—Bien,comptepassurmoipourça!répond-ilaussitôt.J’aitravailléfortpouravoircetargent-làetje
n’aipasenviedel’engloutirdansuneboutiquedegugusses!—Desgugusses!Cequetupeuxêtreinsultant!Tutesenssupérieurparcequetuescomptable?—Bien,passupérieur,maisjesaiscompter!—Jean,sileschosesnechangentpasentrenous,jecroisqu’ondevraitseséparer…Jel’aidit!—Seséparer?demandeJean,surpris.—Oui,onn’estvraimentplussurlamêmelongueurd’onde,toietmoi.Onnefaitrienensemble,tune
meproposesaucuneactivité,tuneveuxm’emmenernullepart,onneseparleplusetonnebaisemêmeplus.Jen’enpeuxplusdecettevieplateàmourir.—Baiser,baiser,iln’yapasqueçadanslavie!Jetravaille,moi,oùcrois-tuqu’onprendcetargent?
Quidoitpayerpourl’écoledesenfants,hein?Lanourriture!Lestaxes!L’hypothèque!L’électricité!Ondiraitqu’iln’yaquelesexequiestimportantpourtoi!—C’estméchantcequetudislà.—Avecquoituvasteséparer,tuveuxmedire?Tun’aspresquepasd’argent!—J’enaiunpeuàlabanque,etpuisj’aidéjàuncontrat,jeteferairemarquer!Jevaisreprendrema
vieenmain,j’auraiunepensionalimentaire.Devenublanctoutàcoup,JeantoiseBrigitte.Ildit:—Tusaisquetuvasfairemalauxgarçons?
—N’essaiepas lamanipulation surmoi.On leur fait beaucoupplusmal commeça.Et puis, j’en aiassezdecetteconversation,lecoupeBrigitte,quivaseréfugierdanssachambre.Jeanlasuit,ripostederrièreelle:—T’estombéesurlatêteouquoi!— Je te le dis, Jean, si tu ne changes pas d’attitude, que tu ne fais pas d’efforts pour sauver notre
couple,c’estverslaséparationqu’onsedirigetoutdroit.Ican’tlivelikethisanymore!
46ÀParis,enamoureux!
De:j.bonnier@hotmail.comÀ:sarah_despatie@hotmail.comcc:chloe.pariseau@langloisavocats.com;bchouinard@hotmail.com
«Ah!JesuisarrivéeàParisetj’aienfinretrouvémonamoureux,quiestaussimonmari!Cequin’estpastoujourslecas…Jedoisavouerquemonarrivéeaplutôtressembléàuncauchemar!J’aicruquej’avaisperduZib,quemonmariageétaitfini.Dieu que ça m’a fait mal ! Un boulet de canon en plein cœur ! C’était comme si j’avais été frappée par un tsunami ou qu’un
tremblementdeterredemagnitude9surl’échelleRichtermesecouaittoutentière.Justepourvousdonneruneidéedecommentjemesentais!!J’aivraimentcruquej’allaismouriràParissansvoustoutes!Quelletristesse!Figurez-vousdoncquej’avaisoubliéquemonmariestunartiste!Oui,jet’entendsd’ici,Brigitte:stupidyou!!Sabaronne,Sophiede
laVillardière,luijettedesmodèlesvivantsenpâturecommeonlefaisaitautempsdeNérondanslafosseauxlions,saufquelà,c’estdanslafosseauxartistes!Faussealerte!CommeFaus…taeudroitàunesecondevie,j’aidécidédeluienoffrirune,moiaussi,maisjegardesonâme,hihi!Sonmodèle a eu la chancedegoûter au siropd’érableduQuébec,par contre, jevous raconterai tout àmon retour ! J’aipété les
plombs,vousauriezdûvoirça!Toutdemême,pasfaciledevouloirfaireunesurpriseàsonmarietdeletrouveravecunemagnifiquefemmenuequ’ilestentrainde
croquersous tous lesangles !Enplus,elleavaitdecesseins,alorsquemoi,commevous lesavez, jen’aipasété tropchoyéepar lanaturedececôté-là,haha!Maintenantquecemauvaismomentestpassé,Zibsemontretoujoursaussipassionné,serévèlel’amantparfaitet,leplusimportant,
nousretrouvonsnosardeurslibertinesquimepropulsentauseptièmecielcommelorsdenotrevoyagedenoces!Samediprochain,justeavantmondépart,onaunesoiréeofficielleprévuechezlabaronne,quitientsalon.Mapremièrerencontreavec
lanoblesse,celleparquitousmesproblèmesarrivent.Àsuivre…Jevousentendsd’ici:oui,jeseraigentille,lapetitefemmeparfaitepourquemonZibsoitencorepluséprisdemoietveuillerefaireses
bagages,cettefois-ci,pourpartirdansladirectionopposée!Ilfautquemonplanfonctionne,c’estbienbeau,Paris,maismacarrière,mavieestàMontréal,avecvoustoutes.Donc:retouraubercaildumoutonégaréàParis,quiserendracomptebientôtdesonerreur,nepourraplussepasserdesonépouse.C’est-à-direMOI!MOI!ETRE-MOI!!Àplus,mespitounes!Nefoutezpaslebordelpartoutcommevousl’avezfaitlorsdemonderniervoyage,soyezsages!»
Justineappuiesur«Envoyer»alorsqueZibpasselatêtedanslachambre,luidemande:—Chérie, j’ai pensé qu’on pourrait faire des visites de galeries d’art aujourd’hui, peut-être que tu
trouverasdenouveauxartistes,qu’endis-tu?—Jesuisbiend’accord,maispasavantquetum’aiesembrasséeetjetéesurlelit.J’aitropenviede
toi!La voir ainsi, en boxer et camisole courte, qui laisse paraître ses seins à travers le mince tissu et
découvresonnombril,ravivedéjàl’ardeuramoureusedeZib.—Hé!Tuesinsatiable,toi,mapetitecoquine!Maisjesuisàtonservice,profitons-enletempsquetu
esici.Justinepartencourantdansl’appartement.Ziblapoursuit,ellecrie,sefaufileentrelesmeubles,faitle
tourdela tabledelasalleàmanger, toujoursavecZibàsestrousses,qui,finalement, l’attrape, lafaittournoyer dans les airs, luimaintient les bras pour l’empêcher de se débattre puis l’embrasse sur sesbelleslèvres,sicharnues,quiluifonttantenvie.Justinerendlesarmes,répondàsonbaiser.—Quec’estbon,murmure-t-elle,enseblottissantdanslesbrasdesonmari.J’aidesprovisionsàfaire
pourmonretouràMontréal,moi!Tumemanquestellement,lecondoestsividesanstoi,etmessoirées
sontsitristes!—Tumemanquesaussi,Justine.Onseraànouveauréunis,donne-moiunpeudetemps,tuverras.Elle le trouvefort séduisant,avecsescheveux trèsnoirsqu’ilgardeunpeu longuets, sesyeuxverts,
dontl’irisestcercléd’unmincerubannoiretsabarbedetroisjoursqu’ilarboredepuisqu’ilestàParis.Sans perdre de temps, elle commence à déboutonner la chemise queZib venait tout juste demettre,
s’enivre des effluves de son parfum sensuel, au nom évocateur,Bois d’Orage, embrasse son torse àmesurequelesboutonssautent,défaitbientôtsaceinture,continuesadescente…auxenfersouauparadis!LorsqueJustinesentqu’ellealeschosesbienenmains,queZibn’aplusqu’undésir,celuidel’envahir
detoutsonêtre,auplusprofondd’elle,elleserelève,l’embrasseàpleinebouche.Zibsepenche,latientsous les épaules, passe un bras derrière ses genoux, la fait basculer doucement pour l’accueillir et ladéposedanslelitpourl’yrejoindreaussitôt.Illuisouffle,lesyeuxtroublés:—Jet’aime,Justine.—Moiaussi,jet’aime,répond-elle,libéréedupoidsdeseshorriblescraintes.—Jesuissicontentquetusoisici.Parissanstoi,cen’estplusParis.Comme ces paroles sont douces aux oreilles de Justine, comme elles sèment l’espoir en son cœur
inquiet.L’espoirqu’ilspasserontàtraverscetintermèdeparisien,toujoursunisetamoureuxl’undel’autre.Zibs’emploieàladénuderàsontour,embrassesesseins,sonventre,faitvolersapetiteculottedans
lesairs.Ah!Qu’ilfaitbonêtreàParisavecsonmari,penseJustinependantqu’ilsfontl’amour.Après,ilsseprélassentencorelongtemps,allongésdanslelit,seracontantmilleetunechoses.Quatrejours,c’estsivitepassé!Touteslesheures,lesminutessontcomptées.Ilsquittentl’appartement
deZoé,quiestpartieàDubrovnik,enCroatie,pouruneséancedephotossurlesrempartsdelavieilleville sur la côte dalmate, au bord de la mer Adriatique. Justine aurait bien aimé la voir, mais leurshorairesnes’yprêtentpas.Les amoureux partent au gré de leur fantaisie, écument les galeries d’art, découvrent de nouveaux
artistes,s’approprienttoutduregard.IlsrevisitentleLouvre,leJeudePaume,vontsepromenersurlesChamps-Élysées,marchentmaindans lamainau jardinduLuxembourg,auxalentoursde lacathédraleNotre-Dame,déambulentlelongdelaSeine.Ainsis’écouleletempspendantleséjourdeJustine,desheuresd’amouràprofusion,descascadesde
rires,debaisers,degrandbonheur.CommelaveilledudépartdeJustinetombelesamedi,Zibaproposédeprofiterdelasoiréeoùlabaronnetientsalonafinqu’ellesserencontrenttouteslesdeux.Lorsqu’ilssontentraindesepréparercesoir-là,JustinedemandeàZib:—Ah!Onn’apasouvertl’autrebouteilledesiropd’érable!Tucroisquetabaronneaimeraitquejela
luioffreencadeau?C’estsitypiquedecheznous!—Bonneidée,c’estgentildetapart,jesuiscertainqu’elleyverraunedélicateattention.Lorsqu’ilssontsurleseuildelaporte,Justinesesenttellementtristetoutàcoupàlapenséedequitter
sonmarilelendemain,qu’ellequémanded’unetoutepetitevoix:—Restonsici,ensemble,justetouslesdeuxaulieud’allercheztabaronne.— Hum ! J’adorerais rester avec toi, mais je lui ai déjà promis qu’on irait. Je ne peux pas me
décommander.Elleestsibonnepourmoi.—Disquetuaslagrippe.—Justine,c’estpasraisonnable,jesuisvenuicipourça,côtoyerdesartistes,desgensdumilieu.Et
puis,j’aimeraisvraimentquetularencontres!
—Ditcommeça…—Jesuiscertainquetuvasl’adorer!—Mouais!Jen’ensuispasaussicertainequetoi…—Maispourquoi?Tunelaconnaismêmepas.—Lesfemmes,onadel’intuitionpourça!Etl’intuitiond’unefemme,çanementpas…
A
47Accommodementsraisonnables
rrivédevantlesportesgrillagéesquiprotègentunvieuxchâteauenpierrequel’onaperçoitauloin,Zibs’approchedel’interphonefixésurunecolonneenfouiesousunépaisfeuillage.Ilappuiesurlebouton et s’annonce. Les grandes portes s’ouvrent sur un jardin de type anglais. Justine et lui
avancent sur le chemin, découvrent à un tournant un arbre torturé qui sert d’avant-plan à un paysagebucolique. Les chemins débouchent sur des sites pittoresques, aux étangs gorgés de nénuphars oùd’immensesstatuesdemarbresontposéesçàetlà,quiconfèrentàl’endroitunairdepoésie.—C’estjoli,n’est-cepas?demandeZib.—Oui,très.Tabaronnenesemblepasfairepartiedecettenoblessedéchueetdésargentéedontonnous
parlebiensouvent!faitremarquerJustine.—Justement,ellel’est,maiselles’estmariéeàunhommetrèsriche.Ill’aépouséepourletitre,etelle
poursonargent.Ilestbeaucoupplusvieuxqu’elle.— Un accommodement raisonnable, en somme ! Je ne peux pas croire que ça existe encore, ces
mariages!s’exclameJustine.—Oui,machérie,maiscenesontpasdesmariagesarrangéspardesparentscupides,c’estfaitpardes
adultes consentants. Elle raconte partout qu’elle n’arrivait plus à entretenir le château et a trouvé çacommesolution.C’estunefemmelibre.—Libre?Alorsqu’elleestobligéed’épouserquelqu’unpoursonargent?—Oui,libre,tuvasvoir!—Tum’intrigues,faitJustine.Mapetitevoixmeparletrèsfortencemoment…mais,j’attendsdela
rencontreravantdemefaireuneidée!Undomestique lesaccueilleà laporteet lesdirigeversunsalon,oùunecentainedepersonnessont
réunies.Justinerepèreaussitôtlabaronnequi«trône»aucentredelapièce,outrageusementornéededorures,demeublesd’époque.Lapièce,paslabaronne!Justinelatrouvetrèsbelleavecsescheveuxnoirscommel’ébène,relevésenunesavantetorsade,sonnezfin,sescilsdrusquienchâssentsesgrandsyeuxsombres,commedeuxdiamantsnoirs.Elleestdanslajeunecinquantaineetpossèdelabeautéqu’ontsouvent lesfemmesparvenuesàunecertainematurité.Justineluiauraitplutôtdonnéquaranteans.Ellemurmureàl’oreilledeZib:—Tum’avaisditqu’elleavaitcinquanteans!—Elleal’airunpeuplusjeune,c’estvrai,bafouille-t-il.DèsquelabaronneaperçoitZib,elleselèveetvalerejoindre,setienttoutcontreluiuninstant,qui
semblebienlongàJustine.Puiselles’écartedeluilégèrement,luitendlesjoues,oùZibposeunbaiser.Labaronnel’embrasseàsontoursanssepréoccuperdeJustine,l’ignoretotalementseraitplusjuste.LesangdeJustinenefaitqu’untour.Lesfillesavaientraison,laSophie-de-la-quelque-chosesembleamoureusedemonmari!Zibrepousselabaronnegentimentetdit:— Ravi de vous revoir, Sophie, vous êtes toujours aussi resplendissante. Permettez-moi de vous
présentermonépouse,Justine.
—Enchantée, fait cette dernière, Zibm’a tellement parlé de vous, de l’aide que vous apportez auxartistes,onnetrouveplusbeaucoupdemécènescommevousdenosjours!Justinemetlamaindanssonsacpouryprendresabouteilledesiropd’érable.Labaronnerépond:—Ah!C’estquej’adorelesartistes,monpetit.«Monpetit»,là,çavafaire!Ellenel’aurapas,monsiropd’érable!Non,ellenemetasserapas
dansuncoincommeça,cettebaronnedemesfesses!Unechancequejesuisvenue!Qu’est-cequ’elleadit,Sarah,déjà?Oui,fairemonterritoire,c’estça,jevaislemarquerenfaisantpipipartout!Justineretirelamaindesonsacetlereferme.—Oui,jevois,touscesjeunes,ditJustineeninsistantsurcemot,artistesquipeuventprofiterdevotre
savoir,devotreexpérience,devosconnaissances,c’esttrèshonorabledevotrepart!—Ça va, ça va, répond la baronne en balayant l’air du revers de lamain.Mais venez donc vous
joindreaugroupe.Passantdevantunserveurenlivrée,Zibattrapedeuxcoupesdechampagne,entenduneàJustine,qui
s’empressed’enprendreunebonnelampée.Zib,quiconnaîtdéjàquelquespersonnes,enprofitepourleurprésenterJustine.Elleparle,discutedepeinture,etons’intéresseencoreplusàellelorsqu’elleditêtregaleriste à Montréal. Elle recueille quelques cartes ici et là, promet d’aller voir sur Internet pourconnaîtrelesœuvresdesartistesconcernésetpeut-êtremêmedelesexposerdanssagalerie,quecertainsconnaissentdéjà.Justineestdanssonmonde,ellerayonne.Àunmoment,ellevoitarriveruneinvitéeinattendue,écarquillelesyeuxsouslecoupdelasurprise.Non!Cen’estpasvrai!
