deboutciv n°13 (page 09)

Post on 27-Mar-2016

228 Views

Category:

Documents

0 Downloads

Preview:

Click to see full reader

DESCRIPTION

Avant de s’envoler pour les Etats-Unis, M. Alassane Ouattara a posé un dernier acte en nommant d’autres membres au Conseil constitutionnel le lundi 25 juillet 2011. Cette nomination serait passée inaperçue sans ses conséquences qui semblent remettre en cause aussi bien la crédibilité que l’indépendance de l’institution. Au total, la pratique de nomination de M. Ouat- tara est en déphasage avec nos textes. Elle n’en respecte ni la procédure, ni les délais, encore

TRANSCRIPT

Avant de s’envoler pour les Etats-Unis, M.Alassane Ouattara a posé un dernier acteen nommant d’autres membres au Conseilconstitutionnel le lundi 25 juillet 2011.Cette nomination serait passée inaperçuesans ses conséquences qui semblentremettre en cause aussi bien la crédibilitéque l’indépendance de l’institution.

En effet, depuis 2003, le Conseil consti-tutionnel change dans sa compositiontous les trois ans, obéissant à un cycleimposé par la Constitution elle-même(article 89 alinéa2 C). Mais avec l’ar-

rivée de M. Ouattara, cette règle semble ig-norée. Alors même que les prochainesnominations étaient attendues pour août 2012,un premier changement de deux membres estintervenu à la mi-mai. Ce 25 juillet 2011, deuxautres membres viennent d’être débarqués enplus du Président, portant ainsi le nombre à cinqsur sept. Les deux derniers sont-ils en sursis ?Le changement n’intervient donc plus tous lestrois ans, mais à un rythme et une périodicitéqui déroutent les observateurs les plus attentifs.Surtout, le constat est que les membres du Con-seil constitutionnel peuvent être remplacésavant le terme de leur mandat. Le principe del’inamovibilité des membres, qui leur est recon-nue en vertu de leur assimilation aux magistratsde l’ordre judiciaire (article 5 loi organiquen°2001-303 du 05 juin 2001), et qui est l’unedes garanties de l’indépendance de l’institutionn’est donc plus respecté.

De plus, ces changements ne sont pas con-formes à la durée du mandat prescrite par laConstitution (article 91 C). Sauf trois des mem-bres du premier conseil, effectivement mis enplace en 2003 et dont le mandat était de troisans (article 91 alinéa 3 C), tous les autres con-seillers sont nommés pour un mandat de six ans(article 91 alinéas 1 et 3 C), y compris le Prési-dent (article 90 C). La seule dérogation à cetterègle s’applique aux conseillers qui viendraientà remplacer d’autres en cours de mandat. Ceux-ci sont nommés « pour la durée des fonctionsrestant à courir » (article 92 alinéa 2 C).

Ces règles ne semblent pas s’imposer à M.Ouattara. Les deux premiers qui ont été nom-més à la place des « insoumis » de la mi-mail’ont été pour six ans. Tout comme un membrenouvellement nommé. Deux membres de l’an-cien Conseil constitutionnel qui ont été recon-duits et qui exerçaient auparavant un mandat

de six ans, viennent d’être renommés, maiscette fois-ci pour un mandat de trois ans, por-tant ainsi leur présence au Conseil constitution-nel, si toutefois leur mandat arrivait à terme, àcinq ans au total (un mois en moins toutefois).Un mandat sui generis aurait-on pu écrire, quiest une autre irrégularité flagrante. Ces deuxanciens membres renommés, forts de leur dou-ble nomination décrétale, vont-ils à nouveauprêter serment devant le président FrancisWodié ? A l’occasion de cette « reconduction »,n’est-on pas entrain d’assister à la fin du carac-tère non renouvelable du mandat des membresdu Conseil constitutionnel, une autre garantiede leur indépendance ?

