de l'image dans la littérature : l'exemple des fanzines
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Adrien SubielaMaster 2
(et inversement)
De l’IMAGE dans la LITTÉRATURE :Expérimentation et héritage dans les
fanzines français contemporains
Cours image et discours – J.P. Montier2008/2009
RENNES 2 Villejean
1
« (…) de même qu’il ne saurait y avoir de photographiede la littérature, il ne saurait y avoir de "littérature" de la
photographie, car la "littérature" de la photographie, c’estla photographie elle-même. »
Denis Roche, La Disparition des lucioles
Introduction : une littérature sans écriture
Lors d’un précédent travail j’avais défendu l’idée que la bande-dessinée avait droit à être
considérée comme faisant partie de la littérature. On pourrait en résumer l’argumentaire
ainsi : la bande-dessinée plutôt que d’être ce genre « bâtard » quelque part entre la littérature
et les arts plastiques, serait une forme d’écriture avec des images. Pour peu que cette écriture
soit maniée avec intelligence, elle peut devenir œuvre littéraire au même titre que toute
écriture1. Je présentais alors plusieurs œuvres de bande dessinée afin d’illustrer ce propos.
Faisons comme si le lecteur avait lu ce travail et y avait apporté son crédit. Rappelons aussi
l’existence de bandes dessinées muettes, sans aucun texte, accordons-nous sur le fait qu’il
s’agisse toujours là d’écriture, de littérature. Existerait-il alors des œuvres de littérature sans
qu’il y ait écriture – alphabétique s’entend –, des œuvres littéraires faites de seules images ?
J’ai quelque part dans ma bibliothèque un petit ouvrage de photographie : Des animaux morts
Une vie ailleurs2. Il s’agit à première vue d’un simple recueil, d’une collection de photos.
Or, je rencontrais un jour son auteur, Sylvain Bouillard ; celui-ci, lâcha, au court de la
discussion, à propos de ce livre : « Le plus dur, c’est de
trouver l’histoire. » Je ne prenais pas garde à cette
déclaration ; cependant elle resta quelque part dans ma
mémoire et revint me titiller l’esprit à plusieurs reprises
lors de ma réflexion sur la bande dessinée.
Reprenons : en parcourant de nouveau l’ouvrage de
Sylvain Bouillard, sa déclaration en tête, il devint
évident que celui-ci n’était pas une simple juxtaposition
de photos variées. Même, la plupart d’entre elles, prises
séparément, n’auraient eu que très peu d’intérêt ;
ensemble, elles se répondaient, se faisaient écho. Sans
pouvoir précisément parler d’une histoire – début,
1 Voir aussi le livre de Harry Morgan, chez L'An 2, Principes des littératures déssinées, défendant la même idéede façon plus complète et détaillée.2 BOUILLARD Sylvain, Des animaux morts Une vie ailleurs, aux éditions Terre Noire.
2
milieu, fin – quelque chose était raconté, comme s’il s’agissait là d’un poème ; il y avait bien
écriture. Mais alors, mon livre de photos était-il un ouvrage littéraire ? L’affirmer serait
hasardeux, l’auteur lui-même ne l’ayant peut-être pas envisagé.
Cependant la question se pose, et au-delà, elle en entraine d’autres sur l’objet littéraire d’une
façon générale. Des questions qui trouvent leur écho dans les préoccupations actuelles de la
recherche littéraire, et les récentes publications des PUR, telles que À l'œil, Littérature et
photographie, Soleil noir…, le démontrent bien : l’image dans la littérature questionne de
plus en plus.
C’est un fait, les écrivains et les artistes ne nous ont pas attendus pour mettre des images dans
leurs livres, et on peut aujourd’hui affirmer avec assurance que s’il y eut un jour quelqu’un
pour dire « la littérature, c’est le texte et rien que le texte », celui-ci était dans l’erreur. Nous
voulons ici nous pencher sur un lieu mal connu et où pourtant texte et image dialoguent et
fusionnent plus que jamais : le fanzinat et la micro-édition.
« Do it yourself ! » ou l’école du bricolage
François Moll, éditorial du premier numéro de la revue En attendant
Il faut immédiatement préciser ce que nous entendons par ces termes. Tout d’abord, lorsqu’il
s’agit de micro-édition, nous désignons des ouvrages publiés à très peu d’exemplaires
(jusqu’à une trois-centaine, au-delà on parlera alors de « petite édition »), absents la plupart
du temps des réseaux officiels de distribution et des grandes librairies. Les maisons d’édition
dites « micro » se réduisent souvent à une, deux, voire trois personnes, parfois un groupuscule
incertain et variable d’une dizaine de personnes, dans le cas de collectifs. Mais toujours, il
s’agit d’une certaine façon, autant de bricolage que d’artisanat. C'est-à-dire que bien souvent
chacun fait tout, à la différence de l’édition générale où les tâches sont dispatchées entre
plusieurs spécialistes. Dans la micro-édition ont est à la fois auteur, éditeur, maquettiste,
manutentionnaire, distributeur, diffuseur et vendeur.
La forme la plus répandue de micro-édition est certainement celle des fanzines. Apparus aux
États-Unis aux alentours des années 303, il s’agit de petits magazines d’abord ronéotypés4,3 Voir l’article de Jean-François Plaque, publié dans les trois premiers numéros de la revue Bifrost en 1996 etreproduit dans la base de donnés du site internet Noosfere.org.4 La « Ronéo » est cette bonne vieille machine utilisée dans nos écoles primaires par nos maîtresses et quidonnait ces copies à l'encre bleue sentant bon l'alcool.
3
puis photocopiés. Dans un premiers temps, ils sont surtout l’oeuvre des
lecteurs de science-fiction et de fantasy. D’ailleurs le terme « fanzine »
s’avère une contraction de « fanatic magazine », qui sous-entend l’idée de
lecteurs. Il ne s’agit donc au début pas de création, mais plutôt de comptes
rendus sur les festivals et les sorties de livres. Mais très vite, on a vu
apparaître des nouvelles au sein des pages de ces magazines. Au niveau de
la SF et des genres afférents, on a même pu remarquer que bon nombre
d’auteurs aujourd’hui célèbres sont passés par cette forme éditoriale (selon certains, il
s’agirait même d’un passage rituel obligatoire, et ceux qui ne s’y plieraient pas risqueraient
les foudres du fandoms5).