—M
48Mesorgasmes,
jelesgardepourmesamants!
aisqu’as-tu?demandeZib,quivoitlaminedéconfitedesafemme.LecœurdeJustinebatàtoutrompre,lesangafflueàsonvisage.Ziblaregarde,plissele
front,inquietdesonchangementd’attitude,noteletremblementdesesmainssursacoupedechampagne.—Çava,machérie?demande-t-ilencoretoutensetournantdansladirectionoùlesyeuxdeJustine
sontrivés.Avecsurprise,ildécouvrelaraisondesontrouble.Oui,sonmodèleàlalonguetressedoréevientde
faireuneentréeremarquée,vêtued’unchemisierivoiretransparent,quilaissevoirsesseinsgénéreux,etd’unsimpleshortàraslepopotin.Chausséedehaut,elledéambuledanslapiècecommeunmannequin,distribuantdesbaisers iciet là.Tousles invités l’observent,admirantsabeauté,soncorpsparfait,sesjambeslonguesàn’enplusfinir.Unhommemarchelatêtecomplètementtournéeverselleetfoncedansunegrossefemmeentraindemangerdeshors-d’œuvre.Lorsqu’ellecomprendcequis’estpassé,ellelegifle,outrée.Unautremarchesansregarderdevantlui,trébucheetarrivetoutjusteàéviterdes’étalerdetoutsonlongparterre.JustineprendZibparlebras,s’éloignantdesautrespersonnesavecquiilsdiscutaient.Elles’exclame,
fâchée:—Maisqu’est-cequ’ellefaitencorelà,celle-là?—Mais…jenesaispas,machérie,sedéfendZib.—C’esttoiquil’asinvitée?—Maisnon,voyons…—Elleesticitouslessamedis,jesuppose?—Non,jetejure,c’estlapremièrefoisquejelavoisici!—Zib…c’estTONmodèle,nemedispasquec’estlapremièrefoisquetulavoisici!—Maisc’estvrai…CesparolesneréussissentpasàconvaincreJustine.Sonpetitcœurestbienmalmené.Cettebaronneet
cemodèlequitournentautourdesonmariviennentexacerbersajalousieaupointoùelleenéprouvedesétourdissements.—Ilnefautquandmêmepasmeprendrepourunevalise,lâche-t-elle.Zib n’a pas le temps de répondre, car la baronne s’approche d’eux, le saisit par le coude pour
l’entraîneràsasuiteversunautregroupe.Justinelaregardesepavaneraubrasdesonmari,nesesentvraiment pas rassurée de voir ces belles femmes prêtes à tout pour lui mettre le grappin dessus. Lemodèlepasseprèsd’elle,luiglisseàl’oreilleenricanant:—Tonmari,jevaismelefarcirquandjevoudrai!LecœurdeJustines’emballe.Sonbeaumariageluisembletoutàcoupréellementmenacé,unebouffée
decolèrel’envahit.Cettepouffiasseaavantageàdéguerpird’ici!Ellevarejoindrelemodèle,luimontre,avecunsourireentendu,sonsacouvertdanslequellabouteille
desiropestparfaitementvisible,maisneditpasunmot.Leshampoingcentpourcentsiropd’érableadûluidonnerbiendufilàretordre,puisquelemodèleàla
longue tresse dorée écarquille les yeux et se dirige aussitôt vers la sortie, à l’étonnement de tous.Labaronne,quiaobservélascène,aunpetitrictusdemécontentement.ZibrejointJustine,lèveunsourcilsurpris,demande:—Maisqu’est-cequetuluiasdit?—Rien!—Tuasdûluidirequelquechosepourqu’elleparteainsi,non?—Euh…non,rien,jetejure!faitJustineavecunpetitairinnocent.Maisfièredesoncoup,ellepeineàcacherunsourireespiègle.Labaronnerevientbientôtetdéclare:—Monpetit!Çanevousdérangepasquej’empruntevotremari,j’espère!—Maisnon,jenesuispasjalouse.Zibetmoisommestrèsenamour.—Qu’est-ce que c’est que ces histoires d’être amoureux de sonmari ! L’amour, c’est fait pour les
amants,paspourlesmaris!déclarelabaronnetrèsfort,entournantdanslapiècepourattirerl’attentionsurelle.D’ailleurs, des gens, curieux d’entendre les propos de cette femme qui cherche toujours à étonner,
s’approchentd’eux.— Pas pourmoi, répond Justine. J’aimemonmari, c’est la raison pour laquelle je l’ai épousé, on
divorceraitsicen’étaitpaslecas.— Ici, enFraaance, reprend la baronne sur un tonhautain, onnedivorcepas, onprenddes amants,
pardi!—MaispasauCanada,désolée!répliqueJustine.—Unmari,c’estpourlasécurité,voyons!Paspourl’amour!Mesorgasmes,continuelabaronne,je
lesgardepourmesamants!Zibnesuitpastroplaconversation,repenseàsonmodèle,sedemandebiencequil’afaitfuirainsi.Il
s’inquiète d’avoir à trouver quelqu’un d’autre et que ses esquisses, en vue de l’élaboration de sonprochaintableau,neserventplusàrien.Justinefroncelessourcils.—Jenesuispascertainedevoussuivre,dit-elleàsoninterlocutrice.—Bienoui,monpetit,unorgasme,c’estbeaucouptroppersonnel.Monmaripourraits’imaginerqu’ila
uneemprisesurmoi,jepréfèregarderlecontrôle!Jevoisquevousn’êtespasd’accord,ilnefautpasmontrer ce que vous pensez comme ça, on lit tout sur votre visage, tout ceci est si évident pourtant !déclarelabaronne,lesyeuxaucieletlementonbienhaut…Elleparlesifortque,maintenant,toutlemondes’estagglutinéautourd’eux.—Biennon,justement,jenevoispascequiestévidentdanstoutça,ilmesemblequec’estavecson
mariqu’ondevraitêtrepluspersonnel,non?—Mais non, voyons, avec lemari, il faut apprendre à feindre l’orgasme !Les hommes s’imaginent
qu’onestaccroausexe,àleursexeàeux,etçaleurdonneunpouvoirsurnous,alorsque,aufond,riendetelqu’unamantpourça!Mêmesicettefemmedraguesonmari,Justinelatrouvedrôle,sesurprendàsourireetabienhâtede
racontertoutçaàsesamies.Labaronnepoursuit,certained’êtreécoutéedetoutlemonde.Elleditbienhaut:—Monmaritravailletellement,j’aibesoind’occupations!FiftyShadesofGrey,cen’estqu’unconte
pourenfants!Ha,ha,ha!fait-elleentournoyantpourquetousl’entendent.
L
49Laissersonmari
danslafosseauxlionnes
apluie tombeàverse lorsqueZibetJustinedescendentdu taxicemidi-là.Le tempsestmaussadetoutcommeeux.Zibsortlepremier,déploiesonparapluie,letientau-dessusdelatêtedeJustine.LacirculationétaitsidensedansParisqu’ilsarriventtoutjustepourl’heuredudépart.Ilss’engouffrent
dansl’aéroportCharles-de-Gaulle,serendentaucomptoird’AirFranceàlacourse.Ilsrepartentaussitôtverslesvolsinternationaux.—Voyons,Justine,ditZib,enmarchantd’unpasvif,ellen’estrienpourmoi,c’estunmodèle,jetele
jure!—J’aivraimentdumalàcroirequ’elleétaitlàpourlapremièrefois!Jetrouveçatropbizarre.—Maisqu’est-cequejepeuxdirepourquetumecroies?—Lavérité!lanceJustine.—Maisc’estlavérité,insisteZib.—Mets-toi àma place, comment veux-tu que jeme sente en sachant que, demain, elle sera là à se
pavanertoutenuedevanttoiavecsoncorpsdedéesse?—Justine…çanemedérangepas,cen’estpasmonpremiermodèle,voyons!—Ellefaitexprèsdet’attiserpourcoucheravectoi!Ellemel’adit,qu’ellet’aurait!ZibarrêteJustinedanssacourse,l’embrasse.Maisellenerépondpasàsonbaiser.Ilbaisselesbras,
soupire,puisilsrepartentencourant.Unefoisdevantlecontrôledelasécurité,ilditenl’enlaçant:—Jet’aime,jeneveuxpasquetupartesenétantfâchéecontremoi,jet’assurequejen’airienàme
reprocher.Est-cequetumecroismaintenant?—Jenesaisplus,faitJustinetristement.Jeveuxbientecroire,maisqu’est-cequivasepasserdemain,
après-demain,dansunesemaine,aveccesdeuxfemmesquitecourentaprès,alorsquemoi,jenesuispaslàpourmedéfendre?— Ne sois pas jalouse d’elles, ma chérie, elles ne m’intéressent pas, je suis uniquement ici pour
travailler,paspouravoirdesaventures!— Oui, mais ces Françaises sont si libertines, une qui se promène en chemisier transparent sans
soutien-gorge,etl’autrequigardesesorgasmespoursesamants!Ilmesemblequec’esttentantpourunhomme!—Cessedepenseràça,machérie,ditZib,enl’embrassantencore.—Jedoisyallermaintenant…—Jeseraisage,Justine,neparspasfâchée,jet’enprie.Jet’aime,dit-il.—Moiaussi,jet’aime,maisjeneveuxpastepartager,répond-elle.—Tunemepartagespas,Justine,crois-moi!Justine voit les yeux de Zib devenir humides, puis le couple se sépare sur ce moment empreint
d’émotion. Il la suitdu regard jusqu’auderniermoment.Lecœuren lambeaux, Justine se retourneunedernière fois, lui fait un petit signe timide de lamain, tandis qu’il lève le bras, fait un grand geste ettoucheseslèvresdelamainpourluitransmettreunbaiser.
Songeur,Zibs’enretourne,têtebaissée,lesdeuxmainsdanslespochesdesonimper.
C
50Souperdefilles
hloéacuisinépoursesamies,quisonttoujoursaussiraviesdeluiservirdecobayes.Aumenudonc:Pestoaérienavecsatuiledeparmesan
RavioledemagretauconfitsiphonnéFlanspétillantsauxtroischocolatsTout ce qu’il lui reste à faire, ce sont les émulsifiants, qui demandent une attention particulière et
doiventêtrepréparésàladernièreminute.Brigittearrivelapremière,accueillieparlesjappementsdeRambo.Ilaprissonnomunpeutropau
sérieux, celui-là… Elle veut voir la réaction de Sarah et de Justine lorsqu’elles découvriront leschangements. Oui, le petit nid de Chloé a passablement changé depuis que Brigitte se charge de ladécoration, il amêmeprisdesalluresempruntéesaux revuesbranchées !Brigitte s’amusebeaucoupàparcourirlesmagasinsenvuededénicherl’objetidéal,lesmeubles.Elles’estremiseencontactaveclaboutiquepourlaquelleelletravaillaitàNewYork,aachetéquelquestrucsdesigndontChloéraffole.—Tiens,dit-elleenarrivant,voilàmonportfolio,tupourraslemontreràtesamies,j’espèrequ’elles
vontaimer!—Ellessontprêtes,jetedis,jeleuraitellementparlédetoi!PuisBrigittesepenche,tapotelapetitetêtedeRambo.—Ilestmignon!dit-elle.—Viensici,toi,mapetiteterreur,lanceChloé.Non!Nemefaispastoncinéma,vienstecoucherici,
danstonlit.Ellelecouchedanssacage,dontlaporterestetoujoursouverte,etajouteunpetitjouetpourl’amuser.
Le chien en ressort, va se chercher un os dont il est le seul à connaître les cachettes puisqu’il lesdissimulepartoutdanslecondo,retournedanssacageetcommenceàgrugersontrésor.—Ah!Sileshommesétaientcommelui!Commec’estsimpleavecRambo,ilesttoujourslà,m’aime
defaçoninconditionnelle,enplus,ilesttranquille,n’écoutepaslehockey,etilestfidèle!—Ha,ha,ha!faitBrigitteenéclatantdesongrandrire.Justine,fraîchementdébarquéedeParis,arrive,suiviedeSarah.—Hé!Maisdisdonc,c’estchouetteici!s’exclame-t-elle,enseforçantpourprendreunairgai.Lequatuorestmaintenantcomplet,augrandbonheurde toutes.Mêmesi,dans legroupe,chacuneest
tourmentéeàsafaçon,pourdesmotifsbiendifférents.Lesamiessejettentdanslesbraslesunesdesautres,s’extasientsurleschangementsapportésaucondo
deChloé.JustineexhibefièrementunebouteilledechampagneTaittingerachetéeàParis,desthésetduchocolatdechezFauchon,qu’elledistribueàchacune.Elledébouchelabouteille,quiémetunpopnetetbiensonore,tandisqu’ellecrieaussijoyeusementqu’ellelepeut:«Yééé!»Finalement,elleremplitlescoupestenduesverselleaveclaprécieuseboissondorée.Mêmesiellen’avraimentpaslecœuràlafête.Ellestrinquentàleursretrouvailles,lancentleurcrideralliement:«Toutespourune,unepourtoutes!
»—Cheers!font-elles,heureusesd’êtreainsiréunies.Chloésert sonpestoaérienavecsa tuiledeparmesan.Justine,quineveutpasgâcher la fête, sourit,
regardesonplat,goûteduboutdeslèvres,feintunejoiequ’elleesttrèsloinderessentir.Lagorgenouée,elleréalisequ’elleestbienincapabledemanger.Auboutdequelquesminutes,n’ytenantplus,elleselèvepourallerseréfugierdanslasalledebain,éclateensanglots.Lesamies,consternées,seregardent,nesaventpasquoifaire.PuisSarahselève,frappedoucementàlaporte,demande:—Tuesmalade,çanevapas?—Non,jenesuispasmalade,amusez-vous,moi,jem’envais!—Viensavecnous,voyons,tuveuxnousenparler?Justineouvrelaporte,l’airmisérable.—Vienst’asseoir,l’inviteSarahenpassantlebrasautourdesonamie.—Non,jem’envais,répondJustineenpleurant.Jeneveuxpasgâchervotrebellesoirée.—C’estenpartantquetuvastoutgâcher,faitChloé.Justinelesregarde,acceptedes’asseoir.—Netesenspasobligéedemanger,ditencoreChloé.—Tuesgentille,répondJustine.Lesfillesnesaventquedire,regardentJustineensilence.—C’estZib,continue-t-elle,sonmauditmodèlemefoutlatrouille.Lorsquenoussommesalléschezla
baronne,elleestarrivée,commeunehabituée,enchemisiertransparent,pasdesoutien-gorge,çam’afaitpéterlesplombs.Elleavaitl’airdeconnaîtretoutlemonde!—C’estluiquil’avaitinvitée?demandeBrigitte.—Iladitquenon.—Hum…facileàdire,ça,constateSarah.Qu’est-cequ’ellefaisaitlàalors?—Ilnelesaitpas.C’estpeut-êtrelabaronnequil’ainvitée,maisilm’aditquec’estlapremièrefois
qu’ellesetrouvaitlà,alorspourquoiseulementcesoir-là?—Oui,bizarre.Elleadûyalleravantsielleavaitl’aird’unehabituée,déclareChloé.Enplus,tul’as
trouvéetoutenuechezlui.Mêmesic’estunmodèle,jetecomprends,cen’estpasévident,hein…Justine,quiaressassétoutçadanssatêtedescentainesdefois,n’arrivepasàpasserl’éponge,doute
quesonmari,quiniepourtanttout,soitaussiinnocentqu’illelaissecroire.Elleditensoupirant:—Ilmesemblequejeseraisbientarted’avalertoutça.—Çafaitbeaucoup,concèdeChloé.—Pauvrechouette,ilafalluquetupasseslasoiréelà,àvoircesdeuxfemmesrôderautourdeZib,pas
facile,ça,compatitSarah.—J’aiéliminélemodèleassezvite,ajouteJustine.Leshampoingcentpourcentsiropd’érableafait
l’affaire.—C’estquoicettehistoiredeshampoing?demandeChloé.—J’aifaitlapirecrisedejalousiedemavie,lesfilles,çanem’étaitjamaisarrivé!Justinesouritàcettepensée,puisreprend.—Quandj’aisurprismonartisteavecsaplantureusemodèle,j’aiditàlafillequej’étaisladirectrice
artistiquedeZib,etjeluiaifaitunshampoingaveclabouteilledesiropd’érablequej’avaisachetéeàl’aéroport!—T’aspasfaitça!s’écrieSarah.—Oui!J’aifaitça!admetJustine.Etj’avaisapportéladeuxièmebouteillequejevoulaisoffriràla
baronne lors de cette soirée, et quand jeme suis aperçue qu’elle était aussi chiante, qu’elle draguait
ouvertementmonmari,ehbien…jel’aigardée!Doncquandlemodèles’estprésenté,jen’aieuqu’àlaluimontrerpourqu’elledéguerpisseaussitôt.MalgrélaminedéfaitedeJustine,SarahpouffederirealorsqueBrigitteetChloénesaventquefaire.
MaisChloé,n’ytenantplus,éclatederireàsontour,suiviedeBrigitteetbientôtJustine.Elleenchaîne:—Etenplus,ilyasabaronne,ellenelelâchepas,elleesttoujoursaccrochéeàlui,elleveutl’avoir
dansson lit.Lesamantspourelle,çaneposeaucunproblème, imaginez,elleditdevant tout lemondeque,sesorgasmes,ellelesgardepoursesamants.Lesamiess’esclaffent.PuisJustineracontetoutcequelabaronneaditcesoir-là.—Elleestdrôlequandmême,finit-elleparavouer.—Oui,maiselleestdangereuse,unefemmequiparlecommeçavatoutfairepourattirerZibdansses
filets,lametengardeBrigitte.Eneffet,lanoblessenetientpasqu’àunnom,carilarrivetropsouventquelanoblesseducœurfasse
cruellementdéfautauxgensquisetarguentdeporterunnomàparticule.—Jesais,ditJustine,maisquefaire?Songeuse,ellejouedanssonassietteavecsafourchette.Ellenepeuttoujoursrienavalertellementsa
gorgeestnouée.—Mangeunpeu,faitSarah,çateferadubien,tuessipâle…—Oui,approuveBrigitte,tuvasvoir,c’estvraimentbon!—Jeveuxbienessayer,répondJustineenprenantunepetitebouchée.Lesautresrecommencentàmangertranquillement.Lefaitd’avoirracontésonhistoireàsesamiesafini
pardénouerl’estomacdeJustine,encorebouleverséeparsonséjourparisien.Chloéselève,préparesonémulsifiant,puisengarnitsesraviolesdemagretauconfitsiphonnédevant
sesamies,toujoursaussiimpressionnées.Touràtour,ellesmanifestentleuradmirationdevantlestalentsculinairesdel’avocate.—C’estdelacuisinemoléculaire,laissetomberChloé,commesic’étaitlachoselaplusnaturelleau
monde.—T’esvraimenttropbonne!s’exclameJustine.—Moi,jesuissansvoix!renchéritSarah.—Entoutcas,ilestchanceux,celuiquivamettrelegrappinsurtoi!déclareBrigitte.—Parlantdemettrelegrappin,ditChloé,là,j’aivraimentbesoindevotreaide,jenesaisplusquoi
penser!—Maisqu’avez-vousencorefaitpendantmonabsence,vousautres ! lanceJustine.Brigittea rompu
avecsonamant,Sarahs’estfaitprendreàembrasserElliotdansunearmoireàbalais,ettoi,Chloé,quivajouerauboooowlingavecunbeaugarsetquisesauvecommeCendrillon!Maisraconte!