Quant aux motifs de départ du Conseil constitu-tionnel, ils ne sont plus seulement ceux prévuspar notre loi fondamentale. Outre le terme dumandat, il y avait le décès, la démission oul’empêchement absolu (article 92 alinéa 2 C).Aucun de ces motifs ne peut être raisonnable-ment avancé pour justifier le remplacement detous ces conseillers. Les cinq membres qui ontété remplacés par M. Ouattara avaient leurmandat qui courait encore. Aucun décès n’a étéenregistré. Aucun d’entre eux n’a démissionné.Même dans l’hypothèse d’une démission d’of-fice, « la décision est prise par un vote auscrutin secret à la majorité absolue des mem-bres composant le Conseil constitutionnel » (ar-ticle 5 alinéa 5 décret n°2005-291 du 25 août2005). Aucune réunion ayant cet objet n’a étérapportée. Du reste, la démission d’office n’estenvisagée que pour l’empêchement absolu. Cequi est loin d’être le cas, puisque les troisderniers débarqués ont répondu à une convoca-tion de M. Ouattara pour se voir signifier la finde leur mandat. Pour les deux premiers de la mi-mai, c’est un secret de polichinelle qu’ils ont étééjectés pour insubordination, même si les au-torités n’ont pas osé l’affirmer explicitement.Leur crime : avoir refusé de s’associer à la«prestation de serment de la honte » du 06 mai2011.

En réalité, seul le bon vouloir de M. Ouattarasemble expliquer ces remplacements. Ce quifait qu’en définitive, aux motifs qui mettent finau mandat de membre du Conseil constitution-nel, il faut désormais ajouter, sous M. Ouattara,la révocation.

Au total, la pratique de nomination de M. Ouat-tara est en déphasage avec nos textes. Elle n’enrespecte ni la procédure, ni les délais, encore

moins les motifs. Elle a pour conséquence toutd’abord de marquer d’un vice congénital leprésent conseil, du fait de sa composition ir-régulière. Quelle crédibilité peut avoir un tel or-gane ? Quelle autorité peut revêtir les décisionsqui en émanent ? Comment le « gardienscrupuleux et vigilant de la Constitution » (dixitFrancis Wodié) peut-il assumer son rôle si dèsson origine, il souffre d’un mépris royal destextes ?

Ensuite, la pratique de M. Ouattara provoque lebouleversement de tout un échafaudage insti-tutionnel qui assurait le prestige de l’institutionet en faisait la clé de voute de tous les régimesconçus sur le modèle de la cinquièmerépublique française comme le nôtre. En se don-nant le droit de révoquer les membres du Con-seil Constitutionnel, en renonçant au principe del’inamovibilité et en rendant possible le renou-vellement du mandat, M. Ouattara rend précairele statut des membres du Conseil constitution-nel, dont le sort est désormais lié à son bonvouloir. Il porte ainsi gravement atteinte àl’indépendance de cette institution.

Cette conception anachronique de M. Ouattarasemble être aux antipodes des ambitions decertains des nouveaux promus du Conseil con-stitutionnel, du moins si l’on s’en tient à leurspremières déclarations. Alors que le PrésidentFrancis Wodié projette de « restituer son hon-neur et sa crédibilité » à cet « organe indépen-dant et impartial », le Doyen Ouraga Obouévoque le « devoir d’ingratitude » à ce poste,dans la mesure où le membre « n’a pas à sesoumettre aux injonctions de la personne » quil’a nommé. Nous attendons avec beaucoupd’impatience les premières décisions de ce nou-veau Conseil pour voir si les actes suivront cesbonnes intentions.

Mais cet autre coup de canif porté à nos institu-tions par M. Ouattara, ne fait que confirmer lepeu d’égard qu’il a, pour nos textes, à com-mencer par la Constitution. Il ne se sent pas liépar les règles qui sont en vigueur. Au contraire,il pose les jalons d’un nouvel ordre juridique.Après le débarquement irrégulier des élus lo-caux (gouverneurs de district, Présidents deConseil général, maires), du Président du Con-seil Economique et social et sa volonté de met-tre fin aux mandats des députés etc., ladésignation irrégulière de ce nouveau conseilconstitutionnel et la remise en cause de son in-dépendance achèvent de convaincre les plussceptiques qu’il a perpétré un coup d’Etat.Ironie du sort, c’est le Président Yao-n’dré qui,contre tout bon sens, lui a donné un vernis delégalité qui vient de faire les frais de la visionautocratique du pouvoir de M. Ouattara. Avantlui, c’était le Président Mamadou Koulibaly qui,dans sa volonté de lui donner une auréole dedémocrate, a essuyé un refus poli de se présen-ter à l’Assemblée nationale. Quelque tempsd’ailleurs après, M. Ouattara lui a fait compren-dre que la deuxième institution du pays ne de-vrait plus fonctionner. Toutes ces personnalitésen ont-elles pris suffisamment pour leur grade? Ont-elles enfin pris la juste mesure de la con-ception despotique du pouvoir de M. Ouattara ?

▉Kouakou EdmondDocteur en droit, consultant

politique 9

Conseil Constitutionnel :

entre

irrégularité et

perte de

l’indépendanCe

top related