Dans les années 70, plusieurs faits sont à noter : la démocratisation de la photocopieuse, qui a
permis un essor certain à la forme ; une révolte des auteurs de bande dessinée face à la
censure ; l’apparition du punk et du credo « do it yourself »6. Ces trois faits sont essentiels,
constitutifs de tout ce que représente aujourd’hui l’idée de fanzine :
Premièrement, les fanzines sont faits avec les moyens du bord, et reproduits à faible coût,
avec les techniques accessibles à tout un chacun : la photocopie est par sa facilité d’accès le
moyen privilégié, qui est devenu à force presque une revendication. Puis, les fanzines se
veulent aussi souvent comme une sorte de contre pouvoir, de lieu d’indépendance ; car, si la
censure n’est plus réellement existante, les lois du marché paralysent parfois les entreprises
audacieuses qui trouvent refuge dans l’auto-édition et donc dans les fanzines. Enfin, héritiers
à la fois de l’undergound de la bande dessinée américaine, ainsi que de l’imagerie et de
l’idéologie du punk, ils possèdent souvent une esthétique tapageuse, faite avec trois fois rien ;
collages, dessins crades, textes provocants.
Bien sûr, avec le temps les auteurs se sont plus ou moins détachés de cette tradition, soignant
parfois la présentation, choisissant une impression plus luxueuse que la simple photocopie
(les moyens techniques contemporains étant de plus en plus accessibles). Mais quoi qu’il en
soit, persiste cette idée que chacun peut faire quelque chose, chacun peut s’exprimer, réaliser
une oeuvre et la transmettre. Inutile d’être ni un grand artiste, ni d’avoir un grand potentiel
commercial. Le principe inhérent étant celui du bricolage7 et du « do it yourself » qui reste
toujours la donnée essentielle.
5 « Fandoms », ou l’assemblée des fans. Lire l’article du même nom dans La Science-fiction, par Lorris Murraildans la collection « Guide Totem » de Larousse.6 Il est à noter que la musique punk s’est beaucoup diffusée à l’aide de nombreux fanzines dédiés à ce genre qui,à ses débuts, n’avait pas trouvé sa place dans la presse musicale.7 Nous renvoyons aussi à la définition du « bricolage » de Levy-Strauss dans La Pensée sauvage, pages 30 à 31de l'édition de poche chez Pocket.
4
Un bon exemple de ce principe pourrait être illustré par cette bande de Daniel Cressan,
extraite de ce qui fut présenté comme « l'album le plus mal dessiné, mal photocopié, et agrafé
avec une négligence qui force le respect ! » dans les chroniques du magazine Ferraille8 :
Ne résumons pas la micro-édition et les fanzines à cela. On n'y trouve aussi des livres bien
dessinés, ou d'autres aussi mal dessinés mais avec beaucoup moins de finesse d'esprit.
Cependant, il s'agit d'un lieu où les règles et les enjeux diffèrent quelque peu de ce qui se
passe dans l'édition traditionnelle9. C'est le lieu par excellence où chacun a – pour peu qu'on
décide de se lancer – sa chance. Evidemment, les résultats sont souvent innégaux, et peu sont
ceux qui arrivent à maîtriser parfaitement toutes les étapes de la chaîne du livre. Or, quand
celles-ci sont à peu près contrôlées, où du moins dès lors qu'elles se révèlent à la conscience
des auteurs/éditeurs (souvent après de nombreuses mésaventures éditoriales10), cela peut
donner des livres ayant un sens, une logique interne. Un sens qui se multiplie et se transcende
dans la forme elle-même.
Si l'on observe mieux l'exemple de Daniel Cressan on aura une idée de cette « forme sens11 »
propre aux fanzines : les histoires de Daniel sont des petites anecdotes pathétiques de la vie
banale d'un étudiant, dont nombreuses sont des récits de chute. Ce n'est certainement qu'un
hasard, mais ce dessin bringuebalant, les livrets photocopiés et mal agrafés, le choix du strip
(court et donc rendant encore plus anecdotique l'anecdote), jusqu'à la mort absurde (l'ultime
chute) de l'auteur, tout participe au récit. Effectivement, tous les auteurs de la micro-édition
ne meurent pas dans des circonstances ridiculement coincidentes avec leur oeuvre, mais tout
le reste est valable pour de nombreux livres.8 Les BD de Daniel Cressan ont d'abord été autopubliées sous frome de petits livrets photocopiées. Quelquetemps après la chronique de Ferraille ont vit des planches du jeune homme publiées par le magazine. En 2001,après la mort idiote et accidentelle de l'auteur (une chute dans sa baignoire), les éditeurs de ce même magazinepublient, dans un comix de 32 pages, ses oeuvres complètes.9 Un autre exemple pourrait être celui de la récente édition française par Frémok du carnet original d'Alice, parLewis Carroll, avec ses propres illustrations (refusées à l'époque par l'éditeur). Le Frémok n'est plus àproprement parler ni du fanzine, ni de la micro-édition. Cependant – tout comme L'Association – ce petitéditeur est totalement héritier de cet état d'esprit fanzine.10 Quelques auteurs de L'Association (LA maison d'édition qui a redonné ses titres de noblesses à la BD, dontles auteurs/éditeurs proviennent tous du fanzinat) parlent du « mur de la honte » pour nommer les pilesmonstrueuses d'invendus de leurs premiers fanzines mal fichus.11 Une expression d'Henri Meschonnic, un peu détournée ici.