P
51Lerubanàmouches…
ensive,Chloérépond:—C’estqueCharlesm’arappelée, ilveutabsolumentmeparler, ilnecomprendpasquejesois
partiecommeçasansrienluidire.—Etqu’as-turépondu?demandeJustine.—Bien, rien.Jen’aipasrépondujustement, ilm’a tout racontéçasurmaboîtevocale.Vousvoulez
écouter?—Oui!acquiescentlesamies.ChloéretrouvelemessagedeCharles,appuiesurlatouchepourlefairejouer.Lesfilless’approchent
pourmieuxentendre,quatretêtessetiennentau-dessusdurépondeur,l’oreilletendue.«Hum…entendent-elles,jevoisquetumeboudes…Pasderéponseàmestextos,courriels,etlà,pas
plusautéléphone.Mouais…malgrétouslesmoyensdecommunicationqu’onaaujourd’hui,jen’arrivepasplusàteparler.Pasbesoind’avoirunQIau-dessusdelamoyennepourcomprendre,jecomprends!Ça,c’estfacileàdéchiffrer,mais…cequil’estmoins,c’estpourquoi.Jenesuispashabituéàplaidermescausescommetoi,etparlercommeçaàunrépondeurestunexercicevraimentdifficilepourmoi,j’aimemieuxsignerdestransactionsdemillionsdedollarsenfait!Hum…Qu’est-cequej’aifait,Chloé?Qu’est-cequit’aprisdepartircommeça?Est-cequetum’asvuaveccettefillequivoulaitm’entraînerdehors?Jenesaispas,maiscen’estpasparcequ’unefillemedraguequejecoucheavecelle,hum…(petitraclementdegorgeetunepause)sansvouloirpasserpourunvantard,jedoisdirequeçam’arrivevraiment souvent, ce genre de truc. Mais j’avais envie de passer la soirée avec toi, j’ai vu que tut’amusais,toutlemondeétaitautourdetoi,jemesuiséloignépourallerchercherduvin,etc’estlàquejemesuisfaitharponnerparmacollègue.Quandjesuisrevenuavecnosconsommations,tut’étaisenvolée.Ce n’est pas mon genre d’inviter une femme et de partir avec une autre, crois-moi… Bien… (autreraclementdegorge)appelle-moi !J’aiaimécepetitboutdesoiréepasséeavec toiet j’aimeraisbienterminercettesoiréequiavaitsibiencommencé.Ciao!»—Tunel’aspasrappelé?demandeSarah.—Non,répondChloé.—Maispourquoi?demandeJustine,ilsemblesincèrepourtant!—Jenesaisplusquoipenser.Àvraidire,çamefaitpeur,laissetomberChloé.—Tudoisluiparler,voircequ’ilveuttedire,luiconseilleSarah.—Jelesais,cequ’ilvamedire,quec’estpasdesafautes’ilestbeau,qu’ilnepeutpass’égratignerla
facepourêtrelaid!Etpuis,continueChloé,quiafaitunepausepourprendreunegorgéedevin,jamaisjeneseraiscapabledevivreavecunhommequiattiretouteslesfillescommeunrubanàmouches!— Oui, mais s’il n’en veut pas, des autres mouches, lui ? Qu’il n’y en a qu’une qui l’intéresse ?
demandeBrigitte.—Ehbien,pourquoiceseraitmoi,cettemouche,alorsqu’ilyenapleinsurleruban?—Onnepourraitpasprendreunautreexemplependantqu’onmange?suggèreSarah.—Parcequetuesextraordinaire,ditJustine,enfaisantfidelaremarquedeSarah.
—Enplus,tuasdelapersonnalité,ajouteBrigitte.—Tuesdifférenteetbonnecuisinière,enchaîneSarahenseprêtantaujeuquandmême.—Ettuesintelligente,ajouteJustine.Chloésourit,laissetomber:—Aaah!Vousêtestropgentilles!Jesuistoutemêlée,d’uncôté, ilyaCharles,etdel’autre, ilya
Sébastienquial’airprêtàs’engager.Etaveclui,jesaisaumoinsàquoim’attendre.—Tunetrouvespasquec’estfini,cettehistoireavecSébastien?l’interrogeJustine.—J’aienviedejouersafe,Sébastienmeditqu’ilestprêtàcequ’onviveensemble.—Tuesbienjeunepourjouersafe,trancheBrigitte.—Maisj’airencontrétropdecons,jen’enveuxplus.—Quiteditqu’ilestcon,tonCharles?demandeSarah.Essaie-leavantdedireça!Ilt’arappelée,il
étaitmêmefâchéquetusoispartiecommeça,iladitquec’étaitellequis’accrochaitàlui,paslui!Chloéboitlerestantdesacoupedechampagned’uncoup.— Parfois, dit-elle, c’est vrai que j’ai envie de me jeter à l’eau avec lui, il a quelque chose de
magnétique,cethomme.Maisdites-moi,est-cequec’estunefoliequejeferais?Lapireerreurdemavie?—Situjouestoujourssafe,Chloé,tunerencontrerasjamaispersonneàtamesure,ditJustine.—Tunepeuxpaspassertavieàavoirpeur!approuveSarah.—Jesais,maismauditqu’ilssontdécourageants,leshommes!Brigittes’exclame:—TupeuxessayertonApollon,maisàunecondition!Tunefaispasdedirtythingsàmoinsqu’après
tumeracontestout,tout,tout!Lesfillesrientdeboncœur,mangentmaintenantavecappétit,ycomprisJustine,tellementlesplatssont
savoureux.Sarahcontinue:—Un test ! déclare-t-elle.Réponds àmaquestion : admettons que tu te promènes dans la rue avec
Sébastien et que, par hasard, tu croisesCharles avecune fille à sonbras, qu’est-ceque ça te ferait ?Aurais-tuunregretd’êtrepeut-êtrepasséeàcôtédequelquechosedanstavie?—Huuum…oui, jecroisqueoui,répondChloé.Çameferaitunpincementaucœurdenepasavoir
essayé.— Demande-toi maintenant comment tu réagirais si tu te baladais avec Charles, et que tu voyais
Sébastienavecunefilleàsonbras.Chloéneréfléchitguèreet,sûredesaréponse,lapartageaussitôtavecsesamies.—Jeseraiscontentepourlui,qu’ilaitaussitrouvél’amouravecuneautrefille!—Alors,lavoilà,taréponse!s’exclameSarah.
—B
52Bateau-Lavoir,adnauseam!
onjour,Luc!lanceÉlisabethaugérantdelagaleried’artdeJustine,enyentrantcematin-là.— Ah ! Élisabeth ! s’exclame ce dernier, surpris de voir la mère de Justine, qui vient
rarementà lagalerie,préférantpasser«parhasard»aucondodesa fillepour luiapporterdespetitsplats,voirseschiens.—Tuvasbien,Luc?—Oui,trèsbien!répond-ilenl’embrassant.Quellebellesurprisevousnousfaitescematin!—Jeviensvoirmafille,ellen’apasréponduàmesappels.ElleestbienrevenuedeParis,non?—Oui,oui,elleestdanssonbureau,allez-y!LucsuitÉlisabethdesyeuxetsedit:«Ohboy!J’aicommel’impressionquemapatronneneserapas
tropdebonnehumeur,là…»—ÇaamalétéàParis?demandeaussitôtÉlisabethenentrantdanslebureaudesafille,sansprendre
letempsdeluidirebonjour.—Maisnon,maman,çaatrèsbienété,sedéfendJustine.Avoir unediscussion avec samère, cematin-là, c’est la dernière chose dont Justine a envie !C’est
d’ailleurslaraisonpourlaquelleellearepoussécetteconversationdepuissonretour.—Tun’enpasseraspasuneà tamèrecommeça!Tuas l’airpâleetamaigrie.Dis-moicequis’est
passé àParis ! ordonneÉlisabeth en s’assoyantdans le fauteuilmauveen formede fleur, dont Justinen’arrivetoujourspasàsedéfaire.—Maisrien,maman…—Sic’étaitrien,tum’enauraisdéjàparlé,larabrouesamère,enposantsèchementsonsacàmainsur
lebureaudesafille.C’estcommejet’avaisdit,hein,ilt’afaitlecoupduBateau-Lavoir?—Maman…Noooon!PasleBateau-Lavoirencore!Merdedemerde!—ExactementcommePicasso!Ah!Jelesavais!Jet’avaisbienavertie!Iltetrompe,c’estévident!Justine lève les yeux au ciel, n’a pas envie de discuter avec sa mère, mais elle doit bien avouer
qu’Élisabethaunpeuraisond’avoiréchafaudétoutsonscénariodepeintreàlaPicassoauBateau-Lavoiravecsesmodèles.Etellepenseàsesamiesaussi,quiellesnonplusn’ontpasvuçad’unbonœil.Depuisson retour, toute cette histoire l’accable à un tel point qu’elle n’en dort plus. Elle se sent si seule, sitriste…Zibl’appelle,tentedelarassurer,maisellenetrouvepluslapaixd’esprit,apeurdeperdresonmari,laisséàParisentrelesmainsd’unmodèleetd’unebaronneunpeutrophardies.—Ilssont touscommeça, lesartistes,continuesamère,si tum’avaisécoutéeaussietavaisépousé
Philippe,tun’enseraispaslà!—Ah,maman!NerecommencesurtoutpasavecPhilippe,veux-tu!—Çava,çava,jen’enfonceraipaslecloudanslecercueil!—Bien,c’estcequetufais,justement!—C’estjustedugrosbonsens!Commentveux-tuqu’unhommerésisteàvoirdesfemmesnuescomme
çadevantlui?Im-pos-si-ble!scandesamère.—Oui,laissetomberJustine,çadoitêtrebiendifficile.—Pas difficile, Justine ! Im-pos-si-ble ! Penses-y, ils sont tout seuls dans un appartement !Voyons
donc,tonZib,iln’estpasfaitenboisquandmême!Résignée,Justinerépond:—Non,maman,iln’estpasfaitenbois…
D
53Unhommequiveuts’engager?
ansunrestaurantbranchédel’avenueLaurier,assisefaceàlagrandefenêtrequidonnesurlarue,Chloéprendunegorgéedesacoupedechampagne.Charles tenaità fêterspécialementcesoir-làpuisqueChloé a enfin accepté d’aller souper avec lui. Les fleurs qu’il a envoyées chez elle, les
textos,lescourriels,lesmessageslaissésdanssaboîtevocaleonteuraisondesescraintes.—Jen’aijamaisvuunefillesidifficileàconvaincre!faitCharles.—Mets-toiàmaplace!Tuastropdefemmesquitetournentautour!Etcelle-là,aubowling,quite
caressaitlebrasetquiavaitl’airdet’inviteràpartiravecelle…—Ah!Queveux-tu,c’estmoncharme,ditCharlessuruntonbadin.—Hum!Toncharme…c’estjustementçaquimefaitpeur,toncharme!Laserveusearrive,faitunlargesourireàCharles,setourneversChloéetdemandeplatement:—Vousavezchoisi?—Non,répondChloé.—Laissez-nousencoreunpeudetemps,demandeCharlesgentiment.Laserveusejetteuncoupd’œilrapidesurChloéetrepart.—Bon,bien,c’estçaquim’agace,tuvois?Ellessonttoutesaprèstoi!—Chloé!Voyons!Dis-moi,est-cequetucouchesavectousleshommesquitedraguent?—Bien…non,voyons!—C’estlamêmechosepourmoi,cen’estpasparcequ’unefemmemefaitdel’œilquejevaiscoucher
avecelle!Ilfautquetupassespar-dessusça!—Ah!Jesais,cen’estpasdetafautesituesbeaucommeundiable!Charlesritdeboncœur.—Sérieusement,jeveuxqu’onsorteensemble,jeveuxpassermesweek-endsavectoi,messoirées,je
veuxavoirquelqu’unàmescôtésquandjemecouchelesoir.—Bien,tuaspleindefemmes,pourça!—Jen’enveuxpasplein,Chloé,jeteveux,toi…déclareCharlestendrement.PuisilprendlamaindeChloéposéesurlatable,faittournersabagueentresesdoigts.Chloésuffoque.Commentsavoirsic’estvrai?«Essaie-le,c’estlaseulefaçon…»«Tunecroispasquec’estfini,
cette histoire avec Sébastien ? » ont dit Justine et Sarah.Oui, elles ont raison. Sébastien a eu sachance,etçaaétésilongquej’aieuletempsdemedétacher.—Enplus, on est avocats, tous les deux, ce seraitcool, continueCharles, on va se comprendre, se
parlerdesmêmeschoses!—Alorsça,c’estvrai,admetChloé.Charlesfaitsigneàlaserveuse,quirevientaussitôt.Ilspassentleurcommande,discutent.—Aufait,commenceCharles,j’aimeraisprendreunesemainedevacances.Çateditdeveniravecmoi
?Unpetitvoyage,pascompliqué,poursereposer…Unvoyage!Toutestsinaturelaveclui!Sifacile…
—Quand?demande-t-elle.—Dansquelquesjours,ouviteentoutcas!Qu’endis-tu?Onvaapprendreàmieuxseconnaître.Mieuxseconnaître!Maissiçanemarchepas,puisqu’onestprisensemblelà-bas,c’estbientrop
tôtpourça!—J’ai justementunesemaineàprendreavantNoëlet jesuisclaquée!Ceseraitpeut-êtreunebonne
idée.Jepeuxypenser?—J’acceptetouteslesréponsessaufnon!Jevaism’occuperdetout!plaideCharles.Toi,tuneferas
queréservertasemaine.—Tuesviteenaffaires!—Jesaiscequejeveux,c’esttout.—Etmoi,jefaispartiedecequetuveux?hasardeChloé,encoreincertainedessentimentsdeCharles
àsonendroit.Laserveusearrive,sentqu’elleinterromptquelquechosed’important,poseleurentréedevanteux,sans
s’attardersurCharlescettefois-ci.CharlesreprendlamaindeChloéqu’ilavaitlaissée,dit:—Oui,tufaispartiedecequejeveux.Etj’aienviedevoirdequoituasl’airsuruneplanchedesurf!—Moi?Suruneplanchedesurf?faitChloé,paniquée.—Bien…oui,jevaistemontrer,àlafindelasemaine,tusurferascommeunepro!—Ça,c’estvraimentpasmontruc,leprévientChloé.—Ahnon?Pasgrave,onirafairedelaplongéealors,etvoirlespoissonsensemble.Soulagée,Chloérépond:—Oui,jepréfèrelaplongéeet…lalecturedansunechaiselongue.—Parfait,pendantquetulis,j’iraisurfer!déclareCharles.LecœurdeChloébondit tantdans sapoitrinequ’elle sedemandesi cen’estpasà l’hôpitalqu’elle
finiralasoirée,poursefaireréanimeràl’aided’undéfibrillateur.Elleressuscitebientôt.—Danscecas,jeveuxbienpartiravectoi,annonce-t-elle.Chloé pense à ses fées de l’amour, qui ont tout fait pour l’aider, qui lui ont concocté leurs potions
magiques.Elleseditqu’ellesdoiventavoirbienhâted’avoirdesesnouvelles.Ellesourit.—Tutrouvesçadrôle?demandeCharles.—Non,non,faitChloé.Elleajoute:—Tum’attends?Jedoisallerauxtoilettes!Çaneserapaslong!—Oui,faisvite!répond-il.Chloés’envaverslestoilettes,lecœurléger,lementonhaut,elleflottepresqueentrelestables,pousse
la porte.Aussitôt entrée, elle écrit un texto à ses trois amies : « Je suis si heureuse, vos potions fonttoujourseffet,jeparsenvoyageaveclui!Jecroisque,cettefois-ci,c’estlabonne,etj’aienfin,enfin,enfintrouvél’hommequej’aimeetquiveuts’engager»,puisellechoisitdeslèvresrougesenformedebaiseretappuiesurlatouche«Envoyer».
L
54Courseàvélo
escyclistesdel’équipeHenry&Sainte-Mariesetiennentsurlapiste,prêtsàpartirautimbresonoreet à accomplir leurs tours sur le circuit Gilles-Villeneuve. Ils devront faire une course à relaispendantquarante-huitheuresconsécutives.Sarahagagnésonpari.Ellearéussiàdoublerl’objectif
delacampagne,préalablementétabliàcentmilledollarsparElliot,danslebutderamasserdesfondspourvenirenaideauxenfantshospitalisésàSainte-Justine.Elliotatenupromesseetaversédesapochelemêmemontantcollectéparsesemployés.Lerestedel’équipesetientenborduredelapiste,tapedesmainspourencouragerlesemployésqui
partirontsouspeu.Mille troiscentspersonnes travaillantpourcentcinquantecompagniesparticipentàl’événement.Natasha,quin’aplusadressélaparoleàSarahdepuis lafameusehistoiredubaiserdansl’armoireàbalais–mêmequ’elles’emploieàliguertoutlemondecontreelle–,seglisseàtraverslafoulepourlarejoindredevantlekiosquedel’agence,oùs’affaired’habitudelepersonneldesécuriesdeformule1.Elleluimurmureàl’oreille:—Êtes-vousaucourantdemadécision?—Euh…non,laquelle?—J’aidécidédevendremesparts,j’aitrouvéquelqu’unquim’asemblétrèsintéresséàacheter,ila
ditqu’ilétaitprêtàtoutpourengloutirHenry&Sainte-Mariedanssonentreprise,uneespècedefusionouquelquechosedugenre.—Pourquoiferiez-vousça,Natasha?C’estvousquiyperdriezauchange,vousperdriezl’agence!—Onparled’unmontantsubstantiel.Avecça,jen’auraismêmeplusbesoindetravailler!—Maisvousnepouvezpasvendrecommeça!Elliotdétientlamoitiédesparts,ilnevouslaisserapas
faire!—Pascinquante,Sarah,maisbienquarante-neufpourcent,et…pasbesoind’unMBApourcompter
monpourcentage.Ehoui,laisse-t-elletomber,jepeuxtoutfaire,vousentendez,tout!—Jenevouscroispas,cen’estpasvraiquevousdétenezcinquanteetunpourcentdesparts!— Demandez à Elliot, vous êtes si près de lui, dit Natasha en ricanant méchamment, il vous le
confirmera,lui.C’estmoiquiaimistoutl’argentdansl’entrepriseaudépart,monexétaitsanslesou.Jen’aiexigéqu’unechose:commec’estmoiquirisquaisgros,jevoulaislamajorité,voyezcommeçamesertaujourd’hui!Oui,unboncalcul!—Est-cequ’Elliotestaucourantdecequevousvousapprêtezàfaire?—Biensûrqu’ilestaucourant,voyons!Vousnel’emporterezpasauparadis,Sarah!C’estluiquia
brisénotreentente,cen’estpasmoi!Vousallezmelepayercher,touslesdeux!LesyeuxdeSarahsevoilent.Sonmondes’écrouleunefoisdeplus.PourquoiElliot luia-t-ilencore
dissimuléquelquechose?Ceshistoiresdecachotteriesnedevaient-ellespasêtrefiniesentreeux?—Qu’est-cequejepeuxfairepourquevousnevendiezpasl’agence?—Rien!s’exclameNatasha.Toutestdéjàdanslesmainsdesavocats,leprocessusestenclenché,ma
chère,dansquatrejours,cinquanteetunpourcentdespartsdeHenry&Sainte-MarieserontachetéesparHubertKorniac.
Sarahs’écrie:—PasHubertKorniac !Vousnepouvezpas faireça, c’estnotreplusgrandcompétiteur ! Il aura le
pouvoirdetoutdécider,enétantmajoritaire!IlpourraécraserElliotàsaguise!—C’estbienpourçaquec’estàluiquej’aipensé!lanceNatasha.Qu’est-cequevouscroyez?Jene
suispasstupide!C’estlebutd’Hubertd’ailleurs.Iladitqu’ils’opposeraàtoussesprojets,vatellementlecontrarier,ensomme,qu’àlafinElliotnevoudraplusqu’unechose,c’estdevendresesparts.Hubertfiniraparl’acheterpourunebouchéedepain.Beauplandematch,n’est-cepas?Natasharegardel’ongledesonindex,legratteavecsonpouce,puisenfin,poseunregardhautainsur
Sarah.—Vousnepouvezpasluiôtersonagence,c’esttoutesavie!s’insurgeSarah.—Oui,jelepeux!rétorqueNatasha-la-plus-que-vautour.SacruautédépasselargementcequeSarahavaitmêmepuimaginer.Jamaisellen’avaitenvisagéuntel
scénario.D’ailleurs,ellen’étaitmêmepasaucourantqu’Elliotétaitminoritaire.—Vosgriffessontbienacérées,Natasha,vousavezdupoisonquicouledansvosveinesetunepierreà
laplaceducœur.Jenesaispascommentvousfaitespourvousregarderdanslemiroir!C’estlediablequivoushabite,vousfaitespeineàvoir!Sarah fuit cette ignoble femme, qui détient sonbonheur ainsi que celui d’Elliot entre sesmains.Les
yeux voilés de larmes, Sarah se taille une place parmi la foule, alors qu’un coup de feu résonne,annonçantlesignaldudépartdelapremièreéquipe.Arrivéeaudeuxièmeétagedesécuries,làoùtouteslestentessontmontéespourleweek-endpuisque
lesparticipantsdoiventdormirsurplacependantdeuxnuits,ellerepèrelajolietentequ’elleareçuechezelleaucourantdelasemaine.Autrecadeaud’Elliot,avait-elleconcluaussitôt.Elleouvrelafermetureéclair,seglisseàl’intérieur,refermeaussitôtderrièreelle.Elles’assoit,entouresesjambesdesesbras,poselatêtesursesgenouxpuissebercepouratténuersasouffrance.Soncœurseserrelorsqu’ellepenseàcequ’ellepourraitfairepouraiderElliot.Qu’est-cequej’aidoncfaitpourmériteruntelkarma?Ilfautquejeparte,quejequittemontravail
etquejequitteElliot,c’estlaseulechosequiferaitque,peut-être,Natashaabandonneraitsonprojet!Il nepeutpas toutperdreà causedemoi !Dieu !Commec’estdifficile, la vie !Pourquoi tous lesmalheursme tombent toujours sur la tête ?Pourquoi le destin s’acharne encore surmoi ?Va voirailleurs,sij’ysuis!Tunetrouvespasquej’aieumonlotdemalchances?Natashaabiencalculésoncoup,envendantsespartsàuncompétiteur,ellefrappeoùçafait leplus
mal.L’agenced’Elliot,c’estcommesonbébé,sonrêve.Elleentenddesemployésriretoutprèsdesatente,enparlantdeleursperformances.Elleseditqu’elle
doit semaîtriser,que tout l’événement repose surelle.Elle tire sonpetitmiroirde sonsac, sèche sespleurs,etdureversdesonchandail,essuielemascaraquiacoulésoussesyeux.Elleressort,afficheungrandsourirebienqu’ellesesentel’âmetorturéeàenmourir.Du courage, Sarah, du courage, ce week-end doit être parfait, et personne ne viendra faire du
sabotagedanstonévénement!PasmêmeNatasha-la-vautour!Sarah reprend des forces, pense à tous ces employés qu’elle n’a pas arrêté de talonner pour qu’ils
amassentdel’argentet,forted’uneénergienouvelle,sefraieuncheminparmilafoule,s’installesurlecôtédelapisteethurleensautillant,toutentapantdesmains:—Go!Go!Go!Bravo!Yé!Vousêtescapables!Go!Go!Go!Yééééééé!Ellemetdeuxdoigtsdanssaboucheetsiffleunboncoup,commeunami le luiamontré lorsqu’elle
n’étaitqu’uneenfant.Àsagrandesurprise,ellearriveàémettreunsonstrident. Il fautdirequ’ellene
s’estpasexercéesouventdanssabellemaisondeWestmountetdanslesendroitschicsqu’ellefréquentaitavecAdam, son ex-mari. Enfin, elle sent unemain passée sous son coude en catimini, se retourne ettombedanslesyeuxd’Elliot.Ilregardeauloin,sérieux,al’airdéchiré.Natashaluiaditqu’ellem’amiseaucourant,c’estcertain!Samain se déplace subrepticement, se glisse sous le chandail de Sarah, s’arrête sur sa hanche, les
doigtssursonventre.Elle se sent soudée à lui. Une larme coule sur sa joue. Lamain d’Elliot se retire. Sarah le suit du
regard.Elliotseposteàcôtédesonvélo,enlèvesonchandail,passelamaindanssescheveuxdéfaits.Ellevoitsesmusclessetendre,sontorseathlétique,sonventreauxabdominauxbiendéfinis,toutçaluirappellesonuniquenuitaveclui,cebeaucorpsqu’elleacaressé,quil’afaitjouirbiendesfois.Commeelle a encore envie de lui. Il met un nouveau chandail, endosse son brassard. Elle n’a qu’une idée,s’enfuiravecluilàoùtoutestpossible.Maisplusrienn’estpossiblejustement.Quefairemaintenant?Lajournéesedérouleparfaitement,leséquipesserelaient,l’atmosphèreestfestive.ElliotetSarahsont
occupés,ilyatoujoursdesgensautourd’eux,ilsnepeuventseparler.Commetouslesemployés,Sarahafaitsestoursdepisteaucourantdelajournée.Elleamalpartout,etsurtout,ellen’estpluscapabledes’asseoirtellementsesfesseslafontsouffrir.LevélodemarquePorsche,prêtépourl’événementpourlesgensquin’enontpas,donnefièreallureàSarah,maiss’avèretrèsinconfortablemalgrésavaleurdecinqmilledollars.Arrivésàl’heuredusouper,lesparticipantsquiontterminéserejoignentsousunimmensechapiteau,
fontlaqueueavecleurassiettedanslesmains.Autresdonsdegrandesépiceriesoutraiteurs.Lescoursesà relais sepoursuiventnonseulement toute la soirée,mais toute lanuit.Sarahdevra se leveràquatreheuresdumatinpourenfourchersonvéloetfaireuneautrecourse.Ellesejointàungroupepourmanger,faitcommesiderienn’était,afficheunejoiequ’ellen’éprouvepas.Desgensviennentlavoirpourréglercertainsdétails,ellesupervisetout.Lanuitvenue,elleseretire,vasedoucherdanslaremorqueaménagée,puisretournedanssatentepour
se reposer avant de prendre son tour de nuit. Elle déballe une petite pochette préparée par Elliot, ydécouvre une lampe de poche, des pansements adhésifs, des petits ciseaux, des Tylenol, un couteausuisse, et bien d’autres articles pour le parfait campeur !Cesmenus objets ont le pouvoir de la fairesourire.Elleseglissedanssonsacdecouchage,autrecadeaud’Elliot.Muniedesalampedepoche,elletentedelireunpeu,maiselleestincapabledeseconcentrer.EllenecessedepenseràElliot.Ilestsiprès. Elle se tourne et se retourne dans son sac, jongle avec ses sombres pensées, étudie toutes lesavenuesimaginables,etaboutittoujourslenezcontreunmur.Uneseulesolution,toujourslamême,s’imposeàsonesprit:elledoitquitternonseulementl’agence,
maisaussiElliot.Peut-êtrequeNatashava laisser tomberses idéesdevengeancesiellen’estplus là.Sonchâtimentdeviendrainutile.Maisellea tantbesoindeseretrouverdanssesbras.Degoûterà l’amouravec luiunefoisdeplus.
Qu’illafassejouirencoreetencorecommeill’asibienfait.Finalement,ellen’enpeutplus.Elleenfileunchandail,couvresatêteàl’aideducapuchon,metunpantalondejogging,sesbasketsqu’ellenoueàpeine.Adoptantladémarched’unado,ellesetraînelessavates,lesmainsfourréesdanslespoches,latêtepenchée,ets’avancesilencieusementàtraverslestentes.Ellerepèrecelled’Elliotunpeuàl’écart.Toutesttranquilleautour.Ellescrutelapénombre,etcommeelleconstatequelecheminestlibre,vite,ellesemetàgenoux,ouvrelafermetureéclairetseglisseàl’intérieur.Elliotseréveillebrusquement,ajusteletempsdedire«Maisqu’est-ceque…»avantqueSarahnelui
plaquelamainsurlabouche,puislaretirepourposerseslèvresàlaplace.Elliotselèvesuruncoude,nudanssonsacdecouchage,illarenversesurlecôté,luichuchoteàl’oreille:—Petitegamine,jet’aime…
A
55S’aimerdanslenoir…
vecfougue,ElliotembrasseSarah,glisselalanguedanssabouche,poseseslèvressursoncou,luiretiresacapuche,ladénudeàunevitessefolle,àlamesuredesondésir.Ill’investitbientôt,veutlapossédertoutentière.Recréerlamagiedelaseulenuitoùilluiafait
l’amour.Sarahgrimaceunpeusousladouleur,laisseéchapperunpetitcri.—Jet’aifaitmal?demandeElliot,inquiet.—Non,monamour,cen’estpastoi,dit-elleensouriant.—Dis-moi,c’estqui,cesalopard?Sarahpouffederire,etElliotluimetlamainsurlabouchepouratténuerleson.—C’estcefoutuvéloPorsche!AlorsElliotluifaitl’amourtoutdoucement,silencieusement.Ilss’aimentdanslanuit,étouffentlebruit
deleursrires,deleursbaisers.—Mais pourquoi nem’avoir rien dit ?murmure Sarah alors qu’ils se reposent, nus, vissés l’un à
l’autre,danslesacdecouchage.—Parcequejenevoulaispast’embêter,quetupensesquetoutçaestdetafaute,puisquecen’estpas
lecas.C’estmonerreurd’avoiracceptécepourcentageinégal,jen’auraisjamaisdû,maisj’étaissansargent, nous étions jeunes, Natasha venait d’hériter d’une grosse somme, ses parents sont mortstragiquement dans un accident de voiture. À l’époque, elle n’était pas comme ça, c’était une femmedouce,gentille.C’estsamauditedrogueaussi!Elleestdéjàalléeendésintox,maisellearecommencéaussitôt.—Qu’est-cequ’onpeutfaire,Elliot?—Iln’yarienàfaire,rien,répond-ilenlaserrantdanssesbras.Elleatouslespouvoirs.Onattend.
Elle a convoqué une réunion mardi à une heure avec l’avocat et l’acheteur. Je n’irai pas jusqu’à lasupplier,c’estcertain.Laseulechosequicompte,c’estquejet’aime,fait-iltendrementenl’embrassant.—Maistuvastoutperdre!—Pastout,jet’ai,toi.C’esttoutcequim’importe.—Madécisionestprise,Elliot.Jevaisquitterl’agence.—Non,jeneveuxpas!Jetel’interdis!Jesavaisquetuvoudraisfaireça,c’estpourcetteraisonque
jenet’aipasparlédesonplan.MaisNatashas’enestchargée,ellenesaitplusoùfrapperpourqueçafasseencoreplusmal,elleabienvuquetun’étaispasaucourant,ellevoulaitquetusouffres.—Tuasunespoirqu’ellearrêtetoutsiellevoitquejesuispartie!—Non!Iln’enestpasquestion.Tuasdeforteschancesdegardertonemploi,unefoisNatashapartie.