5
Poussons plus loin : par cet état de fait qui
implique les auteurs de fanzines dans le
processus de création et de fabrication des
livres, nous pensons avoir affaire à des
« extensions de l'acte d'écriture ». C'est-à-dire
que dans de nombreux cas, l'écriture du livre
se fait en même temps que la conception de
l'objet qui le contiendra. L'auteur, impliqué
dans toutes les étapes, laisse ainsi sa marque,
son empreinte au livre, au-dela du texte lui-
même. Ce processus du « fait à la main » est
tellement important pour le fanzinat, qu'il en
est aujourd'hui une donnée intrinsèque,
incontournable, de nombreux auteurs ou
éditeurs la mettant en scène : que ce soit Terre
Noire qui, sur le site présentant les livres du catalogue, donne en lien des reportages
photographiques sur la fabrication de chacun d'eux ; ou encore Sylvain Moizie qui dans un de
ses livres chez L'Institut Pacôme, rejoue la fabrication de celui-ci (cf. doc.) ; et l'on citera pour
finir, Andreas Kündig, Alex Baladi, Yves Levasseur et Ibn Al rabin (tous auteurs et éditeurs
de fanzines), à l'origine de la « Fabrique à fanzines12 » qui se déplace de festival en festival
pour inviter le public à participer lui aussi à la création, chacun pouvant y réaliser et
reproduire son propre fanzine.
L’héritage des revues mythiques
Bien qu’il existe aujourd’hui de nombreux fanzines d’auteur (c’est-à-dire tenus et fabriqués
par une personne seule), il s’agit en général de collectifs. Plusieurs choses sont à prendre en
compte à ce niveau : les fanzines deviennent alors le lieu – le laboratoire – d’expérimentation,
de création, le lieu de l'œuvre en cours. Un fanzine à la rare longévité13 semble avoir bien
compris ce concept l’annonçant ouvertement en couverture avec son titre : Brouillon ;
prépubliant plusieurs histoires avant de les réunir en albums. Un autre, dont le décès fut
déclaré après trois ou quatre numéros, portait le titre de L’Eprouvette et avait pour singulier
principe d’être un lieu de création ouvert à toutes les formes d’expressions, dans lequel toutes
les œuvres devaient se correspondre, chaque numéro présentant une nouvelle « chaîne »,12 Voir le site d'Andreas Kündig : http://www.darksite.ch/kundig/fanzines/fanzines.html13 En général les fanzines durent quelque chose comme huit numéros (moyenne approximative).
6
partant d’une « œuvre source » de laquelle s’inspiraient ensuite toutes les autres productions.
Enfin, un auteur publiant à l’époque dans le fanzine de « mangasse »14 Attattawatta, me
confiait que sans celui-ci il ne dessinerait peut-être pas, l’idée de l’impression finale, du
travail en équipe étant sa motivation première.
Et effectivement, les fanzines et autres revues15 photocopiées sont souvent des moteurs à la
création. Si Tristan Sére de Rivières, membre fondateur des Berbolgruistes (association ayant
publiée entre autre feue la revue En Attendant de 2003 à 2006), répète que s’il n’écrit pas il
est inutile de compter sur lui pour relancer un nouveau titre, l’inverse est aussi vrai. Les
revues photocopiées actuelles deviennent alors comme des projections d’un idéal rejoué à la
contemporaine : les Berbolgruistes se déclarent décadents. Et l’on peut imaginer aisément que
d’autres se veulent romantiques16, dadaïstes, surréalistes… ou simplement les nouveaux chats
noirs. Ce que l’on veut souligner ici, c’est que la littérature vit en se nourrissant d’elle-même,
en piochant, en se creusant dans ce qu’elle a produit, pour le renouveler encore et encore.
Aujourd’hui en cette ère contemporaine, « post-moderne »17, plus que jamais la littérature est
ce melting-pot d’elle-même, de son histoire, des autres arts, de cultures internationales, de
nostalgie et de projection. Entrer en littérature – et peut-être vivre aussi – est toujours un acte
d’imagination qui puise à la fois dans ce qui a été (ou pas) et ce qui pourrait être. Les revues
photocopiées, chacune ayant plus ou moins d’importance sur la scène littéraire18, naissent
toutes à la fois d’un fantasme prenant source dans ces « âges d’or » de
la littérature que sont ces époques floues nous parvenant comme de
doux rêves glorieux (époques des grandes revues et cabarets, de la
bohème19...) et de l’envie de faire renaître ces époques en les
actualisant, en devenant les nouveaux grands noms.
L’héritage de ces revues est plus ou moins visible dans celles
contemporaines : esthétique oldies, faisant clairement référence à une
époque donnée ; collage, pouvant être à la fois cette idée du fanzine14 « Mangasse », terme inventé par les membres du fanzine pour préciser que leurs mangas n’en étaient pas devrais, puisque réalisés par de petits français.15 Certains fanzines se refusant à être des « fanatic magazines » récusent cette appellation et choisissent doncd’autres termes.16 Notons pour exemple le fanzine Le Calepin jaune, dédié au fantastique et à la fantasy, le tout dans uneambiance dix-huitièmiste, republiant parfois avec de jeunes auteurs contemporains des auteurs d’époque.17 J’utilise ce terme avec précaution, sachant bien que de nombreux théoriciens de la littérature le remettent enquestion. Pour ma part, n’ayant pas d’avis tranché sur ce problème, et mon travail n’ayant pas pour but de lerésoudre, j’utilise les termes jusqu’alors conventionnels, sans pour autant oublier leur relativité.18 Il y a évidemment une différence entre En Attendant, revue connue de quelques étudiants aixois, dont laplupart des auteurs n’a été publié nulle part ailleurs ; ACD revue littéraire qui, par sa longévité (10 ans), s’estfaite une place dans le paysage lyonnais ; ou Boxon, dont certains auteurs ont publié chez P.O.L. ou ailleurs etqui a vu dans ses pages quelques noms comme Pennequin ou Quintane.19 Et la bohème a ceci de bien qu'elle est particulièrement accessible aux auteurs de fanzines, la plupart du tempsétudiants, ou anciens étudiants, et surtout particulièrement fauchés.
7
punk, tout comme une réminiscence dadaïste ; citations ou
termes explicitement référencés (cf. par exemple le recueil
Décadences Berbolgrues)… Enfin, ceci ne peut avoir de
sens qu’une fois dépassé. Parce qu’un des problèmes
majeurs du fanzinat est souvent la redite, même la redite en
moins bien, les fans n’ayant souvent pour majeure ambition
que celle de refaire ce que leurs auteurs préférés font déjà.
Mais lorsque ce défaut est dépassé les résultats s’avèrent
parfois intéressants, voire remarquables et donner naissance
à de vraies « voix », voix d'auteurs, ou voix collectives.