Korniacn’estpasfou,ilvategarder.Sarah doit se détacher de lui à grand-peine puisque son tour de piste arrive bientôt. Elle remet ses
vêtements, couvre ses cheveuxblondsde sa capuchependantqu’Elliotouvre la fermeture éclairde latentedoucement.Toutl’étagebaignedanslenoir.Avantqu’elleneparte,illaretient,prendsonvisageàdeuxmains,l’embrasseunedernièrefois,puissortunpeulatêtepourvérifiersilecheminestlibre,luidonneunepetitetapesurlesfessesetchuchoteàsonoreille:
—Vas-y,maintenant!Sarahrepart,têtebaissée,varejoindresongroupedanslanuit,endossesonbrassardetenfourcheson
véloengrimaçant.Elleentendaussitôtunevoixgraveetfamilière:—Go!Go!Go!Bravo!Vousêtescapables!Puisunbruit stridentdesiffletparvientàsesoreilles,ellese tourneun instant.Elliot lui faitunclin
d’œilcomplice.Ellesourit,sesentheureused’êtreaiméedelui.L’hommequ’elleaime.Elleestdécidée,ellevaremettresadémissionetellevacesserdelevoir.Elleestprêteàtoutsacrifier
pourqu’ilgardeentreprise.Lelendemainmatin,lorsqu’ellereprendsontouretenfourchesonvélo,elles’apprêtedéjààgrimacer
ens’assoyant–ilfautdirequelafollenuitdanslatenten’apasarrangéleschoses–,maisellesentunconfortnouveausoussesfesses.Elleserelèveetconstatequelesiègeaétérecouvertdedeuxcoussinsenmousse.EllesouritenpensantàElliot.«Hum!Pasmal»,fait-elle,ensebrassantlederrièresurlaselle.Lajournéesepassesansencombre,mêmesiSarahn’apascesséd’avoirlalarmeàl’œil.Ausouper,
lorsqu’ellecroiseElliot,illuisouffleàl’oreille:—Tuviensmerejoindre,cettenuit?—Oui,jen’ymanqueraipas,luirépond-elleàvoixbasse.Lanuitvenue,ellerefaitlemêmestratagème,sedéguiseengarçonetvarejoindresonamoureuxsoussa
tente. Flambant nu, il ouvre son sac de couchage pour l’accueillir. Sarah se blottit tout contre lui, lecaressependantqu’ils’emploieàluiretirersonpantalon.L’espacelesrestreintunpeu,maisilsarriventà rouler l’unsur l’autreetàprendre leur touràdominer lasituation,seprodiguantcaressepar-dessuscaresse, ce qui leur procure tout un éventail de sensations et de plaisirs grandement partagés. Ils fontl’amourensilence,enétouffantleursbruitsdejouissance,exacerbéeparlescirconstances,lesinterdits,lesproblèmesqu’ilsrencontrentsurleurcheminetquicausentsanscessedenouveauxobstaclesàleuramour.Alorsqu’ilssereposent,Elliotdit:—Promets-moique tuvasrentrerau travail lundi, je refuseque tu tesacrifies !Onva trouvernotre
bonheurailleurs,ilfautresterensemble,Sarah.Bouleverséeàl’idéedelequitter,del’entendreparlerdeleurbonheur,commes’ilsétaientuncouple,
lecoupleidéal,celuiqu’ellerecherchedepuissilongtempsetqu’elleaenfinréussiàtrouver,ellerépondtoutdemême:—Jesuisdésolée,Elliot,jenepeuxpastepromettreça.Unjour,peut-êtrepasdemain,nilasemaine-
prochaine,oulemoisprochain,nimêmel’annéeprochaine,maisunbonmatin,tutelèverasettumelereprocheras.Biensûr,ceneserapasaussinet,maiscedoutetueranotreamour.Tunevoudrasplusdemoi.Etcejour,jenesuismêmepascapabledel’imaginertellementjet’aime.—Non,cen’estpasvrai,jamaisjenetelaisserai,jamaisjenecesseraidet’aimer.Sansmotdire,Sarahseréfugiedanslesbrasdeceluiqu’elleaime.—Épouse-moi,jet’enprie,Sarah,épouse-moi!Surlecoup,Sarahfermelesyeux,soncœurluifaittropmal.Lesyeuxnoyésdelarmes,elleselève,se
rhabille,carsontourdevélovientbientôt.Elliotl’aideàretrouversesvêtementsépars,alorsqu’ilsentunnœudseformerdanssonestomac.Unefoisprête,Sarahs’accroupitdevant lafermetureéclairpourl’ouvrir,maisElliotlaretient,lafaitbasculerversl’arrière.Ilprendsonvisagedanssesmains,lafixeintensément,l’embrassepassionnément.Sarahprofitedecederniermoment,tandisquedegrosseslarmess’échappentdesesyeux.Elleserelèveetdéclare:
—Sionsemarie,jamaisellenetelepardonnera.Adieu,monamour,ajouteSarahenembrassantElliotunedernièrefois.Adieu,jet’aime.Elleouvrelaglissière,sefaufiledanslapénombre,varejoindresatente,oùelleenfilesesvêtements
de vélo pour reprendre son tour de piste. Elle ressort habillée de ses cuissards, met son dossard àl’effigiedelacompagnie,vaaccueillirlesnouveauxarrivants.Ellehurle:—Go!Go!Go!Bravo!Lecœurenmiettes,elleenfourchesonvélo,commenceàpédalerdanslanuitetlagrisaillealorsquela
pluienaissantesemêleàsespleursetquerésonnentenellelesmots«Épouse-moi».
À
56S’aimeravantdepartirenvoyage
dix-huitheures,lavaillanteChloé,encoreaubureau,reçoituntextodeCharles.«Soupercesoirchezmoi?»«Suisencoreautravail,maisçameplaît.»
«Moiaussi.Jenesuispastropboncuisinier,j’achèteraiquelquechosechezletraiteur.»«JeprendsRambochezmoietjevaisterejoindre.»«Tuconnais l’adresse, je t’attendsavecmonrival ! Jesuisbonprince, jevaiscommanderpour ton
molosseaussi:)»«Tuesbiendrôle!»«Jeprendsmaintenantdescoursdekaratépourmedéfendreencasd’attaque!Àtoutàl’heure.»«Oui,ilyadequoiavoirpeur,eneffet!:)»«Oh!J’oubliais!Prévoisunpyjamaettespantoufles,sijamaisjetekidnappepourlanuitetquejene
telaissepluspartir!»Hum…pyjama…Quatrième foisqu’onsevoit, ce soir, toutestpermis ! Il veutessayervoir si ça
marcheaulitavantlevoyage.Boncalcul!Sait-onjamais.
***
ParvenuechezCharlesàl’Île-des-Sœurs,Chloéappuiesurleboutondel’interphonepourannoncersonarrivée.Ellemonteà l’étage, s’extasie sur lecondo,quia ledoublede la superficiedusien,avecdegrandes fenêtresdonnant sur le fleuve.Toutestdansunstyle trèsmoderne,design.Charles l’accueillechaleureusement,l’embrasse,l’emmènedanslacuisine,oùunetableestdressée,surlaquellesontposéesdeuxchandelles.—C’estgentildemerecevoir,déclareChloé.—De vous recevoir, la corrigeCharles enmontrant un plat pour chien par terre, rempli de viande
coupéeenpetitsmorceaux.Touchée,Chloés’empressededire:—Merci,tucomprends,quandilapassélajournéeàlamaison,jenepeuxpaslelaisserseullesoir
aussi.—Biensûrquenon,faitCharles,detoutefaçon,onestcopains,luietmoi.CharlesprendRambodanssesbras,l’approchedesonvisagealorsquelepetitchienenprofitepourle
léchersouslenez.—Coquin,va!luidit-ilenleremettantàsamaîtresse.Chloéposelechiensursacouverturequ’elletraînetoujoursavecelle,luidonnesonpetitos,qu’ilse
mettoutdesuiteàgrugerconsciencieusement.—J’auraisbienaimétefairelacuisine,maisjenecroispasquetuauraisapprécié,s’excuseCharles.—Pasdeproblèmepourmoi!—Tucuisines,toi?—Moi?Disonsquejemedébrouille!
—Riendemieuxquelepartagedestâches,lanceCharles.Partagedestâches?Ilaparlédepartagedestâches!Charles fait réchauffer ses plats pendant que Chloé s’approche d’une série de photos posées sur le
manteaudelacheminée.L’uned’ellesattireplusparticulièrementsonattention,oùCharlestientunetrèsbellefilleparlataille.—C’estmasœur,précise-t-il,enobservantChloé,lenezàquelquescentimètresdelaphoto.Chloéluisaitgrédel’eninformer.Ellevoitsuruneautrephotouncoupleplusâgé,elledemande:—C’esttesparents,ça?—Oui,ilssontencoreensemble.Ettoi?—Mamère est décédée il y aquatre ans, un cancer foudroyant l’a emportée enquelques semaines.
Maismonpèreestvivant.—Ils’estremarié?—Non,ilneveutpas,ilditquemamèreresteratoujourslafemmedesavie.—C’estbeaudevoirdescouplesunis,commenteCharles.Chloéestémue.Cethommenesemblepascommelesautresqu’ellearencontréscesdernièresannées,
quinepensaientqu’àlabaiser.Ellesentqueleschosessontdifférentes,qu’ilauneprofondeurqu’ellen’avaitpasvueenlui.Charlessertlesplatsdutraiteuretouvreunebouteilledevinrouge.— Tu vois, dit-il, tu n’as pas à avoir peur demoi ! J’ai eu une enfance heureuse, des parents qui
s’aimenttoujours.Iln’yarienquejetrouveplusbeauqu’unefamilleunie,j’aiungrandrespectpourmesparents,ilsonttoujoursétélàpourmasœuretmoi.—Lesmiensaussis’aimaientbeaucoup.J’aitrouvéçabiendifficiledevivretoutça,lamaladiequi
emportaitetmevolaitmamèrepetitàpetit.Jemesuissentiesiinutile,faitChloé,quinepeutréprimerletrémolodanssavoix.VoyantqueChloéestémuedeserappelercestristessouvenirs,Charlesdéposesabouteilledevinsur
lecomptoiretserapproched’ellepourl’étreindre.— Je suis certain que tu n’étais pas inutile, que tu as toujours été là pour ta mère, dit-il pour la
réconforter.—Oui,j’aiétélàpourelle,j’aiabandonnémasessionmême,maisj’auraistellementvoululaguérir.Charlesretourneàlacuisine,sortdescoupesetverselevin.Ildit:—Oui,jetecomprends,çaadûêtrevraimentdifficilepourtoiettonpère.— Très difficile, laisse tomber Chloé. Mais changeons de sujet, c’est trop triste. On est ici pour
s’amuseretsedistraire,paspourpleurer!Non?—Vienst’asseoir,onvacontinuernotreconversationàtableavantquemonsoupersoittoutrefroidi,et
qu’après, tu me reproches de ne même pas savoir réchauffer des plats cuisinés ! la taquine Charlesgentiment.Chloésourit,s’assoitsurlachaisequ’illuidésigne.Ilprendlacoupedevin,laluitend,ens’exclamant
d’untonsolennel,lebrasderrièreledos:—MadameChloé!Chloééclatederire.—Maisonnemeprendpasausérieux,ici!s’offusqueCharles,quinepeutréprimerunsourirecoquin.Àsontour,ilprendsacoupe,lafaittintercontrecelledeChloé,etdit:—Tchin!Àunesibellerencontre,mêmesiellem’acoûtéunpare-chocs!—Oui,ànotrerencontre!C’estpassimal,unpare-chocs,çaauraitpuêtrepire!—Huuum…grommelle-t-ilpourtouteréponse.
Ils discutent de tout et de rien, s’amusent,Charles la taquine souvent.Chloé ne lui parle pas de sesnombreuses tentativesvisantàrencontrerunhommequiveuts’engager. Iln’apasbesoindesavoirça,pense-t-elle.Aprèslerepas,ilsuggère:—Viens!Onvafinirnotrevinsurlecanapé.Chloé le suit, s’installe à côté de lui. Il pose sa coupe sur la table, s’approched’elle, lui enlève la
siennedesmains,lametàcôté.LetempsqueChloésedisequ’ilval’embrasser,saboucheestdéjàsurlasienneetsalanguesefraieunpassageentreseslèvres.S’ilfaitl’amourcommeilembrasse,cethommeestlemien.Ilabientôtlesmainssursesseins,ellesentsonsoutien-gorgesedégrafercommeparmagiederrière
sondos.Charless’enharditsoussonchemisier.Puis,doucement,ilcessedel’embrasser,laregardedanslesyeuxetmurmure:—Tumeplais,toi…Soudainement,lesdéfensesdeChloétombent,ellen’apluspeurdelui,pluspeurqu’ilsoittropbeau,
peur qu’il ne veuille que faire l’amour avec elle. Elle sent son authenticité, son envie d’une relationstable,toutcommeelle,peuimportecequ’ilavouluavant.Ellerépond:—Tumeplaisvraimenttoiaussi.Puissansdireunmot,ill’entraîneverssachambrealorsqueRamboseréveilleetlessuit.Ilsecouche
au bord de la porte pour veiller sur sa maîtresse. Comme il sent bien qu’elle est heureuse, il ne seformalisepasdecequ’ilsfont,serendortaprèsavoirpousséunprofondsoupir.Charles et Chloé sont au pied du lit, enlèvent un vêtement, s’embrassent, en enlèvent un autre,
s’embrassentànouveau.—T’asapportétonpyjama?demandeCharles.—Non,jecroisquejen’enauraipasbesoin,affirmeChloé.—Tuessibelle,luidit-il.J’adoretescheveux,c’estsirare,unerousse!Etenplus,ilssententsibon!Merci,Sarah.—Ettoi,tuesunvilaincrapaud,fait-elle.Ilsricanenttouslesdeux,puisCharleslapoussesursonlit,l’embrasse,luiconfie:—Jesuisbiencontentque tonSébastienaitétéenretard le jouroù je t’aivueseulesur la terrasse,
sinon,jeneseraispasentraindet’embrasseraujourd’hui.Elles’apprêteàrépondre,maisilluiplaqueunbaiserpassionnésurlaboucheetdit:—Tais-toietembrasse-moi.Elle roule sur lui dans le lit,mais il la fait tourner à son tour, de sorte qu’elle se trouve encore en
dessous,ellerigoledoucement,neditmotcettefois-ci,l’embrassepassionnément.
***
SeuleaupetitmatindanslelitdeCharles,Chloéseréveille,regardeautourd’elle,serappellesanuit,sourit.Enrouléedansledrapblancsatiné,ellevarejoindreCharlessurlapointedespieds.Elleletrouvedevant sonordinateur. Il lui fait dos et pianote sur sonclavier.Elle s’approchede lui, passe sesbrasautourdesoncou,l’enrobedumêmecoupdansledrap.Ilsetourneverselleetdit:—Cequetuesbelledansmesdraps,ondiraitqu’ilssontfaitspourtoitellementilstevontbien.—Tuescute,faitChloé,enjetantunœilsursonécrand’ordinateur.—Mercredimatin,huitheures,Sainte-Lucie,çateva?lance-t-il.
P
57Partirpourréfléchir…
endantqueSarahsedébataucircuitGilles-VilleneuvecontreNatasha-la-plus-que-vautour,Brigitte,quant à elle, se débat pour sauver son couple.Le soir, lorsqu’elle va se coucher, des discussionsinterminablesontlieuavecsonmari.
Ce soir-là, après s’être démaquillée, Brigitte retourne dans sa chambre. Jean s’y trouve déjà et sedéshabille pour semettre au lit, se promènenupendant qu’il plie soigneusement sonpantalon,met sachemiseenbouledansunpanierprévuàceteffetpourêtreapportéechezlenettoyeurpuissecoucheenfaisant dos à son épouse. Brigitte enlève ses vêtements,mais s’empresse demettre une robe de nuit.Même si elle ne fait plus l’amour avec Christian, elle n’a pas plus envie de le faire avec sonmari,n’éprouveplusrienpourlui.Ellelerejointdansleurgrandlit,ouvrelesdrapsdesoncôté,toujourslemême,malgrétouteslesannéesqu’ilsontpasséesensemble, lesdéménagements,sonépoquefengshui.Elleluiditdanslenoir:—Écoute,j’aipensépartirenvoyage,jecroisquej’enaivraimentbesoin.—Oùveux-tualler?demandeJean.—Jenesaispas,moi,enItalie,tiens!J’aibesoindepartirpourréfléchir.Tuveuxbient’occuperdes
garçons?Jeansetourneverselle,luidit:—Sic’estceque tuveux,etque t’enasvraimentenvie,vas-y, jevaism’occuperd’eux.S’ilyaun
problème,jepourraitoujoursdemanderàmamère.—Mercidecomprendre,murmureBrigitte.Verslescinqheuresdumatin,Brigitte,n’ayantpasfermél’œildelanuit,ouvresonordinateur,vérifie
sescourriels,riendeChristian,constate-t-elle.PuisellevasurGoogle,chercheunbilletd’avionpourl’Italie,trouvetoutdesuiteuneaubaine,unaller-retourpourdeuxsemaines,unseulbilletrestant.Lebilletsalvateur,celuiquetouteslesfemmesquiveulentréfléchirrêventdeprendre.Ellel’achèteaussitôt.Ellepartiralesoirmême.
B
58Quandtoutestperdu
ienqu’Elliotaittoutfait,toutditpourl’enempêcher,SarahaannoncésadémissionàNatasha,elleluiaditqu’ellefiniraitlajournéedecollectedefondspournepasnuireàl’événement,maisqu’ellenerentreraitpas le lundi.Mêmesielleadoreson travail.Elliot l’aappelée, luia laisséde longs
messages,maisellen’apasrépondu.Lemardimatin,aprèsunelonguenuitd’insomnie,ellevaconduiresesjumellesàl’écolelorsqueson
cellulaireannonceuntexto.Ellelit:«C’estlarencontreavecNatashaaujourd’hui,àuneheure,jet’enprie,soislà,j’aibesoindetoi.Je
t’aime.»—Maman,qu’est-cequetuas?demandeLéa,quivoitbienquesamèreesttroublée.—J’aiunpetitproblème,maiscen’estrien,mapuce,jevaism’enoccuper,riendegrave,ditSarah
pourrassurersafille.Camille,quantàelle,regardepar lafenêtredelavoiture, levisagefermé.Sarahjetteuncoupd’œil
danssonrétroviseur.Celle-làneserapasfacile…—Toutvabien,Camille?l’interroge-t-elle.Maissapetitenerépondpas,nelaregardepas.Sarahn’apaslaforcedelaréprimander.Prèsdela
courd’école,elledescend,embrassesesjumelles,puisattendrie,lesobservetandisqu’ellesentrentdansl’école.Àsonretour,ellevoitunevoitureluxueusegaréedevantchezelle.Unhommeestassisdanslesescaliers, l’attend.Soncœur faitunbonddans sapoitrine lorsqu’elle reconnaîtElliot.Elle segare. Ilvientàsarencontre.Ellesortdesavoitureetcourtseréfugierdanssesbras.—Sarah,resteavecmoi,jet’enprie,j’aitantbesoindetoi!—Viens,dit-elle,entrons!—Jemefousdetout,dit-il,épouse-moi!—Non,répondSarah,jenepeuxpast’épouser.—Tunem’aimespas?—Oui,jet’aime,Elliot,jen’aijamaisaimépersonnecommejet’aime!Maisc’estimpossible,nous
deux,Natashanousaeus.Ondoittenterd’enrayerl’hémorragie.Ilfautqu’oncessedesevoir.Promets-moi,Elliot,promets-moiquetunereviendrasplusici.—Jenepeuxpastepromettreça…—Promets-le-moi,Elliot,illefaut.—Çava,jetelepromets.Maisàlaconditionquetuviennesavecmoiaumeetingcetaprès-midi.—Çavaenvenimerlasituation,onnepeutpas,voyons,ellevaêtrefurieuse.—Ellenepeutpasêtreplusfurieusequ’ellel’estdéjà!—Non,Elliot,çan’apasdebonsens.—Alorspermets-moiderestericijusqu’àlafin,lance-t-ilenlaserrantcontrelui.Sarahleprendparlamain,l’emmènedanssachambre,ilsseregardentuninstant,etvite,ilsôtentleurs
vêtementsets’étendenttouslesdeuxsurlelit.Sarahsesoulèveaussitôt,s’assoitsurlui,sepenchepour
l’embrasser, caresse son torse, elle n’a pas à semouvoir sur lui bien longtempspuisqu’elle sent déjàpoindresondésir.Elleglissesonmembreenelle,abesoindelesentir,semeutsurluilangoureusement.Aprèsavoirfaitl’amourunesecondefois,ilssetiennentenlacés,attendentquelesminutess’écoulent.Plusletempsavance,plusleurinquiétudegrandit.Finalement,àmidi,Elliotluidit:—Viensavecmoi,jet’enprie,tuferascequetuvoudrasaprès,maisaccompagne-moi!J’aipeurdene
pasêtrecapabledemeconteniretdeluicasserlafigure,àcetenfoirédeKorniac,j’aipeuraussidecequejepourraisdireàNatasha.C’estunmomentdifficile,situeslà,jesauraimecontenir.
***
D’uncôtédelatabledeconférencesetiennentElliotetSarahalorsquel’avocatdeNatashaetHubertKorniacleurfontface.Assiseaucentre,Natashapréside.Sarah,surprise,constatequesonex-patronnesemble très nerveuse. Il faut dire qu’elle s’apprête à livrer l’agence aux mains de leur plus grandcompétiteur.L’avocatouvre sondossier,distribuedesdocuments à la ronde.HubertKorniacnepeut réprimerun
petitsourireencoin.Lesjointuresd’Elliotrougissenttellementilgardelespoingsserrés.SarahregardeNatashaensilence,lamortdansl’âme.Lafemmevautourluidemandesèchement:—Quefaites-vousici?Vousn’avezpasétéconvoquée,àcequejesache!—Ellem’accompagne,intervientElliot,c’estmaconseillère.Natasha les regarde tour à tour puis intime l’ordre de procéder. L’avocat explique les termes de
l’entente,delaventedespartsdeNatasha,tendlespapiersd’abordàl’acheteurpoursasignature.Ildit:—Signezicietapposezvotreparaphesurtouteslespages.LorsqueKorniacarriveàladernièrepage,illèvelesyeux,regardeElliotetricane.L’avocatrécupère
lesdocuments,lesposedevantNatasha.D’unemaintremblante,celle-ciprendsaplume,jetteunœilversElliot,quisoutientsonregard.Aulieudelahaine,desinjuresqu’ilauraitbienpuluiassénerenpleinefigure,ilafficheunairpeiné,sansmanifesterlemoindredésirdevengeance,résignédevantunefatalitéàlaquelleilnepeutsedérober.Sarahposelamainsursacuisse.Natashabaisse la tête sur ledocument,mord le coindroit de sa lèvre inférieure, s’apprête à signer.
Elliotalesyeuxrivéssurlepapier,surlaplumequiseposedessus.Ilattend,commeuncondamné,sasentence.Natashalèvelesyeuxverslui, leregardefixement,commesiellevoulait liredanssespensées.Elle
reconnaîtcettetristessedanssonregard.Oui,lamêmetristessequ’ellepercevaitchezluilorsqu’ilvenaitlavoirdanslescentresdedésintoxication.AlorslarancœurdeNatashafondcommeneigeausoleil.Letemps est suspendu, plus personne ne ditmot. Tout à coup, et contre toute attente,Natasha dépose saplumesurlatableetdéclared’untonposé,maisferme:— La séance est terminée. Maître Bélisle, rangez vos documents, jetez-les, faites-en ce que vous
voulez,maisjenesigneraipas.HubertKorniacs’agitesursachaise,metsonpoingsurlatableetcrie:—Commentça?Vousn’avezpasledroit!Onavaituneentente!—Parfois,mêmesionauneentente,onpeutchangerd’avis,ditNatasha,ensetournantversElliot.Celui-cin’encroitpassesoreilles,ils’exclame:—C’estbienvrai?Tunevendsplustesparts?—Non,jenelesvendsplus.—Alors,onpeutgarderl’agencetouslesdeux?—Oui,oncontinuecommeavant,cen’étaitpassimal,n’est-cepas?Elliotselève,embrasseNatasha,laserredanssesbras.Malgrélabonnenouvelle,Sarahaquandmême
hâtequ’ildesserresonétreinte;cequ’ilfaitaussitôtpourallerseposterprèsd’elle.—EtpourSarah?demandeElliot.Natashalèvelatête,dit:—J’oubliais,ilyauneconditionàcetteentente!
—J
59Oùlajoiedéborde
egardeSarahàmonservice!déclareNatasha.Sarahselève,criesajoie,vaversNatasha,n’enfinitplusdelaremercier.
—Vousneleregretterezpas!Vousverrez!—Ça,jesais.Etd’ailleurs,j’aiunpetitserviceàvousdemander:jedoispartirpourunmois,dansun
centredesanté,ajoute-t-elle,vousvoudriezbienmeremplacer?—Avecgrandplaisir,faitSarah,jevousferaidescomptesrendustouslesjourssivousvoulez!—Non,merci,répliqueNatasha,jevousfaisconfiance.J’auraibesoindetoutemonénergie,làoùje
serai.ElliotprendSarahparlataille,dit:—Hum!Là,jeperdsungrosmorceau,maisjeveuxbientelaisseràNatasha,jedoisavouerquevous
faitesunebonneéquipe,touteslesdeux!—Oui, j’aieuunebonneintuitiondevousengager,mêmesimonexest tombéamoureuxdevous,et
vousdelui,àcequej’aipuvoiraussi.—Oui,répondSarah,jel’aime.—Etluiaussivousaime,jeleconnais!J’aidécidédefairequelquechosedemavie.Jevouslaisseà
votrebonheur,moi,jevaisessayerd’attraperlemienailleurs.J’aiétéheureuseavectoi,Elliot,maislà,j’aicomprisque toutestbien finientrenous.Peut-êtrequ’un jour jepourraiêtredenouveauheureuseavecunautre,enfin,àvoir…—Pourquoipas?faitElliot.Onétaitbienensembledanslespremièresannées.Enfin,avantquetu…
quetu…—Oui,avantquejetombedanslacoke,poursuitNatasha.Jelesais,toutestdemafaute.J’airéalisé
quejerendaistoutlemondemalheureuxautourdemoietquejeperdaismavieàvouloirdétruirelaviedesautres,etsurtoutlatienne,Elliot,jedoisl’admettre.Elliotlaregarde,maissetait.—Jesuisdésolée,ajoute-t-elle.Etsurcesmots,Natasharepartverssonbureau.SeretrouvantseulavecSarah,Elliotl’embrasse,puis
duboutde l’index, il tient sonmenton relevévers lui, tout en la regardant intensément.AprèsunbrefmomentoùSarahsentsagorgesenouer,illuidemande:—Etmaintenant,tuveuxbienm’épouser?Sarahleregarde,siémue,sisoulagéequedegrosseslarmessemettentàcoulerdesesyeux.—Oui,jeveuxbient’épouser,répond-elleamoureusement,enriantetensanglotantàlafois.—Jet’aime,Sarah,jet’aiaiméedèslepremierjour…—Moiaussi je t’aime.Mais…ajouteSarah,songeuse, tum’auraisaiméesi jene t’avaispasaidéà
décoincertafermetureéclair?Elliotsouritenpensantàleurrencontreetdit:—Disonsquecetincidentaaccéléréleprocessus,l’intimités’estviteinstallée…—Oui,pourça,jesuistoutàfaitd’accordavectoi!Jecroisquenoussommeslesseulespersonnesau
monde à être tombés amoureux dans de telles circonstances, répond Sarah en l’embrassant. Elle leregarde tendrementpuisajoute, jesuissiheureuse lorsque jesuisavec toi !Dans tesbras, jemesensforte,prêteàtoutaffronter…Elle se serre tout contre lui, ferme les yeux, pousse un petit soupir de contentement. Elliot la tient
fermement,commepourluisignifierqueplusjamaisilsneserontséparés.Enfin,ellelèvelatêteetluidemandeenplaisantant,commeunepetitefille:—Etma…bague?—Ha,ha,ha!faitElliotdesongrandrire.Puisilfouilledanslapocheintérieuredesonveston,sortunécrindevelours,qu’illuitend.Surprise,
Sarahbredouille:—Mais…jenecomprendspas.— Disons que j’avais le sentiment que tu accepterais un jour, ma chérie, et j’ai juste pris un peu
d’avance,lance-t-ilenlagratifiantd’unclind’œilcomplice.Sarah sourit alors qu’Elliot la fixe pour se souvenir de cemoment, de l’air qu’elle fera lorsqu’elle
découvriracequisetrouvedansl’écrin.Avecbeaucoupd’émotion,Sarahouvrelejolicouverclerougeenformedecœurpuislaisseéchapperun«oh»admiratif:—Elleestmagnifique!s’exclame-t-elle.Cen’estpasquelabaguesoitsiimportanteàsesyeux,malgrélagrosseuretlapuretédudiamant,mais
plutôt ce que représente celle-ci qui plaît tant à Sarah. En effet, vivre avec l’homme qu’elle aimeconstitueleplusbeaucadeauqu’elleaitpurecevoir.—Oui,oui,monamour,dèsquej’auraiobtenumondivorce,lapremièrechosequejeveuxfaire,c’est
t’épouser,murmure-t-elle.
A
60Sainte-Lucie
ubeaumilieu d’une randonnée, près des sources d’eau chaude et desmares de soufre du volcanSoufrière,quisesituedepartetd’autreduPetitetduGrandPitonsurl’îledeSainte-Lucie,Charles,lecœurbattantà tout rompre,attrapeChloé,quivient tout justedeperdre l’équilibresur le flanc
escarpédelamontagne.—Ouf!Tum’asfaitpeur,dit-il,enmettantlamainsursapoitrine,jen’auraispasvouluqu’ilt’arrive
quelquechose.—J’aicruquej’allaistomber!faitChloé,visiblementsoulagée.—Faisattention,nemarchejamaisprèsduprécipicecommeça!—Oui,jemecroyaisbienenéquilibrepourtant.—Jepensaisquemoncœurallaits’arrêter!ajouteCharlesenprenantlamaindeChloépourlamettre
sursontorse.Chloéarronditlesyeuxdesurpriseensentantlesrapidespulsationscardiaques.—Ondiraitquetoncœurveutsauterdetapoitrine!—Oui,ondirait!Nerefaisplusça,veux-tu?Jenevoudraissurtoutpasteperdre,j’ail’intentionde
faireunbonboutdecheminavectoi,luiconfieCharles,enl’embrassanttendrement.—Queveux-tudirepar«unbonboutdechemin»,unesemaine,unmois,uneannée?—Jeveuxdirelongtemps,répondCharles.—Pourlavie?hasardeChloé.—Pourquoipas?—Alors,marions-noussic’estpourlavie!décrèteChloégaiement.Charleslaregarde,unpeudécontenancé,n’ayantpasprévucetteréponse.Ellen’estpassansluiplaire,
bienaucontraire,maisiltrouvesacopinebientémérairedeluiproposerunetelleaffaire.Malgrétout,comme elle ne cesse de le surprendre depuis leur première rencontre, il ne s’en formalise pas outremesure.—C’estbienlapremièrefoisquejemefaisdemanderenmariage!dit-il.—Çaprendtoujoursunepremièrefois!avanceChloé.Maissitunem’aimespasassezpourça,çane
vaudrapaslapeinedecontinueràsevoir.Charlesluijetteunregardincertainetinterrogateur.Ilbredouille:—Ettoi,tum’aimesassezpourça?—Moi?Oui!Enfin,situcontinuesd’êtrecethommequejeconnais.—Cequetuvois,c’estbienmoi,déclare-t-il.—Etalors?demandeChloé.—Tunetrouvespasquec’esttroptôtpourça?—Non,faitChloéenramassantsonsacàdosparterre.Visiblementdéçue,ellecommenceàmarcher,coupantcourtàleurescapadeetempruntantlechemindu
retour.Inquietdelavoirpartirainsi,Charlesessaiedelaretenir.—Maisattends!Jenet’aipasencoredonnémaréponse,lance-t-il.
—T’asl’airsipressédemeladonnerqu’onaletempsderetourneràMontréalàpied!Ah!Etpuislaissetomber,jen’auraispasdûtemettreaupieddumurcommeça,c’estsortitoutseul…Encoresouslecoupdel’étonnement,Charlesparvientàdire:—Admetsquetum’asprisdecourtunpeu,non?—Oui,jel’admets.Ah!Oublieça,rentrons!J’enaiassezdecetteconversationquinevanullepart.
C’estlapremièreetdernièrefoisquejedemandeunhommeenmariage.JevaisvoirsijepeuxrentrerplustôtàMontréal,ouprendreunechambredemoncôté.—Chloé,c’estquetunem’aspasdonnébeaucoupdetempspourterépondreetdéjàtuveuxrepartirà
Montréal!—Àprendreouàlaisser…déclareChloé.—Bien…—Bienquoi?—Etsic’étaitmoiquitedemandaisenmariagemaintenant?—Toi?—Oui,moi.—Alorstudisoui?faitChloé,incrédule.—Bien,cen’estpasçaquetuveux,quejediseoui?—Bien…oui!répondChloéensautantdanssesbras.—Hé !Attention, sionveut semarier, il faut reveniràMontréal,ditCharlesen riant.Etensemble,
ajoute-t-il.Chloéfaitminedepenser,plisselesyeux,lèvelatêteverslecielenfaisantlamoue.Ellelance:—J’aiuneidée!PartonsàVegasetmarions-nouslasemaineprochaine!—Commeça?Cen’estpasunpeurapide?—Non,pourquoiattendresinousnousaimons?—Bien,d’habitude,lesfemmesveulenttoujoursungrandmariagecompliqué,etçaprenduneannéede
préparatifs!expliqueCharles.—Bienpasmoi,faitChloé.—Oui,j’oubliais,tuesdifférentedesautresfemmesquej’airencontrées!Alorsc’estoui,àVegasla
semaineprochaine,approuveCharlesavecsonpetitsourireàfairecraquer,sesyeuxrieurs.Jeteconcèdeça,maisàlaconditionquetuvienneshabiterchezmoi!—Hum…tunégociesdéjà,çapromet,j’oubliaisquetuesavocat,toiaussi!Alorsoui,nousvoulons
bienallerrestercheztoi!—Mouais…jel’avaisoublié,celui-là!J’imagineque,çaaussi,c’estàprendreouàlaisser?—Oui!Ça,cen’estpasnégociable!—Bon,j’accepte,c’estouipourRamboaussi.Ilpourrasurveillerlecondolorsquenousseronspartis.—Oui,tuvasvoirqu’ilferapeurauxvoleurs!—Hum…—Ah!Jesuissiheureuse!s’écrieChloé.Jet’aime…—Moiaussi,jet’aime…Chloéplongesesbeauxyeuxvertémeraudedansceuxdesonamoureux.Charlesposeseslèvressurles
siennesenlaserranttrèsfortcontrelui,puisilpousseunlongsoupir,soulagéàl’idéequecetteaventureseterminedanslepluspurenchantement.Enfin,ilss’assoientsurunrocher,déjàsoudésl’unàl’autrecommes’ilsnefaisaientqu’un,affichant
tous deux lemêmepetit sourire ravi. Ils admirent en contrebas lemerveilleuxpaysage, lesmontagnesspectaculairesen formedepointes,qu’onappelledespitons,qui sedécoupent sur lamerétale.Ayant
enfin trouvé le bon, l’homme qui veut s’engager, la belle Chloé, confiante en l’avenir qui se dessinedevantelle,posesajolietêteroussesurl’épauledesonamoureux.—Toutçaestsisoudain,commenceCharles,etpourtant,jeréalisequec’estcequejedésiraisaussiau
plusprofonddemoi.Jesuissibienquandjesuisavectoi!ChloéscruteleregarddeCharlesetencoresouslecoupdelasurprise,tented’ydécelerunefaillemais
n’ytrouveriend’autrequedel’amour.—Tesyeuxsontsibeaux,ilsontprislacouleurdelamer,constate-t-il.ChloésouritetCharlestournelatête,seperddanslepaysageenchanteurfredonnantlachansondeCold
Play.Greeneyes,honeyyouaretheseauponwhichIfloat,therockuponwhichIstand…—Tulaconnais,cettechanson?demande-t-il.—Oui,c’estmapréférée,répondChloé.C’est Justine qui avait raison, elle m’avait dit qu’un jour je rencontrerais un homme qui me
chanteraitGreenEyes. Et que c’est cet homme quime permettrait de vivre l’amour avec la bonnepersonne.Ehbien,levoilà,cethomme…
D
61Tristesseeteuphorie…
eretouràMontréal,ettoujoursenvacances,Chloéselèvecematin-làavectroismissionsentête:lapremière,passeraubureaupours’assurerquetoutvabien, ladeuxième,allervoirJustineà lagalerie,et la troisième, luncheravecSarah.Lanouvelledesonmariageluibrûle les lèvres,mais
elleveutvoirlaminestupéfaitedesesamieslorsqu’elleleurannoncera.PourcequiestdeBrigitte,elleluiaenvoyéuncourrielpuisqu’ellerentreradanstroisjours,justeàtempspourrepartirversLasVegas!LorsqueChloéentredanslagaleriecematin-là,aprèsunecourtevisiteaubureau,elleaperçoitJustine,
debout, l’airaccablé,encontemplationdevantun tableaudeZib.Chloés’approche,maissonamieesttellementperduedanssespenséesqu’ellenel’apasentendue.—Çava,toi?demandeChloé,inquiète.Justinesursauteetpousseunpetitcri.—Ah!Tum’asfaitpeur,dit-elleenmettantlamainsursapoitrine.Les deux amies s’embrassent. Chloé hésite devant la mine tracassée de son amie. Il lui semble
inappropriéd’annoncersabonnenouvelle.—Jesuisdésolée,hum…ondiraitqueçanevapastropbien,hein,affirme-t-elle,envoyantleteint
blafarddesonamie.—Cen’estpasfacile,cestemps-ci,c’estvrai,admetJustine.—Tudoistechangerlesidées,sortir,voyons!Tuvasterendremaladeaveccettehistoiredemodèleet
debaronne!—Jen’enaipasenvie.Toutcequejefais,c’estmepromeneravecleschiens,etpuisjen’aipasfaim.