A Lyon, c’est par exemple Boxon, revue de poésie portant incroyablement bien son nom :
présentant de nombreux textes d’auteurs plus ou moins connus sur la scène poétique, mis en
page avec une incroyable désinvolture. « Le parti-pris de la revue est simple : pas de papier
vélin mais de la poésie ! La revue n'est pas chère afin de pouvoir toucher un public de non-
initiés. Sortir du cercle des revues aussi chères que les livres. Le choix éditorial doit suffire à
convaincre le lecteur. Radical. » déclarent-ils sur leur site internet. Déja, se dessine dans leurs
pages une évidence : la poésie la plus contemporaine déborde sur les arts plastique (et
inversement). Tout en même temps, un collectif de poètes vit et sévit, fait sa place dans le
paysage, et impose son existence. Le tout pourtant avec trois francs six sous.
On trouve de nombreuses revues du même type que celles citées ici et plus haut, c'est-à-dire
autant de « fourre-tout » éclectiques, pronant – parfois avec insistance et maladresse – le
décloisonement des arts. Or c'est un fait, les frontières se font de plus en plus floues et déjà
l'on trouve chez des éditeurs d'art, de « livres d'artistes20 », des ouvrages qui ne se disent pas
littérature, et qui pourtant ne présentent aucune illustration, mais seulement du texte. Il est
possible qu'à terme, les questions de la « littérarité » d'un objet ou d'un autre deviennent
presque hors de propos tant les objets eux-mêmes ne sont plus ni classables ni identifiabbles.
Et ceci est particulièrement prégnant dans la micro-édition, tant parce qu'elle n'est pas régie
par les mêmes contraintes commerciales que la grande édition (des objets facilement
identifiables et reconnaissables par le public), que par les hasards des rencontres de ses
acteurs.
20 Ces livres qui deviennent aujourd'hui ces galeries papier remplaçant les galeries concrètes et permettant auxartistes de diffuser leur travail autrement. On trouve notemment à Rennes 2, les éditions Incertain Sens(http://www.uhb.fr/alc/grac/incertain-sens/index.htm). On soulignera deux publications : L'Inventaire desdestructions d'Eric Watier et Le Carnet bleu de Bruno di Rosa, deux livres d'artistes sans aucune illustration.
8
Effondrement des frontières
Reprenons notre petit livre de photographie, Des animaux morts Une vie
ailleurs. On remarquera, en regardant de près qu’il s’agit d’un ouvrage
photocopié, les techniques modernes et le numérique permettant un assez
bon rendu. Le résultat à quelque chose d’un peu « cheap », certes, mais
cela semble peut-être voulu. Et pour celui qui connaît un peu le milieu, le
nom de l’éditeur parle tout seul : Terre Noire. Le catalogue (cf site : http://
terrenoireeditions.chez-alice.fr) et l’histoire de cet éditeur ne manqueront
pas de nous interloquer. On y trouve pêle-mêle recueils de poésie,
nouvelles, bandes dessinées, livres d’artistes, photographie, dessin…
Lionel Tran, auteur et un des trois membres fondateurs, rapporte que dans
les premiers temps il fut difficile pour le public de cerner la structure.
Justement, les éditions Terre Noire furent fondées il y a dix ans par trois
jeunes artistes qui ne trouvaient pas leur place dans le milieu : un
dessinateur de BD, Ambre, une photographe, Valérie Berge, et un écrivain,
Lionel Tran. Aucune structure ne semblant leur correspondre, ils décident
de créer la leur. Née de cet improbable regroupement, la structure avait
pourtant un sens : bien que les formes d’expressions ne soient pas les
mêmes, les idées et les préoccupations des trois auteurs se rejoignaient.
Ainsi, même si en apparence les livres semblaient ne pas coller ensemble,
leur contenu et ce qu’ils disent de notre société rendent l’entreprise très
cohérente (il serait peut-être bon de préciser que les livres de Terre Noire
présentent souvent une critique acerbe de la société, mais surtout semblent
être un cri d’urgence pour tous les laissés pour compte de celle-ci : leurs
livres portent actuellement tous la mention « fait à la main par des
chômeurs »).
Aujourd'hui la structure est connue et reconnue. Sans plus avoir à faire aucune démarche,
Terre Noire est en lien avec un certain nombre de libraires Lyonnais, plus quelques autres à
travers la France, assurant ainsi une diffusion minimum. Ainsi, le catalogue incroyablement
varié de Terre Noire a su trouver un public fidèle. Et peut-être cet écléctisme a-t-il finalement
participé à forger le caractère de la maison.
Nous l'avons dit et redit depuis le début de cette réflexion, quelque chose se passe, quelque
chose qui devient à la fois de plus en plus visible et pour autant tout autant insaisissable. Alors
9
que les frontières du monde
s'effacent peu à peu, à toutes sortes
de niveaux concrets ou
symboliques, c'est comme si cet
effacement se transposait partout où
cela est possible. L'art et la littérature
n'y échappent évidemment pas ;
même peut-être sont-ils évidemment
les premiers touchés puisqu'ayant
pour mission première de
retranscrire, de traduire le réel.
Le fanzinat, je le crois, est, peut-etre
plus que toute autre forme d'édition,
incroyablement intriqué au réel, ses
auteurs et lecteurs étant bien
souvent plus proches ; ainsi que les conditions de productions, de diffusion et de transmission
étant beaucoup plus visibles. Alors que la grande édition, à peu près régie par les mêmes lois
que celles de la grande consommation, c'est-à-dire : des consommateurs achetant des produits,
le tout dans un dispositif fictionnel faisant disparaître artificiellement la chaine complexe de
production ; la micro-édition laisse, elle, entièrement visibles et intrinsèquement faisant partie
de son « aura », tous les maillons de la chaine de sa production. Les auteurs, loin d'être les
entités imperceptibles – bien souvent des rôles – que l'on apperçoit dans des postures lors des
émissions télévisées ou dans les salons, sur des estrades lors de conférences, ou tels des
« stars » en dédicace, les auteurs de la micro-édition sont des personnes réelles.