Maistoi,tuasl’airradieuse!Çaabienété,tesvacances,àcequejevois?poursuitJustine,enprenantlesdeuxmainsdeChloé.—Ouuuiiiii !nepeuts’empêcherdecriersonamie.Excuse-moi, jeneveuxpastefaireéclatermon
bonheurenpleinefigure,maisilfautvraimentquejeteledise!Jememarie,Justine!Oui,jememarie!—Tu temaries ?Toi ?Maisc’estmerveilleux ! Je suis siheureusepour toi ! s’exclameJustineen
embrassantdenouveauChloé.Vousavezdécidédeladate?—Leweek-endprochain!—Hein?Leweek-endprochain?Tuesfolleouquoi?—Non!Justepressée,j’enaimarredeperdremontemps!Jemesuisditque,sicen’estpaslebon,je
lesauraiassezvite!—Ohboy!Bonnefaçondeprécipiterleschoses,lancesonamieensouriant.Etdis-moi,oùvas-tute
mariercommeçaaussivite?—ÀVegas!Jeluiaidonnéunultimatum,c’estdansunesemaineoujamais!Àprendreouàlaisser!—Bien,disdonc!Tuparlesd’unebonnenouvelle!—Tuviendras,hein?demandeChloé.J’aivérifié,ilyadelaplacedansl’avion,jevoudraisfaireles
réservationsauplustarddemain.Pensive,Justinenerépondpastoutdesuite.—Tuviendras,Justine?répèteChloé,inquiètedevantl’hésitationdesonamie.
—Biensûrquejeveuxalleràtonmariage,maisseulementsiçanetedérangepasd’avoirunzombieaucœurenmiettescommeunbiscuitsodaécrabouillé.LesbeauxyeuxvertsdeChloéseremplissentd’eau.Elledit:—Oh !Merci, Justine,parceque jenepeuxpasmemarier si tun’espas là ! Jene suismêmepas
capable de l’imaginer ! Tu me manquerais beaucoup trop, et je ne pourrais pas être complètementheureuse,tuestropimportantepourmoi.—EtSarah,Brigitte?demandeJustine.Elleslepeuvent?—Jen’en sais rien, j’espèrequeoui ! J’ai envoyéun courriel àBrigitte, je n’ai pas eu sa réponse
encore.IlresteSarah.J’aiuneidée,maisjet’enreparleraicetaprès-midi!—Qu’est-cequetuvasencoremesortir,toi!—Surprise!Là,jedoisvraimentyaller!
***
ChloélaquittepourallerdîneravecSarah,quiluiadonnérendez-vousdansunpetitrestaurantàcôtéde son bureau. Lorsqu’elle entre, Sarah y est déjà installée. Les amies s’embrassent tandis que Sarahs’extasiesurlamineréjouiedeChloé.—Commandonstoutdesuite,etaprès,j’aiunegrandenouvelleàt’annoncer.—Bonneidée!approuveSarah.Lesdeuxamiesplongentlenezdansleurmenu,fontunchoixrapide.—Alors,cettenouvelle?demandeaussitôtSarah.Chloéprendsonsac,enressortuneenveloppe,latendàSarah.—Tiens,ouvre!fait-elle.—Tum’intrigues,ditSarahensoupesantl’enveloppe.—Maisouvredonc!Sarahdécachettel’enveloppe,litlaprocédure«Jugementdedivorce».—C’estpasvrai!Nemedispasquejesuisenfindivorcée!Jenepeuxpaslecroire,s’écrieSarah,la
larmeàl’œil.—Oui,c’estbienvrai,répondChloé,etcen’estpastout,continue-t-elle,lesyeuxpétillantsdemalice,
tuesbienassise?—Oui!Cessedemefairelanguir,vas-y!—Jememarie!Sarahfroncelessourcils,bredouille:—Toiaussi,tuvastemarier?Mais…mais…avecCharlesouSébastien?—Charles ! Ilm’a fait la grande demande !Enfin…m’a fait la grande demande, façon de dire les
choses!—Chloé!C’estfantastique!Jesuissiheureusepourtoi!—Etcen’estpasencoretout!reprendChloé.—Qu’est-cequetuasencoredanslatête,toi!—Jeveuxqu’onsemarieensemble,toietmoi!—Toietmoi?Tuveuxdireunmariagedouble?—Ooouuuiiii!Tupeuxtemariermaintenant,toiaussi,tuesofficiellementdivorcée!J’aitellementeu
peurqueCharleschanged’avis,quejel’aimisaupieddumurpourqu’onsemarieleweek-endprochain!—Huum…leweek-endprochain,c’estunpeutôt,non?—Pourquoipas?
—Eneffet…pourquoipas?admetSarah.Maisattends!Jedoisdemanderàl’intéressé!—Vas-y,demande-luitoutdesuite!—Laisse-moiluienvoyeruntexto,ilvapenserquejesuiscomplètementfolleoutombéesurlatête.Sarahtexte:«Monamour,sitademandeenmariagetienttoujours,c’estdésormaispossible,maisàunecondition:
leweek-endprochainàLasVegas,mariagedoubleavecChloé!!»Etelleappuiesurlatouche«Envoyer».—Onattend,fait-elle.Onverrasitaméthodefonctionnesurluiaussi!Lesdeuxamies se croisent lesdoigts,puis se tiennent lesmains sur la table.Ellesn’osentbriser le
silence.Lesyeux rivés sur le cellulairedeSarah, elles attendent.Lorsque lebruit de clochette se faitentendre,ellesfrémissent.Sarahlit:«Oui,machérie,jeveuxtoutcequetuvoudras,pourmaintenantetpourl’éternité.»Les deux amies poussent un cri de joie, se lèvent, s’embrassent, s’étreignent, sautillent, dansent sur
place.Leserveurvientprendrelacommande.Sarahs’exclamealors:—Onsemarie!—Félicitations!faitleserveur.Moiaussi,jesuisgai,ajoute-t-il.Lesfillespouffentderireetneprennentpaslapeinederectifiercepetitmalentendu.Alorsqu’ellesensontaucafé,Chloéprendsontéléphone.—Laisse-moivérifiermescourriels,annonce-t-elle,pourvoirsiBrigittem’arépondu.Elleregardeets’écrie:—Yé!Ellearépondu.Ellelit:«Jenemanqueraistonmariagepourrienaumonde,mabelleChloé.»Chloérépondaussitôt,endisantàvoixhautecequ’elleécrit:«Nonseulementlemien,maisceluideSarahaussi,oui,tuasbienlu,enmêmetemps!»Puislesdeuxamieséclatentderireànouveau.
C
62Leretourdumoutonégaré
ematin-là,trèstôt,JustinefaitsesbagagespourLasVegas.Elleestheureusepoursesamies,maisellenepeutchasserlatristessequil’habitedepuissonretourdeParis.Zibl’appelletouslesjours.Elle sent qu’il s’inquiète pour elle,mais elle n’y peut rien, les soupçons qu’elle entretient à son
égardne la laissentpasenpaix.Elle l’imaginedans sonatelier,peignant sonbeaumodèleà la tressedorée,revoyantsongestealorsqu’ilavaitreplacélatresseplusprèsdesonmamelonetpenseaupeudedistancequ’ilyaàparcourirpouryposerlamain.Elles’inquièteencoredesaprésencechezlabaronne,se rappelle son shampoing cent pour cent sirop d’érable, ce qui la fait sourire etmême rire dans sonangoisse.Plusletempspasse,moinsellecroitàunmariageàdistance.Lanuit,ellesetournedanssonlitet,delamain,ycherchelaprésencedel’êtreaimé.Elleprendsonoreiller,leserrecontreelle,sesenttristeàmourir.Ellevoitsonmariageàladérive.Avantdepartirpourl’aéroport,elledécidedel’appeler.Plusieurscoupssonnentavantqu’elleentende
:«Oui,bonjour!»Cettevoixdefemmeluisemblefamilière,danssatête,desparolesrésonnent:«Tonmari,jevaismelefarcirquandjevoudrai!»Justineneditrien,regardelecombinéalorsque,danssapoitrine,soncœurbatàtoutrompre.L’interlocutricereprend:«Allô,jevousécoute?»Alorselleraccrochetristement.Elleseditqu’elleapeut-êtremalcomposélenuméro,qu’unevoixdefemmeressembletellementàune
autre,ellelerefait,maislaligneestoccupée.Elleraccroche.Ellebouclealorssesvaliseslaisséessursonlitetpartrejoindresesamiesàl’aéroport.
***
Quelquesheuresavant,àParis,Zibbouclaitlessiennes.ArrivéàMontréal,ilsautedansuntaxi,serendaucondo.Ilmontelesescaliersquatreàquatre.Dès
qu’ilentre,ilcrie:—Justine!Maisn’obtenantpasderéponse,ilpresselepas,faitletourdespiècesenl’appelantànouveau.Ilsort
aussitôt du condo, arrive nez à nez avec sa voisine de palier, qui a toujours le nez fourré partout.Empressé,illuidemandesansmêmelasaluer:—VousavezvuJustine?—Oui,oui,répondladame,ellem’aditqu’elleallaitsemarieràLasVegas!J’aitrouvéçabizarre…—Semarier?lacoupeZib,incrédule,maiselleestdéjàmariéeavecmoi!—Ah!Voussavez,toutlemondepeutsemarieràLasVegas!ZibpenseàPhilippeoupeut-êtreàunautrehomme,quiauraitétémoinsconquelui,quiauraitvusa
belleépouse,seuleàMontréalalorsquesonidiotdemarivivaitàParis.Il repart à la course, descend les escaliers quatre à quatre, hèle un taxi, et fou de douleur, prend le
chemindel’aéroport.
C
63UnpèlerinageàLaMecque!
Ohboy!
hloé,Charles,Sarah,Elliot,maisaussiJustineetBrigitteattendentleurvolavecimpatience.IlsonthâtedeseretrouveràLasVegas,saufJustine,quiseforceàafficherunairjoyeuxmalgrésapeine.Àunmoment,SarahsouffleàBrigitte:
—Disdonc,regardelà-bas,tunetrouvespasqu’ilressembleàJean,celui-là?—Bien…oui,confirmeBrigitte,that’shim,suivons-le,voulez-vous?Jenecomprendspas!Puislesfillesselèvent,laissantCharlesetElliotensemble.EllescourentàlasuitedeJean,lesuivent
encatimini,secachentdèsqu’ilseretourne.Ilsemblechercherquelqu’unpuisqu’ilnecessederegarderdetouslescôtés.—Maisoùdoncpeut-ilbienaller?Ildevaitgarderlesenfants!déploreBrigitte.Lesfillestententdetrouveruneexplication.Chloéavance:—TuluiasditquetupartaisàVegas,ilapeut-êtredécidédeveniravecnous?—Hum!faitBrigitte,j’aiplutôtditquej’avaisbesoindeplusdetempspourréfléchiretquejepartais
faireunpèlerinageàLaMecque.—PasenArabieSaoudite!s’exclameJustine.—T’aspasditça?demandeSarahenpouffantderire.—Ehoui,répondBrigitte,enroulantdesyeuxespièglestoutenmordillantsalèvreinférieure.J’espère
qu’ilnem’apastroppriseausérieux…Lesamiescontinuentàparler,maiss’essoufflentderrièreJeanquicourtpresque.Elleslevoientenfin
s’arrêterdevantunkiosqueoùlesdernierspassagerspassentlecontrôled’embarquement.Jeans’adresseàl’employée,demande:—Vousavezvuunefemmeprendrecetavion,jeveuxdire,unefemmevoyageantseule,avecunpasse-
portcanadien?—Moi,non,maisjeviensjusted’arriver,répliqueladameenletoisantd’unairsuspicieux.—Çava,faitJean.Jevaisallervoir.Enfin,ilsedirigeverslepostedecontrôle,tendsacarted’embarquementainsiquesonpasseport,et
finalement,ildisparaîtderrièredeuxfemmesvoiléesetdrapéesdenoir,accompagnéesdeleurmari.Éberluées,lesamiessejettentuncoupd’œil,fontunemoueétonnée.Alorsqu’elless’apprêtentàpartir,
Brigittes’exclame:—Holyshit!Regardezcelui-làquiarriveencourant,c’estChristian!—Pasvrai!s’écrieSarah.Encoreplusdécontenancées,lesamiesnesaventquedire,maissontprisesd’unfourire.—Tuluiasdit,àChristianaussi,quetupartaisfaireunpèlerinageàLaMecque?demandeSarah.—Euh…oui!Cematin,ilm’aenvoyéuncourriel,ildisaitqu’ils’ennuyaitdemoi,j’aiditçacomme
ça,quoi!Jevoulaisluimontrerquej’avaisencorebesoinderéfléchir,pasquejepartaism’amuseràLasVegas!expliqueBrigitte.—Maiscen’estpaspossible,allonsvoiroù ilsvontcommeça ! suggèreSarah,en regardant,cette
fois,ChristianemprunterlamêmevoiequeJean,tendresespapiersetdisparaîtreàsontour.—Oui,allonsvoirletableau!lanceChloé.Lesfillesmarchentàgrandevitesse,rejoignentlecomptoir.EllesvoientlenumérodevolJED857.—C’estquoi,cettehistoire!laissetomberJustine.Brigittedemandeàl’employéedeservice:—Pardon,pourriez-vousmedireoùvacevol?—ÀDjedda,répondladame.—Djedda?répèteBrigitteenfronçantlessourcils.—Oui,c’estlevolpourLaMecque.—Ah!faitBrigitte,enarrondissantlesyeux.Devantl’agente,lesamiesréprimentleursfousrires,maiséclatentdèsqu’elless’éloignent,setiennent
leventretellementellesrient.Brigitteparvientàdireentredeuxhoquets:—Çaleurapprendraaussi!C’étaientàeuxdesedécideravant!
***
Unefoisdansl’avion,JeanetChristian,quineseconnaissentpourtantpas,seretrouventparmibarbes,hijab, niqab, burqa, et compagnie, cherchentBrigittepartout, s’approchentdes femmesvoilées, devantleursmarisoutrés.Devantl’uned’elles,quisembleavoirlesyeuxdeBrigitte,Christianestbiententédeleversonvoile,maislorsqu’ilremarqueleregardnoirqueluilancel’hommeàsescôtés,ilchangevited’idée.Finalement,nelatrouvantpas,lesdeuxhommessedirigentverslasortiealorsquel’hôtesseleurfermelaporteaunez.—Attendez!crient-ilstouslesdeux.—Troptard!décrètel’agentdebord,vousnepouvezpasdescendre!—Mais…c’estuneerreur,expliqueJean,jecroyaisquemafemmeétaitàborddecetavion!Jene
veuxpluspartir!—Çanechangerien,lecoupeladame,vousn’avezmêmeplusdequoidescendredel’avion!ChristianregardeJeanunmoment,sedemandesicethommeneseraitpaslemarideBrigittepuisqu’il
cherche, lui aussi, une femme québécoise dans un endroit aussi inusité qu’un avion en partance pourLaMecque…Ilseretourneverslespassagers,quisontvisiblementtousarabes,sedit:«Ohboy!Ondiraitqu’onestlaminoritévisibledanscetavion!»AlorsilsetourneversJean,luitapotel’épauleetdéclare:—Allez,monvieux!Onn’apluslechoix!Allonsfaireunpèlerinage,nousaussi!