Je soulignerais un dernier effacement de ces frontière, un effacement culturel. A un moment
où à l’intérieur même des universités, les différents groupes de recherche se chamaillent sur
les appellations « littérature comparée » ou « littérature française », il serait important de
signaler – en tout cas au niveau de la micro-édition – l’existence d’oeuvres échappant à ses
questions parce qu’inclassables. Nous signalerons les bandes dessinées autobiographiques de
Nauga Roch (page suivante) et Le Livre de moi de Julio Nesi (ci-dessus). La première est une
auteure israélienne, vivant à Paris, où elle diffuse ses fanzines, dans lesquels elle a choisi
l'anglais comme langue. Le second, un italien résidant en France, sortit en 2000 un étrange
ouvrage (par ailleurs publié chez un micro-éditeurs plutôt spécialisé dans le graphisme) : un
10
grand livre en format
A4, présentant sous
l'appellation « poésie »,
un seul très long texte
en prose, dans lequel se
mélangent un français
bancal et de l'italien.
Le résultat étant une
langue unique, qui
semble être celle
propre de son auteur.
Ces deux auteurs
posent définitivement
des questions qui
seront peut-être de
vraies préoccupations à
l'avenir, ou : pourra-t-
on à terme continuer de
classer la littérature par
pays ?
Plus que jamais, on le
voit, face à l'évolution
du monde, à l'explosion
de celui-ci, pourrait-on presque dire, les frontières des arts, des modes d'expressions, des
langues ne peuvent-elles que céder.
La bande dessinée comme prémisse de la littérature du XXIème siècle
Justement, je voudrais revenir à un des exemples les plus frappants de l'effondrement des
frontières. Voyons une chose que se sont accordés à affirmer tous ceux que j’ai rencontrés et
interrogés : peu de lieux, particulièrement au niveau des festivals et salons du livre, offrent un
espace pour les fanzines et la micro-édition. Certes, les salons de poésie ont un espace
immense pour la micro-édition, mais c’est par défaut, car la poésie n’est presque que micro-
édité. Les « vrais » salons littéraires ignorent tout bonnement cette production. Les festivals
11
de science-fiction et de fantasy réservent en général un couloir perdu à ceux-ci. Seuls les
festivals de bande dessinée (et encore, pas tous) réservent un véritable espace à cette forme.
Ce que nous pensons : c’est que la bande dessinée par son statut un peu « bâtard » s’est depuis
longtemps affranchie de certains combats. S’il existe quelques énergumènes pour affirmer
toutes dents dehors son statut hautement littéraire, les auteurs eux-mêmes ont certainement
d’autres chats à fouetter. Surtout, la bande dessinée a dû faire sa place tout court dans le
marché, évoluant en parallèle, parfois avec du retard, parfois avec quelques avances. Plus ou
moins détachée de certaines préoccupations qui sont celle de La littérature officielle, ou même
des milieux comme ceux de la science-fiction, elle a pu développer son propre langage et ses
propres idées. Tandis que la science-fiction et la fantasy sont dans un constant combat à
double tranchant (certains auteurs lutant pour la valeur littéraire du genre, certains ne voulant
rien avoir à faire avec la littérature, d’autres encore désavouant leur appartenance à ce genre ;
et tout ceci alors que la SF cherche au même moment à faire partie de la littérature tout en
affirmant de façon incroyablement accentuée sa différence), la bande dessinée comme ayant
perdu d’avance sur tous les terrains (que ce soit celui des arts plastiques ou celui de la
littérature) ne se préoccupe plus que d’elle-même et d’aller jusqu’au bout de ses possibilités.
Ce qu’il s’est passé : les fanzines, cela est aujourd’hui avéré, ont été un fabuleux fer de lance
pour le renouveau de la bande dessinée autant en France qu’à l’étranger. Ce qui explique,
entre autre, la place qui leur est faite aujourd’hui. Le résultat est qu’un bon nombre de
fanzines qui (soit par défaut, soit par idéologie) présentant un contenu mixte (avec poésie,
prose, bande dessinée, illustration…) et ne trouvant de lieu où présenter leurs travaux, se
glissent dans les festivals de bande dessinée, les seuls à les accueillir.
Cela est certainement étonnant, de tomber sur une bande de petits jeunes, assis derrière une
table sur laquelle trônent, les uns à côté des autres, de petits recueils de poésie, le tout entre
deux tables fournies en couvertures colorées de bandes dessinées. C'est pourtant logique. Si
nous réflechissons bien à tout ceci, nous sommes entrés dans une ère où plus que jamais
l'image s'impose. Nous sommes cernés par les images : télévision, internet, publicité, presse.
En définitive, la littérature – si elle continue d'être cette art de la narration qui retranscrit le
réel – ne peut faire autrement qu'utiliser l'image, tant un réel sans images n'existe plus. Ce qui
se passe actuellement avec la poésie et les arts plastiques n'est pas anodin. Et l'on a pu voir de
plus en plus d'ouvrages de littérature se doter d'images, flirter avec la photographie, le
dessin... En somme, la bande dessinée est peut-être une des incarnations les plus évidentes de
ce fait.
Et ça n'est donc peut-être pas pour rien qu'elle accueille, presque sans broncher (à l'exception
d'un certain public, quelque peu décontenancé), presque tous les autres arts et pratiques dans
12
ses manifestations. Pas un
festival sans projections de
films, ni sans un concert. Et
c'est sans compter les
expositions qui y ont lieu,
dépassant ce qui fut
longtemps le simple
affichage de planches
originales, pour prendre
réellement la dimension
d'exposition d'oeuvres d'arts,
jusqu'à des performances, à l'image de celle réalisée par Vincent Fortemps lors du dernier
festival Periscopages, à Rennes en Juin 2008. Il s'agissait d'une performance/concert avec les
musiciens Jean-François Pauvros et Alain Mahé, durant laquelle le dessinateur, grace à un
dispositif de captation vidéo projeté en temps réel sur grand écran, réalisait une bande
dessinée en direct. Nous reproduisons quelques cases d'un de ses derniers livres, Barques,
édité chez Frémok, afin que l'on ait une idée de l'étrangeté de cette performance, ainsi que du
fait qu'elle aurait tout aussi bien pu se dérouler dans une galerie d'art contemporain, ou lors du
printemps de la poésie.