E
64Cequisepasseentrelesamies
resteentreelles!
n riant comme des folles, les filles reviennent vers la porte où elles ont laisséCharles et Elliot.Même Justine, qui amomentanément oublié ses problèmes avec Zib, n’y a pas échappé. Intrigué,Charlesdemande:
—Qu’est-cequivousfaitrirecommeça?—Rien!répondBrigitte,enjetantunœilverssesamies,implorantleursilence.Detoutefaçon,ellesrienttellementqu’ellessontincapablesderaconterquoiquecesoit.Maissurtout
etavanttout,cequisepasseentreellesresteentreelles.OnannoncemaintenantleurvolenpartancepourLasVegas.Legroupesemetenfile,maislorsquevient
leurtourdefranchirlabarrière,Justinedit:—Vousnevoulezpasattendreencoreunpetitpeu?Sesamieslaregardenttristement.—Tucroisencorequ’ilviendra?demandeChloé.—Jelesens,répondJustine,ilmesemblequ’ilestici.Compatissantes,lesamiesreculentunpeupourlaisserpasserlesdernierspassagers.Àlafin,Brigitte
ditdoucement:—Ondoityaller,ilnerestequenous.—Uneminuteencore?lesimploreJustine.Ellesattendentencoreunpeupendantquel’agentleurfaitsigned’entrer.LesfillesconsultentJustinedu
regard.—Passezlespremières,leurlance-t-elle,moi,j’attendsjusqu’àlatoutedernièreminute.AlorsqueChloétendsacarted’embarquement,elleentendcrierJustine:—C’estlui!C’estlui!JustinevoitZibcouriràgrandesenjambéesverselle,etcommeunescènequisejoueauralentidanssa
tête,elleleregardecontinuersacourseversellepourlarejoindre.Ellemanques’évanouird’émotion.Ellel’accueilledanssesbras,alorsqu’illafaittournerdanslesairs.Elles’écrieentredeuxsanglots:—Alorstureviens?C’estbienvraiquetureviens?—Oui,jereviens!—Jeveuxdire…tunerepartiraspluspourParis?—Non,plusjamais,l’assure-t-il,dumoins,passanstoi.N’endéplaiseàMmedelaVillardièreetses
amants!ajoute-t-ilenriant.—Etàsonmodèle,ajouteJustine,enriantàsontour.—Oui,àsonmodèle!Ellem’ad’ailleursconfirméquec’estlabaronnequil’avaitinvitéeexprèspour
semerletroubleentretoietmoi.—Hum!Jesavaisquejedevaismeméfierd’elles,aussi!—Lorsqu’onretourneraàParis,ceseratouslesdeux,enamoureux.Ettoi,c’estquoi,cettehistoirede
mariage?Notrevoisinem’aditquetuallaistemarieràVegas?J’aiaussitôtsautédansuntaxietj’ai
achetélepremierbillet!—Bien…c’estChloéetSarah,ellessemarient!—Ensemble?s’étonneZib.—Maisnon,pasensemble,avecleuramoureux!—Est-cequejesuisinvité,moi?demande-t-il,l’airtaquin.—Oui,monamour,tuserastoujoursinvitélàoùjeserai,répondJustine.Zibl’embrassedevantlesamisréunisainsiquel’employée,tousattendris.Cettedernièrelesrappelle
bientôtàl’ordre:—Allez!Ilfautyallerlà!Onvousattend!LebeauplandeJustineafonctionné,nonpasdelafaçonqu’elleavaitd’abordimaginée,maisparle
truchement d’une autre histoire, qui lui a chamboulé le cœur,mais qui, finalement, a encore renforcél’amourqu’elleéprouvepourZib,sonmari,commeelleseplaîttantàdire.
L’
65SinCity!
avionvienttoutjusted’atterriràLasVegas,ouSinCity,commecertainspréfèrentappelercettevilleoùtouslesexcèssontpermis.Oupresque.
Côtéfemmes,l’uniquepréoccupationconcernantlajournéedulendemain:spaetessayagederobesdemariéeachetéesàdistancedansunedesluxueusesboutiquesdelaville.Côtéhommes,à lasuggestiondeCharles :sebaladerenFerrari,Jaguar,Lamborghini,ouautres,une
activité offerte par une entreprise qui permet aux amoureux de voitures de luxe de conduire de telsbolidessurdesroutespanoramiquesauxalentoursdelaville.Activitéspourlemoinsdifférentes!Unelimousinelesattendàl’aéroportpourlesconduireàl’hôtelWynn.Lesautresinvitésarriverontpar
unautrevollelendemain.Le groupe d’amis se rend à la réception, passe dans le vaste hall de l’hôtel, où les mosaïques
multicoloresauxmotifs florauxsillonnent lesoletguident lespasdesvoyageursà travers lessentiersfleuris,au-dessusdesquelsdegrossessphères,telsdesballonsdefleursnaturelles,sontsuspenduesauxarbresquiscintillentdemillefeux.Commeilesttard,lesamisseséparent,sedonnentrendez-vousàhuitheurespourlepetit-déjeuner.Ilstiennentàêtreenpleineformepourlegrandjour.Le lendemainmatin, après une bonne nuit de sommeil, ils se retrouvent à la somptueuse terrasse du
restaurant attenant à la piscine.Déjà, le soleil pointe et les serveurs s’empressent d’ouvrir de grandsparasolsdontunebruinelégères’échappeetrafraîchitl’airambiant.Ellessontquatre,ilssonttrois.Les hommes ont déjà sympathisé,malgré leur différence d’âge, tout comme elles.D’ailleurs, ils ont
avantageàs’entendrepuisqueleursconjointessontsiétroitementliées.Ilsseproposentdebellesviréesaucasino,choisissentl’autoqu’ilsconduirontpourleurescapadedelajournée,parlentdepuissancedemoteur,d’annéeoùlemodèleachangé.Enfin,toutesceschosesdontlesfemmesraffolent!—Onyva?demandeJustine,aprèsuncopieuxpetit-déjeuner.—Ouuuiiii!répondentChloé,SarahetBrigitte.Ilsseséparent:leshommesd’uncôté,lesfemmesdel’autre!Lesquatreamiespartentd’unbonpasvers la luxueuseboutiqueoù lesdeuxfiancéesontacheté leur
robe de mariée. Dès leur arrivée, une vendeuse s’empresse de les accueillir et va chercher deuxmagnifiquesrobeslonguesblanchesqu’ellesuspendsuruncrochethautperchéprévuàceteffet.UnepourSarah,l’autrepourChloé.Lalarmeàl’œil,lesamiespoussentun«hoooon»admiratifquin’enfinitplus.—Onessaie?demandeSarahàChloé.—Yessss!J’aitellementattenducemoment!—Etmoidonc!rétorqueSarah.—Ilfallaittombersurlebon!Etça,c’estpasmalpluslongqu’onpense!lanceJustine.—Oui, pas facile de trouver l’homme qui a le chic, le chèque et le choc, et qui veut s’engager !
claironneChloé.
—Tuneluiaspasdonnéletempsdechangerd’idée!lataquineBrigitte.—Ça,non!répondChloé.SarahprendChloésouslebras,l’entraînedanslesalond’essayage,oùdesfauteuilsconfortables,de
couleur crème, sont prévus pour les invités. Des biscuits, du thé, un cruchon rempli d’eau fraîcheparfuméedetranchesdecitronfrais,sontposéssurunetabled’appoint.Deuxdamesaccompagnentlesmariéespour lesaideràenfiler leurrobe.ChloéetSarahsortentgracieusementde lasalled’essayagedevantleursamiesébaubies.—Hooooooon!font-ellesencore.Ellessontresplendissantes,touteslesdeux.Nonseulementlesrobessontmagnifiques,maisenplus,en
chacunedesdeuxmariéesbrilleunelueurnouvellequilesembellitdavantage.Ellesonttrouvél’hommeidéal.L’hommeavecquiellesveulentpartagerleurvie.Ellespassentlerestedelajournéedansleluxueuxspaauxalluresroyales,oùtoutlemondemurmure,
et se prélassent dans les bains, dans une atmosphère des mille et une nuits. Elles en ressortent dansl’après-midi, toutescoifféesetmaquillées,puisvontrejoindrelerestedesinvités,dont leshommessesontoccupésàleurarrivée.C’est-à-direlesdeuxfillesdeSarah,accompagnéesdeleurgrand-mèreetdesonnouveaucopain, lesparentsd’Elliot et deCharles, la sœurde cedernier et lepèredeChloé.Unmariagetrèsintimedonc,oùseulslesgenstrèsprochesontétéconviés.Charles,Elliot,Zibet tous les invités lesattendentdans l’allée,oùdesmilliersde tulipesnaturelles
bordentunsentier.Lorsque les amies arrivent, tout le monde est là, les attend. Sarah cherche ses filles, les retrouve
occupéesàparleravecElliot,qui leur tapotegentiment leboutdunez.Lorsqu’il lève lesyeuxetvoitSarah,ils’accroupitauniveaudespetites,lesprendchacuneparlataille,etildéclare:—Voyezcommevotremamanestbelle.Unjour,peut-êtrequejevousraconteraicommentnousnous
sommesrencontrés…—Ouiiii!font-elles,puisellessejettentdanslesbrasdeleurmère.—Lorsquevousaurezdix-huitans,meschéries,pasavant!répondSarahenriantalorsqu’Elliotlui
faitunclind’œil.ChloéestdanslesbrasdeCharleset,attendris,ilsregardentSarahetElliot.—Nousaussi,onaunepetitefamille,avecRambo,affirmeCharles,maisjeneveuxpasqu’onattende
troplongtempsavantd’avoirdevraisbébés,pasdepoils,j’entends.—Quoi?Quoi?s’enquiertaussitôtlepèredeChloé.Est-cequej’aibienentendulemot«bébé»?—Oui,monpetitpapa,tuasbienentendu,iladit:«Jeneveuxpasqu’onattendetroplongtempsavant
d’avoirdevraisbébés»,répèteChloépoursavourerchaquemot.Puiselleprendlebrasdesonpèreet,d’unevoixtremblanted’émotion,luichuchote:—J’auraistellementaiméquemamanysoit!—Elleyest,Chloé,elleyest.Nelasens-tupas?Toutàcoup,unbruissement,unventlégerfaitinclinerlatêtedestulipesalorsqueleslumièresdansles
talus baissent d’intensité. Chloé et son père regardent autour, rien d’autre ne bouge puisqu’ils sont àl’intérieur.—Oui,jelasens,elleestici,avecnous,acquiesceChloé,enseréfugiantdanslesbrasdesonpère.Puistoutlemondes’embrasse,etunrirecontagieuxsepropagecommeunetraînéedepoudreàtravers
lapetitetroupe.Enfin,ilesttempspoureuxderepartirversleslimousines,quilesemmènerontfaireuneséancephoto
dansleGrandCanyon,oùilsserendrontenhélicoptère.
Blanches,tellesdeuxcolombesperduesdanscedésertmagnifiqueauxteintesorangées,SarahetChloéposentsurungrosrocher,bouquetdefleursrougesàlamain.Unradieuxcoucherdesoleilsertdetoilede fond à ce paysage grandiose, où se découpent les montagnes qui ont revêtu les couleurs du cielenflammé.—Àtrois!s’exclamelephotographe.Un,deuxtrois!Lesdeuxamies,faceàface,poussentunpetitcriet,setenantdevantleurfuturmari,relèventleurrobe
d’uncôté.Avecunsynchronismeparfait,elleslèventunejambeet,entouteconfiance,chacuneselaissetomberversl’arrièredanslesbrasdesonamoureux,quil’attrape.—Excellent!ditlephotographe.—Jet’aime,ditElliotàSarah,avantdelaremonterversluipourl’embrasser.—Jet’aime,ditCharlesàChloé.Les filles hurlent leur bonheur à tous les vents dans le Grand Canyon, encouragées par les
applaudissementsdetous.Enfin, ils s’engouffrent dans l’hélicoptère, prennent le chemin de la chapelle des fleurs, où ils
prononcerontleursvœux.Arrivés devant la chapelle, ils se soumettent de nouveau au jeu des photos, alors que le voile des
mariéesvoltigedans l’air, telun longnuageblancquisillonne leciel.Photo truquée,diront-ellesplustard, mais qui est du plus bel effet. Elles sont à Las Vegas après tout ! Puis tous vont s’installer àl’intérieur.L’officiantinvitelesmariésàprendreplaceàl’avant.Ildemande:—Est-cequevousvousengagezàvousaimertoujours,pourlemeilleuretpourlepire,danslebonheur
etlesépreuves,lasantéetlamaladie?—Oui,oui,etencoreoui!répondentlesmariés,radieux.Justineserappellesesvœuxprononcésiln’yapassilongtemps,posesatêtesurl’épauledeZib,qui
luichuchoteàl’oreille:—Jet’aime,monamour.—Jevousdéclaremarisetfemmes!proclamel’officiant,sousunesalved’applaudissements.Lamusiquenuptialeretentitauxoreillesdetous,émus.MaisBrigittenefaitquepleurer,nepeutpluss’arrêter.Elleserappelle,elleaussi,sesvœux,sesvœuxpourlavie,quin’ontpaspassél’épreuvedutemps.
SonvoyageenItalieluiafaitréaliserquesonmariageavecJeanestbeletbienfini,quesarelationavecChristianl’estaussi.D’ailleurs,a-t-ilquittésafemme?Ellenelesaitpasets’enficheaufond.Elleestparvenueàunenouvelleétapedanssavie,etChristianluiaservidetremplinpouryaccéder.Leschosesauraienttellementpusepasserautrement.Maisc’estainsiqu’ellessesontproduites.Inquiètes,lesamiesl’entourentd’attentions,dephrasesempreintesdesollicitude.—Jesuisstupide,sedésoleBrigitte,jen’aipasledroitdepleurercommeça,c’estvotremariage!—Nesoispastriste,luiditChloé.—Ah!Stupidme!Jesuistropsentimentaleaussi,maisnevousenfaitespaspourmoi,onvafêterça!—Tuescertainequeçaira?demandeSarah.—Oui,oui,çaira.Leplusimportantdanstoutça,c’estquejevousairencontrées!Lesfilless’approchent,seserrentlesunescontrelesautres.—Oui,faitJustine,etaprès toutcequenousavonsvécu,noussommesencoreensemble!Différents
hommesontpassédansnosvies,maisnotreamitiéestencoreintacteetmêmeplusforte!ajoute-t-elle,enlevantlenezdefaçoncomiquesurlesmarisréunis,l’airdedirequ’ellesemoquebiend’eux.
—Maisonlesaime,noshommes…poursuitChloé.Lesamiesapprouventensoupirantlonguement,leregarddirigéversleurconjoint.Soudainement,Brigittes’exclameentournantsurelle-même,devantsesamies:—Lesfilles!Jesuislibre!Oui,jesuisenfinlibre!Lesamiesseregardent,éclatentderire.—J’aifait toutçapourcomprendreoùj’enétais,enchaîneBrigitte,maintenantquejecomprends, je
pleure!Alors,allons-ymaintenant,onvafêterçaensemble!Oui,lesamiesontbeaucoupdechosesàfêter!Tantdechosessontsurvenuesdansleurvie!Parfois, on doit passer par l’étape de l’amour avec la mauvaise personne pour mieux apprécier
justementl’amouraveclabonnepersonne.Et n’eût été Brigitte, qui éprouve maintenant le besoin d’être seule pour un temps, et qui l’assume
entièrement,lesamiesauraientobtenulescoredequatresurquatre.
***
Ils célèbrent en grand toute la nuit, jouent dans les casinos, ratissent de nombreux bars de la ville.Lorsqu’ilsreviennentàl’hôtel,alorsquelesoleilpointesesrayonsdorés,ilsseretrouventtousdeboutdansunedescharmantespiscines,s’éclaboussantlesunsetlesautres,encoretouthabillésenrobesetensmokings.Puistoutàcoup,Chloétombeàlarenversedansl’eau,encriant:—Ausecours!Inquiet,Charles accourt vers elle, plonge dans l’eau pour lui venir en aide.Empêtrée dans sa robe,
Chloé n’en finit plus de rire, s’accroche au cou de son mari. Charles en profite pour embrasser sesadorableslèvresenformedecœur.Attendris, lesautresfontunetrêvepourlesregarderunmoment.Finalement,prisd’unfourireàleur
tour,ilsdécidentdelessuivreetsejettentàleurscôtés,devantlesemployésaffectésàl’entretien,quiobservent le spectacle, lementonappuyé sur leursmainsposées surunbalai, les jambes en formedetriangle.—UndesmeilleursdeLasVegas,ditl’und’eux.Enfin,peut-être…
J
Remerciements
e remercie, une fois de plus, la merveilleuse équipe de Libre Expression d’avoir accepté de mepublier,etspécialementNadineLauzonetMilénaStojanac,quim’ontaccompagnéedanslarévisiondematrilogie.Mercipourvosjudicieuxconseils.Travailleravecvousaétéunréelplaisir.
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