L'objet livre en question
Une des choses qui sclérosent quelque peu le milieu de l’édition est la reproduction
mécanique, ainsi que la notion de produit. Qui dit produit, dit consommateur. Et le
consommateur a besoin de repères. C’est pourquoi d’une façon générale le livre doit
ressembler à un livre pour avoir sa place dans les rayonnages des libraires. Qui aujourd’hui se
souvient de ce qu’est une plaquette21 ? Personne. Pour la simple et bonne raison que les
plaquettes n’ont plus leur place en librairie. Parlez de poésie à un jeune étudiant de licence un,
peu curieux, là par hasard, tout ce qu’il aura en tête sera la collection « Poésie/Gallimard »,
collection affreusement trompeuse puisque, même si elle rend facilement accessible de
nombreux textes, elle élimine totalement les conditions originales de publications de ceux-ci,
uniformisant le livre de poésie. Comment peut-on aujourd’hui lire la Prose du Transsibérien
en ne gardant que le texte de Blaise Cendrars et en ignorant les illustrations de Sonia
21 On signalera tout de même l'existence de quelques (micro)éditeurs de poésie faisant perdurer cette forme : àRennes, ce sont les éditions Wigwam, dirigées par Jacques Josse, qui publient une série de plaquettes, diffuséeshors des circuits des les librairies.
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Delaunay ? Ce, tout autant que le format d’origine qui imitait celui des cartes
topographiques…
Il serait vain de s'en prendre avec amertume au consumérisme, à la société capitaliste... etc.
Cependant, soulignons ce fait : oui, il y a aujourd'hui peu de place pour le livre « de création »
et la grosse machinerie de l'édition laisse peu d'espace libre. Nous n'avons pas dit « aucune
place », mais bien « peu ». Et le fanzinat est le lieu privilégié pour cette création, le lieu des
expérimentations et des audaces. Simplement parce qu'il ne subit pas la même pression
financière. Bien sûr, publier un livre quel qu'il soit, nécessite un certain protocole et les
questions budgétaires se poseront toujours. Mais il est plus simple – ou en tout cas moins
dangereux – de les résoudre quand on jongle avec de petits capitaux et de petits tirages.
Colville Petipont du Berbolgru répète souvent : « Qu'avons nous à perdre, si ce n'est de
l'argent ? »
Ralf Bletton, des éditions Ambition Chocolatée et Déconfiture, est partisan de ce qu'il appelle
« l'économie zéro ». Il s'agit d'un système assez simple : plutôt que d'investir des sommes
vertigineuses, on fait au mieux avec peu. La trouvaille ingénieuse est celle du feuillet, forme
dans laquelle sont publiés la plupart de leurs ouvrages ; des feuilles A3 pliées et repliées
jusqu'à donner un joli petit journal de 16 pages en format A6. La revue ACD revue littéraire,
est distribuée gratuitement depuis bientôt dix ans sur Lyon, à environ 300 exemplaires (enfin,
était, puisqu'il semble que dernièrement Ralf ait décidé de passer à autre chose) et présente
courtes nouvelles, bandes dessinées, poésie, photographie...
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Sur le même format sont publiées des nouvelles et petites bandes dessinées, parfois
regroupées en coffret. Ainsi que me l'expliquait Ralf, ces feuillets sont eux vendus 1€ l'unité,
alors qu'ils ne coûtent seulement qu'environ 10 ou 20 cents à la fabrication. Cela permet de
rentrer rapidement dans ses frais. Ralf précise aussi qu'il se refuse à posséder un quelconque
stock (il évite de cette façon les
« murs de la honte » et autres
désagréments) et n'imprime de
nouveaux exemplaires qu'avec
l'argent qui entre dans les
caisses. A l'occasion sont
organisées des lectures et des
interventions, lors des marchés
de la poésie ou dans des cafés.
ACD n'est pas la seule revue à
utiliser un tel format. On
trouvait à rennes, il y quelques
années la revue de création
Mécanique urbaine (dont faisait
entre autre partie Laurent
Quinton) dont la singularité était
d'être présentée en feuillets
volants, glissés dans une
enveloppe A4. Et non
seulement, le contenu était aussi étonnant, puisqu'il s'agissait, partant à chaque numéro d'un
thème (cf. doc. le numéro « Droite »), de textes critiques, philosophiques, nouvelles, poèmes,
bandes dessinées... Les réponses étaient très variées et offraient ainsi un éclairage toujours
intéressant (même si Laurent Quinton me disait, lors d'un entretien, trouver avec le recul le
tout inégal) sur des questions qui auraient pu pourtant vite mener à des épanchements
consensuels.
Et c'est sans compter d'autres expérimentations comme le Journal del aventure, fanzine
autoédité par Ruppert et Mulot, dont un numéro avait pour format celui d'un quotidien très
envahissant, dans lequel plusieurs histoires étaient agencées à la façon d'articles. Ou bien les
livres de Le Suc & l'Absynthe imprimés sur des chutes de papier et ayant donc tous des
formats improbables, à l'exemple de ces papillons autocollants vendus dans une pochette et à
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parsemer où le lecteur voudra. Et la liste d'ouvrages
difficiles à ranger normalement dans sa
bibliothèque pourrait encore être longue...
Un format simple et très utilisé dans le fanzinat est
celui du fascicule A5 (A4 plié en deux, agrafé).
Simple à fabriquer et clairement identifié comme
fanzine, il s'avère lui aussi problématique à
diffuser. Je tiens à raconter une anecdote
personnelle ici. Sans chercher à m'étendre sur le
sujet, je précise que je fais moi aussi des fanzines.
J'ai à plusieurs reprises dû me confronter à la
difficile tâche de la diffusion, et aller rencontrer des
libraires afin de déposer mes petits ouvrages chez
eux. On trouve en général quelques libraires
acceptant de faire du dépot-vente, parfois – mais
c'est plus rare – qui achètent les livres comme il en est coutume avec les véritables éditeurs. A
Rennes, il y a notamment la librairie « Alphagraph22 », spécialisée dans les petits éditeurs et
l'underground. A Lyon, il y a par exemple la très sympathique librairie « A Plus d'un titre23 »,
regorgeant de nombreux petits ouvrages de poésie, de revues engagées, de petites éditions
alternatives et indépendantes. Cette maison édite même quelques ouvrages de poésie de bonne
qualité, des romans et des ouvrages de réflexion sur la société. Il s'agit à priori de gens
engagés, souhaitant défendre la diversité et la différence.
Un jour, je me présente avec de petits fanzines de poésie, ouvrages microscopiques, fascicules
pour certain en format A6, agrafés. Le libraire, vraiment très sympathique et ouvert m'a même
acheté mes livrets plutôt que de me proposer un dépot-vente, ce qui prouve son honnêteté et
sa considération. Cependant, toujours avec la même sympathie, il me donne ce conseil : « Une
chose, tout de même. A l'avenir, ce serait mieux pour vous de faire un dos carré, parce qu'une
fois qu'ils sont rangés dans les rayonages, ils disparaissent totalement sinon. » Ce monsieur
avait grandement raison.
Pourtant, aux USA, la bande dessinée est entièrement publiée sous forme de fascicules d'une
trentaine de pages. Il est normal pour de nombreux américains d'acheter et de conserver
(précieusement parfois) ce genre d'ouvrage. On imagine ainsi qu'il a certainement été plus
22 Alphagraph, 5 rue d'échange, 35000 Rennes. Lire l'interveiw du libraire, Jérome, sur le site de L'Oeilélecrtique : http://oeil.electrique.free.fr/article .php?articleid=359&numero=20 23 A plus d'un titre, 4 quai de la Pêcherie, 69001 Lyon. Voir leur site : http://aplusd1titre.nerim.net/index.htm
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aisé pour les auteurs et éditeurs de fanzines, même avec leurs fascicules photocopiés, de se
faire une petite place. Ce que je tiens à illustrer avec mon anecdote presque anodine, c'est
qu'en France, l'idée du livre et de sa forme s'est tellement imposée comme ce pavé de feuilles
que nous connaissons, qu'il est difficile d'avoir l'air crédible avec un fanzine. Le libraire ne
faisait que souligner une vérité : lui-même, malgrès son engagement et sa bonne volonté, était
incapable d'imaginer le moyen de mettre en avant ce type d'ouvrages, tant le public n'y était ni
habitué ni adapté.
Un peu d'informatique : les revues « online »
Sortir du livre, c'est aujourd'hui beaucoup de possibilités : que ce soit les enregistrement
sonores, les vidéos, les performances, les lectures... la littérature s'essaye à tout. Mais, il me
semble que doucement, avec tout cela, d'une certaine façon, la littérature sort d'elle-même.
Sans vouloir faire des affirmations péremptoires (mon autorité dans le milieu littéraire égalant
presque le zéro), je crois que l'objet livre est d'une certaine façon indispensable. Il permet au
lecteur une intimité, une proximité qu'enlèvent toutes les interventions « live ». J'ai le
sentiment que la littérature nait non pas précisément dans les mots, mais plutôt dans ce
moment furtif de la transmission, de la lecture. La littérature est, pour moi à l'opposée du
spectacle. Le théâtre, par exemple, une fois sur scène n'est déjà plus littérature. Ce n'est que
mon avis, mais j'y crois assez pour essayer de le défendre un peu dans cet espace qui m'est
imparti.
Imaginons que je vois juste, et sachant qu'à terme l'objet livre ne pourra éternellement rester
celui que nous connaissons, quelles sont ses possibilités d'évolution ? Aujourd'hui, il trouve
une nouvelle incarnation protéïforme, notamment avec internet. Au niveau du fanzinat – et de
l'édition en général – existent quelques inquiétudes : avec l'essor du net et des blogs, ne va-t-
on pas voir peu à peu disparaître le livre et les fanzines ? S'il est évident qu'avant que le livre
soit entièrement remplacé par des versions numériques, il peut se passer encore quelques
années, la question des fanzines se pose vraiment. Et toutes les fois où j'ai parlé de mon
travail de mémoire, les réactions ont de nombreuses fois été : « Les fanzines, ça existe
encore ? avec internet, tout ça... »
On observe déjà certaines choses sur internet : des projets comme ceux de François Bon,
Remue.net ou Le Tiers livre, qui prennent acte de ce nouveau rapport. Il suffit d'ailleurs, parti
d'ici24 d'aller sur la page de liens du site pour observer que la vie littéraire a bien décidé
24 http://remue.net
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d'utiliser ce nouveau moyen pour s'étendre. Et l'on suppose que cela va continuer – tout en
travaillant de concert avec l'édition papier.
Pour le fanzine, nous l'avons dit, l'avenir semble plus incertain. C'est par exemple le fanzine
Numo25, disponible en ligne, avec une interface animée très bien faite ; mais qui
malheureusement, au-delà, ne présente que des pages à « feuilleter », laissant sentir encore le
poids de l'objet livre pas encore dépassé. La SF et la fantasy ont aussi bien exploré ce champ,
proposant déjà plusieurs fanzines gratuits en ligne, ou a télécharger en format PDF, à
imprimer soi-même si on le désire. On pourra en voir un exemple avec les Nuits d'Almor26. Ici
encore, les mises en page et l'esthétique générale montrent bien que l'on ne s'est pas détaché
du livre, et que le choix du numérique est fait par défaut : par manque d'argent.
Terrenoire et ACD ont eux recourt à l'alternative suivante : prépublier tout ou parties de
certains ouvrages sur leurs sites. Etonnament, ce sont justement les ouvrages mis en ligne qui
sont ensuite le plus commandés aux deux structures.
En somme, même si à terme il y a de quoi penser que le livre finira par se transformer
radicalement, nous pensons qu'il n'existe, à l'heure actuelle, que des états de transitions. C'est-
à-dire que si le livre doit un jour finir entièrement numérique, alors il devra le faire en
s'assumant comme tel et en allant jusqu'au bout de cette forme, en en exploitant toutes les
capacités. Mais la valeur idéelle du livre est encore trop prégnante en nous pour parvenir à cet
état.
Conclusions : et après ?
On se demandera peut-être où je voulais en venir. Très précisément ici : nous vivons des
temps où tout va de plus en plus vite, où chaque jour des images nous attaquent de toute part.
Il est évident que l'art et la littérature ne peuvent qu'aller dans ce sens, suivre ce mouvement
tapageur. Aujourd'hui, pour rendre cette expérience de chaque jour, les auteurs doivent et
peuvent quasiment tout faire grâce aux moyens modernes.
Comme parfois, nous le savons, le grand commerce est un peu frileux (lent par rapport au
mouvement tapageur quand il s'agit d'innover), les plus rapides sont peut-être ceux qui
expérimentent de la façon la plus sensible, au jour le jour, rien qu'en marchant dans la rue
cette urgence et cette violence au néon. Détachés des contraintes commerciales du grand
rendement, le fanzinat, par essence bricolage et artisanat, utilisant tout ce qui lui tombe sous
la main, est peut-être un des meilleurs lieux où traduire cette expérience.
25 http://numo.fr26 http://nuitsdalmor.over-blog.com
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Héritier, un peu hybride, « bâtard », de toutes les cultures et « sous-cultures », de tous les arts,
il explose sous toutes les formes pour faire entendre les voix de chacun. Par le peuple, pour le
peuple, il est comme une sorte de petite démocratie, de lieu d'expression et de parole. Puisant
dans tout ce qui est possible, faisant de la récupération, opérant les croisement les plus
inatendus, au grès des rencontres et des hasards, parfois animé d'un enthousiaste adolescent
qui lui jouera des tours.
Sans aller jusqu'à parler d'avant garde (ce qui serait exagéré pour l'ensemble de la production,
mais peut-être tout de même valable pour quelques auteurs et éditeurs), nous pouvons dire
qu'à un certain niveau, la micro-édition devance l'édition27.
Avec certitude, nous pouvons imaginer que ce qui se passe aujourd'hui de façon de plus en
plus flagrante dans les fanzines – cette explosion protéïforme et tapageuse de textes et images,
d'hybridation de formes et de genre, de formats inadéquats au rengement, d'expérimentation
de toutes sortes d'outils – finira par être la normalité de toute la littérature et les arts. Peut-être
même, risquons-nous à de gros mots, peut-être ne sera-t-il plus alors temps de parler de la
littérature ; peut-être, face aux nouveaux objets qui s'annoncent à nous, ce terme finira-t-il
caduque et désuet.
(à suivre...)
Deux photographies de l'exposition Misma(http:// misma.free.fr) durant le festival de BDPeriscopages, en juin 2008, à Rennes.
27 Nous rappelons le succès de la « nouvelle bande dessinée », dont les auteurs sont presque tous issus desmilieux du fanzine, et que les gros éditeurs se sont empressés de suivre une fois que les plâtres étaient essuyés.
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BIBLIOGRAPHIE
(Note : un certain nombre de témoignages cités dans ce travail sont le fruit de plusieurs entretiens
réalisés dans le cadre de mon mémoire, ou d'anecdotes accumulées depuis plusieurs années au cours
de mon expérience à la fois d'auteur/éditeur, mais aussi de lecteur de fanzines.)
Ouvrages de référence :
ANONYME (collectif), Papillons, Le Suc & l'Absynthe, Lyon, 2005.BOUILLARD Sylvain, Des animaux morts Une vie ailleurs, Terrenoire, Lyon, ?COLLECTIF, Boxon n° 20 et 21, Glottes en stock, Lyon, 2006, 2007.COLLECTIF, ACD revue littéraire n° 54 et 55, Ambition Chocolatée et Déconfiture, Lyon, 2006,
2007.COLLECTIF, En attendant, Les Berbolgruistes, Aix-en-Provence, 2003-2006. COLLECTIF, Lunatique n°1, ?, 1960.COLLECTIF, Mécanique urbaine n°9 et 10, Mécanique urbaine, Melesse, 2002, 2003. CRESSAN Daniel, Les Aventures de Daniel Cressan racontées par l’auteur, (à l’origine autoédité par
l’auteur, Rennes), réédité par les Requins Marteaux, « Comics », Albi, 2001. MÉRIDIEN Formose & SUPER DÉLIQUESCENT RAMIREZ Théodore, Décadences Berbolgrues,
Brouette Kosmyx, « le Syndrôme de la Tourette » volume 00, Aix-en-Provence, 2006. MOIZIE Sylvain, Bouclette opus 1 mince ouvrage – Otto et Cary dans : La Place de l'homme depapier, Institut Pacôme, « Coprin noir d'encre » n°6, Strasbourg, 2003.MULOT & RUPPERT, Le Journal del aventure, autoédition, 2005.NESI Giulio, Le livre de moi, Bongoût, « Les cahiers des goûts », Strasbourg, 2000. RAUCH Noga, Sweet 26, autoédition, Paris, 2005.
Ouvrages et articles critiques :
ANONYME, article « Fanzine », sur Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fanzine BIG BEN puis JENNEQUIN Jean-Paul (sous la direction de), Comix Club, Groinge, Nice, 2004-
2008...ETIENNE Samuel, « First & last & always : les valeurs de l’éphémère dans la presse musicale
alternative », Université Blaise pascal, Clermont-Ferrand II, 2003.GUNDERLOY Mike, How to publish a fanzine, Loompanics unlimited, Port Towsend – Washington,
1988.MORGAN Harry, Principes des littératures dessinées, L'An 2, « Essais », Angoulème, 2003.MURRAIL Lorris, « Le fandom » in La science-fiction, Larousse, « guide totem », Paris, 1999.PEARL WATSON Esther, TODD Mark, Watcha mean, what’s a zine, Funchicken, USA, 2006.PLAQUE Jean-François, « Repères pour une histoire du fandom » in Bifrost n°1, 2 et 3, 1996. TRIGGS Teal, « Scissors and Glue : punk fanzines and the creation of a DIY aesthetic », in Journal
of design history, vol. 19 - n°1, pages 69 à 83, Oxford University Press, Oxford, 2006.
Sites internets recensant divers fanzines et micro-éditeurs :
DIYzine. Site communautaire regroupant plusieurs fanzines plutôt graphiques :http://www.diyzines.com/
Site de la fanzinothèque de Poitiers :http://www.fanzino.org/
Le Fourre-tout haut et fort. Blog dédié principalement aux fanzines de l’imaginaire :http://le-fourre-tout.hautetfort.com/
Six papiers sous terre. Blog chroniquant et présentant plusieurs fanzines de bande-dessinée :http://fanzinebd.canalblog.com/
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